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JEAN-JACQUES ROUSSEAU

(1712-1778)
Les œuvres principales de Rousseau se groupent naturellement
en trois catégories, qui correspondent à trois moments de sa
pensée:

1. Œuvres de critique négative : Les Discours sur le


rétablissement des sciences et des arts, Le Discours sur
l’origine et le fondement de l’inégalité parmi les hommes,
La Lettre a Dalembert sur les spectacles

2. Œuvres constructives : La Nouvelle Héloïse, Le Contrat


social, L’Emile

3. Œuvres autobiographiques dont la publication est


posthume : Les Confessions, les Rêveries d’un Promeneur
solitaire, œuvre inachevé

Rousseau connaît la gloire avec son premier ouvrage,


Discours sur les sciences et les arts, écrit en 1749 et couronné
en 1750 par l’Académie de Dijon. Il s’y élève contre la
civilisation et devient le champion de la vie simple, de la
pauvreté et de la vertu. Il se propose de reformer sa vie, de
gagner son existence en copiant de la musique.
Il expose plus clairement sa pensée dans le Discours sur
l’inégalité parmi les hommes : l’homme est bien par nature,
mais il est corrompu par la société.

Rousseau se singularise dans l’histoire des lettres françaises


par ce que l’exégèse a nommé le destin de l’homme-œuvre,
victime de sa propre biographie, qu’il essaie de plier aux
exigences de son idéologie. Le conflit de Rousseau avec la
société le rendra un étranger et il se plaira à se voir et à se
présenter comme tel. Il le sera partout où son destin de
« picaro » portera ses pas. Il le sera encore par ses idées qui
augmenteront la distance réelle ou imaginaire qui le sépare
tour à tour des gens de lettres et des philosophes de son temps,
devenus, à ses yeux, tous ses ennemis, ses persécuteurs. La
rupture de Rousseau avec la société représente en même temps
la rupture du créateur avec la pensée des Lumières et
l’ouverture vers le Romantisme.

Julie ou La Nouvelle Héloïse, Lettres de deux amants


habitants d’une petite ville au pied des Alpes, recueillies et
publiées par J.J. Rousseau, a source dans l’amour de l’auteur
pour madame d’Houdetot. L’illusion d’un dernier amour, la
déception, l’aliénation, font partie des éléments
autobiographiques qu’il y mettra. La Nouvelle Héloïse est une
œuvre complexe qui apparaît comme une somme des idées,
des sentiments et des rêves de Rousseau. Car Rousseau,
l’étranger se retire dans la fiction, en édifiant un monde à sa
guise, qui le recompose de l’amertume de la réalité, un univers
qui lui offre une revanche sur la vie.

Ecrite sous forme de roman épistolaire, l’œuvre profitera des


ressources du genre, permettant à l’auteur de multiplier les
voix et les points de vue sur les questions qu’il y débat. Tour à
tour le je sera assumé par Julie, Saint-Preux, Claire, M.
Edouard, M. de Wolmar, le ton traversant lui aussi un champ
assez divers : confession, dissertation, réquisitoire.

Il y a dans La Nouvelle Héloïse deux parties distinctes :


jusqu’au mariage de Julie c’est le roman de la passion
contrariée des amants, après le mariage c’est le roman de la
vertu conjugale. Au point de vue de la composition, Rousseau
crée une symétrie entre les deux parties par la reprise de
certaines scènes, ce qui éclaircit l’évolution sentimentale des
protagonistes.

En ce qui concerne l’ordre temporel du roman, on peut


affirmer qu’en grandes lignes le temps du discours coïncide
avec le temps du récit : le destinateur s’adresse à son
destinataire en lui racontant des faits, en lui présentant des
états d’âme, en lui décrivant des paysages qu’il vient de vivre
ou de voir. C’est cette superposition des deux temporalités qui
permet à l’auteur de tresser les fils des événements. Mais
l’évocation des moments ponctuels s’accompagne souvent
d’un retour en arrière, à des moments révolus, que le mémoire
actualise et fait revivre. Tout moment présent est le temps du
malheur, par rapport auquel le passe devient le bonheur perdu.
Le ton élégiaque transforme, dans cette perspective, même le
temps de l’absence en moments de félicite, car il était animé
par l’espoir, tandis que le présent en est exempt. Pour Julie, le
temps passé se colore de péché, ce qui lui donne le sentiment
de culpabilité. Dans cette perspective temporelle moralisée, ce
qui pour le cœur a été le bonheur, devient pour la conscience
un bonheur coupable.

Rousseau maîtrise parfaitement, d’une manière très moderne,


la temporalité de son roman, en la soutenant avec le devenir de
ses héros : leur parcours linéaire est fait d’une succession de
moments passés relatés par des narrateurs différents, de sorte
qu’à la fin le lecteur découvre qu’ils ont changé, tout en
restant fidèles à eux-mêmes.

La nouveauté de La Nouvelle Héloïse ne consiste pas


uniquement dans la thématique abordée, mais aussi et surtout
dans le style lyrique crée par Rousseau. Il laisse ses héros
exprimer directement leurs passions, il cultive l’effusion
sentimentale. De plus, il y a tout un langage des gestes qui
accompagne la parole et trahit les états d’âme que la pudeur
voudrait cacher. Mais surtout l’associer à l’homme. La nature
n’est plus un simple décor, elle est un véritable personnage
lyrique, présent dans la vie des héros, fusionnant avec leurs
états d’âme, les provoquant même.

Chez le Rousseau le temps, l’espace et le sentiment forment


un triangle inséparable, ou chaque élément conditionne les
autres, comme dans le célèbre fragment de la promenade sur le
lac : ici, le mouvement régulier des vagues suggère au héros la
répétition temporelle et ressuscite le passé, provoquant un
moment de crise sentimentale. Le même mouvement, par sa
douceur, induit le calme dans son âme.

La nouvelle Héloïse représente la première confirmation


esthétique de la valeur du roman sentimental. Son succès à
l’époque est immense. Par cette œuvre Rousseau rompt
définitivement avec l’esprit des Lumières, donnant à la
littérature une orientation vers l’exploration de l’âme humaine
et ouvrant la perspective du futur roman romantique.
Emile- le problème de l’éducation devait fatalement s’imposer
à Rousseau : c’est seulement en agissant sur les jeunes
générations qu’on peut espérer faire revivre l’homme naturel
dans l’ordre social. Il écrivit Emile avec amour, en pensant à
l’enfant qu’il aurait voulu être. On objecta à l’auteur que son
postulat initial (sur l’absence de mauvais instincts chez
l’enfant) était faux, - que le sens, l’intelligence et la moralité
se développaient simultanément, - que les truquages
perpétuels grâce auxquels le percepteur d’Emile dirige
l’éducation de cet enfant de la nature en lui laissant l’illusion
de sa liberté, étaient le comble de l’artifice. Il rappelait que
l’objet essentiel de l’éducation est de former des hommes et
non des mandarins.

Contrat social-fragment d’un livre inachevé, les Institutions


politiques. – construction purement théorique, menée en
dehors du temps et du l’espace.

Ce petit livre devenait le Coran des révolutionnaires ; il


inspirait la déclaration des droits de l’homme et du citoyen; il
servait à légitimer les violences des jacobins. Aujourd’hui
encore, sa critique de la propriété est à la base des doctrines
sociales et communistes modernes
Il formule la théorie de l’étatisme absolu : le souverain y est
souverain maître des biens, de la personne, de la conscience
même des particuliers. On a soutenu que Rousseau, si
passionnément attache aux droits de l’individu, s’était ici
contredit lui-même ; c’est faute d’avoir pris garde que
l’étatisme était pour lui un moyen, le seul qui lui paraissait
possible pour dissoudre les forces qui opprimaient l’individu
et pour maintenir au profit de l’individu l’égalité ainsi rétablie.

Les Confessions- écrit autobiographique

Par cette œuvre, Rousseau prétend se montrer à ses


adversaires réels ou imaginaires tel qu’il est, sans aucune
correction, en pleine sincérité. Par la confession de ses erreurs
et péchés, l’auteur veut se justifier et s’absoudre lui-même
contre tout calomniateur. Les confessions ont un double
destinataire : dieu et les hommes. On constate la présence
diffuse du lecteur, le témoin possible se réduisant le plus
souvent au on indéfini.

Rousseau nous présente vraiment sa transformation : il est


devenu un homme moral par une rude confrontation avec les
imperfections, les impuretés, les vices de son être, tout aussi
puissants que ses vertus.

En parlant du style de Rousseau, on découvre 2 « tonalités »


particulièrement significatives : le ton élégiaque, qui exprime
le sentiment du bonheur perdu, favorisant le passé au
détriment du présent et faisant du moment de l’écriture le
temps de la disgrâce, et la narration de type picaresque, pour
laquelle le passe est « le temps faible », c’est-à-dire temps des
faiblesses, de l’erreur, des humiliations.

Passé et présent sont doublement valorisés par Rousseau : le


passé est tour à tour objet de nostalgie et objet d’ironie, le
présent est regardé tantôt comme état de dégradation morale,
tantôt comme état de supériorité intellectuelle.
LE ROMAN AU XIXe SIECLE
- les premières années du XIXe siècle enregistrent une crise
du roman
- vers le gothique et vers l’intrigue sentimentale
- le roman sentimental →le roman intime= cultive le ton
pathétique et déplace le conflit vers l’intérieur
(Chateaubriand, Benjamin Constant, Senancourt)

Le roman historique- le fruit du romantisme

L’influence de Walter Scott

-Donne le tableau fidèle du passé

-Introduit dans le roman des innovations :

- la description de mœurs et des caractères ;

- le dramatisme de l’action ;
- le grand rôle accordé au dialogue.

- le décor est peint avec minutie et sensibilité ;


- le costume est celui du temps qu’il décrit ;
- l’histoire- pleine de couleur et de vie.

Les personnages

- n’appartiennent pas aux grandes personnalites historiques;


- ce sont des gentilshommes;
- leur mission- mediateurs entre les extrêmes dont le conflit
fait l’intrigue

La structure narrative

- liaison établie entre l’individu et son milieu;


- les details physiques et vestimentaires, les elements du
decor s’attachent a restituer la couleur locale
- la description des milieux et le portrait occupent une large
place

VICTOR HUGO
(1802-1885)
ROMAN HISTORIQUE- « Notre Dame de Paris »

- une imitation d’après Walter Scott


- le livre apporte au-delà d’un sujet factice, une évocation
colorée du Paris moyenâgeux
- œuvre « d’imagination, de caprice et de fantaisie »
- va vers une suite de tableaux qui ressuscitent toute une
époque
- ne met pas au premier plan les grandes figures de l’histoire.
Ses personnages= individus anonymes
- le conflit érotique y tient la première place. Chez Walter
Scott, le conflit passionnel sert à mettre en évidence
l’énergie de l’histoire, tandis que chez V. Hugo l’histoire
devient un prétexte.
- Avec Notre Dame de Paris le roman historique devient une
épopée médiévale, par la vie tumultueuse qu’il donne a une
ville et a une cathédrale, ainsi que par le caractère
symbolique de ses personnages.
- Victor Hugo crée un roman pittoresque qui se remarque par
le mouvement des foules, les qualités dramatiques et les
vertus du dialogue.
- apporte le combat du bien et du mal
- le conflit devient moral
- l’histoire devient ainsi une leçon de morale

Victor Hugo- romancier


Victor Hugo vient au roman de très bonne heure. Après le
roman historique « Notre Dame de Paris », il publie « Claude
Gueux » une ébauche des « Misérables ». La parution des
« Misérables » est reçue par réserves de la part de Flaubert,
des Goncourt ou de Zola.

Il se laisse conquérait par la fantaisie dans la peinture de la


réalité. Il préférait le romantisme au réalisme et le
spiritualisme au positivisme.

« Les Misérables » sont le roman de toute une vie, l’épopée


d’une conscience humaine qui passait du mal au bien ;
l’odyssée de l’homme rejeté par la société, cet homme qui
réussit à se redresser et qui monte vers l’épreuve suprême. Il
édifie un roman énorme, en huit volumes trop chargé et inégal,
mais puissant et riche, fruit de l’imagination épique et d’une
documentation sérieuse.

- le roman est dominé par une thèse humanitaire: l’injustice,


l’indifférence, le système répressif, poussent les
« infortunés » à devenir des « infâmes » ; pour les sauver, il
faut de la patience et de l’amour, il faut de l’instruction, de
la justice sociale et de la charité chrétienne.
- ce que V’H. se propose par ce roman est de composer « une
montagne », «  le poème de la conscience humaine », « une
épopée supérieure et définitive ».

La période envisagée était 1815-1832. Le conflit était moins


social que moral et philosophique. On n’envisageait pas la
lutte des pauvres et leur libération, mais l’ascension vers un
idéal spirituel= l’épopée d’une conscience

Michel Raymond dit que « V.H. ne s’intéresse pas à la


réalité sociale de Jean Valjean, mais à son salut. »

- c’est la réalité qui envahit le roman et les événements


historiques y occupent une large place

Les personnages

- quoique symboliques, existent ;


- ont une vie romanesque puissante et s’imposent par leur
présence ;
- malheureusement leur psychologie est assez sommaire ;
- bâtis par contraste, ils mêlent les lumières et les ténèbres et
réalisent l’équilibre sur lequel repose le roman : l’évêque et
le policier, Cosette et Thénardier ;
- Jean Valjean lui-même « illustre le mythe d’un Satan
Christ » ( Raymon M.)
- les personnages secondaires prennent du relief et constituent
parfois de vrais créations : Gavroche, Eponine.

Les structures narratives

- l’œuvre laisse l’impression de chaotique

On décèle 5 parties dont 4 portent le nom d’un personnage :


Fantine, Cosette, Marius, Jean Valjean, le 4e L’Idylle rue
Plumet et l’épopée rue Saint-Denis a un sens unificateur

Chaque partie débute par une longue introduction ensuite c’est


le récit et l’analyse des personnages. Les débats de conscience
de Jean Valjean, l’évolution de Marius, l’évolution
sentimentale de Cosette constituaient une sorte de contrepoint
à l’action extérieure. « L’histoire contée se déroulait sur deux
plans : le monde et l’âme. » (Raymond M.) Hugo démultipliait
l’action romanesque au niveau de diversité apparente comme à
celui de la profondeur cachée.

Les trois premières parties de l’ouvrage « racontent les


cheminements des principaux personnages vers cette barricade
de la rue de la Chanvrerie.. ». Dès la 4e partie Hugo réunit tous
les fils de l’intrigue ; le rythme haletant du récit, après les
lenteurs d’une triple préparation, emporte d’un seul coup tous
les personnages.

De grandes digressions interrompent le déroulement du temps


romanesque pour imposer une vision simultanée de
l’ensemble.

Un vrai mythe de l’auteur élève celui-ci à l’omniscience.


Hugo c’est la Providence qui voit tout, qui connait tout et qui
dirige les moindres gestes de ses héros.
LE ROMAN RÉALISTE
HONORÉ DE BALZAC
(1799-1850)
Principales œuvres : Le dernier Chouan ou la Bretagne en
1800 [Les Chouans]-1829 ; Scènes de la vie privée,1830 ;
La peau du chagrin, 1831 ; Romans et contes
philosophiques, 1831 ; Le médecin de campagne, 1833 ;
Scène de la vie de province, 1833 ; Séraphita,1834 ; Le Père
Goriot, 1834 ; Scènes de la vie parisienne, 1834 ; La
Recherche de l’absolu, 1834 ; La femme de trente ans,
1834 ; L’Interdiction 1837 ; Les employés, 1837 ; La Vieille
Fille, 1837 ; Illusions perdues, Béatrix, 1839 ; Une
ténébreuse affaire, 1841 ; Ursule Mirouët, 1841 ; Un début
dans la vie, 1842, Splendeurs et misères des courtisanes,
1843 ; Les Paysan, 1844 ; Petites misères de la vie
conjugale, 1844 ; La cousine Bette, 1846 ; Le Cousin Pons,
1847

Le roman réaliste se trouve en germe dans les théories


romantiques. Par le goût du concret et la préoccupation du
détail précis, par les ambitions d’exactitude du roman
historique, le romantisme ouvre au fond, la voie au roman
réaliste.
Apres 1830, Balzac s’arrête, dans de nombreuses préfaces sur
la valeur du détail que ses prédécesseurs n’avaient pas inclus
dans leur programme.

Le réalisme de Balzac sera visionnaire. Pour mieux saisir les


mécanismes sociaux, le romancier sera doublé du philosophe.
La philosophie de Balzac, exposée dans l’Avant-Propos à la
« Comédie Humaine » repose sur la constatation qu’ « il n’y a
qu’un seul animal ». Il y a des « Espèces sociales comme il y a
des espèces zoologiques ». A la différence de l’animal,
l’homme saura transposer sa vie intérieure dans l’aspect
extérieur.

Le romancier philosophe sera donc doublé du peintre, qui à


l’aide de la description minutieuse du milieu, des vêtements,
de traits physiques et des particularités du langage pourra
suggérer le côté profond de l’individu.

La matière du roman est l’histoire des mœurs. Pour réaliser


l’image globale de son époque, le romancier a l’idée de relier
les romans les uns aux autres à l’aide des personnages
reparaissants.

- préoccupé de la structure de l’ensemble

Les chefs-d’œuvres de Balzac


Eugenie Grandet

- a imprimé le cachet à la révolution que Balzac a portée


dans le roman.
- là c’est accomplie la conquête de la vérité absolue dans
l’art, là est le drame appliqué aux choses les plus simples
de la vie privée. C’est une succession de petites causes
qui produit des effets puissants.
- Une étude minutieuse des mœurs de la vie de province
- le roman balzacien est construit sur un modèle
dramatique qui exprime une vision dynamique du réel,
une attitude philosophique.
- la forme (structure narrative) du roman balzacien est une
réponse aux interrogations de la réalité, une lecture et un
commentaire du réel.
- pour lui un drame= une suite d’actions, de discours, de
mouvements qui se précipitent vers une catastrophe
- le discours narratif balzacien se développe ensuite et
s’étale dans des espaces textuels amples qui semblent
suspendre le récit par des retours en arrière et des
descriptions détaillées. La description de la maison de
Grandet n’a pas seulement une valeur pittoresque : elle
aide à comprendre. Grâce au procédé de retour en arrière,
l’exposition gagne de la profondeur, la durée pénètre
ainsi le roman.
- Balzac fait appel à l’une des ressources traditionnelles de
la narration, l’analepse, la rétrospection, l’évocation d’un
événement (ou une série) antérieure au moment où
débute l’action. La fonction est de récupérer la totalité
des antécédents narratifs pour expliquer les ressorts du
drame.
- Le narrateur reprend le récit là où il l’avait interrompu.
- L’insertion d’un nouveau personnage dans le récit
entraîne toujours une analepse, qui présente amplement
ses antécédents.
- dans l’intention de révéler les relations d’interdépendance
qui relient l’homme au milieu où il vit, le narrateur
omniscient interrompt le récit des événements par des
longs fragments descriptifs.
- la description accumule une multitude de détails à
fonction référentielle
- par les détails le narrateur donne des informations sur le
logement, la physionomie, les vêtements des
personnages, pour marquer leur condition humaine est
sociale.
- dans le roman balzacien la perspective narrative est
généralement l’attribut du narrateur.
- l’omniscience d’un personnage est toujours
l’omniscience de l’auteur
- récit à la troisième personne
- le retour des personnages- la reprise des personnages
dans divers romans. Le Père Goriot est le premier roman
ou ont apparu des personnages créés pour des romans
parus antérieurement

Point de rencontre de nombreux personnages balzaciens le


roman est considéré la cellule-mère de la Comédie Humaine.

Thèmes fondamentaux de l’univers balzacien

 le thème de la paternité
 le drame de l’argent
 l’assaut des ambitions à la conquête de la fortune
 Paris comme un alambic ou les valeurs humaines se
transforment en contact avec le jeu des intérêts

Ces personnages reparaissants forment le fond social constant


de la Comédie Humaine. La réapparition des personnages dans
des moments et des circonstances différentes de leur
trajectoire individuelle provoque une multiplication des plans
de la narration.

Le récit linéaire est remplacé par le récit -mosaïque où chaque


segment narratif est lie à l’ensemble, des éléments du récit
connus dans d’autres romans ajoutent des résonnances
supplémentaires à l’action racontée et ouvrent des perspectives
vers des destinées et des conflits complexes.

Possédés par le soif de connaître, par l’amour ou la haine, par


l’ambition de s’élever dans la hiérarchie sociale- les héros de
Balzac vivent l’épopée de la volonté

Le personnage balzacien

- Balzac entretient avec ses personnages une relation


autoritaire, le romancier omniscient étant maître absolu
du temps et de l’espace. En même temps, a l’intérieur et a
l’extérieur de ses personnages, il illustre la « focalisation
zéro », le point de vue de Dieu.
- Il envisage l’homme comme représentatif d’un groupe
social.
- Les personnages balzaciens subissent les déterminations
historiques et sociales. Si Harpagon reste isole dans la
passion, Grandet est le fruit de son époque. Balzac
restitue aux archétypes la dimension humaine. Ils se font
en contact avec les réalités sociales. Rastignac, avant
d’être l’arriviste sans scrupules, a été un jeune homme
plein de candeur et tendresse.
- L’attitude du romancier à l’égard de ses personnages est
celle du père Goriot à l’égard de ses filles. Il les décrit,
les juge et la mystique de la paternité envahit le monde de
la Comédie Humaine.
STHENDAL

Principales oeuvres: Correspondance, 1800-1842; Journal,


1801-1823; Pensées. Filosofia Nova, 1802-1803 ; De
l’Amour, 1822 ; Racine et Shakespeare, 1823, 1825 ;
Armance, 1827 ; Le Rouge et le Noir, 1830 ; Souvenirs
d’Egotisme, 1832 ; Lucien Leuwen, 1834-1835 ; Vie de Henry
Brulard, 1835-1836 ; Mémoires d’un touriste, 1836 ; La
Chartreuse de Parme, 1839 ; Chroniques italiennes, 1839 ;
Lamiel, 1839-1842

Stendhal et le roman psychologique

- Les romans de Stendal impliquent une expérience


L’action de chacun tourne autour d’un jeune homme qui
ressemble plus au moins à l’auteur, mais qui évolue dans un
autre milieu et qui a un autre sort. Autour de ce personnage
central gravitent quelques figures vivantes inspirées de ses
connaissances mais jamais copiées.

Armance- le thème de l’impuissance physique séparant deux


amoureux. Fidèle à son idée de réalisme subjectif, il cherchait
une certaine vision du monde, l’image de la société parisienne
donnée par un infirme. L’intrigue était le contraire d’une
idylle. Elle débute par l’amour, continue par l’amitié et la
séparation définitive.

Si Armance est le roman de la faiblesse, le rouge et le noir est


le roman de l’énergie et de la volonté.

