Vous êtes sur la page 1sur 5

392 CONTACTS N° 212

Un congrès à l’Académie théologique


de Volos (Grèce)
sur la théologie grecque des années 60

Un important congrès théologique s’est tenu du 6 au 8 mai


2005 à l’Académie d’études théologiques de Volos (Thessalie,
Grèce). Relevant de la métropole de Démétrias (Volos), cette
Académie, dont l’organisateur principal des programmes est
le théologien Pantélis Kalaïtzidis, est de plus en plus renommée
pour la qualité de ses manifestations et échanges féconds avec
l’étranger sur des thèm es pastoraux ou théologiques
d’actualité. Organisé en partenariat avec la revue théologique
athénienne Synaxi et les éditions Indiktos, ce congrès avait
pour thèm e central une approche critique de l’œuvre
théologique accomplie par la génération des années 60 en
Grèce. Cette œuvre considérable a entièrement renouvelé
l’approche de la théologie grecque. Sous l’appellation courante
« théologie des années 60 » il ne s’agit pas à proprement parler
d’un mouvement structuré mais d’un ensemble de contributions
personnelles qui, par des chem ins spécifiques tantôt
convergents tantôt contradictoires, se sont toutes signalées
par la quête d’un retour à la Tradition orthodoxe, enracinée
dans l’Écriture et les Pères. Cette démarche allait de pair avec
le désir d’affranchir la théologie orthodoxe d’une « captivité de
Babylone » (Florovsky) qui lui imposait, depuis des siècles,
des schémas conceptuels empruntés à l’ancienne scolastique
occidentale, une séparation ruineuse entre théologie et vie
spirituelle ainsi qu’un discours général assez stérile et répétitif,
présentant l’orthodoxie à travers la double médiation de la
polémique et de l’apologétique.
L’une des difficultés, et non la moindre, de ce congrès
résidait dans le fait qu’il se proposait d’aborder l’œuvre de
théologiens encore vivants et actifs pour la plupart. Outre
quelques grandes figures aujourd’hui décédées comme Nikos
Nissiotis, Panayotis Nellas, Dimitris Koutroubis et le père Jean
Romanidis, les noms les plus représentatifs de ce renouveau,
évoqués au cours de ces trois jours étaient : le métropolite
Chronique 393

de Pergame Jean Zizioulas, Christos Yannaras, le père Basile


Gondikakis, Sabbas Agouridis, Georges Mantzaridis, Nikos
Matsoukas, le père Élie Mastroyannopoulos. De tous ces
théologiens, invités pour la circonstance, seul le dernier cité
(ancien responsable de la Fraternité Zoi) avait pu se libérer
pour la circonstance ; il reçut d’ailleurs un hommage appuyé
de la part des congressistes. La curieuse absence des
autres - qui peut-être n’avaient pas, de leur point de vue, été
suffisamment associés à la préparation du congrès - , loin de
nuire à la réussite des débats, permit aux échanges de se
dérouler dans un climat plus libre et serein, et de voir s’exercer,
au nom de la Tradition ecclésiale, un essai de réflexion critique
sur l’œuvre de ceux-là mêmes qui, quarante ans plus tôt,
avaient tenté une démarche analogue envers l’héritage
de leurs devanciers.
La richesse de la problématique du congrès fut illustrée
par la palette des sujets abordés par les conférenciers :
T. A ba tzid is (Acad, de Volos) : « Du m ouvem ent Z o ï
à la re n aissa n ce thé o lo g iq u e des années 60 » ;
S. Papalexandropoulos (Univ. d’Athènes) : « La théologie de
la diaspora russe et son écho en Grèce » ; P. B. Thermos
(pédopsychiatre, Athènes) : « Anthropologie de la déification :
le sujet sanctifié, au-delà du paradigme de Romanidis » ;
C. Agoras (Univ. libre d’Athènes) : « Personne et nature,
histoire et eschatologie chez J. Zizioulas et C. Yannaras » ;
E. Papayannopoulos (Institut Panteion, Athènes) : « Personne
et sujet. Sur l’anthropologie de la personne » ; S. Gounélas
(ancien réd. en chef de la revue Synaxi) : « N. Nissiotis,
P. Nellas et la génération théologique des années 60 » ;
P. N. Loudovikos (Thessalonique, Cambridge) : « L’érôs
comme voie de théologie/liberté » ; S. Zouboulakis (dir. revue
Néa Estia) : « Loi, ordres et liberté » ; M. Konstantinou (Univ.
de Thessalonique) : « Etudes bibliques et théologie des
années 60 » ; T. Papathanassiou (réd. en chef de Synaxi) :
« La génération des années 60 et la mission » ; P. Kalaïtzidis
(Acad, de Volos) : « La redécouverte de l’hellénicité et l’anti-
occidentalisme théologique » ; G. Skaltsas (Acad, de Volos) :
« Antinomies théologiques autour de la fonction épiscopale
394 C O N T A C T S N° 212

