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Julien Douçot
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* Nous citons les œuvres de Bergson d’après l’édition du centenaire, aux PUF, en indi-
quant ensuite la pagination de la collection Quadrige. Nous utiliserons les abréviations suivan-
tes : MM pour Matière et mémoire, EC pour L’évolution créatrice, PM pour La pensée et le
mouvant, Parall. pour « Le parallélisme psycho-physique et la métaphysique positive » publié
dans le recueil des Mélanges (paru aux PUF).
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1. MM, p. 334/22 : « Le besoin de se nourrir n’est pas le seul. D’autres s’organisent autour
de lui, qui ont tous pour objet la conservation de l’individu ou de l’espèce ».
2. Nous renvoyons aux pages célèbres de l’introduction de PM, où Bergson expose les cri-
tères d’un problème bien posé et opère une critique radicale des faux problèmes en philoso-
phie.
3. Cf. EC, chap. II, notamment p. 602/128.
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L’évolution créatrice nous fait assister à l’effort accompli par la vie elle-même
pour poser et résoudre des problèmes : le concept prend alors une dimen-
sion nouvelle, proprement ontologique et vitale. Jusqu’alors simple catégo-
rie de la pensée, le problématique devient aussi et surtout une catégorie de
l’être et de la vie, car il en définit la dynamique et les tendances fondamen-
tales 4. Ce bouleversement de la notion de problème ne va pas sans une réin-
scription nécessaire de la pensée dans le domaine de la vie, où le travail de
la pensée devient une continuation de l’élan vital: ainsi, par une sorte d’ef-
fet de miroir, la signification biologique que Bergson confère à l’opération
problématisante permet de réfléchir en retour, au sens presque optique du
mot, la spécificité et la singularité de la pensée philosophique.
Nous avons donc à expliquer un ensemble de transformations qui mar-
quent une étape importante de la pensée bergsonienne, à savoir le passage
de Matière et mémoire à L’évolution créatrice. Elles se caractérisent par
l’abandon du concept de besoin, l’extension corrélative du concept de pro-
blème, et les changements affectant la question des valeurs vitales qui sous-
tendent et rendent possible cette évolution. En nous attachant à cette série
de déplacements, nous espérons saisir la dynamique d’une pensée dans la
genèse des problèmes qu’elle pose, et tracer ainsi une histoire du problème
des valeurs du vivant chez Bergson en mettant l’accent sur les éléments géné-
tiques de sa constitution. Une telle démarche suppose de revenir à l’origine
de cette question, en portant au jour la thématique du besoin telle qu’elle
est exposée dans Matière et mémoire.
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4. Ce point est souligné brièvement mais fermement par Deleuze: « Selon Bergson, la caté-
gorie de problème a une importance biologique beaucoup plus grande que celle, négative, de
besoin » (Le bergsonisme, PUF, 1966, p. 5, note). Comme nous le verrons, le propos de Deleuze
est en partie discutable, car le développement des thèses de Matière et mémoire nous semble
au contraire reposer essentiellement sur le concept de besoin. La question qui se pose alors est
plutôt celle de son abandon dans L’évolution créatrice.
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totalité. Il faut prendre ici le mot « expérience » dans toute l’étendue de ses
significations : le terme désigne certes l’épreuve immédiate d’un rapport à
l’extériorité, comme dans la perception, mais il renvoie aussi à l’acquisition
d’un ensemble de savoir-faire, d’habitudes, cristallisés dans la coordination
des perceptions et des mouvements. Or le concept de besoin trouve précisé-
ment son usage au sein de ce thème génétique, un usage inédit malgré le sens
philosophique traditionnel dont il est chargé. A cet égard, le texte essentiel
se trouve au quatrième chapitre de Matière et mémoire :
« Nos besoins sont autant de faisceaux lumineux qui, braqués sur la continuité
des qualités sensibles, y dessinent des corps distincts. Ils ne peuvent se satis-
faire qu’à la condition de se tailler dans cette continuité un corps, puis d’y
délimiter d’autres corps avec lesquels il entrera en relation comme avec des
personnes. Etablir ces rapports tout particuliers entre des portions ainsi
découpées de la réalité sensible est justement ce que nous appelons vivre » 5
(l’auteur souligne)
Un modèle optique dont nous avons à suivre le fil 6 permet ici de théma-
tiser la fonction du besoin dans son rapport à l’expérience (entendue à la fois
comme perception sensible et relation sensori-motrice avec l’extériorité), et
de saisir la spécificité de son usage dans la pensée bergsonienne. Que nous
apprend l’expression de « faisceau lumineux » ? Tout d’abord, que le besoin
s’avère rendre compte de la perception dans son apparition, et recevoir ainsi
un rôle génétique dans la constitution de l’expérience. En effet, il n’inter-
vient pas simplement comme le signe négatif d’un manque à combler, sus-
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5. MM, p. 334/222.
