Vous êtes sur la page 1sur 164

Document

de la couverture
de ce numéro :
Interprétation d'une tête
de Bouddha
située entre
le IV e et le V I e siècles
après J.-C.
A la recherche
d'un état
de conscience supérieur,
d'un point fix e
de l'esprit d'où cesserait
de se poser
l'énigm e de l'existence.
PLANETE
LA PR EM IÈR E R E VU E DE B IB L IO T H È Q U E

É D IT IO N S R E TZ

A D M IN IS T R A T IO N
46 RUE DE LILLE A PARIS 7
S O M M A IR E
R ÉDACTION
8 RUE DE BERRI PAR IS 8

DIFFUSION
Éditorial
DENOEL - N.M.P.P.
5
Le Savoir en liberté par Louis Pauwels
A B O N N EM EN TS
6 NUM ÉROS 27 NF.
12 N UM ÉROS 48 NF. C hronique de notre civilisatio n
C .C .P . 18.159.74 9
11 nous faut des avocats de l'avenir par Robert
A B O N N E M E N T S BELGIQUE Jungk
A . B. G. E. 116 AVENUE LOUISE
BRUXELLES - 5 -
Le m o u vem en t des connaissances
6 NUM ÉROS 350 F. B.
12 NUM ÉROS 580 F. B.
12
La grande révolution est commencée par Jean
C .C . P. 582.11
Charon

Les c ivilisatio n s disparues


23
Les mystères de l’archéologie soviétique par
Jacques Bergier
Science, silence et mort des primitifs par
Francis Mazière

L’A rt fan tastiq ue de tous les tem ps


35
Les nus du Caravage par Gérard Messadié
« Les Spectacles de Nicolas Schôffer » par
DIRECTEUR
Jacques Ménétrier
L O U IS PAUW ELS Les saints et la médecine magique par Brassaï

C OM ITÉ DE D IRECTION Les ouvertures de la science


L O U IS P A U W E L S 59
Matière vivante et transmutation par Louis
JA C Q U E S BERG IER
Kervran
F R A N Ç O IS R IC H A U D E A U Une expérience scientifique sur la voyance par
Aimé Michel
D IR ECTION AR TIS T IQ U E L'homme va ouvrir une porte fabuleuse par
P IERR E C H A P E L O T Emilio Servadio
La littératu re différente 139
81 Une n ou velle vague en sciences / Une extra­
Ambrose Bierce, prince des ténèbres par Jacques ordinaire Société de Savants / La dernière
Sternberg déclaration Artorga / Une année de Science
H uit fables fantastiques d'Ambrose Bierce française / Analyse d'un rapport à l’intention
La spécialité de la maison par Stanley Ellin des poètes
Les m ystères du m onde an im al 143
103 Les mondes différents / Vers la construction
L'horrible colombe et le bon loup par Konrad d ’ un homme artificiel / Comment fabriquer un
Lorenz Cyborg / Les recherches en cours
L ’histoire invisible
111 145
Un jour où Khrouchtchev s'affola par XXX Les arts anciens et m odernes / Georges Braque
La guerre : le père tue le fils par Gaston Bouthoul au Louvre / Une exposition Picasso

L'am our à refaire 147


125 Littérature / Où en est le surréalisme?
Mythes, mystères et miracle du couple par
Geneviève Gennari 149
Le théâtre / Bilan d ’une crise / Les sujets / Les
In fo rm atio n s et C ritiq ues, A n alyse des auteurs / Les acteurs
Œ u vre s, des Id ées , des T ra v a u x et des
D écouvertes 152
Le cin ém a / Les Quatre Cavaliers de l’Apo-
134 calypse / Beauté et réalité / Les droits du
L’histoire / La guerre secrète Ouest / La nouvelle metteur en scène
géo-politique américaine / La plus importante
histoire de la Russie 154
137 A n throp o lo g ie / Des Chinois auraient découvert
L’archéologie / Une nouvelle revue / De Gaulle le Mexique et le Pérou / Une voyageuse sidérale
tabou au musée de Pointe Noire dans une ancienne légende.

138 155
La sociologie / Un nouveau mouvement d'idées I La m usique / Une conversation avec Igor
Création d'une économie évolutionnaire / Les Markevitch / Ce que fait un chef-d’orchestre ;
travaux de Bloch-Morhange Mémoire / Magnétisme
Le savoir en liberté
Louis P auw els

Démasque% les physiciens, ferme^ les laboratoires !


(TRACT S L ' R R É A L I S T ï ).

DES VIEUX MANDARINS AUX JEUNES ALCHIMISTES

Une science qui peut, ou nous anéantir, ou nous faire accéder à la


surhumanité, quel homme trouverait légitime de témoigner sans en
vouloir rien connaître? Hélas, l’absurde abîme creusé en France
au siècle dernier entre la culture scientifique et la culture littéraire,
nous vaut encore des moralistes, des psychologues, des philosophes,
qui se croiraient déshonorés d ’aller apprendre quelque chose du
côté de la science. On voit, dans les souvenirs de Simone de Beauvoir,
si nets et si sincères, les futurs « Mandarins » afficher un mépris
inconditionnel (et fortement conditionné) pour toute connaissance
relevant des sciences exactes. Il y a là un réflexe de vieil étudiant ;
une sourde révolte naissant de la prescience, chez ces gens intelligents,
que l’aventure humaine va cesser d’être tout entière observable
dans le cadre de la Faculté des Lettres, et enfin quelque chose de
plus grave : une sorte d ’horreur bourgeoise à l’idée de devoir s’asseoir
sur le banc des autodidactes pour ouvrir des encyclopédies, commencer
par des ouvrages de vulgarisation, etc... Si l’esprit bourgeois peut
assez bien se définir par le souci du privilège, on en retrouve des
traces chez ces esprits pourtant tournés vers la révolution. Or, s’il
doit y avoir révolution réelle, profonde, pleinement libératrice,
celle-ci ne sera possible que par l’avènement d ’une culture de synthèse,
et par l’instauration d ’une nouvelle hiérarchie de valeurs : la volonté
de savoir passant enfin avant la volonté de pouvoir. Les sciences

Il y a une autre navigation..


(g rav u re de P ie rre C layette). Éditorial
n'ont pas à être rejetées par les intellectuels définition admise de Nagaoka et Rutherford,
sensibles et imaginatifs : elles ont dramatiquement « une masse centrale exerçant une attraction,
besoin de leur sensibilité et de leur imagination entourée par des anneaux d ’électrons tournants ».
pour être libérées. Nous sommes dans un temps C'est cette conception « saturnienne » de l’atome
où le savoir, presque arrivé à maturité, demeure qui est acceptée par tous les savants, non comme
colonisé par le pouvoir. Voilà une décolonisation vérité absolue, mais comme hypothèse de travail.
à envisager d'urgence : elle est vitale pour l’espèce. Nous disions, Jacques Bergier et moi-même,
Au lieu de quoi nous assistons parfois, dans le dans notre livre Le Matin des Magiciens : « Il est
village littéraire parisien, à de grotesques spectacles : possible que cette définition apparaisse, aux
les surréalistes, par exemple, faisant circuler un physiciens de l’avenir, comme une naïveté. »
tract qui a pour titre : « Démasquez les physiciens, Il semble bien que nous soyons déjà entrés
fermez les laboratoires! » dans cet avenir. La théorie des quanta et la
mécanique ondulatoire s’appliquent uniquement
au comportement des particules. Aucune théorie
LES RECHERCHES DE KERVRAN ne rend compte avec exactitude des lois qui
régissent le noyau. On imagine que celui-ci est
composé de protons et de neutrons, et c’est tout.
Revenons aux choses sérieuses. On trouvera Enfin, on ne connaît rien de précis sur les forces
notamment dans ce numéro de Planète une nucléaires. Elles ne sont ni électriques, ni magné­
communication de Louis Kervran. Kervran croit tiques, ni de nature gravitationnelle. La dernière
pouvoir affirmer qu'il se produit des transmu­ hypothèse provisoirement retenue relie ces forces
tations dans les organismes vivants. En d ’autres à des particules intermédiaires entre le proton et
termes, que la vie est douée d ’énergies encore le neutron, que l’on appelle des mésons. Cela
inconnues, susceptibles de provoquer des chan­ ne satisfait que l’attente d ’autre chose. Or, au
gements de la matière au niveau extrême de Canada, en avril dernier, au laboratoire de Chalk
structure : au niveau du noyau. Pour diverses River, on serait parvenu à créer des atomes
raisons, les recherches de Kervran n ’ont pas doubles : deux noyaux accouplés, les deux charges
encore retenu suffisamment l’attention des d ’électrons s’unissant pour former un nouveau
pouvoirs. Nous ne savons pas si elles débouchent système autour de ce noyau double. On obtiendrait
sur une certitude. Nous n ’avons ni les moyens ainsi des éléments nouveaux : à proprement
de contrôle, ni la totalité des connaissances parler, des éléments de transmutation. Les
requises. Nous savons seulement assez pour recherches de Louis Kervran vont plus loin
comprendre q u ’elles introduisent une sensibilité encore : elles laissent supposer une structure
et une imagination nouvelles dans l’étude de la du noyau plus fine que tout ce que l’on avait
nature. En leur donnant le plus large écho possible, pu imaginer, et une énergie spécifique de la vie,
nous remplissons notre rôle de libérateurs. capable d'opérer dans les organismes des trans­
Certains textes alchimiques assurent que dans mutations à la même échelle que celles réalisées
Saturne se trouvent les clés de la matière. Par une par les grandes piles nucléaires. Ainsi, non seu­
singulière coïncidence, tout ce que l’on sait en lement la structure de la matière serait à recon­
physique nucléaire repose sur une définition de sidérer, mais il faudrait encore réviser toutes nos
l'atome « saturnien ». L’atome serait, selon la notions de médecine, de biologie, et sans doute

Editorial
notre vision de la psycho-physiologie humaine : complexe d ’Abraham : les pères tuent les fils.
notamment dans la physiologie si déroutante des Les gouvernements, qu’ils soient démocratiques
états mystiques, des guérisons miraculeuses, etc... ou totalitaires, renonceront-ils à ces expériences
Ainsi, encore une fois, la recherche libre aboutit catastrophiques? Certainement pas. Ils n ’y renon­
à une action libératrice : à un accroissement de ceront pas pour deux raisons au moins. La
notre conscience des possibilités infinies de la première est que l’opinion populaire ne peut
nature et de la vie. être saisie de la question. Elle n ’est pas au niveau
de mentalité planétaire qu’il faudrait pour réagir.
La seconde raison est qu’il n ’y a pas encore de
DÉCOLONISER LE SAVOIR gouvernements doublement éclairés par la science
et la conscience, mais des sociétés anonymes à
capital humain, chargées, non de faire l’histoire,
Pourquoi insistons-nous sur ces travaux? C ’est mais d ’assumer les divers aspects de la fatalité
que nous sommes dans une époque où les savants historique.
n ’ont ni tout à fait le temps, ni tout à fait le
droit de pratiquer une recherche libre. Tous les
UN MONDE OU TOUT EST POSSIBLE
efforts et tout le matériel sont concentrés sur
l’efficacité immédiate : financés par le pouvoir
pour le maintien du pouvoir. La recherche fonda­ Cependant, la fatalité n'exerce son poids mortel
mentale est remisée à l’arrière-plan. L ’urgent est qu ’à partir des zones que l’intelligence n'atteint
de tirer le maximum de ce que l’on sait déjà. pas. Nous croyons en l’extensibilité illimitée de
Pouvoir importe plus que savoir. Or, c’est par l’intelligence. Nous croyons donc que libérer la
notre attention, notre sympathie, notre vigilance, connaissance est vaincre la fatalité : cesser de
que nous pouvons aider la connaissance à s’affran­ subir l’histoire pour la faire.
chir. Mais, évidemment, nous n ’aurons d ’ardeur La physique nucléaire, colonisée par le pouvoir,
à le faire que dans la mesure où nous nous y va-t-elle, comme le dit Jean Rostand, « gaspiller
serons suffisamment intéressés pour comprendre le capital génétique de l’humanité »? Oui, sans
qu’elle va dans le sens du progrès de l’homme doute, durant quelques années. On peut nourrir
lui-même, de la conquête de son cosmos intérieur, une confiance éclairée dans le destin de l’humanité
et que, à y bien regarder, c’est l’homme qui est et la montée générale du phénomène humain,
le créateur de l’homme. sans pour autant tomber dans an optimisme
Où en sommes-nous, pour l’instant? Le contact naïf. Mais il nous appartient à tous d ’aider la
avec des neutrons rend radio-actifs tous les science à dénouer le nœud qu’elle vient de faire.
éléments. Comme le montre dramatiquement Les tâches sont multiples dans ce sens, et chacun
Robert Jungk dans ce même numéro de Planète, de nous a ses moyens et sa voie. Notre tâche, à
les explosions nucléaires empoisonnent l ’atm o­ nous, est, modestement, d ’attirer l’attention sur
sphère de la terre. Cet empoisonnement, qui les idées nouvelles, d'établir des circulations
progresse de façon géométrique met en péril les entre les connaissances et les esprits, d ’exprimer
générations à venir, et nous préparons un génocide, cet ardent besoin de refaire l’apprentissage de la
dans lequel Gaston Bouthoul, en une autre réalité, qui constitue la saveur même de notre
étude de ce numéro, voit l’effarant effet du époque.

Editorial
Les méthodes de transmutation actuellement
connues, ne permettent pas de juguler l’énergie
et la radio-activité. On opère des transmutations
étroitement limitées, dont les effets nocifs sont,
eux, illimités. Si les alchimistes ont raison, il
existe des moyens simples, économiques et sans
danger de transmuter la matière. La nature
elle-même nous fournirait ces moyens. Curieu­
sement, des travaux comme ceux de Kervran
et d ’autres chercheurs isolés, font écho à l’antique
enseignement. Si ces travaux ont quelque justi­
fication et s'il existe une énergie spécifique de la
vie, transformatrice de la matière, le Livre de la
Nature, comme le pensaient les Sages, ne nous
enseigne pas la mort fatale, mais tout au contraire
la résurrection permanente et, somme toute, la
direction du salut. Comme le fait remarquer
Kervran, aucun acquis de la physique d ’aujour­
d ’hui ne nous permet d ’admettre de telles trans­
mutations « naturelles >< dont la réalité ouvrirait
de bouleversantes perspectives. Mais notre igno­
rance de la nature des forces nucléaires et de la
structure du noyau doit nous obliger, si nous
sommes honnêtes, à ne pas parler d ’impossibilités
radicales. Toute bonne encyclopédie d ’aujourd’hui
devrait être d ’abord une encyclopédie des igno­
rances : on y découvrirait l’infinité du possible.
L ’imagination se réveillerait, les idées neuves
afflueraient : c ’est ce dont, justement, la science,
jugulée par les pouvoirs, a besoin. Et ce dont
tous les hommes ont besoin, c ’est de se sentir dans
un monde où tout est possible, Mais quand tout
est possible, tout n ’est pas permis : notamment le
mandarinat. Ce qui nous ramène à notre propos
du début, et au sens même de notre action.

LO U IS PAUW ELS.

Editorial
Il nous faut des avocats de l'avenir
R obert Ju n g k

Science sans conscience, etc... H t conscience sans science?

Nous avons déjà présenté Robert NOUS LAISSERONS DES DETTES ÉNORMES
Jungk (voir notre numéro 1) écrivain
et journaliste, auteur des ouvrages On le dit, on le redit, en cette période d ’essais d ’armes atomiques :
célèbres : « Le Futur est déjà com­
mencé », « Plus Clair que Mille
nos enfants, nos petits-enfants et leurs lointains descendants payeront
Soleils », « Vivre à Hiroshima ». la note de notre génération, la première génération de l’ère atomique.
Témoin de la science en marche et Nous sommes légers. Nous sommes aveuglément et criminellement
des forces prospectives qui orientent légers.
le monde, son audience est inter­ On a dépeint avec assez de précision les futurs enfants monstres
nationale. touchés par les retombées radioactives. On a imaginé et même cherché
Il vient de nous faire parvenir d’Alle­ à évaluer avec précision le nombre d ’êtres humains qui, au troisième
magne cet appel, avant d’entre­ millénaire, seront atteints de cécité, de cancer du foie et de difformités
prendre dans divers pays une série congénitales. Et puis? Le silence. Des chœurs de protestations se
de démarches en faveur de son projet.
Robert Jungk, on le sait, est opti­ sont élevés durant quelques heures, quelques jours, ou quelques
miste : il croit en l’avenir de l’intel­ semaines. Ils ont sombré, ils sont déjà presque oubliés. Qui se souvient
ligence, et il est persuadé que c’est, même des télégrammes affolés d ’Einstein? Chaque fois que les
finalement, l ’intelligence qui pren­ hommes du présent commettent des crimes irréversibles contre
dra le pouvoir. C’est au nom de cet l’avenir, on voit ainsi flamber la paille des âmes pures et impuis­
optimisme même, qui est le nôtre, santes. Cela éclaire la scène un instant, puis ne laisse que l’obscurité
qu’il propose la création d’un « ordre plus profonde, propice à de nouveaux attentats.
des avocats du futur », afin que Il faudrait enfin faire davantage. Il faudrait enfin entreprendre une
l’image des mutations ascendantes
ne se « reflète pas dans un miroir
action réelle. Les beaux cris isolés des « humanistes » ne sont rien,
noir ». la littérature fondée sur la mauvaise conscience n ’est, en dépit de
Cet appel de Jungk correspond, dans ses louables intentions, que de la littérature. Voici une proposition.
ce même numéro de Planète, à l’ar­ L ’idée est née de la constatation d ’un des faits essentiels de
ticle de Gaston Bouthoul sur une notre époque : l’homme, jusqu’ici, développait son action dans
nouvelle vision de la guerre et, d’une l’espace ; il la développe désormais dans le temps, il la fait rayonner
certaine manière, à l’étonnante étude
de Konrad Lorenz sur « le loup et
la colombe ».

C hronique de notre c iv ilis a tio n


loin dans le temps, à venir. Presque tout ce qui s’appuyer sur une information à l’échelle de leur
est entrepris aujourd’hui par les sciences et les tâche. Dans leurs efforts de sauvegarde du futur,
techniques se répercute non seulement dans ils devraient avoir accès à la totalité des connais­
l’espace, mais aussi dans le temps. Chaque année, sances de notre temps En outre, l’exercice même
nous mettons en chantier des milliers de projets de leurs fonctions donnerait à ces responsables
.qui déterminent le sort des hommes bien au-delà une faculté qui fait pratiquement et tragiquement
de l’an 2000 et d ’une manière probablement défaut dans nos sociétés, à l’Occident comme à
irrévocable. l’Orient : la faculté de penser l’avenir. Penser
Certes, l’avenir a toujours été le fruit du présent. l’avenir est tout autre chose que prophétiser. Il
Mais il restait aux hommes une certaine marge de s’agit d ’une attitude d ’esprit qui envisage la
liberté pour façonner leur destin. Ils pouvaient se totalité du présent sous son aspect de mutation,
révolter contre le passé, rejeter ce que leurs pères qui accepte cette mutation, en tant que loi de
avaient prévu et organisé pour eux, recommencer notre ère, mais qui s’efforce de lutter contre
à zéro. Ce n ’est plus le cas. Le sort de toutes les cette « image dans le miroir noir » de la mutation,
futures victimes des essais nucléaires entre 1945 qui est la dégénérescence, la croissance sauvage,
et 1962, est d ’ores et déjà inscrit dans leurs gènes indisciplinée, cancéreuse.
d ’une encre que rien ni personne n ’effacera. Nous Le champ d ’activité des Avocats de l’Avenir
ne pouvons remettre à demain la défense de nos serait immense. Il leur incomberait d ’éviter la
descendants, puisqu’ils sont attaqués aujourd’hui contamination radioactive de l’air et de l’eau, la
même. Et c’est pourquoi je propose que nous pollution du ciel, des mers et des fleuves par les
fassions entendre la voix de ceux qui ne sont pas déchets chimiques. Us auraient à empêcher l’exter­
encore nés, que nous donnions la parole aux mination d ’espèces animales entières sur le globe,
milliards d ’êtres qui viendront après nous. C ’est la disparition des forêts, la dévastation irréparable
pourquoi je propose, sans excès d ’illusion, mais de vastes régions au nom d ’un progrès anarchi­
non plus sans excès de naïveté, la création d ’un quement compris.
Ordre des Avocats de l’Avenir. Les Avocats de l’Avenir auraient à étudier les
mesures capables d ’endiguer le raz de marée de
PREN D RE CONSCIENCE la surpopulation. Ils auraient enfin à examiner
les projets d ’action engageant l’avenir, en déter­
Cet Ordre des Avocats de l’Avenir devrait avoir minant parmi ceux-ci une hiérarchie et une
un statut international. Son siège devrait être priorité. Actuellement, par exemple, on pourrait
au sein de l’organisation des Nations Unies, ou imaginer que cet organisme se prononcerait en
de l’Organisation mondiale de la Santé. Chaque faveur de la biologie molléculaire de préférence
fois que les hommes du présent projettent une à certaines autres branches de la science aux
action susceptible d ’être néfaste aux hommes de résultats plus spectaculaires.
demain, les Avocats de l’Avenir auraient le droit, Toutefois, afin d ’éviter que les Avocats de l’Avenir
le devoir même, de crier : Halte ! et d ’exiger une ne deviennent, par pusillanimité, un frein au
enquête. Dans la mesure où cette enquête préalable progrès, ils ne seraient dotés d ’aucun pouvoir
prouverait, dans l’état des connaissances et selon législatif ni exécutif. Leurs fonctions seraient
toute probabilité calculable, que l’action envisagée celles de conseillers compétents : de sages éclairés,
ne peut avoir de conséquences giaves, celle-ci de consciences nourries par la science. Ils seraient
serait autorisée. Ces décisions seraient soumises la conscience du monde dans son évolution
à des révisions, compte tenu de l’évolution des tourbillonnante. La conscience chargée de tout
connaissances à intervalles de quelques années faire, dans l’ordre de l’intelligence, pour que
ou mois. soient transmises aux générations futures la force
Les Avocats de l'Avenir devraient pouvoir créatrice et la jouissance du monde.

Il nous fa u t des avocats de l'av e n ir


.pour que soient transmises aux générations futures la force créatrice et la jouissance du monde... (N a -F o to )
Alice au Pays de V Univers. (P h o to Irving P enn).
La grande révolution est commencée
Jean Charon

Il s'agit de passer d’une mentalité particulière à une mentalité plané­


taire. Il s’agit aussi pour nous tous, dans la massification et dans la
planétarisation, de passer de la notion d’avoir à la notion d’être. Le
but, ce n’est pas avoir plus. C ’est être plus. "Être plus, tous ensemble,
et être plus chacun.
É D IT O R IA L DE PLANÈTE N°

U N E SCIENCE NOUVELLE, UNE CONSCIENCE NOUVELLE


Vers un nouvel
hum anism e scientifique Notre époque a vu se répandre peu à peu l’idée que la science, en
Les preuves dépit du bien-être q u ’elle a pu apporter, n ’était pas sans présenter de
vastes dangers : les tueries massives de la dernière guerre mondiale
du changem ent sont là pour nous prouver qu’il ne s’agit nullement de préoccupations
fondam ental « théoriques ». Toute l’Histoire nous montre, cependant, que cette
Les raisons inquiétude de l’Homme vis-à-vis de l’Homme lui-même n ’est pas un
sentiment particulièrement neuf (1). Mais le caractère nouveau vient
de croire du fait q u ’aujourd’hui, c ’est l’humanité tout entière qui paraît avoir
et d'espérer peur de l’Homme.
Nous sommes donc en droit, et même peut-être en devoir, de nous
poser très sérieusement cette question : est-il pensable qu’un accrois­
sement de nos connaissances, au lieu d ’améliorer les qualités humaines,
puisse produire l’effet inverse et conduire à la perte de l’Homme
lui-même ?
Pour pouvoir répondre d ’une façon objective à cette question, c’est-à-
dire sans verser dans la pure dialectique, il nous faudrait d ’abord
chercher à mieux comprendre la nature du psychisme de l’Homme
et comment son comportement s’intégre dans l’évolution générale
de notre univers.
Ce problème très difficile du psychisme est longtemps demeuré sur le
Ûans son ouvrage « Pour comprendre plan de la métaphysique pure. Mais, en même temps que l’accrois­
l’Univers », notre ami, le physicien sement de nos connaissances et les progrès scientifiques nous condui­
Jean Charon, dédie ses premières saient à craindre le pire, ce même accroissement de nos connaissances
pages à une nouvelle « Alice au Pays
(1) V oir dans ce m êm e n u m é ro l’article d u so ciologue G a s to n B o u th o u l su r la guerre
des Merveilles ». Sa grande étude et le C om plexe d ’A b rah am .
encore manuscrite, « Le réel et la
connaissance », porte comme dédi­
cace : « A un enfant ». C’est aussi
à un enfant que nous dédions ce
texte essentiel à la compréhension
des profonds bouleversements intel­
lectuels de notre temps. Le m o u v e m e n t des connaissances
transposait le problème du psychisme du domaine l’aspect matériel habituel, et un « dedans » qui est,
métaphysique au domaine de la Science. Cette transposé sur le plan de l’élémentaire, l’analogue
nouvelle attitude est particulièrement sensible chez de ce que nous nommons communément
Teilhard de Chardin et chez Jung (1) qui, tous psychisme, ou pensée, ou encore conscience.
deux, ont abordé l’étude du psychisme au moyen Les êtres « complexes », les êtres « organisés », tels
des méthodes traditionnelles de la Science. que l’Homme, par exemple, apparaissent alors
Nous voudrions, dans ce bref exposé, chercher à comme de simples « inventions » de ce psychisme
discerner les grandes lignes des apports de Teilhard élémentaire. Ces « inventions » sont les moyens de
et de Jung sur cette délicate question du psychisme. l’élémentaire pour parvenir à une connaissance
Nous verrons que les conclusions de ces deux toujours plus approfondie de la Nature, connais­
chercheurs amènent l’Homme à une sorte de sance qui, en définitive, doit profiter en premier lieu
brutale « prise de conscience » de son rôle dans à l’élémentaire et non pas seulement au
l’évolution générale de notre univers. Cette prise « complexe », tel que l’Homme par exemple. Cet
de conscience, loin de justifier l’attitude pessimiste « élémentaire » est ce tissu de l’Univers, qui seul
et décourageante qu’un examen superficiel des persiste dans la durée et qui évolue sans cesse, de
conséquences de la Science de notre époque cette façon, vers un psychisme croissant. L ’évo­
pourrait parfois suggérer, fait au contraire appa­ lution conduirait finalement, selon Teilhard, à une
raître une sorte de « verticalité » dans la courbe phase de psychisme total.
de croissance du psychisme humain.
Cette « verticalité », nous la rechercherons et nous PHYSIQUE ET PSYCHISME
la retrouverons dans d ’autres disciplines de la
Connaissance, notamment la Physique et la Ces conclusions ne doivent nullement être
Médecine. Cette « verticalité » peut probablement confondues avec celles d ’un vulgaire panthéisme,
être interprétée comme traduisant les signes qui verrait dans chaque particule de matière une
avant-coureurs d ’un nouvel humanisme. « individualité » comparable, sur le plan psychique,
à l’Homme lui-même. La thèse de Teilhard doit
L ’IDÉE D ’UN PSYCHISME UNIVERSEL être comprise dans tout le contexte de nos connais­
sances scientifiques actuelles. Sans doute peut-on
La pensée de Teilhard est beaucoup trop riche pour dire que Teilhard reconnaît un certain psychisme
qu’il soit question d ’en examiner ici les différents dès le niveau de la particule élémentaire ; mais
aspects. Nous nous limiterons donc à énoncer cette particule ne doit pas être considérée comme
les axes de sa recherche et ses conclusions princi­ une individualité. La Physique nous a en effet
pales (2). appris qu’une particule doit être envisagée comme
Teilhard devine que la première condition pour un « objet » coextensif à tout l’univers, inséparable
aborder « scientifiquement » le problème du de Vensemble du cosmos lui-même. Il ne s’agit donc
psychisme est d ’éviter tout anthropocentrisme. Il surtout pas d ’interpréter la pensée de Teilhard en
recherche donc une vision de l’évolution du cosmos disant que le psychisme, au lieu d ’être centré sur
qui ne soit pas étroitement assujettie à l’Homme l’individualité « Homme », doit maintenant être
lui-même. Il est ainsi rapidement conduit à centré sur une autre « individualité » plus petite
constater que les racines du psychisme apparaissent, (ou plus durable), à savoir un corpuscule élémen­
non pas chez des êtres ayant déjà atteint une taire. Ce serait faire là un grossier contresens.
certaine complexité d ’élaboration, mais chez les Teilhard transporte le problème du psychisme de
organisations les plus simples de la matière et, en l’Homme, non pas sur une « autre » individualité,
fait, dès les particules élémentaires elles-mêmes. mais sur le « tissu » continu de tout l’Univers, où
En chaque point de l’Univers, en chaque corpuscule chaque point est associé d ’une façon indissoluble
élémentaire, il discerne un « dehors », qui est à tous ses voisins.

La grande révolution est co m m encée


LE BOUT DE NOUS-MÊMES, A L ’ÉCHELLE COSMIQUE
CE N ’EST PAS NOTRE INDIVIDUALITÉ,
C ’EST NOTRE PERSONNE Ainsi, chez Teilhard, le psychisme est placé dans
son véritable cadre évolutif. Avec Teilhard,
Un autre aspect de la pensée teilhardienne la l’Homme prend conscience qu’il est en même
distingue d ’ailleurs très profondément du pan­ temps partie intégrante et moyen de réalisation
théisme. Ce distinguo porte sur le concept de de l’élévation du psychisme à l’échelle du cosmos
« personnalisation ». Un Homme, par exemple, dans son ensemble. Et le rôle qu’il a à jouer est
est beaucoup plus que ses œuvres, quelle que soit enrichissant à la fois pour lui-même et pour le
la valeur de celles-ci. Il est une sorte de foyer où Tout : l’Homme réalise sa véritable « personnalité »
vient se réfléchir toute la connaissance q u ’il peut en cherchant à s’unir le plus possible à la Nature,
acquérir de la réalité extérieure, il est réflexion cette union consistant soit en une projection de
sur lui-même et sur les choses, il est esprit d ’analyse lui-même vers l’extérieur, et c’est ce qu’on nomme
et de synthèse, il est Amour, il est pouvoir créateur : Amour, soit en devenant un foyer où vient
toutes ces propriétés constituent ce que Teilhard converger la réalité extérieure, et c’est ce qu’on
nomme la « personnalisation » de l’Homme. Si l’on nomme Connaissance. Et, nous dit enfin Teilhard,
accepte que tout soit centré sur un psychisme cette « personnalisation » de l’Homme ne saurait
« élémentaire », nous dit Teilhard, il ne peut être «perdue » pour l’Univers, même avec la dispa­
cependant être admissible que ce psychisme élé­ rition de la Vie, car elle est une fonction impor­
mentaire laisse se détruire, avec la disparition de tante, et probablement même un axe fondamental,
la Vie, cette « personnalisation » qui représente, de l’accroissement du psychisme à l’échelle
somme toute, l’une des qualités les plus notables cosmique.
du psychisme. Cette « personnalisation » ne doit pas
être perdue, car elle conduit précisément à une JU N G ET L ’IDÉE DU COLLECTIF
élévation du psychisme de l’Univers, c’est-à-dire se
trouve être parfaitement dans l’axe de l’évolution. Aussi séduisante et réconfortante que puisse nous
Mais, ajoute Teilhard, et ceci est très important, paraître la thèse Teilhardienne, on a cependant
cette « personnalisation » ne doit pas être comprise l’impression qu’elle demeure un peu « théorique ».
comme un accroissement de 1’ « individualité ». Si le psychisme « élémentaire » est si important,
La véritable « personnalisation » est, au contraire, nous aimerions voir se préciser les « mécanismes »
celle qui cherche à atteindre tous les points et tous qui doivent nécessairement exister pour assurer
les aspects de l’Univers, celle qui cherche à s'unir la liaison entre le Moi Personnel de cet être
psychiquement avec tout le cosmos. complexe qu’on appelle un Homme et le « tissu »
Écoutons Teilhard (3) : « Pour être pleinement d ’Univers lui-même, c’est-à-dire, ce que nous
nous-mêmes... c’est dans le sens d ’une convergence pourrions nommer le « Collectif ». Nul mieux que
avec tout le reste... q u ’il nous faut avancer. Le bout Jung ne semble avoir aperçu, à notre époque,
de nous-mêmes, le comble de notre originalité, ce l ’importance de ces « liaisons » entre le Personnel
n ’est pas notre individualité, c’est notre personne. » et le Collectif. Nul mieux que Jung n ’a su étudier
Cette « personnalisation », au niveau de l’Homme,
c ’est F Amour et la Connaissance qui permettent
(1) V o ir su r le p sychologue et p h ilo so p h e J u n g l’étu d e d e G . V érald i
de la réaliser, alors que 1’ « individualisation » dans le p rem ier n u m é ro de P lan ète. Sous la d ire c tio n d u D r R o la n d
est inévitablement, et au contraire, associée à C o h en , les éd itio n s B u ch et-C h astel o n t en trep ris u n e nouvelle
p u b licatio n des œ uvres d e Ju n g . L ire n o ta m m e n t : « P ro b lèm es de
l ’égoïsme et à l’ignorance. l’A m e m o d ern e ».
(2) V o ir d an s P lan è te n° 1 les études d e T h o m as T h ib e rt et les
déc laratio n s de Ju lian H u x ley et de S en g h o r su r T e ilh a rd . V oir
dans le n° 3 l ’article de G eo rg e M agloire.
(3) « Le P h énom ène H u m a in » , É d . d u Seuil.

Le m o u vem en t des connaissances


ces rapports de l’Homme à l’Univers entier à tionné qu’il possédera une véritable « personna­
l’aide de véritables méthodes « scientifiques ». lité » ; il sera doté d ’une sorte de « pensée » électro­
Par contraste avec Teilhard cependant, Jung n ’est nique qui, tout en étant très différente de la
pas spécialement un théoricien. C ’est un biologiste, pensée « humaine », permettra cependant au robot
un médecin ; il travaille sur des cas cliniques. Son de prendre des initiatives, de procéder à des choix
domaine est celui de la psychanalyse. Il va chercher, dans les actes à commettre. Ce robot sera donc
au cours de très longues et très minutieuses études, doté de ce qu’on pourrait appeler un « Moi
à « décortiquer » ce mécanisme qui paraît lier le Personnel ».
Personnel au Collectif.
Quels sont les principaux résultats des études de L ’INCONSCIENT COLLECTIF
Jung? Là encore, on doit se contenter d ’indiquer
les grandes lignes, en essayant de caricaturer le Complétons notre image de la façon suivante :
moins possible. Une difficulté non négligeable comme tout appareil perfectionné, le « robot »
pour bien saisir la pensée de Jung provient du nécessitera une équipe de spécialistes qui veilleront
fait que, comme Teilhard d ’ailleurs, il utilise un à le faire fonctionner. Cette équipe lui sera donc
vocabulaire qui lui est propre et auquel il est affectée en propre. Ces spécialistes auront pour but
d ’abord nécessaire de s’initier. On se heurte ici de faire la « liaison » entre les hommes de la Terre,
à la grande difficulté du langage, fruit de l’expé­ c’est-à-dire le Collectif, et le robot lui-même. Le
rience passée, qui s’avère impropre, ou simplement robot ne pourra avoir une « conscience » directe
inexistant, dès q u ’il s’agit de pénétrer et de décrire de la présence et des agissements de cette poignée
des domaines entièrement nouveaux de la Connais­ d ’hommes qui lui sera affectée, il n ’en aura qu’une
sance. Teilhard et Jung ont connu ces sortes de conscience indirecte, par l’intermédiaire des ordres
difficultés qui rendent parfois intransmissible qui lui seront transmis. Le robot aura ainsi une
l’essence de la nouvelle vision découverte. notion assez floue d ’un Inconscient Personnel, qui
est cependant partie intégrante de sa propre
UNE IMAGE DE L ’HUM ANITÉ activité. Enfin, le robot aura une notion encore
beaucoup plus indirecte et plus vague de la totalité
Une image grossière pourra peut-être nous aider à des hommes de la Terre, ceux-ci constituant, par
mesurer les résultats obtenus par Jung. Pour cela, rapport à lui-même, un Inconscient Collectif.
nous allons assimiler le « Collectif », c’est-à-dire ce Voilà situés, sous forme de cette imagerie carica­
que Teilhard nomme le « tissu » d ’Univers, à une turale, le Moi Personnel et les Inconscients,
assemblée d ’humains, les hommes de notre planète Personnel et Collectif, de Jung : il n ’y a qu’à
Terre par exemple. Supposons que ces hommes remplacer le robot par l’Homme et les Terriens par
décident de chercher à accroître leurs connais­ le « tissu » d ’Univers, ce « tissu » dont Teilhard
sances concernant la Nature. Dans ce but, ils vont nous a signalé l’importance fondamentale au point
« inventer » des instruments qui les aideront à de vue de l’évolution du psychisme.
mieux connaître cette Nature. Ce supplément
de connaissances leur permettra, à son tour, LES ARCHÉTYPES ET LES SYMBOLES
V « invention » de nouveaux instruments plus
perfectionnés et donc un nouvel accroissement L ’évolution du « Collectif » (qui constitue donc le
de leurs connaissances. Les choses se poursuivront plan fondamental) a lieu suivant de grandes
ainsi, jusqu’au jour où ils auront « inventé » un tendances générales, que Jung nomme des arché­
super-instrument pour connaître, une sorte de types. Ces archétypes sont parfaitement incompré­
« robot » ultra-perfectionné, qui leur fournira les hensibles à l’Homme, qui ne les comprend pas
données les plus précieuses sur la réalité extérieure. plus qu’un robot électronique calculateur ne
Ce « robot » sera d ’ailleurs alors tellement perfec­ « comprend » l’énoncé du problème qu’on lui

La grande révo lu tio n est co m m encée


pose : pour atteindre le « conscient » du robot permet donc de participer directement à l’élévation
il faut passer par des « cartes perforées », assimi­ croissante du psychisme cosmique.
lables directement par le robot ; aussi, les arché­
types du Collectif font-ils éruption dans le Moi LA PHYSIQUE COMME PREUVE
Personnel conscient du robot sous forme de ce DE LA NAISSANCE
que Jung nomme des « symboles » (qui sont les D ’UNE NOUVELLE CONSCIENCE
analogues des cartes perforées).
Une incompatibilité peut prendre naissance entre La question que l’on peut se poser est maintenant
le Moi Personnel du robot et le Collectif : ainsi la suivante : existe-t-il, dans certaines disciplines
apparaissent ce que Jung nomme les « complexes ». de la Connaissance, des « indices » qui nous
Si le complexe résulte d’une difficulté avec l’autre permettent de constater cette « verticalité » dans
« Moi », celui de l’inconscient Personnel, il est le psychisme humain, cette « prise de conscience »
nuisible et il faut chercher à le résorber; si, au d ’une évolution collective fondamentale de
contraire, ce complexe résulte d ’une difficulté du l’Univers sur le plan psychique?
Moi Personnel à s’adapter aux symboles arché- La Physique va nous fournir un élément de réponse
typaux en provenance de l’inconscient Collectif, (1) : on va en effet noter un effort de plus en plus
il représente un mal nécessaire, il ne faut pas le faire prononcé du physicien pour décrire la Nature par
disparaître, il faut au contraire aider le Moi rapport à la Nature elle-même, et non pas par
Personnel à concilier ses affinités propres avec rapport à l’Homme. La Science semble ainsi
celles émanant du Collectif et qui traduisent les chercher à exprimer des lois qui seraient valables
tendances nécessaires de l’évolution. pour le Collectif et non pour l’Homme seulement,
inféodé à son mouvement et à ses sens.
LA PRISE DE CONSCIENCE Examinons ceci d ’un peu plus près, cela semble
DE LA PARTICIPATION en valoir la peine.
A L ’ÉVOLUTION COSMIQUE Traditionnellement, et particulièrement depuis
Newton, la même méthode a guidé la Physique et
Mais c’est maintenant ici que toute cette imagerie a servi de dernier critère pour juger de la validité
va nous servir à mettre en relief une étape impor­ d ’une proposition : l’expérience, l’observation.
tante dans l’évolution du « robot » : à un certain Cependant, des difficultés commencent à appa­
moment, il va pouvoir se produire une sorte de raître au tournant de notre xxe siècle, c’est
« verticalité » dans le psychisme propre de ce Einstein qui les signale le premier : méfions-nous
robot, une brutale « prise de conscience » de sa de nos sens, déclare-t-il (après Descartes d ’ailleurs) ;
participation au Collectif et du rôle q u ’il joue. Il va ce que nous « observons » est, notamment, étroi­
alors lui devenir beaucoup plus facile de s’adapter tement tributaire de notre mouvement. Et, par
aux archétypes qui dessinent les grands vecteurs un effort extraordinaire de synthèse, il crée la
évolutifs à l’échelle du Collectif ; au lieu de chercher Relativité, qui parvient à décrire la Nature indé­
à se « personnaliser » en s’ « individualisant », pendamment du mouvement de l’observateur. On
c’est-à-dire en se repliant sur lui-même en tant que voit ici s’effectuer les premiers pas de cette « prise
« robot », il va au contraire rechercher cette de conscience », qui va tendre à « détacher » d ’un
« personnalisation » en s’unissant le plus possible Homme-objet, aux moyens limités par ses propres
avec le Collectif, la « Personnalisation dans sens, une sorte d ’Homme-conscience qui ambi­
l’Union » : on retrouve ainsi, grâce aux conclusions tionnera de « survoler » les objets, l’Homme y
de Jung, les résultats importants pressentis par compris. C ’est un peu comme si un « spectateur »
Teilhard. Finalement, et comme chez Teilhard,
(1) V oir l ’article de Jean C h a ro n d an s le n ° 2 de P lan è te : « P o u r
l’évolution conduit notre « robot » à ne plus diffé­ c o m p ren d re l ’U nivers », ain si q u e les n o te s su r les tra v a u x de
rencier son Moi Personnel du Moi Collectif et lui p hysiqu e th é o riq u e d e n o tre co llab o rateu r.

Le m o u vem en t des connaissances


tout-conscience s’était détaché de l’acteur tout- LA MÉDECINE COMME PREUVE DE
matière, ou tout-objet, et cherchait ainsi à saisir LA PROFONDE RÉVOLUTION M ODERNE
une image de la Nature dans une optique amé­
liorée, plus proche de la vision « collective », une Mais tournons-nous maintenant vers la science qui
optique qui ne serait plus restreinte aux limitations étudie directement l’Homme lui-même, vers la
sensorielles de l’Homme-objet. Médecine : car quelle discipline serait préférable
à la Médecine pour nous faire apparaître, si elle
VERS UNE AUTRE VISION DE L ’UNIVERS existe, cette « verticalité » du psychisme humain,
qui aurait pris une juste conscience de sa partici­
Mais Einstein fait d ’abord cavalier seul. Les pation dans l’évolution collective?
résultats de sa Relativité sont adoptés mais sa Il est passionnant de constater que cette distinction,
méthode de travail ne l’est pas : la Théorie entre l’Homme-conscience et l’Homme-objet, que
Quantique est un témoignage flagrant de cette les philosophies teilhardienne et jungienne, et même
réserve des physiciens. Cette théorie a voulu la Physique, nous ont fait pressentir, est bien effecti­
continuer, en effet, à tout décrire en termes vement mise en lumière par la Médecine d ’aujour­
d ’ « observables », c’est-à-dire de ce qui est d ’hui. On constate, en effet, que notre époque
« connu » par les sens de l’Homme, même dans ce nous présente des malades chez lesquels il faut
domaine si « inaccessible » des particules nucléaires. soigner non seulement l ’Homme-objet, mais aussi
Aussi n ’a-t-on pas tardé à aboutir à une impasse : et surtout l’Homme-conscience. On observe une
et ces dernières années voient alors l’avertissement recrudescence très anormalement élevée de ces
d ’Einstein pris enfin au sérieux. Les tentatives se maladies de l’Homme-conscience, une recrudes­
multiplient pour chercher à découvrir une formu­ cence qui semble bien traduire le fait qu’un véri­
lation plus objective, plus déterministe des lois de table être psychique paraît « se détacher » de
la Nature, au niveau de l’atome. On prend l’Homme-objet, un être capable de posséder une
conscience du fait que la Nature est probablement « personnalité » sans commune mesure avec cet
continue, mais que c ’est la « limitation » de nos Homme-objet, un être qui comprend encore mal,
propres moyens sensoriels qui nous font voir des mais qui prend cependant conscience du contenu
« corpuscules », c ’est-à-dire du discontinu. Et, à archétypal des directives collectives.
nouveau, on essaye d ’obtenir la description des Nous ne pourrions mieux faire, pour étayer cette
phénomènes physiques indépendamment de l’obser­ constatation, que de recommander la lecture de
vateur, c’est-à-dire de l’Homme-objet réduit à l’ouvrage très documenté que vient de publier à
ses sens. ce sujet un jeune médecin, le D r Pierre Solié (2).
Aujourd’hui, il semble bien que la Physique soit à Nous nous contenterons d ’indiquer ici quelques-
la veille d ’obtenir cette description de la Nature, uns de ses principaux résultats.
indépendante non seulement du mouvement
de l ’observateur (ce qu’avait déjà réalisé la Relati­ LE D r SOLIÉ,
vité), mais encore indépendante des caractéristiques CONTEMPORAIN DU FU TU R
sensorielles de cet observateur (1). Ne voit-on pas
s’amorcer ainsi cette « verticalité » dont nous Solié, disciple du Professeur Verne, est l’un de ces
avons fait mention, cet effort pour accéder à un esprits « contemporains du futur » qui paraît avoir
psychisme collectif et unitaire, cette brusque prise clairement entrevu le tournant qu’aborde notre
de conscience de la nécessité pour l’Homme médecine actuelle et la direction qu’il va lui
d ’accorder sa vision du cosmos sur des standards falloir suivre pour aller plus avant.
« cosmiques », et non pas simplement « humains »? Le Dr Solié a procédé à une analyse minutieuse
des fiches qui correspondent à chacun des malades
qui viennent le consulter. Cette analyse l’a conduit

La grande révolution est co m m encée


à constater que, d ’une façon indiscutable, les 41.000 GUÉRISSEURS CONTRE
simples faits obligent à reconsidérer entièrement 24.000 MÉDECINS
aujourd’hui les méthodes de notre Médecine, telle
qu’elle est enseignée dans nos Facultés. S’il fallait une preuve de plus à apporter à l’appui
Pourquoi? La raison en est très simple et réside des constatations du D r Solié, il nous suffirait
dans cette observation du D r Solié : « Sur une d ’indiquer que la France compte actuellement
analyse de mille quatre cent fiches de consultation plus de quarante et un mille guérisseurs, contre
pure nous trouvons mille deux cent cinquante seulement vingt-quatre mille médecins exerçant
malades ne relevant d ’aucun diagnostic, d ’aucun réellement. Or, l’essentiel de la clientèle, souvent
pronostic, d ’aucune thérapeutique classiques, soit fort nombreuse, des malades qui consultent les
90% environ. » guérisseurs, est naturellement principalement
Ce que le Dr Solié appelle un diagnostic formée de ces malades « hors-diagnostic » que nos
« classique » désigne un diagnostic se rapportant médecins traditionnels ès « Hommes-objets » n ’ont
à une maladie ayant fait l’objet d ’un enseignement pas été préparés à soigner au cours de leurs études
quelconque, lorsqu’il était à la Faculté de Méde­ de Faculté. Comment donc tout cela ne nous
cine. Cet enseignement concerne en effet, encore conduirait-il pas à comprendre que, maintenant,
actuellement, uniquement la façon dont il faudrait l’Homme-conscience, ne serait-ce que comme
soigner un Homme-objet, exactement comme si malade, est devenu une véritable réalité? Et
cet Homme n ’était que « objet », et non aussi un combien d ’ailleurs aussi, remarquons-le en passant,
Homme-conscience doué d ’un psychisme qui, lui il paraît urgent d ’adapter notre enseignement
aussi, peut être malade. Entendons-nous, il ne médical à notre temps, ne serait-ce que pour faire
s’agit nullement ici de malades mentaux : les mentir la célèbre (et d ’ailleurs sévère) parole
1.250 malades hors diagnostic « classique » dont d ’Auguste Comte : « Nos prétendus médecins
parle le Dr Solié ont un comportement qui ne ne constituent réellement que des vétérinaires. »
traduit aucune aliénation mentale : mais, semble-
t-il, ces individus sont, dans 90 % des cas, essentiel­ UNE « PRISE DE CONSCIENCE » GLOBALE :
lement des malades pour lesquels c ’est, avant U N VÉRITABLE MOUVEMENT DE MASSE
tout, l’Homme-conscience à qui il faut porter un
remède approprié ; la maladie de l’Homme-objet, Ainsi donc, l’accroissement de nos connaissances,
lorsqu’elle existe aussi simultanément, n ’est que la tant dans le domaine de la Philosophie que dans
conséquence et non la cause du mal véritable, qui celui de la Physique ou de la Médecine, semble
a son origine dans des conditions psychiques nous conduire à cette « prise de conscience » du
défavorables ; ces conditions défavorables pro­ rôle de l’Homme dans l’évolution psychique de
viennent généralement elles-mêmes de la difficulté l’Univers, avec, pour conséquence, une sorte de
que rencontre le malade à s’adapter au monde ou brusque « verticalité » qui tend à détacher d ’un
à autrui, c’est-à-dire, en définitive, à son inaptitude Homme-objet un Homme-conscience désireux
à se « personnaliser », dans le sens où l’entendait de se « personnaliser » au moyen d ’une sorte
Teilhard. Le fait qu’il existe aujourd’hui ce vif d ’ « union » avec le cosmos tout entier.
besoin de l’Homme à chercher à se « personnaliser », Bien sûr, un tel sentiment s’est rencontré, au moins
besoin qui, s’il n ’est pas satisfait, peut conduire à chez quelques penseurs isolés, tout au cours de
la maladie, semble bien démontrer cette séparation l ’histoire de l’Humanité. Chaque époque nous a
de plus en plus prononcée qui s’est amorcée entre montré quelques hommes qui ont paru réussir à
l’Homme-conscience et l’Homme-objet.
(1) L a th é o rie u n ita ire d e Jean C h a ro n est u n pas d an s ce sens :
V o ir « É lém en ts d ’u n e th é o rie u n ita ire d ’U n iv ers », É d. de la
G ra n g e B atelière, P aris.
(2) D r P. Solié : « M édecine et H o m m e to ta l », É d. de la C o lo m b e.

Le m o u v e m e n t des connaissances
s’élever au-dessus de leur propre condition de qui situe cet Homme-conscience par rapport à
« super-animal ». Mais le phénomène important l’évolution de la totalité du cosmos, on la retrouve
de notre époque paraît être que cette attitude n ’est en Physique, dans cette recherche des lois de la
plus seulement le privilège de quelques-uns, c ’est Nature formulées pour un « super-observateur »
un véritable mouvement de masse. Tout nous le qui ne serait pas tributaire des restrictions asso­
montre et, indépendamment de la Science et de la ciées au mouvement ou aux sens de l’observateur
Philosophie, la tendance artistique actuelle, avec ce ordinaire. On la discerne encore en Médecine,
désir de l’abstrait (qui n ’est pas autre chose qu’une puisque notre siècle a multiplié ces maladies
recherche d ’union à la Nature ou à autrui par-delà d ’ « inadaptation au Monde » qui concernent,
les simples sens de l’Homme-objet), est encore là fondamentalement, non pas tant l’Homme-objet,
pour nous le confirmer. que l’Homme-conscience. Toute la tendance
artistique de notre époque est un effort pour une
LA JEUNESSE VEUT communion directe de l’Homme et de la Nature.
Q U ’ON OUVRE LES FENÊTRES La Jeunesse se révolte de façon de plus en plus
pressante en constatant que notre structure sociale
La Jeunesse du Monde est, peut-être mieux que immobile l’empêche d ’échapper à cet « engrenage »
quiconque, un témoin de cette nouvelle attitude que l’Homme-objet a fait de la Vie, et elle aspire
vis-à-vis du phénomène cosmique. Depuis quelques ardemment à de nouvelles réalités.
générations cette Jeunesse cherche en effet à
briser des structures de pensée qu’elle considère LA FIN D U PESSIMISME
comme complètement dépassées. Souvent, elle
s’essouffle, elle se lasse, et finit enfin par se laisser Tout ceci, ne le doit-on pas, en définitive, à la
prendre à notre « engrenage » traditionnel. Mais Science? Sans doute, cette Science n ’a pas uni­
la génération suivante reprend le flambeau, avec quement apporté avec elle des bienfaits ; mais cela
toujours une soif grandissante de changement. doit-il justifier le sombre pessimisme dont on veut
Cette Jeunesse se révolte contre l’immobilisme des parfois l’affubler? Ne voit-on pas poindre les
« vieux », contre leur façon de porter des jugements premier symptômes d ’un nouvel humanisme, où
sur une réalité q u ’elle aperçoit à travers une l’Homme-conscience prendrait enfin le dessus sur
optique totalement différente. La Jeunesse actuelle le comportement de l’Homme-objet? N ’est-ce
étouffe, elle aspire à un renouveau, elle crie son pas la Science, et cet accroissement considérable
impatience devant notre hésitation à ouvrir les de nos connaissances, qui nous a conduits dans ce
fenêtres sur d ’autres horizons. Les « vieux » cas vers cette « prise de conscience globale » et ce
blâment parfois l’énergie que dépensent souvent nouvel humanisme aux dimensions du cosmos,
les Jeunes dans un comportement qui leur paraît et que l’on aimerait nommer l’« Universalisme »?
incompréhensible, et donc inacceptable; ceux-là N ’est-ce pas la Science, et la conquête de l’espace
se trompent : la Jeunesse est incompréhensible qu’elle nous laisse présager pour bientôt, qui nous
parce q u ’elle prend conscience d ’un Monde que impose d ’élargir notre façon de penser ? Et, après
nous ne comprenons pas encore. tout, même pour ceux qui ne sont pas pleinement
consentants, n ’est-ce pas la Science et les menaces
PARTOUT L'ÉCLOSION qu’elle laisse planer sur nos têtes, si nous n ’y
D ’UNE NOUVELLE CONSCIENCE prenons garde, qui nous sollicitent à adopter de
toute urgence de nouveaux points de vue? N ’a-t-on
Cette « verticalité », qui a fait s’élever au-dessus de pas le droit, dans un moment si critique, à un
l’Homme-objet un Homme-conscience, on semble peu d ’optimisme? N ’a-t-on pas le devoir d ’espérer
donc pouvoir la reconnaître tout autour de nous. que la Science nous apportera demain, en même
Issue des philosophies teilhardienne et jungienne, temps que des Terres nouvelles, des Hommes
nouveaux ?
JE A N C H A R O N .

La grande révolution est com m encée


Aimer, c'est voir, et voir est de Vordre de la grâce. (M arcel J o u h a n d e a u ) (P h o to Irving Penn>.
Les mystères de l'archéologie soviétique
Jacques Bergier

C ’est à se demander si nos ancêtres de la culture Fatian n’habitaient


pas dans une autre plan'ete. g le b g o lo u b e v .