- la matière du roman- la France de 1830, la province et Paris

Julien Sorel- illustre l’énergie provinciale, les classes pauvres


en ascension. Sous Napoléon il aurait été rouge, c’est-à-dire
soldat. Sous la Restauration, ce sera le noir qui l’aidera à
parvenir.
- il est séminariste. Ensuite, c’est la conquête par les femmes.
Madame de Rênal, Mathilde de la Mole mêlent leurs destinées
à celle du héros.
- Au fait divers et à l’expérience personnelle, Stendal ajoute
des évènements historiques réels empruntés à la société de
1830.

- Les luttes de l’opposition libérale et de la congrégation


donnent à ce livre un accent de vérité

Julien Sorel qui veut réussir doit très bien connaître le


contexte social et se plier à ses exigences.

- Le Rouge et le Noir est un des premiers roman du XIXe


siècle dont le héros est âprement confronté au monde réel.

- le réalisme de Stendal s’ajoute à ses vertus de psychologue


et de moraliste.

Le Rouge et le Noir= l’histoire d’une âme noble, d’un


passionne qui souffre de ce décalage qu’il constate entre son
génie et sa condition

Lucien Leuwen- sur les 3 parties que comprend le pan, Stendal


n’en a réalisé que 2. Dans la première – l’amour de Lucien
pour madame Chasteller, dans la deuxième envisage
l’expérience politique du héros de même que sa liaison avec
madame Grandet.

- le roman de l’initiation. A travers des expériences diverses,


le héros connaît le monde réel et se découvre soi-même.
La chartreuse de Parme nous plonge dans l’atmosphère
chargée de la Cour de Parme en 1815, la duchesse Sansévérina
veut pousser son neveu Fabrice et en faire une archevêque.
Apres avoir lutter à Waterloo Fabrice del Dongo change le
rouge par le noir.

- Le héros de ce roman est un autre Julien Sorel

- Jeune passionné et intelligent, il vit dans un monde qu’il


déteste. Admirateur de Napoléon, Fabrice doit tricher pour
réaliser ses rêves de grandeur.

- A la différence de Julien qui est un solitaire, Fabrice est


toujours entouré de monde.

- Habitue à la société, il fait du mensonge un savoir-vivre

- Il a une merveilleuse aptitude au bonheur ce qui l’approche


de son auteur

Lamiel – l’héroïne de ce roman inachevé est la réplique


féminine du Julien Sorel. Tout aussi énergique et forte que
celui-ci, Lamiel ne finit pas sur l’échafaud, mais ne peut
trouver l’amour qu’auprès d’un forçat.
L’originalité de Stendhal

- roman de la condition humaine, le roman stendhalien part à


la recherche de l’homme supérieur

- Stendhal étudie la psychologie amoureuse, mais ne perd pas


de vue la volonté et l’énergie

- Il explore la sensation. Les mystères de l’âme sensible le


préoccupent dans le plus haut degré.

- De l’observation du soi, il arrive à l’observation des autres

- Ses romans brossent un vaste tableau de la société française


et italienne

- Le Rouge et le Noir dévoile la Restauration à travers la


perspective intérieure de Julien Sorel

- l’accommodation du personnage suppose une leçon


d’hypocrisie et de faux-semblant

- à la différence de Balzac, Stendhal s’intéresse à l’analyse du


cœur humain
Le personnage

Auerbach dans Mimesis considère Stendhal le fondateur du


réalisme dans ce sens qu’il a lié l’individu au milieu qui l’avait
produit.

- L’opposition entre la volonté et une destinée assez souvent


tragique, confère à l’individu un statut héroïque.

- Le héros stendhalien est un individu actif qui va à la


rencontre de l’aventure

- Il refuse l’hypocrisie comme ennemi de la spontanéité et


adopte la provocation.

- Il commence par se cherche un modèle qui pour Julien


Sorel ou Fabrice del Dongo est Napoléon Bonaparte.

- Entre le héros et son désire intervient un médiateur qui est


de nature interne parce qu’il appartient au monde réel

- Le héros stendhalien s’oppose au héros romantique qui ne


reconnaît jamais son modèle

- le personnage offre des hypostases diverses.

- Si Julien Sorel s’efforce d’étouffer en lui la voix d’une


sensibilité folle, Fabrice del Dongo ne s’intéresse qu’à son
bonheur. Entièrement détaché du contingent, Fabrice
promène dans les salons une indifférence à l’égard du
monde qui est l’expression d’une suprême sagesse.

- Individualiste et épicurien, Fabrice illustre dans le plus haut


degré le beylisme (double attitude devant la vie) propre au
personnage de Stendhal : le culte du moi (l’égotisme), l’art
de découvrir le bonheur par l’affinement de l’intelligence et
de la sensibilité.

- Le culte du l’énergie nous dévoile un être fort, toujours


préoccupe a étouffer ses passions.

- Le combat avec soi-même, le rend imprévisible, redoutable,


mais également vulnérable.

- Etre d’élection, ambitieux et orgueilleux, le personnage


stendhalien sera moins la victime d’une fatalité sociale,
mais plutôt d’une fatalité biologique.

L’art narratif

- N’adopte pas le modèle de Walter Scott, sa structure


romanesque ne réside pas dans cette longue exposition et
cette action dramatique qui se précipite vers le dénouement.

- La composition procède d’une succession d’épisodes qui


suivent les étapes d’une vie.
- L’ordre est donné par l’enchaînement temporel des
événements et le retour en arrière n’apparait que très
rarement chez Stendhal, prêt surtout à accélérer qu’à
ralentir.

- Dans « Le Rouge et le Noir » seul le récit d’enfance de


Julien transfère le lecteur au passé. Dans le reste on se
trouve dans un présent continu ou l’analyse est tout aussi
rapide que l’action.

- A l’intérieur du roman, les descriptions sont assez courtes,


d’un seul trait, Stendhal évoquant un vaste paysage.
Lorsque les descriptions sont faites par les personnages eux-
mêmes, elles sont fragmentaires, à mesure que ceux-ci
découvrent la réalité extérieure.

- Une restriction du champ narratif aux perceptions et aux


pensées d’un seul personnage. L’image de la totalité est
réalisée par le changement de foyer et par l’instruition de
l’auteur.

- On a accès à la pensée des personnages par le monologue


intérieur. Le récit de l’auteur est lie à celui-ci par le discours
indirect libre. Le lecteur saisit donc le personnage d’une
perspective complexe, de l’intérieur et de l’extérieur ce qui
conduit à la transparence totale du livre. Le lecteur vise
donc a l’omniscience

- La présence de l’auteur dans ses romans est d’habitude


ambiguë

Les épisodes d’une vie

Dans Le Rouge et le Noir, Lucien Leuwen, Stendhal échappait


au schéma balzacien : la division en chapitres est parfois
hasardeuse, l’auteur adopte le principe d’une simple
succession d’épisodes pour suivre les étapes d’une vie

- Assure à son récit, même s’il prétend que l’idée de faire un


plan le paralyse, une forte structure par un jeu de contrastes
et de symétries

Stendhal et le souci de l’exactitude

Ce gout de la vérité fondée sur l’observation intime écartera


même Stendhal du roman en le conduisant à l’autobiographie

- Il s’opère dans son œuvre une circulation entre


l’autobiographie et le roman ; il entend bien pénétrer ses
fictions de la vérité qu’il avait pu observer en lui-même

- L’image du miroir revient volontiers sous sa plume. « Un


roman : c’est un miroir qu’on promène le long du
chemin. »- met en évidence le caractère réaliste de son art.
Si chez Balzac on peut parler d’un miroir concentrique,
captant les multiples facettes de la réalité, chez Stendhal
« le miroir qu’on promène » se rapporte à la fois à une
réalité intérieure (de l’individu) et à une réalité extérieure ce
qui confère une double forme au roman stendhalien : la
forme biographique et la forme chronique.

- Il y a dans Le Rouge et le Noir, à côté des souvenirs


personnels et des faits divers trouvés dans La Gazette des
Tribunaux, des éléments qui sont empruntés à la chronique
de 1830. Ces « pilotis » historiques donnent au roman son
accent de « vérité, d’âpre vérité ».

- Julien, est contraint, s’il veut réussir, de se plier aux


exigences des forces dominantes. C’est par là que Stendhal
montre son souci de la vérité et qu’il fait faire au roman
moderne un progrès décisif : le héros doit affronter les
rigueurs du monde véritable.

Le Rouge et le Noir, Lucien Leuwen présentent une image


vivante des mœurs du temps et des forces qui s’affrontent.
Avec Lucien Leuwen, Stendhal est encore allé plus loin dans le
souci d’exactitude.
L’exacte représentation des mœurs du temps, la peinture d’un
héros qui éprouve sa valeur au contact du monde nous fait
assister, avec Le Rouge et le Noir à la naissance du roman
moderne.

- Ce roman dresse le personnage de Julien dans toute sa


stature de d’ambitieux : s’il échoue, ce n’est point par sa
faiblesse, mais par celle d’une femme qui l’a aimé. L’auteur
met en relief la noblesse du héros vaincu.

Lucien Leuwen- le roman comporte moins de netteté dans sa


progression et dans sa construction. Lucien est hésitant,
indécis, critique de lui-même, plus inquiet que ne l’était
Julien. Il a des contours flous, quand le caractère de Julien
présentait des arrêtes vives.

L’actualité nourrit le roman de références constantes. L’amour


du héros pour Mme Chasteller est la seule valeur qui soit
préservée, il fait contraste avec la misérable horreur au sein de
laquelle Lucien est oblige de vivre, à laquelle même il lui faut
participer s’il veut sortir de soi et devenir quelqu’un.

Stendhal ne veut pas se parer des dons du narrateur omniscient


de type balzacien, qui prend en charge la présentation des
événements et des personnages. Il fait de ses héros- le centre
de perspectives.

On a affaire dans le récit stendhalien à plusieurs types de


perspectives ou de « visions ». Stendhal investit ce héros du
don de voir les choses et puisque ce héros est toujours tourné
vers l’intérieur, prêt à analyser ce qui se passe autour de lui en
fonction de ses pensées et de ses sentiments, on peut parler
« d’une vision intérieure »

- Vision extérieure, agrémentée par une infinité de tons-


ironique, espiègle, familier, tendre

- Vision complice lorsque le narrateur regarde son héros par


les yeux d’un autre personnage

- Stendhal sait allier le général au particulier, le subjectif à


l’objectif, le concret à l’abstrait, la clarté à l’ambiguïté

Julien, Fabrice, Lucien, Lamiel- leur vie intérieure est faite


de débats incessants, tout est expérience et découverte pour
eux.

- agissent au nom de leur propre éthique, ils ne se soucient


pas de plaire aux autres.
Poursuivant la trajectoire d’une existence, Stendhal présente le
déroulement chronologique du temps, ce qui assure la
cohésion de l’intrigue.

On distingue 2 niveaux temporels :

- celui de la narration (exprime par le passé)

- celui du personnage qui vit au présent


GUSTAVE FLAUBERT

(1821- 1880)

Principales œuvres : Madame Bovary, 1857 ; Salammbô,


1862 ; L’Education sentimentale, 1869 ; La Tentation de Saint
Antoine, 1874 ; Trois Contes ( Un cœur simple, La Légende de
Saint Julien l’hospitalier, Hérodias), 1877 ; Bouvard et
Pécuchet, inachevé, posth.1831 ; Correspondance, posth.,
1909-1912
G. Flaubert illustre, d’après Albères, le réalisme documentaire.
Son réalisme, il le définit au moment où il compose Madame
Bovary : « Je voudrais écrire tout ce que je vois, non tel qu’il
est, mais transfiguré. »

La littérature pour lui devient une libération car transfigurer la


réalité est une façon de la nier. Le sujet de la plupart des
œuvres est tire de la réalité ignoble qui exerce sur lui, comme
sur Baudelaire, une étrange fascination.

Madame Bovary

- S’inspire d’un fait divers


C’est l’histoire d’un médecin de Ry, Eugène Delamare, qui
meurt de chagrin après l’empoisonnement de sa femme.
Flaubert reprend cette histoire qu’il place dans le décore banal
d’un bourg de province.

L’héroïne, Emma Bovary, lectrice passionnée des romans


sentimentaux et douée d’une sensibilité vive, se cherche des
évasions dans les rêves.

Elle transfigure la réalité, tout prend dans son imagination des


proportions exagérées. Cette puissance d’illusion devient le
vrai sujet du livre. (le bovarysme)
- cette fusion du réel et de l’imaginaire rend Emma
pathétique.
- une succession de tableaux et de scènes suggérait
l’écoulement d’une durée
- la construction en spirale procédait par la reprise des
thèmes plus amplement développés
Le style indirect libre permet à Flaubert de s’insinuer dans la
conscience de son héroïne. L’auteur qui se veut impassible,
mai qui affirme « Madame Bovary c’est moi » se dissimule
derrière la lutte avec les mots et derrière l’ironie. Le style
devient l’instrument de parodie et de caricature.

L’ironie qui transforme le lecteur « en complice de sa


destinée » devient tragique.

Si l’entourage d’Emma accepte la médiocrité, elle seule, par


son refus, connait le gout de l’absolu.

Salammbô

- c’est la rêverie voluptueuse, c’est le goût de l’Orient


barbare
- ressuscite un monde artificiel, repose toujours sur la
documentation
- le sujet est tiré d’un fait réel
- ce roman d’un monde fastueux est à l’opposé du banal
qui faisait la matière de Madame Bovary.
- à la limite du roman historique et du roman personnel,
Salammbô c’est le désire de la solitude, le désir de sortir
du monde moderne.
- la réalité semble fixée dans un présent éternel et le
paysage se pétrifie

L’éducation sentimentale

Le roman de l’échec, L’éducation sentimentale n’est pas


seulement le roman d’un temps, c’est celui d’une vie. Flaubert
suit de près le paysage de l’adolescence à la maturité,
jusqu’aux résignations de la cinquantaine. L’autobiographie y
tient une large place.

Son roman se retrace les espoirs et les déboires d’une vie ; il


est fait du tissu ordinaire des jours, il ne fait pas la pyramide.

On assiste à une lente désagrégation d’une vie.

La succession des scènes rend sensible l’émiettement de la vie


en une poussière de menues circonstances.
Les démarches succèdent aux démarches, les visites aux
visites, les conversations aux conversations.

Le roman de Flaubert donne l’impression de ce qui se passe


dans la vie, ou il ne se passe rien, ou c’est la vie qui passe.

Flaubert écrit avec « L’Education sentimentale » le roman


d’un temps désemparé : les hommes ont cessé de déterminer
l’Histoire, ils sont marqués par elle.

Flaubert a une vue lucide, dès le début, de ce qu’il voulait


faire, ou plutôt de la seule chose qui restait à faire dans
l’époque qui était la sienne.

« Je veux, écriva-t-il, faire l’histoire morale des hommes de


ma génération ; « sentimentale » serait plus vrai. C’est un
livre d’amour, de passion, mais passion telle qu’elle peut
exister maintenant, c’est-à-dire inactive. »

L’éducation sentimentale a passé longtemps pour être un


roman dépourvu de composition : les épisodes se succèdent
sans cette « fausseté de perspective » par laquelle l’artiste,
disait Flaubert, donne ordinairement un sommet à son œuvre,
lui fait « faire la pyramide ».

L’intrigue tourne autour d’une rencontre qui est celle du jeune


Flaubert et de Mme Schlésinguer.
L’art de Flaubert devient moins impersonnel pour faire revivre
des souvenirs d’enfance et des personnages qu’il avait
réellement connus.

C’est le roman de l’expérience qui évoque l’adolescence et la


maturité de toute une génération.

- réalise une véritable fresque historique


- du roman personnel il arrive au roman des mœurs
- met sur le premier plan les personnages secondaires de la
vie historique
- a une valeur documentaire
- Fréderic Moreau est un velléitaire, un héros désemparé,
dépourvu d’énergie, tout à l’opposé des personnages
stendhaliens
- incarne une génération en déroute, un monde qui se
désagrège
- le thème de l’échec, le thème « des illusions perdues »
était repris et amplifié;
- l’amour pour une femme mariée c’est un rêve impossible
dans ce décor de la banalité.
- La technique romanesque est faite d’une succession de
scènes. L’intrigue réduite au minimum annonce
l’esthétique naturaliste
Bouvard et Pécuchet

- Œuvre posthume, est l’aboutissement de ce drame de


l’échec
- Le domaine envisage est celui de la science
- Les deux personnages, arrives à l’aisance vers la
cinquantaine, s’établissent à la campagne et décident de
tout connaître, depuis l’agriculture jusqu’à la philosophie.
Leur effort comprend d’habitude deux phases :
I. documentaire, théorique
II. pratique
- la distance narrative diminue
- le dernier chapitre, suggère le retour des héros à
l’automatisme d’autrefois
- avec ce roman débute la crise du genre romanesque
- L’énumération des sciences remplaçait la progression de
l’action
C’est la fin du roman d’analyse, la fin du personnage et la
démolition du langage.

- Le trajet circulaire, les deux héros revenant au point de


départ, est révélateur d’un échec qui ferme sur lui-même.
L’esthétique de Gustave Flaubert

Nature impétueuse et romantique, Flaubert est attiré, dans sa


jeunesse par Goethe et V. Hugo.

- doué d’une imagination ardente, épris du monumental et


du fantastique ;
- il s’impose la discipline la plus rigoureuse. Sa méthode
est celle des sciences biologiques.
- une documentation sérieuse précède la rédaction du
roman.
- Le roman ne devra pas révéler la vie intime de l’écrivain :
«  Je n’aime pas intéresser le public avec ma personne. »
Mais cette objectivité n’exclut pas l’utilisation des
éléments personnels. C’est que l’auteur doit se faire
entendre sans se faire voir.
- l’originalité de Flaubert est du à son style. « Etant à lui
seul une manière absolue de voir les choses » le style
devient dans le contexte flaubertien, rythme et musique.
- le langage littéraire sera celui de la précision et de la
vigueur
- l’idéal parnassien de la beauté formelle conduit Flaubert
aux « offres du style »- cette lutte de tous les jours avec
les structures et les mots
Les structures narratives

- le roman flaubertien se déroule comme dans la vie sans


bouleversements spectaculaires. La succession des scènes
où l’élément dramatique n’est pas prédominant fait
avancer une action d’habitude banale.
- Les structures statiques occupent, en échange, une place
de choix
- Les descriptions abondent, mais elles ne répondent pas,
comme chez Balzac, à une exigence d’ordre dramatique,
mais uniquement à la passion de contempler. C’est une
description gratuite qui suspend l’action et ne l’explique
pas. La tension dramatique est gênée par ces interruptions
descriptives.
Le personnage

- Est envahi par ce monde extérieur et la sensation devient


toute puissante
- le héros de Flaubert est l’adepte de la frénésie et de
l’expérience totale (Jean pierre Richard)
- le désir de destruction et de cruauté- Salammbô est la
meilleure illustration
- l’échec est à la mesure de l’entreprise, c’est l’échec total,
celui de Bouvard et Pécuchet
- « nature nerveuse et féminine » Flaubert fait preuve
d’une sensibilité extrême
- un idéaliste pour lequel les limites du réel et de
l’imaginaire sont bien fragiles
Composition symphonique

- Flaubert a inventé dans Madame Bovary, le principe du


récit éclate
- L’art lui est apparu comme le seul monde de
connaissance
- la nature de Flaubert est complexe : romantique par goût
et formation et classique par raison
Cette double tendance se manifeste par l’alternance des
sujets qu’il traite : M. Bovary/ Salammbô

- quel que soit le sujet, la méthode reste la même :


impersonnalité, observation et documentation minutieuse,
forme à la fois éclatante et sobre
Place de Flaubert entre le romantisme et le réalisme.

Ses goûts sont caractéristiques : il aime Victor Hugo et


Boileau, Montesquieu et Chateaubriand
- il est romantique et classique à la fois
- il tenait au romantisme par son éducation
- il avait hérité du romantisme : la haine du bourgeois, la
soif de l’étrange, de l’énorme, de l’exotique
ANDRÉ GIDE
(1869- 1951)

Principales œuvres: Les Cahiers d’André Walter, 1891; Le


Traité du Narcisse, 1892; Le Voyage d’Urien, 1893; Paludes,
1895; Les Nourritures terrestres, 1897; L’Immoraliste, 1902 ;
La Porte étroite, 1909 ; Isabelle, 1912 ; Les caves de Vatican,
1914 ; La Symphonie pastorale, 1919 ; Les Faux-
Monnayeurs, 1925-1926 ; L’Ecole des femmes, 1929 ; Robert,
1930 ; Les Nouvelles Nourritures, 1935 ; Geneviève, 1936 ;
Journal, 1932 et 1936 ; Thésée, 1936

Gide a été presque uniquement connu un des plus grands


écrivains de son siècle. Comparé à Malraux, Sartre, Camus,
Beckett, l’œuvre de Gide a relevé une frivolité. Mais
aujourd’hui on se rend compte que son œuvre renouvèle le
dialogue permanent entre l’art et le monde. Il a eu un esprit
très mobile désireux de tous connaître.
Il a eu des initiatives qui ont ouvert des perspectives nouvelles
à la littérature. Au début il a été influencé par le symbolisme
(la période décadente)

Le personnage Hathanaël- « les Nourriture terrestres »- il est


l’auteur même, il veut connaître le véritable sens de la vie,
l’exaltation, libération totale pour connaître toutes les joies de
la terre.

«  L’immoraliste »- conséquence de son voyage en Tunisie et


de son expérience

- se présente comme une nouvelle éthique qui devenait une


science

Toutes ses œuvres- une recherche patiente de la libération


complète de l’âme. Marqué par une éducation rigide conforme
aux traditions protestantes, étouffé par une affection
maternelle abusive il a voulu rompre ses chaînes.

Mais l’adolescent dispose à suivre son leçon devra commencer


par se libérer des contraintes qui entravent son élan vers les
joies de la terre.

Gide gardera malgré son désir de goûter la vie, un attachement


fidèle à Madeleine Rondaux et l’admiration pour la foi
chrétienne incarnée par Madeleine.
La plupart de ses œuvres révèle un conflit ou une oscillation
entre l’aventure et la sagesse, le plaisir et le sacrifice.

-être contradictoire ; ces contradictions il les met au compte de


l’ironie- des livres ironiques critiques.

Pour ses contemporains, Gide a été le grand contestataire de


l’éthique imposée par une société conventionnelle et
hypocrite, un destructeur qui a fait éclater la morale et le
langage, la psychologie des caractères.

Ses livres posent des problèmes de la vie morale, mais ne leur


apportent aucune solution. La seule réponse c’est l’œuvre d’art

On peut voir successivement les problèmes :

Les caves du Vatican- l’act gratuit

La Symphonie pastorale- pb. de l’amour

La porte étroite- pb. de l’amour

Les Nourritures terrestres- la théorie de la disponibilité

L’Immoraliste- le pb. de l’individualisme, de l’égoïsme

Le Prométhée- la liberté

Paludes- l’absurde
A un seul live il donne le titre de « roman »- Les Faux-
Monnayeurs

Gide renonce à la chronologie linéaire, utilisant la formule du


roman dans le roman= construction en abîme= métaroman.
Pour point de départ il a choisi une aventure extraordinaire,
une bande d’escrocs qui pour exploiter la crédulité du monde
catholique reprend le bruit que le pape a été enlevé de Saint
Siège.

