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L
ors de toute dispensation d’ordonnance, le phar-
macien doit appliquer une méthode lui permettant
de “balayer” tous les points importants et ainsi
d’améliorer la sécurité du patient. L’objectif est multiple :
déterminer les profils physiologique et pathologique de
ce dernier ; rechercher un équilibre physiologique ou
thérapeutique éventuellement menacé par la prescrip-
tion ; déterminer si d’éventuels médicaments à marge
thérapeutique étroite sont prescrits ; prévenir l’addition
d’effets pharmacologiques ou indésirables pour les
différents médicaments prescrits.
Profils physiologique
© Fotolia.com/Syda Production
et pathologique du patient
La détermination des profils physiologique et patho-
logique du patient est indispensable pour prévenir la
survenue d’éventuelles interactions médicamenteuses.
Ainsi, chez un diabétique, une interaction médicamen-
Pour prévenir d’éventuelles interactions médicamenteuses, il est indispensable de déterminer
teuse provoquant une perturbation de la glycémie est
les profils physiologiques et pathologiques du patient.
potentiellement dangereuse, surtout s’il s’agit d’une
hypoglycémie. De même, chez une femme enceinte prescrits sur l’ordonnance ou pris régulièrement par le
ou en âge de procréer, certains médicaments sont patient et quelques questions simples sur la pathologie
dangereux, voire contre-indiqués. dont il souffre permettent de préciser ce profil. Il est donc
Si le profil physiologique est facilement déterminé nécessaire de déterminer avec précision la classe phar-
(nouveau-né, nourrisson, enfant, sujet adulte, sujet âgé, macologique de chaque spécialité prescrite ou prise
femme enceinte, en âge de procréer ou ménopausée), régulièrement par le patient, ainsi que ses indications. *Auteur correspondant.
Adresse e-mail :
il en est tout autrement du profil pathologique Bien évidemment, les profils pathologiques sont nom- jacques.buxeraud@unilim.fr
ou du terrain. Dans la plupart des cas, les médicaments breux et il est difficile d’en donner ici une liste exhaustive. (J. Buxeraud).
Le pharmacien fait de son mieux pour obtenir ces pré- Équilibre physiologique
cisions, mais cette étape est parfois difficile et reste ou thérapeutique menacé
imprécise. Ce qui est important, c’est de ne pas “passer par la prescription
à côté” ou d’ignorer un terrain allergique notoire, un Lors de toute dispensation d’ordonnance, il faut se
problème cardiaque important, une maladie cancé- demander si certains grands équilibres vitaux bio-
reuse, des troubles psychiatriques ou prostatiques, une logiques, physiologiques ou cliniques ne risquent pas
maladie auto-immune, une greffe d’organe, un problème être déstabilisés par le traitement médicamenteux pres-
de transit, etc. Néanmoins, certains profils sont fré- crit ou par une quelconque interaction médicamen-
quemment rencontrés : teuse : la tension artérielle, la glycémie, la kaliémie et la
• l’allergie (l’allergie en général et le terrain allergique, natrémie, l’épilepsie équilibrée, l’asthme équilibré, une
l’urticaire, l’asthme, l’allergie à un produit particulier douleur maîtrisée, l’hydratation, le sommeil, le taux de
comme la pénicilline) ; prothrombine ou l’international normalized ratio (INR), le
• les troubles cardiovasculaires (insuffisance car- cycle menstruel, les fonctions sexuelles…
diaque, troubles du rythme et de la fréquence, séquelles À titre d’exemple, lorsqu’une tension artérielle est cor-
d’infarctus du myocarde, troubles coronariens et rectement équilibrée chez un sujet hypertendu, il est
circulatoires périphériques, plus particulièrement les nécessaire de rechercher une éventuelle interaction médi-
acrosyndromes, hypo- et hypertension artérielle, risque camenteuse pouvant la déstabiliser, telle qu’une prise
d’hypotension orthostatique) ; d’anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) simultanée avec
• l’insuffisance organique sévère (rénale, hépatique celle d’un antihypertenseur. En effet, l’AINS ajouté au
ou respiratoire) ; traitement peut induire une poussée tensionnelle subite,
• les troubles du métabolisme ou diverses pertur- dangereuse pour le patient, surtout si celui-ci est âgé.
