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Che Guevara
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DU MÊME AUTEUR

Malgré tout. Contes à voix basse des prisons argentines, La


Découverte, 1982.
Transferts. Argentine, écrits de prison et d’exil (en collabora-
tion avec Francisco Sorribès Vaca), La Découverte, 1983.
Utopie et liberté, La Découverte, 1986.
La critique du bonheur, avec E. Charlton, La Découverte,
1989.
Cette douce certitude du pire, avec E. Charlton, La Décou-
verte, 1991.
Penser la liberté, La Découverte, 1994.
Le pari amoureux, avec D. Scavino, La Découverte, 1995.
Peut-on penser le monde ? Hasard et incertitude, avec
H. Akdag et C. Sekroun, Éd. du Félin, 1997.
Pour une nouvelle radicalité, avec D. Scavino, La Découverte,
1997.
Le mythe de l’individu, La Découverte, 1998.
La fabrication de l’information, avec F. Aubenas, La Décou-
verte, 1999.
Parcours, Calmann-Lévy, 2001.
Du contre-pouvoir, avec D. Sztulwark et A. Weinfeld, La
Découverte, 2000.
Résister, c’est créer, avec F. Aubenas, La Découverte, 2002.
Les passions tristes, avec G. Schmit, La Découverte, 2003.
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Miguel Benasayag

Che Guevara
Du mythe à l’homme.
Aller-retour

Traduit de l’espagnol
par Line Kozlowski
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Collection Légendes
dirigée par Anne Dufourmantelle

ISBN 2.227.47213.8
© Bayard, 2003
3 et 5, rue Bayard, 75008 Paris
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À Florence et à Arturo.
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INTRODUCTION

Introduction

Je ne suis ni « guévarologue » ni spécialiste de Che Gue-


vara. Je suis d’ailleurs trop lié à ce personnage par mon enga-
gement passé dans la guérilla guévariste et trop impliqué dans
les mouvements alternatifs actuels pour effectuer une étude
objective. Je n’ai tout simplement pas le recul nécessaire pour
effectuer un tel travail. C’est comme si un touriste me deman-
dait de lui faire une visite guidée à travers une ville que je
connais par cœur : d’une certaine manière, celle-ci m’échap-
perait complètement.
Et puis, étant donné la quantité et la variété des biographies
du Che, il me semble dérisoire de me lancer à mon tour dans
une tentative de ce genre. Quel serait l’intérêt de réécrire cette
histoire, ou pire encore, de composer une hagiographie qui res-
semblerait aux panégyriques médiévaux ?
En guise de réponse à cette question, signalons simplement
l’ouvrage de Pierre Kalfon 1, excellent essai dans lequel la
réflexion et la recherche s’articulent parfaitement. J’estime
qu’il est inutile d’en faire un remake.

