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Atelier n° 1

L’erreur, le doute et la vérité : des compétences transversales ?

Peut-être aurais-je dû rendre ce titre non pas interrogatif mais impératif en affirmant que bien
évidemment : « L’erreur, le doute et la vérité sont des compétences transversales ! » et ici
s’arrête le débat qui n’a pas encore démarré.
Pourtant force est de constater que je suis par là très optimiste ou pour le moins pas assez
nuancé. Analysons donc encore cette évidence pour la rendre plus sombre et amusons-nous
peut-être aussi à nous faire l’avocat du diable !

Commençons scolairement par Descartes : le doute !

« Le doute peut-il être une compétence transversale ? » serait la première question, suivie de
près par une seconde qui, finalement, peut annihiler la première et « Le doute doit-il être une
compétence transversale ? »

De quoi peuvent bien douter nos adolescents ? Ils ne vont pas entrer dans une réflexion
métaphysique sur l’existence en général et sur la conscience en particulier pour démontrer
qu’ils existent, car ils existent et cela, ils n’en doutent pas. Ils vont sans doute porter leur
doute sur les conditions mêmes de l’école : l’obligation scolaire, le choix des disciplines
scolaires, le contenu des cours, la forme,… Ensuite sur les schémas parentaux : les valeurs
sociales, leurs morales, leurs choix de vie, … Il faut bien reconnaître que jamais à l’école ce
genre de doute ne conduit vers un débat très constructif. Ces possibilités de « doute » (et
surtout les conséquences qu’induisent les débats) sont souvent balayées par un argument
d’autorité : « ils sont bien trop jeunes pour comprendre les contraintes qui conduisent aux
choix des adultes ». il y a donc peu ou pas de place pour ce doute là.

On peut alors se rabattre sur les cours de sciences et dire de façon soit démagogique soit
canonique soit dogmatique (pléonasmes ?) que l’introduction dans les cours de physique,
chimie, biologie, de la démarche scientifique, de l’observation et de l’analyse va amener nos
étudiants au « doute » vrai et pur, celui qui conduit à la connaissance. Il faut bien pouffer de
rire quand on lit nos cours de sciences ! Aujourd’hui plus qu’hier, les sciences pourtant dites
expérimentales sont enseignées de façon tellement « linéaire » qu’il n’y a plus de place pour la
critique et l’introduction de la méthode cartésienne.

Nos cours de sciences dans le secondaire (et aussi, disons-le, à l’université) relèvent plus d’un
dogmatisme massif et envahissant que d’une approche constructive basée sur le schéma
prôné : questions – expérimentations - réponses.
On nous dit évidemment que la science aujourd’hui forme, plus qu’hier, un corpus tellement
étendu de connaissances qu’il faut bien, d’abord, « bourrer » l’élève de savoir avant de lui
laisser le souffle nécessaire à sa propre respiration intellectuelle.
Ces enseignants qui le disent n’ont peut-être pas tort, ils n’ont probablement pas raison non
plus !

A mes yeux d’observateur, parfois externe au milieu scolaire, cette façon de faire laisse des
séquelles importantes dans la population qui, en grande majorité, ne fera jamais de sciences.

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Convention laïque du 15 octobre 2005 – Construisons l’école du libre examen
Permettez-moi d’ajouter, toujours en cherchant la polémique pour déclencher le débat, que
cette méthode de bourrage a pour conséquence une renaissance de l’irrationnel comme source
d’explication générale.
Où allons-nous donc mettre « le doute », le débat est ouvert.

Cherchons l’erreur !

En cherchant quelques citations bien senties pour illustrer le propos, j’ai choisi celle attribuée à
Hippocrate : «Si nous sommes exigeants envers nous- mêmes, non seulement le succès mais
aussi l'erreur, sera une source de savoir». Connaissant la pratique médicale belge, voilà un
précepte qui relève plus du dicton météorologique que de la philosophie du patient. Certes très
plaisante intellectuellement, cette approche ne sera pas trop appréciée des patients qui
demandent évidemment le succès et non l’erreur.

Le statut de l’erreur, qu’elle soit médicale, ou non, reste ambigu. Tous nous reconnaissons que
l’apprentissage passe par un aller-retour entre essais et erreurs. Pourtant aucun étudiant n’a
reçu de félicitations pour ses erreurs ! L’erreur est intolérable dans le processus
d’apprentissage et sert pour le moins au jugement des compétences : pas d’erreur – bon
élève. Mais cette facette de l’erreur est bien connue et souvent débattue. Reste la place de
l’erreur comme source transversale d’information, comme méthode pour mieux
« comprendre » une matière. L’erreur devient partie prenante de certaines matières. En
sciences, on rappelle en faisant un peu d’histoire des sciences comment les « anciens » étaient
dans l’erreur alors que nous les modernes sommes dans le vrai. En mathématique, on traque
l’erreur dans les calculs, dans la logique du développement d’une démonstration. L’erreur est
ressentie comme positive lorsque l’enseignant (pas l’élève) la pratique pour amener un
raisonnement. Mais dans d’autres disciplines ?
Peut-on enfin penser au débat sur l’erreur en religion dans toutes les religions ?
Peut-on simplement résumer les religions du Livre à des consensus sur des erreurs successives
qui deviennent des dogmes de foi pour quitter enfin ce statut d’erreur et devenir vérité pour le
moins révélée ?
Nous pouvons facilement imaginer les débats que nous ne voulons pas avoir à l’école sur ces
sujets pour comprendre que l’erreur comme source d’inspiration pédagogique interdisciplinaire
reste un vœu pieux.
Sans aller se fourvoyer dans cette polémique religieuse, d’autres domaines restent complexes
et sensibles. L’histoire évidemment mais aussi l’orthographe, car enfin pourquoi ces efforts
extraordinairement vains de construire du sens sur une orthographe qui n’en a peut-être pas
pour maintenir celle-ci, alors qu’il serait plus rationnel en terme d’échec d’en changer ?
« L’erreur » doit-elle ou peut-elle être un outil ? Et dans l’affirmative, comment manipuler cet
outil avec délicatesse et efficacité ? Voilà le débat ouvert.

En vérité je vous le dis !

La vérité comme troisième pilier de la transversalité est certes le complexe à définir car c’est
aussi le terme le plus rassurant. Quel enseignant niera cette proposition : « nous enseignons la
vérité» ? Elle est simple, elle est forte, elle est presque belle. Mettant ainsi le professeur dans
son rôle de prophète, de maître à penser, « lui » sait et il transmet son savoir qui n’est que
vérité. Nous pouvons évidemment relativiser ! Ce qu’il faut entendre, c’est que les enseignants
en toute humilité enseignent la vérité actuelle, celle qu’on leur a transmise d’ailleurs. Cette
dernière constatation diminue un peu la puissance du corps professoral. Souvent le flambeau
est alors repris en disant plutôt : « nous cherchons la vérité » ou encore en transposant aux
élèves « nous vous apprenons à chercher la vérité », parfois doublée d’un relativisme encore
plus grand : « nous vous apprenons à chercher votre vérité ». L’enseignant passe alors du
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statut de maître à celui de guide. On peut sentir alors le sens transversal de ces affirmations.
Sommes-nous des guides ? Quelle est la destination du voyage ?

Parfois on prétend que seul le chemin compte et seule la pratique du chemin qui mène vers
une inaccessible car indéfinissable « vérité » est le contenu de l’enseignement. On place alors
« la vérité » dans un statut de Graal inaccessible recherché par quelques rares mystiques.

Cette position relativiste de la vérité peut donc être dangereuse débattons-en.

Pasquale Nardone
Faculté des Sciences, ULB

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