Ainsi le monde chrétien se trouve déposséder de son chef


spirituel. Pour délivrer le pape, enfermé dans les caves du
Vatican, ces aventures organisent une croisade secrète et
volent l’argent des fidèles.

On trouve une faiblesse dans la structure romanesque ;


éléments divers qui s’ajoutent mais que rien n’attire, il n’a pas
pu achever son livre car les événements et les personnages ne
le conduisaient nulle part.

- l’influence de Dostoïevski dans la création du


personnage ; promoteur de l’acte gratuit

L’immoraliste
- œuvre important de Gide car s’est d’abord un témoignage
d’une époque

- Le schéma : - ligne ascendante- la découverte de


l’éthique

-la stagnation- l’application

- ligne descendante- les résultats

- une sorte d’osmose conjugale

Le roman est situé entre le symbolisme et l’existentialisme, le


naturalisme et le Nouveau roman

Les Faux-Monnayeurs

Gide l’a écrit après une correspondance avec Roger Martin du


Gard- ils ont médité sur la structure romanesque.

La critique a accueilli assez bien le roman ; attirée par sa


nouveauté technique. Il est à la fois théorie et pratique du
roman (la mise en abime). Au centre il y a oncle Edouard ; il
est en train d’écrire ce roman; il fait des réflexions sur le
roman et en même temps il a des relations avec les
personnages.
Le lecteur est dérouté par la structure, car l’auteur ne fait pas
une composition dramatique serrée, mais abandonne la
chronologie et disloque le récit.

Le roman présente à la fois 3 chapitres ; il trouve que « la


symétrie est nébuleuse ».

Refusant de conduire une intrigue centrale ferme, Gide


multiplie les intrigue qui s’entrecroisent et foisonnent dans des
directions diverses.

Oncle Edouard en liaison avec tout le monde forme un lien


assez artificiel. Cette structure nonchalante convient à ce
roman de l’adolescence, des êtres qui se cherchent, qui se
forment.

La structure profonde réside dans les thèmes non dans


l’intrigue.

Le thème : le titre du roman nous fait découvrir les thèmes les


plus importantes.

1. Il rappelle la Cande d’enfants menée par Strouvilhon


quittant d’écouler des fausses pièces de monnaies-
intrigue mineure

2. Il nous rappelle le titre du livre qu’Oncle Edouard


s’efforce d’écrire. Même si cette tentative souligne
l’importance du genre romanesque, on ne peut pas dire
que cette intrigue justifie le titre

3. Le titre possède une valeur symbolique, un thème


fondamentale, celui de la fausse monnaie morale

La monnaie symbolise les valeurs éthiques les faux-


monnayeurs-
MARCEL PROUST
(1871- 1922)

Principales œuvres: Les Plaisirs et les jours, 1896; La Bible


d’Amiens, 1904; Du cote de chez Swann, 1913; A l’ombres
des jeunes filles en fleurs, 1918; Le Cote de Guermantes,
1921; Sodome et Gomorrhe, 1921-1922; La Prisonnière,
1923; Albertine disparue, 1925; Le Temps retrouvé, 1927;
Chroniques, 1927; Correspondance générale, 1930-1936;
Contre Sainte-Beuve, 1954

“A la recherché du temps perdu”: Du côté de chez Swann, A


l’ombre des jeunes filles en fleurs, Le côté de Guermantes,
Sodome et Gomorrhe, La Prisonnière, Albertine disparue, Le
temps retrouvé

Par sa toute-puissante originalité de même que par sa masse


énorme ce roman-là représente pour le XX-e siècle français ce
que le roman de Balzac avait représenté pour le XIXe siècle.

- Il contribue mieux que nul autre au changement radical, a la


métamorphose que connait le roman de XX sicle
- - replie sur lui-même, uniquement attentif à « traduire »
fidèlement cette voix intérieure qui lui parle, à la surprendre
et fixer dans tout ce qu’elle a de fragile et de vulnérable
- A la recherche du temps perdu apporte une contribution très
importante à l’histoire des mœurs et pourrait être lu aussi
comme chronique et même comme satire d’une certaine
société.
- Différence essentielle entre Balzac et Proust, il faut
également admettre que les buts des 2 géants du roman
français sont tout différents. Si l’un veut créer un roman qui
se propose de reproduire de la façon la plus fidèle une
certaine réalité objective, l’autre ne s’intéresse a cette réalité
objective que pour nous dire que chaque conscience voit à
sa manière cette réalité et que le roman doit s’ingénier non
pas à peindre le monde, mais à monter ce qui se passe dans
une conscience se trouvant face au monde.
o L’un vise en tout premier lieu le monde objectif
o L’autre – la conscience subjective
- Balzac décrit le monde tandis que Proust décrit la façon
dont la conscience voit le monde.
- Le roman de Proust consacre la victoire de «  la durée » sur
le temps. Cette « durée » n’est autre que le temps subjectif
ou le temps vécu.
- La durée relève de l’expérience la plus intime et est
différemment perçue par chaque individu
- Le temps- « le temps des horloges » est un temps objectif,
abstrait, le même pour tous, il est conçu comme une suite
régulière d’unités égales et identiques les unes aux autres,
établies par convention
- Temps des horloges- parfaitement mesurable, règle notre
vie à tous, mais d’une certaine façon (extérieure) car notre
vie la plus intime est réglée par la durée→ la mémoire
volontaire

La mémoire involontaire
- l’opposé de la « mémoire volontaire » qui opère avec « le
temps des horloges » (le tp. chronologique)
- la mémoire involontaire opère tout spontanément, nous
surprenant par ses découvertes ;
- elle n’est pas commandée par l’intellect et par la volonté,
mais par la vie la plus secrète de notre inconscient, de notre
affectivité et de nos intuitions les plus obscures
- la mémoire volontaire nous livre un passé mort
- la mémoire involontaire nous livre un passé vivant, tout
aussi vivant que le présent que nous vivons
- ce passé revécu grâce à la mémoire involontaire a plus de
réalité que le présent même
- avec Proust le roman devient un roman- quête, un roman
gnoséologique
- la surprise produite par la mémoire involontaire arrête en
quelque sorte le temps sur une contemplation intérieure
- le sujet, détache de la sorte du monde extérieur, familier et
habituel, va pénétrer en lui-même
Chaque fois que la mémoire se déclenche, le narrateur a le
sentiment qu’il retrouve une sensation déjà ressentie et que
cette sensation lui apporte un message fondamental caché,
qu’il veut comprendre.
Le sens se dérobe toujours, mais en revanche, le narrateur
découvre chaque fois dans sa mémoire le moment du passé où
il a déjà eu cette sensation et il commence à raconter de sa vie,
ce qui suggère que le roman est autobiographique.

Chaque manifestation de la mémoire involontaire= comme


une impulsion qui détermine le narrateur à créer l’histoire de
son passé.

Nouvelle conception du personnage

- on a beaucoup utilisé le mot de « discontinuité » à propos


du personnage proustien
- il y a une discontinuité qui relève de cette pluralité des moi
(successifs, superposés) qui nous habitent et dont tantôt l’un
tantôt l’autre vont se manifester, remis au jour par la
mémoire involontaire ces moi sont contradictoires, ils sont
ce que nous avons été à tel moment de notre existence ou à
tel autre;
- ‘l’innommable », « l’incommunicable » de la vie de
conscience obscure, n’y est-il communiqué que par cet autre
moyen possible : il faut le chercher dans ce qui n’a pas été
dit, et en faisant appel à sa propre expérience intérieure
- Le roman de Proust, roman sans action et sans sujet, est
ennuyeux pour n’importe qui n’est pas capable de cet effort
- Le roman est nouveau depuis sa phrase gigantesque, dont
les méandres difficiles à suivre épousent les mouvements
obscurs de notre conscience, les associations arborescentes
suscitées par les sensations qui répondent, jusqu’à sa
composition qui a renoncé à suivre la chronologie des faits
Avec A la recherche du temps perdu l’expérience de l’espace
et du temps devient l’objet du récit

- dans A la recherche du temps perdu s’est opérée la


métamorphose du genre romanesque
- Proust avait une vive conscience de la singularité de son
entreprise
- comporte une part de chronique mondaine
- un roman d’initiation, puisque le narrateur passe par la
double expérience de la mondanité et de la passion avant
d’avoir accès a la lumière de la révélation finale
- c’est l’histoire d’une vocation, Proust raconte comment
Marcel devient écrivain
- le lecteur de Proust est conduit à porter moins d’attention à
une intrigue qu’au « monde même »
- l’univers sensible de l’espace et du temps (« le monde
même ») devient l’objet même du récit, et l’auteur s’attache
à utiliser toute la palette sensorielle par laquelle il peut
restituer au lecteur le monde tel qu’il apparait à la
conscience du protagoniste
- le mot « tissu » indique bien que, dans le même moment,
peuvent se mêler des sensations de plusieurs ordres.
- Tout l’art de Proust, pour rendre compte de la totalité d’une
expérience perceptive, consiste à passer de l’impression à
l’expression, a représenter au lecteur « le monde même »,
tel que le perçoit le héros, par le truchement d’une riche
réseau métaphorique
- L’action passe au second plan
La poéticité du roman

L’idée proustienne d’un 2e moi différent du moi quotidien-


l’idée poétique énoncée par Rimbaud, retrouvée dans
l’esthétique surréaliste.

La présence de la musique et de la peinture acquiert dans la


littérature une signification particulière. Il y a une analogie
entre la musique symphonique et les thèmes du roman : la
mort, le souvenir, la mutation de la personnalité humaine, le
mystère de l’autre.

La peinture ne doit pas copier la réalité, mais la transposée.


Proust a longuement travaille sur le lexique : les noms des
personnages forment un ensemble de poéticité remarquable :
Gilbert, Odette, Albertine, Swann, Guermand.

La nouveauté de Proust ne résidait pas dans l’usage de la


première personne, mais de l’emploie qu’il en faisait. Sous le
couvert d’une première personne, l’auteur présentait une
succession d’événements ou de sentiments dramatiquement
organisée ; il dessinait la courbe d’une destinée. Il ne donnait
pas à ses lecteurs l’occasion de suivre le fil de péripéties.

Le passage de « il » au « je » coïncidait avec le désir de fonder


le roman sur une expérience intime. Le roman se termine
quand le narrateur a fini de rendre compte de tout son passé.

Le personnage proustien

Proust n’était pas seulement un moraliste, il a été un romancier


capable de créer des personnages qui vivent avec intensité.

Charlus est un des plus puissantes figures du roman français, il


a la stature du Vautrin, mais il porte en lui, comme beaucoup
d’autres personnages proustiens, plus de contradictions qu’on
ne trouvait chez les haros de Balzac.
Nous ne sommes jamais place en son centre, nous n’avons sur
lui que des renseignements limites, le narrateur ne nous
rapporte que ce qu’il sait.

On peut observer, chez Swann, pendant qu’il écoute la sonate


de Vinteuil, la complexité et l’enchevêtrement d’une
conscience à plusieurs étages.

La multiplicité des états de conscience est souvent interprétée


par Proust comme une succession de personnages différents.

Charles passe, d’un jour à l’autre, d’un instant à l’autre de la


colère à la douceur.

Marcel est pétri de contradiction

Chez André, le narrateur aperçoit 3 personnages différents

Robert de Saint-Loup, généralement ouvert et bon est


subitement capable d’une méchanceté sournoise et cynique :
le narrateur parle, dans ce cas, d’une « éclipse partielle de son
moi ».

Les métamorphoses du personnage dans le temps viennent


accroitre encore sa complexité, car les années accusent
certains traits.
Les personnages de Proust sont des figures puissantes, proches
de la vie par leur complexité, mais fortement caractérisées.

Avec Proust on peut parler de vocation d’artiste. Le monde


balzacien est à l’œuvre chez Proust par le retour des
personnages, par la réflexion sur le monde contemporain, par
l’exactitude des descriptions de milieu, par la dimension
évidemment allégorique de certains personnages et de
certaines situations.

Une des thèmes les plus constantes de Proust est d’opposer le


monde imaginaire, le monde réel et le monde recréé par
l’artiste.

Proust a voulu une architecture parfaite pour l’ensemble de


son roman.

En Proust il y a aussi un auteur dramatique qui peut être drôle,


un ironiste vivace, mais aussi un psychologue de « Sodome et
Gomorrhe »

A la recherche du temps perdu est un œuvre faussement


autobiographique. Le narrateur du roman s’appelle Marcel, les
personnages du roman ne coïncident pas avec les personnages
réels.
La différence entre les conceptions de Proust- Bergson

La durée de Bergson est variable, tantôt plus ample, tantôt


plus étroite, mais elle s’écoule et passe toujours dans la même
direction or, la composition de Proust est complexe, pluri-
dimensionnelle avec des fréquents retours en arrière.

L’œuvre de Proust est l’histoire d’une conscience, d’une


époque.

La structure du roman est circulaire, le héros devient le


narrateur, et ce narrateur ne peut que raconter ce que nous
avons déjà vu vivre le héros. Une invitation à la reprise de la
lecture et la découverte de nouveaux sens.
ALBERT CAMUS

Le XXe siècle se caractérise par une extrême diversité de


directions et d'expériences littéraires. Le trait commun
consiste dans le fait qu'elles se proposent toutes de se
différencier des expériences et des courants du siècle
précédent.

Cette différenciation s'opère sur deux plans: celui du


contenu et celui de la forme. Quant à la forme on refuse la
structure du roman traditionnel, balzacien surtout (caractérisé
par une narration linéaire) et on rejette la philosophie
déterministe positive. Sur le plan du contenu, le XXe siècle
inaugure un nouveau type de réflexion sur la réalité d'où les
valeurs traditionnelles censées être éternelles et absolues -la
vérité, le bien, le beau- sont abolies; cela parce que le XX e
siècle débute sous le signe du refus de la pensée métaphysique
et théologique qui, jusque là avait imprégné non seulement le
domaine de l'art mais aussi celui des sciences.

Ce changement avait été très bien synthétisé par la


célèbre phrase de Nietzsche: "Dieu est mort". Or, l'absence de
la divinité, dernier repère de toute valeur, provoque le
sentiment de l'absurde de l'existence. Ainsi, toute la création
d'Albert Camus va se situer sous le signe de cette nouvelle
manière de penser.

On peut remarquer deux étapes dans l'évolution de la


réflexion de Camus: il y a, dans une première étape, le
sentiment de l'absurde existentiel et le sentiment de la solitude
individuelle – l’étape existentialiste. L`individu se retrouve
seul au milieu d'un monde absourde car rien ne le fait
appartenir à un système de valeurs communes. Les oeuvres
qui illustrent le mieux cette étape sont Le Mythe de Sisyphe
(essai philosophique) et le roman L`Etranger. La seconde
étape marque l’évolution de Camus vers la solidarité humaine.
Le monde ne cesse d'être absurde, l'existence individuelle non
plus, mais il y a des moments limite dans la vie lorsque
l`individu se voit, malgré lui, lié à la communauté humaine, en
général, par le sentiment de solidarité. Cette nouvelle attitude
est illustrée par l'essai philosophique L'Homme révolté et le
roman La Peste.

Dans Le Mythe de Sisyphe le tragique est pleinement


présent dans l’intrigue. L’essai est construit à partir du
sentiment de l’absurde, de ce qui est ressenti comme doué de
non-sens. Devant l’évidence du malheur, la solution à adopter
n’est pas le suicide ; on doit d’abord accepter cette condition
sans se décourager et tenter de lutter contre l’absurde. Pour
cela il faut refuser de se laisser trompé par les valeurs établies
par la morale traditionnelle.

Du point de vue de l’évolution, le sentiment de l’absurde


est comme un déclic produit lorsque l’homme réalise le
caractère inévitable de sa fin. Face à cette situation sans issue,
l’homme absurde doit toujours se trouver dans un état de
révolte, car le combat mené contre les évidences de l’échec est
cependant une victoire. Finalement, cette attitude partie d’une
existence absurde affirme non pas une victoire définitive,
mais un état de satisfaction, d’accomplissement : „Il faut
imaginer Sisyphe heureux !”

La Chute est un dialogue, constituant une satire de


l’intellectualité française et, en général, occidentale, d’après la
Seconde Guerre Mondiale. Le narrateur est le seul
protagoniste du texte; Clamence s’adresse à un vous
impersonnel qui peut être son double, toute une autre
personne, l’auteur ou le lecteur, et refait lentement son
existence, la racontant.

Clamence se rappelle d’abord sa vie insouciante, car il


avait été avocat comblé de succès à Paris, ensuite, il présente
les événements qui ont déclanché le processus de prise de
conscience: d’abord un rire moqueur dans la nuit, suivi par le
suicide d’une femme qui s’est jetée à l’eau devant lui, sans
qu’il fît le moindre effort pour l’arrêter. C’est ainsi que le
protagoniste réalise la vanité de la comédie mondaine, se
mettant à juger son propre contentement borné, sa vie nette
d’apparence. Cette sincérité s’avère être une invitation,
adressée à l’interlocuteur, à l’autoanalyse. L’étalage des
erreurs est destiné à créer un sentiment général de mauvaise
conscience, de sorte que Clamence devient accusateur de tous.
Sous le masque de la justice, il accable tous les autres de sa
faute à lui.

Clamence est présenté par Camus comme une sorte de


nouveau prophète, parce qu’il se prénomme Jean-Baptiste,
mais C’est une espèce de nouveau prophète inversement
généreux, apparaissant comme un nouveau moraliste et un
nouveau philosophe. Il s’agit d’un philosophe qui affirme non
pas son être mais sa chute: „Je tombe, donc je suis !”.

La Peste est considéré l’un des plus importants romans de


la Résistance française pendant l’occupation nazie. Le roman
est d’abord la chronique d’une épidémie de peste, éclatée à
Oran, retracée par un médecin, mais il est aussi le récit d’un
psychologue et d’un moraliste qui analysent les réactions
individuelles ou collectives. Peu à peu, les uns et les autres
font, dans le malheur, l’apprentissage de la solidarité.

On présente, d’une manière réaliste, les premiers signes


de l'épidémie, son évolution et, parallèlement, la naissance de
la solidarité humaine devant le mal menaçant la communauté.
Les personnages principaux du roman sont: le docteur Rieux,
Tarrou et le journaliste Rambert. Les premiers deux sont
fraternellement unis par le même désir de soulager la douleur
de leurs semblables; ils sont deux intellectuels révoltés contre
toutes les formes de la mort. Le journaliste Rambert, dont la
fiancée l’attend à Paris, a été surpris par la peste, dans la ville
d’Oran, pendant un reportage. Il veut s’échapper de la ville
maudite (il avait la perspective d’un bonheur individuel), mais
le moment même où il a la possibilité de s’en échapper il
change d’avis et décide d’y rester afin d’aider ses semblables
dans la lutte contre la peste. Son explication a été qu’il pouvait
„avoir de la honte à être heureux tout seul”. C’est le moment
où il devient évident que le mot clef de la pensée de Camus
n’est plus le mot „solitaire”, mais „solidaire”. 

La conclusion qui en résulte est que, malgré l'absurde,


malgré l'absence de tout argument ("rien ne vaut qu'on se
détourne de ce qu'on aime"), on se sent solidaire avec
l`humanité malheureuse. On a voulu voir dans l'épidémie de
peste qui a frappé la communauté d'Oran, le fascisme qui
venait d'être écrasé en Europe après avoir produit de
nombreux dégâts- stricǎciuni- et victimes (le roman paraît en
1947). La Peste se présente comme une lecture univoque
appauvrissante car (tout comme la pièce d'E. Ionesco, Les
Rhinocéros) le symbole de la peste est beaucoup plus riche: il
renvoie à n'importe quel phénomène qui pourrait mettre en
danger l'humanité.

Malgré l'attitude anti-métaphysique et anti-théologique de


Camus on peut conclure que toute action humaine
profondément assumée repose, pour lui, sur l’amour envers
ses semblables et sur la solidarité.

De l’homme de l’absurde a l’homme révolté

Tour à tour essayiste, romancier et auteur dramatique


comme J.P. Sartre, Camus se consacrera de plus en plus à sa
carrière d'écrivain. Son œuvre pourrait, en gros, s'ordonner
autour de deux pôles : l'absurde et la révolte, correspondant
aux deux étapes de son itinéraire philosophique.

1. La morale de l’absurde

La prise de conscience du non-sens de la vie le conduit à l'idée


que l'homme est libre de vivre "sans appel", quitte à payer les
conséquences de ses erreurs, et doit épuiser les joies de cette
terre. Ces idées, exposées dans Le Mythe de Sisyphe, sont
illustrées par le roman de L'Étranger.

2. L’humanisme de la révolte
L'auteur aboutit à la découverte d'une valeur qui donne à
l'action son sens et ses limites : la nature humaine. Cet
humanisme apparaît dans La Peste (1947) et dans deux pièces
de théâtre, L'Etat de siège (1948) et Les Justes (1950), avant
de s'exprimer vigoureusement dans L'Homme Révolté (1951).

La carrière de Camus est donc celle d'un psychologue et d'un


moraliste. Dans son exigence de probité, avec une réserve et
une sobriété toutes classiques, il accorde la première place aux
idées et refuse de sacrifier à la magie du style. Pourtant ce
serait une erreur de méconnaître la variété et l'exacte
appropriation de son art d'écrivain. Sans doute a-t-il su nous
imposer dans L'Étranger et La Peste ce style neutre,
impersonnel, tout en notations sèches et monotones, qui est
devenu inséparable du climat de l'absurde; mais on découvre
aisément dans son œuvre des résurgences de l'aptitude
poétique à traduire les sensations dans leur pleine saveur qui
triomphait dans Noces (1938), un des premiers essais où, avant
l'amère découverte de l'absurde, le jeune Camus célébrait avec
fougue ses "noces avec le monde". Et l'on sera sensible à
l'ironie et à l'humour qui jettent çà et là de discrètes lueurs,
avant de briller de tout leur éclat dans La Chute (1956), œuvre
étrange et séduisante dont la verve et le rythme capricieux font
songer à la "satire" du Neveu de Rameau.

Camus et l’absurde
Bien qu'apparenté dans une certaine mesure à l'existentialisme,
Albert Camus s'en est assez nettement séparé pour attacher
son nom à une doctrine personnelle, la philosophie de
l'absurde. Définie dans Le Mythe de Sisyphe, essai sur
l'absurde (1942), reprise dans L'Étranger (1942), puis au
théâtre dans Caligula et Le Malentendu (1944), elle se
retrouve à travers une évolution sensible de sa pensée, jusque
dans La Peste (1947). Il importe, pour lever toute équivoque,
d'étudier cette philosophie dans Le Mythe de Sisyphe et de
préciser la signification de termes comme l'absurde, l'homme
absurde, la révolte, la liberté, la passion qui, sous la plume de
Camus, ont une résonance particulière.

