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Tête de roi,
art gothique du XIIF siècle.
Cathédrale de Chartres
7 Editorial
Jean-Jacques pleure et Denis rit 69 LES RÊVES
par Louis Pauwels Le sexe n'est pas la seule d é
par Raymond de Becker
11 L'amour en question
Les rêves sont plus
Pureté, chagrin d'adulte
nécessaires que le som m eil
par Léo Ferré
par Aim é Michel
21 Civilisations disparues
Ulysse est-il allé en Bretagne? 91 Art fantastique de tous les temps
par Robert Philippe Max Ernst et les machinations de la nuit
par Patrick Waldberg
31 Positions Planète
La pensée planétaire, qu'est-ce que c'est? 103 Histoire invisible
par André Amar Les mathématiciens font la guerre sur le papier
par Jacques Bergier
39 Chronique de notre civilisation
109 Humour Planète
Il y a aussi une prospective des vacances
Desclozeaux : une découverte
par Gérard Blitz
115 Personnages extraordinaires
43 Les grands contemporains L'incroyable mage Gustave Roi
Le testament de Norbert Wiener par Pitigrilli
EN VENTE ICI
Jean-Jacques pleure et Denis rit
Louis P auw els
ON NOUS V E R R A N O M B R E U X ET D É C ID É S
Au bilan: Dans les librairies, sur les murs des kiosques, vous avez peut-être vu
une affichette noir et or. Elle représente le visage d ’une petite fille
Des outils dont l’enfance sans enfantillage nous a émus. On peut lire ces seuls
mots: « Trois ans et demi, Planète grandit. »
meilleurs Planète grandit, en effet. Trente-deux pages supplémentaires en font
l’une des revues au monde offrant le plus de lecture. Cet ajout, ainsi
Des amis que des améliorations techniques et rédactionnelles, nous per
m ettent d ’ouvrir davantage l’éventail de nos recherches, études,
nouveaux curiosités. C ’est encore plus de travail et plus de frais. Mais le surm e
nage est notre hygiène, et nous ne sommes pas des marchands. Cette
Et diverses dernière affirmation ferait ricaner les sots et les méchants, s’il s’en
glissait, par erreur ou effraction, parmi nos lecteurs qui savent ce que
plaintes nous sommes, ce que nous faisons et co m m ent nous le faisons. Nous
cherchons à nous exprim er le plus com p lètem ent possible. Pour le
contre reste, développer nos moyens d ’expression en en restant les maîtres,
voilà tout notre appétit.
imbécillité Après trois ans et demi d ’efforts, de contacts, et avec trois éditions
étrangères possédant leur équipe et leur réseau particulier (la der
avec nière est l’édition néerlandaise; une quatrième, allemande, est en ce
m om ent à l’étude), nous avons rassemblé quantité d ’amis et colla
effraction. borateurs nouveaux. Nous avons trop de choses à dire, à montrer, à
faire circuler. Pour chaque numéro, il y a deux fois la quantité de
textes et de documents, retenus parmi dix fois cela. Il faudrait
Éditorial
doubler Planète. Le prix en serait trop élevé. Ou servir à l’histoire des partisans-nés de la liberté
faire une revue mensuelle. N ous ne pouvons pas. de l’esprit. C ’est une histoire paradoxalem ent
Tous ceux qui travaillent avec nous savent que secrète, vécue p ar le grand nombre, racontée par
chaque page publiée est l’objet de mises au point personne, ou presque. C ’est une affaire de grand
complexes, longues — jamais assez à notre gré. public. Et, pour les textes, de quelques m ém oria
Le rythme irait contre la qualité. N ous avons listes maudits.
donc opté p our ce cahier de trente-deux pages et
une typographie plus foisonnante. C ’est un moyen
terme. Il répond tout de même à notre désir de
dépasser notre propre formule. Celle-ci a suscité
des imitations, on le sait. Hélas! elles étaient
moins fidèles que nous l’eussions souhaité, ne
suffisant pas à la tâche. N otre absence s’y faisait
trop sentir. Quel dommage! on n’est pas aidé,
c’est bien vrai. On nous oblige à tout faire nous- grandit
mêmes... 22
Éditorial 9
SH8SË3B3H
Pureté, chagrin d'adulte...
Léo Ferré Photographies de Hubert Grooteclaes
L'amour en question 13
2 ans 1/2: «O rossignol de l'ombre, alouette
iu jour» ( Victor Hugo J.
L'amour en question 15
3 ans 1/2: «O bons petits oiseaux, tout est
fait pour aimer» (v.H.j
L'amour en question 17
4 ans: «N’importe, cest exquis, Cupidon
est bébé» (v.h.)
L'amour en question 19
Ulysse est-il allé en Bretagne?
Robert Philippe, agrégé d 'h is to ire , s o u s -d ire c te u r à t'É cole des H a u te s Études
Dis-moi quels sont ta terre, ta cité, ton peuple, afin que puissent t'y
conduire nos vaisseaux intelligents.
* O DYSSÉE, chant VU1/555. 556.
LE V É R IT A B L E IT IN É R A IR E DE L’O DYSSÉE
Ce que dit Les légendes portent leur poids de vérité. Les découvertes arc héo
l’Odyssée logiques ont souvent montré q u ’elles recèlent la tram e et les
événem ents d ’une histoire lointaine. Le décalage entre la date des
textes et la date des événem ents q u ’ils rapportent oblige seulement
à une transposition. Un exemple : la Chanson de Roland raconte au
xii' siècle une expédition conduite contre l’émir de Cordoue en 785.