CEUX QUI VIVAIENT A L ’INTÉRIEUR DES MURS


Ceux qui com battaient
des chameaux volants. Dès que fut enlevée la terre recouvrant une fresque du me siècle, un
visage apparut soudain. Il paraissait vivant : un homme du m e siècle
semblait regarder ceux du xxe. Cela ne dura que quelques minutes. Le
Ceux qui construisaient visage devint terne, l’éclat des yeux s’éteignit. On eut beau recouvrir
leurs maisons la fresque d ’un vernis, jamais elle ne reprit cet éclat... Ceci se passait
en os de mammouth. en 1948 et nous est raconté par l’écrivain soviétique Rudolf Verchadski.
Ce journaliste scientifique participe depuis dix ans aux fouilles de
Khorézime, empire perdu de l’Asie Centrale, sur l’emplacement
Ceux qui peignaient duquel se trouve aujourd’hui le grand désert de Kizilkum. C ’est
leurs m orts en rouge. dans l’empire disparu de Khorézime que serait née l’algèbre, inventée
par le savant Mohamed ibn Muza al Khouzmi. L ’empire de Khorézime
s’étendait de la mer d ’Aral à la Hongrie et de l’Inde à la Chine.
Il fut lui-même précédé par une civilisation dont l’existence vient à
peine d ’être révélée. Ce n ’est qu’en 1948 que l’on mit au jour les onze
premiers documents écrits de l ’empire de Khorézime. L ’année suivante,
on découvrait à Toperak-Kale des fresques et des statuettes d ’albâtre
représentant des Noirs. A vrai dire, ces Noirs n ’ont pas des cheveux
crépus, mais lisses. Il s’agit probablement de Dravidiens provenant
de l ’Inde. Que faisaient-ils là ? Il semble qu’ils aient formé la garde
de corps des premiers empereurs. La civilisation antérieure paraît
avoir bâti des villes étranges : les habitants vivaient à l’intérieur
des murs. Une de ces villes a été déterrée : c’est un labyrinthe de
murailles avec, à l’intérieur de celles-ci, des pièces d ’habitation
éclairées par des lucarnes au plafond. Chacune de ces maisons-murailles

Idoles cimmérienrtes
trouvées à Tiritaka : Les civilisatio n s disparues
figure virile, figure féminine.
a 7 kilomètres de long. Des milliers d ’hommes et L ’ÉNIGM E DE LA CULTURE FATIAN
de femmes y vivaient. Ces êtres étaient divisés en
trois castes : les prêtres du feu, les guerriers et les Dans un livre préfacé par l’académicien A.N.
simples citoyens. Des archéologues soviétiques Nesmianov (président de l’Académie des sciences
comme S.P. Tolstov commencent à dégager un l’U.R.S.S. en 1960), Gleb Goloubev écrit : « A une
passé inconnu que l’on ne peut guère reconstituer heure de train électrique de Moscou, les mystères
que par recoupements. Tolstov retrouva des de Fatian se dressent toujours, plus étranges
références au second empire de Khorézime dans encore que ceux de l’île de Pâques. On y trouve
les chroniques chinoises. Il a pu ainsi faire resurgir des tombeaux, mais aucune trace d ’habitation.
tout le sixième siècle de l’ère chrétienne dans la C ’est à se demander si nos ancêtres de la culture
région. Grâce à ces chroniques chinoises, nous de Fatian n ’habitaient pas dans une autre planète
apparaît une organisation sociale assez semblable et n ’arrivaient pas sur la Terre dans leurs astronefs
à celle de l’ancienne Rome avec non seulement uniquement pour y enterrer leurs morts. »
l’esclavage, mais la notion de « clients », c’est-à-dire C ’est une boutade. Il n ’en reste pas moins que le
de personnes dépendant d ’une famille de citoyen. mystère Fatian est certainement un des plus
Une révolution paraît avoir éclaté vers 588 et les étranges de la Terre. Il y a près d ’un siècle déjà,
Chinois auraient envoyé une armée au secours un noble seigneur s’intéressant à l’archéologie,
d ’un des empereurs rivaux. Au vm e siècle, le le comte Alexei Sergeïvitch Ouvaroff, commença
royaume de Khorézime est conquis par les Arabes. de faire des fouilles dans la région du village de
Au xm e siècle, ce sont les grands combats grâce Fatianovo, non loin de Moscou. Il découvrit une
auxquels sont arrêtées les hordes de Genghis Khan. culture de l’âge du bronze, vieille de quatre mille
Ainsi deux mille ans d ’histoire de Khorézime ans. Mais ce qu’il avait découvert, c’étaient des
viennent d ’être en partie reconstitués. Quatre tombes, avec des porcelaines, des haches, des
cents sites ont été repérés dont quatorze seulement objets de bronze. Il découvrit bien d ’autres
explorés. Une salle des rois a été découverte à tombes provenant de cette civilisation, situées le
Toprak-Kale : d ’énormes statues assises montrent plus souvent dans le voisinage des rivières. Il y
les rois de Khorézime du m e siècle, avec leurs trouva, enterrés verticalement, des hommes, dés
couronnes en forme d ’aigles blancs. Toprak-Kale femmes, des ours, et, quelquefois, des bobines
se présente comme un rectangle de cinq cents de fils d ’or de plusieurs centaines de mètres de
sur trois cents cinquante mètres, dominé à l’époque long. De nouvelles fouilles mirent au jour éga­
par trois tours colossales maintenant détruites. lement des sépultures contenant de la céramique
De véritables usines ont été trouvées : fonderies, fine d ’excellente qualité et très originale par ses
usinage du bronze, et des sortes de laboratoires motifs décoratifs, des cailloux marqués de signes
chimiques dont le rôle n ’est pas encore défini. étranges, des haches de formes spéciales. Pas la
Le palais royal n ’avait pas de fenêtres. Il était moindre trace d ’habitation de ceux qui enterraient
éclairé par des « puits à lumière » qui diffusaient ainsi avec pompes et cérémonies leurs morts.
le jour sur tout l’ensemble d ’un étage. Après En 1932, on trouvait près de Vaoulovov, dans la
l’abandon du palais en 305, la ville de Toprak-Kale région de Yaroslav toute une série de tombes
a survécu pendant deux siècles encore. On vient de Fatians dont une enfermait les restes d ’une
d ’y retrouver un certain nombre d ’inventaires chèvre sacrifiée selon un rite rappelant le vaudou
écrits à l’encre de chine sur du bois ou du cuivre haïtien et une autre où avaient été déposés des
et qui complètent les onze documents que nous colliers de dents d ’animaux ou d ’ossements
mentionnions ci-dessus. d ’oiseaux. Un examen de la densité du sol autour
Mais les archéologues soviétiques, dont l’effort du tombeau de la chèvre montra que l’on avait
est relativement récent, butent sur des mystères dansé pendant des années, selon un rite aussi
plus profonds que ceux de Khorézime. vieux que l’humanité, un rite magique rejoignant

Les m ystères de l ’archéologie so viétiq ue


Naraklich : détail de la fresque du mur ouest de la salle centrale du palais : d'étranges batailles de monstres.

ces profondeurs du temps dont parle H.P. habitations des hommes de Fatian soulève le
Lovecraft. problème le plus difficile qui se soit jamais posé
Après la guerre, sur l’impulsion de P.D. Stepanoff, à l’archéologie » déclarait récemment le professeur
on tenta de résoudre l’énigme de Fatian. Sans A.B. Artrukovsky. Actuellement on essaie, à
résultat. On pensa q u ’il s ’agissait de nomades : l ’aide de la photographie aérienne, de retrouver
mais ils possédaient des troupeaux abondants les pistes qui devaient aller des tombeaux de
qu’il n ’était guère possible de mener à travers les Fatian à leurs mystérieuses habitations. Il n ’est
forêts épaisses de la Russie à l’époque. Il fallait évidemment pas facile de retrouver des sentiers
donc qu’ils aient des habitations fixes. On avança datant de quarante siècles...
qu’ils étaient des nomades des rivières flottant
sur d ’immenses radeaux. L ’hypothèse n ’est abso­ PAR ORDRE CHRONOLOGIQUE
lument pas prouvée. En 1958 on retrouva de
nouvelles tombes, enfermant, cette fois-ci, des Khorézime et Fatian sont, en quelque sorte, les
guerriers tombés au combat par des flèches de deux pôles de l’archéologie soviétique. D ’une part,
pierre. Le problème n ’est toujours pas résolu. des révélations si abondantes que l’on n ’arrive
« La disparition mystérieuse de toutes traces des guère à tout exploiter. D ’autre part, le mystère

Les civilisatio n s disparues 25


complet, l’énigme totale. Entre ces deux pôles fantastiques, et sont parmi les plus belles du
s’étend un immense domaine peu connu en monde. On voit, dans l’histoire de Tripol, les
Occident que nous allons essayer de survoler maisons collectives de la tribu se changer en
en suivant l ’ordre chronologique. maisons familiales et certains archéologues pensent
que l’idée de famille est née à Tripol.
LA COLLINE DE SATAN Chose curieuse, ce sont, semble-t-il, les femmes
qui ont domestiqué le cheval dans la culture
Cette colline se trouve en Arménie. Elle s’élève de Tripol. Et c’étaient elles les prêtresses de la
à cinquante mètres au-dessus d ’un plateau. religion dont on retrouve les autels. L ’homme
Tout autour, parsemant le sol, des objets étranges n ’émerge de sa condition subalterne qu’avec la
en obsidienne noire que la population appelle dégradation des ressorts magiques de cette culture
« les doigts de Satan ». C ’est là que l’on découvrit disparue.
la plus ancienne habitation humaine du territoire
soviétique. Des hommes de l’âge de pierre, LE DIEU DES TEMPÊTES
de la période chelléenne s’y étaient établis. Des ET DE LA GUERRE
outils s’y trouvent en grand nombre mais dans
une région strictement localisée, de 1.450 mètres C ’est en Arménie que l’on a découvert une cité
carrés. La colline de Satan fut une habitation du vne siècle avant l’ère chrétienne : la cité du
humaine, mais il n ’est pas encore certain que ce Dieu Teischeba qui gouvernait les tempêtes
fut une habitation permanente. Plusieurs cul­ et la guerre. Des fouilles ont permis d ’identifier
tures ont pu s’y succéder. la statuette en bronze du dieu. Il porte le casque
cormu des fameux « Martiens du Tassili », ces
LA MAISON EN OS DE MAMMOUTH personnages étranges des fresques du Sahara.
Sa robe tombe jusqu’à terre, et il tient un glaive
Sur le fleuve Desna, près du village de Melina, dans la main gauche, une hache dans la droite.
des hommes de l’époque d ’Aurignac ont édifié La ville, bâtie par le roi Rioussoi, fils d ’Artishti, a
une. maison en os de mammouth. Une singulière une superficie d ’environ quatre mille mètres carrés.
bâtisse circulaire avec, au centre, probablement Au centre, les vestiges d ’une pyramide à marches.
à titre d ’ornement, des cornes de cerfs. La cons­ Cent cinquante édifices ont été déterrés mais une
truction de cette étrange maison : des poutres partie d ’entre eux seulement a été étudiée jusqu’à
constituées par des os de mammouth liés entre présent. Les habitants de cette cité aux murs
eux et des murs en peau. Au sommet, un cône monstrueux vivaient en collectivité ; les vivres, les
en peau de mammouth. Ainsi vivaient, il y a des vêtements et les armes étaient fournis et distribués
millénaires, ces ancêtres constructeurs inconnus par une administration centrale dont on a retrouvé
partout ailleurs. les trésors et les archives. Un siècle après, la cité
fut détruite par une invasion de Scythes. Mais ces
LES FEMMES DE TRIPOL Scythes ne parvinrent pas à mettre la main sur
les trésors royaux. Les boucliers de bronze et les
Tripol est un gros bourg moderne sur le Dniepr, casques des rois de la ville du dieu de la guerre
possédant son terrain d ’atterrissage. Ce fut, voici et des tempêtes brillent maintenant dans un
5.000 ans, le centre d ’une vaste civilisation qui musée.
paraît bien avoir été un matriarcat. Les femmes y
dominaient et pendant des millénaires on ne BATAILLE AVEC LES MONSTRES
trouve que leurs statues. Beaucoup plus tard,
des statues d ’hommes apparaissent. Les poteries Aucun homme du xxe siècle ne se souvient plus de
représentent des animaux aussi bien réels que Varakschi. Pourtant, voici plus d ’un millénaire,

Les m ystères de l’archéologie soviétique


la beauté de cette ville des steppes de l’Asie récemment rouvertes posent la question. En
Centrale était proverbiale. Les chroniques chinoises Russie comme en Afrique, comme en France,
racontent que le maître de la ville présidait aux comme en Italie, comme en Sibérie, ces morts
cérémonies du haut d ’un trône d ’or en forme sont peints en rouge avec de l’ocre pour franchir
d ’un immense chameau ailé. Ce trône d ’or devait le fleuve du temps. D.B. Chelov écrit à ce sujet :
peser un nombre respectable de tonnes, car un « La couleur rouge, la couleur feu, la couleur
des signes étranges de Varakschi est la persistance sang, est le symbole de la purification secrète.
des monstres gigantesques. Une salle souterraine Les anciens croyaient que la couleur rouge efface
est garnie uniquement de fresques représentant le péché, écarte les esprits mauvais, permet la
des combats avec ces monstres. Sur un fond rouge résurrection dans l’autre univers. » Cette phrase
obtenu par un colorant inconnu que les siècles est à rapprocher de la grande parole de G.K.
n ’ont pas fait pâlir, on voit un héros monté sur Chesterton : « Je n ’aime pas la nature. Je n ’aime
son éléphant, et qui, en une succession de combats, que la rivière rouge de l’homme qui est le vin, et la
détruit des griffons, des êtres immenses mi-félins fleur rouge de l’homme qui est le feu. » Les morts
mi-oiseaux, des chameaux volants. Ce héros est peints en rouge de la terre russe portent géné­
un géant plus haut que son éléphant. Exagération ralement sur la poitrine une statuette du phénix.
esthétique ou trace des géants dont parlent tant Certaines de ces statuettes sont en os de
de traditions? mammouth. Voilà une observation d ’un fulgurant
Au centre de la salle écarlate, une flamme avait intérêt : elle laisse à penser que le symbole du
brûlé pendant cinq cents ans. On faisait des phénix, c’est-à-dire le signe de la résurrection,
sacrifices à cette flamme et à la mémoire du appartient à l’un des archétypes majeurs de
gigantesque héros qui avait sauvé l ’humanité l ’humanité et que cet archétype plonge dans les
lorsque la terre était jeune... origines de l’espèce humaine bien plus profon­
« Tout ce mythe est bien loin de la vie réelle », dément qu’on ne le pensait jusqu’ici.
écrit un archéologue russe. Mais qui sait ce q u ’est Telles sont, aujourd’hui, quelques-unes des grandes
la vie réelle et surtout ce q u ’elle fut dans un passé énigmes que rencontre, en Russie comme ailleurs,
lointain? En 783, ce palais rouge plein d ’énigmes l’archéologie. Au moment où l’homme s’envole
est détruit et ne resurgira qu’après les recherches vers les mystères de l’univers extérieur, il découvre
modernes. Les archéologues soviétiques croient sur sa terre, en remontant le flot du temps, d ’aussi
que les steppes de l’Asie Centrale recèlent encore poignants et poétiques mystères : ceux de ses
plus d ’une ville telle cette Varakschi inconnue. lointains ancêtres, étranges comme s’ils étaient
L ’avenir de l’archéologie mondiale, ont-ils écrit, est venus d ’ailleurs...
en Asie Centrale, là où toutes les civilisations se JA C Q U E S B E R G IE R .
sont rejointes. C ’est la thèse qui a déjà été soutenue
par le grand écrivain américain Abraham Merritt BIBLIOGRAPHIE
dans son livre admirable : « Les habitants du
Ouvrages en langue russe:
mirage » (The Dwellers in the mirage). Rudolf V erchadski : Deux récits sur
les mystères de l'h isto ire (1960).
DE L ’AUTRE COTÉ Gleb G oloubev : Mystères sans
solution (1959).
DU FLEUVE DES MORTS Merpert et C helov : Les antiquités
de notre sol (1961).
U niversité de Leningrad : Recherches
« Et l’avare Achéron ne lâche point sa proie... » archéologiques en U.R.S.S.: recueil
Quels sont ces morts, rouges eux aussi, comme le d ’articles en i ’honneur du professeur
M.P. Artam onov (1961).
palais des géants, et que l’on trouve, complè­
tement équipés pour le voyage de l’autre côté? En langue française :
A lexand re M ongait : L'A rchéologie
De nombreux travaux russes sur des tombes en U.R.S.S.

Les civilisatio n s disparues


Ils s'en vont en emportant leurs secrets...
Science, silence et mort des primitifs
Francis M azière

Plus nous remontons à l ’origine de l ’humanité, plus nous nous


enfonçons che%les primitifs, et plus nous découvrons que leurs secrets
traditionnels coïncident avec nos recherches actuelles.
PAUL MORAND (p r é fa c e à « l ’île m a g iq u e » d e S e a b to o k } .

Nul n’a oublié l ’admirable expé­ LETTRE SUR LES HOMMES OUBLIÉS
dition de Mazière dans les forêts
de l’Amazonie. Avec des hommes M on cher Pauwels,
comme Dominique Gaisseau, Ma­ Vous me demandez de reprendre la communication que j ’avais cru
zière fait partie de la génération des devoir faire à la Conférence des Sommets de Bruxelles. Il s’agissait
grands aventuriers de l’ethnologie, pour moi, et cela dans le cadre d ’un vaste effort collectif pour renou­
parfaitement décidés à risquer leur veler les méthodes d ’approche de la connaissance, de tenter de situer
vie pour pénétrer, sans préjugés ni la tradition orale des « primitifs » par rapport à la pensée moderne.
anciens ni modernes, les mystères, En présence de la lucidité d ’hommes de science comme Zwicky et
la pensée et les techniques du monde Von Karman, nous pouvions alors tenter cette connection et nous
primitif que nous avons condamné apercevoir que, dans le domaine de la physique céleste, par exemple,
à la disparition sans aucun souci le chiffre de la plus récente pensée mathématique rejoint cette tradition
d’en rien recueillir. orale. Quand un savant comme Von Karman nous parlait, à Bruxelles,
Francis Mazière prépare en ce du monde des supernovae, il y avait dans sa pensée la perception
moment la première expédition d ’une science fondamentale qui l’engageait à s’inquiéter des quelques
vraiment complète et scientifique paroles que la Tradition orale ose nous livrer. Aux portes d ’une
dans l’île de Pâques. II y a urgence : mutation voulue, nous avons sans doute profit à prospecter certaine
des projets militaires menacent de connaissance dite primitive, qui s’avère subitement faire appel à une
faire disparaître, sur cette île, les forme d ’entendement supérieur.
vestiges d’une des plus grandes Je n ’avais jamais osé croire que M. Zwicky, directeur de l’Observatoire
énigmes laissées par l’ancienne du M ont Palomar, puisse, au travers des calculs les plus précis, rejoindre
humanité. la vision d ’un monde, évidemment supra-terrestre que la mentalité
Il vient de m’écrire cette lettre pleine dite primitive envisage depuis des millénaires.
de passion, d’inquiétude, d’impa­ Il s’agit maintenant de savoir si nous considérons les primitifs comme
tience. Nous la publions sans y rien des primaires au sens de notre dialectique, ou si les sciences les
changer. L.P. plus avancées ne recherchent pas des vérités contenues dans les

Les civilisatio n s disparues


paraboles des très anciens hommes. Il s’agit Marquises, en passant par le Congo, je sais que
dramatiquement de savoir si le dialogue entre les derniers initiés vont mourir sans avoir pu
ces anciens hommes et nous peut encore être tenté. réellement prendre contact avec nous. Nous
J ’ai peur que ce soit impossible tant que nous envoyons des patrouilles, rarement de véritables
porterons en nous le mépris de toute pensée chercheurs. Nous voulons qu’ils parlent nos
qui ne s’exprime pas selon la rationalité pure langues, nous ne faisons pas l’effort de comprendre
et au niveau dialectique que nous avons une fois la leur.
pour toutes assigné à l’intelligence. Mais je suis Dans l’analyse des faits précis que, durant des
certain que, dans moins de vingt ans, nos fils années de recherches, j ’ai pu retrouver dans les
seront écœurés du jansénisme avec lequel nous régions les plus éloignées, les plus séparées,
aurons gâché toutes les possibilités de survie j ’en arrive à la conclusion qu’il existe certainement
du monde primitif. de véritables Primaires : j ’entends par là d ’authen­
Il est évident que l ’initié Lulua (1) qui pratique tiques dépositaires de la tradition des origines.
l’ouverture ou qui, plus exactement, maintient Il est certain, par exemple, que cette sorte d ’osmose
l’ouverture des fontanelles, sait parfaitement entre certains groupes humains et les animaux,
qu’il a choisi une certaine réceptivité mentale et que nous appelons Totémisme, est d ’une grande
qu’il ne pourra jamais rejoindre nos formes de importance dans l’étude d ’une science irrationnelle
pensée et participer à notre marche vers le de l’évolution et des mutations contenue dans
progrès. Mais pourquoi condamner, au nom cette tradition. Tant que notre civilisation n ’aura
d ’une douteuse hiérarchie des valeurs, cette pas résolu le problème des origines, il me semble
conception de vie qui postule une connaissance impossible et prétentieux de juger les sources
extra-sensorielle? Oui, nous condamnons ces profondes et apparemment insolites de la pensée
derniers tenants d ’un autre monde. Ils se cachent. primitive.
Ils se taisent. Ils nous fuient. Ils refusent à
juste droit de nous communiquer une connais­ L ’ÉTRANGE RÉCIT DE LA GENÈSE
sance que notre civilisation a parfois assassinée DANS UNE ILE DU PACIFIQUE SUD
et toujours bafouée.
Dans ce léger texte que j ’accepte d ’écrire, je Comment se fait-il que le dernier initié de l’île
vous demande cette lente navigation au travers Fatu Hiva, perdue dans le Pacifique Sud,
des mots qui ne peuvent traduire le calme, la m ’explique la naissance de notre planète en des
bonté, le contact du regard qui enveloppent et termes qui rejoignent certaines de nos connais­
complètent toujours la Parole. Vous ne pouvez sances les plus avancées ?
oublier que c’est toujours la nuit, aux heures Je me souviens, c’était le soir, dans la vallée
où la vie s’ouvre à l’oxygénation que les primitifs maintenant déserte d ’Ouia. Nous rentrions d ’une
transmettent la parole. Nous apprenons et lisons dure journée de prospection, la nuit était lourde
dans le brouhaha des amphithéâtres. Les primitifs d ’humidité, mais dans la case de Bourai, le petit
enseignent et s’interrogent dans le calme des feu d ’écorces de coco entretenait une douceur
heures libres. C ’est dans cette tout autre pulsation merveilleusement voisine de notre fatigue.
de la vie, que ce monde primitif s’inquiète de voir Lentement, le conteur, le Haere Po, comme on
sa Tradition mourir par la désacralisation systé­ dit là-bas le voyageur de la nuit, retrouvait la
matique de ses enfants. Du Thibet aux îles légende des sept portes du ciel que je traduisais
lentement. Plus tard, dans la nuit, lorsque tous
nos compagnons indigènes furent endormis,
(1 ) V oir dans le précédent nu m é ro de Planète l'é tu d e de M arcel nous en arrivâmes à parler de la création du
L ecom te sur les p ratiq u es m agiques des L ulua du C o n g o qui. en
effet, m ain tien n en t ouvertes les fontanelles p o u r p ro v o q u er une
Monde. Le conteur dit : « A l’origine, il y avait
vision au tre du m onde. l’eau sans le sel, partout l’obscurité.

S c ie n c e , silence et m ort des prim itifs


» Partout alentour il y avait la condensation. j ’ai retrouvé ces formes comme témoins de la
C’est-à-dire l’éther. spécification de l’espèce humaine. C ’est, à l’origine,
» Partout le silence sans mouvement le sang-froid, la respiration lente, la pulsation
» De la vibration naquit le son du monde saisie par sa réalité fonctionnelle ;
» Du son naquit la vie c ’est la tortue symbole de la perennité, c ’est la
» De la vibration des gaz et de l’eau, surgit la tortue que jamais les hommes ne voient mourir,
roche la tortue dont le cœur bat encore des heures
» La première forme vivante que nous connûmes, après la fin du corps.
nous les Hommes, fut le lézard, puis la tortue. « Le premier homme s’appelle Atum car il fut
» Le premier Homme, qui était Dieu, s’appelle et demeure l’Unité... » Que l’Égypte pré-pharao­
Atum, car il fut et demeure l’Unité, mais il possède nique ait gravé ce symbole, cela nous le savions,
trois éléments. » mais qu’un simple « sauvage » d ’une île perdue
Longtemps, je suis resté interdit par cette Parole de dix-huit kilomètres de long ajoute : « mais
et je n ’osai livrer ces phrases comme un document : il possède les trois éléments », cela non seulement
il y a peu d ’années, un texte semblable eût fait m ’étonne, mais me bouleverse. Je vous laisse le
sourire les officiels de la science. soin de dépouiller cette Parabole.
Il faut peut-être des années de vie au travers
de la Haute Forêt, des années de désespoir devant LES MYSTÈRES DE LA HAUTE FORÊT
la terrible sensation du vide d ’un tout autre
monde si faiblement audible et dont le langage Il faudrait encore pouvoir écrire le livre qui
seul conserve la tradition ; il faut peut-être la raconterait l’histoire de cet autre « sauvage »,
vitalité du calme q u ’enseignent les primitifs : contant les chutes de quatres morceaux de Lune,
c’est la recherche que nous effectuons et vous ces chutes modifiant, successivement, l’axe de
pensez bien q u ’elle peut être difficilement reconnue rotation de la terre et la vie sur celle-ci. Mais cette
par notre civilisation assoupie dans le confort. nuit-là, perdu dans l’océan Pacifique, j ’ai compris
Mais je demeure convaincu qu’il y a dans cette pourquoi les Polynésiens étaient le peuple calme,
recherche une source d ’activation de vie et très le peuple du bonheur. Plus la Parole est sacrée,
sûrement une source d ’amour, c’est-à-dire d ’avenir. moins les Hommes parlent. Ainsi peut-être la
C ’est une recherche dangereuse, car elle peut être Polynésie a-t-elle choisi le visage du Sourire.
attaquée de toutes parts et nous qui ne pouvons Le refuge de la haute forêt est un monde délicat
employer que fort rarement la preuve matérielle où nos aventuriers ont gâché les chances de
ou rationnelle, nous nous trouvons alors devant l'Aventure. Car c’est de la haute forêt que je
la désespérante barrière des préjugés et des veux vous parler : forêt rongée par l’avance de
concepts établis. nos techniciens, forêt haute où les hommes de
Dans la parole de l’Homme des Isles, plusieurs la Tradition ont choisi peut-être la mort lente,
choses m ’étonnent ou plus exactement m 'in­ mais le refuge de la liberté.
quiètent. Ces hommes de couleur que certains appellent
« De la vibration et du son naquit la vie. » Il y a là sauvages, d ’autres comme moi, réfractaires,
une rare connaissance des éléments mis en m ou­ d’autres encore, sous-alimentés, et qui furent à
vement, transmutés par les interceptions et les jamais nommés par les pharaons « les danseurs
relativités d ’ondes électro-magnétiques. de Dieu », gardent en secret le contact avec la
La première forme vivante que nous connûmes, science la plus hermétique. Peut-être les Pygmées,
nous les Hommes, fut le lézard, puis la tortue " qui connaissent encore par cœur la tradition
Partout, que ce soit chez les Indiens libres de du dernier déluge, ont-ils vraiment choisi de
certaines régions amazoniennes, en Afrique, ou poursuivre leur rêve dans l’hinterland de la haute
dans le testament des préhistoriques Européens, forêt, c'est-à-dire de la nuit. Il n ’y a pas ici de

Les civilisatio n s disparues


fausse poésie : il y a simplement une tout autre LA PRÉDICTION DE L ’INDIEN OYANA
vision de la vie. Quand nous parlons de la Haute
Forêt, nous parlons bien de l’équateur, mais nous Il y a maintenant ce témoignage qui m ’inquiète
pensons seulement géographie ou géophysique, depuis plus de dix ans. C ’était au pied des monts
alors que nous devrions penser cosmogonie : Tumuc Humac où je venais de vivre pendant
car les rapports de forces mises en mouvement au des mois avec les Indiens libres Oyana. Trois cent
rayon de la terre accordent peut-être d ’autres cinquante survivants sur un territoire grand
possibilités psychiques et, j ’ose dire, neurologiques. comme la Belgique. Un monde réfractaire,
Il est très certain que, depuis la dernière glaciation, mourant de vouloir vivre dans l’enfer des grands
presque tous les groupements humains gardiens marécages. Les Oyana forment un peuple minus­
de la tradition orale se sont regroupés à l’équateur. cule sur une terre où l’on dit : « l’or crée le
Si la zone équatoriale n ’est pas propice au déve­ sang. » Il erre sur cette terre de l’or, mourant de
loppement physique, elle est, en échange, source de désespoir dans un paradis d ’orchidées. C ’était
renouvellement et de vie pour un psychisme en 1951 et c’était aussi le dernier soir de notre
réceptif aux sources profondes, dominantes et expédition.
peut-être animales de la vie. Notre forme actuelle Je devais parler avec le chef, autour du feu.
d ’intelligence n ’a que des rapports discrets avec Nous avions peine à nous séparer : j ’étais le
cette perception des forces. Notre civilisation, premier homme blanc qu’il ait connu. Il dit :
notre éthique, sont incarnées, réellement, in « Ne pars pas. Reste vivre avec nous, ici, car
carne. Le primitif est presque totalement bientôt... » et sur le sol de cendres il compta le
désincarné : il ne juge pas sa vie terrestre, il nombre des lunes. « Le quart des hommes de
connaît sa finalité, et ne parle pas de la mort la terre sera détruit par le feu... Pas nous, mais
dont il perçoit les ondes et le sens. vous, car depuis longtemps, depuis très longtemps,
Je sais que la sagesse d ’un Initié peut, dans une vous avez oublié. Vous êtes la mort et c’est
certaine mesure, recouper la connaissance précise pourquoi, il y a longtemps, nous avons accepté
d ’un physicien théorique, mais je ne suis pas de disparaître. » Tard dans la nuit, nous avons
certain q u ’elle puisse s’accorder à nos modes recréé la Parole avec le « prêtre-chef ». J ’ai essayé
actuels de connaissance, tout au moins tant que de savoir comment il pouvait parler ainsi. Il a
de grandes ouvertures sur l’univers extérieur, dit : « Autrefois, nous vivions près de l’eau salée
tant que notre prochaine plongée dans le cosmos et ce sont les Hommes qui ont construit les maisons
n ’auront pas modifié notre mode de vie et d ’intel­ de pierre qui dominent la forêt qui ont parlé
ligence. Pourquoi ne pas dire ces choses ? Pourquoi ainsi. »
ne pas oser dire que le drame, qui se joue chaque Oser dire un chiffre? Les calculs des phases
jour sous le feutre des masques magiques, que ce lunaires de 28 jours, m ’amenaient, en 1951, à
soit chez les Pygmées, parmi les Indiens libres atteindre une année très proche de l’année de
d ’Amazonie, dans les îles oubliées du Pacifique, ce texte.
partout où certains hommes, gardiens de la Parole, Je pense que certains lecteurs vous diront que ceci
m ’autorise à penser q u ’ils possèdent des vérités est délirant. Peut-être.
fondamentales que nous recherchons par d ’autres Voilà, mon cher Pauwels, ce que je peux vous
moyens? L ’exploration de notre Terre va se apporter comme témoignage. Je pense drama­
terminer silencieusement, mais d ’autres hommes tiquement au temps perdu, au peu de temps qui
vont heureusement reprendre ce merveilleux mot me reste (non à cause de cette prophétie, bien sûr,
pour la conquête sidérale. L ’espoir veut que nous mais à cause des limites mêmes de ma vie) pour
ayons rétabli le contact avec le monde ancien renouer avec la très ancienne Parole. Et c’est ce
avant d ’aborder un avenir porteur de mutations. qui me pousse vers l’épaisse forêt...

S c ie n c e , silence et m ort des prim itifs


LE BOIS IMMORTEL

Voulez-vous encore une histoire?


C ’était dans l’archipel du Tiki. Je venais, après
quatre mois de recherches, de découvrir un abri
sous roche contenant plusieurs pirogues-cercueils.
Le bois de ces cercueils était presque intact.
D ’après ma datation, ces pirogues-cercueils avaient
environ huit cents ans. Le bois venait de l’arbre
à pain, dont pourtant la texture est fragile. Je
m ’étonnai de l’état de conservation de ces pirogues-
cercueils exposées à la pluie tropicale et au soleil.
Un de mes compagnons indigènes me dit : « C ’est
parce que nous coupons le bois le soir de la pleine
lune entre 21 et 22 heures. » Je le questionnai. FRANCIS MAZIÈRE
Il précisa : « A cette heure, et seulement les soirs Né le 24 mai 1924 à Paris. Bachelier
de pleine lune, les arbres se vident de leur sève ; ès lettres. Bachelier en droit. Diplômé
ils meurent pour renaître, comme les femmes, des Langues Orientales. C ertificat
d'Ethnologie (Musée de l ’Homme).
tous les 28 jours. Ainsi vidé de sa sève, le bois École du Louvre: 3 certificats d ’A rché-
n ’est plus attaquable. » lologie.
M issio n s.
Voilà un exemple simple, mais qui rejoint la 1946-47: M ission Ogooué-Congo. Chef
haute tradition. Là encore, il y a osmose, non de la M ission A rchéologie. 1951-52:
Expédition Guyane Tumuc Humac.
seulement entre l’homme et la vie, mais entre la Chef de Mission. Prix de l ’ Exploration
technique et la vie. Française décerné par le Président de
De tels faits, évidemment discutables, ouvrent la République. 1954: M ission de re­
cherche aux Iles Sous-le-Vent. 1954-57:
une large porte sur un monde qui semble si loin. M ission Française du Pacifique Sud.
N ’y eut-il pas d ’autres techniques aussi efficaces Chef de Mission. 1959: M ission Socio-
logique au Congo Belge.
et plus complexes, dans le passé de l’humanité ? Livres.
N ’y eut-il pas de grandes connaissances des lois 1947: Blues poésie de l'A m ériqu e Noire.
1952: Expédition Tumuc Humac (Laf-
de la nature et des lois universelles ? Aurons-nous font). 1952: Paran le petit Indien
encore le temps de nous expliquer avec les dépo­ (Nathan). 1952: Exposition d 'A rt Indien
d'Am azonie (Galerie Maeght). 1952:
sitaires de la Parole ancienne? Teiva, Enfant des Isles (Del Duca).
A la fin du xixe siècle les derniers Tasmaniens 1957: A rchipe l du T iki (Robert Laffont).
1960: Hina, la petite Tahitienne (Ha­
sont morts, tous morts, victimes d ’une curieuse chette). 1960: Quel monde étrange!
chasse à courre au fusil. Suisse. Livre tra duit en 4 langues.
Les Indiens de la Terre de Feu sont morts. Film s (réalisateur).
35 mm, 1952: Feu le Bague, indien du
Les Pygmées d ’Afrique, survivants de ce que nous Tumuc Humac. 1960: Teiva, enfant des
appelons la pré-histoire et qu’il faudrait appeler Isles. A u sixième jour.
16 mm, 1952: Expédition Tum uc Humac.
les origines, vont mourir... 1957: A rchipel du Tiki.
Et notre recherche est si tardive... 7 disques publiés aux Éditions Vogue
et Bam. Nombreux articles publiés en
Sans rien dire, un de mes compagnons indigènes France et à l'étranger (Paris-M atch,
m ’a regardé en mourant. Il connaissait toute la Picture Post, Libre Belgique)...
cosmogonie des îles du Pacifique. II était trop
tard. Pour lui. Pour moi.
Voilà, mon cher Pauwels, hâtons-nous!

Les civilisatio n s disparues


BACCHUS ( B ro g i-G ira u d o n )
Les nus du Caravage
Gérald M essadié

Le merveilleux est toujours beau, n'importe quel merveilleux est beau,


il n’y
^
a même que
1
le merveilleux qui
1
soit beau. AND RE BRETON.

LE MARIAGE DU CIEL ET DE L ’ENFER

La peau! Lorsqu’en 1588 les Romains découvrent le « Bacchus »


d ’un garçon de seize ans, Michelangelo Merisi, tel est sans doute
le cri q u ’ils poussent. La peau! Enfin! Promise par les Vénitiens,
manquée de près par les Maniéristes, l ’incarnation s’affiche avec
d ’autant plus d ’insolence que ce Merisi est un chenapan dont l’ordi­
naire compagnie est composée de flagellants et de voleurs, et qui ne
doit d ’exercer son art qu’à la protection d ’un cardinal. Pour son
sujet, Merisi a choisi un jeune garçon un peu gras, aux mains rouges :
ce Bacchus dolent n ’a certainement pas touché à la coupe de vin
q u ’il tient d ’un geste affété. Et, pour ajouter à la dérision, le peintre
l ’a affublé d ’une énorme couronne de pampres, et drapé dans un
drap de lit. N ’importe. Cette parodie agressive des oripeaux clas­
Son aventure ressemble à celle siques et nobles passe presque inaperçue tant l’émail de l ’épaule est
d'un saint, mais c'était un peintre. éclatant. Le fondu de l’avant-bras et du biceps n ’a pas d ’égal dans
toute la peinture jusqu’alors. Il y a tant de caresse dans ce demi-torse
dévoilé que seule la corbeille de fruits du premier plan pourrait le
lui disputer en chaleur. Les amateurs fouillent leurs souvenirs : sauf
dans des fragments de Beccafumi, dans « Les Anges chassés du ciel »
ou « La victoire de Saint Michel », dans des morceaux de Tibaldi,
ils n ’ont jamais rien vu de tel. Raphaël, Michel-Ange, les Vénitiens?...
Ils n ’ont jamais peint de peau, mais des muscles, des draperies, des
cheveux, bref, des hiéroglyphes supérieurs. Là, rien de tel, rien qu’un
éclatant morceau de chair.
La convention, jusque-là, a fait que l’on ne peignait de corps masculins

L’art fantastique de tous les tem ps


dévêtus q u ’à des fins de connaissance anatomique. diseuses de bonne aventure à la mine « accorte
Bien sûr, l’on sait les complaisances singulières et expressive », bourreaux grimaçants, vieilles
du Vinci et de Michel-Ange, mais enfin, ces femmes figées par la vue du sang innocent, bref,
peintres-là, héritiers de l’antiquité, s’attachaient il fera aussi de la peinture de genre. De mauvais
à savoir et faire savoir — vacillant prétexte — genre, parfois. Dans le picaresque, Callot avait
la place des muscles dans le corps humain. Et atteint à la grandeur, dans le pathétique, Ribera
chacun sait que les muscles sont plus visibles fera mieux. Et puis ces fronts systématiquement
dans le corps masculin que dans le féminin... plissés, ces crânes toujours chauves finissent
Merisi, que l’on n ’appelle pas encore Caravaggio, par excéder, à force de parti-pris. Même volon­
s’en moque ouvertement : son Bacchus n ’est pas taire, ce défi au bon goût risque de n ’être qu’une
du tout un modèle musculeux, c’est un adolescent gageure.
à peine formé. L ’épaule exceptée, il ne montre
qu’une vaste plage de chair lisse, un peu grasse MES FRÈRES, LES DÉCAPITÉS
et d ’un grain parfait.
Cet homme a « la grogne ». Ce n ’est pas seulement
LE SCANDALE DE LA VÉRITÉ dans sa vie qu’il multiplie les coups d ’épée
sanglants, les procès, les libelles et autres insolences
On le critique de ne pas assez étudier l’antique, qui le forcent à fuir de ville en ville. Même dans sa
de ne pas dessiner d ’après Phidias et Glykon ; peinture, il a la bave aux lèvres et l’humeur
il envoie ses conseillers au diable. « La nature sombre. Son chef-d’œuvre le plus ambitieux, le
m ’a donné ces gens-là comme maîtres! » Et il Martyre de Saint Matthieu, c’est le massacre
peint ses compagnons, une gitane, des garçons d ’un prêtre sur les marches d ’un autel par une
de rue, des cascadeurs coiffés de chapeaux à brute nue dont la bouche se tord pour l’insulte...
longues plumes. Il se peint lui-même au sortir Il a aussi l’obsession des têtes coupées. Ce n ’est
de la malaria, verdâtre et le teint gâté par la pas un hasard : l’une de ces têtes coupées, celle
fièvre. Ce ne sont ni les années ni le succès relatif du David de Rome, est son portrait. Les autres
qui lui adouciront l’humeur, et, en regard des décapités lui ressemblent comme des frères.
œuvres qui le suivront, le défi du Bacchus apparaît Son existence, d ’ailleurs, confirme cette soif
comme une modeste plaisanterie. On lui com­ d ’autodestruction. Cardinaux et princes ont beau
mande, pour la chapelle Contarelli de Saint-Louis le protéger, l’ambassadeur de France a beau
des Français, un Saint Matthieu. A cette époque, intervenir en sa faveur et le Grand Maître de
toute nourrie de scolastique, il boute en pleine l’Ordre de Malte le prendre sous sa protection,
figure le pied calleux d ’un paysan chauve. Les le Caravage n ’en a cure et court d ’une disgrâce
moines se révoltent, on retire le tableau scandaleux à l’autre. Q u’on le protège, lui? Quelle impudence!
qu’un marquis Giustiniani met à l’abri. Passe Et peut-être aussi exiger de la gratitude ! Il faudrait
encore de peindre de la peau, mais de la peau manquer de cervelle pour prétendre s’interposer
fendillée par la terre! Et ce front excessivement entre lui et son destin, pour mettre fin à la querelle
plissé par l'effort intellectuel! Et cet ange andro- où s ’entête ce jeune homme scandaleux.
gyne dont la main guide la main du vieillard Pourquoi les princes protègent-ils ce révolté qui
évoquant à la fois Verlaine et Socrate! les méprise? C ’est qu’il est leur conscience;
leur conscience artistique d ’abord et l’autre aussi,
DE LA PEINTURE DE MAUVAIS GENRE peut-être. Ils savent que leur afféterie, leurs men­
songes philosophiques et religieux, leur piètre
Pendant les premières années de sa carrière, Le machiavélisme, leurs débauches hypocrites, leurs
Caravage va s’amuser ainsi à des jeux de physio­ intrigues courtisanes, leur vénalité, en un mot,
nomie, jeunes gens cupides comptant des ducats, leur vulgarité est la cause de la rébellion carava-

Les nus du C aravage


gesque. Son époque l’a mal élevé ; il la hait ; elle
le respecte. Cet individu écrase sa société.

UNE RICHESSE BAUDELAIRIENNE

On regarde en 1962 les nus du Caravage et le


souffle s’accélère comme devant nul autre. C ’est
là que s’est réfugiée toute la tendresse du peintre ;
c’est aussi l’un des hauts lieux de la pitié et de la
sensualité confondues, un exemple dont l ’art
occidental est finalement beaucoup moins riche
qu’il n ’y paraît. Si les artistes comparaissent au
Jugement Dernier afin de voir peser à la fois
leurs œuvres et la civilisation qui les produisit,
on peut s’attendre à voir Le Caravage triompher
à l’égal d ’un archange, alors que bien des maîtres
qui lui disputent leur gloire aujourd’hui auront
de la peine à conquérir une place à ses pieds.
Que sont ces corps? Le Bacchus de la jeunesse
romaine est somptueux, le Bacchus malade, premier
autoportrait, est émouvant quoiqu’un peu senti­
mental, à la façon des gamins misérabilistes de
Murillo. Passent les années. Quelle que soit la
chronologie de ses œuvres que l ’on adopte, il faut
convenir que les corps acquièrent une présence
plus sensuelle et plus tragique. Leur odeur s’exhale
avec une richesse baudelairienne, âpre et lourde. d a v id et g o l ia t h ( l re v e r s io n )

LA BEAUTÉ QUI TUE

A ces victimes, Le Caravage offre une compassion


désolée, dont l’expression la plus frappante se
trouve dans le Martyre de Saint Matthieu : au
second plan, le peintre s’est représenté lui-même,
la bouche amère, le front contrarié. S’il restait
un doute, il est levé par le Goliath de Rome, qui
est son portrait : ces vaincus sont les multiples
aspects de lui-même. Ces nus aussi. S’il leur
accorde tant de compassion et s’il les peint avec
cette gravité de la passion, c’est qu’il s’agit de
lui. Lui, c’est cet homme nu et vaincu, comme au
lit, au terme d ’une lutte amoureuse.
La grande singularité des sujets caravagesques,
c’est l’ambiguïté du rôle q u ’y joue la beauté
physique. Peu de peintres, certes, sont moins
esthètes que Le Caravage. Il faut pourtant con-
d a v id et g o l ia t h ( 2 e v e r s io n )

L’art fan tastiq ue de tous les tem ps


•s

(A lin a ri-G ira u d o n )


LE M A R T Y R E D E S A IN T M A T H IE U . D E T A IL
venir qu’il existe deux ou trois types de person­ c’est vers cet adolescent qu’avance Matthieu.
nages auxquels vont ses préférences : le jeune Or, dans le Martyre, le même jeune homme
garçon et le jeune homme plébéien, et certaine reparaît, plus âgé; il porte toujours une toque à
jeune femme ou jeune fille au visage pur et dur, plumes ; il considère avec une indolence morose
sorte de garce biblique q u ’il appelle Judith ou la scène cruelle qui horrifie les autres spectateurs
Salomé et dont il adoucit les traits lorsqu’il veut et même son compagnon de tripot, également
en faire une vierge. présent.
Garçons et jeunes hommes, il les déshabille presque Il est invraisemblable que Le Caravage ait ménagé
toujours. Ce sont des anges de douze ou treize ans, cette ressemblance sans intention, d ’autant plus
nus ou presque. La jeune femme, elle, est toujours que ce jeune homme est un de ses modèles favoris,
vêtue ; on dirait que le peintre ne tient pas à puisqu’il apparaît dans deux autres peintures,
insister sur leur féminité, Nulle surprise si ces le Tricheur, et la Bohémienne et le Soldat. Quelle
héroïnes, sous leurs diverses vêtures, évoquent signification lui a-t-il donnée? Peut-être ne le
des travestis. Au reste, la femme n ’a que faire concevait-il pas clairement. Mais tout se passe
dans l’univers du Caravage ; le pressentiment du comme si les deux tableaux étaient les illustrations
drame sanglant qui va assombrissant tous ces d ’une histoire secrète, l’histoire d ’un rendez-vous
hommes l’en écarte naturellement. avec la beauté juvénile qui s’achève dans la mort
David ou Judith, la beauté caravagesque est le donnée par la beauté virile...
plus souvent cruelle. Glaive en main, elle menace C ’est encore dans le Martyre, non seulement la
les incernations du peintre, et l’obsession des têtes plus ambitieuse, mais aussi la plus chargée de
coupées est d ’autant plus significative que ces significations des œuvres du Caravage, qu’il faut
têtes, celle de Méduse comprise, ressemblent chercher le sens donné par le peintre au nu mas­
notoirement au portrait et aux deux autoportraits culin. Le spectateur profane et le critique averti
du Caravage. Devant ces évidences, une conclusion s’étonnent pareillement : pourquoi le bourreau
vient à l’esprit : c’est que la beauté présente pour accapare-t-il la composition? Pourquoi sa nudité
le peintre un péril certain ; elle le transfixe ; elle est-elle si frappante? Est-ce un hasard que cette
le tue. Il semble que, dans sa lutte amoureuse et présence charnelle dans cette œuvre religieuse?
féroce avec l’Ange, Le Caravage soit toujours Or, non seulement la beauté caravagesque est
sûr de perdre. cruelle, mais encore se dénude-t-elle au moment
fatal de l’exécution. Outre le bourreau du Martyre,
POURQUOI LE BOURREAU? tous les bourreaux sont nus, de la première version
du David à la dernière version de l’Hérodiade ;
Exemple du caractère à la fois révélé et fatal de et du premier à l’ultime de ces nus exterminateurs
la beauté pour Le Caravage : dans le Martyre, s’affirme une progression.
c’est au bourreau, splendide exemple de muscu­ Retrouvée il y a peu d ’années par le Professeur
lature plébéienne, que sont dévolus la vedette Roberto Longhi, l’Hérodiade a été peinte en 1609,
lumineuse et le rôle d ’assassin ; dans la Vocation, année de la mort du peintre. Comment n ’être pas
l’ambiguité est plus subtile : la lumière, qui intrigué encore une fois par ce bourreau mongo­
s’accroche sur tous les visages présents dans le loïde, triste et laid? Le personnage est toujours nu,
tripot, en désigne un plus particulièrement; c ’est mais son charme a disparu. La dernière étape
celui d ’un adolescent coiffé d ’une toque noire de l’idéalisation aura été le bourreau du M ar­
à plumes, qui s’accoude désinvoltement sur l ’épaule tyre, en qui la splendeur d ’un corps animé par
de son voisin et qui regarde entrer le Saint avec l'énergie le dispute à la laideur que la haine suscite
une tranquillité un peu insolente, tandis que le sur son visage. La rencontre de l’Ange n ’est
voisin, vieux râcleur de cartes, lui jette un regard qu ’un mythe. La mort est une affaire sanglante et
incrédule. Dans la logique autonome du tableau, brutale. Elle n ’est que cela.

L ’art fan tastiq ue de tous les tem ps


Dans un accès de délire critique, Berenson reproche catastrophe. Maintes années plus tard, les meilleurs
au Caravage d ’avoir échoué à créer un univers critiques non plus ne s’y tromperont pas : le
propre! Il lui reproche également de n ’avoir Bacchus, c’est l’Olympia de Manet. Entre ces deux
pas situé ses scènes et d ’avoir négligé de tirer toiles, que d ’années perdues!
tout le parti qu’il aurait pu de ses connaissances Un apparent paradoxe veut que cette quête du
anatomiques. Sans effort excessif d ’imagination, miracle qu’est l’œuvre du Caravage ait été pour­
on peut répondre que si Le Caravage néglige de suivie à travers une recherche du réel. Alors qu’il
situer ses scènes, c’est q u ’elles se situent dans aspire secrètement à la rencontre de l’imaginaire,
un espace intérieur, que s’il néglige d ’exploiter le peintre se déclare lui-même incapable de peindre
ses connaissances anatomiques, c’est qu’il se une touche sans modèle. La contradiction n ’est
range résolument à l’écart des tendances de son que dans les mots. Au-delà du drame personnel,
époque. Et ce qui donne, justement, leur carac­ ce qu’illustre l’œuvre du Caravage, c’est le conflit
tère unique à ses nus masculins, c’est q u ’il est le de l’œil et du réel, du visible et de l’imaginaire.
premier de toute la Renaissance à n ’avoir pas Alors que son époque, idéaliste et aristotélicienne,
pratiqué le nu masculin en référence à l’antiquité, exige de ses artistes une illustration respectueuse
mais pour ses possibilités expressives seules. de ses mythes, Le Caravage révolté entend d ’abord
restaurer la représentation picturale dans sa vérité :
LA LUTTE AVEC L ’ANGE exprimer une vision personnelle au lieu d ’une
conception collective. Il découvre alors, dans sa
Quant à son univers, il fut d ’emblée si aisément rebellion, les aspects plus profonds d ’une anti­
identifiable qu’il suscita l’immense mouvement nomie entre le vu et le conçu. Déjà divorcé d ’avec
d ’imitation que l’on sait. N ’y a-t-on pas seulement son temps, le voici déchiré en lui-même! C ’est
songé? Pourtant, cette attente du miracle con­ cette double fêlure qui en fait cet homme mécon­
fondue avec l’appréhension de la mort, qui semble tent, perpétuellement hargneux, que décrivent
une illustration de Kierkegaard, cette interpré­ ses contemporains. Il a l’orgueil de ces fêlures,
tation de la lutte avec l’Ange, cette vision tra­ certes, elles sont un privilège, et il le témoigne
gique du monde, enfin, ne sont-ce pas des caracté­ assez par son mépris infernal à l’égard de ses
ristiques sans exemple dans la peinture occidentale ? contemporains. Mais cela aussi lui fait, comme
Caractéristiques, en tous cas sans exemple, dans dirait Hegel, une « conscience malheureuse » ; à
la peinture de la Renaissance, et qui annoncent l’extrême de son aventure, il sombrerait dans la
clairement le Romantisme et l’art du xxe siècle. folie décrite par Balzac dans le Chef-d’œuvre
Certains voudraient voir dans le Tintoret le inconnu : celle du peintre égaré par l’inexistence
véritable précurseur du Romantisme ; mais comme de la ligne et qui couvre son chef-d’œuvre de
il semble diffus en regard du Caravage! L ’un barbouillages indéchiffrables. Justement, pour Le
suscite des fantômes curieusement privés d ’iden­ Caravage, la ligne non plus n ’existe pas (et l’on
tités, l’autre crée des personnages qui vont sortir ne connaît qu’un seul dessin de lui).
de ses toiles pour entrer dans Dostoïevski. Le Son infortune, cependant, est assez grande sans
bourreau du Martyr, mais c’est Raskolnikov! la folie. Parti à seize ans à la rencontre de l’Ange
Le Christ à la colonne? Muichkine! promis par son époque, animé d ’une ferveur pas­
Géricault, d ’ailleurs, en Le Caravage, recon­ sionnée, il meurt de fièvre, misérable et seul, à
naîtra son maître. Hanté par la pulsion de mort P ort’Ercole, sans avoir rien connu que le bruit
qui le tue à 32 ans et qui a tué Merisi à 36, il et la fureur. Et, pour permettre que l’on mesure
essaiera toute sa vie de s’en libérer par la pein­ son amertume, il laisse quelques images de l’impos­
ture. Son paroxysme, c’est le « Radeau de la sible amant. Son aventure ressemble à celle d ’un
Méduse », grand « machin » composé de fragments saint ; mais c’était un peintre.
admirables, corps d ’archanges écroulés après la G É R A L D M ESSA D IÉ.

Les nus du C aravage


LE M A R T Y R E D E S A IN T M A T H IE U . D É T A IL L A V O C A T IO N D E S A IN T M A T H IE U . D É T A IL

L’art fan tastiq ue de tous les tem ps 41


Les « S p e c t a c le s » de Nicolas Schoffer
Jacques M énétrier

Regarde£ l ’arborescence extraordinaire des centrales électriques,


les volumes séduisants d’un avion à réaction, une tour de radar
avec ses éléments mobiles, un calculateur électronique... Nous avons
une autre ambiance que celle de l ’homme du X V I I I e ou du
X I X e siècle. Nous ne pouvons pas l ’ignorer, nous qui prétendons
être des créateurs sensibles... n ic o l a s. sc h o f fe r

L ’ULTRA-MODERNE ET LA RÉALITÉ FANTASTIQUE


Au-delà de la sculpture,
A tous les horizons de la pensée, de la recherche, de l’expression, le
de la musique, moment actuel voit poindre de nouvelles perspectives. Cette fin du
et de la peinture deuxième millénaire pourra vraisemblablement se caractériser par les
excès d ’une civilisation décadente et les ébauches d ’une renaissance ou,
Un orgue de formes, tout au moins, d ’une évolution vers de nouveaux rapports entre
de sons et de couleurs l’homme et ses œuvres.
La vie collective, inscrite dès aujourd’hui dans le devenir des sociétés,
implique une adaptation entre les êtres et leurs machines. Si paradoxal
Un art global au service que cela puisse paraître, l’Art peut être précurseur s’il sait s'ouvrir
de la vie collective vers de nouveaux modes d ’expression qui dépassent le dialogue
particulier entre l’artiste et le spectateur, pour atteindre au collectif
et, par là, à l ’essentiel.
Les recherches de Nicolas Schoffer me paraissent représenter très
exactement cette ouverture.
Nicolas Schoffer fut initialement un sculpteur dans la mesure où il
travailla la matière pour lui donner des formes à trois dimensions.
Son problème fut ce q u ’il a appelé la « spatio-dynamique », c’est-à-dire
la définition de l’espace contenu dans des structures (métalliques en
l’occurrence). En soi, ses ouvrages, ou plutôt ses constructions, per­
mettaient déjà d ’aborder les « formes ouvertes » et, ainsi, de participer
à la recherche dite « abstraite ».
Ces structures appelaient le mouvement, car leur seule rotation
permettait de découvrir les variations incessantes de l’espace et de
dépasser le statisme habituel des «formes fermées ». Schoffer eutalois
Nicolas Schoffer :
« Il est nécessaire que FArt,
comme le Monde contemporain,
cherche et découvre sa voie,
et toute action dans ce sens
est légitime ». L’art fan tastiq ue de tous les tem ps
indescriptible, d ’une « abstraction » constamment
neuve, toujours belle et complètement différente
des meilleures approches picturales ou sculptées.

DES RYTHMES ÉLECTRONIQUES

Par cette première étape, décisive, j ’ai acquis le


sentiment d ’une ouverture de l’Art vers sa réalité
fantastique, celle que masquent les procédés tradi­
tionnels figés dans un espace à deux ou trois
dimensions. Schoffer poussa plus loin l’expérience
et sa recherche s’étendit aussi bien aux formes
qu’aux rythmes colorés. L ’anamorphose, les
combinaisons lumineuses, les variations du mouve­
ment et leurs intégrations par un contrôle électro­
nique, ouvrirent à la sensation de nouvelles pers­
pectives. Chaque spectacle devenait plus fantas­
tique et, par là, plus réel.

PUIS L ’ASSOCIATION DE LA MUSIQUE

Un soir, Schoffer associa la musique aux images


de l’écran et une nouvelle étape se trouva engagée.
Je me souviens encore de mon étonnement et de
mon inquiétude. Devant nous se déroulait le
spectacle maintenant familier de la création inces­
sante d ’un univers libéré. Une sonate de Beethoven
puis un solo de jazz se firent entendre ou, plutôt,
s’intégrèrent dans notre sensation pour ne plus
pouvoir se dissocier de notre vision. Le monde
Sculpture spatio-dynamique : un spectacle continu lumineux des formes était musical et la musique
et sans cesse renouvelé. « Ainsi, dit Schoffer, était ce monde lumineux, sans qu’il y ait de diffé­
la sculpture devient une œuvre aérée, rence entre le piano, la trompette, la lumière et la
transparente et pénétrable de tous côtés. » forme.
Complètement envoûté, je ne savais plus ce que
j ’entendais ni ce que je voyais et, pendant une
l’idée de projeter sur ses structures mobiles des demi-heure, je pénétrai dans un univers où la
« faisceaux » de couleurs fondamentales et, ainsi, sensation n ’appartenait plus en propre à l’oreille
d ’introduire des « variations », suffisantes pour ou à l’œil, se trouvait transcendée au-delà des
supprimer pratiquement toute répétition. J ’ai eu la distinctions fondamentales. J ’ai essayé d ’analyser
bonne fortune d ’assister, parmi les premiers, au ce phénomène : je n ’ai pas encore compris, si ce
spectacle inoubliable de cette convergence spatiale n ’est que les variations musicales s’inscrivaient
et lumineuse à travers un écran de verre dépoli. sur l’écran et les variations lumineuses s’inséraient
La première sensation fut celle de la beauté et la dans la musique. Et cela, à partir de sons, de
seconde, celle de la création. A toutes les cadences, couleurs, de mouvements apparemment différents
ralenties ou accélérées, le spectacle s’offrait, quasi et improvisés.

Les « spectacles » de Nicolas Schoffer


Les éléments métalliques sont articulés et animés par des rythmes électroniques d'une infinie variété :
l ’oici cette sculpture au repos, puis en mouvement. Dans les dernières œuvres de Schoffer,
les couleurs (projetées en faisceaux lumineux variables ) et la musique sérielle,
s'ajoutent à la sculpture et forment un spectacle global en état de perpétuelle création.

UNE VASTE ENTREPRISE « variables » des structures, des couleurs, des


TECHNIQUE ET ARTISTIQUE sons dans un même instrument de création. Ici,
nous sommes devant l’inconnu, les surprises, les
Depuis, la recherche a rapproché intimement problèmes techniques, les difficultés qui font de
l ’esthétique de Schoffer et la méthode cyber­ 1’ « orgue » actuel un instrument de travail.
nétique. Collaborant toujours davantage, la Je pense, parfois avec regrets, à la simplicité
sculpture et l’électronique, la « spatio-dynamique » des temps passés, à la beauté naturelle des
et la « musique sérielle », l’invention artistique spectacles antérieurs. Et je me demande si la
et la curiosité scientifique, ont engagé les travaux perfection instrumentale ne vient pas, tempo­
vers des « ordinateurs » associant les différentes rairement, détourner la création de sa pureté. Je

L'art fantastique de tous les temps 45


Sculpture cybernétique et spatio-dynamique sur la scène du Théâtre Sarah Bernhardt, en 1956.
Un cerveau électronique règle les évolutions dans les trois dimensions de l'espace, de cette sculpture animée

46 Les « s p e c ta c le s » de Nicolas Schoffer


que des faisceaux de lumière projettent en ombres vivantes sur un écran.

L’art fantastique de tous les temps 47


mécaniques et énergétiques qui constituent la
base des sociétés modernes, paraît être un dénomi­
nateur commun au niveau duquel les moyens se
mesurent à leur utilité. Cette constatation est trop
évidente aujourd’hui pour y revenir mais un
aspect doit retenir notre attention : celui des
procédés audio-visuels.
Une part de plus en plus grande de la propagande,
de la publicité, de la communication, appartient
aux techniques d ’information qui conditionnent
beaucoup de nos comportements psychologiques,
conscients ou inconscients. Ceux-ci sont conformés
par des réflexes instinctifs qui vont de la suggestion
à l ’hypnose et qui généralisent une psychologie
collective grosse de sujétion et de réflexes condi­
tionnés. Ainsi, une technique, s’adressant direc­
tement aux sensations, peut provoquer des
désordres de l’équilibre humain et s’avérer nuisible
lorsqu’elle obéit à des impératifs mercantiles ou
partisans. Alors qu’elle peut être utile dans la
mesure où elle se met au service de la connaissance
et de l’art.
Musiscope I960. Les recherches de N. Schoffer appartiennent à
En agissant sur les touches d'un clavier électronique Y audio-vision, dans ses spectacles comme dans ses
l'artiste peut obtenir a volonté sur un écran procédés électroniques, mais elles apportent à ce
différentes familles d'images colorées, moyen une utilité certaine, voire même une portée
les combiner, faire varier leur netteté sans limites apparentes par son inspiration esthé­
et leur intensité lumineuse, accélérer, tique et son sens organique. J ’ai déjà décrit la
ralentir ou stopper leur déroulement temporel. sensation d ’euphorie, d ’apaisement heureux,
provoquée par cette manière d ’exprimer un dyna­
misme créateur accordé intimement au rythme
du vivant. Ce « conditionnement » bienfaisant
me paraît être la contrepartie des procédés
actuels, en ce qu’il provoque la joie, la libération,
sais que cette nouvelle étape est nécessaire et aux lieux et places de l’hypnose et de la sujétion.
qu’elle sera féconde dans la mesure où elle asso­ Dans un monde angoissé de son destin et de ses
ciera des éléments structurels, lumineux, musicaux, œuvres, il devient nécessaire, indispensable même,
conçus pour être associés ou, plutôt, intégrés les d ’assurer, par la technique elle-même, une commu­
uns aux autres. Je crains seulement q u ’un certain nication avec une harmonie universelle, perma­
conditionnement « mécanique » n ’apparaisse. C ’est nente bien que masquée. Les sensations provoquées
là que se posent toute la question et tout le sens par les « sculptures » de Schoffer appartiennent
de l’œuvre de N. Schoffer. à une véritable thérapeutique du « mal du siècle »
et, par surcroît, elles s’accordent à d ’autres
ATTENTION AU CONDITIONNEM ENT procédés, psycho-physiologiques, qui agissent,
eux aussi, sur les échanges et sur les blocages des
Le conditionnement humain, par tous les procédés « circuits » d ’information.

48 Les « s p e c ta c le s » de Nicolas Schoffer


DES SPECTACLES
POUR LES CITÉS M ODERNES

Q u’elle soit individuelle ou collective, l’influence


de ces « spectacles » audio-visuels semble devoir
participer au fonctionnement d ’une vie collective
potentielle, apportant au monde du conscient et de
l’inconscient une possibilité d ’atteindre à une
réalité fantastique, libératrice des contraintes d ’un
âge énergétique. Pour ma part, je souhaite voir
cette nouvelle forme de l’Art, cette synthèse de
sensations, s’insérer dans tout le « climat » des
cités modernes pour délivrer en partie les hommes
de leurs obsessions, de leurs angoisses et de leurs
déterminismes.
Mais il serait dangereux de livrer complètement
cette « âme des choses » aux seules forces énergé­
tiques, aux seuls contrôles électroniques. Ceux-ci
doivent demeurer sur leur plan, celui d 'instruments
au service d ’une création qui n ’appartient q u ’à
Y esprit, qu’à l ’inspiration. Un « orgue », si parfait
soit-il, ne peut être que l ’outil d ’un créateur, qu’il
soit sculpteur, peintre ou musicien. Faute de quoi,
il pourrait devenir simple et terrible, un moyen
de conditionnement.
Je sais que ce danger est exclu actuellement. Je
pense seulement à ce qu’il pourrait être le jour
où les recherches de Schoffer seraient utilisées à
d ’autres buts que ceux d ’un Art mis au service
d ’un mieux-être collectif et d ’une libération
individuelle.
JA C Q U E S M É N É T R IE R .

Tour cybernétique de Liège. 1961.


Les plaques miroirs, tournant autour d'axes mobiles,
pivotent à des vitesses différentes
selon un rythme général constamment régi
par les informations communiquées
par les divers organes du cerveau électronique.
Les saints et la médecine magique
Étude et photos de Brassai'

II y aura des guérisseurs, sous quelque forme que ce soit, aussi


longtemps que de nouveaux dogmes plus totaux, plus vrais, mais
tout aussi destinés, à leur tour, à être dépassés, ne seront pas formulés.
Dr GEORGES VERNE.

