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PLANETE
LA P R E M IÈ R E R E V U E DE B IB L IO T H È Q U E
ADM INISTRATION
42 RUE DE BERRI. PARIS 8
RÉDACTION
ET RENSEIGNEMENTS
114 CHAMPS-ÉLYSÉES. PARIS 8
LE JO U R N A L DE PLANÈTE DIRECTEUR
LOUIS PAUW ELS
169 La vie et les idées / Abondance de biens et
COMITÉ DE DIRECTION
pénurie de bonheur LOUIS PAUWELS
JACQUES BERGIER
A SAVOIR FRANÇOIS RIC HA U DEA U
172 Sociologie / Monsieur Anti-tests part en
guerre RÉDACTEUR EN CHEF
JACQUES MOUSSEAU
174 Philosophie / Comment peut-on être
philosophe? DIRECTEUR ARTISTIQUE
PIERRE CHAPELOT
177 Cosmologie / Einstein a-t-il mis la physique
sur une fausse piste? SECRÉTAIRE DE RÉDACTION
ARLETTE PELTANT
A LIRE ICONOGRAPHE
178 Civilisations disparues / Une nouvelle M Y R IA M S IC O U R I ROOS
énigme Pirî Reis dans la Grèce antique? CHEF DE PUBLICITÉ
180 L ib ra irie / par André Brissaud M O N IQ U E BERCAULT
133 CHAMPS-ÉLYSÉES. PARIS 8,
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J’Accuse...!
LETTRE AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
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textes sont établis, relus et corrigés avec le
plus grand soin par une équipe que dirige BON pour une documentation gratuite
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illustrées des Rouaon-Macauart. reconsti 1 CERCLE DU LIVRE PRÉCIEUX (TCHOU)
tuent les décors successifs de l’œuvre et
révèlent les sources de son inspiration.
*Article de Jacqueline Piatier: Le Monde 15/2/67
Y
time n ’avait pas crié ou
Le 8e volume de la collection d'art et d'histoire appelé, personne n ’avait
rien vu, rien entendu.
PLANÈTE
L’impression dom inante
LES M E T A M O R P H O S E S DE L 'H U M A N IT E était que le feu s’était
déclaré à l’intérieur du
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100 illustrations noir et couleur, jaquette 4 couleurs, 64,80 f t.l.i.
petit village de M anner,
près de Madras, en Inde,
deux policiers e n trèren t
12 Les fa its m au dits
S i vou s ne faites pas
la différence...
entre une m achine à écrire
com m e il y en a beaucoup
et une électrique
à espacem ent proportionnel,
entre une écriture quelconque
et récriture carbonée,
entre des caractères standard
et l'é légance des caractères Editor,
entre une m ise en page
aux lignes inégales
et un alignem ent parfait
de la m arge de droite,
M A IS ,
S I V O U S F A IT E S
LA D IF F É R E N C E
A CH ETEZ
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Mon mari
Mes enfants
M a maison
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Jean-Charles Pichon
a tenté de découvrir les clés secrètes de l'inconscient collectif.
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de mythes, de symboles initiatiques accumulé par toutes les civilisations,
ainsi que la chronologie des événements historiques.
Le dieu du fu tu r
publié en septembre 1966 avec un succès im m édiat a exposé «le rythme
du devenir, de l'accom plissem ent et de la décadence» (C.G. Jung), tel
que le m ontre l'analyse du passé.
voir au verso
une œuvre monumentale (planète)
GEORGES ELGOZY
Le Contradictionnaire
ou l ’esprit des mots
par Vauteur du “Paradoxe des technocrates”
i volume 19,8j F
CURZIO MALAPARTE
Journal d’un étranger à Paris
textes inédits
1 volume 16,/f.j F
PIERRE GAFFRÉ
Anatomie de l ’argent
d ’où vient-il? où va-t-il?
1 volume 14,40 F
La chose
JOHN CASHMAN la plus extraordinaire
Le médecin légiste, le
® professeur Wilton Forg-
IF
man, de l’Université
®
® de Pennsylvanie, n’avait
® jamais vu un crâne si
LE PHÉNOMÈNE réduit par le feu ni, hors
d’un four crématoire, un
LSD
corps si complètement
® carbonisé. « C’est la
®
® chose la plus extraordi
naire que j’aie jamais
vue», mit-il en fin de
® son rapport.
Après divers essais, les
experts estimèrent qu’il
avait fallu une chaleur
PREFACE
DE JACQUES M OUSSEAU
d’au moins 2 000 degrés
pour obtenir un tel ré
sultat. Il y avait bien les
®
®
signes qu’une telle cha
Le seul dossier impartial ®
® leur avait été dégagée,
mais rien n’indiquait
qui répond quelle avait pu en être
à toutes les questions la source!
» s
Le monde du non-A De Korzybski à van V ogt:
Les joueurs du non-A les m aillons
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raons lui enjoignant de des phénomènes inex
ne pas laisser les tré pliqués.
« C e qui m 'exalte,
c 'e s t de créer un culte »
C ’est que, plus que le moyen d ’expression, lui
im porte ce qui est exprimé, le fond plus que
la forme. L’essentiel est de véhiculer un m es
sage qui soit nécessaire aux hom m es; et po ur
délivrer ce message, la poésie ou le dessin
p eu vent to ur à to ur convenir. Il s’agit de
laisser sa m arque. Vinci, en dépit de la m odi
cité de sa prod uction , a m arqué la R enais
sance p ar la puissance et l’universalité de son
génie. Il s’agit de c ré e r un culte p o u r que
les hom m es vivent, et s’a bre uve n t longtemps
à la source révélée.
— N o us n’avons pas de culture, m ’a dit Ernst
Fuchs, parce que nous n ’avons plus de culte.
Il faut re c ré er le culte, la culture viendra
ensuite. Et c’est ce qui m ’exalte: non pas tel
ou tel m oyen d’expression spécialisé, mais
c réer un culte.
Il ajoute:
— Un artiste doit d ’a bord songer à c ré e r son
groupe. C ’est à travers d ’autres h o m m es que
36 E rnst Fuchs
ses idées et ses intuitions se répa n d ro n t. C ’est mière fois l’expression « réalisme fantastique».
pourqu oi des h om m es co m m e G u rg ieff et Presque à la m êm e époque, Louis Pauwels et
G a n d h i ont été de grands artistes. Jacq u e s Bergier dépo saient chez leur éditeur
A un autre m om ent, il m’a dit: le m anuscrit du Matin des Magiciens qui
— L’e rreu r de l’artiste c’est de c h erc h e r à portait en sous-titre Introduction au réa
faire de jolis tableaux. Son rôle, en réalité, lisme fantastique. De telles c oïncidences
c’est de faire des prophéties. Sim plem ent, exagérées p e rm e ttra ie n t de croire à l’exis
p o u r un peintre, la p rophétie prend la form e te n c e de cou rants souterrains de la sensibilité
d ’un tableau. collective qui apparaissent à la surface de la
Et aussi: conscience en plusieurs points sim ultaném ent.
— Le d ern ie r artiste à avoir su c ré e r un culte, D ans l’un et l’autre cas, il s’agissait bien de
c ’est-à-dire à partir de réactions individuelles lutter contre les am putatio ns d o n t l’ho m m e
form er des relations avec autrui et c ré e r un total avait été victime au fil des siècles.
groupe dont le système d ’ondes se prop age Selon Fuchs, la responsabilité en revient
loin et longtemps, a été R ichard W agner. m oins à l’Église q u ’aux philosophes français
C urieusem ent, Bayreuth, cela existe! Non? du x v m c siècle; ils ont, selon lui, largem ent
Enfin, p o rta n t un ju g e m e n t sur notre époque, dépassé et aggravé l’action de la chrétienté.
et revenant sans cesse sur cette p ré o c c u A vec la Révolution, l’h om m e a émis la p r é
pation qui m ’a paru chez lui fondam entale, tention de devenir le maître de soi-même. Il
il m ’a dit encore: s’est figé dans une attitude sévère et guindée
— A u jo u rd ’hui, p o u r moi, le culte est du côté ju s q u ’à ce que F re u d le ram ène à la réalité.
de Dali, plus que du côté de Picasso. Le Les philosophes éclairés se sont dressés contre
message de Picasso est im m édiat; il est tou t l’h o m m e com plet; ils n ’ont pas voulu a c c e p
entier dans sa form ulation ap parente. Le te r la bête dans l’être humain, co n tra ire m en t
message de Dali est occulté. Il existe, chez ce à l’Église qui s’en est toujours a c c o m m o d é :
dernier, deux, trois ou q u a tre niveaux de — Bernini ou M ichel-A nge pouv aien t gagner
com p réh en sio n. Picasso sans do ute a d a v a n la bataille contre l’Église, estime Ernst Fuchs;
tage influencé son ép oq ue; le message de tém oins leurs œ uvres qui figurent dans les
Dali est en co re caché et il sera peu à peu plus som ptueuses cathédrales et qui ne
révélé et compris. J ’ai vu à N ew Y ork une renient pas la bête hum aine. L ’artiste socia
exposition qui réunissait 400 œ u vres de Sal liste ne p eut gagner contre l’État. Au long du
vador Dali. J ’ai com pris à cette occasion ce XIXe siècle, on a lu Socrate en refusant de
que c’est que le génie. c onsidérer le péd éraste dans le philosophe.
Ce peintre, cet artiste cherche à rendre
La n a issa n c e du réalism e fantastique c o m p te de l’h om m e éternel, aussi bien q uand
il fait l’ange que lorsqu’il fait la bête. C ’est
On c o m pre nd que, p ou r l’hom m e encore
po urqu oi son œ u vre tou r à to u r d é m o n ia q u e
je u n e qui fait de telles déclarations, l’essen
et spiritualiste dérange tellem en t qui la
tiel, p o u r l’instant, est d ’être le centre d ’a ttra c
regarde. JA C Q U E S M O USSEA U.
tion et de diffraction de l’école de Vienne.
Visage d ’un oiseau.
C ’est en 1958, m ’a appris Ernst Fuchs, q u ’un Page 40 : Magicien et sa bête.
critique autrichien a employé p o u r la p re P age41 : Ange terrassant Samson.
3 8 E rnst Fuchs
Un milliard de dollars
pour des agents d'influence
L'histoire invisible 47
sations rivales que la liquidation de la C .I.A . Tow er Fund, G otham Foundation, Borden
arrangerait. D isons aussi que, de source offi Trust, Beacon Fund, Price Fund, Heights
cielle am éricaine, on a affirmé plus d’une Fund, W illiford-Telfort Fund, Edsel Fund,
fois qu’il existe à M oscou un organisme San M iguel Fund, Kentfield Fund, M orœ
officiel de lutte psychologique contre la Fund, M ichigan Fund, Andrew Hamilton
C.I.A. Fund, Appalachian Fund, W ynnew ood Fund,
Quoi qu’il en soit, l’enquête est singuliè Charles Price W hitten Trust, James Carliste
rement efficiente. La C.I.A. est durement Trust.
atteinte. Le sénateur Eugène Mac Carthy Les organisations philanthropiques fantôm es
(aucun rapport avec l’ex-inventeur du « m ac alimentaient en argent d’autres organisations
carthysm e») écrit: « La C .I.A . n’a pas le droit philanthropiques qui, elles, existent effec
de dire que dans la guerre qu’elle m ène tous tivem ent, donc ont pignon sur rue. Les diri
les coups sont permis. C ’est ce que Hitler geants de ces organisations ont tous déclaré
disait. Il faut les arrêter. » qu’ils acceptaient de redistribuer l’argent
par patriotisme et dans des buts nobles. N e
Une com m ission d’enquête est nom m ée. Le leur dem andons donc pas si leurs fondations
fait que les présidents des États-Unis, depuis gardaient un pourcentage pour leurs pauvres,
Eisenhower, étaient au courant et que le pré ce serait manquer de tact. D ’ailleurs, quand
sident Kennedy avait donné son accord, est on fait la quête avec un tronc dans les rues
passé sous silence. D e m êm e on n’insiste on garde 25 % du résultat.
guère sur le fait qu’il existe, à part la C .I.A ., Les fondations ayant pignon sur rue et dont
huit autres organism es américains faisant de les buts, jusqu’à l’intervention de la C .I.A.,
l’espionnage. Ce sont: la N ational Security avaient été nobles mais divers (par exem ple:
A gency, la D efense Intelligence A gency, la propagation du jus de raisin non alcoo
l’A tom ic Energy C om m ission, la State lique), reversaient ensuite l’argent par ordre
Departm ent Intelligence and Research, l’Air de la C.I.A. aux divers organismes que nous
Force Intelligence, l’Army Intelligence, la avons cités en tête de cet article et dont le
Naval Intelligence, le Fédéral Bureau o f nombre augmente toujours. Chacun se
Investigation. Ces huit autres agences ont dem ande s’il n’a pas travaillé pour la C.I.A.
certainem ent aussi leurs organisations à sans le savoir.
l’étranger mais il est à noter qu’on ne les
attaque pas. L e Monde du 15 mars écrivait à ce sujet: «L a
En ce qui concerne la C .I.A ., on voit main chaîne de radio-télévision C.B.S. (Colum bia
tenant avec une précision inquiétante com Broadcasting System ) a indiqué lundi soir
ment l’opération fonctionnait: qu’elle avait refusé, d’accepter les annonces
L aC .I.A . a com m encé par fonder, suivant la publicitaires de Radio-Europe-libre, solli
loi de O ’Henry, une série d’organisations citant des contributions particulières, parce
philanthropiques fantôm es, riches et à frais que ces annonces étaient en partie payées
généraux réduits. Elles se com posaient pour par la C.I.A . (Services d’espionnage am é
l’essentiel d’un tiroir dans un bureau d’hom m e ricains).
d ’affaires. En voici une première liste non « C’est au cours d’une ém ission spéciale inti
limitative: tulée «A la solde de la C .I.A .: un dilem m e
L'histoire invisible 51
pait à Berlin de percer un tunnel qui arriva En 1962, la Russie est obligée de retirer
jusqu’au central téléphonique secret de ses fusées de Cuba.
Berlin-Est et qui a permis à la C.I.A. de se En 1961, le pro-soviétique Lumumba est exé
brancher sur les 432 lignes ultra-secrètes de cuté au Congo et le régime qui le remplace
l’armée, de la police et des services spéciaux est mieux disposé envers les Etats-Unis.
soviétiques de Berlin-Est. En 1954 et 1955, En 1965, le communisme en Indonésie est
432 magnétophones enregistrèrent tout ce écrasé.
que les Russes et les Allemands de l’Est ont En 1967, la révolution culturelle échoue en
pu dire. Le 22 avril 1956, il y eut un désastre. Chine et neuf des provinces chinoises sont à
Des militaires soviétiques présents par hasard nouveau entre les mains des seigneurs de la
découvrirent le tunnel et l’opération cessa. guerre, hostiles au gouvernement central. La
Cela n’en fut pas moins un des coups les plus menace d’une intervention chinoise au Viet
géniaux de Helms. Celui-ci, à 53 ans, a der nam paraît écartée.
rière lui 25 ans de services secrets. Il déve Ce sont là des succès énormes obtenus sans
loppe et poursuit l’œuvre de Dulles. Pour pertes de vie américaines. Il y en a eu certai
comprendre les actuelles opérations de la nement d’autres que l’on ne connaît pas. Car
C.I.A., il faut essayer de se placer à son point si les échecs de la C.I.A., comme, par
de vue. Il se pose comme adversaire à des exemple, la perte de l’avion U 2, sont parfai
maîtres de la propagande, à des spécialistes tement visibles, les succès ne le sont pas.
de la guerre psychologique, du lavage du cer
veau, de la guerre révolutionnaire, du Si un jour l’histoire secrète de notre époque
contrôle des esprits. Il essaie avec une orga est connue, on s’apercevra peut-être que le
nisation toute neuve de se mettre à leur rôle de la C.I.A. dans la protection du maré
niveau et il faut reconnaître qu’il n’y par chal Tito menacé d’assassinat, dans les événe
vient pas tellement mal. ments qui ont suivi la fin de Staline, et dans
bien d’autres aspects visibles ou invisibles du
La C.I.A. : quelques échecs monde où nous vivons, a été essentiel. Pour
pour d'innombrables succès jouer un tel rôle il faut évidemment une
énorme infrastructure non seulement d’agents
La guerre qu’il fait évite une guerre générale mais d’idées. On s’apercevra, quand le bilan
et tend à minimiser les guerres locales. Un sera fait, que la récente opération « intellec
milliard de dollars par an sont dépensés tuelle» de la C.I.A. aura été extrêmement
dans ce but. Un certain nombre de résultats avantageuse aussi bien pour de nombreuses
montrent que cet argent n’est pas gaspillé: organisations que pour la C.I.A. La propa
En 1954, au Guatemala, le gouvernement gande communiste a pu ainsi, dans de nom
Jacobo Arbenz Guzman, pro-soviétique, est breux cas, être équilibrée par une propagande
renversé. Un gouvernement pro-américain tout aussi efficace.
contrôle désormais le pays. Cette efficacité de la propagande de Faction
En 1953, en Iran, le gouvernement anti psychologique américaine, nous allons essayer
américain du docteur Mossadegh est renversé, de la démontrer de la façon la plus impar
un gouvernement pro-américain contrôle tiale possible. Nous savons parfaitement que
désormais le pays. nous sommes dans un pays où l’anti-américa-
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(a b o n n e m e n ts PLANETE )
L'histoire invisible 55
et qu’on n’abattra les États-Unis que par la pour être tous cités. On attribue généra
guerre. Le professeur Alfred Kasler, prix lement la création des agents d’influence à
Nobel, interrompt: « Jusqu’au dernier Vietna l’empire Mongol au xmc siècle depuis les
mien probablement.» Il est hué. travaux de l’historien Michaël Pravdin (The
On pourrait continuer ainsi quasi indéfi Mongol Empire). Ce qu’il y a de nouveau
niment. Nous n’émettons pas des jugements dans la technique de la C.I.A., c’est tout
de valeur, bien qu’on puisse se dem ander si d ’abord l’utilisation de la science et en parti
une amitié solide entre une Russie améri culier des mathématiques. Les théories du
canisée et les États-Unis tels qu’ils sont ne savant américain Festinger sur la dynamique
vaut pas mieux qu’une guerre nucléaire. des groupes ont été développées par la Rand
Il y a des Américains fanatiques qui disent: Corporation, la Mitre Corporation, etc.
Better dead than red (Il vaut mieux être mort jusqu’à devenir une arme. Désormais la
que rouge). Il y a aussi des anti-Américains guerre psychologique n’est plus un art mais
fanatiques qui disent qu’il vaut mieux être une technique.
mort que d ’être forcé d ’avoir un niveau de vie Ensuite et surtout, la C.I.A. a réussi à fournir
élevé et de profiter de la technique. à ses agents d’influence dans le monde entier
Mais si l’on ne tient pas à être volatilisé, un climat. Et c’est pour cela que l’utilisation
on peut peut-être examiner les faits. Nous massive de la jeunesse (à la place d’utili
venons d ’en montrer quelques-uns et nous sation, on peut employer le mot corruption...)
allons en tirer la conclusion qui s’impose: s’est montrée une opération précieuse et à
LES AM ÉRICAINS SONT EN TRAIN DE haut rendement. Comment cela fonctionne-
G A G N ER LA G U E R R E DE PRO PA t-il? Les témoignages apparus pendant l’en
G A N D E ET D ’ACTION PSYCHOLO quête aux États-Unis nous en donnent l’idée.
