de Volos (Grèce) sur la théologie grecque des années 60
Un important congrès théologique s’est tenu du 6 au 8 mai
2005 à l’Académie d’études théologiques de Volos (Thessalie, Grèce). Relevant de la métropole de Démétrias (Volos), cette Académie, dont l’organisateur principal des programmes est le théologien Pantélis Kalaïtzidis, est de plus en plus renommée pour la qualité de ses manifestations et échanges féconds avec l’étranger sur des thèm es pastoraux ou théologiques d’actualité. Organisé en partenariat avec la revue théologique athénienne Synaxi et les éditions Indiktos, ce congrès avait pour thèm e central une approche critique de l’œuvre théologique accomplie par la génération des années 60 en Grèce. Cette œuvre considérable a entièrement renouvelé l’approche de la théologie grecque. Sous l’appellation courante « théologie des années 60 » il ne s’agit pas à proprement parler d’un mouvement structuré mais d’un ensemble de contributions personnelles qui, par des chem ins spécifiques tantôt convergents tantôt contradictoires, se sont toutes signalées par la quête d’un retour à la Tradition orthodoxe, enracinée dans l’Écriture et les Pères. Cette démarche allait de pair avec le désir d’affranchir la théologie orthodoxe d’une « captivité de Babylone » (Florovsky) qui lui imposait, depuis des siècles, des schémas conceptuels empruntés à l’ancienne scolastique occidentale, une séparation ruineuse entre théologie et vie spirituelle ainsi qu’un discours général assez stérile et répétitif, présentant l’orthodoxie à travers la double médiation de la polémique et de l’apologétique. L’une des difficultés, et non la moindre, de ce congrès résidait dans le fait qu’il se proposait d’aborder l’œuvre de théologiens encore vivants et actifs pour la plupart. Outre quelques grandes figures aujourd’hui décédées comme Nikos Nissiotis, Panayotis Nellas, Dimitris Koutroubis et le père Jean Romanidis, les noms les plus représentatifs de ce renouveau, évoqués au cours de ces trois jours étaient : le métropolite Chronique 393
de Pergame Jean Zizioulas, Christos Yannaras, le père Basile
Gondikakis, Sabbas Agouridis, Georges Mantzaridis, Nikos Matsoukas, le père Élie Mastroyannopoulos. De tous ces théologiens, invités pour la circonstance, seul le dernier cité (ancien responsable de la Fraternité Zoi) avait pu se libérer pour la circonstance ; il reçut d’ailleurs un hommage appuyé de la part des congressistes. La curieuse absence des autres - qui peut-être n’avaient pas, de leur point de vue, été suffisamment associés à la préparation du congrès - , loin de nuire à la réussite des débats, permit aux échanges de se dérouler dans un climat plus libre et serein, et de voir s’exercer, au nom de la Tradition ecclésiale, un essai de réflexion critique sur l’œuvre de ceux-là mêmes qui, quarante ans plus tôt, avaient tenté une démarche analogue envers l’héritage de leurs devanciers. La richesse de la problématique du congrès fut illustrée par la palette des sujets abordés par les conférenciers : T. A ba tzid is (Acad, de Volos) : « Du m ouvem ent Z o ï à la re n aissa n ce thé o lo g iq u e des années 60 » ; S. Papalexandropoulos (Univ. d’Athènes) : « La théologie de la diaspora russe et son écho en Grèce » ; P. B. Thermos (pédopsychiatre, Athènes) : « Anthropologie de la déification : le sujet sanctifié, au-delà du paradigme de Romanidis » ; C. Agoras (Univ. libre d’Athènes) : « Personne et nature, histoire et eschatologie chez J. Zizioulas et C. Yannaras » ; E. Papayannopoulos (Institut Panteion, Athènes) : « Personne et sujet. Sur l’anthropologie de la personne » ; S. Gounélas (ancien réd. en chef de la revue Synaxi) : « N. Nissiotis, P. Nellas et la génération théologique des années 60 » ; P. N. Loudovikos (Thessalonique, Cambridge) : « L’érôs comme voie de théologie/liberté » ; S. Zouboulakis (dir. revue Néa Estia) : « Loi, ordres et liberté » ; M. Konstantinou (Univ. de Thessalonique) : « Etudes bibliques et théologie des années 60 » ; T. Papathanassiou (réd. en chef de Synaxi) : « La génération des années 60 et la mission » ; P. Kalaïtzidis (Acad, de Volos) : « La redécouverte de l’hellénicité et l’anti- occidentalisme théologique » ; G. Skaltsas (Acad, de Volos) : « Antinomies théologiques autour de la fonction épiscopale 394 C O N T A C T S N° 212
aux trois premiers siècles » ; S. Yagazoglou (dir. de la revue