DES CHAPELLES QUI SONT DES OFFICINES


Y eux, seins,
plaies, stérilité, etc... « Pour une demande adressée directement à Dieu, on en fait au moins
cent à la Sainte. Nous venons d ’être témoins de ce fait : ils daignent à
Des saints patrons peine accorder une inclination de tête aux chapelles dédiées à Dieu,
de Services spécialisés et, lorsqu’ils approchent de celle de leur Saint favori, ils se courbent
Les légendes, les faits, respectueusement jusqu’à terre. L ’ignorance et la superstition ont
les superstitions toujours été inséparables. Ils pensent peut-être que le Tout-Puissant
a assez régné... et dans leurs affaires particulières c’est ordinairement
Des dévotions populaires à leur Saint protecteur qu’ils s’adressent d ’abord. »
aux réalités d ’ordre C ’est ainsi que le voyageur anglais Brydon exprime sa stupéfaction
psychique en 1770, dans son récit de voyage d ’Italie. Rien n ’est changé depuis.
Dans la plupart des églises d ’Italie — et surtout dans celles de l’Italie
méridionale et de la Sicile — le maître-autel est plongé dans l’obscurité,
la Vierge Marie reléguée dans la pénombre, le Christ, le Saint-Esprit,
à peine visibles dans leurs chapelles abandonnées... Tous les cierges
et toutes les prières vont à la statue d ’un saint qui violemment éclairé
par des feux de rampe et entouré de centaines d ’ex-voto étincelants
rayonne dans sa cage de verre. Naples est probablement la ville la
plus riche en « saints guérisseurs » et les Napolitains sont peut-être
encore plus doués que les Espagnols pour la mise en scène théâtrale
de leurs vedettes.
J ’en ai pu photographier quelques-unes : Santa Agata « spécialiste
des seins », Santa Lucia, « spécialiste des yeux », Saint Gilles
« spécialiste des plaies », dans les églises San Cosmo, San Filippo
et San Giacomo de Naples.

L 'art fan tastiq ue de tous les tem ps


A LA RECHERCHE DE L’EX-VOTO gresser. Saint Gilles, par exemple, l’ermite grec,
ET DU SAINT'SPÉCIALISTE Aegidius au vne siècle, qui vint dans le midi de la
France pour fonder l’abbaye Saint-Gilles en 685,
L ’ex-voto est encore de nos jours une industrie guérit surtout les épileptiques, les démoniaques en
très florissante de l’art populaire. En Sicile, en les revêtant de son manteau. Il n ’est efficace
Espagne, on les exécute en cire ou en celluloïd. aujourd’hui que pour les plaies, ayant reçu un
En Grèce, en Italie du Sud, en métal argenté. Ceux jour lui-même une grave blessure. Que saint Gilles
de Grèce sont plus frêles et plus frustes. Ceux n ’ait voulu mettre aucun remède sur sa propre
d ’Italie, plus rigides et plus décoratifs. Avec leur plaie, priant Dieu « qu’il ne fût jamais guéri de
relief si efficace pour accrocher la moindre sa vie, car il savait bien que l’infirmité rend la vertu
lueur dans les ténèbres des églises, ce sont plus parfaite », ne décourage point ceux qui
des petits chefs-d’œuvre de l’art naïf. Ils repré­ préfèrent leur guérison à leur vertu. De même
sentent toutes les parties du corps — même les sainte Agathe qui fut martyrisée par ses seins, ne
organes intérieurs — et aussi les « bambinos » et guérit que les seins. Selon la Légende dorée, cette
tous les animaux domestiques. Tout ce qui est sujet jeune et riche chrétienne d ’une grande beauté,
à la maladie possède aussi son ex-voto. Quand issue d ’une famille noble de Catane, vécut au
à Naples, non sans mal, j ’eus réussi à dénicher nie siècle après J.-C. Quincien, le proconsul romain
l’une des sources des ex-voto et en eus choisi une de Sicile, désirait l’épouser. Mais Agathe resta
vingtaine pour les acquérir, la marchande me inébranlable : elle ne voulait pas renier le Christ
regarda avec pitié et commença à se lamenter ; elle ni sacrifier aux idoles. Le proconsul la fit alors
pensait que j ’étais affligé d ’une vingtaine de maux... attacher sur un chevalet, commanda que ses seins
Mais pour se guérir, il ne suffit pas de posséder fussent tordus, meurtris, puis coupés. Agathe lui
l’ex-voto de l’organe malade. Il faut savoir aussi à dit : « Méchant, cruel et pervers tyran, n ’es-tu
quel saint se vouer... Rares sont les saints qui pas confus d ’avoir fait couper à une femme ce que,
pratiquent la « médecine générale ». La plupart toi-même, tu as sucé de ta mère? Dès mon enfance,
sont des « spécialistes » et il faut les trouver. Santa j ’ai consacré dans mon âme mes seins à Notre-
Apollonia guérit les maux de dents. Elle est Seigneur. » Or, par un miracle, sainte Agathe fut
souvent représentée tenant à la main une tenaille guérie en prison et « ses seins rétablis dans sa
qui serre une molaire. San Biagio guérit les poitrine ». Voyant cela, le proconsul voulut recom­
maux de gorge. San Luigi Gonzaga de Mantoue, mencer la torture de ses seins et ordonna de
les troubles sexuels. San Rocco est en chômage, brûler la poitrine nue. Mais, à peine le feu allumé,
car il n ’était fameux que pour guérir la peste. un violent tremblement de terre secoua Catane,
San Alfio de Trecastagni, au pied de l’Etna, faisant beaucoup de morts. « Si nous souffrons,
guérit les muets... Les plus célèbres parmi les hurla la population, c’est que tu martyrises
saints guérisseurs d ’Italie sont sans conteste : Agathe! » et elle exigea du proconsul, qu’il libère
Santa Lucia, Santa Agata, San Gilles et enfin la vierge. Épuisée par ses souffrances, la Sainte
la dernière venue, la Sainte qui monte et qui va mourut le 5 février 213. Elle n ’avait que quinze ans.
éclipser bientôt toutes les autres : Santa Rita. Quant à Quincien, raconte toujours la Légende
dorée, les chevaux emballés de son char l’écra­
CELUI QUI GUÉRIT LES PLAIES, sèrent. Depuis, on vénère la vierge, patronne de
CELLE QUI GU ÉRIT LES SEINS la cité de Catane. Et chaque fois que l’Etna gronde
et que la lave incandescente s’avance vers la ville,
En principe un Saint ne peut guérir que la partie on brandit le voile de la martyre, pour l’arrêter.
du corps par laquelle il a souffert le martyre ou Vénérée en toute l’Italie, sainte Agathe est devenue
le mal dont il fut lui-même affligé. C ’est presque la sainte qui guérit les seins.
une loi q u ’aucun Saint n ’a le pouvoir de trans­

Les saints et la m édecine m agique


SANTA LUCIA la France — celle dans la vieille ville de Nice est la
ET SA LÉGENDE POPULAIRE plus fréquentée — et même à Paris. Le clergé
français résista longtemps à l’intrusion de cette
La vie de Santa Lucia ressemble beaucoup à celle sainte étrange et étrangère. Mais il dut céder à la
de sainte Agathe, qui fut d ’ailleurs son inspiratrice. pression populaire. Au moment même où, finale­
Née également en Sicile, à Syracuse, au m e siècle ment, il l’admit dans son église, le curé de Saint-
après J.-C., elle a trouvé, elle aussi, son bourreau Eustache ne sut réprimer son indignation, et
en la personne d ’un proconsul romain, Pascasien, on put longtemps lire cet écriteau fixé sur la statue
qui voulait la prendre pour maîtresse. La chaste de Santa Rita : « Vous l’avez voulue, vous l’avez ».
Lucie ne voulait pas céder. « Je te ferai amener Elle est vénérée en Asie — surtout aux Indes — et,
dans une maison de prostituées, la menaçait alors même aux États-Unis, plus de trente bourgades
le proconsul, tu seras livrée à tous les hommes portent le nom de Santa Rita. D ’où vient sa
de la ville et corrompue, tu perdras ton Saint- grande renommée? Elle ne fit aucune guérison,
Esprit! » Mais quand les hommes de Pascasien elle ne fut pas vierge, elle ne fut jamais martyrisée
vinrent pour l’emmener, raconte la Légende dorée, et mourut d ’une mort naturelle à l’âge de 76 ans.
le Saint-Esprit rendit son corps si pesant, qu’ils Mais, voici, elle était mariée et épouse malheureuse.
ne pouvaient pas le bouger. Attachée par les mains Pendant dix-huit ans, elle subit la tyrannie d ’un
et les pieds, mille hommes et cinquante bœufs mari méchant, coléreux, violent, qui la rouait de
essayèrent de tirer Santa Lucia. En vain. Fina­ coups et l’accablait d ’injures. Le grand miracle
lement elle fut brûlée vive et poignardée. Mais la dans la vie de cette sainte fut qu’après 18 ans de
croyance populaire a créé une légende beaucoup mariage, subitement, ce mari acariâtre fut trans­
plus poétique. Selon celle-ci, Santa Lucia n ’aurait formé en un époux exemplaire. « Touché par la
subi aucun martyre. Elle résista à Pascasien, grâce de Dieu, raconte l’Histoire Sainte,
passionnément épris d ’elle. Et un jour quand il Ferdinando — ainsi s’appelait son mari — se jeta
lui dit : « Vous avez les plus beaux yeux du aux pieds de sa vertueuse épouse pour lui demander
monde! », elle ne répondit rien, disparut, et revint pardon. Le loup était changé en agneau. » C ’est
lui tendant sur un plateau d ’argent ses beaux yeux pourquoi Santa Rita est peut-être « la Sainte des
qu’elle venait d ’arracher. C ’est d ’ailleurs ainsi, ses cas désespérés ». Pour toutes les épouses dont le
yeux sur un plateau tenu dans ses mains que Santa foyer est un enfer, Santa Rita ne serait-elle pas
Lucia est représentée dans la plupart des églises l’espoir du même miracle? Vêtue de l’habit des
d ’Italie. Et l’on comprend q u ’elle soit, parmi les religieuses de l’Ordre de Saint Augustin — car
saints guérisseurs, la grande « spécialiste » des devenue veuve, par une faveur exceptionnelle,
yeux, et que, dans tous les pays scandinaves elle fut admise dans cet Ordre —, son corps repose
plongés pendant de longs mois dans l’obscurité, dans une châsse en verre à l’église de Cascia. On
elle soit la seule sainte vénérée, la sainte de la s’adresse à elle si l’on est malheureux en ménage,
lumière. si l’on veut avoir un enfant et dans tous les cas
désespérés. Parmi ses nombreux adorateurs, on est
L ’ÉTRANGE GLOIRE DE SANTA RITA un peu surpris de voir figurer Christian Dior, le
grand couturier parisien, qui ne dessina jamais
Actuellement, la plus populaire sainte d ’Italie est une collection sans implorer l’aide de Santa Rita
sans conteste Santa Rita, surnommée « la Sainte et qui fit à plusieurs reprises le pèlerinage à Cascia.
des cas désespérés ». Née en 1381, près de Pérouse
en Ombrie, béatifiée en 1628, le pape Léon XII
la plaça au nombre des saints. Brusquement, au
xxe siècle, sa dévotion franchit les frontières de
l’Italie. Elle a plusieurs chapelles dans le midi de

Les saints et la m édecine m agique


Santa Lucia, « spécialiste des yeux » ( Église San Cosmo)
DES D IV IN ITÉS Les images naïves de Laghet ou des Saintes-M aries-
A LA M É D E C IN E M O D E R N E de-la-M er ou des églises bretonnes, ne sont pas
des signes de gratitude p o u r une guérison, mais
La croyance en le pouvoir guérisseur de certaines p o u r une intervention occulte au cours d ’un
divinités existait un peu p arto u t sur le sol de la événem ent : naufrage, incendie, accident, catas­
Grèce et de l ’Em pire rom ain. D ans les temples, trophe où p ar miracle on a échappé à la m ort (1).
Delphes, Ephèse, etc... consacrés à Diane, des L ’unique rôle assigné aux saints guérisseurs est
offrandes s ’accum ulaient. Les guerriers offraient celui de guérir. Pour tous les fervents, l’idéalisme
aux dieux leurs boucliers — les athlètes, leurs spirituel se mêle à un réalisme très pratique. Cette
couronnes de triom ple — les femmes, leurs voiles, thérapeutique religieuse ne peut faire sourire que
leurs ceintures, leurs chevelures et les malades ces ceux qui oublient que la même science médicale
mêmes petites plaques métalliques représentant qui eut raison des superstitions, met de plus en
les bras, les jam bes, les seins et d ’autres parties du plus en évidence l’origine psychique (2) de maintes
corps q u ’on peut voir a u jo u rd ’hui dans certaines maladies physiques (tuberculose, ulcère, asthme,
églises grecques ou italiennes. Je fus très surpris etc...) et p ar ce biais justifie en quelque sorte
d ’apercevoir un jo u r ces minuscules et frustes l ’auto-suggestion, la confiance en un pouvoir
ex-voto rom ains dans une vitrine du musée archéo­ occulte, et aussi la foi, com me indispensable base
logique de Dijon. Ils provenaient d ’un petit temple de toute guérison. Et qui sait si un jo u r la psychoso-
gallo-rom ain élevé à l ’endroit même où jaillit la m atologie — cette nouvelle science, sœur de la
principale source de la Seine. Ce sont les fouilles psychanalyse — , qui s ’évertue à m ettre à jo u r les
pratiquées sur cet em placem ent à diverses reprises causes psychiques des maladies, ne légitimera
qui m irent ces ex-voto à jo u r et, avec eux, quelques pas le pouvoir thérapeutique des saints guérisseurs ?
statues de déesses mères et divinités des sources BRASSAI.
à qui les Rom ains attribuaient un pouvoir m ira­
culeux de guérison. Les ex-voto de nos églises
chrétiennes sont donc l ’héritage de survivances (1) Toutefois la Bretagne parmi ses saints locaux d ’origine celtique,
que seule la vénération populaire a canonisés, possède aussi quelques
païennes. saints guérisseurs invoqués chacun pour sa spécialité tels sainte
On peut toutefois se dem ander com m ent leur H ouarniaule, saint Meen, saint Lubin, et, dans l’église de
M oncontour, saint M am ert qui guérit les coliques et saint Libertin,
pratique n ’a pas continué sur le sol de la Gaule. q u ’on consulte pour les maux de tête.
En France, curieusem ent, l ’ex-voto a pris une (2) Voir l ’article du D r Jacques M énétrier sur le fantastique dans
la médecine moderne (N° 2 de Planète). Voir aussi l ’étude d ’Aldous
to u t autre form e et une tout autre signification. Huxley dans le N° 3.

Santa Rita, « spécialiste de la fem m e incomprise » (Naples).


B R AS S AI
Né le 9.9.1899 à Kronstadt (Brasov)
en Transylvanie (Hongrie, devenue
Roumanie), il est Français depuis
1959. Brassai se destinait à la peinture.
Inscrit à l ’école des Beaux-Arts de
Budapest (1921-1929), puis à l ’Académie
des Beaux-Arts de Berlin-C harlotten-
bourg, il fa it la connaissance du
mouvement « Sturm », et fréquente
Herwert Walden et Kandinsky.
Depuis 1923 il vit à Paris, surtout à
Montparnasse et fa it du journalism e.
Ju s q u ’à l ’âge de 30 ans il n ’a jamais
fa it de photographie.
En 1932, il travaille à son premier album
« Paris de N uit » qui paraît en 1933
à Paris, puis à Londres.
En 1925, Brassaï fait la connaissance
du groupe surréaliste A ndré Breton, ,, , ,
Paul Eluard, Salvador Dali et aussi L ne façon de voir
d ’A ris tid e M aillol, de Braque, de
Giacometti, de Matisse.
En 1946, sur l'incitation de Picasso,
il fa it une exposition de dessins à Paris.
En 1945, il crée le premier décor photo­
graphique pour le ballet « Le Rendez-
vous », de Jacques Prévert.
En 1948, Brassai publie « Les Sculp­
tures de Picasso ».
En 1949, il publie « H istoire de Marie »,
un texte dans l'e s p rit de ses photo­
graphies avec une longue introduction
de Henry Miller dont il est l'am i intime
depuis 1930.
En 1952, paraît « Brassaï », 80 photos,
textes, dessins et sculptures, avec un
texte d ’Henry Miller, « L ’œil de Paris »,
écrit en 1932.
En 1954, paraît « Sévi Ile en fête »
avec un texte d ’ Henri de Montherlant.
En 1956, Brassaï achève son premier
film « T a n t q u ’ il y aura des bêtes».
210 photographies de G raffiti ont été
exposées au Muséum of Modem A rt
de New York (du 24 octobre au 6 janvier
1957).
En septembre 1958, Brassaï a exécuté
un panneau photographique pour le
nouveau palais de l ’ Unesco en même
temps que Picasso, Miro, A rp , Matta,
Tamayo, Nagouchi, Calder, Moor.
A u mois de mars 1960, Brassaï a exposé
une suite de 12 gravures inédites et
50 sculptures à la galerie de Port-
Royal de Paris.
En été 1960, la Triennale de Milan
consacre une importante exposition
à l ’œuvre de Brassaï.
En novembre 1961, il publie son album
« G raffiti ».
En janvier 1962, exposition de G raffiti
et de Sculptures chez Daniel Cordier.
Une façon de faire

L’art fantastique de tous les tem ps 57


Photo Jack Le Curziat <A lla s-P h o to .
Matière vivante et transmutation
Louis K ervran

On n’étudie point la nature vivante en dehors de son activité.


F U L C A N E L L I.

UNE ÉN ERGIE SPÉCIFIQUE DE LA VIE ?

Des transmutations Toutes les études actuelles sur la médecine, sur la nourriture de
au sein de la nature? l ’homme et des animaux, sur l’agriculture, en somme toutes nos
connaissances sur les mécanismes de la vie sont basées sur la chimie :
Un curieux retour les phénomènes vitaux sont des phénomènes chimiques.
Tel est l’axiome jusqu’ici indiscuté.
aux sources Les progrès de la physique, les découvertes sur l’atome n ’ont fait
alchimiques que préciser ce q u ’est, à l’échelle de l’atome, une réaction chimique.
Un atome est composé d ’un noyau électriquement positif, autour
S ’agit-il d’une duquel tournent des particules négatives, les électrons, sur des orbites
découverte capitale? placées à diverses distances du noyau. Dans une réaction chimique,
ce sont seulement les électrons périphériques qui se déplacent.
Ainsi la physique nucléaire venait appuyer la chimie classique,
l ’expliquer, de même que la classification des éléments, des « corps
simples », établie empiriquement, trouvait une explication au niveau
de l’atome de chacun de ces corps simples.
Cependant l’étude de la radioactivité apportait une petite brèche
dans ce bel édifice : alors qu’on avait admis que les corps simples
sont immuables, q u ’il est impossible de créer du carbone, du sodium,
etc., que ces éléments peuvent passer d ’une molécule à l’autre, se
combiner entre eux, mais qu’on doit toujours retrouver quantita­
tivement et qualitativement ces corps simples, la radioactivité montrait
q u ’un corps simple pouvait se transmuter et, du radium, par exemple,
on pouvait aboutir au plomb.
La physique nucléaire déterminait les lois de ces transmutations et

Les o uvertures de la science


la formule d ’Einstein permettait de calculer les remarquer que le noyau du potassium était celui
énergies mises en jeu dans ces réactions nucléaires du calcium moins un noyau d ’hydrogène ; quant
(car c’est aussi le noyau qui, ici, se transformait) ; au noyau du magnésium, c’est celui du calcium
elles étaient considérables. Les applications de moins le noyau d ’oxygène. Ainsi tout se passe
l’énergie atomique le confirmèrent... et ce fut la comme si ces bactéries prélevaient de l’hydrogène
bombe atomique. Telle est encore la position et de l’oxygène au sein du noyau du calcium,
officielle. réalisant ainsi des modifications, non pas au
niveau des molécules, mais au niveau du noyau :
IL Y A D ’AUTRES PROPRIÉTÉS c’est-à-dire des transmutations.
DE LA M ATIÈRE
OBSERVATION SUR DES POULES
Il n ’est nullement dans notre intention de mettre
d ’ailleurs en doute cette position, ni les résultats Il m ’est aussi revenu à l’esprit que, tout enfant,
obtenus. j ’étais intrigué par le fait que, dans les parties
Mais nous estimons que c ’est une erreur d ’affirmer granitiques de la Bretagne, les poules pondeuses,
que ceci est à généraliser dans tous les cas, que à longueur de journée, en dehors des repas,
c’est toujours vrai. picoraient les petites paillettes de mica jonchant
Nous pouvons au contraire affirmer, avec force, le sol. Pour quoi en faire? Cette question resta
qu’il y a autre chose, des cas où ce n ’est pas vrai, en suspens dans mon esprit jusqu’au moment
où tout ce qui a été admis officiellement est où je fus amené à admettre l’idée que des trans­
inapplicable. Il y a des propriétés de la matière mutations pouvaient se produire dans la nature
autres que celles qui ont été admises. vivante.
Des observations que tout le monde a pu faire Le mica a sensiblement la composition de l’argile,
montreront qu’il suffit de ne pas être intoxiqué mais, en plus, contient du potassium. Je me suis
par des théories aveuglément admises pour être dès lors demandé si la poule ne faisait pas, en
certain que la science classique est en défaut présence de mica et absence de calcium, la réaction
dans certains cas. inverse de celle des bactéries du salpêtre, et si
ce n ’était pas le potassium qui lui servait, dans
OBSERVATION SUR DES BACTÉRIES les régions sans calcaire, à produire la coquille
calcaire de son œuf.
Pendant des siècles on s’est servi de salpêtre Pour le vérifier, dans la région parisienne, dans
naturel pour fabriquer la poudre noire. Le un poulailler au sol d ’argile (avec des rognons
salpêtre brut est un mélange de nitrates de chaux, de silex), je laissai des poules pondeuses sans
de potasse et de magnésie que l’on récoltait sur calcaire. Au bout de quelques jours, les réserves
le mortier de chaux des murs humides et tièdes de leur organisme épuisées, elles pondirent un œuf
(étables, caves, maisons au bord de la mer, pays à coquille molle. Le jour même, je leur apportai
par moments humides et chauds à sol calcaire) ; du mica sur lequel (bien qu’elles n ’en aient
ce salpêtre brut, par des dissolutions et évapo­ jamais vu) elles se jetèrent avec avidité, une
rations dans des salpêtrières, était traité de volupté certaine même. Et l’œuf à coquille calcaire
façon à isoler le nitrate de potasse. Tout ceci est réapparut (coquille pesant en moyenne 7 grammes).
classique et connu. Le mica, analysé, contenait environ 5 % d ’oxyde
Mais on ne s’est pas posé la question suivante : de potassium, les autres composants étant ceux
le potassium, le magnésium, ainsi recueillis de l’argile. Mais le sol d ’argile du poulailler était
constamment sur le calcaire, d ’où venaient-ils? incapable de produire du calcium. Donc, seul
Ce sont des bactéries qui les fabriquent, à partir l’élément nouveau introduit par le mica, le
du calcium. Or, nous avons été conduit à potassium, pouvait être à l’origine du calcium,

M atière v iv a n te et transm utation


par déplacement d ’un noyau hydrogène qui, OBSERVATIONS SUR L ’HOMME
ajouté au noyau potassium, donne le noyau
calcium. Mais on sait que la vie animale aussi est née
de la mer... et le plasma de notre sang est de l’eau
VERS UNE EXPLICATION salée...
DES ORIGINES DE LA VIE Et, là aussi, c’est le sodium l’élément vital par
excellence.
Il est possible de multiplier les observations de Nous avons montré que ce sodium peut, avec
ce genre. On sait que la dolomie, qui est un sel l’hydrogène, devenir magnésium, et avec l’oxygène
de magnésium, se forme à l’intérieur des masses devenir potassium, que le corps excrète s’il reçoit
calcaires. Pourquoi? On ne l’avait jamais compris. du sodium.
Ce qui précède montre q u ’il s’agit d ’une des Le phosphore, le calcium, le soufre de nos cellules
réactions nucléaires semblables à celles q u ’opèrent sont liés aussi, par d ’autres réactions. L ’organisme
les bactéries du salpêtre. Je ne puis développer passe de l’un à l’autre, mais l’exposé détaillé
ici, mais c’est là une transition qui a conduit de ceci nous conduirait à des développements
à la formation du pétrole. scientifiques qui ne sauraient trouver place ici.
Autre question : Pourquoi y-a-t-il sur terre des Nous allons voir seulement, à titre d ’exemples,
bancs calcaires de mille à trois mille mètres quelques cas de transmutation dans l’organisme
d ’épaisseur parfois, alors qu’il n ’y en avait pas humain.
à l’ère primaire?
— D ’où est-il venu? L ’H O M M E E M PO ISO N N É PA R L ’OXYDE
— Des coquillages, dit-on. DE CA R B O N E Q U ’IL N ’A PAS RESPIRÉ !
— Bien sûr, mais où ceux-ci l’ont-ils puisé?
— Ils ont fixé le calcaire qui est dissous dans l’eau J ’ai été conduit, depuis de très longues années,
de mer, nous dit-on. à enquêter sur des accidents survenus par intoxi­
— Mais il y a environ 350 grammes de calcium cation due à l’oxyde de carbone. Or, ce qui était
par mètre cube d ’eau de mer. Ce qui correspond troublant, c ’est que, dans certains cas, il n ’y
sensiblement à une tranche de 1/10e de millimètre avait pas d ’oxyde de carbone dans l’air. Ces cas
dans un mètre cube d ’eau. Donc, le calcium, sont nombreux. Ils ont fait l’objet de recherches
entièrement fixé par des coquillages, permettrait systématiques à grande échelle, avec des moyens
une couche de carbonate de calcium voisine des puissants, dans tous les grands pays et par des
2/10 000 de l’épaisseur des océans! Un banc organismes internationaux. Sans résultats.
de calcaire de mille mètres d ’épaisseur, ainsi Les recherches que j ’ai pu faire dans la région
formé, supposerait une couche d ’eau de 5 000 kilo­ parisienne m ’ont permis de découvrir le mécanisme
mètres d ’épaisseur à l’ère primaire, ce qui est de cette intoxication... par un produit qui n ’existe
absurde... et cette absurdité n ’avait jamais été pas dans l’air respiré! Le détail de ceci a fait
calculée ! l ’objet d ’une communication en janvier 1961
Je pense plutôt que ce calcaire est venu du ma­ (et un complément en mars 1961) au Conseil
gnésium de l’eau de mer, lui-même venu du d ’Hygiène de la Seine (1). J ’ai montré que ces
sodium, par transmutation, car le noyau de intoxications se produisaient au cours de travaux
sodium, avec le noyau d ’hydrogène, donne le pendant lesquels l’ouvrier respire de l’air qui a
noyau de magnésium. léché la surface d ’un métal porté à l’incandescence.
Et ceci explique la formation des carapaces L ’azote de l’air, activé par le métal incandescent,
des crustacés, des coquillages, des coraux... jouant en quelque sorte un rôle de catalyseur,
C ’est le sel marin qui serait à l’origine de la vie,
créatrice du calcaire! (1) Repr. dans le n° mensuel d ’avril 1961 de « l’Usine Nouvelle».

Les ouvertures de la science


se voit dissocié en deux parties inégales qui sont OBSERVATIONS SUR LE M AGNÉSIUM
le carbone et l ’oxygène.
Ainsi le poumon absorbe de l’azote métastable Depuis longtemps on a remarqué que les plantes
qui se comporte comme un mélange de carbone contiennent des quantités importantes de magné­
et d ’oxygène q,ue les globules rouges, ensuite, sium (la chlorophylle est une molécule complexe
combinent chimiquement pour donner de l’oxyde formée autour d ’un noyau de magnésium).
de carbone. Suivant les plantes — et les rendements — il est
Dès lors, on comprend mieux le rôle vital, pri­ ainsi enlevé chaque année des dizaines de kilo­
mordial, de l’azote, élément caractéristique des grammes de magnésium à l’hectare. Or le sol
acides aminés de nos cellules : l’azote est la vierge ne contient que quelques dizaines de
charnière entre le carbone et l’oxygène. kilogrammes de magnésium à l’hectare. Il devrait
donc être épuisé en un an ou deux. L ’expérience
REMARQUES SUPPLÉMENTAIRES montre qu’il n ’en est rien... Alors?
Des essais systématiques faits sur le rat ont
Il est banal de dire qu’on peut s’asphyxier par des montré que la teneur en magnésium de son corps
poêles à tirage lent : la combustion est incomplète est constante... quelle que soit la teneur de cet
et il y a formation d ’oxyde de carbone. élément dans sa nourriture!
Mais, pour les poêles sans garniture réfractaire,
qui deviennent rouges quand ils « ronflent », il AU SAHARA
était dit de même, dans nos écoles : « Attention,
ne laissez jamais un poêle au rouge, car au rouge Nous avons pu apporter des- précisions sur
la fonte devient poreuse à l’oxyde de carbone l’homme. Envoyé en mission au Sahara, nous
et l’on peut s’asphyxier. » avons vu les conditions dans lesquelles tra­
A ce raisonnement je voyais deux objections : vaillaient les ouvriers au forage des puits de
a) Si le poêle tire bien, il n ’y a pas productioa pétrole. Nous avons pu disposer des analyses
d ’oxyde de carbone et, même s’il s’en produisait, faites sur la nourriture et l’excrétion d ’une équipe
par on ne sait quel phénomène, celui-ci brûlerait. de cinq travailleurs, suivis pendant 6 mois. Cette
b) Même, si, pour une raison quelconque, au durée excluait toute possibilité d ’accumulation
contact de la fonte au rouge il y a production constante d ’un élément dans l’organisme, ou
d ’oxyde de carbone, puisque le poêle tire très bien, inversement l’épuisement des réserves.
c ’est q u ’il est en dépression très vive; si la fonte La moyenne des analyses faites a montré que
est poreuse, le mouvement des gaz ne peut aller chaque homme, chaque jour, éliminait 117 milli­
que de l’extérieur vers l’intérieur... et l’oxyde grammes de magnésium de plus qu’il n ’en avait
de carbone (s’il ne brûle pas!) "ne peut que absorbé. D ’où venait-il?
s’échapper par le tuyau... Pendant la même période, au contraire, ces
On comprend maintenant la vraie raison : l’air hommes ont absorbé constamment plus de
de la pièce, venant lécher la paroi au rouge, sodium qu’il n ’en ont excrété. Il n ’a pas pu
monte, et, par convexion, se répand partout. s’accumuler pendant 6 mois. Où passait-il?
C ’est l’azote qui a été ainsi activé et qui donne, La seule explication est celle que nous avons
au niveau du sang, l ’oxyde de carbone mortel. déjà vue : le noyau sodium, avec le noyau hydro­
Il y a là un exemple montrant bien que la chimie gène, donne le noyau magnésium.
est incapable dans certains cas de nous renseigner Les milliers d ’analyses effectuées à cette occasion
sur ce qui se passe dans notre corps. Ceci prouve nous ont aussi permis de montrer que, si des
que le phénomène biologique se passe dans le ouvriers pouvaient ainsi effectuer un travail de
noyau des éléments, et n ’est qu’un stade ultérieur force, huit heures consécutives, en plein soleil
de la chimie. (ils ont été suivis au poste de travail de 12 à

M atière v iv a n te et transm utation


20 heures), sur une plate-forme métallique réflé­ sont pas également transmutables ; de sorte que
chissant la chaleur, et à des températures ambiantes la composition isotopique de l’élément organique
qui, en juillet, à l’ombre, dépassaient celle du corps n ’est pas celle de l’élément minéral. Le potassium
humain, et sans qu’il y ait de coups de chaleur, que forme ainsi la pomme de terre (en Bretagne,
c’est parce que ces hommes mangeaient salé ; au bord de la mer, après avoir reçu une « fumure »
parfois ils suçaient en outre des dragées de sel. de goémon, qu’on utilise aussi pour faire de la
Or le liquide absorbé montrait que l ’évaporation soude) a une masse atomique de 39,2 alors
de la sueur ne dépassait pas 4 à 5 litres par jour, que le potassium des tables, qui est celui de l’eau
et c’était là la seule cause connue de refroi­ de mer, a pour masse atomique 39,096.
dissement. Mais toutes les lois de la physique Dès lors les physiciens sont mal venus de parler
prouvent que, devant un tel apport de calories de calculs à la 5e décimale, quand déjà leur
(chaleur, travail, etc...), cette évaporation est première décimale est fausse! C ’est que la pomme
très loin d ’assurer l’équilibre thermique. de terre « sélectionne » l’isotope 41, qui se trouve
Ceci était resté une énigme. enrichi de 15%.
L ’examen détaillé des analyses du chlore, du
sodium et du potassium nous a montré q u ’en LA STRUCTURE DU NOYAU
juillet la proportion entre le potassium et le
sodium excrétés par la sueur augmentait de Tout ceci nous a conduit à la conviction que le
90% par rapport à avril ou septembre : le corps noyau de l’atome est d ’une structure plus complexe
transmutait le sodium en potassium, réaction que celle qui est admise à ce jour par les physiciens.
absorbant de la chaleur. Le noyau n ’est pas une masse de protons
et de neutrons indifférenciés. Des parties « pré­
LES OBJECTIONS : fabriquées » existent, faiblement accolées, et
LA PHYSIQUE NUCLÉAIRE notamment les noyaux de l’hydrogène et de
l’oxygène. Ce n ’est donc pas par un hasard
Tout ceci est impossible, nous a-t-il été dit, en que ces deux corps ont un rôle primordial en
« vertu de telle loi »... comme si une loi rendait chimie. Et, en biologie, leur effet est plus profond
quelque chose impossible! encore que prévu : c’est jusqu’au noyau que la
Mais l’évidence était là. La balance ne pouvait Nature les utilise! C ’est là l’explication qu’il n ’y
tromper. a pas de vie sans eau... ; la dissociation de la
On nous objecte que ces mouvements au niveau molécule d ’eau (H 2 O) fournit les atomes d ’hydro­
du noyau nécessiteraient des énergies colossales, gène et d ’oxygène (ou inversement), mais nous
faciles à calculer : il suffirait de prendre une n ’aborderons pas ici le mécanisme biologique
table des masses atomiques des éléments, de que nous entrevoyons, et qui, très probablement,
noter les réactions que nous indiquions et de voir passe par des enzymes spécifiques.
la masse atomique de l’élément résultant. La
différence des masses, d ’après la loi d ’Einstein, LES CONSÉQUENCES
permet de calculer l’énergie mise en œuvre.
Mais ces physiciens ignorent tout du problème 11 semble inutile d ’insister sur les conséquences
biologique ; c’est une autre propriété de la énormes que comportent, pour tout le monde,
matière que j ’ai pu mettre en évidence. ces vues nouvelles.
Les tables susvisées sont inutilisables ; un élément La médecine a été basée sur le fait que, dans
organique n ’a pas la même masse atomique notre organisme, aucun « corps simple » ne peut
que les éléments minéraux qui ont servi de base se former.
pour ces tables. Ceci parce que la Nature opère Toute la pharmacopée repose aussi sur cet axiome.
atome par atome, et choisit ses atomes ; tous ne Or nous avons vu que l’organisme peut être

Les ouvertures de la science


intoxiqué, em poisonné même, p ar des produits
qui n ’ont pas été ingérés.
Médecine, pharm acie, toute la biologie est à
repenser... y com pris notre façon de nous nourrir,
de nourrir les animaux, les plantes.
C ’est donc toute une voie nouvelle qui s ’ouvre
à la recherche dans des branches diverses.
Des essais de germ ination de graines ont été faits,
dès le siècle dernier, m ontrant que, dans la plante
germée, on trouvait un poids de certains éléments,
différent de celui que donnait l ’analyse d ’un lot
de graines-témoins.
Avec les méthodes m odernes d ’analyse, le
professeur Baranger, à l ’École Polytechnique, a
repris ces expériences p o u r les vérifier, car les LOUIS KERVRAN
résultats du siècle dernier furent suspectés (on
Louis Kervran est né à Quim per en 1901.
ne connaissait pas les transm utations atomiques). Il s'est surtout spécialisé dans la
Or, elles sont confirmées. biolo gie, et en 1957 fa isa it paraître ses
con clu sions sur les effets de l ’élec­
U ne poule est capable en un jo u r de transm uter tricité sur le corps humain. Ses travaux
du potassium en calcium à peu près à la même sont maintenant classiques, enseignés
dans les facultés de médecine et cités
échelle (en poids) que la pile de M arcoule qui dans des ouvrages de médecine du
transm ute l ’uranium en plutonium ! travail.
A u cours de divers congrès de spécia­
M ais les processus physique et biologique sont lisation il fait des com m unications sur
différents et ne m ettent nullement en œuvre les les accidents dus à l'é le ctricité , aux
rayons gamma, etc.
mêmes énergies. Des physiciens d ’Amérique A près un stage à Saclay, fa it partie
arrivent m aintenant à adm ettre que la com position de la com m ission de norm alisation
des appareils produisant des rayons X
du noyau est à revoir, et nous allons vers une ou des radiations ionisantes. Il est
nouvelle représentation de celui-ci. chargé de conférences dans l ’ensei­
gnement supérieur: directeur de confé­
Signalons que nous avons pu, d ’après les expé­ rences pendant plusieurs années à
riences, déterm iner l ’énergie de liaison p ar laquelle l'in s titu t d'Études P olitiques de l'U n i­
versité de Paris (ex Sciences Po)
un noyau oxygène s ’accole à un noyau sodium pour la mécanique et l'é le ctricité
pour donner un noyau potassium ; elle est un indu strielles ; à l'in s titu t des Sciences
Sociales du Travail (relevant de la
million de fois plus faible que l ’énergie atom ique, Faculté de D roit de Paris : Conférences
preuve de plus q u ’il s ’agit d ’un phénom ène sur l'énergie atom ique...) membre du
jury de diverses grandes écoles.
différent qui sera étudié en détail dans des revues Membre du C onseil d'Hygiène de la
scientifiques. Seine depuis 1949, l'étendue de ses
connaissances en biologie, chimie,
Peu à peu, l ’évidence devra bien être admise. physique lui perm et des synthèses
LOUIS KERVRAN. inaccessibles à ceux qui sont trop
spécialisés.

Ce tableau ( extrait de VEncyclopédie des Sciences


et des Techniques, publiée sous la direction de
Jacques Bergier) représente les réactions de fusion
entre les noyaux, provoquées par une bombe A.
Si Kervran a raison, il existe d'autres réactions
de fusion, au niveau des organismes vivants et à
M atière v iv a n te et transm utation température normale.
I

s-s '
: •:j

(Photo Lipnitzki)
Une expérience scientifique sur la voyance
A im é M ichel

Un f a i t de « clairvoyance » rigoureusement authentifié aurait une


puissance explosive incomparable. Aucun esprit scientifique, à
plu s forte raison aucun esprit philosophique, ne devrait s'estimer
en repos tant que la question n'a pa s été tranchée.
JU L E S R O M A IN S (P o u r raison g ard er).

UN VOYANT, TRENTE CHAISES ET UN PARAPSYCHOLOGUE


U n ho m m e qui voit :
G é ra rd C ro ise! De toutes les propriétés du monde matériel, celle qui contredit le
plus violemment notre aspiration naturelle et spontanée est indiscu­
tablement le temps. Que ie passé soit comme s’il n ’avait jamais été,
U n p a ra p s y c h o lo g ie : que chaque seconde de notre enfance ait été vécue une seule fois,
le p ro fe sse u r T en h aëff. puis effacée à jamais, que nous tombions dans l’avenir comme dans
un trou noir, voilà, si l’on cherche bien, la source de toutes nos
angoisses, et de tous les mythes que nous avons inventés pour les
U ne e x p é rie n c e conjurer.
q ui e n tre b â ille A cette intuition vieille comme les hommes, la physique cartésienne
les p o rte s du tem ps. est venue ajouter l’idée que le temps est une ligne droite où le présent
est représenté par un point d ’une infime fugacité. Ce qui était il y a
un milliardième de seconde n ’est déjà plus, et ce qui sera dans un
intervalle de temps infinitésimal, n ’est pas.
Mais ce qui donne à l’énigme du temps sa mystérieuse épaisseur,
c’est que quelque chose en nous refuse d ’accepter l’idée d ’un présent
sans durée. Nous soupçonnons (mais sans savoir sur quoi fonder
notre soupçon) que le passé n ’est pas véritablement aboli, et que le
futur existe déjà. Et parfois, en effet, par le truchement de ce qu’il
est convenu d ’appeler l'esprit, le passé et l’avenir se manifestent
dans le présent exactement comme s’ils existaient dans quelque
abîme parallèle où seule notre infirmité nous empêche de les percevoir.
Un savant s’est fait une spécialité de l’étude de ces exceptionnelles
occurrences : c’est le professeur W. H. C. TenhaëfF, directeur de
l’institut de Parapsychologie de l’Université d ’État d ’Utrecht, dans
Décor pour « tes Chaises », de les Pays-Bas.
Ionesco. Sym boles de l'absurdité
de la condition humaine. M ais
dans l'expérience que nous
décrivons ici, les chaises, tou t au
contraire, vont suggérer une vision
des pouvoirs infinis de l'homm e. Les ouvertures de la S cien ce
C ’est ainsi qu’au cours des années 1930-1938, prophétiques, voulut les expérimenter de façon
frappé par le fait q u ’un grand nombre de ses scientifique. En 1951, il invita un autre parapsy­
patients lui rapportaient des rêves d ’allure para- chologue connu, le professeur H. Bender, de
normale ayant des épisodes de guerre pour objet, l’Université de Fribourg-en-Brisgau, à se joindre
Tenhaëff entreprit de les enregistrer systéma­ à ses recherches, qui allaient prendre un tour
tiquement. Certains de ces rêves étaient aussi décisif. Entre-temps, en effet, le professeur
clairs qu’un souvenir, comportant des précisions d ’Utrecht avait pu éprouver les dons d ’un para-
de lieu, de personnes, décrivant des événements gnoste exceptionnel, le fameux Gérard Croiset.
si complexes qu’il était mathématiquement impos­
sible que le hasard pût les réaliser deux fois de
façon identique, une première fois dans l’esprit GÉRARD CROISET,
d ’un dormeur, et une deuxième fois dans la réalité. LE « VOYANT » HOLLANDAIS
Et c’est pourtant ce qui se réalisa : un grand
nombre des rêves enregistrés par Tenhaëff se
sont déroulés point par point plusieurs années On a beaucoup parlé de Gérard Croiset depuis
après avoir été rêvés et enregistrés (1). Voici un an dans la presse française. C ’est son efficace
l’un de ces rêves. collaboration avec la police hollandaise, notam­
ment dans le cas de disparitions d ’enfants, qui a
UNE COLLECTION surtout excité la curiosité du public. J ’ai pu
DE RÊVES PRÉM ONITOIRES constater en Hollande même, au cours de conver­
sations avec des membres de la police et de la
En 1939 (avant le début des hostilités), un certain magistrature, que ses dons de « voyant » ne font
B. L. informe Tenhaëff q u ’il a vu en songe un de doutes pour personne (2).
groupe de soldats allemands vêtus de tel uniforme — Je ne connais pas de cas, me confiait un
(décrit) faire irruption dans telles et telles conditions procureur de la Reine, où notre collaboration
(également décrites) dans un certain immeuble avec lui n ’ait donné aucun résultat significatif.
de la Nieuwe Keizersgracht, à Amsterdam, Il devine, ou, si vous préférez, il « voit » toujours
immeuble très clairement désigné, et qui avait quelque chose ayant un rapport avec l’affaire
précédemment servi de local à une manufacture pour laquelle on le consulte. Ce quelque chose
de lampes à gaz. est parfois limpide, facile à interpréter. Dans ce
A l’époque où le rêve fut fait et enregistré, seuls pays de canaux où les noyades d ’enfants sont si
quelques chefs nazis, notons-le, savaient que la fréquentes, il a presque toujours réussi à nous dire
Hollande serait un jour occupée par la Wehrmacht. si la disparition s ’expliquait par une fugue ou par
Or, tout cela se déroula en juillet 1943 d ’une une noyade et, dans les cas de noyade, à nous
façon exactement conforme à la fiche enregistrée indiquer où nous devions chercher le corps.
quatre ans plus tôt par le professeur hollandais. Je n ’en finirais pas de vous citer des exemples.
Détail étrange, B. L., qui était israélite, fut arrêté Parfois, aussi, ce qu’il « voit » n ’est d ’aucun
par les nazis dans cet immeuble le jour où ils secours pour la police.
en forcèrent l’entrée ; il y travaillait depuis quelque Ces cas sont assez nombreux. Aussi tenons-nous
temps, alors qu’en 1939, au moment de son rêve presque toujours à mettre « en tiers » l’institut de
prophétique, l’immeuble en question n ’avait Parapsychologie d ’Utrecht dans nos enquêtes avec
aucun rapport avec ses activités. Tout s’était donc Croiset : le professeur Tenhaëff, qui est un
passé comme si, une nuit du printemps 1939, psychologue professionnel, sait mieux que nous
B. L. avait subi pendant son sommeil l’irruption interpréter les images paranormales, très souvent
d ’une sorte de souvenir du futur. La guerre finie, symboliques, par lesquelles se traduit la voyance
Tenhaëff, très impressionné par ces phénomènes de Croiset.

Une expérience scientifique sur la vo yance


LA VOYANCE pêcheur à la ligne, et que ce panier, en fe r étam é,
ET LES MYSTÈRES DE L ’ENFANCE évoquait p a r sa décoration les cuirasses d ’opérette.
Croiset avait « vu » ces décorations, et les avait
Au physique, Croiset a une tête qui attire l’attention interprétées à travers ses souvenirs d ’enfance.
par un je ne sais quoi de malléable, de mobile, Tel est l’homme avec qui les professeurs Tenhaëff
d ’enfantin, un visage tout en rides, des yeux et Bender, aidés par deux physiciens hollandais,
très clairs, de grandes oreilles, des cheveux les professeurs J. H. Bretschneider et J. A. Smit,
bouffants, des lèvres charnues. Il est certain que ainsi que par une assistante de l’institut de
dans un pays autre que la Hollande, où la para­ Parapsychologie d ’Utrecht, Mlle N. G. Lou-
psychologie est une science respectée, Croiset werens, vont procéder au début de 1957 à une
n ’aurait jamais réussi à préciser son étrange expérience décisive de vision prémonitoire, la
personnalité, ni même, sans doute, à trouver son fameuse expérience dite « des chaises »
équilibre psychologique. Du moins est-ce là mon
opinion. Tenhaëff, qui l’étudie depuis de longues LA FAMEUSE EXPÉRIENCE DES CHAISES
années, l’a beaucoup aidé à voir clair en lui-même
en exhumant de son inconscient les traces d ’une Springweg, n° 5 : dans une petite rue calme de la
enfance malheureuse génératrice de puissants vieille ville savante d ’Utrecht, l’institut de Para­
complexes (3). Fils adoptif d ’un ménage tumul­ psychologie dresse ses murs de briques aux
tueux (le père, professeur de diction, la mère, fenêtres blanches, sans volets, à la flamande.
habilleuse de théâtre), il est d ’abord un enfant Au premier étage, au sommet d ’un de ces périlleux
mal-aimé, obsédé par les travestis, les décors, escaliers dont les architectes hollandais ont le
tout l’attirail mesquin et besogneux de la scène. secret, les personnes que je viens de citer (à
Grand lecteur de Proudhon, son père allait sans l’exception de Bender) sont rassemblées le 6 janvier
cesse répétant devant lui : « la propriété, c'est 1957 dans le laboratoire de l’institut. Il est deux
le vol », ce qui ne l’empêcha pas un jour d ’accuser heures de l’après-midi. On montre à Croiset le
(à tort) son fils d ’être un voleur. Celui-ci, dit plan d ’une vaste pièce où sont disposées trente
Tenhaëff, garde encore l ’obsession de semblables chaises numérotées de 1 à 30. On l’avertit que,
erreurs. La police, qui le sait, ne lui demande le 1er février suivant, à La Haye, dans une maison
jamais sa collaboration pour retrouver des voleurs, inconnue de lui, trente personnes, également
tâche à laquelle il échoue d ’ailleurs régulièrement. inconnues de lui, seront réunies, chacune assise
Autre incident déterminant de son enfance : un sur l’une de ces chaises, et on lui demande s’il
soir qu’il jouait sur un pont, son camarade de peut donner quelques précisions sur l’une de ces
jeu le pousse à l’eau. Un passant parvient de personnes à son choix. Croiset montre aussitôt
justesse à le sauver. la chaise n° 9, et déclare ce qui suit (tous ses
D ’où, maintenant encore, l’énergique motivation propos étant enregistrés mot pour mot) :
qui le pousse à retrouver les enfants perdus, et
surtout noyés. SUR LA CHAISE N° 9 SERA ASSISE
Rien de tout cela, bien sûr, n ’explique ses dons UNE FEM M E ENTRE DEUX AGES...
de voyance. Mais ils en sont orientés. De plus,
ce sont ses souvenirs d ’enfance qui alimentent 1 « Le 1er février, dans la maison en question,
le symbolisme de ses « visions ». Un jour, la police sur la chaise n° 9, sera assise une femme entre
lui demande de retrouver un assassin. Croiset
(1) W .H .C. Tenhaëff : « OorlogsvoorspeUingen » (Prédictions
voit aussitôt apparaître l’image d ’une cuirasse sur la Guerre). Ce livre n ’a malheureusement pas été traduit en
de théâtre en fe r étam é. La police ne tirera rien français.
(2) « Science et Vie », n° 522, Mars 1961, p. 84.
de cette image, mais on découvrira plus tard (3) Tenhaëff : « Beschouwingen over het gebruik van paragnosten »,
que l’enquête tournait autour d ’un panier de U trecht 1957.

Les ouvertures de la science


deux âges, d ’un caractère gai, actif, très sensible pour services rendus? Ce pourrait être quelque
aux rapports sociaux, et montrant un vif atta­ autre vieux monsieur, pas son père, mais il me
chement aux enfants. semble bien que c’est son père.
2 Cette femme a beaucoup fréquenté vers les 11 N ’a-t-elle pas conduit récemment une petite
années 1928-1930 les environs du Cirque Kurhans fille chez le dentiste? Et cette visite n ’a-t-elle pas
et Strassburger, à Scheveningen. provoqué une forte commotion? Je dirais presque
3 Etant petite fille, elle a beaucoup fréquenté une que cela se produira le vendredi 1er février
région où l’on fabrique du fromage. Elle allait prochain. »
souvent dans les fermes, où elle voyait la fabri­ LES 30 INVITÉS DU 1er FÉVRIER
cation du fromage. Je vois un incident où une
ferme a pris feu. Je vois une grande ferme qui a Tout cela se passait le 6 janvier 1957. Le 7, Tenhaëff
pris feu, et où des animaux périssent brûlés. avertit le professeur Tuyter, un physicien
4 Maintenant, je vois trois jeunes hommes. L ’un d ’Utrecht, que la première partie de l’expérience
d ’eux me ressemble ; il exerce une fonction était achevée, sans lui donner aucune précision
quelque part outre-mer, il semble que ce soit sur les détails dictés par Croiset. Tuyter, à son tour,
dans un territoire britannique. avertit Mme C.V.T., de La Haye, d ’avoir à
lancer 30 invitations chez elle pour le vendredi
5 N ’a-t-elle pas regardé le portrait d ’un maha­
1er février, à 18 heures. Notons au passage ce
radjah? En ce moment, je vois quelqu’un en
surcroît de précaution : de même que Tuyter
Inde. Ou tout au moins qui est vêtu comme un
ignorait tout de ce qu’avait dit Croiset, de la
Hindou, avec un turban portant un gros joyau.
même façon toutes les personnes présentes lors
6 Je vois un griffonnage, avec, en haut, le nombre 6. de la première séance ignoraient jusqu’à l’identité
Il y avait d ’abord un 5, puis un peu après elle de l’hôtesse, Mme C.V.T., et naturellement
a raturé et mis un 6. C ’est arrivé récemment, de ses invités, qui n ’étaient pas encore choisis.
et ce raturage a donné lieu à une vive discussion. Les jours suivants, Tenhaëff tira les déclarations
7 A-t-elle récemment sali ses mains après une de Croiset à quarante exemplaires, nous verrons
vieille boîte à peinture? Je veux dire une boîte tout à l’heure pourquoi. Le 31 janvier, on prépara
contenant de petites tablettes de couleur, ayant à l’institut deux paquets de trente cartes numé­
un couvercle avec des creux. Par conséquent, rotées de 1 à 30. Un de ces paquets fut soigneu­
ce n ’est pas une boîte avec des tubes de couleurs. sement battu, puis les trente cartes furent glissées
Ne s’est-elle pas blessé légèrement la main avec dans une enveloppe, que l’on scella.
cet objet? Le majeur de la main droite? Le lendemain, vendredi 1er février, Tenhaëff,
8 N ’a-t-elle pas reçu récemment la visite d ’une Tuyter, les demoiselles J. et N. Louwerens, et le
dame de ses amies, âgée d ’environ 44 ans, pas psychologue finlandais J. Fahler, de passage en
très grande, bien prise, vigoureuse, avec des Hollande, arrivaient à 18 heures chez Mme
cheveux noirs, et portant une robe ayant par- C.V.T., qu’ils voyaient pour la première fois.
devant deux plissés assez larges? La dame ne Au premier étage, dans un vaste salon, six rangées
l’a-t-elle pas entretenue de problèmes sexuels? de cinq chaises, étaient disposées. Les demoiselles
N ’a-t-elle pas conseillé à cette dame d ’aller voir Louwerens procédèrent à l’aide du paquet de
un psychiatre? cartes qui n ’avait pas été scellé au numérotage
des chaises, conformément au plan montré à
9 N ’a-t-elle pas éprouvé une puissante émotion Croiset le 6 janvier.
à l’occasion de l’opéra « Falstaff »? Lequel opéra Pendant ce temps, les invités, qui arrivaient les
pourrait être le premier q u ’elle ait vu? uns après les autres, étaient rassemblés au rez-
10 Son père n ’a-t-il pas reçu une médaille d ’or de-chaussée. Quand ils furent tous là, Tenhaëff

Une expérience scientifique sur la vo yance


leur expliqua brièvement le but de la réunion avait un visage vif, des yeux rieurs, et qu’elle
et la technique de l’expérience. Puis on leur s’agitait comme quelqu’un qui brûle de dire
distribua une copie polycopiée des détails donnés quelque chose.
par Croiset, avec prière à chacun d ’eux de les Et en effet, Mme D.M., l’invitée de la chaise n° 9,
lire soigneusement et de noter à droite, dans s’était sur-le-champ reconnue dans la description
l’espace laissé à cet effet, tous les points qui de Croiset.
semblaient le désigner, lui personnellement.
Notons qu'à partir de ce moment chacun des LA DAME SE RECONNAIT EN TOUS POINTS
trente invités était en mesure de dire : « c’est moi »,
ou « ce n'est pas moi » : or, les places n'étaient Voici, toujours recueillis dans les Proceedings (I),
pas encore distribuées. les commentaires de la dame de la neuvième chaise
Quand le professeur Tenhaëff me relata son sur le portrait en onze points dessiné par Croiset.
expérience, j ’avoue avoir frémi pour lui, pour
Croiset, et pour tous les organisateurs de cette Point 1.
fantastique et téméraire soirée. Car, enfin, même Elle est âgée de 42 ans, plutôt petite, gaie, vive,
si Croiset avait deviné quelque chose, même si la active. Quand elle était fillette, elle rêvait d ’avoir
dame entre-deux-âges décrite en onze points un château plein de centaines d ’enfants et de
se trouvait dans la salle, il suffisait encore que le bêtes. Elle a encore la passion des enfants.
hasard, l’aiguillât sur une chaise qui ne fût pas
le n° 9 pour que tout s’effondrât ! Et ce hasard, Point 2.
impossible de l’aider, car bien entendu la dame Pendant son enfance, elle habitait La Haye.
entre-deux-âges sait que Croiset l’a devinée, mais Ses parents étaient divorcés. Son père vivait aux
elle ne sait pas quelle chaise doit lui être attribuée Indes néerlandaises et venait de temps à autre
pour que l’expérience réussisse ! en congé en Hollande. Pour elle, c’était plutôt
un étranger, et sa femme refusait de le rencontrer.
LA DAME DE LA CHAISE N° 9 Quand il venait la voir, il l’amenait souvent
au Cirque Strassburger, à Scheveningen. Le père
Voyons la suite, c’est-à-dire le moment décisif et la mère de Mme D.M., chacun de leur côté,
de la distribution des chaises. L ’enveloppe scellée vivaient maritalement avec un autre. Son père
contenant la pile des trente cartes si soigneusement était un homme d ’une vive sensibilité.
battues est tirée d ’une serviette et montrée aux
assistants. Le sceau est rompu, et Mlle N.G. Point 3.
Louwerens, à mesure que les invités se présentent Étant enfant, Mme D.M. visita souvent des fermes
en bas de l’escalier (à leur gré, c ’est-à-dire au où l’on produisait, non du fromage, mais du
hasard), donne à chacun d ’eux la carte du dessus beurre. Elle n ’y eût jamais d ’émotion particulière.
de la pile, de la première à la trentième. Son fils aîné vécut longtemps chez un fermier.
En haut de l’escalier, l’autre demoiselle Lou­ Un jour, la ferme voisine fut frappée par la
werens accueille les assistants et les dirige un à un foudre, et un cheval tué. L ’enfant en éprouva
vers la chaise que le hasard lui a attribuée. Après une profonde impression, qu’il garda longtemps.
quoi, tout le monde étant assis, les organisateurs
de l’expérience entrent eux aussi (à l ’exception Point 4.
de Croiset, introduit plus tard). J ’imagine, malgré Mme D.M. ne put d ’abord trouver aucun rapport
son flegme, que le professeur Tenhaëff eut un entre les trois jeunes hommes et elle. C ’est son
moment d ’émotion en voyant, assise sur la chaise
(1) Opus cité. Certains points font l'objet de développements et
n° 9, une femme : et que cette femme paraissait d ’analyses supplémentaires dont nous ne pouvons faire état dans
âgée d ’un peu plus de quarante ans ; q u ’elle le cadre de cet article.

Les ouvertures de la science


mari qui lui fit remarquer q u ’il avait deux frères, les mains et gâcha une serviette. Peu après, elle
que l’un s’était engagé pour l’Indonésie, en 1945. se blessa le majeur de la main droite avec une
q u ’il avait suivi son entraînement en Angleterre, boîte de conserve.
qu’il était actuellement à Singapour ; et que
l’autre frère avait péri pendant la guerre dans un Point 8.
camp de concentration. Ce dernier ressemblait Mme D.M. déclare qu’elle a eu une discussion
en effet à Croiset. sur des problèmes sexuels avec deux dames de
ses amies. L ’une d ’elle est en effet bien faite,
Point 5. pas très grande, vigoureuse, avec des cheveux
Quelques jours avant la séance du 1er février, noirs, et porte fréquemment une robe ayant par
Mme D.M. avait lu un livre de Paul Brunton devant deux plissés assez larges. Mme D.M.
dont une illustration représentait un yogi. Elle conseilla à cette dame d ’aller voir un guérisseur.
avait eu avec son fils une discussion sur le yoga
et la magie indienne. Point 9.
Ici, rapporte Tenhaëff, se situe un très curieux Mme D.M. déclare que l’opéra « Falstaff » est le
incident : premier où elle ait tenu un rôle, et que, de plus,
Croiset interrompt Mme D.M. : elle était à cette occasion tombée amoureuse
Croiset. — Je crois que cette illustration vue dans du ténor.
un livre n ’est q u ’un aspect mineur de ce qui
m ’est apparu. Point 10.
A sa retraite, son père avait été fait chevalier
Mme D.M. — Comment ? Je ne comprends pas. d ’un ordre, et avait reçu un étui à cigarettes
Le mari de Mme D.M . — Ma femme m ’a fré­ en or.
quemment rapporté, ces derniers temps, avoir
rêvé la nuit d ’un protecteur mystérieux, d ’une Point 11
Le matin même, ce 1er février, Mme et M. D.M.
sorte d ’esprit bienveillant... avaient conduit chez le dentiste leur petite fille,
Mme D.M. — M on Dieu, c’est vrai ! C ’est
qui avait été très effrayée... Mme D.M. était encore
stupéfiant ! Car cet être bienveillant m ’appa­
tout émue de cette visite.
raissait vêtu en Hindou !
NON DANS LA FICTION,
Point 6. MAIS DANS LA RÉALITÉ
Du 26 janvier au 1er février (c'est-à-dire après la
séance du 6 janvier) , Mme D.M. a fait ses comptes L ’expérience des chaises a été inventée et réalisée
mensuels. Ils étaient d ’abord en équilibre, mais, pour la première fois en France vers l’année
en refaisant ses additions, elle a trouvé une erreur 1925 par le docteur E. Osty, opérant avec le
très grosse : un 5 qui aurait dû être un 6. D ’où «voyant » François Pascal Forthuny (1). Mais
d ’abord un gribouillage, et ensuite un gros ennui on ne retranche rien au mérite du docteur Osty,
d ’argent, et des discussions avec M. D.M. dont les études de matérialisations sont admirables,
en disant que Tenhaëff et Croiset ont poussé
Point 7. cette expérience à son plus haut degré de signi­
Un jour, au début de janvier, les enfants fication. Il suffit de lire attentivement le compte
s’amusaient à gâcher de la peinture avec une rendu que nous venons de faire pour y découvrir
petite boîte contenant des tablettes de couleurs. (mais cette fois réalisés dans les faits, et non
Le couvercle comportait des creux pour mettre (1) Osty : « Une faculté de connaissance paranorm ale », P*aris 1926.
de l’eau. Mme D.M. voulut le nettoyer, se salit Pascal Forthuny : « Je lis dans les destinées », Paris 1937.