aux trois premiers siècles » ; S. Yagazoglou (dir. de la revue


Indiktos) : « E cclésiologie eucharistique et sp iritualité
monastique ; T. Vletsis (Univ. de Munich) : « L’École de
Thessalonique » ; C. Stamoulis (Univ. de Thessalonique) :
« Théologie et culture » ; D. Moschos (chercheur byzantiniste,
Athènes) : « Théologie et politique : l’occasion manquée de la
génération des années 60 ».
Quelques grandes caractéristiques de ce courant informel
de renouveau théologique, qui se manifesta notamment autour
de la revue Synoro (1964-1967) (animée un temps par le jeune
C. Yannaras), puis de la revue théologique Synaxi (fondée en
1982 par P. Nellas et toujours aussi féconde aujourd’hui) ont
été soulignées lors du congrès : la recherche d’une synthèse
néopatristique, le désir d ’assum er de façon critique le
renouveau de la théologie russe de la « diaspora » (École de
Paris, etc.), la réévaluation de la signification de la Tradition et
de la piété du peuple de Dieu, une compréhension de la vie
ecclésiale et du sens de la personne humaine qui découle de
l’Eucharistie, la réappréciation de la morale à la lumière de la
Philocalie et de la tradition ascétique, l’apologie de la démarche
monastique orientale face au puritanisme d’origine occidentale,
la mise en valeur de la théologie dogmatique pour faire pièce
à un moralisme privé d’enracinement théologique.
Le congrès s’est aussi efforcé de dresser un bilan des effets
de ce renouveau, plus de quarante ans après son amorce.
Auprès de qui et dans quelle mesure, dans les milieux
ecclésiastiques et universitaires, ce mouvement de la
génération des années 60 a-t-il été fécond ? Que laisse-t-il
comme héritage dans le cours historique du corps ecclésial ?
Quelles erreurs d’appréciations ont été commises par le
passé ? Qu’aurait-on pu attendre de plus ? Dans quelle mesure
ce mouvement a-t-il répondu aux attentes de son époque ou
encore à celles fixées par ses protagonistes ?
La présence d’une centaine de participants, théologiens
ou non, venus de Grèce mais aussi de l’étranger, connaissant
bien la théologie et les idées des pionniers de ce courant,
ou ayant un lien académique avec cette génération, a enrichi
les travaux du congrès d’un débat contradictoire, intense
Chronique 395

et de haut niveau, faisant suite aux interventions. Ont brillé


par leur présence active au dialogue un certain nombre
d’anciens de la génération des années 60, tels que Kaiti
Chiotelli, Dimitri Mavropoulos et Jean Papadopoulos. La
diversité des argumentations offrait une belle image de la
pluralité et de la créativité de la théologie grecque de
Grèce aujourd’hui.
Après l’évaluation globalem ent positive de l’œuvre
théologique des années 60 et la mise en évidence de son rôle
décisif dans le retour à une conscience ecclésiale plus
authentique, quelques limites ont été signalées par de
nombreux intervenants, notamment le fait qu’un retard notable
dans la recherche théologique ultérieure - notamment
historique - avait eu pour effet la simplification abusive des
catégories de pensée de ce mouvement : par exemple la
schématisation des stades de la vie spirituelle (purification,
illumination, déification), la surévaluation de l’importance de
l’institution épiscopale dans l’ecclésiologie eucharistique,
l’opposition Orient-Occident et l’idéalisation de la tradition
orientale, la bipolarisation entre éléments culturels des
christianismes oriental et occidental, la diabolisation de la
modernité, etc. Il a été noté à plusieurs reprises que la plupart
des grands représentants de la théologie des années 60
n’avaient pas procédé à une approche critique de la tradition
en reconnaissant que celle-ci inclut également des éléments
culturels du « glorieux passé » qui, non seulement s’avèrent
dépassés à notre époque de post-modernité, mais sont même
souvent incohérents avec la conscience ecclésiologique et
théologique orthodoxe. Le refus d’une évaluation théologique
de tous ces aspects a eu naguère pour corollaire une attitude
quelque peu schizoïde face au monde, bien des fidèles vivant
la réalité de la modernité occidentale - aussi bien dans leur
vie que dans les diverses manifestations de la vie ecclésiale -
tout en étant poussés à diaboliser cette modernité et à se
m a rg in alise r socialem ent. De même, l’ im portance de
l’engagement social de l’Église - qui a pour corollaire le soin
des déshérités, des étrangers, des pauvres - a été quelque
peu sous-estimée au plan théologique, sans doute du fait
396 C O N T A C T S N° 212

de la co nd am nation de la dim ension h yp e ra ctiviste


des organisations religieuses (« Zoï », « Sotir », etc.) ; cela a
eu pour effet de mettre principalem ent l’accent sur la
communion elle-même, sans assumer simultanément les
conséquences sociales et « politiques » de celle-ci.
On peut formuler le vœu (sans doute utopique) que les
protagonistes de ce mouvement des années 60 puissent un
jour se réunir ensemble pour procéder eux-mêmes à une
évaluation de la réussite et des échecs de leur entreprise. Ce
serait offrir un complément souhaitable à ce congrès de Volos
dont la tenue a montré qu’il existe un réel renouveau
théologique en Grèce à l’aube de ce XXIe siècle. Les Actes du
congrès devraient être publiés par les éditions Indiktos durant
l’année 2006.

Théophile Abatsidis et Michel Stavrou

Vous aimerez peut-être aussi