Indiktos) : « E cclésiologie eucharistique et sp iritualité monastique ; T. Vletsis (Univ. de Munich) : « L’École de Thessalonique » ; C. Stamoulis (Univ. de Thessalonique) : « Théologie et culture » ; D. Moschos (chercheur byzantiniste, Athènes) : « Théologie et politique : l’occasion manquée de la génération des années 60 ». Quelques grandes caractéristiques de ce courant informel de renouveau théologique, qui se manifesta notamment autour de la revue Synoro (1964-1967) (animée un temps par le jeune C. Yannaras), puis de la revue théologique Synaxi (fondée en 1982 par P. Nellas et toujours aussi féconde aujourd’hui) ont été soulignées lors du congrès : la recherche d’une synthèse néopatristique, le désir d ’assum er de façon critique le renouveau de la théologie russe de la « diaspora » (École de Paris, etc.), la réévaluation de la signification de la Tradition et de la piété du peuple de Dieu, une compréhension de la vie ecclésiale et du sens de la personne humaine qui découle de l’Eucharistie, la réappréciation de la morale à la lumière de la Philocalie et de la tradition ascétique, l’apologie de la démarche monastique orientale face au puritanisme d’origine occidentale, la mise en valeur de la théologie dogmatique pour faire pièce à un moralisme privé d’enracinement théologique. Le congrès s’est aussi efforcé de dresser un bilan des effets de ce renouveau, plus de quarante ans après son amorce. Auprès de qui et dans quelle mesure, dans les milieux ecclésiastiques et universitaires, ce mouvement de la génération des années 60 a-t-il été fécond ? Que laisse-t-il comme héritage dans le cours historique du corps ecclésial ? Quelles erreurs d’appréciations ont été commises par le passé ? Qu’aurait-on pu attendre de plus ? Dans quelle mesure ce mouvement a-t-il répondu aux attentes de son époque ou encore à celles fixées par ses protagonistes ? La présence d’une centaine de participants, théologiens ou non, venus de Grèce mais aussi de l’étranger, connaissant bien la théologie et les idées des pionniers de ce courant, ou ayant un lien académique avec cette génération, a enrichi les travaux du congrès d’un débat contradictoire, intense Chronique 395
et de haut niveau, faisant suite aux interventions. Ont brillé
par leur présence active au dialogue un certain nombre d’anciens de la génération des années 60, tels que Kaiti Chiotelli, Dimitri Mavropoulos et Jean Papadopoulos. La diversité des argumentations offrait une belle image de la pluralité et de la créativité de la théologie grecque de Grèce aujourd’hui. Après l’évaluation globalem ent positive de l’œuvre théologique des années 60 et la mise en évidence de son rôle décisif dans le retour à une conscience ecclésiale plus authentique, quelques limites ont été signalées par de nombreux intervenants, notamment le fait qu’un retard notable dans la recherche théologique ultérieure - notamment historique - avait eu pour effet la simplification abusive des catégories de pensée de ce mouvement : par exemple la schématisation des stades de la vie spirituelle (purification, illumination, déification), la surévaluation de l’importance de l’institution épiscopale dans l’ecclésiologie eucharistique, l’opposition Orient-Occident et l’idéalisation de la tradition orientale, la bipolarisation entre éléments culturels des christianismes oriental et occidental, la diabolisation de la modernité, etc. Il a été noté à plusieurs reprises que la plupart des grands représentants de la théologie des années 60 n’avaient pas procédé à une approche critique de la tradition en reconnaissant que celle-ci inclut également des éléments culturels du « glorieux passé » qui, non seulement s’avèrent dépassés à notre époque de post-modernité, mais sont même souvent incohérents avec la conscience ecclésiologique et théologique orthodoxe. Le refus d’une évaluation théologique de tous ces aspects a eu naguère pour corollaire une attitude quelque peu schizoïde face au monde, bien des fidèles vivant la réalité de la modernité occidentale - aussi bien dans leur vie que dans les diverses manifestations de la vie ecclésiale - tout en étant poussés à diaboliser cette modernité et à se m a rg in alise r socialem ent. De même, l’ im portance de l’engagement social de l’Église - qui a pour corollaire le soin des déshérités, des étrangers, des pauvres - a été quelque peu sous-estimée au plan théologique, sans doute du fait 396 C O N T A C T S N° 212
de la co nd am nation de la dim ension h yp e ra ctiviste
des organisations religieuses (« Zoï », « Sotir », etc.) ; cela a eu pour effet de mettre principalem ent l’accent sur la communion elle-même, sans assumer simultanément les conséquences sociales et « politiques » de celle-ci. On peut formuler le vœu (sans doute utopique) que les protagonistes de ce mouvement des années 60 puissent un jour se réunir ensemble pour procéder eux-mêmes à une évaluation de la réussite et des échecs de leur entreprise. Ce serait offrir un complément souhaitable à ce congrès de Volos dont la tenue a montré qu’il existe un réel renouveau théologique en Grèce à l’aube de ce XXIe siècle. Les Actes du congrès devraient être publiés par les éditions Indiktos durant l’année 2006.