6. Il s’agit bien d’un modèle (et non d’une métaphore) qui renvoie sans doute aux « ima-
ges » du premier chapitre de MM, comme visibilités habitant les choses mêmes sans se dévoi-
ler nécessairement à une conscience. Si l’importance des modèles optiques chez Bergson ne
doit pas être sous-estimée, c’est parce qu’ils ont une portée proprement ontologique : la vision
est l’emblème de toute perception, la lumière est la substance immédiate de la matière. Il ne
s’agit pourtant pas d’une réduction de la perception au visible, car le propos de Bergson s’ap-
puie principalement sur l’unification de la théorie électromagnétique opérée par Maxwell à la
fin du XIXe siècle : le concept scientifique permettant de qualifier les images et la perception
est donc celui d’onde, même si la lumière fait souvent figure d’exemple privilégié.
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9. « Le système nerveux est construit, d’un bout à l’autre de la série animale, en vue d’une
action de moins en moins nécessaire » (MM, p. 181/27).
10. « Partons de cette indétermination comme du principe véritable. Cherchons, une fois
cette indétermination posée, si l’on ne pourrait pas en déduire la possibilité et même la néces-
sité d’une perception consciente » (MM, p. 182/27).
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nées pour leur utilité et, en tant que telles, forment un appel aux puissances
corporelles de l’individu 11. La perception rend visible un ensemble de mou-
vements virtuels, et rien d’autre. En elle se reflète la capacité d’agir et l’éten-
due du choix qui s’offre à l’être vivant, car le relief et la découpe des choses
sont autant d’actions virtuelles, autant de signes s’adressant à notre corps et
lui suggérant ses points d’ancrage dans la matière. Une des grandes origina-
lités de Bergson réside bien dans ce geste qui porte le mouvement dans la
perception, sous forme de virtuel, et permet d’établir l’immanence récipro-
que de la liberté, de la perception et du mouvement dans le tissu de l’expé-
rience 12. Mais plus encore, ce point est essentiel car il introduit un second
effet de miroir qui vient redoubler la réflexion du besoin dans l’expérience
vitale. Celle-ci ne renvoie pas seulement l’image d’un manque, elle reflète
virtuellement et positivement la puissance d’agir de l’individu et l’ensemble
de ses prises sur l’extériorité. C’est pourquoi Bergson peut affirmer que
toute perception est aussi une « question élémentaire » posée à l’activité
motrice 13. Le terme n’a rien d’anodin et l’on ne saurait lui accorder trop
d’importance : il définit précisément l’essence de l’expérience vitale comme
intrinsèquement questionnante ou problématisante.
La genèse de la perception marque ainsi l’instauration d’un champ pro-
blématique pour l’individu vivant. A ce stade de la pensée bergsonienne, la
notion de problème n’est pas entièrement déterminée. Elle ne le sera que
bien plus tard, lorsque Bergson tentera a posteriori de formuler les diffé-
rents plans de sa méthode 14. Et encore, il s’agira seulement de définir ce
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15. Ce thème d’une durée problématisante et constituée par ce qu’elle prélève à la matière
est exposé dans le IVe chapitre de MM, où Bergson développe l’idée d’une mémoire qui
« contracterait » selon son rythme les vibrations de la matière, produisant l’ « hétérogénéité »
des qualités sensibles et la possibilité du choix. La durée comme différence interne aurait ainsi
pour condition un rapport immédiat à l’extériorité.