Les instructions Les événem ents y sont com plètem ent déformés, mais la peinture de
la société féodale du xir siècle est bonne. L ’itinéraire est celui de
nautiques saint Jacques de Compostelle, utilisé par le conteur pour narrer une
histoire carolingienne travestie. Donc, géographie vraie, histoire
événementielle fausse, témoignage utile. Les légendes grecques
gardent ainsi plusieurs secrets que les archéologues ne sont pas
parvenus à percer. L’itinéraire réel sur lequel H om ère a plaqué
Ce que dit YOdyssée a fait l’objet de nombreuses recherches et interprétations.
la géographie N otre collaborateur R obert Philippe, agrégé d ’Histoire et sous-
directeur à l’École des H autes Études, nous propose une explication
qui a le mérite de coller aux faits géographiques plus nettem ent que
les précédentes. Selon lui, les Grecs se sont engagés, en fait ou en
imagination, plus à l’ouest q u ’on ne le croit, sur les routes du
Notre thèse com m erce phénicien. Cette remarque nous a conduits à une lecture
et nos preuves différente de YOdyssée. Pour l’essentiel, le retour d ’Ulysse serait
un voyage atlantique. C ’est ce que nous allons essayer de dém ontrer
à partir du texte homérique lui-même.
Civilisations disparues 23
Nos preuves C E Q U E D IT L ’O D Y S S É E
Cyclope?
Lotophages ? 4 ♦ L’île d’Aiae, dem eure de Circé. « Une île cou
Iles Acores 'Pays des Lestrygons ronnée par la m er infinie... elle est basse avec des bois et
d ’épaisses chênaies. » (Odyssée / chant X / 195,197).
• Lisbonne ) Le pays des Cimmériens. Aller et retour au pays des morts
que garde Hadès. « Là se trouvent la ville et le pays des
Cimmériens, couverts d’un voile de brouillard. »
(Odyssée / chant X I / 14,16).
Circé indique à Ulysse la route de son retour. Elle le met
'g Ile d'Eolie.
en garde contre les principaux obstacles:
^Madère, a / Les Sirènes. « D ’abord tu croiseras les Sirènes qui
ensorcellent tous les hommes, quiconque arrive en leurs
Jés Lotophages parages. »
b / Les écueils. Itinéraire embrouillé. Deux routes :
° ^ lle ju îyclo p e
« L’une passe entre deux roches en surplomb... Aucun des
Iles Canaries vaisseaux qui l’atteignit n’en réchappa. »
« L’autre atteint deux écueils: l’un est un rocher lisse et
qu’on croirait poli; à m i-hauteur du roc on voit une grotte
em brumée... Là dem eure Scylla. Le second écueil est plus
bas, mais à portée de flèche du premier. La divine Charybde
engloutit là-dessous l’eau noire. »
c / L’île du Trident. Une île riche en vaches et en moutons,
où tout est sacré; une escale à éviter.
(Odyssée / chant X II / 39 et suivants).
N OTRE LOCALISATION DANS L ’ATLANTIQUE CE QUE DISENT LES MANUELS DE G É O G RA PH IE
Civilisations disparues 29
Nietzsche
tentation
l'abîme monde
et du fini
surhomme commence
La pensée planétaire, qu'est-ce que c'est?
A ndré A m a r, professeur de philosophie à l'in s titu t d'Etudes politiques
et après?
Positions Planète
positions principales des penseurs européens. ram ener la force et la vie. Il faut donc accélérer
Nous choisissons trois positions: Nietzsche, le m ouvem ent et hâter le déclin p our faire revenir
Valéry et Heidegger. les forces vives; c ’est cette attitude de désespoir
actif qui s’appelle le nihilisme.
N IE T Z SC H E OU L’A N N O N C E Telle est la position d ’en penseur qui est bien plus
DE LA D É C A D E N C E un visionnaire q u ’un logicien. La folie frappe
Nietzsche, irrémédiablement, vers 1890, mais,
Frédéric Nietzsche est né en 1844. Sa formation quand son œuvre s’arrête, le germe de mort de la
première est philologique, et, à travers la philo civilisation occidentale a été dénoncé par
logie, il saisit dans son expression la plus concrète l’intuition du philosophe-poète.
la pensée grecque, c’est-à-dire l’assise de la
pensée occidentale. Cette assise supporte la VALÉRY OU LE C O M M E N C E M E N T
pensée chrétienne et la pensée scientifique. DE LA FIN
Au m om ent où Nietzsche atteint l’âge d ’homme,
la civilisation européenne acquiert une force A la fin de la Première G uerre mondiale, Valéry
d ’expansion, une agressivité qui la font se a atteint la cinquantaine. Ses écrits sur la crise
répandre sur la terre tout entière et en quelque de l’esprit paraissent d ’abord en langue anglaise
sorte l’encercler. En effet, entre 1865 et 1870 se en mai 1919. T rente ans avant que l’Europe ne
produisent, presque sim ultanément, trois évé perde effectivement ses colonies, ses pro tec
nem ents majeurs: la grande loi sur les Sociétés torats, ses zones d ’influence, Valéry prévoit que
anonymes, en France —le perc em e nt du canal de les peuples non européens, en recevant de
Suez — la publication du Capital, de Karl Marx. l’Europe le secret de ses sciences et de ses
La conjonction de ces trois événem ents est signi techniques, acquièrent une force qui tend à se
ficative: la structure juridique de la Société an o dresser contre l’Europe elle-même. « N ous avons
nyme p erm et d ’enchaîner l’économie mondiale; étourdiment rendu les forces proportionnelles
le canal de Suez ouvre à l’Europe conquérante aux masses.» L’Europe tend à devenir politi
la plus grande route de com munication m ar quem ent ce q u ’elle est en réalité, c ’est-à-dire « un
chande et militaire; le Capital dessine un front petit cap du continent asiatique ».
