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Tête de reine égyptienne.
D'où vient ce demi-sourire
de la concentration?
Et notre histoire
commence-t-elle à l ’Égypte
et à Sumer?
ou l'archéologie
va-t-elle découvrir
une civilisation plus ancienne?
'est ce qu'étudie dans ce numéro
Gilbert Caseneuve qui prépare
un des premiers volumes
de l'encyclopédie Planète.
Musée du Louvre.
Photo Alinari
PLANETE
L A P R E M IÈ R E R E V U E DE B IB L IO T H È Q U E
É D IT IO N S R E TZ
A D M IN IS T R A T IO N
46 RUE DE LILLE A PAR IS 7
S O M M A IR E
R ÉDAC TIO N
8 RUE DE BERRI P A R IS 8
DIFFUSION
DENOEL - N.M .P.P. Éditorial
5
ABONNEM ENTS Y a-t-il une bonne littérature? par Louis Pauwels
6 NUM ÉROS 27 NF.
12 NUM ÉROS 48 NF.
C .C .P . 18.159.74 C hronique de notre civilisatio n
9
A B O N N E M E N T S BELGIQUE Le phénomène Jeunesse par Jean-Louis Febvre
A . B. G. E. 116 AVEN U E LOUISE
BRUXELLES - 5 -
1 N UM ÉR O 73 F. B. Le m o u v e m e n t des connaissances
6 N UM ÉROS 350 F. B. 17
12 N UM ÉROS 580 F. B. L’homme et le cosmos par Jean Charon
C .C .P . 582.11 Le père de la sémantique générale par Gabriel
Véraldi
150
In fo rm atio n s et C ritiq ues, A n alyses des La m usique / W agner à l’avant-garde / La
Œ u vres, des Idées, des T ra v a u x et des m usique algorithm ique et l'œuvre wagnérienne
D écou vertes
151
138 A partir de ce numéro Le d ictio nn aire des
L’histoire / Khrouchtchev contre Freud / Une responsables / Armand / Gaudi / Klein / Laborit /
offensive contre la psychanalyse Milosz / Sedov
Y a-t-il une bonne littérature ?
Louis Pauwels
Éditorial
nous ne voyons pas du tout pourquoi la recherche rayon. Une trilogie barbare comme « le Seigneur
de la connaissance s’accommoderait mieux de des Anneaux », de Tolkien, et les grandes fictions
l’ennui. de C.S. Lewis atteignent, pour qui veut bien lire,
Un critique intelligent, mais qui a tort de se aux sphères d ’où Milton et Dante rapportaient
laisser aller à l’expression des émotions négatives, leurs chants. Dans les histoires et aventures
au lieu de nous aider à mieux faire, consacre une d ’Abraham Merritt, dans les récits du « tâcheron »
chronique à nous reprocher d ’être. C ’est peine Machen, on entend « battre les ailes noires et
perdue pour tout le monde. Il fait mention, par gratter à la surface de la terre ». Un roman comme
exemple, de la place que nous accordons à ce « la Centrale d ’Énergie », de Buchan, déterré
que nous appelons «la littérature différente». dans la collection Nelson, évoque le fond du
Et il règle le problème en déclarant q u ’il s ’agit problème des sociétés secrètes et des crypto-
« de la littérature différente de la bonne ». Mais craties, avec une lucidité et une force confondantes.
qu’est-ce que la bonne littérature? Faut-il chercher chez nous? Les « livres pour la
J ’étais un jour chez Jean Cocteau, au Cap- jeunesse », de Jacolliot, contiennent Jules Verne
Ferrat, et constatai q u ’une partie de sa bibliothèque et charrient les grands secrets de l’humanité.
était garnie de romans dits policiers, d ’aventures Les premières pages de l’« Isaac Laquedem »,
et de science-fiction. d ’Alexandre Dumas, sont parmi les plus saisis
— Oui, me dit-il, c’est la littérature dite du santes et les plus hautes de toute la littérature
second rayon. Mais il y a plus de grandeur, de sur le mythe du Juif Errant. Quand Bergier
richesse, d ’invention, etc., dans les numéros un tentait en vain d ’attirer l’attention sur l’œuvre
du second rayon que dans la plupart des numéros de Lovecraft, celle-ci gisait sous les hideuses
deux du premier. couvertures de la science-fiction populaire amé
Il n ’est pas question de mépriser les chefs-d’œuvre ricaine. L ’une des plus belles méditations lyriques
du premier rayon. Mais si nous ne voulons pas sur l’espace et le temps se dissimule dans la col
être victimes des catégories imposées par une lection du « Rayon fantastique » (1), et Dashiell
culture que chacun sent aujourd’hui sclérosée, Hammett, édité dans « la Série noire », et qui
nous devons ranger auprès de ceux-ci les grandes vient de mourir, était, nous le pensons avec
œuvres du second, négligées de la critique, dissi Aragon, aussi grand et puissant qu’Hemingway.
mulées dans des collections populaires et des Il y a, dans la littérature policière moderne, un
séries pour la jeunesse, écrites par des génies pari sur l’énergie, et les meilleures réussites du
insoucieux de la gloire littéraire. Dans un récent genre renouent avec le roman de chevalerie. Il y
essai, Henry Miller redécouvre Ridder Haggard, a, dans les plus belles « science-fiction », le souffle
considéré à tort comme un fabricant du second de la tragédie dionysiaque.
rayon, et dont le livre « She », roman de la femme A la vitrine d ’un libraire italien, un de nos
fatale, de l’amoureuse fatidique et de la mère amis rêva longtemps sur une affichette ainsi
ténébreuse, atteint à une ampleur proprement libellée : « Pourquoi ne pas lire un bon livre? »
cosmogonique. Dans la vitesse de l’écriture et Pourquoi, en effet? C ’est que nous sommes
l’exubérance de l’imagination, certains écrivains victimes d ’une mystique de la littérature. Nous
dits « d ’aventure » (et, comme tels, ignorés des n ’allons pas chercher librement notre bien. L ’idée
juges littéraires), saisis apparemment par le seul q u ’il existe une « bonne » littérature et une
souci de raconter une histoire, plongent profon « mauvaise », nous retient de fouiller dans les
dément et librement dans l’inconscient collectif bouquins rangés sur le second rayon. Et si,
et en rapportent une fourmillante vision des d ’aventure, cela nous arrive, notre culture apprise
archétypes de l’humanité. De sorte qu’ils sont fait écran. C ’est ainsi que nous ne lisons vraiment,
parfois plus nourris de réalités fantastiques et toutes antennes tendues, que dans notre jeunesse,
plus prophétiques que leurs confrères du premier (1) « Le F lot du Temps », de John Tayne (Eric Temple Bell).
Éditorial
lorsque l’ignorance nous protège des hiérarchies nous y faire si nous voulons délivrer celle-ci de
mythiques, et que le flot des mots, des images et ses bandelettes, et lui permettre une exubérance
des idées atteint de plein fouet notre être, au dont jouit, justement, la science. Il nous faudra
lieu de passer, comme il le fera plus tard, par les aussi cesser de parler de « bonne » et de « mau
filtres de la culture imposée. Et il nous arrivera vaise » littérature, rejeter les hiérarchies scolaires,
ensuite de renier les œuvres qui nous ont boule et nous rétablir dans l’instinct. Tous le reste
versés, beaucoup moins par l’effet d ’un clair est superstition.
jugement que d ’une soumission un peu honteuse Mais, pour revenir à notre critique, il se peut
aux catégories enseignées. Comme l’écrit Miller : que, cédant à une mode, il ne considère comme
« Je crois plus que jamais q u ’il devient absolument bonne littérature que celle d ’où a fui tout amour
nécessaire de relire, à un certain âge, les livres de la vie, et donc toute imagination. On a d ’ailleurs
de l’enfance et de la jeunesse. Sans quoi, nous le droit de n ’aimer que la défaite, le désespoir
pouvons mourir sans savoir qui nous sommes ou et la mort. Mais je ne vois pas ailleurs que dans
pourquoi nous avons vécu. » C ’est au moment une méchanceté bien profonde le désir que l’on
où nous avions la chaude conscience des possi peut avoir de faire partager ce goût à ses contem
bilités infinies et éblouissantes de la vie, que nous porains. Nous conseillerons donc à notre critique
savions d ’instinct si un livre, fût-il réputé indigne de lire l’essai de Colin Wilson qui vient de paraître
des histoires de la littérature, était ou non gonflé à Londres sous le titre : « The Strength to Dream »,
lui-même de cette conscience émerveillée. S’il littéralement : La Force de rêver ». Colin Wilson,
était, somme toute, un bon ou un mauvais livre. dont le roman de révolte, « The Outsider », fit
Tout l’effort d ’un lecteur, au cours d ’une vie, du bruit, est le chef des « jeunes gens en colère ».
devrait être pour ne pas perdre cet instinct qui On le voit, dans cet essai, recourir lui aussi à
plonge ses racines dans la puissance du rêve et la Lovecraft, à Tolkien, à Wells, pour tenter de
liberté de l’imagination. De quoi nous occupons- rouvrir les écluses de l’imagination. Certains
nous? De tout ce qui peut aider les hommes à romans au degré zéro des émotions et de l’ima
devenir, comme disait Fuerbach, des citoyens ginaire, et qui passent chez nous pour des œuvres
libres et indépendants de cet univers. De tout d ’un rare mérite, lui rappellent le cas du fou qui
ce qui, dans notre propre domaine, est susceptible croyait que tout le monde était mort. Il s’étonne
d ’aider les hommes à se bâtir une culture mieux que des artistes se puissent donner pour mission
adaptée aux structures mouvantes d ’aujourd’hui. de persuader tout le monde que la vie ne vaut
La nécessité d ’une nouvelle culture se fait partout pas la peine d ’être vécue. Ils oublient, dit-il, que
sentir. En épigraphe à ses magnifiques « Chro la littérature, comme tout art, est mouvement
niques Martiennes », le grand poète (mais il n ’est et joie d ’exister. Ils le payent d ’ailleurs cher :
pas considéré comme tel) Bradburry écrit : ils s’épuisent à tenter de composer une symphonie
« Il est bon. de renouveler les sources d ’émer avec une seule note.
veillement, dit le philosophe. Les voyages inter Cet essai de Colin Wilson constitue la première
sidéraux ont refait de nous des enfants. » Il n ’y tentative de critique littéraire nouvelle, étrangère
a pas que les voyages. Nous avons la chance de aux structures, aux catégories, aux hiérarchies
vivre une époque dans laquelle la science peut admises. Elle est une recherche sauvage, dans tous
redonner à tout adulte un peu éclairé cette les rayons de la bibliothèque, des œuvres où
conscience des possibilités infinies de la vie, qui s ’exprime à plein ce que l’auteur nomme «l’éner
est le privilège de la jeunesse, lui rendre à nouveau gie basique dionysiaque ». L ’expression est
sensible la puissance du rêve, lui restituer la liberté lourde mais la chose grande. C ’est l’agressivité
de l’imagination. Je sais bien que le seul mot de positive, celle qui donne la force de vouloir,
science suffit encore aujourd’hui à gâter tout déploie l ’imagination et fait se réaliser les rêves.
propos sur la littérature. Il faudra bien pourtant C ’est le feu.
LOUIS PAU W ELS.
Editorial
Photo Janine Niepce-Rapho.
Le phénomène Jeunesse
Jean-Louis Febvre
Le phénomène Jeunesse
séparés mais des états différents d ’une même DE LA SOCIÉTÉ SACRALE
réalité considérée dans un temps relatif et non A LA SOCIÉTÉ PROFANE
plus absolu, une ère nouvelle naissait dans la
vision du monde. Elle allait mener rapidement à Autrefois, l’enseignement et l’éducation étaient
l ’âge atomique et cosmique dont nous venons assurés en grande partie par la famille. Aujour
à peine de nous imprégner et qui est cependant d ’hui, non seulement cette fonction doit être
déjà acquis par les jeunes d’aujourd’hui, ceux-là partagée par l’école, mais celle-ci doit se spécia
mêmes qui dansent le twist après avoir lu Teilhard liser en créant des sections nouvelles destinées
de Chardin ou Korzybski. à répondre aux problèmes posés par les nouvelles
Les symptômes sociaux, culturels et économiques, techniques, les nouvelles sciences. Le relais de
les théories scientifiques, les structures sociales l ’éducation est repris par de nombreux organismes
se transforment profondément. La condition même parascolaires, mouvements de jeunesse, asso
du progrès de l ’homme réside dans la rapidité ciations culturelles, organisations de vacances
qu’il met à s’adapter à ces mutations. à l ’étranger, stages dans les entreprises indus
La tradition, l ’expérience, l’âge, la stabilité, la trielles et commerciales des pays voisins, etc.
continuité, l’intransigeance peuvent-ils être encore Dans les cités urbaines, le « frottement » des jeunes
les valeurs fondamentales d ’une telle société? aux aspects les plus publics de la vulgarisation
Ne doivent-elles pas être remplacées par d ’autres : scientifique révèle un quotient intellectuel beau
l’innovation, le dynamisme, l’adaptation, la mobi coup plus élevé que dans les campagnes, même
lité, la tolérance? Dès lors, on ne doit guère quand le revenu des parents est identique. De
s’étonner de voir les jeunes chercher à constituer nombreuses enquêtes démontrent que l’accélé
une société à part. Ils ont essayé, mais en vain, ration intellectuelle de la jeunesse est due à la
de « jouer le jeu » avec les adultes, de briser avec fois à la migration professionnelle, à l’exode vers
leur aide des structures de pensée qu’ils consi les villes, au changement des techniques et des
dèrent comme dépassées. Jean Charon a, ici mœurs. C ’est de la mouvance même de la société
même, écrit : « La jeunesse actuelle étouffe, elle actuelle que naît dans la jeunesse une intelligence
aspire à un renouveau, elle crie son impatience plus vive et mordant mieux sur le réel. Regretter
devant notre hésitation à ouvrir les fenêtres sur cette mouvance ou s’en féliciter ne change rien
d ’autres horizons (2). » Les réponses des jeunes à l’affaire. Comme l’avoue l’abbé François
à deux questions d ’une enquête effectuée par H outart qui dirige le Centre de Recherches
Radio-Luxembourg sont, sur ce point, sympto socio-religieuses, nous assistons au « passage
matiques. d ’une société sacrale à une société profane ».
