Vous êtes sur la page 1sur 132

C E QU E N’ E ST PA S L ’ I DEN TI T É

NATHALIE HEINICH

CE QUE
N’EST PAS
L’IDENTITÉ

Gallimard
© Éditions Gallimard, 2018.

Couverture : René Magritte, Décalcomanie,


1966 (détail) © Photothèque R. Magritte / Adagp Images, Paris, 2018.
Collection particulière.
À la mémoire de Tzvetan Todorov
(1939-2017)
Le plus court chemin de soi à soi passe
par autrui.
paul ricœur
INTRODUCTION

Identité « malheureuse », « embarras » de


l’identité, « malaise » identitaire ou dans l’iden-
tité, « énigme » de l’identité, « piège » d’identité,
« guerre », « illusion » identitaire, identités « ambi-
guës », identités « meurtrières », « hystérie » iden-
titaire, « paniques » identitaires… Le moins qu’on
puisse dire est que le mot « identité » possède
aujourd’hui des connotations problématiques,
et ce chez un large spectre de penseurs allant,
en France, des philosophes aux sociologues, des
pamphlétaires aux démographes, des psychana-
lystes aux anthropologues1. Plutôt que d’ajou-

1. Les termes mentionnés ci-dessus sont empruntés respec-


tivement à  : Alain Finkielkraut, L’Identité malheureuse, Stock,
2013 ; Vincent Descombes, Les Embarras de l’identité, Gallimard,
2013 ; Laurent Bouvet, L’Insécurité culturelle. Le malaise identitaire
français, Fayard, 2015 ; Hervé Le Bras, Malaise dans l’identité,
Actes Sud, 2017 ; Pierre-André Taguieff, « Être français  : une
évidence, un “je-ne-sais-quoi” et une énigme », Dogma. Revue de
philosophie et de sciences humaines, mars 2016 ; Gilles Finchelstein,
Piège d’identité, Fayard, 2016 ; Régis Meyran (avec Valéry Rasplus),
Les Pièges de l’identité culturelle, Berg International, 2012 ; Roger
12 Ce que n’est pas l’identité

ter à cette notion une couche de confusion ou


de déploration, l’objet du présent ouvrage sera
de la clarifier, tout en mettant en évidence les
bénéfices —  au moins intellectuels, sinon poli-
tiques — qu’on peut tirer de son usage, pour peu
qu’il soit bien pensé.
Le charme autant que la difficulté des sciences
sociales, et en particulier de la sociologie, c’est
qu’elles doivent travailler avec les mots du lan-
gage ordinaire. Même si des termes spécialisés
ont été inventés pour des concepts bien définis
(« anomie », « paramètres sociodémographiques »,
« habitus », etc.), la plupart de nos outils sont en
même temps, hélas, nos objets, parce que notions
de sens commun et concepts savants s’expriment
par les mêmes termes : « politique », « art », « reli-
gion », « pouvoir », « valeurs », etc. — et, bien sûr,
« identité »… D’où d’innombrables malentendus
avec nos lecteurs, voire — hélas encore — avec
nos collègues, lorsque la familiarité de l’usage
l’emporte sur le souci de définition.
Faut-il pour autant se passer de ces termes
à double face au motif qu’ils manqueraient de

Martelli, L’Identité, c’est la guerre, Les liens qui libèrent, 2016 ;


Jean-François Bayart, L’Illusion identitaire, Fayard, 1996 ; Étienne
Balibar et Immanuel Wallerstein, Race, nation, classe  : les identi-
tés ambiguës, La Découverte, 1988 ; Amin Maalouf, Les Identités
meurtrières, Grasset, 1998 ; Éric Dupin, L’Hystérie identitaire, Le
Cherche-Midi, 2004 ; Laurence De Cock, Régis Meyran (éds.),
Paniques identitaires. Identité(s) et idéologie(s) au prisme des sciences
sociales, Éditions du Croquant, 2017.
Introduction 13

précision ? Ce serait se condamner à un lan-


gage incompréhensible à force d’être truffé de
néologismes ; et, surtout, ce serait se priver des
significations que revêtent ces termes pour les
acteurs que nous étudions, fussent-elles erro-
nées : autant dire qu’on s’interdirait ainsi toute
sociologie des représentations, dans une restric-
tion du domaine ouvert aux sciences sociales qui
les condamnerait à un programme très étroite-
ment positiviste. Bref, le recours aux termes uti-
lisés par nos objets est la pire des solutions à
l’exclusion de toutes les autres…
Nous voilà donc face à ce mot — identité —
et, conjointement, face à toutes les ambiguïtés,
connotations, projections qui vont avec. Le pari
de ce livre est que, plutôt que de l’abandon-
ner dans le caniveau des notions inutilisables
car trop et mal usitées, il est possible de le rele-
ver pour nous aider à penser ce à quoi il réfère,
avec les outils de la sociologie. Celle-ci en effet
« vaudrait-elle une heure de peine » si elle ne
nous permettait pas non d’agir sur le monde,
comme le souhaitait Durkheim, mais, au moins,
de nous le rendre plus lisible ?
Un second pari —  peut-être plus acroba-
tique — est qu’on peut éclairer un débat saturé
de positions politiques sans pour autant endos-
ser l’une ou l’autre, autrement dit sans prendre
parti. C’est, là encore, le privilège de la sociolo-
gie que d’utiliser des outils permettant de sus-
14 Ce que n’est pas l’identité

pendre le jugement de valeur au profit d’une


analyse raisonnée des points de vue défendus
par les acteurs, selon l’impératif de « neutra-
lité axiologique » édicté il y a un siècle par Max
Weber. Une telle neutralité est souvent difficile
à admettre par des acteurs trop impliqués dans
leurs convictions pour percevoir la possibilité et
l’intérêt d’un discours qui ne vise pas l’expression
d’une opinion mais la transmission d’un savoir ;
mais elle est aussi —  ce qui est beaucoup plus
gênant — contestée par certains sociologues au
motif qu’elle serait soit impossible à obtenir, soit
indésirable en regard de l’urgence qu’il y aurait à
défendre des points de vue politiques. Dans cette
controverse plus que jamais d’actualité1, j’espère
que ce livre contribuera à convaincre les lecteurs
de bonne foi qu’il est possible de penser un objet
de disputes sans entrer soi-même dans la contro-
verse ; et, surtout, que l’envahissante propension
à rabattre n’importe quelle question sur la seule
grille de lecture « droite » ou « gauche » constitue
un regrettable appauvrissement du débat public
—  appauvrissement auquel on comprend mal
que se résignent ceux qui ont la chance d’être
payés pour penser.
Ce livre ne s’adresse donc pas qu’aux spé-

1. Sur ce point je me permets de renvoyer notamment à N.


Heinich, Des valeurs. Une approche sociologique, Gallimard, 2017, et
à « Misères de la sociologie critique », Le Débat, n° 197, novembre-
décembre 2017.
Introduction 15

cialistes, mais aussi à tous ceux qui ont un jour


parlé d’« identité », ou en ont entendu parler,
et se demandent ce qu’il faut entendre par là  :
est-ce vraiment un mot « de droite », comme le
suggèrent certains de ses utilisateurs ou de ses
contempteurs ? Signifie-t-il même quelque chose
—  et quoi ? Nous allons voir qu’il est possible
de donner à ces questions des réponses relative-
ment simples, pour peu qu’on se départisse de
quelques idées reçues : ce pour quoi, plutôt que
d’expliquer ce qu’est l’identité, nous entrerons
dans le sujet par ce que n’est pas l’identité.
Chapitre 1
L’identité n’est pas
une notion de droite
(ni de gauche, d’ailleurs)

La problématique de l’identité est apparue


après la Seconde Guerre mondiale dans
la  recherche américaine  : d’abord en psycho-
logie, avec les travaux du psychanalyste Erik
H. Erikson sur les crises d’identité1, puis ceux de
l’anti-psychiatre Ronald D.  Laing2 ; en anthro-
pologie, avec les réflexions de George H. Mead
ou de Ralph Linton sur la dimension identi-
taire du lien entre l’individu et le groupe3 ; et

1. Cf. E. H. Erikson, « Ego Development and Historical Change »,


in Psychoanalytical Study of the Child, II, 1946, ou encore « Identity,
psychosocial », International Encyclopedia of the Social Sciences, 1968.
Pour une analyse et une bibliographie des théories d’Erikson, cf.
David J. De Levita, The Concept of Identity, Mouton, 1965.
2. Cf. R. D. Laing, Le Moi divisé [1959], Stock, 1970 ; Soi et
les autres [1961], Gallimard, 1971. (Les dates entre crochets sont
celles de la publication originale.)
3. Cf. G. H. Mead, L’Esprit, le soi et la société [1934], PUF,
1963 ; Ralph Linton, Le Fondement culturel de la personnalité [1945],
Dunod, 1986. Sur la notion d’identité comme fruit de la « ren-
contre entre deux écoles de pensée », celle de Freud et des psycha-
nalystes viennois, et celle de l’anthropologie culturelle américaine,
cf. V. Descombes, Les Embarras de l’identité, op. cit., p. 28-29.
18 Ce que n’est pas l’identité

en sociologie, avec les apports de l’interaction-


nisme symbolique1. Dans les sciences sociales
francophones, l’anthropologie s’est emparée
de cette problématique vers la fin des années
1970, avec Claude Lévi-Strauss2, puis l’his-
toire, la psychanalyse, la psychologie sociale et
la sociologie l’ont intégrée dans les années 1980,
avec notamment la somme de Fernand Brau-
del sur « l’identité de la France3 », les travaux
coordonnés par Pierre Tap sur la personnalité
psychosociale4, ceux de Nicole Berry sur le « sen-
timent d’identité5 », ceux de Michael Pollak sur
les crises d’identité6 ou, à sa suite, ma propre

1. Cf. Anselm L.  Strauss, Miroirs et masques. Une introduction


à l’interactionnisme [1959], Métailié, 1992 ; Howard S.  Becker,
Outsiders [1963], Métailié, 1989 ; Erving Goffman, « Identity Kits »
in Mary Ellen Roach, Joanne Bubolz Eicher (eds.), Dress, Adorn-
ment, and the Social Order, John Wiley and Sons, 1965. Cf. éga-
lement le chapitre sur « rôle » et « identité » dans Peter L.  Berger
et Thomas Luckmann, La Construction sociale de la réalité [1966],
Méridiens-Klincksieck, 1986. Vincent Descombes souligne ainsi
qu’à partir des années 1960 « le mot “identity” tend à remplacer
le mot “self” », notamment dans Stigma d’Erving Goffman (Les
Embarras de l’identité, op. cit., p. 37).
2. Cf. Cl. Lévi-Strauss (éd), L’Identité [1977], PUF, 1983 ;
Guy Michaud (éd.), Identités collectives et relations inter-culturelles,
Complexe, 1978.
3. Cf. F. Braudel, L’Identité de la France, Arthaud-Flammarion,
1986.
4. Cf. P. Tap (éd), Identité individuelle et personnalisation, Pri-
vat, 1980. Cf. aussi Carmel Camilleri et alii, Stratégies identitaires,
PUF, 1990.
5. Cf. N. Berry, Le Sentiment d’identité, Éditions universitaires,
1987.
6. Cf. M. Pollak, Vienne 1900. Une identité blessée, Gallimard-
Julliard, 1984 ; L’Expérience concentrationnaire, Métailié, 1990 ;
L’identité n’est ni de droite ni de gauche 19

recherche sur l’identité féminine1. La philoso-


phie française commencera aussi à s’y intéres-
ser, avec Paul Ricœur ou, dans un tout autre
style, avec Clément Rosset2. À partir des années
2000, le mot « identité » deviendra un quasi-lieu
commun dans les sciences humaines et sociales
en France, traversant désormais la plupart des
disciplines académiques (comme l’avait souligné
Lévi-Strauss).
Il faudra attendre encore une dizaine d’an-
nées pour voir ce mot monter en puissance
dans le langage commun3 et dans le domaine
des idées politiques (avec, notamment, les
auteurs listés à la première note du présent
ouvrage) mais avec —  phénomène inédit  —
une connotation plutôt marquée à droite.
Ainsi, en 2007, Nicolas Sarkozy avait fait de
« l’identité nationale » un thème privilégié de sa
campagne électorale, puis il créera un « minis-
tère de l’identité nationale4 ». C’est au point
qu’« identitaire » est devenu depuis un substan-

Une identité blessée. Études de sociologie et d’histoire, Métailié,


1993.
1. Cf. N. Heinich, États de femme. L’identité féminine dans la
fiction occidentale, Gallimard, 1996.
2. Cf. P. Ricœur, Soi-même comme un autre, Seuil, 1990 ; Cl.
Rosset, Loin de moi. Étude sur l’identité, Minuit, 1999.
3. Cf. Jean-Claude Kaufmann, L’Invention de soi. Une théorie
de l’identité, Armand Colin, 2004, p. 9.
4. Cf. Gérard Noiriel, À quoi sert « l’identité nationale » ?, Agone,
2007.
20 Ce que n’est pas l’identité

tif utilisé à l’extrême gauche comme synonyme


d’ultraréactionnaire1.
Cet usage politique de la problématique de
l’identité était apparu dès les années 1980, mais
dans un sens nettement marqué à gauche : aux
États-Unis, il a accompagné les revendications
pour la défense des minorités, essentiellement
raciales  puis sexuelles ; en France, il fut utilisé
dès l’arrivée de la gauche au pouvoir, avec la
création en 1981 par des cinéastes et des critiques
d’un « Comité pour l’identité nationale » dénon-
çant la « colonisation culturelle de la France par
le cinéma américain comme par la chanson amé-
ricaine » — thème introduit par le parti socialiste
dès les années 19702.
Ce déplacement d’une cause de la gauche vers
la droite de l’échiquier politique est une constante
dans l’histoire des valeurs : il en est allé ainsi des
valeurs de « nation » et de « patrie », initialement
mises en avant dans la culture révolutionnaire ;
des valeurs de « mérite » et de « travail », revendi-
quées après la Révolution française par la bour-
geoisie contre les privilèges aristocratiques, et
par le prolétariat contre la rente ; de la valeur
du « droit », d’abord protectrice de l’égalité des
citoyens avant d’être perçue comme protectrice

1. Cf. L.  De Cock, R.  Meyran (éds.), Paniques identitaires,


op. cit.
2. Cf. Vincent Martigny, Dire la France. Culture(s) et identités
nationales (1981-1995), Presses de Sciences-Po, 2016.
L’identité n’est ni de droite ni de gauche 21

de l’ordre existant ; ou encore, aujourd’hui, de


la valeur de « laïcité », récemment arrachée par
une partie de la droite à sa quasi-monopolisation
par la gauche ; et, tout aussi récemment, de la
valeur d’« identité »1.
Comment celle-ci a-t-elle opéré ce glisse-
ment ? C’est, tout simplement, grâce à la modi-
fication de son collectif de référence. En effet,
tant que les revendications identitaires se sont
faites au profit de collectifs considérés comme
minoritaires, marginalisés ou infériorisés (les
Noirs, les femmes, les homosexuels…), elles ont
appartenu sans équivoque au répertoire de la
gauche, à travers la lutte pour les droits civiques
des « minorités »2 puis dans la lutte pour leur
« reconnaissance », selon une terminologie bana-
lisée dans les années 19903. Mais, dès lors que

1. Le glissement de la gauche à la droite des valeurs de patrie,


de nation et de laïcité a été mis en évidence par Patrick Cabanel
(conférence sur la laïcité à L’Arbre vagabond, Cheyne, 2016).
Inversement, il arrive qu’une valeur initialement portée par l’aris-
tocratie se retrouve investie comme une valeur de gauche : ce fut
le cas notamment avec la liberté sexuelle (cf. N. Heinich, « Cher
marquis », in Catriona Seth [éd.], Lettres à Sade, Thierry Mar-
chaisse, 2014).
2. Cf. notamment V. Descombes, Les Embarras de l’identité,
op. cit., p. 37.
3. Cf. notamment Axel Honneth, La Lutte pour la reconnaissance
[1992], Cerf, 2000 ; Jean-Michel Chaumont, La Concurrence des
victimes. Génocide, identité, reconnaissance, La Découverte, 1997 ;
Nancy Fraser, Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redis-
tribution [2003], La Découverte, 2005 ; P. Ricœur, Parcours de la
reconnaissance, Stock, 2004.
22 Ce que n’est pas l’identité

le collectif dont il s’agit de protéger « l’identité »


a été référé à une instance majoritaire ou consi-
dérée comme supérieure à toute communauté
(« la société » dans son ensemble, la République,
la nation française, la chrétienté1), alors le thème
identitaire a pu être stigmatisé, au moins par
une partie de la gauche, comme l’expression des
« dominants », et donc de droite sinon d’extrême
droite2.
La fracture entre une conception « républi-
caine » et une conception « différentialiste » de la
citoyenneté est ainsi venue doubler l’opposition
droite-gauche, et parfois s’y substituer, brouil-
lant les cartes et interdisant une interprétation
consensuelle de l’appartenance idéologique de la
préoccupation pour « l’identité ». Celle-ci en effet
peut être revendiquée aussi bien par des sensi-
bilités politiques clairement marquées à gauche,

1. Le politologue Olivier Roy interprète la montée en puis-


sance du thème identitaire comme une forme de sécularisation
des valeurs chrétiennes (cf. O. Roy, Rethinking the Place of Religion
in European Secularized Societies : The Need for more Open Societies,
in « ReligioWest », research project, Robert Schuman Centre for
Advanced Studies, European University Institute, March 2016).
2. « Depuis plusieurs années la chasse est ouverte contre le
mot identité. Quiconque se hasarde à l’utiliser s’expose à être
immédiatement accusé d’occuper une position de “repli identi-
taire”, d’être animé par la peur sinon par la haine de l’“autre” et
d’inscrire sa pensée dans le cadre d’une idéologie “rance” dans
le meilleur des cas, “nauséabonde” dans le pire, laquelle nous
ramène toujours “aux heures les plus sombres de notre histoire” »
(André Perrin, Scènes de la vie intellectuelle en France, Éditions de
l’Artilleur, 2016, p. 36).
L’identité n’est ni de droite ni de gauche 23

voire à l’extrême gauche (par exemple lorsqu’on


entend privilégier le respect de la « diversité »,
ou l’« intégration » plutôt que l’« assimilation »
des immigrés au motif qu’il faut respecter leur
« identité » ou leur « culture » d’origine), que par
des sensibilités clairement marquées à droite,
voire à l’extrême droite (lorsque le thème est
repris par le Front national, en même temps que
la défense de la laïcité)1, ou encore par des sen-
sibilités perçues comme de droite mais qui se
vivent comme de gauche (comme c’est le cas,
dans la France de ces dix dernières années, de
nombreux républicains s’affirmant comme élec-
teurs de gauche).
Il n’est donc pas possible de considérer la ques-
tion de l’identité comme étant constitutivement
« de droite » ou « de gauche »  : tout dépend du
contexte dans lequel elle est activée et, notam-
ment, du collectif de référence auquel est ados-
sée sa défense. La réduction à un camp politique
se révèle ici, une fois de plus, comme un réduc-
tionnisme qui bloque la réflexion, empêchant de
comprendre ce qui y est en jeu. Pis : la réduc-
tion, plus généralement, au domaine politique,
au détriment du domaine scientifique dans
lequel cette question a pris naissance, est elle-

1. Sur l’investissement du thème identitaire porté par la réfé-


rence au « primitivisme », sur un spectre politique passant de
l’extrême gauche à l’extrême droite, cf. Jean-Loup Amselle, Les
Nouveaux rouges-bruns. Le racisme qui vient, Lignes, 2014.
24 Ce que n’est pas l’identité

même un facteur d’aveuglement —  et ce d’au-


tant plus qu’elle est privilégiée dans les médias,
donc beaucoup plus familière, rendant la visibi-
lité du phénomène inversement proportionnelle
à son intelligibilité.
Droite-gauche, gauche-droite, gauche-droite,
droite-gauche  : cette tendance à réduire tout
énoncé à une position politique relève d’une
pensée d’essuie-glaces. On peut comprendre,
lorsqu’il s’agit d’une catégorisation de sens com-
mun, la séduction qu’elle peut exercer sur les
acteurs, parce qu’elle leur permet de se rabattre
sur des repères familiers ; mais, dès lors qu’elle
provient d’universitaires payés pour produire et
transmettre du savoir, il est difficilement conce-
vable qu’ils puissent non seulement s’en conten-
ter mais ne même pas en percevoir l’indigence :
il y a là une régression du statut de la recherche
qui nous ramène à l’époque, pas si lointaine,
où l’on jugeait normal d’évaluer une produc-
tion scientifique à l’aune de son appartenance à
la « science bourgeoise » ou à la « science prolé-
tarienne »…
Chapitre 2
L’identité n’est ni une réalité
objective ni une illusion

Les usages récents de la notion d’identité dans


le domaine politique renvoient, plus ou moins
implicitement, à cette dimension particulière
de l’identité qu’est l’identité nationale, en l’oc-
currence « l’identité de la France ». Or celle-ci
fait l’objet d’un débat théorique récurrent por-
tant sur sa nature, autrement dit son ontologie :
s’agit-il d’une réalité objective, intemporelle,
transcendante, qui existerait indépendamment
de l’idée qu’on s’en ferait ? (c’est la position tra-
ditionnelle, essentialiste et métaphysique1) ; ou
bien s’agit-il d’une construction historique sans
autre fondement que la croyance dans son exis-
tence, autrement dit une illusion ? (c’est la posi-
tion moderne, constructiviste et critique). On
voit bien comment les usages « droitiers » de la

1. Pour un rappel de la tradition substantialiste en matière


d’identité, cf. Ioana Vultur, Comprendre. L’herméneutique et les
sciences humaines, Gallimard « Folio », 2017, p. 81.
26 Ce que n’est pas l’identité

notion d’identité nationale s’appuient sur le pre-


mier sens, tandis que ses critiques « gauchistes »
s’appuient sur le second. Mais on voit moins,
probablement, que l’une et l’autre positions sont
erronées.
La première de ces deux erreurs correspond
à l’héritage de la métaphysique traditionnelle,
voire de la théologie, selon la classification par
Auguste Comte des trois étapes de la connais-
sance (théologique, métaphysique, positive) ; la
seconde correspond aux excès actuels d’un post-
modernisme exacerbé, référé par les universi-
taires anglo-américains à une « French theory » en
grande partie fantasmatique, et par les universi-
taires français aux théories à la mode sur les cam-
pus américains. Nous allons voir que le match
est nul, à tous les sens du terme : non seulement
parce que l’une et l’autre positions sont égale-
ment inexactes, mais aussi parce qu’elles sont
inintéressantes. Commençons par la première.
La critique moderne, et même post-moderne,
d’une conception substantialiste de l’identité (ou
de l’« illusion essentialiste1 ») s’appuie essentiel-
lement sur trois constats, qui ont chacun leur
part de vérité. Le premier constat est celui de la
temporalité, qui soumet toute identité au chan-