prolétaire international face au frônt capitaliste Simultanément, se produit un autre phénom ène:
international. En cette fin du xix' siècle, l’Europe, un changem ent d ’échelle dans les dimensions de
forte tout à la fois de ses finances, de sa science, l’Histoire. Le progrès des communications a pour
de sa force militaire, de ses idées sociales, effet de tasser, de serrer les unes contre les
envahit le reste du monde et prétend lui apporter autres toutes les nations du monde et de rendre
la civilisation et le progrès. C ’est à ce m om ent l’humanité, dans son ensemble, plus dense, plus
précis que Nietzsche dénonce la décadence des com pacte, plus solidaire. Il n’y a plus d ’évé
temps modernes. Les valeurs de l’argent, de la nements localisés; toutes les guerres m enacent
politique, de la science sont, à ses yeux, de devenir des guerres mondiales. « Le temps du
contraires à la seule véritable valeur qui est celle monde fini com m ence » (Regard sur le monde
de la vie. La vie, c ’est-à-dire la puissance de actuel, avant-propos). Que faire alors? Valéry ne
création, est submergée par la civilisation du répond pas nettem ent à cette question, ou plutôt,
troupeau, par la vulgarité des masses, par la servi s’il y répond, c ’est par une conduite de vie toute
tude économique, par le conformisme moral, par personnelle: dans la tourm ente, il maintient et
l’érudition desséchée et stérile. Nietzsche établit protège la flamme de l’esprit. C ’est que seul
le diagnostic biologique de son époque: asthénie, l’intellect l’intéresse: « Les choses du monde ne
débilité, impuissance. Cette d écadence laisse m’intéressent que sous le rapport de l’intellect:
cependant subsister un espoir. La loi de l’éternel tout par rapport à l’intellect » {La Crise de /’Esprit,
retour doit suivre son processus circulaire et p. 23). A m ant de la beauté pure, de celle qui n’est
32 La pensée planétaire
perçue que par l’intelligence la plus lucide et la d ’un procédé tout machinal qui reviendrait à
plus consciente, il poursuit, dans un monde travailler à coups de dictionnaire. Il s’agit bien
violent et confus, sa création poétique. plutôt d ’une méditation sur la genèse des mots,
une rem ontée à la source, jusq u ’à éclairer le sens
H E I D E G G E R OU LA D IST IN C TIO N premier dans toute sa pureté. D ’après Heidegger,
E N T R E SCIENCE ET PENSÉE l’homme occidental est, intellectuellement parlant,
com me un voyageur qui s’est égaré. Pour
Que dire de H eidegger et com m ent en parler retrouver la bonne route, il faut qu’il rebrousse
sans p éné trer dans une philosophie des plus chemin jusq u ’au carrefour initial pour s’engager
difficiles? Et pourtant, la pensée de Heidegger dans la bonne direction. Ce carrefour initial,
est essentielle à notre époque. Et encore q u ’il cette pensée originelle, c ’est celle des philo
soit toujours risqué de la simplifier et de la tra sophes pré-socratiques, il y a deux mille cinq
duire, il faut pou rtant oser le faire, car son cents ans, lorsque la pensée riche et vivante dans
analyse de la modernité n’a jamais été dépassée. son unité ne s’était pas encore brisée et pulvé
Le thèm e central de cette analyse est, à notre risée dans les différentes disciplines. Heidegger
avis, le suivant: « La science ne pense pas» nous convie donc à une destruction du langage,
(Essais et Conférences, p. 157). Cela veut dire: la rrïais à une destruction qui conduit à une renais
science cherche, enregistre, observe, combine, sance puisqu’elle p erm ettra un jo u r de renouer le
mais la pensée est autre chose que la recherche dialogue avec les premiers penseurs grecs. Mais,
scientifique. Sans vouloir entreprendre une labo ajoute-t-il, « ce dialogue attend encore d ’être
rieuse définition de la pensée, q u ’il nous suffise, com m encé. C ’est à peine s’il est seulement p ré
pour faire com p rendre au lecteur la position de paré, et lui-même, à son tour, dem eure pour nous
Heidegger, de faire rem arquer q u ’une question la condition préalable du dialogue inévitable avec
sur les m athém atiques ou sur la physique, n’est le monde extrême-oriental » (Essais, p. 52).
pas un problème de m athém atique ou un pro
blème de physique. La physique et la m athé DE LA PENSÉE E U R O PÉ E N N E
matique ne peuvent rien dire sur elles-mêmes: À LA PENSÉE P L A N É T A IR E
« La physique en tant que physique ne peut rien
dire au sujet de la physique. Tout ce que dit la Ainsi, au sein de cette Europe qui s’interroge sur
physique parle le langage de la physique. La ph y elle-même et qui reste d éco ncertée devant sa
sique elle-même n’est pas l’objet possible d ’une propre dégénérescence, les penseurs européens,
expérience physique... Il reste donc établi que les dans leur ensemble, se groupent autour de ces
sciences sont hors d ’état de se présenter jamais trois positions:
elles-mêmes com m e sciences par les moyens de Nietzsche est un désespéré qui n’est sauvé du
leurs théories et par les procédés de la théorie» suicide que de justesse, grâce à la foi en l’éternel
(Op. cit., p. 73). Il s’agit donc de rechercher l’être retour de la vie.
