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Osmond Thomas. Revendications patrimoniales et imaginaires post-nationaux : reconstructions identitaires autour des
églises de Lalibela dans le contexte du fédéralisme ethnique éthiopien. In: Annales d'Ethiopie. Volume 24, année 2009.
pp. 149-170;
doi : 10.3406/ethio.2009.1391
http://www.persee.fr/doc/ethio_0066-2127_2009_num_24_1_1391
Abstract
Heritage claims and post-national imaginary : reconstruction of identities around the lalibela
churches in the context of ethiopia’s ethnic federalism
The monolithic churches of Lalibela are mostly known as the main tourist attraction in Ethiopia.
They also distinguish themselves through the recent production of discourses and books
challenging their official history and the position of their founders, the Zagwe monarchs. These
intellectual productions are largely embedded in ethnicity. Agaw and Amhara categories are
updated to stage new fictions dealing with the ‘ true’ identity of those who excavated these
churches and their determinant – but unfairly acknowledged – role in the Ethiopian political history.
The recent debates and ethno-centered re-readings of the historical patrimony that they represent
offer an interesting point of view on the reconstructions of regional identities in the context of
ethnic federalism, characterized by the official recognition of “ ethnic nationalities” since the 1990s.
Competing heritage claims over these churches tend to mirror the complex heritage of the former
unitary imperial imaginary, as well as highly politicized trial and error of federal Ethiopia, in quest of
its national identity.
Annales d’Éthiopie, 2009, vol. XXIV, 149-170
Thomas OSMOND 1
*********************
Résumé :
Abstract:
The monolithic churches of Lalibela are mostly known as the main tourist
attraction in Ethiopia. They also distinguish themselves through the recent production of
discourses and books challenging their official history and the position of their founders, the
Zagwe monarchs. These intellectual productions are largely embedded in ethnicity. Agaw and
Amhara categories are updated to stage new fictions dealing with the ‘true’ identity of those
who excavated these churches and their determinant – but unfairly acknowledged – role in
the Ethiopian political history. The recent debates and ethno-centered re-readings of the
historical patrimony that they represent offer an interesting point of view on the
reconstructions of regional identities in the context of ethnic federalism, characterized by the
official recognition of “ethnic nationalities” since the 1990s. Competing heritage claims over
these churches tend to mirror the complex heritage of the former unitary imperial imaginary,
as well as highly politicized trial and error of federal Ethiopia, in quest of its national
identity.
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Introduction
Cet article 2 souhaite aborder les récents débats en Éthiopie autour des
églises monolithes de Lalibela dans le contexte du fédéralisme ethnique. Ces
débats impliquent principalement des intellectuels, des fonctionnaires et des
acteurs politiques promouvant deux versions concurrentes sur la paternité
« ethnique » de ces églises. La première de ces versions met en scène l’identité
agaw et mobilise la dynastie zagwé, l’ancienne région du Wag (correspondant
grossièrement aujourd’hui à la zone Wag-Himra), ses dirigeants (les Wagshum)
et la domination historique qu’ils exerçaient sur un territoire qui inclurait les
églises de Lalibela. Cette version affirme que le roi Lalibela et la dynastie
zagwé appartiennent à « l’ethnie » agaw, présentée comme les véritables
populations autochtones de l’ensemble géographique correspondant aux
régions septentrionales de l’Éthiopie actuelle. Ses promoteurs rattachent
directement les Zagwé au royaume d’Aksum et au prophète Moïse. Ils
questionnent – et réfutent souvent – la véracité du Kebra Negast, un ensemble
de récits épiques portant sur les populations éthiopiennes de langue sémitique
(généralement désignées par les qualificatifs amhara et tigréennes) 3 légitimant
leur domination politique sur le pays en vertu de liens de descendance putatifs
avec la reine de Saba (connue en Éthiopie sous le nom de Makeda) et le roi
Salomon d’Israël 4 . La seconde version, contraposée à la première, met en
scène la mystérieuse région du Lasta, présentée comme le berceau de l’identité
amhara, forgée par les monarques zagwé. Ces derniers seraient les véritables
héritiers d’Aksum et représenteraient l’apogée de l’hégémonie éthiopienne
impériale, comme l’illustre l’excavation des églises de Lalibela. Cette version
rejette fermement les revendications agaw, étant donné que le ge’ez était la
langue officielle du royaume zagwé et que les populations dites agaw
2 Cet article est le fruit d’une enquête réalisée à Lalibela en 2005-2006 dans le cadre du
programme ACI-Espaces et territoires dirigé par Marie-Laure Derat et Claire Bosc-Tiessé.