Non-sens de la vie

La vie vaut-elle d'être vécue ? Pour la plupart des hommes,


vivre se ramène à "faire les gestes que l'habitude commande".
Mais le suicide soulève la question fondamentale du sens de la
vie : "Mourir volontairement suppose qu'on a reconnu, même
instinctivement, le caractère insensé de cette agitation
quotidienne et l'inutilité de la souffrance".

1. Le sentiment de l’absurde

Pareille prise de conscience est rare, personnelle et


incommunicable. Elle peut surgir de la "nausée" qu'inspire le
caractère machinal de l'existence sans but : "Il arrive que les
décors s'écroulent. Lever, tramway; quatre heures de bureau
ou d'usine, repas, tramway, quatre heures de travail, repas,
sommeil et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur
le même rythme, cette route se suit aisément la plupart du
temps. Un jour seulement, le 'pourquoi' s'élève et tout
commence dans cette lassitude teintée d'écœurement". Cette
découverte peut naître du sentiment de l'étrangeté de la
nature, de l'hostilité primitive du monde auquel on se sent tout
à coup étranger. Ou encore de l'idée que tous les jours d'une
vie sans éclat sont stupidement subordonnés au lendemain,
alors que le temps qui conduit à l'anéantissement de nos efforts
est notre pire ennemi. Enfin, c'est surtout la certitude de la
mort, ce "coté élémentaire et définitif de l'aventure" qui nous
en révèle l'absurdité : "Sous l'éclairage mortel de cette
destinée, l'inutilité apparaît. Aucune morale, aucun effort ne
sont a priori justifiables devant les sanglantes mathématiques
de notre condition". D'ailleurs l'intelligence, reconnaissant son
inaptitude à comprendre le monde, nous dit aussi à sa manière
que ce monde est absurde, ou plutôt "peuplé d'irrationnels".

2. Définition de l’absurde

En fait, ce n'est pas le monde qui est absurde mais la


confrontation de son caractère irrationnel et de ce désir
éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de
l'homme. Ainsi l'absurde n'est ni dans l'homme ni dans le
monde, mais dans leur présence commune. Il naît de leur
antinomie. "Il est pour le moment leur seul lien. Il les scelle
l'un à l'autre comme la haine seule peut river les êtres...
L'irrationnel, la nostalgie humaine et l'absurde qui surgit de
leur tête-à-tête, voilà les trois personnages du drame qui doit
nécessairement finir avec toute la logique dont une existence
est capable".

L’homme absurde
Si cette notion d'absurde est essentielle, si elle est la première
de nos vérités, toute solution du drame doit la préserver.
Camus récuse donc les attitudes d'évasion qui consisteraient à
escamoter l'un ou l'autre terme : d'une part le suicide, qui est la
suppression de la conscience; d'autre part les doctrines situant
hors de ce monde les raisons et les espérances qui donneraient
un sens à la vie, c'est-à-dire soit la croyance religieuse soit ce
qu'il appelle le "suicide philosophique des existentialistes
(Jaspers, Chestov, Kierkegaard) qui, par diverses voies,
divinisent l'irrationnel ou, faisant de l'absurde le critère de
l'autre monde, le transforment en "tremplin d'éternité". Au
contraire, seul donne au drame sa solution logique celui qui
décide de vivre seulement avec ce qu'il sait, c'est-à-dire avec
la conscience de l'affrontement sans espoir entre l'esprit et le
monde.
"Je tire de l'absurde, dit Camus, trois conséquences qui sont
ma révolte, ma liberté, ma passion. Par le seul jeu de ma
conscience, je transforme en règle de vie ce qui était invitation
à la mort - et je refuse le suicide". Ainsi se définit l'attitude de
"l'homme absurde".

1. Le défi
"Vivre une expérience, un destin, c'est l'accepter
pleinement. Or on ne vivra pas ce destin, le sachant
absurde, si on ne fait pas tout pour maintenir devant soi
cet absurde mis à jour par la conscience... Vivre, c'est
faire vivre l'absurde. Le faire vivre, c'est avant tout le
regarder... L'une des seules positions philosophiques
cohérentes, c'est ainsi la RÉVOLTE. Elle est un
confrontement perpétuel de l'homme et de sa propre
obscurité. Elle remet le monde en question à chacune de
ses secondes... Elle n'est pas aspiration, elle est sans
espoir.
Cette révolte n'est que l'assurance d'un destin écrasant, moins
la résignation qui devrait l'accompagner". C'est ainsi que
Camus oppose à l'esprit du suicidé (qui, d'une certaine façon,
consent à l'absurde) celui du condamné à mort qui est en
même temps conscience et refus de la mort. Selon lui c'est
cette révolte qui confère à la vie son prix et sa grandeur,
exalte l'intelligence et l'orgueil de l'homme aux prises avec
une réalité qui le dépasse, et l'invite à tout épuiser et à
s'épuiser, car il sait que "dans cette conscience et dans cette
révolte au jour le jour, il témoigne de sa seule vérité qui est le
défi".
2. La liberté

L'homme absurde laisse de côté le problème de "la liberté en


soi" qui n'aurait de sens qu'en relation avec la croyance en
Dieu ; il ne peut éprouver que sa propre liberté d'esprit ou
d'action. Jusqu'à la rencontre de l'absurde, il avait l'illusion
d'être libre mais était esclave de l'habitude ou des préjugés qui
ne donnaient à sa vie qu'un semblant de but et de valeur.

La découverte de l'absurde lui permet de tout voir d'un regard


neuf : il est profondément libre à partir du moment où il
connaît lucidement sa condition sans espoir et sans lendemain.
Il se sent alors délié des règles communes et apprend à vivre
"sans appel".

3. La passion

Vivre dans un univers absurde consistera à multiplier avec


passion les expériences lucides, pour "être en face du monde
le plus souvent possible". Montaigne insistait sur la qualité des
expériences qu'on accroît en y associant son âme ; Camus
insiste sur leur quantité, car leur qualité découle de notre
présence au monde en pleine conscience: "Sentir sa vie, sa
révolte, sa liberté, c'est vivre et le plus possible. Là où la
lucidité règne, l'échelle des valeurs devient inutile... Le
présent et la succession des présents devant une âme sans
cesse consciente, c'est l'idéal de l'homme absurde".

Tout est permis, s'écriait Ivan Karamazov. Toutefois, Camus


note que ce cri comporte plus d'amertume que de joie, car il
n'y a plus de valeurs consacrées pour orienter notre choix ;
"l'absurde, dit-il, ne délivre pas, il lie. Il n'autorise pas tous les
actes. Tout est permis ne signifie pas que rien n'est défendu.
L'absurde rend seulement leur équivalence aux conséquences
de ces actes. Il ne recommande pas le crime, ce serait puéril,
mais il restitue au remords son inutilité. De même, si toutes les
expériences sont indifférentes, celle du devoir est aussi
légitime qu'une autre." C'est justement dans le champ des
possibles et avec ces limites que s'exerce la liberté de l'homme
absurde : les conséquences de ses actes sont simplement ce
qu'il faut payer et il y est prêt. L'homme est sa propre fin et il
est sa seule fin, mais parmi ses actes il en est qui servent ou
desservent l'humanité, et c'est dans le sens de cet humanisme
que va évoluer la pensée de Camus.

MICHEL TOURNIER
Principales œuvres : Romans- Vendredi ou les Limbes du
Pacifique (1967) ; Le Roi des aulnes (1970), Vendredi ou
la Vie sauvage (1971), Les Météores (1975) ; Gaspard,
Melchior & Balthazar (1980) ; Gilles et Jeanne (1983) ;
La Goutte d'Or (1985) ; La Couleuvrine (1994) ; Eléazar
ou la Source et le Buisson (1996)

Contes et nouvelles: Le Coq de bruyère (1978) ; La


Fugue du Petit Poucet (1979) ; Pierrot ou les secrets de
la nuit (1979) ; Barbe d'or (1980) ; Le Médianoche
amoureux (1989) ; Sept contes (1998)

Essais: Le Vent Paraclet (1978) ; Le Vol du vampire


(1981) ; Vues de dos (1981) ; Des clefs et des serrures
(1983) ;Petites Proses (1986) ; Le Tabor et le Sinaï
(1988) ; Le Crépuscule des masques (1992) ; Le Pied de
la lettre (1994) ; Le Miroir des idées (1994) ; Le Vol du
vampire (1994) ; Célébrations (1999) ; Journal extime
(2002) ; Allemagne, un conte d'hiver de Henri Heine
(2003) ; Le Bonheur en Allemagne ? (2004) ; Les Vertes
lectures (2006) ; Voyages et paysages (2010); Je
m'avance masqué (2011).

Auteur de plusieurs romans remarqués dont Le Roi des aulnes,


couronné par le prix Goncourt en 1970, il est aussi un conteur
et un romancier pour la jeunesse avec des œuvres comme
Vendredi ou la Vie sauvage (1971), réécriture de son premier
roman Vendredi ou les Limbes du Pacifique. Il est par ailleurs
le créateur du néologisme « journal extime ».

A 42 ans il publie son premier roman Vendredi ou les Limbes


du Pacifique en 1967 qui ouvre trois décennies consacrées à la
littérature. Il a bâti en neuf romans publiés de 1967 à 1996 et
en quelques recueils de nouvelles une œuvre originale qui fait
de lui un des écrivains français marquants du dernier tiers du
XXe siècle.

Œuvres

Dans un style acéré et avec un sens du drame et du sacré qui


n'empêche pas l'ironie subversive, Michel Tournier crée un
univers personnel animé par des personnages complexes
— essentiellement masculins — en réinterprétant les mythes
comme Robinson Crusoé dans Vendredi ou les Limbes du
Pacifique (1967), Castor et Pollux dans Les Météores (1975),
les rois mages dans Gaspard, Melchior & Balthazar (1980),
Barbe-Bleue et Gilles de Rais dans Gilles et Jeanne, la bulla
aura romaine dans La Goutte d'Or (1985), Moïse et la Terre
promise dans Eléazar ou la Source et le Buisson (1996).
Il en fait la trame de récits où le réalisme minutieux s'associe à
la création imaginaire de mondes différents (l'île du naufragé
du XVIIIe siècle, le parcours des rois orientaux de l'Antiquité,
le contexte du guerrier et de la sainte au XVe siècle, la Prusse-
Orientale du Roi des aulnes et la napola où l'ogre dévoreur se
change en saint Christophe sauveur d'enfant durant la Seconde
Guerre mondiale et le nazisme…).

Il interroge ainsi les parcours humains, soulevant des


questions comme celle de la civilisation et de la nature, de la
détermination du bien et du mal et de la chute ou du rapport à
l'autre et à soi-même à travers le thème du double et de
l'androgyne. Faisant intervenir le jugement moral, on a pu lui
reprocher certains aspects troubles de ses œuvres qui
présentent parfois « une polysexualité étonnante, troublante,
qui participe de la nature cosmique, sans craindre l'immoral ».
Il a publié en 1978, Le Vent Paraclet, où, mêlant
autobiographie et réflexion littéraire et philosophique, il
éclaire son œuvre.

Influences
Michel Tournier s'est souvent exprimé sur sa vie et sur ses
œuvres. Une de ses phrases rend compte de son ambition :
« Pour moi, le sommet de la littérature française, c'est
Flaubert. Les Trois contes. Ça, c'est le super-sommet. Parce
que c'est à la fois d'un réalisme total et d'une magie
irrésistible. C'est l'idéal».

Germaniste de formation, il reconnaît l'influence thématique et


stylistique de la littérature allemande sur sa création littéraire;
particulièrement l'œuvre de Günter Grass (Le Tambour, Les
Années de chien, Le Turbot) qui lui apprend à maîtriser la
profusion romanesque et à démonter la vision rationaliste de
l'Histoire afin d'en révéler la face légendaire, absurde et
monstrueuse. Tournier parle d'une tradition littéraire
d'« authenticité par le grotesque » à laquelle se rattachent
également François Rabelais, Miguel de Cervantès et Louis-
Ferdinand Céline.

La mise en accusation du rationalisme et l'association du


réalisme littéraire à la réinterprétation des mythes apparaissent
dès Vendredi ou les Limbes du Pacifique, son premier roman,
publié en 1967, présenté comme une réécriture du Robinson
Crusoé de Daniel Defoe. Tournier montre dans le journal de
bord que tient le naufragé, un occidental qui s'interroge peu à
peu et qui finalement, initié par Vendredi, choisit la nature
contre la culture et décide de rester sur son île Esperanza dont
il a renoncé, contrairement au héros de Defoe, à faire un
modèle réduit de la civilisation violente et pyramidale qu'il
connaissait en Angleterre. Michel Tournier reprendra en 1971
sous le titre de Vendredi ou la Vie sauvage le thème de ce
roman dans un livre pour la jeunesse qui est devenu un
classique pour les collégiens.

En 1970, paraît Le Roi des aulnes qui obtient le Prix Goncourt.


Le titre renvoie à un célèbre poème de Goethe et Michel
Tournier y décrit avec réalisme la Prusse-Orientale avec ses
marais et ses forêts, et certains aspects du nazisme (Hermann
Göring, les Napolas, l'extermination des Juifs) en y associant
des mythes comme l'Ogre, le massacre des Innocents, la
phorie de l'enfant (le fait de porter un enfant dans ses bras ou
sur ses épaules comme le Roi des aulnes ou saint Christophe).

En 1975, dans Les Météores, Michel Tournier exploite un


autre mythe, celui de Castor et Pollux et de la gémellité, dont
il questionne la face obscure et l’ambiguïté de l'androgyne en
même temps qu'il raconte un voyage initiatique autour du
monde.

En 1978, paraissent deux titres : Le Coq de bruyère, un recueil


de nouvelles qui regroupe des textes divers, contes et récits, et
Le Vent Paraclet, un essai dans lequel Michel Tournier parle
de lui et de son métier d'écrivain en associant autobiographie
et réflexion littéraire et philosophique.

Le quatrième roman, Gaspard, Melchior & Balthazar (1980),


s'appuie quant à lui sur le mythe des rois mages qui permet à
Michel Tournier d'imaginer les voyages des légendaires rois
mages aux motivations diverses (amour, beauté, pouvoir) qui
se transforment en quête mystique et leur fait traverser un
Orient reconstitué avec un souci d'authenticité. L'invention
d'un quatrième personnage, Taor, prince de Mangalore,
retardataire à la recherche de la recette du loukoum, vient
troubler et vivifier le mythe en en faisant le premier à
consommer l'eucharistie, montrant le goût de Tournier pour la
subversion humoristique28. La version pour enfants, publiée en
1983, aura pour titre Les Rois Mages.

En 1983, Gilles et Jeanne montre d'abord la proximité entre


Jeanne d'Arc et Gilles de Rais, guerrier entièrement dévoué à
Jeanne, puis la dérive du guerrier qui deviendra alchimiste et
monstrueux tueur en série d'enfants mais que Tournier
transforme en assassin de femmes en en faisant une figure de
Barbe-Bleue plutôt qu'un ogre dans la tradition des contes de
Perrault30.

Michel Tournier aborde de nouveaux thèmes avec La Goutte


d'Or (1985), roman qui traite du choc des cultures et du
racisme ordinaire en contant l'histoire d'Idriss, un jeune
Berbère saharien. Dépossédé d'une part de lui-même par une
photographie prise par une touriste parisienne, Idriss
entreprend un voyage hasardeux pour la retrouver en France.
En chemin il se fait voler un bijou en forme de bulle d'or : il
perd ainsi symboliquement la liberté que représentait la bulla
aura pour les Romains de l'Antiquité31 et affronte le sort des
émigrés du quartier de la Goutte d'or à Barbés où ils subissent
le choc d'un monde des images dont ils n'ont pas les codes et
des difficultés matérielles et existentielles des déracinés.

La même année, en 1985, paraît Le Médianoche amoureux, un


recueil de contes et de nouvelles à la manière du Décaméron
de Boccace puisque chacun des convives du médianoche
(repas de minuit) doit raconter une histoire vraie ou imaginaire
sur le même thème du double ou de la répétition.

La plume de Michel Tournier se fait plus rare, mais il publie


quand même en 1996 un roman d'une grande concision (139
pages), Eléazar ou la Source et le Buisson, qui raconte le
voyage d'une famille de colons du XIXe siècle irlandais en
marche vers la Californie, nouvelle terre promise. Cette
reprise du mythe de Moïse explore la question du refus de
Dieu, qui ne permet pas à Eléazar/Moïse d'entrer dans la Terre
Promise : il restera dans l’âpre Sierra Nevada du buisson
ardent, loin des sources irlandaises et privé du lait et du miel
de Canaan.

En 1999, paraît l'un de ses derniers ouvrages, Célébrations :


82 « texticules », mot de Tournier pour définir ces petits textes
où il dit de façon souvent espiègle ses admirations pour une
œuvre, un artiste ou des éléments comme l'arbre, le cheveu, le
serpent ou les saisons.

Vendredi ou les limbes du Pacifique

Voici une œuvre protéiforme, d’une rare ambition, qui


embrasse de nombreux domaines de l’activité humaine (de la
marine à l’agriculture, de l’écriture à la vie sauvage, etc.) et
s’interroge sur le sens de l’existence à travers un personnage -
homme nu et dépouillé – qui va devoir se reconstruire en
trouvant une signification à sa nouvelle vie de solitaire.
Le titre

Le titre révèle le propos du romancier. Michel Tournier choisit


un titre - Vendredi ou les limbes du Pacifique - qui se
démarque de celui de Defoe. Substituant Vendredi à
Robinson, le romancier moderne met l’accent sur l’indien
Vendredi (comme le confirme, d’ailleurs, la version pour
enfant publiée quatre années plus tard et intitulée Vendredi ou
la vie sauvage, 1971) au détriment de l’Anglais Robinson. Par
ailleurs, le titre insiste sur l’alternative avec l’expression « ou
les limbes du Pacifique » soulignant ainsi le no man’s life
d’une personnalité en reconstruction. Si les limbes sont, par
définition, le lieu de séjour des enfants morts sans avoir été
baptisés, on aura confirmation que l’île de Speranza figure
bien le lieu spatio-temporel de la latence, d’une modification à
venir pour Robinson, voire d’un enfantement en germe.

Thèmes majeurs

Dès son premier roman Vendredi ou les Limbes du Pacifique


(inspiré de Daniel Defoe) et récompensé par le Grand prix du
roman de l'Académie française, Tournier affirme sa volonté de
faire de la philosophie romanesque.
Il réfléchit sur le temps, le désir et le langage et développe une
théorie originale de l'intersubjectivité. Sa conception d'Autrui
comme structure est analysée par Gilles Deleuze dans Logique
du sens. Autrui n'est ni un sujet qui me perçoit, ni un objet
dans le champ de ma perception, mais une structure du champ
perceptif sans laquelle le monde objectif, fondé sur la
multiplicité des points de vue possibles, ne pourrait pas
s'organiser. Autrui comme structure, c'est l'expression d'un
monde possible sans quoi le monde réel n'aurait aucune
stabilité et le sujet, corrélativement, aucune rationalité.

"Je sais maintenant que la terre sur laquelle mes deux pieds
appuient aurait besoin pour ne pas vaciller que d'autres que
moi la foulent. Contre l'illusion d'optique, le mirage,
l'hallucination, le rêve éveillé, le fantasme, le délire, le trouble
de l'audition... le rempart le plus sûr, c'est notre frère, notre
voisin, notre ami ou notre ennemi, mais quelqu'un, grands
dieux, quelqu'un !" Vendredi ou les limbes du Pacifique

Les thèmes
Robinson est face à l’île comme Sisyphe devant son rocher.
Mais Robinson après l’avoir appelée « L’île de la désolation »
finit par la nommer « l’île Speranza ». Une différence notable
puisque quand l’un (Sisyphe) ne fait que répéter l’absurde,
l’autre (Robinson) met l’accent sur l’espoir.

Du point de vue du récit et des personnages, - n’en déplaise à


feu Jean-Paul Sartre- le « romancier démiurge » n’a pas dit son
dernier mot. Ainsi Michel Tournier, dès l’entame de son livre,
crée et trace le destin de son personnage, Robinson. Le roman
s’ouvre, en effet, sur une conversation entre le capitaine Pieter
Van Deyssel et Robinson Crusoë. Celui-là prédit, en se
fondant sur le jeu de tarot de Marseille, à celui-ci son avenir –
et le récit à venir. Chaque carte tirée et commentée trouve, en
effet, sa vérification dans la suite du roman. Le romancier, tel
un démiurge, soumet donc bien sa créature à ce qui lui tiendra
lieu de destin.

Par ailleurs, la tempête concomitante qui se déchaîne et


dévaste l’océan annonce sans doute l’explosion de la grotte de
Speranza comme une prémonition de la métamorphose à venir
de Robinson.
Une métamorphose rendue nécessaire par la solitude de
Robinson longtemps privé de toute présence humaine,
Vendredi n’intervenant qu’au chapitre VII (sur XI). Dès lors,
comment remplir le vide de l’existence sans autrui se
demande, avec son personnage, Michel Tournier. Le sens
donné à leur quotidien est pour la plupart des hommes,
largement tributaire de leurs semblables. Autrui n’est-il pas,
en effet, l’essentiel de ce « divertissement » que Pascal a
dénoncé parce qu’il nous détournerait de l’essentiel ? Mais
sans « divertissement », il faut bien parvenir à conjurer l’ennui
et donner un sens à cette vie.

Robinson, quant à lui, cherche une raison de survivre qui se


révèle peu à peu à travers son évolution psychologique et
physique. Face à la solitude insulaire de Speranza et au plus
près de la nature, il est en quête d’une vérité qui fonderait sa
nouvelle vie.

Son premier mouvement est de refuser sa présence sur l’île


(qu’il nomme d’instinct Ile de la Désolation) en fixant
obsessionnellement la mer pour y apercevoir un navire et
l’arrivée de secours. Puis il envisage de la fuir en construisant
un radeau. L’île sur laquelle il a échoué figure alors bien pour
lui une prison existentielle dont il faut s’évader à tout prix. Sa
vie est d’abord marquée par le refus d’assumer une situation
inacceptable à ses yeux et le choix d’une vie animale qui le
conduit à la bauge et où il se vautre en essayant d’effacer la
conscience d’un présent malheureux par le recours aux
souvenirs de l’enfance.

Pourtant, le rejet instinctif de cette Ile de la Désolation,


synonyme de vacuité présente et future, disparaît suite à
l’hallucination qui lui fait voir sa sœur Lucy morte sur un
vaisseau approchant l’île. Robinson, craignant pour sa santé
mentale, décide aussitôt de tourner le dos à la mer et s’enfonce
vers le centre de l’île et de la solitude, signe fort d’une
acceptation de son sort et d’un lieu qu’il baptise justement
Speranza . Métaphoriquement, après le désir du divertissement
- espérer l’arrivée d’un navire et/ou s’évader avec le radeau -,
Robinson accepte enfin sa condition et son existence de
naufragé solitaire.