même des choses, c ’est-à-dire le fondement de Valéry se tient en retrait du chaos et du désordre
toutes les œ uvres humaines, que ces œuvres p our préserver la lueur de l’esprit.
soient des théorèmes, des techniques ou des H eidegger prétend que ni morale ni politique ne
œ uvres artistiques. La pensée apparaît alors peuvent être rénovées tant que nous ne serons
com me la recherche du fondamental, de l’ori pas retournés à la source pré-socratique et,
ginel, et Heidegger dira que « la pensée est la jusq u ’à ce que ce long travail de reconstruction
pensée de l’Être» (Lettre sur /’H um anism e, p. 33). soit accompli, la réponse de l’Europe au monde
Pour procéder à cette recherche essentielle, non européen d em eure forcément en attente.
Heidegger estime avoir trouvé une méthode De ce rapide examen, il faut retenir que, depuis
intellectuelle: découvrir dans le langage la une centaine d ’années, le thème central de la
pensée qui y est enfouie. Il ne s’agit pas d ’ailleurs pensée européenne est devenu une autocritique
Positions Planète 33
de la civilisation européenne. Or, l’E urope est est dilatée à l’échelle de nos instruments
responsable du monde moderne. M êm e si à d ’agression. La vision de la Terre com me champ
l’heure présente l’expansion européenne semble de bataille unique est une vision planétaire. C ’est
term inée, il reste que le monde tout entier a été la vie de la planète tout entière qui est en danger
moulé par elle. Si des peuples s’opposent politi du fait des guerres modernes.
quem ent à l’Europe, c’est au nom de doctrines
socialistes ou marxistes, c’est-à-dire de doctrines CE Q U E NOUS RE D O U T O N S
importées d ’Europe, com m e sont im portées les ET CE Q U E NOUS C H E R C H O N S
sciences, les techniques et les armes. Trop
absorbés par leurs tâches quotidiennes, ces Mais la vie de la planète n’est pas mise en
peuples ne semblent pas, au moins pour l’instant, danger seulement par la guerre. L’expansion
ap porte r au monde une pensée nouvelle. Et du industrielle, la dévastation des ressources natu
côté de l’Europe? En définitive, c’est seulement relles, la poussée dém ographique, l’extension et
dans cette E urope qui se rétrécit que l’on cons l’encom brem ent des cités créent aujourd’hui des
tate une continuation de la pensée: le problème conditions économiques qui n’avaient jamais été
de la modernité n ’est pas seulement le problème connues auparavant. Tout individu est non seu
de la civilisation européenne, il est devenu le lement un consommateur, mais un agent de
problèm e du monde tout entier et c ’est ainsi que pollution. Les économistes, les biologistes, les
la pensée occidentale n’a q u ’à maintenir sa agronomes prétendent que, dans bien des cas, la
direction p ou r aboutir à la pensée planétaire. cadence des pollutions et des dévastations
Que signifie le mot « planétaire »? dépasse déjà celle des reconstitutions. Il apparaît
ainsi, et de plus en plus, une stupéfiante solidarité
N O T R E VISION P L A N É T A IR E des problèm es économiques, si bien que les agis
sements de l’hom m e ne peuvent plus être laissés
La T erre que nous habitons, nous l’appelons la au hasard de l’hum eur ou de l’agressivité des
planète. Que la Terre soit vue com me planète individus et q u ’il faut discipliner tous les com por
signifie d ’abord que nous la replaçons dans le tem ents économiques, y compris, et surtout, la
cosmos. Jusqu ’à ces dernières années, le cosmos procréation. Quand nous essayons de préfigurer
nous apparaissait com m e un horizon astral placé les modes de notre existence dans seulement
devant nous, mais hors de nous. A ujourd’hui, si deux cents ans, nous sommes terrifiés par des
peu que ce soit, nous avons pénétré dans le problèm es de surpopulation, de pénurie et de
cosmos, nous avons su quitter la Terre, annuler destruction qui nous paraissent insolubles. Pour
sa force d ’attraction. Nos points d ’observation l’Européen d ’aujourd’hui, toute vue prospective
se sont déplacés: c ’est du cosmos m aintenant est une vue pessimiste, alors que, po u r son
que nous voyons la T erre, non seulement par arrière-grand-père, qui croyait à la libération de
image réfléchie, mais directem ent, par transport l’hom m e par la science, cette vue était optimiste.
physique d ’observateurs humains. Planète signifie Nous redoutons aujourd’hui l’asservissement de
que nous prenons une vision cosmique de la l’hom m e p a r la surpopulation, p a r l’exaspération
Terre. d’une civilisation mécanisée, par la dévastation
Planète signifie aussi que désormais l’action poli de la nature, par l’accum ulation de déchets
tique se déploie dans un champ multi-dimensionnel inutilisables et indestructibles.