« Les jeunes critiquent-ils l ’enseignement qui Il faut entendre ces mots dans leur acception la
leur est donné? » plus large. Le domaine de ce qui est « sacré »,
Oui : 72,5% — Non : 21,5% — Sans avis : 6% . c’est-à-dire inchangeable, immuable, intouchable,
« Les jeunes participent-ils à la vie des adultes ? » se réduit progressivement tandis que s ’étend le
Oui : 50,5 % — N on : 42,5 % — Sans avis : 7 % . champ du relatif, du passager, du changeable.
Au cours de conversations que l’on peut avoir
avec de jeunes Français, une unanimité identique LA FIN D ’U N ROMANTISME
se retrouve : critique sévère de l’enseignement ET LA NAISSANCE D ’UN AUTRE
dispensé, de la carence de notre équipement
scolaire et universitaire en fonction de l ’accrois En France, la population scolaire des moins de
sement démographique et des nouvelles disci quinze ans a triplé durant la période 1930-1960.
plines pédagogiques. Pour eux, la France, en Dans le même temps, l’âge d ’entrée des jeunes
matière d ’enseignement, est un pays sous-
développé. (2) Planète N° 4.
Le phénomène Jeunesse
LA PRISE DU POUVOIR ÉCONOM IQUE « sacré » au « profane » dont nous parlions
tout à l’heure, cette préférence profonde pour le
Fait social bouleversant, la jeunesse représente mouvant, le changeable.
également un fait économique nouveau. Naguère, Quarante à soixante pour cent de cet argent de
l’adolescent n ’avait q u ’un rôle très mince sur le poche vont au cinéma et aux disques. Viennent
marché : il ne pouvait que tenter de pousser ses ensuite les livres, puis les accessoires de toilette
parents aux achats. A ujourd’hui, les jeunes et les sorties. En dernier lieu, les cigarettes (à bout
constituent eux-mêmes un marché considérable. filtre) et les boissons (surtout non alcoolisées).
En France, l ’argent de poche donné aux enfants Pour les voitures, l’unanimité se fait sur les engins
représente chaque année, depuis la guerre, plu décapotables : 91% . En France, 25% désirent
sieurs dizaines de milliards, et les chiffres vont une Floride. En Allemagne, le plus grand nombre
croissant. En Allemagne, les jeunes dépensent rêve d ’une Porsche rouge. Aux U.S.A., plus de
par an quatre milliards de marks. En Suède, six millions d ’automobilistes de moins de 19 ans
cinq pour cent des objets de luxe sont achetés choisissent une Ford de sport.
par des adolescents. En Angleterre, les ten-agers,
ont économisé l’année dernière 70 millions de FAIRE, AVEC LA JEUNESSE,
livres et en ont dépensé 830 millions, soit 5 % des DE LA JEUNESSE
dépenses totales de consommation. Dans ce
dernier pays, une enquête établit que l’adolescente Je ne rapporte ces dernières considérations que
dépense en moyenne, hors de sa famille, 32 livres par souci du détail marquant. Le fait essentiel
pour s’habiller alors que la femme adulte ne est que la jeunesse tient aujourd’hui pratiquement
dépense que 18 livres. Le magazine américain en main la partie la plus sensible de l’économie
« Seventeen » démontrait que, sur deux millions des pays occidentaux. Par là, elle représente aussi
de jeunes filles fiancées, 1 590 000 avaient déjà une force politique considérable.
acheté l’argenterie, 1 000 000 la verrerie, 1 500 000 Quel usage sera fait de cette force ? Quelles oreilles
le linge de table et de lit. avons-nous pour entendre l’immense réclamation
La nouvelle puissance économique des jeunes, qui monte de cette jeunesse, et qui affecte l’en
leur pouvoir d ’achat formidablement accru ont semble de nos structures sociales, politiques,
introduit des facteurs révolutionnaires dans les économiques, intellectuelles, religieuses? Il' s’agit
études de marché, la prom otion des ventes, la d ’ailleurs moins de songer à orienter cette force
publicité, les relations publiques. Ce sont les jeunes q u ’à y répondre par une égale puissance de renou
qui ont suscité l’extension des grands magasins, vellement. L ’idée de « diriger » la jeunesse est
des super-marchés, des self-services, le dévelop une idée qui appartient à un monde déjà à demi
pement des juke-boxes, des cafétérias, des périmé. Il s’agit bien plutôt de faire, avec la
snak-bars, la naissance des grands organismes jeunesse, de la jeunesse. Cette vision est conforme
de loisirs et de vacances. Ils ont aussi modifié au sentiment de renaissance générale qui saisit
l’habillement, précipité les variations de la mode, aujourd’hui toutes les consciences ouvertes. Elle
introduit la notion de « gadget ». Leurs préfé est exigeante. Elle est difficile à soutenir. Elle
rences pour des vêtements plus typiques et plus introduit dans tous nos modes d ’action et de
colorés ont modifié la production des usines de pensée les ferments du changement. Mais, en
textiles. Les fabricants et détaillants sont étonnés ceci comme en toutes les conjonctures de cette
de la qualité médiocre du tissu que les jeunes nouvelle ère, « ce n ’est pas le chemin qui est
achètent, et un grand nombre de magasins ont difficile, c’est le difficile qui est le chemin ».
appris à leurs dépens q u ’avec cette clientèle il JEA N -LO U IS FEBVRE.
ne fallait plus tenir compte des valeurs de qualité
et de durée. Là encore, on retrouve ce passage du Voir la Bibliographie aux Informations, p. 150.
L'homme et le cosmos
munion » intellectuelle directe entre l ’artiste et les Puis, afin de pouvoir déterminer dans quelle mesure
autres hommes? la description artistique vient compléter la des
Nous voudrions donc commencer par examiner cription scientifique en cherchant à s’adresser à
la description que la Science actuelle nous fait des zones plus profondément dissimulées du
du cosmos en nous limitant aux très grandes cosmos, nous chercherons à analyser ce que nos
lignes et en essayant surtout de dégager l’unité connaissances actuelles nous indiquent sur le
qui règne, de l’infiniment petit à l’infiniment grand. psychisme humain.
L'homme et le cosmos
planète peut comporter un ou plusieurs satellites, solaire comme une bille d ’un centimètre avec,
la Lune pour la Terre, Phobos et Deimos pour autour, neuf petits grains de sable tournant à des
Mars et un plus grand nombre encore pour les distances s’échelonnant jusqu’à cent mètres! Entre
planètes situées au-delà de Mars. Les étoiles sont tout cela, c’est le vide interplanétaire. Un vide si
analogues à notre Soleil et se groupent dans l’Uni vaste qu’on n ’y peut trouver que quelques micro
vers en paquets de l’ordre du milliard dans des grammes de poussière tous les millions de kilo
configurations à formes variées q u ’on nomme mètres cubes d ’espace. Que dire des étoiles? A
galaxies. Ces galaxies peuvent être, soit sphériques, notre échelle du Soleil-bille, la plus proche, Proxima
soit en forme d ’ellipsoïdes, soit en forme de len du Centaure, est à vingt kilomètres, les étoiles
tilles plus ou moins aplaties pouvant comporter, brillantes d ’Orion sont à 1 500 kilomètres. L ’une
extérieurement, des prolongements q u ’on nomme des plus proches galaxies, Andromède, est, dans
« bras ». Ce dernier type est celui de notre propre notre schéma réduit, à dix fois la distance qui nous
galaxie, la Voie lactée, le Soleil occupant une sépare de la Lune, et certaines des galaxies que
position (aucunement privilégiée) dans un des l ’on aperçoit du Mont-Palomar sont encore mille
« bras » de la galaxie. La grande bande blanchâtre fois plus éloignées. Q u’on cherche donc à se
qui coupe notre ciel d ’été provient de la lumière représenter ce qu’est, à cette distance, une étoile
des milliards d ’étoiles de notre Voie lactée en forme grosse comme une bille ! Et que dire des minuscules
de lentille, que l’on aperçoit ainsi par la « tranche ». planètes éventuelles qui gravitent autour de cette
Nos télescopes nous permettent de distinguer un étoile?
très grand nombre de tels systèmes galactiques. Donc, comme dans l’infiniment petit : distances,
Le télescope optique géant du Mont-Palomar, qui nombres, vides énormes. Et aussi, comme dans
permet d ’étudier des régions de l ’Univers si loin l’infiniment petit, le plus grand nombre va s ’appli
taines que la lumière met plus d ’un milliard quer au mouvement. Les planètes sont en mou
d ’années à nous en parvenir, réussit à dénombrer vement autour des étoiles à des vitesses de l’ordre
environ un milliard de galaxies. Ainsi, notre univers de quelque 10 000 kilomètres à l’heure. Les étoiles
visible nous présente déjà plus d ’un milliard de se déplacent aussi dans la galaxie à laquelle elles
milliards d ’étoiles, comme notre poussière micros appartiennent à des vitesses du même ordre. Les
copique nous présentait tout à l’heure environ un galaxies tournent généralement sur elles-mêmes,
milliard de milliards de noyaux d ’atomes, chacun entraînant encore l’ensemble des étoiles avec des
de ces objets pouvant s’accompagner de son vitesses linéaires qui, vers la périphérie, sont de
cortège de « planètes ». 10 000 à 100 000 kilomètres à l’heure. Enfin, les
galaxies ont aussi des mouvements propres les
COMME DANS L ’IN FIN IM EN T PETIT unes par rapport aux autres, avec des vitesses
relatives qui peuvent être de grandeurs similaires
Nombres énormes donc, comme pour l’infiniment aux précédentes.
petit. Et distances énormes aussi. Pour mieux 11 ne s’agit là que de mouvements locaux, variables
le sentir nous allons une nouvelle fois changer suivant les régions de l’Univers. Mais il existe
d ’échelle, mais en rapetissant toutes les dimensions aussi un autre phénomène très important qui
cette fois-ci. Réduisons donc notre Soleil à la bille consiste en un mouvement d ’ensemble de tout
d ’un centimètre de diamètre. A cette échelle, toutes l’Univers. Chaque galaxie semble en effet s’éloigner
les planètes ne sont plus que petites poussières ; de nous, dans toutes les directions de l’espace, et
notre Terre est alors un grain de sable tournant cette vitesse de « fuite » est d ’autant plus grande
relativement près du Soleil-bille, puisqu’il n ’en que la galaxie observée est plus lointaine.
est qu’à environ deux mètres. Mais Saturne est Ainsi, il ne suffisait pas que notre Univers ait des
un grain situé à vingt mètres, Neptune à soixante, dimensions immenses, il fallait encore qu’il soit
Pluton presque à cent. Q u’on imagine le système en perpétuelle « expansion ». Et avec quelles
L'homme et le cosmos
la matière, cette substance espace-temps prend ENTRE LE GÉOMÉTRIQUE
toutefois des formes et occupe des directions parti ET LE PSYCHIQUE
culières. Il apparaît ce q u ’on nomme une « cour
bure » de l’espace-temps. Ainsi, voilà tracée dans ses grandes lignes la des
cription que la Science actuelle nous offre de notre
PLUS FACILE A COM PRENDRE Univers. Description qui, dans sa phase ultime, se
Q U ’ON NE LE CROIT ramène à des formes et des directions d ’une sub
stance unique, c’est-à-dire à de la géométrie.
Il n ’est naturellement pas dans notre propos de La physique cherche à s’édifier de la façon la moins
tenter d ’exposer ici les fondements de la Relativité « anthropocentriste » possible et, en ce sens, tente
générale, mais on serait surpris de constater que d ’obtenir une description de l’Univers indépen
ces fondements sont beaucoup plus simples et dante de l’observateur. Elle est en quête d ’une
beaucoup plus clairs q u ’on ne se l’imagine habi réalité située par-delà les simples sens de l’homme.
tuellement. On est ainsi conduit à faire une distinction entre
Contentons-nous de proposer une image. Consi le Réel et le Connu, le Connu n ’étant que ce q u ’un
dérez cette page. Elle est faite de papier et, dans sa observateur, inféodé à son mouvement et à ses sens,
topologie actuelle, elle est plane. Vous pouvez va percevoir du Réel en chaque point. Nous ne
naturellement l ’arracher et lui donner la forme que pouvons nous attarder sur ce sujet (1), mais il faut
vous voulez : cylindre, boule, etc. ; vous obtiendrez noter combien cette démarche de la Science res
ainsi un objet qui sera toujours constitué de papier semble à la démarche artistique dans la mesure
mais dont les formes seront particulières. Le papier où celle-ci cherche à décrire une réalité située
reste ainsi toujours l’unique « substance » de tous au-delà de la simple perception sensorielle.
les objets que vous pouvez faire avec une feuille L ’Art se sépare cependant de la Science en tenant
de papier. C ’est dans le même sens q u ’il faut com compte, dans sa description, d ’une réalité qui,
prendre que l’espace-temps est l ’unique substance tout en étant de façon très évidente une caracté
qui constitue notre Univers matériel. Les corpus ristique fondamentale de notre Univers, est cepen
cules de matière ne sont que des régions où l’espace- dant en partie inaccessible et inexprimable : le
temps a pris une forme, une « courbure » parti psychisme, le monde « intérieur ».
culière.