Dès lors, la perception de Speranza – figure métaphorique de


la condition humaine - par Robinson évolue au cours de quatre
périodes. D’abord, en phase de régression, il en fait une mère
et il s’acharne à explorer l’orifice-vagin de la grotte, s’enduit
de lait et s’abandonne dans une alvéole en un retour à la
matrice originelle et au fœtus qu’il redevient comme s’il
s’agissait d’une préparation à une renaissance. Puis il
considère de Speranza comme un champ d’expérimentation à
ses volontés de créateur : il l’ensemence, en récolte les fruits et
l’administre en élaborant une Charte bientôt suivi d’un Code
Pénal. Il multiplie les projets : arpenter l’île ; la cadastrer ;
recenser les espèces végétales et animales, parachever son
projet de transformer les marécages en rizière, créer un
Conservatoire des Poids et Mesures; construire une vraie
maison, etc. L’île devient même une épouse qu’il féconde
dans une combe, dont la prairie vallonnée devient, pour lui,
l’image même des lombes de Speranza ; de ces copulations
répétées naît un fruit sous la forme d’une mandragore.

Robinson renoue ainsi le contact avec la nature mais il ne peut


s’empêcher d’éprouver un violent sentiment d’absurdité : pour
qui tous ces efforts ? Les trois Speranza – l’île mère, l’île
transformée et administrée, l’île femme – ne suffisent pas à lui
donner une raison de vivre satisfaisante. Sa métamorphose
n’est pas achevée. L’arrivée de Vendredi devient l’élément
déterminant qui va le conduire vers son nouvel être.
Porteur d'une vie innocente, frémissante et rapide, Vendredi
accepte la nature telle qu’elle est, mène une vie instinctive,
expérimente les joies du corps et privilégie la fantaisie – ce
qu’admire en lui Robinson. Au contact de son compagnon qui
finit par représenter tous « les Autres » possibles (fils, père,
frère, voisin, etc.) Robinson fait ainsi l’apprentissage du
respect d’autrui et de sa différence. Cette ultime phase est
celle de la métamorphose solaire : vouant un culte au soleil, il
ne se préoccupe plus que de l’instant présent et en arrive
même à avoir l’impression de revivre indéfiniment la même
journée, connaissant ainsi une sorte de sentiment d’éternité.

Se transcrit alors en filigrane dans le quotidien de Robinson,


jour après jour, une conception du bonheur de vivre faite de
l’acceptation et du plaisir d’autrui et de l’absence d’inquiétude
métaphysique. On notera que c’est l’arrivée d’un navire venu
d’occident qui remet en question (passagèrement ?) ce nouvel
art de vivre construit par Robinson. La fin du roman révèle
pourtant que les différences entre Robinson et Vendredi ne se
sont pas comblées. Vendredi, tout à sa fantaisie et à sa
capacité d’adaptation, choisit spontanément la nouveauté du
bateau salvateur et l’attrait d’une autre vie ; Robinson, à
l’inverse, décide de rester cet homme solaire que l’île a
engendré au cours de ces vingt-huit années.

La Goutte D’Or
Le héros de la Goutte d’or, Idriss, est un jeune berger de
Tabelbala, dans les confins du désert algérien. Il rencontre par
hasard des Français qui le photographient et lui promettent de
lui envoyer sa photo. Le temps passe, et elle n’arrive point.
Idriss décide alors de partir vers le nord, vers Paris, à la
recherche de son image.

Le nouveau livre de Michel Tournier, la Goutte d’or « roman


de formation ». Il retrace, dans une langue superbe de
dépouillement et de simplicité, l’itinéraire d’un jeune homme
à la recherche de lui-même découvrant dans son parcours des
personnages fortement emblématiques qui narrent, à
l’occasion, des apologues exemplaires (sertis dans le corps du
récit, « Barberousse » et « la Reine blonde » éclairent ici
brillamment le sens de l’ouvrage).

Dans son roman Michel Tournier nous fait partager le voyage


initiatique d’Idriss, jeune berger berbère, depuis son oasis
natal jusqu’à Paris. Ce roman, en plus de nous raconter une
expérience de vie, interroge sur la relation à l’image que peut
avoir un jeune homme né dans le désert et n’ayant jamais été
entouré par elles comme le sont les jeunes venus de pays
riches.

Ce jeune héros, tout au long de son périple, va faire plusieurs


expériences de l’image et de notre société.
L’auteur nous permet alors de nous interroger sur les effets
des images modernes, sur les notions de réalité et
de représentation.

On connaît la passion de Michel Tournier pour la


photographie et l’on sait également combien est grande la
méfiance de l’islam à l’égard des images. Dans la Goutte d’or,
cette passion et cette méfiance s’entrechoquent, se bousculent,
l’une cherchant à s’imposer à l’autre. Mais l’écrivain - par
nature iconoclaste - finit par reconnaître, la suprématie du
signe. Il raille, enfin, la pauvreté de l’analogique.

Sa quête se révèle vite fort décevante et, à chaque étape, son


identité va se troubler, s’estomper, s’émonder. La profusion
des images, caractéristique de la grande ville moderne, le
captive au point de l’asservir. Du seul retour à une certaine
tradition islamique - celle de la parole et du signe abstrait -
naîtra son identification. - Ignacio Ramonet
Dès l’ouverture du roman, le désert apparaît comme le lieu des
origines, origine identitaire du héros et origine textuelle. Le
cadre foisonne en éléments descriptifs qui relèvent de la
« référentialité » : les dunes, le sable, le chott el Ksob, l’erg
Er-raoui, les bergers et leurs troupeaux, ainsi que des notations
qui paraissent générales mais qui évoquent, en fait, des
particularités de la vie africaine : la perception de
l’écoulement du temps, l’angoisse de la solitude, l’importance
de la superstition (le rôle des djenoun). Cette réalité du désert
est immédiatement placée sous le signe de l’oralité, à travers
l’évocation de la légende rapportée par la grand-mère du
héros. Le peuplement est déterminé par un rapport
d’opposition entre sédentarisation et nomadisme avec un état
intermédiaire, le semi-nomadisme, représenté par les tribus
Chaamba.

Le titre du roman de Tournier, La Goutte d’or, joue sur la


polysémie : en désignant une rue du quartier arabe à Paris, il
annonce un roman anthropologique. Le roman a en effet cette
dimension, dans la mesure où il dépeint les mœurs d’une tribu
saharienne puis l’immigration maghrébine en France. De cette
peinture, deux éléments se détachent : d’une part les rapports
ethniques entre oasiens, nomades et « noirs » ; ces derniers,
tout en ayant des rôles secondaires dans l’histoire, sont très
nettement représentés : positivement, par la danseuse Zett
Zobeida et le conteur ; négativement, par le nomade Toubou
qui vole l’argent de Salah Brahim et par « l’employé noir » de
l’hôtel Rym qui chasse Idriss. D’autre part, la représentation de
la femme est singulière : blonde ou brune, mère ou prostituée,
elle est source de malédiction ou de salut. Ce n’est là qu’une
des figures du manichéisme qui structure ce roman.

Mais « la goutte d’or » est, dans ce roman, autre chose qu’un
nom de rue : c’est un bijou qui, en tant que tel, incarne la
tradition saharienne mais qui devient enjeu narratif avant
d’avoir une fonction symbolique. La goutte d’or, bijou oasien
qui appartenait à la danseuse Zett Zobeida, a une valeur
d’antidote par rapport à la photographie perdue, à l’identité
volée par la touriste blonde. Elle ponctue les différentes étapes
de la vie du héros ; l’orfèvre rencontré sur le bateau apprend à
Idriss la signification de la bulla aurea : signe de liberté et
témoin du passage à l’âge adulte.

Pour finir, il nous faut noter que l’auteur a introduit dans son
roman un certain nombre de légendes, de récits à propos des
images et les expériences différentes que l’on peut en faire,
bonne ou mauvaise.

- Ce livre nous oblige à réfléchir sur notre société dans


laquelle les images nous envahissent en permanence et font
office de guide et de référence.
Ici il est bien question d’images « actuelles », puisque ce
sont des photographies ou des publicités, en bref, des
éléments faisant partie intégrante de nos vies.
L’auteur, en faisant vivre un berger à travers son roman,
confronte alors le monde authentique au monde moderne
des appareils numériques. Nous réalisons donc l’effet que
ces nouvelles technologies de l’image peuvent produire sur
un être pur tel que le héros.
LAMARTINE

“Méditations poétiques”- poèmes qui le rendirent bientôt


célèbre= la première manifestation du romantisme en France

- vers lyriques évoquant les inquiétudes amoureuses et


spirituelles d’une âme tourmentée

- la versification (régulière) et le lexique restaient ceux du


siècle précédent, mais Lamartine su conférer à ses
poèmes une musicalité particulière, une harmonie
fortement évocatoire, qui est considérée, l’une des
principales qualités de son œuvre.

- nouvelle vision de l’individu, perçu comme être sensible,


complexe et comme centre de la représentation

- une rêverie mélancolique sur le thème de la foi et de


l’amour

- parle à la première personne, évoque le souvenir de son


amante perdue
- le recours au pseudonyme marque bien qu’il y a
transposition des événements dans le monde imaginaire
et poétique, indiquant clairement qu’il ne faut pas lire les
Méditations comme un journal exactement fidèle a la
réalité des faits

- le journal d’une âme insatisfaite, qui souffre et ne trouve


pas de repos

- la poésie est investie d’une fonction existentielle : elle


devient le lieu de l’épanchement de Moi, d’une
interrogation sur le sens de l’existence et d’une
méditation sur la condition de l’Homme

L’un des poèmes les plus célèbres des Méditations est une
élégie :Le lac- le thème dominant- la hantise du temps qui
passe et qui corrompt tout .

Le Lac est le dixième poème du recueil de 24 poésies nommé


Les Méditations poétiques. La poétique de ce poème comme
de l'ensemble du recueil des méditations est classique, des
quatrains d'alexandrins coupés à l'hémistiche donnant une
harmonie, un équilibre lent propice à la description des
sentiments de l'auteur.
Le Lac est considéré, aujourd’hui encore, comme le fleuron
de la poésie romantique. Ce poème fut inspiré à Lamartine par
la liaison amoureuse qu’il eut en 1816-1817 avec Julie
Charles, une femme mariée atteinte d’un mal incurable qui
l’emporta en 1817. Lamartine revient seul revoir les lieux qu'il
a visités autrefois avec elle. Le Lac de Lamartine est devenu le
poème immortel de l'inquiétude devant le destin, de l'élan vers
le bonheur et de l'amour éphémère qui aspire à L'Éternité.

Dans un style très affectif, le poète et sa bien-aimée, à laquelle


il prête sa voix, supplient le temps, la forêt, les grottes, le lac
lui-même, la nature tout entière de préserver à jamais les
instants de bonheur qu’ils sont en train de partager

Le thème principal de ce poème est la fuite du temps, thème


traditionnel de la poésie, déjà privilégié par les épicuriens de
l’Antiquité et par les poètes de la Pléiade comme Ronsard.

Ici, le temps est représenté par la métaphore de l’eau qui est


filée tout au long du poème.
Champ lexical du temps avec des divisions temporelles : "la
nuit", "le jour", "l’aurore", "le soir", "les heures", "l’année",
"moments", "l’éternité" et présence d'adjectifs significatifs :
"l’heure fugitive", "nuit éternelle".
On observe la métaphore du temps "l’océan des âges"
assimilé à l’eau -> métaphore filée du temps qui coule.

Les enjambements nombreux notamment en fin de strophe


semblent précipiter le poème et rendent ainsi sensible pour le
lecteur le temps qui passe trop vite.
On remarque également les expressions "heure fugitive",
"rapides délices" ou la phrase "le temps m’échappe et fuit" qui
évoquent l’écoulement impitoyable du temps.

L’antithèse "ce temps qui les donna, ce temps qui les efface"
suggère quant à elle la fugacité des moments de bonheur, qui
disparaissent aussi vite qu’ils ont éclos. En ce sens, le poème
porte la plainte de toute la nature humaine.

L’usage de la première personne du pluriel permet ainsi au


lecteur de se reconnaître dans le cri de douleur poussé par le
poète. Tout le poème semble ainsi évoquer la fuite du temps.
L'allégorie temps-oiseau prend ici une importance particulière.
"O temps suspends ton vol", est un impératif adressé au temps
comme à un oiseau pour suspendre son vol et se reposer.
Les participes passés, la voix passive soulignent la passivité et
l’impuissance de l’homme face au temps : il est soumis au
mouvement du temps. L’opposition des temps verbaux
(passé / présent) : le passé évoque le souvenir, l’expérience
vécue. L'imparfait insiste sur la durée des actions et le passé
simple sur le caractère bref et inattendu des moments vécus.
Dans ce poème, le présent sert à l’observation générale et à la
réflexion. Il y a correspondance entre les temps : le présent fait
naître le souvenir. Les interro-négatives soulignent la douleur
du poète.

Cette réflexion insiste sur l’impossibilité de l’homme à fixer le


temps. Cette dernière est signalée par les invocations au
temps : il est capricieux , il est celui qui donne et qui reprend,
il a un caractère inlassable, éternel.

Le rythme est vif : notamment dans les deux premières


strophes, il y a absence de points et très peu de coupes. Les
enjambements rallongent les vers.

La fragilité de l’homme est mise en valeur et donne une


tonalité élégiatique et lyrique au poème.
Lamartine réfléchit dans ce texte sur sa condition d’homme,
sur sa faiblesse face à la fuite du temps. Il s’agit d’un appel
adressé à la nature qui est seule capable d’aider l’homme dans
sa lutte contre le temps.
Le pouvoir de la nature

- le titre du poème évoque un lieu aimé qui a été le refuge


du poète et de sa compagne : seule la nature peut
conserver une trace intacte du bonheur.
La nature est très présente dans l’ensemble du poème.
Nous la retrouvons sous la forme de l’élément liquide
avec l’image du lac mais également à travers l’évocation
du "vent" ou du "Zéphyr" qui représente l’air ou des
"roches profondes" qui représente la terre.

- les "rochers", "grottes", "rocs" permettent quant à elle


une image minérale de la nature, là où les "sapins",
"coteaux", "forêts" et le "roseau" dressent une image
végétale. Cette communication imagée du poète avec les
éléments de la nature n’est en fait qu’une manière
d’utiliser la fonction expressive du langage, puisque le
poète n’a en réalité pour but que d’exprimer ses
sentiments.

- la nature en général et le lac en particulier sont le cadre


du bonheur passé et la métaphore du navigateur renforce
le sentiment d’impuissance : l’homme est un marin qui
navigue sur l’océan des âges et voudrait jeter l’ancre pour
arrêter le temps.
Le poète apostrophe ("ô" vocatif -> invocation) tous les
éléments de la nature pour qu’ils témoignent du passé,
des sentiments du poète -> le réseau lexical de la nature.

L’apostrophe "Ô Lac !", caractérisée par l’usage de la


majuscule donne au lac une dimension personnelle, renforcée
par le nom "flanc" et par le verbe "mugir" des vers.
Le vers "Ils ont aimé" est la concentration de tout ce qui a été
dit dans le poème. Ce vers est la chute et l’apogée du poème :
le poète constate le pouvoir des sentiments. Le passé composé
signale la conséquence sur le présent : le fait d’avoir aimé
l’emporte sur toutes les constatations négatives et amères ; le
poète termine sur une note optimiste.
Correspondance entre le paysage et les sentiments du poète.

Le Lac est une réflexion sur le temps en rapport avec un


amour qui semble à jamais fini. Lamartine constate avec
amertume que le passé heureux est perdu à jamais, que le
temps en a effacé la trace et qu'il ne peut être restitué. La
nature qui a été le témoin vivant de la présence du poète a pu
garder la trace de ce moment et le restituer au poète. C'est le
paysage qui conserve le souvenir, et non l'écriture et qui peut
dire "ils ont aimé". Le titre du poème s’explique : comme le
lac retient les eaux fluides et fugitives, le poème retient le
temps et fixe pour l’éternité un moment de bonheur
inoubliable. Lamartine montre ici que l’art est un moyen de
lutter contre le temps qui passe et force est de constater qu’il
réussit son projet puisque, aujourd’hui encore, nous lisons son
poème et partageons avec lui son souvenir.

BAUDELAIRE
Baudelaire occupe dans l’histoire de la poésie du XIX-ème
siècle une place clef: Héritier du romantisme, plutôt d’un
certain romantisme qui n’est “ ni dans le choix des sujets ni
dans la vérité exacte, mais dans la manière de sentir. »

- refuse un lyrisme facile, préfère un lyrisme du tragique de la


condition humaine ;
- il a mené le romantisme jusqu'à un point de rupture qui a
permis l’avènement de la poésie moderne ;
- se situe au carrefour de trois grandes directions de la poésie
du XIX-ème siècle : Romantisme, Parnasse, Symbolisme.

Les fleurs du mal

- gardent encore certains traits du romantisme et de l’Ecole


de l’Art (Parnasse) mais elles apportent surtout ce «  frisson
nouveau » dont parlait V. Hugo, c’est-à-dire cette sensibilité
nouvelle, annonciatrice du symbolisme.
- il condamne le romantisme sentimental et confidentiel qui
lui semble désuet, mais exalte le romantisme imaginatif,
dont il se veut le continuateur.
- le thème central du recueil est constitué par les « tourments
du poète » partagé entre : le spleen (angoisse de vivre) et
l’idéal auquel il aspire.
- a la base de ce spleen se trouvent ses ennemis matériels, ses
échecs, ses déficiences physiques.
- il y a du « bas romantisme » dans ce recueil : le goût du
paradoxe, la volonté d’être ou de paraître malsain, le culte
du satanisme, les accessoires de ce romantisme.
Le besoin impérieux d’unicité pousse Baudelaire vers le
dandysme. Son dandysme est une forme de protestation du « 
poète maudit » contre l’hypocrisie morale et le conservatisme
de la société bourgeoise.

Les Fleurs du Mal sont le livre d’un homme hanté par les
problèmes de l’existence et du destin.

- se présentent comme une suite de joies et de tristesses, de


tendresses et de violences, de jouissances et de terreurs,
d’espoirs et de désespoirs, d’élans et de chutes, comme un
duel entre deux natures opposées chez le même individu ;
- en étudiant le lexique des Fleurs du Mal on met en
évidence les axes qui structurent l’univers baudelairien (les
quatre pôles) : un axe horizontal, avec «  ici » lieu du
spleen et de la souffrance auquel on peut échapper par le
rêve ou le paradis artificiel et un axe vertical qui comprend
deux pôles- l’Enfer et le ciel, le gouffre et l’azur.
La hantise baudelairienne : Le temps «  L’horloge », « 
L’ennemi », «  Spleen »

- le temps est vécu sous le double signe de la longueur et de


la lourdeur (Spleen)
- «  l’obscur ennemi qui nous ronge le cœur » (Ennemi)

Le Spleen – est une conséquence immédiate de cette


insatisfaction qui procure au poète sa condition dans la société
et dans l’univers ( Ennemi, Tristesse, Angoisse, Douleur,
Désespoir)

L’Idéal baudelairien est un monde surnaturel, situé hors de


l’espace et du temps. Ses principaux véhicules vers l’Idéal
sont l’amour, les paradis artificiels, la musique, les parfums,
tout ce qui peut offrir l’image de la beauté et du mystère.

La Musique représente pour le poète le point de départ d’un


rêve d’évasion dans l’infini spatial.
La Femme pour Baudelaire- l’être ambigu par excellence,
magicienne à la fois sorcière et divine ( Ciel brouille, le
Poison), être satanique – elle est aussi providentielle, elle
aide le poète à créer.

La Beauté résultante de cette création (femme) possède la


même ambiguïté que la femme.

- statuaire, immobile, impassible, froide, Baudelaire affirme


que «  le beau est toujours bizarre ».

L’Amour repose sur un malentendu, et il est souvent du


l’ordre du satanique.

- la relation amoureuse qui signifie désir, échanges érotiques


et non affectifs, ne peut être pour lui qu’un échec illustrant
la solitude universelle de l’être humain.
- L’amour sororal rêve est une tentative pour dépasser cette
incommunicabilité.

On remarque sa préférence pour les mouvements vagues,


indéfinis : lenteur, paresse, ondulation. La paresse
baudelairienne est une paresse féconde (La Chevelure) parce
qu’elle représente un état favorable à la contemplation et é la
rêverie.

Au végétal (à l’organisme en général) qui est périssable,


il préfère les formations inaltérables du minéral (où il voit des
symboles de l’éternel). Ex : la pierre, le marbre, le miroir, la
vitre, les bijoux, les pierres précieuses et les métaux rares-
éléments constitutifs de son idéal de Beauté.

Les bijoux, les pierres précieuses, le fard masquent la


nature et installent un ordre artificiel qui correspond à sa
conception de Beau.

La véritable beauté baudelairienne n’est ni tout à fait


satanique, ni tout à fait angélique ; elle est un singulier
mélange d’angélique et de satanique.

La Mer n’est qu’un minéral mobil, lui semble être l’image la


plus parfaite de l’âme et de l’esprit humain.

Le désir d’évasion- thème majeure de la poésie baudelairienne


se manifeste d’abord par l’aspiration vers des mers et des pays
lointains, vers un Eldorado où tout est splendeur, amour et
joie, où les horloges ne sonnent plus la mort, mais le Bonheur.
Baudelaire insiste sur l’opposition entre l’extérieur et
l’intérieur, le corps et l’âme, la Terre et le Ciel.

La nature extérieure est un magasin d’images et de signes.

Victime de son expérience malheureuse, le poète arrive à


croire que «  vivre est un mal » et que «  Le Diable fait
toujours bien ce qu’il fait ». Cette conscience dans le Mal le
pousse à s’identifier à Satan et à dresser sa révolte contre Dieu
(La Révolte).

Les trois visages du Mal : le vice, la douleur, la mort.

La Ville- si le rêve union ne peut pas être réalisé dans le


couple (sauf par la mort) il existe cependant une confraternité
possible avec la communauté des êtres marqués par la vie : les
aveugles, les veuves… La ville est le choix du présent qui se
constitue en rupture par rapport au passé. Alors que les
romantiques, insatisfaits du présent, ont cherché refuge dans le
passé et dans la nature, Baudelaire choisit le présent et la ville,
ou plutôt une ville transfigurée.

La Mort est l’ultime voyage. La mort permet de rétablir


l’harmonie entre le masculin et le féminin.
Les procédés stylistiques :

- la combinaison savante des mots et de leur sonorité


- l’allitération
- l’enjambement
- la nouveauté des images
- métaphores, hyperboles
- l’oxymoron
ARTHUR RIMBAUD

L’oeuvre de Rimbaud n’a pas été structurée par Rimbaud


lui- même, mais par ses éditeurs. Les poèmes de Rimbaud sont
repartis en quatre grands ensembles : «  Les Poésies », «  Les
Derniers vers », « Une Saison en Enfer », «  Les
Illuminations ».