Une expérience scientifique sur la vo yan ce


plus fictivement, comme dans l’œuvre poétique à Dieu pour la solution d ’une difficulté théolo­
de Borges par exemple) tous les paradoxes du gique : il ne sait rien de Dieu, Dieu est tout-
temps. puissant, etc... Au lieu que, dans l’expérience
Sans doute est-il inutile d ’insister sur l’évidence des chaises, le problème se noue dans notre esprit,
de la vision prophétique de Croiset. On peut au cœur de notre conscience psychologique,
certes traiter Tenhaëff, Tuyter, Bretschneider, dans ce que nous croyons avoir en nous de plus
Smit et tous les organisateurs de l’expérience limpide, de plus lumineux, et d ’où procède même
de menteurs. Et, dans ce cas, nous aurons à choisir toute espèce de lumière possible à notre niveau
entre l’honnêteté de ces savants, tous professeurs de pensée.
d ’Université, et celle de leurs accusateurs. Bien Dira-t-on que si Tenhaëff décide, le 1er février,
entendu, il est toujours plus facile de suspecter de tromper Croiset, celui-ci le 6 janvier, et par une
quelqu’un que de reconnaître l’existence d ’un sorte de feed-back rétro-temporel ne peut rien dire
problème : cela épargne de réfléchir. Pour nous de précis? M ais alors, Tenhaëff n'a pas le moyen
qui connaissons l’institut de Parapsychologie de le trom per car il ne p eu t précisém ent le trom per
d ’Utrecht, son directeur et ses travaux, le doute que si C roiset a deviné ! Ici, ce n ’est pas à la
est hors de question. prédestination que l’on pense, mais à ce Crétois
Sur divers points, Croiset a donné le 6 janvier d ’après qui les Crétois ne savaient que mentir,
des précisions concernant des événements qui et qui fatigua tant de cervelles grecques par son
n ’étaient pas encore survenus. A cette date, diabolique sophisme. A cela près qu’il ne s’agit pas
Mme D.M. n ’avait pas encore rêvé de son ici d ’un sophisme, mais d ’une réalité matérielle,
protecteur vêtu à l’indienne, ni feuilleté le livre impliquant des actes, des comportements, des
de Paul Brunton ; elle n ’avait pas encore reçu transformations d ’énergie. L ’expérience des chaises
la visite de la dame aux problèmes sentimentaux ; est une brèche dans la chaîne du déterminisme des
elle n ’avait pas encore conduit sa petite fille phénomènes, de sorte que, paradoxalement, l’expé­
chez le dentiste. rience envisagée sous cet angle prouve la liberté
qu ’elle semblait réfuter tout à l’heure!
LE PARADOXE DU TEMPS
TOUT EST INSOLUBLE
Mais c’est dans le déroulement de la seconde ET RIEN NE L ’EST
séance, celle du 1er février, que nous touchons
vraiment du doigt le mystère du temps. Car, Comment, dès lors, en sortir? Je crois person­
enfin, supposons q u ’au moment de distribuer nellement que l’expérience des chaises nous
les places, Tenhaëff ait demandé à l ’invité qui confronte avec une évidence particulièrement
s’était reconnu de le faire savoir, et qu’il ait chère aux esprits que cette revue a rassemblés :
délibérément conduit celui-ci vers la chaise n° 3. à savoir que l’affirmation du mystère n ’a rien à
Que se serait-il passé lors de la séance du 6 janvier, voir avec l’affirmation d ’une transcendance,
au mom ent où Croiset, regardant le plan de la car le mystère est partout, même au-dedans de
salle, d it : « Sur la chaise n° 9, j e vois, etc... «? nous, même dans les ressorts de notre pensée
Dira-t-on que Croiset savait aussi que Tenhaëff la plus familière, et jusque dans les mécanismes
ne ferait rien de tel? Mais cela ne revient-il pas de notre raison raisonnante négatrice du mystère.
à affirmer q u ’après les premières déclarations Si les chaises du professeur Tenhaëff nous posent
de Croiset, Tenhaëff perdait la liberté de changer un problème apparemment insoluble, c’est que
son comportement? Voilà qui semble incon­ tous les problèmes sont un peu insolubles. Et
cevable. On reconnaît au passage le célèbre c ’est aussi, inversement, qu’aucun problème n ’est
argument théologique sur la prédestination. totalement insoluble, puisque l’absurde logique
Seulement, il est loisible au croyant de s’en remettre peut faire l’objet d ’une expérience scientifique.

Les ouvertures de la science


De Rome, le professeur Emilio Servadio nous adresse
cet article dont on voudra bien lire avec soin les
conclusions : elles montrent comment la recherche
moderne se trouve à la fois dirigée vers l’univers
extérieur et vers l’univers intérieur, et qu’à l ’extension
du pouvoir des machines peut aujourd’hui correspondre
une très fabuleuse extension des pouvoirs de la machine
humaine.
Certes, jusqu’ici, le domaine du surconscient ne semblait
avoir été prospecté que par les mystiques et certains
poètes. Il commence à devenir un champ ouvert à
l’expérimentation objective. Seuls, des esprits attardés
s’en pourraient trouver hérissés. Nous allons vers
un temps où les antinomies entre spiritualisme et
matérialisme apparaîtront comme les vestiges d’une
scolastique périmée.
Cet article d ’Emilio Servadio fait suite à l’étude d ’Aldous
Huxley dans notre précédent numéro : « Quelle formi­
dable machine que l’homme ! » et à nos informations
des numéros 1 et 2 sur la psychochimie. Dans une
certaine mesure, il est un complément à l ’article du
physicien Jean Charon sur la montée du psychisme (dans
ce même numéro). Tout concourt à ne pas nous faire
perdre de vue que le centre et l’aboutissement de toute
recherche, c’est l’homme lui-même. Dans la perspective
où nous nous plaçons, justifiée, nous semble-t-il, par
l’entrée dans une nouvelle ère révolutionnaire, dans un
nouveau moment d ’émergence du phénomène humain, il
nous apparaît nettement que toute marche vers le
progrès est une marche vers le progrès de l’homme.
« ...M ais non l ’homme
à tâtons.
Mais non l’Adam tombé ! Tout
autre rêve altère
L ’espèce d’idéal qui convient
à la terre »,
a dit Hugo.

74
L'homme va ouvrir une porte fabuleuse
Em ilio S ervad io

L es drogues nous ennuient avec leurs paradis. Q u ’elles nous donnent


plutôt un peu plu s de savoir. Nous ne sommes p a s un siècle à paradis.
H E N R I M IC H A U X .

L ’EXPÉRIENCE CAPITALE VIENT DE COM M ENCER


Un voyage dans Lors du récent Congrès de la Communauté européenne des Écrivains,
le cosmos intérieur à Rome, Vigorelli exposa que l’un des principaux thèmes de la culture
nouvelle est la rencontre de la littérature et de la science. Il ne s’agit
Une recherche pas, évidemment, d ’un banal élargissement des sujets traités, mais
scientifique bien des changements profonds que le contact avec le monde
scientifique ne peut manquer de produire en ceux qui vivent une
des pouvoirs inconnus expérience littéraire. Jamais les écrivains n ’ont compris comme
aujourd’hui que l’imagination, l’inspiration ne sont pas des termes
Un secret aussi précieux métaphysiques, et que, dans certaines limites, la psychologie, la
que le secret atomique physiologie et la biochimie peuvent en indiquer les fondements et
les lois.
Rimbaud avait deviné que l’un des grands cheminements vers la
poésie passe par le dérèglement raisonné des sens. Mais il ne savait
pas trop comment s’y prendre, et nous savons quelles furent les
conséquences. Aujourd’hui, nous sommes déjà capables de « dérégler »
les sens avec un certain degré de précision et de contrôle, avec des
risques calculés, avec des possibilités d ’aventure psychique qui font
paraître bien anodine Une Saison en Enfer.
En notre qualité d ’homme de science, nous réserverons l’examen du
problème moral que pose ce nouveau développement de la connais­
sance pour nous limiter à celui des faits. C ’est un fait que la drogue
a eu sur les facultés créatrices de Baudelaire ou de De Quincey des
conséquences aussi directes que sur leur santé ou sur leurs relations
interpersonnelles. C ’est un fait q u ’un décollement de la rétine peut

Hippocam pe mutant
llhan Koman
(1961) Les ouvertures de la science
faire q u ’un grand peintre cesse d ’être tel. C ’est En 1924, le fameux toxicologue Lewin publia
un fait que la psychopharmacologie, assistée par un livre, maintenant presque introuvable, dans
la psychologie des profondeurs, peut transformer lequel il distribuait les drogues en cinq classes :
ab imis l’expérience humaine, donc l’expérience euphoriques, enivrantes, fantastiques, hypno­
poético-littéraire. La question du « bon usage » tiques et excitantes. A cette liste se sont ajoutées
ou du « mauvais usage » de telles possibilités, pour récemment des substances que Lewin aurait pu
importante q u ’elle soit, est en dehors de notre nommer : ataraxiques. C ’est-à-dire les « tranquil­
savoir, et en un sens de notre devoir scientifique. lisants », qui calment sans endormir. Mais
l’attention des chercheurs s’est particulièrement
LES DROGUES PEUVENT CRÉER arrêtée sur quelques nouvelles variétés de la classe
UNE ROSE EN VOUS... fantastique, plus volontiers nommées aujourd’hui
hallucinogènes, ou psychotomimétiques, ou autres.
La célèbre affirmation de Gertrude Stein A rose Parmi elles, la mescaline et la diéthylamide de
is a rose is a rose est, pour ne pas quitter l’anglais, l’acide lysergique (LSD 25).
un nonsense neurophysiologique. Personne ne
peut dire ce q u ’est une rose. Nous pouvons UNE PARTIE DE LA PERSONNALITÉ
seulement dire que c’est une configuration d ’impul­ RESTE LUCIDE
sions nerveuses, un ensemble de schèmes visuels
interprétés comme formes-couleurs (et de même Le LSD 25 constitue un des principaux instruments
pour l’olfaction, la mémoire, l ’expression verbale, des grandes explorations intérieures de demain.
etc.), de sorte que « l’information » finale est C ’est le plus puissant hallucinogène découvert à
« rose » et non, par exemple, « beefsteak ». Mais cette date. Une dose de vingt microgrammes (la
il faut bien concevoir que le rapport sujet-objet, sept cent millionième partie du poids d ’un homme
qui détermine habituellement cette information, moyen) produit déjà des effets sensibles. Des
n'est p a s indispensable. On peut avoir l’expérience doses peu supérieures transportent l’individu dans
que nous appelons rose en stimulant électriquement un monde changeant et presque incroyable
certains points du cortex cérébral, ou par l’action d ’expériences subjectives, que des volontaires ont
de quelques millièmes de milligramme de diéthy- décrit, de même qu’Aldous Huxley et Henri
lamide de l ’acide lysergique. Pour le moment, Michaux ont raconté leurs aventures avec la
ce type d ’information n ’est pas exactement contrô­ mescaline.
lable : mais il le sera avant peu. La psylocybine est le principe actif de certains
champignons mexicains, utilisés de temps immé­
UN NOUVEAU VOYAGE morial lors de rites religieux, redécouverts par
DANS LE FANTASTIQUE Gordon Wasson et étudiés à fond par le célèbre
mycologue Roger Heim. Elle produit également,
Quand Gautier se retrouvait avec les autres à faibles doses, de grands changements psycho­
membres du « Club des Haschichins » à l’hôtel logiques, des « départs » pour les excursions les
Pimodan et s’abandonnait aux ivresses de la plus imprévues dans la pensée.
cannabis indiana, il voyait passer des créatures Ces substances se différencient nettement de celles
imaginaires, des licornes, des griffons, des vautours, qui produisaient les paradis artificiels du siècle
tout un sérail de monstres qui trottaient, passé : 1° à doses raisonnables, elles ne sont pas
pirouettaient, hurlaient dans la pièce. La neuro­ toxiques ; 2° elles ne produisent pas d ’accoutu­
physiologie, la psychopharmacologie, la psycha­ mance; 3° enfin, et c ’est leur caractère le plus
nalyse d ’aujourd’hui permettent de considérer important, elles n ’entraînent jamais totalem ent
ce type d ’aventures psychiques comme le géographe celui qui les absorbe. Une partie de la personnalité
moderne considère les descriptions de Marco Polo. reste indemne, en contact avec le milieu et avec

L’hom m e va ouvrir une porte fabuleuse


la réalité empirique, cependant que l’autre voyage connu, ont parlé fort clairement. René Daumal a
dans les royaumes de l’impossible. raconté ses expériences d ’adolescent avec le tétra­
chlorure de carbone, terrible substance plus
DES JOUISSANCES INCONNUES dangereuse que le chloroforme. Elle lui permit
l ’accès à l'autre côté des choses. Le résultat,
Cela ne veut pas dire que le LSD 25 ou les autres écrit-il, « fut toujours le même, c’est-à-dire dépassa
agents psychotomimétiques soient sans danger. et bouleversa mon attente, faisant éclater les
L ’accoutumance peut se manifester sur le plan limites du possible, et me jetant brutalement dans
psychologique. Les horizons ouverts par la drogue un autre monde »...
peuvent apparaître toujours plus indispensables, Mots étrangement familiers ! « ...Oh, Kitty! comme
même s’il n ’existe pas de « faim organique » ce serait agréable de traverser le miroir! Je suis
comparable à celle q u ’éprouve le morphinomane. sûre qu’il y a, oh! de si belles choses de l’autre
On peut d ’ailleurs devenir maniaque de n ’importe côté! Prétendons qu’il y a un moyen quelconque de
quoi, de LSD comme de pain frais. Une jeune le traverser, Kitty... Et certes le verre commençait
fille avait contracté un besoin morbide de sauce à se dissoudre, comme une brillante brume
tomate, jusqu’à en absorber quatre ou cinq litres d ’argent... » (Lewis Carroll, Through the Looking-
par jour. Il ne faut donc pas exclure que l’usage Glass, 1896).
des drogues psychologiques créent des formes La drogue, il convient de l’admettre, peut être
nouvelles de recherche incontrôlable du plaisir, moins paisible que l’imagination clairvoyante des
et même des plaisirs nouveaux. Certains rats écrivains. Mais qu’est-ce, au fond, que l’autre
tirent une particulière exaltation de la stimulation côté des choses, sinon une expérience psychique
électrique d ’une zone de l’hypothalamus. Mis en capable d ’abstraire celui qui la vit des catégories
situation de pouvoir se la procurer eux-mêmes, en spatiales, temporelles et causales ? Dans la « maison
appuyant sur un levier, il arrive q u ’ils ne prennent au-delà du miroir », comme le savent tous les
plus la peine de manger et continuent indéfiniment lecteurs de Lewis Carroll, la réalité et l’irréalité
à presser le levier. Quelques sujets ont ainsi se confondent : on peut être en deux endroits
autostimulé leur cerveau plus de deux mille fois simultanément, l’effet peut précéder la cause, la
par heure pendant vingt-quatre heures consécu­ mémoire fonctionne dans les deux sens, et le sens
tives. La neurophysiologie, comme la psycho­ des mots se plie à la volonté du plus fort. Il s’agit
pharmacologie, peut créer, outre des états d ’hébé­ d ’un monde où règne une psychologie non-
tude, de délire, de cauchemar et de terreur, euclidienne, erratique et magique par rapport à
d ’intenses jouissances inconnues, dont l’attraction celle de l’expérience quotidienne.
pourrait être plus forte que les instincts de conser­
vation. Il est probable que les rats se trouvaient LES POUVOIRS ENFOUIS
dans un état aigu et prolongé d ’orgasme sexuel,
et que rien d ’autre ne les intéressait. Il existe donc, dans l’imagination des poètes, dans
la vision de ceux qui ont franchi le seuil de la
DES EXPÉRIENCES DE POÈTES perception, la possibilité manifeste de passer
au-delà du miroir qui reflète habituellement notre
Qu’en adviendra-t-il? La réponse peut nous monde intérieur. Et une nouvelle discipline scienti­
être donnée, semble-t-il, par l ’expérience d ’un fique, la parapsychologie, dont les résultats ne sont
certain nombre d ’explorateurs, qui ont eu l ’im­ plus sérieusement discutables, confirme que, dans
pression de passer complètement au-delà des certains cas, il est vraiment possible à l’homme
limites du monde humain. Huxley, par exemple, d ’éprouver psychiquement l’annulation des sépa­
dans L es P ortes de la Perception, mais mieux rations entre individus (télépathie), la coïncidence
encore René Daumal, dans un écrit posthume peu du présent et du futur (précognition), la dissolution

Les ouvertures de la science


de l’opacité de la matière (clairvoyance, perception purement hypothétique. L ’auteur dit lui-même :
extra-sensorielle). Les comptes rendus des cas « C ’était un désordre fou... »
spontanés les plus démonstratifs emplissent les Aujourd’hui, on entrevoit bien autre chose. Il s’agit
archives des associations spécialisées : les vérifi­ d ’établir si, quand, dans quelles conditions et chez
cations expérimentales, obtenues dans des condi­ quels types d ’individus, certaines substances, en
tions rigoureuses et de mieux en mieux comprises, doses calculées, peuvent d ’une façon ordinaire
continuent à s’accumuler. On voit se consolider et contrôlable contribuer à l’ouverture de certaines
l’hypothèse, soutenue par Freud, selon laquelle portes. Il est indubitable que toutes les connais­
l’homme a pu autrefois accéder à la maison au-delà sances, tous les instruments de la biochimie, de la
du miroir, au monde parapsychologique, mais aux neurophysiologie, de la psychopharmacologie, de la
dépens de la structure logique et rationnelle de la psychologie normale, de la psychanalyse, devront
pensée, qui a fini par prévaloir. être mobilisés, et qu’une des difficultés majeures
sera de faire la synthèse d ’approches si diverses
CEUX QUI CH ERCH ÈREN T L ’ENTRÉE et si singulières.
DE LA MAISON MAGIQUE
UNE FABULEUSE RECHERCHE
Aujourd’hui, l’accès à la maison magique est VIENT DE COMMENCER
barré. Les voies ne s’ouvrent guère que par hasard,
pour peu d ’instants, et pour certains individus Mais il s’agit de résoudre l’équation la plus fasci­
auxquels l’interdiction d ’entrer s’applique moins nante et la plus formidable que l’homme se soit
sévèrement. D ’autres, semble-t-il, ont réussi excep­ jamais proposée : déterminer les exigences à satis­
tionnellement à violer la zone interdite, avec des faire pour qu’un homme donné, à un moment
moyens de fortune, des risques graves, un gaspillage donné de sa vie, sorte avec sécurité de ses dimen­
d ’énergie et des résultats confus... Ils sont les sions psychiques habituelles, puisse glisser menta­
précurseurs de l’approche psychopharmacologique, lement le long des lignes de l’espace et du temps,
ces opiomanes du siècle passé, ceux qui ont pris violer l’apparente impénétrabilité des choses
de la mescaline ou du LSD 25 « pour voir », ceux inanimées.
qui ont cherché, s’aventurant sans cartes, de Il est hautement désirable, pour des motifs assez
nouveaux itinéraires vers le paradis ou l’enfer. faciles à deviner, que tout cela soit qualifié par
« J ’ai vu un peuple d ’ombres — je n ’ai pas dis­ certains de science-fiction. De fait, les premières
tingué sa couleur — hommes, larves, plantes, expériences psychopharmacologiques orientées vers
fourmillement de lumières et de rires. U n homme, le résultat ultime sont déjà commencées ; mais nous
noir sur blanc, s’est levé à gauche, a marché, s’est ne dirons ni où, ni par qui, ni avec quelles
assis à droite. Il a disparu. Une cloche a sonné substances. Il est clair que les « secrets atomiques »
l’angélus de midi ; un moulin tournait, il y avait sont bien futiles en comparaison de celui qui
une grange que je ne connaissais pas. Un fruit est consisterait à mettre, sans marge appréciable
tombé — vert — et sa chute a provoqué un étrange d ’erreur, un individu en condition de pouvoir
tourbillon. Il y avait un désordre fou à l’intérieur » observer » à distance, « lire » dans les pensées
de mon œil... » d’autrui, « savoir » ce qui se prépare dans les
Ainsi s’exprime le peintre Hervé Masson, sous matrices de l’avenir.
l’influence d ’une drogue absorbée avec de vagues Entre-temps, il semble qu’aucun homme de pensée,
intentions « occultistes » et parapsychologiques. aucun interprète poétique de la condition humaine
Comme on a pu le noter, l’idée que le sujet a présente, ne puisse se permettre de fermer les yeux
vraiment perçu des réalités ultrasensibles reste sur de tels événements de l’être.
EMILIO SERVADIO.

Changer la vision.
L’hom m e va ouvrir une porte fabuleuse (C om position de M onastério)
Ambrose Bierce le prince des ténèbres
Jacques Sternberg

D eux : une fo is de trop.


D IC T IO N N A IR E DU D IA B L E .

VIE ET ŒUVRE DU PLUS NOIR DES POÈTES


Né des horreurs
Rien n ’est à la fois plus dérisoire et plus agréable à contempler que
de la guerre les collisions littéraires : elles ont l’avantage de ne faire que peu
de dégâts et encore moins de victimes. En voici une : dès la deuxième
II pose zéro année de sa création, le grand prix de l’humour noir fut décerné
en grande pompe (mais à titre posthume, évidemment) à l’écrivain
et ne retient rien Ambrose Bierce. Or, ce même Bierce ne figure pas dans la première
édition de la célèbre Anthologie de l'Humour Noir d ’André Breton,
Il disparaît ni d ’ailleurs dans la deuxième édition que l’on dit pourtant revue,
corrigée et augmentée!
sans laisser de traces De la consécration officielle s’abattant sur Bierce, auteur maudit
parmi les maudits, il n ’y a que peu de choses à dire : aucun auteur
mort ou vivant ne la méritait plus que le sombre Bierce qui vécut
d ’humour et d ’eau trouble pour son plus grand malheur, mais pour le
plus grand bonheur de quelques lecteurs avertis.
Bierce, contemporain de Mark Twain, ne fut traduit pour la première
fois q u ’en 1937, à la Renaissance du Livre, sous le titre « Aux lisières
de la mort », puis en 1947, Jacques Papy publia aux Éditions des
Quatre-Vents un choix important des nouvelles extraites de « In the
midst of life » (Au cœur de la vie).
Si la publication de ces contes passa en 1947 complètement inaperçue,
il n ’en fut pas de même avec la réédition parue en 1957 chez Grasset
sous le titre « Morts violentes », précédée, en 1956, des « Histoires
impossibles » extraites de « Can such things be? », et augmentées des
quatre remarquables nouvelles du « Club des parenticides > qui

Seul : en mauvaise compagnie.


(L’unique portrait d’Ambrose Bierce,
American Library). La littérature différente
demeurent des échantillons sans défaut de ce que il prend son premier emploi civil : gardien de nuit
l’humour noir peut proposer de plus grinçant au Sub-Treasury Building. Mais il passe natu­
et de plus magistralement concerté : quatre rellement tout son temps à écrire, et se trouve
morceaux écrits avec du sang, de la glace, du fiel vaguement mêlé à la vie politique locale. Il aurait
et des ténèbres. même dessiné dans certains journaux, attaquant
avec une louable impartialité les deux partis en
LA JEUNESSE DANS LE SANG présence. Déjà Bierce couvait une misanthropie
que rien ne pouvait guérir. Très vite, il est engagé
Du sang, de la glace, du fiel, des ténèbres, c ’est comme rédacteur au « News-Letters ». Avec Mark
aussi et surtout ce que contient la vie d ’Ambrose Twain et Bret Harte, il devient un des spécialistes
Bierce. Revivre cette vie, c’est en même temps du style vitriolé, de la rhétorique qui se plaît
expliquer l’homme, l’œuvre, ses racines et ses à construire des arabesques pour le simple plaisir
prolongements. de les détruire quelques secondes plus tard.
C ’est à Meigs County, dans l’Ohio, que naît Il a trente et un ans quand il épouse Mary Ellen
Bierce en 1842. Edgar Poe vient de mourir. Day que l’on disait fort séduisante. Il part pour
Mark Twain a 7 ans. Henry James ne naîtra que Londres avec elle, écrit avec succès dans beaucoup
l’an suivant. Le père de Bierce, un fermier pauvre de journaux. Quand il revient à San Francisco,
et excentrique avait neuf enfants. Ambrose était « The Argonaut » lui offre le poste de rédacteur
le cadet et, dès sa plus tendre enfance, étouffant en chef. Son style cinglant et ses humeurs moroses
dans ce milieu sordide et fruste, il se prit à haïr lui ont déjà valu le surnom de « Bitter Bierce »
la famille et la pauvreté. On retrouve cette haine (Bierce l’Amer).
dans sa prédilection pour les histoires de paren- Mais l’attrait de l’aventure n ’est pas mort en lui.
ticides et son culte du héros aristocratique. Et l’aventure, à cette époque, c’est l’or. Il aban­
Il a 19 ans et vient de passer un an au Kentucky donne tout pour devenir chercheur d ’or, puis
Military Institute quand la guerre civile éclate. ingénieur dans une compagnie minière. L ’entreprise
Il aspire à l’aventure depuis longtemps et s’engage se solde par un échec et Bierce revient au journa­
sans hésiter dans l’armée fédérale. Il prend part lisme, comme rédacteur en chef du journal « The
à de nombreuses campagnes, assiste aux combats Wasp ». La vie lui sourit. Il a deux enfants, une
les plus sanglants, est grièvement blessé pendant la jolie femme — avec laquelle il ne s’entend pas
bataille de Kenesaw. Ainsi, pendant son ado­ toujours très bien cependant — et il exerce une
lescence, vit-il en compagnie de la m ort qui véritable influence dans les milieux littéraires de la
jettera une ombre froide sur les moindres de ses West Coast, où sa célébrité ne cesse de grandir.
écrits. Désormais, Bierce est un homme marqué. Mais l’année 1889 lui apporte sa part de malheur :
A 23 ans, il sort de la guerre de Sécession avec le il se sépare de sa femme et son fils aîné est tué
grade de lieutenant et une réputation de meneur dans une bagarre à cause d ’une fille. Bierce en
d ’hommes, sans jamais avoir été pour autant éprouve un terrible chagrin. La gloire que lui
un fanatique de l’idéal nordiste. Désormais, apporte, deux ans plus tard, la publication de son
pour lui, l ’existence aura toujours un arrière-goût premier livre (Au cœur de la Vie) ne suffit pas
de charnier. Et la guerre sert de fond à une grande à le consoler. Plus de 400 journaux et magazines
part de ses récits, scènes vécues auxquelles l’ima­ s’accordent à le louer, le considérant comme le
gination morbide de l’auteur donne un éclairage plus grand écrivain des États-Unis. En deux ans.
particulier. il publiera trois autres ouvrages qui seront éga­
lement fort bien accueillis par la presse, mais la
LA GLOIRE ET LA DOULEUR vie, comme une sorte de contre poids, lui réserve
un supplément d ’ombre et de deuil : son plus
A San Francisco où il se réfugie après la guerre, jeune fils meurt également, alcoolique.

Am brose B ierce, le prince des ténèbres


L’ÉTRANGE DISPARITION vraiment que l’étroite lisière de la mort. Au fond,
Bierce, tout courageux qu’il soit, a peur et horreur
Il a tout perdu sauf la gloire. Il en vivra de 1896 de la mort. Doué d ’une extrême sensibilité, il
à 1913. D ’abord à Washington, comme corres­ recule devant la mort hideuse, la mort aveugle et
pondant du journal « The Examiner », puis en absurde, comme il recule devant la futilité de
Californie où il passe trois ans dans l’indolence l’existence. C ’est pour se défaire de cette angoisse
au milieu d ’une véritable cour d ’admirateurs, qu ’il tempère son romantisme par une ironie
puis de nouveau à Washington où il descend la froide ou amère ; c’est pour oublier le néant
pente dans l ’oisiveté, l’ennui et la misanthropie. de la tombe qu’il nous conduit dans le royaume
Il n ’écrit presque plus, se contente de reviser ses du surnaturel. »
œuvres publiées. Ceci fait qu’il y a deux Bierce bien distincts :
Enfin, en 1913, asthmatique, revenu de tout, un auteur de nouvelles de terreur qui n ’échappent
n ’ayant jamais cru à rien, mais las de survivre, pas toujours au baroque emphatique, et un
il s’adresse une dernière fois à l’aventure pour misanthrope à la plume cruelle qui, par ses contes
résoudre sa difficulté d ’être. Au Mexique, on se désinvoltes, ses fables et ses définitions, se délecte
bat. Bierce décide d ’aller voir « si les Mexicains à réduire les sentiments et les bienfaits de ce
sont bons tireurs ». Après avoir fait un pèlerinage monde à de simples zéros bien ciselés.
aux anciens champs de bataille où il avait si
souvent côtoyé la mort, cet homme de 70 ans LE DICTIONNAIRE DU DIABLE
rejoint les troupes de Pancho Villa. On n ’en sait
rien d ’autre. A partir de ce moment, on perd C ’est sans doute dans son « Dictionnaire du Diable »
sa trace et personne ne la retrouva jamais. Ni (Les Quatre Jeudis - 1955) que la vision lucide,
lettre, ni indice, ni signe de piste. Sa disparition algébrique, aigre-tranchante de son œil sauvage
demeure, pour l’histoire de la littérature, une explose avec le plus de virulence. Témoin ces
énigme. Pour les lecteurs avertis de Bierce elle quelques définitions qui ont une valeur de choc
est significative : il s’est dissout dans l’espace et d ’exemple :
comme les héros de ses histoires mystérieuses. c e r v e a u : appareil grâce auquel nous pensons
que nous pensons.
L ’AM ERTUM E ABSOLUE d é l u g e : remarquable expérience du baptême
laquelle lava le monde du péché et des pécheurs.
L ’œuvre complète de Bierce tient en un seul s e u l : en mauvaise compagnie.
volume de 800 pages. Comme celle de Poe, t r a v a i l : processus grâce auquel A acquiert des
également assez réduite, son importance n ’est pas biens pour B.
en surface mais en profondeur. De tous les c o u v e n t : lieu de retraite destiné aux femmes
écrivains de l’école noire d ’outre-Atlantique, il est qui souhaitent avoir des loisirs pour méditer
sans doute le plus ténébreux. Rarement un poète sur le vice d ’oisiveté.
fut plus magistralement inspiré par la mort. b r u i t : puanteur de l’oreille.
Jacques Papy, qui traduisit en France tous les n o v e m b r e : le onzième douzième de la fatigue.
livres de Bierce, en parle avec beaucoup de b o n h e u r : sensation agréable que nous éprouvons
lucidité : au spectacle du malheur d ’autrui.
« On a pu dire de Bierce q u ’il était « un spécialiste é p o u s é e : femme qui a un bel avenir de bonheur
des cadavres ». Il faut remarquer pourtant q u ’il ne derrière elle.
se délecte pas au spectacle de la mort. Il en subit p h il o s o p h ie : itinéraire composé de plusieurs
l’attirance en dépit de lui-même. Il voit dans la routes qui mènent de nulle part à rien.
mort une réalité inexorable qui s’impose à nous, b a r o m è t r e : ingénieux instrument qui nous
quoi que nous puissions faire; et la vie n ’est indique le temps qu’il fait.

La littérature différente
é r u d itio n : poussière tom bée d ’un livre dans un
crâne vide.
lo n g é v ité: prolongation peu com m une de la
crainte de la m ort.
Le dictionnaire to u t entier a ce ton, cette férocité.
Rien n ’échappe à la volonté systématique de
Bierce de m ettre l’univers en coupe, rien ne
trouve grâce à ses yeux. C ’est que ce poète d ’un
fantastique si opposé à celui que nous prospectons
dans PLA N ÈT E, connaît à merveille l’art de
ferm er toutes les portes et toutes les fenêtres.
Il n ’y a pas la m oindre lueur d ’espoir ou d ’o p ti­
misme à glaner dans toute son œuvre. Même
si la vie lui accorde quelque répit et, en fin de
com pte, quelques coups de chance, Bierce, lui, JACQUES STERNBERG
n ’accorde jam ais aucun répit à sa volonté de Né à Anvers (Belgique), en 1923. Publie
broyer le noir. De tous les grands nom s de l ’école « Le D élit » chez Pion après avoir été
refusé par tous les éditeurs pendant
du Pessimisme, il est peut-être le plus lucide 7 ans. Mais il se venge de ce refus en
et l ’un des seuls qui n ’ait jam ais espéré quoi que refusant de son côté une vingtaine
ce soit, jam ais cru à rien, ni à la diversion, ni au d ’em plois après les avoir « e ssa yé s»
bonheur de la m inute qui passe, ni à l’au-delà, pendant quelques mois.
Tenté par l'irréalité absurde que dégage
ni à l’en dessous. Il n ’y a pas une phrase rose n'im porte quel fait quotidien, il écrit
à glaner dans son œuvre. Il n ’y a pas non plus « La Géométrie dans l ’im possible ».
à glaner la m oindre stupidité. On ne peut lui Puis aborde le saugrenu galactique
dans « La sortie est au fond de
reprocher que son zèle extrêm e à s ’enfoncer
l ’espace » et « Entre deux mondes
dans la nuit, quelques surcharges de style, et un incertains » (Denoël).
œil charbonneux qui ne fait jam ais la p art des Il se jette ensuite dans une biographie
choses. C ’est le veuf, le ténébreux, l ’inconsolé du délire avec « L ’ Employé » (Éditions
de Minuit) et vient de publier chez
dont parle un vers célèbre. Inconsolé, il le demeure E. Losfeld « Un Jour ouvrable » que
toute sa vie : ni l ’am our, ni la gloire, ni l ’argent l ’on peut considérer comme le retour
n ’arrangèrent jam ais rien. A ce prix-là, on peut ou la revanche de l ’Employé.
Il a toujours échappé sans difficu lté
l ’adm irer, le lire sans rien y chercher de positif, aux prix littéraires, sauf au Grand Prix
et penser à lui avec quelque pitié. Il fut de ceux de l ’Humour noir qui lui fu t décerné
qui vécurent leur vie com me on s ’acquitte d ’une cette année.
dette particulièrem ent lourde. C et homme de
glace précède et surplom be nos écrivains de
l ’angoisse. Il demeure le plus m oderne de tous
les auteurs am éricains du siècle passé.

84 Am brose B ierce, le prince des ténèbres


Huit fables fantastiques
A m brose B ierce tr a d u ite s pa r C h ris tin e Harth

Accusé, d it le juge avec sévérité, vous êtes jugé pour meurtre.


Etes-vous coupable ou ave^-vous été élevé dans le Kentuckj ?
AM BROSE B IE R C E .

LES FUSILS EN BOIS

Un Régiment d ’infanterie dépendant de la Milice d ’.État sollicita


le Gouverneur en vue d ’obtenir des fusils en bois pour l'exercice :
— Ils seront moins coûteux que de vrais fusils.
— Il ne sera pas dit que j ’aurai sacrifié l’efficacité à l’économie,
dit le Gouverneur. Vous aurez de vrais fusils.
— Merci, merci, s’exclamèrent les guerriers avec reconnaissance.
Nous prendrons bien soin de nos fusils et, en cas de guerre, nous les
retournerons à l’arsenal.

LA PENDAISON DU CALIFORNIEN

Un homme fut pendu haut et court jusqu’à ce que mort s’ensuive.


Ceci se passait en 1893.
— D ’où venez-vous ? demanda saint Pierre quand l’homme se
présenta aux portes du Ciel.
— De Californie, répondit le solliciteur.
— Entrez, mon fils, entrez. Vous apportez d ’heureuses nouvelles.
Quand l’homme fut entré, saint Pierre prit ses tablettes et y inscrivit
ce qui suit :
« 16 février 1893. La Californie colonisée par les Chrétiens. »

La littérature différente
L’ÉQUIPAGE DU CANOT DE SAUVETAGE Vous laissez entendre que vous prendrez l’une
ou l’autre, mais non les deux à la fois. Si c’est bien
Le Vaillant Équipage d ’une station de sauvetage ce que vous voulez dire, je vous en prie, prenez
était sur le point de lancer un canot à la mer ma vie.
pour effectuer un tour de surveillance au large — Ce n ’est pas ce que je voulais dire, répondit
des côtes lorsqu’il aperçut, à quelque distance, un le Voleur de Grand Chemin. Vous ne pouvez
bateau qui venait de chavirer avec douze hommes sauver votre bourse en donnant votre vie.
accrochés à la quille. — Dans ce cas, prenez-la tout de même, dit le
— Nous avons eu de la chance, dit le Vaillant Voyageur. Si elle ne peut sauver ma bourse, elle
Équipage d ’avoir vu cela à temps. Nous aurions n ’est bonne à rien.
pu avoir le même sort q u ’eux. Le Voleur de Grand Chemin fut tellement séduit
Ils rentrèrent donc le canot et demeurèrent sains par la philosophie et l’esprit du Voyageur qu’il
et saufs sur le rivage afin de pouvoir encore le prit comme associé et la splendide combinaison
servir leur pays. de leurs talents donna naissance à un journal.

LA MAIN ACCEPTÉE LA CITÉ DE LA GLOIRE POLITIQUE

Un Homme d ’Affaires Prospère, ayant l’occasion Jamrach le Riche, soucieux d ’atteindre la Cité
d ’écrire à un Voleur, exprima le souhait de le de la Gloire Politique avant la tombée de la nuit,
rencontrer et de lui serrer la main. arriva à la croisée de deux chemins et, ne sachant
—■ Non, répondit le Voleur. Il y a certaines choses lequel prendre, consulta une Personne qui avait
que je me refuse à prendre : votre main, entre l’air d ’un Sage.
autres. — Prenez celui-là, dit ce dernier. Il est connu
— Il vous faut user d ’un peu de diplomatie, dit un sous le nom de G rand’Route Politique.
Philosophe à qui l’Homme d ’Affaires Prospère — Merci, dit Jamrach prêt à repartir.
avait rapporté la réponse hautaine du Voleur. — Quel est approximativement le prix de votre
Laissez pendre votre main une nuit et il la gratitude? demanda l’autre.
prendra. Ce n ’est pas la stupidité qui avait aidé Jamrach
Une nuit donc, l’Homme d ’Affaires Prospère à faire fortune. Aussi donna-t-il un peu d ’argent
laissa sa main hors de la poche de son voisin à son guide et, se hâtant, il arriva bientôt à une
et le Voleur s’en empara avec avidité. barrière gardée par un Monsieur Bienveillant
à qui il dut remettre une petite somme pour avoir
le droit de passer. Un peu plus loin, il atteignit un
pont jeté en travers d ’un cours d ’eau imaginaire.
Là, un Ingénieur des Ponts et Chaussées — celui-là
LE VOLEUR DE GRAND CHEMIN même qui avait bâti le pont — lui demanda
ET LE VOYAGEUR l’intérêt de l’investissement consenti et il l’obtint
sans difficulté. Il commençait à se faire tard
Un Voleur de Grand Chemin arrêta un Voyageur lorsque Jamrach arriva au bord d ’une sorte de lac
et, le menaçant d ’une arme à feu, cria : « La d ’encre noire. Le chemin n'allait pas plus loin.
bourse ou la vie! » Apercevant un Passeur dans son bateau il paya
— Mon bon ami, dit le Voyageur, si j ’en crois son passage et se prépara à embarquer.
les termes de votre demande, ma bourse va — Non, dit le Passeur. Passez votre cou dans ce
sauver ma vie, ma vie va sauver ma bourse. nœud coulant et je vous remorquerai jusqu’à

Am brose B ierce, le prince des ténèbres


l’autre rive. C ’est l ’unique moyen de procéder, je t ’en prie, à quoi sert ce mors que tu as dans la
ajouta-t-il, voyant que son client était sur le bouche?
point de protester. — Ç a? C ’est du fer. L ’un des meilleurs toniques
Bientôt il se retrouva sur l ’autre rive, à m oitié qui soit.
étranglé et affreusement souillé p ar les eaux — Mais que signifient ces rênes qui y sont
nauséabondes. attachées ?
— Voilà, dit le Passeur en le hissant ju sq u ’à la — A em pêcher le mors de tom ber de ma bouche
terre ferme et le débarrassant du nœ ud coulant. lorsque je suis tro p indolent p o u r le retenir.
Vous êtes arrivé dans la C ité de la G loire Politique. — E t la selle?
Elle com pte cinquante millions d ’habitants et, — Elle m ’épargne de la fatigue : quand je suis las,
comme la couleur des eaux de la M are Puante je m onte en selle et je chevauche.
est indélébile, ils se ressemblent tous.
— Hélas! cria Jam rach qui regrettait la perte
de toute sa fortune dilapidée en pourboires et
droits de passage. Je veux retourner avec vous. LE L IO N ET L ’É PIN E
— Je ne crois pas que cela sera possible, dit le
Passeur en s ’éloignant du rivage dans son em bar­ Un lion rôdait dans la forêt quand une épine
cation. C ette C ité est bâtie sur l’île de Ceux qui ne s ’enfonça dans sa patte. R encontrant un berger
retournent pas. il lui dem anda de la lui enlever. Celui-ci s ’exécuta
et le lion, qui venait de dévorer un autre berger,
s ’en alla sans lui faire de mal.
Q uelque tem ps après, le berger, sur une fausse
accusation fut condam né à être jeté aux lions.
LES D E U X CH EV A U X Lorsque les fauves furent sur le point de le dévorer,
l’un d ’eux dit :
Un cheval sauvage, qui venait de rencontrer un — Voici l’homme qui a enlevé une épine de ma
cheval domestique, le taquinait sur sa condition patte.
d ’esclave. L ’anim al apprivoisé ju ra q u ’il était A ces mots, les autres s ’éloignèrent de leur victime
aussi libre que le vent. et celui qui venait de parler la dévora to u t seul.
— S’il en est ainsi, dit l ’autre, explique-moi, AMBROSE BIERCE.

La littérature différente
Dans une rue déserte, le « Sbirro's »,
une façade de briques, c'est peut-être le dernier établissement de la ville à s'éclairer au gaz■
La spécialité de la maison
S ta n le y Ellin

U a p p é tit vient en mangeant.

Stanley Ellin travailla d’abord dans LA SPÉCIALITÉ DE LA MAISON


un journal, ce qui est le commen­
cement de la fin pour un mauvais « Et ceci, dit Laffler, est le Sbirro’s. » Costain aperçut une façade
écrivain, et un excellent début pour carrée de brique, identique à celles qui s’étendaient de part et d ’autre
un bon. Moins banal est le fait qu’il dans l ’obscurité gluante de la rue déserte. Des fenêtres grillagées
abandonna soudain le journalisme
pour entrer dans l ’industrie. Profitant du sous-sol, à ses pieds, une raie de lumière perçait entre les rideaux.
de ses moments de loisir, il écrivit — Bon Dieu, fit-il, quel sinistre trou !
une nouvelle qui devint rapidement — Comprenez donc, déclara Laffler avec raideur, que le Sbirro’s
célèbre, et qui est aujourd’hui consi­ est un restaurant sans prétentions. Par les temps atroces et agités
dérée comme un classique de la litté­ que nous vivons, son propriétaire s’est refusé à toute compromission.
rature différente : La Spécialité de C ’est peut-être le dernier établissement de quelque importance dans
la Maison. Parm i tous les jeunes cette ville à s’éclairer au gaz. Ici, vous trouverez les mêmes tables
auteurs américains, il est sans aucun
doute le plus doué.
anciennes, les mêmes magnifiques couverts de Sheffield, voire, dans un
Ce qui nous intéresse d’abord dans coin éloigné, les mêmes toiles d ’araignée que connaissaient déjà les
La Spécialité de la Maison, c’est le clients d ’il y a un demi-siècle.
thème de la naissance d ’une société — Une bien pauvre référence, dit Costain, et peu hygiénique en
secrète, ce qui nous retient ensuite, tout cas.
c’cst la lente cristallisation du — En y pénétrant, poursuivit Laffler, vous laissez derrière vous la
mystère dans ce club insolite. folie de cette année, de ce jour, de cette heure et, pour un bref instant,
vous vous élevez spirituellement non par l’opulence mais par la
dignité, cette qualité perdue de notre temps.
Costain eut un rire gêné.
— A vous entendre, fit-il, on croirait qu’il s’agit d ’une cathédrale
et non d ’un restaurant.
A la pâle lueur du reverbère, juste au-dessus d ’eux, Laffler dévisagea
son compagnon.
— Je me demande, dit-il d ’un ton cassant, si je ne me suis pas trompé
en vous invitant.

La littérature différente
Costain se sentit vexé. En dépit d ’un titre ronflant avec curiosité autour de lui. La pièce n ’était pas
et d ’un gros salaire, il n ’était q u ’un employé grande et la demi-douzaine de becs de gaz qui
du prétentieux petit bonhomme ; malgré cela constituaient le seul éclairage jetaient une lumière
il se crut autorisé à réagir. « Si vous le désirez, si trompeuse que les murs donnaient l’impression
déclara-t-il froidement, je puis prendre d ’autres de vaciller et de s’évanouir par moments dans une
dispositions et passer ma soirée ailleurs. » Ses espèce de brouillard opaque.
yeux bovins fixés sur Costain et la brume collant Il n ’y avait guère plus de huit à dix tables, installées
à sa face rougeaude, Laffler semblait mal à l’aise. de façon à assurer à leurs occupants le maximum
«N on! non! déclara-t-il enfin. Absolument pas. d ’intimité. Toutes étaient occupées, et les quelques
Il est essentiel que vous dîniez au Sbirro’s avec garçons, peu nombreux, se déplaçaient entre elles
moi. » sans gestes inutiles. L ’air résonnait doucement
Il agrippa fermement le bras de Costain et l ’en­ du cliquetis assourdi de l’argenterie et du mur­
traîna vers la grille en fer forgé menant au sous-sol. mure à peine perceptible des conversations.
« C ’est que, voyez-vous, vous êtes la seule per­ Costain hocha la tête d ’un air appréciateur.
sonne du bureau à s’y connaître à peu près en Laffler poussa un léger so'upir de soulagement.
bonne chère. Quant à moi connaître l’existence — Je savais que vous partageriez mon enthou­
du Sbirro’s sans en faire partager le secret à un siasme, dit-il. Incidemment, avez-vous remarqué
ami capable de l’apprécier, c’est comme posséder qu’il n ’y a pas de femmes, ici?
une pièce d ’art unique enfermée dans une pièce Costain leva les sourcils, l’air interrogateur.
où personne d ’autre ne peut l’admirer. » « Sbirro, expliqua Laffler, n ’encourage pas les
Ces paroles eurent le don de faire fondre le ressen­ représentants du sexe faible à venir chez lui.
timent de Costain. « Et pourtant, fit-il, j ’ai entendu Et je puis vous garantir que sa méthode pour
dire que bon nombre d ’amateurs d ’art avaient les en empêcher est efficace comme pas une. J ’ai
cet égoïsme. assisté, récemment, aux avatars d ’une femme qui
— Je ne suis pas du nombre! s’écria Laffler. s’était aventurée dans ces parages. Elle est restée
Avoir gardé pendant des années le secret de assise à une table une heure durant, attendant
l’existence du Sbirro’s m ’est devenu intolérable. » vainement qu’un garçon vienne prendre sa
Il chercha un instant à côté de la grille, puis le commande. »
son frêle et discordant d ’un vieux carillon retentit — N ’a-t-elle pas fait du scandale?
à l’intérieur. Une porte s'ouvrit et Costain se — Si. Laffler sourit en y pensant. Elle a réussi
trouva nez à nez avec un visage bronzé dont le à jeter la perturbation parmi les clients, à placer
seul trait visible était une rangée de dents éclatantes. dans une situation embarrassante l’homme qui
« Missié? demanda le visage. l’escortait, et rien de plus.
— Mr. Laffler et un invité. — Et Mr. Sbirro?
— Missié, déclara le visage, cette fois d ’un ton — Il ne s’est même pas dérangé. Dirigeait-il,
dénotant une invitation. L ’homme s’effaça et, invisible, les opérations contre l’adversaire? Je
précédé de son compagnon, Costain descendit l’ignore. Toujours est-il qu’il a remporté une
une marche. Grille et porte grincèrent derrière victoire totale. La femme n ’est jamais revenue,
lui, puis il se retrouva dans un petit vestibule. pas plus d ’ailleurs que le stupide individu qui en
Il lui fallut quelques secondes pour se rendre l’amenant a été le véritable responsable de
compte que la silhouette qui le fixait n ’était que l’incident.
son propre reflet dans un vaste trumeau s’étendant — Un net avertissement à tous les présents,
du plancher au plafond. déclara Costain en se mettant à rire.
« Quelle atmosphère! » se dit-il, et il sourit inté­ Un garçon se dressa devant eux. Son teint brun,
rieurement tout en suivant Laffler vers une table. son nez et ses lèvres finement ciselés, ses grands
Ils s’installèrent, face à face, et Costain regarda yeux humides aux cils fournis, ses cheveux blanc

La spécialité de la maison
argent tellement épais et soyeux q u ’ils donnaient un dédale de plats. Vous devez peser, évaluer et,
l’impression d ’une perruque — tout cela indiquait malgré cela, faire un choix susceptible de susciter
un Hindou ou, du moins, un Oriental. Telle fut, sur-le-champ vos regrets. Il en résulte un malaise
du moins, l’impression de Costain. L ’homme qui vous pèse, si léger soit-il. Et pensez aux autres
tira sur la nappe, comme pour en effacer quelques aspects de la question. Au lieu d ’une cuisine où
plis invisibles, remplit d ’eau glacée deux grands d ’innombrables cuisiniers en sueur courent de
gobelets de cristal, puis les posa à la droite de tous côtés, vous avez ici un chef calme, serein,
chacun des deux dîneurs. solitaire, consacrant tout son talent à l’achè­
« Dites-moi, demanda vivement Laffler, y a-t-il vement d ’une seule tâche, et sûr, d ’avance, de
de la spécialité, ce soir? Le garçon sourit d ’un son triomphe.
air de s’excuser et, ce faisant, découvrit des dents — Alors vous avez été aux cuisines?
aussi impressionnantes que celles du maître — Malheureusement non! Le tableau que je vous
d ’hôtel. brosse est hypothétique, et je l’ai reconstitué
— Je regrette, Missié, il n ’y a pas de spécialité grâce à de petits fragments de conversation
ce soir. » surpris depuis des années. Je dois néanmoins
Laffler ne put dissimuler une vive déception. avouer que visiter les cuisines de ce restaurant
« Il y a si longtemps... Il y a plus d ’un mois que est devenu ma principale obsession.
nous n ’en avons eu. J ’espérais montrer à mon ami... — En avez-vous parlé à Sbirro?
— Vous vous rendez compte de nos difficultés, — Des dizaines de fois. Il se contente de hausser
Missié. les épaules.
— Bien sûr, bien sûr. Laffler regarda Costain — Voilà, me semble-t-il, une attitude curieuse.
avec tristesse, puis haussa les épaules. J ’avais — Du tout, du tout, se hâta de dire Laffler. Un
l’intention de vous faire goûter la merveille de artiste de génie n ’a jamais à se plier à des règles
Sbirro, malheureusement elle ne figure pas au de fausse courtoisie. Malgré cela, je n ’ai pas
menu ce soir. perdu tout espoir. » Le garçon réapparut, porteur
— Désirez-vous être servi maintenant, Missié? » de deux assiettes creuses qu’il plaça avec une
demanda le garçon. Laffler acquiesça de la tête précision mathématique devant les deux hommes,
mais, à la grande surprise de Costain, le garçon ainsi que d ’une soupière d ’où il servit méticuleu­
se retira sans prendre de commande. sement un consommé clair et liquide. Costain
«Aviez-vous commandé d ’avance? demanda-t-il. plongea sa cuiller et goûta avec une certaine
— Ah! j ’aurais dû vous expliquer que Sbirro curiosité. Le potage dégageait un goût délicat,
n ’offre aucun choix. Vous ferez le même repas presque insipide. Costain fit une légère grimace
que tous les clients ici présents. Demain soir, le et chercha des yeux le poivre et le sel. Il n ’y en
menu sera complètement changé, mais il sera de avait pas sur la table. Il leva son regard, aperçut
nouveau identique pour tous. que Laffler l’observait. Il sourit et, indiquant le
— Combien extraordinaire, dit Costain, et potage, déclara : « Excellent. »
combien désagréable, parfois. Que fait-on lorsque Laffler lui rendit son sourire. « Vous ne le trouvez
le plat qui vous est offert ne vous plaît pas? nullement excellent, dit-il froidement. Vous esti­
— N ’ayez aucune crainte à ce sujet, fit Laffler, mez qu’il est sans goût et manque de condiments. »
solennel. Je puis vous donner ma parole q u ’aussi Costain leva les yeux, l’air surpris. « Je le sais
difficile que vous soyez, vous mangerez jusqu’à la parce que telle fut ma propre réaction, voici de
dernière bouchée les plats q u ’on vous servira. » nombreuses années, et parce que, à votre instar,
Devant l’air dubitatif de Costain, il se mit à rire. je voulais saler et poivrer, la première bouchée
« Avez-vous réfléchi aux avantages du procédé ? avalée. Je découvris alors, avec surprise que
Lorsque vous consultez le menu de n ’importe Sbirro ne mettait aucun condiment à la dispo­
quel restaurant vous vous trouvez perdu dans sition de ses clients. »

La littérature différente
Costain ne cacha pas son étonnement. « Même — En alternant stimulants et narcotiques, vous
pas de sel? rompez le délicat équilibre de votre goût d ’une
— Même pas. Le simple fait que vous vouliez manière tellement violente que vous lui enlevez
en mettre dans votre potage prouve que votre sa qualité la plus délicate : l’appréciation de la
sens du goût est édulcoré. Je suis sûr que vous bonne chère. A ma vive satisfaction, j ’ai pu me
ferez la même découverte que moi : une fois votre rendre compte de cette vérité au cours des nom­
potage achevé, vous n ’aurez plus envie de sel. » breuses années où je suis venu ici.
Laffler avait raison. Au fur et à mesure q u ’il — Puis-je vous demander pourquoi vous estimez
mangeait, Costain découvrait avec un plaisir que seuls des motifs de nature esthétique président
croissant toutes les nuances du potage q u ’on lui à de telles interdictions ? Que faites-vous de
avait servi. Laffler poussa de côté son assiette vide, raisons aussi terre-à-terre que le prix élevé d ’une
mit ses coudes sur la table : licence pour la vente des alcools ou l’éventualité
« Êtes-vous maintenant de mon avis ? que des clients puissent trouver à redire à une
— A ma grande surprise, oui », reconnut Costain. atmosphère enfumée dans une pièce aussi petite ? »
Le garçon revint desservir, et le ton de Laffler Laffler secoua énergiquement la tête.
se fit confidentiel. « Si jamais vous faites la connaissance de Sbirro,
« L ’absence de condiments n ’est q u ’une des vous comprendrez immédiatement qu’il n ’est
caractéristiques de l’endroit. Il vaut mieux que pas homme à prendre des décisions basées sur
je vous mette au courant. Ainsi, vous ne verrez des considérations terre-à-terre. En fait, c ’est
jamais ici de boissons alcoolisées. En fait, on ne Sbirro lui-même qui, le premier, m ’a fait connaître
sert jamais autre chose que de l’eau glacée, la ce que vous entendez par « motifs de nature
première boisson de l ’homme et la seule qui lui esthétique ».
soit nécessaire. — Quel curieux homme », dit Costain cependant
— En dehors du lait maternel. Le ton de Costain que le garçon s’affairait à servir l’entrée.
était sec.
— Je répondrai à cela que les clients de Sbirro ont Laffler se tut et ne rouvrit la bouche qu’après
dépassé ce stade primaire de leur développement.» avoir dégusté une partie appréciable de sa viande.
Costain se mit à rire. « J ’hésite à employer des superlatifs, déclara-t-il,
« Touché, dit-il. mais, à mon avis, Sbirro représente l’homme
— Très bien. Le tabac sous toutes ses formes parvenu au sommet de la civilisation. »
est également interdit. Une fois de plus, Costain leva les sourcils et se
— Grands dieux! s’exclama Costain. Ce res­ mit en devoir de manger le rôti, arrosé d ’une
taurant n ’est-il pas davantage un repaire de épaisse sauce, mais non garni de légumes. La
naturistes q u ’un sanctuaire de gourmets? légère vapeur qui chatouillait ses narines était
— Je crains, déclara Laffler avec un renouveau chargée d ’un parfum subtil et appétissant qui
de solennel, que vous ne confondiez les mots lui faisait venir l’eau à la bouche. Il mastiqua
« gourmet » et « gourmand ». Ce dernier, en se une bouchée avec lenteur et le soin qu’il aurait
gorgeant, recherche une plus large échelle d ’expé­ mis à analyser les nuances d ’une symphonie de
riences pour stimuler ses sens émoussés, alors Mozart. Il découvrit alors une gamme de sen­
que le véritable gourmet préfère la simplicité à sations absolument extraordinaire, depuis le
toutes choses. Le pâtre grec, vêtu de son rude plaisir de sentir craquer sous ses dents la croûte
chiton et savourant l’olive mûre, le Japonais extérieure du rôti jusqu’au goût fade mais enivrant
assis dans une pièce nue et contemplant la courbe du sang dégouttant de la viande, à moitié crue
.d’une tige de fleur, voilà de vrais gourmets. à l’intérieur.
— Une goutte de fine par-ci, une pipe par-là, Ayant avalé cette bouchée, il se découvrit une
me semblent à peine exagérées. envie féroce d ’une autre, puis d ’une autre encore,

La spécialité de la maison
et dut faire un effort pour ne pas engloutir en Amirstan est une vraie rareté et seule la chance
affamé viande et sauce, sans tirer une voluptueuse vous conduit à vous trouver là le jour où l’on
satisfaction de la moindre parcelle... Ce n ’est en sert.
qu’après avoir raclé le fond de l’assiette q u ’il — Mais, rétorqua Costain, Sbirro ne pourrait-il
s’aperçut que Laffler et lui avaient mangé sans prévenir ses clients à l’avance?
échanger un seul mot. Il le fit observer, et Laffler — Votre objection ne tient pas debout. Il existe
répondit : dans cette ville un nombre colossal de gloutons
« Croyez-vous que des mots soient nécessaires, professionnels. Si on le savait d ’avance, le bruit
en présence d ’une telle perfection? » Costain s’en répandrait partout et il est infiniment pro­
regarda autour de lui et vit la pièce aux tentures bable que, par simple curiosité, ces gens-là vien­
fatiguées, les lumières diffuses et les silencieux draient manger de ce plat et supplanteraient les
convives sous une toute nouvelle perspective. habitués que vous voyez assis autour de vous.
« Non, reconnut-il avec humilité, je ne crois pas. — Vous voulez dire que les quelques personnes
Pour tous les doutes que j ’ai pu avoir, je vous présentes sont les seules dans toute la ville et,
présente mes excuses sans aucune réserve. Dans pour autant que je comprenne, dans le monde
tous les compliments que vous m ’avez faits sur entier, à connaître l’existence de l’établissement?
Sbirro, pas un seul m ot n ’était exagéré. — A peu de choses près, oui. Il y a encore un
— Ah! fit Laffler ravi, mais ceci n ’est que peu ou deux autres habitués qui, pour une raison ou
de chose. Vous m ’avez tout à l’heure entendu pour une autre, n ’ont pu venir ce soir.
parler de la spécialité qui, malheureusement, ne — Incroyable!
figure pas au menu d ’aujourd’hui. Ce que vous — Mais vrai. » Puis il y eut comme une légère
venez de manger n ’est rien comparé aux délices menace dans la voix de Laffler. « Chaque habitué
que ce plat vous réserve. se fait un point d ’honneur de garder le secret
— Grands dieux! s’écria Costain. Q u’est-ce donc? le plus absolu. Ayant accepté mon invitation,
Des langues de rossignol ? Des filets de licorne ? vous avez automatiquement assumé cette obli­
— Ni l’un ni l’autre. C ’est de l’agneau. gation. J ’espère que je puis avoir confiance. »
— De l ’agneau? » Costain rougit. « Le fait que je sois votre employé
Laffler demeura un instant songeur. devrait servir de garantie. Je doute néanmoins
« Si, déclara-t-il enfin, jf' devais vous donner mon de la sagesse d ’une politique qui prive d ’une aussi
opinion sincère sur ce plat, vous me jugeriez fou, bonne chère bon nombre d ’amateurs capables
tellement forte est l’impression que je ressens de l’apprécier.
rien qu’en y pensant. Ce ne sont ni des côtelettes, — Savez-vous quel serait le résultat de votre
trop grasses, ni du gigot, trop ferme. Non, c’est politique? demanda Laffler avec amertume. Un
un morceau particulier de l’agneau le plus rare afflux d ’idiots qui se plaindraient à longueur de
qui soit au monde et qui porte le nom de l ’espèce : journée de ne jamais manger de canard rôti à la
agneau Amirstan. » Costain fronça les sourcils. sauce chocolat. Pouvez-vous supporter une telle
« Amirstan ? idée?
— C ’est un coin désolé situé aux confins de — Non, reconnut Costain. Je suis contraint
l’Afghanistan et de la Russie. D ’après de brèves d ’admettre que vous avez raison. »
phrases lâchées par Sbirro, j ’ai pu deviner que Laffler se rejeta sur sa chaise, l’air las, et se passa
c’est un plateau où paissent les derniers survivants la main sur les yeux, d ’un geste hésitant.
d ’une superbe race de moutons. D ’une façon ou « Je suis un homme solitaire, fit-il doucement,
d ’une autre, Sbirro a obtenu l’exclusivité d ’achat bien que je n ’aie pas choisi cette solitude. Cela
de ces animaux et se trouve être le seul restau­ peut vous paraître étrange, voire proche de l’insa­
rateur au monde à pouvoir présenter ce plat nité, mais, au fond de moi-même, je considère
sur son menu. Je puis vous dire que l’agneau ce restaurant, ce havre chaud dans un monde

La littérature différente
froid et atteint de folie, à la fois comme ma découvrir le Sbirro’s Laffler lui-même, aujourd’hui
famille et comme mon ami. » rondouillard, pouvait avoir été très sec et osseux.
Et Costain qui, jusqu’alors, n ’avait jamais consi­ De toute évidence, il y avait donc tout à gagner
déré son compagnon que comme un patron tyran­ et rien à perdre en acceptant les invitations.
nique ou un hôte occasionnel, sentit une immense Après avoir goûté aux délices du fameux agneau
pitié tordre son estomac confortablement garni. Amirstan et fait la connaissance de Sbirro, un
ou deux refus seraient peut-être de bonne politique.
Au bout de quinze jours, l’invitation de Laffler Mais certainement pas avant.
de venir partager son repas au Sbirro’s était Ce soir-là, deux semaines jour pour jour après sa
devenue rituelle. Chaque jour, à cinq heures première venue au restaurant, Costain eut la
et quelques minutes, Costain sortait dans le satisfaction de voir ses deux désirs se réaliser :
couloir et fermait la porte de son cagibi. Il pliait de l’agneau Amirstan fut servi au dîner, et il fit
ensuite soigneusement son pardessus sur son bras la connaissance de Sbirro. L ’un et l’autre surpas­
gauche, jetait un coup d ’œil dans la vitre de la sèrent tout ce qu’il avait imaginé.
porte pour s’assurer que son feutre était bien Lorsqu’ils eurent pris place et que le garçon se
posé sur sa tête. Il avait été un temps où il aurait fût penché pour leur annoncer gravement : « Ce
alors allumé une cigarette mais, encouragé par soir, il y a de la spécialité », Costain nota, avec
Laffler, il avait décidé d ’essayer de ne plus fumer. surprise, que son cœur battait follement. Sur la
Puis il enfilait le couloir et retrouvait comme par table, devant lui, il vit trembler les mains de
hasard Laffler à ses côtés. Celui-ci se raclait la Laffler. « Mais ce n ’est pas normal », pensa-t-il
gorge et disait : soudain. « Deux adultes, présumés intelligents
« Ah ! Costain ? Pas de projets pour ce soir, et en pleine possession de leurs moyens, frétillant
j ’espère ? comme une paire de chats attendant leur pâtée ! »
— Non, répondait Costain, je suis libre comme « Et voilà! » La voix de Laffler le fit sursauter sur
l’air, » ou bien, « à votre disposition, » ou quelque son siège. « Le triomphe culinaire de tous les
autre phrase tout aussi banale. Parfois il s’était âges. Et, sur le point de l’affronter, vous vous
demandé s’il n ’aurait pas été plus poli de refuser sentez tout ému.
à l’occasion, mais la joie avec laquelle Laffler — Comment avez-vous deviné? demanda fai­
accueillait son acceptation, et la façon amicale blement Costain.
dont il lui attrapait alors le bras l’empêchaient — Comment? Parce que, il y a dix ans, j ’ai passé
de donner suite à ce projet. par le même stade. Ajoutez à cela votre air de
Parmi les écueils du monde des affaires, se disait répulsion et il est facile de comprendre combien
Costain, quel meilleur moyen de faire carrière vous souffrez de constater que même un homme
que de s’assurer l’amitié de son patron? Déjà salive en pensant à sa viande.
un secrétaire du conseil d'administration avait — Et les autres ? murmura Costain. Éprouvent-ils
publiquement exprimé l’estime dans laquelle la même sensation?
Laffler tenait Costain. Tout allait donc pour le — Jugez-en par vous-même. »
mieux. Costain jeta un regard furtif autour de lui. « Vous
Et que dire des repas, des incomparables repas avez raison. On est au moins réconforté de ne
de Sbirro ? Pour la première fois de sa vie, Costain, pas être le seul. »
homme maigre à l’ossature marquée, s’apercevait Laffler inclina légèrement sa tête de côté. « Un
avec joie qu’il grossissait. En l’espace de quinze des habitués sera certainement très déçu. »
jours, ses os avaient disparu sous une couche de Costain suivit le regard. A la table que Laffler
chair ferme et lisse, avec, ici et là, de légers signes indiquait, un homme était assis manifestement
d ’un futur embonpoint. Un soir, en prenant son seul, et Costain fit la grimace en voyant la chaise
bain, Costain se dit tout à coup q u ’avant de vide en face de lui.