L'homme et le cosmos
à-dire le mouvement, d ’une particule élémentaire jours de la semaine, demain est un jour de semaine,
comme un proton, un neutron ou un électron, donc demain je vais travailler. Mais qui dit mé
par exemple? Nous l ’avons déjà dit, la physique moire dit aussi jeter une sorte de « pont » entre le
moderne nous apprend q u ’une particule ne peut présent et des points éloignés de nous dans l’espace-
être considérée comme un objet isolé dans l ’espace temps. Car, ne l’oublions pas, la physique nous
mais comme un être coextensif à tout l’espace. apprend aussi, avec la notion d ’espace-temps, que
Ainsi, un proton possède autour de lui, s’étendant le passé, le présent, le futur existent « en bloc » :
à l’infini, à la fois un champ électrostatique et un le passé ne disparaît pas parce que nous ne le vivons
champ gravitationnel, et ces champs sont entiè plus, le futur n ’est pas absent parce que nous ne le
rement solidaires de la particule elle-même. En vivons pas encore. Le cerveau, dans le phénomène
fait, et pour reprendre une expression d ’Albert mémoire, agit ainsi comme un transistor qui,
Einstein, la particule n ’est q u ’une région « plus lorsqu’on le met sur la longueur d ’onde appro
dense » d ’un champ qui, par ailleurs, s ’étend à tout priée, fait entendre un programme radiophonique
l’Univers. Ainsi un proton « agit » sur n ’importe éloigné de lui dans l’espace et le temps. Le cerveau
quelle autre particule de l’Univers, aussi éloignée va se brancher ici sur des points éloignés dans le
soit-elle. Bien sûr, l ’effet de cette action diminue passé de l’espace-temps, et rend ainsi possible ce
très vite avec la distance, mais il n ’est cependant q u ’on nomme mémoire.
jamais rigoureusement nul. On aperçoit ainsi une Dans l’acte psychique exprimé par : « Demain, je
sorte de « projection » de la particule vers tout le dois aller travailler », il y a aussi une sorte de vague
reste du cosmos, projection constituant une pre visualisation d ’une situation qui ne doit se réaliser
mière liaison de l’Un avec le Tout. que demain. Je prévois un état de l’espace-temps
Et puis, inversement, n ’importe quelle particule de qui me semble potentiellement réalisable. Ceci
l’Univers agit également sur le proton que nous peut se traduire aussi par une liaison, assez diffuse,
avons considéré. Encore une fois, cet effet diminue de mon présent avec des points, plus ou moins
rapidement avec la distance, mais il n ’est jamais éloignés dans le futur, de l’espace-temps.
nul cependant. On distingue ainsi une autre sorte Mémoire et prévision. N ’est-ce donc pas la base
de liaison de l’Un avec le Tout, par « convergence » même d ’un acte psychique quel qu’il soit? Et ne
du Tout vers l’Un. vient-on pas de constater que ces deux phénomènes
Et, en définitive, ce sont précisément ces deux consistaient essentiellement en l’établissement de
types de liaison qui « conditionnent » le comporte «liaisons » entre points de l’espace-temps? Tout
ment de notre proton. Son action sur tout l’exté le comportement d ’un être humain n ’est-il pas
rieur et l’action de tout l ’extérieur sur lui : voilà ainsi continuellement conditionné par mémoire et
ce qui crée et explique complètement le mouvement prévision, c ’est-à-dire par des connexions établies
de notre proton élémentaire, c’est-à-dire son entre cet être lui-même et tout le reste du cosmos ?
comportement. Allons encore plus loin. Pensons le problème du
psychisme et de son évolution à l’échelle du cosmos
LA PENSÉE ET L ’ESPACE-TEMPS tout entier. Si, comme nous le suggère Teilhard de
Chardin, nous allons continuellement vers des états
Peut-on tenter d ’appliquer cette notion de liaison de l’Univers à psychisme croissant, cela signifie
de l’Un avec le Tout à l’homme? Le comportement, aussi que nous allons continuellement vers des
chez l’homme, apparaît comme le fruit d ’un acte états de l’Univers dans lesquels l’Un sera plus
psychique. Cherchons donc à analyser un acte « lié » au Tout. Or, ne voit-on pas effectivement
psychique très rudimentaire. La pensée suivante, l’homme apparaître comme une sorte de foyer,
par exemple : « Demain, je dois aller travailler. » un centre de cristallisation permettant cette union
Dans cette réflexion, il y a d ’abord un effort de plus étroite de l’Un avec le Tout? Cette conver
mémoire : je me souviens que je travaille tous les gence psychique de toute la nature vers l’homme
11 est troublant de voir combien ces constatations La Science nous décrit les lois qui gouvernent le
s’accordent avec ce que Teilhard de Chardin a comportement de la matière. L ’Art cherche à
nommé la «personnalisation» de l ’homme (1). pénétrer plus profondément au cœur de la nature
Teilhard nous indique que la « vocation » de et à inclure dans sa description la partie psychique
l’homme n ’est pas de réaliser son « individualité », de l’Univers, indissociable de la matière. La
mais sa « personne ». Et, réaliser cette personne, Science se limite au dehors des choses. L ’artiste
c ’est chercher à s’unir dans toute la mesure du ambitionne une communion directe avec le sujet
possible avec la nature : « En cherchant à se séparer qu’il observe, afin de découvrir le dedans des
le plus possible des autres, l’élément s’individua choses. Parce qu’elle demeure extérieure aux
lise ; mais, ce faisant, il retombe et cherche à objets, la Science peut décrire en faisant appel
entraîner le monde en arrière vers la pluralité, dans à l’intelligence et au langage clair, rationnel, de
la matière. Il se diminue, il se perd, en réalité. même signification pour tous. Parce qu’elle veut
Pour être pleinement nous-mêmes, c’est en direc avoir accès à la part la plus intime des objets,
tion inverse, c ’est dans le sens d ’une convergence l’œuvre d ’art s’exprime dans un langage plus
avec tout le reste, c’est vers l’Autre q u ’il nous faut intuitif, et elle est aussi une projection de l’artiste
avancer. Le bout de nous-mêmes, le comble de vers ce qu’il y a de moins rationnel et de plus
notre originalité, ce n ’est pas notre individualité, profond chez autrui.
c’est notre personne (2) ; et celle-ci, de par la Science et Art apparaissent, de toute façon, comme
structure évolutive du monde, nous ne pouvons deux disciplines humaines qui se complètent pour
la trouver q u ’en nous unissant. Pas d ’esprit permettre à l’homme de se situer par rapport au
sans synthèse. » cosmos et de se mieux placer dans le courant
Et, nous dit encore Teilhard, si quelque chose évolutif cosmique. La science participe peut-être
de nous-même doit persister au-delà de la Vie, un peu plus de la Connaissance, l’Art peut-être
c’est précisément cette partie de notre être qui s’est un peu plus de l’Amour, mais l’une et l’autre sont,
« personnalisée », car cette personnalisation se en fait, inséparables et conduisent notre Univers
place directement dans l’axe de toute l’évolution vers toujours une plus grande unité.
cosmique qui va vers une union toujours plus J ’aimerais conclure par cette phrase de H.-R.
grande de l ’Un au Tout. Et cette personnalisation Lenormand, qui célèbre ce mariage de la Connais
ne saurait donc se perdre, même à l’échelle de sance et de l’Amour, et donc aussi de la Science
l ’univers entier, c ’est-à-dire dans l ’éternité des et de l’Art : « On n ’apprend rien que par l’Amour,
temps. on ne peut savoir qu’en se donnant. »
Qu’on ne se méprenne pas : cette « union » de JEAN CH ARON.
l’Un au Tout ne signifie nullement que l’Un se
dissout dans le Tout. Nous devenons un foyer
d ’autant plus distinct que plus de rayons
convergent vers ce foyer, que plus de liens se
sont établis entre nous et la nature. Pour reprendre
une image très grossière, il en va de même pour (1) Teilhard de Chardin, le Phénomène humain (éd. du Seuil).
un transistor, qui prend d ’autant plus d ’impor (2) Voir l’éditorial du précédent num éro de Planète.
G ABRIEL VÉRALDI.
(Viollet)
Jéricho : les ruines de la ville la plus vieille du monde actuellement connue.
Une civilisation avant Sumer ?
Gilbert Caseneuve
Troie aussi était tenue pour une légende jusqu'à ce qu’un homme ait
trouvé le courage de fouiller lui-même.
GUSTAV M EYRINK.
Bilan des recherches L ’étude des singes est en train de devenir une mine incroyablement
et des expériences riche d ’enseignements pour les psychologues qui voient dans cette
sous-humanité le moyen d ’aborder le démontage des mécanismes
Leur intelligence élémentaires de notre pensée.
Nous sommes loin des recherches un peu naïves, mais utiles, de
l’Allemand Koehler qui, dans l’île de Téneriffe, étudiait comment
Leur sens esthétique les chimpanzés se servaient d ’un bâton. Il apprit au monde savant
que ces animaux connaissaient l’usage de l’outil, qu’ils pouvaient
Leur comportement se servir d ’un crochet, ou empiler des caisses pour se saisir d ’un fruit
social hors d ’atteinte. Tout cela, les éleveurs de singes le savaient du reste
fort bien. Il est en effet impossible de garder des chimpanzés en
captivité durant quelques années sans s’apercevoir de leur habileté.
Cette habileté, d ’ailleurs, est particulièrement brillante quand il
s’agit de faire le mal : la taquinerie est sans doute plus encore que
la gourmandise le défaut dominant des grands singes. Aussi serait-il
intéressant de reprendre tous les tests d ’intelligence que nous avons
proposés aux primates en changeant simplement la motivation et
en offrant, au lieu d ’un fruit, l’occasion de faire une mauvaise plaisan
terie. Ceci dit sans pl?<santer...
La construction et l’utilisation spontanée d ’un outil ont été observées
en l’absence de toute stimulation gastronomique sur les deux sujets
du naturaliste allemand Grzimek :
« A la porte de la ménagerie, nous confie ce dernier, et à une bonne
distance de la cage, étaient accrochés vêtements, fouets, colliers et
D ’autres chercheurs travaillent à un niveau moins Mais d ’abord, quel est le comportement social
spéculatif. Leur problème n ’est pas de savoir des singes à l’état sauvage? Comment vivent-ils
pourquoi le singe n ’est pas un homme, mais de avant de tomber sous le contrôle des hommes
faire aux singes ce que la morale interdit de faire de science? Si nous traçons à grands traits l’éthno-
à l’homme. Aux mains des physiologistes, d ’infor logie des simiens, nous trouverons quelques
tunés animaux sont soumis à des dressages, à des notions générales qui ne sont d ’ailleurs pas exclu
pulsions psychologiques. Puis leur crâne est sivement propres aux singes. La dominance et
ouvert, leur cerveau fouillé. On observe les effets le territoire sont de celles-ci. Des individus en
que provoquent ces dressages sur la physiologie dominent d ’autres. Tous ont en commun un
cérébrale. Ils sont presque toujours infiniment territoire. Les singes qui vivent en bandes pos
bénins. La méthode l’est moins. sèdent des lois sociales et des lois à usage interne.
Et puisque nous voici dans un domaine inquiétant, Ils possèdent également un territoire qu’ils
il nous faut aussi parler des recherches des socio défendent.
logues. On a dit que les camps de concentration Parmi les singes inférieurs, les mieux connus sont,
des nazis étaient moins destinés à l’élimination sans doute, les hurleurs d ’Amérique centrale.
de certains groupes humains q u ’à l’étude expé Ils vivent en petits clans d ’une vingtaine d ’indi
rimentale des conditions de vie nécessaires et vidus en communauté sexuelle, dans un terri
suffisantes pour maintenir en condition d ’escla toire très restreint et sans grande hiérarchie. Les
vage de grandes masses humaines. Les recherches babouins africains font contraste, car ils possèdent
de certains laboratoires (des Yerkes Laboratories une organisation très stricte. Les bandes sont
of Primate biology, par exemple) se rapprochent constituées par l’agrégation d ’un certain nombre
parfois de préoccupations du même ordre. Bien de harems. Parmi les mâles se trouve le chef de
entendu, je ne songe pas à accuser ces chercheurs la bande. Une expédition de babouins aurait une
d ’intentions aussi malveillantes, mais je ne puis allure tout à fait militaire : sentinelles, avant-
m ’empêcher d ’éprouver un malaise à la lecture garde, flancs-gardes, arrière-garde et commandos
de certains comptes rendus, et de songer à l’utili d ’intervention.
sation catastrophique pour la liberté et la dignité Parmi les grands singes, nous trouvons un exemple
humaines q u ’en pourraient faire des idéologues de vie familiale chez les gibbons du sud de l’Asie.
fanatiques. Ainsi, la sociologie en éprouvette de Le père, la mère et les enfants impubères vivent
ces chercheurs porte, à travers l’étude des singes, ensemble et défendent ensemble le territoire.
sur les fondements et le respect de la hiérarchie Les orangs-outans de Bornéo et Sumatra sont mal
sociale. Il s’agit de savoir si celle-ci est innée ou connus. Ils sont polygames et n ’ont qu’une très
apprise. Dans cette dernière hypothèse — qui est relative vie sociale.
d ’ailleurs la bonne —, il s’agit de découvrir de Les chimpanzés, par contre, vivent en bandes
quelle manière et à quel âge il est possible d ’im hiérarchisées. Ces bandes sont, comme celles
prégner un individu du sens de la hiérarchie du des babouins, composées d ’une ou plusieurs
54 Eux et nous
Œ U V R E S P R IN C IP A L E S
Longus, D a p h n is et C h lo é (B ib lio
philes franco-suisses, 1948) ; Mallarmé,
l ’ A p rè s -m id id ’ un fa u n e (les A m isdes
livres, 1948) ; M ontherlant, P asipha é
(A rch at, 1953) ; Claudel, l ’ A n n o n c e
fa ite à M a rie (Gallim ard, 1951) ; La
Fontaine, A d o n is (Flammarion, 1956) ;
Pétrarque, Les S o n n e ts (les Cent
B ibliophiles, 1958) ; Oppian, la C y n é
g é tiq u e (les Cent Unes, 1954) ; Jean
Rostand, B e s tia ire d ’ a m o u r (Laffont,
1958) ; M ontherlant, C a rd in a l d ’ Es
pagne (Lefebvre, 1960) ; l'A p o c a ly p s e ,
en collaboration avec Foujita, Mathieu,
Dali, Buffet, Leonor Fini, Zadkine
(Foret, 1962).