qui com prend les terres habitées, les déserts, les Q uand donc nous prononçons le mot planète, que
calottes glaciaires, les profondeurs marines, les nous replaçons la Terre dans le cosmos, nous
couches concentriques de l’atmosphère. Nos avons l’impression que nous avons pointé une
cartes stratégiques, projetées suivant l’axe des minuscule lueur de vie et d ’intelligence dans un
pôles, déform ent les contours que nous connais univers noir et glacé. Dans cette perspective
sions des continents et des océans. La guerre planétaire, le Terrien apparaît jusq u’à présent
34 La pensée planétaire
com me le seul agent de vie, et en dehors de lui il
n’y aurait rien. Q u ’il faille chercher la rigueur de la pensée, c ’est
Et alors, l’hom m e occidental, après avoir pris dire que la pensée n’est pas une sécrétion physio
conscience du monde q u ’il a créé, se dem ande logique de l’homme, une hum eur qui suinterait
aujourd’hui quelle pensée constructive et non naturellement et dont il n ’y aurait qu ’à recueillir
plus critique peut venir prendre la relève de nos les gouttes. En un sens, rien de moins naturel que
philosophies et de nos religions. la pensée. Il faut vouloir penser et aller au-delà
Le surhom m e de Nietzsche? Au fond, nous n ’y de la confection des images mentales. La pensée
croyons pas. Parce que le surhomme implique le est une exigence et non pas une fonction. M ain
troupeau et que c ’est justem ent le troupeau q u ’il tenir la vie de la pensée, ce n’est donc pas
faut sauver. La retraite poétique d ’un Valéry? s’ab ando nner à des rêveries même spiritualistes.
Mais dans nos temps troublés, pourrait-elle être Il est si com mode, si facile de laisser filer l’imagi
autre chose qu ’une vie conventuelle comme nation loin des choses et d ’atteindre la mystique
celle des religieux dans le haut Moyen Age? La à peu de frais. Notre époque, en dépit ou plutôt
réforme intellectuelle de Heidegger? Oui, il est à cause de son excès de mécanisation, cherche
vrai q u ’il nous faut rem placer la recherche scien à tâtons une compensation mystique. On la
tifique par la méditation, substituer à des équipes trouve où l’on peut, les uns dans la crainte et
d ’ingénieurs et de techniciens, les artisans de la dans le trem blem ent de l’angoisse chrétienne,
pensée. Mais com m ent vivre pendant ce temps, les autres dans l’immobile sagesse du boud
et sur quelles bases? dhisme. Mais on ne saute pas à pieds joints dans
Pour q u ’une réforme intellectuelle soit possible, la mystique. L’esprit doit forcer toute l’opacité
encore faut-il ne pas vivre à contre-courant, du présent avant de d éb oucher à l’air libre, et
assurer des règles de pensée et, com m e dirait c ’est à vaincre cette résistance q u ’il prend sa
Descartes, se faire une morale par provision. force. Une pensée qui se veut rigoureuse et qui
Sans doute ne peut-il s’agir de vérités définitives, refuse d ’être seulement une confuse aspiration
mais encore faut-il que la pensée planétaire ne nostalgique ne peut faire com me si l’axiomatique
soit pas simplement le spectacle panoram ique de m athém atique, la physique de l’atome, la psycha
nos problèmes, il faut q u ’elle suscite une règle nalyse ou le marxisme n’avaient jamais existé.
de vie. L ’esprit ne se trouve q u ’au Point de Convergence
de toutes les voies de l’intelligence. Ce que le
Cette règle de vie, c ’est la préservation de la M atin des Magiciens et les écrits de Planète
vie, ce qui implique d ’agir sur deux plans à la fois, ne cessent de rappeler, c ’est que le Point de
l’un, intellectuel, l’autre, moral. Convergence est la fusion finale de l’algèbre,
Sur le plan intellectuel, le but à atteindre est de de la poésie, de l’esthétique, de la physique,
conserver la vie de la pensée. Par la pensée, nous de la mythologie.
n’entendons pas l’efficacité et la rentabilité d ’une
machinerie logique au service de nos laboratoires Le fantastique est ainsi la première étape dans
et de nos usines, mais l’aptitude de l’esprit à l’itinéraire de la pensée, mais le fantastique n ’est
analyser, à approfondir, à critiquer, à discuter, jamais que la figure insolite du réel et il rentre
à enrichir ses propres conceptions. dans l’ordre quand l’intelligence s’en saisit.
Penser, c ’est, pour com m encer, faire serment de Penser, c ’est préserver le Point de Convergence.
rigueur. « Nous devons, dit Heidegger, apprendre Q u ’on l’abandonne, et la pensée s’étiole et meurt.
à lire un livre tel que A insi parlait Zarathoustra, Nous disons la pensée, non la faculté de lier, de
avec la même rigueur q u ’un traité d ’Aristote; non combiner, de calculer, de mesurer. Nos usines ne
pas d ’une façon identique, bien entendu, mais de s’arrêteront pas pour autant, ni nos laboratoires,
la même façon» (Q u’appelle-t-on penser? Trad. ni nos bureaux d ’études, ni nos équipes de cher
française, p. 113, P.U.F.). cheurs. Au contraire. Com me on peut aujour-
Positions Planète 35
d ’hui automatiser la production, on peut aussi en a l’air, si elle ne retourne pas plutôt à la
automatiser la recherche, la découverte et la pureté de ses origines. « J ’ai mis devant toi la
décision. Il n’est point besoin de penser pour vie et la mort, la bénédiction et la malédiction.
cela. La pensée et les questions q u ’elle pose, et Choisis la vie afin que tu vives, toi et ta postérité,
les doutes q u ’elle suscite, seraient plutôt une pour aimer l’Éternel ton Dieu, pour obéir à sa
entrave. Produits et brevets s’accum uleront et voix et pour t’attacher à lui: car de cela
s’empileront par l’effet d ’une génération en dépendent ta vie et la prolongation de tes jours... »
chaîne, et la planète en sera couverte, ju s q u ’à (D eutéronom e, 30, 19-20).