3 Voir notamment D.N. LEVINE (1975).
4 L’historiographie classique éthiopienne sépare les dynasties ayant successivement régné sur
l’Éthiopie en trois ensembles : les Aksumites (qui régnèrent jusqu’à la fin du premier millénaire),
les Zagwe (1050?-1270) et les Salomonides (1270-1974).
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imaginaires nationaux leur est néanmoins commune. Voir E. SMITH (2006) et T. OSMOND (à
paraître en 2010).
9 Voir M.-L. DERAT (dans ce volume).
10 Debre Roha (le monastère de Roha) n’a vraisemblablement été qu’un centre religieux à
l’influence fluctuante. Au sujet des toponymes liés au site de Lalibala, voir les articles de Marie-
Laure Derat et Claire Bosc-Tiessé, dans ce volume.
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FLPT, avec pour toile de fond l’indépendance de l’Érythrée. L’alliance du FLPE avec le FLPT
rendait possible la constitution d’une opposition armée capable de renverser le Derg. Elle
permettait en outre au FLPE d’obtenir l’indépendance de l’Érythrée, étant entendu que
l’Éthiopie libérée du Derg serait administrée par le FLPT, sur la base de la doctrine stalinienne
de la reconnaissance des nationalités ethniques. L’émergence au début des années 1990 d’une
politique fédérale ethno-nationale, sur fond d’idéologie marxiste, repose sur cette histoire
complexe que l’on peut finalement résumer à la volonté d’échapper au centralisme éthiopien,
dont le Derg n’est finalement que la continuité, tout en menant à son terme la révolution de
1974. Les luttes internes entre opposants au Derg (Parti Révolutionnaire du Peuple Ethiopien
(PRPE) versus FLPE-FLPT) et la place centrale de la question de l’indépendance érythréenne
ont largement conditionné ce résultat. Il fallait en quelque sorte imposer un nouveau modèle
néo-marxiste, ancré dans le local et les particularismes régionaux, au Tigré principalement, pour
renverser le Derg et abattre une fois pour toute la domination amhara, symbole du centralisme
éthiopien, dont le PRPE apparaissait comme l’ultime réminiscence. En instaurant un régime
ethno-fédéral, le FLPT légitimait son contrôle sur l’appareil étatique éthiopien par le fait qu’il
« libérait » les peuples d’Éthiopie à la fois de la dictature du Derg et du centralisme impérial
amhara. Voir T. OSMOND et C. BARNES (2005).
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17 Voir notamment le symposium sur la culture agaw du Wag-Himra, 25-28 Gembot 1987 (1995
dans le calendrier éthiopien), marqué par la présence de Negaso Gidada, alors Président de la
République fédérale et démocratique d’Éthiopie.
18 Tamrat Layne a été arrêté le 24 octobre 1996 pour son implication dans un réseau de
diabolisée et aujourd’hui pour ainsi dire sanctifiée en « Jeanne d’Arc » est le fruit de Täfäri
Wossen, petit-fils du Wagshum Kabada et président fondateur de l’ONG Wag Organisation
Relief and Development (WORLD). Après un long exil au Royaume-Uni, Täfäri vit à Addis
Abeba où il tente de revaloriser le patrimoine culturel du Wag.
21 Voir AYELEW SISSAY, Yä Agäw Hezb Tarik (Histoire du peuple agaw, ouvrage en amharique
présenté lors du symposium tenu à Sekota en 1995 (voir note 16) et l’entretien qu’il nous a
accordé en octobre 2006. Après avoir obtenu en ex-Yougoslavie un master et un doctorat sur le
rôle du tourisme dans l’économie des pays en voie de développement, Ayelew travaille
actuellement pour le Bureau fédéral du tourisme en Éthiopie.