56 Eux et nous
Vers une architecture fantastique
Pierre Restany
Brasilia :
Un grand geste L'art fantastique de tous les temps
dans le grand vide ?
LA CRISE sont pas heureux, je l’ai constaté : ils subissent
DE L ’ARCHITECTURE FONCTIONNELLE plus ou moins consciemment les effets psycho
logiques de l ’uniformisation. La paix des voisins,
On a cru régler la question en établissant la liste l’intérêt du bloc ou de l ’étage, la répartition des
complète des besoins présumés de l’être humain charges collectives revêtent une importance
vivant en société. Cet individu modèle, émi capitale : un règlement supplémentaire, après
nemment sociable, on lui a assigné une série de celui de l’usine, du bureau, de la cantine, de
normes et de coefficients dont l ’ensemble constitue l’autobus. Le conditionnement gagne chaque
l ’équation du bonheur, le secret de la « Cité jour du terrain. Il empiète largement sur la vie
Radieuse ». privée. Tout ce passe comme si c ’était à l’homme
Les résultats sont décevants. La démonstration de s ’adapter à la loi de l ’urbanisme, comme si
entreprise par Le Corbusier à Marseille n ’est l’architecture, au lieu d ’être au service de l ’homme,
concluante que pour ses fanatiques disciples. lui dictait son comportement. Les conséquences
La seconde réalisation, celle de Nantes, a suscité se font sentir : le nombre des inadaptés sociaux
les mêmes objections que la première. Vivre croît dangereusement.
dans un espace fonctionnel dont les dimensions En dépit de tout, les constructeurs des grands
de cloisonnement correspondent à votre exacte ensembles « fonctionnels » demeurent sûrs d ’eux-
envergure n ’a rien de très exaltant dans la pratique mêmes. Ils entonnent leur credo qui est un acte
quotidienne. Cette standardisation est accentuée de foi dans l’action de l’urbanisme sur les hommes.
encore par le caractère communautaire de ces Un urbanisme fonctionnel doit susciter chez l ’indi
grands immeubles conçus comme des organismes vidu un comportement fonctionnel. L ’homme
collectifs unitaires. Un nombre croissant de de demain sera totalement adapté aux conditions
charges et d ’activités communes implique le nouvelles de son habitat. Je le dis tout net, c ’est
respect par chaque habitant d ’une solidarité de un optimisme hasardeux, et c ’est un pari sur
fait qui devient vite un devoir, une discipline, l ’avenir dans lequel il entre un orgueilleux refus
une règle. de voir réellement loin.
Comment résoudre cette antinomie : loger au
mieux le plus grand nombre en préservant la LE PARADOXE D E BRASILIA
singularité de chacun? Aucune théorie rationnelle
ni aucun système de planification ne le permet L ’exemple le plus significatif est celui de Brasilia,
aujourd’hui. Le rythme de l ’accroissement démo où Niemeyer a sans conteste réalisé une archi
graphique est toujours plus rapide que celui de tecture « juste ». Cette ville est née de rien, si
la construction. Dans ce domaine de l ’urbanisme ce n ’est de la volonté des hommes, d ’un « geste
collectif, la standardisation est inévitable. Mais premier » de l ’urbaniste Costa. Et ce geste premier
jusqu’à quel point? Quelle est la marge de singu avait pour but de libérer le Brésil moderne et
larité et de diversité que devraient respecter riche (celui de la côte sud-atlantique) de son
les plans-pilotes ? complexe à l’égard du pays intérieur. Mais la
Il s ’agit avant tout de satisfaire une exigence nouvelle capitale du Brésil, surgie en plein
sociale de première nécessité, de combler le retard « Planalto » ne correspond à aucune nécessité
des années passées, de faire face à une brusque organique.
augmentation de la demande. On fait alors de la Brasilia est projetée sur le futur. Elle a un demi-
« machine à habiter », on débite de la super siècle d ’avance. Les habitants, s ’ils veulent se
ficie habitable. Qui peut blâmer les responsables fixer et survivre, doivent opérer, en une durée
de la triste réalité de nos banlieues? Mieux vaut record, ce saut énorme dans le temps. D u fait
vivre dans des blockhaus que dans des taudis, du climat, des distances intérieures, l ’existence
bien sûr. Mais les habitants de ces blocs ne du piéton autonome ne se conçoit plus. C ’est un
de la vie et de la mort, de nos propres dimensions tures lyriques d ’Étienne-Martin en H.L.M. pour
d ’existence. Ses « demeures » peuvent paraître cénobites intellectuels en mal de singularité, ni de
à la fois des berceaux et des tombes, elles ne sont tirer les plans de ses « demeures » à quelques
jamais des temples de l ’insolite ou les lieux milliers d ’exemplaires de façon à bâtir des îlots
sacrés de mystères initiatiques. Étienne-Martin d ’irrationnel! C ’est peut-être dommage, car
est un bâtisseur de cavernes aux formes intelli Étienne-Martin a eu le mérite de poser, sans faux-
gentes et sensibles : les troglodytes modernes fuyants et avec une grande générosité, le problème
ne seront pas prisonniers de leurs abris. de Véchange direct entre l ’homme et son envi
Il n ’est, hélas! pas question de convertir les struc ronnement.
74 La houle et la chair
MARS Gravures de l'école de Dürer. SATURNE
Existe-t-il une hérédité planétaire ?
M ichel Gauquelin
M ICHEL G A U Q U ELIN .
3. Notabilités professionnelles
Nous avons publié dans notre J’AI VISITÉ U N INSTITUT CONTRE LA MORT
précédent numéro le rapport du
Dr Arnold Hutschnecker, spécia D e toutes les épreuves qui parsèment une vie d ’homme, la déchéance
liste autrichien, dont les thèses physique et intellectuelle qui, encore souvent, précède la mort, est
bouleversent l’idée que nous nous
faisons de la mort et de ses causes. la plus insupportable pour la raison. Autant nous pouvons nous
Pour le Dr Hutschnecker, nous préparer à renoncer à nous-mêmes, autant nous nous refusons à
mourons avant terme, ayant perdu renoncer à l ’idée que nous nous faisons de nous-mêmes. Pour le sage,
la volonté de vivre. ce n ’est pas la mort qui reste difficile, c ’est le passage. Longtemps
Notre collaborateur Jacques Mous nous détournons notre pensée du dénouement pourtant inéluctable ;
seau vient de se rendre à Bucarest lorsque nous nous résignons à l ’envisager, le sort de ceux qui se sont
pour étudier les méthodes de la endormis doucement, sans se donner en spectacle, paraît enviable.
doctoresse Anna Aslan qui aurait Ce n ’est pas une question d ’orgueil ou de lâcheté ; c ’est une question
obtenu d’extraordinaires résultats
dans la lutte contre les maladies du de fidélité. L ’athlète et le savant désirent une mort qui ressemble à
vieillissement. Disons tout de suite leur vie.
que ces méthodes sont controversées. La crainte de se trahir pendant la dernière partie, parfois longue,
La revue française « Diagrammes » du parcours peut faire rêver à une fin accidentelle. Elle est prématurée
de mai dernier signalait que trois mais elle lève l ’hypothèque d ’un pari aléatoire. Ne pouvant choisir
équipes de gérontologues anglais notre point d’arrivée, nous gardons l ’impression de choisir notre
déclarent sans effet le « remède- façon d ’arriver. Il est étrange de constater que, longtemps, la vieillesse
miracle » employé à Bucarest.
a été un thème de réflexion pour les poètes, qui se révoltaient inu
Quoi qu’il en soit, la chose valait
le voyage. Les expériences d’Anna tilement, et les philosophes qui se résignaient maladroitement, mais
Aslan vont être étendues à 35 000 per pas pour les seuls qui auraient eu une chance de modifier son cours :
sonnes. Jamais tentative ne fut faite les médecins. Ils considéraient les maladies du vieillissement comme
sur une aussi grande échelle. Signa la vieillesse elle-même, se contentant d ’adoucir leurs effets et acceptant
lons enfin — quoique nos amis de devenir eux-mêmes des victimes expiatoires.
biologistes soient à ce propos Depuis le début du siècle, quelques chercheurs ont abandonné cette
extrêmement réservés — que
soixante médecins français utilisent
en ce moment le produit mis au
point en Roumanie.
Les ouvertures de la science
attitude fataliste. Le x x e siècle apparaîtra sans question sur le Gerovital H3, base du traitement
doute comme la date de prise en charge du destin gériâtrique qu’elle a mis au point. Par la fenêtre,
du monde et de l ’humanité par les savants. le merveilleux été de Bucarest inondait de lumière
le parc de l ’institut Parhon.
LE PENSIONNAIRE DE CENT SEIZE ANS Nous interrogions sur les tissus des vieillards, les
réflexes des vieillards, les facultés mentales des
D e la mise en question générale à laquelle nous vieillards, comme s ’il s’agissait d ’une espèce
assistons, la Vie n ’est pas exclue, donc la Mort. étrangère. Nous tenions des propos de vétérinaire
D ’autres ont suffisamment fait la comparaison quand il était question de nous. Alors un assistant
entre l ’espérance de vie d ’un Français sous du professeur Anna Aslan entra dans le bureau
Louis XIV — 40 ans environ — et celle d ’un en compagnie d ’un homme à longue barbe blanche,
Français d ’aujourd’hui — 69 ans — pour qu’il droit et mince. Ses yeux vifs, mi-clos derrière
ne soit pas nécessaire de multiplier les exemples de pauvres lunettes à monture de fer, coururent
statistiques. Par contre, on n ’a pas assez souvent de l ’un à l ’autre. Il se courba sans effort pour
insisté sur la transformation de la conscience de baiser la main de Mme Anna Aslan. Puis, il
l ’homme qu’a entraînée cette évolution qui s ’assit en plaçant sa lourde canne de fer entre ses
éclairait de façon nouvelle les problèmes de l’âge. jambes.
Ajouter des années à la vie exige que parallèlement — Quel âge lui donnez-vous?
on ajoute de la vie à ces années supplémentaires. Le médecin italien regarda le front bombé du
Une révolte de poète et de philosophe contre le vieil homme, le léger duvet blanc qui se hérissait
sort réservé aux vieillards et contre notre passivité sur son crâne bronzé, la barbe qui ondulait
devant la vieillesse a déterminé, voici plus de noblement. Il passa une main professionnelle
trente ans, la vocation de chercheur du professeur sur la nuque, éprouvant l ’élasticité de la peau.
roumain Anna Aslan. Nous lui devons autant Il fit jouer les articulations des doigts. Puis il
que des découvertes extraordinaires, semble-t-il, déclara :
en thérapeutique, une attitude dynamique en face — Quatre-vingts ans, peut-être quatre-vingt-cinq.
des problèmes de la sénescence. — Il a trente ans de plus, docteur, dit en souriant
— Les vieillards sont habituellement délaissés dans un français très pur, le professeur Aslan.
par la médecine. Ils l ’étaient davantage encore au Parseh Margossian a 116 ans, certifiés par un acte
temps de mes études. La science considérait qu’elle de naissance parfaitement en règle. C ’est notre
était impuissante pour agir sur les dégradations patriarche et il a une longue histoire qu’il pourrait
physiques et morales qui précèdent la mort. Il vous raconter lui-même car sa mémoire est
fallait suivre le conseil de Montaigne selon lequel excellente. Il a été quarante ans débardeur, puis
le seul remède était de se préparer à ces dégra ensuite gardien de nuit sur le port de Constanza.
dations. J’ai eu, très jeune, l ’intuition qu’il Il parle sept langues et dialectes de l ’Europe
était au contraire possible d ’agir sur elles. L ’idée centrale. Il est traité depuis dix ans à l ’institut
que l ’homme, après une vie active et créatrice, de gériâtrie Parhon. Lorsqu’il m ’a été amené,
devait être inexorablement condamné à une il ne quittait plus sa chambre. Il pesait quarante-
lente et humiliante déchéance m ’a toujours paru sept kilos. Une photographie montre que la peau
choquante. Les contradictions, et il y avait là de sa nuque était sèche et détendue. C ’était un
contradiction, ne sont pas dans l ’ordre de la homme « au bout de son rouleau », comme on
Nature, sauf en apparence. dit en France. Depuis dix ans, Parseh Margossian
Depuis deux heures, un jeune rhumatologue suit, à dates régulières, un traitement au Géro-
italien et moi-même, réunis par le hasard et notre vital H3. Aujourd’hui, il pèse 70 kilos. Ses troubles
curiosité dans le bureau, vaste mais sans apparat, ont disparu. Chaque jour il va faire une prome
du professeur Aslan, lui posions question sur nade en ville. Il y a plus important encore que
RENÉ DAUM AL
ET L ’E X P É R IE N C E D E LA M O R T
« P L A N È T E » E T LA PO ÉSIE
L ’esprit est infini et apte à comprendre tout ce qui se présente à lui; il n’y
a pas de limite à sa compréhension. La seule limite, c’est la petitesse des choses
et l'étroitesse des idées qu’on lui a données à considérer. Car les philosophies
du temps jadis et les découvertes de la recherche moderne ne sont rien auprès
de lui. Elles ne suffisent pas à l’emplir. r i c h a r d JEFFERIES
1 38 Informations et critiques
soit un phénomène relativem ent interconnexions entre l’homme psychisme travaille sur des
courant, plus fréquent, à y bien et le co lle ctif qui expliquent idées et sur des fa its : or, les
regarder, que la plupart des le psychisme et non pas un idées, comme les faits, pro
anomalies sexuelles, et que ce inconscient m ythologique. Le viennent du collectif.