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que pourquoi l’individu vivant est à la fois un être de besoin et un être doué
de liberté. La complémentarité apparente du besoin et de l’indétermination
pose ainsi en creux la question insistante de leurs rapports et de leur dépen-
dance mutuelle.
A cet égard, les textes de Matière et mémoire restent ambigus. Parfois le
besoin précède l’indétermination à la fois chronologiquement et logique-
ment, comme l’illustrent les célèbres thèses de Bergson sur l’éducation des
sens 16. Celles-ci exposent le volet historique de la genèse de l’expérience et
confèrent au besoin un statut déterminant : en effet, le développement sen-
sori-moteur de l’enfant consiste à se dégager d’une perception obscure,
impersonnelle, plongée dans un brouillard d’images, en délimitant progres-
sivement les contours du corps propre et des corps extérieurs. La métamor-
phose de l’enfant est aussi une métamorphose de sa perception, un accrois-
sement de sa conscience et de sa puissance de choix : dans l’éducation des
sens se libère peu à peu l’indétermination de l’agir. Bergson souligne bien
que ce procès s’accomplit sous l’impulsion primitive et continuée du besoin
et n’obéit qu’à sa loi souveraine. Dans cette mesure, le développement sen-
sori-moteur de l’enfant n’a d’autre fin que la conservation ; l’indétermina-
tion figure simplement comme moyen nécessaire au service des fins prescri-
tes par le besoin. L’innéité du besoin, sa primauté dans l’ordre
ontogénétique, lui confère en même temps une antériorité logique : on agit
pour se conserver.
Et pourtant, cette hypothèse est contredite par d’autres textes de
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16. Les principaux textes de Bergson sur l’éducation des sens se trouvent dans MM, chap.
I, p. 195/45 à 199/50. Cf. aussi la conférence « Note sur les origines psychologiques de notre
croyance en l’idée de causalité », in Mélanges p. 419-428, où Bergson pose les bases inédites
d’une genèse corporelle des catégories de la pensée.
17. « Une latitude de plus en plus grande laissée au mouvement dans l’espace, voilà ce que
l’on voit » (MM, p. 377/280)
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tique indéterminé, ouvert par l’expérience vitale, semble avoir une existence
autonome et n’obéir à d’autre fin que lui-même.
Or c’est bien au cœur de cette tension, de cette circularité entre les deux
lignes de concepts qui traversent Matière et mémoire que se pose en creux
le problème essentiel des valeurs vitales, et de l’image de la vie qu’il s’agit
de dresser. En effet, la question de l’antériorité logique est aussi et surtout
une question de privilège axiologique, de souveraineté normative. L’ordre
de subordination qui s’instaure entre besoin et indétermination détermine
simultanément une hiérarchie des valeurs vitales. Ou bien la conservation
est le but ultime de la vie, et l’action lui sert d’instrument, ou bien l’indé-
termination passe au rang de valeur suprême, et la conservation devient alors
un impératif subordonné. Il est vrai que cette difficulté demeure sous-
jacente au texte. Elle n’en est pas moins présente et témoigne qu’à l’époque
de Matière et mémoire le concept de vie n’est pas entièrement déterminé
dans le bergsonisme. Certes, la vie est déjà différenciée comme secteur spé-
cifique du réel, dans son opposition à la matière brute. Cette distinction est
même, nous l’avons vu, à l’origine de la théorie de la perception et de la réso-
lution du problème du dualisme : sur ce point Bergson ne reviendra
jamais 18. En ce sens, une montée en généralité s’opère dès Matière et
mémoire, puisque Bergson y traite d’emblée de la vie en général, de ses pro-
priétés distinctives, et fait de la vie un concept de droit pour la philosophie,
une découpe de la réalité permettant de poser et de résoudre adéquatement
le problème de la genèse de la conscience 19. En revanche, le principe même
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18. La distinction radicale de la vie et de la matière brute est l’un des points essentiels que
Bergson fait valoir contre le monisme matérialiste: « si nous considérons de ce biais la vie à son
entrée dans le monde, nous la voyons apporter avec elle quelque chose qui tranche sur la matière
brute » (« La conscience et la vie », in L’énergie spirituelle, p. 824/12)
19. On sait combien le thème d’une « découpe » et d’un « sectionnement » des concepts phi-
losophiques est important pour Bergson et féconde sa théorie des problèmes. Cf. PM p. 1292/51
à 1294/53 et aussi les passages sur le Phèdre de Platon et l’image du boucher qui découpe la
bête selon ses « articulation naturelles » : EC, p. 627/157 et MR p. 1064/109.