22 Voir BAYE FELLEKE (1996). L’auteur conclut ironiquement sa réflexion en écrivant : « the
Kibre Negest, in its present form, might have contributed, perhaps in a not insignificant way, to
the extraordinary longevity or durability of the Solomonic dynasty and to the equally
inexplicable eclipse of the Zagwe and the Agaus [in the official Ethiopian history]» (p. 43)
23 Voir WUDU TAFETE KASSU (1998 : 221).
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couchitique des langues agaw. Quelles que soient les versions, elles attestent
toutes de la présence antérieure des populations agaw dans ces régions, avant
l’arrivée des groupes sémitiques dont les populations amhara et tigréennes se
réclament aujourd’hui originaires.
Dans cette optique, l’empereur Lalibela est considéré comme un
Agaw, comme l’atteste son nom qui est interprété dans cette langue comme
signifiant « entouré d’abeilles » (ce qui constitue le signe divin de son élection
pour devenir monarque). La production du corpus de textes formant le Kebra
Nagast est perçue comme une compilation frauduleuse destinée à disqualifier
l’autorité des Zagwé au profit des usurpateurs du Choa qui s’emparèrent du
trône en 1270 avec Yekuno Amlak. Si quelques textes du Kebra Nagast auraient
bien été rédigés à l’époque de l’empereur Lalibela, la majeure partie du corpus
aurait été réécrite et ré-agencée par les Salomonides à la chute des Zagwé,
l’exemple de l’invention du mythe de Menelik Ier en constituant le point le plus
flagrant. En poursuivant dans cette direction, l’identité amhara serait le fruit
d’interactions entre populations agaw, populations sémites et peuples du sud.
Comme au Tigré, où les Agaw se sont mixés avec les populations sémites
locales, les Amhara ne seraient finalement que des Agaw sémitisés qui se
seraient départis des premiers au fil de « distinctions raciales, culturelles,
géographiques, historiques et surtout politiques » 24 .
Dès lors, les Agaw représenteraient la face fondatrice cachée de la
fiction amhara nationale, spoliée par l’historiographie officielle pro-
salomonienne, comme continuent de l’illustrer les églises de Lalibela
administrées par l’État régional Amhara. Les Agaw seraient les premiers
autochtones des régions de l’actuel Nord éthiopien. Ils composeraient la
majeure partie de la population aksumite et auraient joué un rôle politique
majeur. Suite au poids des influences sémitiques et aux développements de
l’islam, l’ancien royaume d’Aksum serait devenu le Tigré, l’identité tigréenne
reposant en quelque sorte sur une identité agaw sémitisée. Moins touchés par
ces influences, les Agaw des actuelles régions du Wag-Lasta auraient davantage
été marqués par leur rencontre avec les populations juives porteuses de l’arche
d’alliance et descendantes du prophète Moïse qui donnèrent naissance à la
véritable nation éthiopienne de droit divin, flirtant du bout des doigts avec le
corpus afrocentriste des « Black Jews » 25 . Le point culminant de l’influence
politique agaw s’incarnerait dès lors dans l’œuvre et la vie des monarques
zagwé comme Yemrehane Krestos et Lalibela, méta-synthèses entre identités
israélite, agaw et chrétienne, représentant le socle légitime de l’imaginaire
proto-national éthiopien que la propagande salomonienne se serait empressée
d’exclure après leur renversement pour fonder, sur la base d’une usurpation
historique axée sur l’invention du mythe de Menelik 1er, le « retour » légitime
des Salomonides à la tête de l’empire éthiopien.
Les différents imaginaires sur l’identité agaw, tels que les ont
récemment façonnés des intellectuels pour la plupart engagés dans la relecture
des canons de l’historiographie éthiopienne, manquent pour la plupart de
fondements historiographiques solides et s’enferment trop souvent dans des
raisonnements ethnonormés discutables. Cependant, ils produisent du sens et
renseignent sur l’état des lieux d’une mémoire historique régionale éthiopienne
aujourd’hui très discutée dans le cadre du fédéralisme ethnique. Les mêmes
remarques s’imposent en outre sur la version officielle de l’histoire officielle
ecclésiastique et impériale, tout comme sur les relectures récentes de l’identité
amhara à Lalibela.