Rimbaud est un symboliste, il subit l’influence de


Baudelaire et derrière des symboles, Rimbaud expose les
derniers moments de sa crise : les moments d’exaltation
alternent avec les moments de désillusion, le rêve alterne avec
la réalité.

Arthur Rimbaud représente un cas unique dans l’histoire


de la littérature. Enfant précoce, doué d’une intelligence peu
commune et d’une force visionnaire inégalable, il écrira son
œuvre jusqu'à l’âge de 21 ans, tout au plus.

La soif de la liberté qui gouverne tous les sentiments de


l’adolescent, le pousse, d’une part, à sacraliser la Nature et,
d’autre part, à dresser sa révolte contre l’ordre social hostile.
La première période de la création poétique de Rimbaud
se caractérise donc par une assez grande variété thématique :
la nature, l’homme, la société, l’amour, la guerre, la
Commune.

L’originalité de Rimbaud réside surtout dans la violence


incomparable avec laquelle il exprime cette révolte, violence
qui atteint le vocabulaire même. Certains poèmes sont
peuplés de termes grossiers, de mots empruntés à l’argot ou au
parler régional.

La voyance rimbaldienne ne se confonde pas avec la


simple clairvoyance ou avec l’inspiration romantique conçue
comme une grâce divine ; c’est à la fois un état d’esprit et une
méthode qui permettent au poète d’explorer l’inconnu, de
déchiffrer le mystère du monde.

La voyance rimbaldienne comprend donc deux temps


bien distincts : se faire voyant et inventer une langue magique,
capable de traduire ces visions, de transmettre intact le
message rapporté de l’inconnu.

Rimbaud distingue dans la personne humaine deux moi : un


moi superficiel et un moi profond.
Le moi superficiel est un moi subjectif ou personnel,
soumis aux émotions et aux sentiments de temps présent qui
ont leur logique bien déterminée.

Autre c’est le moi profond, le vrai moi créateur- moi


impersonnel, atemporel, qui est raccordé aux choses du
monde, à «  l’âme universelle ».

«  Le Bateau ivre » ( 1871)- évocation d’une enfance


naïve, nourrie de songes et d’illusions, mais très tôt heurtée
aux contraintes et aux violences d’un monde mal bâti ; suit
l’exaltation de l’aventure intérieure du voyant. Le poème est
symbolique, mais les symboles sont encore assez
transparents : le bateau ivre en dérive sur une mer orageuse,
c’est le poète en état de voyance, les Fleuves symbolisent la
société, la mer c’est le monde de la «  liberté libre ». Les
visions sont tantôt apocalyptiques, tantôt féeriques, mais
toujours étranges et traduites en images éblouissantes.

Des images éclatantes abondent aussi dans le sonnet « 


Voyelles ». Rimbaud y attribue aux voyelles diverses
couleurs. C’est la première esquisse d’une théorie de
l’audition colorée. On peut y voir, comme remarque Claude-
Edmonde Magny, «  un essai de recomposition structurée de
l’univers à partir des éléments premiers ».A= la terre ; E=
l’eau ; I= le feu ; O= l’Oméga, le Tout, l’unité originelle
reconstituée, U= l’air.

La nature est pour Rimbaud le seul élément bénéfique,


l’unique source de paix et de pureté. Elle est le milieu
privilégie, le réservoir inépuisable de fraîcheur, de santé et de
vigueur, en un mot, de vie éternelle.

«  Une Saison en Enfer » - «  l’Enfer » pouvait signifier


pour le poète la société parisienne, sa liaison avec Verlaine ou
son incroyance, mais nous croyons que l’Enfer rimbaldien est,
avant tout, l’état de désespoir ou le jette l’échec de sa méthode
de la voyance.

«  Les Illuminations »= « visions » traduisent justement


cet élan libérateur et offrent l’image la plus complète de ce
que Rimbaud entend par «  son monde ».

Le « monde » de Rimbaud se définit par deux dimensions


essentielles, l’amour ( l’harmonie) et l’éternité.
« La chanson de la plus haute tour »

- Rimbaud se soumet au culte des symboles


- Le thème de la poésie est représenté par la révolte du
poète, la révolte d’un jeune homme contre la société,
contre la religion. Il se considère d’une autre race, il ne
doit pas se soumette aux règles de ce monde, il doit
s’enfuir le plus loin possible vers la lumière qu’il invente.
Sa supériorité est évidente dans le titre. La tour symbolise
l’aspiration du poète vers l’absolu, au mot « tour » du titre
correspond le mot « cieux » de la troisième strophe. Les
cieux s’identifient à l’inconnu, à l’Univers même que
Rimbaud veut atteindre, il veut acquérir des pouvoirs
surnaturels.

Les premières 4 strophes développent les aspects de la


révolte du poète : social et métaphysique.
A 18 ans le poète considère sa vie perdue, sa jeunesse ne
compte plus, il veut créer une réalité par ses propres forces,
il se voit un novateur/ créateur du monde, un Démiurge.

« Que le temps vienne/ Où les cœurs s’éprennent ». On


voit dans ces vers une sorte d’optimisme chez Rimbaud, un
peu d’espoir dans le pouvoir d’amour.

Rimbaud se soucie un peu de sa personne, car «  Je est un


Autre » dit-il, c’est-à dire il distingue de son être apparent le
moi profond capable de souder l’inconnu.

La révolte contre la religion chez Rimbaud- le Dieu


représente une commodité de style, la foi en Dieu n’est
qu’une forme avancée d’optimisme, quelque chose
d’habituel, de routine.

Le thème de l’analogie universelle est présente dans la


poésie de Rimbaud : dans l’univers imaginé par le poète les
sons et les couleurs créent des gravures colorées où la
fusion est totale entre le décor réel et le spectacle
imaginaire.

Les éléments concrets conduisent à l’incertitude, le


monde réel (jeunesse, vie, bourdon, mouches, Notre- Dame)
est remplacé par l’abstrait ( craintes, souffrances, retraite,
soif, malsaine).

On assiste à une transmutation des éléments du monde et


de la pensée où les objets, les impressions et les rêves
tourbillonnent dans une sorte de vertige.

Il s’agit d’une antithèse totale dans la poésie entre le


passé et le futur, entre le bien et le mal (craintes,
souffrances).

Rimbaud est symboliste à côté de Paul Verlaine et


Mallarmé, il subit l’influence des « correspondance »
baudelairiennes.

- le renouvellement que Rimbaud apporte à la poésie est


d’une extrême importance : il crée une langue poétique
nouvelle et il invente le vers libre.

Un révolutionnaire en poésie, d’après lui la mission du


poète est « d’être voyant , se faire voyant, voleur de feu ».

- la vie qu’il mène en marge de la morale et de la société


n’est qu’une aventure pour lui. Il a créé son propre rêve à
partir de la réalité terrestre où il crée sa propre réalité en
la rêvant, le poète se libère de limites de l’espace et du
temps ; il voyage dans le passé, en présent, en futur, mais
son ego n’a pas d’âge. Le poète doit chercher de nouveau
et arriver à l’inconnu.
Arthur Rimbaud (concernant son destin, ses ambitions, sa
poésie) s’est formé une légende, un véritable  « mythe ». De
nombreux poètes vont se réclamer de Rimbaud. Il apportera
à Paul Claudel une véritable révélation.

Par la pratique de l’hallucination et des expériences


oniriques, par la façon dont il affranchit l’imagination des
lois de la logique, Rimbaud dépasse le symbolisme et
annonce déjà l’aventure surréaliste.

On peut dire, avec Suzanne Bernard, que de Rimbaud


datent à la fois une nouvelle attitude poétique, impliquant
une révolte métaphysique contre notre univers rationalise, et
un nouveau langage poétique, instrument de cette révolte.
Par l’invention d’une langue nouvelle, Rimbaud a donné au
poème en prose et généralement à la poésie une orientation
décisive. Son influence dépasse les frontières de la France,
car sous une forme ou sous une autre, toute la poésie
moderne- française ou étrangère lui est redevable.
APOLLINAIRE (1880 -1918)

La critique et l'histoire littéraires ont eu du mal à situer


exactement la modernité d'Apollinaire, c’est d’ailleurs juste ce
qu’il voulait: dans L’esprit nouveau et les Poètes, il se déclare
vouloir rester inclassable. Mais, l'histoire littéraire fait
d'habitude le partage entre un Apollinaire qui continue la
lignée des symbolistes et un autre- promoteur et créateur de la
modernité, certains spécialistes considérant que la modernité
d'Apollinaire consiste dans l'élaboration d'une „poésie
cubiste". D’ailleurs, ami des peintres, avant tout de Picasso et
de Braque, il a une forte contribution au lancement du
cubisme; en 1913 il va publier un livre intitulé Les Peintres
cubistes.

Comme en peinture, le cubisme littéraire désarticule


l’image et en retient ses éléments constitutifs. C'est justement
cette désarticulation qui va être poussée plus loin encore par le
surréalisme. Mais les éléments désarticulés sont recombinés
par la suite dans une superposition des plans, qui offre une
synthèse originale de l'ensemble. Ce second volet caractérise
toute la modernité poétique du XX -e siècle et de ce point de
vue les innovations d'Apollinaire sont bien illustratives.

De ses principales œuvres, on peut citer: Alcools, Les


Peintres cubistes, Le Poète assassiné, Calligrammes,
posthumes- Il y a, Poèmes secrets à Madeleine, Le Guetteur
mélancolique, Tendre comme le souvenir, Ombre de mon
amour.

Dans la première hypostase du poète, domine l'allure


mélancolique, voire même élégiaque des vers. L'expression
parfaite de cette création est le poème Le Pont Mirabeau
(Alcools), l'un des plus beaux qui soient. Il chante
l'écoulement éternel de la durée, figurée ici par «l'eau
courante » de la Seine, face à laquelle demeure monumentale
la triste joie du poète: Sous le Pont Mirabeau coule la Seine
/Et nos amours /Faut-il qu'il m'en souvienne /La joie venait
toujours après la peiné // Vienne la nuit sonne l'heure / Les
jours s'en vont je demeure

Le refrain du poème ainsi que l’emploi du subjonctif sans


que apportent une idée d’archaïsme et une musicalité discrète.
La suppression de la ponctuation, par contre, y ajoute une
nuance moderne. Un autre élément de modernité consiste
dans la manière d’Apollinaire de construire les images ( dans
Le Pont Mirabeau il construit une architecture à trois
niveaux: le pont des bras des amoureux, le Pont Mirabeau où
ils se trouvent et la Seine qui coule en bas). Le propre
d'Apollinaire est justement l'élaboration des images assez
vastes, que développent leurs termes agencés dans des rela-
tions fort complexes. Il en est ainsi de la plupart des poèmes
d'Alcools.

Le partage entre Apollinaire -mélancolique et Apollinaire


-poète de la modernité n'est pas essentiellement
chronologique. Car Alcools démarre avec Zone, poème
brutalement moderne, alors que dans un recueil comme
Calligrammes, imbu de modernité, on retrouve des fragments
ou des poèmes entiers qui tiennent plutôt de la première
attitude.

Quoi qu'il en soit, Zone représente un tournant dans


l'évolution du discours poétique dans son ensemble. Comme le
peintre cubiste, Apollinaire opère une dislocation, mais celle-
ci est plus profonde, puisqu'elle touche l'être même du poète:
il s'adresse à lui-même par le pronom tu, se déclarant dès le
départ : „À la fin tu es las de ce monde ancien”. Tout au long
du poème il y a un festival compliqué de pronoms où domine
ce tu — moi. Tout se passe comme si le moi se jetait au monde
en riant et en pleurant à la fois; ensuite, dans l'acte même de
récriture, il perçoit ce spectacle et se revoit multiplié dans
l'espace et dans la durée, tout en concentrant les segments par
une technique simultanéiste. Mais l'effet est plus profond que
dans la peinture et ce n'est pas par hasard que le poète invoque
des volumes: „Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie / Ta
vie que tu bois comme une eau-de-vie […] Adieu /Adieu
/Soleil cou coupé”

Cette fin de l’adieu est marquée d'abord par la circularité


entre le comparant vie pour alcool et sa reprise comme
comparé, déterminé dynamiquement par le comparant eau-de-
vie, lui-même synecdoque pour alcool. Autrement dit, la
peinture langagière d'inspiration cubiste s'enrichit par un
vertige à la Van Gogh. Le cri d'adieu apporte une image
démentielle: Soleil cou coupé, qui revient d'une manière
obsédante chez Apollinaire.

La structure d'Alcools repose sur l'alternance hétéroclite


entre des poèmes très concentrés et d'autres qui s'étendent sur
plusieurs pages; il en est ainsi de la fin de ce recueil.

Si novateur qu’il fût, Apollinaire restait un artiste attentif


aux images, aux cadences, à la musique des mots, bref un
poète qui cherchait toujours la beauté en renforçant le mystère.
Le surréalisme retint de son exemple le rejet des poncifs, le
recours à la suggestion, l’effort de rupture et de percée vers
l’inexprimable. Il développa surtout cette dernière tendance,
car il rejetait l’art comme factice et déclarait n’avoir en vue
que l’expression sans arrêt de la vérité profonde.

Apollinaire est un promoteur de la spontanéité, la surprise


est le concept fondamental de sa poétique. Dans
Calligrammes, intitulé initialement Idéogrammes lyriques,
Apollinaire donne libre cours à l’imagination formelle et crée
une poésie visuelle. Les Calligrammes, dans leur ensemble,
forment un recueil complexe, qui renferme plusieurs cycles
composés. La partie inédite du recueil consiste dans les
poèmes disposés graphiquement sous forme d'images. Ils sont
l'aboutissement des tentatives d'exploiter les techniques d'im-
pression rattachées à la mise en page qu'avait entrevues
Mallarmé dans Un coup de dés jamais n'abolira le hasard.

Certains calligrammes reposent sur la simple mise en


page. Le poète choisit un seul fragment de texte qu'il dispose
de manière à figurer tel ou tel objet ou même un acte quel-
conque. On peut mentionner à cet égard le poème Fumées, qui
insère une phrase reproduisant la forme d'une pipe:

„Et je fu / me /du ta bac /zoNE”


Mais après cette notation qui se veut banale, le poète
s'adresse à soi-même dans la partie finale et celle-ci renferme
des images imbues de poéticité: „Tu t'étends comme un dieu
fatigué par l'amour/ Tu fascines les flammes/ Elles rament à
tes pieds/ Tes feuilles de papier”

Le poète réalise aussi des calligrammes totalement figu-


ratifs. C'est le cas du poème II pleut qui est écrit sous forme de
lignes presque verticales reproduisant la chute des gouttes de
pluie. On a l’impression de regarder un dessin représentant
des fils de pluie. La lecture en est difficile, mais bien
récompensée. La première „chute” dit: „il pleut des voix de
femmes comme si elles étaient mortes même dans le
souvenir”.

L'invention y est totale: le poète rompt avec la tradition


de la mise en page routinière; il choque brutalement par la vue
d'une page où effectivement les lettres représentent des
gouttelettes d'eau; on a même l'impression d'y sentir le frais
parfum de la pluie. En même temps, le texte se concentre dans
des énoncés courts et très denses au point de vue sémantique.
Il a l'air d'une maxime, qui, en l'occurrence est enrichie par
une image inédite, douée d'une force de suggestion
extraordinaire.
Mais les calligrammes qui valorisent complètement
l'iconicité sont ceux qui reproduisent le contour des objets.
C’est le cas de Coeur, couronne et miroir. Apollinaire choisit
des images qui sont pleinement symboliques: le coeur comme
métonymie de la vie, la couronne comme métonymie de la
royauté et le miroir qui reproduit „graphiquement” le nom du
poète, l'ensemble se rattache au fond à la personne de celui qui
écrit.

Quant au sens de la lecture: dans les calligrammes qui


renferment des courbures on lit de droite à gauche, dans le
sens des aiguilles d'une montre, donc dans le sens inverse de la
lecture linéaire courante.

Le poème La Colombe poignardée et le jet d'eau est plus


complexe et il évoque les amours et les amitiés du poète. Les
vers jaillissent d'un centre comme les jets d'eau, ce qui, par
rapport à d'autres images, introduit une forte dose de
dynamisme.

Les formes peuvent être plus sophistiquées encore, c'est


le cas de La Cravate et la montre. Avec les calligrammes
écrits à la main, le poète ajoute un nouveau élément
d'authenticité, cette fois-ci, celle de sa propre calligraphie, qui
apparaît comme une sorte d'autographe, à plus forte raison que
le texte s'adresse directement à quelqu'un.

D'autres poètes se sont essayés, dans ce genre de poésie,


depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours. Seulement, dans le cas
d'Apollinaire il s'agit de tout un programme artistique, ses
Calligrammes sont le corollaire de la technique cubiste
employée dans ses poèmes - superposition de plusieurs plans
et même de plusieurs modes d'expression artistique. Aux
techniques cubistes qui régissent les images d'Apollinaire
s'ajoute un rythme d'ensemble, Apollinaire construisant ainsi
une musique cubiste.

La création d'Apollinaire marque un tournant dans


l'histoire de la poésie française. Après Baudelaire et le sym-
bolisme, elle s'institue comme la troisième modernité. Elle
vaut par ses qualités intrinsèques, mais aussi par l'influence
sur la poésie qui a suit. Par son caractère contestataire,
Apollinaire annonce le mouvement „dada"; par la force de
l'image, par la découverte des zones inédites de sensibilité
spontanée, par le discours qui se veut libre et qui prône la
liberté, il anticipe et fonde le surréalisme. D'ailleurs c'est
lui qui a forgé le mot dans le sous-titre de son ouvrage Les
Mamelles de Tirésias. Drame surréaliste en deux actes et un
prologue.
JACQUES PREVERT

(1900 - 1977)

Le mouvement surréaliste est apparu au vingtième siècle. Il


est caractérisé par son humour noir et la forte présence de
négation à tout ce qu’on impose, mais la négation, ou le refus
s’accompagne d’un désir de renouvellement. Ainsi naît de
nouvelles valeurs comme l’amour et la beauté, afin d’amener
chacun dans sa quête de la "vraie vie". L’esprit qui règne à
l’époque est la révolte, la liberté et l’expression des
impulsions. Les surréalistes ont libéré la poésie de ses
anciennes contraintes formelles et ont mis en avant-plan les
images et les métaphores qui rapprochent des réalités que la
conscience ne songe pas à unir. C’est ainsi que naît la poésie
du quotidien.

- Jacques Prévert est né le 4 février 1900, à Neuilly-sur-


Seine.
Il est un enfant heureux et gai qui rit en toutes
circonstances. Il ne manque aucune fête, aucun cirque et
déjà, se passionne pour le monde du théâtre. Son père qui
connaissait des acteurs, l’emmenait en coulisses avant
que les spectacles ne commencent.

Jacques Prévert ne veut rien savoir de tout ce qui s’appelle


PRISON, il n’aime guère les prêtres et serviteurs d’Église, car
cela représente, à ses yeux, le pouvoir autoritaire, le passéisme
le plus absolu et le conformisme le plus borné. La violence de
l’anticléricalisme prévertien sera souvent rejetée avec dégoût
et escamotée au profit de son intérêt pour les enfants, les fleurs
ou les petits oiseaux. Sa mère commence, dès son jeune âge, à
lui lire des contes de fées, elle l’initie au monde la fiction et du
rêve.

Il accompagne souvent son père chez les pauvres et il se


met à les aimer, à comprendre leurs joies et leurs peines, à
découvrir les trésors de générosité, de délicatesse et de poésie
qui se cachent au fond du cœur des plus démunis de la société.
Il constate que le monde n’est pas toujours bon ; mais
heureusement il y a le rêve, la lecture et le cinéma...

L’écriture de Jacques Prévert se distingue par le rapport


particulier que l’auteur entretient avec le langage. Les mots
prennent vie sous sa plume et le poète compose des œuvres
avec une grande liberté. Ses recueils recèlent des figures de
style et des jeux de mots qui font toute la magie de la poésie
prévertienne. Son écriture est également marquée par
l’influence des scénarios. On retrouve la spontanéité des
échanges dans la composition de ses poèmes.

Les thèmes abordés par Jacques Prévert dans ses poèmes


sont très divers et apparaissent comme le reflet de ses
expériences. On retrouve ainsi l’enfance, qui rappelle le vécu
de l’auteur. En outre, Jacques Prévert est un auteur engagé qui
évoque sans détour ses prises de position. Il condamne la
guerre dans des poèmes comme « Barbara » et prend
également la défense des populations délaissées, vivant dans la
misère. La poésie de Jacques Prévert rayonne donc par sa
diversité langagière, mais aussi par la portée à la fois
personnelle et universelle de son écriture.
Poète à l’époque du surréalisme, Prévert est un important
représentant de la poésie du quotidien, tout comme Vian ou
Cadou. Les textes de Jacques Prévert ont d'abord été publiés
isolément dans diverses revues depuis les années trente. C’est
en 1946 qu’on a pour la première fois réuni et publié ses textes
sous le titre de « Paroles ». La publication du recueil a assuré
un grand succès au poète, Prévert devenant par la suite très
populaire, grâce à son langage familier, à son humour et à ses
hymnes à la liberté. De son oeuvre on peut encore citer:
« Histoires » (1946), « Contes pour enfants pas sages », « Le
Petit Lion », « Vignettes pour les vignerons », « Charmes de
Londres », « Bim, le petit âne », « La pluie et le beau temps ».

Tout comme d’autres poètes du quotidien, Prévert


souhaite atteindre une simplicité dans le langage. L’artiste
transfigure le quotidien par le regard personnel qu’il porte sur
la réalité. Prévert a refusé d’écrire une poésie qui ne soit pas
lisible pour tous. Il a fait reculer les limites du langage
poétique, créant des oeuvres accessibles à tous. Cependant,
l’écriture de Prévert n’est pas simpliste. Par exemple, dans le
poème Page d’écriture, Prévert utilise des métaphores afin de
faire comprendre ce que devrait être la signification de
«vivre»: „Mais tous les autres enfants écoutent la musique/ et
les murs de la classe s’écroulent tranquillement./ Et les vitres
redeviennent sable,/ l’encre redevient eau,/ les pupitres
redeviennent arbres, /la craie redevient falaise,/ le porte-
plume redevient oiseau”. C’est par une métaphore qu’on
évoque ici la vie. Les murs de la classe qui s’écroulent
représentent les limites du quotidien, toutes les habitudes
auxquelles l’homme est liés: comme, par exemple, le travail.
Redécouvrir la vie c’est pour Prévert retrouver ce contact avec
la nature. La poésie du quotidien chez Prévert, c’est démontrer
des choses simples, que tout le monde connait, mais qui sont
oubliées et auxquelles on ne pense pas.