GIQUE. L 'AMERICAN WAY OF LIFE Qn convoque les dirigeants d’une association
SE PR O PA G E MIEUX QUE LA RÉVO d’étudiants. On met à leur disposition des
LUTION. fonds importants — en leur faisant signer un
papier montrant qu’ils ont été prévenus qu’ils
La guerre psychologique n'est risquent vingt ans de prison s’ils parlent — et
après quoi on ne leur demande rien. On ne
plus un art mais une science leur demande ni de photographier des instal
La C.I.A. n’est donc en aucune façon un lations militaires pendant qu’ils voyagent,
exemple de la «farce des services secrets» ni de transporter le courrier, ni de provoquer
que dénonçait Jean Galtier-Boissière. Elle est des défections. Tout cela, les spécialistes s’en
en train de gagner une très importante partie. chargent. On demande simplement aux étu
Elle l’a fait en sortant du domaine classique diants de voyager le plus possible, de prendre
de l’espionnage, où elle ne paraît d’ailleurs le plus de contacts possible, de distribuer des
pas tellement briller, pour inaugurer une revues américaines, de parler de leur vie qui
guerre psychologique réellement moderne. A est une vie facile et intéressante. C ’est une
côté des espions, elle fabrique et utilise des opération de masse. On s’attend à des ré
agents d’influence. sultats statistiques, étant donné le nombre
Les agents d’influence ont toujours existé. d ’opérations mises en route. Individuel
Les exemples historiques sont trop nombreux lement il peut y avoir des résultats nuls ou
L'histoire invisible 57
•
.. le grand "sans complexe"
menace de tout envahir
Les changements obscurs du vivant:
l'homme, le rhinocéros, l'éléphant
Cam ille Delio
64 L 'é lé p h a n t co n tre le rh in o cé ro s
lement à expliquer la résistance exception Citation exagérée qui illustre cependant le
nelle des éléphants à la soif. sens aigu de l’organisation et de la collec
Raisonnables au-delà de toute expression tivité que possède l’éléphant. Car plus que de
peut-être, adaptables jusqu’à se priver de «facultés mentales» il s’agit bien, comme
boire totalement s’il le faut. Qui dit adaptable première manifestation de cette intelligence
dit adaptable à tout, excepté à la présence fameuse, d ’une tendance innée au travail
des souris dont il a une peur épouvantable, d ’équipe et à la vie de groupe. Vie de groupe
o n s a it que l’éléphant s’adapte à tout. parfaite dont o n ig n o re l’essentiel pour ne pas
dire tout. En effet l’éléphant mène une vie
sociale complexe et mystérieuse, avec réu
Son sens aigu de la collectivité est nions nocturnes, amours cachées, et com m u
une m anifestation de son intelligence nications de troupeau à troupeau très parti
culières, pense-t-on. Ainsi, deux élépnants
Il s’adapte à tout parce qu’il est intelligent, qui se rencontrent commencent toujours par
et intelligent à un point tel que tous les livres, allonger leurs trompes respectives, chacun
tous les récits sont truffés d'histoires ayant touchant à tour de rôle la glande temporale
trait à son ingéniosité et à ses facultés men de l’autre. Cette glande située dans une petite
tales1: éléphants en train de construire une encoche entre l’œil et l’oreille sécrète un
digue sur un torrent pour pouvoir prendre liquide sucré que viennent parfois butiner les
leur bain; éléphantes apprenant à leurs abeilles et qui s’écoule souvent en abondance
enfants com m ent éviter les fossés-pièges le long des tempes. S’agit-il d ’un appel sexuel,
creusés par les hommes; éléphants voyageant d’un langage pré-télépathique ou d ’un moyen
au clair de lune pour éviter ces mêmes de reconnaissance des individus entre eux?
hommes; éléphants malades en cure près de Les dernières observations ont démontré que
leurs mares d’eau guérisseuse; éléphants les conditions de cette sécrétion étaient sans
sauveteurs capables de soulever et d'em relation avec l’activité sexuelle. En réalité on
porter l’un des leurs blessé, en moins de cinq ig n o re tout de l’une et de l’autre... Aussi stu
minutes, trompes nouées et défenses paral péfiant que cela paraisse, o n en s a it moins
lèles, stratégie du troupeau qui va charger; actuellement sur les rhinocéros ou l’éléphant
vengeance de l’éléphant qui se souvient: que sur la puce ou le hanneton. Mieux:
ruses et méthodes pour retrouver la piste l’animal le plus prestigieux de la terre com
de leur gibier, etc. mence à peine à être observé et à être étudié
« Que l’éléphant aperçoive la trace d’un sérieusement, sur un plan physiologique tout
homme avant d’avoir aperçu l’homme lui- au moins.
même, il frissonne dans la crainte de quelque O n sait, bien sûr, que les éléphants nagent
piège, il s’arrête après l’avoir flairée, regarde avec facilité et adorent se baigner. O n s a it
autour de lui, souffle de colère. Il ne foule que leur peau qui a tendance à se fendiller
pas cette trace, il l’enlève, la passe à son doit être continuellement hydratée, poudrée
voisin qui la transmet au suivant et la nou ensuite avec un nuage de poussière pour la
velle parvient ainsi jusqu’au dernier. Alors la avait
1. Pline raconte avec Plutarque com m ent un éléphant auquel on
troupe entière fait volte-face et se range en s’exerçant administré une correction pour avoir mal dansé fut découvert
tout seul au clair de lune.
bataille 2. » 2. Pline, Histoire naturelle. Livre VIII.
réalisme fantastique
D o m in iq u e A rle t
U n e nou vel le Une nouvelle revue vient de naître en U.R.S.S., qui compte
déjà plus de 11 000 publications. Elle s’appelle Sputnik. Elle
revue est publiée en plusieurs langues. L’édition russe a été tirée
internationale à 30 000 exemplaires, l’anglaise à 60 000, la japonaise à 80 000.
fondée à M oscou D ’autres éditions sont en préparation. La diffusion est d’ores
et déjà organisée dans presque tous les pays du monde, depuis
par une j e u n e les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou le Brésil,
é q u ip e pro uv e jusqu’à Koweit, l’Ouganda, Chypre ou Hong-Kong (mais pas
la Chine!). Sputnik se veut, et le proclame, un digest des
q u e l’U .R .S .S . meilleurs articles parus dans toute la presse soviétique. Le
b o u g e et qu e notre format est celui popularisé par le Reader’s digest ou Constel
esprit est celui lation. Il y a près de 250 pages, des photos en noir et en
couleur, une mise en pages qui s’efforce d’être attirante.
de la nou ve lle Habile entreprise de propagande lancée sous masque « occi
civilisation dental»? Il suffit de feuilleter un peu le premier numéro:
c’est autre chose que de la propagande, c’est même plus
russo- amé ricain e. qu’une simple revue. Les numéros suivants ont confirmé
cette impression. Nous pensons y avoir découvert les signes
qui indiquent qu’il s’agit d’abord d’un mouvement intellectuel.
La lecture des sommaires a transformé cette impression en
certitude. Il suffit de citer quelques titres d’articles: «Les
secrets de Luna 9», «Le futur prévisible», «L’or sovié-
Féofanov, le rédacteur en chef, et son équipe
ont créé m e revue unique en URSS:
ils y travaillent avecferveur.
Nos enquêtes
tique», «Le cœur, problème numéro un», de l’agence Novosti, dont cette revue est la
« Les télépathes», « Existe-t-il un problème de dernière production, cautionne l’entreprise.
la surpopulation?», « La première usine ato Il est composé de grands noms: Nikolaï
mique mobile »,« L’histoire du Colonel Abel», Bloklin, président de l’Académie de méde
«Ah! les gentils dauphins!», « L ’avenir des cine, Mstislav Keldish, président de l’Aca-
algues bleues», «L a folie aujourd’hui», démie des sciences, Vyackslav Yelutin,
«Churchill vu par un Russe», « Des visiteurs ministre de l’Enseignement supérieur, Youri
extra-terrestres», «Une rivale de Nefertiti», Gagarine, le premier cosmonaute, Dimitri
«L a déesse d’or de la Sibérie», «L ’espace: Chostakovitch, le célèbre compositeur, etc.
est-ce que cela vaut la peine? », « Les horloges Ce ne sont pas eux qui font Sputnik. Mais ce
internesde l’homme », « L’abominable homme sont eux qui ont permis son existence.
des neiges au Caucase», «Une ville sur la Sputnik n’est donc pas une entreprise mar
Lune». ginale. Nous l’avons analysée, nous avons
interrogé ses créateurs. Q u’est-ce donc en
La revue a été fon d ée par définitive que cette revue? Que veulent ceux
qui la font? On peut dire d’ores et déjà que
une é quipe je u n e e t a n tic o n fo rm is te les trois grandes options du mouvement
La majorité de ces titres promet de l’insolite, Sputnik sont: un éclectisme intellectuel pro
de l’inexpliqué, de l’anticonformisme, des fond, la recherche tâtonnante d ’un nouvel art
remises en question. La presse soviétique, de vivre, le sens du réalisme fantastique. Si
pour autant que nous le sachions, ne mani tel est bien le cas, nous pensons à Planète
feste pas à un tel degré une prédilection pour que ce sont là des options pour fonder
ces sujets. Le choix des articles devait donc l’humanisme de l’an 2 000.
refléter les options d’une équipe, dont les L’éclectisme n’est pas discutable. C ’est même
membres sont sensibles aux mêmes courants un article de foi. Sputnik veut intéresser tout
et réagissent aux mêmes sollicitations. Voilà le monde, « de l’homme d’État à l’homme de
ce que nous avons pensé. On nous l’a la rue». Certes nombreuses sont un peu
confirmé. partout dans le monde les publications dont
Sputnik n’est pas né par hasard ni par quelque l’éventail des centres d’intérêt est largement
ukase du Kremlin. Sputnik est né de la vo ouvert. Et le digest est inventé depuis long
lonté délibérée d’un petit groupe de jeunes temps. Mais de cet outil courant la revue
journalistes-écrivains: Oleg Feofanof, le soviétique fait un usage nouveau. C ’est que
rédacteur en chef, a 39 ans et a passé 5 ans au ces journalistes-là ne veulent pas seulement
Canada. Youri Ivanov, le directeur com mer plaire aux autres. Ils veulent se plaire à eux-
cial, a 37 ans et a vécu aux Indes. La direction mêmes, en ne dédaignant rien de ce qui est
artistique est assurée par une jeune femme, humain... A travers les 11000 publications
Ludmilla Gerassimouk. Leurs collaborateurs, qu’ils dépouillent, ils traquent la vie.
à part une exception (l’adjoint au rédacteur Le digest portait en lui cet éclectisme. Mais
en chef, Nikolaï Litchak, a 50 ans), sont il était resté jusqu’à maintenant sous-entendu
tous des jeunes. Sputnik est leur affaire. Ils y ou mal exprimé. Sputnik fait éclater ce
croient. Et d’autres y croient. potentiel. Partout, maintenant, toute activité
Le conseil d ’administration, celui-là même humaine, de quelque ordre qu’elle soit, se
Nos enquêtes 93
des numéros sont occupées par un article sur par téléscripteur.
les visiteurs extra-terrestres. L’auteur, depuis « Nous avons tous le sentiment, nous ont dit
trente ans, recueille des preuves et des témoi les journalistes russes, d’être à l’origine d’un
gnages. Il s’appelle Vyaiheslav Taitsev. Il fait grand événement. »
appel à la Bible, à des fresques religieuses
yougoslaves, à des contes de fées... Il révèle « L'idée de ressembler à Planète
une récente et importante découverte archéo nous va droit au cœur »
logique, jusque là tenue dans l’ombre.
Voici de quoi il s’agit: il y a une vingtaine Notre impression était donc la bonne. Ils ont
d’années, on trouvait dans des grottes des répondu à toutes nos questions avec gentil
monts Bayan-Kara-Ula, à la frontière sino- lesse, avec humour. Ils n’en ont esquivé
tibétaine, d’étranges disques de pierre cou aucune, y compris celle de la publicité. Car il
verts de hiéroglyphes - les plus vieux du y a de la publicité dans Sputnik. Et quelle
monde, la datation indiquant que ces « objets» publicité! Une annonce dit froidement:
remontaient à 12 000 ans. Le déchiffrage a «Pour bien vous porter, mangez du caviar!»
duré 20 ans. Le résultat en fut si surprenant Une autre : « Achetez votre cheval en Russie ! »
que l’Académie de préhistoire de Pékin en On est surpris par cette aimable ingénuité.
interdit d’abord purement et simplement la «Que voulez-vous, nous ont dit les journa
publication. L’interdiction fut ensuite levée. listes russes, les affaires sont les affaires...»
Le compte rendu vient de paraître. Il est tout Avec la même franchise, ils ont répondu à
uniment intitulé: «L’écriture gravée rela nos deux principales questions. L’une: «Nous
tive aux vaisseaux spatiaux qui existaient il y avons noté une particulière abondance de
a dix mille ans». Les disques racontent sujets traitant des aspects fantastiques de la
l’atterrissage de pacifiques « Dropas » venus réalité ou se trouvant aux frontières du ratio
du ciel. A ce récit, on a rattaché d’autres nalisme. Pourquoi? »
faits: les légendes locales — sur de petits L’autre: «Connaissez-vous Planète? Si oui,
hommes descendus des nuages et les sque ne considérez-vous pas qu’il y a une simili
lettes minuscules à crâne démesuré décou tude, une parenté de pensée entre cette revue
verts dans une des grottes de la région. et Sputnik?» Voici leurs réponses. A la pre
Bien entendu, il ne s’agit pas d’être dupe. mière question: « Parce que c’est passionnant.
Sputnik ne l’est pas. Un autre article, sur la Parce que c’est une porte entrouverte sur ce
télépathie et la clairvoyance celui-là, trace que sera demain.» A la seconde: «Comment
clairement les frontières. « Par-dessus tout il vivre sur ce globe sans connaître Planète?
est nécessaire d’ôter la télépathie du domaine Cette idée de ressemblance que vous émettez
de la mystique et, grâce à la science expéri vous-même, croyez-le bien, est loin de nous
mentale, de trouver comment et pourquoi ce déplaire et nous va droit au cœur.» Leur
phénomène fonctionne - car pour fonc réponse nous va aussi droit au cœur...
tionner, il fonctionne!» Mais on fausserait le sens et la portée du mes
Était-ce, tout cela, trop faire dire à quelques sage de Sputnik si on omettait de dire que la
pages de revue? Il fallait aller à la source. revue est bien enracinée dans son milieu. Elle
Nous avons interrogé l’équipe de Sputnik. Le est russe. Elle est soviétique. Une chronique
dialogue s’est engagé entre Moscou et Paris s’appelle: «Au méridien de Moscou». Un
Nos enquêtes 95
Histoire de Paul
Un conte faussem ent enfantin de M ary Norton illustrations originales de Lajos Szalay
1 5 m illion s de m ystiq u e s
jap o n a is face à M a o
par N icole Ollier.
D o c u m e n t exclusif 107
Pages 108 et 109: La religion bouddhique de ta Soka-Gakkaï
La fête du Go-Hozon, livre sacré de la secte, c'est une foi communautaire partagée
ne réunit que des initiés ( 12 ans de Soka-Gakkaï) dans une discipline quotidienne...
dans le Daï-Kyakuden. au ternie
d'une procession menée par le grand-prêtre.
110 La Soka-Gakkaï monte au pouvoir
collective / Les structures modernes
... mais c'est aussi un approfondissement Pages suivantes:
de la personnalité par la confrontation La Soka-Gakkaï se veut aussi
de l’individu et des écrits sacrés. le plus grand mouvement de jeunesse
du monde et le prouve.
D o c u m e n t exclusif 111
HÜffl
k L H
Le «skakubuku »
(propagation de lafoi )
est poursuivi
inlassablement
au Japon même et
partout dans le monde.
A ta Seyko-Press,
une conférence
de rédaction
ressemble presque à
une cérémonie religieuse.
Ce « zadanki»
(réunion d’information >
de jeunes filles est dirigé
par le président Ikeda
lui-même.
A New York,
les membres
de la Soka-Gakkaï
ont leur propre journal.
A Paris,
le docteur Yamasaki,
grand maître de
la secte pour l’Europe,
salue lui-même
les nouveaux adhérents
UNE JEUNE MORTE
dans le feu des Anciens...
De notre envoyé spécial en Inde, R aym ond De B ecker
RABINDRANATH TA GO RE
1 24 Une jeune morte dans le feu des Anciens
lien est celui d ’une vision du monde qui se me heurtai à un homme à peu près nu, plongé
refuse à faire de l’homme la mesure de toutes dans un coma apparent, le corps gonflé de
choses et qui, sans cesse, tente de le replacer la plus atroce façon, couvert de mouches et
dans le processus universel dont il n’est dont nul ne se souciait. Pour la première fois
qu’une fugitive émergence. le soir, à Chowringhee, les Champs-Elysées
de Calcutta, en face d ’un cinéma de luxe,
Cette conception de la m ort entraîne parmi les jeunes élégants d’un style déjà
celle de la m isère et de la souffrance proche de Saint-Germain, je vis un mendiant
se tordre sur le trottoir et chercher à
A Calcutta, j ’avais reçu une blessure ingué atteindre de ses mains débiles les rares pièces
rissable. Je raconterai le détail de ce que j ’y de monnaie qui lui avaient été distraitement
ai vu dans le numéro de Planète qui sera jetées. Mais ces visions n’étaient rien. Quel
consacré à l’Inde 1. ques jours plus tard, mère Teresia, l’admi
J ’étais arrivé à Calcutta la veille de la Fête de rable fondatrice des Missionnaires de la
l’indépendance. Ne pouvant rencontrer per Charité, m’entraînait dans les slums de la
sonne ce jour de liesse nationale, je me mis à ville, parmi les lépreux, les mendiants, les
fureter dans la ville au hasard. Trois images me enfants abandonnés, les « dying destitutes»
fascinèrent. La première me frappa dès le de son horrible et glorieux mouroir. Je
matin. Après avoir vu des groupes se laver sur compte décrire ces visions en détail aux lec
les trottoirs dans des eaux brunes que je crus teurs de Planète, afin que le cri que je sentis
d’abord celles des égouts et qui étaient en monter en moi puisse être entendu d’eux.
réalité celles du Gange, j ’arrivai sur le Mais qu’on me pardonne: je n’y voyais pas
fameux pont du Hooghly. Là le grouillement clair. Je me demandais: pourquoi une Alba
de Calcutta atteint son comble. Tramways, naise, une Européenne, une catholique a-t-elle
bus à impériale, automobiles, cabs victoriens pris l’initiative de se plonger dans une misère
font trembler l’énorme carcasse métallique dont les Hindous, apparemment, se dé
où se presse une foule si dense qu’au retour tournent. A l’instant où je m’apprêtais à
Paris paraît un bourg silencieux et une morne célébrer la supériorité de la charité chré
préfecture. C ’est sur les trottoirs de ce pont tienne, j ’entendais des Hindous qui me repro
géant que je découvris les premières images chaient de donner l’aumône: «A quoi bon?
de l’horreur. Certes, à Delhi, à Madras, à Vous ne les aidez pas. C ’est une goutte d’eau
Bombay, je n’avais cessé d’être poursuivi par dans l’enfer.» A l’instant où je m ’émouvais de
une mendicité obsédante, par le visage trou voir mère Teresia accomplir son œuvre
blant ou atroce de femmes et d’enfants por héroïque, je me souvenais d’une promenade
tant les mains à la bouche dans le geste de en barque faite avec un ami sur le lac Léman:
la faim et murmurant leur obsédante com un hanneton s’y noyait et nous n’avions eu
plainte: « Paise, Paise!» Mais pour la pre de cesse que nous n’ayons trouvé un nénu
mière fois il m ’était donné de voir un enfant phar où le poser; puis étaient survenus un
de deux ou trois ans, mutilé, abandonné sur deuxième et un troisième hanneton que nous
le trottoir et aux pieds duquel de rares 1. N .D .L .R . - R aym ond D e B ecker p rép are un dossier sur « Ce qui
passants jetaient quelque monnaie. Pour la bouge en Inde » q u ’il faudra rap p ro cher de nos deux p récédents
dossiers sur « Ce qui bouge en A m érique » (N ” 24) et sur « Ce qui
première fois, quelques mètres plus loin, je bouge en Russie » (N" 26).
j’ai consacré ma vie à l’étude scientifique de conservée, ni les colonnes suivantes. Pourquoi
ces manuscrits. Moi aussi, je désire ar cela? Cette omission est d’autant plus inexpli
demment connaître, au moins par une édition cable que depuis 1951 une vive polémique
photographique, tous les précieux manuscrits opposait le R.P. Bonsirven, jésuite, et un phi
qui sont encore entre les mains des lologue bien connu à propos de l’expression
déchiffreurs. « corps de chair»1. Or, la deuxième colonne
Mais, précisément, mon impatience se tourne de cette Interprétation de Nahum, à la ligne 6,
aussi contre J.M. Allegro, car il est peut-être contient la même expression « corps de
responsable de quelques atermoiements! chair» dans un contexte qui donne entiè
Depuis octobre 1953, il est chargé de pré rement raison au R.P. Bonsirven. J.M. Allegro
parer la publication officielle de 24 manus ne pouvait ignorer cette controverse. Pour
crits, qui «tiennent sous un nombre à peu quoi a-t-il refusé de faire connaître le texte
près égal de sous-verres» {Revue Biblique de décisif?... Et si on le connaît maintenant,
janvier 1956, pp. 52 et 62). Or, après plus de c’est par suite d’un curieux hasard: un savant
13 ans, cette publication officielle n’est pas juif, le docteur Jacob Licht, s’est aperçu
encore sortie des presses, et l’on dit même qu’une brochure offerte aux visiteurs du
qu’elle n’est pas encore arrivée chez l’im Musée Palestinien (dans la zone arabe de
primeur! Jérusalem!) contenait la photographie de
Certes, J.M. Allegro a eu la bonne idée de trois colonnes inédites de cette Interprétation
confier à différentes revues l’édition provi de Nahum et il en a fait une édition person
soire de plusieurs documents. Avec tous les nelle dans la revue israélienne Môlad (vo
savants du monde entier, je lui en suis profon lume 19, n°' 158-159, septembre 1961, pp. 454-
dément reconnaissant. Mais ma reconnais 456). Pour ne pas se couvrir de ridicule,
sance serait bien plus profonde encore, s’il J.M. Allegro a dû se résigner à publier à son
avait procédé de façon un peu plus scienti tour, dans le Journal of Semitic Studies de
fique. Qu’on en juge! l’automne 1962, le document qu’il avait
jusqu’alors tenu secret.