1. L’« illusion essentialiste » consiste à « figer et réifier ce qui est


intrinsèquement fluctuant, mouvant et diversifié » (P.-A. Taguieff,
« Être français », art. cit.).
L’identité n’est ni une réalité objective… 27

gement1. Cette dimension temporelle interdirait


de concevoir, par exemple, une nation comme
une « substance inaltérable » alors qu’elle est, à
l’évidence, une « entité historique »2  : « L’iden-
tité est dans le changement et plus encore dans
la capacité au changement. (…) L’identité, si le
mot a un sens, ne peut être que dynamique »,
affirme ainsi, à juste titre, le démographe Hervé
Le Bras3. Les travaux des spécialistes mettent
bien en évidence cette variabilité historique des
définitions de l’identité d’une nation, qui inva-
lide de fait la conception essentialiste4. Comme
l’explique le sociologue Norbert Elias, il faut
envisager l’identité dans sa dimension proces-
suelle, exactement comme le temps  : « L’iden-
tité n’est pas tant celle d’une substance que celle

1. C’est ainsi, note Stéphane Ferret, que « pour de nombreux


philosophes, l’identité est une illusion mentale, une pure et simple
fiction de l’esprit, comme en témoigne la célèbre maxime d’Hé-
raclite selon laquelle on ne peut pas se baigner deux fois dans
le même fleuve » (S. Ferret [éd.], L’Identité, GF-Flammarion,
1998, p.  17). Rien toutefois, souligne-t-il, « n’autorise à soutenir
que l’identité et le changement s’excluent logiquement », dès lors
que  l’on prend soin de distinguer entre changement de degré et
changement de nature (ibid., p. 22-23).
2. V. Descombes, Les Embarras de l’identité, op. cit., p. 174.
3. H. Le Bras, Malaise dans l’identité, op. cit., p. 94.
4. Cf. notamment Anne-Marie Thiesse, La Création des iden-
tités nationales : Europe XVIIIe-XXe siècle, Seuil, 2001 ; Patrick Weil,
Liberté, égalité, discriminations : l’identité nationale au regard de l’his-
toire, Grasset, 2008. Pour une critique de l’obstacle épistémolo-
gique que constitue l’essentialisme en matière d’identité, cf. aussi
Didier Demazière, Claude Dubar, Analyser les entretiens biogra-
phiques. L’exemple de récits d’insertion, Nathan, 1997, p. 302-303.
28 Ce que n’est pas l’identité

de la continuité des transformations conduisant


d’un stade au suivant1. » La dynamique chrono-
logique de la notion d’identité a d’ailleurs été
d’emblée affirmée par plusieurs de ses théori-
ciens, notamment grâce aux notions de « trajec-
toire » ou de « carrière »2.
« Il s’agit d’une continuité remémorée »,
ajoute  immédiatement Elias. Voilà qui intro-
duit au deuxième constat étayant la critique
d’une conception substantialiste selon laquelle
l’identité serait une réalité déjà là, un donné : le
constat de sa dimension narrative, qui implique
non seulement un processus plutôt qu’un état,
mais également un récit plutôt qu’un fait brut. À
la temporalité s’ajoute donc la médiation d’une
mise en forme, quelle que soit la façon dont on
désigne celle-ci — « récit », comme chez le philo-
sophe Paul Ricœur3, « réflexivité », comme chez le
sociologue Anthony Giddens4, ou encore « jeux de
langage », comme chez le philosophe Rom Harré5.
Enfin, un troisième constat achève de ruiner la

1. N. Elias, Du temps [1984], Fayard, 1996, p. 53, note 1.


2. Cf. notamment A. L. Strauss, Miroirs et masques, op. cit.; H.
S. Becker, Outsiders, op. cit.
3. Cf. P. Ricœur, Temps et récit, Seuil, 1984.
4. Cf. A. Giddens, Modernity and Self-Identity. Self and Society
in the Late Modern Age, Polity Press, 1991. Giddens distingue
la self-identity, « interprétation réflexive », de la continuité biogra-
phique, constitutive de l’identity.
5. Cf. R. Harré, « Language Games and the Texts of Identity »,
in John Shotter and Kenneth J. Gergen (eds.), Texts of Identity,
1989, Sage, 1994.
L’identité n’est ni une réalité objective… 29

croyance naïve en une réalité factuelle de l’iden-


tité : c’est le constat de sa pluralité, dès lors qu’est
mise en évidence la multiplicité des définitions de
l’identité en question1, sa labilité, sa vulnérabilité
aux différents points de vue sur, par exemple,
« l’identité nationale ». Ainsi, Le Bras décrit « une
régression à l’infini des identités, un emboîtement
de poupées gigognes ou, en termes mathéma-
tiques, un système fractal2 ». D’autres métaphores
ont été utilisées pour illustrer ce caractère mou-
vant de l’identité, telle la fameuse « barbe à papa »
d’Erving Goffman, définissant l’identité person-
nelle comme un « enregistrement unique et inin-
terrompu de faits sociaux qui vient s’attacher,
s’entortiller, comme de la “barbe à papa”, comme
une substance poisseuse à laquelle se collent sans
cesse de nouveaux détails biographiques3 ». Sou-
mise aux aléas du temps, du récit et de la pluralité
des conceptions, l’identité n’a donc rien d’un fait
brut, d’une réalité préexistant à l’idée que s’en
font les gens, et encore moins d’une évidence.
Faut-il en conclure pour autant qu’elle ne
serait qu’une « illusion », comme le fit Bourdieu
dans un article qui a fait date4 ? Ce serait là tom-

1. Sur ce constat, cf. notamment Alex Mucchielli, L’Identité,


PUF « Que Sais-je ? », 1986, p. 7.
2. H. Le Bras, Malaise dans l’identité, op. cit., p. 57.
3. E. Goffman, Stigmate [1963], Minuit, 1975, p. 74.
4. Cf. P. Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la
recherche en sciences sociales, n° 62-63, juin 1986.
30 Ce que n’est pas l’identité

ber dans le piège d’un constructivisme exacerbé


ou d’un postmodernisme naïf, qui ne connaîtrait
d’autre alternative que celle entre les faits bruts
et les illusions, qu’elles soient autoproduites ou
inculquées. En effet, que l’histoire d’une nation
ou qu’une biographie individuelle soient tribu-
taires d’un travail de narration, de réflexivité,
de reconstruction n’implique pas pour autant
que ce à quoi elles réfèrent ne soit qu’une « illu-
sion », artificielle, voire mensongère1. Le phi-
losophe Pierre-André Taguieff a parfaitement
décrit cette faute de raisonnement consistant à
conclure à l’inexistence d’une entité à partir du
constat qu’elle n’est pas un fait brut, une donnée
s’imposant telle quelle aux acteurs :

On reconnaît le geste idéologique que Mar-


cel Gauchet a baptisé naguère, ironiquement,
l’« inexistentialisme ». D’une façon générale, les
identités collectives sont dénoncées comme des
illusions « essentialistes », qu’il s’agit de dissiper. Il
n’y a donc pas à s’interroger sur les modes d’exis-
tence de telles fictions nuisibles : nations, cultures,
ethnies, civilisations,  etc. Ni sur les besoins psy-
chosociaux qu’elles satisfont. De telles fictions
seraient en réalité des constructions provisoires,
des produits instables de « métissages » permanents
ou d’« hybridations » incessantes. Les historiens les

1. Cf. N. Heinich, « Pour en finir avec “l’illusion” biogra-


phique », L’Homme, n° 195-196, juillet-décembre 2010 (repris dans
Sortir des camps, sortir du silence, Les Impressions nouvelles, 2011).
L’identité n’est ni une réalité objective… 31

étudient dans une seule perspective  : leur « créa-


tion » ou leur « invention ». Inventions ou créations
historiques, les identités nationales ne sont pas
seulement épinglées pour leur contingence. Elles
seraient avant tout des illusions dangereuses, à
dénoncer comme telles. C’est là un travers ordi-
naire des intellectuels occidentaux qui, depuis les
années 1970, s’exercent pieusement à faire dispa-
raître les objets qu’ils n’aiment pas ou qui ne font
pas partie de leur paysage mental1.

Utilisé dans une perspective critique, l’argu-


ment de la « construction » historique et sociale
glisse du statut de découverte à celui de lieu
commun, à force d’être ressassé, puis de dénon-
ciation, le « construit » devenant synonyme de
« fabriqué » au sens de factice, donc d’inauthen-
tique, relevant au mieux d’une « fable », d’un
« mythe ». Or que reste-t-il d’un mythe, une fois
repéré comme tel ? Rien, et c’est bien la conclu-
sion que tirent les adeptes de ce constructivisme
critique  : ce qui n’a ni véritable existence ni
authenticité, on peut en faire ce qu’on veut, le
modifier à loisir, s’en débarrasser ou le trans-
former à sa guise. C’est là le programme qui
sous-tend, plus ou moins explicitement, toute
réduction de la notion d’identité à un simple

1. P.-A. Taguieff, « Être français », art. cit. Le terme de « pay-


sage mental » est utilisé par Ali Benmakhlouf « pour souligner le
caractère fictif et labyrinthique de l’identité » (L’Identité. Une fable
philosophique, PUF, 2011).
32 Ce que n’est pas l’identité

« discours », soumis aux aléas de la temporalité,


du récit et de la variabilité des points de vue  :
l’élimination pour cause d’inconsistance.
Mais ce n’est pas parce que l’identité nationale
est variable et historiquement construite qu’elle
est une pure illusion sans aucune consistance  :
ni illusion ni, à l’opposé, réalité objective, elle
est une représentation mentale — une représen-
tation largement partagée, exactement comme
le sont les valeurs (et la nation est d’ailleurs
bien, elle-même, une valeur, pour peu qu’elle
fasse l’objet d’une valorisation1). Autrement dit,
l’identité nationale est une représentation que se
font les individus de ce qu’est, ou de ce que doit
être, un pays — donc une idée, au sens cognitif,
en même temps qu’un idéal, au sens normatif2.
Quoique évolutive et inégalement parta-
gée, cette idée n’en est pas moins structurée,
appuyée sur des caractéristiques objectives, qui
peuvent être décrites et analysées. Même ceux
qui ne voient dans la notion d’identité nationale
qu’« une commodité de langage qui se résume à
une liste de particularités sans véritable structu-
ration3 » sont forcés de reconnaître qu’il existe

1. Sur la dimension représentationnelle de l’identité nationale,


cf. Benedict Anderson, L’Imaginaire national. Réflexions sur l’origine
et l’essor du nationalisme [1983], La Découverte, 1996.
2. Cf. Dominique Schnapper, La Communauté des citoyens. Sur
l’idée moderne de nation, Gallimard, 1994.
3. H. Le Bras, Malaise dans l’identité, op. cit., p. 15.
L’identité n’est ni une réalité objective… 33

bien des traits récurrents permettant de don-


ner un minimum de consistance à la notion
d’identité nationale. Ces traits peuvent rele-
ver de pratiques considérées comme mineures,
telle la pétanque sur la place du village ou le
« repas gastronomique des Français », désor-
mais inscrit sur les listes du patrimoine imma-
tériel de l’UNESCO ; ils peuvent aussi renvoyer
à des pratiques fondamentales, au premier rang
desquelles la langue : ainsi, « en raison de l’ensei-
gnement du français, généralisé par les lois Jules-
Ferry, puis du brassage des populations durant
la Première Guerre mondiale, le français est
devenu la langue parlée de tous les Français1 ».
Au titre de ces composantes de l’identité natio-
nale, l’historien Pierre Nora énumère l’État, la
langue, la conscience historique, le patrimoine,
la mémoire collective, qui peuvent se succéder
mais qui, surtout, s’emboîtent en une confi-
guration complexe2. Vue sous cet angle, la
notion d’« identité nationale » (expression qui,
« pour un historien, est à éviter ou à n’employer
qu’avec des pincettes  : sacralisée ou diaboli-
sée3 ») peut devenir un objet de recherche ou
de réflexion, qui ne soit pas instrumentalisée
par la mémoire militante et, notamment, qui

1. Ibid., p. 61.
2. Cf. P. Nora, « Les avatars de l’identité française », Le Débat,
n° 159, mars-avril 2010.
3. Ibid., p. 5.
34 Ce que n’est pas l’identité

ne soit pas réductible à une prise de position


nationaliste1.
Il ne s’agit donc ni d’essentialiser ni de nier
l’identité nationale, mais de l’analyser comme
une représentation collective, qui a ce titre  n’a
pas besoin d’être référée à une nature ou à une
essence intemporelle pour être existante, et agis-
sante  : historiquement construite, contextuelle,
idéelle, elle n’en a pas moins des effets concrets
et parfois puissants, par le nombre de ses por-
teurs, par la multiplicité de ses composantes,
par les effets d’attachement qu’elle produit et,
surtout, par ses ancrages institutionnels. Portée
par des symboles et des représentants, investie
de pouvoirs, une nation est une représentation
transformée en institution, et à ce titre elle s’im-
pose et agit sur le monde, quelles que soient
les composantes, variables et inégalement valori-
sées, qui font aux yeux des individus son « iden-
tité ». Celle-ci relève donc d’une représentation
partagée, qui elle aussi oriente les discours, les
actions, les attachements, et n’a nul besoin pour
cela d’être prise pour une réalité objective.
Dans Qu’est-ce qu’une nation ?, Renan y voyait
un « plébiscite de tous les jours2 »  : autant dire
qu’en se faisant par l’affirmation de ce qu’elle

1. Ibid., p. 18-19.
2. Cité par H. Le Bras (Malaise dans l’identité, op. cit. p. 25),
pour qui également « la nation n’est pas de l’ordre factuel de la
description mais de celui volontaire de l’adhésion. La nation est le
L’identité n’est ni une réalité objective… 35

est ou devrait être, l’identité nationale est, certes,


une construction, mais elle est tout sauf une illu-
sion. Croire cela reviendrait à faire bien peu de
poids de la force des représentations mentales et
de leurs nombreux supports. L’identité nationale
est, certes, historiquement construite ; mais elle
n’en est pas moins symbolisée par un drapeau et
par un hymne, matérialisée par des actes admi-
nistratifs et par des frontières matérielles, objet
de projections affectives qui font parler les gens,
les font agir et même, parfois, se battre. Ces réa-
lités seraient-elles dont inexistantes, inauthen-
tiques, inconsistantes ? Même les plus graves
problèmes d’identité subis par un sujet n’em-
pêchent pas que son identité soit instituée par un
nom propre et par une signature, qui témoigne
d’un « régime identitaire fondé sur la perma-
nence du soi, la répétition du même, par le tru-
chement d’une maîtrise du corps et de la main »,
comme l’explique la linguiste Béatrice Fraenkel1.
De même, l’assignation à un sexe, aussi chargée
soit-elle de variations socio-historiques2, ne peut
se modifier d’un mot ou d’un trait de plume,
quel que soit le désir de l’individu concerné  :

sentiment par lequel le citoyen exprime sa confiance et sa fidélité


à l’État » (ibid. p. 15).
1. B. Fraenkel, La Signature. Genèse d’un signe, Gallimard,
2012.
2. Cf. notamment Élisabeth Badinter, XY. De l’identité mascu-
line [1992], Livre de poche, 1994.
36 Ce que n’est pas l’identité

elle relève non seulement de réalités psychiques


mais aussi de lourdes procédures administratives
et de manipulations cosmétiques voire, parfois,
physiologiques, qui entrent en résonance avec
un système symbolique et juridique profondé-
ment ancré1.
On voit ici les ravages intellectuels produits
par le déni des représentations, appuyé sur une
conception binaire du monde où n’existeraient
que des faits bruts ou des illusions, du donné
ou du fabriqué, du naturel ou de l’artificiel, du
nécessaire ou du contingent  : une conception
qui ignore, tout simplement, le poids des réalités
sociales et des institutions, des processus et des
traces mémorielles, des aspirations et des images
mentales, des mots et des catégories — bref, qui
ignore la spécificité de l’existence humaine dans
un monde partagé.
Contrairement à ce que voudrait une concep-
tion étroitement positiviste des sciences de
l’homme, celles-ci n’ont pas seulement pour
objet le monde réel, mais  doivent aussi s’in-
téresser à deux autres dimensions, tout aussi
importantes : la dimension imaginaire, qui régit
les représentations et les fictions ; et la dimen-
sion symbolique, qui régit les significations et les

1. Cf. notamment Pierre Legendre, Sur la question dogmatique


en Occident, Fayard, 1999 ; Jean-Pierre Lebrun, Un monde sans
limites. Essai pour une psychanalyse du social, Érès, 1997.
L’identité n’est ni une réalité objective… 37

interprétations, plus ou moins conscientes. Ces


trois dimensions de la réalité — le réel des situa-
tions vécues, l’imaginaire tel que le véhiculent les
mises en forme discursives ou iconiques, le sym-
bolique des productions de sens — ne peuvent
se réduire les unes aux autres, car elles possèdent
leur nécessité et leur cohérence propres.
Il existe cependant, parallèlement à cette
réduction du monde à l’alternative entre réalité
et illusion, une autre réduction préjudiciable à la
compréhension de la question de l’identité : c’est
sa réduction à la seule identité nationale — cor-
rélative d’ailleurs de la réduction au politique et,
à l’intérieur de celui-ci, à la droite. Car pas plus
que l’identité n’est réductible à une position de
droite ou de gauche, ni à une réalité ou à une
illusion, pas davantage n’est-elle réductible à la
question de la nation, comme nous allons le voir
à présent.
Chapitre 3
L’identité ne se réduit pas
à l’identité nationale

Dans les débats politiques qui ont été évoqués,


il va sans dire que le mot « identité » renvoie à
l’identité nationale : c’est l’« esprit » d’une nation,
sa « culture », voire son « ADN » qui sont visés.
Or l’identité nationale n’est qu’une parmi bien
d’autres façons de concevoir l’identité (de même
que, dans un autre domaine, le mot « valeur »
est spontanément associé à la morale alors que
celle-ci n’en est qu’une des nombreuses facettes).
En effet, l’« identité nationale » peut s’entendre
en deux sens, bien différents  : premièrement,
il peut s’agir de la nature ou de la caractéri-
sation du collectif « nation » (l’« identité de la
France ») — et c’est ce sens-là que nous venons
de voir à l’œuvre. Mais il peut s’agir aussi, en un
second sens, de la façon dont des individus se
définissent en référence à la nation à laquelle ils
appartiennent (« mon identité française »). Dans
un cas donc, il s’agit d’une identité collective ;
dans l’autre, d’une identité individuelle.
L’identité ne se réduit pas à l’identité nationale 39

Concernant cette dernière, Norbert Elias


a montré que dans les sociétés européennes,
l’émergence d’un sentiment national — la défini-
tion de soi en tant que membre d’une nation —
est un phénomène assez tardif, car étranger à la
noblesse, qui privilégie le sentiment d’apparte-
nance à la communauté aristocratique  : il faut
une société de classes, et non plus une société
d’« états », pour que se développe une forme ou
une autre de nationalisme — d’où, paradoxale-
ment, son lien avec un certain degré de démo-
cratisation1. Il s’accompagne d’un attachement
émotionnel non plus à la personne du prince
mais à cette entité abstraite qu’est un État : on
passe du « prince souverain » au « peuple souve-
rain ». Celui-ci se trouve doté dès lors, dans la
conscience collective, d’une dimension « trans-
cendantale », une « sorte de sainteté auparavant
associée surtout à des êtres surnaturels2 » : d’où
son statut de « grande croyance séculière3 ». Le
propre, ajoute Elias, de « l’amour de la nation »,
c’est qu’il n’est pas réductible à un « vous », mais
se conjugue toujours comme un « nous » : « Il a
toujours le caractère de l’amour pour une col-
lectivité à laquelle on peut se référer en disant
“nous”. Quoi qu’il puisse être, il a également

1. Cf. N. Elias, Les Allemands, Seuil, 2017, p. 190-191.


2. Ibid., p. 194.
3. Ibid., p. 204.
40 Ce que n’est pas l’identité

quelque chose de l’amour de soi1. » Il est, en


outre, fortement lié à des valeurs : « Dire “Je suis
français”, ou quoi que ce soit d’autre, signifie
habituellement : “Je crois et nous croyons dans
des valeurs et idéaux spécifiques”2. » Vu sous cet
angle, le nationalisme n’est pas réductible à la
connotation péjorative qu’il revêt aujourd’hui,
comme la face négative d’un patriotisme qui
serait positif  : « Dans de nombreux cas, ce
qu’on appelle “nationalisme” est simplement le
“patriotisme” des autres ; et ce qu’on appelle
“patriotisme”, sa propre version du “nationa-
lisme”3. » On a donc besoin du terme « natio-
nalisme », entendu dans son sens descriptif
comme « l’échelle spécifique de valeurs ainsi que
le type spécifique de sentiments, de croyances
et d’idéaux au moyen desquels les individus
se relient à la collectivité souveraine qu’ils for-
ment à l’unisson dans les sociétés étatiques les
plus industrialisées des xixe et xxe siècles4 ». À la
lumière de cette analyse, on comprend que le
sentiment d’identité nationale puisse être par-
ticulièrement investi, comme une dimension
fondamentale de la personnalité individuelle
— d’où le fait qu’il est si difficile de changer de
nationalité  : « Un changement d’identité natio-

1. Ibid., p. 201.
2. Ibid., p. 202.
3. Ibid., p. 203.
4. Ibid.
L’identité ne se réduit pas à l’identité nationale 41

nale n’est pas vraiment plus facile qu’un chan-


gement de personnalité ; rien ne garantit qu’il
réussisse davantage. Il y va de bien plus que d’un
simple changement de passeport1. »
Toutefois, même si cette question de la natio-
nalité  constitue un repère fondamental, l’iden-
tité individuelle est loin de s’y réduire  : elle
entre en compétition avec une pluralité d’autres
repères, qui relèvent également de la définition
individuelle par l’appartenance à un collectif. Ce
peut être un collectif d’âge, concernant l’iden-
tité générationnelle  (« jeune », « vieux », « ado-
lescent », « quinquagénaire »…) ; un collectif de
sexe, concernant l’identité sexuée (« homme »
ou « femme » —  à quoi certains réclament
aujourd’hui d’ajouter « transgenre ») ; un collectif
de religion, concernant l’identité confessionnelle
(« catholique », « protestant », « juif », « musul-
man »…) ; un collectif de statut matrimonial,
concernant l’identité civile (« marié », « céliba-
taire », « divorcé »…) ; un collectif de statut occu-
pationnel, concernant l’identité professionnelle
(« ouvrier », « cadre », « femme au foyer »…)2. Ce
sont là les repères de base définissant, pour les
sociologues et les statisticiens, les « paramètres
sociodémographiques » en fonction desquels sont

1. Ibid., p. 469.
2. Cf. notamment C. Dubar, La Socialisation. Construction des
identités sociales et professionnelles, Armand Colin, 1991.
42 Ce que n’est pas l’identité

construits les échantillons représentatifs permet-


tant les enquêtes par sondages.
Peuvent s’y ajouter des collectifs plus
flous, plus instables ou plus informels, tels
que le partage d’un même niveau de richesse
(« riche », « pauvre »…), d’une position poli-
tique (« socialiste », « libéral »…), d’un niveau
d’études (« bachelier », « diplômé du supé-
rieur », « agrégé »…), d’une activité de loisir
(« randonneur », « guitariste »…), d’une qualité
(« honnête », « intelligent »…) ou encore d’une
préférence sexuelle (« hétérosexuel », « homo-
sexuel »)1. Le passage de ces marqueurs iden-
titaires plus officieux aux paramètres quasi
officiels de l’âge, du sexe, etc. se manifeste sou-
vent par le glissement de l’adjectif au substantif,
indiquant qu’une situation, une pratique ou une
préférence en vient à former un collectif quasi
institué : on n’est plus seulement « jeune » mais
« un jeune », appartenant donc à la catégorie des
jeunes, laquelle devient un instrument de défi-
nition identitaire et non plus seulement de des-
cription de la personnalité.
Enfin, la pertinence de ces différents para-
mètres identitaires dépend du contexte dans
lequel un individu est amené à se définir  : un

