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Chanson douce de Leïla Slimani, un drame


psychologique percutant
Écrivaine et journaliste franco-marocaine née en 1981, Leïla Slimani travaille
longtemps en tant que rédactrice pour l’hebdomadaire Jeune Afrique avant de quitter
son poste en 2012 pour se consacrer à l’écriture littéraire. Elle est, quatre ans plus
tard, la douzième femme à obtenir le prix Goncourt, récompense que les jurés lui
attribuent dès le premier tour du scrutin pour son deuxième roman intitulé Chanson
douce.

Publié au mois d’août 2016 au sein de la collection « Blanche » des éditions


Gallimard, Chanson douce ne propose d’ailleurs rien d’une lecture réconfortante telle
que peut l’être une véritable « chanson douce ». Employant une prolepse[1] dès
l’incipit de son ouvrage, l’écrivaine met en exergue la déchéance du monde.

Un équilibre familial

Paul et Myriam sont un couple parisien classique à la recherche d’une nounou pour
garder leurs enfants, Mila et Adam. Jusque-là c’est Myriam qui s’occupe de la petite
famille, des tâches ménagères et de la douceur du foyer. Seulement après un peu
plus de trois ans sans la moindre considération pour le monde extérieur, cette femme
ressent le besoin de reprendre le chemin de sa carrière professionnelle.

Cette nounou, elle l’attend comme le sauveur, même si elle est terrorisée à l’idée de
laisser ses enfants. Elle sait tout d’eux et voudrait garder ce savoir secret. Elle
connaît leurs goûts, leurs manies. Elle devine immédiatement quand l’un d’eux est
malade ou triste. Elle ne les a pas quittés des yeux, persuadée que personne ne
pourrait les protéger aussi bien qu’elle.
Depuis qu’ils sont nés, elle a peur de tout. Surtout, elle a peur qu’ils meurent.
S’ensuivent mille et une considérations pour le couple qui opte finalement pour l’aide
d’une personne tierce. Cette dernière sera chargée de s’occuper des enfants.
Il est intéressant de noter ici que Myriam est d’origine marocaine. Pourtant, celle qui
devra se charger de Mila et Adam ne doit en aucun cas être une Maghrébine.

[…] Myriam s’y refuse absolument. Elle craint que ne s’installe une complicité tacite,
une familiarité entre elles deux. Que l’autre se mette à lui faire des remarques en
arabe. À lui raconter sa vie et, bientôt, à lui demander mille choses au nom de leur
langue et de leur religion communes. Elle s’est toujours méfiée de ce qu’elle appelle
la solidarité des immigrés.
Non, cette nounou doit être une femme, blanche si possible, de bonne famille, à
l’attitude impeccable. C’est ainsi que débarque Louise dans les vies de Paul et
Myriam, un personnage que Leïla Slimani nomme d’après Louise Woodward[2]. Dans
les premiers temps, Louise est une « fée ». Elle semble parfaite et possède un rôle
central à l’équilibre et l’harmonie du foyer. Au fil du temps, Louise se montre aussi
réservée, taciturne et d’humeur changeante…
Un thriller oppressant

Leïla Slimani dévoile, au fil de son énonciation, les pensées intimes de ses trois
personnages principaux : Louise, Myriam et Paul. Les émotions illustrées par
l’auteure ici semblent franches : elle emploie systématiquement une narration à la
troisième personne du singulier limitée à la conscience du personnage décrit.

Nous ne serons heureux, se dit-elle alors, que lorsque nous n’aurons plus besoin les
uns des autres. Quand nous pourrons vivre une vie à nous, une vie qui nous
appartienne, qui ne regarde pas les autres. Quand nous serons libres.
Elle avait toujours refusé l’idée que ses enfants puissent être une entrave à sa
réussite, à sa liberté. Comme une ancre qui entraîne vers le fond, qui tire le visage
du noyé dans la boue.
Tout ce qu’il voulait, c’était ne pas rentrer chez lui, être libre, vivre encore, lui qui
avait si peu vécu et qui s’en rendait compte trop tard.
Le lecteur avance ainsi avec ces trois personnages vers une tragédie sans nom, dont
la vérité est plus compliquée qu’il n’y paraît. L’atmosphère est pesante : l’incipit du
roman déstabilise le lecteur qui souhaite « comprendre » l’incompréhensible.
Comment savoir quand « trop » c’est « trop » ? Jusqu’à quel point doit-on faire
confiance à l’autre ? Doit-on réellement juger sur des a priori liés à la race, l’origine
ethnique ou la religion d’une personne ? Jusqu’à quel point doit-on se fier à son
instinct ?