Certains retards ne sont-ils pas Autre fait. Voici comment J.M. Allegro a fait
imputables à John Allegro? connaître l’im portante Interprétation du
Psaume 37. En 1954 il a publié dans le Pales
Un des manuscrits confiés à J.M. Allegro tine Exploration Quarterly, les onze premières
contient, sur cinq colonnes, une Interpré lignes de la colonne II et une partie de la
tation du Prophète Nahum (en langage tech colonne III; en juin 1956 il a publié dans le
nique on l’appelle: le Péshèr de Nahum). En Journal of Biblical Literature le bas de la
juin 1956, J.M. Allegro a publié les vestiges colonne II et le milieu de la colonne IV, qu’il
de la première colonne; mais il n’a pas publié 1. Voir par exemple l’article de Joseph Bonsirven, « Révolution dans
l’Histoire des Origines chrétiennes? », dans les Etudes de février 1951,
la deuxième colonne, beaucoup mieux pp. 213-218, surtout p. 217.
était chasse gardée des facultés de théologie. Il qui moisissent maintenant, comme je le sais, dans
faudra surtout avoir la volonté de rejeter huit les sacs des chameliers et m êm e dans les coffres-
siècles de spéculations théologiques et philo fo rts du Musée? E t quand les déserts de Jordanie
sophiques, fondées comme nous le voyons m ain autour de la mer M orte feront-ils l’objet de
tenant sur une idée com plètem ent fausse de la l’exploration systématique à laquelle on aurait dû
nature et de la valeur du Nouveau Testament. se livrer depuis vingt ans?
Malheureusement, nous ne pouvons nous attendre
à trouver ces dispositions chez l ’abbé Carmignac Les manuscrits de la mer Morte représentent
et ses amis. L a question est de savoir où nous pour notre génération le plus grand défi de tous
les trouverons, et aussi d ’où viendra l ’argent pour les temps; il n ’apparaît guère ju sq u ’ici que cette
financer un tel travail sans avoir à payer le prix génération ait le courage d ’y faire face et d ’y
de l’autre, le pire conformisme religieux ou répondre. M. l ’A bbé Carmignac fa it peu dans
politique. D ’où viendra l’argent nécessaire pour son domaine particulier pour donner cet espoir.
préserver des documents, eux-mêmes sans prix, JO H N A L L E G R O .
Bridgewater (Massachusetts).
A .P .
2 6 février. Albert de Salvo qui
se fait appeler « l’Étrangleur de
Boston» a été repris le 25
février dans un bâtim ent aban
donné à Lynn (Massachusetts).
11 s'é tait évadé la veille de
l'hôpital psychiatrique de Brid
gewater (Massachuse tts) où il
avait été interné après sa
condam nation à vie le mois
dernier. Voici de Salvo, vêtu
d'u n uniforme de marin, au
m oment de son arrestation.
STRANGLER
by Gerold Frank
« l ’Ê tra n g le u r de B o sto n » . Il s’était, en 1965, a c c u s é
lu i-m êm e d 'ê tr e F a u te u r de treize m e u rtre s p a r ti c u
liè re m e n t h o rribles, p o u r lesquels la p olice a m é r ic a in e
n ’avait pas a rrê té de c o u p a b le . É c h a p p é la veille d 'u n
asile p s y c h ia triq u e , de Salvo ven a it d ’ê tre re tro u v é .
A la m ê m e é p o q u e , paraissait à L o n d re s un livre qui
faisait le récit de l’e x tra o rd in a ire ch asse à l’h o m m e qui
avait d u ré trois ans et avait p ré c é d é les aveux de De
Salvo: The Boston Strangler, p a r G e r o ld F ra n k 1.
C e d o c u m e n t n ous fait p é n é t r e r d a n s l’univers de la folie
sexuelle. P o u r t e n t e r d ’a r r ê t e r le m e u rtrie r, la police
U.S. avait fait app el aussi bien à des vo y an ts q u ’aux
m é th o d e s scientifiq ues les plus m o d e rn e s . T o u s ces
Notre livre raconté é lé m e n ts font de c e tte histoire crim in e lle un e histoire
par Cla ud e Valin v ra im e n t e x tra o rd in a ire et c ’est p o u rq u o i nou s avons
choisi d e p r é s e n t e r c e t o u v ra g e inédit en fran çais à nos
lecte u rs.
I. É ditio n o rig in a le : J o n a th a n C a p e . L ondres.
N o t r e liv r e r a c o n t é l
de Chine trouvés dans son app artem ent ne — La seule manière pour moi d’attirer l’attention
laissaient aucun doute sur la nature de ses du monde, avait-il déclaré, en proie à une inquié
obsessions particulièrement orientées vers des ta n te exaltation, c’est d ’en détruire une partie
infirmières (les victimes de l’étrangleur étaient —c'est-à-dire d’en faire disparaître les femmes.
toutes plus ou moins liées à des milieux Il prit sans tarder le chemin de l’hôpital psychia
médicaux). Toutefois, placé sous la surveillance trique de Bridgewater où il fut mis en observation
des psychiatres, l’hom m e refusait d’adm ettre en vue d’un supplément d’informations.
toute participation à l’affaire des étranglements. Cependant, simultanément, Bottomly, qui ne
Estim ant son travail term iné, H urkos s'envola voulait négliger aucune piste, avait ordonné éga
p our la Californie, non sans avoir fait une der lement un supplément d’enquête concernant le
nière prédiction qui se révéla exacte au détective premier clairvoyant impliqué dans l’affaire,
chargé de l’accom pagner à l’aérodrome. Q u ant à lequel, sous la surveillance des détectives Di
Bottomly, il le laissait en face d ’un nouveau N atale, Mellon, Delaney et du D r Alexander,
dilemme. avait été soumis à une injection de sérum de
vérité, un mélange de m éthédrine et de sodium-
Tro is ans après la police penthotal. Au cours de son sommeil hypnotique,
tenait quatre suspects, dont trois fous cet extraordinaire personnage avait une fois de
plus décrit les m eurtres avec un luxe de détails
Cependant, tandis que H urkos se livrait à ses étonnant, mais n’en avait pas moins continué à
expériences suivies avec le plus grand intérêt par «voir agir» cet attardé mental que la police
l’assistant attorney général, le 22 janvier le et les psychiatres estimaient incapable d ’avoir
sergent Léo F. D avenport avait, de son côté, commis des crimes aussi compliqués.
arrêté un nouveau suspect. Il s’agissait d ’un Ainsi, près de trois ans après les premiers
ancien étudiant de H arvard, fabricant clandestin meurtres, la police tenait quatre suspects, dont
et vendeur de LSD, « acid om an e» lui-même, qui trois étaient internés dans des asiles psychia
avait «ten té d ’étrangler» sa femme sur la voie triques. Il s’agissait de l’hom m e découvert par
publique. L’hom m e avait été conduit au commis Peter Hurkos, qui se trouvait au Centre de la
sariat dans un accoutrem ent bizarre: pieds nus Santé mentale du Massachusetts et prétendait ne
dans des sandales alors q u ’on était en plein rien savoir des crimes; de l’attardé mental
hiver, un poignard passé dans la ceinture, des désigné par le rédacteur publicitaire clairvoyant,
anneaux d ’or aux oreilles, barbu et le visage qui se trouvait à Bridgewater et q u ’il était inutile
enduit d’un fond de teint couleur de brou de d’interroger, son quotient intellectuel n’était pas
noix. supérieur à celui d’un enfant de cinq ans; du
— Vous ressemblez à Othello, n’avait pu s’em beatnik délirant, également enfermé à Bridge
p êc her de r em a rque r Davenport. water, qui ne voulait rien dire ou tenait des
— T out juste, sergent, avait répondu le beatnik propos incohérents; du réd a cte ur publicitaire,
triomphant. Vous avez deviné, car je suis préci qui en savait trop, grâce à ses pouvoirs extra
sém ent en train de revivre l’histoire du Maure. sensoriels ou peut-être parce que, sujet à des
L'excentrique, qui déjà n’était pas inconnu de la dédoublements de la personnalité, il avait lui-
police et des psychiatres, était évidem m ent un mêm e participé aux meurtres.
déséquilibré en dépit d’un quotient intellectuel D ’autre part, la série des crimes s’étant mysté
très élevé (150 à 170). Son dossier dépeignait rieusement interrompue après la mort de la jeune
un habitué de la drogue, inadapté, souffrant de M ary Sullivan, le 3 ja nvier 1964, on pouvait
grands désordres de la personnalité et faisant supposer ou bien que l'assassin se trouvait parmi
preuve d ’une haine farouche à l’égard des les suspects, ou bien q u ’il s’était suicidé, ou bien
femmes, haine dont les racines plongeaient dans q u ’il avait été arrêté pour d ’autres motifs et se
sa petite enfance. trouvait sous les verrous en prison ou dans un
écrivez
voici m o n n o m ....................................................................................................
u m o n a d r e s s e .........................................................................................................
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LE G U I D E DE L'ACTUALITÉ CULTURELLE
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La vie et les idées
»•" toutes prêtes à s’intégrer aux le reflet des traditions et des «népotism e» des postes de
premières et enfin les sociétés tem péram ents de chaque so direction, réalisé au profit des
ditessous-développées: Afrique, ciété; il reprend la distinction «grandes Familles» de hauts
Sud-Est asiatique... dont le classique de Ruth B e n e d i c t '1 fonctionnaires et de cadres
niveau de vie et, par voie entre les civilisations apolli- militaires.
de conséquence, l’idéologie niennes et dionysiennes; les Mais pour O. Gélinier, le pro
tendent à s'éloigner des deux premières, généralement de type blème essentiel n’est pas là; la
premières. agricole, recherchant un bonheur véritable solution réside dans
Chacun des deux premiers blocs statique et serein, les secondes l'organisation systématique, à
possède la m ême organisation, du type conquérant et assoiffées tous les échelons de l’entreprise,
progresse et se développe grâce de déferlements et d ’actions, de de tensions et de sanctions:
aux mêmes cellules pro duc passions et de violences. « Pas plus q u ’un m oteur élec
trices: les entreprises privées Pour O cta v e Gélinier, le but trique, une entreprise ne peut
ou étatisées, usines ou chaînes prem ier de l’entreprise, et par m archer sans tension. »
de distribution. voie de conséquence de la so « Chacun de nous accomplit son
Et toutes ces entreprises paient ciété d ’abondance — somme de œ uvre la meilleure en situation
et vendent au même rouage élé ces entreprises — c ’est l’effica de tension. »
mentaire, à la fois producteur cité de la compétitivité. « La vie devient un perpétuel
et consommateur, base de cette C o m m e n t obtenir, accroître concours. »
pyramide économique: l’homme. cette compétitivité? voilà le « Le système de sanctions joue
C om m ent le sociologue-huma problème essentiel. un rôle essentiel d’éducation et
niste et l’organisateur-techno- Cela nous vaut quelques cri de sélection. »
crate définissent-ils, conçoivent- tiques mordantes et lucides des C ’est l’apologie et la mise en
ils les rapports entre ces trois préjugés des responsables éco recettes pratiques de la vieille
échelons: société — entreprise — nomiques français: par exemple, loi de la jungle, « struggle for
individu? Que devient l’homme l’auteur montre que la croisade life», que chacun d ’entre nous
du xx‘ siècle, issu de l’hum a pour les « concentrations indus doit subir durant la majeure
nisme de la Renaissance, face trielles» relève assez souvent du partie de sa vie éveillée, tout
aux nouvelles exigences des préjugé et est dém entie par de au long de son activité profes
sociétés d ’abondance et de leurs nombreux exemples étrangers; sionnelle.
entreprises à haute productivité? il s’attaque à la bureaucratie Mais le consom m ateur de J e a n
paralysante des administrations C azeneuve ayant le bonheur à
B o nhe u r et des grandes firmes françaises; portée de son chéquier, le pro
ou efficacité? il ose critiquer le véritable ducteur d ’Octave Gélinier, en
11 convient tout d ’abord de
rechercher le but, la finalité de
cet énorme effort collectif de
transformation de nos modes de
vie et de pensée.
Pour J e a n C azeneu v e, la préoc
cupation dominante de la pop u
lation désormais affranchie des
soucis de subsistance élém en
taire: nourriture, logement...,
c’est le bonheur.
Il nous montre que cette re
cherche inhérente à la nature
humaine s’est sublimée chez les
civilisations traditionnelles dans
les concepts de Paradis; il sait
que la notion de bonheur est
relative et ambiguë, q u ’elle est
170
La vie et les idées
permanence sous tension et sous ses loisirs aux drogues de la
la m enace de sanctions, sont un civilisation d’abondance: lec
même et unique individu, soumis tures, spectacles, auditions, lé
de ce fait chaque jou r à des nifiants et aseptisés, en feront le
sollicitations semble-t-il tota robot aliéné, sociable, confor
lement opposées. miste et inconsistant perdu dans
la Foule solitaire décrite par
Le c o n fo rm is m e
David Riesman .
ou la névrose Dans d ’autres cas il sera mûr
J e a n Cazeneuve, pour définir le pour l’une des maladies de notre
consom m ateur de la société civilisation; la dépression ner
d ’abondance, s'inspire des tra veuse, la névrose, l’ulcère à
vaux du grand sociologue am é l’estomac, l’infarctus du myo
ricain David R i e s m a n 4: carde.
« L’extro-déterminé », condi Si la finalité de notre civili
tionné par les influences quasi sation est de fabriquer à un
perm anentes des mass media rythme constam m ent accéléré
(presse, radio, télévision, publi de plus en plus de produits, les
cité) sera autant que possible méthodes des modernes « mana
semblable à ses voisins, efficace gements» (qu’ils soient indus
et sociable et n’aura guère triels, vendeurs, ou publicitaires)
d ’autre vocation que de se élaborées avec conscience et
perdre dans la foule... co m pétence sont incontesta
» Sa formule sera le confor blement les meilleures et doivent
misme... Il sera le reflet infi être appliquées à la lettre, sans
niment répété d ’un être social aucune restriction, com me un
anonyme. » nouvel Évangile.
Pour l’extro-déterminé, « être Mais si la finalité de notre
heureux, c’est être parfaitement espèce n’est pas cela ou que
adapté à la culture de masse ». cela, les critiques, les doutes
L’ouvrage d 'O c ta v e Gélinier ne sion et les moyens d ’action, de et les inquiétudes de David
se préoccupe pas des répercus plus en plus subtils et précis, Riesm an, de J e a n Cazeneu ve et
sions du système de tensions et des responsables économiques de leurs confrères méritent de
de sanctions sur ce même perm ettent de satisfaire théori larges audiences car ils consti
individu. quem ent cet instinct de sécurité. tuent des matériaux de base
On peut penser que quelques Q ue devient l’individu moyen, pour l’élaboration d'une nou
éléments, les uns du type « dio- consommateur-producteur, sou velle é th iq u e ,0 d'une morale
nysien» les autres animés par mis, hors du travail, à une pro socio-économico-politique, à la
des passions «d'arrivisme» issues pagande insidieuse et toute- fois guide et pare-fou pour le
de frustrations datant de l’époque puissante qui le convainc q u ’il citoyen de la civilisation d’abon
enfantine ou adolescente, s’en vit dans un paradis où tous ses dance en quête d’un bonheur
accom m oderont, l’action cons désirs sont réalisables, où tout enfin accessible.
tituant l’essentiel de leur éthique est juste — et astreint durant le François Richaudeau.
et de leur religion. travail à une tension nerveuse
Q uant aux autres qui consti perm anente, à des incitations à 3. Échantillons de civilisations, p a r R u th
B e n e d ict G a llim ard .
tuent l’écrasante majorité, de de perpétuels dépassements et 4. D avid R iesm an , la Foule solitaire, A rth au d .
multiples enquêtes ont montré à des craintes de sanctions 5. C e qui explique p a r exem ple l’au g m entation
du n o m b re d a p p o in té s p a r ra p p o rt au n o m b re
que leur préoccupation profes automatiques? de sala rié s et les rev e n d ic atio n s d es sa lariés
sionnelle dominante était la sta Dans le meilleur des cas, le les plus év o lu és p o u r d e v e n ir a p p o in té s, en
F ra n c e , en E u ro p e et aux U .S.A .
bilité, la sécurité 5. Et la haute sujet moyen s’adaptera en ou 6. Louis P auw els tra ite lo n g u em en t et su r un
productivité des entreprises mé bliant ces contradictions, en plan plus g é n é ra l de ce su jet au d é b u t de
c h a q u e n u m é ro d e P la n ète d an s la Philosophie
canisées, les méthodes de prévi s’adonnant intégralement durant de Planète.
171
La vie et les idées
■ES3ESS39HI
SO CIO LO G IE Monsieur Anti-tests part
en guerre contre la nouvelle Inquisition
L a g ra p h o lo g ie , la m o r p h o lo g ie et la p s y c h o t e c h n i q u e se technique, fausse science et art
s u b s titu e r o n t- e lle s aux d ip lô m e s et aux r é f é r e n c e s n a g u è re prétentieux. Il suffirait de mo
exigés p o u r o b t e n i r d u trav a il? U n c o u p d 'œ i l j e t é su r les difier les articles 187 et 378 du
« o f fr e s d ’e m p lo i» p u b lié e s p a r le M onde e t le Figaro Code pénal. On interdirait ainsi
la com munication à des tiers du
p e r m e t d e le p e n s e r . D e u x tiers d e s a n n o n c e s d e s tin é e s aux
contenu et des conclusions des
c a d r e s p r é c is e n t: « E n v o y e r le ttre m a n u s c r ite e t p h o to
examens. Lorsque vous propo
r é c e n te .» U n e telle d e m a n d e im p liq u e u n e é t u d e p ré a la b le sez vos services à un employeur,
du profil m o r p h o - g r a p h o lo g iq u e d e s c a n d id a ts suivie d ’u n e il est normal qu’il se renseigne
p r e m i è r e s é le c tio n . E n su ite les r e s c a p é s se r e t r o u v e n t aux sur vos activités antérieures et
prises ave c les « tests p s y c h o te c h n iq u e s » d a n s l’un d e s c e n tr e s vos qualifications. Si vous souf
sp écialisés qui lo u e n t leurs se rv ic e s aux e m p lo y e u r s . frez d ’un complexe d ’Œdipe,
cela ne le regarde en rien.