L’œuvre principale de Prévert est le volume de poésies


intitulé Paroles. Le succès du recueil s’explique par
l’atmosphère de la libération qui rend le public plus sensible
aux thèmes anarchistes de Prévert, à sa défense de la liberté.
Le style oral, familier et simple est une autre raison du succès
populaire de Paroles. Le vocabulaire simple et concret est
d’ailleurs une caractéristique permanente du recueil. Le poète
imite le parler du peuple, emploie un lexique restreint, des
expressions toutes faites ou proverbiales. Il écrit en vers libres
et remplace souvent les rimes par des assonances.
Les aspects dominants de l'art de Jacques Prévert que
souligne d'ailleurs le titre Paroles sont la spontanéité et
l'oralité nourries des influences surréalistes faites
d'expressivité nouvelle et de provocation. On retrouve les
traces  du surréalisme dans des procédés tels: les inventaires,
les énumérations hétéroclites d'objets et d'individus, les
additions de substantifs ou d'adjectifs, les procédés de l'image,
de la métaphore et de la personnification (animal, objet,
humain).

Les thèmes du recueil sont nombreux, ils se croisent


souvent et sont mis en valeur par des procédés poétiques
efficaces. Il parle de choses injustes, de gens qui souffrent et
qui meurent et en dénonce les responsables. La dénonciation
de la violence, de la guerre, de la politique bourgeoise, de la
religion représentent les thèmes dominants du volume. Le
thème de la vie quotidienne et des lieux de Paris est également
récurrent dans le recueil. Il traite des choses qui touchent les
gens, qui leur ressemblent, qui sont près d’eux: il s’intéresse à
la vie des humbles, au bonheur tranquille des amoureux, aux
scènes de la rue. Un autre thème qu’il évoque c’est le travail,
notamment dans la Chanson des sardiniers ou la Chanson des
cireurs de souliers, qui était, jusqu’à l’époque, considéré
comme un thème antipoétique.

De tous les recueils de poésie de Prévert, Histoires


est sans doute l'album le plus près des gens. Ceci est dû, non
seulement au fait qu'il raconte des histoires simples du
quotidien, mais également parce que ce sont celles de
Monsieur Tout Le Monde et qu'il est facile de s'y reconnaître.
Prévert sait toucher le grand public parce que sa sensibilité
s’indentifie à celle des gens simples. Il a écrit aussi pour les
pauvres, en communiquant leurs pensées Chanson des cireurs
de souliers.

Dans La pluie et le beau temps, Prévert se révolte envers


les autorités. Le poème Entendez-vous gens du Viêt-Name en
est bien illustratif. Dans des poèmes tels Étranges étrangés,
Confidences d'un condamné, le poète exprime les réalités
cruelles de la vie.

Prévert n’utilise pas un langage poétique mais se sert du


parler populaire auquel il attribue une valeur poétique. Il
l’accommode à sa manière et lui communique un renouveau
de jeunesse et de vigueur en changeant le sens des mots en les
disposant selon sa fantaisie. Il transforme ainsi le langage en
poésie. L’intérêt pour la poésie de Prévert ne réside pas tant
dans son contenu mais dans l’originalité de son expression.
Afin de conserver une allure naturelle à la langue populaire
devenue alors poétique, le poète accumule les répétitions qui
donnent à l’expression la démarche hésitante et désordonnée
de l’improvisation. L’absence de ponctuation accentue à cette
impression. Par l’absence de ponctuation, le lecteur est appelé
à réagir de façon personnelle: accélérer, ralentir ou faire des
pauses selon son désir.

L’expression de Prévert est anticonformiste. Il se


manifeste sous forme d’opposition et de refus et s’exprime de
façons variées. De plus, le poète fait des changements de
direction ayant souvent pour origine des associations
déclenchées par une image, un mot ou un son. Leur caractère
imprévu donne l’impression que Prévert saute d’une idée à
l’autre. Dans le monde poétique de Jacques Prévert, réalité,
rêve et irréalité coexistent harmonieusement. Cette évolution
fait que tout est possible; dans certains poèmes, les
personnages se trouvent engagés dans des aventures où
animaux, plantes, objets parlent, se métamorphosent,
participent à la vie.

Chez Prévert, l’humour prend des formes différentes


allant du charmant au noir. Quel que soit son aspect, il
demeure spontané; plus souvent, le poète recourt à l’humour
noir, forme qui lui permet de dire une chose sur le ton qui
convient le moins. Il peut obtenir des effets humoristiques
abondants et naturels. L’humour offre également au poète
l’occasion de masquer ses sentiments lorsqu’il n’a pas envie
de les laisser voir.

- Pratiquée par George Braque, Pablo Picasso ou encore


Max Ernst, la forme artistique du collage se développe
dans la première moitié du XX- ème siècle. La technique
de cet art repose tout d’abord sur le choix du support, de
l’image de fond sur laquelle viendra se superposer une
sélection de motifs et de représentations variées.
Jacques Prévert est un artiste en quête d’expériences
nouvelles. C’est dans les années 40 qu’il part à la
découverte de cette forme d’art déjà exploitée par les
surréalistes et les cubistes. Le poète est séduit par cette
technique mêlant la diversité des supports à la rencontre
des images, qui n’est pas sans rappeler sa création
poétique. En 1948, l’auteur est victime d’un accident qui
l’empêche temporairement de s’adonner à l’écriture.
Cette contrainte va le mener à une pratique plus régulière
des collages. Cette technique artistique le ramène
finalement à ses premières passions, le cinéma et la
poésie. Il découpe, sélectionne et monte des images, tel
un scénariste ou un poète.
Le collage suscite la rencontre fortuite de
plusieurs réalités, de même qu’un inventaire visuel fort,
d’une originalité excentrique et parfois subversive. En
effet, Jacques Prévert n’hésite pas à bousculer la société
de l’époque en caricaturant son conformisme.
Le lien entre les mots et les images s’exprime
clairement dans Fatras et Imaginaires, ouvrages dans
lesquels les collages alternent avec des textes de formes
variées. Cette rencontre d’éléments hétéroclites permet en
outre à Jacques Prévert de retrouver l’univers onirique
qu’il avait coutume de créer dans ses œuvres poétiques.
Les images se substituent aux mots, puis les deux formes
d’art deviennent peu à peu complémentaires.

Le cinéma figure au premier rang des activités qui ont


joué un rôle important dans l’esthétique poétique de Prévert.
Pour Prévert l’image est le moyen idéal d’expression.

Jouer avec le langage est un plaisir pour Prévert, même


au stade le plus simple du mot. Il crée parfois de nouveaux
mots pour satisfaire son goût du jeu et lui donner, à nouveau,
l’occasion d’exprimer son anticonformisme. Par son talent et
son savoir-faire, Prévert transforme le langage de tous les
jours en poésie. Il utilise avec brio les assonances, les
allitérations, source amusantes de rythmes imprévus. La
répétition occupe également une place importante, elle donne
une certaine musicalité aux textes. Il utilise l’écriture
automatique, qui est une forme d’expression spontanée et
intacte de l’imagination.

Modernité, expressivité et simplicité caractérisent la


création de Jacques Prévert qui continue à retenir l'attention et
à nourrir les mémoires.
JEAN RACINE

Jean Racine, maître de la tragédie classique

Lorsque Racine commence sa carrière, la tragédie, originaire


de l’Antiquité grecque, est un genre très codifié, fondé sur les
principes énoncés par Aristote (IV e siècle av. J.-C.), et redéfini
en France pendant la première moitié du XVIIe siècle.

Pièces en alexandrins et en cinq actes, les tragédies


empruntent leurs sujets à l’histoire ou à la mythologie. Ainsi,
Mithridate, Britannicus, Bérénice, proviennent de l’histoire
romaine ; Andromaque, Iphigénie, Phèdre, de la mythologie,
et si Bajazet, pièce « turque », se réfère à l’histoire
contemporaine, le manque de distance est compensé par
l’exotisme géographique et culturel.

Illustres et exemplaires, les personnages sont plongés dans une


crise dont l’issue, souvent fatale, inspire terreur et pitié,
provoquant la catharsis, purgation des passions. Dans ses
préfaces, Racine revendique l’héritage des Anciens, des grecs
Euripide, Eschyle, Sophocle, ou d’auteurs latins, Virgile,
Sénèque, Tacite. Esther et Athalie, tragédies religieuses, sont
issues de la Bible.

Racine suit la règle des trois unités. L’action commence le


matin pour s’achever le soir, respectant l’unité de temps (la
durée de l’intrigue ne doit pas excéder vingt-quatre heures).
L’unité de lieu (l’action se déroule dans un seul lieu)
contribue à enfermer les personnages dans le cercle de leurs
passions. L’unité d’action (une seule intrigue), extrême dans
Bérénice, est aussi respectée dans des tragédies, comme
Bajazet, dont les péripéties servent le déroulement de l’action
principale. Par ailleurs, l’obligatoire vraisemblance ne
coïncide pas nécessairement avec le vrai ; Racine se conforme
aux habitudes culturelles de son public, admettant des touches
de merveilleux païen (comme le « monstre » qui, dans Phèdre,
attaque Hippolyte) ou de merveilleux chrétien issu des récits
bibliques. Les bienséances exigent de ne pas heurter le goût
ou les idées des spectateurs, d’éviter une violence susceptible
de les fasciner. Les brutalités – assassinats de Pyrrhus dans
Andromaque, de Britannicus, de Roxane, dans Bajazet – sont
racontées et non montrées. La proscription d’un langage cru
épure un style subtil qui recourt à la litote, à l’euphémisme.
Loin d’en être prisonnier, Racine exploite les contraintes de la
tragédie classique pour obtenir un maximum d’intensité. Le
dénouement doit restaurer la morale compromise par le
déchainement des passions, mais Racine achève plutôt ses
tragédies par la déploration, la compassion et les larmes.
La passion et la fatalité dans le théâtre de Jean Racine
La galanterie, courant esthétique majeur alors que Racine écrit
Andromaque, dépeint avec un raffinement subtil les méandres
des sentiments amoureux. Si Racine en reprend le vocabulaire
et les images (« feux », « fers », « flammes »), il les réactive,
leur restitue un sens propre : mourir d'aimer devient une réalité
et cesse d'être une métaphore.
Passion irrépressible, l’amour domine le théâtre racinien.
Mû(e) par une idée fixe, prêt(e) à toutes les violences pour
s’assurer la possession de l’être aimé, l’amoureux ou
l’amoureuse (qui aime sans être aimé) s’enferme dans une
aliénation croissante. L’amour passionnel est montré jusque
dans ses manifestations physiques ; ainsi, Phèdre rougit, pâlit,
tremble à la vue d’Hippolyte. Racine dépeint aussi les
douceurs de sentiments tendres, purs, d’amants (dont l’amour
est réciproque) qui se heurtent à la fureur d’un(e)
amoureux(se). C’est Junie et Britannicus affrontant Néron,
Atalide et Bajazet opposés à Roxane, Aricie et Hippolyte à
Phèdre. Deuxième grande passion du théâtre racinien, l’amour
du pouvoir ravage certains de ses héros tels que Néron,
Agamemnon, Athalie. Chaque tragédie s’ouvre sur une crise
passionnelle qui sera exacerbée par des obstacles - obstacles
extérieurs : refus de l’être aimé, interdits familiaux, raison
d’État, ou intérieurs, comme un fort sentiment de culpabilité –
et la crise s’amplifie graduellement jusqu’à une issue le plus
souvent fatale.
Tout en se livrant à une analyse lucide des sentiments ou des
signes de la passion, le héros qui souffre d’un amour
pathologique ou d’un appétit incoercible de pouvoir est
incapable d’obéir à la raison. Il se débat vainement contre ses
pulsions et le spectateur assiste à une marche inexorable vers
la catastrophe. Car tout est joué d’avance, l’homme, soumis à
une fatalité déterminée par les dieux, n’est pas libre. Le
dénouement d’une tragédie doit rétablir des rapports familiaux
ou sociaux déréglés par le jeu des passions, mais, chez Racine,
l’ordre politique n’est jamais vraiment restauré et le
spectateur, ému et fasciné par l’épreuve des passions est, la
crise achevée, invité à la compassion par les larmes que
Thésée se propose de verser sur Hippolyte, ou un dernier
« Hélas ! » de Bérénice.
Le style de Racine

- toujours admiré pour sa simplicité

- point de sublime; point de mots à effet, de vers à


détacher, à retenir

- il ne fait pas de pensée ou de „maximes” comme


Corneille. Le « Qui te l’a dit ? d’Hermione, le Seigneur,
vous changez de visage de Monime, le Sortez de Roxane,
voilà le sublime de Racine

- mots de situations, mots très simples, locutions de la


conversation courante que ne sont terribles ou pathétiques
que par les causes qu’on leur connait et les effets qu’on
en pressent

- il utilise le mot noble quand il faut, le mot trivial quand il


est nécessaire, le mot exact toujours (sauf dans les
passages ou il prête a ses personnages le langage
conventionnel de la galanterie et des cours).

- les mots n’ont pas seulement pour Racine une valeur


pittoresque, ils ont aussi une valeur musicale

- la simplicité, la propriété, la poésie, l’harmonie,- voilà les


grandes qualités du style racinien
MOLIÈRE

Sa passion pour le théâtre doublée d’une curiosité


intellectuelle évidente- lectures nombreuses, contacts avec des
représentants de la libre pensée de l’époque- détermine
Molière à se pencher aussi bien sur les sources livresques que
sur les sources prises sur le vif. La source espagnole sera
présente dans Don Garcia de Navarre et dans Don Juan ; la
source italienne se retrouve dans Sganarelle ou Le Cocu
imaginaire et d’une façon générale elle apparaît dans les
portraits des valets. Certes Molière emploie de même des
sources littéraires françaises, dont tout d’abord les farces
populaires et les fabliaux.

L’authenticité qui va de pair avec la diversité se reflète dans le


but permanent poursuivi par Molière : réaliser une vaste
enquête sur l’homme avec, sans doute, des procédés de farce,
en s’appuyant sur l’effet contrastant, essence/apparence, afin
d’en extraire la source du comique. Par le comique, Molière se
propose de faire tomber le masque de ses personnages.

Excellent connaisseur du théâtre, Molière est implicitement un


excellent connaisseur du public, manifestant une grande
préoccupation pour les rapports qui doivent s’établir entre la
scène et l’extérieur.

En partant de l’opposition courante à son époque, vices/vertus,


Molière est obsédé par la dimension de la bêtise humaine et
par la distance insensible qui existe en celle-ci et la folie. De
là, la riche galerie des imaginaires : malades, médecins,
précieuses, savantes, mauvais poètes, cocus. La bêtise est
présentée par Molière comme la source des défauts, tels
l’avarice, la jalousie, la tyrannie, la folie des grandeurs.

Annoncée par la première grande comédie, Les Précieuses


ridicules, la bêtise humaine après avoir franchi l’étape
Jourdain (Le Bourgeois Gentilhomme) atteint le sommet dans
Le malade imaginaire.

Si la bêtise apparaît comme un défaut presque constant,


Molière n’omet pas dans ses comédies les effets néfastes de
l’hypocrisie et de l’imposture. Afin d’accroître les contours du
Mal, Molière, double d’un excellent moraliste, l’oppose au
Bien, qui se traduit par le bon sens, facteur d’harmonie,
d’équilibre, source des dénouements heureux, où l’amour et la
justice triomphent.
D’une manière presque invariable, le schéma d’une comédie
de Molière comporte trois éléments obligatoires : la présence
d’un jeune couple, la présence d’un obstacle en la personne
du père ou du tuteur, la présence d’un dénouement heureux
concrétisé dans le mariage des jeunes. Ce schéma suppose
l’utilisation des groupes fixes de personnages selon les
catégories requises, les jeunes, les vieux, les domestiques
alliés des jeunes, les raisonneurs. Il résulte de cette distribution
des personnages par groupes fixes une double opposition : de
générations et d’ordre social (maîtres/ domestiques).

En vertu du principe de mobilité, si cher à Molière, on


constate des nuances très variées chez tous les personnages de
ses pièces. Les personnages de Molière changent d’attitude, de
gestes, de ton et de vocabulaire selon ceux auxquels ils
s’opposent. On peut parler d’un permanent mouvement de
rotation et de révolution, car le personnage varie ses
manifestations selon la vérité des circonstances.

Si l’on pense à l’un des personnages les plus discutés,


Tartuffe, on constate que ce personnage, qui du point de vue
statistique et concret apparaît dans un nombre réduit de
scènes, par rapport à l’ampleur des discutions qui préparent et
commentent ses apparitions, défile devant chaque
interlocuteur avec un autre masque, puisque, de toute
évidence, Tartuffe devient dans la série des personnages
moliéresques le porteur de masque le plus habile, ce qui le
distingue des porteurs inconscients de masque- les cocus, les
précieuses, les savantes- qui aboutissent par là même à la
dimension ridicule.

- dans la construction des personnages Molière évite les


clichés ;

Le défilé des personnages est un véritable kaléidoscope.


L’unique personnage immuable du point de vue du
comportement et des réactions est le père ou le tuteur. Orgon
(Tartuffe), Harpagon (L’avare), Arnolphe (L’Ecole des
Femmes), Sganarelle (L’Ecole des maris) sont tous
pareillement obtus, têtus, médiocres, tournant autour d’eux-
mêmes, confinés dans leur univers fermé.

Molière attribue des syntagmes à valeur de code, qui facilitent


le déchiffrement de leur attitude et qui, à force d’être répétés,
confèrent à ces personnages la dimension typologique.

Le discours des personnages devient implicitement moyen de


mise en lumière de leurs portraits, portraits particulièrement
importants, puisque l’auteur les envisage à travers une double
destination : la première est la destination immédiate, placer le
personnage dans le contexte de la pièce, prouver ce qu’il est
dans l’espace scénique et partant offrir au spectateur un trait
saillant : Tartuffe, un imposteur, Harpagon, un avare,
Jourdain, un parvenu ridicule, Arnolphe, un vieux barbon
ridicule. La seconde destination de ces portraits, parfaitement
rendus par le dynamisme du dialogue, est celle qui vise un
effet prolongé, orienter donc l’attention du spectateur vers leur
contraire, vers ce qu’ils devraient être réellement dans la vie
quotidienne ; le portrait négatif est destiné à mettre en valeur
le portrait positif, selon les vœux de Molière, psychologue
intelligent et profond, et selon l’idéal éthique et social de
l’époque, synthétisé dans la célèbre formule « l’honnête
homme ».

Comme le personnage est l’élément fondamental dans la


structure des comédies de Molière, c’est autour de lui que se
réalise l’unité d’action, plus exactement autour du personnage
central, Tartuffe, Harpagon, Monsieur Jourdain, Arnolphe,
Argan, ou bien autour d’un couple, le plus souvent couple
maître-valet.
L’unité d’action, avec l’appui de la symétrie, confirme le
parfait équilibre de toute construction de Molière, donc
l’empreinte esthétique de l’époque.

Molière n’hésite pas à faire côtoyer comique et tragique dans


certaines de ses pièces.

L’audace de Molière d’avoir choisi un personnage dont


l’essence est l’idée de liberté a dû choquer ses contemporains.
C’est pourquoi la postérité considère cette pièce comme
meilleure expression de l’esprit moderne de son auteur.

Une personnalité particulièrement forte, comme celle de Don


Juan, l’auteur accentue le caractère cérébral de la pièce qui
s’impose justement par l’extrême densité des idées abordées :
l’inconstance, l’hypocrisie, la foi et la liberté, la quête de la
vérité, la hantise de la mort. Don Juan est un personnage riche
en nuances, d’un caractère fort complexe. A la différence de la
plupart des personnages qui incarnent un seul trait : Orgon-
naïf, Tartuffe- hypocrite, les médecins- malhonnêtes, et qui
apparaissent comme le produit d’un but ou d’une circonstance,
Don Juan et Alceste sont les produits d’un ensemble des
circonstances sociales et morales, reflétant par le
comportement l’ambiance de la société française de ce milieu
du XVIIe siècle.
Quant au Misanthrope, c’est la pièce la plus personnelle de
Molière, puisqu’il n’est redevable à aucune source livresque.
Comme le vrai sujet de la pièce est la morale, l’unique source
décelable à cet égard serait l’ensemble des traités et opuscules
de morale de La Mothe Le Vayer. Construction parfaitement
classique, par l’essence du sujet abordé, la pureté des rapports
entre les gens, Le Misanthrope annonce son entier respect vis-
à-vis de la vraisemblance et des bienséances. Par l’action
proprement dite, qui est très mince, puisqu’elle peut être
réduite à une conversation déroulée dans un salon, donc limité
dans le temps et dans l’espace, il y a respect des unités.

La liberté de l’auteur et par la même son modernisme, se


manifeste justement par la coexistence du ridicule et du
tragique. Tout en étant préoccupé par la dimension du
comique à travers les situations et le langage, l’auteur accorde
le plus grand poids à la dimension tragique, reflétée par
Alceste, personnage central autour duquel se concentre l’unité
d’action.

Selon Aristote, le comique cesse là où commence la


souffrance. Or Alceste lucide et exigeant comme Don Juan,
demande trop mais obtient bien peu et conscient que le monde
se dresse devant lui comme un obstacle, rêve d’un monde
parfait.

A la différence de Don Juan, Alceste est fort sensible, ce qui


l’achemine vers la souffrance perpétuelle, causée notamment
par un amour non partage. Si dans l’ensemble de ses
comédies, Molière traite le problème des rapports hommes-
femmes, lorsqu’il s’agit des différences d’âges, à travers le
thème du cocuage, l’équivalent a cet égard devient dans Le
Misanthrope , ou il n’y a aucune différence entre les deux
partenaires sauf celle des sentiments, l’inconstance et la
fidélité. C’est là que se manifeste le ridicule d’Alceste,
illustration cependant du tragique, dans la distance qui existe
entre la raison de son amertume, la coquetterie d’une femme et
la décision qu’il prend, l’isolement. C’est la disproportion de
l’opposition, une femme/ le monde qui confère a Alceste une
dimension ridicule aussi.

Moliere, auteur génial de comédies, se propose constamment


de faire triompher le rire. Même dans des pièces aussi graves
que Don Juan ou Le Misanthrope, le rire est présent. La
réplique irrésistible de Sganarelle devant la mort de son
maître, « Mes gages ! », confirme l’intention de l’auteur de
laisser au spectateur comme image dernier, l’image de
l’humour.

L’art de Molière résulte notamment de la conciliation du rire


et de la vérité, car c’est là son but ultime, transmettre par le
comique de caractère, de situation et de langage des vérités sur
l’homme.

Jean-Paul SARTRE (1905-1980)

Le théâtre français du XXe siècle frappe par son aspect


hétéroclite, tradition et expériences diverses se partagent la
scène. Dans le cadre de toute cette diversité, trois directions
plus importantes s'imposent à l'observation: le théâtre de
tradition, le théâtre existentialiste et le théâtre de l'absurde.