La spécialité de la maison
« Tiens, oui, fit-il. N ’est-ce pas ce très gros homme Costain se leva et serra la main tendue. Elle était
chauve? Je crois bien que c’est le premier repas chaude et sèche, dure comme une pierre à briquet.
qu’il manque depuis quinze jours. « Je suis tellement heureux, Mr. Costain. Tel­
— Depuis dix ans serait plus exact, déclara lement, tellement heureux », ronronna la voix.
Laffler, une note de sympathie dans la voix. « M on modeste établissement vous plaît, hein?
Qu’il pleuve ou qu’il vente, que la crise batte son Vous avez un grand festin en perspective, je vous
plein ou que les calamités s’abattent sur le monde, l’assure. »
je ne pense pas q u ’il ait raté un seul dîner au Laffler fit entendre un petit rire. « Oh ! dit-il,
Sbirro’s depuis la première fois où moi-même j ’y Costain a régulièrement dîné ici depuis quinze
suis venu. Imaginez sa déception lorsqu’il appren­ jours. Il est en bonne voie pour devenir un de vos
dra qu’à sa première absence l ’agneau Amirstan fervents admirateurs, Sbirro.
était le plat du jour. » Les yeux étaient fixés sur Costain.
Costain regarda de nouveau la chaise vide, res­ — Un très grand compliment. Vous me gratifiez
sentant un vague malaise : « Sa toute première? » de votre présence, et je vous rends la pareille
murmura-t-il. avec mes repas, hein? Mais l’agneau Amirstan
— « Mr. Laffler! Et avec un ami! Je suis si est de beaucoup supérieur à tout ce que vous avez
heureux! Tellement, tellement heureux! Non, pu déguster dans le passé, je vous l’assure. Tous
ne vous levez pas. Je vais prendre une chaise. » les ennuis pour l’obtenir, tous les soucis pour la
Comme par miracle, un siège apparut derrière préparation, tout cela est pleinement justifié.
l’homme qui se tenait devant leur table. « L ’agneau Costain luttait pour échapper à l’exaspérant
Amirstan sera un succès total, hein? Je l’ai fait problème posé par ce visage.
mijoter moi-même toute la journée dans cette « Je me suis demandé, déclara-t-il, pourquoi,
modeste cuisine, secouant cet idiot de chef pour étant donné toutes les difficultés auxquelles vous
qu’il fasse tout comme il faut. Ce « comme il faites allusion, vous prenez la peine d ’offrir de
faut », voilà l’essentiel, hein? Mais je constate l ’agneau Amirstan à vos clients? Sans aucun
que votre ami ne me connaît pas. Que diriez-vous doute vos autres plats sont suffisamment suc­
d ’une présentation? » culents pour soutenir votre réputation. » Le
Les mots coulaient en un torrent fluide et discret. sourire de Sbirro s’élargit au point que son
Ils étincelaient, ronronnaient, hypnotisaient visage devint tout à fait rond. « Question de psy­
Costain qui se trouva sans voix, les yeux fixes. chologie, peut-être. Quelqu’un découvre une
La bouche qui déroulait ce sinueux monologue merveille et désire la partager avec les autres.
était d ’une alarmante grandeur, aux lèvres minces Peut-être aussi ne remplit-il sa coupe jusqu’au
qui se relevaient et se tordaient à chaque syllabe. bord qu’en observant l’évident plaisir de ceux
Sous le nez plat, des poils follets dessinaient qu’il a conviés à ce partage. Ou bien, après tout,
une vague ligne ; des yeux écartés, presque bridés, n ’est-ce qu’un simple truc commercial.
qui brillaient à la lueur des becs de gaz ; de longs — Prenant en considération tout ce que vous
cheveux lisses, descendant du sommet du crâne venez de dire, tenant compte de toutes les règles
sur un front sans ride, des cheveux si pâles q u ’ils que vous avez imposées à vos clients, pourquoi
semblaient décolorés. Certainement un visage ouvrez-vous ce restaurant au public au lieu d ’en
extraordinaire et, à sa vue, Costain se sentit faire un club privé? »
torturé par la conviction q u ’il lui trouvait quelque Le brillant regard plongea brusquement dans
chose de familier. Il se creusa la cervelle, mais celui de Costain, puis se détourna. « Si perspicace,
ne put faire remonter le moindre souvenir. La hein? Alors, je vais vous expliquer. Il y a plus
voix de Laffler tira Costain de ses pensées. d ’intimité dans un restaurant ouvert au public
« Mr. Sbirro, Mr. Costain, un excellent ami et que dans le club le plus fermé. Ici, personne ne
collaborateur. » s’occupe de vos affaires, personne ne désire

La littérature différente
connaître les détails de votre existence. Ici, l’on Sbirro. Un ami, avez-vous dit? Sa disparition a
mange. Nous n ’avons aucune curiosité en ce qui dû beaucoup vous affecter? »
concerne les noms, adresses, raisons des allées et Le visage de Sbirro s’allongea. « Beaucoup, je
venues de nos clients. Ici nous sommes heureux vous l’assure. Mais envisagez tout cela de la
de vous accueillir et nous n ’avons aucun regret façon suivante : il fut probablement plus grand
lorsque vous n ’y venez plus. Voici ma réponse. dans sa mort que dans sa vie. D ’une tournure
Q u’en dites-vous? » d ’esprit encline à prendre les choses au tragique, il
Costain fut surpris de cette véhémence. « Je n ’avais m ’a souvent dit que ses seules heures de bonheur,
pas l’intention d ’être indiscret », balbutia-t-il. c’est à cette table qu’il les avait connues. Pathé­
Sbirro fit courir le bout de sa langue sur ses tique, n ’est-ce pas? Et pensez que la seule faveur
lèvres minces. que j ’aie pu lui accorder a été de le laisser
« Non, non, rassura-t-il, vous n ’êtes pas indiscret. contempler les mystères de ma cuisine, qui n ’est,
Ne me laissez pas vous donner cette impression. en dépit de tout, qu’une simple cuisine très
Au contraire, je sollicite vos questions. ordinaire.
— Allons, Costain, dit Laffler, ne vous laissez — Vous semblez bien certain de sa mort, fit
pas intimider par Sbirro. Je le connais depuis observer Costain. Après tout rien ne la prouve. »
des années et je vous garantis qu’il crie plus fort Sbirro contempla le portrait.
qu’il ne mord. Avant que vous vous en soyez « Rien, reconnut-il doucement. Remarquable,
rendu compte, il vous aura fait connaître tous hein? »
les secrets de la maison — hormis vous faire Le plat arrivait. Sbirro sauta sur ses pieds et se
visiter sa précieuse cuisine, cela va de soi. mit en devoir de les servir personnellement. Les
— Ah! sourit Sbirro, pour cela Mr. Costain yeux étincelants, il prit la casserole sur le plateau
aura sans doute à atténdre un peu. Pour tout le et renifla son fumet avec une joie sensuelle. Puis,
reste, je suis entièrement à son service. » prenant soin de ne pas répandre une seule goutte
Laffler assena un joyeux coup de main sur la de sauce, il remplit les deux assiettes de petits
table. morceaux de viande dégoulinant de jus. Ceci fait,
« Qu’est-ce que je vous disais! Maintenant, et comme si cette tâche l’avait exténué, il se laissa
dites-nous la vérité, Sbirro. Quelqu’un, en dehors retomber sur sa chaise et respira très fort.
des employés, a-t-il jamais pénétré dans ce sanc­ « Messieurs, déclara-t-il, bon appétit. »
tuaire sacro-saint? » Costain mâcha la première bouchée avec le plus
Sbirro leva les yeux. grand soin, l’avala. Puis, le regard brillant, il
« Sur le mur, au-dessus de votre tête, vous voyez contempla les dents de sa fourchette.
le portrait de quelqu’un à qui j ’ai fait cet honneur, « Grands dieux! murmura-t-il.
déclara-t-il gravement. Un très cher ami, et un de — C ’est bon, hein? Meilleur que vous ne
mes plus anciens et fidèles clients ; preuve, aussi, l’imaginiez? »
que ma cuisine n ’est pas inviolable. » Costain Costain secoua la tête, comme étourdi. « Il est
étudia le portrait, puis s’écria : aussi impossible au non-initié de concevoir les
« Mais c’est ce fameux écrivain — vous savez, délices de l’agneau Amirstan qu’à l’homme
Laffler — celui qui écrivait d ’admirables nouvelles mortel de regarder au fond de son âme », dit-il
et qui rédigeait des maximes cyniques. Puis, un lentement.
beau jour il prit ses cliques et ses claques et partit « Peut-être — et Sbirro avança la tête si près
brusquement pour le Mexique où l’on perdit sa que Costain put sentir la chaude et fétide haleine
trace. balayer ses narines —, peut-être venez-vous de
— Bien sûr! s’exclama Laffler. Imaginez que je jeter un coup d ’œil au fond de votre âme, hein? »
me suis assis sous ce portrait pendant des années Costain essaya de se reculer sans que son geste
sans jamais m ’en apercevoir! Il se tourna vers parût offensant.

La spécialité de la maison
« Peut-être, dit-il. Et quel tableau encourageant Comme faisant écho à ses mots, un hurlement
— rien que des griffes et des crocs! Mais, sans perçant parvint du bout de la rue et stoppa les
vouloir vous insulter en aucune façon, je ne deux hommes.
voudrais pas bâtir mon église sur l’agneau en « Quelqu’un est en danger, dit Laffler. Regardez. »
casserole. » Non loin de l’entrée du Sbirro’s on apercevait
Sbirro se leva et lui posa doucement une main deux silhouettes en train de lutter dans la semi-
sur l’épaule. obscurité, tantôt avançant, tantôt reculant. Elles
« Si perspicace, déclara-t-il. Un jour, lorsque vous s’effondrèrent soudain sur le trottoir et le pitoyable
n ’aurez rien d ’autre à faire sinon vous asseoir hurlement retentit à nouveau. En dépit de son
quelques instants dans une pièce sombre et songer embonpoint, Laffler se mit à courir relativement
à ce monde— à ce q u ’il est et à ce q u ’il deviendra— vite, cependant que Costain le suivait prudemment.
alors consacrez un peu de vos méditations à la Un des serviteurs au teint foncé et aux cheveux
signification de l’Agneau en religion. Ce sera blancs de Sbirro était étendu sur le trottoir. Ses
tellement intéressant. Et maintenant — il s’inclina doigts essayaient vainement d ’arracher les larges
profondément devant les deux hommes —, je vous mains qui encerclaient sa gorge, tandis que ses
ai empêché de manger suffisamment longtemps. J ’ai genoux cognaient contre l’énorme buste de
été extrêmement heureux — il fit un signe de tête l’homme qui l’écrasait brutalement de tout son
à Costain — et je suis sûr que nous nous rencon­ poids. Laffler arriva tout essoufflé. « Arrêtez!
trerons de nouveau. » Les dents brillèrent, les cria-t-il. Que se passe-t-il? »
yeux étincelèrent et Sbirro s’en alla entre la Des yeux suppliants, saillant hors des orbites, se
double rangée de tables. tournèrent vers Laffler. « Secours, Missié... Cet
Costain se retourna pour regarder la silhouette homme... ivre... » « Ivre, hein, espèce de sale... »
qui s’éloignait. Costain voyait maintenant que l’autre homme
« L ’ai-je offensé de quelque façon? » demanda-t-il. était un marin vêtu d ’un uniforme crasseux. Il
Laffler leva les yeux de son assiette. émanait de lui une horrible odeur d ’alcool qui
« L ’offenser ? Il adore ce genre de conversation. empuantait l’air. « Tu m ’fais les poches, et t ’oses
L ’agneau Amirstan est quelque chose de rituel, me traiter d ’ivrogne, hein? » L ’étau de ses doigts
en ce qui le concerne. Déclenchez le mécanisme se resserra, et sa victime gémit.
et Sbirro se jettera sur vous avez une ardeur douze Laffler attrapa l’épaule du marin. « Lâchez-le,
fois plus grande que celle d ’un prêtre opérant une entendez - vous! Lâchez - le immédiatement! »
conversion. » s’écria-t-il. L ’instant d ’après, il s’abattait sur
Costain se replongea dans son repas, hanté par Costain qui trébucha sous la violence du coup.
le souvenir du visage. « Un homme intéressant, Cette fois, l’attaque avait été dirigée contre lui,
fit-il observer. Très intéressant. » et Laffler prit l’offensive. Sans un cri, il sauta sur
Il lui fallut un mois pour découvrir tout ce que le marin, frappant des pieds et des mains le visage
ce visage avait de familier, et cette découverte et les côtes de l’adversaire. D ’abord étourdi,
le fit rire tout haut dans son lit. Bien sûr, voyons ! l’homme finit par se redresser et se précipita sur
Sbirro aurait pu servir de modèle à l’image du Laffler. Un moment, ils demeurèrent enlacés, puis,
chat du Cheshire, dans Alice au pays des merveilles ! Costain s’étant joint au combat, ils s’affalèrent
Il fit part de cette idée à Laffler le lendemain soir, tous les trois sur le sol. Laffler et Costain se rele­
tandis qu’ils se dirigeaient vers le restaurant, vèrent lentement, et contemplèrent le corps
luttant contre un violent vent froid. Laffler n ’eut étendu à leurs pieds.
aucune réaction. « Ou bien il est ivre mort, déclara Costain, ou
« Vous avez peut-être raison, dit-il, mais je serais bien il a pris un coup à la tête en tombant. De
mauvais juge. Il y a si longtemps que j ’ai lu ce toute façon, c ’est à la police de s’occuper de lui. »
livre, si longtemps! » « Non, non, Missié. Le garçon se remit péni­

La littérature différente
blement debout et se tint mal en équilibre. Pas de parvenu au sommet de la civilisation. Voyez-vous
police, Missié. Mr. Sbirro pas vouloir ça. Vous pourquoi, maintenant? Être brillant, il comprend
comprenez, Missié? » Il attrapa le bras de Costain pleinement la nature des humains mais, contrai­
et ce dernier jeta un regard interrogateur à Laffler. rement aux hommes moins intelligents que lui,
« Bien sûr que non, dit celui-ci. Nous n ’avons il consacre tous ses efforts à la satisfaction de nos
pas à nous occuper de la police. Elle le retrouvera natures cachées sans qu’il en résulte de dommage
toujours suffisamment tôt, cet ivrogne animé pour l’innocent passant.
d ’idées homicides. Comment, bonté du ciel, tout — Quand je repense aux merveilles de l’agneau
ceci a-t-il commencé? Amirstan, dit Costain, je comprends parfaitement
— Cet homme, Missié, il marche tout de travers, où vous voulez en venir. Au fait, ne devrait-on pas
et sans vouloir, je cogne dans lui. Alors, il attaque, nous en servir bientôt? Voilà plus d ’un mois
accusant moi le voler. que nous n ’en avons eu. »
— C ’est bien ce que je pensais. » Laffler aida Le garçon qui remplissait leurs gobelets, hésita
doucement le garçon à avancer. « Maintenant, un instant.
rentrez et fai tes-vous soigner... » « Désolé, Missié, pas de spécialité ce soir. »
L ’homme semblait sur le point d ’éclater en « Voilà la réponse, grogna Laffler, et j ’aurai
sanglots. probablement la veine de manquer la spécialité
« A vous, Missié, je dois ma vie. S’il y a quelque la prochaine fois. » Costain ouvrit de grands yeux.
chose que je peux faire... » « Allons donc! C ’est impossible.
Laffler fit quelques pas en direction de la porte •— Eh! non, du diable si ça l’est. » Laffler avala
du Sbirro’s. « Mais non, mais non, ce n ’était la moitié de son verre d ’eau que le garçon remplit
rien. Allez, et si Sbirro vous pose des questions, aussitôt. « Je pars pour l’Amérique du Sud, pour
envoyez-le moi. Je le renseignerai. un voyage-surprise d ’inspection. Un mois, deux
— Ma vie, Missié », furent les derniers mots mois, Dieu sait combien!
q u ’ils entendirent comme la porte se refermait — Les choses vont si mal que ça, là-bas?
sur eux. — Elles pourraient aller mieux. Un sourire
« Nous y voilà, Costain », dit Laffler quelques éclaira soudain le visage de Laffler. N ’oublions
minutes plus tard, en s’installant sur sa chaise. pas qu’il faut des dollars sonnants et trébuchants
« L ’homme civilisé dans toute sa gloire, puant pour payer les notes d ; Sbirro.
l’alcool, et étranglant un pauvre innocent qui — Je n ’ai pas entendu parler de ce voyage, au
s’était trouvé sur son chemin. » bureau.
— Ce ne serait plus un voyage-surprise si vous
Costain dut faire un effort pour parler de cet aviez été mis au courant. Personne ne le sait sauf
incident qui lui avait mis les nerfs sens dessus moi — et vous, maintenant. Je veux leur tomber
dessous. « Ce sont les anormaux qui cherchent sur le dos d ’une manière tout à fait inattendue. Je
l’oubli dans l’alcool, dit-il. Il y a sûrement une veux découvrir leurs manigances. Pour les gens
raison pour que ce marin se soit trouvé dans un du bureau, je serai parti en vacances, peut-être
tel état. même dans une maison de repos, pour faire passer
— Une raison? Bien sûr qu’il y en a une. Sa les fatigues de ma charge. De toute façon, la
sauvagerie atavique, tout simplement. Laffler maison sera en bonnes mains. Les vôtres, entre
balaya l’air de ses bras. Pourquoi sommes-nous autres.
assis ici devant un plat de viande? Non seulement — Les miennes? répéta Costain, surpris.
pour apaiser des besoins physiques, mais parce — En arrivant demain au bureau vous recevrez
que notre « Moi » atavique lutte pour se libérer. un avis d ’avancement, même si je ne suis pas là
Réfléchissez, Costain. Vous vous souvenez que je pour vous le remettre personnellement. Ça n ’a
vous ai une fois décrit Sbirro comme l’homme d ’ailleurs strictement rien à voir avec notre amitié.

La spécialité de la maison
Vous avez fait de l’excellent travail et je vous que sa voix s’élevait d ’un ton. « Par le corps
en suis infiniment reconnaissant. » Ces éloges et le sang de votre Dieu, Missié, je vous aiderai,
firent rougir Costain. même si vous ne le voulez pas. N 'a llez p a s dans
« Vous ne pensez pas être au bureau demain la cuisine, M issié. J ’échange ma vie contre la
matin ? Vous partez donc ce soir même ? » vôtre, Missié, en disant ces mots. Ce soir ou
Laffler inclina la tête affirmativement. aucun autre soir de votre vie, n ’allez pas dans la
« J ’ai essayé q u ’on me retienne une place. Si ça cuisine de Sbirro. »
marche, ce sera notre dîner d ’adieu. Laffler se rejeta dans sa chaise, muet d ’étonnement.
— Savez-vous que j ’espère de tout mon cœur « Ne pas aller dans la cuisine? dit-il enfin. Pourquoi
que ça ne marchera pas? Peu à peu, nos dîners n ’irais-je pas à la cuisine si un jour Mr. Sbirro mani­
en sont venus à signifier pour moi beaucoup plus festait l’intention de m ’y inviter? Que signifie? »
que je n ’osais l’imaginer. » Une main sèche se posa sur le dos de Costain,
La voix du garçon retentit au-dessus d ’eux, les une autre empoigna le bras du garçon. Ce dernier
faisant sursauter. demeura cloué sur place, les yeux baissés.
« Désirez-vous q u ’on vous serve maintenant, « Que signifie quoi, messieurs ? ronronna la voix.
Missié? Quelle arrivée opportune! A temps comme
— Mais oui, mais oui, déclara sèchement Laffler. toujours, pour répondre à toutes les questions,
Je ne m ’étais pas aperçu que vous attendiez. hein? »
— Ce qui m ’ennuie, poursuivit-il après que le Laffler eut un soupir de soulagement. « Ah! Sbirro,
garçon se fut éloigné, c’est la pensée de l’agneau Dieu merci, vous êtes là. Cet homme me disait
Amirstan que je vais forcément rater. Pour vous quelque chose, m ’incitait à ne pas aller dans votre
avouer la vérité, j ’ai déjà retardé mon départ d ’une cuisine. Savez-vous ce qu’il entendait par là? »
semaine, espérant tomber sur un bon jour, mais Un large sourire fit briller les dents.
je ne puis plus attendre. Je souhaite vivement « Mais bien sûr. Ce brave homme vous donnait
que, lorsque vous serez assis devant votre portion un conseil en toute simplicité. Il se trouve que
d ’agneau Amirstan, vous pensiez à moi avec des mon trop irritable chef a eu vent de certains bruits
regrets de circonstance. » selon lesquels j ’inviterais quelqu’un dans sa
Costain se mit à rire. « Je n ’y manquerai pas », précieuse cuisine, et il est entré dans une rage folle.
dit-il en attaquant son repas. Et quelle rage, messieurs! Il a même menacé de
A peine avait-il vidé son assiette que le garçon me rendre son tablier sur-le-champ, et vous
la lui enleva silencieusement. Ce n ’était plus leur comprendrez facilement ce que cela signifierait
serveur accoutumé, mais la victime de l’agression. pour Sbirro, hein? Heureusement, j ’ai réussi à lui
« Et alors, demanda Costain, comment vous expliquer quel insigne honneur serait pour lui
sentez-vous maintenant? Encore sous l’influence q u ’un fidèle habitué et un véritable connaisseur
du choc? » le vît travailler. Et maintenant, il est redevenu
Mais l’homme ne lui accorda aucune attention. complètement amène ; complètement, hein? »
Au lieu de cela, de l’air de quelqu’un faisant un Il lâcha le bras du garçon. « Vous vous êtes
grand effort, il se tourna vers Laffler. « Missié, trompé de table », dit-il doucement. « Veillez à ce
murmura-t-il, ma vie, je vous la dois. Je veux que cela ne se reproduise pas. » Le garçon s’éloigna
acquitter ma dette. » sans oser lever les yeux, et Sbirro, attirant une
Laffler le contempla, stupéfait, puis hocha fer­ chaise vers soi, y prit place et se passa la main dans
mement la tête. « Non, dit-il, je ne veux rien de les cheveux. « Je crains que la surprise ne soit
vous, compris? Vous m ’avez suffisamment payé éventée, maintenant, hein ? Cette invitation que je
en remerciements. Allez, retournez à votre travail, vous fais, Mr. Laffler, devait être une surprise ;
et n ’en parlons plus. » celle-ci disparue, il ne demeure que l’invitation. »
L ’homme ne bougea pas d ’un pouce, cependant Laffler essuya les gouttes de sueur qui perlaient

La littérature différente
à son front. « Parlez-vous sérieusement ? demanda- Costain se leva brusquement. « Je ne vais pas
t-il d ’un ton étranglé. Voulez-vous dire que nous rester assis ici, Laffler, et gâcher votre aventure.
allons vraiment assister ce soir à la préparation Et puis, ironisa-t-il, pensez à ce chef féroce qui
du repas? » attend de vous planter son coutelas dans le corps.
Sbirro passa un ongle aigu sur la nappe, imprimant Je préfère ne pas assister à un tel spectacle, et me
dans la toile une fine ligne droite. « Ah ! dit-il, je contenterai de vous dire « au revoir », après quoi,
suis aux prises avec un dilemme de taille. Il regarda ajouta-t-il pour couvrir le silence coupable de
attentivement la ligne. Vous, Mr. Laffler, avez été Laffler, je vous laisserai entre les mains de Sbirro.
mon client pendant de longues années. Mais votre Je suis persuadé qu’il se donnera beaucoup de mal
ami, ici présent... » pour vous offrir un bon spectacle. » Il tendit la
Costain leva la main en signe de protestation. « Je main, et Laffler la lui serra à lui faire mal.
comprends parfaitement. Cette invitation ne « Très chic de votre part, Costain, dit-il. J ’espère
s’adresse q u ’à Mr. Laffler et, naturellement, ma que vous continuerez de dîner ici jusqu’à ce que
présence est gênante. Mais il se trouve que j ’ai nous nous revoyions. Ça ne tardera pas. »
un rendez-vous tôt dans la soirée et devrai donc Sbirro s’écarta pour laisser passer Costain. «Au
partir de toutes façons. De la sorte, il n ’y a plus plaisir de vous revoir », dit-il.
de dilemme. Costain s’arrêta un bref instant dans l’entrée
— Non, dit Laffler, absolument pas. Ce ne serait faiblement éclairée pour ajuster son écharpe et
pas juste. Nous avons tout partagé jusqu’à présent, rectifier l’angle de son feutre. Lorsqu’il se détourna
Costain, et si vous n ’êtes pas là, je ne goûterai cette de la glace, enfin satisfait de son aspect, il jeta un
expérience q u ’à moitié. Certainement, à cette dernier coup d ’œil en arrière et vit que Laffler et
occasion, Sbirro voudra assouplir ses conditions. » Sbirro avaient déjà atteint la porte de la cuisine,
Sbirro tenant le battant ouvert d ’une main enga­
Tous deux regardèrent Sbirro qui haussa les geante, cependant que l’autre reposait, presque
épaules d ’un geste de regret. tendrement sur les épaules dodues de Laffler.
STANLEY ELLIN.

La spécialité de la maison
Certainement un visage extraordinaire ,
mais à l'observer, on avait la conviction de lui trouver quelque chose de fam ilier
(Photo izis)
M êm e quand ils sont en liberté, notre œil les voit à travers des barreaux
L'horrible colombe et le bon loup
Konrad Lorenz

Uhomme est une colombe pour l ’homme.


(T raduction plus exacte du célèbre adage).

JU LIA N HUXLEY PRÉSENTE CET ARTICLE


Le plus grand K onrad Lorenz est un des plus éminents naturalistes de notre temps.
naturaliste d ’aujourd’hui. On l’a comparé à un Fabre moderne. Cependant, il est plus que
cela : il ne se borne pas, comme Fabre, à fournir une masse énorme
Une autre façon de faits nouveaux et d ’observations pénétrantes, en un style plein de
de voir les choses. charme et de distinction ; il établit des principes et des théories de
base à propos du comportement animal.
Le contraire de nos fables. Je suis en parfait accord avec lui quand il rejette l’attitude, si pauvre
de sens et d ’imagination, de ceux qui croient « scientifique » de
Une vérité plus fantastique prétendre que le complexe doit se réduire au simple, et que, par
et plus utile. exemple, le système nerveux des animaux n ’est « en réalité » qu’une
machine à réflexe. Et je ne suis pas moins parfaitement d ’accord
quand il critique l’anthropomorphisme sentimental, qui refuse, d ’une
part, de comprendre la nature radicalement différente de la pensée
et de la conduite animales, et, d ’autre part, satisfait un besoin
inconscient en projetant des attributs humains sur les bêtes.
Nous ne saisirons notre véritable situation dans le monde qu’en
connaissant et en acceptant la vérité du monde, la vérité physique et
chimique, géologique, biologique et mentale. Ce n ’est q u ’en
découvrant et en assimilant la vérité de la nature que nous deviendrons
capables de remplir la tâche, contradictoire en apparence, mais
pourtant nécessaire, de rétablir notre unité avec la nature tout en la
transcendant. Le travail d ’hommes comme Lorenz est une grande
contribution à notre intelligence des relations avec cette part
importante de la nature que constituent les animaux supérieurs.
SIR JULIA N HUXLEY.

Les M ystères du m onde anim al


ATTENTION ! LIÈVRES FÉROCES ! Ce n ’est pas seulement comique, c’est aussi
touchant, ce duel d ’adversaires sans armes,
cette fureur de craintifs notoires. Mais ces créatures
C ’est un dimanche matin, au début de mars ; sont-elles réellement si douces ? Ont-elles véri­
Pâques est déjà dans l’air ; il est tôt. Nous tablement des coeurs plus tendres que ceux des
marchons dans cette forêt viennoise, dont la bêtes de proie ?
beauté est rarement égalée. En approchant de Si, dans un zoo, vous avez assisté à un combat
la lisière des bois et d ’une vaste prairie, nous de lions, de loups ou d ’aigles, vous n ’avez sans
faisons ce que tous les animaux sauvages et doute pas eu envie de rire. Et pourtant ces seigneurs
tous les bons naturalistes font d ’instinct : nous ne sont pas plus méchants que les lièvres. La
profitons du dernier couvert pour examiner le plupart des gens ont l’habitude de juger les
terrain dégagé. Et cette stratégie immémoriale se carnivores et les herbivores selon des critères
révèle encore une fois efficace. moraux absurdes. Même dans les contes de fées,
les animaux sont dépeints comme s’ils formaient
Assis dans l’herbe, nous tournant le dos, un grand une communauté comparable à celle de la
et gros lièvre est en train d ’examiner intensément classe humaine, comme si toutes les espèces
un point de la lisière. Et voilà q u ’émerge du animales étaient aussi organiquement semblables
fourré un autre lièvre, lui aussi gros et gras. à l’humanité. Aussi l ’homme moyen considère-
Avec dignité, lenteur, il avance à petits bonds t-il l’animal qui tue comme l’homme qui tue
vers son congénère. Alors commence une prudente son prochain. La « méchante » bête de proie est
rencontre, assez semblable à celle de deux chiens, dite meurtrière, bien que sa chasse soit autrement
qui dégénère rapidement en une poursuite en plus légitime que celle du sportif. Un seul auteur
cercle fermé. Après un bon moment de ce verti­ a eu la logique de qualifier la noble chasse au
gineux exercice, la bataille éclate brusquement. renard, coutume vénérée de la gentry, par cette
Se faisant face, les deux champions dansent sur forte expression : «L ’innommable à la poursuite
leurs pattes de derrière et, dressés de toute leur de l’immangeable. » Quand on se tient aux faits,
hauteur, se martèlent furieusement de leurs pattes il convient de reconnaître que les bêtes de proie
de devant. Ils se heurtent en un bond aérien, et ont une attitude beaucoup plus décente envers
frappent avec une rapidité fulgurante. Puis, tout leur propre espèce que les hommes envers la leur.
à coup, ils en ont assez, et recommencent une
partie de circuit fermé, plus vite encore, avant UN COMBAT DE COLOMBES
de reprendre le combat. Les adversaires sont si
absorbés que nous pouvons, ma fille et moi, Encore plus inoffensif que le combat des lièvres,
avancer sans les interrompre. Et pourtant nous tel paraît à première vue le duel des colombes
faisons tant de bruit que n ’importe quel lièvre et des tourterelles. Le becquetage des frêles
sensé aurait depuis longtemps pris la fuite! Mais oiseaux, le battement léger des ailes fragiles
nous sommes en mars, et les lièvres de mars semblent, aux yeux du profane, des caresses
sont fous. plus que des attaques. Voici quelque temps, je
décidai de croiser la colombe africaine et notre
Ce match de boxe est si comique que ma fille, tourterelle indigène. Dans cette intention, je
malgré son vieil entraînement dans l’art d ’observer plaçai dans une cage spacieuse une colombe
en silence les animaux, ne peut retenir un rire mâle apprivoisée et une tourterelle femelle. Je ne
étouffé. C ’en est trop, même pour des lièvres fis guère attention aux premières bagarres. Com­
de mars. Deux éclairs roux, et la prairie est vide, ment ces symboles de l ’amour et de la vertu
tandis que flotte sur le champ de bataille une auraient-ils pu se faire mal ? Les laissant à leur
poignée de duvet léger. roucoulement, je partis pour Vienne. A mon

L’horrible colom be et le bon loup


retour, le jour suivant, je trouvai un horrible anxiété. Il recule encore, se heurte à la barrière,
spectacle. La tourterelle gisait sur le plancher trébuche, le vieux loup est sur lui... Et l’incroyable
de la cage ; sa tête, son cou et son dos étaient se produit : les crocs puissants s’arrêtent. Épaule
non seulement plumés mais ne formaient plus contre épaule, ils restent dans la même attitude
qu’une seule plaie sanglante. Quant à l’autre raide et tendue, les deux têtes orientées dans la
image idéale de la paix, elle se tenait plantée même direction. Ils grognent avec colère, le plus
près de sa victime comme un aigle sur sa proie. jeune en un ton plus aigu, suggérant la peur sous
Avec cette expression rêveuse qui touche tant la menace. Notons soigneusement la position
notre sentimentalité, la colombe continuait son des combattants : le vieux loup a le museau tout
travail, méthodiquement, sans la moindre pitié. contre le cou du plus jeune et celui-ci offre à son
Supposons que nos lièvres de tout à l’heure aient ennemi, sans aucune possibilité de protection,
été enfermés dans une cage : le combat aurait la partie la plus vulnérable de son corps. Il n ’y a pas
également fini dans le sang et l’extermination. un centimètre entre les crocs terribles et la carotide
Alors, pense-t-on, puisque les doux lapins et les offerte. Le loup vaincu présente volontairement le
gentilles colombes traitent ainsi leur espèce, point de son anatomie où une seule morsure sera
quand il s’agit des animaux que la nature a fatale. Les apparences sont généralement trom­
solidement armés, les batailles doivent être peuses, mais, dans ce cas précis, elles ne le sont pas ;
affreuses ! Peut-être, mais un naturaliste n ’accepte cette méthode à première vue absurde de se mettre
jamais rien sans observation directe. Observons à merci est assez générale.
donc le symbole de la cruauté et de la voracité : On devine sans peine que le vainqueur aimerait
le loup. mordre, mais il ne le peut pas. Il grogne, il fait
le geste de secouer une proie égorgée, mais cette
LES LOUPS, CES CHEVALIERS étrange inhibition persiste aussi longtemps que
le loup vainqueur ne bouge pas. Au bout d ’un
A Whipsnade, paradis zoologique, vit une meute moment, la position devient inconfortable pour le
de loups. Nous pouvons, depuis la clôture de maître du terrain et, comme il ne se résout pas
sapin, observer leur comportement dans un à mordre, il relâche sa menace. Le vaincu essaye
environnement assez semblable à celui où ils alors de fuir. Il réussit rarement car, dès qu’il
sont nés. D ’abord, nous nous étonnons de bouge, le vainqueur bondit sur lui et le force
ce que les insupportables petits à la fourrure à reprendre sa posture de reddition. Heureusement,
laineuse, aux grosses pattes maladroites, n ’aient le champion de la rencontre est sollicité par une
pas été depuis longtemps massacrés. Voici, par nécessité urgente : celle de laisser sa marque
exemple, un affreux Jojo qui, au terme d ’un galop sur le champ de bataille, de le désigner comme sa
bizarre, percute avec un choc sourd les côtes propriété personnelle ; autrement dit, il doit lever
d’un vieux mâle à la mine d ’assassin. Celui-ci la patte sur le plus proche objet surélevé. La
ne tourne même pas la tête... Mais quels sont ces cérémonie est généralement mise à profit par le
grondements étouffés, plus bas et féroces que vaincu pour prendre le large.
ceux qui précèdent une bataille de chiens ?
Un énorme vieux loup et un challenger plus jeune, COM M ENT MON CORBEAU
visiblement moins robuste, sont en train de ME NETTOYAIT LES YEUX
tourner l’un autour de l ’autre. Les crocs nus
jettent des éclairs. Rien n ’est encore vraiment Ces observations limitées nous rappellent un
arrivé. Les mâchoires de l’un ne rencontrent problème d ’intérêt quotidien, et qui se présente
que les crocs de l’autre. Peu à peu, le jeune loup à nous sous diverses formes. Les inhibitions
recule et il est clair pour nous que son adversaire sociales du même type ne sont pas rares ; elles sont
veut l’acculer à la clôture. Nous attendons avec au contraire si communes que nous les prenons

Les m ystères du m onde anim al


(Photo Tokutaro Tanaka)
Héron blanc
Oiseaux royaux : royalem ent sauvages

106 L’horrible colom be et le bon loup


(Atlas photo)
Coqs chinois

Les m ystères du m onde anim al 107


comme allant de soi et que nous ne nous donnons ils le font pour tout objet mobile et brillant,
pas la peine d ’y penser. U n vieux proverbe l’espèce serait depuis longtemps éteinte. Si les
allemand dit qu’un corbeau ne crèvera pas l’œil loups se mettaient à mordre réellement à mort
d ’un congénère et, pour une fois, le proverbe a leurs adversaires, la terre en serait bientôt vide.
raison. Souvent, quand mon corbeau apprivoisé, Mais la colombe n ’a pas eu évolutivement besoin
Roah, était perché sur mon épaule, j ’approchais de cette discipline. Elle n ’est pas équipée pour
délibérément mon visage de son bec aigu. Sa donner de sérieuses blessures et son vol est si
réaction était touchante : avec un geste nerveux, efficace qu’il suffit à la soustraire aux ennemis
ennuyé, il écartait son bec de mes yeux, exac­ mieux armés. Ce n ’est que dans l’environnement
tement comme un père en train de se raser éloigne artificiel de la cage, qui empêche la fuite du
la lame des mains curieuses de sa petite fille. vaincu, que le vainqueur a le loisir de satisfaire
Les yeux mi-clos, je tournai mon visage vers Roah, une férocité naturelle.
il interpréta mon geste comme une invite à me faire
soigner les plumes. Et comme je n ’en avais pas, MÉFIEZ-VOUS DU GENTIL DAIM !
il me nettoya tous les cils et les sourcils, avec une
merveilleuse délicatesse, car l ’épiderme des oiseaux Bon nombre d ’herbivores « innocents » mani­
est sensible. Chaque poil fut séparément écarté, festent d ’ailleurs la même férocité. Un des plus
et Roah travailla avec cette intense concentration impitoyables meurtriers du monde animal est
qui caractérise les singes et les chirurgiens en un autre symbole de l’innocence, le daim. Chez lui,
train d ’opérer. Je ne plaisante pas : ces soins aucune inhibition, car il attaque lentement, et
des animaux sociaux n ’ont pas pour but essentiel ne frappe de ses redoutables andouillers que
de chasser la vermine. Il s’agit d ’abord d ’enlever lorsqu’il sent une résistance. La victime potentielle
les épines, de presser les petits furoncles, bref, a tout le loisir de prendre du champ. Mais cela
d ’une fonction médicale. fait qu’on ne peut guère garder les daims que
Quand je me livrais à cette petite expérience dans un vaste enclos. Dans une cage, le mâle
devant des amis, j ’en recevais en général des accule souvent à la clôture ses femelles ou ses
avertissements du genre : « On ne sait jamais ; petits et les massacre avec méthode. W.T. Hor-
après tout, un corbeau est un corbeau, etc... ». naday, ancien directeur du Zoo de New York,
Ce à quoi je répondais q u ’un ami humain est a statistiquement établi que les daims provoquent
potentiellement plus dangereux q u ’un ami corbeau. beaucoup plus d ’accidents que les lions et les
Il est beaucoup plus vraisemblable q u ’un de vos tigres. Les profanes ne voient pas dans la lente
familiers devienne fou et essaye de vous tuer, approche du daim les préliminaires d ’une attaque.
qu’un corbeau sain, adulte perde soudain son Soudain, l’animal frappe, de haut en bas, comme
inhibition et vous crève les yeux. pour poignarder. Un homme musclé ne peut
guère se débarrasser de son adversaire s’il ne
L ’H O NNEUR DES FAUVES réussit à tordre le cou du doux animal. Et, natu­
rellement, il a honte d ’appeler à l’aide — songez
Pourquoi, alors, cette inhibition absolue du loup, donc, un daim ! Jusqu’au moment où il a quelques
du corbeau, manque-t-elle à la « douce » colombe ? centimètres de bois dans le corps. En passant,
Une explication complètement satisfaisante ne je vous recommande de ne pas tergiverser : si
pourrait guère être q u'historique, au sens évolu- vous voyez un gentil daim s’avancer gracieusement
tionnel du mot. Mais il est hautement vraisem­ vers vous, donnez-lui donc un bon coup de bâton
blable que le développement des armes, chez les ou de pierre sur le nez!
bêtes de proie, a été accompagné par une discipline Et maintenant, en toute honnêteté, qui est le
parallèle de leur emploi. Si les corbeaux avaient « bon » animal? Roah, ou la colombe? Le loup,
becqueté les yeux de leurs congénères, comme ou le daim? Nous pourrions multiplier les exemples

108 L'horrible colom be et le bon loup


des attitudes de soumission, chez les animaux « pitoyables » que les loups de Whipsnade. Les
sociaux. Elles sont toutes caractérisées par sagas nordiques nous rapportent maints exemples
l’offrande au vainqueur de l’endroit le plus d ’échecs dans ces « mises à mercy ». Ce n ’est
vulnérable, celui qui, si l’attaque se poursuivait, guère que chez le chevalier chrétien de la grande
conduirait à la mort. Mais il nous faut insister époque que l’on peut observer une inhibition
sur un développement d ’un intérêt particulier. comparable à celle des bêtes de proie.
Étrange paradoxe! Pas si étrange, à la réflexion.
HISTOIRE D U D IN D O N NON-VIOLENT Je n ’ai vraiment compris le conseil de l’Évangile,
ET DU PAON QUI N E LE SAIT PAS qui avait jusqu’alors éveillé en moi une forte
opposition, qu’en observant le code des loups.
Chez la plupart des gallinacés, le combat des « Et à celui qui te frappe la joue droite, présente
mâles se termine par le massacre du vaincu. aussi la joue gauche. » (Luc, VI, 29). Les loups
Le dindon, par exception, pratique la conduite m ’ont fait comprendre qu’il ne s’agissait pas de
de soumission, normalement efficace quand les donner à l’adversaire une meilleure occasion
adversaires appartiennent à l’espèce. Mais il de vous rosser ; il fallait le rendre incapable de le
arrive souvent que les dindons soient mêlés à faire, en éveillant en lui une ancestrale inhibition.
d ’autres gallinacés, et ceci tourne mal pour le Et il est certain que ce comportement est efficace,
gros oiseau d ’Amérique. Le paon, par exemple, aussi longtemps qu’il se manifeste dans une
est d ’une espèce assez voisine pour que les mâles culture suffisamment convaincue que, à un certain
aient à mesurer leur virilité. L ’oiseau des Indes degré, les hommes sont frères ; qu’ils appartiennent
est plus petit, mais sa technique est meilleure : réellement, sous des différences superficielles, à la
pendant que le dindon est en train de bomber même espèce.
le torse, le paon lui tombe dessus et lui martèle Hélas! Pour l’homme, les armes se sont déve­
le crâne. Le dindon, déconcerté par cette tactique loppées plus vite que les instincts qui devraient
imprévue, se laisse aussitôt tomber sur le sol correspondre. Les moyens de destruction se
et présente son cou. Le paon, q u ’aucun code ne sont monstrueusement accrus en quelques dé­
paralyse, frappe à m ort un adversaire que la cennies, mais les impulsions et les inhibitions,
stupeur empêche de fuir. Inquiétante observation, comme les structures corporelles, ont besoin de
pour l’idéologie pacifiste ! La non-résistance est millénaires et d ’ères pour se transformer. Leur
efficace quand on a affaire à un adversaire paralysé temps est celui des géologues et des astronomes ;
par une tradition chevaleresque. Mais s’il s’agit il n ’est pas celui des historiens. Nous ne pouvons
d ’un ennemi qui, consciemment, refuse le code? pas faire confiance à nos instincts. C ’est cons­
ciemment, logiquement, que nous devons construire
IMITERONS-NOUS notre sens de la responsabilité, seul compatible
LES COLOMBES OU LES LOUPS? avec la survie de notre espèce dans l’environ­
nement technique qui est le nôtre aujourd’hui.
Dans son ensemble, l’appel humain à la pitié En novembre 1935, je concluais un article sur
n ’est pas fonctionnellement différent de ce que « La morale et les armes des animaux », par ces
nous observons chez l’animal de proie. Même mots, mon Dieu! prophétiques : « Le jour viendra
aujourd’hui, nous avons conservé de nombreux où deux factions armées auront à choisir de
symboles de soumission, qui ont évolué en gestes s’anéantir mutuellement, et totalement. Le jour
de courtoisie : s’incliner, ôter son chapeau, viendra où l’humanité entière sera divisée en
présenter les armes. Mais, étant donné la variété deux camps ennemis. Imiterons-nous, alors, les
des conduites humaines, l’acte de soumission colombes ou les loups? Le sort de l’homme sera
n ’est pas automatiquement efficace. Les héros scellé par la réponse à cette question. » Nous
d'Homère n ’étaient certainement pas aussi avons quelque droit à l'inquiétude.
KONRAD LORENZ.
(traduit par Gabriel Véraldi,
publié avec l’aimable autorisation
de World union, Pondichéry)

Les m ystères du m onde anim al


Khrouchtchev en colère, par Topolski.
Le jour où Khrouchtchev s'a ffo la ?
xxx

Expliquer le visible compliqué p a r de l ’invisible simple.


JE A N PERRIN.

DE LA BOMBE ANTIM ATIÈRE AU GAZ ANTINERFS

Un livre suspect A l’origine de tout, une dépêche de l’Agence France-Presse datée du


19 mai 1961 à Moscou. Reproduisons-la d ’après « France-Soir » :
MYSTÈRE EN U .R .S.S . SUR LA CATASTROPHE AÉRIENNE
Des rapprochements Q U I COUTA LA VIE A QUATRE GÉNÉRAUX ET U N COLONEL.

éclairants « Quatre généraux et un colonel ont été victimes d ’une catastrophe


aérienne « dans l’exercice de leurs fonctions », a annoncé l’Agence
Tass.
Un document Il s’agit du général d ’armée Vladimir Y. Kolpaktchi, qui exerçait
suédois depuis 1958 les fonctions de chef de la direction principale de la
préparation au combat des troupes terrestres de l’U.R.S.S., du général
colonel S.N. Perevertkine, ancien vice-ministre de l’intérieur de
l ’U.R.S.S., du général-lieutenant d ’artillerie Goffe, du général-major
Morozov et du colonel Khikhlovski.
C ’est la seconde « catastrophe aérienne » en U.R.S.S. — en l’espace
de sept mois — dont des chefs militaires importants sont victimes.
Poursuivant ses recherches,parfois Étant donné le secret militaire régnant à Moscou sur les attributions
hasardeuses, parfois révélatrices, exactes des généraux et colonel dont la mort est annoncée, on ne peut
le groupe X X X qui s'est donné savoir si l’accident est survenu en cours de manœuvres, s’il s’agit
pour tâche de rassembler les d ’une explosion de fusée ou si les chefs militaires ont été tués dans un
éléments d'une histoire derrière accident « normal ».
l'histoire, nous a déjà communiqué On se rappelle que les 21 et 24 octobre 1960, le maréchal Nédéline,
des notes sur la guerre psycholo­ commandant en chef des forces de fusées de l’U.R.S.S., et le général
gique (n° 1) et sur les armes incom­ Pavioski avaient péri dans des circonstances assez mystérieuses. Des
préhensibles de demain (n° 2). rumeurs ont couru à l’époque sur le suicide du maréchal Nédéline

L'histoire in visib le
et aussi sur une terrible explosion de fusée qui
aurait tué une centaine de grands spécialistes
militaires et civils. A cause du secret total qui
entoure jusqu’aux circonstances de la mort des
généraux, et du fait que les Russes ne publient que
rarement leurs accidents d ’avion, toutes sortes
Modem Automatic Injectors
d ’hypothèses sont permises dans ce cas comme en
for self-odministratlon of antidotes against nerve gas
octobre dernier. »
polsonlng M .G .

By ROLF BARKMAN
Les Soviétiques mettent souvent longtemps à
From Th* C«ntrol Mlltt«r/ Phcrmûty of Th* Swé«fi*î» D*f«nc« forc«
Alm)
annoncer un événement. Certains pensent que la
catastrophe du 19 mai comme celle du 21 octobre
1960 ont en réalité été annoncées par bribes et
morceaux. Ces informateurs assurent que la véri­
table catastophe s’est produite le 17 septembre
1960, alors que Khrouchtchev était en route pour
New York et qu’il se trouvait à bord du navire
soviétique « Baltika ». Ces informateurs pensent
qu’une terrible nouvelle arriva alors au chef du
gouvernement soviétique, qu’elle lui brisa les nerfs
à tel point qu’il dut se traiter au maxiton pendant
tout son séjour aux États-Unis et que, finalement
— le monde entier l’a vu sur les écrans de cinéma
et à la télévision —, il enleva sa chaussure pour
taper sur la table. Un livre est paru là-dessus chez
Rtprfat from Cassell à Londres sous le titre The Day Kruschev
TID5KRIFT I MILITÀR HÂUOVÀRD
Vol. 85, No. 4
panicked (« Le jour où Khrouchtchev s’affola »).
L ’auteur s’appelle George B. Mair et nous ne
savons rien de lui. Le livre est démentiel, délirant.
C ’est un mélange de roman d ’espionnage échevelé
et d ’hypothèses fantastiques. A priori, le type
même de l’ouvrage à ne pas prendre au sérieux.
Fac-similé de la couverture du volume 85, n° 4 du Et pourtant... Un des mots clefs de ce livre est :
journal militaire suédois. « antimatière ».
L ’auteur ne sait visiblement pas ce dont il s’agit.
Ce fascicule propose et explique l'usage d'injecteurs Éclairons notre lanterne. Avec des machines
automatiques d'un antidote contre le gaz antinerfs. spéciales on arrive à convertir partiellement
l’énergie en matière. Il apparaît alors de même que
de la matière ordinaire sous forme de protons et
de neutrons une antimatière qui est l’image de la
matière dans le miroir en quelque sorte. Cette
antimatière se compose d ’anti-neutrons et d ’anti­
protons qui, au contact de la matière ordinaire,
s’annihilent en libérant de l’énergie. S’il était
possible de fabriquer à partir de ces antiparticules
une antimatière, anti-hydrogène, antimercure,

Le jour où K hrou ch tch ev s’affola


antifer par exemple, et de combiner cette matière centrale des Forces armées suédoises. Ce document
avec de la matière ordinaire on aurait une bombe à décrit une seringue automatique (basée d’ailleurs
annihilation totale, une bombe dont le rendement sur les travaux de l’ingénieur français Steiner)
serait de 100% alors que celui de la bombe permettant de s’injecter un produit neutralisant
atomique est de 2 % et celui de la bombe à hydro­ les vapeurs paralysantes à base d ’anticholineste-
gène de 7 % seulement. Une bombe à antimatière rase. Ces seringues font partie maintenant de
d ’un kilo anéantirait un continent. L ’antimatière l’équipement des forces armées suédoises et on est
ne peut pas être conservée dans un récipient en train de les distribuer à la population civile.
matériel puisqu’elle explose au contact de la Une autre des informations du livre démentiel
matière, mais elle peut être conservée dans une de Mair se trouve ainsi vérifiée.
bouteille magnétique, c’est-à-dire dans un champ Y eut-il réellement un jour où Khrouchtchev
de forces. s’affola? Préparait-il un coup de tonnerre qui n ’a
Or, quelques transfuges soviétiques, qui ne pas pu éclater? Il est difficile de répondre positi­
paraissent pas avoir lu le livre de George B. Mair, vement à la question. Quelque chose a dû se passer.
racontent une histoire singulière : Le livre de Mair et les récits des transfuges sovié­
Le 17 septembre 1960, une flotte aérienne sovié­ tiques sont certainement des légendes, des mythes
tique volait au-dessus de la Sibérie pour procéder modernes. Mais les mythes contiennent parfois
à des essais d ’une bombe à antimatière. Cette une part non négligeable de vérité.
bombe était emprisonnée dans une bouteille magné­ xxx.
tique. La flotte traversa un formidable orage
magnétique qui neutralisa la bouteille. Et la
catastrophe se produisit. L ’élite des savants mili­
taires soviétiques y aurait péri. Voilà ce q u ’on dit.
Un seul point peut être vérifié : le formidable
orage magnétique du 17 septembre 1960 a bel et
bien existé. Un autre point du livre de Mair se
prête à la vérification. Mair affirme q u ’en même
temps qu’une démonstration de la bombe à annihi­
lation totale, les Soviétiques devaient donner, en
Afrique, une démonstration d ’une vapeur tota­
lement paralysante, d ’un gaz antinerfs. Or, non
seulement ce gaz existe, mais le gouvernement
suédois a déjà pris des précautions pour s’en
défendre. Nous avons en notre possession un
document officiel publié dans le journal militaire
suédois « Tidskrift I Militàr Hâlsovard », Volume
85, N° 4. Ce document en langue anglaise est
intitulé : « Moderne automatic injectors for self-
administration of antidotes against nerve gas
poisoning », bÿ Rolf Barkman, from The Central
Military Pharmacy of The Swedish Defence
Forces (Head : B. Alm).
Ce qui veut dire : Injecteurs automatiques mo­
dernes permettant de s’administrer un antidote
contre l’empoisonnement par le gaz antinerfs,
par Rolf Barkman, membre de la Pharmacie

L’histoire in visib le
Le sacrifice d 'Abraham.de G. B. Tiepolo ( Gi ra udon)
La guerre: le père tue le fils
Gaston B outhoul

S i l ’on j réfléchit bien, les plu s grands noms de l ’histoire, les


personnages qui ont joué le plus intensément le rôle de Père des
"Peuples, sont ceux qui ont intensifié la surenchère du sacrifice et
présidé aux plus ferventes hécatombes. gaston b outhoul.

Le professeur Gaston Bouthoul est SERIONS-NOUS VICTIMES D U COMPLEXE D ’ABRAHAM ?


un des plus grands sociologues
français. Il est le créateur de la L ’un des chapitres les plus obscurs de la psychologie sociale est celui
polémologie, qui est l ’étude des des rapports entre les générations. Chez les insectes sociaux le problème
causes profondes de la guerre consi­
dérée comme le plus redoutable et le a été résolu par les conditions particulières de leur reproduction et,
plus inéluctable des phénomènes aussi, par l’extrême brièveté de leur existence. L ’ancienne génération
sociaux. Parmi ces causes pro­ prépare la naissance de la nouvelle, nourrit et transporte les larves
fondes (enracinées dans le passé de puis, chez la plupart des insectes, disparaît dès leur éclosion, souvent
l ’humanité), il en est qui sont même avant celle-ci. Nous trouvons aussi chez ces mêmes insectes,
toujours présentes et d’autres à cette étrange division du travail biologique entre les rares repro­
éclipses. La tâche de la polémologie ducteurs, c’est-à-dire la reine unique et les quelques mâles laissés
est de démêler cet enchevêtrement vivants (lesquels, d ’ailleurs, ne survivent jamais à l’accouplement), et
et de chercher à quels rythmes se
produisent les impulsions belli­ la masse des ouvrières et des guerriers, tous asexués.
queuses dans la biologie sociale. Chez les mammifères vivant en groupes familiaux, préfiguration de la
tribu patriarcale, le processus habituel est, après des batailles épiques,
l’explusion des vieux mâles par les jeunes parvenus à l’âge adulte.
Chassés de la société des femelles, les mâles âgés se voient interdire
la fonction de reproducteurs. Ils vivent solitaires, séparés du groupe
comme les vieux sangliers ou comme les phoques rôdant autour de
leur ancienne famille sans pouvoir l’approcher, les successeurs faisant
bonne garde.