Dans le Nouvel Observateur, ticles réquisitoires au sujet des
professeur de
J e a n Du vign a u d, tests. Pour triom p h e r
sociologie à la faculté de Tours, Mais la réaction la plus intéres de l'inquisition
s’élevait récem m ent contre la sante est celle de M . J e a n C haque semaine à 20 heures, au
« testomanie ». 11 posait la ques Gobet, président de l’Union n" 8 de la petite rue des Feuil
tion: « N otre civilisation tech ni régionale de la Confédération lants à Lyon, une douzaine de
cienne est-elle en train de tuer générale des Cadres à Lyon. In «cadres» se retrouvent autour
l’humanisme ou, pour retrouver génieur chimiste, retraité depuis de J e a n Gobet. Deux mois plus
l’humanisme, faut-il au contraire quelques années, M . G o b e t est tard ils seront armés pour triom
intégrer et dominer la te ch un homme d’action. Il a franchi pher de ce que « Monsieur Anti
nique? » le cap de l’indignation verbale. tests» nomme la nouvelle Inqui
Au niveau de la vie quotidienne, Après un passage des tests au sition. En 1966, 60 élèves sont
étudiants, ouvriers spécialisés crible et de longues études dans passés par ses mains. 95 %
et cadres réagissent en chaîne. les manuels de psychologie, Jean ont obtenu un emploi.
Il ne s’agit pas toujours de pro G o b e t a mis au point une force Les trois heures d'enseignement
testations sans lendemain. Les de dissuasion. Bénévolement, il hebdom adaire sont consacrées
«victimes des tests» tendent à enseigne aux cadres à « tricher» à l’étude des tests d’intelligence,
se regrouper en vue d ’une dé avec les tests et la graphologie. des planches de Rorschach et à
fense efficace. — En fait, déclare-t-il, il devrait celle du test thématique d ’aper-
Ainsi le Creuset, revue de la revenir aux pouvoirs publics de ception de M urra y.
Confédération générale des protéger les travailleurs contre M . G o b e t me présente les « cas»
Cadres, a publié une série d ’ar les m e nac es de la psyc ho les plus intéressants:
172
A savoir
— Le grand brun, là-bas, est in ce truc-là m’a fait échouer. Je
génieur. Un émotif! Incollable voulais bien faire. Pensant que
en mathématiques, les tests lui l’on n’aime pas les gens tristes,
font perdre ses moyens. Au je décrivis chaque tache comme
m oment de l’épreuve, il se une scène gaie: enfants autour
trouve paralysé par une addition d'un sapin de Noël, etc.
du type deux et deux. — Aïe! le psychologue a dû
Un autre a, paraît-il, conservé vous considérer avec un regard
l’écriture de l’école primaire. A plein d'intérêt clinique, reprend
chaque dem ande d ’emploi il ne M . Gobet. Selon ces messieurs
parvient pas à triom pher de l’arbre est un symbole sexuel.
l’examen graphologique. Évitez également de parler de
— A ujourd’hui, après un mois porte-plume réservoir, de para
de travail intensif, il est arrivé pluie ou de grotte sous peine
à modifier son écriture, précise d ’être catalogué obsédé sexuel.
J e a n Gobet. Je lui fais tout sim — Par exemple! reprend l’élève.
plement copier des modèles Pourtant j ’étais certain de fournir
d ’écriture appréciés par les la réponse attendue.
experts. Une vie humaine peut-elle — Vous mettez le doigt sur une
— Ne risquez-vous pas du même dépendre d'un jeu de cubes? chose capitale. C o m m en t ac
coup de transform er sa person cord er une valeur quelconque
nalité? aux tests puisque 99 c/( des ca n
— Je ne le pense pas. Mais en consacrée au test du M inne didats donnent, non pas des
adm ettant que je com m ette une sota, poursuit le professeur. Je réponses spontanées, mais celles
erreur, cela ne revient-il pas à ferai défiler 500 petites cartes qui, supposent-ils, plairont à
faire œuvre sociale? devant vos yeux. Vous devrez l’examinateur. Écoutez plutôt
L’heure de la correction des répondre «vrai» ou «faux». ce jugem ent formulé à propos
épreuves est arrivée. Parfois les Certaines de ces cartes vous Ju Rorschach:
élèves poussent des cris d ’éton- sembleront d ’un goût discutable « Si les sujets étudiés n'étaient
nem ent devant la puérilité des com m e: « Je n’ai jamais de pas quasim ent forcés par le pra
solutions. selles noires et granitées. » ticien à ém ettre interprétations,
— Au fond, vous êtes handi — Quel intérêt peut présenter images ou associations, alors
capés par vos connaissances et une question aussi stupide que des réactions com me celle du
par vos dém arches mentales scatologique? demande un élève. bon sens terre à terre qui
d ’adultes, explique le péda — Confrontée à d ’autres ré leur fait dire «je ne vois que des
gogue. Voyons, qui a su trouver ponses, elle permet, selon les taches d ’encre », seraient bea u
la réponse à la «devinette» psychotechniciens, d'établir si coup plus fréquentes. »
suivante? oui ou non vous êtes hypocon L’auteur de ces lignes est le so
Sur le tableau, M . G o b e t écrit: driaque. Mais le test de Ror- ciologue am éricain Sorokin.
XVIII = 7, VII = 4, IX = 3, schach est le plus indiscret. Com me preuve finale de l’absur
X X II = ? dité des tests, J e a n G o b e t cite
L’assistance dem eure coite. O bsé dé s sexuels, l'expérience réalisée aux États-
— Vous pensez trop aux maths, attention ! Unis par W illiam W h y te . Ce
reprend J e a n Gobet. Elles ne M. G o b e t extrait un dossier dernier fit passer la gamme des
vous seront d’aucun secours. d ’une serviette et poursuit: tests aux présidents d ’une di
Tout simplement le chiffre arabe — Voici les dix planches du test. zaine de très grandes com
correspond à la somme des C hacune montre des taches de pagnies américaines. Le résultat
barres contenues dans chaque couleur. Elles furent dessinées fut surprenant: pas un seul
groupe de lettres que le naïf par le psychiatre suisse Ror- ne remplissait les conditions
prend pour un chiffre romain. schach. Vous devez expliquer exigées pour être em bauché en
Donc XXII = 6. ce q u ’elles évoquent pour vous. qualité de contremaître.
- La prochaine séance sera — Moi, interrompt un assistant, Yves de Saint-Agnès.
173
Socio logie
PH ILO SO PH IE
Comment peut-on être
U n e série d e q u e s tio n s m ’est s o u v e n t p o s é e : « C o m m e n t vulgarisation philosophique est
s’initier à la p h ilo s o p h ie ? Q u e ls o u v r a g e s faut-il lire p o u r inadmissible: on peut, selon
c o m m e n c e r ? P o u r q u o i d e s esprits, au d e m e u r a n t é c la iré s et eux, sans déchoir intellectuel
c a p a b le s , sont-ils r e b e lle s à t o u t e le c tu r e d ’un te x te p h ilo lement, écrire, com me l’ont fait
Lancelot H o gde n ou G a m o w ,
s o p h iq u e ? »
des ouvrages d ’initiation aux
Ces questions me sont posées la valeur est incontestable, ne m athém atiques et à la physique,
par des personnes en général peuvent pas être lus en courant mais on ne peut écrire d ’ou
cultivées, qui aiment la lec com me un roman policier. Au vrages de vulgarisation philo
ture, qui fréquentent les expo contraire, ils exigent une lec sophique; toute vulgarisation
sitions artistiques, qui se rendent ture plus lente que celle de philosophique revient à l’ensei
au concert et qui s’intéressent à n’importe quel ouvrage litté gnement. Et voilà donc le
l’évolution du monde moderne. raire; certains passages doivent cercle fermé: le professeur de
Pourquoi donc la philosophie être étudiés la plume à la main: philosophie écrit soit pour des
leur semble-t-elle un champ tous, ou à peu près tous, élèves, soit pour d ’autres pro
fermé, interdit, mystérieux? méritent d ’être relus et appro fesseurs. Tout reste figé dans
fondis. l’enceinte universitaire. Le
La faute en est Oui, mais qui donc a le temps grand public est ignoré, sinon
aux philosophes de le faire, en dehors des pro méprisé.
Reconnaissons tout de suite fessionnels de la philosophie Après quoi il ne faut pas s’in
que la faute en est aux pro qui finissent par se lire entre digner de voir les études philo
fessionnels de la philosophie. eux? C om m ent d em ande r à des sophiques se rétrécir dans
Entre le manuel scolaire, même hommes occupés, qui sont l’enseignement secondaire. Et
bien fait, mais nécessairement médecins, physiciens, ingé c ’est infiniment dommage! On
orienté vers l’examen, et les nieurs, juristes ou économistes a supprimé l’année de philo
ouvrages savants écrits par des de lire en trois mois, par sophie: elle était pourtant le
spécialistes pour des spécia exemple, trois ouvrages diffi couronnem ent véritable de
listes, il n’y a rien ou très peu ciles dont la masse imprimée l’enseignement du second degré.
de chose. Le manuel de philo fait mille trois cent cinquante C ’est la pensée philosophique
sophie est sec, froid, précis; il pages? Ajoutez à cela les diffi et rien d ’autre qui fait la véri
est utile à consulter, il est cultés du vocabulaire, les cha n table synthèse des connais
indispensable à qui veut m onter gem ents de sens des mots, les sances; supprimez la philo
une galerie des portraits et des néologismes. Phénoménologie sophie, vous supprimez la
doctrines, mais il manque n’a pas le même sens chez Hegel pensée. Car, ne vous y trompez
d ’élan et surtout de profondeur. et chez Husserl, ni existence pas, ce n ’est q u ’en philosophie
Il transm et des faits, il n ’éveille chez H eide g g er et chez Ja s pe rs, q u ’on apprend à penser et nulle
pas la pensée. ni être-là chez Heideg g er et part ailleurs. En mathématiques,
Les ouvrages plus savants sont chez Hegel. Après cela, com en physique, en histoire, en lit
en général très longs. Je ne ment s’étonn er que le médecin, té rature, on mesure, on com
tiens pas à citer des noms ni le physicien ou le juriste se bine, on enregistre, on observe,
des œuvres, mais, si je prends détourne de l’écrit philoso on décrit: on ne pense pas.
trois livres relativement récents, phique? Penser, ce n’est ni calculer, ni
je constate q u ’ils com portent se rappeler, ni développer un
respectivement 420 pages, Le mépris langage formalisé; penser, c ’est
530 pages et 400 pages d ’un du grand public chercher l’essence des choses,
texte dense, serré, dont ce r J ’en ai parlé avec quelques c ’est se d em an der com m ent le
tains p aragraphes tiennent deux professeurs de philosophie. Ils langage, l’art ou les m athém a
pages entières. Ces livres, dont m ’ont dit en substance que la tiques sont possibles. Penser,
17 4
A savoir
la pensée philosophique dans le
philosophe? domaine de la vie. C ’est que les Petite bibliothèque
gran des philosophies sont d'initiation
com m e des édifices à deux à la philosophie
c ’est rem ettre en question, c ’est entrées: l’une est la m étaphy C o lle c tio n P h ilo s o p h e s de to u s les
user d ’un droit conféré à tout sique et l’autre l’éthique. On t e m p s (S e g h e rs ).
homme de refuser de croire et C o lle c tio n P h ilo s o p h e s ( P .U .F .) .
peut aborder Platon par le
T a b le a u de la p h ilo s o p h ie con
de vouloir être sûr par soi- Timée ou par le Banquet; on
te m p o ra in e , de W eber et H u is -
même. La liberté com m ence peut aborder Descartes par les m a n (F is c h b a c h e r).
par le doute. Méditations ou par sa Corres P a n o ra m a des idé es c o n te m
Les études philosophiques se pondance avec Elisabeth; on peut p orain es, de G a é ta n P icon (N .R .F .,
rétrécissent. Mais à qui la aborder Heg el par la Logique c o lle c tio n Le p o in t d u jo u r).
faute? Pourquoi les profession ou par les Leçons sur la philo D ic tio n n a ire d es idé es c o n te m
nels de la philosophie, c ’est-à- sophie de l’histoire. p o ra in e s (E d itio n s U n iv e rs ita ire s ).
dire les universitaires, sont-ils si C ’est dire que toute pensée phi C o lle ctio n Les g ra n d s p h ilo so p h e s :
Karl J a s p e r s (P io n ).
avares de leurs dons envers le losophique ample, riche et pro
A h is to ry of W e s t e r n p h ilo s o p h y ,
grand public? Pourquoi s’enfer fonde, tout à la fois lie notre de B e rtra n d R ussell (G e o r g e
ment-ils dans leurs propres intelligence et engage notre A lle n a n d U n w in , L o n d o n ).
travaux? existence. Une philosophie n ’a L 'E u r o p e a fait le m o n d e . d 'A n d r é
pas seulement à être comprise A m a r (E d . P la n è te ).
Il faut vivre sa philosophie intellectuellement, mais aussi à
et pas se u le m e n t la penser être vécue moralement. La phi
Cela tient, à mon avis, à ce que losophie n’est pas seulement un
leur attention s’est portée b ea u survol de nos connaissances ni la vie et non pas les circuits
coup plus sur la logique des sys une analyse logique des con cérébraux ou la physiologie des
tèmes que sur la pénétration de cepts, mais elle décide de notre com portements. Les philo
destin. Elle dit qui nous sommes, sophes de métier, de peur
et quel est le sens de notre vie d ’être considérés com m e des
devant l’am our, la mort et les «littéraires», ne parlent pas de
dieux. L’am our, la mort et les l’âme. Aussi leur métaphysique
dieux ne sont pas saisissables n’atteint-elle pas l’homme de la
par la raison, mais par le sen rue, l’homme quelconque qui
tim ent profond de notre destin. cependant est tout prêt à entrer
Ils ne relèvent pas de l’analyse, en résonance avec la parole
mais de l’évocation. Evoquer poétique.
est le propre de la poésie.
T oute philosophie com m ence Com me j ’aimerais entendre un
par la logique et finit en p oé grand philosophe expliquer
tique. YÉthique de Spinoza avec le
Je crois que les philosophes de soin d ’un m etteur en scène qui
métier n ’atteignent pas le grand doit faire représenter Phèdre ou
public parce qu’ils ne cherchent Hamlet! Com me j ’aimerais q u ’il
pas à l’atteindre dans son âme. fasse bon marché de l’érudition,
Oh ! je sais bien que le mot âme de la critique des textes, de la
n ’est plus aujourd’hui à la confrontation des variantes et
mode. Je sais bien q u ’il fait par q u ’il nous prenne com me par la
tie d ’un vocabulaire littéraire main pour nous faire visiter cet
suranné, q u ’il rappelle un ro extraordinaire édifice qui abrite
mantisme défraîchi, une m éta la liberté de l’homme!
physique usée. Et pourtant, on Je crois q u ’en définitive c ’est la
ne peut s’en passer si on veut poésie qui sauvera la philo
voir dans l’homme le souffle de sophie. Mais, me direz-vous, et
175
Philosophie
le lecteur? C om m ent l’ouvrir
PARAPSYCHOLOGIE COSM OS
à la philosophie?
11 n ’est pas de recette en cette La nourriture
L'institut métapsychique
matière. Nietzsche dit quelque
part q u ’on ne peut d on ner à international des astronautes
manger à qui n’a pas faim. On
peut parfaitement vivre sans Malgré l’hostilité officielle, la On a révélé, au dernier Salon
poésie et se co ntente r d ’orga grande tradition française de la de l’Alimentation à Paris, la
niser sa carrière. On ne peut parapsychologie est maintenue composition de la nourriture
prendre au hasard un hom m e et à l’institut métapsychique inter des astronau tes américains.
lui tendre un verre de poésie national. C ette nourriture se présente
comme un verre de vin. Il n ’est L’Institut métapsychique inter sous la forme de tablettes déshy
pas d ’autre initiation à la philo national est installé à Paris, dratées. L’aliment dont la ta
sophie que le goût de la Q ues 1, place Wagram. Il est dirigé blette est faite est reconstitué
tion. Pour la plupart des gens, par le docteu r M arcel Martiny. par adjonction d ’eau avant
la masse de leurs idées est faite Il publie la Revue métapsychique. d ’être consommé. Le cosmo
de réponses, c’est-à-dire d ’af Les trois premiers numéros de naute coupe l’une des extré
firmations. Ils ont confiance la nouvelle série de cette revue mités du sachet contenant la
dans la technique et, en un contiennent des documents pré tablette (le long d’une ligne
sens, ils ont raison. Quelques cieux, notamment des recherches pointillée), puis il y introduit
autres esprits portent en eux sur de nouveaux modes de l’eau, par un tube, à l’aide d ’un
plus de questions que de ré transmission télépathique qui pistolet spécial. L’eau estchaude
ponses. Ils ne s’installent pas vont probablem ent bouleverser ou froide selon l’aliment.
confortablem ent dans ce qui com plètem ent ce domaine et La rehydratation dure, suivant
est. Ils sont littéralement insa peut-être ouvrir la brèche qui l’aliment, de cinq (boissons) à
tisfaits; ils interrogent et s’inter p erm ettra enfin un contrôle vingt minutes. Le temps de
rogent; au-delà du réel ils expérim ental solide. Il s’agit, en reconstitution dépend d’ail
voient le fantastique; au-delà effet, de techniques d ’entraî leurs de la température de l’eau ;
de la raison logique, la vision nem ent à la télépathie. la reconstitution d ’un même
imaginative. Ceux-là attendent Ce n’est qu’un exemple sur aliment dem andera cinq minutes
la poésie. Et rien au monde ne la vingtaine d ’études que avec de l’eau à 74 degrés et
peut les faire changer. l’on trouve dans la Revue méta quinze minutes avec de l’eau à
psychique. L’institut possède 25 degrés.
La m is s io n du p h i l o s o p h e des commissions où figurent Le temps de préparation est in
Cette aptitude à la Question, quelques scientifiques très so diqué sur chaque tablette. Pen
elle est en chacun de nous plus lides. dant la rehydratation, le cosmo
ou moins enfouie, il est vrai, naute accroche la tablette, à
plus ou moins cachée, mais elle l’aide d ’un petit carré de velcro,
existe réellement. Il faut l’éveil sur la paroi de la cabine spatiale,
ler et c ’est au philosophe de le où il fixe les autres objets qui lui
faire. S’il ne le fait pas, s’il reste sont utiles pendant le vol. L’ali
enfermé dans des livres qui ne ment une fois reconstitué, le
franchissent pas le cercle de cosm onaute coupe le sachet à
quelques initiés, si, en un mot, son extrémité et il en absorbe
il n ’est philosophe que pour soi, le contenu à l’aide d’un tube qui
alors il n ’accomplit pas sa mis estpliésous l’étiquette indiquant
sion. Car sa mission est d ’éveil la nature de l’aliment et le temps
ler l’insatisfaction et par là de rehydratation.
même de nous em pêcher de Sur le plan chimique, cet aliment
nous endormir dans la sécu est à la fois naturel et synthé
rité de notre bien-être te c h tique et il est absorbé par l’orga
nique. André Amar. nisme sans laisser aucun déchet.