ressac du fu tu r apparaisse dans colonialiste to rtu ra n t l'in d ig è n e Pour Freud et ses disciples, un
nos angoisses et dans nos rêves n'est pas poussé par les forces ouvrier victim e d'un accident
du présent. inconscientes d ’une sexualité a été poussé par un instinct
Nous ne cherchons, bien déformée. Il est tortionnaire secret de mort et d'auto-
entendu, à convaincre per parce q u 'il appartient à une punition. L'idée que ledit ouvrier
sonne, et moins encore les société mal faite. Et c'est ainsi ait pu être victim e des cadences
fanatiques. Cette réserve faite, que le m atérialiste ne peut infernales de l'usine, d'un
venons-en aux objections russes accepter ni le freudism e ni une manque de protection, d'une
o fficielles. psychologie lim ita n t le champ inattention due à ses soucis
du psychisme à la chim ie et à d ’argent, ne les effleure même
Vrais et faux matérialistes la physiologie d'un cerveau pas.
indépendant du contexte social. Qu'est-ce que l'in co n scie n tp o u r
Selon nos auteurs, le véritable De plus, ce véritable m atéria les signataires de cette bro
m atérialiste est d'abord un liste fera une seconde psycha chure antifreudienne ? C'est
idéaliste qui se refuse à réduire nalyse du freudism e : il se tout sim plem ent la partie de
le psychisme à des réactions demandera à quelle classe notre activité psychique qui ne
chim iques ou électroniques sociale appartient le freudien réside pas en nous, mais qui
dans la matière : et quelles sont les lignes de provient des liens entre nous-
« A u c u n com battant pour la force de la guerre des classes mêmes et la société. Chacun
liberté des peuples opprimés qui l'o n t poussé à créer son de nos actes, chacune de nos
ne cessera sa lutte sous pré extraordinaire mythologie de pensées sont moins déterminés
texte que son besoin de la l'in co n scie n t et de la sexualité, par notre psychisme « isolé »
liberté n'est rien autre qu'un véritable religion moderne. que par la vie collective. Nous
ensemble de courants bio-élec Les auteurs voient essentiel tenons compte dans nos
troniques dans le tissu cérébral. lem ent dans Freud un malade pensées et nos actes des
Car te même cerveau lui dit cherchant dans une imaginaire réactions que, selon nous, la
clairem ent que cette lutte n ’a réalité psychique, détachée du société pourrait avoir. Et c'est
pas ses causes dans des parti monde réel et social, un moyen la conception que nous nous
cularités bio-électroniques des de se g u érir de ses propres faisons, plus ou moins com plè
oppresseurs, mais dans la névroses et psychoses. tem ent, de ces réactions
structure sociale des pays « Freud est un des grands (conception qui n ’est pas dans
colonialistes. » créateurs modernes de mythes. notre cerveau mais dans le
A utrem ent dit, pour le véritable Il ne tie n t pas compte de l’exis substrat social) qui explique,
matérialiste, il y a dans la tence des réalités à la fois selon les Russes, tous les
pensée un contenu qui dépasse physiques et sociales. Se phénomènes attribués d 'h a b i
la chim ie du cerveau et la bio refusant à admettre que notre tude à l'inconscient.
électronique moléculaire. Est-ce univers interne est essentiel
à dire que les m atérialistes 1962 lement déterm iné par la société Sexualité et marxisme
doivent nécessairement croire où nous vivons, il invente le
à une âme im m ortelle? C ertai mythe d'une énergie psychique Que deviennent les complexes
nement pas. Mais non plus à un inexistante, d ’un inconscient, de la sexualité infantile et
cerveau humain isolé dans la d ’un complexe, des libidos, etc.» adulte, les transferts, l'énergie
société et contrôlé par un Pourtant, Freud aurait dû com érotique, la sublim ation, les
« inconscient » ou des « forces prendre que notre psychisme instincts agressifs ?
psychiques ». Pour lui, l'essen s ’exprime à l'aide du langage Les Russes s'amusent. Ils citent
tiel, dans l’homme, c'est que et que ce langage nous a été un passage de Freud où celui-ci
celui-ci fa it partie d'un orga donné par la société. Il aurait explique que l ’or est le symbole
nisme collectif. Ce sont les dû com prendre que notre des masses fécales. Et les
L'histoire 139
réalités économ iques? Et L 'A N T H R O P O L O G I E lorsque d ’anciens élèves de
l ’étalon-or? Et la lutte pour le Cambridge lui assuraient que
marché de l’or entre l'est et l'Inde prim itive n ’ ignorait rien
l'ouest ? Des vaisseaux de l'aviation. Et ils citaient
Pour le marxisme, l'action du interplanétaires comme preuve les récits légen
co llectif produit des pulsions dans le passé ? daires, souriant avec com
d ’origine non sexuelle, et qui passion si l'in te rlo cu te u r eu
expliquent parfaitem ent tous les ANALYSE D'UNE ÉTUDE ropéen se perm ettait de dire
phénomènes observés dans la SUR LES qu'un conte n'est pas un tém oi
société. La brochure s'en prend TEXTES SACRÉS HINDOUS gnage scientifiquem ent accep
aux freudiens modernes tels « L’aviation est une chose mer table.
que Fromm ou Karen Horney, veilleuse. Vous volez d'une traite
en cita nt des textes dans de France en Inde. Nous, il Les contes sont-ils des vérités?
lesquels ceux-ci expliquent le nous faut des années d'efforts
comm unisme par le refoulem ent pour léviter seulement de q uel L'observation d'Huxley date de
et la guerre des classes par ques pouces. » Cette réflexion, trente-cinq ans, mais les choses
l'hystérie des masses. Ce sont faite il y a cinq ans à Fernand ne s'am éliorent pas. Pour le
là, selon nos Russes, des Pouey par le Penchen-Lama, Dr. Ranjee Shahani, qui vient
« idées monstrueuses ». est typiquem ent tibétaine, dans de publier une importante étude
Et ils concluent: « Le freudism e sa précision et sa technicité. dans la revue « Interplanetary
est le substitut moderne de la Le Tibet, on ne le remarque pas Exploration Quarterly », l'Inde
religion, l'opium du peuple de assez, ne peut être considéré ancienne connaissait non seu
notre époque, l’outil créé par comme situé aux antipodes lement l'astronautique, mais
la société capitaliste pour éviter intellectuelles de l'O ccident que encore des vitesses supérieures
l'explosion qui la détruira. » par un esprit superficiel. Cette à celle de la lumière. Les
C 'est après cette première culture si parfaitem ent étran preuves q u 'il apporte reviennent
conclusion que l ’attaque contre gère a, comme la nôtre, le style à soutenir que le XVIIe siècle
Freud prend brusquem ent un de l'e ffo rt et de la réussite pratiquait l'hibernation a rti
tour imprévu et romantique. technique. Mais elle a opté ficielle, et avec plus d ’efficacité
Les deux savants qui, jusque-là, pour la voie physio-psycholo- q u ’aujourd'hui, comme le dé
s'étaient montrés calmes et gique de l’évolution, et non montre « La Belle au Bois
même un peu lourds, relati pour la voie mathématico-méca- Dormant». C ’est ridicule, certes,
vement pondérés et fidèles à la nique. Que cette première voie mais il serait bêtement aristo-
raison la plus positive, prennent soit en fin de compte moins télien de rejeter en bloc ce fa it
soudain feu et flam m e: « Ce qui féconde est un complexe pro historique réel : l'in té rê t pro
provoque surtout le dégoût blème d'anthropologie, qui sera fond de la vieille Inde pour les
chez to u t être sain étudiant sans doute étudié bientôt. Pour voyages aériens, sous le pré
les doctrines freudiennes, c'est rester dans notre sujet, le texte que l’ Inde nouvelle est
que celles-ci sont une perma peuple tibétain n'est pas un atteinte de schizophrénie
nente insulte à l'amour. L’amour peuple enfant et, si sa logique collective. Il y a là, au contraire,
est quelque chose d ’excep nous laisse souvent perplexe, l'am orce d'une recherche an
tionnel, quelque chose qui elle possède une rigueur nulle thropologique de très haute
n’appartient qu'à l'homme, et ment négligeable. importance.
une réalité profonde que l'on Dans la péninsule indienne,
ne saurait en aucun cas réduire par contre, logique et technicité Le char du dieu Indra
à l'activité sexuelle. Quel sont des exigences intellec
homme véritable ne sentirait tuelles méprisées; ou, plutôt, Voyons les textes. Le Rig-Veda,
ce dégoût? Car l'hom m e véri insoupçonnées, sauf par une le plus ancien des Vedas,
table seul connaît la grandeur m inorité infime. A ldous Huxley, mentionne que le dieu Indra,
et le bonheur d'aimer. » que l'on ne peut guère accuser celui qui aida les Aryens dans
de m épriser la culture indienne, leur conquête de la péninsule
a raconté son agacement contre les habitants prim itifs,
L'anthropologie 141
divin gendre qui, mis au pied conte que le roi Kakavarna, sport, plus qu'un art : un devoir
du mur, s'envole au-dessus du curieux de nature, fu t emporté patriotique. Pourtant, à la ré
champ de bataille, armé d'un on ne sait où par un « véhi flexion, un doute apparaît :
arc, et prêt à m ourir pour ne cule mécanique » (yantrayana) Grec était, pour l'Inde antique,
pas survivre à sa supercherie. aérien, qui avait été construit un co lle ctif du même ordre
Heureusement, le dieu Vishnu, par un Grec prisonnier. Et, que Franc pour le monde
craignant que la mort de l’ im au XIe siècle, le Brihat Katha arabe des Croisades. De même,
posteur n'affaiblisse son divin Slokasamgraha (traduit en fra n les mots « cheval », « oiseau »
renom parmi les hommes, inter çais en 1908 par F. Lacote) étaient étendus à tout objet
vient, gagne la bataille, et tout narre une autre histoire de faisant fonction de course et
s ’arrange. Grecs. Vasvadatta désire monter de vol, selon un processus
Un récit analogue est narré sur un char aérien et voir sémantique comm un à la plu
dans la collection de contes du toute la terre. Le roi Rumanvat part des langues. En analysant
VIIe siècle: « Les Vingt-Cinq fa it donc appeler ses char les textes au moyen des m eil
Histoires d'un Vetala ». Six pentiers et leur demande de leurs instrum ents critiques mo
jeunes gens, fils respectivem ent faire sans délai une machine dernes, on ne peut certes pas
d'un homme riche, d ’ un mé volante. Après longue réflexion, obtenir une seule preuve de
decin, d'un peintre, d'un char les charpentiers viennent dire l'existence d'engins volants ;
pentier, d'un mathém aticien, en trem blant : mais on ne peut pas davantage
d ’un forgeron, partent chercher « Nous ne connaissons que rejeter catégoriquem ent une
l'aventure en terre étrangère. Le quatre sortes de machines, faible éventualité de leur exis
jeune homme riche conquiert mais les machines volantes tence effective.
le cœur d'une jeune beauté dont vous parlez ne sont con
d'origine divine, mais elle est nues que des Yavanas (Grecs). Un phénomène troublant
kidnappée par un roi puissant, Nous n’avons jamais eu l'occa
qui l ’enferme dans son harem. sion d ’en voir. » Le fa it intéressant, pour l ’an
Aussitôt, les jeunes gens cons thropologue, reste que certaines
truisent, sous la direction du Les Gagarine de la Grèce cultures ont adm is que des
charpentier, un dirigeable que êtres privilégiés, des dieux,
des boutons perm ettent de Il serait facile de m u ltip lie r des hommes en contact avec
conduire dans toutes les d ire c les exemples. Mais ils ne font eux, d ’habiles artisans, u ti
tions. Le peintre le camoufle que légèrement varier sur l ’exis lisaient des machines aériennes.
en oiseau Garuda et le jeune tence et l'usage de trois types D 'autres cultures, d ’ un niveau
amoureux vole vers le palais d'engins : les nefs fulgurantes comparable, ne se sont pas
du ravisseur. Celui-ci est des dieux, les Garudas fabriqués intéressées à la question, sauf
dûm ent impressionné et envoie par d'astucieux charpentiers, par quelque exception dont
sa captive porter au mystérieux et les hypothétiques machines on retrouve parfois la filia tio n
visiteur des rafraîchissements. des Grecs. Ces dernières sont étrangère. Or, les cultures du
L’aviateur se fa it reconnaître et spécialem ent intéressantes, prem ier groupe ont des con
enlève la belle sous le nez de pour nous autres, formés dans ceptions sur les dimensions
la foule; exactement comme une culture méditerranéenne. de l'univers, sur la durée de la
les héroïnes des film s de la Nous éprouvons une douce création, sur la diversité des
grande époque auront coutume hilarité, en songeant que le êtres vivants, etc... étrangem ent
d'échapper, quelque douze mensonge était, dans la plupart vérifiées par les connaissances
siècles plus tard, au méchant des cultures helléniques, une modernes. Tandis que les c u l
moustachu qui veut abuser de sorte de sport national, Mais tures du deuxième groupe a ttri
leur innocence. quand un Grec était en voyage buent à l'espace, au temps, au
chez les barbares (c’est-à-dire cosmos, des dimensions rid i
De curieux astronefs les habitants des quatre-vingt- culem ent restreintes, et ignorent
dix-neuf centièmes des terres ju sq u 'à l'idée d'évolution. Il y
Un roman sanscrit de la même émergées), mentir, galéger si a là un phénomène pour le
époque, le Harshacharita, ra l'on préfère, était plus qu'un moins troublant.