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20. Sur ces deux points essentiels, cf. respectivement EC, III, p. 700/242 à 701/243 et EC,
I, p. 592/115 à 594/117. Ce dernier texte, célèbre, qui propose l’hypothèse d’une « accumula-
tion » d’énergie par le vivant en vue d’une « dépense brusque », montre comment la vie
contourne et utilise le principe de conservation de l’énergie à ses fins propres.
21. Cf. par exemple MARX, Introduction générale à la critique de l’économie politique,
Pléiade, p. 245 : « La production ne fournit pas seulement au besoin une matière, elle fournit
aussi à la matière un besoin ».
22. Cf. NIETZSCHE, Par delà Bien et Mal, 1e partie, § 13, Gallimard (Folio-essais), p. 32.
Le vivant en activité 257
23. « La supériorité de notre cerveau réside dans la puissance de libération qu’il nous donne
vis-à-vis de l’automatisme corporel, en nous permettant de créer sans cesse de nouvelles habi-
tudes, qui absorberont les autres ou les tiendront en respect » (Parall., p. 487).
24. « La faculté que possède l’animal de contracter des habitudes motrices est limitée. Mais
le cerveau de l’homme lui confère le pouvoir d’apprendre un nombre indéfini de « sports ». C’est
avant tout un organe de sport, et, de ce point de vue, on pourrait définir l’homme « un animal
sportif » » (Parall., p. 486).
25. L’idée d’une indétermination créatrice et définie comme fin en soi trouve un écho chez
un bergsonien méconnu, Leroi-Gourhan, qui pense l’évolution des espèces en fonction d’une
libération progressive du mouvement trouvant son point d’achèvement chez l’homme. Cf. Le
geste et la parole, tome I, Albin Michel (Sciences d’aujourd’hui).
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Indétermination et problème
31. On ne peut suspecter Bergson de fausse modestie lorsqu’il déclare: « Tout ce que je peux
faire est de vous résumer en quelques mots les conclusions provisoires où mes recherches m’ont
conduit. Elles sont trop vagues pour vous apprendre rien de bien nouveau » (Parall., p. 485).
32. Rappelons la célèbre phrase inaugurale de PM, Introduction : « Ce qui a le plus man-
qué à la philosophie, c’est la précision » (PM, p. 1253/1).
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33. Cf. Leçon sur les phénomènes communs aux animaux et aux végétaux, Vrin
(Bibliothèque de textes scientifiques), p. 343-352.
34. Cf. par exemple Les lois de l’imitation, Kimé, p. 48-49. La théorie tardienne des pro-
blèmes et des questions est beaucoup complexe que ne l’indique cette caractérisation sommaire.
35. Un contemporain de Bergson, Ernst Mach, donne une définition complète des problè-
mes géométriques dans La connaissance et l’erreur, trad. fr. M. Dufour, Flammarion, Paris,
1908, chap. III, p. 52-55. Nous y revenons dans la suite de notre étude.
36. Sur l’apparente intemporalité des problèmes géométrique, cf. EC, p. 500/7. Sur leur
liaison avec le finalisme classique, cf. EC, p. 544/58-59.
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37. « Le problème était donc celui-ci: obtenir du soleil que ça et là, à la surface de la terre,
il suspendît partiellement et provisoirement sa dépense incessante d’énergie utilisable, qu’il en
emmagasina une certaine quantité, sous forme d’énergie non encore utilisée, dans des réser-
voirs appropriés d’où elle pourrait ensuite s’écouler au moment voulu, à l’endroit voulu, dans
la direction voulue » (EC, p. 593/116).