bations biologiques, c’est-à-dire un diabète, des
hyperlipidémies, des perturbations ioniques (potas- Médicaments à risque particulier
sium, chlore, sodium) ou de la formule sanguine F Nombre de médicaments peuvent induire des
(neutropénie, anémie…), etc. ; risques particuliers bien connus, qui découlent, pour
• les troubles digestifs tels que les colopathies et la plupart, de leurs propriétés pharmacologiques [1] :
l’intestin irritable, la constipation, la diarrhée et l’accé- • les hypokaliémiants et les hyperkaliémiants peu-
lération du transit, le reflux gastro-œsophagien, vent générer des dyskaliémies dangereuses pour la
l’ulcère gastroduodénal ; fonction cardiaque ;
• le cancer du sein ou de la prostate, un traitement récent • les inducteurs et les inhibiteurs enzymatiques sont
ou en cours par chimiothérapie ou une radiothérapie, etc. ; susceptibles de perturber gravement les concentra-
• la maladie neuropsychiatrique (maladie de Parkinson tions plasmatiques des médicaments associés ;
ou d’Alzheimer, sclérose en plaques, épilepsie, • les médicaments à potentiel bradycardisant ou
dépression, maladies psychotiques telles que schizo- tachycardisant peuvent être à l’origine de troubles
phrénie, psychose maniaco-dépressive, etc.) ; du rythme cardiaque ou de décompensation
• les troubles immunitaires (patient greffé sous traite- cardiaque ;
ment immunosuppresseur, sujet atteint d’une maladie • les vasodilatateurs et les vasoconstricteurs indui-
auto-immune telle que rectocolite hémorragique, poly- sent parfois des risques cardiovasculaires ou géné-
arthrite rhumatoïde, psoriasis, malade du sida, etc.) ; raux graves tels qu’hypotension, hypoperfusions
• les dysthyroïdies (hypo- ou hyperthyroïdie) ; organiques, acrosyndromes (vasoconstriction des
• les troubles de la vue ou de l’audition (glaucome, extrémités) et accidents hypertensifs ;
dégénérescence maculaire liée à l’âge [DMLA], hypo- • les médicaments augmentant l’intervalle QTc de
acousies, etc.) ; l’électrocardiogramme risquent de générer des tor-
• d’autres pathologies telles que la bronchite chronique sades de pointe parfois fatales ;
et la broncho-pneumopathie chronique obstructive • les sédatifs et les amnésiants abaissent la vigilance ;
(BPCO), l’incontinence urinaire, les troubles prostatiques, • les médicaments à potentiel anticholinergique,
les infections bactériennes, virales ou parasitaires, la sérotoninergique, dopaminergique ou anti-
mucoviscidose, l’ostéonécrose de la mâchoire, l’ostéo- dopaminergique peuvent induire un grand nombre
porose, les pathologies musculaires et tendineuses, les de perturbations neurovégétatives et générales ;
maladies rhumatismales, les troubles cutanés… • les traitements connus pour leur toxicité rénale,
Quelques questions peuvent également permettre de hépatique ou cardiaque sont susceptibles d’altérer
se renseigner sur certaines habitudes du patient (taba- le bon fonctionnement de ces organes.
gisme, alcoolisme, toxicomanie…) considérées comme F Les médicaments à marge thérapeutique étroite
définissant également le profil pathologique. (MTE) sont tout particulièrement vulnérables à la prise
Actualités pharmaceutiques
2 • Supplément formation au n° 554 • 1er trimestre 2016 •
formation
Gérer les interactions médicamenteuses à l’officine
Actualités pharmaceutiques
• Supplément formation au n° 554 • 1er trimestre 2016 • 3
formation
Gérer les interactions médicamenteuses à l’officine
Références
[1] Agence nationale de CONTRE-INDICATION : CI
sécurité du médicament et Il s’agit d’une vraie contrĞͲŝŶĚŝĐĂƟŽŶ͕ƋƵĂůŝĨĠĞĚ͛ĂďƐŽůƵĞ
des produits de santé (ANSM).
Thésaurus des interactions
médicamenteuses.
Actualisation de juin 2015.