1. Le sociologue Erving Goffman distinguait ainsi les « attributs


personnels », tels que l’honnêteté, des « attributs structuraux », tels
que la profession (E. Goffman, Stigmate, op. cit., p. 12).
L’identité ne se réduit pas à l’identité nationale 43

formulaire d’état civil mettra sur le même plan


le sexe, l’âge, le statut matrimonial, la nationa-
lité ; dans le cadre d’un sondage d’opinion, la
profession et, souvent, le niveau d’études seront
des informations obligatoires ; et l’on aura plus
de chances de (se) dire « Je suis français » lors-
qu’on fait du tourisme à l’étranger que lorsqu’on
dîne le soir en famille. L’importance de ces dif-
férentes façons de se définir est donc relative à
la situation dans laquelle se pose la question de
l’identité individuelle — question qui ne se pose
elle-même que dans des cas bien particuliers.
Pour le dire autrement, certains éléments du sta-
tut peuvent être actualisés dans une situation ou
bien demeurer à l’état latent, à l’arrière-plan1.
Bref : qu’il s’agisse d’un collectif (une nation,
mais aussi une région, une ville, un quartier2…)

1. Cf. notamment Isabelle Taboada-Leonetti, « Stratégies


identitaires et minorités  : le point de vue du sociologue », in C.
Camilleri et alii, Stratégies identitaires, op. cit. Sur la démultiplication
des facettes identitaires selon les réseaux sociaux, cf. Harrison C.
White, Identité et contrôle. Une théorie de l’émergence des formations
sociales [1992], Éditions de l’EHESS, 2011. Sur la distinction entre
« statut actif » et « statut latent », cf. R. Linton, Le Fondement culturel
de la personnalité, op. cit. Sur la découverte de la pluralité identi-
taire, cf. Bernard Lahire, L’Homme pluriel. Les ressorts de l’action,
Nathan, 1998.
2. Vincent Descombes note ainsi que lorsqu’il est question,
dans un guide touristique, de « l’identité » d’un quartier de Rome,
le terme équivaut à ce qu’on aurait appelé en d’autres temps son
« caractère », sa « personnalité », son « âme » (cf. V. Descombes,
Les Embarras de l’identité, op. cit., p. 13). Le « caractère » est, selon
Ricœur, l’« ensemble des marques distinctives qui permettent de
44 Ce que n’est pas l’identité

ou d’un individu, l’identité n’est pas unifacto-


rielle mais multifactorielle, dans une configura-
tion complexe, à dimensions multiples. Pour la
décrire complètement, il faut faire intervenir non
seulement la nature des différents paramètres
(âge, sexe, profession…), mais aussi leur taille,
c’est-à-dire la taille du collectif de référence
(l’âge ou le sexe sont référés à de très vastes col-
lectifs, tandis que, par exemple, la pratique de la
course à la voile en solitaire renvoie à un collec-
tif assez restreint) ; leur force, selon qu’ils sont
plus ou moins investis ou remarqués (on peut se
sentir ou être perçu comme très religieux à un
certain moment de sa vie, et très peu ou plus
du tout à un autre) ; et, enfin, leur forme, selon
qu’ils sont incorporés (la scarification comme
marqueur d’appartenance à une ethnie, l’habi-
tus comme façons d’être), objectivés (le blason
pour l’appartenance à une lignée, l’insigne pour
l’appartenance à un club, la croix huguenote
pour l’appartenance à la religion protestante…),
ou institutionnalisés (la carte d’identité pour la
citoyenneté, la fiche d’état civil pour l’apparte-
nance à une famille…)1.
Ainsi replacée dans l’ensemble de la configu-

réidentifier un individu humain comme étant le même » (Soi-même


comme un autre, op. cit., p. 144).
1. Ces trois formes reprennent les trois « états du capital cultu-
rel » — incorporé, objectivé, institutionnalisé — selon Pierre Bour-
dieu (cf. La Distinction. Critique sociale du jugement, Minuit, 1979).
L’identité ne se réduit pas à l’identité nationale 45

ration identitaire, la préoccupation pour l’iden-


tité nationale (au sens de l’identité d’une nation)
apparaît comme le prolongement de ce para-
mètre identitaire parmi d’autres qu’est l’iden-
tité nationale (au sens de l’identité d’un individu
en tant qu’il se définit par l’appartenance à une
communauté nationale). Identité d’une nation,
identité par une nation : l’une et l’autre notions
ne sont pas superposables mais sont, bien sûr,
étroitement liées.
Cette complexification de la notion d’identité,
ainsi replacée dans la multiplicité de ses accep-
tions et de ses composantes, permet d’entre-
voir tout ce que ferait perdre sa réduction à la
seule identité des entités abstraites, telle qu’une
nation, au détriment de l’identité des êtres indi-
viduels — réduction elle-même corrélative d’une
réduction à une dimension exclusivement poli-
tique de la question et, à l’intérieur du spectre
politique, à une position « de droite », qui inci-
terait certains à vouloir s’en débarrasser. À jeter
ainsi le bébé avec l’eau du bain —  celle-ci fût-
elle jugée impure — on perdrait, nous allons le
voir, un outil précieux d’analyse de l’expérience
humaine.
Chapitre 4
L’identité n’est réductible
ni à l’assimilation
ni à la différenciation

Comment définir, se demande Hervé Le Bras,


l’identité française ? « Elle ne s’imposait pas direc-
tement, mais à la suite du constat d’une diffé-
rence. Une différence suppose que deux termes
ont été comparés et prouve, par sa présence,
qu’ils ne sont pas identiques, donc implicitement
que ces deux termes existent séparément. L’iden-
tité française, d’une part, l’identité américaine,
d’autre part1. » Certes, mais n’y a-t-il pas un
paradoxe à considérer que l’identité équivaut à
« pas identique » ? C’est le sens, en effet, du mot
« identifier », s’agissant de constater qu’un être est
bien lui-même — en latin, « ipse » — et non pas
un autre. Or, dans « identité » il y a aussi le sens
opposé, celui de « similitude », comme lorsqu’on
dit qu’il y a identité entre deux termes — c’est le
latin idem. La même ambiguïté vaut pour le mot
« identification » : soit reconnaissance de la spé-

1. H. Le Bras, Malaise dans l’identité, op. cit., p. 14.


L’identité n’est ni assimilation ni différenciation 47

cificité, comme dans une procédure d’état civil ;


soit assimilation à autrui, comme l’entend la psy-
chologie ou la psychanalyse.
Deux sens, donc, diamétralement opposés
— différenciation, assimilation — pour un même
terme : voilà une considérable difficulté, à la fois
sémantique et ontologique. Le linguiste Émile
Benveniste l’avait remarquée dans son enquête
étymologique sur le mot « identité »1, que résume
Béatrice Fraenkel :

L’identité servirait donc à établir la singula-


rité d’un sujet et à le rendre discernable d’avec
d’autres. Elle permettrait d’identifier quelqu’un
au sens de le « reconnaître ». Pourtant le verbe
« identifier » a pour sens premier, et toujours en
suivant les dictionnaires  : « Considérer comme
identique, comme assimilable à autre chose, ou
comme ne faisant qu’un (avec quelque chose) ».
L’identité serait alors ce qui permet à deux choses
d’être indiscernables entre elles. Un risque d’aporie
sémantique se profile immédiatement puisque, à
suivre la nébuleuse gravitant autour de l’étymon
idem, on finit par poser que l’identité est tout à la
fois ce qui distingue un individu des autres et ce
qui l’assimile à d’autres2.

On trouvait déjà dans la tradition scolastique


cette distinction entre identité « numérique »

1. Cf. É. Benveniste, « L’homme libre » in Vocabulaire des ins-


titutions européennes, Minuit, 1969.
2. B. Fraenkel, La Signature, op. cit., p. 197.
48 Ce que n’est pas l’identité

(être soi-même et pas un autre) et identité « qua-


litative » (avoir la même qualité que d’autres)1.
Paul Ricœur y insistera lui aussi à travers l’op-
position entre « identité ipse » et « identité idem »,
la première répondant à la question « qui ? », la
seconde à la question « quoi ? »2. Hannah Arendt
les distingue également, en affirmant l’existence
d’une hiérarchie entre l’une et l’autre  : il fau-
drait privilégier « qui  est » l’homme plutôt que
« ce qu’il est », le glissement de la première à la
seconde constituant à ses yeux une « défaite » de
la pensée3. Cette hiérarchisation normative est
partagée par certains psychosociologues, dans la
mesure où l’identité idem (assimilation) implique
la référence à un groupe de référence, tandis que
l’identité ipse (différenciation) implique l’affirma-
tion d’une irréductibilité ; dès lors tout privilège

1. Cf. V. Descombes, Les Embarras de l’identité, op. cit., p. 90.


Aristote distinguait déjà entre l’identité en tant qu’unité et l’iden-
tité en tant que pluralité (cf. S. Ferret, L’Identité, op. cit., p. 45).
2. Cf. P. Ricœur, Soi-même comme un autre, op. cit.
3. « Dès que nous voulons dire qui est quelqu’un, notre vocabu-
laire même nous entraîne à dire ce qu’il est ; nous nous embrouil-
lons dans une description de qualités qu’il partage forcément avec
d’autres qui lui ressemblent ; nous nous mettons à décrire un type,
un “caractère” au vieux sens du mot, et le résultat est que son
unicité nous échappe. Cette défaite est étroitement apparentée à
l’impossibilité philosophique bien connue d’arriver à une définition
de l’homme, toutes ces définitions étant des déterminations ou
interprétations de ce qu’est l’homme, de qualités par conséquent
qu’il pourrait partager avec d’autres êtres vivants, alors que sa
différence spécifique se découvrirait en déterminant quelle sorte
de “qui” il est » (H. Arendt, Condition de l’homme moderne [1958],
Calmann-Lévy, 1983, p. 238).
L’identité n’est ni assimilation ni différenciation 49

accordé à la notion de personne, à nulle autre


pareille, au détriment de la notion d’individu,
membre parmi d’autres d’un collectif, aboutit à
une supériorité de principe accordée à l’identité
qui distingue, contre l’identité qui associe1. Or
nous allons voir qu’il serait dommage d’adop-
ter cette position normative, car l’une et l’autre
définitions ont leur pertinence : l’identité n’est ni
le bon « soi-même » ni le mauvais « même que »,
pas plus que le contraire —  elle est les deux,
aussi nécessaires l’un que l’autre à la définition
d’un être.
Commençons par l’identité ipse — la différen-
ciation —, autrement dit « comment ne pas être
quelqu’un d’autre ». S’agissant de l’identité d’un
individu concret et non pas d’un être collectif,
l’opération par excellence permettant de recon-
naître un être dans sa spécificité ou, comme disait
Emmanuel Levinas, « dans mon identité inalié-
nable de sujet2 », c’est celle consistant à mettre un
nom sur un visage : le visage, avec ses traits qui
non seulement particularisent un être mais aussi
donnent accès à son intériorité ou, comme disent

1. Cf. Fabio Lorenzi-Cioldi, Individus dominants et groupes


dominés. Images masculines et féminines, Presses universitaires de
Grenoble, 1988.
2. « Moi non interchangeable, je suis moi dans la seule mesure
où je suis responsable. Je puis me substituer à tous, mais nul ne
peut se substituer à moi. Telle est mon identité inaliénable de
sujet » (E. Levinas, Éthique et infini [1982], Livre de poche, 1992,
p. 97-98).
50 Ce que n’est pas l’identité

les poètes, à son « âme », en tant que « lieu géo-


métrique de la personnalité intime1 » ; et le nom
propre qui, selon Ricœur, « se borne à singulari-
ser une entité non répétable et non divisible sans
la caractériser, sans la signifier au plan prédicatif,
donc sans donner sur elle aucune information2 ».
Encore faut-il distinguer, à l’intérieur du nom
propre, entre le prénom, qui porte l’unicité de la
personne dans la famille nucléaire (« Oriane »), et
le nom de famille (« Guermantes ») qui, commun
à toute une lignée, tire l’identité vers l’assimila-
tion en associant à un être tout un ensemble de
propriétés qu’il partage avec d’autres. Enfin, au
visage et au nom propre s’ajoutent ces deux dis-
positifs à forte portée juridique que sont l’em-
preinte  et, surtout, la signature, trait d’union
entre le nom propre et le corps, faisant d’elle le
« signe de l’identité » par excellence3. C’est ainsi
que tout sujet humain se différencie d’un autre
par son « identité numérique » ou « identité ipse »,
quelles que soient par ailleurs les caractéristiques
qu’il peut partager avec d’autres4.

1. Cf. Georg Simmel, Philosophie de l’amour, Rivages, 1988,


p. 141.
2. P. Ricœur, Soi-même comme un autre, op. cit., p.  41. La
philosophie analytique a développé par ailleurs d’autres théories
du nom propre : cf. Pascal Engel, Identité et référence. La théorie des
noms propres de Frege et Kripke, Presses de l’ENS, 1985.
3. Cf. B. Fraenkel, La Signature, op. cit., p. 8.
4. Pour une analyse des marqueurs proprement linguistiques
de l’identité individuelle, cf. Jean-Claude Pariente, Le Langage et
l’individuel, Armand Colin, 1973.
L’identité n’est ni assimilation ni différenciation 51

Celles-ci définissent non plus le « qui » mais


le « quoi », autrement dit  de quoi, de quelles
qualités est constitué un être  : quelle est son
« identité », au sens cette fois de l’assimilation
à d’autres êtres possédant les mêmes proprié-
tés (par exemple, l’identité française) ? Par quoi
est-il connecté à d’autres à l’intérieur de collec-
tifs constitués d’êtres identiques, en quoi est-il
« le même » —  idem  — que d’autres ? Contrai-
rement à la précédente, cette identité-là passe
par de multiples marqueurs, qui peuvent être
aussi bien des noms communs (et non plus le
nom propre) que des verbes ou des adjectifs.
Les noms communs susceptibles de qualifier
une identité sont nombreux  : un  Français, un
homme, un célibataire, un ingénieur, un diplômé
du supérieur,  etc. —  un parmi d’autres, donc,
dans la même catégorie, considéré dès lors non
plus comme une personne, irréductible à aucune
autre, mais comme un individu, élément d’un
tout. Outre les noms, les verbes permettent d’as-
socier à cet individu une activité, susceptible de
lui conférer une identité  : travailler, enseigner,
jouer, diriger, écrire1… Enfin, les adjectifs lestent
les individus de qualités qu’ils partagent plus ou
moins avec d’autres, et qui s’apparentent sou-
vent à des jugements de valeur : « Il est très fran-

1. Cf. N. Heinich, Être écrivain. Création et identité, La Décou-


verte, 2000.
52 Ce que n’est pas l’identité

çais », « Elle est intelligente », « Il est beau », « Elle


est très pratiquante », etc.
C’est l’ensemble de ces propriétés qui forme
cette partie de l’identité qu’est l’habitus tel que
théorisé par Pierre Bourdieu, autrement dit les
dispositions corporelles et comportementales
transmises par le milieu social1. Et ces « affilia-
tions », qui composent selon Goffman la « nature
d’un individu »2, impliquent que soit établi et
accepté le lien avec le « groupe de référence3 »,
en dépit de l’inévitable ambivalence contenue
dans tout attachement à un collectif, facteur à
la fois de contrainte et d’insertion4 : ambivalence
que suspend le comportement « identitaire » en
tant qu’il permet, explique Vincent Descombes,
de tirer un sentiment de sa propre dignité ou de
sa propre place dans le monde par la revendi-
cation d’une appartenance communautaire ou
d’un lien social5.

1. Cf. notamment P. Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pra-


tique, Droz, 1972.
2. « La nature d’un individu, que nous lui imputons et qu’il
s’attribue, est engendrée par la nature de ses affiliations » (E. Gof-
fman, Stigmate, op. cit., p. 135).
3. La notion de « groupe de référence » a été théorisée par le
psychologue américain Herbert H. Hyman (« The Psychology of
Status », Archives of Psychology, 1942, n°  269), et reprise par le
sociologue Robert K.  Merton qui a mis en évidence la multipli-
cité de ces groupes au cours de la vie (cf. Social Theory and Social
Structure [1949], Macmillan, 1968).
4. Cf. Vincent de Gaulejac, La Névrose de classe, Hommes et
groupes éditeur, 1987, p. 26.
5. Cf. V. Descombes, Les Embarras de l’identité, op. cit., p. 14.
L’identité n’est ni assimilation ni différenciation 53

Ces deux définitions de l’identité —  par la


différenciation d’avec autrui, par l’assimilation
à des groupes de référence  — sont donc logi-
quement contradictoires, tout en étant l’une et
l’autre constitutives de ce qui permet de définir
un être, qu’il soit collectif (« la France ») ou indi-
viduel (« ce Français-là »). On retrouve là d’ail-
leurs la double et contradictoire définition de la
mode comme désir de se distinguer et désir de
s’associer, logique de distinction (chère à Bour-
dieu) et logique d’imitation (chère à Tarde),
qu’analysait le philosophe allemand Georg Sim-
mel dans l’essai qu’il lui consacra1.
Comment résoudre cette contradiction
logique ? Tout simplement en ne cherchant pas
à la résoudre, puisqu’elle n’est une contradiction
que, justement, sur le plan logique, alors qu’en
pratique ces deux opérations — se différencier,
s’assimiler  — peuvent parfaitement se combi-
ner ou se compléter selon les contextes dans les-
quels elles s’inscrivent. Mais pour accepter cette
approche antilogiciste, il faut avoir renoncé à une
conception métaphysique de l’identité, qui en
postulerait l’existence antérieurement à l’expé-
rience, en tant que substance unique, unidimen-
sionnelle —  le monisme étant le complément
obligé de l’essentialisme. Tout au contraire, la

1. Cf. G. Simmel, « La mode » [1895], in La Tragédie de la


culture et autres essais, Rivages, 1988.
54 Ce que n’est pas l’identité

notion d’identité n’est susceptible d’éclairer les


usages effectifs qu’à condition d’être plurielle,
contextuelle, variable selon les situations, donc
appelée à s’inverser de l’identité ipse à l’identité
idem, ou de l’insubstituabilité de la personne à
la mise en équivalences de l’individu. Ces deux
définitions de l’identité doivent donc s’analyser
symétriquement, en évitant toute réduction de
l’une à l’autre  : qu’il s’agisse de la réduction
à l’identité personnelle, prônée par les diverses
formes de personnalisme, ou de la réduction à
l’identité sociale, que pratique le sociologisme.
Sur le plan non plus de son ontologie mais
de ses usages psychologiques, on peut en outre
identifier des logiques individuelles de choix en
faveur de l’une ou l’autre définition de l’iden-
tité.  La psychosociologie a pu ainsi mettre en
évidence le lien entre recherche d’assimilation
et défense contre l’anxiété, d’une part, et entre
recherche de singularisation et quête narcissique
d’auto-affirmation, d’autre part1. Et la psychana-
lyse, de même, a montré qu’on peut « rechercher
dans ses origines le fondement de son identité,
origine de terroir, de langue, de culture ou de
nom, ou, au contraire, vouloir se forger une
identité personnelle originale en masquant ou
même en rejetant son origine familiale », sans

1. Cf. Edmond-Marc Lipiansky, « Identité subjective et interac-


tion », in C. Camilleri et alii, Stratégies identitaires, op. cit.
L’identité n’est ni assimilation ni différenciation 55

qu’il y ait cumul des profits entre l’une et l’autre


démarche puisque, au final, « ni la famille, ni la
nation, ni la religion, ni la langue n’assure au
sujet le sentiment intérieur de son identité1 ».
Enfin, on peut observer le passage de l’une à
l’autre conception de l’identité non plus sur le
plan synchronique des « stratégies identitaires »
individuelles mises en évidence par la psychologie
sociale, mais sur le plan diachronique des repré-
sentations collectives et de l’histoire des  idées.
Ici, ce sont plutôt la sociologie, l’histoire sociale
et la philosophie qui sont mises à contribution.
Ainsi le sociologue Alain Ehrenberg a produit
une remarquable analyse du « culte de la per-
formance » au xxe siècle, en tant qu’il révèle un
changement de rapport à l’identité :

La vogue des gagneurs signale combien l’identité


sociale a tendance à se construire hors des appar-
tenances collectives traditionnelles qui enfermaient
chacun dans une prédestination laïcisée tout en
jouant le rôle d’ancrage identitaire. L’identité n’est
plus seulement ce qui se transmet et vous enferme
à travers la filiation collective. Elle est aussi (sur-
tout ?) ce qui se construit dans un projet entiè-
rement tourné vers l’avenir par une performance
individuelle. (…) L’héroïsation de l’entrepreneur
accompagne le recul des valeurs de la filiation
collective. L’origine sociale est devenue parfaite-
ment insuffisante pour donner une identité sociale

1. N. Berry, Le Sentiment d’identité, op. cit., p. 11.


56 Ce que n’est pas l’identité

— l’héritage fournit une rente et constitue sans nul


doute un formidable tremplin dans la reproduction
sociale, mais non un statut ou une visibilité. Pour
devenir quelqu’un, il est nécessaire d’échapper à sa
condition sociale quelle qu’elle soit en se fabriquant
son identité par son action personnelle1.