Célèbre fondateur et représentant de l'existentialisme


athée français, promoteur d'une pensée et d'une action souvent
contradictoires et contestables, Sartre a été l'une des
personnalités proéminentes de la culture européenne au XX e
siècle. Philosophe, romancier, dramaturge, critique littéraire,
journaliste et militant politique, il a influencé profondément la
spiritualité contemporaine et a marqué aussi un moment
d'exception dans l'histoire de la littérature française. De son
œuvre dramatique, on peut citer: Les Mouches; Huis -clos;
Morts sans sépulture; La Putain respectueuse; Les Mains
sales; Le Diable et le Bon Dieu; Kean.

Le théâtre de Jean-Paul Sartre est un théâtre d’idées par


excellences, mettant en scène des personnages qui
incarnent les principes fondamentaux de sa philosophie. Le
thème central y est celui de la liberté (on l’appelle d’ailleurs
un « théâtre de la liberté »), mais comme il n’y a de liberté
qu’en situation, ce théâtre est surtout un « théâtre de
situation », comme l’appelle l’auteur lui-même.

Constitué, en partie, comme une réaction à l'idéalisme


rationaliste de souche cartésienne ou néo-kantienne,
l'existentialisme athée de Sartre est une théorie de l'Être.
L'Être est par excellence l'indéfinissable; étant le concept le
plus général, il n'a pas de genre prochain ni de différence. De
plus, toute définition doit obligatoirement employer la copule
est. Il est l’être-en-soi la seule énonciation possible qu'il tolère
c'est qu'il est. Ainsi, l'Être n'est pas voué à l'intellection. Il
n'est accessible qu'à une compréhension intuitive de la
conscience.

Sartre développe une phénoménologie de la conscience,


qui est une liberté qui institue le sens dans le monde. Elle n'est
pas identique à elle-même; de par sa nature engagée dans un
devenir perpétuel, elle existe. La conscience à l’ avenir devant
soi et se projette en avant; en tant que projet elle est l’être-
pour-soi (ou le pour-soi). Elle existe tout d'abord et ensuite, du
fait de sa liberté, se donne une série de déterminations (par des
choix successifs) en acquérant son essence. La proposition
„l’existence précède l'essence” (inversion évidente de la
philosophie platonicienne) est le postulat suprême de la pensée
de Sartre. C'est pourquoi „l'homme est l'avenir de l'homme”, il
„est ce qu'il se fait" parce qu'il est „condamné à être libre".
Poussée continuellement devant un nouveau choix, la
conscience n'éprouve sa liberté qu'à travers cette tonalité
affective qu'est l'angoisse.

Avec sa première pièce de théâtre, Les Mouches (1943),


Sartre procède à une réinterprétation existentialiste du mythe
grec des Atrides. Le véritable thème du drame c'est l'histoire
d'une conversion à la liberté. Après un exil de quinze ans, le
jeune Oreste, fils d'Agamemnon et de Clytemnestre, revient
dans sa ville natale qu'il ne connaît point. Égisthe et
Clytemnestre, assassins de son père, règnent tranquillement
sur un peuple auquel ils ont infligé le remords perpétuel de
leur crime. Le trajet que parcourt Oreste mène d'une liberté
inconsistante, caractérisée par une disponibilité vide et
insensible à rengagement, vers une liberté-en-situation avec
son corollaire, la responsabilité totale à l'égard de l'option
assumée. Si, au début, Oreste se sent étranger il arrive
finalement, par suite d'une révélation fondamentale, à
l'évidence de sa liberté-pour-quelque-chose qui anéantit toute
immixtion éventuelle du pouvoir divin. En s'identifiant à cette
nouvelle liberté, Oreste transgresse l'ordre moral fondé sur le
sens conventionnel du Bien et du Mal et invente une issue plus
qu'il ne la choisit (car le choix se définit et reste toujours dans
le cadre d'un état antérieur). Il commet donc le double meurtre
et assume consciemment son acte justicier en tant qu'acte bon;
par contre, le peuple d'Argos exècre ce crime perpétré au nom
de la morale commune tout comme Electre s'en repent
pétrifiée d'horreur. La parabole qui achève la pièce suggère la
dimension prométhéenne de l'acte accompli par Oreste; par la
punition des coupables la ville a été délivrée des remords
(symbolisés par les mouches), mais le sauveur doit s'exiler
pour toujours afin d'éviter le retour à la situation initiale. Sa
tragédie consiste dans cette solitude de la conscience qui le
sépare à jamais de ses semblables. Dans Les Mouches c'est
l'aspect irréductible du pour-soi qui est mis en évidence ; le
héros partira seul, incompris, avec son acte bon et
injustifiable.

Huis-clos (1944) aborde, sous un certain jour, le thème :


la relation réciproque des consciences. L’auteur pos le
problème du rapport avec les autres. Structure essentielle de la
subjectivité (c'est-à-dire du pour-soi), l'être-pour-autrui
devient une source intarissable de conflits dès que l'homme
tente de contourner sa plus intime possibilité existentielle - la
liberté responsable.

À la place du reflet rassurant qui le dispenserait de vivre


constamment dans l'angoisse du choix, il s'expose souvent à ne
plus recevoir en retour qu'un regard tortionnaire jugeant
impitoyablement de ses actes.

La mauvaise conscience des trois personnages - Garcin,


Estelle, Inès - réunis après la mort (et ne subsistant que par la
convention dramatique) dans une chambre infernale aux appa-
rences plutôt familières, s'avérera vulnérable à la présence
maligne d'autrui-inquisiteur. Aucune issue n'est octroyée à ces
êtres pris dans un engrenage diabolique qui les rend à la fois
victimes et bourreaux ; leur vie s'est irrévocablement fermée
derrière eux et, faute de pouvoir accéder à un nouvel acte qui
en modifierait le sens, chacun sera livré au jugement éternel
des autres.

La conclusion accablante de la pièce : „L'enfer c'est les


autres" ne vise pas à être une sentence universelle, car, sur la
terre, une individualité vivante a toujours la possibilité de
rectifier la signification de son existence à condition d'assumer
librement la responsabilité de ses actes passés et futurs.

Avec la pièce Morts sans sépulture (1946) le théâtre sar-


trien insère la conscience dans l'histoire réelle. Sartre revient
au thème du condamné à mort qui avait fait l’objet de la
nouvelle Le Mur. Le conflit n'a plus lieu dans l'atmosphère
pure et raréfiée des entités abstraites; l'impact de la réalité
immédiate (un épisode de la Résistance), accompagné d'un
nouveau thème, celui de la torture corporelle, introduit une
tension dramatique particulière. Dans ce drame, la conscience
d'une condition commune qui engendre la solidarité surmonte
la doctrine plutôt „individualiste” de l'existentialisme sartrien.
Morts sans sépulture annonce déjà la réorientation idéologique
de l'auteur qui marquera de façon décisive sa pensée
ultérieure.

Avec Les Mains sales, un tournant radical se produit


dans la pensée philosophique et littéraire de Sartre, car il
dépasse le subjectivisme qui caractérisait ses réflexions sur
l’homme et le monde, vers une conception plus réaliste et
concrète dans tous les sens. Dans cette pièce l’auteur utilise la
technique cinématographique du flash-back, ou du retour en
arrière. Cette technique permet à l’auteur de mieux marquer
les antinomies tragiques du personnage et de révéler la
signification profonde de la pièce, qui témoigne d’une
tentative pour briser les murs de la conscience malheureuse
afin d’accéder aux sources de l’existence authentique.

SAMUEL BECKETT
Les pièces de Beckett sont des parodies de la condition
humaine. L’auteur a une vision tragique de l’existence, le
monde lui apparait rigide, lugubre, vide et sans signification.
Ses personnages sont tous des misérables, vagabonds ou
infirmes qui, au fond de leur misère atroce, observent leur sort
avec une impitoyable lucidité et posent sans cesse des
questions sur leur identité, sur leur existence présente, sur leur
vie future, repoussant fermement les illusions mensongères.

Dans le théâtre de Beckett l’intrigue manque. Le


développement linéaire est remplacé par un développement
circulaire.

En attendant Godot, le chef-d’œuvre de Samuel Beckett, est


une farce tragique en deux actes. L’ordre des événements et
des rapports diffère cependant d’un acte à l’autre. Vladimir et
Estragon sont des personnalités complémentaires : l’un est
méditatif, l’autre plus instinctif, plus capricieux. C’est
pourquoi, malgré l’opposition de leurs tempéraments, ils
doivent rester ensemble, car ils dépendent l’un de l’autre.
Conscients de leur inutilité, ils sont le symbole de l’humanité
souffrante. Le décor (notamment l’arbre et la route), les
costumes, certains objets de vêtement qui « occupent » a un
moment donne la scène, la nourriture, sans parler de leurs
gestes, ont une fonction symbolique évidente, même si leur
signification reste parfois indécidable. L’espace scénique est
presque vide et semble évoquer le vide de l’existence
humaine, l’absurde, le désespoir. Le seul élément de décor est
un arbre qui pouce au cours de la pièce- image du temps qui
passe et qui entraîne inévitablement les personnages vers la
mort.

La réponse que Beckett a donnée à la question « Que signifie


Godot ? » (ce certain Godot est un personnage qu’ils attendent
éternellement) est bien révélatrice a cet égard : « Si je savais,
je l’aurais dit dans la pièce. » D’une manière générale, on
pourrait dire que Godot symbolise le salut, et que l’attente des
deux clochards signifie l’espoir de l’homme dans l’avènement
d’un être mythique, ou bien on pourrait dire que Godot
symbolise l’idéal, au sens commun : ce que chacun désiré
mais ne réalise pas. Cependant, la nature exacte de Godot est
d’importance secondaire, car le sujet de la pièce est l’attente.

En attendant Godot ne raconte pas une histoire. Il n’y a


aucune progression ni dans les faits, ni dans les caractères.
Nous tournons en rond. Les deux clochards se retrouvent au
début du deuxième acte dans la même immobilité de l’attente.
Le langage des personnages n’est pas toujours cohérent ; il y a
des phrases inachevées, des questions sans réponse, des
répétitions obstinées.

En attendant Godot reste une des grandes dates du théâtre


contemporain. Aucune œuvre n’a exprimé avec une rigueur
aussi dépouillée la vacuité de l’existence et la vanité de
l’espoir.

Dans Fin de partie on assiste à « l’épuisement d’un


mécanisme jusqu’à son arrêt définitif. » Hamm, aveugle,
paralytique, dans un fauteuil roulant, vit sa dernière heure
entre son fils adoptif Clov et ses vieux parents, Nell et Nagg.
Hamm et Clov sont inséparables. Malgré le désir de quitter
Hamm, malgré son exaspération qui lui rend parfois enrage,
Clov ne peut pas s’en séparer ; car Hamm, aveugle, qui
ordonne et ne peut pas se lever, et Clov, qui voit, exécute et ne
peut pas s’asseoir, forment en réalité une seule personnalité,
qui ne se dissociera que dans la mort.

La seule faculté dont les pauvres créatures de Beckett


disposent encore, c’est le langage. C’est pourquoi, afin de
remplir le vide qui les entoure, ils font recours à la parole. Le
recours à la parole est pour les malheureux de Beckett un
divertissement qui leur fait oublier pour un temps la misère
atroce de leur condition. Plus que tout autre chose, ils
détestent le silence, car le silence est l’image même du néant.
L’homme beckettien fait de la parole l’instrument d’une quête
intérieure : en parlant, il se scrute, se découvre, se met à nu.

Seule la parole donne à ces infirmes l’impression de vivre, de


vaincre le temps en disant n’importe quoi, en inventant des
histoires pour empêcher de sentir que tout s’en va. Leurs
discours sont parsemés de répétitions, d’inversions, ou bien
traversés de silences, de moments de répit où ils semblent se
refaire pour se relancer.

Dans Oh les beaux jours l’incessant bavardage de Winnie n’a


d’autre dessein que de remplir le temps. Ce monologue
épuisant est tout ce qui lui reste avant que la terre ne
l’ensevelisse, car tout le long de la pièce on assiste à son
enterrement progressif dans les sables, au milieu du désert.
Comme les personnages des autres pièces, Winnie est en proie
au processus de dégradation et de répétition, qui constitue une
des marques de l’univers beckettien.

Les conversations dans le vide, les questions sans réponses, les


paroles sans signification qui illustrent la décomposition du
langage, trahissent en même temps un univers en
décomposition.

Les coups que Beckett porte au langage ne visent pas à


l’éliminer de la scène. Il est vrai qu’il expérimente la
pantomime dans des pièces courtes intitulées Actes sans
paroles, mais cette tentative est restée sans lendemain et le
plus souvent le langage représente la seule raison d’être de ses
personnages.

Les pièces de Beckett sont des paraboles, qui nous disent que
les hommes sont les jouets du destin, qu’ils ne peuvent se
soustraire aux misères de leur condition. La vision qu’il offre
de la condition humaine est désespérante : aucune chance de
salut n’est laissée à la créature. Cette vision abrite cependant
une immense pitié pour l’être humain soumis non plus aux
caprices du destin et des dieux, mais à l’irrémédiable
déchéance que comporte sa condition.
Eugène IONESCO (1909-1994)

Le théâtre français du XXe siècle frappe par son aspect


hétéroclite, tradition et expériences diverses se partageant la
scène. Dans le cadre de toute cette diversité, trois directions
plus importantes s'imposent, à savoir : le théâtre de tradition,
le théâtre existentialiste et le théâtre de l'absurde.

Le théâtre d'Eugène Ionesco fonde une nouvelle concep-


tion du spectacle dramatique en contestant certains points
essentiels du code unanimement admis du genre; c'est un anti-
théâtre dans le sens où il nie la cohérence traditionnelle établie
au niveau du langage et définit le personnage comme
paradoxe, qui, incarné dans la présence d'un acteur unique
n'arrive pourtant pas à s'imposer comme identité distincte et
singulière. Ce ne sont plus les sentiments qu’on met en scène,
ni des problèmes de conscience, mais le tête-à-tête d’hommes
anonymes ou communs avec une matière implacablement
hostile. La faim, le désir, la peur, l’attente apparaissent à l’état
pur et comme dans leur simplicité sauvage. Cette absence de
psychologie est une des raisons pour laquelle on a nommé ce
théâtre un „théâtre de l’absurde”. Ce théâtre n’oppose pas
une nouvelle représentation de l’homme du siècle précédent à
une autre, plus ancienne, il abolit purement et simplement
toute image de l’homme.

Ionesco est hanté par l’obsession de la redite et du


recommencement et son imagination est habitée par deux
images effrayantes: celle du vide et celle de l’encombrement.
Ces hantises s’expriment dans La Cantatrice chauve, La
leçon, Les Chaises, Rhinocéros, Le Roi se meurt, La Soif et la
faim.
Dans le théâtre de Ionesco la logique et le sens commun
sont abolis, les sentiments et le langage sont brûlés, le
personnage réel et la marionnette cohabitent ; le drame devient
la représentation d’un non-sens humain. Selon lui, le théâtre
doit opérer avec de véritables tactiques de choc.

La première pièce d’Ionesco, La Cantatrice chauve a été


jouée en 1950 et à défaut d'attirer immédiatement le public,
retient l'attention de plusieurs critiques et amateurs de
littérature. En 1950, il prend la nationalité française et
continue d'écrire des pièces, comme La Leçon (représentée en
1951) et Jacques ou la Soumission qui font de lui un des
dramaturges les plus importants du théâtre de l'absurde.

Dans sa première pièce, La Cantatrice chauve, l'action


dramatique se situe au seul niveau verbal; c'est la destruction
progressive d'un langage réduit aux clichés et aux truismes,
désarticulé de façon vertigineuse en sons, entraînant dans cette
folie ses manieurs, devenus des fantoches. C'est là plus qu'une
parodie du théâtre, c'est le drame de l'homme contemporain,
celui de la rupture entre les mots et les choses, entre la parole
et l'être - une des formes que prend dans l'art moderne la
conscience de l'absurde. Cette « antipièce », comme il
l’appelle, est une critique des cliches de langage et du
comportement mécanique des gens, de leur conformisme.
Conçue par l’auteur comme une « tragédie du langage », cette
pièce offre le tableau inquiétant de l’usure irrémédiable de ce
moyen de communication entre les hommes et met en question
la communication même et la possibilité d’entendement dans
un monde ou le conformisme des relations sociales engendre
le néant intellectuel.

Dans Les Chaises, Ionesco reprend et pousse à ses der-


nières conséquences la négation du modèle de la communi-
cation oratoire entamée déjà dans Une lettre perdue de
Caragiale: un discours électoral illogique et à peu près
incongru - dont la transmission est déréglée aussi par un
puissant bruitage - y est donné sans convaincre personne et il
reste même essentiellement inutile puisque le candidat sera
imposé par une autorité supérieure. Ionesco réduit sys-
tématiquement au néant chaque composante de l'acte
communicatif: les deux vieillards qui voudraient transmettre le
message de leur vie à l'humanité se suicident après l'avoir
confié à un orateur sourd-muet. Mais dans la salle à laquelle il
s'adresse il n'y a que des chaises vides, absence du desti-
nataire. Et d'ailleurs ce fameux message semble ne pas exister;
le dialogue précédent des deux vieillards suggère plutôt que
leur vie ratée ne laisse rien derrière.

«  Le thème de la pièce, écrit Ionesco n’est pas le message, ni


les échecs dans la vie, ni le désastre moral des vieux, mais
bien les chaises, c’est-à-dire l’absence de personnes, l’absence
de Dieu, l’absence de matière, l’irréalité du monde, le vide
métaphysique, le thème de la pièce, c’est le rien. »

Dans Le Roi se meurt, se manifeste l’affrontement du


burlesque et l’angoisse intimement liés: burlesque du roi de
comédie, ridicule dans l’affirmation de sa puissance dérisoire;
angoisse devant la mort.

Le roi, nommé Bérenger Ier, évoque l’ombre des


souverains, mais il ne s’enferme pas dans l’exaltation d’un
tragique ou d’un grotesque étranger. La pièce ne cherche pas à
délivrer quelque message, mais révéler la transparence d’une
peur – celle de l’anéantissement. La mort est ici partout et
dans le langage lui-même, innommée, esquivée, parlée par la
reine, qui doit aider le roi à accepter sa destruction, évoquée,
affirmée et finalement reconnue. Le roi d’Ionesco est à la fois
trivial, naturel et sordide dans sa grandeur, comme le monde
qu’il domine.
Roi charismatique, il essaie une dernière fois à retrouver
son pouvoir magique sur les choses et les hommes, il donne
des ordres fous („j’ordonne que les arbres poussent du
plancher”), tente de noyer sa mort dans la déclamation de cette
nouvelle communiquée à tous. Le roi est dérisoire et grotesque
dans son affection de puissance. Le roi, qui est avant tout un
homme comme tous les autres, atteint par le venin de la mort,
n’est plus qu’une marionnette.

Le héros ionescien arrive à incarner les angoisses et


l'aventure de l'homme moderne aux prises avec les limites
inéluctables de l'Histoire et de sa condition, qui se fait fort de
préserver en lui et autour de lui ce qui lui appartient en propre
en tant qu'homme, contre l'invasion des objets et les tyrannies
de tout ordre. C'est là un théâtre symbolique, peuplé d'images
concrètes de l'absurde, bien plus saisissantes que la parole de
ses personnages: un cadavre qui pousse, des chaises vides que
personne n'occupe, des champignons, des œufs qui
remplissent la scène. Ce sont là des métaphores -objets
uniques qui portent par leur présence matérielle même, et
d'autant plus difficiles à doter d'une signification une et
rigoureusement circonscrite.

Les „rhinocéros” incarnent, de l'aveu même de l'auteur,


l'esprit fasciste, grégaire et agressif, mais aussi toute dictature
qui ravit à l'homme la liberté de se manifester en tant
qu'individu, le privant des attributs de son humanité, du droit
de se chercher lui-même dans une quête jamais achevée.
Riches, d'une ambiguïté fertile, ces images définissent son
univers dramatique comme oeuvre ouverte, où le sens ne
s'épuise et ne peut jamais s'épuiser par la totalité des lectures
scéniques

Macbett appartient à la vague d'intertextualité shake-


spearienne qui traverse aujourd’hui le théâtre; elle illustre
paradoxalement la vitalité de l'archétype. L'absurde ionescien
acquiert une dimension nouvelle, plus redevable à l'histoire
contemporaine. C’est l’histoire d'un héros faible, corrompu
par le pouvoir, auquel il accède au prix du crime, laisse
entrevoir un mécanisme cyclique qui tourne de mal en pis, car
celui qui prend la place de Macbett à la fin est bien pire que
lui. Il ne s'agit pas seulement de répétition mais aussi de
prolifération du mal. À travers l'agitation fébrile des humains,
on entrevoit la prolifération du crime de guerre, surtout dans le
grand monologue de Macbett, repris d'ailleurs par Banco, mais
aussi dans les images mêmes du massacre. C'est un
avertissement à l'adresse du XXe siècle agressif et imprudent.
En automne 1957, paraît Rhinocéros, nouvelle dans
laquelle Ionesco manifeste son effroi devant l'éclatement
contagieux du patriotisme chauvin et du racisme qui saisissait
la France à l'occasion de la « Bataille d'Alger » (hiver
1956/1957). Comme la pièce touche en France des sujets trop
délicats, c'est à Düsseldorf qu'elle est représentée pour la
première fois en 1959, et le public allemand y voit pour sa part
une critique du nazisme. Dans cette pièce on assiste à une
transformation progressive des habitants d’une ville en
pachydermes. Cette épidémie inconnue, la rhinocérite,
implique un changement de « mentalité » et tend à
« remplacer la loi morale par la loi de la jungle », comme le
fait remarquer le protagoniste de la pièce.

Grâce à Eugène Ionesco, le théâtre est confronté à tous


ses possibles mais aussi à ses limites qui tournent paradoxa-
lement chez lui en autant de stratégies dramatiques fertiles.
Crise et renaissance du langage, et même de l'être humain par
le personnage dramatique, la symbolique ouverte des signes de
spectacle, tout s'y conjugue pour poser des questions
essentielles sur la destinée de l'homme moderne. Au-delà du
ridicule des situations les plus banales, le théâtre de Ionesco
représente de façon palpable la solitude de l'homme et
l'insignifiance de son existence.

Ionesco a essayé d’extérioriser l’angoisse de ses


personnages dans les objets, de faire parler les décors, de
visualiser l’action scénique, de donner des images concrètes
de la frayeur ou du regret, du remord ou de l’aliénation, de
jouer avec les mots. Dans son théâtre l’ironie, le cauchemar et
le lyrisme s’entremêlent, l’humour- synonyme de la liberté-
en étant le dénominateur commun. D’ailleurs, l’humour est
pour lui l’unique voie de libération. Il considère que le langage
est réduit à une fonction mineure dans un théâtre où la parole
est continuée par le geste, le jeu, la pantomime. C’est
pourquoi, il recommande à l’acteur de jouer contre le texte.

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