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38. « Instinct et intelligence représentent donc deux solutions divergentes, également élé-
gantes, d’un seul et même problème » (EC, p. 616/144).
39. Cf. par exemple, EC, p. 535/48 et 540/54.
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40. « On pourrait dire que la vie tend à agir le plus possible, mais que chaque espèce tend
à se donner la plus petite somme possible d’efforts (…) [la vie] se façonne elle-même en vue de
la plus facile exploitation de son entourage immédiat » (EC, p. 604/129-130).
41. C’est le propre de l’élan vital que de n’être déterminable que par ses effets. Cf. la célè-
bre comparaison de l’élan et de la main qui laisse son empreinte dans la limaille: « Maintenant,
supposons que la main et le bras soient invisibles » (EC, p. 575/95. Nous soulignons).
Le vivant en activité 265
42. EC, p. 597/121 à 602/127. « L’étude de ces organismes nous fait tourner dans un cer-
cle, comme si tout y servait de moyen à tout. Ce cercle n’en a pas moins un centre, qui est le
système d’éléments nerveux tendu entre les organes sensoriels et l’appareil de locomotion »
(EC, p. 601/126).
43. Die Mechanik in ihrer Entwickelung (La mécanique. Exposé historique et critique de
son développement, trad. fr. Emile Bertrand, Paris, 1925) est cité dans Durée et simultanéité,
p. 42, PUF. On peut aussi raisonnablement supposer que Bergson avait connaissance, au
moment où il rédigeait L’évolution créatrice, de la première édition de l’Analyse der
Empfindungen (L’analyse des sensations, trad. fr. F. Eggers et J-M Monnoyer, Jacqueline
Chambon, Nîmes, 1996), publiée en 1886, et de Erkenntnis und Irrtum (La connaissance et
l’erreur, op. cit.), publié en 1905.
44. La prudence de Mach l’incite néanmoins à n’accorder à la fonction d’économie qu’un
statut heuristique. Il lui donne pourtant une extension universelle. Cf. L’analyse des sensa-
tions, op. cit., chap. IV, § 9 & 10.
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Conclusion
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45. Bergson s’avère donc assez éloigné de Mach, et beaucoup plus proche de Tarde lorsque
ce dernier affirme : « Ne semble-t-il pas plus plausible d’admettre que le problème posé à cha-
que instant par la vie était indéterminé en soi, susceptible de multiples solutions? » (Les lois
de l’imitation, op. cit., p. 56)
46. On sait par ailleurs que Freud a pu s’inspirer de Mach dans sa thématisation de la libido,
comme excitation tendant à se supprimer en vue du repos. Néanmoins Freud, dans un geste à
bien des égards comparable à celui de Bergson, tente dans Au-delà du principe de plaisir de
dépasser le principe conservation – qui suppose plus profondément l’instinct de mort – par l’in-
troduction des pulsions de vie.
Le vivant en activité 267
Résumé : Le concept de vie subit dans le bergsonisme une série de transformations qui corres-
pondent au développement d'un problème: celui des valeurs vitales. De Matière et mémoire
à L’évolution créatrice, la notion classique de besoin – insuffisante pour caractériser le
mouvement évolutif – est remplacée par le concept spécifiquement bergsonien d’indéter-
mination. La catégorie de problématique permet alors de définir l’activité vitale et sa fina-
lité paradoxale. Poser et résoudre des problèmes devient l’opération fondamentale de la
vie et de la pensée qui l’investit.
Mots-clés : Bergson. Vie. Besoin. Activité. Problème. Indétermination. Création.
Abstract : From Matter and memory to Creative evolution, Bergson’s concept of life undergoes
series of changes following the development of a question : what are the main vital
values ? What is life aiming at ? The classical notion of need – that fails to give an accu-
rate account of the evolution process – is replaced by the specifically bergsonian concept
of indetermination. Thus, the vital activity and its paradoxical end is to be defined by
the category of problematic. To raise and to solve problems becomes life and thought’s
main operation.
Key words : Bergson. Life. Need. Activity. Problem. Indetermination. Creation.
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