A L ’ORIGINE : LA PROHIBITION DE L ’INCESTE

Les ethnologues sont d ’accord pour considérer généralement que


l ’humanité, au sens sociologique du mot, commence avec la prohi-

L'histoire invisible
bition de l ’inceste. Il en résulte une conséquence La famille patriarcale a organisé l’assujettissement
capitale : les jeunes mâles devenus adultes cessent des fils aux pères. Au point de vue économique, ils
d ’être les concurrents des pères. La libido de la sont des serviteurs et des collaborateurs. Comme
nouvelle génération est projetée sur les groupes les conflits naissent surtout entre les pères et fils
voisins. Par la razzia, le rapt, l’achat ou l’échange, dont la différence d ’âge est faible, ceux-ci sont
ces derniers sont chargés de fournir des femmes surtout éduqués par l’aïeul. C ’était jusqu’à nos
aux individus nubiles. jours la tradition confucéenne.
Autre conséquence de la prohibition de l’in­
ceste : l’agressivité des jeunes se trouve tournée, LE SACRIFICE DES PLUS JEUNES
elle aussi, vers le dehors. Les pères n ’étant plus des
rivaux, la violence n ’est plus tournée contre la géné­ Lorsque s’organise la vie politique, des institutions
ration précédente pour la chasser et la remplacer de plus en plus précises codifient les rapports et les
vis-à-vis des femmes du groupe. La même libido devoirs des générations. Dans la tribu et dans la
les poussera à menacer ou à attaquer les groupes cité antique le pouvoir appartient aux Anciens.
voisins, proie désormais désignée à leurs convoi­ Il est exercé par une hiérarchie plus ou moins
tises. Chez les primitifs, la guerre naît sous forme de féodale des chefs de famille ou de tribu.
razzias et d ’embuscades, variantes « supérieures » La guerre étant la « pointe » des actions poli­
de la chasse, suscitant à leur tour, aussi bien pour tiques, la hiérarchie des âges s’y montre plus
l’attaque que pour la défense, des formes nouvelles apparente que partout ailleurs. Ceux qui ont le
d’organisation et d ’entraide. mieux codifié dans l’Antiquité l’art de la guerre,
Ces dispositions nouvelles deviennent désormais les Romains, divisaient les combattants en trois
la base de la morale de « l’agressivité dirigée ». groupes d ’âge : le plus jeune était toujours
Celle-ci sera canalisée vers l’extérieur. « Tu ne engagé le premier. Il supportait le choc initial, les
tueras point », signifie : « Tu ne tueras point deux autres groupes restant en réserve et n ’inter­
l’homme de ta tribu ou de ton clan. » venant que lorsque l’adversaire était déjà fatigué
Toutes les variations que les divers âges préhis­ de tuer. Technique gérontocratique du corps à
toriques et les civilisations historiques bâtiront corps et de la hiérarchie militaire dont on retrouve
sur l’organisation de l ’homicide, tourneront toutes partout les traits principaux.
autour de cette distinction fondamentale.
QUAND LE PÈRE
L’ASSUJETTISSEMENT DU FILS AU PÈRE MET A MORT SES HÉRITIERS

Mais il n ’a pas suffi de prohiber l’inceste pour Sur le plan politique comme sur le plan religieux,
résoudre tous les problèmes des relations entre la génération des fils était continuatrice de l’œuvre
générations successives. Des survivances incons­ des pères et l’héritière de leurs biens et de leur
cientes de l’antique rivalité subsistent. Elles font autorité. Ce rôle futur des fils suscite chez les pères
que le domaine des rapports entre les pères et les la sollicitude nécessaire pour préparer les jeunes à
fils est, par excellence celui de l’ambivalence. ces fonctions. Mais il peut faire naître aussi la
Même chez les mammifères dont nous avons parlé, jalousie, la méfiance ou l’inquiétude envers les
les pères montrent leur sollicitude aux jeunes, ils futurs dépositaires des biens spirituels et matériels
s’en occupent, jouent avec eux, surtout les pro­ qui ont fait l’orgueil de leurs possesseurs. Quel
tègent. Mais à mesure que ces jeunes grandissent, usage en feront les maîtres nouveaux ? Le fils peut
on voit l’affection des parents faiblir. La sévérité être le fidèle continuateur, mais il peut être aussi .le
s’accroît, les sentiments de jalousie et de méfiance dépositaire infidèle. Il est susceptible — la géné­
s’y mêlent désormais et dégénèrent peu à peu en ration suivante s’affirmant souvent contre la
rivalités et en batailles. précédente — de trahir les desseins de celle-ci.

116 La guerre : le père tue le fils


D ’où, à travers l’histoire, une série d ’institutions fureur qui s’est attachée à des personnages comme
destinées à maintenir les fils dans la tradition le jour Ivan le Terrible ou Soliman le Magnifique (les
où ils prendront le pouvoir. Les rites d ’initiation historiens ont relaté leurs déchirements et leurs
sont destinés à imprimer en eux des croyances, des repentirs spectaculaires après l’exécution), il entre
réflexes conditionnels qui les garantiront contre l’obscure et ancestrale pensée d ’offrir le sacrifice
l’esprit d ’innovation et les ligoteront aux conduites propritiatoire le plus précieux à la pérennité de
traditionnelles. Rites qui s’accompagnent de l’œuvre et à la gloire de son créateur. Et, aussi,
serments et de promesses solennelles contre les aux dieux qui l’ont inspiré.
divergences et ce qu’on appelle aujourd’hui « les Les Grecs — qui nous paraissent le plus rationa­
déviations ». liste des peuples de l’antiquité — accompagnaient
Par un trait qui peut paraître issu de l’ironie des toute fondation de sacrifices. Et ils les continuaient
dieux, ce sont, précisément, les grands innovateurs en sacrifiant aux fondateurs de cités (seuls hommes
de l’histoire qui ont poussé la crainte de l’infidélité qui eussent droit à ce culte) comme à des dieux.
de leurs successeurs jusqu’à ses plus féroces On retrouve très fréquemment — comme dans le
conséquences. L ’inquiétude cette fois était de voir cas de Romulus sacrifiant son frère Remus sur les
le fils conformiste retourner à la tradition ances­ remparts à peine tracés de la future Rome —, à
trale violée par le père. La hantise de la trahison travers l’Histoire, cette attitude des grands inno­
probable de leur héritier présomptif a conduit vateurs politiques et sociaux croyant sceller par
jusqu’à son assassinat, accompli ou tenté, des le sang des hécatombes la pérennité de leur
souverains comme Philippe de Macédoine, Wou-ti œuvre. Le plus grand bourreau de notre temps,
(fondateur de la dynastie des Han), Ivan le Hitler, expliquait que par la grandeur de ses
Terrible, Philippe II, Soliman le Magnifique, Pierre massacres son Troisième Reich était garanti « pour
le Grand et le Roi-Sergent. Initiateurs chacun d ’un mille ans ».
ordre nouveau, inquiets de l’opposition de leur
héritier, ils ont voulu ou réussi à le mettre à mort. LES HÉCATOMBES SYMBOLIQUES
On retrouve le même trait chez des magistrats
au pouvoir despotique. Ainsi Caton le Censeur Nous savons aujourd’hui par les travaux de
condamnant son fils, et Hitler sévissant férocement Malinowski et de bien d’autres ethnologues que
contre ses successeurs désignés, Rhoem, puis Hesse chez le primitif, comme chez l’animal, les méca­
qui ne dut son salut q u ’à la fuite. nismes physiologiques de la génération sont
Les récits bibliques nous offrent des exemples inconnus. La conception est due, croient-ils, à une
analogues. Le premier roi d ’Israël, fondateur de la intervention directe des esprits ou des génies. Dans
monarchie (choisi par l’Éternel il aurait dû évi­ les tribus patriarcales qui sont à l’origine de nos
demment donner l’exemple de toutes les vertus), théologies, bien que les phénomènes de la géné­
eut pour première réaction de vouloir mettre à ration soient mieux connus, la fécondité et,
mort son fils aîné. Il en fut empêché par le prophète surtout, la survie des êtres engendrés, nouveau-nés,
Samuel et les clameurs du peuple. troupeaux ou même récoltes, sont un bienfait
gratuit de la Providence.
DU SANG POUR LES DIEUX Mais une longue tradition veut que les dieux
veuillent leur part de ces dons. Elle leur est offerte
Mais cette mise à mort de l’héritier n ’est pas sous forme de sacrifices. Les dieux sont toujours
seulement un acte politique préventif. Il s’y mêle servis les premiers, c’est-à-dire que l’offrande doit
des éléments mystiques. Dans la mentalité antique, porter toujours sur les premiers produits, prémices
toute fondation doit être accompagnée d ’un sacri­ consacrées aux divinités, à la fois remerciement et
fice. Il est d ’autant plus grand que l’œuvre est plus partage symbolique. Nous pouvons difficilement
grandiose ou plus ambitieuse. Dans la sombre imaginer la place que tenaient ces sacrifices san­

L’histoire invisible
glants auxquels le christianisme eut l’immense cité. C ’est en somme la pratique « en grand »
mérite de mettre fin. Les acropoles et les temples du Sacrifice d ’Abraham. Car il ne s’agit pas de
de marbre sur les promontoires n ’étaient pas autre l’offrande du sang « vil » de prisonniers ou
chose que des abattoirs où les tripes étaient d ’esclaves, mais des vies les plus précieuses,
répandues fumantes sur les autels de marbre oblations sublimes de victimes choisies parmi les
sculpté. familles patriciennes de la cité. On crut longtemps
Et pourtant ces répugnants sacrifices solennels à une calomnie romaine, jusqu’au jour où l’on
d ’animaux, auxquels se complaisent encore des retrouva sous les parvis d ’un temple de Carthage
religions modernes, représentaient un progrès de milliers d ’urnes pleines d ’ossements d ’enfants
dont l’histoire schématisée est celle du Sacrifice calcinés.
d ’Abraham. Car toutes les civilisations placent
dans leur siècle obscur la tradition des sacrifices LE CRUEL RITE DU DÉVOUEMENT
humains.
Mais cette coutume, qui devait être générale dans Le sacrifice est aussi le symbole de la révérence et
les temps barbares, n ’en a pas moins laissé des de l’attachement des hommes pour les puissances
traces fréquentes aux époques historiques. Expia­ supérieures, dieux et croyances, ou pour leurs chefs.
toire ou propitiatoire, tribut offert aux divinités, Ici aussi le sacrifice est d ’autant plus méritoire
aux génies ou aux mânes des ancêtres, le sacrifice qu’il porte sur des êtres plus chers et plus précieux.
humain est toujours latent derrière celui de Chez les Aztèques, les prisonniers sont immolés
l’animal. Mais il a survécu d ’une manière éclatante par milliers, mais les victimes de choix sont des
dans les jeux des gladiateurs, coutume funèbre volontaires, souvent de haut rang.
étrusque, héritée des Romains et devenue l’accom­ Lorsque nous assurons quelqu’un de nos sentiments
pagnement obligatoire de tous leurs triomphes, dévoués, nous oublions que cette formule dérive
comme un rite de sanglantes actions de grâces. de l’un des rites les plus cruels des religions
De même, dans des circonstances graves, on voit archaïques. Encore dans la Rome impériale en cas
parfois renaître cette coutume. L ’angoisse et la de danger ou de maladie grave du prince, des
terreur sont génératrices de régression spirituelle. courtisans « dévouaient » leur vie à la sienne,
Lorsque Rome fut directement menacée par c ’est-à-dire qu’ils s’offraient aux dieux en échange
Hannibal, le Sénat ordonna q u ’un certain nombre de sa guérison. Depuis des siècles ce rite n ’était
de victimes fussent enterrées vivantes. On connaît plus que symbolique, un animal étant substitué
l’épisode biblique de la fille de Jephté. De nos au dernier moment à la victime (comme Isaac).
jours, dans certaines circonstances critiques liées Mais Caligula s’amusa une fois à contraindre ses
surtout aux terreurs obsidionales, les foules re­ dévoués courtisans à tenir leur promesse suivant
trouvent spontanément ces raisonnements féroces les rites anciens pour fêter sa convalescence.
de la mentalité primitive. Elles se livrent à des
hécatombes à la fois symboliques et propitiatoires. LES ARCHÉTYPES
Certains épisodes comme les massacres de DE LA MENTALITÉ PRIMITIVE
Septembre, épisodes de luttes politiques sans doute,
ne participent pas moins obscurément « quelque De tous les sacrifices humains, le plus célèbre, parce
part », étant donné leurs circonstances et la qu’il est à l’origine légendaire de toutes les religions
psychologie de ceux qui les ont ordonnés et monothéistes, est le Sacrifice d ’Abraham. Le
exécutés, à des réactions de cette sorte. Patriarche, dit la Bible, n ’hésita pas une minute
La plus connue des survivances du sacrifice humain à égorger son fils unique et bien-aimé dont la vie
dans une civilisation techniquement avancée est lui était réclamée par l’Éternel. A la dernière
la coutume carthaginoise de brûler les enfants seconde, alors que le couteau était déjà levé, un
offerts au Grand Dieu Moloch, protecteur de la Ange substitua un bélier à l’enfant.

La guerre : le père lu e le fils


" Dans les burgs de l’Ordre Noir, l’élite de notre jeunesse

L’histoire in visib le 119


120 La guerre : le père tue le fils
disait un certain père des peuples...

L’histoire in visib le 121


C ’est pourquoi nous avons proposé le nom géné­ Mais le Complexe d ’Abraham chassé de la vie
rique de « Complexe d ’Abraham » pour cet individuelle s’est réfugié et a prospéré dans la vie
ensemble de sentiments obscurs qui trouvent leur collective. Il est infiniment plus difficile alors de le
origine dans les archétypes — au sens de Jung — déceler et, aussi, de mettre en jeu la responsabilité
de la mentalité primitive. morale ou juridique de ceux qu’il anime. En tout
Ce complexe se rattache à la fois à plusieurs cas, il se manifeste avec une vigueur accrue
sources. Il est offrande de prémices, parce qu’il lorsque se déchaînent des transes et des impulsions
porte sur le premier-né. La Bible continua d ’agressivité collective. Les mobiles individuels
d ’ailleurs, en l’adoucissant, cette tradition. Elle du Complexe d ’Abraham n ’ont plus cours, mais
ordonne que le premier-né, « prémice de ta force », ils sont largement compensés par les mobiles
soit consacré au service de l’Éternel, c’est-à-dire sociologiques. On voit renaître alors, mais dans un
du Temple, de même que les prémices des trou­ unanimisme bien plus efficace, les états d ’âme qui
peaux et des arbres. président aux sacrifices rituels des fils.
Mais c’est aussi en même temps un « sacrifice de Dans les sociétés civilisées les motifs archaïques
rivalité ». Le premier-né, surtout dans les civilisa­ du Complexe d ’Abraham ne sont plus admis. Ils
tions patriarcales où l’on se mariait à peine pubère, doivent être travestis et anoblis par des motifs
est, par l ’âge, le plus proche du père. Il est, en d ’ordre collectif. Les grandes tragédies paternelles
même temps q u ’un motif de joie et d ’orgueil, un « royales » des temps modernes que nous avons
concurrent et un successeur désigné. Il détourne énumérées, même fondées sur des antipathies ou
du mâle l’attention de la mère. Il risque d ’entrer des haines personnelles, étaient grandies par des
très tôt avec le père en conflit de virilité et d ’auto­ motivations politiques. La férocité y devient alors
rité. Ainsi, autre tragédie biblique, la révolte sévérité exemplaire. François Ier, si indulgent aux
d ’Absalon contre son père le roi David. Pour siens sur tous les plans, s’écria un jour publiquement
Freud, le premier sentiment violent du jeune que si l’un de ses proches parents versait dans
garçon est la révolte en partie œdipienne contre l’hérésie « il en baillerait de sa main le sacrifice
le père. Elle s’atténue ensuite lorsque, le père au Seigneur ». Les idéologies changent, mais le
vieillissant, le fils avançant en âge, la compré­ Complexe d ’Abraham demeure prêt à les servir.
hension succède à la rancœur. Confucius avait, Tel qui sourit de pitié au souvenir de ceux qui se
nous l’avons vu, remédié à cette situation en massacrèrent pour une phrase de saint Augustin,
donnant le rôle principal au grand-père dans est prêt à en faire autant pour une idéologie plus
l’éducation des fils. fraîche. « La trahison, dit Talleyrand, est affaire
de dates » ; la férocité aussi.
LES IDÉOLOGIES CHANGENT,
LE COMPLEXE RESTE LE PLUS GIGANTESQUE
DES INFANTICIDES
Le Complexe d ’Abraham a commencé par être très
proche des archétypes archaïques. Mais avec la Ayant changé de raisonnements justificatifs, le
civilisation, l’adoucissement des mœurs, l’atténua­ Complexe d ’Abraham a aussi changé de victimes.
tion progressive des droits du père sur les enfants, Le sacrifice des nouveau-nés et des enfants a été
ces manifestations tendent à disparaître sur le plan remplacé par 1’ « infanticide différé », celui des
individuel. C ’est-à-dire que les conflits de la jeunes mâles sacrifiés dans les guerres, qu’elles
virilité, de la jalousie, la méfiance et la haine, ont soient civiles ou étrangères. Les chefs qui y
cédé de plus en plus la place aux sentiments affec­ président assument le rôle archaïque du père. Si
tueux. Dans la vie familiale, l ’entraide et la protec­ l’on y réfléchit bien, les plus grands noms de
tion ont de plus en plus prévalu sur les sentiments l’Histoire, les personnages qui ont joué le plus
destructeurs. intensément le rôle de Père des Peuples, sont ceux

La guerre : le père tu e le fils


qui ont intensifié la surenchère du sacrifice et GASTON BOUTHOUL
présidé aux plus ferventes hécatombes. Ainsi ils Professeur à l ’ École des Hautes
ont porté à son apogée et largement assouvi le Études Sociales, Vice-P résident de
désir inconscient de voir les fils sacrifiés à une cause i ’ Institut International de Sociologie.'
Gaston Bouthoul est venu à la S o cio ­
flatteuse, forme éternelle du Complexe d ’Abraham. logie après avoir professé l'Économ ie
L ’Histoire est gourmande — mais en général peu Politique. A uteu r d'un « T raité de
S ociologie », et de « Les Guerres -
variée. Tout se passe comme si chaque génération Eléments de Polémologie » (Payot
léguait soigneusement à la suivante une Boîte de Editeur). Fondateur de la P o lé m o lo g ie
(étude des guerres considérées comme
Pandore pleine de conflits futurs. Elle lui lègue phénomène social). A u tre s o u v ra g e s :
aussi les instruments des prochaines hécatombes, « La Guerre », « Les Mentalités »,
« Biologie Sociale », « Histoire de la
ainsi que les structures sociales génératrices Sociologie » (Presses U niversitaires
d ’agressivité. De nos jours, nous léguerons à nos de France, Collection « Que sais-je? »,
ainsi que de divers Essais de Polé­
successeurs d ’une part la surpopulation dont il mologie dont: « Cent M illions de Morts »
résultera à bref délai, si elle continue, une névrose (Sagittaire), « Huit Mille Traités de
Paix » (Julliard) et (à paraître) « Sauver
obsidionale à l’échelle mondiale. Par compen­ la Guerre » (Grasset).
sation, sur le chapitre des moyens de destruction
nous nous sommes surpassés. Nous léguons à nos
successeurs la bombe atomique avec la manière
de s’en servir. Sans le vouloir, pris par une
effroyable fatalité, au siècle de la protection de
l’enfance et de la fin de la mortalité infantile, nous
laissons se préparer, les bras ballants, le plus gigan­
tesque infanticide différé de tous les temps.
GASTON BOUTHOUL.

L’histoire invisible
Mythes, mystères et miracle du couple
G en eviève Gennari

— A.h ! bien, dit-il, alors on peut s ’embrasser quand même, vene£


p a r ici... Par-dessus la barrière. c. f . r a m u z (Adam et È v e ) .

C’est un de nos thèmes : nous UN SEUL ACCORD HUMAIN,


abordons une nouvelle Renaissance. TOUJOURS, ET JAMAIS LE MÊME...
Quelle part y sera faite à l ’amour ?
Comment se situent, dans le courant
qui transforme les idées et les
Nul ne s’émerveille d ’un fait tout simple et tout admirable qui plonge
choses, nos notions acquises (vérités l’origine du couple dans une totale obscurité, et nous permet d ’imaginer
à conserver, tabous à renverser) q u ’il existe en tant q u ’harmonie pré-établie.
sur le couple ? Qu’est-ce qui doit Ce fait, aussi modeste que l’œuf de Colomb, est tout simplement
durer ? Et qu’est-ce qui doit celui-ci : Un hasard, qui ne peut pas être un hasard, a fait jusqu’ici
changer ? Telles sont les questions s’équilibrer les naissances féminines et les naissances masculines sur
posées dans cette rubrique de notre toute la surface de la terre et dans toute l’étendue d e l’Histoire. S’il y
revue. En cette matière si délicate a quelques dizaines de millions de femmes en excédent dans le monde,
et sensible, nous procédons avec cet excédent n ’est dû qu’à des causes secondaires, non primitives :
prudence, analysant plutôt les
inquiétudes profondes que les ré­ la guerre, la plus grande longévité et la plus grande résistance
voltes de surface. Ces questions féminines (l’exemple de l’Inde est typique, qui compte dix millions
sont de l’ordre de la vocation, non de femmes en excédent). De toute manière, à l’échelle planétaire,
de l ’ordre de la provocation. l’excédent approximatif de cinquante millions de femmes sur trois
milliards de vivants n ’est pas une menace.
Il nous suffirait pour saisir le caractère miraculeux de ce tour de force
réalisé quotidiennement dans le creuset obscur de la vie, d ’imaginer
que l’équilibre se modifie gravement, dans un sens ou dans l’autre,
— mettons dix pour cent d ’hommes et quatre-vingt-dix pour cent de
femmes ou le contraire — dans un siècle unique ou dans une seule
région du monde. C'est une civilisation entière qui serait bouleversée.
Tout serait remis en question, de la morale privée à la hiérarchie
sociale, de la psychanalyse à l’économie matérielle, de l’authenticité
de la Genèse aux lois sociales, de l’enfant et de la famille aux horaires

DE L 'A M E
Couple dans un jardin.
École du Dekkan ( xvm'V .
Musée Guimet.
(G iraudon) L 'am o u r à refaire
de travail. Pas un seul secteur de la pensée et de la avaient craint Dieu, il leur accorda une posté­
vie ne demeurerait intact. Et en tout état de cause, rité. » (2)
on peut supposer que l’angoisse vitale se dévelop­ Beaucoup de textes et de légendes semblent, par
perait jusqu’au morbide dans une société brusque­ ailleurs, borner mystérieusement le déséquilibre
ment devenue monstrueuse. Quelles lois s’inven- numérique causé par une malédiction, ou un
teraient alors? Quels dérivatifs trouveraient les crime, au chiffre sacré de sept. Ainsi Barbe-Bleue
hommes et les femmes? Qui l’emporterait, de la (et l’on sait combien les vieux contes ont des
reine des abeilles, ou de la mante religieuse, du sources anciennes et un sens symbolique) épouse
sultan aux dix harems, ou de l’ancien Chinois sept femmes avant d ’être lui-même démasqué.
noyant ses filles? On peut rêver à l’infini. Ainsi encore Blanche-Neige, intouchable en face
Dans le numéro spécial à ’Esprit, consacré à tous des sept nains, qui la protègent jusqu’à l’arrivée
les problèmes de la sexualité moderne, on ne du Prince. Et il y a aussi cette légende populaire
relève que quelques allusions à de possibles boule­ selon laquelle le septième enfant du même sexe
versements, en cas de grave déséquilibre numé­ né dans une famille serait doué de vertus et talents
rique. Après l’habituelle allusion à l’Amérique, extraordinaires, légende qui semble attacher un
Jacqueline Hecht et J.C. Chasteland citent plus sens magique au rythme des naissances : le Petit
curieusement le fait qu’en 1880 les arrondissements Poucet en est un exemple connu.
les plus pauvres de Paris comptaient un grand Il y a surtout, bien plus grave, bien plus mysté­
nombre d ’hommes seuls, la majorité des femmes rieuse, l’histoire peu connue de Sara, d ’Ecbatane,
étant demeurée à la campagne : « Chevalier n ’hésite dans le livre de Tobie : Sara a été mariée sept fois
pas à voir dans cette inégalité une cause profonde sans qu’aucun de ses maris ait pu l’approcher.
d ’antagonisme social, et, dans la jalousie ressentie Car un démon les tue dès qu’ils entrent dans sa
par l’habitant des quartiers déshérités envers le chambre, le soir de ses noces, « parce qu’il l’aime »,
riche bourgeois, un élément qui dut jouer un rôle dit explicitement la Bible, ce qui jette une lueur
non négligeable dans le déclenchement des grands singulière sur le sexe des démons, à défaut de celui
règlements de comptes du xixe siècle. » (1) des anges. Mais Tobie arrive, conduit par l’ange
Raphaël. Et il réussira là où les sept autres ont
MAIS LES ACCOUCHEUSES échoué, parce qu’il a appris de Raphaël l’exor­
CRA IG N IREN T DIEU... cisme qui mettra le démon en fuite, et la prière
qui lui rendra Dieu favorable (3).
Pourtant, le phantasme du couple humain bascu­ Que ce soit Dieu, ou l’Espèce, qui veille ainsi sur le
lant tout d ’un coup vers le seul déséquilibre qui, secret des rythmes et des nombres, le miracle
miraculeusement, ait été épargné à l’espèce, semble demeure. Éternellement, un garçon, une fille
avoir traversé l’inconscient collectif, par brèves naissent. Éternellement, un homme, une femme
illuminations. s’accouplent. Le couple est l’unité naturelle par
Quand, lors du premier génocide relaté par excellence, il existe dès le berceau : les vrais
l’histoire, le Pharaon ordonne de tuer tous les jumeaux, les jumeaux parfaits, au sens médical du
nouveau-nés mâles des Hébreux, et que les sages- mot, sont le nouveau-né et la nouveau-née sortis
femmes Shiphra et Pua s’y refusent, ce n ’est pas, du même œuf, et pourtant de sexe complémentaire.
comme on pourrait s’y attendre, uniquement par
pitié naturelle, ou pour protéger l’avenir de leur D IFFICILE? MAIS TOUT EST DIFFICILE
race menacée d ’extermination. Le texte est formel : POUR LES HOMMES !
« Mais les accoucheuses craignirent Dieu... et
laissèrent la vie sauve aux garçons. » Et, comme si Comment ce couple universel — la relation
Dieu était impliqué dans l’équilibre même du humaine par excellence — ne serait-il pas le cata­
rapport des sexes : « parce que les accoucheuses lyseur de toutes les difficultés, le bouc émissaire

M ythes, m ystères et m iracle du couple


de tous les échecs, rancunes et frustrations, le çable, que l’agressivité sournoise de chacun
réceptacle de toutes les incompréhensions, l ’épreuve, contre chacun. « Ma chute originelle, c’est l’exis­
au sens complet du mot, de toute Vie normale? tence de l’autre », prouve longuement J.-P. Sartre.
Ce qui doit nous surprendre, ce n ’est pas q u ’il Hélas! Le nœud de vipères pourrait être le symbole
soit tout cela, c’est bien q u ’il soit aussi une réussite de chaque groupe humain. Tous trahissent tous,
relativement fréquente, facile, exaltante, conso­ à quelque moment, d ’une certaine façon, la plus
lante. Il est injuste de considérer le problème du subtile n ’étant pas la moins dangereuse. Il est
couple comme le plus compliqué ou le plus inso­ plus facile d ’abriter un ami menacé en temps de
luble de tous. Tout est difficile pour les hommes — calamités que de ne pas porter un jugement sur
encore le mot difficile apparaît-il comme un euphé­ son ménage désuni. Et, si donner tort à un ami
misme! Tout est terrible pour les hommes. De la qui a effectivement tort est une preuve de loyauté
naissance à la mort, de l’école où l’enfant apprend et d ’impartialité, c ’est à partir de là, précisément,
le rudiment, même si son père est Prix Nobel, que s’écroule le mythe de l’identification avec lui.
jusqu’à la réalisation de sa vocation, des problèmes C ’est l’unité du couple amical ou du groupe
de la guerre à ceux de la métaphysique, de l’entente social qui s’écroule. Car avoir raison et par
familiale à l’intégration sociale, l’homme ne conséquent être du bon côté, en laissant l’autre
rencontre que des murs et des barrières à franchir, du mauvais côté, avec ses torts, et seul — c’est
se heurte à l’exigence obscure d ’autrui, à ses cela la trahison. A partir du moment où l’on porte
propres complexes plus obscurs, et la réussite sur l’autre un regard objectif, on avoue du même
même de ses efforts est toujours payée par le temps coup être étranger à sa subjectivité. Et donc
irréversible. Dans cette gigantesque comédie- étranger tout court.
tragédie, le couple apparaît comme le seul pivot, Ce drame de toute relation humaine est un des
s’il dure, comme un miracle, même s’il ne dure que thèmes majeurs de l’existentialisme. L ’héroïne
l’espace d ’une nuit. Sans histoires, dans l ’éblouis- de l'invitée, Françoise, qui tente une amitié totale
sement d ’un instant unique qui peut suffire à avec Xavière, ne rencontre que l'Autre absolu :
illuminer une vie, ou dans la tiédeur d ’une vie « Quelque chose était là, qui s’étreignait soi-même
conjugale moyenne, il réussit quotidiennement le avec avidité, qui existait pour soi-même avec
plus grand des miracles, le seul peut-être dont on certitude ; on ne pouvait pas s’en approcher même
ne lui sache pas gré, celui qui est le plus contraire en pensée ; au moment où elle touchait le but,
à la nature humaine : l’acceptation de l’autre par la pensée se dissolvait ; ce n ’était aucun objet
l’autre. Et je dis bien le couple. Car le phénomène saisissable, c’était un incessant jaillissement et
le plus précieux de F Amour et le fait brut de la une fuite incessante, transparente pour soi seule
sexualité ne se recoupent pas, du moins pas entiè­ et à jamais impénétrable. On ne pouvait que
rement, avec l’existence du couple : c’est l’amour tourner en rond tout autour dans une exclusion
qui est rare, et c’est le domaine de la sexualité qui éternelle » (4). Toute l’analyse du regard de
est immense. Le couple est humain, simplement. l’autre dans l'Être et le Néant conclut au même
C ’est peu? C ’est tout. désespoir.
...On a pu soutenir que l’incompatibilité entre
COMME L ’A BIEN VU SARTRE être humain et être humain est finalement et tout
simplement d ’un ordre physique. Mounier l’a
Or l’être humain, il faut oser le répéter, est par bien vu, qui rappelle : « On a noté que les mêmes
essence incompatible à l’être humain. Agressivité
instinctive? dégénérescence fatale? l’homme est
un loup pour l’homme. Haine entre les peuples, (!) La Sexualité, Esprit novembre 1960, p. 1776-7.
(2) Exode, 1, 15-29.
guerres, racisme : préjugés paradoxalement moins (3) Tobie, VII et VIII.
graves, parce que de l’ordre visible et dénon- (4) Simone de Beauvoir. /’Invitée, p. 294. C ’est nous qui soulignons.

L’am our à refaire


objets, les mêmes odeurs, qui soulèvent le dégoût chaque différenciation appelle la réunification
quand ils viennent d ’autrui, ne l ’éveillent plus — l’unité primitive —, et le mythe de Platon ne
quand ils viennent de nous, et même suscitent ment peut-être pas. 11 n ’y a pas de mythes qui
notre intérêt : comme si le corps déjà s’aimait mentent entièrement.
organiquement et détestait — parce q u ’il I2
redoute — le corps d ’autrui »(1). Ce qui l’emporte LES COMPLÉMENTAIRES
chez l’homme, c ’est bien un recul organique,
devant ce qui est de l'autre : contact, odeur, La voix de l’Autre, qui prononce sur une octave
promiscuité, partage d ’un bien personnel, partici­ différente des paroles relevant d ’une éthique
pation à un malheur étranger. L ’homme refuse différente, la taille et les membres de l’autre,
ce qui attente à son individualité, par égoïsme ou taillés sur une mesure différente, jusqu’aux
pudeur, par instinct de conservation ou poussé vêtements et à la parure de l’autre, qui relèvent
par l’angoisse de s’aliéner, de perdre son intégrité. d ’une autre esthétique, tout s’imbrique immé­
Seuls les Saints savent q u ’on ne peut aimer l’autre diatement avec la perfection de ces roues dentées
sans devenir l’autre. La seule charité q u ’attend qui ne peuvent tourner qu’accrochées l’une à
un lépreux, c’est le baiser. l’autre. Rien n ’est comparable, même de loin, à
ce mystère que j ’aimerais appeler la complémen­
L'AUTRE QUI N ’EST PLUS L ’AUTRE tarité de l’homme et de la femme, et qui va du
jaillissement d’étoiles de l’assouvissement charnel,
Le premier miracle de l’amour incarné par le que Colette appelait foudre, aux nuances les plus
couple, c’est q u ’il supprime la distance de l’autre subtiles des mécanismes spirituels, que Jung a
à l’autre, et que, mettant face à face deux êtres définis animus et anima.
essentiellement différents, il réalise l’impossible Là où la femme complique, l’homme simplifie.
fusion. Incompatibles l’un à l’autre, l’homme et Quand l’homme succombe à sa grande tentation
la femme? (2) Moins que l’homme à l’homme. — l’idée pure —, c ’est la femme qui le ramène
Moins que la fille à sa mère. Moins que l ’ami sur le plan concret. L ’homme et la femme ne
à l’ami. Même en dehors de l’accomplissement vivent pas de la même façon l’égoïsme et la
sexuel qui réalise une fusion totale mais fulgurante, générosité, ils n ’ont ni les mêmes intérêts, ni les
même en dehors de l’amour qui sublime toutes mêmes craintes, ni le même rythme de fatigue
différences, il reste que beaucoup des difficultés et de repos, et la nature a si bien fait les choses,
quotidiennes rencontrées au cours de la vie que, lorsque la personnalité d ’un homme présente
s’atténuent spontanément au niveau du couple, de fortes composantes féminines, il y a beaucoup
parce que les réactions de l ’homme et de la femme de chances pour qu’il s’attache à une femme virile,
sont, précisément, différentes et complémentaires, et vice versa. Rien n ’étant plus beau et plus rare,
au point que tout leur permet, s’ils y apportent naturellement, que l’homme parfaitement mâle
un minimum de bonne volonté, d ’atteindre à une uni à une compagne complètement féminine.
complétude presque parfaite. Complétude qui « L ’individualité est une erreur de la nature que
déborde largement les domaines biologique, nous expions par la mort », disait Anaxagore. Ne
physiologique et social. Seule une femme peut pourrait-on pas ajouter : que nous justifions
savoir avec quelle rapidité la mutilation q u ’est la par l’am our?
solitude sentimentale et sexuelle se cicatrise, dès
qu’un homme apparaît dans sa vie. Seul un homme
peut affirmer la réciproque. Et toute la philosophie
existentielle du regard change soudain de pôle :
(1) Emmanuel M ounier, Traité du Caractère, p. 390.
chacun n ’existant que dans la mesure où l’autre (2) V o i r les propos de Chesterton sur le couple dans le précédent
le recrée, justement, d ’un regard. Finalement n u m é r o de Planète.

DU CORPS
École flamande. Détail f Carnavalet).
(Bulloz) L’am our à refaire
POURQUOI TANT DE CRIS qu'une fidélité au monde... Écoutons le terrible
ET TANT DE LIVRES? démenti donné à son époux par une des héroïnes
de Giraudoux, ce théoricien de la lutte des sexes:
Alors, pourquoi le long débat des siècles ? Pourquoi ' Nous vous trompons avec tout. Quand ma main
cette quête de tout et de rien? Pourquoi la glisse, au réveil, et machinalement tâte le bois
déception, la tromperie, le divorce? Pourquoi du lit, c’est mon premier adultère... Que je l’ai
le crime et la douleur? Pourquoi tant de cris? caressé, ce bois, en te tournant le dos, durant
Pourquoi tant de livres? mes insomnies! C ’est de l’olivier. Quel grain
Mais précisément parce que le couple est la doux! Quel nom charmant! Quand j ’entends le
relation humaine type, et que la condition humaine mot olivier dans la rue, j ’en ai un sursaut. J ’entends
est difficile! L ’incompatibilité, la lassitude, l’into­ le nom de mon amant! Et mon second adultère,
lérance, les mille heurts quotidiens, le doute, la c’est quand mes yeux s’ouvrent et voient le jour
rancune, tout cela relève de la condition humaine, à travers la persienne. Et mon troisième, c ’est
et je n ’ai jamais constaté que d ’autres groupes quand mon pied touche l’eau du bain, c’est quand
humains en fussent exempts. Simplement, le j ’y plonge. Je te trompe avec mon doigt, avec mes
couple n ’étant composé que par deux membres, yeux, avec la plante de mes pieds » (1). Qui ne
il est singulièrement plus aisé pour chacun de voit combien cette trahison apparemment inno­
s’en prendre au plus proche, plutôt q u ’à l’amour cente, en réalité d ’une sensualité à la fois subtile
même, plutôt q u ’à son propre être sexué. Ce et universelle, est aussi grave qu’une infidélité
n ’est jamais à l’Amour immortel q u ’on s’en consommée ? Combien de femmes, et par combien
prend, ni à soi. C ’est à l’Autre. Ainsi un dualisme de rêves, se sont-elles ainsi vengées d ’un mari?
étrange s’est-il peu à peu constitué, où chacun
voit en l ’autre son incarnation et sa joie — ou AMOUR COURTOIS
son péché et son ennemi. Les femmes ont longtemps ET MYSTIQUE CATHARE
parlé des hommes comme d ’une espèce étrange
et étrangère, responsable de tous leurs maux. Les Dualisme, disais-je tout à l’heure pour expliquer
hommes leur rendent bien la pareille. Les le malentendu qui fausse les jugements portés par
confusions de valeurs dans ce domaine sont chaque sexe sur l’autre. Pourquoi pas mani­
incroyables, et commencent seulement à être, si chéisme? Pendant des siècles, les femmes ont été
j ’ose dire, dessillées. Par exemple, on commence assimilées au mal : porte du diable, selon le mot
à (re-)découvrir que la femme est aussi sensuelle, de Tertullien. Mais elles ont été aussi assimilées
active et changeante que son compagnon, q u ’elle au bien, à l’inaccessible, à l’absolu. L'Amour
est par contre plus efficace, plus extravertie, à et V Occident, ce classique, de Denis de Rougemont,
l’aise dans le concret; c ’est l’homme qui serait prouve que notre conception de la passion et de
profond, pudique, tendre, facilement abstrait, et l’amour s’est formée dans ce brûlant creuset de
surtout infiniment plus idéaliste. Mais on se mysticisme et de cours d ’amour, de guerre sainte
trompe peut-être aussi quand on se mêle de cette et de poésie, que fut le Languedoc au xne siècle,
démystification-là! Le couple est par définition entre Toulouse, Albi, Carcassonne et Béziers.
composé de deux êtres humains, deux êtres mortels, Le manichéisme écrasé revécut grâce aux trou­
compliqués et secrets, chez qui qualités et défauts badours sous une forme symbolique : celle d ’un
varient à l’infini, non pas tant en fonction du Couple courtois, condamné à ne chercher le bien
sexe qu’en fonction de la caractériologie. et le mal qu’à travers l’autre, et à se dépasser
Pendant des siècles, par exemple, les femmes se lui-même dans la quête d ’un Graal introuvable.
sont repassé de l’une à l’autre de vieux et Alors seulement s’écroula à travers l’Europe
douloureux slogans sur l’infidélité des hommes
et leur instinct polygamique. Mais il n ’est pas (1) Electre, acte II, scène 6.

DE LA TÊTE
M ythes, m ystères et m iracle du couple Illustration originale de Mac Avoy.
l'idéal païen de la femme, objet charnel, et triompha Sans doute n ’est-elle qu’à la recherche de son
pour longtemps l’idéal cathare, emprunté aux propre animus, image primitive du Père-magicien,
mystiques néo-platonicienne et orientales, de la médiateur naturel avec l’invisible, seul intermé­
dame intouchable, assimilée au Bien suprême (1). diaire possible entre elle et le Tout. C ’est ce Maître
La condamnation du mariage à la cour de Marie et ce Père qu’elle veut, c’est ce rédempteur. « Que
de Champagne, fille d ’Aliénor de Poitiers, en les femmes regardent les hommes regarder Dieu...»,
serait une preuve, ainsi que la sublimation de écrivait naguère Béatrix Beck. Oui : le rêve de
l’amour que Dante, cent ans plus tard, portera démission des femmes n ’est souvent qu’une forme
à Béatrice. Plus près de nous, il est frappant dégradée de leur besoin d ’adoration. Et c’est
que le même Wagner qui réactualisa le mythe pourquoi la femme qui a eu la chance unique
breton de Tristan, ait écrit Parsifal et Lohengrin d ’être aimée par un homme supérieur acceptera
— dont le fameux burg ne serait autre que pour lui les plus grands sacrifices. L ’exemple de
Montségur, la citadelle cathare. Plus près encore, Juliette Drouet consacrant cinquante années de
Paul Claudel aura sans doute été le dernier poète sa vie à Victor Hugo, qu’elle appelait son « divin
courtois, — au grand sens du mot. La femme est maître », est le plus admirable, et le plus significatif.
pour lui la promesse qui ne se peut tenir, et l'idéal Mais l’homme aussi est à la recherche de son
d ’aimer cela qui n’est pas le bonheur, comme il est anima, s’il croit encore à l’Éternel féminin, en
dit superbement dans le Partage de Midi. dépit de son cynisme affiché. A cette constante
masculine, Simone de Beauvoir elle-même, tout
QUAND LES FEMMES DEM ANDENT en la condamnant, donnait une cause irration­
A L ’HOM M E L ’IMPOSSIBLE nelle : « L ’homme attend de la possession de la
femme autre chose que l’assouvissement d ’un
II est plus difficile de déterminer à quelle époque instinct ; elle est l’objet privilégié à travers lequel
les femmes se mirent elles aussi à demander il asservit la nature. » (2)
l’impossible à leur humble compagnon de route. Nature ou transcendance, il reste que chacun
Sans doute, la Renaissance et la Révolution, en cherche chez l’autre plus que l’autre.
contribuant à leur faire prendre conscience d ’elles-
mêmes, les aidèrent-elles à s’évader de leur ...ET CE Q U ’IL A TROUVÉ
situation immanente. Je croirais que c ’est le NE LUI SUFFIT PAS
romantisme qui accéléra le mouvement. Après
avoir redéifié la femme, il la laissa, si j ’ose dire, Ainsi, qu’on le veuille ou non, l’histoire du couple
sur sa faim : car la vie ne lui proposait pas le se joue à la charnière de l’Esprit et de l’instinct, et,
dieu que les poètes lui avaient fait imprudemment qu’il le veuille ou non, le couple est dépassé par
espérer. Les lions superbes et généreux s’avérèrent lui-même à chaque instant, à chaque tournant,
rares, et le bovarysme naquit. Nous savons trop dans la génération dont le secret lui échappe
qu’il n ’est pas tout à fait mort. A l’avenir de encore, et dans sa finalité : que celle-ci soit
décider par quel isme il sera remplacé. Mais si confondue avec celle de l’espèce, ou transcendante.
Emma a pu devenir un type et donner son nom Le couple, consubstantiel à la condition humaine,
à un complexe, c’est q u ’elle trahit à son insu et est voué à la grande angoisse humaine. Mais il a le
à sa pauvre manière de petite-bourgeoise du privilège douloureux d 'incarner celle-ci ; pour lui,
xixe siècle, le secret commun à presque toutes la quête de l’absolu n ’est pas celle de la Licorne,
les femmes : la recherche d ’un amant qui soit du Graal ou de la Baleine Blanche : car ce qu’il
un maître, et le vertige de la passion mortelle. cherchait, il l'a trouvé, et ce qu’il a trouvé ne lui
Il est facile d ’accuser une femme de bovarysme, suffit pas. Ce qu’on trouve ne suffit jamais. Il y a
de romantisme, voire d ’ambition, quand elle toujours quelque chose au-delà. Au-delà...
place son idéal trop haut et ne peut le réaliser. ...Et le couple mythique des débuts de l’humanité

M ythes, m ystères et m iracle du couple


avance toujours vers l ’Unité perdue, vers l’Unité
future que Péguy appelait, il y a cinquante ans,
avec un accent où tremble l’écho du poète védique
chantant la première union du Ciel et de la Terre :
« O nuit, mère aux yeux noirs, mère universelle,
Non plus seulement mère des enfants (c’est si
facile),
Mais mère des hommes mêmes et des femmes, ce
qui est si difficile,
C ’est toi, nuit, qui couches et fais coucher toute
la Création
Dans un lit de quelques heures,
En attendant le lit de toutes les heures,
Où moi, le Père, je coucherai ma Création » (3).
GENEVIÈVE GEN N A RI. G E N EV IÈ V E G E N N A R I

Née de père italien et de mère française,


a toujours habité Paris.
A fa it ses études chez les Dom inicaines
de Nogent-sur-M arne. Puis licence
ès lettres et doctorat.
A toujours écrit et toujours tenu un
Journal, où les événements extérieurs
tiennent autant de place que les no­
tations personnelles : se passionne
pour la politique dès l ’âge de seize ans.
C raint par-dessus tou t de passer pour
une femme de lettres ou une intellec­
tuelle.
Lit surtout la Bible, les livres traitant
d ’ésotérisme, de psychologie et de
problèmes sociaux.

B IB L IO G R A P H IE
Le p re m ie r v o y a g e de M m e de S ta ë l
en Ita lie et la genèse de C o rin n e
(Thèse de doctorat), Boivin, 1947.
Les C o u sin e s M u lle r, roman, Pierre
Horay, 1919.
La F o n ta in e sc e llé e , roman, Pierre
Horay, 1950.
J 'é v e ille r a i l'a u ro re , roman, Pierre
Horay, 1952.
L ’ É to ile N a p o lé o n , roman historique,
Pierre Horay, 1954.
Le p lu s tris te p la is ir, roman publié
en feuilleton dans la Revue des Deux-
Mondes sous le titre : Les P assagers,
La Palatine, 1956.
Le R ideau de S a b le , roman, 1957.
S im o n e de B e a u v o ir (essai), Editions
(1) 11 est juste de noter que Zoë Oldenburg, dans son livre récent Universitaires, 1959.
Le bûcher de Montségur, établit une nette distinction entre le catha­ J o u rn a l d ’ une B o u rg e o is e , roman,
risme et la courtoisie. Grasset, 1959.
(2) Le troisième S exe , I, p. 255. J 'a v a is v in g t ans, journal de 1940-
(3) Charles Péguy, Le Porche du M ystère de la deuxième vertu. 1945, Grasset, 1961.

L’am our à refaire 133


Les in fo rm a tio n s L ’ H I S T O I R E
et c ritiq u e s
de ce n u m é ro
o n t été ra ssem blé es
et ré digée s La guerre secrète O uest
n o ta m m e n t par :
Ja c q u e s B e rg ie r
H e n ri C loua rd LES NOUVELLES VISIO NS
J .P . D o e rin g GÉOPOLITIQUES ET LES
F rancis D u m o n t N O U VEAU X MOYENS DE
Jea n D u m o n t L'ESPIO N N AG E A M É R IC A IN
A la in H ille re t
J a cq u e s M é n é trie r « Nous avons n o u rri et prom ené
G érald M essadié p a rto u t dans notre pays une
C la u d e M e ttra vip ère . » A in s i s 'e x p rim a it il y
Ja cq u e s M illo t a peu de te m p s la presse so vié ­
L o u is P a u w e ls tiq u e . En effet, un hom m e que
P ie rre R e s ta n y le d ire c te u r de l’én e rg ie a to ­
G ab riel V é ra ld i m iq u e soviétiq ue, le p ro fe sseu r
R égin e V iv ie r Em elianov, a va it prom ené dans
O liv e r W e lls to u s les cen tre s a to m iq u e s
russes, a été nom m é d ire c te u r
des services d 'e sp io n n a g e a m é­
ric a in s (en re m p la ce m e n t de
M. A lle n D ulles, qui ava it
o rg an isé la fâ ch e u se te n ta tiv e
d 'in v a s io n de Cuba).
C 'e st à titr e de H a u t-C o m m is­
saire à l ’É nergie A to m iq u e am é­
ric a in que M. John A. M acC one
ava it visité les usines a to m iqu es
russes. Il est pro b a b le q u 'il n'y
a rien vu q u 'il ne sache déjà
et l'in d ig n a tio n de la presse
so vié tiq u e est de pure form e.
Elle révèle to u t de m êm e une
ce rta in e irrita tio n qui est d 'a il­
leurs ju s tifié e . C ar M acC one
risq ue de se révéler po u r les
Soviets un ad versa ire bien plus
d a ng ereu x que D ulles. Et son
arrivée au p o u vo ir s ig n ifie une
m o d ific a tio n co m p lè te des buts
et des m éthodes secre ts a m é ­
rica ins.

Q ui est M acC one?

John A le x M acC one a 59 ans.


C 'e st un in d u s trie l sp é cia lisé
N i l'a m i Tintin dans la c o n s tru c tio n navale.
n'expliquent toute l'aventure In g é n ie u r de to u t p re m ie r ordre,

In fo rm atio n s et critiques
il inventa de nouvelles te c h ­ cha ng er. Un re c ru te m e n t in ­ De nouvelles te c h n iq u e s
niques de sou du re qui ont tense des a g en ts noirs est en s c ien tifiq ue s
perm is d ’a u g m e n te r la p ro d u c ­ cours. Ces ag en ts a u ro n t le et p ara p s y c h o lo g iq u e s
tiv ité . En 1947, le p ré sid e n t m êm e tra ite m e n t, le mêm e
T rum an le nom m a c o n se ille r rang m ilita ire et le mêm e
D u ra n t la de uxièm e guerre
te ch n iq u e . En 1950 et en 1951, a va n ce m e n t que les blancs.
m ondiale, les o rg an ism es d ’es­
il réorganisa l’a via tio n a m é ­ Le re c ru te m e n t des agents
pion nag e à l’in té rie u r d ’ un pays
rica ine . Dès l'ép oq ue , il vo u la it arabes a, d ’au tre part, été
é ta ie n t c o n stitu é s en « réseaux».
un pro gra m m e im p o rta n t de in te n sifié , p a rtic u liè re m e n t en
Un réseau c o m p re n a it p lu sie u rs
fusées lourdes et, si on l'a v a it T u n is ie et au M aroc. Ces d e r­
cen tain es d ’ag en ts sous la
écouté, l'A m é riq u e a u ra it lancé niers a u ro n t p o ur b u t non s e u le ­
d ire c tio n d 'u n ch e f re sp o n ­
le pre m ie r sa te llite a rtific ie l m en t d 'in fo rm e r, m ais d ’orie n te r
sable. Ils é ta ie n t g é o g ra p h iq u e ­
avant la Russie. En 1954, il dans la m esure du possible m ent localisés, o p é ra ie n t dans
fu t nom m é p ré sid e n t de la l'A friq u e vers l’O ccid e n t.
une pro vin ce ou une région
C om m ission à l'É ne rgie A to ­ M cC one so u tie n t les n a tio ­
bien d é fin ie . L'ensem ble des
m ique. Il in sista alors pour nalism es dans l’ensem ble de réseaux d 'u n pays é ta it m a n i­
que l’A m é riq u e rep ren ne les l’A friq u e , et se pro no nce en pu lé par un d ire c te u r général
explosions e xp érim e ntales des fa ve u r de la d é ség réga tion en
ré sid e n t hors de ce pays. Il
bom bes ato m iqu es. En 1959, A friq u e du Sud. A in s i est-il
sem ble que ce systèm e soit
dans un ra p p o rt à ce sujet, en tra in de réa lise r sur le encore en usage chez les
il ava it p ré d it q u 'e n 1961 les c o n tin e n t n o ir la m o b ilisa tio n
Russes.
Russes ro m p ra ie n t la trêve. de tou te s les fo rce s d o n t l'A m é ­
Cette p ré d ictio n s ’est réalisée. riq u e pe ut d ispo ser dans ce M cC one estim e que ce systèm e
Tel est l’ hom m e q u i, désorm ais, se cte u r du globe. C ontre quel de réseau est désorm ais pé rim é
d irig e ra la C e ntral In te llig e n ce ennem i ? et tro p dangereux. Il c o m p te ra it
A ge ncy, o rg a n ism e g é n é ra le ­ le re m p la ce r dans le m onde
m ent con nu sous l’a b réviation en tier, par le systèm e des
C.I.A. Un seul e nn e m i : la C h in e m issions in d iv id u e lle s Un agent
n ’est em ployé q u ’une fo is : il
sig ne un c o n tra t dans lequel
Le grand c h a m p de bataille : est d é fin i le b u t de la m ission.
l’A f r i q u e L’en ne m i, en A friq u e , est m oins
l'U n io n S oviétiq ue que la Chine. Les Russes o n t p u b lié qu elque s
M cC one c ro it aussi fe rm e m e n t ph otoco pies de te ls contrats.
Pour M cC one le de stin du au p é ril ja u n e que les p o li­ C o m m ent un hom m e seul peut-il
m onde se jo u e en A friq u e . tic ie n s a lle m a n d s d 'a v a n t la réa lise r une m issio n ? La C.I.A.
D ’après sa d o c trin e il n'y aura p re m ière g u e rre m ondiale. Il possède sur tou s les pays du
pas de guerre, ni en 1963 ni à co n sid è re q u 'il y aura b ie n tô t m onde la plus fo rm id a b le d o c u ­
to u t au tre m om ent. M ais dans un m illia rd de C h ino is et que m en ta tion qu i a it ja m ais été
les 25 ans à ve n ir va se jo u e r ceu x-ci e n visa g e n t désorm ais constituée. Cette d o cum e ntatio n
la grande p a rtie : la lu tte pour l'A friq u e com m e colonie de p erm et de p ré pa rer une m ission
le co n trô le de l’A friq u e . Et p e up lem e nt. A in s i la Chine, avec un tel soin q u ’un ag en t
pour M cCone celui qui tie n d ra à la fin du XXIe siècle, d o m i­ envoyé en C hine ou en Russie
l'A friq u e , tie n d ra le m onde. n e ra it le m onde entier. possède une im p la n ta tio n sé­
A ussi M cC one v ie n t-il de rieuse et pour o ccu p e r une
prendre des m esures p ro p re ­ C ette vue pe ut paraître s im ­ situ a tio n bien d é fin ie selon la
m ent ré vo lu tionn aires. La C.I.A. pliste, m ais M cCone n'en est m éthode O.D., c'e st-à -d ire
é ta it ju s q u 'à pré sen t l’a d m i­ pas m oins le to u t-p u is s a n t che f O ccu p a tio n a l D isguise (d é g u i­
n istra tio n la plus raciste des de la C.I.A. d o n t il révise sem e nt c o rre sp o n d a n t à une
États-U nis. Les noirs n ’y éta ien t fo n d a m e n ta le m e n t la g é o p o li­ occu p a tio n ). Un grand nom bre
p ra tiq u e m e n t pas adm is, s u r­ tiq u e . Il c o m p te ra it aussi en de m issions in d ivid u e lle s
to u t dans les cadres des agents m o d ifie r c o m p lè te m e n t la s tru c ­ a u ra ie n t déjà p a rfa ite m e n t
en m ission. T o u t ceci va tu re et la faço n d ’agir. réussi. Un m agazine fra n ça is

L’histoire
a d 'a ille u rs conté l'h is to ire de sans d iffic u lté dans la p o p u ­ de re m a rq u a b le s ouvrag es d ’ in ­
l’ une de ces m issions sous le la tion du pays à étu die r. ve n ta ire et de d o cu m e n ta tio n
titre : « L'Espion qu i fa it Des m oyens de sabotage to u t vivante. C.W . Ceram , I.C. Leit-
tre m b le r le K re m lin ». à fa it nouveaux o n t été inventés hauser, H. H a rtm a nn , R. Junck,
Les services secrets a m é rica in s ces d e rn iè re s années. C 'est P. H e rrm ann , en son t des
a u ra ie n t d ’au tre pa rt à le u r a insi q u 'il s u ffira it d ’une s o lu ­ exem ples bien con nu s. Deux
d isp o sitio n une nouvelle in v e n ­ tio n d 'u n e c e n ta in e de c e n ti­ livres de W. K e lle r o n t été
tio n réalisée par les services m ètres cubes d ’un sel de g a d o ­ tra d u its et ils d o ive n t re te n ir
te c h n iq u e s de la C.I.A. : les lin iu m , m étal de la série des l’a tte n tio n à des titre s d iffé re n ts .
tra n s m e tte u rs Delta. C ’est un te rre s rares, p o ur paralyser Le pre m ier, la Bible a rr a c h é e
ém e tte ur de radio basé su r un to ta le m e n t une pile n u clé a ire aux s ables, paru d e p u is déjà
p rin c ip e nouveau. L'ém ission, en a b so rb a n t tou s les neutrons. lo ng te m ps, é ta it une re m a r­
au lieu de d iffu s e r en ondes Il n'y a u ra it q u 'à in tro d u ire le q u ab le synthèse des travau x
c o n c e n triq u e s n ’est a u d ib le liq u id e dans le flu id e de re fro i­ a rch é o lo g iq u e s et h isto riq u e s
qu 'e n un seul p o in t du m onde dissem e nt. La pile paralysée qui o n t p e rm is de re tro u ve r et
au tre que celui où se trouve s ’arrê te et au cu n e explosion de re c o n s titu e r va la b le m e n t
l’ém etteur. Le p rin c ip e de cette ne se p ro d u it. l’ h isto ire des tro is m illé n a ire s
in ven tion dem eure ignoré. On Une a u tre arm e est le C arci- p ré cé d a n t la naissance du
sa it s eu le m ent q u ’elle est basée notron. Ce tu b e d ’ondes courtes, C h rist. Peu de fa its nouveaux
sur des fo n c tio n s m a th é m a ­ qu i fu t inventé en France, ne ou in c o n n u s aux a m a te urs de
tiqu es, les fo n c tio n s Delta, pèse que q u e lq u e s ce n ta in e s ce passé ca p ita l, m ais leurs
créées par le savant an glais de gra m m es ; il pe ut c e p e n d a n t en cha în em e nts, leurs rap po rts
P.A.M . Dirac, Prix Nobel. b ro u ille r les ém issions radio avec l'A n c ie n T estam e nt, leurs
On assure en fin que la C.I.A. su r une vaste bande de lo n ­ relatio ns réciproq ue s, leurs
p o u rsu ivra it active m e n t l'é tu d e g u e u rs d ’onde et à p a rtir de liens avec une c a rto g ra p h ie et
des m oyens de tra nsm ission sources d ’én erg ie po uva nt être une ico n o g ra p h ie ab on da nte
de pensée et que des résu ltats fo u rn ie s par n ’im p o rte quel o nt fa it de ce t ouvrage un
extra o rd in a ire s a u ra ie n t été réseau a lte rn a tif à 110 volts. pré cie ux d o cum e nt.
obtenus. On parle aussi de m oyens
M ais M cC one ne co m p te pas b io c h im iq u e s : par exem ple des La s o m m e de l’ histoire russe
se u le m e n t sur les re n s e i­ d ro gu es in tro d u ite s dans l’eau
gnem ents. La sectio n actio n d ’a lim e n ta tio n e t qu i e n lè ­ Le second livre, E s t-O u e s t = 0,
de sabotages de la C.I.A. va ve ra ie n t to u te envie de co m ­ a d 'a u tre s p ré te n tio n s et il
é g a le m e n t s u b ir un b o u le ­ b a ttre ou d ’a g ir à des p o p u ­ c o n stitu e , à notre avis, la
versem ent. la tio n s entières. som m e la plus sch é m a tiq u e
Il s 'a g it p o ur la C.I.A. que les et la p lu s a cce ssib le de l'h is ­
N o uv e lle s a rm e s A m é ric a in s du pro che a ve nir to ire russe, du M oyen A g e à
de la g ue rre se c rè te ne soient, com m e vie n t de le nos jo urs. Ici la thèse est cla ire,
d ire K e n ne dy : « N e ith e r Red résum ée dans une fo rm u le
De nouveaux p la n e u rs en m a­ or Dead », c 'e st-à -d ire : « Ni a lg é b riq u e : l'Est, c 'e st-à -d ire la
tiè re p la s tiq u e d o n t la tra je c ­ co n ve rtis au C o m m unism e, ni Russie a n cie n n e et l'U .R .S.S.
to ire p e u t être o rie n té e à l’aide tué s ». a ctu e lle , ne d o it son existe nce
de fusées et qu i so n t in d é te c ­ p o litiq u e , son dé ve lo p p e m e n t
ta b le s au radar, o n t été m is au éco no m iqu e, sa c u ltu re s c ie n ti­
point. Ils pe uve nt être la rgu és Une histoire de la Russie fiq u e , sa pu issa nce m ilita ire et
à haute a ltitu d e et p e rm e tte n t te c h n iq u e , son in flu e n c e m on­
de déposer des ag en ts à des d iale q u 'a u x a p p o rts de l'O uest
m illie rs de kilo m è tre s du lieu UN HISTORIEN DE GÉNIE : et, en p a rtic u lie r, de l'E urope,
où ils o n t été lâchés par avion. W KELLER voire m êm e à un p illa g e systé ­
Les agents, après a vo ir d é tru it m a tiq u e des hom m es, des
le p la n e u r qu i b rû le sans la isser La litté ra tu re a lle m a n d e nous idées, des m ach in es et des
de traces, p o u rra ie n t se fo n d re ap p o rte de pu is qu e lq u e s années in ven tions.