La science 143
Le plus grand voyées sur Vénus, Mars ou toute pendant la guerre dans le
des radio-télescopes autre planète au cours des domaine du radar. Les Sovié
années à venir Mais ce n'est tiques et les A m éricains, quant
UN ŒIL OUVERT pas là sa tâche principale. à eux, ont porté leurs plus
SUR LES GRANDS INCONNUS Celle-ci consiste sim plem ent grands efforts sur la recherche
à sonder l'univers avec une nucléaire, la construction et
Un radio-télescope géant qui précision et une portée plus le lancem ent d ’engins spatiaux.
doit « voir » dix fois plus loin grandes que jamais. Ces deux pays ne disposent
dans l'univers que tous les Le rôle essentiel d'un radio pas de l'équipem ent le plus
appareils existant à ce jour, a télescope (1) est de déceler efficace pour capter les signaux
été mis en service en Australie, la puissance et la source des des fusées q u 'ils envoient dans
non loin de la ville de Parkes. ondes radio provenant de l'es l'espace. La collaboration des
Doté d'un immense réflecteur pace. Il n'est pas exagéré de uns et des autres, grâce à ces
mobile, ce télescope sera l'in s l'appeler un « œil radio » puis performances complémentaires,
trum ent le plus efficace et le q u ’ il perçoit effectivem ent une restera donc un facteur
plus universel de son espèce. bande d'ondes dans le spectre essentiel du progrès dans la
Un seul appareil au monde électrom agnétique. prospection de l’univers.
lui est comparable : le grand Une onde radio, d it le professeur
radio-télescope de Jodrell Bank, Bowen, fa it sept fois le tour L’univers a-t-il des limites?
en Angleterre. Mais le télescope de la terre en une seconde.
australien a été conçu pour Quels sont les problèmes que
Il lui fa u d ra it hu it minutes
une plus grande précision et le radio-télescope de Parkes
pour atteindre le soleil, 100 000
une plus grande puissance. années pour traverser notre pourra aider à résoudre ?« Nous
Bien que sa situation géogra ne savons pas », d it le pro
propre système galactique, et
phique lui permette d'é tu d ie r fesseur Bowen, « si l'univers a
plus d'un m illion d'années pour
une partie du ciel septentrional, des lim ites ou s 'il s'étend à
atteindre la galaxie extérieure
sa tâche prim ordiale est de l'in fin i dans toutes les d ire c
la plus proche. Elle m ettrait
sonder toute la zone sud. tions; s ’ il a eu un comm en
cinq m illiards d ’années pour
Ensemble, les deux grands cem ent et s ’ il aura une fin,
toucher certaines étoiles lo in
radio-télescopes annoncent une ou s 'il fa u t le considérer comme
taines que nous pouvons
ère nouvelle dans l ’étude scien éternel; ni s 'il y a sur d'autres
observer.
tifiq u e de la structure de planètes des êtres doués d 'in te l
Pour être efficace, pour que
l'univers. ligence. On a échafaudé là-
l'im age soit bien nette, il faut
dessus des quantités de théories
Si des fusées atteignent non seulem ent que « l'œ il »
du télescope soit précis mais et d ’hypothèses, mais il y a
une autre planète... très peu de faits pour les
aussi très grand, aussi grand étayer. Voilà les grands pro
A insi, l'instrum ent australien que possible dans certaines
blèmes que nous tentons de
peut jouer un rôle im portant limites. De plus, l'in stru m e n t
do it pouvoir « re g a rd e r» dans résoudre,.. Nous espérons que,
(comme l'a déjà fa it l'appareil grâce aux nouveaux radio
anglais) dans l'exploration des toutes les directions, exac
télescopes — le nôtre et ceux
phénomènes du système so tem ent comme le fa it l'œ il
des autres —, nous parviendrons
laire. Si l'on envoie sur la humain.
à apporter un début de
lune une fusée-sonde équipée solution. »
d'instrum ents scientifiques et L’avance anglaise
si cette fusée renvoie des et australienne
renseignements par radio, le
télescope de Parkes, mieux que Si l'A ngleterre et l'A ustralie
to u t autre, sera en mesure de sont les pays les plus avancés
capter ces signaux de faible en radio-astronomie, c ’est, de
puissance, il pourrait rendre l'avis du professeur Bowen,
les mêmes services si des le résultat de l ’expérience (1) V o ir l ’a rtic le de J. B e rg ie r dans le
fusées semblables étaient en que leurs savants ont acquise n u m é ro 3 de Planète.
La sociologie 147
LA P E I N T U R E par excellence: il correspond conséquence, des personnalités
à la montée sociale de la fo rt diverses se réunirent pour
bourgeoisie, à l’avènement d ’ un rénover la form ule et l'adapter
« goût parisien » de moins en aux nécessités de l'heure. Ces
Une v ie ille querelle moins soumis aux im pératifs manifestations nouvelles fire n t
artistique : de la cour de Versailles, En réapparaître le principe du jury
Faut-il tu er les salons? l'espace de deux siècles, le et du numerus clausus des
Salon va perdre une à une invitations. Elles offraient l'avan
LE BILAN ses caractéristiques originelles. tage d'un choix lim ité et orienté,
DE DEUX SIÈCLES ET DEMI D'abord exclusivement réservé d'une sélection plus exigeante.
D'UNE MANIFESTATION aux professionnels (membres Trois d'entre elles font aujour
ARTISTIQUE de l'A cadém ie royale de Pein d'hui encore « date » dans le
BIEN FRANÇAISE ture et de Sculpture), il ouvrira calendrier de la vie artistique
ses portes aux artistes libres parisienne : « Comparaisons »,
Une excessive prolifération n ’est et « révolutionnaires» en 1791, « Réalités Nouvelles » et surtout
q u ’ un signe illusoire de santé. Le ju ry est supprim é en 1848, le « Salon de Mai », doyen de
Chaque année, le cortège des une révolution effaçant ce ces manifestations récentes.
expositions qui se succèdent qu'avait institué l'autre. En 1881, « Comparaisons » 1962 est de
en chaîne fa it rebondir la Jules Ferry abolit le privilège meuré fidèle à son principe de
querelle: faut-il tuer les Salons, de l ’Académ ie et enlève au l'accrochage par tendance, un
ces manifestations typiques de Salon tout caractère officiel. En organisateur désigné étant res
la vie artistique française qui 1889, enfin, la dissidence pro ponsable de chaque choix de
se portent bien, si on en juge voque la dualité puis la m u ltip li détail. L'éventail des tendances
par leur nombre croissant? cité des salons. A u jo u rd ’ hui, les ainsi représentées est large: il
Pas une catégorie sociale, pas statistiques en dénom brent une va du nouveau réalisme au réa
une profession qui n ’ait son cinquantaine, pour la région lisme tout court, du surréalisme
Salon, depuis les femmes parisienne seulement. Au Salon au tachisme, de l'abstraction
peintres jusqu'aux employés des A rtistes français (lointain géom étrique au trom pe-l'œ il et
du métro. héritier de la manifestation à la peinture naïve. En principe,
Cette idée « bien française » mère) et à la Nationale (première ce salon, qui se veut une
de l’exposition publique dissidente), s'opposent les Indé confrontation libre de tous les
d'œuvres d 'a rt nous est en fa it pendants, eux-mêmes dépassés secteurs de l'a rt contemporain,
venue d'Italie à la fin du par les Surindépendants ; aux devrait être largement ouvert
XVIIe siècle. L'Académ ie s'en Salons d ’Autom ne succèdent sur l'avant-garde. Et il l'est dans
est emparée et bientôt devait les Salons de Printemps... Le une certaine mesure: c'est un
se dessiner la form ule clas nombre des participants salon de « départ » dans la
sique: manifestation annuelle, s'accroît en même temps dans carrière d'un artiste. On le
unique, officielle, sélectionnée des proportions gigantesques: déserte dès qu'on a acquis une
par un jury, et dont l'am bition les Indépendants com ptaient certaine notoriété. Ces défec
est d 'é ta b lir le bilan de la déjà 1 900 exposants en 1925. tions « p a r le haut» entraînent
production artistique de l'année. un renouvellem ent « par le
A partir de 1737, cette expo Trois expositions bas ». Mais la responsabilité des
sition o fficielle se tie n t dans au-dessus du lot sélections de salle repose sur
le Salon Carré du Louvre : un seul artiste: c'est le défaut
l’ habitude se prend vite de Que faire devant la crue de ces du système, la voie ouverte à
dire d'un peintre q u 'il expose foires annuelles monstrueuses toutes les partialités.
au Salon du Louvre ou, plus et anarchiques? Rien, si ce
simplem ent, au « Salon ». n'est créer de nouveaux salonsl Le carrefour de l'abstraction
En 1944, pressentant la révo
Un phénomène bourgeois lution artistique de l'après- Les « Réalités Nouvelles » en
guerre et l'hyperaccélération de sont aujourd’ hui à leur dix-
Le phénomène est bourgeois l'histoire qui devait en être la septième année d'existence. Ce
La peinture 149
par les galeries, et surtout L A M U S I Q U E composée par des machines
l'apparition d ’ un type nouveau n'a pas de point commun avec
de large confrontation inter l ’œuvre wagnérienne. Cette
nationale, la Biennale, l ’ont W a g n e r a -t-il devancé étude sera peut-être entreprise
rendue inopérante, donc les m achines m odernes? un jour.
condamnée à plus ou moins
brève échéance. Il ne s 'a g it LA GAMME MYSTIQUE
plus de tuer les salons, ils sont DE RICHARD WAGNER,
déjà morts; les Biennales, qui de Jean Dauven
les ont tués, les vouent provisoi (Édité par les Nouvelles
rem ent à une survie a rtificielle Éditions latines)
qui repose sur le snobisme des
exposants et le sentim entalism e La correspondance entre les
du public. Face à ces grandioses sons et les couleurs a été un
rencontres internationales que thèm e pour les poètes. Que
sont les Biennales de Venise ou cache notre sensation que des
de Sao Paulo — manifestations réalités apparem m ent diver
colossales à l'échelle du monde gentes sont liées entre elles?
entier, qui ont bouleversé les Et liées par quoi ?
données de la muséologie tra d i Ce genre de correspondance
tionnelle et de l'inform ation est nécessairement une liaison
artistique —, les salons de Paris entre des nombres plutôt qu'une
font plutôt fig u re de parents liaison entre des réalités phy
pauvres. Malgré son prestige siques. Le son, en effet, est
intact, Paris, en 1962, n'est plus une vibration longitudinale dans
la seule et unique métropole un milieu matériel tandis que
de l’A rt. Véritable signe des la lum ière est un ensemble de
tem ps : Paris, capitale des vibrations transversales autour
salons, a créé, il y a trois ans, sa d'un grain, le photon. Jean
propre Biennale. Dauven a réussi, à partir des
idées émises par W agner sur
ce sujet, à établir des correspon
dances extrêmement curieuses.
Comme il le d it très justem ent
dans le livre qui relate ses B IB L IO G R A P H IE JEUN ESSE
découvertes ; « Il ne s'a g it pas
Die Skaptische Génération (Schelsky).
de physique, de relations mathé La jeunesse dans la fam ille et la Société
matiques, de diapason, de vib ra m oderne (Georges Teindas et Yann
tions ou de décibels, mais de Th ireau).
Values and Ideals of A m erican Youth
l'élaboration du langage et du (Eli G inzberg).
sens attribué par W agner aux International Marketing (N° 94, mars
notes de la gamme d'ut, et de 1962).
La nature sociale (A lfred Sauvy).
celle-là seulement, parce que La montée des jeunes en France
la pensée ne s'élabore pas sur (A lfred Sauvy).
douze plans. » Geld in Nietenhosen (Ruth M unster).
Lectures des jeunes (René Courtois).
Jean Dauven apporte aussi une Les adolescents et la culture (Odette
autre inform ation to u t à fa it Lévy-Bruhl).
La nouvelle race (M ichel de Saint
passionnante: W agner pensait P ierre).
composer un langage binaire, Travaux de Josselin, du Professeur
to u t comme les machines mo Gijselbrech, Babin.
Enquête de la « Kom somolska Pravda »
dernes. On peut se demander en Union Soviétique et de l’Universjté
si la musique algorithm ique de V arsovie sur la jeunesse polonaise.
Louis Armand est de ces rares techniciens Aux « responsables ». il donne ce conseil la « loi » de la pénurie inévitable, le retard
qui savent ne pas réduire l'univers à leur d'une portée extrême: « Ce qui importe aux des idées sur les faits, etc... Sans doute,
spécialité, mais au contraire cherchent à hommes d'action que vous êtes, c'est, à dans cette croisade, Louis Armand entend-il
délim iter la place exacte qu'occupe leur mon avis, beaucoup moins de connaître les régler leur compte à tous les attentismes,
spécialité dans un univers sur lequel ils ont aspects techniques des grands problèmes à toutes les obstinations, à tous les partis
le désir de se faire une idée d'ensemble. de l'heure que de savoir les situer à leur pris qu'il a rencontrés en trente années de
Passionné de culture classique, il ne s'inté véritable échelle. » service public.
resse au monde en mouvement que pour y Cette préoccupation qu'il a eue de tout MAIS IL NE DÉTRUIT QUE POUR MIEUX
retrouver l'Homme. Résolument confiant temps, fait que Louis Armand est par excel CONSTRUIRE. Il dresse alors ce plaidoyer
dans l'avenir, ce haut fonctionnaire, long lence l’homme qui sait créer des liens, jeter pour l'avenir dont nous parlions plus haut.
temps condamné au silence, est sorti de des ponts. A ce titre, il est de ces êtres Ses idées forces: réhabiliter les techniciens,
son mutisme pour défendre la technique et trop rares encore et dont notre civilisation créer un nouvel humanisme, promouvoir la
l'avenir, ou, p lu tô t les techniciens et le futur a le plus besoin car les problèmes surgissent form ation permanente, établir la vérité de
qu'ils nous préparent, dans « Plaidoyer pour désormais à une telle cadence que les ponts l'inform ation, miser sur la jeunesse, enfin,
l'avenir» (en collaboration avec Michel sautent à peine sont-ils lancés. choisir l'Europe, qui est « à la dimension du
Drancourt, édition Calmann-Lévy). SON AMBITION NOUVELLE EST D'ORGA monde actuel ». La France ne l'est plus,
DE PAR SON CULTE DE L'UNIVERSEL. NISER LE FUTUR ÉLOIGNÉ, non pas à conclut Louis Armand, aussi douée soit-elle. »
SON SENS DES PROBLÈMES partir du passé ou du présent, mais à partir
D'ENSEMBLE, Louis Armand est le du futur immédiat. « Il faudra bien s'habituer
contraire du prototype de l'ingénieur à vivre avec des structures plus souples,
français des années 30, sûr de son savoir susceptibles de se modifier en fonction du Né le 17 janvier J9 0 5 à Cruseilles (Haute-
et sans curiosité pour celui des autres. Il développement de l'équipem ent dont dis Savoie). Famille d'instituteurs. École Poly
paraît pourtant en avoir le physique: front technique. Ecole Nationale supérieure des
posent les hommes, au lieu d'établir,
Mines. Ingénieur au Corps des Mines. Ingé
dégarni, sourcils épais, petite moustache, comme ce fu t le cas très longtemps, des
nieur en chef des chemins de fer S. N. C. F.
nœud de cravate énorme comme un poing structures qui se perfectionnent avec l'âge,
Directeur général puis Président de la
sous un menton pointu. Sous cet aspect autour de principes immuables ». a-t-il écrit.