De son côté, le philosophe canadien Charles


Taylor assimile le basculement dans la moder-
nité à une forme de désocialisation qui pousse
à concevoir la société comme étant composée
essentiellement d’individus, et l’individu idéal
comme animé d’un « idéal d’authenticité » visant
une « identité individualisée, particulière à ma per-
sonne et que je découvre en moi-même », inci-
tant à « être fidèle à moi-même et à ma propre
manière d’être »2. À l’opposé, le philosophe Mar-
cel Gauchet voit dans l’insistance contempo-
raine sur les affiliations collectives, propre au
communautarisme, une régression par rapport
à l’idéal républicain consistant « à se dégager
de ses particularités, à rejoindre l’universel en
soi », tâche « dont l’exercice de la citoyenneté,
conçu comme participation à l’universalité de la
chose publique, fournissait le parfait modèle » ;

1. A. Ehrenberg, Le Culte de la performance, Calmann-Lévy,


1991, p. 212.
2. Ch. Taylor, Multiculturalisme. Différence et démocratie [1992],
Aubier, 1994, p.  44. Sur l’individualisation des ancrages identi-
taires dans la modernité, cf. aussi Danilo Martuccelli, Sociologies
de la modernité, Gallimard « Folio-Essais », 1999.
L’identité n’est ni assimilation ni différenciation 57

tandis que, à ses yeux, « le vrai moi est celui


que l’on conquiert en soi contre les apparte-
nances qui vous particularisent, contre les don-
nées contingentes qui vous assignent à un lieu
et à un milieu », les identités « nouvelle manière »
affirment un « nouveau rapport des individus à
ce qui relève du donné dans leur condition, à ce
qu’ils ont reçu en partage avec l’existence, qu’il
s’agisse de la communauté dont ils font partie,
de la tradition où ils s’insèrent ou de l’orienta-
tion sexuelle qui les singularise »1 ; dès lors, « au
rebours de l’ancienne règle qui voulait qu’on se
dépouille de ses particularités privées pour entrer
dans l’espace public, c’est au titre de son iden-
tité privée qu’on entend compter dans l’espace
public2 ».
On voit ici se dessiner la relation étroite entre
la dimension psychosociale de l’identité indi-
viduelle et la dimension politique de l’iden-
tité assignée aux êtres abstraits, telle la nation.
C’est que celle-ci, en tant que groupe de réfé-
rence —  parmi d’autres  — d’une construction
identitaire fondée sur l’assimilation à un collec-
tif, n’échappe pas pour autant à une percep-
tion différenciée, visant à définir ce qu’elle est,
en tant que telle, et qu’une autre nation n’est

1. M. Gauchet, La Religion dans la démocratie. Parcours de la


laïcité [1998], Gallimard « Folio », 2001, p. 123.
2. Ibid., p. 134.
58 Ce que n’est pas l’identité

pas : l’« identité française » en tant que, à la fois,


spécifique et composée de multiples proprié-
tés pouvant appartenir aussi à d’autres identi-
tés nationales. C’est ainsi que, du pôle le plus
« micro » —  la personne humaine  — au pôle le
plus « macro » — la nation, voire l’humanité tout
entière —, la double nature de l’identité autorise
toutes sortes de définitions et de redéfinitions,
parfois contradictoires, sans toutefois que ces
variations entament la cohérence des schèmes
structurels qui organisent effectivement le rap-
port à l’identité.
Chapitre 5
L’identité n’est pas
unidimensionnelle
(ni même bidimensionnelle)

Nous avons vu qu’une méprise récurrente


concernant l’identité consiste à y voir une entité
univoque, stable, dotée une fois pour toutes de
contours bien déterminés, invulnérables tant aux
variations contextuelles qu’aux représentations
que s’en font les sujets  : « l’identité française »,
par exemple, relèverait d’une substance unique,
objective et réductible à quelques paramètres
clairement définissables. D’où d’ailleurs l’abon-
dance des débats en termes de « croyance »,
signalant le caractère métaphysique, voire théo-
logique de cette conception  : « Vous y croyez,
vous, à l’identité ? » ; « Moi je n’y crois pas, à
votre histoire d’identité : ça n’existe pas ! ».
Il faut sortir de l’état « théologique » et de
l’état « métaphysique » pour entrer, comme y
invitait Auguste Comte, dans l’état « positif » ou
scientifique, si l’on veut extraire la question de
l’identité de ses utilisations idéologiques et se
donner les moyens d’analyser ses usages effectifs.
60 Ce que n’est pas l’identité

Mais il faut pour cela accepter de renoncer à une


définition unilatérale, au profit d’une pluralité
d’approches, dont la combinaison compose le
sentiment de ce qu’on peut appeler « identité ».
Bref, il faut accepter de prendre au sérieux la
complexité du monde vécu, pour en faire non
seulement la clé théorique de son déchiffrement
mais aussi, concrètement, le cadre d’analyse des
données observées.
La multiplicité des dimensions de « l’être »
se déploie dans deux dimensions, temporelle
et spatiale, comme l’a souligné notamment
Tzvetan Todorov en distinguant l’inconstance
(variations dans le temps) de la stratification
(variations dans l’espace)1  : non seulement les
êtres changent, mais ils ont plusieurs façons de
se définir selon les contextes où peut se poser
la question de leur identité2. Les acteurs eux-
mêmes le savent bien, et peuvent d’ailleurs, à
l’occasion, tourner cette pluralité des dimensions
de soi à leur profit  : tel cet évêque français du
Moyen Âge qui « reconnaissait être marié, mais
qui affirmait être, en tant qu’évêque, parfaitement
en règle avec son vœu de célibat, car c’était en
tant que baron qu’il était marié3 ». Il se référait
ainsi à la théorie médiévale, analysée par l’his-

1. Cf. T. Todorov, Le Jardin imparfait. La pensée humaniste en


France, Grasset, 1998, p. 202.
2. Cf. N. Heinich, Être écrivain, op. cit.
3. V. Descombes, Les Embarras de l’identité, op. cit., p. 48.
L’identité n’est pas unidimensionnelle 61

torien Ernst Kantorowicz, de la persona mixta,


attribuant à certains individus une double capa-
cité, temporelle et spirituelle1.
Ces deux principes de démultiplication
peuvent en outre se croiser, puisque l’une des
dimensions identitaires (par exemple la nationa-
lité, ou le sexe) peut fort bien se modifier avec
le temps (par exemple en cas de naturalisation
ou de changement de sexe), tandis que d’autres
dimensions restent stables (par exemple l’ori-
gine sociale, ou l’origine géographique). Quant
à l’identité nationale, objet des débats politiques
qui ont mis en exergue la question identitaire
dans la France du début du xxie  siècle, on sait
bien que ses critères se sont modifiés selon les
époques, et qu’ils se déploient selon différents
paramètres  : géographique, administratif, lin-
guistique, coutumier, religieux, culturel, etc.
Faut-il pour autant en conclure que l’identité
française n’existerait pas ? Ce serait là adhé-
rer implicitement à une conception substantia-
liste, donc univoque qui, nous l’avons vu, n’est
rien d’autre qu’un contre-sens : qui voudrait se
débarrasser ainsi de la référence à l’identité ne
ferait que s’exposer à l’accusation de naïveté.
La prise de conscience de cette dimension
à la fois plurielle et évolutive de l’identité est

1. Cf. E. Kantorowicz, Les Deux Corps du roi. Essai sur la théo-


logie politique au Moyen Âge [1957], Gallimard, 1989.
62 Ce que n’est pas l’identité

d’ailleurs tout sauf nouvelle pour les sciences


humaines et sociales  : philosophie, psycholo-
gie, psychanalyse, anthropologie, sociologie ont
proposé différents modèles permettant de pen-
ser cette pluralité des dimensions de l’être. On
peut, schématiquement, distinguer deux types
de modèles non univoques de l’identité  : les
modèles binaires et les modèles ternaires.
Concernant les modèles binaires, nous avons
vu comment le philosophe Paul Ricœur dis-
tingue, sur le plan ontologique, deux défini-
tions de l’identité, « numérique » (identité ipse,
renvoyant à la spécificité d’un être) et « qua-
litative » (identité idem, renvoyant à ses carac-
téristiques, qu’il peut partager avec d’autres)1.
Sous un tout autre angle, le sociologue Robert
K.  Merton a opposé deux grandes catégories
de statuts ou d’identités, l’une « ascribed » (pres-
crite), l’autre « acquired » (acquise)2 : être né avec
un certain sexe, en un certain lieu (origine géo-
graphique), dans un certain milieu social (ori-
gine sociale), avec une certaine couleur de peau
(race), à une certaine époque (génération), cela
fait partie des caractéristiques consubstantielle-
ment attachées à l’individu, et auxquelles il ne peut

1. Pour une mise en perspective philosophique de cette pro-


blématique, cf. S.  Ferret, Le Philosophe et son scalpel. Le problème
de l’identité personnelle, Minuit, 1993.
2. Cf. R. K. Merton, The Sociology of Science. Theoretical and
Empirical Investigations, Chicago University Press, 1973, p. 101.
L’identité n’est pas unidimensionnelle 63

rien (ou presque, tant qu’il n’entreprend pas des


démarches complexes pour changer de sexe). En
revanche, habiter quelque part, faire certaines
études, embrasser certain métier ou profession,
endosser telle ou telle position politique, être ou
ne pas être marié, avoir ou pas des enfants, cela
contribue à construire l’identité par des traits
qui dépendent essentiellement de choix, indivi-
duels ou familiaux. Il existe aussi des proprié-
tés  ambiguës entre prescription et acquisition,
telle la religion, qui peut avoir été soit imposée
par  le milieu familial, soit choisie par le sujet.
Mais, même si les frontières n’en sont pas tou-
jours nettes, cette distinction entre propriétés
identitaires prescrites et acquises est fonda-
mentale ; c’est elle, notamment, qui permet de
faire le partage entre crimes ordinaires et « géno-
cides », lesquels sont dirigés contre des humains
en raison de propriétés prescrites à la naissance
— auxquelles ils ne peuvent rien, telle l’appar-
tenance au judaïsme — et non pas de proprié-
tés acquises au cours de leur existence —  tel
l’engagement dans un mouvement de résis-
tance.
La psychanalyse aussi a fourni des modéli-
sations binaires de l’identité. Ainsi, sur le plan
de la construction imaginaire du sujet, Sigmund
Freud  a distingué entre le « moi idéal » (ren-
voyant au fantasme de toute-puissance infan-
tile) et l’« idéal du moi » (renvoyant à une figure
64 Ce que n’est pas l’identité

parentale idéalisée)  : « La rêverie et l’imagina-


tion libérée des contraintes de la réalité président
aux identifications du moi idéal. En revanche, le
modèle intériorisé en place d’idéal du moi mobi-
lise des apprentissages dans la réalité pour pou-
voir s’en rapprocher. Dans le premier des cas, on
s’imagine dans ses rêves être ce héros déjà accom-
pli, tandis que, dans le second, on travaille à
le devenir “pour de vrai” », explique le psychana-
lyste Serge Tisseron1. Mais, même d’un point de
vue psychanalytique, l’identité inclut aussi une
dimension factuelle et non pas seulement ima-
ginaire : c’est en la prenant en compte qu’Erik
H. Erikson (qui, nous l’avons vu, a fait entrer la
problématique de l’identité en psychanalyse) a
pu distinguer entre identité « objective » — telle
qu’elle est inscrite dans des marqueurs exté-
rieurs à l’individu, comme l’état civil — et iden-
tité « subjective » —  telle qu’elle est figurée ou
vécue par lui-même2.
Quoique fondamentale pour prendre en
compte la pluralité des dimensions de l’identité,
cette opposition demeure toutefois, nous allons
le voir, un peu sommaire et, surtout, trompeuse,
dans la mesure où elle favorise une dichotomie
implicitement hiérarchisée entre une identité qui
serait « personnelle » et une identité qui serait

1. S. Tisseron, L’Intimité surexposée, Ramsay, 2001, p. 106.


2. Cf. D. J. De Levita, The Concept of Identity, op. cit.
L’identité n’est pas unidimensionnelle 65

« sociale », celle-ci étant perçue comme exté-


rieure et, souvent, inauthentique1.
En effet, les modèles binaires tendent à recon-
duire une opposition individu/société qui charrie
beaucoup d’impensés et d’illusions —  au pre-
mier rang desquelles celle selon laquelle il pour-
rait exister des individus indépendants d’une
société2. La notion de « rôle » mise en avant par
la sociologie interactionniste est, à cet égard,
problématique, en ce qu’elle repose sur une dis-
tinction implicite entre l’authenticité de la per-
sonnalité individuelle et l’inauthenticité ou, au
minimum, le jeu qui seraient propres à la pré-
sentation de soi à autrui, impliquant la facticité
d’une attitude imposée par et pour le monde.
L’image du rôle a eu le mérite, certes, d’invali-
der l’idée naïve selon laquelle tout individu serait
doté d’une identité substantielle, immanente,
invariante ; mais elle n’a de sens que dans les
cas très particuliers où le monde est appréhen-
dable comme une « scène ». Si une telle concep-
tion a été fortement marquée par les premiers

1. Cette opposition a été reprise notamment par le philosophe


Rom Harré, Personal Being. A Theory for Individual Psychology, Basil
Blackwell, 1983. On la trouve aussi chez les sociologues Claude
Dubar, avec l’ « identité pour soi » et l’  « identité pour autrui »
(cf. La Socialisation, op. cit.), et François de Singly, avec le « soi
intime » et le « soi statutaire » (cf. Le Soi, le couple et la famille,
Nathan, 1996).
2. Pour une critique de cette conception de l’individu comme
homo clausus, cf. N. Elias, La Société des individus [1987], Fayard,
1991.
66 Ce que n’est pas l’identité

travaux d’Erving Goffman1, celui-ci y est revenu


de manière critique : dans Frame Analysis, il se
livre à une critique de la notion de « rôle », en
mettant en évidence les conditions structurales
de possibilité d’une interaction opérant selon le
mode théâtral et, du même coup, les conditions
bien particulières d’application de la métaphore
du rôle2.
Goffman a ainsi hésité entre une conception
binaire (l’identité personnelle et l’identité sociale3)
et une conception ternaire, où l’identité se
construit en fonction de ces trois paramètres
que sont l’ « identité sociale », l’ « identité per-
sonnelle » et l’ « identité pour soi »4. Cette com-
plexification des dimensions de l’identité se situe
en droite ligne de la tripartition qu’avait opérée
l’anthropologue George H. Mead entre le « soi »,

1. Cf. notamment La Mise en scène de la vie quotidienne. 2. Les


Relations en public [1971], Minuit, 1973.
2. Cf. E. Goffman, Les Cadres de l’expérience [1974], Minuit,
1992.
3. « Par “identité sociale”, j’entends les grandes catégories
sociales (…) auxquelles l’individu peut appartenir ouvertement  :
génération, sexe, classe, régiment, etc. Par “identité personnelle”,
j’entends l’unité organique continue impartie à chaque individu,
fixée par des marques distinctives telles que le nom et l’aspect et
constituée à partir d’une connaissance de sa vie et de ses attributs
sociaux, qui vient s’organiser autour des marques distinctives » (E.
Goffman, La Mise en scène de la vie quotidienne. 2. Les Relations en
public, op. cit., p. 181-182).
4. Cf. La Mise en scène de la vie quotidienne, op. cit., et Stigmate,
op. cit. Ces hésitations ont été bien analysées par Danilo Martuc-
celli, Sociologies de la modernité, op. cit., p. 458.
L’identité n’est pas unidimensionnelle 67

le  « moi »  et le « je »1 ; mais on la trouve aussi,


sur le plan psychanalytique, dans les célèbres
« topiques » freudiennes (l’inconscient, le précon-
scient et le conscient, puis le « ça », le « moi »
et le  « surmoi »2) ; ou encore, avec les neuro-
sciences, dans la distinction proposée par
Antonio R. Damasio entre « proto-soi » ou auto-
perception de l’organisme, « conscience-noyau »
comme lieu d’interaction entre l’organisme et le
monde, et « conscience étendue » ou conscience
de soi, impliquant une forme de réflexivité3.
Il y a un grand avantage à faire intervenir trois
moments plutôt que les deux ordinairement per-
çus selon la logique naïvement dualiste qui tend
à opposer le « social » à l’ « individuel » comme la
représentation à l’authenticité, le rôle à la sincé-
rité, l’artificiel au naturel, le superficiel au pro-
fond, l’image à la réalité, etc. En effet, sortir de
ce manichéisme permet de se dégager des juge-
ments de valeur plus ou moins implicites qui
sous-tendent ce mode spontané de découpage
de l’expérience. En outre, ce dualisme mécon-
naît deux réalités fondamentales  : d’une part,
l’identité n’est pas faite seulement de ce que
le sujet perçoit ou présente de lui-même, mais

1. Cf. G. H. Mead, L’Esprit, le soi et la société, op. cit.


2. Cf. Jean Laplanche, Jean-Baptiste Pontalis, Vocabulaire de la
psychanalyse, PUF, 1967.
3. Cf. A. R. Damasio, Le Sentiment même de soi. Corps, émotions,
conscience [1999], Odile Jacob, 2002.
68 Ce que n’est pas l’identité

aussi de  ce qui lui est renvoyé par autrui (ce


que nous nommerons le moment de la « désigna-
tion ») ; d’autre part il existe, chez le sujet lui-
même, un clivage entre deux images de soi, l’une
tournée vers soi-même (ce que nous nomme-
rons le moment de l’ « autoperception »), l’autre
tournée vers autrui (ce que nous nommerons le
moment de la « présentation »). Autant dire que
l’identité n’est ni unidimensionnelle ni bidimen-
sionnelle, mais bien tridimensionnelle.
Désignation (par autrui), présentation (pour
autrui), autoperception (de soi à soi) : en distin-
guant ces trois « moments » de l’identité, l’on est
à même de saisir toute la subtilité des jeux iden-
titaires par lesquels le sujet peut manipuler par
la présentation de soi sa désignation par autrui,
mais peut voir aussi son autoperception affec-
tée par cette désignation, l’amenant peut-être à
modifier encore sa présentation — etc.1. « Se sen-
tir », « se dire » ou « être dit » (par exemple « fran-
çais », « écrivain », « juif », « homosexuel ») ne relè-

1. Ce modèle a été présenté et utilisé in N. Heinich, « Relations


publiques, relations en public », Communication et organisations,
n° 4, novembre 1993 ; « Façons d’être écrivain : l’identité profes-
sionnelle en régime de singularité », Revue française de sociologie,
XXXVI-3, juillet-septembre 1995 ; États de femme, op. cit. ; « Prix
littéraires et crises identitaires : l’écrivain à l’épreuve de la gloire »,
Recherches en communication, n° 6, 1996 ; L’Épreuve de la grandeur.
Prix littéraires et reconnaissance, La Découverte, 1999 ; Être écrivain,
op. cit. J’ai préféré remplacer le terme de « représentation » que
j’avais initialement utilisé par celui de « présentation », afin d’éviter
la confusion avec la notion de représentation mentale.
L’identité n’est pas unidimensionnelle 69

vent pas des mêmes opérations, ne font pas


appel aux mêmes ressources. Ces trois moments
n’en sont pas moins également indispensables au
sentiment d’identité, tandis que leur éventuelle
discordance est source de tensions, de souf-
frances, de conflits plus ou moins intériorisés,
qui illustrent bien par contraste à quel point la
cohérence identitaire est un élément fondamen-
tal de la compétence à la vie sociale et, au-delà,
du bonheur d’exister.
Le moment de la désignation est le plus exté-
rieur, et celui sur lequel le sujet a le moins de
prises. Il peut intervenir brutalement, en totale
dissonance avec l’autoperception et/ou la présen-
tation, et même dans une situation, si l’on peut
dire, d’« innocence identitaire », alors qu’au-
cune question de cet ordre ne s’était jusque-là
posée. C’est ce qui advint au jeune Albert Cohen
quand, à l’âge de dix ans, il fut publiquement
traité de « juif » par un camelot, et insulté comme
tel, ce qui provoqua chez lui un véritable trau-
matisme, sorte de violence ou d’effraction iden-
titaire dont il a décrit les effets dévastateurs sur
le garçon sans histoires qu’il était1. Parallèlement
à la dimension interactionnelle (passants, col-
lègues de travail, amis, conjoints, membres de
la famille…), la désignation peut aussi être ins-
titutionnelle  : une feuille d’impôts, un formu-

1. Cf. A. Cohen, Ô vous frères humains, Gallimard, 1972.


70 Ce que n’est pas l’identité

laire administratif peuvent plonger quelqu’un


« qui écrit » dans le bonheur de se voir qualifier
d’écrivain ou, à l’inverse, dans l’inconfort de ne
pas parvenir à se reconnaître dans un qualificatif
jugé trop prestigieux1. Routinisées, dépersonna-
lisées, standardisées, les « identités de papier2 »
n’en sont pas moins une dimension fondamen-
tale de l’expérience identitaire, qui se laisse aisé-
ment oublier lorsque les choses vont de soi mais
se rappelle au sujet, parfois brutalement, en cas
de dissonance. Car une désignation peut créer
l’inconfort par la dissonance cognitive  avec les
deux autres moments de l’identité, soit parce
qu’elle est disqualifiante (« juif », « homosexuel »)
soit, au contraire, parce qu’elle est trop quali-
fiante (« artiste », « chef »). À l’inverse elle peut
aussi, heureusement, installer le sujet dans le
confort d’une cohérence entre le statut qui lui
est reconnu et ce qu’il perçoit et tâche de mon-
trer de lui-même.
C’est, en effet, dans son articulation avec les
deux autres moments de l’identité que la dési-
gnation prend sens, devient saillante pour le
sujet. L’ignorer, en prétendant réduire l’iden-
tité au seul regard porté par autrui —  ou plu-
tôt, aux traces de ce regard  formalisées par la

1. Cf. N. Heinich, Être écrivain, op. cit.


2. Cf. Claudine Dardy, Identités de papiers, Lieu commun,
1991.
L’identité n’est pas unidimensionnelle 71

parole ou par l’écrit  —, c’est commettre l’er-


reur de Sartre à propos de la question juive  :
croire que « le Juif est un homme que les autres
hommes tiennent pour juif1 ». Or ce qu’il décrit
là est une situation bien particulière  : celle où
le sujet ne se perçoit ni ne se présente comme
juif, autrement dit ce « point d’arrivée », com-
mente Raymond Aron, « où le Juif n’est plus rat-
taché à la communauté religieuse juive, n’est
plus rattaché à la communauté nationale juive
et n’est plus défini que par le caractère juif que
son entourage met sur lui2 ». D’où la nécessité
de prendre en compte l’ensemble de la configu-
ration identitaire, dans l’interdépendance de ses
trois moments. Contre la réduction solipsiste à
l’autoperception, que favorisent les tendances
les plus traditionnelles de la philosophie, il ne
suffit pas d’ajouter une vague « conscience d’au-
trui », car autrui intervient à la fois dans la façon
dont le sujet projette sa propre image, et dans
les marqueurs concrets qui lui donnent accès à
la façon dont le monde la reçoit. Certes, « être
français, c’est d’abord se percevoir comme tel,
ensuite être perçu comme tel3 » ; mais c’est aussi
savoir dans quelle mesure et par qui on est perçu

1. Jean-Paul Sartre, Réflexions sur la question juive, Gallimard,


1946.
2. R. Aron, Essais sur la condition juive contemporaine, Tallan-
dier, 2007, p. 37.
3. P.-A. Taguieff, « Être français », art. cit.
72 Ce que n’est pas l’identité

comme tel ; et c’est également — ne l’oublions


pas — se présenter comme tel.
Présentation, donc  : le risque, là encore,
serait de réduire à ce seul moment la configura-
tion identitaire, comme s’il suffisait de « décla-
rer » quelque chose de soi-même pour que cette
déclaration soit acceptée, reconnue, entérinée1.
Le postulant à une bourse du Centre national
du livre qui n’a jamais publié chez un véritable
éditeur peut bien se présenter comme « écri-
vain », puisqu’il écrit, il n’en verra pas moins sa
demande rejetée par principe : il n’est pas écri-
vain au sens administratif, et une activité, fût-
elle de création, ne suffit pas à faire une identité.
L’on pourrait multiplier ce type d’exemples, cer-
tains dramatiques lorsqu’il en va de la vie du
sujet : tels, pendant la dernière guerre, les Juifs
tâchant de se faire passer pour chrétiens en se fai-
sant faire de fausses cartes d’identité ou en mas-
quant un accent étranger. Quant à l’éventuelle
discordance entre présentation et autopercep-
tion, elle est fréquente en cas de stigmatisation
du paramètre considéré  : homosexuels poussés
à dissimuler leur vie sexuelle, catholiques conti-
nuant à aller à la messe alors qu’ils ont perdu la
foi, illettrés faisant semblant de savoir lire. Ce