176
A savoir
nant sur un asile de fous, il dit pensée en horreur. Einstein se
COSM OLOGIE un jour à un visiteur: survivant a eu le temps de dire
— Ici, c ’est le pavillon des q u ’il n’avait pas voulu cela et
Einstein a-t-il mis agités. Mais ce ne sont pas les que tout com pte fait il eût pré
m êmes que ceux qui travaillent féré être plombier. Mais c’était
la physique sur les quanta. trop tard, et rien d ’ailleurs n’est
sur une fausse piste? En quoi consistait exactem ent advenu que d'inéluctable: la
l’opposition d'Einstein à cette relativité triomphante a forcé
Peu de temps avant de mourir, physique moderne, qu'il avait l'homme du xx° siècle à de défi
O p p e n h e im e r se dem andait
si le c ependant contribué à créer? nitifs retours sur soi. En mon
génie d'Einstein n’avait pas, Le Pr Nataf l’explique fort bien: trant que ni le temps ni l’espace
d'une certaine façon, dirigé la il croyait à l’intelligibilité de la ne sont ce q u ’on croyait, en
science du xxc siècle sur une nature. Ce fantastique cosmique ébranlant nos évidences les plus
fausse piste. Et il faut adm ettre auquel il avait ouvert la porte fondamentales, com m e par
que toutes les tentatives faites l'effarait et l'indignait. 11 le exemple l’idée de la simulta
depuis quarante ans par les récusait, il n’en voulait pas, néité, Einstein nous a préparés
théoriciens les plus inspirés pour s’opposant ainsi philosophi à accepter ce que lui-même
concilier les deux grandes syn q uem en t à N e w t o n qui, lui, se refusait: l'image d'un univers
thèses de la physique m oderne faisait si peu d'illusions sur où rien n’est impossible, boîte à
- relativité et qu anta - ont l'universalité de la raison (au Pandore de phénom ènes d é
j u s q u ’ici éch o u é. P ourquoi? sens cartésien, restreint, du ments, infini creuset que cui
Quelle est la cause de cet mot), qu'il passa plus de temps sine un démiurge aussi féru
échec? Un livre collectif ré à pratiquer la magie, l’exégèse d ’hum our que de m athém a
cem m ent publié par H achette 1 prophétique et l'alchimie qu'à tiques transcendantes. Deux
laisse sur l'impression que l’ad prom ouvoir sa théorie de la motsqui peut-être ne recouvrent
mirable édifice relativiste, dont gravitation. Et nous n'avons pas qu'une seule et même chose.
on n’a pas encore fini d'explorer été étonné d ’entendre un de I. Louis de B roglie, Louis A rm an d , H ilaire
le labyrinthe, joue peut-être nos amis physiciens, voisin C u n y , T h é o K a h a n e , F ra n ç o is le L ionnais,
J a c q u e s M a d au le , R o g e r N a ta f, F ra n ço is
aussi le rôle funeste d'un écran: d'Einstein à Princeton, nous Russo, P ierre-H en ri Sim on: Einstein (H ach ette).
sa beauté formelle nous ca rapporter que celui-ci lui avait
cherait quelque chose, comme déclaré tenir les faits allégués
une excessive lumière peut par la parapsychologie pour
éblouir. L ’un des auteu rs, une absurdité, une impossibilité
M . Roge r Nataf, professeur à la et une insulte à la raison.
faculté des Sciences de Paris, Ce beau livre sur Einstein auquel
ne craint pas d'opposer les ont contribué notam m ent Louis
chemins divergents suivis depuis de Broglie, Louis A r m a n d , T h é o
1920 par Einstein d'une part, et Kahane, R oge r Nataf et le ro
par la foule des autres phy mancier Pierre-Henri Sim o n, pré
siciens de moindre vol qui, cise d'heureuse façon la place
moins inspirés sans doute, res d'Einste in dans l'histoire de la
taient plus près des faits. pensée: il est bien l'un des trois
« Dans une certaine mesure, ou quatre plus grands noms de
écrit-il à propos de la physique la science; mais il est surtout le
m oderne, c ’est d'une physique produit le plus achevé de la
contre Einstein que l’on serait pensée du xix* siècle, celui
tenté de parler. » d 'A u g u s te C o m te . En couron
Einstein de son côté n’était pas nant son siècle, il l'a fait éclater,
tendre pour cette physique qui com me il arrive souvent, comme
s’édifiait « contre lui ». Le même Luther, par exemple, homme du
livre rapporte qu'alors q u ’il Moyen Age, introduit la libre
habitait un appartem en t don pensée, lui qui avait la libre
1 77
C o s m o lo g ie
SESBaSESanai Une nouvelle énigme
CIVILISATIONS DISPARUES
A lire
Or, voici ce que l’on trouve encore que sa connaissance fût Richer, longuement étudié moi-
dans le catalogue des monnaies universellement répandue parmi même la signification possible
du British Muséum: les villes de les premiers envahisseurs indo- des dispositions rectilignes sur
Lycie (Patare, Xanthos) offrent européens de la M éditerranée une c a r t e 3, j ’ai pu mesurer les
dans leurs monnaies un réper orientale, puisqu’elle aurait difficultés de cette recherche
toire complet des symboles du guidé la fondation des villes, pleine d'embûches. Il semble
Lion; la grande déesse de Sidê l’installation des peuples, le que Richer ait renoncé à le
était A théna, qui y avait son choix des puissances divines faire lui-même, non sans sa
temple et dont les monnaies tutélaires. gesse, se bornant à établir le
reproduisaient l’effigie; et enfin T out cela est inconciliable avec dossier historique du problème.
toutes les monnaies anciennes l’image que nous nous faisons Mais il faudra bien y venir, et
de Lampsaque portent un cheval actuellement de cette époque: l’on va voir, pour la première
ailé. on va donc très certainem ent fois sans doute, l'histoire devenir
De telles coïncidences, Jean assister à une offensive impi une discipline mathématique.
Richer a rempli des centaines toyable contre les résultats pro Ensuite, à supposer que Richer
de fiches et son livre en est posés par Jean Richer, ce qui ait mis au jour un fait réel,
nourri dans toute son épaisseur, nous fait un devoir de signaler quelle serait sa signification?
qui est grande. La lecture q u ’il à nos lecteurs son livre sur La même exactem ent que celle
nous offre est sans doute (avec, prenant. Q u ’ils le feuillettent du problème posé par les cartes
dans un tout autre ordre d ’idées, d ’abord chez le libraire: ils de Pirî Reis, si même il ne s’agit
les Certitudes irrationnelles du seront vite convaincus de sa pas d'un seul et unique pro
Dr C u é n o t 2) la plus étrange formidable érudition et du sé blème. Les cartes de Pirî Reis
que l’on puisse faire actuel rieux de sa dém arche. L’éditeur pourraient bien n'être que la
lement en français. Seuls les l’a d ’ailleurs bien compris, qui dernière épave de cette science
spécialistes réussiront peut-être, lui a accordé une luxueuse pré engloutie qui sema jadis dans le
au prix sans doute d ’un long sentation. Souhaitons du cou Moyen Orient les germes de la
travail, à décider si le système rage à Jean Richer: il en aura nôtre.
de Jean Richer peut être expliqué besoin. Pour ma part, je pro po
par le hasard. On doit s’attendre serai seulement deux remarques. 2. D r A. C u é n o t: les Certitudes irration
nelles (éd it. Plan ète).
dès maintenant à de violentes T out d ’abord, ayant, dans de 3. A im é M ich el: A propos des soucoupes
réactions. Pourquoi? Parce que, tout autres buts que Jean volantes (éd it. P lan ète).
si ce chercheur a vu juste, sa
découverte est inexplicable: les
localisations prévues sur la
carte, à des distances atteignant
parfois mille kilomètres, pré
supposent en effet l’existence
de la carte, et d ’une carte
exacte, telle que seule la trigo
nométrie la plus fine peut
l’établir. Il est vrai certes
q u ’Ératosthène avait su me
surer en Égypte le méridien
terrestre avec une extraordinaire
précision. Mais la géographie
sacrée décrite par Richer pré
cède d ’au moins un demi-millé
naire les laborieux calculs d'Éra-
tosthène. De plus, si cette
géographie existait à une époque
si reculée, supposant une science
com parable à la nôtre, il fallait
179
Civilisations disparu es
château l’autre: tome 5, Nord,
LIBRAIRIE
Rigodon. A ces 5 volumes, for
mant la base de cette édition
m onum entale et unique, vien
dra s’ajouter un sixième renfer
L I T T É R A T U R E _________ __
mant la totalité des textes que
Louis-Ferd in and Céline : Œuvres M me Céline ne désire pas voir
complètes (A ndré Balland). réim prim er dans l’immédiat;
Depuis que Louis-Ferdinand Bagatelles pour un massacre,
Céline est mort, il ne cesse de ï École des cadavres et les Beaux
vivre tout en restant méconnu. Draps. Peut-être pourrons-nous
Etrange destin que celui de espérer, un jour, un septième
l’auteur du Voyage au bout de volume contenant la correspon
la nuit, chef-d’œ uvre incon dance.
testé de la littérature française Céline: maudit,
de l’entre-deux-guerres. Que calomnié et surtout plagié. N o r m a n M a il e r : Un rêve amé
Céline soit aujourd’hui un des P h o to L ip n itzk i. ricain (Bernard Grasset).
« dieux» de la jeune génération Célèbre dans le monde entier
littéraire est un fait qui se con au lendemain de la guerre,
firme chaque jo u r car on se philes et aux «dingues» de l’auteur de les Nus et les Morts
rend com pte enfin que l’œuvre Céline. Le tirage est limité à n’avait pas publié de roman
de Céline n’est pas « de la litté 4 000 exemplaires, vendus par depuis 10 ans. Un rêve américain
rature» mais q u ’elle est «L A souscription. Mais chaque vo est un roman singulier, baroque,
littérature ». Toutefois, qui co n lume est une merveille de la passionnant, parfois choquant,
naît Céline? Ecrivain maudit, technique mise au service d ’une toujours captivant, où se mêle
calomnié, traîné dans la boue, grande œ uvre; relié en cuir le lyrisme et l’érotisme, le mys
accusé (à tort) des pires m é noir, sous une première couver ticisme et le réalisme violent.
faits, spolié, plagié, L.-F. Céline ture réalisée, pour la première C ’est l’histoire d ’un meurtre
dem eure pratiquem ent un in fois, en plexiglas, chaque tome maquillé en suicide. L’auteur
connu. André Balland, éditeur, se présente com me une somme mène son sujet sur un rythme
a voulu sortir Céline de son alliant les hautes qualités arti haletant tout en sachant expri
« enfer», sans doute influencé sanales à la rigueur et à l’intel mer quelques-unes des obses
par cette phrase de Jean-Louis ligence érudite dans la présen sions qui font l’Amérique à ses
Bory: «L e fantôme de Céline tation des textes. yeux; l’alcoolisme, le cancer, la
com m ence seulement à tirer les Deux volumes sont déjà parus. sexualité, le racisme, la vio
pieds des dormeurs; Céline Le prem ier com prend Voyage lence, la peur. Ce roman est
com m ence seulement à vivre; au bout de la nuit, ïEglise, Bal parfois odieux par ses excès
et tout le monde tremble...» II lets, La vie et l’œuvre de Phi- mais quelle humanité !
a dem andé au célinien Jean lippe-Ignace Semmelweis, la
A. D ucourneau de diriger l’édi Quinine en thérapeutique et la Brenda B re h a n : Mon Dublin
tion des œ uvres complètes du Médecine chez Ford. Le deuxième (Denoël).
« m audit»; à Marcel Aymé, com prend Mort à crédit, Casse- Avec 20 illustrations hors texte,
grand ami de Céline, de les pipe, Bezons à travers les âges. voici, traduits de l’anglais par
préfacer; à Claude Bogratchew Hommage à Zola et Guignol’s R. Marienstrass et Paul Ben-
de les illustrer et à Pierre F au Band I. Trois autres volumes simon, cinq récits (souvenirs
cheux de les relier. Le résultat, doivent paraître; tome 3, Gui d ’enfance, anecdotes, descrip
ne lésinons pas sur l’adjectif, est gnols Band II: le pont de tions, fantaisies), d ’un hum our
éblouissant. Londres, Mea Culpa, Entretiens très particulier et d ’une in
Bien entendu, pour l’instant, il avec le professeur Y., l’Agité du croyable vitalité, du grand
ne peut être question d ’une édi bocal. Féerie pour une autre écrivain irlandais Brendan
tion destinée au grand public. fois I; tome 4, Féerie pour une Brehan. Cinq au thentiques
Celle-ci s’adresse aux biblio autre fois II: Normance, D ’un chefs-d’œuvre.
180
A lire
P H IL O SO PH IE le premier, religieux, devant le ou au cours d ’une action quel
sanhédrin; le second, politique, conque. L ’ouvrage se term ine
A n dré M onesti e r et Louis Sa l- devant Pilate. Au cours du — à propos de l’absurde ac c u
leron : P ou r et contre Teilhard de premier ne furent pas commises sation de déicide qui pèse
Chardin (Berger-Levrault). moins de 27 fautes de pro cé toujours sur le peuple juif —
Le R.P. jésuite Teilhard de dure; la plus grave étant que par un ém ouvant plaidoyer
Chardin, après sa mort, aura Jésus n’eut aucun défenseur contre les barbares notions de
vraim ent fait couler beaucoup devant le tribunal. Au cours du responsabilité collective et héré
d ’encre. 235 livres sur lui, les second procès, Jésus est pour ditaire, incompatibles avec l’en
uns pour lui, les autres contre, suivi pour actes de résistance. seignement chrétien.
sont déjà parus dans le monde Or il n’est pas résistant. Sa
entier à la fin de 1966. Pourquoi réponse: « Il faut rendre à César René M a r i é : Dietrich Bonhoeffer,
ce 236e? Parce que ce livre ne ce qui est à César», en témoigne. témoin de Jé su s-C h rist parm i ses
ressemble à aucun autre. Le Pilate le sait bien qui voudrait frères (Casterman).
« pou. » est écrit par un poly acquitter Jésus. Mais il doit Dans une nouvelle collection,
technicien qui ne se dit ni un cé der à la pression de la foule Christianisme en mouvement,
savant, ni un philosophe, ni un juive, et Jésus sera exécuté q u ’il dirige, le Père René Marié
théologien mais sim plement un com m e résistant. C ’est là, de présente la pensée du célèbre
homme d ’action et un esprit toute évidence, une erreur judi théologien protestant allemand,
« curieux de connaître et de ciaire imposée à un juge clair le pasteur Dietrich Bonhoeffer
co m prendre». Il confesse son voyant par une opinion publique qui fut également un homme
goût pour le « grand poèm e aveuglée par la haine. Ce genre engagé dans son temps puisqu’il
teilhardien ». C ’est très sub d ’erreur, aujourd’hui comme fut, a la fois, un théologien
jectif. Louis Salleron, lui, refuse alors, est loin d ’être excep de grande classe et l’une des
de trouver dans l’œ uvre de tionnel. Et Jacques Isorni ne figures les plus nobles de la
Teilhard la moindre notion manque pas d ’établir un paral résistance allemande au na
scientifique ou apologétique du lèle entre la mort du Christ et zisme. A rrêté le 5 avril 1943 par
christianisme. Il affirme que la celle de certains condamnés la G estapo, il fut pendu le
« religion» du célèbre jésuite est politiques q u ’il eut l’occasion 9 avril 1945, à l’âge de 39 ans,
fantasm agorique et q u ’elle d ’ap procher ou d ’assister. Pour en même temps que le célèbre
s’évade de la science en se lui, la mort par les voies de la amiral Canaris, chef de l’espion
voulant prophétique: sa religion justice est toujours injuste, nage allemand mais anti-nazi.
n’est q u ’une «gnose», très l’attente d ’une mort inévitable Ce livre de 160 pages est
séduisante, mais très éloignée constituant un supplice atroce, étonnant. René Marié, spécia
des Evangiles. Louis Salleron, sans com m une mesure avec liste du protestantisme alle
qui n’est pas dénué d ’humour, une mort reçue à l’improviste mand, brosse un portrait saisis
a ponctué les chapitres de son sant de Bonhoeffer qui, l’un
étude de vers de Victor Hugo des premiers, a posé dans toute
qui illustrent de manière saisis son urgence le problème de
sante le côté visionnaire de la foi chrétienne dans un monde
l’œ uvre de Teilhard. On prend «m ajeur», de plus en plus
beaucoup de plaisir à lire André sécularisé et areligieux. Ce
Monestier et Louis Salleron. Ce visionnaire «inquiétant» avait
livre remarquable est sain, un sens très développé de
tonique, réconfortant. l’apocalyptique époque née de
la bombe atomique. Ses ré
Ja c q u e s Isorni : te Vrai Procès de flexions sur l’interprétation « non
Jésus (Flammarion). religieuse» des données de la
En grand avocat et aussi en his foi, sur les choses «dernières»
torien objectif, Jacq ues Isorni et « avant-dernières», sur « l’im
nous montre q u ’il y eut en puissance de Dieu», mérite
réalité deux procès de Jésus: raient plus de commentaires.
181
Librairie
tive admirablement documentée Dans sa préface, le colonel
mais qui n ’est pas com plète car, Rémy a raison d ’écrire q u ’« on
W e r n e r M a s e r : Naissance du com me le dit l’auteur lui-même: atteint aux sommets où l’auteur
parti national-socialiste allemand « A l’heure actuelle, il n’existe de ce livre magnifique se meut à
(Fayard). pour ainsi dire pas en librairie l’aise». Marc Tolédano a su
C ’est une étude détaillée que, de littérature consacrée à l’idéo appliquer cette maxime de La
depuis des années, on attendait. logie de la SS. » Bruyère: «L es plus grandes
Elle a été faite essentiellement choses n’ont besoin que d ’être
à partir des archives du M a rc T o lé d a n o : le Franciscain dites simplement, elles se gâtent
N.S.D.A.P. saisies par les A m é de Bourges (Flammarion). par l’emphase.» Voilà un livre
ricains en 1945. Elle couvre la J ’ai lu déjà d ’innombrables q u ’on n ’est pas prêt d ’oublier.
période 1919-1924 qui porte en témoignages sur la Seconde
A ndré Brissaud.
elle toutes les données poli G uerre mondiale mais rares
tiques qui, après des jours de sont ceux qui m ’ont autant bou
gloire, aboutirent au désastre. leversé que celui-ci. Cruel dans REVUES
C ’est un livre intéressant pour sa précision, écrit avec une
l’historien mais qui laisse sur pudeur extraordinaire, simple A p rè s les Cahiers du S u d,
sa soif car tout un aspect du dans le choix des mots, intense M antéia
nazisme n’y est pas examiné, par le dram e qui est raconté, « ... L’artiste, l’analyste refait le
et c’est sans doute le plus ce témoignage d ’un authen chemin du sens, il n’a pas à le
important, l’aspect m étaphy tique héros français — un « ré désigner: sa fonction, pour
sique, on pourrait même sistant» qui n ’a pas attendu reprendre l’exemple de Hegel,
dire «ésotérique» du nazisme. août 1944 pour le devenir — a est une mantéia...» Mantéia,
T ant q u ’on n ’aura pas éclairé un sens profondém ent humain c’est le nom de la nouvelle revue
les grandes zones secrètes du com me dans les plus purs chefs- qui place en exergue cette cita
nazisme, on ne pourra com d ’œ uvre de la littérature clas tion de Roland Barthes. Elle
prendre ce qui s’est passé entre sique. L’événem ent central qui vient de Marseille. Après la dis
1933 et 1945. donne un ca ractère excep parition des Cahiers du Sud, des
tionnel à ce récit (deux frères, jeunes écrivains qui risquaient
G eorg e H. Stein : La Waffen S S dont l’auteur, sont arrêtés et de se trouver privés de toute
(Stock). atro cem ent torturés par la G es tribune ont décidé à leur tour
L ’auteur montre com ment, en tapo) est surprenant: Alfred de fonder une revue. Gérard
dépit des efforts et de l’obstruc Stanke, un franciscain alle Arséguel, Joseph Guglie lmi,
tion des chefs militaires alle mand, gardien à la prison où J e a n M alrieu, J e a n T o dra ni,
mands, la Waffen SS devint une sont détenus les frères T olé J e a n -J a c q u e s Vito n, soutenus
véritable armée de com bat et dano, vient à leur secours au par l’amitié vigilante de J e a n
joua un rôle militaire im portant péril de sa vie, à l’insu de la Tortel ont donc créé Mantéia
dans les grandes batailles de la Gestapo. Il prévient leur famille, qui paraîtra tous les trois mois.
Seconde G uerre mondiale. transm et leurs messages et p ar Ce n’est pas à proprem ent
L’auteur examine en détail la vient à sauver ces deux jeunes parler une revue de poésie,
structure et l’organisation de la gens du désespoir, comme il mais une revue poétique. La
Waffen SS. Il expose et discute sauva d ’ailleurs bien d ’autres recherche, la réflexion sur l’art
les m éthodes utilisées pour détenus. Au cœ u r des années poétique y tiendront plus de
enrôler des étrangers; les rela noires de la guerre, dans un place que les poèmes, c ’est une
tions avec la W ehrm acht; les monde kafkaïen jalonné de tor revue de laboratoire. A paraître
succès et les défaites de ce tures et d ’angoisse, la figure du dans ses prochains numéros,
corps d ’élite (ne pas confondre frère Alfred, homme simple et Mantéia annonce des textes de
avec les SS gardiens de camps charitable qui, sous l’uniforme Roland Barthes, J e a n Cayrol,
de concentration) sans oublier vert-de-gris, sut conserver son Francis Ponge, Philippe Sollers,
les atrocités dont certains corps idéal religieux, apparaît com me et de Gérar d Ar séguel, Henri
de Waffen SS se rendirent cou un lumineux exemple, bien à Heine, J e a n Laude, J e a n Tortel...
pables. C ’est une étude objec l’image du Poverello d ’Assise. Jean Feller.