ASSOCIATION DÉCONSEILLÉE : Ass dĠc
http://ansm.sante.fr/ Il s’agit d’une contre-indicaƟon relaƟve
Dossiers/Interactions- L’associaƟon doit être de prĠĨĠrence ĠvitĠe͕ sauĨ si mise en œuvre de mesures adaptĠes
medicamenteuses/
Interactions-
medicamenteuses/
(offset)/0 PRÉCAUTION D’EMPLOI : PE
© J. Buxeraud/Elsevier Masson SAS
[2] Stockley IH. Stockley’s L’associaƟon est possiďle en respectant les recommandaƟons dĠcrites
drug interactions. 7th Revised
edition. Guernee (États-Unis):
Pharmaceutical Press; 2005. À PRENDRE EN COMPTE : APEC
[3] Vidal. Référentiel Message desƟnĠ à aƫrer l’aƩenƟon sur le risƋue de l’interacƟon
national des interactions
médicamenteuses. www.vidal.
Aucune conduite à suivre
fr/infos-pratiques/id10448.
htm#medicaments Figure 1. Les quatre niveaux de gravité des interactions médicamenteuses.
[4] Petit manuel de
pharmacovigilance et
pharmacologie clinique. F Contre-indication (CI) : il s’agit d’une contre- les médicaments que vous prenez, qu’ils aient été pres-
Prescrire.org. www.prescrire. indication absolue qui ne doit pas être transgressée crits ou pris sans ordonnance en automédication.
org/Fr/101/325/47337/0/ (par exemple, un rétinoïde associé à une tétracycline). F Lorsque vous devez vous procurer un médica-
PositionDetails.aspx
Le pharmacien doit entrer en contact avec le médecin ment d’automédication, prévenez votre pharmacien
[5] Association des
pharmaciens du Canada. prescripteur afin de lui signaler ce problème, et ne doit des traitements que vous suivez.
Compendium des produits et en aucun cas délivrer le produit sous peine de voir sa F Soyez vigilant, la prise d’un médicament en vente
spécialités pharmaceutiques. responsabilité engagée. libre n’est pas sans risque, elle peut parfois être à l’ori-
Bas de données. Ottawa
(Canada): Association des F Association déconseillé (Ass déc) : il s’agit d’une gine d’interactions médicamenteuses.
pharmaciens du Canada; contre-indication relative. L’association doit être de F Deux médicaments, même pris à distance l’un de
2005. préférence évitée, sauf après examen approfondi deu- l’autre, peuvent être à l’origine d’interactions médica-
rapport bénéfice-risque. Elle impose une surveillance menteuses.
étroite du patient, avec mise en œuvre de mesures F Si vous devez conduire, méfiez-vous du risque de
adaptées. Il est fortement recommandé d’entrer en somnolence lié à l’association de plusieurs médica-
contact avec le médecin prescripteur pour se rassurer. ments possédant des propriétés sédatives, hypnotiques
F Précaution d’emploi (PE) : il s’agit du cas le plus ou anxiolytiques, qui parfois ne sont pas mentionnées
fréquent à l’officine ; l’association est possible en res- clairement sur la notice d’utilisation.
pectant les recommandations décrites dans le résumé F La prise d’alcool peut entraîner d’importantes réac-
des caractéristiques du produit (RCP). Ces recomman- tions avec de nombreux médicaments, même les plus
dations simples (adaptation posologique, renforcement courants et les plus anodins. Certains sirops ou solu-
de la surveillance clinique, biologique, réalisation d’un tions buvables peuvent, de plus, contenir des quantités
électrocardiogramme, etc.) permettent d’éviter la sur- significatives d’alcool.
venue de l’interaction. F Les produits et médicaments de la phytothérapie
F À prendre en compte (APEC) : destiné à attirer peuvent provoquer des interactions médicamenteuses
l’attention sur le risque de l’interaction, ce message fait s’ils sont associés avec les spécialités que vous prenez
allusion le plus souvent à une addition d’effets indési- régulièrement. Ainsi, un laxatif à base de séné modifie
rables. Il revient au médecin, lors de la prescription, les échanges hydroélectrolytiques intestinaux et stimule
d’évaluer l’opportunité de l’association. la motricité colique. Il peut donc entraîner des inter-
actions médicamenteuses : l’association avec les
Conseils aux patients pour minimiser médicaments donnant des torsades de pointe est
le risque d’interactions déconseillée tandis que celle avec les digitaliques et les
Lors de la dispensation, certains conseils peuvent être autres hypokaliémiants fait l’objet de précautions
donnés au patient afin de minimiser le risque lié aux d’emploi. w
interactions médicamenteuses [4,5].
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas
F Lorsque vous vous rendez chez votre médecin,
avoir de liens d’intérêts. votre dentiste ou votre pharmacien, signalez-leur tous
Actualités pharmaceutiques
4 • Supplément formation au n° 554 • 1er trimestre 2016 •