étouffer et à perdre la vie. Choisis la vie... Toute une morale économique
découle de ces mots: le repos périodique pour
N O T R E M O R A L E DE LA VIE l’homme, p our la bête et pour la terre; la remise
des dettes; l’ém ancipation de l’esclave; l’assis
Car, enfin, c ’est la vie elle-même qui est main tance aux déshérités. « Quand vous ferez la
tenant en cause, la vie m enacée par l’agressivité moisson dans votre pays, tu laisseras un coin de
des vivants, par leur agressivité militaire, écono ton cham p sans le moissonner, et tu ne ramas
mique, prolifique. La morale planétaire, c ’est la seras pas ce qui reste à glaner. Tu ne cueilleras
morale de la vie. Il ne s’agit plus seulem ent de pas, non plus, les grappes restées dans ta vigne
préserver la propriété ou la famille ou les droits et tu ne ramasseras pas les grains qui en seront
du voisin, mais une valeur beaucoup plus élém en tombés. Tu abandonneras cela au pauvre et à
taire, la vie elle-même, conçue com me la condi l’étranger» (Lévitique, 19, 9).
tion fondamentale de l’existence humaine. Choisis la vie... La pensée planétaire ferme le
Mais parler d ’une morale de la vie n’est q u ’un cercle sur les paroles premières de la civilisation
propos creux et fade tant q u ’on ne regarde pas en occidentale. Développée, étendue, prolongée,
face dans quels risques effroyables on s’engage. elle n ’aboutit ni à un pan o ra m a scientifique, ni à
Faut-il, pour m odérer les naissances, contin un schéma intellectuel, ni à une prospective
genter la procréation? Faut-il, pour ralentir la sociale, mais à une morale. Et la modernité
dévastation de la nature, briser l’élan éc o s’épanouit dans le recom m encem ent.
nomique? Et vers quoi devra-t-on dériver les
forces de travail rendues ainsi disponibles? NO US SO M M ES EN P LEIN E
Faut-il, pour protéger la santé physique et psy RÉVISION DES VA LEU RS
chique, allonger les temps de repos et bouleverser
ainsi la structure de nos prix de revient? Faut-il, Les époques critiques m ènent soit à l’anarchie,
pour nourrir les peuples affamés, rationner les soit à la révision profonde des valeurs. L’Europe
peuples repus? Quelles masses d ’intérêts, de a connu l’anarchie du vc au X' siècle, quand elle
superstitions, de tabous, d ’angoisses ne faudra- manquait de sécurité politique et q u ’elle était
t-il pas alors secouer? Nous verrons se dresser soumise à la violence et au pillage. Elle l’a
en fureur les traditions les plus sacrées, la connue aussi au xvp siècle pendant les guerres de
Famille, la Religion, la Propriété, le Travail, Religion. Mais, jusq u ’à présent, elle a chaque fois
la Patrie, mais la morale de la vie ou ne sera surmonté l’anarchie p a r la révision des valeurs,
q u ’une manifestation verbale, ou elle osera au x i i p siècle avec la pensée thomiste, au xvir
mettre en question les affirmations les plus avec la pensée cartésienne.
communes, les plus populaires de la civilisation Nous vivons une époque de désarroi: nous sup
anté-planétaire. portons mal le choc de l’accélération technique
Pour tout bouleverser? Pour tout détruire? Ce et scientifique; nous ne maîtrisons ni l’excès de
n’est pas certain. A regarder les choses objecti population, ni l’excès de pollutions, ni les inéga
vement, on peut se dem an d e r si la morale de la lités économiques entre les différents peuples.
vie est réellement aussi révolutionnaire q u ’elle Mais nous fabriquons des armes, nous multiplions
36 La pensée planétaire
les cités industrielles, et tantôt nous m enaçons la
vie par les moyens de destruction guerrière et
tantôt nous la menaçons par l’épuisem ent des
ressources naturelles et par la rupture des équi
libres écologiques. Si nous ne réagissons pas,
nous risquons de nous enfoncer dans une ère de
«barbarie scientifique», pour reprendre un mot
de Paul Valéry. Mais nous pouvons aussi opter
pour la révision des valeurs et, com me le fit
Descartes, prendre appui sur notre doute pour
accéder à la confiance.
Que la pensée planétaire parte d ’un monde
présent pour créer par la raison un monde
nouveau, signifie q u ’elle reste dans les lignes de
force des grands penseurs de l’Occident. Elle André Amar, ancien élève de l'École
prend sans doute naissance dans l’ébranlement Norm ale supérieure (prom otion 1929).
même de la pensée occidentale, mais elle signifie Professeur à l'in s titu t d'Études po li
que l’hom m e m oderne refuse de s’a b a n d o n n er à tiques de Paris, depuis 1948. Son
enseignement à l'I.E.P. a porté sur
l’absurde.
l'histoire de la philosophie euro
Et p eut-être cet Occident, dont un peu partout on péenne et sur la m éthodologie de
se complaît à d énoncer le déclin, ne fait-il que l'explication des textes.
dépouiller ses formes anciennes avant de prendre Objet actuel des recherches : les
une nouvelle figure de l’universel. conséquences politiques et sociales du
ANDRÉ AM AR. développement scientifique.