182
A lire
HUMOUR mène de transmutation, fina toujours plaisir: des disciples, il
lement assez rare. en faut. On peut cependant
Après avoir sombré sous le joug reprocher à ce Livre blanc de
impitoyable de l’interdiction à l ’humour noir — textes choisis
l’affichage, le magazine Harakiri Aux éditions Grasset, on re par Michel Chrestien et Jean-
revient à nouveau à la surface, trouve R ené de Obaldia qui y Paul Lacroix — de confondre
libéré, relégalisé, affranchi. Il publie avec méthode et régula parfois hum our noir et simple
n’a pas perdu b eaucoup de son rité son œuvre complète. Après gaudriole, bref de tom ber dans
agressivité, ni de sa volonté de les deux tomes de son théâtre, le piège de ce sujet périlleux. Et
mettre en pièces une certaine voici les Impromptus, que pu surtout, certains auteurs im
bêtise humaine. Il a cependan t blièrent les éditions Julliard portants sont vraim ent repré
perdu un nombre certain de voilà quelques années et que les sentés par des « extraits» d ’une
ses collaborateurs, et non des théâtres du monde entier se dis singulière minceur. A peine
moindres: Topor, G ébé, Fred, putent. Avec raison d ’ailleurs. quelques phrases de Boris Vian,
Cabu qui font leur vie ailleurs. Rem arquable ciseleur de textes de Céline, de Boudard ou de
C ’est dommage. Mais il y a des brefs et de poèmes en prose, Franc Nohain, c ’est peu.
compensations malgré tout: le O bald ia est également un maître Jacques Sternberg.
génie graphique de Pellaert qui de la piécette en un acte. Sur ce
éclate dans la bande dessinée terrain plus difficile q u ’on ne
Pravda la survire use, Wolinski pourrait le croire, bien rares An d ré Guillois, qui rassemble
dont les progrès surprennent et sont les auteurs dramatiques les histoires drôles et des textes
paraissent foudroyants et, bien qui peuvent prétendre à autant brefs pour Plexus, vient de
sûr, les surprenantes trouvailles de virtuosité et de saugrenu. publier, en collaboration avec
qui font le sel et la gloire de ce sa femme Mina: Notre rire quo
magazine unique en son genre, tidien, chez Calmann-Lévy. De
donc irremplaçable. Les anthologies de l’hum our se quoi se distraire pendant les
suivent et se ressemblent un vacances. Les éditions Planète
peu. Celle que viennent de publieront le mois prochain, du
Le dernier numéro de la revue publier les Éditions de la Pensée même auteur, un recueil des
Bizarre est consacré aux dessins M oderne est, en effet, visi meilleures histoires drôles q u ’il
récents de Wolinski, un des blem ent — et même ostensi a lues, entendues ou inventées
dessinateurs de choc du maga blement — inspirée des antho depuis vingt ans qu’il se con
zine Harakiri. C ’est un nouveau logies Planète, les Chefs-d’œuvre sacre à cette insolite collec
Wolinski que l’on retrouve, du rire en particulier. Cela fait tion : 333 + I histoires de Plexus.
celui-là qu ’annonçaient les
croquis des « histoires in
ventées». Alors que Wolinski
traçait autrefois avec force
détails plus D ubout que nature
des fresques et bandes dessinées
d’un intérêt contestable, soudain
il abandonne son graphisme un
peu lourd, le troque contre un
trait flou, larvaire, aérien. Et,
fait paradoxal, c’est en devenant
vague qu ’il s’est accompli. De
même son humour s’est com
plètem ent métam orphosé. Il est
devenu gris, féroce, acéré. Il
n’appartient plus du tout à
Harakiri, mais simplement à
Wolinski. Saluons ce p héno
PEINTURE
Voici des recettes pour
poétiser notre époque
Paris vit au rythme de son époque, qui est réaliste. Le réa
lisme contemporain est multiforme et il est partout. Le raz de
marée a pris les dimensions du mascaret séculaire: rien n’y
résiste.
Dans ce contexte orienté et en est particulièrement pro
saturé la grande rétrospective digue.
S oulages au musée national Les leaders nouveaux réalistes,
d’Art moderne ' apparaît comme qui furent les artisans du ren
la référence anachronique à un versement de la vapeur, triom
monde étrangem ent éloigné du phent un peu partout. L’expo
nôtre. Malgré la m onotone sition A r m a n chez Ileana
lourdeur de ses structures, Sou Sonnabend nous montre le
lages, à 48 ans, s’impose com me stade ultime de la dém arche du
l’une des plus sûres valeurs de maître des accumulations: tubes
la peinture abstraite gestuelle. de couleur et violons brûlés
Seulement, nous avons changé cristallisés dans le polyester,
de hiérarchie de valeurs et combustions de pianos et de
l’homme de 1967 obéit - dans fauteuils. Rien ne m anque à ce Une « accumulation » d ’Arman.
le mécanisme même de ses per festival des yeux, effets de P h o to A lain Sebe.
ceptions — à des motivations et matière, luminosité interne,
à des exigences nouvelles. Le monumentalité des formes, ballets Roland Petit au théâtre
temps bien sûr se chargera translucidité de la matière des Champs-Elysées, le peintre
d ’arrondir les angles. Mais pour plastique. Bref A r m a n nous niçois a fait les décors du Royal
l’instant le décalage est total. offre, entre deux séjours am é Ballet Performance à Covent
N otre civilisation de l’image, ricains, une brillante preuve G arden. Son Lost Paradise est
de plus en plus perfectionnée, de sa maîtrise. le clou de la saison londonienne.
produit un excès croissant L’année 1966, on s’en souvient, U n e colossale rétro sp e ctiv e
d’information et de sollici avait été l’année Martial R a y s s e 2. d ’Y ves Klein au Jewish Muséum
tations visuelles. C om m ent sen Raysse, d’une saison sur l’autre, de New York a marqué bril
sibiliser, humaniser, poétiser continue sur sa lancée: après la lamment la relance américaine
cette « latence expressive»? Les Biennale de Venise, la rétros de son éclatante carrière pos-
recettes ne m anquent pas et la pective au palais des Beaux- 1. E xp o sitio n S o u la g es: 21 mars-21 m ai 1967.
saison parisienne cette année Arts de Bruxelles; après les 2. C f. P la n ète 28 pp. 184 et 185.
184
A voir
Etes-vous vraiment
l’homme
d’une civilisation
adulte ?___________
Ce test vous aidera à mieux vous connaître
Quelle est la différence entre l’érotologie et l ’érotisme ?
Que désigne le complexe de Thyeste ?
Qu’est-ce qu’un amphotrope ?
En quelle année fut fondée la ligue pour le malthusianisme ?
Comment pratique-t-on le cunnilinctus ?
Quel est l ’auteur de la Théorie du Libertinage ?
Quelles sont les méthodes contraceptives (mécaniques et chimiques)
connues à ce jour ?
Quelle est votre attitude en face des questions sexuelles :
vous désintéressez-vous de ces problèmes ? pensez-vous avoir
suffisamment de connaissances en ce domaine ou avouez-vous
simplement votre ignorance sur ce sujet ?
Quels sont les ouvrages sérieux que vous avez lus sur la
sexologie ?
voir au verso
Ce questio n n aire vous a perm is de “ m e s u re r” l ’étendue de vos connaissances dans un
dom aine qui, ju s q u ’ici, ne concernait que les initiés (c’est-à-dire l ’étude com parée des m a
nifestations sexuelles directes ou indirectes, et des disciplines qui s ’y rattach en t). Il ne s ’agit
pas de chercher ici une réponse, n o tre seul b u t était de vous faire prendre conscience de la
diversité de n o tre univers sexuel. L ’hom m e m oderne se doit d ’ab o rd er avec une profonde
liberté d ’esprit tous les problèm es et plus particulièrem ent ceux qui le concernent directe
m ent. Ainsi n ous p ouvons m esurer chaque jo u r, l ’im portance et l ’étendue de la sexualité dans
nos vies quotidiennes. M ais com m ent s ’inform er com plètem ent en to u te objectivité et p ar
quel m oyen p ratiq u e a b o rd er un problèm e aussi vaste ?
La réponse à toutes vos questions
U n ouvrage exceptionnel, qui rend com pte p o u r la prem ière fois au m onde de tous les
aspects de n o tre univers sexuel,paraît en m êm e tem ps en F rance, aux U.S. A., en A llem agne,
en Suède et en Italie. Le N ouveau D ictionnaire de Sexologie est, à ce jo u r, la prem ière et
la seule encyclopédie m oderne entièrem ent consacrée à l ’étude de la vie sexuelle.
C ette œ uvre colossale, qui a nécessité n eu f années de travail et de recherches sous la
d irectio n de J.M .L o D uca, condense la valeur de 30 livres ordinaires. Il devient ainsi un
in stru m en t de travail et de connaissances uniques, qui est appelé à faire au to rité sous
toutes les latitudes.
L ’ouvrage se com pose de deux volum es reliés plein veau velours : le N ouveau D ictionnaire
et son supplém ent où sont groupées les additions aux principales études. L ’ensem ble de
ces volum es com prend 1550 docum ents iconographiques (noir et couleurs), 1032 pages de
textes sur trois colonnes et 3500 articles. C ette œuvre adm irable, qui tém oigne d ’une’
p ro fo n d e liberté d ’esprit, est av an t to u t le livre d ’une civilisation adulte.
Attention. Cet ouvrage est strictement hors commerce et réservé aux souscripteurs.
Dès la m ise en vente, le prix de faveur de souscription cessera d ’être appliqué. Voici deux
m anières de profiter du prix de faveur de souscription : a) au co m p tan t, au prix excep
tionnel de 270 F les deux volum es fra n c o de p o rt et d ’em b allag e; b) en 6 versem ents
m ensuels de 4 7 F (à la p aru tio n , ces prix deviendront :a ) 300 F ; b) 6 versem ents de 54 F).
A l ’enregistrem ent de votre com m ande et de votre prem ier versem ent, le supplém ent (432
pages 900 ill.) vous sera envoyé p a r poste et le m ois suivant vous recevrez le N ouveau
D ictio n n aire (600 pages 1000 ill.).
B O N DE C O M M A N D E
à adresser à la Librairie V Or du Temps, 27, Boulevard Malesherbes, Paris 8e
187
Peinture
m~ où viennent s’entasser les ar miers ouvrages aux arm atures
tistes actuels qui se déclarent EXPOSITIONS de bois ou de fer, ses montages,
influences par cette technique. terres cuites, bronzes, pierres
A. quelques rares exceptions Les ch e fs-d 'œ u v re polychromées, collages aussi,
près, la confrontation est con de M a n e t à Picasso où se donnent libre cours les
cluante: les spécialistes du En 1964, au palais de Beaulieu jeux de la liberté créatrice des
double jeu pictural ne sont pas à Lausanne, une exposition cubistes, mais qui restent avant
de taille à rivaliser avec « Guy remportait un grand succès: « De tout habitées par la grâce, la
l’Éclair » ou « M andrake ». M anet à Picasso». Tirés des puissance et la rigueur.
La conservatrice du nouveau très riches collections suisses, Au Grand Palais: du 11 mai au
musée d ’art naïf à Laval est près de 200 tableaux faisaient 15 août.
Mme Bordeaux-Le Pecq, ar revivre les plus belles heures de
tiste peintre, présidente-fonda- la peinture moderne. Sur les Œ u v re s récentes
trice du salon Comparaisons. deux étages de l’Orangerie, ces de Pinoncelli
Com me on s’en doute, Com chefs-d’œuvre (une salle entière Au début de l’année, le peintre
paraisons 1967 a fêté digne de Renoir, 6 Monnet, 8 C é Pinoncelli surprenait New York
ment l’événem ent en taisant zanne, dont« le G arçon au gilet par ses toiles et par son com por
la part belle aux « primitifs du rouge»...) seront accom pagnés tement. Il s’est présenté au ver
xxc siècle». Ils sont au moins de sculptures (20 pièces de nissage de la grande rétrospec
une vingtaine, particulièrement Degas, Bourdelle, Despiau, tive Yves Klein la moitié du
inspirés par l’hiver. Les pay Renoir, Rodin). visage peint en bleu et un ho m
sages de neige sont nombreux Orangerie: du 10 mai au 30 sep mage à l’artiste disparu imprimé
et con currencent le trompe- tembre. sur le front. De son séjour de
l’œil traditionnel des peintres trois mois à New York il a rap
de la réalité, rassemblés autour L'anti-p einture : porté une série de toiles
de Cadiou. Les salles expéri Marc el D u c h a m p immenses et colorées qui dé
mentales, désertées par leurs En «d u o » avec le musée de passent en audace picturale et
meilleurs éléments, n ’assurent Rouen, ville natale de l’artiste, en puissance son exposition
pas le contre-poids habituel à et avec l’accord du peintre qui « L’am our à Pékin» présentée
la médiocrité ambiante. Invitée vit à New York, où ses quelques l’hiver dernier à Paris. Ses
d ’honneur, une sélection d a toiles et objets se trouvent dans dernières productions seront
noise consternante vient encore des collections particulières et exposées en priorité à la galerie
abaisser le niveau qualitatif au musée de Philadelphie, le de la Salle à Vence.
de l’ensemble: Comparaisons musée d’Art moderne présen Galerie de la Salle, place
1967 est le salon des basses tera au mois de juin une rétros Gaudeau, Vence, du 6 mai au
eaux et des vaches maigres. pective de l’œuvre de Marcel 6 juin.
Le dernier filon du réalisme est Duchamp. C ’est un génie sin
sans doute le plus sûr. C ’est gulier, doué de l’imagination A travers les galeries
celui de l’art mécanique, des machiavélique que l’on sait (voir Des œuvres récentes, une grande
recherches de structuration de ses « ready-made »). L’expo sculpture: «Proposition to es-
l’image plane au moyen de pro sition reflétera aussi tout l’esprit cape; heart garden» et cinq
cédés industriels photo-m éca et l’histoire de l’anti-peinture, tableaux qui seront le dévelop
niques. A la limite entre le du dadaïsme au surréalisme. pem ent du principe de « géo
figuratif et l’abstrait, les reports Musée d ’A rt moderne : juin 1967. métrie variable » com poseront
photographiques sur plaque une exposition de Martial Raysse
émulsionnée de Ne im an, dernier Les sculptures de Laurens galerie Iolas: 25 avril-fin mai.
en date des protagonistes du A l’occasion de la donation faite Fin avril, les derniers dessins
mec art, connaissent un succès à l’État par son fils, l’œuvre de Topor seront exposés chez
mérité à la galerie Raymonde entière du sculpteur Laurens Valerie Schmidt et plairont
Cazenave et constituent l’une sera exposée au G ra nd Palais, aux amateurs de cruauté et
des révélations de l’année. du 11 mai jusqu’au mois d ’août, d ’hum our noir.
Pierre Restany. soit 300 pièces, depuis ses p re Muriel Cluzeau Ciry.
188
A voir
TH E A TR E ■■ Le Nouveau Théâtre libre
veut lutter contre l'anglomanie
De Harold Pinter à Nell S i m o n , une douzaine d’auteurs anglo- témoins; on se torture dans des
saxons ont vu leurs pièces créées à Paris cette saison. On est water-closets ou dans des
très indulgent avec ces produits d ’im portation, rem arquait en cages! La respiration de la
substance J e a n - L o u p D abadie, l’auteur de la Famille Écarlate tragédie a fait place à la
dans un récent num éro de / ’Express. La mode est, en effet, à suffocation du drame. Dans
les œuvres dramatiques du
l’anglomanie. En revanche, on ne monte pas les œ uvres de XXe siècle, l’écrivain trace
jeunes auteurs français. Lorsque, par hasard, un directeur de autour de ses personnages un
théâtre se hasarde à m onter l’une d’elles, on ne lui passe rien. cercle de feu; la mort n’est
Il ne s’agit pas ici de jug er telle le contrôle oppressant et ver plus glorieuse.
ou telle pièce récemment offerte satile des dieux, dans des palais Rien de plus banal qu’un homme
au public; il s’agit de prendre immenses ou sur des champs de qui déteste un homme. Dans la
conscience d ’un climat. bataille. Les tragédies pourtant vie, si l’un se trouve dans
En ac ce pta nt la direction du ne sont pas mortes. Elles ont l’échelle sociale infiniment plus
N ouveau T héâtre lib r e 1, R a y émigré dans des lieux herm éti bas que l’autre, la haine forme
m ond He rm a n tie r a émis l’inten quem ent clos portant ainsi, vo une boule de nerfs au niveau de
tion de lutter contre ce courant lontairement ou non, la marque l’estomac ou de la gorge et une
masochiste. Son program m e: indélébile de l’univers con c en certaine courtoisie sociale régit
révéler les créations de jeunes trationnaire. On s’aime, on se et aplanit en fin de com pte les
auteurs français ou franco hait, on se poursuit ou on se rapports les plus tendus. Mais
phones; accueillir des metteurs détruit dans des grottes, dans si le «raté» tient entre ses
en scène nouveaux ou des com des chambres, sans voisins, sans doigts la vie du « self-made man
pagnies sans moyens.
— Je veux créer un foyer cul
turel dans le cœ u r du M o nt
martre réputé érotique, dit-il.
En octobre, Lady Jane, de J e a n
M og in , a été représentée 50 fois
au Nouveau Théâtre libre. J e a n -
BaptisteThierret est venu ensuite
mettre une note d ’hum ou r dans
Pigalle avec un spectacle C a m i-
Chaval. Enfin, poursuivant son
programme, Raym ond H er
mantier vient de créer la pièce
d ’un jeune auteur inconnu,
Jacques Ja c quine: Mort d ’une
baleine, à laquelle l’aide à la
première pièce avait été refusée.
189
T hé â tre
bulldozer » qu’il déteste de toutes
ses forces, s’il construit patiem
m ent une cage d ’acier et si, par
PH O TO G R A PH IE
L'album de
ruse, il y enferme le gros homme, C ’était la Belle Epoque... Celle de la belle O téro et de Cléo de
ces rapports de milliardaire M érode. Celle où, en Caroline du Nord, les frères Wright
satisfait et de minable diabo réussissaient, à leur quatrièm e essai, un exploit fabuleux:
lique prennent une envergure un vol de 284 m ètres sans toucher le sol. Celle où le com te
dém ente.
Boni de Castellane, lorsqu’il recevait, n’utilisait pas moins de
La baleine réussira-t-elle
six cents valets habillés à la française, de pourpre, ou de blanc
à flotter lo ng te m p s?
et bleu rehaussés d’or.
C ’est le cas de Mort d ’une ba
leine. R endant com pte de la L’époque où, jeune frère
pièce, la critique est tom bée d'Alice au Pays des Merveilles
dans le panneau gros com me et du Petit Prince de Saint-
une cage d ’acier de racon ter Exupéry, Jacques-H enri Lar-
l’action par le menu. En fait, tigue est devenu magicien à
ce que l’on voit sur la scène est l’âge de 7 ans. Son père lui fit
aussi fascinant que ce que l’on cadeau d ’un de ses appareils
v entend. photos, le plus petit, en 1901:
La mise en scène de Pierre Valde un appareil en bois ciré, avec
est com m e un félin qui retient un soufflet de toile grise, verte
sa force, la ramasse pour mieux et rouge, pliée en accordéon. Il
nous surprendre en souplesse. fallut moins d ’un an pour que le
R a ym o n d H e rm antier joue le petit bonhom m e se révèle un
raté qui masque son désenchan merveilleux photographe.
te m ent sous des tons cauteleux.
Son personnage, à tous ces Il p h otographie
degrés-là, tranche avec bonheur to u t ce qui bouge
sur la fatuité de l’hom m e d ’af P ourtant, en ce temps-là, faire Le «bateau-pneu» de 1910: une
faires, parfaitem ent incarné par de la photographie n ’était pas occasion de photojournalisme.