1. Che, Ernesto Guevara, une légende du siècle, Paris, Éd. du Seuil, 1998.

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CHE GUEVARA

Ce sont quelques-unes des raisons pour lesquelles j’ai hésité


face à l’aimable proposition d’Anne Dufourmantelle de faire
un travail sur Che Guevara. J’ai fini par céder à la tentation.
C’était devenu une évidence, il fallait adopter une double per-
spective qui m’amènerait à traiter le personnage du Che à la fois
en tant qu’homme et en tant qu’image, c’est-à-dire dans sa
dimension mythique. Je me proposai alors de mener une sorte
de voyage autour de cette constellation complexe qui se
compose d’attributs personnels et de circonstances historiques,
et qui fait du Che un emblème de la contestation et un phéno-
mène de référence au magnétisme inégalable.
En somme, j’ai entrepris d’entrecroiser le point de vue du
philosophe que je suis et la voix du jeune combattant guéva-
riste que je fus. En évoquant des expériences concrètes, on en
viendra à rouvrir les archives de la mémoire de toute une géné-
ration qui fut fortement marquée et influencée par le champ
gravitationnel du Che.
En contrepoint à ces deux voix surgiront aussi, je l’espère,
des éléments d’analyse permettant de mieux comprendre
l’actualité ; car depuis quelques années, les idées guévaristes
progressent dans le monde, et se renouvellent subitement.
J’espère ardemment que, d’une manière ou d’une autre, cet
essai sur la renaissance du guévarisme puisse atténuer un peu
mon sentiment de culpabilité d’être en vie quand tant d’autres
sont morts ! Parce que depuis plus de dix ans, depuis mes
trente-neuf ans – âge emblématique s’il en est, auquel sont
morts le Che et son successeur argentin Mario Roberto San-
tucho – j’ai le sentiment de vivre des heures volées. Je fus
ébranlé comme par une sentence de mort et mon âme s’est
considérablement assombrie. Tragiquement, le hasard fut beau-
coup moins prodigue avec d’autres camarades dont les vies si
courtes n’en furent pas moins nobles et courageuses.

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INTRODUCTION

Il me semble important de souligner sans plus tarder que le


guévarisme fut, dès ses prémices, une manière très particulière
de « faire de la politique » et de développer du lien social,
parce que fondé avant tout sur le principe du « contre-
pouvoir ».
Aujourd’hui, c’est le terme qu’on utilise pour désigner
l’ensemble des mouvements alternatifs qui émergent depuis
une dizaine d’années un peu partout dans le monde. Le fata-
lisme des années 1980 semble laisser sa place à tous ces mou-
vements, dont les pratiques diverses et créatives cherchent des
alternatives à l’état général de tristesse. Ou en tout cas, tentent
d’en construire, car ils désirent échapper à ce monde de l’éco-
nomisme et des sociétés de la discipline où règnent les passions
tristes. En effet, tandis que le contre-pouvoir surgit et se déve-
loppe, le néolibéralisme cesse d’apparaître comme un horizon
indépassable.
D’un seul coup, les sans-terre, les sans-abri, les sans-papiers,
enfin tous les « sans » ensemble font surface, formant une sorte
de tiers-état des temps modernes, tandis que d’autres formes
de contestation cherchent leurs repères et expérimentent des
hypothèses originales. Aujourd’hui, dans chacune des manifes-
tations ou des expériences alternatives – qu’elles se déroulent
dans un squat, sur des terres occupées ou dans n’importe quel
autre endroit – nous retrouvons inlassablement notre cher
Ernesto, le Che, le docteur Guevara Lynch.
C’est la raison pour laquelle on ne peut comprendre la puis-
sance des mouvements actuels et leur spécificité qu’en décor-
tiquant le « phénomène Che » et en analysant ses enjeux. C’est
toujours cette barbe-là et ce regard, cette séduction asservis-
sante qui se dessinent en filigrane. C’est lui qu’on reconnaît à
chaque fois, même si ce ne sont pas toujours les mêmes qui le
font revivre.