S.N.C.F. 11949-1958) — Son œuvre à ce
conventionnel se cache un personnage, De même qu'en mécanique il a fallu intro
une personnalité à l'enthousiasme toujours duire le facteur « tem ps» dans des phéno poste, accomplie dans la discrétion, perm it
neuf, un homme prêt à toutes les aventures mènes où il ne semblait pas devoir intervenir aux Français d'avoir, très vite après la fin
de la guerre, le m eilleur et le prem ier réseau
intellectuelles pourvu qu'elles soient d iffi avant la relativité, il va falloir « einsteiniser »
ferroviaire du monde. Président de
ciles et qu'elles lui perm ettent de saisir la plupart des notions que nous avons sur
l'Euratom (1958-59), Président de /'Union
l'action à bras-le-crops, de s'y mesurer et les cadres de nos sociétés. Et il précise:
internationale des chemins de fer. Président
d'y faire ses preuves. Affectionnant les « En langage plus ordinaire, il s'agit
des Houillères du bassin de Lorraine —
formules imagées, il a d it: « L'énergie est désormais de viser un but mobile: le chan
l'étoffe dont le Créateur a fa it toutes Professeur à l'École nationale d'Adminis-
gement de mentalité correspond au passage
choses. » Elle est d'abord son étoffe à lui. tration et Président du Conseil de Perfec
du tir aux pipes au tir aux pigeons. »
tionnem ent de l'École Polytechnique.
Parler, — d'abondance — Aimer, ses Parmi les pipes qu'il tire avec allégresse,
Membre de IAcadém ie des Sciences
machines, la Terre... - Lire, tout et énor il y a toutes les notions fausses sur lesquelles
morales et politiques.
m é m en t— aucune activité de l'esprit ne lui s'est fondée notre manière de penser: la
est étrangère. sagesse des grands homme du XIX' siècle.
Gaudi s'est inscrit d'emblée dans l'histoire forme qui est la marque de Gaudi, sa ciemment à un renouveau lyrique, à
de l'art, à un point de culminance: c'est un dimension originale, dont l'intensité est l'éclosion de formes architecturales plus
maillon indispensable dans la chaîne des demeurée incomparable jusqu'à nos jours. libres, plus « chaudes », plus conformes aux
grands constructeurs. Sur le plan de la De l'esprit baroque, Gaudi avait le sens exigences de son affectivité et de son
filiation historique, on a pu dire que son de l'accord intime de la nature et de sentiment.
œuvre constituait une interprétation person l'homme. Ses constructions prolongent la Le temps n'est pas loin, où le visionnaire
nelle de plusieurs styles, et notam ment du nature, ses courbes et ses spirales suivent inspiré de Catalogne sera salué comme le
gothique et du mudéjar. Mais il a trans les courbes de niveau et épousent le terrain père du baroque moderne. Ce style, qui est
cendé ces emprunts et ces références en ambiant. Ses formes architectoniques à naître, ou plutôt à renaître, sera fina
une grandiose synthèse baroque. A la force répondent à cet élan vital. Leur exubé lement le style du siècle.
et à l'ampleur de sa vision venait s'allier rance est aussi celle des grands arbres
une très efficiente conception des masses centenaires, seigneurs des forêts. L'inspi Architecte espagnol. Né à Reus. près de
architecturales, de leurs articulations orga ration « végétale » traduit l'élan lyrique de Tarragone. en 1852. m ort à Barcelone, en
niques. du jeu des volumes. Tous ses édi la nature, une inspiration mystique ouverte 1926. Études à /'École supérieure d'archi-
fices sont caractérisés par la logique intense sur l'univers. ture de Barcelone. Venu à l'âge de 16 ans
de leurs structures et par leur puissance DU BAROQUE « ROCAILLE», GAUDI A à Barcelone pour suivre les cours de l'École
expressive. La pesanteur voulue de cer PRIS LE GOUT POUR LES ARRAN dArchitecture. Antonio Gaudi y Cornet ne
taines masses n'est là que pour exalter GEMENTS DE MATIÈRES HÉTÉROCLITES. quitta plus la capitale de la Catalogne
l'irrésistible élan lyrique. Dans ce domaine, sa fantaisie et son où s'affirma son style. I l a eu la chance
Du maître d'œuvre médiéval, Gaudi n'avait invention n'avaient pas de limites. Il a su d'être compris et soutenu par un mécène
pas seulement la foi passionnée et le m agnifiquement jouer des matériaux les local, dont le nom demeure associé à ses
pouvoir de synthèse, il en avait aussi la plus surprenants, mêlant la brique, le plus brillantes créations: Don Eusebio Güell.
facilité inventive, devenant tour à tour mortier, les amalgamant au ciment ou à la Gaudi a ainsi réalisé l'h ô te l Güell. rue Conde
charpentier, ébéniste, céramiste, sculpteur, céramique. Au Parc Güell comme- à la del Asalto (1885), l'église Santa Coloma
selon les besoins du chantier. Il a su très Segreda Familia, son imagination lyrique de Cervello (1 89 8 -1 91 4 ) et enfin le parc
habilement se servir des ressources orne s'est surpassée. Certains thèmes floraux ou Güell. conçu originairement comme une
mentales de l'artisanat local, et plus parti fantastiques demeurent des chefs-d'œuvre ville-jardin, dont il ne reste que deux
culièrement du fer forgé et de la céramique, de qiouvement et d'invention formelle. pavillons champignonnesques, à l'entrée
qui atteignirent un très grand dévelop Après que l'essor du fonctionnalisme en d'un effarant labyrinthe de conte de fées
pement en Catalogne, à la fin du siècle architecture eut jeté sur le « modem style » (1900-1914). I l faut citer encore le Collège
dernier. un discrédit qui, jusqu'à ces dernières de Sainte Thérèse (1 88 5 -1 91 4 ) et les
IL A SU MIEUX QUE QUICONQUE années, paraissait définitif. Gaudi est rentré maisons Calvet (1898-1904), Miralles
EXALTER LES POSSIBILITÉS PLASTIQUES dans l'ombre. Il est redécouvert aujourd'hui (1901-1902), Battlo (1905-1907). Mita
DES CONSTRUCTEURS. En fait, il sculptait par certains fonctiormalistes eux-mêmes, «La Pedrera » (1905-1910). Il devait,
son architecture, il la modelait sous l'inspi conscients de l'échec de leur esprit de surtout après 1914. se consacrer tota
ration du moment, en plein chantier, et système, et des méfaits d'un optimisme lem ent à son grand œuvre, l'église- de la
le dynamisme de ces retouches décoratives technique qui tend à asservir l'homme à Segrada Familia, véritable cathédrale
venait s'insérer tout naturellement dans la l'architecture et à l'urbanisme. L'homme baroque qui malheureusement demeura
logique rigoureuse des lignes de force de qui est malheureux dans sa prison fonc inachevée à sa mort, faute d'argent.
l'ensemble. D'où cet élan lyrique de la tionnelle aspire de plus en plus cons
Visionnaire inspiré et réalisateur prophé ligence raisonnée. Refusant dans un tableau création les dimensions et les normes fon
tique. Yves Klein est sans conteste la per tout recours à ce qui n'est que prétexte, damentales d'une cosmogenèse. Non
sonnalité hors série la plus envoûtante du c'est-à-dire la composition, l'anecdote, le content de «prévoir» le monde futur,
monde artistique de l'après-guerre. La mort geste, l'artiste fonde son répertoire sur les il a voulu nous en fixer l'image à travers
vient de le faucher en plein élan, mais seules ressources expressives de la couleur. un nouveau langage, une nouvelle méthode
quelques années d'activité intense lui ont Les « propositions monochromes » sont des de perception et de compréhension des
suffi pour bâtir une œuvre d'une profonde panneaux uniformément recouverts d'une énergies cosmiques. Son urgence expres
logique interne dans ses dimensions couche de couleur à base de pigment indus sive qui était sans frontières ne se recon
mythiques, et dont l'influence sur l'orien triel pur. Après avoir utilisé indifféremment naissait aucun domaine réservé. Pour Yves
tation future de la création esthétique ira plusieurs tons, il fin it par se fixer sur une Klein, il n'y avait pas de problèmes (phy
en s'accroissant dans tous les domaines, certaine variété de bleu outremer dense siques ou métaphysiques) mais des
de la peinture à l'architecture. qui représente pour lui la révélation: c'est réponses,singulièrement efficientes au-delà
CET AUTODIDACTE PICTURAL A OR « l'insonore bleu des nostalgies » si cher de leur apparente utopie.
DONNÉ SON ŒUVRE AUTOUR D UNE à Jean Arp, le support plastique des
INTUITION FONDAMENTALE: à un monde intuitions informulables, le véhicule idéal
nouveau correspond un homme nouveau. des émotions universelles.
Les m utations de l'espèce humaine affectent DANS CETTE POURSUITE AVIDE DE LA Artiste-peintre. Né le 2 8 avril 1928 à Nice,
au premier chef le domaine de la sensibilité, COMMUNICATION ABSOLUE, le bleu ne d'une famille de peintres. M o rt à Paris le
de l'émotion, de la perception. Dans le lui suffit bientôt plus, il traite l'or fin à la 6 ju in 1962, à 3 4 ans, d'une crise car
monde de demain, voué à un bain d'énergie feuille; il annexe l'immatériel, il vend le diaque. En l'espace de dix ans (1952-1962)
et au règne des m utants supérieurs, le vide sensibilisé par sa présence. Cédant il a fa it deux fois le tour du monde, exposé
créateur ne se heurtera plus à aucun obs à la tentation prométhéenne (et aussi à la une trentaine de fois à Tokyo, Londres,
tacle technique. Il n ’y aura plus de problème tradition cosmogonique des Rose-Croix), Paris, Nice, Marseille, Milan, Rome, Düssel-
de «réalisation». L'art sera, au-delà de il intègre à sa création toutes les m ani dorf. Vienne, Anvers. N ew York, Los Angeles.
toutes les esthétiques traditionnelles, le festations des forces élémentaires: il Parlé en Sorbonne («L'évolution de l'art
langage de l'émotion pure, synthétique et emploie les « pinceaux vivants » dans ses vers l'im m atériel », 1959). B â ti une théorie
souveraine, le langage de la comm uni Anthropométries (empreintes sur papier de de l'architecture de l'a ir dont il a réalisé les
cation directe entre les individus perceptifs. modèles nus préalablement enduits de pein premiers essais et les maquettes expéri
L’homme dort faire dès à présent l'épreuve ture bleue); il construit sur l'air dans l'air mentales (to it d'air comprimé assurant la
de ces modes de perception cosmique. avec l'air (ses plans de climatisation de clim atisation de grands espaces naturels,
« voir » et « sentir » les choses à cette l'espace et de retour à l'état de nature dans lits d'air). Décoré de façon monumentale
échelle: c'est à la recherche de cette un Eden technique préfigurent les orien le N ouvel Opéra M unicipal de Gelsenkirchen
dimension absolue de l'expression que s'est tations majeures de l'urbanisme de demain); dans la Ruhr (1957-1959). Tourné plusieurs
voué Yves Klein. il domestique le feu dont il s'empare pour en films, rédigé des centaines de notes de
C'EST A TRAVERS LA COULEUR PURE faire des peintures (combustions de cartons travail et publié « Le Dépassement de la
QU'YVES KLEIN DEVAIT D'ABORD MATÉ suédois à l’amiante) ou des sculptures (jets problém atique de l'a rt » (Ed. Montbliard,
RIALISER SES INTUITIONS SENSIBLES de gaz incandescent sous pression). La Louvière 1959).
et mettre en œuvre des mécanismes de L'évolution d'Yves Klein est significative.
perception extra-lucides, entièrement En lui s'était fait jour une exigence totale.
affectifs, échappant au contrôle de l'in te l Il avait le souci constant de donner à sa
Dans quelques années la petite commune mement complexes sur le système neuro déboucher enfin sur l’usage en anesthé-
de Fleury-Mérogis. près de Paris, possédera végétatif (cette espèce de relais du cerveau siologie d'un substrat métabolique à action
le laboratoire de physio-biologie le plus qui prend en charge toutes les fonctions hypnotique.