G érard Darrieu. chose aisée. La plupart des
L’auteur, J a c q u e s J a c q u i n e , a émulsions sur plaques de verre
la trentaine. Sa pièce est allée étaient encore très peu sen d ’un appareil qui lui permit de
de m etteurs en scène en di sibles: par temps clair, il fallait prendre des «instantanés», le
recteurs, de comédiens en poser de quinze à trente se « Bloc-Notes G au m ont», de
théâtres. Tous prêts à m onter condes. Les appareils étaient format 4,5 X 6; le diaphragme
l’œuvre... Oui mais... Le «oui lourds. A force de porter le ouvrait alors à f: 6,3 et l’obtu
mais» dans le théâtre en F rance sien, le petit Jacques Lartigue rateur perm ettait déjà le 1/100
fait, et depuis plus longtemps, co m m en ç a à avoir l’épaule de seconde. Deux ans plus tard,
une carrière aussi im portante déformée. A telle enseigne que alors q u ’il avait 11 ans, en 1905,
q u ’en politique. J a c q u i n e réus le médecin alerta la famille! Jacques reçoit un Kodak
sira-t-il à faire flotter longtemps De plus, la photographie venait Brownie, le n° 2, plus léger,
sa baleine? H e rm anti er le veut tout juste d ’entrer dans les plus maniable car ne se ch ar
pour continuer une tâche te r mœurs; elle avait longtemps été geant plus avec des plaques,
rible et nécessaire dont les la victime de réticences nées de mais avec des pellicules. Il peut
organismes en place recueil son caractère magique, diabo désormais prendre des sujets en
leront finalement un jo u r les lique. H eureusem ent le père de mouvement.
fruits. En attendant, les fonc Jacques, banquier et financier, Il ne s’en privera pas. Tout ce
tionnaires du théâtre le re lui offrit des appareils de plus qui bouge, dans cette folle
gardent s’escrimer. en plus perfectionnés. Dès 1903, époque que fut la Belle Epoque,
Victor Hansson. à l’âge de 9 ans, il lui fit cadeau y passe. Il photographiera tout
190
A voir
famille de la Belle Epoque
ce qui est m ouvement, action,
dém ontrant par là qu ’il fut vrai
semblablement l’inventeur et à
tout le moins un des premiers
pionniers du photojournalisme.
U n p h oto graphe
de la vie quotidienne
Au château de Rouzat, d e
meure familiale, il photographia
son grand ami Raymond Van
Wers accomplissant l’exploit
de sauter par-dessus quatre
chaises alignées: il était cha m
pion de « steeple-chaise » ! Près
de Berck, le 3 avril 1904,
G abriel Voisin s’élançant du
haut d ’une dune sur un planeur
et réussissant le prem ier vol
public en F rance: il parvient à
tenir l’air quelques dizaines de bateau qui avait des jambes! saient, même déjà rencontrés.
mètres et, à cette époque, il Il prend en pleine vitesse la Tous ces docum ents figurent
fallait être rapide pour photo Delage, favorite du G rand Prix avec d ’autres — 165 au total —
graphier un aéronef en vol: il de l’A.C .F. de 1912. En « b a dans un livre qui vient de
s’écoulait si peu de temps entre layant» le paysage com me il le p a r a î t r e 1 et qui est un vrai
le décollage et l’atterrissage! faisait p our suivre les bolides de album de photographies: cou
11 photographie la cousine l’époque au m om ent où ils verture en simili cuir, papier
Bichonade voulant voler, sans passaient devant lui, il obtenait fort, chaque photographie tirée
planeur, com m e G abriel Voisin. avec l’appareil à rideau ver à part, certaines d ’entre elles
Il photographie la reconsti tical q u ’il employait de curieux dans les tons chauds ou bruns
tution à petite échelle de la effets: les arbres et les spec des antiques documents, et
sensationnelle attraction am éri tateurs penchaient et les roues collées com me nous collons
caine « Looping the Loop» qui paraissaient ovales. laborieusement nos photo
vient, en l’année 1910, de s’ins graphies de famille. Un album
taller à Paris, rue de Clichy. T é m o i n de la m od e à avoir pour pouvoir le regarder,
G râce au génie inventif de son Inventeur du reportage et de la le lire, le relire: c’e s tJ ’album de
frère, c ’est un lapin qui a la photographie de mode telle que famille de la Belle Epoque. La
chance de pouvoir connaître la pratique aujourd’hui Franck plus formidable collection de
les émotions fortes refusées aux H orvat, Jacques-H enri Lar photographies d ’actualité de ce
enfants Lartigue. Leurs parents tigue, presque chaque jo u r en début de siècle qu ’on puisse
leur avaient interdit formel fin de matinée, allait s’asseoir imaginer et qui vous perm ettra
lement de l’essayer. sur un banc du « Sentier de la de passer, sans vous en rendre
Il photographie l’invention du Vertu », parallèle à l’avenue des com pte, grâce au talent de
siècle: le bateau-pneu. On Acacias, où les gens chics Jacques-H enri Lartigue, à tra
glissait ses jam bes dans une flânaient entre onze heures et vers la muraille de Chine qui
sorte de pantalon de c a o u t midi. L’usage voulait que les sépare le rêve de la réalité.
chouc étanche, collé au fond de messieurs saluassent inlassable Jean-Louis Swiners.
la coque. Des «pieds palmés» ment en soulevant leur chapeau I. É d ita L a u sa n n e, 1966. D istrib u é en F ra n c e
perm ettaient de propulser ce tous ceux et celles qu ’ils croi p a r la B ib lio th èq u e d e s A rts, Paris.
191
Photographie
C IN É M A
A quoi servent donc les
Il fut un te m p s où le F estival de C a n n e s éta it d is tra y a n t, un «... une foire où on trafique,
t e m p s où les s ta r l e tt e s p a r c e n ta in e s in v e n ta ie n t le m o n o k in i com m e dans toutes les foires.
ou s’a r r a n g e a i e n t p o u r to m b e r , v ê tu e s de nylon, d a n s d es C om m e à Lyon, à Milan. C ’est
p iè c e s d ’e a u p ro v id e n tie lle s. Il fut un t e m p s où C a n n e s et fait pour ça: le com m erce, faut
V enise é t a ie n t les se u les villes à o r g a n is e r de telles m a n if e s que ça marche... Les prix du
Festival, c’est com me tous les
ta tio n s , e t un G r a n d Prix ou un L ion d ’O r a v a ie n t alo rs u n e
prix. Com me le G oncourt par
signification v éritab le . A u j o u r d ’hui, c e r ta in s v o n t aux festivals exemple... C haque année, à
c o m m e n a g u è r e u n e c e r ta in e classe allait aux eaux. propos du G oncourt, les gens
C ’est en 1939 que les autorités un site touristique. On s’ima ricanent. Q u ’ils y viennent!
françaises décidèrent d ’orga gine mal, en effet, les produc Com m e, tout com pte fait, ce
niser le Festival de Cannes, la teurs du monde entier venant de n’est pas plus mauvais que le
Biennale de Venise ayant été leur plein gré se réunir dans un G oncourt... et Orson Welles,
m arquée, l’année précédente, pays de brumes ou de blizzards c ’est notre Proust» (mai 1964).
par un certain nombre d ’inci perpétuels. D'ailleurs, les décla Une foire donc. Une foire-
dents liés à la situation poli rations officielles, lors des céré exposition, pour être plus précis,
tique du moment, à tel point monies d ’ouverture, le préci ou, com me on le dit encore
que les U.S.A. se retirèrent de saient: Cannes fut choisie «en dans nos campagnes, une bra
la compétition. En fait, le pre raison de son équipement hôte derie. Rien de péjoratif à cela.
mier Festival de Cannes n’eut lier, de la certitude de beau Il suffit sim plement de prendre
lieu qu’en 1946, du 20 septembre temps, de son escale transat le parti des choses. Un film
au 5 octobre; des événem ents lantique, e t c . ». coûte cher: quarante millions
autrem ent importants et graves d ’anciens francs pour les mini
en avaient retardé la réalisation. U n e foire... budgets, et deux, quatre ou
Son but était «... d ’encourager et une braderie! même quinze milliards dans les
le développement de l’art ciné On sait de toute éternité que cas les plus extrêmes (Cléo-
matographique sous toutes ses les meilleures affaires se traitent pâtre). Par conséquent, il ne
formes et de créer entre tous entre la poire et le fromage, faut pas s’étonner si les capi
les pays producteurs de films arrosées de gevrey-chambertin. taines de l’industrie ciném ato
un esprit de collaboration» La voie de la raison passe par graphique veulent vendre leurs
(article 2 du règlement du Fes l’estomac, et les collaborations films, c ’est-à-dire leurs produits
tival). Ainsi était définie la les plus fructueuses naissent à manufacturés. Très rapidement,
notion de festival ciném ato table. Alors on peut frémir à du reste, le développem ent de
graphique, notion ambiguë, l’idée q u ’au prochain Festival l’industrie cinématographique
déchirée com me le ciném a lui- de Cannes seront présentées devait imposer une nouvelle
même entre deux tentations: des œ uvres dont les accords de infrastructure au Festival.
celle du musée et celle du lucre. co-production auront été passés,
Les raisons qui présidèrent au l’an dernier, pour la prosaïque O n multiplie les prix
choix de Cannes com me lieu de raison q u ’Un Tel offrait à ses p our satisfaire tou t le m o n d e
rencontre sont des plus évi cocktails un whisky de meilleure Du quasi-artisanat, on passa
dentes. Un festival de cinéma qualité, ou parce que son bientôt à l’industrie lourde. Le
se doit de se dérouler dans un public-relation avait plus lar mode de sélection des films
cadre attrayant, voire attractif gem ent diffusé les invitations. devint de plus en plus sévère
— la mer y est presque toujours Le Festival de Cannes, à l’image — ainsi, en 1956, chaque pays
de rigueur —, propre à encou de ses homologues étrangers, fut invité à faire concourir un
rager les déplacements de foules. n’est rien d ’autre q u ’une foire. long métrage et un court
Tout com m e les miracles, les Ce n’est pas moi qui oserais le métrage, et pas plus — et plus
festivals ont toujours lieu dans dire, mais R a y m o n d Q u eneau : rigoureusement soumis aux
192
A voir
Festivals?
relations diplomatiques inter
nationales. Je ne citerai pour
exemple de ce rétrécissement
dont souffrent les festivals que
l’affaire de la Guerre est finie,
d ’Alain Resnais, qui se vit refuser
l’an dernier sa participation à
Cannes sous prétexte que le
film était insultant pour l’Es
pagne, représentée au Festival
par Falstaff, et risquait de nuire
à l’entente qui régnait entre les
deux pays; de même, en 1951,
le quai d ’Orsay avait prié le
comité de sélection de refuser
Chine libérée (soviétique), pour
des raisons du même ordre.
La sélection se durcit donc,
mais selon des critères fort
étrangers à l’art ciném atogra
phique. On veille à ce que les
participants soient primés tour
à tour, et pour ce faire on mul
tiplie les prix. Prix de l’O.C.I.C.,
Prix Spécial, Prix de la Semaine
de la Critique, T icket d ’Or, et
autres prix de circonstance; on
récom pense autant les efforts
financiers que les mérites d ’une cette dispersion, cette spéciali Restent les «rétrospectives»,
mise en scène, on encourage sation dans les genres sont les «tables rondes», et autres
plus les co-productions que la tout aussi inquiétants que le manifestations quasi secrètes,
créationoriginaleou la recherche caractère hybride des grandes parallèles aux festivals, qui
expérimentale. Si bien q u ’il faut rencontres internationales. peuvent présenter un intérêt
aller à H yères (Festival du A ménager la chèvre et le chou pour les non-initiés à la ciné
Jeune Cinéma), Annecy, Ber- — en l’occurrence l’expression m athèque et aux revues ciné
gam e (films d’art et d ’essai) ou personnelle et le com m erce — philes.
encore à Poretta T erm e (créé on ne parvient que rarem ent à A quoi sert donc un festival?
en 1962, Festival du cinéma un équilibre satisfaisant. Ces A voir des films bien sûr, jus
libre), si l’on a quelque désir grands festivals ne sont, au bout q u ’à l’indigestion m ême — « on
de voir com m en t se porte le 7e du compte, ni des manifesta en prend pour un an», dit
art. E ncore faut-il être bien tions culturelles ni des foires encore Q u ene au — ou à les
informé, car po ur ces dernières aux films. En ce sens, la création revoir, puisque souvent on a
manifestations, point de publi du M arché du Film, à Cannes, déjà pu le faire à Paris, avant
cité tapageuse. A vrai dire ce et son importance croissante leur sélection à Cannes; mais
sont des présentations en vase dès 1962, représente un effort surtout un festival c’est utile
clos, trop spécialisées pour méritoire pour clarifier la situa pour vendre, pour lancer un
m ériter le titre de Festival. Et tion, pour distinguer les deux film qui était mal parti — mais
cet éclatem ent des festivals, tendances. qui est encore assez naïf pour
193
C in é m a
tm~ a ll e r v o i r u n film p a r c e q u ’il a
é té p rim é ? — p o u r m o n te r des
a ffa ir e s , v o i r d e s g e n s , f a ir e
Monaco se
d e la g a s t r o n o m i e e t s’a d o n n e r
a u t o u r i s m e , t o u t e s c h o s e s qu i C o m m e T o k y o , M o n a c o n ’a a u c u n e possibilité d ’e x te n sio n
n e c o n c e r n e n t g u è r e le c i n é m a ; te r r e s tr e . O n sait q u e Paul M a y m o n t et Kenzo T a n g é o n t
e t p u i s p a r fo i s , r a r e m e n t , o n a
p r o p o s é en c o n s é q u e n c e u n e e x te n sio n d e T o k y o su r la m e r
la j o i e d e d é c o u v r i r q u e l q u e
p a r d e s îles artificielles. C ’est la s o lu tio n q u e M a y m o n t
n o u v e a u t a l e n t (cf. Milos Form an
r é v é l é e n 1964 à L o c a r n o , a v e c
p r o p o s a it é g a le m e n t p o u r l’e x te n sio n d e M o n a c o : u n très
l’As de Pique). E t p u is s u r t o u t bel atoll artificiel relié à la ville a n c ie n n e p a r un p o n t. M a is
u n fe stiv a l, c e l a o f f r e la p o s s i le p r o je t r e te n u a é té celui d ’un j e u n e a r c h i t e c t e italien,
b ilité d ’é c h a p p e r a u m o n d e M a nfre di G. Nicoletti.
r é e l , c o m m e le d i s a it si b i e n Celui-ci réunit fort h eureu sculpture» qui n’est pas sans
M a rio Soldati, il y a d e u x a n s à sem ent plusieurs données essen m ontrer des parentés avec les
C a n n e s : « T a n t q u ’u n f e stiv a l tielles de la prospective. M a n projets de deux autres membres
d u r e , t a n t q u ’o n e st à b o r d , la fredi G. IMicoletti est d ’ailleurs du GIAP: les «villes entonnoirs»
vie d e l’u n i v e r s e n t i e r y s e m b l e mem bre du G I A P ' et la pres de W a lte r J o n a s et « la ville
c o n c e n t r é e ; l’h u m a n i t é s e m b l e q u ’île artificielle q u ’il va cons totale » de J e a n -C la u d e Bernard.
ré d u ite aux c o m p a g n o n s de truire à Monaco sera la première Mais à la différence des « villes
v o y a g e ; p u is, q u a n d le fe stiv a l œuvre de grande envergure entonnoirs» de Jo n a s , les col
se t e r m i n e e t q u ’o n r e t o u r n e réalisée par un m embre de lines artificielles de Nicoletti ne
c h e z soi, o n a la n e t t e i m p r e s notre groupe. sont pas un espace fermé en
sio n d e s’é v e i l l e r d ’u n r ê v e e t La ville satellite de Monaco, vallée artificielle mais un espace
d e r e v e n i r à la r é a l it é . » conçue par Nicoletti, sera une ouvert sur la m er en am phi
Michel Caen. presqu’île encadrée par deux théâtre.
ports, l’un sur le territoire mo L’intérêt du plan tient à la fois
P.S. - Aux festivals-trotters, signa négasque, l’autre sur le territoire à ce que la presqu’île et les
lons le dernier-né des festivals qui, français, près du cap d’Ail. Une constructions formeront un tout
lui au moins, ne porte pas le nom digue d ’un kilomètre de long, organique et que les terrains
d ’une localité plus ou moins touris
immergée à une profondeur de artificiels à étages seront lotis
tique. Il s’agit du festival « Midi-
M inuit Fantastique», organisé par 40 mètres, c’est-à-dire l’une des d ’une m anière traditionnelle,
M m es Decaris et Villeneuve, et par digues les plus profondes que perm ettan t à l’usager la libre
M M . Caen et Rom er. l’on ait construites, retiendra les disposition de son sol équipé.
Depuis le 15 avril sont projetés à matériaux de remplissage. Com Fournir un terrain artificiel
Paris, au Racine, des films inédits, m encée pendant l’été 1964, la dans une structure spatiale, et
a p p arten a n t au cin ém a qualifié de construction de la presqu’île ar laisser le propriétaire de ce sol
« bis » : tificielle devrait se term iner artificiel libre d ’en faire ce qui
— le premier Dracula, de Browning, cette année. Six ans seront en lui plaît, constitue, on le sait,
avec Bela Lugosi;
— la Gorgone, de T ere nce Fisher;
suite nécessaires pour édifier l’une des idées les plus fécondes
— 2 000 maniaques, de Herschelle sur cette nouvelle « terre » de de la prospective architecturale.
Lewis (sans doute le film le plus 27 hectares une ville neuve pour C ’est cette idée que Manfredi
sanglant de toute l’histoire du 10 000 à 18 000 personnes. G. Nicoletti va appliquer.
cinéma, et le plus humoristi- Les collines artificielles q u ’il a
q u e m e n t noir); U n e ville sculpture conçues sont en effet divisées
— le Désosseur de cadavres, de face à la m e r en secteurs composés d ’élé
William Castle;
L ’originalité du plan de M an ments verticaux reliés par des
— le Fils de Frankenstein, de
Rowland Lee (avec Karloff et fredi G. Nicoletti, c ’est q u ’il planchers qui forment des « te r
Lugosi); concentre tout le volume de rains artificiels» à divers niveaux.
— Rendez-vous avec la peur, un constructions prévues en quel Une partie en sera réservée à
chef-d’œ u vre m éconnu de Jacques ques grands éléments formant des espaces verts, c ’est-à-dire
Tourneur. en quelque sorte une « ville des jardins suspendus, et l’autre
194
A voir
prolonge artificiellement sur la mer
à la construction. Les structures
primaires, com posées d ’élé
ments semblables, pourro nt ai
sément être produites indus
triellement et à bas prix.
Les circulations des véhicules et
des piétons seront bien sûr diffé
renciées, ce qui est la moindre
des choses que l’on puisse au
j o u r d ’hui d em an d e r à l’urba
nisme, et à deux niveaux diffé
rents. Le parking souterrain per
m ettra de ranger 10 000 voitures.
La géologie artificielle ou
une utopie devenue réalité
Dans le secteur sud-ouest, où la
presqu’île artificielle se relie au
terrain existant, la partie m oné
gasque sera consacrée à l’acti
vité commerciale et à l’industrie
légère, et la partie française aux
plages et aux sports. Les col
lines artificielles entourant les
ports seront surtout résiden
tielles, les parties inférieure et
arrière de ces collines étant en forte et cohérente coexiste avec nements du paysage et, surtout,
principe seules réservées aux une vaste diversification d’acti par la possibilité offerte à
boutiques et aux bureaux. Au vités et de formes architectu chaque habitant d’apporter sa
nord-est, le long de la digue, les rales. Les collines artificielles contribution personnelle à l’or
collines artificielles formeront deviennent un autre élément ganisation urbaine. Enfin, la ville
en se rejoignant un vaste es imposant du paysage, au même satellite, de par sa forme unique,
pace couvert, ouvert sur la mer, titre que le Rocher, les pro deviendra une sorte de phare
et destiné à abriter le centre montoires et les zones m onta dans le d écor de la Côte d ’Azur,
commercial. Les surfaces exté gneuses de l’intérieur. C ’est affirmant son individualité dans
rieures de cette colline artifi ainsi que la ville satellite est le caractère de plus en plus ano
cielle en forme de tente seront comprise com me une expé nyme de la production archi
en principe résidentielles. A rience globale ou perçue à la tecturale actuelle. Cette qualité,
l’est de la presqu’île, au-dessous vitesse véhiculaire, ou à partir jointe à l’ouverture de la forme
du Rocher, un centre culturel de nombreuses perspectives urbaine, à l’intervention créa
sera composé de formes tota extérieures à la presqu’île arti trice des habitants et au contact
lement différentes. ficielle. L’échelle du micro retrouvé avec la nature, doit
— La géologie artificielle et le environnement est soulignée par assurer le succès humain du
plan flexible, nous dit Manfredi la grande variation des espaces plan.