Aksumites à part entière 26 , dont l’influence a été accentuée par les invasions
musulmanes (la prise du port d’Adoulis, le saccage d’Aksum) et surtout la
sainteté des empereurs Yemrehane Krestos et Lalibela. L’excavation de ces
églises monumentales témoignerait de l’élection divine de ces monarques
porteurs d’un christianisme à dimension internationale. Celui-ci s’inscrirait
dans le prolongement direct du royaume aksumite, comme le démontre le
mimétisme architectural de plusieurs des églises monolithes avec l’église
d’Aksum Seyon. Au VIe siècle déjà, l’église d’Aksum Seyon fondait en
Éthiopie une nouvelle Jérusalem. Ainsi, Lalibela serait un équivalent de la ville
d’Aksum, la ville sainte du nord de l’Éthiopie, elle-même inspirée de la ville
sainte par excellence, Jérusalem. En se positionnant dans la droite lignée
aksumite, les églises monolithes de Lalibela définissent la nouvelle Jérusalem
éthiopienne. Les rois zagwé apparaissent comme les gardiens de la foi
orthodoxe à la chute du royaume d’Aksum. Cet imaginaire ne disqualifie pas le
mythe de Menelik Ier et le « retour » des Salomonides avec Yekuno Amlak. Il
apporte cependant une nuance notable aux discours de l’historiographie
officielle, principalement fondée par les Salomonides : les Zagwé ne sont ni
des usurpateurs, ni des dépositaires par intérim du trône éthiopien entre les
Aksumites et les Salomonides. Leur règne représente l’apogée politique et
religieux de l’empire et définit au Lasta la version originale de l’identité proto-
nationale amhara.
Les promoteurs de cet imaginaire affirment que c’est précisément à
l’époque de la dynastie zagwé que se serait forgée l’identité amhara originale,
celle-là même qui servit de socle national à l’État éthiopien et que l’on attribue
généralement aux Salomonides qui montèrent sur le trône d’Éthiopie après la
dynastie zagwé. La langue amhara parlée à Lalibela est considérée par ses
habitants comme la plus pure, c’est-à-dire la plus proche du ge’ez. L’œuvre
d’écriture menée notamment par l’empereur Lalibela diffusa largement l’usage
du ge’ez qui ne fut plus seulement la langue administrative. Sa forme
simplifiée et vulgarisée n’est autre dans cette optique que l’amharique, qui s’est
peu à peu diffusée depuis la matrice de la région de Lalibela, pour gagner les
actuelles régions du Gojjam, du Choa et de Gondar. Toujours selon le même
raisonnement, les Salomonides, qui succédèrent aux Zagwé, ne sont pas
considérés comme des usurpateurs. Ils sont cependant moins « purs », car
moins proches de la matrice zagwé-lalibélenne, véritable source de ce qui allait
devenir l’identité nationale amhara. Dans cette optique, les « rois pieux »
zagwé 27 ne sont plus le trait d’union entre Aksumites et Salomonides, mais
davantage le point culminant de l’influence politique et religieuse de l’empire
éthiopien, berceau de l’identité amhara nationale. Les clercs de l’Église et les
intellectuels originaires de Lalibela rejettent en bloc les discours des
26 Voir la place accordée au roi aksumite Kaleb et l’alliance entre le naggadras du Lasta, Merera
Teklaimanot et la fille de Kaleb, Mesobework. Cette version est notamment promue par
MENGISTU GOBEZIE (2004).
27 Voir M.-L. DERAT (2006 ; 2003).
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28 L’OTPA faisait partie de la principale coalition opposée au FRDPE, la Coalition pour l’Unité
d’une réelle dévolution des pouvoirs. Pourtant, le FRDPE disqualifia la CUD en propageant
l’idée selon laquelle cette coalition regroupait les nostalgiques de l’Éthiopie centralisée amhara.
29 Voir infra.
RECONSTRUCTIONS IDENTITAIRES A LALIBELA 163
les fonctionnaires et les religieux, qu’en pensent les autres habitants de ces
deux régions voisines ? Cette troisième partie propose un rapide aperçu des
mémoires locales plurielles décelables dans les villes de Sekota et de Lalibela.