1. Ainsi : « Nous entendons par “identité” ce que chacun peut


déclarer de lui » (Hervé Glevarec, « Ma radio ». Attachement et enga-
gement, INA, 2017).
L’identité n’est pas unidimensionnelle 73

sont là toutefois des cas extrêmes ; le plus sou-


vent, la présentation de soi « in everyday life »
(dans la vie quotidienne), comme disait Goff-
man, relève simplement d’un processus si inté-
riorisé et routinisé qu’il en devient imperceptible
au sujet  : elle n’implique pas dissimulation ou
mensonge, mais construction de soi, travail sur
son image, façons de parler, de s’habiller ou de
se maquiller —  toutes ces innombrables mises
en forme où se jouent subtilement, et parfois à
peine consciemment, les microstratégies par les-
quelles chacun tente de faire coïncider, par  la
présentation de soi, la désignation par autrui à
laquelle il s’expose du simple fait de vivre en
société, et sa propre perception de ce qu’il est
et de ce qu’il voudrait être.
« Être dit », « se dire », « se sentir » (français,
écrivain, juif, homosexuel…)  : si les deux pre-
miers de ces trois moments de l’identité sont
assez facilement accessibles à l’observation, en
revanche le troisième —  l’autoperception  —
n’offre que peu de prises. Celle-ci en effet n’est
pas une simple relation de soi à soi : la média-
tion du regard d’autrui est nécessaire pour que
se pose la question de l’identité, qui sinon se dis-
sout dans le ça-va-de-soi, le flux sans histoires
de l’existence quotidienne. L’autoperception ne
se manifeste qu’à la condition d’un dédouble-
ment réflexif amenant le sujet à faire retour sur
soi  : retour qui opère et signale à la fois une
74 Ce que n’est pas l’identité

rupture dans l’immédiateté et l’évidence du rap-


port au monde, symptomatique d’une tension,
d’une contradiction, d’une incohérence entre
les moments de l’identité. C’est dire que l’ex-
pression d’une autoperception, d’un « se sentir »
tel ou tel, a toutes les chances d’accompagner
un état critique, une non-conformité entre les
trois moments de la configuration identitaire.
Ce moment de l’autoperception est donc indis-
sociable des deux autres : il ne se manifeste et,
probablement, ne s’éprouve, que dans la mise
à l’épreuve de la confrontation avec autrui. Ce
qui serait « pure subjectivité » n’est accessible
que dans et par la présence du sujet dans un
monde habité par d’autres êtres. C’est pour-
quoi cette indissociabilité entre le moment sub-
jectif de l’identité autoperçue, et ces moments
objectivés que sont l’identité présentée par le
sujet à autrui et l’identité renvoyée par autrui,
interdit de poser comme première et fondatrice
cette « identité pour soi », cette « identité sentie »
qu’est l’autoperception1.
Autoperception, présentation, désignation  :
ces trois moments occupent une position spéci-
fique sur l’axe intériorité/extériorité. L’autoper-
ception est le moment le plus intérieur, puisqu’il

1. Ainsi, pour Locke, c’est la « conscience de soi » qui déter-


mine l’identité personnelle (cf. S. Ferret, L’Identité, op. cit., p. 30),
conformément au sophisme de l’homo clausus pointé par Norbert
Elias.
L’identité n’est pas unidimensionnelle 75

s’agit d’une relation de soi à soi médiatisée par


le langage et l’intériorisation du regard d’autrui ;
la présentation est un moment intermédiaire,
puisqu’il s’agit de l’image offerte à autrui par
le sujet ; la désignation est le moment de plus
grande extériorité, étant le retour de sa propre
image donnée au sujet par autrui. On voit ainsi
le caractère central de la présentation : elle est ce
qui, en évoluant sur l’axe du degré d’intériorité,
permet au sujet de construire de la cohérence
entre l’intériorité de l’autoperception et l’exté-
riorité de la désignation.
Enfin, il est possible de croiser la question des
trois « moments » de l’identité avec celle du plan
ontologique sur lequel elle se déploie, entre réel,
imaginaire et symbolique — pour reprendre une
tripartition que le psychanalyste Jacques Lacan
a rendue familière mais pas forcément limpide1.
Une version plus simple et plus sociologique,
appliquée à la question de l’identité, consiste à
définir le plan du réel comme celui de la situation
dans laquelle on se trouve, le plan de l’imaginaire
comme celui du rôle qu’on endosse, et le plan
du symbolique comme celui de la place  qu’on
occupe  : par exemple, en matière d’identité
familiale, la position maternelle recouvre à la fois
la situation de toute femme ayant mis un enfant
au monde, le rôle  de la maman, et la place de

1. Cf. J. Lacan, Écrits, Seuil, 1966.


76 Ce que n’est pas l’identité

la mère dans la configuration familiale1.  Appli-


quons ce croisement des perspectives à la ques-
tion de l’identité nationale  : être français, c’est
le résultat de l’ensemble des opérations par les-
quelles se produit, premièrement, l’autopercep-
tion de ma nationalité réelle (inscrite sur mes
papiers d’identité), de ma nationalité imaginaire
(comment je m’imagine moi-même en tant que
Française), et de ma nationalité symbolique
(ce que signifie ma nationalité, la place que
je lui donne) ; deuxièmement, la présentation
de  ma nationalité réelle (« Je suis française »),
de ma nationalité imaginaire (« Il m’arrive d’être
aussi un peu roumaine dans ma tête »), et de ma
nationalité symbolique (« Je suis française, et de
ce fait attachée à un certain nombre de valeurs
comme l’égalité des droits civiques, la laïcité,
la liberté d’expression ») ; et, troisièmement,
la désignation de ma nationalité réelle (« Vous
êtes française »), de ma nationalité imaginaire
(« Ne seriez-vous pas aussi un peu roumaine,
par hasard ? »), et de ma nationalité symbolique
(« Vous avez de la chance d’être française : vous
héritez de la culture des Lumières »).
Il doit être devenu clair à présent que la pro-
blématique de l’identité appelle un modèle
pluriel et non pas unitaire, c’est-à-dire construc-

1. Cette proposition a été développée dans N. Heinich, États


de femme, op. cit.
L’identité n’est pas unidimensionnelle 77

tiviste et non pas substantialiste1. C’est pour-


quoi elle a amené, dans toutes les disciplines
des sciences de l’homme qui s’en sont emparées,
un tournant constructiviste2, faisant de la ques-
tion identitaire l’opérateur par excellence de la
modernisation des sciences de l’homme.

1. Cf. notamment les apports du sociologue britannique Stuart


Hall, l’un des fondateurs des « cultural studies » : Identités et cultures.
1. Politique des « Cultural Studies », Amsterdam, 2017.
2. Pour un exposé canonique de la notion de « construction
sociale », cf. P.  L.  Berger, T.  Luckmann, La Construction sociale
de la réalité, op. cit. ; pour une critique de certains de ses abus, cf.
Ian Hacking, Entre science et réalité. La construction sociale de quoi ?
[1999], La Découverte, 2001.
Chapitre 6
Il n’y a pas de sentiment
d’identité sans crise
d’identité

Le modèle tridimensionnel des « moments »


de l’identité —  autoperception, présentation,
désignation — n’est valable toutefois que pour
les êtres humains, car ils sont dotés d’une
capacité de réflexivité. S’agissant en revanche
de l’identité des choses —  par exemple, une
maison  — ou de l’identité des êtres abs-
traits —  par exemple, la France  —, seuls les
moments de la présentation et de la désigna-
tion sont pertinents. Un pays peut bien être
considéré comme étant doté d’une « identité »
par ceux qui s’y réfèrent, il n’en possède pas
pour autant un « sentiment d’identité », une
perception de ce qu’il est lui-même. C’est
pourquoi on ne peut dire à son propos qu’il
« veut », qu’il « fait », qu’il « accepte » quelque
chose, sauf de façon métaphorique  : « l’iden-
tité de la France » n’est faite que des proprié-
tés qu’on lui attribue (désignation) en fonction
des propriétés accumulées au fil de son his-
Il n’y a pas de sentiment d’identité… 79

toire (présentation)1. Mais en aucun cas on ne


peut dire que la France « se voit », « se dit »,
« se prétend » quoi que ce soit  : tout au plus
peut-elle être vue, dite, prétendue… Les seuls
verbes susceptibles de se conjuguer avec une
notion abstraite, comme l’est un pays, sont
des verbes d’état : la France « est », « devient »,
« reste », etc.2.
L’absence d’autoperception et, plus géné-
ralement, de « sentiment d’identité » d’une
entité abstraite n’implique pas pour autant
que cette identité ne puisse pas être en crise ;
mais c’est, alors, une crise qui affecte non l’ob-
jet lui-même mais les sujets qui s’y réfèrent,
parce qu’ils perçoivent des incohérences entre
l’image qu’ils s’en font et la façon dont elle
est considérée par d’autres, ou entre son état
actuel et son état passé. C’est ainsi qu’est mon-
tée en puissance dans l’espace public, au cours
des années 2010, une référence récurrente à
l’identité de la France, en forme d’inquiétude,
de malaise, de sentiment de perte. N’en don-
nons pour exemple que cette remarque du phi-
losophe Alain Finkielkraut : « L’immigration qui

1. Cf. notamment F. Braudel, L’Identité de la France, op. cit.


2. Sur la faute de raisonnement consistant à attribuer des
actions ou des intentions à une entité abstraite (autrement dit
l’« anthropomorphisme conceptuel »), cf. N. Heinich, Le Bêti-
sier du sociologue, Klincksieck, 2009. Sur certaines de ses consé-
quences problématiques en matière de raisonnement sociologique,
cf. N. Heinich, « Misères de la sociologie critique », art.cit.
80 Ce que n’est pas l’identité

contribue et contribuera toujours davantage au


peuplement du Vieux Monde renvoie les nations
européennes et l’Europe elle-même à la ques-
tion de leur identité. Les individus cosmopo-
lites que nous étions spontanément font, sous le
choc de l’altérité, la découverte de leur être1. »
En d’autres termes, la rencontre avec « l’autre »
(ici, l’immigré) suscite chez les autochtones une
forme de réflexivité qui les amène à recentrer
leur sentiment d’identité autour de leur identité
nationale (et non plus de « citoyen du monde »),
que ce soit dans la revendication de sa grandeur
ou dans la déploration de son déclin — voire les
deux à la fois.
Voilà qui doit orienter notre attention vers une
propriété fondamentale de l’identité : c’est qu’elle
ne se manifeste que lorsqu’elle pose problème.
Et cela vaut pour l’identité individuelle — nous
le verrons  — comme pour l’identité collective.
Ainsi, un mariage peut apporter du trouble dans
le rapport des membres d’une famille à ce col-
lectif qu’est la lignée ou la cellule familiale ; la
révélation d’actes délictueux commis par des
prélats peut apporter du trouble dans le rapport
des pratiquants d’une religion à leur collectif de
référence ; et les changements de mode de vie
induits par l’arrivée d’étrangers peuvent appor-

1. A. Finkielkraut, L’Identité malheureuse, op. cit. (quatrième


de couverture).
Il n’y a pas de sentiment d’identité… 81

ter du trouble dans le rapport des membres d’un


peuple à leur « culture » — celle-ci pouvant signi-
fier soit ce qu’ils perçoivent comme spécifique
de leur identité collective (autoperception), soit
ce qu’ils sélectionnent comme le plus apte à la
valoriser (présentation), soit encore l’image que
leur renvoient les observateurs étrangers (dési-
gnation).
Rares sont les travaux sociologiques qui ont
étudié les transformations d’une société sous
l’angle spécifique des crises d’identité, comme
l’a fait Claude Dubar à propos de la France à
partir des années 19601. Les ethnologues, eux,
ont étudié ce que peut signifier pour un peuple
« perdre sa culture » —  une expérience fré-
quente sous le coup de l’occidentalisation des
mœurs2. Comme le remarquait Norbert Elias,
ses effets peuvent se manifester à l’échelle collec-
tive sous la forme que prennent chez un individu
un deuil, une dépression : « Les effets immédiats
d’un tel déclin, d’une telle déperdition de pou-
voir et de statut, sont généralement des senti-
ments d’accablement et de désenchantement,
de vanité et d’inutilité, parsemés de touches de

1. Cf. Cl. Dubar, La Crise des identités. L’interprétation d’une


mutation, PUF, 2000.
2. Cf. notamment David Berliner, « On exonostalgia », Anthro-
pological Theory, 14(4), 2014. C’est également de ce thème que
traitait le séminaire tenu à l’EHESS par l’ethnologue Daniel Fabre
sous le titre « Le paradigme des derniers » ; le décès de l’auteur a
malheureusement empêché cette publication.
82 Ce que n’est pas l’identité

cynisme, de  nihilisme ou de repli sur soi, les-


quelles peuvent devenir dominantes. (…) Ces
sentiments constituent autant de réminiscences
des sensations et attitudes des personnes pleu-
rant la disparition de l’être aimé1. » Cette dépres-
sion collective touche aussi bien les peuples
subissant la domination d’un peuple plus puis-
sant (tels les insulaires mélanésiens étudiés par
William H.  Rivers, sous l’influence dévalori-
sante des missionnaires protestants2) que, dans
les sociétés occidentales, les membres de caté-
gories auparavant dominantes mais menacés de
perdre, avec leur pouvoir, « leur propre identité
—  menacés de se perdre eux-mêmes3 ». Et si,
dans une telle situation, ils sont prêts à « don-
ner leur propre vie » pour préserver leur position,
ce n’est pas seulement par crainte de « perdre le
confort matériel dont ils disposent », mais aussi
« parce qu’ils appréhendent de voir s’effondrer
leur mode de vie, d’où ils tirent fierté et res-
pect de soi4 ». La différence toutefois entre les
crises d’identité collective des peuples infério-
risés et des peuples en position de supériorité
c’est que, dans le premier cas, leur situation tra-
gique fait l’objet de la compassion et parfois de
l’indignation de ceux qui en prennent connais-

1. N. Elias, Les Allemands, op. cit., pp. 217 et 472.


2. Ibid., p. 106.
3. Ibid., p. 470.
4. Ibid., p. 471.
Il n’y a pas de sentiment d’identité… 83

sance (notamment les ethnologues) alors que,


dans le second, elle tend à être niée ou mini-
misée, sinon stigmatisée comme une forme de
« réaction » conservatrice : cause progressiste au-
delà des frontières, cause « néo-réactionnaire »
en deçà…
Pas d’identité, donc, sans crise d’identité  :
plus encore que pour ces entités collectives que
sont les « peuples » ou les « cultures », cette règle
se vérifie à propos des êtres humains, dont  les
crises d’identité, à l’occasion desquelles ils
découvrent qu’ils ont une identité (voire plu-
sieurs), sont particulièrement problématiques du
fait qu’elles se déploient selon les trois dimen-
sions de l’autoperception, de la présentation et
de la désignation.
À l’état normal, les trois moments de l’iden-
tité sont bien associés les uns aux autres, sans
contradiction, sans incohérence  : l’identité est
alors quelque chose à quoi on ne pense même
pas. Ce n’est pas qu’elle soit inexistante mais
c’est qu’elle demeure, si l’on peut dire, muette.
En revanche, toute forme de dissociation entre
l’autoperception, la présentation et la dési-
gnation ouvre une crise identitaire, qui peut
ne pas être perçue comme telle mais s’éclaire
pour peu qu’on l’analyse à la lumière de cette
problématique et de ce modèle. Pensons par
exemple au cas des transsexuels, amenés à
déployer d’énormes efforts —  corporels autant
84 Ce que n’est pas l’identité

que juridiques  — pour faire coïncider par leur


présentation de soi ces deux moments de l’iden-
tité sexuelle que sont leur désignation comme
hommes et leur autoperception comme femmes
(ou l’inverse).
C’est au psychanalyste Erik H. Erikson qu’on
doit, nous l’avons vu, cette notion de « crise
d’identité »  : Juif d’origine allemande émigré
aux États-Unis, sans doute était-il bien placé
par son propre parcours pour être sensibilisé à
la question. Il l’analyse comme un affaiblisse-
ment du « sentiment d’identité » (« loss of a sense
of identity »), par exemple lorsqu’un adolescent
sioux se trouve clivé entre deux systèmes de
valeurs propres à ses deux groupes de référence :
celui de sa tribu, qui privilégie le partage des
richesses par le don, et celui de la société nord-
américaine, qui privilégie la rationalité écono-
mique de la thésaurisation ou de l’investissement
utilitaire1. La mise en crise du sentiment d’iden-
tité n’apparaît toutefois que dans un contexte
social particulier  : ainsi la société viennoise du
temps de Freud exposait ses membres à de tout
autres tensions, d’où l’absence, dans la théorie
freudienne, de problématisation de « l’identité
de soi » (ego identity)2. En revanche, pour Erik-

1. Cf. notamment E. H. Erikson, « The Problem of Identity »,


American Journal of Psychoanalysis, vol. IV, 1956.
2. Cf. V. Descombes, Les Embarras de l’identité, op. cit. Cf. aussi
A. Mucchielli, L’Identité, op. cit., p. 46-47.
Il n’y a pas de sentiment d’identité… 85

son, la question de l’identité est stratégique dans


l’après-Seconde Guerre mondiale (les troubles
des vétérans lui ont d’ailleurs également servi
de terrain), comme la question de la sexualité
pouvait l’être à l’époque de Freud1.
Deux autres contributions théoriques nées
dans les États-Unis de l’après-guerre, mais venant
cette fois d’un psychologue et d’un sociologue,
permettent d’étayer cette notion de crise d’iden-
tité. En premier lieu, la notion de « dissonance
cognitive », due au psychologue Leon Festinger,
rend compte de l’inconfort mental provoqué par
la contradiction, plus ou moins consciente, entre
deux ou plusieurs conceptions ou représenta-
tions mentales — contradiction que le sujet peut
chercher à réduire par différents moyens  tels
que le déni, le clivage, la minimisation, le chan-
gement de croyance,  etc.2. En deuxième lieu,
la notion d’« incohérence du statut » propo-
sée par le sociologue Gerhard E.  Lenski per-
met d’expliquer certaines pratiques de vote, en
les rapportant non pas à telle ou telle donnée
socio-démographique (âge, sexe, profession, reli-
gion…) mais à la discordance entre ces données,
par exemple dans le cas d’un Noir ayant un haut

1. Cf. Hanna Malewska-Peyre, « Le processus de dévalorisation


de l’identité et les stratégies identitaires », in C. Camilleri et alii,
Stratégies identitaires, op. cit. p. 111.
2. Cf. L. Festinger, A Theory of Cognitive Dissonance, Stanford
University Press, 1957.
86 Ce que n’est pas l’identité

niveau d’études, ou d’une femme dotée d’un


revenu élevé1. Retraduites dans la problématique
de l’identité, de telles situations sont des facteurs
probables, sinon de crise, du moins d’inconfort
ou de trouble identitaire. Valeur fondamentale,
la cohérence est une condition essentielle à cet
état de « ça va de soi » qui, en évitant toute pré-
occupation identitaire, rend invisible l’existence
même de l’identité.
Comment ces troubles identitaires peuvent-ils
s’analyser ? Tout d’abord, suivons la distinction
basique entre ces deux définitions de l’identité
que sont l’identité « numérique », ou « identité
ipse » (ce qui fait qu’on est soi-même et non pas
un autre) et l’identité « qualitative » ou « iden-
tité idem » (ce qui fait qu’on possède telles ou
telles caractéristiques)2. La première de ces deux
dimensions peut donner lieu à des troubles de
l’identification, par exemple en cas de perte
d’identité d’origine mnésique. Certes, c’est là
un cas extrême, mais il a le mérite de nous faire
prendre conscience qu’il existe bien un « senti-
ment d’identité », puisque celui-ci peut se perdre
—  même s’il est quasi indiscernable en condi-

1. Cf. G. E. Lenski, « Status Crystallization  : a Non-Vertical


Dimension of Social Status », American Sociological Review, août
1954, vol. 19, n° 4.
2. Cf. sur ce point P. Ricœur, Soi-même comme un autre, op. cit.
(et, pour ses antécédents dans la tradition philosophique occiden-
tale, S. Ferret, L’Identité, op. cit.).
Il n’y a pas de sentiment d’identité… 87

tions normales, lorsque la question de l’identi-


fication ne se pose pas. On connaît en revanche
les nombreuses et brillantes exploitations fic-
tionnelles des troubles de l’identification dans
la littérature policière ou d’espionnage, lorsque
la discordance, ou la non-congruence, intervient
entre le moment de la présentation de soi et le
moment de la désignation (voire de la percep-
tion) par autrui. Sous une forme beaucoup plus
tragique, la décomposition de l’identité fut une
épreuve imposée aux déportés lorsque, arrivant
en camp de concentration, ils se voyaient privés
de ces constituants fondamentaux de l’identifica-
tion que sont le nom (remplacé par un numéro
tatoué) et le visage (défiguré par le rasage des
cheveux) : avant même la destruction physique,
c’est par la destruction identitaire que commen-
çait l’épreuve de la déportation1.
Concernant le second axe de définition de
l’identité, ce ne sont plus des troubles de l’iden-
tification mais, plutôt, des troubles de la défi-
nition qui entrent en jeu  : étant qui je suis
— identifiable par mon nom, mon prénom, mon
visage, mes empreintes digitales —, suis-je bien
ceci ou cela — une femme, une Française, une
sociologue, etc. ? Ces troubles peuvent provenir
de différents facteurs, au premier rang desquels
le facteur temporel : l’évolution au cours d’une

1. Cf. M. Pollak, L’Expérience concentrationnaire, op. cit.


88 Ce que n’est pas l’identité

vie, ou bien, parfois, un accident de parcours


peuvent introduire une incohérence difficile à
gérer entre ce qu’on est et ce qu’on a été. En
ce sens, tout changement d’état constitue une
« épreuve1 », qui peut se retraduire en inconfort
et, plus gravement, en crise identitaire.
Ainsi le mariage peut constituer une épreuve
identitaire par changement d’état, surtout pour
les femmes des sociétés traditionnelles où leur
subsistance dépend de leur dépendance soit par
rapport à un père, soit par rapport à un mari.
L’épreuve matrimoniale peut être vécue de
façon indolore, lorsque l’état d’arrivée corres-
pond à l’état souhaité  : le passage de l’état de
fille à marier à l’état de femme mariée suit alors
le cours « normal » de la carrière féminine, et le
changement d’identité (de « Mademoiselle X » à
« Madame Y ») ne s’accompagne d’aucune crise.
Mais il arrive aussi que les choses soient plus
compliquées —  et c’est là que la fiction inter-
vient pour mettre en scène ces changements
d’état problématiques. C’est le cas notamment
avec une situation maintes fois contée dans le
roman occidental  : celle du « complexe de la
seconde », où une seconde épouse, quoique
officiellement désignée comme épouse légitime,

1. Une « épreuve » peut en effet se définir comme la « possibi-


lité d’un changement d’état » (Francis Chatauraynaud, La Faute
professionnelle. Une sociologie des conflits de responsabilité au travail,
Métailié, 1991, p. 165).
Il n’y a pas de sentiment d’identité… 89

ne se perçoit pas elle-même comme telle faute


de pouvoir occuper symboliquement une place
qui fut — et, croit-elle, est encore aux yeux du
mari  — celle de la première épouse1. C’est le
cas également lorsque les femmes doivent orien-
ter leur propre identité en fonction de deux sys-
tèmes hétérogènes  : l’un, traditionnel, où le
comble de l’accomplissement est d’être et de
rester une femme mariée et mère de famille ;
l’autre, moderne, où il consiste à allier indé-
pendance économique, épanouissement sexuel
et socialisation. Face à une telle ambivalence à
l’égard de leur propre émancipation, les femmes
ne peuvent mettre leur malaise sur le compte de
« la société », ou des méfaits du « capitalisme »
émotionnel2, qu’au prix d’un déni des contra-
dictions intrapsychiques, expulsées du for inté-
rieur par leur imputation à une entité extérieure
et forcément malfaisante3.
De même, sur le plan professionnel, la réus-
site à un concours, l’obtention d’un poste impor-
tant, une première publication provoquent une
rupture dans la vie d’une personne, partagée dès
lors entre un avant et un après. Cette intrication
entre clivage temporel (avant/après) et déplace-