Positions Planète 37
Il y a aussi une prospective des vacances
G érard B litz
Sur toutes les côtes de la M éditerranée et de Dans de nombreux pays, en France en particulier,
l’Atlantique sud, nous assisterons très vite à un les plans d ’am énagem ent du territoire seront lar
développem ent du nautisme q u ’impose la con gem ent influencés par le besoin de donn er aux
joncture actuelle: dém ographie explosive, satu loisirs leur infrastructure nationale. L’urbanisme,
ration des bords de mer où les places et terrains l’habitat, les réseaux routier, ferré, navigable
deviennent chaque année plus insuffisants. Jus furent au xix' siècle soumis à l’ère industrielle.
q u ’à présent, la m er a été à peine effleurée par L ’équipem ent du pays sera dem ain largement
le m o uvem ent touristique alors q u ’elle offre un calculé en fonction des nécessités-vacances:
cham p d ’action sans limite, l’air le plus pur et la parcs de week-end, zones naturelles protégées,
liberté totale. Sur terre, tout se trouve limité, réserves nationales, ports de plaisance. Il est clair
circonscrit, possédé, occupé, alors que la notion q u ’un tel équipem ent doit être planifié par l’État,
de propriété est abolie sur les étendues marines armé de lois antispéculatives. La commission
ouvertes à tous. Les portes de la mer s’ouvriront «Loisirs de plein air», dépendan t en F rance du
dans les ports de plaisance multipliés. haut-comité des sports, a proposé de transform er
six pour cent du territoire national en sites de
Le problèm e des bateaux prenant une acuité vacances. Deux mille parcs de week-end devraient
nouvelle recevra une solution nouvelle. Il sera être aménagés dans le district de Paris.
résolu p a r le système de l’appropriation im m é Cette politique qui débouche nécessairem ent sur
diate. Dans tous les ports de plaisance, se tro u la synthèse des vacances, du plein air et des sports
veront des « parcs de bateaux » dont on aura ne peut être m enée que par l’État. L’Éducation
appris à se servir à l’école entre une leçon de nationale elle-même reflétera cette évolution
géographie et un cours de gymnastique. Ce n ’est quand les jeunes Français apprendront à l’école
pas une idée nouvelle. Au x v ir siècle, on pouvait à se servir d ’un bateau, à m on ter à cheval, à pra
galoper de Paris à F lorence en utilisant des tiquer les sports de compétition. Il devient urgent
chevaux de poste. De la mêm e façon, on dispo de penser à cette préparation de la jeunesse à une
sera de bateaux q u ’il sera aussi facile de louer société différente.
q u ’hier un cheval, q u ’au jo urd’hui une voiture Jusqu’où ira le développem ent du phénom ène
sans chauffeur. Ceux dont l’hum e u r sera moins vacances et loisirs? C e développem ent sera for
nomade pourront même expérim enter au large cém ent limité.
des côtes les maisons sous la m er qui seront Les loisirs de la fin de journée, dégagés par l’appli
l’équivalent des refuges de haute montagne. cation du principe de la journée continue, les
Si elles impliquent naturellem ent un vaste finan loisirs de fin de semaine — celle-ci étant réduite
cement, ces créations nouvelles ne se traduiront à quatre jours de travail — retireront au besoin
pas par des dépenses élevées; l’amortissement d ’évasion son caractère obsessionnel; ils dimi
sera facile, étant donné le grand nombre d ’usagers nueront la violence de la pression actuelle en
et leur répartition sur des saisons de plus en plus faveur des grandes vacances. Ce besoin de
longues, de plus en plus étalées. vacances (être vacant) étant satisfait, un équi-
UN D O C U M E N T E X C E P T IO N N E L
A sept ans, il annote
Avec N orbe rt W iener vient de disparaître un des esprits les plus
les études que son brillants et les plus curieux du x x c siècle.
génie provoque Par son père, linguiste distingué qui avait émigré de Russie en
Amérique, il descendait du célèbre médecin et philosophe de
Il entre à l’université Cordoue, Maïmonide, «le Platon israélite» (1135-1204). Un autre
à onze ans ancêtre, A quiba Eger, grand rabbin de Poznan de 1815 à 1837,
s’était signalé par sa défense de la tradition mystique kabbaliste
Très à Taise dans et ses efforts pour d éto urne r les Israélites de la recherche scien
quatorze langues tifique; parfait échec, si l’on considère leur rôle primordial dans
la formation de la science moderne.
L’un des plus grands N orbert, né en 1894, fut dès sa septième année un enfant prodige
mathématiciens étudié par les éducateurs. Entré à l’université à onze ans, il était à
du monde dix-huit docteu r ès sciences de Harvard. Il y fut élève de Santayana,
un des principaux philosophes américains, et, à Cambridge, celui
Il est le père du m athém aticien et moraliste britannique Bertrand Russell. De
de la cybernétique 1919 à sa mort, en 1964, il fut professeur et ch ercheur au Massa
chusetts Institute of Technology, le fameux M.I.T.
Mort en 1964, Il a lui-même étudié son étonnante personnalité dans deux ouvrages
son testament sur d ’autobiographie, Ex-prodige et Je Suis un M athématicien. M a th é
« Cybernétique et maticien, certes, un des premiers analystes de son temps, auteur
aussi d ’un roman, le Tentateur, et de nouvelles de science-fiction,
Religion» est ici c ’est surtout comme père de la cybernétique q u ’il a atteint la
révélé par Planète renom m ée mondiale. Mais q u ’est-ce au juste que la cybernétique?