Chanson douce offre de la sorte un récit tragique dans lequel se mêlent excès de
confiance, préjugés, déchéance financière, abus de comportement et troubles de la
personnalité. Il s’agit d’un texte à la fois cinglant et rude, qui pose en simultané un
regard sur la femme, sur sa maternité et son besoin de se sentir utile d’un point de
vue sociétal.

Une victime, une coupable…

Leïla Slimani choisit ici d’attribuer un métier particulièrement révélateur à Myriam.


Cette mère de famille, avocate, est continuellement face à des pseudo-criminels
qu’elle doit défendre. Son travail est alors de leur trouver des circonstances
atténuantes, de comprendre quels événements ont amené ses clients à commettre
leur délit.

Myriam a l’habitude d’être confrontée à des tragédies et met un point d’honneur à


toujours présenter le présumé coupable comme étant lui aussi une victime ; que
celui-ci ait été sous l’emprise d’alcool ou de stupéfiants, rien ne l’arrête. Si cette
avocate de renom a toujours été capable de se mettre à la place de l’autre et
d’entendre sa véritable détresse, qu’en sera-t-il quand elle devra faire face à l’horreur
de sa vie ?

Nous devons prouver que, vous aussi, vous êtes une victime.
Chanson douce délivre en ce sens une histoire passionnante. Leïla Slimani
questionne chacun sur sa capacité à suivre ses intuitions et sa capacité à bien se
positionner dans une relation donnée. Il est difficile de déterminer les causes de
l’aliénation d’une personne ; il n’est pas toujours simple de trouver des
« circonstances atténuantes » à des situations extrêmes. Est-ce qu’une personne
criminelle peut être une victime malgré tout ?

Un succès commercial

Leïla Slimani est une écrivaine forte de ses mots et ses convictions, adulée par les
médias. Elle a su toucher une large communauté notamment avec ses textes traitant
de thématiques telles que la sexualité et la femme dans son environnement social.
La journaliste dénonce également le manque de liberté des femmes au Maroc quant
à leur vie amoureuse et sexuelle.

Chanson douce est désormais disponible dans le monde entier et a été traduit en au
moins vingt-sept langues incluant l’anglais, l’espagnol, le portugais et l’allemand,
mais aussi le coréen, le chinois et le vietnamien. Cette lecture rapide, nette et
bouleversante fait partie des meilleures ventes mondiales selon Penguin Random
House[3]. Le roman est disponible au format poche dans la collection « Folio » de
Gallimard, et fait partie du catalogue de Penguin Books et de Faber & Faber pour ne
citer que ces deux grandes maisons d’édition à l’international.

Chanson douce est en outre adapté au cinéma en 2019. Le film éponyme est réalisé
par Lucie Borleteau. On retrouve au sein de la distribution Karin Viard, Leïla Bekhti et
Antoine Reinartz respectivement dans les rôles de Louise, Myriam et Paul.

Notes

1. ↑ La prolepse, en littérature, est une figure de style qui consiste à faire le récit d’une situation de
manière anticipée. Ainsi des faits qui se produiront plus tard dans l’intrigue sont mentionnés en
premier lieu – à l’inverse d’un retour dans le passé, d’un flash-back.

2. ↑ Louise Woodward est une fille au pair britannique accusée en 1997 d’homicide involontaire sur
un enfant âgé de huit mois. Le garçon est sous sa garde au moment de son décès.
URL : https://en.wikipedia.org/wiki/Louise_Woodward_case

3. ↑ Penguin Random House. The Perfect Nanny by Leïla Slimani:


9780143132172. https://www.penguinrandomhouse.com/books/561318/the-perfect-nanny-by-
leila-slimani/9780143132172/

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