1. Cf. N. Heinich, États de femme, op. cit.


2. C’est la thèse d’Eva Illouz, notamment dans Les Sentiments
du capitalisme [1997], Seuil, 2006.
3. Cf. N. Heinich, Les Ambivalences de l’émancipation féminine,
Albin Michel, 2003.
90 Ce que n’est pas l’identité

ment dans l’espace des positions hiérarchiques


a été soulignée par le psychosociologue Vincent
de Gaulejac dans sa réflexion sur la « névrose de
classe »  : « Le déplacement social produit une
coupure d’abord entre le sujet et son milieu
d’origine, puis à l’intérieur de lui-même entre la
partie de lui-même qui reste attachée à sa posi-
tion initiale et la partie de lui-même qui intério-
rise le langage, les habitus, le code culturel de
son nouveau groupe d’appartenance. À la cou-
pure entre deux univers sociaux étrangers l’un
à l’autre correspond un clivage qui traverse l’in-
dividu1. »
Outre les troubles de la continuité de soi
figurent dans les troubles de la définition ce
qu’on pourrait appeler les « troubles de la cohé-
rence »  : autrement dit les formes d’inconfort
identitaire engendré soit par la discordance entre
deux paramètres constitutifs de l’identité — par
exemple le sexe et la position professionnelle —,
soit par la discordance entre les « moments » de
l’identité relatifs à un paramètre tel que l’appar-
tenance religieuse ou ethnique, l’âge, ou le sexe.
On peut ainsi évoquer le « cas Agnès » étudié
par le sociologue interactionniste Harold Gar-
finkel2  : désigné(e) anatomiquement comme

1. V. de Gaulejac, La Névrose de classe, op. cit. p. 249.


2. Cf. H. Garfinkel, Studies in Ethnomethodology, Prentice Hall,
1967.
Il n’y a pas de sentiment d’identité… 91

homme, mais auto-perçu(e) comme femme,


« Agnès » s’était soumis(e), à l’âge de dix-sept
ans, à une opération chirurgicale pour pou-
voir se présenter comme femme et se voir du
même coup perçue et désignée comme telle
— la violence ainsi faite à son corps mettant fin
à la  violence, autrement invivable, faite à son
sentiment d’identité dans la situation antérieure.
Toutefois le sociologue apprendra, dix ans après,
qu’Agnès avait pris en secret des œstrogènes
durant son adolescence pour pouvoir dévelop-
per les caractères sexuels secondaires lui per-
mettant de « se faire passer » (le mot qu’elle
utilise en anglais est « passing ») pour femme, et
que les médecins avaient imputés à une ano-
malie génétique. Le travail de « présentation »
de soi était donc allé, à l’insu de tous, jusqu’à
la manipulation physiologique de son propre
corps, afin d’étayer une désignation définitive-
ment conforme à l’autoperception, permettant
ainsi de résoudre la crise identitaire provoquée
par l’incohérence entre les moments de l’iden-
tité relatifs à la sexuation.
Enfin, après les troubles de la continuité et les
troubles de la cohérence, une troisième et der-
nière catégorie de troubles identitaires relève des
troubles de la qualification, au sens de la qualité
attribuée à un individu sur l’échelle des membres
d’une société. Il existe en effet, on le sait bien,
des différences hiérarchiques entre catégories qui
92 Ce que n’est pas l’identité

rendent certains statuts désirables et d’autres, au


contraire, problématiques. Lorsqu’une identité
tend à être stigmatisée, elle est difficile à endosser
par le sujet, qui peut en minimiser la pertinence,
pour lui-même et/ou pour autrui1. Particulière-
ment parlants à cet égard sont les cas des homo-
sexuels dans les sociétés traditionnelles, et des
Juifs dans les sociétés antisémites. Pour l’homo-
sexuel, le trouble identitaire se situera plutôt dans
l’écart entre l’autoperception (voire la désignation
lorsqu’il est fortement perçu comme tel) et la pré-
sentation, qui l’amènera à dissimuler son rapport
à la sexualité (ou à l’inverse, lorsque le stigmate
s’atténue, à se sur-présenter comme homosexuel,
faisant de sa pratique sexuelle le fondement de
son identité). Quant au Juif en situation de dis-
crimination, l’écart pourra passer non seulement
entre autoperception et présentation (fondement
de la dissimulation), et entre présentation et dési-
gnation (en cas de dévoilement par autrui), mais
aussi entre autoperception et désignation, pour
peu qu’il ne se sente pas juif mais soit désigné
comme tel, subissant ainsi à la fois la discrimina-
tion et l’atteinte à son propre sentiment d’iden-
tité (cas, nous l’avons vu, du jeune Albert Cohen
conté dans Ô vous frères humains).
Toutefois, le « marquage » hiérarchique d’un

1. L’étude sociologique canonique des différentes formes de


stigmatisation est celle d’Erving Goffman, Stigmate, op. cit.
Il n’y a pas de sentiment d’identité… 93

statut social n’est pas forcément négatif  : il


peut être aussi positif, de sorte qu’au trouble
de la qualification par stigmatisation s’ajoute le
trouble par une valorisation que le sujet n’est pas
toujours capable d’endosser. C’est le cas de cer-
tains écrivains qui ont du mal à « se dire » écri-
vain (présentation), parce que c’est là un état
trop prestigieux à leurs yeux pour qu’une telle
désignation soit cohérente avec leur propre sen-
timent de ce qu’ils sont (autoperception)1. Pire
encore, certains lauréats de grands prix littéraires
vivent comme une véritable épreuve (même s’ils
ne l’identifient pas toujours comme une épreuve
identitaire) un « écart de grandeur » à la fois sou-
dain et multidimensionnel (reconnaissance pro-
fessionnelle, notoriété, argent) entre ce qu’ils ont
été et ce qu’ils sont devenus (trouble de la conti-
nuité), entre les différents paramètres définissant
leur identité (écrivain, mais aussi peut-être ensei-
gnant ou père de famille  : troubles de la cohé-
rence), et entre une auto-perception beaucoup
moins grandiose que la désignation —  « grand
écrivain »  — dont ils viennent de faire l’objet
(troubles de la qualification). Cet écart est sus-
ceptible de creuser une forme de dépression
causée par la « pathologie de l’insuffisance2 » et

1. Cf. N. Heinich, « Façons d’être écrivain », art. cit. ; Être


écrivain, op. cit.
2. L’expression est d’Alain Ehrenberg dans La Fatigue d’être
soi. Dépression et société, Odile Jacob, 1998.
94 Ce que n’est pas l’identité

par un lancinant voire inguérissable « sentiment


d’imposture1 ». C’est ce qui fit tant souffrir Jean
Carrière après son prix Goncourt : « Le décou-
ragement me prit  : je n’aurais jamais assez de
talent pour faire oublier la gloire imméritée que
m’avait obtenue la chance plus que le mérite2. »
À l’inverse, une autoperception entièrement
positive, si elle n’est pas portée par une désigna-
tion en rapport, peut déraper dans la mégalo-
manie pour peu que le sujet échoue à respecter,
par un travail sur la présentation, l’impératif
de modestie susceptible de maintenir un mini-
mum de cohérence avec la désignation, sans
pour autant s’exposer à un dédoublement ingé-
rable entre une présentation faussement modeste
et une autoperception résolument grandiose3.
Sous cet angle de la crise d’identité, les prix
—  littéraires ou scientifiques  — fournissent un
remarquable laboratoire expérimental pour le
chercheur désireux d’aborder, à travers cette
épreuve identitaire qu’est l’accès à la recon-
naissance, la question plus générale des condi-
tions d’une identité qui soit non problématique
—  mais qui, du même coup, demeure alors
transparente.

1. Cf. Belinda Cannone, Le Sentiment d’imposture, Calmann-


Lévy, 2005.
2. J.  Carrière, Le Prix d’un Goncourt, Laffont/Pauvert, 1987,
p. 158.
3. Cf. N. Heinich, L’Épreuve de la grandeur, op. cit.
Chapitre 7
Les troubles identitaires
ne sont pas incurables

« Considérez si c’est un homme / Que celui qui a


perdu son nom et ses cheveux / Et jusqu’à la force
de se souvenir1. » Perdre son nom, perdre l’aspect
de son visage, perdre la mémoire : autant de façons
de se perdre soi-même en perdant sa relation aux
autres, c’est-à-dire de perdre sa propre identité, ce
qui fait qu’on est à la fois qui on est et ce qu’on est.
Il arrive toutefois que l’on parvienne à résister à
l’anéantissement, même dans l’abîme concentra-
tionnaire : par ses travaux issus de témoignages
de rescapés, le sociologue Michael Pollak a bien
montré de quelles façons —  y compris les plus
apparemment triviales, telles que le travail cos-
métique sur l’apparence — a pu s’opérer le main-
tien du sentiment d’identité, lui-même facteur
de survie2. Si les troubles identitaires ne sont pas
toujours guérissables, comme en témoignent bien

1. Primo Levi, Si c’est un homme [1947], Pocket, 1988.


2. Cf. M. Pollak, L’Expérience concentrationnaire, op. cit.
96 Ce que n’est pas l’identité

des névroses et même des psychoses, ils peuvent


néanmoins se résorber, se traiter et, parfois,
s’évaporer, rendant du même coup inutile l’in-
vocation de l’identité. Efforts de délimitation de
soi, efforts de mise en cohérence de soi, efforts
d’agrandissement de soi  : autant de techniques
de réparation identitaire plus ou moins efficaces,
mais rarement identifiées comme telles. Tâchons
d’en repérer quelques-unes parmi les plus recon-
naissables, sans prétendre à l’exhaustivité.
La réparation d’un trouble identitaire peut
provenir, tout d’abord, de facteurs extérieurs à
l’individu, dont il bénéficie sans les avoir lui-
même suscités. Ainsi, un changement collectif de
dispositions à l’égard d’un statut — par exemple
l’homosexualité, ou la judéité — permet d’éviter
les distorsions entre autoperception, représenta-
tion et désignation dès lors qu’a été supprimée
ou fortement atténuée la stigmatisation. Il en est
allé ainsi, notamment, de l’identité de déporté
« racial »  : la première génération de victimes a
eu tendance à la vivre plutôt dans la honte, tan-
dis qu’à la seconde génération, grâce à une prise
de conscience collective et aux efforts des asso-
ciations de rescapés, elle est devenue un statut
susceptible d’être revendiqué, au même titre que
celui de déporté « politique »1. Certes, ces chan-

1. Cf. J.-M. Chaumont, La Concurrence des victimes, op. cit.


p. 93-94.
Les troubles identitaires ne sont pas incurables 97

gements venus de l’extérieur se font souvent sur


une durée supérieure à la vie d’un individu, mais
d’une génération à l’autre ils peuvent réduire
le trouble identitaire, voire le dissoudre entiè-
rement.
La réparation venue de l’extérieur peut opérer
aussi à un niveau individuel et non plus collec-
tif. C’est le cas notamment lorsqu’un proces-
sus de reconnaissance par autrui des mérites,
du talent, de la valeur d’une personne (voire de
son existence même, comme dans la relation
parent-enfant1) lui permet de guérir un sentiment
d’imposture ou, au contraire, d’humiliation2. À
condition de n’arriver ni trop tôt, au risque de
n’être pas crédible, ni trop tard, au risque de ne
plus suffire à panser de trop vieilles blessures,
une désignation qui attribue au sujet une gran-
deur en accord avec le sentiment qu’il a de sa
propre valeur représente beaucoup plus qu’une
simple promotion professionnelle ou qu’une gra-
tification d’amour-propre  : elle apaise, soulage
et, finalement, éloigne ou fait disparaître la disso-
nance identitaire, source de malaises récurrents
et de comportements souvent inappropriés ou

1. Cette question a été traitée par le psychanalyste anglais


Donald W. Winnicott (cf. notamment Jeu et réalité. L’espace poten-
tiel [1971], Gallimard, 1975).
2. Sur les trois dimensions constitutives du processus de recon-
naissance — respect, estime, amour — cf. A. Honneth, La Lutte
pour la reconnaissance, op. cit.
98 Ce que n’est pas l’identité

contre-productifs. L’exemple des récompenses


littéraires et scientifiques est là pour l’attester  :
octroyées dans des conditions satisfaisantes,
elles aident à réconcilier les différentes facettes
de leur bénéficiaire —  identité pour soi, iden-
tité pour autrui, identité par autrui  — ou, au
minimum, instituent et normalisent une posi-
tion hiérarchique bien acceptée ; pour peu au
contraire qu’elles soient entachées d’irrégularités,
suspectes ou intempestives, elles peuvent accen-
tuer un inconfort latent jusqu’à faire basculer
l’intéressé dans la dépression ou dans l’accès de
mégalomanie — sinon les deux à la fois1.
Toutefois la reconnaissance n’advient géné-
ralement pas toute seule, car elle résulte d’un
travail du sujet  : même s’il s’agit d’un facteur
externe, il est fortement individualisé car lié aux
efforts personnels. La réparation par la recon-
naissance se rapproche ainsi de celles qui sont
non plus extérieures mais intérieures, fruits d’un
travail sur soi, parfois au niveau le plus intime,
comme dans la cure psychanalytique  : ce sont
souvent, en effet, des troubles identitaires qui
conduisent sur le divan, même s’ils ne sont
pas forcément répertoriés comme tels2. Par ail-

1. Cf. N. Heinich, L’Épreuve de la grandeur, op. cit.; « The


Sociology of Vocational Prizes : Recognition as Esteem », Theory,
Culture and Society, vol. 26, n° 5, septembre 2009.
2. Pour une mise en relation de l’approche psychanalytique
ou psychiatrique avec la problématique identitaire, cf. notamment
Les troubles identitaires ne sont pas incurables 99

leurs, la cure peut se produire non plus par la


parole mais par l’écriture : celle-ci constitue en
effet un recours maintes fois attesté contre les
malaises identitaires de tous ordres, non seule-
ment en tant qu’elle peut contribuer à construire
une identité d’écrivain1 mais aussi, plus simple-
ment, en tant qu’elle sert d’étayage dans la quête
d’une personnalité. Dans son Journal, Charles-
Ferdinand Ramuz témoigne exemplairement, à
propos de sa quête douloureuse d’un style qui
lui soit propre, de cette instrumentalisation de
l’écriture dans le laboratoire de l’identité : « Mais
je m’obstine, tant cette tâche qui est de se cir-
conscrire, de se fixer et de demeurer soi-même,
tant cette tâche est grande et tentante ; j’y voue
mes nuits pensives et le sombre travail de mes
jours2. »
Si l’on reprend la typologie précédemment
esquissée à propos des crises d’identité (troubles
de l’identification, troubles de la définition et,
parmi ceux-ci, troubles de la continuité, troubles
de la cohérence, troubles de la qualification), on

Murray Bowen, La Différenciation du soi. Les triangles et les systèmes


émotifs familiaux [1978], ESF, 1996 ; Alice Miller, Le Drame de
l’enfant doué. À la recherche du vrai Soi [1979], PUF, 1983 ; Jessica
Benjamin, Les Liens de l’amour [1988], Métailié, 1992 ; A. Ehren-
berg, La Fatigue d’être soi. Dépression et société, op. cit. ; Didier
Dumas, Sans père et sans parole. La place du père dans l’équilibre de
l’enfant, Hachette, 1999.
1. Cf. N. Heinich, Être écrivain, op. cit.
2. Charles-Ferdinand Ramuz, Journal, Grasset, 1945, 9 juin
1903, p. 94.
100 Ce que n’est pas l’identité

trouve dans la littérature psychanalytique et psy-


chiatrique la référence à un certain nombre de
techniques de lutte contre la perte de l’identifica-
tion de soi. Il en va ainsi, notamment, du secret
qui, selon Jung, « protège contre le risque de se
confondre avec les autres1 ». Il en va ainsi égale-
ment — même si c’est paradoxal — du recours
aux personnalités multiples comme rempart
contre un incontrôlable « éclatement du moi2 ».
Exemplaire à cet égard est le cas de Fernando
Pessoa, le poète par excellence de la souffrance
identitaire : « Je ne sais qui je suis, ni quelle âme
j’ai. Quand je parle avec sincérité, je ne sais avec
quelle sincérité je parle. Je suis diversement autre
qu’un seul moi, dont je ne suis d’ailleurs pas
sûr de l’existence » ; il s’est inventé des « hétéro-
nymes », dont il a fait pour partie la matière de
son œuvre : « Je me sens plusieurs êtres. Je sens
que je vis des vies d’autrui, en moi, incomplète-
ment, comme si mon être faisait partie de tous
les hommes, incomplètement de chacun, à tra-

1. « Pour protéger l’individu contre le risque de se confondre


avec les autres, il n’est de meilleur moyen que la possession d’un
secret qu’il veut ou qu’il lui faut garder » (Carl G.  Jung, Ma
vie.  Souvenirs, rêves et pensées [1961], Gallimard « Folio », 1992,
p. 388).
2. Cf. Françoise Couchard, Emprise et violence maternelles.
Étude d’anthropologie psychanalytique, Dunod, 1991, p.  160. Sur
les troubles de la personnalité multiple, cf. Ian Hacking, L’Âme
réécrite. Étude sur la personnalité multiple et les sciences de la mémoire
[1995], Institut Synthélabo, 1998.
Les troubles identitaires ne sont pas incurables 101

vers une somme de non-moi synthétisés en un


moi postiche. »1
Passons à présent aux troubles non plus de
l’identification mais de la définition. Au titre des
techniques de lutte contre la perte de la conti-
nuité de soi, on peut mentionner le retour aux
origines, que ce soit par la recherche généalo-
gique, par la référence à un « roman familial » (qui
« restitue fantasmatiquement une origine » dans
la construction identitaire2), ou encore par le
récit de vie : celui-ci constitue, selon Vincent de
Gaulejac, « à la fois le témoignage d’une dette
contractée vis-à-vis des ascendants et un tra-
vail de reconstruction de l’histoire, de réflexion
sur soi, d’intégration entre l’identité originaire
et l’identité actuelle3 ». À cet égard, les travaux et
méthodes des ethnopsychiatres — Georges Deve-
reux et, à sa suite, Tobie Nathan  — illustrent
remarquablement cet usage de la référence aux
origines dans la thérapeutique identitaire des
personnes issues de l’immigration4.
Au titre des techniques de lutte contre la perte
de la cohérence de soi, on connaît bien le travail

1. F. Pessoa, Fragments d’un voyage immobile, Rivages, 1990,


p. 95 (trad. Rémy Hourcade).
2. Cf. N. Berry, Le Sentiment d’identité, op. cit.
3. V. de Gaulejac, La Névrose de classe, op. cit. p. 101.
4. Cf. G. Devereux, « L’identité ethnique : ses bases logiques
et ses dysfonctions », in Ethnopsychanalyse complémentariste, Flam-
marion/Champs, 1985 ; T. Nathan, Nous ne sommes pas seuls au
monde, Les Empêcheurs de penser en rond, 2001.
102 Ce que n’est pas l’identité

vestimentaire et cosmétique sur la présentation,


qui permet de viser la coïncidence entre  auto-
perception et désignation, ou même entre
autoperception passée et autoperception renou-
velée par la confrontation avec autrui.  Ainsi,
en matière d’accès à l’identité féminine, Louise
Weiss raconte dans ses Mémoires comment, suite
à sa rencontre, adolescente, avec des femmes de
harem, elle prend conscience de son manque
de féminité : « Je tentai de réagir. Je suppliai ma
mère de me permettre d’acheter quelques coli-
fichets dans les bazars. Sans succès d’ailleurs.
J’inventai une nouvelle coiffure, je pris soin de
fixer des fleurs à mon corsage et, revenue à ma
cabine, je jetai par le hublot, dans la mer, ceux
de mes vêtements que je trouvais trop défraîchis.
En les regardant sombrer, gonflés d’air et bizar-
rement semblables à mes formes, j’eus la sensa-
tion d’aller mieux1. »
Au titre enfin des techniques de lutte contre
une qualification perçue comme inappropriée
figurent en bonne place la dissimulation ou
la minimisation des propriétés infériorisantes
ou stigmatisantes (cas, une fois encore, des Juifs
ou des homosexuels en contexte de discrimina-
tion) — façon de jouer sur la présentation de soi
pour modifier la désignation afin qu’elle s’accorde

1. L. Weiss, Souvenirs d’une enfance républicaine, Denoël, 1937,


p. 165.
Les troubles identitaires ne sont pas incurables 103

avec l’autoperception. C’est ainsi par exemple


qu’opère le changement de nom, processus coû-
teux mais jugé nécessaire par certains pour modi-
fier à leur avantage la désignation dont ils font
l’objet1. C’est ainsi également qu’opère —  mais
par un travail sur l’autoperception et non plus
sur la désignation — le narcissisme, façon pour le
sujet d’agrandir ou de conforter sa propre image,
et qui de la sorte « sert l’identité en tant qu’il
nous pousse à nous posséder nous-mêmes2 » ; le
psychanalyste Didier Anzieu évoque ainsi « ces
oripeaux éblouissants dont se revêtent les jeunes
femmes mannequins souvent anorexiques, et
dont la splendeur les renarcissise provisoirement,
face à une menace inconsciente d’effritement du
contenant psychique3 ». Mais n’oublions pas aussi
les cas inverses : ceux où la désignation est consi-
dérée par le sujet comme excessivement positive
(ou risquant de l’être) par rapport à la façon
dont il se perçoit : c’est le sentiment d’imposture
dont nous avons parlé plus haut et qui peut abou-
tir, paradoxalement, à des techniques de rabais-
sement de soi-même —  modestie des attitudes,
yeux baissés, voix assourdie, tenue effacée…

1. Ce processus a été étudié en détail par Nicole Lapierre,


Changer de nom, Stock, 1995.
2. Alberto Eiguer, Du bon usage du narcissisme, Bayard, 1999,
p. 79. Sur les bénéfices identitaires du narcissisme, cf. aussi André
Green, Narcissisme de vie, narcissisme de mort [1980], Minuit, 1983.
3. D. Anzieu, Le Moi-peau [1985], Dunod, 1995, p. 149.
104 Ce que n’est pas l’identité

Pour finir, il faut rappeler que l’identité se


joue non seulement dans la relation entre le pré-
sent et le passé du sujet, mais aussi dans la rela-
tion entre ce qu’il est au présent et ce qu’il sera
ou, plutôt, ce qu’il vise à devenir, ce qu’il pro-
jette de lui-même dans un futur plus ou moins
défini. Rêves de grandeur, fantasmes de recon-
naissance à venir ou, tout simplement, sentiment
d’une vocation à accomplir, qui « nous permet-
tra d’être pleinement nous-mêmes1 », participent
également de la gestion de ces multiples pro-
blèmes identitaires qui peuvent, chez certains,
occuper une grande part de leur existence tandis
que, pour d’autres, ils n’existent pas plus que la
notion d’identité elle-même.