Moins médiatisées que les reconstructions autour des catégories ethniques
agaw et amhara, leur diversité tranche avec les discours univoques exposés
jusqu’alors dans cet article. Ces mémoires locales rappellent, s’il le fallait
encore, que l’identité ne saurait se résumer à l’ethnicité.
30 Les hauts fonctionnaires de la Zone Wag-Himra, qui comptent parmi les principaux
promoteurs locaux de la fiction indigéniste agaw, affirment que ces musulmans représentent
moins de 5% de la population totale de Sekota. Pourtant, les observations et les entretiens
informels que j’ai conduits dans cette ville contredisent nettement ce pourcentage que
j’estimerais pour ma part à près de 20%.
31 Dans plusieurs sources orales et écrites, Nagash, ou Nejash, désigne le nom du souverain
éthiopien qui donna son nom à la région où il autorisa les premiers musulmans, fuyant les
persécutions de Médine, à s’installer en Éthiopie. Voir J.S. TRIMINGHAM (1968 : 44-45).
RECONSTRUCTIONS IDENTITAIRES A LALIBELA 165
ouvert ses portes, l’électricité demeure produite par des générateurs diesel. Le
parc hôtelier de Lalibela ne comprend qu’un hôtel de standing international, le
Roha Hotel, auquel s’ajoute une poignée de petits hôtels/chambres d’hôtes de
standing intermédiaire, propriétés pour beaucoup d’Éthiopiens résidant dans
la capitale. D’autres hôtels, beaucoup plus modestes et peu fréquentés par les
touristes étrangers, se situent enfin autour du marché et appartiennent
généralement à des habitants de la ville.
La rente financière procurée par l’afflux constant de touristes
étrangers venus visiter les églises monolithes est largement monopolisée par
l’État fédéral éthiopien. Le principal hôtel de luxe de la ville, le Roha Hotel, où
réside la majeure partie des visiteurs étrangers, appartient à l’État fédéral, tout
comme l’aéroport local, desservi exclusivement par la compagnie nationale
éthiopienne. L’utilisation de la route comme moyen d’accès à Lalibela n’est
que marginalement choisie par les touristes. Hormis les 10 kilomètres qui
séparent l’aéroport de la ville, il n’existe aucune route goudronnée pour
rejoindre la ville sainte et les pistes sont dans un état fort mauvais. Leur remise
en état est pourtant récente, mais sa prise en charge par les autorités de l’État
régional Amhara n’a permis que de modestes ajouts de gravats ici et là afin de
masquer les nids de poules les plus flagrants.
On ne reste pas à Lalibela : on y passe. Les touristes arrivent en avion,
résident pour la plupart au Roha Hotel et ne passent guère plus de deux jours
à Lalibela, étape pour ainsi dire obligatoire de leur visite des sites officiels de la
« route historique » qui couvre une partie des régions du nord éthiopien. Les
habitants de Lalibela sont composés grossièrement d’employés, travaillant
dans les hôtels et les pensions bon marché qui fleurissent dans le centre bourg,
attirant un nombre croissant de touristes moins aisés, voyageant avec un sac à
dos. Les résidants de Lalibela sont aussi des membres du clergé de l’Église
Orthodoxe Éthiopienne (diacres, clercs, prêtres...) et des descendants de
familles nobles du Choa, venues s’installer dans les années 1950. Ce sont
encore des paysans habitant dans le centre du bourg. D’autres viennent des
campagnes alentours et résident dans les nouveaux quartiers fondés ces
dernières années sur les contreforts sud de la ville, dans des maisons en bois et
en tôle financées par des ONG internationales. Ce sont enfin ces enfants et
ces mendiants, circulant autour des églises et demandant l’aumône ou
proposant leurs services en tant que guides. Le marché hebdomadaire est
modeste, les espaces ruraux locaux étant très montagneux, escarpés et
marqués par une forte érosion des sols. Agriculture et élevage restent donc des
secteurs d’activité peu développés à Lalibela.
Si la capitale de l’État régional Amhara, Bahar Dar, connaît un
développement bien réel, la ville de Lalibela semble quant à elle figée dans le
temps, à l’image des églises monolithes. Faut-il penser que l’identité amhara
revendiquée par ses habitants ne s’accorde guère avec l’idéologie du
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Bibliographie