moderne du monde. Pour la première fois qui échappent à son contrôle direct: Ce sont ces multiples investigations aux
dans l'histoire de l’architecture, un pulsations du cœur, rythme respiratoire, confins de l'inconscient qui ont convaincu
ensemble de bâtiments ayant pour modèle digestion, etc...), est hanté par l'image le D' Laborit de la nécessité de faire
une cellule vivante va y être édifié. Autour d une science écartelée où chercheurs et tomber les cloisons de la connaissance
d'un noyau formé par une salle de « brain praticiens se trouvent cloisonnés dans des pour se hausser jusqu’à la compréhension
storming » seront centrés six départements spécialités de plus en plus étroites. Son générale du phénomène humain pris dans
de recherches (neuro-physiologie, synthèse ambition est de permettre à nouveau le ses multiples manifestations. Le laboratoire-
organique, etc.) disposant d'un matériel et dialogue entre les différentes disciplines cellule de Fleury-Mérogis sera un premier
de locaux leur assurant un maximum scientifiques pour résoudre ce grand pas dans cette voie. Le D' Laborit entend se
d'autonomie. On sait ce que désigne problème qu'est la Vie. Son espoir est rendre compte du phénomène « vie » sous
l'expression américaine « brain storming » d'attirer l'attention des. milieux intéressés ses m ultiples manifestations. Il ne s'agit
qui. traduite littéralement, signifie « tem et peut-être, grâce au laboratoire-cellule point pour lui de vouloir confirmer ou
pête des cerveaux ». On désigne par là des de Fleury-Mérogis, de déclencher un vaste infirm er telle théorie, de résoudre des
réunions, sans ordre du jour précis, où mouvement pour une plus large problèmes, mais simplement d'observer le
chacun des participants est invité à dire connaissance. com portem ent de la matière, de tenter
« tout ce qui lui passe par la tête ». C'est TOUTE LA VIE DU D' LABORIT A ÉTÉ UN d'en élucider les mystères et d'enrichir
en quelque sorte la technique du « choc REFUS DE L'ISOLEMENT. Voué par ses ainsi notre connaissance. « Les applications
des idées». Elle est employée aussi bien études à la chirurgie et par sa carrière à la thérapeutiques en découleront automa
dans les laboratoires que dans les agences marine, il s'est presque immédiatement tiquem ent », ajoute-t-il.
de publicité ou les bureaux de promotion attaqué à tout ce qui pouvait lui ouvrir des
des ventes. Seule discipline: le respect des voies nouvelles dans sa profession. M ettre
idées, d'où qu'elles viennent et quelles plus d'atouts dans le jeu du chirurgien au Chirurgien français. Né le 21 novembre
qu elles soient. On ne discute pas, on moment décisif où la vie du malade se 1914 à Hanoï. École principale du Service
suggère. décide, telle fut et reste d'ailleurs sa de Santé de la M arine et Faculté de
DANS LE BÂTIMENT FUTURISTE DE principale préoccupation. De là son souci Médecine de Bordeaux. Interne des
FLEURY-MÉROGIS, DES CHERCHEURS de soumettre totalem ent le patient à la Hôpitaux, chirurgien des Hôpitaux. Chef du
DE TOUTES LES DISCIPLINES SCIENTI volonté du praticien, et ses recherches Centre d'Études et de Recherches des
FIQUES CONFRONTERONT LEURS portant sur l'inhibition du système végé Services de Santé de /'Armée. Membre de
VISIONS DU MONDE. L'auteur de ce ta tif qui devaient le conduire à l'étude des l'Académie de Chirurgie. Découverte de
projet révolutionnaire est le Docteur Henri curares, à la mise au point de l'hibernation « l'hibernation artificielle ». de /'anesthésie
Laborit. Il doit à la Fédération des Déportés artificielle et, deux ans plus tard, à la potentialisée, recherches sur le système
(qui a mis le terrain de Fleury-Mérogis à sa découverte de la Chlorpromazine. De là. nerveux végétatif, découvertes concernant
disposition) de pouvoir le réaliser. Toute la l'intétêt du D’ Laborit rebondit vers de la réanimation, la fatigue et la psycho
penséedu D' Laborit est dans ce laboratoire- nouveaux horizons et ce fut la recherche pharmacologie. A uteur de 13 ouvrages
cellule. Car ce chirurgien qui « inventa » d'un traitem ent du delirium tremens, puis imprimés et de 3 50 publications scien
l'hibernation artificielle et qui, depuis l'étude expérimentale et clinique d'une tifiques.
quinze ans, poursuit des travaux extrê thérapeutique cellulaire de la fatigue, pour
Dans un livre, aujourd'hui introuvable, Jean RAMENER AU SIMPLE LYRISME; elle est la vérité unique » — a été initié. Où? par qui?
Rousselot rapproche Milosz et Rimbaud: une tentative pour résoudre une incapacité à quoi? Nous ne connaissons que le che
l'histoire de leur vie fut celle d'un renon de vivre parmi les,hom m es mêlée à un minement de sa pensée, pudiquement
cement à ce qui paraissait leur raison de immense désir de les aimer; c'est pourquoi voilée dans des œuvres de plus en plus
vivre, la poésie. Pour l'un et l'autre, il elle est dépassée par le poète déçu par son denses et prophétiques dont les titres
s'agit d'un suicide volontaire et non d'une outil. Les formes de l'expression s'en empruntent à la langue des alchimistes.
chute dans la stérilité. Mais la comparaison chaînent les unes aux autres dans une C'est par ces œuvres que Milosz tout entier
ne peut être poussée plus avant. Rimbaud ascension vers la connaissance et le retrouve peu à peu sa vraie place, une des
attendait de la poésie qu'elle lui permette dépouillement. Le poète lyrique, au verbe premières, car il est apparu qu'elles annon
de s'emparer du monde et le trafiquant somptueux, s'efface devant le dramaturge çaient la relativité universelle avant que le
assoiffé de puissance et d'or prolongea le puis le romancier, puis le métaphysicien nom d'Einstein ne fû t connu, et les boule
poète; Milosz attendait qu'elle le détache et le prophète ésotérique. Le versant pro versements de la seconde guerre mondiale
d'un univers accablé et accablant et son fane de l'œuvre miloszienne, celui du poète dès la fin de la première. Mais le destin
silence fu t « celui du repenti qui juge inutile qui mène une quête ascendante, culmine en littéraire du poète ne semble-t-il pas lui-
d’avoir chanté quand il suffit de se un point de l'espace et du temps où com même invraisemblable? Félicité par Valéry
prosterner ». mence le versant sacré, celui du sage ou — « On est pris par les images, et jus
Déraciné très tô t des lieux de son enfance, de l'initié qui a trouvé: une nuit de qu'aux entrailles. Je n’ai jamais vu de texte
de cette Lithuanie où le ciel et la mer décembre, décrite comme celle de « la si proche de l'être même... Je vous envoie
« dorment sur les violettes du lointain sortie en astral». « Le 14 décembre 1914, l'expression de ma véritable admiration » —,
comme les amants», Milosz éprouve le vers onze heures du soir, au milieu d ’un salué par Gide, par Claudel. Milosz est resté
poids de deux malédictions: son origine état parfait de veille, ma prière dite et inconnu pendant un demi-siècle comme si
juive et son origine aristocratique en un mon verset quotidien de la Bible médité, son génie devait dans l'ombre attendre que
siècle brutal et démagogique. Il demande je sentis tout à coup, sans ombre d ’éton- son temps soit venu.
d'abord à la poésie de conjurer ses fan nement, un changement inattendu s’effec
tômes, de combler sa solitude et de ras tuer par tout mon corps. » Il fait ainsi Poète français. // a été naturalisé en 1931.
sasier son besoin de tendresse. Dès ses brusquement connaissance avec l'expé Né le 2 8 m ai 1877 à Czeréia (Lithuanie);
premiers vers, son lyrisme noble le fait rience de la lévitation, connue des occul m ort le 2 mars 1939 à Fontainebleau où
remarquer. Les temples où se retrouve au tistes, où le corps est allégé au point qu'il H est enterré. Vieille fam ille aristocratique
début du siècle l'élite intellectuelle l'ac se détache du sol. Les méditations de dont 30. OOO hectares de fiefs ont été
cueillent. Sur les banquettes de la Closerie Milosz sur les notions de l'espace et du confisqués par les Soviets. Lycée Janson
des Lilas, Adrien Mithouard, Francis de temps, perceptibles dans ses poèmes, de Sailly. École du Louvre et École des
Miomandre, Paul Claudel, Paul Fort, Ernest l'avaient-elles annoncée et préparée? Langues orientales. M inistre résident de
Lajeunesse, le saluent comme un des leurs. On peut le penser. Lithuanie en France. Il fu t à la fois poète
Très vite, les moins jaloux et les plus lucides LE DESTIN DE MILOSZ EST SEMÉ DE — Poèmes de la Décadence, les Sept
voient en lui un maître. Oscar W ilde ne POINTS D'OMBRE. Il a beaucoup voyagé Solitudes —, romancier — L'Amoureuse
s'y trompe pas, qui, en 1898, voyant assis en Europe mais les étapes de ses voyages, Initiation —, dramaturge — M iguel Manara,
côte à côte aux « Deux Magots » Moréas liées par une logique certaine, nous Méphiboseth —, métaphysicien — Ars
et Milosz, s'écrie: «Voilà Moréas-le-poète demeurent inconnues. Ce catholique res Magna, Les Arcanes —, écrivain politique
et voici Milosz-la-poésie! » pectueux — « Je suis catholique, catholique — Les Origines ibériques du peuple
LA POÉSIE MILOSZIENNE NE PEUT SE pratiquant avec ferveur... le catholicisme est j u i f —, et, en tout, prophète — L'Apocalypse
de saint Jean déchiffrée. La Clé de
i.Apocalypse.
Dans un livre consacré à Léonide Sedov des cerveaux les mieux organisés de notre existe entre une surface glissante et une
qui fut publié en 1961, l'auteur, Hilaire temps et l'un des plus brillants professeurs aile, il prépare les grands succès de
Cuny, constatait après les huit premières de son pays. l'astronautique soviétique.
pages qui auraient pu se résumer en une C'EST ALLER VITE. SANS DOUTE. QUE 1943. — Le professeur Sedov reçoit
fiche d'identité guère plus longue que celle D'ATTRIBUER A UN SEUL HOMME LA l'« Insigne d'Honneur» pour son activité
que nous établissons ci-contre : PATERNITÉ DES SPOUTNIKS, car la pédagogique.
« Voici la vie très laborieuse et très peu conception et la mise au point de vaisseaux 1944. — Le chercheur Sedov publie une
romantique de Léonide Sedov. Que le spatiaux font appel aux disciplines les plus im portante monographie intitulée
lecteur nous pardonne l'aridité des réfé différentes. Mais ce qui demeure vrai, c'est « Méthodes de la théorie des dimensions
rences. que nous avons citées, mais c'eût que Léonide Sedov a été l'animateur, le et de la théorie de la sim ilitude en méca
été trahir l'image de l'homme, en toute coordinateur, l'âme, devrait-on dire, d'un nique ». Cette oeuvre fournit la clé de la
son austérité, que de ne pas le faire. » groupe de chercheurs éminents dans des pensée de Sedov.
Le reste de l'ouvrage ne nous en apprenait domaines aussi divers que la chimie, la 1951. — Le professeur Sedov occupe la
guère plus sur le « père des spoutnik ». nucléonique. l'astrophysique, la biologie, chaire d'hydromécanique de l'Université
Parce qu'il n'y avait plus rien à dire, Cet la médecine, la mécanique et l'électronique Lomonossov.
homme, qui a écrit les premières lignes de pour ne citer que les principaux domaines 1952. — Le chercheur Sedov est nommé
l'une des plus prodigieuses aventures de d'investigations d'une science aux ram ifi chef de la section mécanique de l'Académie
l'humanité, est tout le contraire d'un p„. cations innombrables. Ce rôle de chef sup des Sciences et rédacteur en chef de la
sonnage de roman. Myope, discret, ano pose à la fois beaucoup de savoir, de revue analytique publiée par l'Académie.
nyme, il a un physique de petit professeur méthode et de diplomatie. 1954. — Le savant professeur Léonide
de province. Il porte des vestons croisés, Pour Léonide Ivanovitch Sedov, l'aventure Sedov est décoré de l’ordre de Lénine
des cravates qui sont rarement assorties scientifique avait commencé trente ans plus (il avait déjà reçu l’ordre de Staline de
au complet. N 'était un imperceptible sou tô t dans une université caucasienne. Il avait 2' classe et l’ordre du « Drapeau rouge »).
rire ironique qui erre sur ses lèvres, ou üne 17 ans et bien que les temps fussent spécia La suite de cette biographie n’est qu’une
lueur amusée qui illumine parfois son regard lem ent troublés en Russie (il y avait seu succession de nominations et de mémoires.
derrière des lunettes très strictes à monture lement quelques mois que l'armée rouge
d'acier, il serait bien malaisé de deviner un avait triomphé de Wrangel), son père avait Mathématicien et physicien russe. Né le
être différent des autres êtres en cet homme voulu lui donner une instruction solide. 14 novembre 1907 à Rostov sur le Don.
qui ne cesse jamais d ’être courtois, qui parle Léonide Sedov était inscrit à la Faculté Père ingénieur des mines. Études de
peu mais juste, écrit moins encore, sinon de pédagogie mais en même temps il tra pédagogie à l'Université du Caucase du
des rapports scientifiques, et témoigne en vaillait au Laboratoire de physique. En 1935 Nord, de physique à l'in s titu t dA viation
toutes circonstances d ’une parfaite m a i'" » — il avait 28 ans — il était ingénieur à Sergo Ordjonikidzé. Professeur à /'Univer
de soi. l'in s titu t d'aviation Sergo Ordjonikidzé et sité Lomonossov. Président de la Fédération
Quand il se rendit à Copenhague, en 1955. professeur de Faculté. Toute sa vie. véri astronautique internationale (depuis 1960)
pour participer, à la tête d'une nombi reuse table modèle d'équilibre, il allait réaliser et de la Commission soviétique des Com
délégation, au premier Congrès interna la difficile synthèse entre la recherche pure munications interplanétaires. Vice-président
tional d'Astrophysique. il n'était prati et l'enseignement. du Comité national de l'URSS, pour la
quement connu que d ’une demi-douzaine de 1936-1941. — Le chercheur Sedov établit mécanique théorique et appliquée. A uteur
spécialistes dans le monde. Pourtant ce les fondements mathématiques du glis de nombreux mémoires sur l'hydro
« modeste serviteur de la science » est l’un sement sur l'eau. Soulignant l'analogie qui dynamique.
Éditorial Éditorial
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