G. Nicoletti, recréent en quelque urbains, par les nombreuses Q uand «l’utopie» devient une
sorte l’esprit de la ville médi occasions de surprise et de réalité... Michel Ragon.
terranéenn e typique à flanc de diversité, par l’intérêt continuel I. G ro u p e In te rn a tio n a l d 'A r c h ite c tu r e P ro s
colline, où une unité urbaine q u ’éveillent les différents évé pectiv e.
195
A rchitecture
MUSIQUE
Le Livre des Morts tibétain
a inspiré deux compositeurs français
Livre sacre constituant l’un des plus remarquables et édifiants aussi primitive que puisse p a
documents philosophiques, religieux et historiques que l’Occi- raître une telle tentative.
dent ait jamais reçu de l’Orient, le Bardo Thôdol, qui n’était U n besoin
normalement connu que des spécialistes et curiéux du boud d'exaltation spirituelle
dhisme, vient d’être soudainement projeté dans l’actualité Ces deux œuvres témoignent en
publique, cela de façon curieuse et inattendue, par le biais tout cas, de la part de leurs
de la musique, grâce à deux compositeurs français, Eisa auteurs, non pas seulement
Barraine et Pierre Henry. d ’une recherche subtile sur le
Au cours d’une récente semaine temps où la musique vivante est plan purem ent acoustique et
de musique contem poraine en train d’explorer un univers musical, mais aussi d ’un élan de
organisée avec le concours sonore entièrem ent renouvelé, spiritualité, d ’un besoin d’exal
d ’Olivier Messiaen à la Maison univers inconnu dont les sono tation spirituelle et de com pré
de la Culture de T honon, a été rités étranges ne sont peut-être hension dont les mobiles dé
donnée en première audition pas sans rapports imaginaires et passent évidem m ent, et de
mondiale la Musique rituelle symboliques avec l’intermonde beaucoup, ce que l’on pourrait
(pour orgue, tam-tam et xylo inexploré et mystérieux dont le être tenté de ne considérer que
phone) d ’ Eisa Ba rr aine; et Bardo Thôdol nous entrouvre la com m e du pittoresque ou de
presque aussitôt les disques porte. l’exotisme de pacotille. Nous
Philips, lançant leur nouvelle D e tels rapports, imaginés par sommes loin de cela. Peut-être
collection « Prospective x x r des esprits occidentaux, sont cette imagerie sonore est-elle
siècle», m ettent à la disposi peut-être assez artificiels. Ils ne susceptible de paraître, aux
tion du public l’enregistrement participent peut-être que d ’une initiés, aussi naïve que ce que
d ’une œuvre de Pierre Henry, le sensibilité « romantique » assez nous appelons Yart naïf, mais il
Voyage (œuvre réalisée par des rudim entaire et puérile pour les n’est pas contestable qu ’elle
moyens électro-acoustiques). esprits orientaux authentiques nous ouvre des aperçus extrê
O r ces deux œuvres, toutes adeptes du lamaïsme. Mais il m em ent poétiques sur le Livre
deux conçues, mûries et com n’en reste pas moins que ces des Morts tibétain, lequel ne
posées au cours des années interprétations — je devrais peut être traité avec légèreté
récentes, prennent com me peut-être dire ces imageries — et mérite une réflexion qui va
source d’inspiration, et même sonores du Bardo Thôdol offrent un peu plus loin que l’étude
com me cadre formel, le Bardo un intérêt et une séduction assez d ’un folklore...
Thôdol. Voilà qui mérite une réels et puissants pour que l’on Car le Bardo Thôdol c ’est, je le
considération particulière en un s’y arrête avec attention, pour rappelle, le Livre des Morts tibé
196
A entendre
tain, rituel funéraire adapté et la vie), puis la forme particu et terrifiantes, mais encore parce
adopté au vir siècle de notre lière d ’existence qui suit la mort qu ’avant cela il est une descrip
ère par le lamaïsme, ou boud selon les croyances bouddhiques tion vécue — nous dirions fami
dhisme tantrique, et provenant Mahayana, enfin les formes pos lièrement un reportage — et
d ’une pure tradition tibétaine sibles de la renaissance; d ’autre extrêmement précise de l’agonie
antérieure à cette époque. De part, un manuel mystique ou un vue de l’intérieur par le mo
l’origine de ce livre sacré, nous livre de prières constituant (un ribond lui-même. A ce dernier
ne savons avec certitude qu ’une peu com m e le Requiem des point de vue, on peut penser
chose, c’est que le texte actuel chrétiens) le guide perm ettant que ces textes extraordinaires
lement connu, traduit d’abord de traverser la région mysté proviennent directem ent d’expé
en anglais en 1920, puis en rieuse et inquiétante — l’inter riences eschatologiques fixées
français en 1933, résulte d ’un médiaire séparant une première sur le vif grâce à la dictée de
enseignement héréditaire qui vie d ’une seconde vie - , une grands maîtres en cours d’ago
s’est transmis par une longue partie du rite funéraire consis nie, mais ayant conservé assez
suite de saints et de voyants tant en ce que le lama fait une de lucidité pour transm ettre
ap parten ant à la « T erre aux lecture du Bardo Thôdol devant leurs impressions et sensations
pics neigeux protégée par les l’effigie du défunt. N otons que au seuil même de la mort (c’est
dieux », le Tibet. la traduction du titre Bardo du moins l’opinion du D r W . Y .
Que ce soit avec des instruments Thôdol par l’expression de Livre E v a n s -W e n tz , professeur au
traditionnels de l’orchestre occi des Morts n’est qu ’une approxi Jésus College d ’Oxford, qui a
dental com m e le fait Eisa Bar- mation à l’usage des O cciden introduit en O ccident ce trésor
raine, ou à l’aide du langage taux, mais que le véritable sens de la littérature tibétaine boud
sonore nouveau créé par Pierre serait « libération par enten dhiste du Nord, et qui présente
H e n ry à partir des recherches dem ent dans l’épisode qui suit ici la traduction anglaise du
de vocabulaire des musiques an la mort». lama Kazi D a w a S a m d u p qui fut
ciennem ent appelées concrète Ce texte est fascinant non pas son maître à G angtok Sikkim).
et électronique, les deux com seulem ent parce qu ’il ouvre C ’est d ’ailleurs cette sorte de
positeurs ont suivi de très près notre imagination sur cet inter réalisme du Bardo Thôdol qui
le plan de l’ouvrage et son monde où il va guider l’esprit du autorise, semble-t-il, les inter
déroulem ent en sept épisodes — défunt parmi des visions dont cer prétations sonores que nous en
mais ni l’un ni l’autre, em taines peuvent être effrayantes proposent les deux compositeurs
pressons-nous d ’ajouter, n’ont français, aussi aventureuses que
recherché une équivalence ou puissent paraître des tentatives
une occidentalisation de la m u de ce genre (E isa Barraine s’y
sique funéraire traditionnelle com portant plutôt avec une
tibétaine qui nous est main sensibilité musicale tirant sur
ten ant bien connue grâce à des la mystique, alors que Pierre
enregistrements que l’on trouve Henry, porté par les richesses
facilement dans le com m erce. innombrables d ’un vocabulaire
Il ne s’agit ici que d ’une trans nouveau, s’y manifeste en évo
position ou d’une interprétation c ateur plus réaliste des dif
de sensibilité à partir des images férents épisodes du «voyage»
nées du texte sacré. dans l’intermonde).
197
M u siq u e
m~ conception et la composition
des deux partitions musicales.
D ’abord le découpage du Livre
— et par conséquent des deux
œuvres — dans l’optique du
chiffre 7: le Bardo (littéra
lement: «entre deux») com
porte 49 jours, carré du chiffre 7
lequel plane, com m e dans bien
d ’autres religions et philoso-
phies, sur toute la symbolique
mythologique du bouddhisme
nordique et de l’hindouisme
supérieur. Les deux partitions
sont donc des com mentaires
musicaux des sept zones d’expé
riences constituant le Bardo et
s’étalant successivement sur
« l’état transitoire du m om ent
de la mort», sur les deux pre
miers « états d ’après la mort»,
sur deux des états principaux
de visions hallucinatoires qui d ’autres term es, elles sont les concert qui fut créée en 1963
m ettent l’esprit du mort en formes personnifiées des impul au cours d ’un concert de mu
contact avec des déités soit sions intellectuelles du vivant sique contem poraine donné à
«paisibles», soit «irritées», sur dans son état de rêve a p r è s 'l a Paris en l’église Saint-Julien-le-
un état de choix vers une réin mort.» Ce dernier détail me Pauvre. C ’est cette version défi
carnation, enfin, dernier terme paraît très im portant en ce qui nitive qui nous concerne ici, et
du voyage, état transitoire de concerne les deux œ uvres musi qui vient d ’être enregistrée par
retour dans une réalité de chair cales dont il s’agit ici, ca r il Philips en un disque 30 cm.
nouvelle. O r il est très inté autorise, dans une certaine m e En dépit de ce que pourraient
ressant de noter ici que les deux sure, toute interprétation per laisser supposer les moyens so
épisodes de visions qui m ettent sonnelle et subjective des deux nores employés, le compositeur
le défunt au contact des déités com positeurs pour ces visions, nous offre ici une œ uvre musi
paisibles ou irritées ne sont pas interprétation q u ’il leur est par cale véritable et qui se suffit
des visions réelles et que l’inté faitement permis de laisser à elle-même (non pas un « brui
ressé ne doit pas les prendre surgir de leur subconscient alors tage» scénique, pas plus qu ’une
pour telles: ainsi que le précise même que, grâce à Dieu ou à expérience de laboratoire),
M . Ja c q u e s B a co t qui a préfacé Bouddha, ils sont tous deux en œuvre pensée, imaginée, cons
l’édition française du Bardo vie et se portent fort bien... truite, et porteuse d ’une émotion
Thôdol, ces visions « sont créées d ’ordre authentiquem ent mu
par l’esprit lui-même et n’existent Pierre H e n r y : une conce p tio n sical. Sauf dans les premier,
pas en dehors de l’esprit du impressionniste cinquième et septième mou
mort. C ar ce ne sont que ph an La partition de Pierre Hen ry, le vem ents où interviennent des
tasmes ni plus réels ni plus Voyage, avait d ’abord fait l’objet sons em pruntés à la production
médiats que les mauvais rêves d'un ballet que M au rice Béjart vocale humaine (sons traités
des mauvaises consciences». Et (avec qui Pierre H e n ry a déjà ensuite selon les techniques de
le D r W . Y . E v a n s -W e n t z précise: collaboré depuis 1955 avec Haut la musique concrète), tout le ma
« Elles ne sont que l’halluci voltage, Orphée, et la Reine tériel sonore de l’ouvrage est
nation qui manifeste les formes- verte) créa à l’O péra de Cologne d ’origine électrique et produit
pensées nées dans le mental de en 1962. Par la suite, le com po par les manipulations main
celui qui les perçoit. Ou, en siteur en fit une version de tenant traditionnelles de la mu
198
A entendre
sique électronique (pour ces le fait que l’ouïe est sans doute présence de six matrices repré
deux expressions, voir Planète l’ultime moyen de perception sentant un mode de vie spiri
n" 32). Pierre H e n ry est préci du m ourant: les bruits de la vie tuelle sur la terre; après le
sément l’un de ceux qui, suivant s’éteignent peu à peu dans un choix, un accouplem ent gigan
leur chemin en toute indépen lointain auriculaire, tandis que tesque a lieu. Souffle II fait
dance, ont su faire la synthèse se lève progressivement le vent d ’abord entendre le vent te r
de ces deux techniques, et il est de l’au-delà en une lente succion rible des réalités, et le retour à
l’un des rares à savoir en tirer de souffle qui devient de plus en la terre dure et à la chair dou
un langage vraim ent original et plus puissante. Après la mort I loureuse se fait, tandis que la
expressif. Ajoutons q u ’avant de fait apparaître au loin la claire mémoire se dissout.
se spécialiser dans ce genre de lumière qui peut libérer du D ans tout cela, Pierre Hen ry
composition, il avait effectué cycle des réincarnations, mais déploie une imagination inces
toutes ses études d’écriture clas que des nuages viennent voiler sante, une force poétique puis
sique, notam m en t avec Na dia de leur obscurité. Après la sante, mais sans jamais se livrer
Bou la n ger et O livier Mes siaen : mort II fait revoir à l’esprit, dans aux faciles effets de vacarme
sa formation est donc complète une demi-conscience, son passé auxquels porte aisément la m u
sur le plan musical. terrestre, mais bientôt il est sique électro-acoustique: car
Il est évident que ce nouveau frôlé par des êtres de l’autre toute cette partition est, en son
matériel sonore, insolite et inouï monde et aspiré vers les abîmes. ensemble, d’une extraordinaire
par définition, est ém inem m ent Les divinités paisibles sourient à discrétion, ce qui augmente sans
susceptible de convenir à l’évo l’esprit cependant terrifié par les doute encore sa force poétique
cation d ’une série de p h én o visions de son imagination. Les et son mystère, de même que
mènes aussi mystérieux et inso divinités irritées le terrifient en son incontestable et inquiétant
lites que ceux qui se succèdent core davantage par leurs appels lyrisme. D ’autre part, le com
dans le Bardo. Et il était très à la libération définitive. Le positeur ne tom be jamais dans
te ntant d ’appliquer les couleurs couple est l’épisode où l’esprit du les académismes du genre et
sonores de ce vocabulaire inso défunt, ayant refusé d ’échapper utilise un vocabulaire d’une
lite et inouï à un livre sacré à « la roue de la vie », est mis en frappante personnalité, sans
dont le principe même est celui poncifs, sans formules toutes
d ’une « Libération par l’audi faites. C ’est là une réussite très
tion et la vision» (E v a n s-W e n tz ), troublante.
lente progression dans un uni
vers ténébreux où le défunt voit Eisa Barraine :
se projeter com m e sur un écran plus intellectuelle
les visions que son subconscient En face de cette conception
a conservées des phénom ènes que l’on se risquerait à qualifier
réels terrestres dont il a em m a d ’impressionniste si le mot ne
gasiné les expériences et que devait prêter à tant de malen
son état hallucinatoire lui fait tendus, la conception d ’ Eisa
prendre pour des visions réelles. Barraine est toute différente,
Mais le guide des morts, le réaction qui n’est pas déplacée
Bardo Thôdol, s’emploie à le si l’on songe que l’enseignement
rassurer par la bouche du lama: principal du Bardo Thôdol veut
« Il est suffisant pour toi de que les expériences d ’après la
savoir que ces apparitions sont m ort soient entièrem ent dép e n
les réflexions de tes propres dantes du contenu mental de
formes-pensées» (Bardo « de chaque personne. L’originalité
l’expérience de la réalité », c’est- de cette œuvre, qu ’elle intitule
à-dire épisodes III, IV et V). peut-être un peu imprudemment
Les sept parties du Voyage Musique rituelle, provient non
se présentent ainsi schémati pas de ce que, com m e dans le
quem ent. Souffle I est basé sur cas précédent, elle emploie un m~
199
M u s iq u e
»•" matériel sonore inédit, mais l’orgue conduisant presque fa U n jeune co m p o site ur
d ’un art nouveau de com biner talem ent les èxécutants de cet
des éléments du matériel sonore ouvrage sous les voûtes d’une argentin révélé en
traditionnel, ici l’orgue, le tam- église, celui-ci y prend des France : A d o lfo M in dlin
tam et le xylophone. Cette Mu résonances encore plus amples,
sique rituelle (qui, elle aussi, se plus mystérieuses et plus inso Une personnalité fort intéres
réfère expressément aux sept lites. Au surplus, la combinaison sante vient de nous être révélée
épisodes du Bardo) est moins des tim bres o r g u e - t a m - t a m - dans le cadre de la Maison
appuyée que l’œ uvre préc é xylophone donne naissance à argentine à Paris, centre des
dente sur la pure sensibilité. une chimie auditive dont les activités culturelles de ce pays:
Elle est plus intellectuelle dans effets subtils sont très étonnants. Adolfo Mindlin, qui réside à
la complexe géométrie spatiale Il est difficile au critique mu Paris et qui est l’un des plus
de ses jeux de formes, de sical de prédire quel sera le remarquables musiciens d ’A r
rythmes et de timbres, jeux qui, destin de deux com positions gentine.
dans une certaine mesure, s’ap com m e celles-là. Peut-être ne Le concert, dédié à quelques-
p arentent à certaines sugges s’agira-t-il, au m om ent où l’on unes de ses œuvres, nous a
tions d ’Olivier Messiaen qui est pourra faire les comptes, que de permis d’apprécier diverses
d ’ailleurs un peu le parrain de simples honeggerismes com me facettes de son langage musical
l’ouvrage, parce qu’il l’a tenu tant d ’autres. Mais je ne le expressif et coloré. Des œuvres
sur les fonts baptismaux lors pense pas. Claude Rostand. de solide structure constituaient
de la semaine de Thonon. le program m e: Sonate et T oc
Ici les com mentaires instru cata pour piano, dont la pianiste
mentaux n’ont que de lointains M a rth a Bongiorno, la seule
rapports avec l’authentique Bib liographie artiste argentine de cette soirée,
musique liturgique des monas et discographie fut une interprète fougueuse.
tères tibétains. Eisa Barraine ne Le Bardo Thôdol (Livre des Deux Sonatines, l’une pour
semble d ’ailleurs pas vouloir Morts tibétain), traduction hautbois et l’autre pour violon
cacher qu’elle apporte ici une de M arguerite La F uente — accom pagnées au piano par
sensibilité et quelques formules d ’après la version anglaise l’auteur — furent traduites avec
parfaitem ent occidentales, et du lam a Kazi D aw a Samdup enthousiasme par Yannick
que l’exotisme s’arrête à l’évo éditée par le Dr W.Y. Evans- H eurtault (hautbois) et Jean
cation des symboles, ne voulant Wentz, préface de Jacques Chassaing (violon). Q uatre
pas s’aventurer dans la restitu Bacot. Librairie d ’Amérique M ouvem ents pour clavecin,
tion épigonale d ’un univers so et d ’Orient Adrien Maison- joués avec finesse par M me
nore si particulier et si fulgurant neuve, 11 pl. Saint-Sulpice, Chantai Perrier et, clou du
que celui des musiques du Tibet. Paris, VI% réédition 1965. programme, deux belles œ uvres
Son œ uvre est profondém ent Le voyage, de Pierre Henry, dont l’ensemble Flores Musicae
grave, recueillie, pleine de mys réalisé dans le studio de fut l’interprète idéal. Le soprano
tère aussi, œ uvre où le plus l’auteur, 1 disque 30 cm gra A rm ande Olivier, avec Aline
austère dépouillement et la vure universelle, collection K opp à la flûte, Silvette Milliot
durée longuement étirée joue nt «Prospective x x r siècle». au violoncelle et Nicole Michel
des rôles envoûtants et d ’un Philips édit., Paris 1966 au clavecin et piano, nous a
hiératism e bien liturgique, ( n - 836.899 DSY). fait apprécier tour à tour cinq
œ uvre qui se construit len Musique du Tibet, enregis villanelles composées sur des
tem ent et sourdem ent dans un trem ents authentiques réa poèm es des xv“ et xvic siècles
univers intérieur inquiétant, lisés dans différents monas et Marine, com m andée à l’o c
en des structures rythmiques et tères tibétains, 3 disques casion du tricentenaire de la
sonores dont l’ensemble archi- 30 cm avec brochure. Bàren- fondation de la ville de Sète.
tectonique prend, au fur et à reiter édit., distribution en L’O .R .T .F. vient d ’enregistrer
mesure du développem ent de F rance par Valois-Chant du l’essentiel de ce concert.
l’ouvrage, une grande et réelle Monde. Jean-Claude Raynol.
beauté. Il faut dire aussi que
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