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CHE GUEVARA

Che, ce surnom si commun en Argentine et en Uruguay pour


s’adresser aux autres, résonne comme un écho étrange, singu-
lier et presque magique. Il rejoint, par un chemin qui ressemble
à celui de la destinée, les profondes racines latino-américai-
nes : dans les langues indiennes le vocable che se réfère aux
notions d’identité, de commun et de partage. Ainsi, le nom
Mapuche qui se compose de mapu (la déesse de la Terre) et de
che (les gens), désigne les gens de la terre. Et vous ne serez
pas surpris d’apprendre qu’en guarani, le mot chamigo veut
dire mon ami. Est-ce le commencement d’un destin mythique ?
Faut-il rappeler qu’un mythe, au sens anthropologique du
terme, est bien plus puissant que ces produits actuels qu’on
appelle vedettes ? Est-il nécessaire de préciser qu’en réalité un
mythe n’a strictement rien à voir avec les stars créées de toutes
pièces par une société avide de consommation ?
Disons seulement qu’un personnage mythique n’est ni une
simple figure identificatoire, ni une légende à fabriquer ou à
créer selon notre bon vouloir. Contrairement à ce que la
canaillerie de la postmodernité voudrait nous faire croire, on
ne peut pas forger des mythes en utilisant de simples mécanis-
mes de marketing ou de perverses stratégies pour fabriquer des
symboles jetables.
Ceci explique pourquoi le caractère mythique du Che ne
peut en aucun cas se réduire au constat – par ailleurs amusant
ou irritant – de la prolifération incessante de son visage et de
la métastase de celui-ci.
La question serait plutôt de savoir si dans ce monde néoli-
béral, où l’économisme et le scientisme clament que « tout est
possible », où l’on méconnaît le sens même de la limite et de
la restriction, la figure du Che ne représente pas une véritable
résistance qui cherche à établir ou à rétablir les lois fondamen-
tales de notre société, en défendant l’homme et la vie et en
combattant l’utilitarisme ambiant.

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INTRODUCTION

Certes, la réponse n’est pas évidente, mais il vaut la peine


d’y réfléchir. Car, finalement, pour quelles autres raisons ce
cher Ernesto se promènerait-il ainsi dans le monde ? Pour quel
autre motif son visage, sa vie et son nom continueraient-ils à
battre et à résonner de cette manière à chaque coin de rue ?
Ce livre propose donc un voyage autour d’un collage fait de
l’homme, du mythe et du guévarisme, mais aussi de la radica-
lité contestataire d’hier et d’aujourd’hui.
« Un révolutionnaire fait la révolution. » Telle est la consigne
du Che, radicale et contestataire. Elle fait écho à une formule
de Sartre qui dit « on a toujours raison de se révolter ». La
dissidence qui apparaît là est l’une des dimensions les plus pro-
fondes et audacieuses du guévarisme. Car elle ne concerne pas
uniquement le pouvoir bourgeois et impérialiste, elle va au-
delà, se soulevant également, et d’une manière tout aussi sub-
versive, contre les doyens de la contestation.
Le guévarisme rejette définitivement le souhait, l’impuis-
sance et l’attente qui suspendent le temps et l’arrêtent. Il
s’oppose à un certain militantisme. Il refuse l’incohérence
entre les idées et la vie quotidienne, il ne désire pas la justice
pour conclure de son impuissance… bref, le guévarisme adopte
une véritable attitude existentielle et une manière spécifique
d’engagement qui ne ressemble en rien à une quelconque liste
d’opinions. Du point de vue de sa démarche, la recherche de
nouvelles formes de vie et leur mise en œuvre dans le guéva-
risme sont comparables à la véritable pratique de la pitié, qui
n’amène pas les gens à devenir chrétiens, mais à se comporter
à la manière du Christ.

Mais, comment explique-t-on la constance et l’actualité du


Che dans un monde régi par la tristesse et l’impuissance ? Dans
un monde qui menace d’exclure les nouvelles formes de socia-

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CHE GUEVARA

bilité et de solidarité parce qu’elles refusent la fausse dichoto-


mie individualisme/collectivisme ?
La critique acerbe de la société disciplinée et ordonnée
composée d’individus isolés et égoïstes amène le Che, en toute
logique, à énoncer son corollaire : une critique tout aussi féroce
à l’égard du collectivisme, cette autre modalité sociale, égale-
ment construite et ordonnée par des individus bien disciplinés.
C’est ainsi que le Che Guevara s’impose comme le rebelle
radical par excellence : c’est le personnage antagoniste de
l’ordre existant mais aussi des « maîtres libérateurs ». Enten-
dons par là : ceux qui exigent la discipline et le silence en
échange d’une promesse de liberté chaque jour répétée, d’une
promesse qui ne doit pas tarder à se réaliser, « car la liberté
approche, elle n’arrivera pas plus tard que demain… »,
assurent-ils.

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