In fo rm atio n s et critiques
La p ro p o sitio n est au d a cie u se L ’ A R C H É O L O G I E co m b a t les so rciers et les
m ais l'a u te u r en dé fend re m a r­ rites. Nous revien dron s p ro c h a i­
q u a b le m e n t les te rm e s par une ne m en t su r le tra va il de
a c c u m u la tio n e x tra o rd in a ire de Une n o u velle revue M. Jacques M illo t.
fa its, de do cum e nts, de c ita tio n s
(m êm e russes). Ici, encore, la OBJETS ET M O NDES
volonté de pro uve r m ène à des
excès, à des p a rtis p ris ou à C ette revue, anim ée par Jacques
des in te rp ré ta tio n s p o ur le M illo t et Yvette Laplaze, porte
m oins a rb itra ire s . M ais to u te en s o u s-titre : « Revue du Musée
thèse n'en n 'im p liq u e -t-e lle de l’ H om m e ».
p as? et ce lle -ci m é rite to u te C om m e son nom l’ in d iq u e , la
notre a tte n tio n ca r elle repose « Revue du M usée de l’ H om m e»
su r des réa lité s in d is c u ta b le s . a po ur b u t p rim o rd ia l de fa ire
On c ra in d ra it to u te fo is q u 'e lle co n n a ître au p u b lic cu ltivé ,
no urrisse un o p tim is m e d a n g e ­ a u ta n t q u ’aux spé cia listes, les
reux dans le m onde o c c id e n ta l p rin c ip a le s a c tiv ité s du grand
et que de te lle s co n sta ta tio n s ce n tre de re ch e rch e s de
(g ra tu ite s au regard de l’actu el) S cie nce s hu m aines du Palais
fa u sse n t l’o p tiq u e des re sp o n ­ de C haiIlot. Elle s ’effo rce en
sables en m in im is a n t une p u is ­ m êm e te m p s de présenter, en
sance bien réelle. Que cette l'a c c o m p a g n a n t de to u te l'illu s ­
pu issa nce s o it basée, à l'o rig in e tra tio n sou ha itab le, une d o c u ­
et encore a u jo u rd ’ hui, su r m en ta tio n de q u a lité co n ce rn a n t
l'esp io nna ge , le d é to u rn e m e n t, l'E th n o g ra p h ie sous tou s ses
la sujétio n et l'in fo rm a tio n e n c y ­ aspects, l'A n th ro p o lo g ie et la
clo p é d iq u e , c ’est possible. Que P réhistoire.
le ré su lta t de cette m é th o d e ,d e Elle publie, en p rin cip e , chaque
cette « te c h n iq u e » p ro d u ctive année, 4 fa scicu le s in-4° de
soit aléatoire, c 'e s t beaucoup 64 pages, e n ric h is de nom ­
m oins probable. breuses p h otog rap hie s, et do nt
Bien que ne p a rta g e a n t pas ch a cu n c o n tie n t un ou p lusie urs
l'o p in io n de K e lle r su r bien des a rtic le s de fon d, une ch ro n iq u e
points et, su rto u t, re g re tta n t gé né rale de la Vie du Musée,
l'ab sen ce d ’ une analyse plus des C om ptes R endus des tra ­
poussée du m a té ria lism e d ia le c ­ vaux de ses divers D é pa r­
tiq u e dans l'e x p lic a tio n de ces te m e n ts et des Sociétés s p é c ia ­
m éthodes effica ces, on ne peut lisées q u 'il a b rite . Enfin, un
que c o n s e ille r la le c tu re de C o u rrie r des le cte u rs perm et
cet ouvrage re m a rq u a b le en à ceux-ci d ’o b te n ir to u te s les
e sp éra nt vo ir K e lle r é crire in fo rm a tio n s qui pe uvent leur
ensuite, sous la m êm e o p tiq u e , être u tile s dans le dom aine des (Cl. J. M il lo t )
l'h is to ire des U.S.A., par S cie nce s hum aines. De Gaulle tabou
exem ple. T ro is num éros sont déjà parus. Tête kebe-kebe, du Musée de
S ig n a lo n s dans le d e rn ie r fa s c i­ Pointe-Noire, représentant le
cule, une re m a rqu able étude : Général de Gaulle. Ces têtes de
« De P ointe-N oire au pays bois sculpté et colorié sont
Tsogo », de Jacques M illo t. Il brandies, au cours de certaines
s ’a g it de l ’é vo lu tion de la m e n ta ­ danses d ’initiés, par les exé­
lité m ag iq ue dans cette région cutants dissimulés sous un
du su d -o u e st du Gabon, où la manteau de raphia : région de
nouvelle re lig io n p ro p h é tiq u e Fort-Rousset

L’archéologie
LA S O C IO LO G IE C ette s tru c tu re in tro d u it donc
la durée sociale, et ne peut
que d o n n e r un m odèle plus
co n fo rm e à la ré a lité que les
Une te n ta tiv e française a n cie n n e s assem blées ho­
pour créer une économ ie m ogènes.
é vo lu tion n aire L 'o b je t de ce co m ité est de
dé ve lo p p e r la d o c trin e nom m ée
par M. B lo ch -M o rh a n g e « d yn a ­
«F O N D E R L 'A V E N IR » , m iq u e sociale », nom q u i est
par B lo ch -M o rh a n g e déjà un program m e. P a rtie lle ­
m en t exposée dans l'ou vrag e
Si l'on ch e rch e l'id é e d o m in a n te F ond er l'A v e n ir (Fayard), cette
de notre tem ps, celle que l'on d o c trin e a d'a b o rd l'im m e n se
retrouve p a rto u t où s 'é la b o re n t m é rite de ne pas être en
des s tru c tu re s nouvelles est le retard d 'u n d e m i-siè cle su r les
p rin c ip e é v o lu tio n n a ire . Dans Bloch-Morhange :
co n na issan ces gé né rale s; celui,
la m esu re m êm e où les a c tiv ité s Une nouvelle façon de voir
é g alem en t, de fo u rn ir des m é ­
p o litiq u e s et é co no m iqu es le devenir social
tho des d 'a c tio n . Cela sem ble
v iv e n t su r des idées périm ées sim p le , na turel, à qu i a eu la
et des x p rin c ip a u x fa u sse m e n t cha nce de ne ja m a is avoir
neufs, les m éthodes in sp iré e s a ffa ire avec l'é co n o m ie . M ais
de l'é v o lu tio n n is m e so n t fo rt ceux que le fa it des dieu x ou
rares. Il c o n v ie n t do nc de présentes. Il est m êm e à p ré voir
des p rin ce s a d iffé re m m e n t q u 'e lle a cce n tu e ra les dé sé­
p o rte r un in té rê t p a rtic u lie r à o rie n té savent que les deux
l'e ffo rt ré ce m m e n t e n tre p ris par q u ilib re s . Il fa u t do nc d é fin ir
p rin c ip a u x cara ctè res de l'é c o ­ une nouvelle p o litiq u e de ré p a r­
un c o n s e ille r é co no m iqu e, M. J. nom ie son t d 'a p p a rte n ir au
B lo ch-M o rh an ge , po ur in té g re r titio n , et cela grâce à des
XIXe siè cle et de ne fo u rn ir que
ce g ra nd p rin c ip e . o b serva tions et à des in té ­
des p ro n o stics faux.
Le c o m ité d 'é tu d e s q u 'il v ie n t g ra tio n s scie n tifiq u e s , c'est-à-
de cré e r est é vo lu tio n n a ire à la d ire con form es aux fa its o b je c ­
La « dyn a m iq u e so cia le » tifs , au lieu d 'ê tre déform ées
fo is par la s tru c tu re et par la
m éthode. D ’abord, il est c o m ­ T rès som m a irem e nt, la « d yn a ­ par des m ythes et des routines.
posé non se u le m e n t d 'é c o n o ­ m iq u e » repose su r cette é v i­ Dès m a in te n a n t, on pe ut in ­
m istes et de p o litic ie n s , de dence q u ’ il est plus fa c ile d iq u e r ce rta in s im p é ra tifs, d o n t
che fs d 'e n tre p ris e et de s y n d i­ d 'o rg a n is e r que de réo rga nise r, la n é g lig e n ce in te rd it à to u te
calistes, m ais de c h e rc h e u rs quand la situ a tio n évolue ra p i­ p o litiq u e éco n o m iq u e d ’être
s c ie n tifiq u e s ; ceu x-ci ne jo u e n t dem ent. Or, la s itu a tio n est viable.
pas se u le m e n t le rôle de te lle q u 'u n e a u g m e n ta tio n de D ’abord, une d é m o cra tisa tio n
con seille rs, co n su lté s par les 50 % en dix ans du p ro d u it réelle, et non se u le m e n t fo r ­
éco no m istes su r des p o in ts de na tion al b ru t est n o rm a le m e n t m elle, de l’e n seigne m en t. Dans
d é ta il; ils c o lla b o re n t é tro ite ­ p ré visib le . C ette a u g m e n ta tio n le plan de dix ans é tu d ié par le
m en t à tou s les travaux, et, est s u ffis a n te po ur p e rm ettre C om ité, un gros e ffo rt d o it être
en un sens, d o n n e n t le ton, en une o rg a n isa tio n ra tio n n e lle et ten té , p e n d a n t ce laps de
in tro d u is a n t le urs m éthodes hu m a in e des c o n d itio n s de vie, tem ps, po ur la pro m o tio n so­
dans un d o m aine qui en a la d is p a ritio n de la p lu p a rt des ciale. Ensuite, ce moyen de
grand besoin. Ensuite, le co m ité in ju s tic e s g é n é ra trice s de te n ­ co m p e n se r les d é fa illa n c e s de
n 'e s t pas re cru té dans une sion sociale. l’e n se ig n e m e n t ne d o it plus
seule classe d 'â g e : il a deux M ais cette a u g m e n ta tio n restera être conservé; il d o it être rendu
pôles p rin c ip a u x , l'u n dans la in su ffisa n te , et la s itu a tio n to u t in u tile , par un re c ru te m e n t
g é né ration des 40/50 ans, l'a u tre aussi ten due , si elle co n tin u e de des a g en ts é co n o m iq u e s et
dans la gé n é ra tio n des 25/35. se d is trib u e r dans les s tru c tu re s te c h n iq u e s ad ap té aux besoins.

138 In fo rm atio n s et critiques


Ensuite, le p rin c ip e de la p ro ­ LA N O U V E L L E V A G U E pour p ro d u ire a u to m a tiq u e m e n t
p rié té de l'e m p lo i d o it avoir E N S C I E N C E S de l’a rg en t. L'id ée d ’ une te lle
au m oins a u ta n t de rig u e u r m a ch in e est basée su r l'a m p li­
que la p ro p rié té des biens. fic a te u r de sé le ctio n proposé
Dans une c iv ilis a tio n d yn a ­ par le Dr. W .R. A sh b y dans son
Une extraordinaire société
m ique, où la rich esse est o u vrag e « In tro d u c tio n à la
de savants
p rin c ip a le m e n t co n stitu é e par C y b e rn é tiq u e » p u b lié en France
le travail, la lé g isla tio n présente LA DERNIÈRE D ÉC LAR A TIO N par les é d itio n s D unod. Il
est ab surd e et d e s tru c tric e , D 'A R T O R G A s ’a g ira it de ré g le r un tel a p p a re il
Cela suppose n a tu re lle m e n t que de faço n à a m p lifie r l'in fo r ­
l’em ploi est ad apté aux besoins A rto rg a est l'a b ré v ia tio n de : m atio n u tilis a b le et fa b riq u e r
cha ng ea nts d ’une p ro d u c tio n org a n ism e s a rtific ie ls (en de l’a rg en t. A in s i, on p o u rra it
évolutive. a n g la is : A R T ific ia l ORGA- c h o is ir les sociétés d o n t les
Nous ne pouvons d o n n e r ici nism s). C 'e s t une société de a ctio n s d o ive n t in fa illib le m e n t
davantage de détails, m ais ce savants fon dée au C ongrès de m onter. C 'est é vid e m m e n t une
qui est dé jà fa it et con nu à C y b e rn é tiq u e de N am ur. Le idée d 'o p tim is te . Par con tre ,
propos de ce plan est d 'u n e C o m ité de Form ation o rig in a le un p e ssim iste résolu d ira it q u 'o n
portée ré e lle m e n t énorm e. Il c o m p re n a it S ta ffo rd Beer, A.G. risq u e de dé pe nse r plus d ’ in fo r­
sem ble bien q u 'il ap p o rte une Pask, O.D. W ells, les Dr. Heinz m atio ns q u ’on n'en gagne.
solutio n p ra tiq u e aux pro blèm es Von Foerster et W .R. A shby. N éanm oins, les rech erch es se
é co no m iqu es d ’ une année qui De no m b re u x au tre s savants p o u rsu ive n t et, p o ur élever les
s ’anno nce d iffic ile , en a tte n d a n t du m onde e n tie r, deux cents débats, citon s d 'a p rè s le p re m ie r
pire. Car, dans une c o n jo n c tu re en viro n , se sont jo in ts au nu m é ro de P lanète, q u e lq u e s
dyn am ique , les erre u rs sont c o m ité o rig in a l p o ur fo n d e r sages paroles de B ertran d
da n g e re u se m e n t cu m u la tive s. une o rg a n isa tio n qu i co n stitu e Russel :
On peut être ce rta in que les en ce m om e nt un des centres « Je dois, avant de m ou rir,
choses ne s 'a rra n g e ro n t pas les plus im p o rta n ts du progrès tro u v e r q u e lq u e m oyen de dire
d'elle s-m ê m es et que, si elles s c ie n tifiq u e , une des m eille ure s la chose e sse ntie lle qui est
ne sont pas org an isée s à tem ps, sou rces d 'id é e s nouvelles dans en m oi, que je n ’ai encore
le ré a ju ste m e n t sera bru ta l. le m onde entier. ja m a is dite, une chose q u i n 'est
V oici la d e rn iè re co m m u n ica tio n ni l’am our, ni la haine, ni la
d ’A rto rg a , parvenue à P la n è te : p itié , ni le m épris, m ais le
so u ffle m êm e de la vie, a rd e n t
U n e soc ié té f ina nc iè re et venu de loin, qu i ap p o rte
dans la vie hu m aine l’ im m e n ­
S u r le plan légal, A rto rg a se
sité, l’effroyable, a d m ira b le et
c o n sid è re com m e une société im p la c a b le fo rce des choses
fin a n c iè re d ’ in vestisse m ents et non hum aines. »
fa it d 'a ille u rs p a rtie de l'a sso ­
c ia tio n a n glaise des sociétés Ne pas s é parer
d 'in v e s tis s e m e n ts . Un des buts le milieu de l ’o rg a n is m e
de la société est en e ffe t de
fo u rn ir à ses m em bres de Ces fo rce s non hum aines, ces
l ’a rg e n t p o u r le u r p e rm ettre choses non hum aines, la p h y ­
de fa ire des rech erch es. s iq u e nous les fa it com p ren dre.
L'exam en de la s itu a tio n a M ais elle est lim ité e pour les
pro voq ué chez les m em bres e n fe rm e r dans un systèm e de
q u e lq u e s ré fle xio n s in té re s ­ lo g iq u e spé cia le. Essayons de
santes sur la p o s s ib ilité de p o rte r ce systèm e au-delà de
fa b riq u e r un a m p lific a t e u r d ’ar­ ces lim ite s, essayons d 'in v e n te r
g ent, c 'e st-à -d ire une m ach in e un systèm e qu i d é c rira it aussi
u tilis a n t la société c a p ita lis te bien les forces im p la ca b le s

La n o u v e lle vag ue en sciences


de Russel que la croissan ce, réclam é un m odèle de ce genre. Une année
que la re p ro d u c tio n des c e llules, G. S om m e rho ff, dans son livre de science française
que le tra n s fe rt h é ré d ita ire de « A n a ly tic a l B iology » (O xford,
l’ in fo rm a tio n , la sé le ctio n n a tu ­ 1950), a com m e ncé à le co n s ­ A N A L Y S E D 'U N RAPPO RT
relle et le co m p o rte m e n t « d irig é tru ire . Nous avions proposé A L'IN T E N T IO N DES POÈTES
des êtres viva nts ». Pour a c c o m ­ dans la c o m m u n ic a tio n n° 33
p lir ces tâ ch e s il fa u t d ’ab ord Nous l'avo ns déjà d it :
adressée aux m em bres de l’A r-
nous dé ba rrasser de qu elque s- torga , la m ise au p o in t ou la
P la n è te s’ intéresse au fa n ta s ­
uns des p ré ju g é s q u i nous tiq u e réel plus q u 'a u x problèm es
réa lisa tion p ra tiq u e d ’un g é n é ­
c o û te n t si cher. Et, to u t d ’abord, ra te u r de « fa n ta is ie » fo u rn is ­ o rd in a ire s de la vu lg a risa tio n
de l’ idée que nous vivo ns san t une sou rce de variétés s c ie n tifiq u e . Ce fa n ta stiq u e ,
to u s dans le m êm e un ive rs, dans une m ach in e b io lo g iq u e ava nt de l’e x p lo ite r et d 'a t­
dans le m êm e m ilie u . Il s u ffit a rtific ie lle . C ’est p o ur le m om ent te in d re le p o in t où la c o n n a is ­
d ’am e ne r au zoo un ch ie n , qui une idée vague, et vous êtes sance se tra n sce n d e en vision,
v it s u rto u t pa r l'o d o ra t, p o ur tou s invités. Mais aurez-vous le nous en vé rifio n s s o ig n e u ­
s'a p e rce vo ir q u 'il ne v it pas sem e nt les sources.
te m p s de le fa ire ? Votre c a le n ­
du to u t dans le m êm e m onde d rie r est m angé aux m ites, Et q u e lle sou rce pe ut être
que nous. Et la seconde idée car la g é n é ra tio n qu i est en m e ille u re et plus sérieuse, que
d o n t il fa u t se d é fa ire est tra in de se fo rm e r n'a plus le R a pp ort d 'A c tiv ité , O ctobre
celle-ci : il est po ssib le de fa ire d 'in h ib itio n s co n tre la g u e rre ! 1960-0ctobre 1961, du C entre
une d is tin c tio n en tre les sen­ Et ce ne son t pas des c o n s id é ­ N ational de la R echerche S c ie n ­
satio ns dans la tê te du chien ratio ns p u re m e n t m orales qui tifiq u e ? Ceci é ta n t dit, il ne
et les odeurs q u i les pro voq uen t. nous sau vero nt de la ca ta s­ fa u t pas v o ir dans le présent
C 'e st faux, et c e tte d ic h o to m ie troph e. Ce qu i pe ut nous sauver, exposé une analyse de ce
est une g ra n d e sou rce d ’ idées ce son t les travaux s c ie n tifiq u e s rap po rt. Tel n 'e st pas notre but
fausses. Le tro is iè m e p ré ju g é des psychologues com m e K o n ­ et ce sont s u rto u t les aspects
d o n t il fa u t se dé b a rra sse r est rad Lorenz et T in b e rg e n , s u r con form es à notre e s p rit que
l’existe nce d ’une re la tio n sim p le les m écanism es des lib é ra tio n s, nous avons rech erch és. Parm i
en tre les im ages su r notre l’a c tiv ité des déplacem e nts, ces aspects, ce qu i fra p p e en
ré tin e et les o b je ts que l'on l'a c tiv ité g ra tu ite e t ainsi de p a rtic u lie r c 'e s t la com b in aiso n,
trouve dans ce q u 'o n a p p e lle su ite (1). que l’on retrouve p a rto u t dans
le cha m p de vision. P our nous la re ch e rch e s c ie n tifiq u e m o­
Lorenz é c riv a it dès 1950 :
résum er, nous n'avons pas le derne, des m éthodes é le c tro ­
« Il est tem ps, et la rg e m e n t
d ro it de sép are r le m ilie u de niques pe rfe ctio n n é e s avec les
tem ps, que l’ in te llig e n c e h u ­ plus vie ille s tra d itio n s . Et c ’est
l'o rg a n ism e , Les deux fo rm e n t m aine co lle c tiv e c o n trô le et
un tout. po urq uoi les travau x du Centre
d irig e ce rta in e s im p u ls io n s ex­
d 'A n a ly s e D o cu m e n ta ire pour
té rie u re s, l’agression en p a rti­
I nven te r un nouveau s c h é m a l’A rc h é o lo g ie de Paris, d irig é
cu lie r. J u s q u 'à pré sen t les
du m o n de par M. J.C. G ardin, d ire c te u r
dé m ag ogu es seuls o n t eu une
de La bo ratoire de R echerche,
Il fa u t re p re n d re tou s les p ro ­ con na issan ce p ra tiq u e de ces
m é rite d 'ê tre re p ro d u it :
blèm es du réel d 'u n e façon m oyens et son t a insi a rrivés à
nouvelle. Il fa u t in ve n te r un fa ire se ba ttre les hu m ains
L'a na ly s e c on c e p tu e lle
nouveau schém a du m onde. avec la plus g ra n d e fa c ilité .
du C o ra n sur cartes p erfo ré es
Ce que nous proposons n ’est C 'e st la con n a issa n ce exacte
pas le vita lism e . C ’est un de ces m oyens de lib é re r les
V oici ce que nous trouvons,
te n sio n s et de ré d u ire les fo rce s
schém a nouveau, un e ffo rt page 286 :
d ’agressions, qu i nous sauvera
d 'im a g in a tio n , p e rm e tta n t d 'a n ­ « Le pro blèm e des p u b lic a tio n s
de la guerre. » sur cartes perforées s ’est tro u vé
nexer l'h u m a in au cha m p non
hum ain de la physique. Des (1) Voir dans le même numéro de retard é cette année par les
Planète l'article de Konrad Lorenz sur
g ra nd s savants com m e : Von les inhibitions contre les meurtres chez d iffic u lté s que l’on a re n co n ­
N eum ann et S c h ro d in g e r o n t les animaux réputés féroces. trées dans la m ise au p o in t

140 In fo rm atio n s et critiques


d 'u n e m ach in e de stiné e à la Les te c h n iq u e s tiq u e y m anque, lo in de là.
re p ro d u c tio n a u to m a tiq u e de de l ’a n c ie n n e C h in e Un fa n ta s tiq u e qu i risq u e d ’a il­
ces cartes. Un procédé de leurs d 'a v o ir une g ra nd e
co m p o sitio n m a n ue lle devra lui Ce tra va il n 'e s t é vid e m m e n t in flu e n c e non se u le m e n t sur
être s u b stitu é , au m oins p ro v i­ pas le seul dans le dom aine l’é vo lu tio n des idées m ais sur
soirem ent, pour ne pas re ta rd e r de la scie n ce h u m aine m ais il notre vie q u o tid ie n n e . Prenons
davantage la p u b lic a tio n de p e u t re te n ir l’a tte n tio n de l'a ­ com m e exem ple cette brève
deux ouvrages su r cartes p e r­ m ateu r de fa n ta s tiq u e . C 'est in fo rm a tio n : « S ig n a lo n s que,
forées a c tu e lle m e n t achevés, ainsi q u 'o n tro u ve à la page sous l'é g id e du C .A .S .D .N .,
à savoir : 247 cette phrase d ig n e de un « g ro up e d ’étude des piles
Lo vecra ft : à co m b u s tib le » a pu être
— L'Index de l'o u tilla g e a n tiq u e « Le m a n u s c rit Regina lat. 213, co n stitu é . Ce g ro up e rassem ble
de l'âge du Bronze, des Balkans c o n tie n t un fra g m e n t d ’ un des la b o ra to ire s du C.N.R.S.
à l'inclus. rouleau des m orts ém ané de et des gra nd es e n tre p rise s du
l’A b b a ye S a in t Remi de Reims, se cte u r nation alisé. A u cours
— L’analyse c o n c e p tu e lle du
Coran. ja m a is s ig n a lé ». de ré u nions pé rio diq ue s, les
C 'e st a insi que l'on apprend m em bres du « G roupe d 'É tu d e »
« Le dé ve lo p p e m e n t du C entre avec s u rp ris e à la page 248 se c o m m u n iq u e n t les résu ltats
est en e ffe t lié à la d iffu s io n q u 'il existe au C.N.R.S. une obtenus, d is c u te n t les p ro ­
de ces p re m iers travaux, seuls sectio n d 'H é ra ld iq u e (on sait blèm es qui se posent et m e tte n t
capables de fa ire ap p a ra ître d 'a u tre pa rt que René A lle a u au p o in t ensem ble le p ro ­
à un large p u b lic l'in té rê t des p o u rs u it dans ce do m aine des gram m e des rech erch es à
nouvelles m étho de s d ’analyse rech erch es trè s curieuses). e n tre p re n d re . »
do cum e ntaire . Il est e n fin in té re ssa n t de noter Les piles à c o m b u s tib le do nt
p o ur les am a te urs de c iv ili­ il est qu estio n sont des a p pa reils
« Dans le m êm e tem ps, to u ­ satio ns et de scie nce s a n ­ q u i, en p rin cip e , d o ive n t tra n s ­
tefois, l'a p p lic a tio n de ces ciennes, que le C.N.R.S. édite fo rm e r d ire c te m e n t l'é n e rg ie
m éthodes à la s o lu tio n de une revue de l'H is to ire de la du cha rbo n et du pé tro le en
pro blèm es p a rtic u lie rs , à l'a id e S id é ru rg ie qui va p u b lie r p ro ­ c o u ra n t é le c triq u e sans passer
de m ach in es é le c tro n iq u e s , ch a in e m e n t le trè s im p o rta n t par les tu rb in e s et les a lte r­
com m e nce à p o rte r ses fru its . tra v a il de M. Needham sur la nateurs. Une des p re m ière s
C 'est a insi que le C e ntre a m é ta llu rg ie ch in o ise de haute a p p lic a tio n s p ra tiq u e s de l'in ­
p u b lié en 1961 les p re m ie rs époque, qu i sera fra c tio n n é ven tion , quan d elle sera au
résu ltats d 'u n e étu de en cours, en tre p lu s ie u rs num éros. On point, sera l'a u to m o b ile é le c ­
su r la d é te rm in a tio n du réseau s a it l’ im p o rta n ce des tra va u x triq u e , sou ple et silencieu se,
é co n o m iq u e assyro - cappa- de Joseph Needham , qu i o n t et u tilis a n t l'esse nce avec un
do cie n au XIXe siè cle avant ressu scité p o ur nous la te c h n o ­ bien m e ille u r re n d e m e n t que le
J.-C,, à l'a id e d ’o rd in a te u rs logie chino ise. On sa it aussi m o te u r à explosions.
(IBM 650). que tou s les m ystères de cette
« De même, l'e x p é rie n c e a m o r­ m é ta llu rg ie ne sont pas encore D e s tra vaux
cée l’an d e rn ie r su r la d é ­ é c la irc is (voir Planète N° 2 sur les m u tatio ns
te rm in a tio n a u to m a tiq u e des au su je t des bronzes d 'a lu ­
« gro up es c u ltu re ls », dans une m in iu m chino is). Des travau x qui co rre sp o n d e n t
c o lle ctio n d 'o u tils , a fa it l'o b je t re m a rq u a b le m e n t aux p ré ­
d ’ un co m p te rendu à l'École Les piles à c o m b u s tib le o ccu p a tio n s des le cte u rs de
P ratiq ue des H autes Études. « Planète » sont ceux po ursu ivis
L’extension de cette m éthode Il est é v id e n t que la p lu p a rt au Laboratoire de G énétique
est à l'é tu d e p o ur un plus des tra va u x du C.N.R.S. sont P hysio lo g iq u e sous la d ire ctio n
vaste ensem b le de m atériau x o rie n té s vers l’a ve nir et non du P rofesseur B. E phrussi. Il
a rch é o lo g iq u e s — o u tils , arm es pas vers les c iv ilis a tio n s d is ­ s ’a g it no ta m m e n t de travaux
et po terie s de l'âg e du bronze, parues ou le passé. Ce qui su r la s tru c tu re fin e des gênes
en Eurasie. » ne veu t pas dire que le fa n ta s ­ et les m utatio ns. Ce sont des

La n ou velle vag ue en sciences


rech erch es qu i se p o u rsu ive n t ta tio n s trè s p a rtic u liè re s des e xce p tio n s e t l'o n a pu
sur des ch a m p ig n o n s, m ais n ’e x is te n t pas chez les m âles pro u ve r d 'u n e fa ço n c e rta in e
d o n t les con séq ue nces pe uve nt et les fe m e lle s Pékin no rm au x». que c e rta in s poissons sont
être con sid érab le s. On a rrive Ces q u e lq u e s phrases sèches sen sib les aux va ria tio n s du
à suivre les m u ta tio n s, à é tu d ie r et p ru d e n te s re co u vre n t des cha m p é le c triq u e , par exem ple
d ’une faço n e xp é rim e n ta le les p o ssib ilité s extra o rd in a ire s. S ’ il les M orm yres, poissons a fr i­
m o d ific a tio n s du p o te n tie l g é n é ­ est possible, par in je c tio n des cains. Il a été dé m o n tré que
tiq u e . Bien e n tend u, le c h e r­ acide s tra n s p o rte u rs de l’ h é ré ­ les grosses c e llu le s de le u r
ch e u r qu i s'o c c u p e de ces dité (du p ro d u it que Jean peau, qu i c o n s titu e n t ces ré ­
problèm es ne se pose pas les Rostand a a p pe lé « h e re d in e » ), cep teurs, é m e tte n t des tra in s
grandes qu e stio n s qu i e x c ite n t de ch a n g e r les c a ra c té ris tiq u e s d ’ im p u lsio n s d e fré q u e n c e ré g u ­
l'im a g in a tio n et p rin c ip a le m e n t : g é n é tiq u e s des canards, p o u r­ lière. Le poisson est ainsi
que p o u rra it être la pro ch a in e quoi pas celles de l'h o m m e ? co n sta m m e n t in fo rm é, par la
m u ta tio n , l'h o m m e d 'a p rè s P ou rqu oi pas l’é lim in a tio n du m o d u la tio n de cette fré q u e n ce ,
l'h o m m e ? Il n'en reste pas ca n ce r par m o d ific a tio n de des v a ria tio n s du cha m p é le c ­
m oins que le nouveau m atériel l'h é ré d ité ? triq u e de son espace e n v i­
e xp é rim e n ta l qu i est ap p o rté T o u t aussi im p o rta n ts sont les ronnant. V oilà de qu oi rêver.
n o ta m m e n t par les re ch e rch e s tra va u x p o u rsu ivis au Labo­ P ou rrait-o n g re ffe r des organes
de M. Lissouba p e rm e t de ra toire de Photosynthèse, d irig é de ce ge nre su r un corp s
ren dre la réfle xio n su r ce par le pro fe sseu r A, Moyse, hum ain, ré a lisa n t ainsi le th è m e
pro blèm e un peu m oins vague pro fe sseu r à la Faculté des du rom an de M a u rice Renard
q u 'e lle ne l'é ta it ju s q u ’à présent. S cie nce s de Paris. Le jo u r « L’ hom m e tru q u é » ?
C ’est dans le m êm e ensem b le où le m écanism e de ce p h é n o ­
de la bo ratoire s, s itu é à Gif- mène sera co m p ris, nous p o u r­ A u tre su ite fa n ta s tiq u e en p ro ­
sur-Y vette, au Laboratoire de rons fa b riq u e r le sucre et les venance du m êm e la b o ra to ire :
g ra isse s à p a rtir de l'a ir e t de « R e fro id isse m e n t lo calisé des
P h o tobiolo gie, chez le pro fe s­
Teau com m e le fo n t les plantes. s tru c tu re s cérébrales. »
seu r B enoit, que se p o u rsu ive n t
É vid em m e nt ce ré su lta t ne sera Il s 'a g it d ’un essai te c h n iq u e
a c tu e lle m e n t les rech erch es
pas ob tenu b ru sq u e m e n t à la proposé par un n e u ro c h iru rg ie n
sur les fa m e u x can ard s do nt
(D r J. Le Beau), p o ur re fro id ir
le p o te n tie l g é n é tiq u e a été su ite d 'u n e idée de génie.
sé le ctive m e n t ce rta in e s s tru c ­
changé. Les ré su lta ts ob tenu s Il sera a tte in t par l'a c c u m u ­
tu re s profondes du cerveau,
cette année p a raissent c o n ­ la tio n de p e tits détails, de
afin de les ren dre te m p o ra i­
firm e r la g ra nd e d é cou verte : p a tie n ts travau x com m e ceux
re m e n t in actives. Le b u t est
que l’on v o it résum és dans le
« Des m o d ific a tio n s c o n c e rn a n t de pe rm e ttre une exp lo ration
R a p p o rt du C.N.R.S.
les an im a ux tra ité s en 1956 d ’essai avant l’exclusio n d é fi­
ou issus de ces sujets o n t été nitive par co a g u la tio n , dans le
à nouveau observées, Elles Faire dorm ir cas par exem ple d ’une m aladie
in té re sse n t les p ig m e n ta tio n s une partie du cerveau de Parkinson. L’ap p a re il m is
trè s p a rtic u liè re s du bec des au p o in t par le pro fe sseu r W eil,
m âles et de la pa lm u re des Une dé cou verte que la presse de G renoble, est une pe tite
fem elle s. La p re m ière ap pa raît n ’a pas m en tion née , est sig na lée sonde creuse rece van t un gaz
dès les p re m ie rs m ois qu i par le C e ntre d ’ Études de sous pression q u i se détend
s u iv e n t l'é clo sio n et est plus P hysiologie nerveuse d irig é par à l’extrém ité , d ’où re fro id is ­
précoce que ce lle qui fu t le pro fe sseu r A. Fessard sem e nt et p o s s ib ilité de réglage.
observée a n té rie u re m e n t. Q ua nt (M em b re de l’A ca d é m ie de Les essais préalables su r le
à la p ig m e n ta tio n spé cia le « en M éd ecine, pro fe sseu r au cerveau du chat, fa its au Centre
d a m ie r » des palm ures, elle C ollège de France). V oici ce d'É tudes, se sont révélés e xtrê ­
est ap p a ru e é g a le m e n t cette d o n t il s ’a g it : m em e nt sa tisfa isa n ts, au p o in t
année — fa it nouveau — sur La p lu p a rt des êtres viva nts que la te c h n iq u e est m a in ­
la pa lm u re de q u e lq u e s mâles. ne son t pas sen sib les aux te n a n t d ’un usage c o u ra n t dans
R appelons que ces p ig m e n ­ fo rce s é le ctriq u e s. M ais il y a ce g ro up e de rech erch es pour

In fo rm atio n s et critiques
des travau x d 'é le c tro p h y s io lo g ie L E S M O N D E S tro n iq u e s et c h im iq u e s et s ti­
céré bra le sur l'a n im a l. On c o n ­ D I F F É R E N T S m u la te u rs b io é le ctro n iq u e s.
ç o it l’ in té rê t q u ’ il y a à pouvoir Ce qui l'a in sp iré , c ’est l'e n ­
exclure ra p id e m e n t et réversi- c o m b re m e n t cro issa n t des é q u i­
b lem e nt l’a c tiv ité d ’environ un
V ers la construction pem ents spatiaux, et le u r fr a g i­
du Cyborg : lité. Q uo iqu e l’hom m e sem ble
m illim è tre cube de sub stance
grise. En s'a d re ssa n t à l'u n des
L'h om m e d 'ailleurs cap ab le de s u p p o rte r des a c c é ­
noyaux pro fo nd s responsables lé ratio ns beaucoup plus p u is ­
du som m eil, on peut, par DES RECHERCHES santes q u ’on l’ava it estim é
exem ple, fa ire d o rm ir un h é m i­ DÉMENTIES ju s q u 'ic i, il n 'e st pas douteux
sphère cérébral p e n d a n t que OU DE JUSTES VISIONS q u ’ il devra, dans ses pre m ière s
l'a u tre reste éveillé. DÉROUTANTES? e xcu rsio ns in te rp la n é ta ire s, être
Une fo is de plus la ré a lité p rotégé co n tre ces tro is p rin c i­
sc ie n tifiq u e se révèle plus Froid comme un p o is s on , paux da ng ers : a ccé lé ra tio n s
extra o rd in a ire que la fic tio n b o u ch e scellée, doté de gla n de s excessives, te m p é ra tu ie s ex­
et les pages p ru d e n te s et s é ­ artificielles, tel sera l 'H o m m e de trêm es et ra d ia tio n s diverses.
rieuses du ra p p o rt du C.N.R.S. l'avenir, le C y b o rg , c o n q u é ra n t F audra-t-il alors que ces m a l­
a p pa raisse nt com m e l'u n e des des pla nètes. heureux se tra în e n t dans des
sources du réalism e fa n ta stiq u e . scap ha nd re s g ig a n te sq u e s b a r­
Ils a u ro n t des yeux, des m ains dés de plom b et rig o u re u se m e n t
et des cerveaux p a reils aux é ta n ch é isé s? F audra-t-il les
nôtres. M ais leur pouls, leur co n d a m n e r à des séjours où
d ig e stio n et leurs se n tim e n ts l’acte p h ysio lo g iq u e le plus
se ro n t d iffé re n ts de ceux que s im p le — tel que se g ra tte r
la race hu m aine a co n n u s ju s ­ le nez — posera des problèm es
q u 'ic i. Nés sur la Terre, iis te c h n o lo g iq u e s a rd u s?
m o u rro n t p e ut-être a ille u rs. Ce Enfin, q u ’une co u tu re vie nn e à
sero nt sans doute des hom m es, c ra q u e r dans te lle ou telle
m ais on les ap p e lle ra des co m b in a iso n étanche, et c'e st
«-Cyborgs », te rm e fo rg é à p a rtir la cata stro phe . P ourquoi, en
des deux scie nce s qui a u ro n t effet, fa u t-il e xclure pareil
p e rm is leur m ise au m onde : ris q u e ? Un scap ha nd re , aussi
c yb e rn é tiq u e et physiologie. p e rfe ctio n n é so it-il, peut se
Le C yborg a deux pères am é ­ b lo q u e r aux a rtic u la tio n s , et
ric a in s : M an fre d Clynes, un se tra n s fo rm e r soudain en sa r­
in g é n ie u r qu i é tu d ie m a th é m a ­ cophage. Il pe ut aussi être
tiq u e m e n t les é q u ilib re s b io ­ endom m agé : et c'en est fa it
c h im iq u e s hu m ains, au Rock- d ’une vie hum aine.
iand S tate H o spita l de New
York, et un m éd ecin, Nathan
K iine , qu i é tu d ie les drogues A u lieu d 'u n s c a p h a n d re ,
du cerveau au m êm e h ô pita l (1). une physiologie sur m esu re

Q u ' e s t - c e q u 'u n Cybo rg ? C ’ est Paraît é g alem en t un q u a triè m e


un o rg a n is m e c y be rné tis é . M ais danger, do nt les te c h n ic ie n s
e n c o re ? Un o rg an ism e c o m ­ in te rn a tio n a u x ne ch e rch e n t
m andé par des m écanism es d 'a ille u rs n u lle m e n t à d im in u e r
divers, tels que gla n d e s élec- l'im p o rta n c e : le m alaise psy­
c h o lo g iq u e su sce p tib le de d é ­
g é né rer en désarro is né vro­
(1) Les t r a v a u x de C l y n e s et K l i n e on t
ét é p u b l i é s d a n s la r ev ue a m é r i c a i n e tiqu es. Et con tre ce d a n g e r là,
« A s t r o n o t i c s ». guère de cuirasse.

Les mondes différents


A lo rs s ’ im p o se la cyb e rn é ­ pa rtie de la tâ ch e des poum ons,
tis a tio n de l'o rg a n is m e , et et re g é n é re ra it l ’ oxygène du
l ’a d a p ta tio n fo n d a m e n ta le de sa n g . A cette fin , bien sûr,
l'h o m m e à son nouveau m ilie u . il se ra it d ire c te m e n t bra nch é
A u lieu d ’ un sca p h a n d re , une su r le systèm e c irc u la to ire .
p h y s io lo g ie su r m esure. — D es artère s a rtific ie lle s de
Un C yborg, en te n u e aussi p o lyé th ylè n e a s s u re ra ie n t une
légère que celle q u 'il p o rte ra it c irc u la tio n d ’eau à la te m p é ­
sur la Terre, évoluera sans en ra ture v o u lu e à tra ve rs le corp s.
être a u tre m e n t em b arra ssé sur A in s i, le C yb org « fo n c tio n ­
des planètes où la p e san te ur n e rait » su r l ’ un des p rin c ip e s
est q u a s im e n t n u lle ou bien les plus c o u ra n ts des m o te u rs
trip le , au co n tra ire , et s u p p o r­ d ’a u to s. La ré g u la tio n de ce
tera a llè g re m e n t des aubes c o n d itio n n e m e n t de te m p é ra ­
po la ires et des m id is in c a n ­ tu re se ra it a u to m a tiq u e : sur
d e scen ts dans la m êm e journ ée. la Lune, par exem ple, le Cyborg
La condition surhumaine ?
se ra it ch a u ffé par un a p pa reil
à com m a nd e é le c tro n iq u e dès
C o m m e n t fe ra -t-o n un C yb org ? la tom bé e de la n u it lunaire, K lin e et Clynes, « sera scellée
et ré frig é ré dès l'au be par le et ne servira p lu s à rie n ... »
M ais c o m m e n t fe ra -t-o n un
m êm e ap p a re il. D es ra d io s d ire c te m e n t b ra n ­
C yborg ? L'o p é ra tio n c o m m e n ­ chées su r le urs co rd e s voca le s
cera vra is e m b la b le m e n t par la
P ro té g e r et a ccé lé re r (et cela n ’est pas nouveau : les
g re ffe d ’ un systèm e e n d o c rin ie n
le cerveau p ilote s de la d e rn iè re guerre
a rtific ie l. Il ne s 'a g ira pas é v i­
é ta ie n t déjà dotés d ’a p p a re ils
de m m e n t de d o u b le r les g lan des — M ais là ne réside pas le plus sim ila ire s, les laryng oph on es)
e n d o crin ie n n e s vraies d 'org an es fa n ta s tiq u e des pro je ts de tra n s m e ttro n t sans in te rm é ­
a rtific ie ls , m ais de c o n trô le r M M. K lin e et C lynes. Une d ia ire les m essa ge s d ’ un
le fo n c tio n n e m e n t de l'o r g a ­ te m p é ra tu re tro p basse ou tro p C yb org à l ’au tre.
nism e de fa ço n d ire c te . Il est haute, ra p p e lle n t-ils , ris q u e ra it
ainsi vra ise m b la b le q u 'u n e des d 'e n tra v e r le fo n c tio n n e m e n t Un p s ych ism e d iffé re n t
gre ffe s p rin c ip a le s sera celle du cerveau. Or, sans p ré te nd re
de s tim u la te u rs é le c tro n iq u e s à la q u a lité de purs esprits, Il est é vid e n t q u ’ un hom m e
du fo ie et des ca p su le s s u rré ­ les C yborgs n'en sero nt pas tra n s fo rm é en C yborg, et le
n a le s, d e s tin é s à ré g le r les m oins trè s é loig né s de notre d e m e u ra n t p lu sie u rs années,
q u a n tité s d 'a d ré n a lin e et de c o n d itio n p h ysio lo g iq u e ac­ n 'a u ra plus les m êm es organes
su cre c irc u la n t dans l'o rg a ­ tue lle . Leur org an e le plus q u 'à son entrée dans la c lin iq u e
nism e . im p o rta n t sera, sans conteste, où on l’aura m odelé. Ce sero nt
— Exposés à des pressions le u r cerveau. Et afin de le des org an es d ’ une espèce
d ix fo is plus fa ib le s que sur m a in te n ir dans les m e ille u re s nouvelle. Certes, les C yborgs
la T erre, les poum ons e x p lo ­ c o n d itio n s , il sera doté d 'u n pe rm an ents n ’a p p a ra îtro n t pas
se ra ie n t et le sang se m e ttra it systèm e de ch a u ffa g e a u to ­ dans les parages de la T erre
à b o u illir, en tre au tre s a c c i­ nom e. M ie ux : il sera ré g u liè ­ ava nt p lu sie u rs d izain es d 'a n ­
dents. K lin e et C lynes im a ­ re m e n t a lim e n té en p ro d u its nées. M ais dès lors q u 'ils
g in e n t, po ur y rem é die r, de é n e rg é tiq u e s par une ca p su le ap p a ra îtro n t, l ’ in é vita b le évo­
« d é g o n fle r » p a rtie lle m e n t à co m m a n d e é le c tro n iq u e fixée lu tio n te n d ra à pro lo n g e r leur
les p o u m o n s et d 'a b a is s e r la su r sa tête. état. N ous — ou nos e n fa n ts —
te m p é ra tu re du sang et, du ve rro n s des C yb o rg s d ’ un an,
coup, celle du c o rp s . B o u ch e scellée p u is de cin q ans, puis de
Un c o n v e rtis s e u r c h im iq u e dix, etc.
g re ffé au ven tre du C yb org « La b o u ch e des C yb o rg s », On peut m é d ite r su r la révo­
p re n d ra it à sa ch a rg e une a ssu re n t co u ra g e u se m e n t MM. lu tio n p h ysio lo g iq u e fo n d a ­

In fo rm atio n s et critiques
m entale que p ro vo q u e ra it la sur-O rge, ou à W rig h t Patter- LES A R T S A N C I E N S
« c yb o rg isa tio n » éte ndu e sur son, p ré p a re n t l'a d a p ta tio n ET M O D E R N E S
d ix années: ce rv eau sa ns d ou te p h ysiq u e et psych iq u e de
b e a u c o u p plus d é v e lo p p é, sys­ l'h o m m e à des c o n d itio n s in h u ­
t è m e digestif d ég é n é ré et, bien m aines, a ccé lé ra tio n s de 40 ou
Braque et Picasso :
sûr, psy c h ism e s f o n c iè r e m e n t 50 G, ch a le u rs de l’o rd re de
différents de t o u t ce que 70°, etc. : le Cyborg est au UN M O RT VIV A N T ,
nous avons jus q u 'ic i q ua lifié bo ut de ces perspectives. UNE ÉTERNELLE JEUNESSE
d ’ h u m a in ... • M M . Kline et C ly ne s e stim e n t
« A in s i, a ffirm e n t MM. K line que l’hom m e n’est pas parvenu A p rè s l’avo ir cha rgé de dé core r
et Clynes, l’hom m e pourra aux lim ite s de ses p o ssib ilité s le plafond d ’une des salles de
jo u ir p le in e m e n t de son in c u r­ d 'a d a p ta tio n : les Indiens de l'é co le frança ise , l'é ta t-m a jo r
sion dans le Cosmos. » M orococha, par exem ple, dans du Louvre a fa it de nouveau
les A n d e s p é ruvienn es, p a r­ appel à l'u n des m aîtres du
D é jà aujourd'hui v ie n n e n t bien à jo u e r au foo tb all cub ism e , celui que Jean
p e n d a n t p lu sie u rs heures, à Paulhan a ap pe lé « le Patron »,
• La b io é le ctron iq ue a a ffe rm i des altitudes de 5.000 mètre s, Georges Braque. Le Louvre,
cette relatio n en tre la c y b e r­ où les pilote s ne pe uve nt se q u e lle con sécra tion I Mais les
né tiq u e et la ph ysio lo g ie : les passer de m asques à oxygène la u rie rs de la g lo ire son t p a r­
régulateurs c a rd ia q u e s que l'on et où les ob serva te urs m édicaux fo is délétères. La ré tro sp e ctive
fa b riq u e a u jo u rd 'h u i aux États- b leu issen t, c h a n g e n t de p e r­ B raque est loin d ’être une
U nis ne c o n s titu e n t q u ’un p re ­ son na lité, et se m e tte n t à réussite. Elle a été réalisée
m ie r pas vers ia « c y b o rg i­ déraisonner... de faço n assez som m a ire et
sation » de l'hom m e.
co n stitu e à vrai dire bien plus
• L 'appare il de Karl O tto , un aide -m é m oire q u ’une présen­
de l’in s titu t de L ich te n b e rg ta tio n exhaustive. C ’est un ou til
de P hysiologie a p p liq u é e de d ’ in fo rm a tio n à l’usage des é tu ­
B erlin, pour la tra n sm issio n dia n ts et des profanes. Les cinq
sans fil des pa ram ètres p h y s io ­ salles de l’e xp osition c o rre s ­
logiq ue s d e stiné s à m o d ifie r po nd en t sch é m a tiq u e m e n t aux
à d is ta nc e le potentiel de tel diverses périodes de la ca rriè re
ou tel m u s c le, est un autre de l’artiste. Q ue lqu es oeuvres
exem ple de cette o rie n ta tio n . tro p sou ven t m in eu re s et
• Le d o c te u r Ka ntrow itz, du cho isie s avant to u t p o ur le u r
M aim onide s H o spita l de B ro o ­ in té rê t d id a c tiq u e en ja lo n n e n t
klyn, a réussi d e rn iè re m e n t à le d é ve lo p p e m e n t h is to riq u e :
faire valser un chien par des d é bu ts céza nn ien s de l’ Estaque,
s tim ulations b io é le ctro n iq u e s re n co n tre des « th è m e s m u s i­
rythmées et e n re g is tré e s . Le caux » (gu itare , m an do lin e) et,
Dr. K a n tro w itz ne songe, pour dès 1911, la g ra n d e époque des
l’ in sta nt, q u ’à p e rm e ttre aux co m p o sitio n s c u b iste s et des
p a ra p lé g iq u e s h u m a in s de papiers collés, qu i se po ursu ivra
m archer, m ais il n ’est pas ju s q u ’en 1920.
do uteu x q u ’un h o m m e doté
d ’ un « r y t h m e u r » é le ctron iqu e Le divorc e entre le m u s é e
qui te n d ra et d é te n d ra ses et l ’art vivant
m uscles afin de le faire m a rc h e r
co n stitu e ra une sorte de La vision de Braque, fixée par
Cyborg. l ’analyse cub iste, évoluera peu
• Enfin, les re c h e rc he s de p e nd an t v in g t ans. A p rè s 1940,
m é d e c in e spatia le à B ré tig n y - l ’a rtiste retrou vera le g o û t de

Les arts anciens e t m odernes


la c o u le u r vive et de la haute vé rita b le m usée pa risie n d 'a rt m êm e tem ps, la te n ta tio n est
pâte. Une sorte de seconde m oderne. Paris, m étrop ole des gra n d e d 'é ta b lir un parallèle
jeunesse se m a n ife ste alors, arts, est aussi la c a p ita le m o n ­ en tre les deux personnalités.
com m e le m û risse m e n t de c e r­ diale de l'a ca d é m ism e m uséo- Elles o n t a ffro n té d iffé re m m e n t
ta in e s a n tic ip a tio n s d ’avant- logique. Les con serva te urs du l ’épreuve du tem ps, qui en
guerre. Ce B raque ta rd if est Louvre o n t tra ité B raque com m e fa is a n t re sso rtir les tra its de
encore à re d é c o u v rir p o ur une ils tra ite n t un G ustave M oreau perm an ence de le u r caractère,
gra n d e p a rtie du p u b lic fra n ç a is ou un C ourbet. A vec to u t ju ste a accusé le urs diffé re nce s.
et in te rn a tio n a l, qu i n ’a que un peu m oins d'ég ard s. On
tro p te n d a n ce à e n fe rm e r l’a r­ éprouve la désag réab le im p re s ­ Braque s'e st en foncé dans
tis te dans sa seule dim e n sio n sion d ’a ssiste r à l'e n te rre m e n t l’ordre, la rig u e u r, la m é d ita tio n
cub iste. On a u ra it aim é que le pré m aturé d 'u n m ort vivant. sin cè re su r son œ uvre et sur
Louvre lu i re n d ît ju s tic e ; l’o c c a ­ Le B raq ue des co m p o sitio n s lui-m êm e . L’extra o rd in a ire v ita ­
sion, h é la s ! n ’a pas été s a is ie : fauves de 1906 (qui n ’est lité de Picasso l’a con da m né
la seconde pa rtie de l'œ uvre d ’a ille u rs pas représenté dans à la virtu o s ité incessante, à la
de B raque est tra ité e aussi l'e xp o sitio n ), des papiers collés, prouesse con tinu e. Ce fu n a m ­
so m m a ire m e n t que la prem ière. des œ uvres c u b iste s de la bule ne danse pas su r la corde
plé n itu d e , des natures m ortes raide mais su r une vis sans fin .
si savoureuses des années 30, L’exposition Picasso dans le
L 'a te lie r de B raq ue des plâtres gravés de 1931 et cadre m oderne, c la ir et net de
de 1948 — bref, que ce so it le la ga le rie Leiris con tra ste é tra n ­
Des gravures, des s c u lp tu re s m aître cu b iste souvent s u p é rie u r ge m en t avec le poussiéreux
de p e tit fo rm a t, un vitra il, à Picasso ou le co loriste strict, « m usée » Braque, si mal p ré fa ­
des fra g m e n ts de tap isseries, p u issa nt gé nie de la m esure et briq u é au Louvre. La p ré sen­
q u e lq u e s p lâtres gravés poète d é lic a t de l'é q u ilib re , le ta tio n im p ecca ble a c cro îte n co re
v ie n n e n t s 'a jo u te r à ce p a no­ gra nd Braque m é rita it mieux, l’extra o rd in a ire im pression de
ram a in c o m p le t et tro p rapide. Le Louvre aussi : lorsque jeunesse de l'e xp o sitio n P i­
La ca ta stro p h e est à son com b le — exception rarissim e — le casso. A u c u n e nouveauté, bien
avec la re c o n s titu tio n de l’ate lie r pre m ie r m usée national fra n ­ sûr, dans la tre n ta in e de toiles
du peintre. R e co n stitu tio n m es­ çais a ccu e ille un pe in tre vivant, exposées. Picasso reprend à
qu in e, réu nion d 'o b je ts usuels il nous le m ontre à la sauvette. l'in fin i les thè m e s m ajeurs de
et banals, co m m u n s à tous les son œ uvre passée, du rom a n­
am a te urs com m e à tou s les Pic a s s o : la je u n e s s e tism e m isé ra b iliste des époques
génies : pince aux, chevalet, bleue et rose ju s q u ’aux in n o m ­
ta b le et chaise. Une to ile in a ­ C o m m ent Picasso s o rtira it-il brables études de fem m es,
chevée a été placée su r le d ’une se m b la b le et to u t aussi tra ité e s avec plus ou m oins
chevalet, sans doute pour d é lica te ép re u ve ? C ’est é v i­ d ’ in sistan ce selon ses procédés
co m p lé te r une illu sio n qu i n'en de m m e n t un to u t autre p ro ­ h a b itu e ls de d iffra c tio n . Ici, là,
e st pas une. C et é ch e c est blèm e. Pas qu estio n en to u t un rappel des M énines ou de
s ig n ific a tif: il m esure la dista nce cas de co m p a re r l’exposition G uernica, des co m p o sitio n s
qui existe en tre la réalité B raq ue au Louvre — m a n i­ ordonnées ra p p e la n t le cub ism e
vivante de l'a rt actu el e t les fe sta tio n qu i se veu t antho- a n a lytiq u e . La Femme au
m éthodes sclérosées de la lo giq ue — et l'e xp o sitio n Picasso Chapeau de 1961, po st-cu biste
m uséologie tra d itio n n e lle . Ce à la g a le rie Louise Leiris, qui et he llé nisan te , évoque c u rie u ­
d ivorce entre l'a rt viva n t et les rassem ble un cho ix lim ité de sem ent ce rta in s plâtres gravés
m usées ne fa it que s ’a cce n tu e r pe in tu re s récentes (toutes exé­ par B raq ue en 1931, tel
en France, à de trè s rares cutées à V auvenargues de 1959 l'H é ra klè s du Louvre. Une note
e xce ptio ns près. C ’est une fo n ­ à 1961). un peu tris te dans to u te cette
dation privée, l’a sso cia tion des M ais pu isq u e le hasard (?) fa it jo ie de p e in dre : tro is pe tits
A rts D écoratifs, g e stio n n a ire du si bien les choses et que les paysages mous, lo in ta in s et
Pavillon de M arsan, qui jo ue deux g ra nd s su rviva n ts de pâles re fle ts de l’époque cézan-
de plus en plus le rôle d 'u n l'ép op ée cu b is te exposent en nienne.