1. « Nous nous soucions avant tout de savoir si notre occupa-


tion présente ou future est bien la nôtre, celle qui nous permettra
d’être pleinement nous-mêmes, et si elle répond bien à ce qui
nous importe. La vocation moderne se présente comme la tâche
éthique d’une vie, et cette vie est son champ, son enjeu et le critère
de sa réussite. C’est parce que la grande priorité est de réussir sa
vie à ses propres yeux qu’il est si important que chacun puisse
se reconnaître dans ce qu’il fait » (Judith Schlanger, La Vocation,
Seuil, 1997, p. 27). Sur cette question de l’identité projetée dans
l’avenir par la vocation, cf. aussi N. Heinich, « Devenir écrivain :
une construction vocationnelle de l’identité », Raison présente,
n° 134, 2000.
Chapitre 8
Ce qu’est l’identité

Au terme de ce court examen des différents


obstacles à une juste appréhension de la notion
d’identité, il devient possible de proposer, pour
finir, une définition de ce qu’est l’identité. La
voici donc :
L’identité, c’est la résultante de l’ensemble des opé-
rations par lesquelles un prédicat est affecté à un
sujet.
Voilà qui est bien abstrait, objectera-t-on.
Mais si nous décomposons chacun des termes de
cette définition, nous allons voir que les choses
deviennent plus claires1.
« Résultante », tout d’abord  : comme nous
l’avons vu au chapitre deux, l’identité n’est pas
une substance métaphysique existant indépen-
damment des représentations que s’en font les

1. Une définition analogue avait été proposée de la valeur  :


« la valeur, c’est la résultante de l’ensemble des opérations par
lesquelles une évaluation est affectée à un objet » (cf. N. Heinich,
Des valeurs, op. cit., p. 170).
106 Ce que n’est pas l’identité

acteurs, même si ces représentations s’appuient


sur des éléments objectifs —  matériels, phy-
siologiques  etc. —  qui leur confèrent crédibi-
lité, stabilité et consensualité. Inutile dans ces
conditions de prétendre disqualifier le recours à
cette notion au motif qu’elle ne correspondrait
pas à un « fait » : elle correspond à un ensemble
de représentations, plus ou moins incorporées,
objectivées, institutionnalisées —  et cela suffit
largement à en faire un outil partagé d’orienta-
tion dans la réalité. L’identité est donc un phé-
nomène ouvert, en progrès, processuel  : pour
cette raison, la perspective adéquate pour en
rendre compte relève d’une sociologie construc-
tiviste et non pas essentialiste.
« L’ensemble », deuxièmement : comme nous
l’avons vu au chapitre cinq, l’identité n’est pas
unidimensionnelle mais multidimensionnelle,
car ses points d’appui sont nombreux, qu’il
s’agisse d’une personne concrète —  caractéri-
sable par son sexe, son âge, sa profession, sa
religion, sa nationalité,  etc. —  ou d’une entité
abstraite telle une nation  — caractérisable par
ses frontières, sa langue, son histoire, son dra-
peau, ses coutumes, ses lois, etc. C’est dire qu’il
s’agit d’une réalité complexe, plurielle, articu-
lée : ce pour quoi la perspective adéquate pour
en rendre compte relève d’une sociologie plura-
liste, non réductionniste.
« Des opérations », troisièmement  : l’identité
Ce qu’est l’identité 107

n’est pas donnée, mais produite (« fabriquée »,


diront les adeptes du constructivisme critique,
sans voir que la fabrication est précisément ce qui
fait la force, et non pas la faiblesse, d’une repré-
sentation ou d’une institution1). Elle est, avant
tout, parlée, comme l’est toute représentation
mentale partagée ; elle est actée, par le traitement
qu’on fait d’une personne (façons de regarder, de
saluer, de toucher…) ou d’une entité abstraite
(dans le cas d’une nation, façons de chanter, de
se tenir, de se présenter face à ses symboles…) ;
elle est symbolisée, par des objets (une place à
table, un vêtement, un drapeau…) ; elle est ins-
tituée, par des décisions administratives (livret de
famille, carte d’identité, conventions internatio-
nales…). Et l’on peut dire aussi qu’elle est plus
ou moins investie, dès lors que les opérations qui
« font » l’identité passent par des manifestations
émotionnelles (par exemple, pleurer en écoutant
l’hymne national), témoignant de l’attachement
que lui vouent les sujets. Ce pourquoi on y a
accès non par le postulat d’un état abstrait mais
par l’observation d’actions concrètes, en situa-
tion  : la perspective adéquate pour en rendre
compte relève de la sociologie pragmatique, axée
sur les actions en situation réelle.

1. Cela a été brillamment argumenté par Bruno Latour, notam-


ment dans Petite réflexion sur le culte moderne des dieux faitiches, Les
Empêcheurs de penser en rond, 1996.
108 Ce que n’est pas l’identité

« Un prédicat », quatrièmement  : comme


nous l’avons vu au chapitre quatre, les para-
mètres qui construisent l’identité peuvent s’ex-
primer sous la forme de différents qualificatifs.
Ce peut être des noms propres, pour l’identifi-
cation personnelle (prénom et nom de famille) ;
des noms communs, pour la définition collective
(par exemple « homme » ou « femme », « ensei-
gnant », « écrivain ») ; des adjectifs, pour la quali-
fication (« jeune » ou âgé », « grand » ou « petit »),
ou des prédicats ambigus entre noms et adjec-
tifs (« français », « juif », « parisien » etc.). Même
des verbes peuvent servir de prédicats identifica-
toires : « J’écris », répondra l’écrivain à celui qui
lui demande ce qu’il fait dans la vie — transfor-
mant ainsi une activité en identité. Cette dimen-
sion proprement linguistique de l’identité permet
de lui appliquer une perspective grammaticale :
étudier l’identité, c’est mettre en évidence les
fondements d’une sorte de grammaire de l’iden-
tité. En d’autres termes, et pour paraphraser
un adage bien connu  : l’identité est structurée
comme un langage.
« Affecté », cinquièmement  : loin d’être une
expérience solipsiste, mettant un sujet face à
lui-même, l’identité n’a de sens —  y compris
à  son stade le plus intériorisé qu’est l’autoper-
ception — qu’à travers des mots et des liens avec
autrui, avec l’image de soi envoyée à d’autres
et renvoyée par d’autres. Affecter un prédicat,
Ce qu’est l’identité 109

c’est communiquer une représentation qu’on


a du monde, afin de la partager. Ainsi, même
lorsqu’elle est celle d’un individu, l’identité n’est
jamais un phénomène purement individuel : c’est
dire que la perspective adéquate pour en rendre
compte relève de la sociologie interactionniste.
« Objet », enfin  : ce terme est à entendre au
sens le plus général, sachant qu’il peut dési-
gner aussi bien une chose (l’identité d’une mai-
son, saisie à travers les prédicats —  « grande »,
« chère », « ancienne »  — qui lui sont affectés)
qu’une entité abstraite (l’identité d’une nation)
ou une personne, c’est-à-dire un sujet. Or,
à la différence d’une chose ou d’une catégo-
rie, celui-ci a la particularité d’être doté d’une
capacité de réflexivité, lui permettant de s’auto-
prédiquer —  c’est-à-dire de s’auto-percevoir
autant que de se présenter — et d’avoir un avis
sur les désignations qui lui sont renvoyées de
lui-même. Dès lors que l’objet de l’opération
identitaire est un sujet, il ne s’agit pas seulement
de déterminer un statut objectif mais aussi, et
surtout, de comprendre la façon dont le sujet
se vit  : c’est bien le sentiment d’identité qui
est en jeu. Il devient possible d’analyser le rap-
port qu’il entretient avec sa propre identité, de
mettre en évidence ses conditions de félicité ou,
au contraire, ses facteurs de crise : la perspective
adéquate pour en rendre compte relève alors de
la sociologie compréhensive.
110 Ce que n’est pas l’identité

On aura compris que l’identité est tout sauf


une notion « inconsistante » et dont mieux vau-
drait « se débarrasser »1  : elle est, au contraire,
constitutive de l’existence humaine, à condition
qu’on la définisse correctement —  un célèbre
philosophe américain a même pu affirmer : « No
entity without identity2. » Et c’est à un autre phi-
losophe — lui-même s’appuyant sur un écrivain
—  que nous laisserons, pour en convaincre le
lecteur, le dernier mot : « Un puzzle social vient
ainsi tenir lieu d’identité, aussi bariolé qu’est
inexistante l’imaginaire unité qui en serait le
socle, comme l’exprime justement Proust, à pro-
pos de Swann, au tout début de la Recherche
du temps perdu : “Nous ne sommes pas un tout
matériellement constitué, identique pour tout le
monde et dont chacun n’a qu’à aller prendre
connaissance comme d’un cahier des charges
ou d’un testament ; notre personnalité sociale
est une création de la pensée des autres.” Il n’en
est pas moins vrai que, du point de vue du moi,
cette personnalité sociale reste le plus sûr registre
que nous puissions consulter pour nous assurer
de la consistance et de la continuité de ce moi3. »

1. Cf. H. Le Bras, Malaise dans l’identité, op. cit. p. 92-93.


2. Willard V. Quine, cité par S. Ferret, L’Identité, op. cit. p. 12.
3. Clément Rosset, Loin de moi. Étude sur l’identité, Minuit,
1999, p. 89.
POSTFACE

L’identité à l’épreuve
de la judéité 1

Lorsque j’ai commencé à faire de la sociologie,


à la fin des années 1970, la notion d’ « identité »
était à peu près inconnue dans ma discipline.
J’ai mis longtemps à en comprendre l’intérêt et
le sens, à mesure que je la voyais s’installer dans
le discours ambiant. J’ai mis longtemps aussi à
comprendre les raisons personnelles qui m’ont
amenée à l’utiliser, puis à tenter de la théoriser.
Car tout chercheur, lorsqu’un thème lui tient
à cœur, y met probablement une part de lui-
même, de sa propre histoire.
Il m’a donc fallu longtemps pour comprendre
que mon intérêt pour l’identité ne venait pas seu-
lement du fait que j’avais collaboré, au milieu des
années 1980, aux travaux du regretté Michael
Pollak sur les crises d’identité en situation
concentrationnaire (lui qui, issu d’une  bonne

1. Texte publié dans Études du CRIF, hors-série « 1944-2014 »,


2014.
112 Ce que n’est pas l’identité

famille catholique autrichienne, avait découvert


adolescent, grâce à Nuit et brouillard, l’existence
de ce qu’on n’appelait pas encore la Shoah, et en
avait conservé à vif le traumatisme — intensifié
peut-être par un sentiment de complicité avec les
stigmatisés, qu’il était lui-même en tant qu’ho-
mosexuel). Ce n’était pas non plus seulement
du fait que mon père, ayant voulu à quarante
ans vendre sa chemiserie pour devenir écrivain,
avait vécu plusieurs années sans identité profes-
sionnelle avouable, pour ma plus grande inquié-
tude (d’où, sans doute, la question liminaire que
je poserais, vingt-cinq ans plus tard, aux écrivains
que j’interrogerais dans le cadre d’une enquête :
« Quand on vous demande ce que vous faites
dans la vie, qu’est-ce que vous répondez ? »). Ce
n’était pas non plus seulement en raison du goût
de ma mère pour l’art, qui avait motivé, dès ma
thèse, mon intérêt pour le statut d’artiste et les
conditions auxquelles on peut se dire et être dit
« artiste ». Et ce n’était pas non plus seulement,
encore, parce que, analysant au début des années
1990 les structures de l’identité féminine, je fus
amenée à comprendre en quoi ma vie de « femme
non liée » rompait radicalement avec celles de
ma mère et de ma grand-mère qui, comme tant
de femmes depuis des siècles, étaient passées
de l’état de « fille » à celui de « première », puis
de  « tierce », en tâchant soigneusement d’éviter
la case infamante de la « seconde ».
Postface 113

Non  : si la question de l’identité est deve-


nue un fil rouge de mon travail, c’est d’abord
parce qu’elle était pour moi non seulement une
question théorique, mais un problème pratique.
Car l’identité —  et cette découverte, elle non
plus, n’a rien eu d’immédiat — n’existe, ou du
moins n’est perceptible, que dans la mesure où
elle est un problème : l’identité fait partie de ces
thèmes qui ne font sens que négativement, par
le manque. Et plus encore que des problèmes,
latents, d’identité, ce sont les crises d’identité
qui en révèlent l’existence, et la nature  : ces
crises qui accompagnent les situations extrêmes,
l’épreuve des limites, les moments de bascule-
ment entre deux statuts.
De quoi donc est faite une crise d’identité
ou, plus sourdement, un problème d’identité ?
Le petit modèle élaboré à propos de l’iden-
tité féminine m’a permis de le comprendre et,
ainsi, de saisir en quoi cette question m’affectait
personnellement. Une crise d’identité advient
lorsque se produit une distorsion entre les trois
« moments » de soi-même  : le moment de l’au-
toperception ; le moment de la présentation ; et le
moment de la désignation.
Ce modèle ternaire rompt avec deux concep-
tions de l’identité plus ordinaires et, à mon
avis, insuffisantes. La première est la concep-
tion de sens commun, fondamentalement uni-
voque  : l’identité de quelqu’un, c’est ce qu’il
114 Ce que n’est pas l’identité

est —  ne cherchons pas plus loin. La seconde


est la conception qui s’est peu à peu dévelop-
pée ces trente dernières années dans les sciences
humaines et sociales  : une conception binaire,
opposant l’intériorité et l’authenticité de l’iden-
tité « pour soi » à l’extériorité et à la construction
de l’identité « pour autrui ». Quoiqu’un peu plus
sophistiquée que la précédente, elle présente
deux gros défauts  : le premier est d’être impli-
citement normative, en opposant une « bonne »
identité (« personnelle ») à une « mauvaise » iden-
tité (« sociale ») ; le second est de méconnaître
le clivage existant, à l’intérieur même de l’iden-
tité « personnelle », entre deux images de soi,
l’une tournée vers soi-même (autoperception),
l’autre tournée vers autrui (présentation). Cette
méconnaissance empêche de saisir toute la subti-
lité des jeux identitaires par lesquels le sujet peut
manipuler, par la présentation, sa désignation par
autrui, mais peut aussi voir son autoperception
affectée par cette désignation, l’amenant peut-être
à modifier encore sa présentation, dans le sens
d’une sur- ou d’une sous-présentation — etc.
Cette indissociabilité entre le moment sub-
jectif de l’identité autoperçue et ces moments
objectivés que sont l’identité présentée à autrui
et l’identité réfléchie par autrui interdit de poser
comme première et fondatrice l’autoperception
ou, en d’autres termes, l’« identité pour soi »,
l’« identité sentie ». De même n’y a-t-il pas lieu
Postface 115

de privilégier ce qui relèverait du « personnel »


par rapport au « social », ou encore de l'« indi-
vidu » par rapport au « groupe » —  voire à « la
société », pour emprunter le langage du sens
commun.
Tout cela peut paraître bien oiseux à ceux qui
n’ont pas de problèmes d’identité, c’est-à-dire
pour qui aucune distorsion n’existe entre ces
trois moments de soi-même — et sans doute ne
comprendront-ils même pas de quoi il est ques-
tion. En revanche, ceux pour qui autopercep-
tion, présentation et désignation ne coïncident
pas exactement saisiront parfaitement que la
question de l’identité existe bien  : « L’identité
existe, je l’ai rencontrée —  et d’ailleurs, juste-
ment, j’allais vous demander  : pour mon petit
problème d’identité, vous n’auriez pas une solu-
tion ? »
Pas de solution toute faite, non, mais juste
un diagnostic, qui aide à mettre des mots sur
ce qui fait souffrir, et à redonner un peu de jeu
dans ce qui grippe, un peu de maîtrise dans ce
qui bloque. Pour résoudre ou, du moins, atté-
nuer un problème d’identité, il faut réduire la
distorsion entre autoperception, présentation et
désignation.
Reste que « tout le monde n’a pas la chance
d’avoir des problèmes d’identité » : encore faut-il
pour cela que les catégories qui organisent le
sentiment d’identité (sexe, sexualité, nationa-
116 Ce que n’est pas l’identité

lité, profession, religion, ethnie,  etc.) posent


elles-mêmes problème : peu de risques de crise
d’identité professionnelle chez un notaire fils
de notaire (sauf accident existentiel), de crise
d’identité religieuse chez un catholique de
famille catholique dans un pays catholique (sauf
à perdre la foi), de crise d’identité nationale chez
un Français de parents français (sauf événement
politique grave). Or le principal problème qui
peut se poser en matière d’identité, c’est la stig-
matisation : se voir marginalisé, infériorisé, per-
sécuté en raison d’un trait identitaire est une
raison majeure de distorsion entre les moments
de soi-même, parce qu’on aura intérêt à pro-
duire une présentation de soi suffisamment éloi-
gnée de son autoperception pour ne pas risquer
une désignation disqualifiante, sinon dange-
reuse ; ou parce qu’une telle désignation amène
à la conscience une autoperception jusqu’alors
si évidente, si peu interrogée qu’elle était trans-
parente.
Les cas de marquage négatif du statut mettent
en évidence l’utilité de distinguer entre ces trois
moments du travail identitaire, témoignant de
la complexité des conditions nécessaires à la
construction d’une cohérence de soi. Celle-ci
apparaît alors non comme une condition nor-
male de l’existence mais comme un privilège ou,
lorsqu’il n’est pas donné d’emblée, comme le
fruit d’un travail complexe, permettant de main-
Postface 117

tenir un « sentiment d’identité » relativement


vivable, qui ne soit pas sujet à une crise perma-
nente ou définitivement insoluble.
Toute catégorie sociale stigmatisée constitue
donc un terrain de prédilection pour les crises
d’identité. Pensons aux homosexuels du temps
(fort proche, voire encore actuel) où l’homo-
sexualité était considérée comme une grave
entorse à la morale ; et pensons —  bien sûr  —
aux Juifs.
Ici, me voilà butant une fois de plus sur ce
choix cornélien : faut-il écrire « Juifs », comme je
viens de le faire, ou « juifs » ? En d’autres termes,
s’agit-il là d’une catégorie ethnique (un « ethno-
nyme »), donc avec majuscule, ou d’une catégo-
rie religieuse, donc avec minuscule ? Ce classique
problème typographique est l’indice d’une pro-
priété qui fait des membres de cette catégorie
(ne disons pas « communauté », car le mot est
piégé lui aussi) des proies toutes désignées pour
les problèmes, voire les crises d’identité  : c’est
qu’ils peuvent se définir non seulement par leur
appartenance à une religion, mais aussi par
leur appartenance à un peuple.
Nous le savons tous  : il y a plusieurs (mais
pas une infinité) façons d’être juif, donc plu-
sieurs raisons de s’auto-percevoir, de se présen-
ter ou d’être désigné comme J/juif  (d’où, sans
doute, notre grande aptitude à la réflexivité).
Ce peut être parce qu’on pratique la religion
118 Ce que n’est pas l’identité

(on est « israélite ») ; parce qu’on a des parents


juifs (enfin, surtout une mère, selon la loi rab-
binique) ; parce qu’on a un nom juif (là, c’est le
père qui compte) ; parce qu’on est juifs de pères
(ou plutôt de mères) en fils depuis la nuit des
temps ; parce qu’on pratique les rites juifs (ou du
moins les principaux) ; parce qu’on est désigné
et (mal)traité comme J/juif (ce fut la thèse, bien
fruste décidément, de Sartre dans ses Réflexions
sur la question juive) ; parce qu’on porte kipa ou
perruque ; ou encore, tout simplement, parce
qu’on se sent juif.
L’identité juive, c’est donc ce feuilletage com-
pliqué, rendu problématique non seulement par
la stigmatisation ambiante, facteur de distorsion
entre les moments de soi-même (distorsion par-
fois tragique, comme lorsque, pendant la der-
nière guerre, quelqu’un se découvrait « J/juif »
le jour où il était arrêté comme tel) mais aussi
par la multiplicité des degrés et des modalités
de l’appartenance au judaïsme, marquée par la
duplication originelle entre pratique religieuse
et appartenance ethnique —  duplication que
complexifie encore la déclinaison de celle-ci en
références culturelles, patronymes, idiomes, ins-
criptions corporelles, pratiques culinaires et ves-
timentaires…
Qui dit pire ?
Moi : je dis « il y a pire », lorsque cet embrouil-
lamini identitaire, propre à tout le monde juif,
Postface 119

s’aggrave d’une particularité propre à certains,


qui est de n’avoir qu’un seul parent juif.
Et même là, c’est encore un peu plus com-
pliqué. Car nous connaissons tous la différence
entre, d’une part, avoir une mère juive et un
père non-juif, auquel cas on sera juif pour les
Juifs et non-juif pour les non-Juifs (puisqu’on
porte un nom non-juif) ; et, d’autre part, avoir
un père juif et une mère non-juive, auquel cas on
sera non-juif pour les Juifs (ou du moins les plus
intégristes) et juif pour les non-Juifs (puisqu’on
porte un nom juif). Bref  : on peut être soit un
vrai Juif caché, soit un faux Juif désigné comme
juif.
Ça a l’air d’une histoire juive, mais je vous
jure que ce n’est pas une blague.
Un faux Juif désigné comme juif : ce dernier
cas est le mien, que je partage avec beaucoup
d’autres Juifs de père mais pas de mère. Un cas
qui s’aggrave encore lorsqu’on est une femme,
parce qu’il n’y a même pas le marquage corporel
de la circoncision pour arrimer l’appartenance
identitaire. De sorte que, plus que quiconque,
la Juive-de-père est vouée à ne jamais vraiment
appartenir, rejetée de l’un et l’autre côtés comme
n’étant pas-tout-à-fait-des-nôtres.
Faut-il alors s’étonner que j’aie mis aussi long-
temps à me sentir et à me dire juive, alors que
la question était soigneusement enterrée dans
ma famille, où l’on préférait éviter les sujets qui
120 Ce que n’est pas l’identité

risquent de fâcher ? Et alors que je n’ai pas de


religion (ce pour quoi je choisis d’écrire « Juif »
avec majuscule), n’ai jamais lu la Bible, et ne
connais les rituels que par le peu que j’en ai
appris à l’âge adulte ?
Et faut-il s’étonner, enfin, que j’aie mis si long-
temps à comprendre pourquoi cette question de
l’identité, si radicalement mise à l’épreuve par la
judéité, a tant occupé mon travail, mon désir de
comprendre, mon effort pour penser ?
APPENDICES
Bibliographie

Amselle, Jean-Louis, Les Nouveaux rouges-bruns. Le


racisme qui vient, Paris, Éditions Lignes, 2014.
Anderson, Benedict, L’Imaginaire national. Réflexions
sur l’origine et l’essor du nationalisme [1983], Paris, La
Découverte, 1996.
Anzieu, Didier, Le Moi-peau [1985], Paris, Dunod, 1995.
Arendt, Hannah, Condition de l’homme moderne [1958],
Paris, Calmann-Lévy, 1983.
Aron, Raymond, Essais sur la condition juive contempo-
raine, Paris, Tallandier, 2007.
Badinter, Élisabeth, XY. De l’identité masculine, 1992,
Paris, Livre de poche, 1994.
Balibar, Étienne, Wallerstein, Immanuel, Race,
nation, classe : les identités ambiguës, Paris, La Décou-
verte, 1988.
Bayart, Jean-François, L’Illusion identitaire, Paris,
Fayard, 1996.
Becker, Howard S., Outsiders [1963], Paris, Métailié,
1989.
Benjamin, Jessica, Les Liens de l’amour [1988], Paris,
Métailié, 1992.
Benmakhlouf, Ali, L’Identité. Une fable philosophique,
Paris, PUF, 2011.
124 Ce que n’est pas l’identité

Benveniste, Émile, Vocabulaire des institutions euro-


péennes, Paris, Minuit, 1969.
Berger, Peter L., Luckmann Thomas, La Construc-
tion sociale de la réalité [1966], Paris, Méridiens-
Klincksieck, 1986.
Berliner, David, « On exonostalgia », Anthropological
Theory, 14(4), 2014.
Berry, Nicole, Le Sentiment d’identité, Paris, Éditions
universitaires, 1987.
Bourdieu, Pierre, Esquisse d’une théorie de la pratique,
Genève, Droz, 1972.
—, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris,
Minuit, 1979.
—, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en
sciences sociales, n° 62-63, juin 1986.
Bouvet, Laurent, L’Insécurité culturelle. Le malaise iden-
titaire français, Paris, Fayard, 2015.
Bowen, Murray, La Différenciation du soi. Les triangles et
les systèmes émotifs familiaux [1978], Paris, ESF, 1996.
Braudel, Fernand, L’Identité de la France, Paris,
Arthaud-Flammarion, 1986.
Camilleri, Carmelo et alii, Stratégies identitaires, Paris,
PUF, 1990.
Cannone, Belinda, Le Sentiment d’imposture, Paris,
Calmann-Lévy, 2005.
Carrière, Jean, Le Prix d’un Goncourt, Paris, Laffont /
Pauvert, 1987.
Chatauraynaud, Francis, La Faute professionnelle. Une
sociologie des conflits de responsabilité au travail, Paris,
Métailié, 1991.
Chaumont, Jean-Michel, La Concurrence des victimes.
Génocide, identité, reconnaissance, Paris, La Décou-
verte, 1997.
Cohen, Albert, Ô vous frères humains, Paris, Gallimard,
1972.
Bibliographie 125

Couchard, Françoise, Emprise et violence maternelles.


Étude d’anthropologie psychanalytique, Paris, Dunod,
1991.
Damasio, Antonio R., Le Sentiment même de soi. Corps,
émotions, conscience [1999], Paris, Odile Jacob, 2002.
Dardy, Claudine, Identités de papiers, Paris, Lieu com-
mun, 1991.
De Cock, Laurence, Meyran, Régis, Paniques identi-
taires. Identité(s) et idéologie(s) au prisme des sciences
sociales, Vulaines-sur-Seine, Éditions du Croquant,
2017.
De Levita, David J., The Concept of Identity, Mouton,
1965.
Demazière, Didier, Dubar, Claude, Analyser les entre-
tiens biographiques. L’exemple de récits d’insertion, Paris,
Nathan, 1997.
Descombes, Vincent, Les Embarras de l’identité, Paris,
Gallimard, 2013.
Devereux, Georges, « L’identité ethnique  : ses bases
logiques et ses dysfonctions », in Ethnopsychanalyse
complémentariste, Paris, Flammarion/Champs, 1985.
Dubar, Claude, La Socialisation. Construction des identités
sociales et professionnelles, Paris, Armand Colin, 1991.
—, La Crise des identités. L’interprétation des mutations,
Paris, PUF, 2000.
Dumas, Didier, Sans père et sans parole. La place du père
dans l’équilibre de l’enfant, Paris, Hachette, 1999.
Dupin, Éric, L’Hystérie identitaire, Paris, Le Cherche-
Midi, 2004.
Ehrenberg, Alain, Le Culte de la performance, Paris,
Calmann-Lévy, 1991.
—, La Fatigue d’être soi. Dépression et société, Paris, Odile
Jacob, 1998.
Eiguer, Alberto, Du bon usage du narcissisme, Paris,
Bayard, 1999.
126 Ce que n’est pas l’identité

Elias, Norbert, Du temps [1984], Paris, Fayard, 1996.


—, La Société des individus [1987], Paris, Fayard, 1991.
—, Les Allemands, Paris, Seuil, 2017.
Engel, Pascal, Identité et référence. La théorie des noms
propres de Frege et Kripke, Paris, Presses de l’ENS,
1985.
Erikson, Erik H., « Ego Development and Historical
Change », in Psychoanalytical Study of the Child, II,
1946.
—, « The Problem of Identity », American Journal of Psy-
choanalysis, vol. IV, 1956.
—, « Identity, psychosocial », International Encyclopedia
of the Social Sciences, 1968.
Ferret, Stéphane, Le Philosophe et son scalpel. Le pro-
blème de l’identité personnelle, Paris, Minuit, 1993.
—, (éd.), L’Identité, Paris, GF-Flammarion, 1998.
Festinger, Leon, A Theory of Cognitive Dissonance,
Stanford, Stanford University Press, 1957.
Finchelstein, Gilles, Piège d’identité, Paris, Fayard,
2016.
Finkielkraut, Alain, L’Identité malheureuse, Paris,
Stock, 2013.
Fraenkel, Béatrice, La Signature. Genèse d’un signe,
Paris, Gallimard, 2012.
Fraser, Nancy, Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnais-
sance et redistribution [2003], Paris, La Découverte, 2005.
Garfinkel, Harold, Studies in Ethnomethodology,
Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1967.
Gauchet, Marcel, La Religion dans la démocratie. Parcours
de la laïcité [1998], Paris, Gallimard « Folio », 2001.
Gaulejac, Vincent (de), La Névrose de classe, Paris,
Hommes et groupes éditeur, 1987.
Giddens, Anthony, Modernity and Self-Identity. Self
Society in the Late Modern Age, London, Polity Press,
1991.
Bibliographie 127

Glevarec, Hervé, « Ma radio ». Attachement et engage-


ment, INA, 2017.
Goffman, Erving, La Mise en scène de la vie quotidienne.
2. Les Relations en public [1971], Paris, Minuit, 1973.
—, Stigmate [1963], Paris, Minuit, 1975.
—, « Identity Kits » in Mary Ellen Roach et Joanne
Bubolz Eicher (eds.), Dress, Adornment, and the Social
Order, John Wiley and Sons, 1965.
—, Les Cadres de l’expérience [1974], Paris, Minuit,
1992.
Green, André, Narcissisme de vie, narcissisme de mort
[1980], Paris, Minuit, 1983.
Hacking, Ian, L’Âme réécrite. Étude sur la personnalité
multiple et les sciences de la mémoire [1995], Institut
Synthélabo, 1998.
—, Entre science et réalité. La construction sociale de quoi ?
[1999], Paris, La Découverte, 2001.
Hall, Stuart, Identités et cultures. 1. Politique des « Cultu-
ral Studies », Paris, Amsterdam, 2017.
Harré, Rom, Personal Being. A Theory for Individual Psy-
chology, Oxford, Basil Blackwell, 1983.
—, « Language Games and the Texts of Identity », in
John Shotter and Kenneth J. Gergen (eds.), Texts of
Identity, 1989, Sage, 1994.
Heinich, Nathalie, « Relations publiques, relations
en public », Communication et organisations, no  4,
novembre 1993.
—, « Façons d’être écrivain  : l’identité professionnelle
en régime de singularité », Revue française de sociolo-
gie, XXXVI-3, juillet-septembre 1995.
—, États de femme. L’identité féminine dans la fiction occi-
dentale, Paris, Gallimard, 1996.
—, « Prix littéraires et crises identitaires  : l’écrivain à
l’épreuve de la gloire », Recherches en communication,
no 6, 1996.
128 Ce que n’est pas l’identité

—, L’Épreuve de la grandeur. Prix littéraires et reconnais-


sance, Paris, La Découverte, 1999.
—, Être écrivain. Création et identité, Paris, La Décou-
verte, 2000.
—, « Devenir écrivain  : une construction vocationnelle
de l’identité », Raison présente, no 134, 2000.
—, Les Ambivalences de l’émancipation féminine, Paris,
Albin Michel, 2003.
—, « The Sociology of Vocational Prizes : Recognition
as Esteem », Theory, Culture and Society, vol. 26, no 5,
septembre 2009.
—, Le Bêtisier du sociologue, Paris, Klincksieck, 2009.
—, « La bohème en trois dimensions  : artiste réel,
artiste imaginaire, artiste symbolique », in Pascal Bris-
sette, Anthony Glinoer (éds), Bohème sans frontière,
Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.
—, « Pour en finir avec “l’illusion” biographique »,
L’Homme, no 195-196, juillet-décembre 2010.
—, « L’identité à l’épreuve de la judéité », Études du
CRIF, hors-série « 1944-2014 », 2014.
—, « Cher marquis », in Catriona Seth [éd.], Lettres à
Sade, Vincennes, Éditions Thierry Marchaisse, 2014.
—, Des valeurs. Une approche sociologique, Paris, Galli-
mard, 2017.
—, « Misères de la sociologie critique », Le Débat, no 197,
novembre-décembre 2017.
Honneth, Axel, La Lutte pour la reconnaissance [1992],
Paris, Cerf, 2000.
Hyman, Herbert H., « The Psychology of Status »,
Archives of Psychology, 1942, no 269.
Illouz, Eva, Les Sentiments du capitalisme [1997], Paris,
Seuil, 2006.
Jung, Carl G., Ma vie. Souvenirs, rêves et pensées [1961],
Paris, Gallimard « Folio », 1992.
Kantorowicz, Ernst, Les Deux Corps du roi. Essai sur la
Bibliographie 129

théologie politique au Moyen Âge [1957], Paris, Galli-


mard, 1989.
Kaufmann, Jean-Claude, L’Invention de soi. Une théorie
de l’identité, Paris, Armand Colin, 2004.
Lacan, Jacques, Écrits, Paris, Seuil, 1966.
Lahire, Bernard, L’Homme pluriel. Les ressorts de l’action,
Paris, Nathan, 1998.
Laing, Ronald D., Le Moi divisé [1959], Stock, 1970.
—, Soi et les autres [1961], Gallimard, 1971.
Laplanche, Jean, Pontalis Jean-Baptiste, Vocabulaire
de la psychanalyse, Paris, PUF, 1967.
Lapierre, Nicole, Changer de nom, Paris, Stock, 1995.
Latour, Bruno, Petite réflexion sur le culte moderne des
dieux faitiches, Paris, Les Empêcheurs de penser en
rond, 1996.
Le Bras, Hervé, Malaise dans l’identité, Arles, Actes Sud,
2017.
Lebrun, Jean-Pierre, Un monde sans limites. Essai pour
une psychanalyse du social, Paris, Érès, 1997.
Legendre, Pierre, Sur la question dogmatique en Occident,
Paris, Fayard, 1999.
Lenski, Gerhard E., « Status Crystallization  : a Non-
Vertical Dimension of Social Status », American Socio-
logical Review, août 1954, vol. 19, no 4.
Levi, Primo, Si c’est un homme [1947], Pocket, 1988.
Levinas, Emmanuel, Éthique et infini, 1982, Livre de
poche, 1992.
Lévi-Strauss, Claude (éd.), L’Identité, 1977, Paris,
PUF, 1983.
Linton, Ralph, Le Fondement culturel de la personnalité
[1945], Dunod, 1986.
Lipiansky, Edmond-Marc, « Identité subjective et inter-
action », in Carmelo Camilleri et alii, Stratégies identi-
taires, Paris, PUF, 1990.
Lorenzi-Cioldi, Fabio, Individus dominants et groupes
130 Ce que n’est pas l’identité

dominés. Images masculines et féminines, Grenoble,


Presses universitaires, 1988.
Maalouf, Amin, Les Identités meurtrières, Paris, Gras-
set, 1998.
Malewska-Peyre, Hanna, « Le processus de dévalori-
sation de l’identité et les stratégies identitaires », in
Carmelo Camilleri et alii, Stratégies identitaires, Paris,
PUF, 1990.
Martelli, Roger, L’Identité, c’est la guerre, Paris, Les
liens qui libèrent, 2016.
Martigny, Vincent, Dire la France. Culture(s) et identités
nationales, 1981-1995, Paris, Presses de Sciences-Po,
2016.
Martuccelli, Danilo, Sociologies de la modernité, Paris,
Gallimard « Folio-Essais », 1999.
Mead, George H., L’Esprit, le soi et la société [1934],
PUF, 1963.
Merton, Robert K., Social Theory and Social Structure
[1949], New York, Macmillan, 1968.
—, The Sociology of Science. Theoretical and Empirical
Investigations, Chicago University Press, 1973.
Meyran, Régis (avec Valéry Rasplus), Les Pièges de
l’identité culturelle, Paris, Berg International, 2012.
Michaud, Guy (éd.), Identités collectives et relations inter-
culturelles, Bruxelles, Complexe, 1978.
Miller, Alice, Le Drame de l’enfant doué. À la recherche
du vrai Soi [1979], Paris, PUF, 1983.
Mucchielli, Alex, L’Identité, Paris, PUF, « Que
sais-je ? », 1986.
Nathan, Tobie, Nous ne sommes pas seuls au monde,
Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2001.
Noiriel, Gérard, À quoi sert « l’identité nationale », Mar-
seille, Agone, 2007.
Nora, Pierre, « Les avatars de l’identité française », Le
Débat, no 159, mars-avril 2010.
Bibliographie 131

Pariente, Jean-Claude, Le Langage et l’individuel, Paris,


Armand Colin, 1973.
Perrin, André, Scènes de la vie intellectuelle en France,
Paris, Éditions de l’Artilleur, 2016.
Pessoa, Fernando, Fragments d’un voyage immobile, Mar-
seille, Rivages, 1990.
Pollak, Michael, Vienne 1900. Une identité blessée, Paris,
Gallimard-Julliard, 1984.
—, L’Expérience concentrationnaire, Paris, Métailié,
1990.
—, Une identité blessée. Études de sociologie et d’histoire,
Métailié, 1993.
Ramuz, Charles-Ferdinand, Journal, Paris, Grasset,
1945.
Ricœur, Paul, Temps et récit, Paris, Seuil, 1984.
—, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.
—, Parcours de la reconnaissance, Paris, Stock, 2004.
Rosset, Clément, Loin de moi : étude sur l’identité, Paris,
Minuit, 1999.
Roy, Olivier, Rethinking the Place of Religion in European
Secularized Societies : The Need for more Open Societies,
in « ReligioWest », research project, Robert Schuman
Centre for Advanced Studies, European University
Institute, mars 2016.
Sartre, Jean-Paul, Réflexions sur la question juive, Paris,
Gallimard, 1946.
Schlanger, Judith, La Vocation, Paris, Seuil, 1997.
Schnapper, Dominique, La Communauté des citoyens.
Sur l’idée moderne de nation, Paris, Gallimard, 1994.
Shotter, John et Gergen, Kenneth J.  (eds.), Texts of
Identity, 1989, London, Sage, 1994.
Simmel, Georg, La Tragédie de la culture et autres essais
[1895], Marseille, Rivages, 1988.
—, Philosophie de l’amour [1895], Marseille, Rivages,
1988.
132 Ce que n’est pas l’identité

Singly, François de, Le Soi, le couple et la famille, Paris,


Nathan, 1996.
Strauss, Anselm L., Miroirs et masques. Une introduction
à l’interactionnisme [1959], Métailié, 1992.
Taboada-Leonetti, Isabelle, « Stratégies identitaires et
minorités  : le point de vue du sociologue », in Car-
melo Camilleri et alii, Stratégies identitaires, Paris,
PUF, 1990.
Taguieff, Pierre-André, « Être français : une évidence,
un “je-ne-sais-quoi” et une énigme », Dogma. Revue de
philosophie et de sciences humaines, mars 2016.
Tap, Pierre (éd), Identité individuelle et personnalisation,
Toulouse, Privat, 1980.
Taylor, Charles, Multiculturalisme. Différence et démo-
cratie [1992], Paris, Aubier, 1994.
Thiesse, Anne-Marie, La Création des identités natio-
nales : Europe xviiie-xxe siècle, Paris, Seuil, 2001.
Tisseron, Serge, L’Intimité surexposée, Paris, Ramsay,
2001.
Todorov, Tzvetan, Le Jardin imparfait. La pensée huma-
niste en France, Paris, Grasset, 1998.
Vultur, Ioana, Comprendre. L’herméneutique et les sciences
humaines, Gallimard « Folio », 2017.
Weil, Patrick, Liberté, égalité, discriminations  : l’identité
nationale au regard de l’histoire, Paris, Grasset, 2008.
Weiss, Louise, Souvenirs d’une enfance républicaine, Paris,
Denoël, 1937.
White, Harrison C., Identité et contrôle. Une théorie de
l’émergence des formations sociales [1992], Paris, Édi-
tions de l’EHESS, 2011.
Winnicott, Donald. W., Jeu et réalité. L’espace potentiel
[1971], Paris, Gallimard, 1975.
Introduction 11

1. L’identité n’est pas une notion


de droite (ni de gauche, d’ailleurs) 17
2. L’identité n’est ni une réalité
objective ni une illusion 25
3. L’identité ne se réduit pas
à l’identité nationale 38
4. L’identité n’est réductible ni
à l’assimilation ni à la différenciation 46
5. L’identité n’est pas unidimensionnelle
(ni même bidimensionnelle) 59
6. Il n’y a pas de sentiment d’identité
sans crise d’identité 78
7. Les troubles identitaires ne sont pas
incurables 95
8. Ce qu’est l’identité 105

Postface : L’identité à l’épreuve de la judéité 111


134 Ce que n’est pas l’identité

appendices

Bibliographie 123
DU MÊME AUTEUR

LA GLOIRE DE VAN GOGH. ESSAI D’ANTHROPOLO-


GIE DE L’ADMIRATION, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Cri-
tique », 1991
DU PEINTRE À L’ARTISTE. ARTISANS ET ACADÉMI-
CIENS À L’ÂGE CLASSIQUE, Paris, Éditions de Minuit, coll.
« Paradoxe », 1993
HARALD SZEEMANN  : UN CAS SINGULIER. Entretien,
Paris, L’Échoppe, 1995
ÊTRE ARTISTE. LES TRANSFORMATIONS DU STA-
TUT DES PEINTRES ET DES SCULPTEURS, Paris,
Klincksieck, 1996 (rééd. 2005, 2012)
ÉTATS DE FEMME. L’IDENTITÉ FÉMININE DANS
LA FICTION OCCIDENTALE, Paris, Gallimard, coll. « Les
Essais », 1996 (rééd. en « Tel » en 2018)
LA SOCIOLOGIE DE NORBERT ELIAS, Paris, La Décou-
verte, coll. « Repères », 1997
CE QUE L’ART FAIT À LA SOCIOLOGIE, Paris, Éditions
de Minuit, coll. « Paradoxe », 1998
LE TRIPLE JEU DE L’ART CONTEMPORAIN. SOCIO-
LOGIE DES ARTS PLASTIQUES, Paris, Éditions de Minuit,
coll. « Paradoxe », 1998
L’ART CONTEMPORAIN EXPOSÉ AUX REJETS, Paris, Jac-
queline Chambon (recueil d’articles), 1997 (rééd. en poche en 2009)
L’ÉPREUVE DE LA GRANDEUR. Prix littéraires et reconnais-
sance, Paris, La Découverte, coll. « L’Armillaire », 1999
POUR EN FINIR AVEC LA QUERELLE DE L’ART
CONTEMPORAIN, Paris, L’Échoppe, 2000
ÊTRE ÉCRIVAIN. CRÉATION ET IDENTITÉ, Paris, La
Découverte, coll. « L’Armillaire », 2000
LA SOCIOLOGIE DE L’ART, Paris, La Découverte, coll.
« Repères », 2001
MÈRES-FILLES, UNE RELATION À TROIS, avec Caroline
Eliacheff, Paris, Albin Michel, 2002
L’ART EN CONFLITS, avec Bernard Edelman, Paris, La Décou-
verte, coll. L’Armillaire (recueil d’articles), 2002
FACE À L’ART CONTEMPORAIN. LETTRE À UN COM-
MISSAIRE, Paris, L’Échoppe, 2003
LES AMBIVALENCES DE L’ÉMANCIPATION FÉMI-
NINE, Paris, Albin Michel (recueil d’articles), 2003
ART, CRÉATION, FICTION. ENTRE SOCIOLOGIE ET
PHILOSOPHIE, avec Jean-Marie Schaeffer, Paris, Jacqueline
Chambon (recueil d’articles), 2003
L’ÉLITE ARTISTE. EXCELLENCE ET SINGULARITÉ
EN RÉGIME DÉMOCRATIQUE, Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèque des sciences humaines », 2005 (rééd.  en « Folio » en
2018)
POURQUOI BOURDIEU, Paris, Gallimard, coll. « Le Débat »,
2007
COMPTES RENDUS À… BENJAMIN, BOURDIEU, ELIAS,
GOFFMAN, HÉRITIER, LATOUR, PANOFSKY, POL-
LAK, Paris, Les Impressions nouvelles (recueil d’articles), 2007
LE BÊTISIER DU SOCIOLOGUE, Paris, Klincksieck, coll.
« Hourvari », 2009
LA FABRIQUE DU PATRIMOINE. DE LA CATHÉDRALE
À LA PETITE CUILLÈRE, Paris, éditions de la Maison des
Sciences de l’Homme, 2009
FAIRE VOIR. L’ART À L’ÉPREUVE DE SES MÉDIA-
TIONS, Paris, Les Impressions nouvelles (recueil d’articles),
2009
GUERRE CULTURELLE ET ART CONTEMPORAIN.
UNE COMPARAISON FRANCO-AMÉRICAINE, Paris,
Hermann, 2010
SORTIR DES CAMPS, SORTIR DU SILENCE, Paris, Les
Impressions nouvelles (recueil d’articles), 2011
DE LA VISIBILITÉ, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des
sciences humaines », 2012
DE L’ARTIFICATION. ENQUÊTES SUR LE PASSAGE À
L’ART, Paris, éditions de l’EHESS (ouvrage collectif, co-direction
avec Roberta Shapiro), 2012
MAISONS PERDUES, Paris, Thierry Marchaisse, 2013
LE PARADIGME DE L’ART CONTEMPORAIN. STRUC-
TURES D’UNE RÉVOLUTION ARTISTIQUE, Paris, Gal-
limard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 2014
PAR-DELÀ LE BEAU ET LE LAID. LES VALEURS DE
L’ART, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014 (co-
direction avec Jean-Marie Schaeffer et Carole Talon-Hugon), 2014
LA SOCIOLOGIE À L’ÉPREUVE DE L’ART, entretiens
avec Julien Ténédos, Paris, Les Impressions Nouvelles (réédition
de 2006), 2015
DANS LA PENSÉE DE NORBERT ELIAS, Paris, CNRS édi-
tions (recueil d’articles), 2015
L’ARTISTE CONTEMPORAIN, Bruxelles, éditions du Lom-
bard, coll. « La Petite Bédéthèque des savoirs » (bande dessinée, avec
Benoît Féroumont), 2016
DES VALEURS. UNE APPROCHE SOCIOLOGIQUE, Paris,
Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 2017
UNE HISTOIRE DE FRANCE, Paris, Les Impressions nouvelles,
coll. « For intérieur », 2018
ÉCRIVAINS ET PENSEURS AUTOUR DU CHAMBON-
SUR-LIGNON, Paris, Les Impressions nouvelles, 2018
NATHALIE HEINICH

CE QUE N’EST PAS


L’IDENTITÉ

Ce que n’est pas l’identité


Nathalie Heinich

Cette édition électronique du livre


Ce que n’est pas l’identité de Nathalie Heinich
a été réalisée le 20 juillet 2018 par les Éditions Gallimard.
Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage
(ISBN : 9782072801228 - Numéro d’édition : 337860).
Code Sodis : N98452 - ISBN : 9782072801259.
Numéro d’édition : 337863.

Vous aimerez peut-être aussi