In fo rm atio n s et critiques
Quel e n se ig n e m e n t tire r de la LA L I T T É R A T U R E
vision ju xta po sée de ces deux
exp ositions te c h n iq u e m e n t si
d is s e m b la b le s ? L’ une nous p ré ­ Où en est
sente un m o rt viva nt, l’au tre le S u rréalism e?
le trè s h a bitu el virtu o se d ’ une
é te rn e lle jeunesse. La v é rité LA RÉVOLTE ILLIMITÉE
de Braque et de P icasso est ET LES LIMITES DE
a ille u rs : dans le u r œ uvre, LA PURE LITTÉR ATU R E
d e p u is lo ng te m ps d e rriè re eux.
Où en est le S u rré a lism e ?
C o m m e n t ne pas so u h a ite r de
le sa vo ir? Une d o c trin e qui
p ro m e t le paradis te n te to u ­
jo urs. Le paradis pro m is par
le S u rré a lism e est laïque, m ais
c ’est vra im e n t un paradis, un Aragon :
bo nh eu r, un éternel p rin te m p s, exclu parce que trop libre
un âge d ’or. S ’ il trio m p h a it,
nous v iv rio n s dans l’am our,
la société ne c o m p te ra it plus c o n stitu é s, il s ’est m an ifesté
de sa crifié s, la pensée tire ra it par une d é cla ra tio n qui ne me
toute con na issan ce de l’ in tu i­ paraît pas l’e n g a g e r à gra nd -
tion et de la poésie. Plus de chose. « Nous croyons, d é c la ­
c o n tra in te s d 'a u c u n e sorte, m ais ren t les H o lla nd ais, à la révolte
une c o n sta n te jo ie de vivre. de R im baud, à celle de Lau­
D é sir et lib e rté ne ce sse ra ie n t tré a m o n t et de S ade; nous
de se re cré e r l’ un l’autre. croyo ns à la v a le u r de la poésie,
V oilà ce que nous ra p p e lle de l’a m o u r et de la lib e rté ;
Jea n-L ouis B éd ou in, dans V in g t nous croyons à la révo lu tion
A n s de S u rré a lis m e (1) qui est su rré a liste . » J ’ai s u p p rim é les
un livre in s tru c tif en m êm e m ajuscu les, ca r si les néophytes
te m p s que trè s savoureux et du S u rré a lism e s’en tie n n e n t
par m om e nts trè s am usant. à cette fo i, le S u rré a lism e n ’a
pas lieu de pavoiser.
Un a s s o u p lis s e m e n t Il est ju s te de reco n n a ître que,
de la ra is o n , m ais... d e rriè re ces m ots de dévotion,
au m oins po ur les S u rré a liste s
Il nous ap p re n d to u t d'a b o rd fra n ça is, se tie n t q u e lq u e chose
que le S u rré a lism e s ’est ré ­ de plus com plexe. Q ui ne le
pandu en B elgique , en Italie, s a it? Le S urré alism e, ainsi
aux É tats-U nis, en A m é riq u e d ’a ille u rs que le so u lig n e B é­
la tine , au Japon, au M exique, do uin, s ’ insère dans l’ h isto ire
aux A n tille s , en Europe c e n ­ avec le sou ci d ’assum er ju sq u e
trale , b re f dans le m onde en tier. dans ses co n séq ue nces les
M ais q u e lle est la va le u r in d i­ plus diverses et les plus
v id u e lle des a d h é re n ts ? Il né­ extrêm es le d é velopp em e nt
g lig e de le dire. Tous les ré vo lu tio n n a ire de la pensée.
gro up es re sse m b le n t-ils à celui Il entend refaire l ’e n te n d e m e n t
de H o lla n d e ? Un des d e rn ie rs hu m ain, d é liv re r l'e s p rit d ’ un
pré te nd u na tio n a lism e q u ’ in fir ­
Picasso : Compris ? (1) Denoël. m e ra ie n t à elles seules les plus

La littératu re 147
récentes p o sitio n s s c ie n tifiq u e s , b outism e. Q u a n t à l’a ffra n c h is ­
re m p la ce r la raison ca rté sie n n e sem e nt m oral, il s ’étale sous
par une raison in tu itiv e dans nos yeux. J.e doute que le
la qu elle s ’ in té g re ra ie n t l'im a ­ S u rré a lism e y s o it p o ur une
g in a ire et le rêve, et, d ’ une part.
faço n plus générale, a ssu re r
la lib e rté to ta le de la personne D es b u ts vagues
pensante, lib e rté à l'é g a rd de et des exclu sive s p ré cise s
la v ie ille raison c ritiq u e , lib e rté
à l'é g a rd des vie ux dogm es T o u jo u rs est-il que Jean-Louis
m oraux, lib e rté à l ’égard des B éd ou in s ’avance d 'u n pas
c o n d itio n s de vie qui né ce s­ fo rt alerte su r le ch e m in de
s ite n t la révo lu tion p ro lé ta ­ l’ in s u rre c tio n hum aine. A vec
rienne.., Les su rré a liste s n ’o n t une fra n c h e et naïve con fian ce,
pas été les seuls à tra v a ille r il re p ro d u it des textes que
à un asso u p lisse m e n t de la peu de gens c o n n a isse n t et
(Keystone)
raison. A ce p o in t de vue, qui p ré cise n t les positions. D ali :
les sym bolistes, les bergso- S om m es-nous n o m bre ux à avo ir exclu parce que trop génial
niens, les ba rrésie ns m êm e, y lu, par exem ple, la le ttre é crite
o n t tra v a illé avant eux, et Jarry par ces m essieurs à G arry
Davis, le citoye n du m on d e ? S aviez-vous q u ’ il y a ju s te deux
davantage encore. Et puis, il ans le surré alism e, procéda
co n v ie n t de d is tin g u e r en tre J'y tro u ve les ligne s suivan te s :
à I’ « exé cutio n du te s ta m e n t de
cet a sso u p lisse m e n t in tu itif et « Nous ch e rch e ro n s la clef,
S a d e » ? Cela s ’est passé en
le ren verse m ent co m p le t à la d'esse nce m ythiq ue , cap ab le
privé chez Joyce M assour, qui
su ite d u qu el la litté ra tu re ne d ’o u v rir n 'im p o rte quel asp ect
a va it in vité à cette occa sio n une
p ro d u it plus que des e x c e n tri­ m an ifeste du m onde p o ur liv re r
le se cre t q u ’ il ren fe rm e. A in s i cen ta in e d ’a rtiste s et d ’é c ri­
cité s et prend le ch e m in de la vains. Jean Benoît, revêtu du
fo lie . La utréa m on t, Jarry, pas p o ursu ivon s - nous l’ave nture
exa ltan te qu i, par la c o n n a is ­ costu m e - m asque cé ré m on iel
mal de su rré a liste s té m o ig n e n t q u ’ il a co n fe c tio n n é en
du risq u e q u ’ il y a à pra tiq u e r, sance de son univers, cha ng era
la vie de l’ hom m e. » l’ ho n n e u r de Sade, s 'a c q u itta
dans ce dom aine com m e en de ce tte exé cutio n (sym bo liq ue )
d ’autres, le m ortel ju s q u ’au- Q u'en pe nse z-vous? Un tel
texte ne fra p p e -t-il p o in t par d o n t il a va it réglé les m oind re s
ce q u 'il présente de tro p vague dé tails, et d o n t A la in Jo u ffro y
en m êm e te m p s que de tro p a pu é crire que « cette m a n ife s­
fa c ile m e n t p ro m e tte u r? J'y d e ­ ta tio n n'a ja m a is eu son é q u i­
vin e en filig ra n e le cla ssiqu e va le n t n u lle p a r t» et que le
gesté par lequel la c o n c lu t
« D em ain on rase g ra tis ». Il
B enoît (se m a rq u a n t lu i-m êm e
p e rm e t en to u t cas de c o m ­
à l'a id e d 'u n fe r aux le ttres
pre n d re que des schism es se
de Sade) c o n s titu a it un défi,
soien t p ro d u its dans le cours
« défi aux con form ism e s, défi
d o c trin a l du S urré alism e, et
aux paresses, dé fi au som m eil,
ta n t de d ispu te s, de rup tu res,
défi à tou te s les fo rm e s d 'in e rtie ,
de con da m natio ns, que B édouin
dans la vie com m e dans la
raco nte avec une im p e cca b le
pensée ».
bonne fo i. Je renvoie à son
liv re ; on y verra q u 'E lu a rd ,
p o ur ne pa rle r que du plus U to p ie et vie ille s s e
illu s tre , a cessé d 'ê tre un
(Keystone) héros. A u sp e cta cle de pa reille s a b s u r­
Eluard : Il est re m p li, ce livre, de d o c u ­ dités, à la le ctu re de ce rtains
exclu parce que trop poète m ents p itto re s q u e s et drôles. textes tro p u to p iq u e m e n t am-

In fo rm atio n s et critiques
b ilie u x po ur être sin cère s (l’ un il o b tie n d ra de son cerveau LE T H É Â T R E
d 'e u x pro m et à l’ hu m a n ité to u t un re n d e m e n t in c o m p a ra b le ­
en tière de l'é le ve r « à des m e n t s u p é rie u r au re n d e m e n t
hauteurs que seuls les génies de l'in te llig e n c e actu elle. Où en som m es-nous?
isolés on t a tte in te s dans le En effet, dans Le M atin des
passé »), on a l’ im p ressio n m a g icie n s, le c h a p itre « Une CRISE DES SUJETS, DES
q u 'a u ssi bien pour le scan da le in tu itio n nouve lle » persuade AU T E U R S ET DES
que po ur les œ uvres (des a isé m e n t les le cte u rs de Louis ACTEU R S
tra c ts au lieu de livres) il y a P auw els et Jacques B e rg ie r
Le m onde change, nous le
a u jo u rd ’ hui dans le S u rré a lism e que l’exp é rie n ce po é tiq u e e n ­
savons assez, sous l’ in flu e n ce
baisse de pression, et que peut- tre p ris e par R im bau d n ’est
des nouvelles te ch n iq u e s.
être, ayant v ie illi com m e son pas du to u t le fa it ca p ita l
Idées, co n ce p tio n s, tab ous
e n tra în e u r A n d ré B reton, il de la ré vo lu tio n in te lle c tu e lle
s 'e ffo n d re n t. C hacun s ’en tire
arrive au bout de son rouleau. du m onde m oderne. S ’ il existe-
com m e il pe ut — in ven ta nt,
Les su icid e s de Paalen au un tel fa it ca p ita l, c ’est p lu tô t
rapetassant, préservant. C’est
M exique et de D uprey à Paris « l ’e x p lo sitio n du génie m a­
l ’entrée dans une ère nouvelle.
fe ra ie n t dans ce cas, avec ceux th é m a tiq u e ». Les e n tité s m a­
M eure le m onde « bourgeois »,
de Vaché et de Crevel, un cadre th é m a tiq u e s p ro lo n g e n t l’exp é­
sa s tru c tu re sociale, ses c o n c e p ­
s in is tre m e n t fu n è b re . rie n ce hu m a in e au p o in t de
tio n s — en som m e sa p e rc e p ­
lu i é ch a p p e r et de se d é velopp er
Rien que des litté ra te u rs tio n de l’ univers. D onc sa
dans des m ondes étrangers,
vision a rtis tiq u e .
in a cce ssib le s. La réelle p u is ­
Que les s u rré a liste s ne soien t Dès le d é b u t du siècle, le
sance du cerveau hum ain, la
fin a le m e n t, q u o iq u 'ils s'en d é ­ m arteau ré vo lu tio n n a ire du d a ­
voilà. Car, é c riv e n t P auw els
fen d e n t, que des litté ra te u rs , daïsm e et du fu tu ris m e a
et B erg ie r, « le génie m a th é ­
les v ic to ire s réce ntes de la fracassé les idoles : co n d a m ­
m a tiq u e , voya ge an t ainsi dans
s cie n ce n'en la issen t plus na tion exp é d itive du passé.
d ’a u tre s univers, re vie n t de ses
do uter. Si le m onde s'ouvre Puis des arts nouveaux sont
exp lo ra tio n s ch a rg é d ’o u tils e ffi­ nés : radio, ciném a, télé visio n.
de plus en plus à l'é tra n g e té , caces po u r la tra n s fo rm a tio n
la scie n ce y aide in fin im e n t Q ua nt aux arts tra d itio n n e ls ,
du m onde que nous h a bito ns ». ils s 'in tro s p e c te n t, s'anato-
plus que la litté ra tu re ; la s cie nce Ils a jo u te n t « q u ’en é leva nt la
p a ra -p sych o lo g iq u e et p sych a ­ m isent, se dém ontent.
pensée à son plus h a u t degré
n a ly tiq u e dans ses la b o ra to ire s d ’a b s tra c tio n par les m a th é ­
d 'A m é riq u e rem et A n d ré B reton m atiques, l’ hom m e s 'a p e rç o it
et ses e n c y c liq u e s à le u r place, que ce tte pensée n ’est pe ut-être
qui est m in ce. M ais s u rto u t pas sa p ro p rié té exclusive, car
une é tra n g e té beaucoup plus il dé cou vre que les insectes,
im p o rta n te atten d les hom m es, par exem ple, se m b le n t avo ir
qu i, au lieu de fo u rm ille r au co n scie n ce de p ro p rié té s de
fon d d'eux, les dépasse, les l’espace qui nous é ch a p p e n t et
entoure, les su rm o n te . T a n d is q u ’ il e xiste pe u t-ê tre une pensée
que les s u rré a liste s p ié tin e n t m a th é m a tiq u e universelle... »
de van t les états in fé rie u rs de A u fon d, les su rré a liste s exa­
l’ in co n scie n t, c ’est à des états g è re n t le rôle q u ’ ils on t joué,
s u p é rie u rs d 'in te llig e n c e et de et ils so n t en ré a lité des re ta r­
co n scie n ce que nous au ron s dataires. Ils trio m p h e n t dans
b ie n tô t à nous hausser. On un seul a rt — acco rdo ns-le -
re n c o n tre ra — et to u jo u rs dans le u r — , l’a rt de l’étalage aux
le dom aine de l'in tu itio n — (Lipnitzki)
v itrin e s de luxe.
une su p e r-lo g iq u e . A u tre m e n t Planchon :
dit, l’ hom m e est a d m is à penser H e nri C LO U A R D , A la recherche fébrile
que dans les te m p s qui v ie n n e n t (Le Journal des Beaux-Arts, Bruxelles). des textes oubliés

Le théâtre
voici lo ng te m ps : de p u is la fin
du XIXe, ce rta in s s’éta ie n t e m ­
ployés à ré a n im e r l’asphyxié.
S tanislaw sky, C raig, Copeau et
le C artel, en tre autres, s 'a c h a r­
n è re n t à recré er un a rt viva n t
da ns son con tenu com m e dans
son m ode d'exp ression. Efforts
ui o n t d ’abord paru vains :
raig se retire, Copeau
s ’éloigne. M ais le thé âtre, a fa it
re m a rq u e r T h é o p h ile G autier,
est to u jo u rs en queue des
m ouvem ents a rtis tiq u e s : p ro ­
fo n d é m e n t en foui dans la masse
(Lipnitzki) sociale, il s ’éb ran le avec lenteur,
(Lipnitzki)
Samuel Beckett : m ais à fon d, et ne revien t
ja m a is en a rriè re . C ’est se u le ­ Ionesco :
Encore de la littérature, Une entreprise (nécessaire)
m en t m a in te n a n t que se ré ­
malgré tout... de démolition
p a n d e n t les e xp érience s de
S tanislaw sky, de M eyerhold, de
P iscator. dans les fo ire s de Bourgogne,
M o rt et e n te rre m e n t il n ’est que d ’évoquer les efforts
du th é â tre b o u rg e o is La re co n q u ê te du p u b lic , d ’ un V ilar, son th é â tre a m b ulant,
m ais p o u r qu oi? ses spe ctacle s de plein air, la
A r t hu m ain par e xce lle nce — cré a tio n des cen tre s d ra m a ­
l’ hom m e m êm e en est l ’ in s ­ Le p re m ie r o b je c tif a été de tiq u e s, d o n t deux encore ré ce m ­
tru m e n t d ’expression — , le re co n q u é rir, en dehors du p e tit m ent, sans pa rle r des clu b s de
th é â tre reflè te la société dans ce rcle « d ’ h a bitu és », ce p u b lic sp e cta te u rs en A lle m a g n e , po ur
ses m œ urs et ses croyances. qu i a lla it par a ille u rs si fa c ile ­ m esu rer le che m in pa rcou ru.
M ais re fle t se u le m e n t : il garde m en t au cin é m a ou au cirq ue . A u jo u rd 'h u i, les sp e cta te u rs se
en deçà son ca ra ctè re p rim itif D e pu is les « C opiaux » jo u a n t c o m p te n t par m illio n s.
de rite m ag iq ue et trib a l. Grec, Ce p u b lic reco nq uis, que lui
é lisa b é th a in , cla ssiqu e, il nous p ré sen te r p o ur le to u ch e r, le
livre le signe, le p o rtra it m ys­ re te n ir? Il y a d ’abord une
tiq u e d ’ une époque. e n tre p rise de d é m o litio n , in s­
Q uand la société change, le pirée de M eyerhold : on c a ri­
th é â tre change. V oilà po urq uoi c a tu re le th é â tre bourgeois,
le th é â tre « bourgeois » de ses valeurs. Dada a porté ses
nos pères ne nous s u ffit plus, fru its , se co m m e rcia lise . L’anar-
dans son con tenu com m e dans chism e (com m e au ca b a re t avec
son m ode d ’expression. T héâtre Brassens) est à la m ode : un
d ’a ille u rs tra d itio n n e l de nom : n ih ilis m e (Ionesco) qu i, sous
m oribon d dès le d é b u t du c o u le u r de révo lu tion, d e vie n t
XIXe, il n’ im ita it q u ’e xté rie u ­ le co n ve n tio n n e l de notre
rem e nt le th é â tre classique. époque.
P sychologie de salon, il d é ­ Il y a aussi, to u jo u rs, dans un
co u p a it sa « con versa tion sous m ode d ’expression tra d itio n n e l,
un lu stre » en tro is ou cinq (Keystone) un th é â tre qui garde son asp ect
actes. Ce th é â tre existe tou jou rs. J. L. Barrault : de trib u n e litté ra ire , m ais le
In u tile de c ite r des exem ples. Faire éclater les formes, dé ba t s'élève au su je t social
On a va it senti sa d é c ré p itu d e retrouver l'in s tin c t (Cam us, Sartre, etc.).

150 In fo rm atio n s et critiques


Ou encore la psych ologie se tiq u e du dé cor ap p a ra ît ju s ­
ram ifie, plonge dans la p sych a ­ qu 'a u boulevard dans les pièces
nalyse : en A m é riq u e avec de Félicien M arceau. On te n te
Tennessee W illia m s, Kazan et de re tro u ve r un a rt du geste,
l’A c to r S tudio. n é gligé par le th é â tre litté ra ire ,
qu i, en un abcès de fixa tio n ,
Ou bien encore le débat a provoqué la dra m a tisa tio n
s 'é la rg it, veu t re cré e r « le sens de la danse dans le ballet.
de l'h is to ire », com m e chez P hénom ène im p o rta n t, nous
B recht. C haque pièce est la pouvons vo ir au T héâ tre des
d é m on stra tion d 'u n e thèse p o li­ Nations, les d ra m a tu rg ie s é tra n ­
tiq u e ou sociale. On s o u lig n e gères, trè s savantes ou mal
au besoin : des ba nd eroles dégagées du folklore , avec les
e xp lica tives c o m m e n te n t l'a c ­ Nègres, les C hinois, etc. A b cè s
tio n . La scène d e vie n t un de fixa tio n aussi sont parfois
tab lea u n o ir po u r l'é d u c a tio n les « show s » du m usic-hall.
p o litiq u e des masses. C 'e st le (Keystone) Nous som m es do nc en p ré ­
th é â tre selon P iscator. Les Jean Vilar : sence a ctu e lle m e n t, com m e le
pièces de G enêt se s itu e ra ie n t Ce public reconquis, fa it re m a rqu er A n d ré V oisin,
en tre la fo rm u le dada et celle que lu i o ffrir ? des élém ents in co m p le ts et
du th é â tre « engagé ». dispersés d ’ une d ra m a tu rg ie
qui se cherche.
Les textes vivants m anquent.
T o u jo u rs la litté ra tu re On re ch e rch e fé b rile m e n t les
pièces oubliées, ou on adapte A la re ch e rch e de l ’in s tin c t
(tel Planchon le « Edouard II »
Ce thé âtre, ce p e n d a n t, ne de M arlow e). En effet, po ur que Il est à d é p lo re r ce p e n d a n t
ren ou velle guère le m ode d 'e x ­ le th é â tre so it un a rt autonom e que le thé âtre, v o u la n t c o n c u r­
pression du th é â tre « b o u r­ et non une su ccu rsa le de la re n ce r les autres spectacles,
geois ». C 'est to u jo u rs la litté ­ litté ra tu re ou de la radio, il croie de voir le ur e m p ru n te r
rature, bonne ou m auvaise, fa u t d é trô n e r « S ire le M ot », leurs modes d ’expression au
passée par le g u e u lo ir. C 'e st com m e d is a it Baty, cesser de lieu de s ’en d iffé re n c ie r ra d i­
q u 'o n n ’a guère pris garde fa ire de Part d ra m a tiq u e un ca le m e n t en re tro u va n t le sien
aux ra ille rie s de M olière dans em b allag e pour de la litté ra tu re . pro pre q u ’une fausse tra d itio n
Le B o u rg e o is G e n tilh o m m e , Écueil que n ’a pu éviter, m algré a égaré. A ctu e lle m e n t, on a c c u ­
Les Fem m es S avantes, Les son o rig in a lité , l’œ uvre d ra m a ­ m ule les te c h n iq u e s su r le
P récieu ses R id icu le s, qui sont tiq u e de C laudel. Chez ce rta in s plateau : m im e, danse, voire
celles d ’ un hom m e se servant é criva in s m odernes, d 'a ille u rs, ciném a. Ou bien l’on retom be
du langage d ra m a tiq u e d ire c t se dessine un m ou vem e nt vers dans une con ven tion a b stra ite
et qui n ’est pas le langage le langage parlé. Le le ttrism e et cérébrale. C e pe nda nt A n d ré
litté ra ire . D u llin a essayé de lu i-m êm e est la réa lisa tion de V oisin ra p p o rta it q u 'a u cours
« m ettre l'a u te u r à l'é co le de ces « c ris exp ressifs » que de son exp érience m arocaine,
la scène », de fa ire s e n tir à c h e rc h a it A rta u d po ur son les élèves re tro u va ie n t s p o n ­
l'a p p re n ti d ra m a tu rg e la d iffé ­ théâtre. ta n é m e n t le style d ra m atiq ue.
rence en tre le langage é c rit On s’effo rce aussi de renouveler En effet, le th é â tre d o it retrou ver
et parlé. C 'est ce q u ’e n tre p rit l’asp ect visuel, de casser la son style et sa d is c ip lin e n a tu ­
réce m m en t A n d ré V oisin au s tru c tu re en tableaux, donc de rels. S u r la scène, l’ hom m e
M aroc, pays sans th é â tre tra d i­ c h a n g e r le d is p o s itif scénique. s’exp rim e avec to u t son être.
tio n n e l : il fa is a it im p ro vise r un Exem ples célèb res : C h ris to p h e Décors, costum es, lu m iè re s ne
dia lo g u e par les acte urs, le C o lo m b et Le S o u lie r de S atin fo n t que le seconder. Copeau
m e tta it au p o in t et e n su ite le chez B arra ult. Cet essai de te n ta de p a rtir de l'a c te u r
fix a it par l'é c ritu re . re n o u ve lle m e n t du rôle d ra m a ­ m êm e po ur recré er à p a rtir de

Le théâtre
son a rt le dé corateur, le d ra m a ­ une vie plus profonde, plus LE C I N É M A
tu rg e , etc., de fa ire de la crue).
tro u p e un to u t viva nt, non un R etrouvé en ta n t que style
ra sse m ble m en t pro viso ire de et d is c ip lin e , le thé âtre, cette Un artiste d e v a n t la réalité
te ch n icie n s. Idée reprise par in ca rn a tio n im m é d ia te de
P lanchon ou le P iccolo, où le notre vie s p iritu e lle , n ’aura plus ET UN CRITIQUE DE STYLE
sp e cta cle est une créa tion besoin de « thèses » p o ur être PLANÈTE FACE A U X
collective . Decroux, au cours social et m étap hysique . Seul Q U A T R E CAVALIER S DE
de débats su r l'a rc h ite c tu re aussi, com m e l’a ssu ra it A rta u d , L’APO CALYPSE
thé âtrale , a fa it trè s p ro fo n ­ il pe ut re ssu scite r en la tra n s ­
d é m e n t re m a rq u e r que, dans posant au niveau du m onde A u te m p s de la résista nce ,
notre c iv ilis a tio n où l'in te lle c tu e l nouveau, notre c u ltu re h u m a ­ Jacques B e rg ie r e u t soudain
n ’a g it pas et le s p o rtif ne pense niste d o n t une récente ém ission besoin d ’une nouvelle id en tité .
pas, seul l’a c te u r réalise la télé visé e su r Eschyle a éclairé Les délais é ta ie n t tro p cou rts
synthèse en tre la pensée et les ruines. pour im a g in e r une fausse p e r­
l’actio n et q u 'il fa u t re c o n s i­ Du thé âtre, de ce vaisseau qui son na lité, avec fau x passé,
dé rer to u t l’a rt th é â tra l à p a rtir d o rt à l'a n c re su r la place, fausse fa m ille , faux m étier.
de lui. Le thé âtre, « sp o rt d ra m a ­ on révise en ce m om e nt la Forcé d ’ im proviser, il p rit un
tiq u e », d it C raig. « L’acteur, s tru c tu re et l’éq uipag e. Il est nom très com m u n, se f it naître
a th lè te a ffe c tif », répond te m p s q u ’en fin, après ta n t dans une v ille d o n t les reg istres
B arra ult. d'an né es en rade, il c in g le pour d 'é ta t civil é ta ie n t d é tru its, et
retrou ver ce d o n t notre c iv ili­ c h o is it la profession de c ritiq u e
Le s p e c ta te u r actu e l a besoin sation a la nostalg ie et la fa im : d 'a rt. De tous les m étiers
du co n ta ct viva n t de l’acteur, « les cie ux du dedans ». possibles, se d it-il, c 'e s t le seul
com m e on le v o it par le succè s que je puisse in ve n te r de A
du ca b a re t de nos jo u rs et de à Z : personne n'a ja m ais su
ses a rtiste s aux a c tiv ité s para- en quoi il con sistait.
th é â tra le s (Séty, Les Frères J'ai souvent l'o cca sio n de
Jacques, etc...). Dans le m onde penser à cette réflexion p ro ­
m écanisé où nous entrons, fonde. Par exem ple, en lisa n t
seul le th é â tre pe ut g a rd e r les c ritiq u e s du d e rn ie r film
notre relatio n avec les p u is ­ de V in ce n te M in e lli : « Les
sances de l’ in s tin c t. C 'est p o u r­ Q uatre C avaliers de l'A p o ca -
quoi A rta u d , d o n t to u t le dram e lypse ». L’auteur, dit-o n, est
personnel fu t de ne po uvo ir un « c o lib ri », un « a q u a re l­
re jo in d re cet in s tin c t, in sista liste »... Et je me suis dem andé
ta n t sur cette « m étap hysique co m m e n t on peut é crire des
avec la peau ». C 'e st pourq uoi choses pa reille s I Un colibri,
notre m onde o ccid e n ta l, céré- vraim ent, l'a u te u r de « La
bralisé, a une a d m ira tio n de Vie passionnée de V in c e n t
fem m e pour le m onde des Van Gogh »? In vraisem b lab le I
noirs, parce que c e lu i-c i est
en prise d ire c te avec les p u is ­ D 'a b o r d cré e r de la beauté
sances de l'in s tin c t (com m e le
s ig n ifie Les N è g re s de G enêt Invraisem b lab le , aussi, q u 'u n
qu i d 'a ille u rs, par sa volonté hom m e d o n t la profession est
de pre nd re à pa rtie le sp e c ­ de ju g e r les ouvrages de l'e s p rit
ta te u r et de fa ire dé b o rd e r ig no re les lois fo n d a m e n ta le s
l'a c tio n dans la salle, est une de l'art. Car ce qu i frapp e,
fig u ra tio n de ce « th é â tre de dans l'œ uvre de M in e lli et p a rti­
la c ru a u té » qu i c h e rc h a it à c u liè re m e n t dans les « Q uatre
suscite r, par des m oyens naïfs, C avaliers », c 'e s t p ré cisé m e n t

In fo rm atio n s et critiques
la c o n tin u ité avec les processus du cin é m a d ’après la télé visio n, p a rto u t les pieds su r la ta b le
tra d itio n n e ls de la cré a tio n qui se d iffé re n c ie en ob éissant et e n ric h it l’atm osp hè re d ra m a ­
artis tiq u e . De quoi s’a g it-il, aux lois évo lu tives com m e to u t tiq u e avec des e ffets aussi faux
quand un a rtiste re m p lit sa ce q u i vit. O ui oppose le grand q u 'u n b ille t de onze m ille
fo n ctio n , s u p rê m e m e n t hu­ écran au p e tit écran, la so m p ­ francs.
m aine ? de fa ire « une chose de tu o s ité des co u le u rs au n o ir et
beauté », qui so it « une jo ie blanc, bref, qu i s’a p p u ie sur Le p u b lic du d im a n ch e ,
pour to u jo u rs ». Le reste, mon ses cara ctè res sp é cifiq u e s. M i­ le vrai
Dieu, n ’est m êm e pas de la ne lli, en artiste, a to u jo u rs
litté ra tu re . ch e rch é l’éco no m ie dans la Pas un c h e f-d ’œ uvre, m ais une
M in e lli n ’o u b lie pas une se­ rich esse et se plie avec m alaise œ uvre. Cela se voit, ou ne se
conde q u ’ il veut, q u ’ il d o it à l'im p é ra tif e x tra -a rtistiq u e de v o it pas, c 'e s t une qu estio n
crée r de la beauté. De la fa ire gros à to u t prix. De de s e n s ib ilité et, oui, de co m p é ­
pre m ière à la d e rnière im age, plus, il est évident, po ur qui... tence. Le su je t des « Q uatre
son film est d ’ une radieuse, etc., que la d is trib u tio n n'a pas Cavaliers » est tiré du fam eux
d ’ une éclatan te beauté. Et d ’a u ­ été dé cid ée en fo n c tio n des rom an de Blasco Ibanez, tra n s ­
ta n t plus sen sib le à qu i, n a tu ­ exige nces d ra m a tiq u e s m ais en posé de la P rem ière G uerre
rellem ent, n’a pas des pelures fo n c tio n des c ritè re s c o m m e r­ m on diale à la Seconde, sans
d ’oign ons b ib liq u e s su r les ciaux. C harles Boyer est encore pe rdre rien, au con tra ire , de
yeux, que la m atière du G rand plus m auvais que d 'h a b itu d e , sa s ig n ific a tio n , dans la m esure
Œ uvre a rtis tiq u e est plus fa m i­ ce qu i n ’est pas rien. M ais m êm e où le second des grands
lière. M atière v isu e lle : Paris, la C harles Boyer se vend bien, dram es européens du XXe siècle
pampa, la n u it, les visages, les d ’après le p rin c ip e ju s te m e n t a c c o m p lit la m ission tra g iq u e
arbres, V ersailles, la brum e, é ta bli par Jean-Luc G odart, du prem ier. J ’étais, en le voyant
la fla m m e des bûches et celle que les A m é ric a in s p ré fè re n t po ur la p re m ière fois, dans
des bom bes, les regards, les les plus bêtes : La Fayette, une de ces bonnes salles du
gestes. M atière a u d itive : les M a u rice C hevalier... De m êm e dim an che, pleines d 'u n p u b lic
voix, les fracas, les caisses po ur l’effro ya b le m u siq u e du aux réa ction s m assives q u ’ un
cla ires et les bottes de l’arm ée style G olden B o w l, qui m et a rtiste d o it observer avec soin.
à la prussienne. M atiè re n a rra ­ Il reg ard ait, il se ta is a it et,
tive : l’ histo ire , les destins, le à la fin , il a p p la u d issa it. Il avait
jeu aux lois in co m p ré h e n sib le s con nu le Paris de l'o ccu p a tio n ,
du refus et de l’am our, de la et il savait, aussi bien que
peur et de l’a cce p ta tio n . T o u t n 'im p o rte qu i, que les cafés
cela est bien beau et bien vrai, du Q u a rtie r Latin n 'a va ie n t pas
logique, et ju s te assez s u r­ exa cte m e n t cette allure , que
pre n a n t; p o ur qu i, n a tu re lle ­ rien n 'é ta it ré e lle m e n t com m e
m ent, a des yeux po u r vo ir et ça. M ais ça ne le d é ra n g e a it
qu e lq u e chose en tre les deux pas, p u isq ue l ’e s p rit essentiel
ore ille s po ur com p ren dre. é ta it fid è le . Sans y avo ir ja m ais
donné une m in u te de réflexion,
Faire g ro s à to u t prix, hélas ! il savait que la vé rité a rtis tiq u e
n 'e s t pas et ne d o it pas être
Le film de M in e lli est do nc un la vé rité do cum e ntaire .
c h e f-d ’œ uvre? Non, et po ur
des raisons évidentes : d'ab ord , L ’exact et l ’a rtis tiq u e
il est tro p long po u r son con tenu (Keystone)
in spiré . Le ré a lisa te u r a lo n g ­ Charles Boyer, Dans ma can de ur, je croyais
te m p s pensé su r une ce rta in e un des quatre cavaliers que le pro blèm e ava it assez fa it
dim en sion et il peine à d is ­ d'une œuvre qui dit c o u le r d 'e n cre et de salive,
te n d re son in s p ira tio n selon les aux critiques conventionnels de pu is que la litté ra tu re existe,
nouvelles norm es du ciném a, leurs quatre vérités po ur être connu, classé, réglé.

In fo rm atio n s et critiques Le ciném a


De ceux, veux-je dire, qui ont paraître in cro ya b le et te rrib le , L 'A N T H R O P O L O G IE
pour m é tie r de p a rle r des à l’é tra n g e r I »
œ uvres litté ra ire s, dra m atiq ues,
cin é m a to g ra p h iq u e s. Eh bien, Si M in e lli a réussi à faire
co m p re n d re à ces M artie ns Une légende chinoise
non ! On ch ica n e M in e lli pour
son in e xa ctitu d e . C ’est d ’a u ta n t que sont, grâce à Dieu et à LES 170 Q UESTIO NS
plus a d m ira b le que to u t est I1Évolution, les je un es gens de DE L’ ÉTRANGE CHI YUAN
recréé avec un soin extrêm e : 1962, le sens d ’une tra n ch e
chaque épisode se réfère à un d 'h is to ire qu i ne les intéresse Le cosm onaute N° 3, do nt le
fa it réel, avec la plus grande pas beaucoup, il a a cco m p li nom est encore in con nu, risq ue
honnêteté artistique. M ais M i­ une fo is de plus la m ission de fo rt, pour peu que les savants
ne lli n ’a pas pré te nd u faire , l’a rtiste . Et si son in te rp ré ta tio n soviétiq ues l'e n v o ie n t fa ire un
que je sache, un film de m o n ­ des fa its n ’est pas con form e to u r sur les cam pagnes lunaires,
ta g e . Par exem ple, qu an d les à celle de M. D upont, ce n'est d ’y fa ire une agréable re n ­
A lle m a n d s d é file n t sur les pas M. D u p o n t qui aura raison. con tre : celle de la belle Chang
Cham ps-Élysées, la cam éra La poésie, l'a rt en général, Ngo, voyageuse sid éra le d ’une
voyage devant la fo u le s ile n ­ est la fix a tio n en mots, en a n cie n n e légende chinoise.
cieuse et l'on v o it le « Français im ages, en sons et en to u t Il y ava it une fois, il y a bien
q u i pleure ». Dans la ch ro n iq u e , au tre moyen e x is ta n t ou à lo ngtem ps, un a rc h e r d ’une
cette im a ge fam euse, qu i a d é co u vrir, com m e d is e n t les adresse extra o rd in a ire , nom m é
bouleversé le m onde, n ’a pas co n tra ts d ’é d itio n , « des m o­ Hou Yi, d o n t la fem m e, Chang
été prise à Paris. M ais alors m ents les plus heureux des Ngo, é ta it d 'u n e grande beauté.
il fa u d ra it b rû le r Balzac et esp rits les plus heureux ». La En ce tem ps-là, dix soleils
T olstoï, p o ur lesquels une te lle s e n s ib ilité de M. D u p o n t m e u rt to u rn a ie n t dans le ciel, qui
tra n s p o s itio n est la sub stance avec lui ; celle de l’a rtiste co n su m a ie n t les récoltes, et
mêm e de l'art. s 'in té g re à la m ém oire c o lle c ­ qu i b rû la ie n t les hom m es, les
tive, tra n sm u té e par la n a turelle re n d a n t secs et noirs com m e
U n e fille intelligente, a lc h im ie de la m ém oire. M in e lli, des bouts de bois.
née en 1939 on le lui reproche, v o it la guerre Hou Yi, avec son arc et ses
en rouge; M. D u p o n t en gris. flèch es, a b a ttit ne uf de ces
J ’ai revu les « Q uatre C avaliers » Il a do nc de m oins bons yeux. soleils. Et, pour avoir m is fin
avec une fille in te llig e n te , née Il n'a pas non plus deviné, en aux m aux des homm es, il fu t
en 1939. P our elle, les événe­ le van t les yeux vers le ciel de la fêté com m e un héros. La M ère
m ents de 1940 sont ni plus ni guerre, le galop trè s le n t des Royale de l'O uest. qui h a b ita it
m oins réels que ceux de 1914 : q u atre cavaliers : la G uerre, le Lac de Jaspe, et le ché rissa it
ils a p o a rtie n n e n t à l'H is to ire , la D e stru ction , la Peste et la entre tous, lui fit pré sen t de
c ’est-à-dire à ce qu i n’a pas M ort. Il ne voya it que des l'é lix ir de l’ im m o rta lité . Elle lui
été d ire c te m e n t observé. Ce B oeings et des D orniers, M a in ­ e xp liq ua q u 'il lui s u ffis a it de
genre d ’o p in io n est aussi une te n a n t que M in e lli me les a le parta ge r avec son épouse
bonne expérience, p o ur qu i se m ontrés, je les revois et, peut- pour que tous les deux vivent
mêle de c o m p re n d re la portée être, je les verrai s ’ils reviennent. éte rn ellem e nt, mais que si l'un
d ’une œ uvre d 'a rt. Je la c ite : D epuis Van Gogh, nous savons ou l'a u tre le b u va it to u t entier,
« A lo rs, c ’é ta it ça, un « c o lla ­ v o irla g ira tio n du so le il; depuis ce lu i-là p o u rra it m onter au ciel
b o rateu r » I Je com p ren ds, U trillo , nous nous arrêtons et y régner, parm i les Im m ortels.
m aintenant... J'ai lo ng te m ps cru devant la beauté d 'u n m ur Hou Yi donna l'é lix ir à son
q u 'il ava it plu to u t le tem ps, du dé crép i I épouse pour q u 'e lle le conserv?
dé b u t à la fin de la guerre, et Voir. N ettoyer « les portes de la p ré cie usem e nt. Mais Chang
q u ’on ne se b a tta it que la nuit. pe rce p tio n », besogne de l’a r­ Ngo qui rêvait d e pu is lo n g ­
C 'est du m oins l’ im pression que tiste . V oir ju ste après l'a rtiste , tem ps d 'e sca la d e r le ciel, ne
d o n n a ie n t les film s de guerre. » le suivre com m e l’ in fa n te rie p u t ré siste r à la te n ta tio n ;
Et, après un sile n ce : « L 'in v a ­ s u it les chars, cela d e vra it être une nu it, elle but l'é lix ir en
sion de la France, ça a dû la besogne du c ritiq u e . en tier.

)
In fo rm a tio n s et critiques
Elle se s e n tit de ven ir peu à peu que répondre. C 'est alors q u 'il L A M U S I Q U E
légère com m e un nuage et im a g in a de pre nd re pour cha r
com m ença de voguer dans les le Phénix, pour co u rsie rs des
Q ue fa it
cieux, vers la lune et les étoiles, d ragons ve rt jade, d ’escalader
le N euvièm e Ciel, d ’a tte in d re
un chef d'orchestre ?
qui s c in tilla ie n t m erve ille u se ­
m ent a u to u r d'elle . Elle a tte ig n it les com ètes et de boire du vin UNE C O N VER SATIO N SUR
fin a le m e n t la lune, et de vin t de fle u r de cassier, assis sur LE FOND DU PROBLÈME
alors la déesse du G rand Palais la G rande Ourse,.. AVEC IGOR M A R K E V IT C H
Froid.
— Igo r M arkevitch, avant le
U ne sensationnelle con c e rt, quelle p réparation
Un « voyage dans l'infini » découverte ? per s on ne lle exige l ’exécution
d'u n e œuvre n o u v e l l e ?
Vers le IIIe siè cle avant J.-C., DES BO U D D H ISTES
le philosophe ch in o is Chang A U R A IE N T -ILS VÉCU — La chose la plus im p o rta n te ,
Tsu, ayant lo ng te m ps exam iné AU MEXIQUE ET AU PÉRO U? à m on avis, pour un m usicien ,
ie ciel, é c riv it un essai in titu lé est de ré ta b lir la c o n tin u ité
« Voyage dans l'in fin i ». Le « New York H e rald T rib u n e » d ’ un ouvrage. Je suppose, par
Il se voyait lu i-m êm e ch e va u ­ du 11 ja n v ie r 62 rap po rte que exem ple, un m orceau com m e
ch a n t un oiseau giga ntesq ue, R adio-P ékin a a n no ncé que la l’a d ag io de la N euvièm e S ym ­
ju s q u ’à 90.000 lis dans les preuve est fa ite m a in te n a n t p h o n ie de B eethoven. Il est
p ro fo nd eu rs célestes, bien au- que les C h in o is avaient dé ­ ce rta in q u ’ il ne l’a pas é c rit
dessus des nuages, ju sq u 'a u co u ve rt l'A m é riq u e et établi d 'u n tra it. Il a pu m êm e s 'a rrê te r
Lac du Bonheur. des co n ta cts sérieux dès l'an p lu sie u rs jo u rs ou p lu sie u rs
Chi Yuan, co n te m p o ra in du 500 ap. J.-C, Des voyageurs m ois en tre un passage et
nê m e Chang Tsu, é ta it un c h in o is y avaient a p po rté l'a l­ l'a u tre . T a n d is que nous, nous
poète à l'im a g in a tio n fantasque, phabet, ce qui e x p liq u e la devons ré ta b lir la c o n tin u ité
doué d 'u n e se n s ib ilité extrêm e resse m bla nce entre les c a ra c ­ in te rn e d ’ une œ uvre pareille.
et d ’un grand pouvoir d ’o b se r­ tères aztèques et les plus C 'e st donc très d iffic ile . P our y
vation. Il n 'é c riv it q u ’ un seul a n cie n s cara ctè res ch in o is. Dès arriver, il est d 'a b o rd in d is ­
très long poèm e « T ie n W e in », 600 ap. J.-C,, il pa raît y avoir pensable de l'a v o ir préparée
c'e st-à -d ire : « Q uestions ». eu une colon ie c h in o ise im p o r­ com m e il fa u t p e n d a n t les
Il y posait plus de 170 questions, tante dans la ville de M exico. ré p é titio n s, et d ’avo ir m is les
to u c h a n t les sujets les plus Des jo u rn a u x de voyage m u sicie n s d 'o rc h e s tre en c o n ­
divers, co n ce rn a n t les tem ps a u ra ie n t été découverts. d itio n de ne pas b u te r co n tre
a n té rie u rs à la créa tion du ciel T o u jo u rs d ’après Radio-Pékin des é cu e ils te c h n iq u e s , de
et de la te rre et la s tru c tu re de (nous n ’avons pas pu o b te n ir m an iè re à ce que puisse se
l'un ive rs, les m ythes et les d 'a u tre s c o n firm a tio n s ), des re ­ c ré e r ce que j ’a p p e lle ra i un
légendes et les événem ents de lique s b o u d d h iste s a u ra ie n t été éta t de grâce c o lle c tif.
l’époque historique. trouvé es au M exiqu e et au A ce m om ent-là, nous avons
Q ui a créé le c ie l? Q u ’y a-t-il Pérou. nous-m êm es à nous p ré pa rer
à la lim ite extrêm e de l'u n ive rs ? Si ces fa its son t co n firm é s ava nt le co n ce rt. Jam ais je
P ourquoi le soleil et la lune il s 'a g it ce rta in e m e n t d ’ une ne vois personne. L’a p rès-m id i
ne to m b e n t-ils pas de la voûte des d é cou vertes les plus qu i pré cèd e un co n ce rt, je
cé le ste ? P ourquoi les éto ile s im p o rta n te s de l’a rch éo log ie revis en général to u t le tra va il
sont-elles si so lid e m e n t a tta ­ m oderne. des ré p é titio n s, de m anière à
chées au firm a m e n t? Q uels v ra im e n t vivre cette c o n tin u ité
sont les pouvoirs de la lune qu i est une fo rm e de legato
qui to u jo u rs m e u rt et to u jo u rs et qui, p o ur moi, est une des
ressuscite ? choses les plus im p o rta n te s et
T out Lin fleu ve de q u e stio n s les plus d iffic ile s à atte in d re .
au xqu elles il ne sava it lu i-m êm e Le le ga to est une c o n tin u ité de

L'anthropologie
l’e sp rit, une c o n c e n tra tio n de les in s tru m e n ts aigus, les in s ­ tra n s m is s io n d 'u n e pensée, est
la pensée. Or, nous avons tru m e n ts graves, le centre, et d 'ê tre aussi lié que possible,
a ffa ire à ce n t personnes qui je me su is q u e lq u e fo is posé de ne pas s u p p o rte r l'in tru s io n
ne so n t ja m a is e n tra înée s à la qu e stio n : Pourquoi est-ce a élé m e n ts é tra n g e rs qui sont,
ça, qui a rriv e n t ch a cu n e avec que j ’a rrive à fa ire cela et que là, ab om inab le s...
le urs problèm es, le urs soucis, je n ’a rrive pas, par exem ple,
le u r cara ctè re. Et p o ur crée r à lire une page de livre du
parm i elles une v é rita b le c o n ti­ m êm e œ il rap id e ? Y a -t-il un m a g n é tism e ?
n u ité co lle ctive , il fa u t que le C o m m e n t a g it-il ? P o u rq u o i ?
ch e f soit sans fa ille et q u 'il A q u o i p e n se z-vo u s
a rrive vra im e n t, lui en to u t quan d vou s d irig e z l ’o rch e stre ? Il y a un m ag né tism e, ou i. Je
cas, à re p ré se n te r les choses peux vous p a rle r d 'a b o rd de la
de m anière à ce que le fil ne D ’ une p a rt il y a l’œ uvre elle- com p éten ce. C 'e st trè s cu rie u x,
s o it ja m a is cassé. m êm e qui se dé rou le en moi m ais il n ’existe pas un m é tie r
et qui acca pa re p ro b a b le m e n t au m onde où la co m p é te n ce
la plus gra nd e p a rtie de mes s o ita u s s i im m é d ia te m e n tv is ib le
Q ue fa ite s -v o u s qu an d vou s pensées. Et puis, il y a la et v é rifia b le . Vous avez un
lisez de la m u siq u e ? partie, si je puis dire, prosaïque, c h e f q u i se tro u ve d e va n t un
qui con siste en vig ila n ce , en o rch e stre q u ’ il v o it p o ur la
— Vous voulez savo ir co m m e n t
on pré pa re une p a rtitio n ? Eh aide aux m usicien s. Donc, il p re m iè re fo is. Je n ’ hésite pas
y a une p a rt de s u b je c tiv ité , à d ire q u 'a p rè s deux mesures,
bien, on com m e n ce par la
fla ire r, par se fa ire une idée de qu i est trè s g ra nd e et, d ’au tre beaucoup de m u sicie n s o n t
part, il y a le fa it d 'ê tre un co m p ris à qui ils o n t affaire.
ce q u 'e lle représente. A ce
ca p ita in e , d ’a id e r en som m e La m anière d o n t il attaq ue, la
propos, je peux vous dire une
la c o lle c tiv ité à se d é b ro u ille r, m an iè re d o n t il é ta b lit le ra p ­
chose qui m ’a to u jo u rs étonné :
à jo u e r le plus sp o n ta n é m e n t port, est q u e lq u e chose de
cha qu e page a son visa ge
possible, le m ieux possible, et to u t à fa it e x tra o rd in a ire et
p o ur m oi. Je ne la lis pas du
avec co n fia n ce . qu i tie n t c e rta in e m e n t de la
to u t en c o m m e n ç a n t par la
com p éten ce.
ga uch e po ur a lle r vers la dro ite.
Q ue se p a s s e -t-il au fo n d D ’au tre part, le m ag né tism e
Je vois presque du m êm e coup
de vo u s-m ê m e ? jo ue aussi su r des d é tails
presque en fa n tin s. Par exem ple,
La p ré pa ration , cela con siste une des raisons po ur la q u e lle
à se c h a rg e r d 'u n e sorte j ’ai to u jo u rs exigé de mes
d 'é le c tric ité , d 'u n e espèce élèves et de m oi-m êm e de
d 'a c c u m u la tio n de pensées et d irig e r par cœ ur, est que cela
d 'e xp é rie n ce s, afin que le p e rm et la su p p re ssio n du p u ­
c o n c e rt s o it une sorte de d é ­ pitre . Or, j ’ai rem a rqu é q u ’ il
ch a rg e de ce tte a c c u m u la tio n . s u ffit d 'u n p u p itre en tre le
Il n 'e s t pas du to u t exclu ch e f et les m u sicie n s po ur que
q u ’on a it des m om ents de déjà le m ag né tism e (en fin ce
d is tra c tio n . Ou m êm e ce que que nous a p pe lon s ainsi), so it
j ’a p p e lle ra is le péché de com p rom is. C ’est une chose
d is c o n tin u ité . A ce m om ent-là, co m p ré h e n sib le . Un rien peut
j ’ai l’ in tu itio n (et je l’ai observé b rise r ce m ag né tism e : une
aussi bien dans mes co n ce rts in s u ffis a n c e te c h n iq u e , une
que dans ceux de mes c o l­ fa ille de m ém oire, un o b je t
(Collection personnelle) lègues) que le p u b lic so u ffre com m e le p u p itre , un m anque
de cette bru sq u e d is c o n tin u ité , d ’extraversion. C ’est très im ­
Qu’est-ce qui se passe ? q u 'in s tin c tiv e m e n t il se n t que p o rta n t d 'ê tre extrave rti po ur
Et qu'est-ce qui passe le fil est rom pu. L’ une des un chef. J ’ai rem arqué que le
dans les mains ? plus gra nd es q u alités, dans la ch e f qui tie n t les bras p lu tô t

In fo rm atio n s et critiques
fe rm é s qu 'o uve rts, a beaucoup ca ta stro p h iq u e , à m oins que
m oins de c o n ta c t avec l'o r ­ le tro u se p ro du ise à un m om e nt
che stre que celui d o n t la te c h ­ qui ne s o it pas p a rtic u liè re m e n t
n iq u e est trè s ouverte et qu i se im p o rta n t, dans une fra c tio n
présente com m e l'a n g le d ’ un de seconde qu i p e rm ette de se
éventail par ra p p o rt à ses rem e ttre dans la m usiqu e, éta nt
m usiciens. donn é q u ’en som m e la m usiqu e
c o n tin u e et q u ’elle pe ut très
Q u e l est votre s e ntim e n t bien a lle r un in sta n t, mêm e
p e n d a n t les ovations du public? assez lo ng uem e nt, su iva n t les
cas, sans que le c h e f d 'o rch e stre
C om bien de con certs m orts, s o it aussi pré sen t q u 'il le
qu i re p ré se n te n t en som m e une devrait. M ais je ne crois pas
zone m orte de la vie, quand que cela p o u rra it m ’arriver,
on y pense, c ’est e ffra y a n t!... é ta n t donné l'in te n s ité e t la
Quand j'e n tre en scène, je co n c e n tra tio n avec la q u e lle je
tie n s fe rm e en moi le dé sir me prépare. Pour m oi, un
que la m usiqu e crée le co n ta ct m anque de m ém oire, ce se ra it
d ’une faço n qui a ille le plus une d is tra c tio n : un péché
loin possible : ju s q u 'à l’extase co n tre la c o n tin u ité . Et puis,
collective . Le p u b lic p a rtic ip e n'o u b lie z pas q u 'il y a p lu sie u rs
pro fo n d é m e n t à un con cert, m ém o ires qu i tra v a ille n t s im u l­
il y a des p u b lic s qui jo u e n t ta n é m e n t : la m ém o ire visu e lle
plus ou m oins bien, il y en a (on a de van t les yeux la p a rti­
qui sont trè s doués, il y en a tio n ); une m ém o ire pu re m e n t
qu i sont m édiocres. Q uand le sensible, a u d itiv e ; e n fin une
co n ce rt se te rm in e , si l'extase m ém oire m u scu la ire que c o n ­
s'e st p ro d u ite , je le sens, et, na isse nt trè s bien les in s tru ­
in s tin c tiv e m e n t, c 'e s t de ça m entistes, e t q u i le u r perm et
do nt le p u b lic me rem ercie. p a rfo is de jo u e r un m orceau
Pour moi, c 'e s t la seule qu estio n e n tie r en pe nsa nt à au tre
que je me pose : savoir si le chose. T outes ces m ém o ires-là
lien a été établi, si le message s 'a id e n t m u tu e lle m e n t, et un
a créé une sorte de vé rité ch e f bien o rg an isé d o it
éprouvée par l’en sem b le des savo ir fa ire en sorte q u 'e lle s
auditeurs. com p ose nt tou te s en sem b le
une m ém oire in fa illib le .
Q u e ls sera ient votre réaction Parm i ses e n re g is tre m e n ts :
et votre moyen de d éfe n s e B erlioz, « La d a m na tion
en cas d 'u n m a n q u e de F aust», D G G 18.599/600.
de m é m o ire ? G linka, « L a vie p o u r le T s a r» ,
V S M 505/07.
J u s q u ’à présent, cela ne m 'e st V erdi, « R equiem »,
pas arrivé. Il m 'e st d iffic ile P h ilip s C 38.39.
d 'im a g in e r que cela puisse se Beethoven, « IX e S ym p h o n ie » ,
faire, é ta n t do nn é une p ré p a ­ P h ilip s 457/458.
ration qui con siste à s ’a s s im ile r
co m p lè te m e n t l'œ uvre, à la
rendre sienne. N a tu re lle m e n t, il
peut y avo ir le blanc dû à une
excessive fa tig u e . Ce se ra it C 'e s t M . H o lzap fel q u i a exécuté
la photographie de la couverture
de PLANÈTE 3, à l ’Exposition
« 7.000 ans d ’art en Iran ».

La m usique 157
PLANETE a n otam m en t publié

dans son num éro 1 dans son num éro 2

É d ito ria l É d ito ria l


P o u r s a l u e r la P la n è t e pa r Lo u is P a u w e l s M e rc i , Mr. S m it h p a r Lo u is P a u w e l s

C h r o n iq u e d e n o tre c iv ilis a t io n
L'Inte lligen ce prend le p o u v o ir par Robert JunqV C h r o n iq u e de n o tr e c i v ilis a t io n
U n e ère n o u v e ll e pa r S i r J u l ia n H u x le y
L e s o u v e r tu r e s d e la s c ie n c e
V e rs un e s c i e n c e du d e s t i n i n d i v i d u e l ' ’
par A rs è n e Lenorm and L e s c iv ilis a t io n s d is p a r u e s
H y p o t h è s e s s u r les m o n d e s h a b it é s pa r P ie r re G u é r in La g r a n d e é n i g m e d e s r o c h e r s s c u l p t é s p a r S e r g e H u t i n ,
N o ti o n s n o u v e ll e s s u r l' h v p n o t i s m e p a r J a c q u e s M o u s s e a u U n d o c u m e n t : la m a g i e en S i c il e a u j o u r d ' h u i par M a u r i c e
Bessy
L a lit té r a t u r e d iffé r e n te
L o v e c ra f t. ce g r a n d g é n ie v e n u d 'a i l l e u r s
pa r J a c a u e s Berg ie- ' Le m o u v e m e n t d e s c o n n a is s a n c e s
H y p n o s . n o u v e ll e i n é d it e p a r H.P. L o v e c r a f t Po u r c o m p r e n d r e l ’ u n i v e r s par J ean C h a ro n
LJn c h e f - d ’œ u v r e de la s c ie n c e f i c t i o n V o y a n c e et m a t h é m a t i q u e s par G é ra rd C o r d o n n i e r
C o m m e n t s e r v ir l ' h o m m e par D a m o n K n i g h t
R e d é c o u v e r t e du r o m a n d ' a v e n t u r e s a n g la i s
par J a c a u e s B e r q i e 1 L 'H is to ir e in v is ib le
M y s te r e s a u t o u r de la m o r t de M u s s o l i n i pa r G a b r ie l V é ra l d i
L e m o u v e m e n t d e s c o n n a is s a n c e s Les E s q u i m a u x h o m m e s du f u t u r p a r Je a n C a t h e lm
D ’ un e R e n a is s a n c e à l ’a u t r e p a r Lo u is P a u w e l s Les a r m e s i n c o m p r é h e n s i b l e s de d e m a i n p a r XXX
Les d e u x c lé s de T e i l h a r d de C h a r d i n p a r T h o m a s T h i b e i !
U n e a v e n t u r e s p i r i t u e l l e pa r J u l ia n H u x le y
Il n o u s a s or ti s de l ' i m p a s s e par L é o p o ld Seda-- S e n g h o r L a lit té r a t u r e d iffé r e n te
La l i t t é r a t u r e d ’a v a n t - g a r d e s o v i é t i q u e pa r J a c q u e s Bergier
L ’a r t fa n ta s tiq u e d e to u s le s te m p s L 'é c r i t u r e du d i e u , n o u v e ll e de J.L, B o rg e s
No+re a c t u e l l e a v a n t - g a r d e p a r P ie r re R e st an y L’âa e t e n d r e , n o u v e ll e i n é d i t e p a r R o b e r t B l o c h
Les N u s m o i n s n u s q u e ja m a i s , p h o t o g r a p h i e s de B il l B r a n d i .
o r é s e n t é e s par L a w r e n c e D u r r e ll
L 'a r t fa n ta s tiq u e d e to u s le s te m p s
L e s m y s tè re s d u m o n d e a n im a l U n p e i n t r e f l a m a n d , c l a s s i q u e c h i n o i s p a r Lo u is P a u w e l s
Les a n i m a u x o b é is s e n t - ii q à des s y m b o le s 7 A u t r e ch o s e q u ' u n p e i n t r e : S o u la g e s o a r J a c q u e s M é n é t r i e r
nar Rémv C h a u v i

L 'H is to ir e in v is ib le L e s m y s tè r e s d u m o n d e a n im a i
Ex tr ait s d ' u n r a p p o r ! s u r l ' a i m e a b s o lu e - De s h i r o n d e ll e s so us l ’ eau 0 p a r M a u r ic e B u rt o n
les f o r m e s n o u v e ll e s
de la g u e r r e p s y c h o t o n i q u e pa r XXX
L ’ A m o u r à re fa ire
L 'A m o u r à re fa ire La ; e m m e est rare o a r Lou is P a u w e l s
P e r s p e c ti v e s s u r l ' a m o u r m o d e r n e par S u z a n n e Liiar

In fo r m a tio n s e t C r it iq u e s , A n a ly s e d e s Πu v r e s , d es In fo r m a tio n s e t C r it iq u e s , A n a ly s e d e s Πu v r e s , d e s
Id é e s , d e s T r a v a u x e t d e s D é c o u v e r te s id é e s , d e s T r a v a u x e t d e s D é c o u v e r te s

ABONNEMENTS 6 N U M É R O S 27 NF. 350 F. B e l g e s 32 F. Su is se s.


12 N U M É R O S 48 NF. 580 F. B e l g e s 57 F. S u is s e s .
dans son num éro 3

É d ito ria l
Du cô té de la D oésie et de l ' e s p o ir p a r Lo u is P a u w e l s

C h r o n iq u e de n o tre c i v ilis a t io n
Tr oi s h o m m e s su r le b at ea u

Le m o u v e m e n t d e s c o n n a is s a n c e s
B o u c h e r de Pe rt h e s par S t é p h a n e A r n a u d
Le g é n ie q u e j'a i vu v iv r e en li b e r t é pa r G e o r g e M a g l o i r e
Q u e ll e f o r m i d a b l e m a c h i n e a u e l ’ h o m m e ! par A l d o u s H u x le y

Le s c iv ilis a t io n s d is p a ru e s
Le p lu s a n c i e n «haut lie u » du m o n d e 0 par D a n ie l Ruzo

L 'A r t fa n ta s tiq u e d e to u s le s te m p s
A s s u r : g r a n d e u r et t e r r e u r p a r J a c q u e s M é n é t r i e r
Un p e i n t r e f a n t a s t i q u e i n c o n n u pa r J a c q u e s S t e r n b e r g
L 'a u tr e m o n d e d a n s la rue, p h o to s d'l?i?

Les o u v e r tu r e s d e la s c ie n c e
in t e r v ie w d ' u n c a l c u l a t e u r p r o d i g e par J a c q u e s M o u s s e a u
T r o is f e n ê t r e s s o n t o u v e r t e s s u r l' i n f i n i p a r J a c q u e s B e r g i e r

La lit té r a t u r e d if fé r e n t e
Vo lt a ir e , c o n t e m p o r a i n de l'è re c o s m i q u e par A i m é M ic h e l
Le p a c i fi s te p a r A r t h u r C. C la rk e

L e s m y s tè r e s d u m o n d e a n im a l
A la r e c h e r c h e du s e r p e n t de m e r p a r B e r n a r d H e u v e l m a n s

L 'h is to ir e in v is ib le
Q u a n d l ' A n g l e t e r r e ces s a d 'ê t r e un e île par G a b r ie l V é ra ld i

L 'a m o u r à re fa ire
Le co u p le , le foy er , la f e m m e , la li b e r te
P r op o s c h o i s is de G.- K. C h e s te r t o n

In fo r m a tio n s e t C r it iq u e s , A n a ly s e d e s Πu v r e s , d e s
Id é e s , d e s T r a v a u x e t d e s D é c o u v e rte s
l m p . L. P.-F. L. D a n e l • L o o s -l e z -L iI le ■ No rd les gérants : Louis P a u w e l s / F r a n ç o i s Richaudeau.
PLANÈTE P a ra ît t o u s le s 2 m o is

DIRECTEUR LOUIS PAUWELS

A m brose Bierce / Francis M azière / S ta n le y Ellin

Em ilio S ervad io / R obert J u n g k / Konrad Lorenz

Une révolution dans la pensée, par Jean Charon


NUM ÉRO

Une révolution en physique nucléaire, par Louis K ervran

U ne exp licatio n de la guerre, par Gaston Bouthoul


CE

A c tu a lité des saints guérisseurs, par Brassai


DANS

Les énigm es de l’archéologie so v ié tiq u e , par Jacques B ergier

Une expérience scientifique sur la v o y a n c e , par A im é M ichel

Les nus de C aravag e, par Gérald M essadié

M yth e s, m ystères et m iracle du co up le, par G en eviève Gennari

La m a g ie à l ’ âge a to m iq u e
DANS LES PROCHAINS NUMÉROS

E so té rism e c h ré tie n e t n o tio n de p rogrè s


Les m y th e s n o u v e a u x chez les p r im itifs
U ne d é c o u v e rte de la p ré h is to ire in d ie n n e
Une sc ie n c e m o d e rn e du s o m m e il e t des rê ves
S o c io lo g ie de l ’ a m o u r en O rie n t
D o c u m e n ts russes s u r la fin d 'H itle r
E v o lu tio n s o c ia le e t o p tim is m e

e t des a rtic le s , ré c its , étu d e s de J e a n -C h a rle s P ic h o n


F e re yd o u n H o v e y d a / W e rn e r H e is e n b e rg / Léone
B o u rd e l / B ern ard H e u v e lm a n s / C h a rle s -N o ë l M a rtin
F ra n ço is Le L io n n a is / D o m in iq u e G aisseau
| J o h n S te in b e c k / R ené A lle a u

A b o n n e m e n t 6 n u m é ro s 27 N F . Le n u m é ro 5,50 N F .
M ou vem e nt des co n n a is s a n c e s / A n a ly s e des œ uvres re m a rq u a b le s / Textes in c o n n u s
L itté ra tu re d iffé re n te / A r t fa n ta s tiq u e de t o u s les te m p s / M ystères du m on de anim al
Imprimerie L. P.-F. L. Danel Loos-lez-Lille Nord niffilQ Îon H o n n o l / M M D D

Vous aimerez peut-être aussi