Dans son texte fondamental publié en 1948, Cybernetics, il la
46 Dieu et le Golem
règles fixes, où le critère de réussite est de gagner rem ent battu par elle. En un jo u r ou deux
la partie conform ém ent à ces règles. d ’apprentissage, elle emmagasinait dans sa
Certains jeux ont atteint une perfection telle «m ém oire» l’expérience des parties jouées et
q u ’ils n’ont plus d’intérêt. Théoriquem ent, tous surpassait son adversaire humain, son créateur. Il
les jeux peuvent être conduits à cette perfection. faut noter que Samuel n ’était pas, au départ, bon
Mais certains, com me les échecs et les dames, ne joueur. Finalement, il se perfectionna assez pour
sont pas encore achevés; ils représentent encore l’em porter. « Cela ne diminue pas l’importance du
de véritables compétitions de perspicacité et fait que la machine fut pendant une période la
d ’intelligence. gagnante habituelle. Elle gagna, et elle apprit à
On peut supposer q u ’un être omniscient, tel que gagner; et sa m éthode d ’apprentissage n’était pas
Dieu, trouverait les échecs et les dam es sans différente de celle d ’un être humain. Il est vrai
intérêt. D ’une façon générale, quel jeu n ’est pas, que le choix des tactiques possibles à un joue u r
pour Lui, achevé? Et pourtant, Dieu semble mécanique est certainem ent plus limité que celui
entreprend re des parties avec Ses créatures. C ’est ouvert à un joue ur humain; mais il est vrai aussi
le thèm e du Livre de Job, dans la Bible, ou du que le choix possible à un joue ur humain n ’est pas
Paradis Perdu3. « D an s ces deux œ uvres reli illimité. Il ne peut être restreint que par les
gieuses, le diable est présenté com m e jou ant limites de son intelligence et de son imagination;
contre Dieu, avec en enjeu l’âme de Job ou celles ces limites sont pourtant bien réelles, et pas
de toute l’humanité... Mais si le jeu se passe essentiellement différentes de celles qui res
vraim ent entre Dieu et une de Ses créatures, il treignent la machine. »
paraît à première vue une lutte misérablement Les dames sont un jeu facile. En comparaison, les
inégale. Jouer contre un Dieu om nipotent et échecs sont considérablement plus complexes et
omniscient est l’acte d ’un imbécile; et, nous les machines conçues pour ce jeu restent som
dit-on, le diable est un maître de la ruse. Tout maires: elles ne dépassent pas le niveau de
soulèvement des anges rebelles est voué à l’am ateur moyen. Pourtant, l’opinion des experts
l’échec, il n ’est pas besoin que Satan se donne est que les échecs seront « terminés » d ’ici environ
la peine d ’une révolution pour le prouver. Ou vingt-cinq ans. « Si les méthodes des Russes
alors, cette om nipotence qui doit s’établir par des (elles-mêmes plutôt mécaniques) ne l’ont pas
bom bardem ents d ’éclairs n ’est pas une véritable achevé avant, le travail des machines lui aura ôté
om nipotence, seulem ent une force immense, et la son attrait pour les joueurs humains. »
Bataille des Anges aurait pu se term iner avec
Satan sur le trône céleste et Dieu jeté dans la A U -D E L À DE CE Q U ’É C R IT W IEN ER...
dam nation éternelle 4.
» Donc, si nous ne nous égarons pas dans les Je crois (G. Veraldi) avoir rendu assez fidèlement
dogmes de l’om nipotence et de l’omniscience, le la pensée de l’auteur, jusq u ’ici très claire. Mais il
conflit entre Dieu et le diable est un conflit réel, me semble nécessaire de prendre m aintenant le
et Dieu est en quelque façon moins q u ’abso relais.
lument tout-puissant. Il est en lutte avec Ses 1. Quand les affirmatiohs de l’auteur sont particulièrem ent im portantes
créatures et peut perdre la partie. Pourtant, et hardies, je les traduis littéralem ent pour éviter le moindre risque
de confusion et pour dégager ma responsabilité. J’indique cela en
Ses créatures sont faites par Lui et semblent em ployant les guillemets. (G.V.).
tenir de Lui toutes leurs possibilités d ’action. 2. Some Sîudies in Machine Learning, Using the Game o f Checkers, IBM,
Journal of Research and Development, juillet 1959).
Dieu peut-Il jo u e r avec Ses créatures un jeu qui 3. Chef-d’œ uvre de John M ilton (1608-1674). A près une carrière poli
ait une signification? N ’importe quel créateur, tique agitée dans le parti puritain de Cromwell, devenu pauvre et
aveugle, il dicta à ses filles ce poèm e en douze chants qui raconte la
même limité, peut-il jo u e r un jeu significatif avec guerre entre Dieu et Satan pour la perte ou le salut des hommes.
sa propre créature? » 4. Dans son roman, la Révolte des Anges, satire de l’anarchie et
Eh bien, oui! Ayant construit une machine à du socialisme à ses débuts, A natole France a décrit cette possibilité.
Satan est vainqueur mais, une fois au pouvoir, il se trouve obligé
jo u e r aux dames, le d o cteu r Samuel fut réguliè par la nature des choses de faire la même politique que son prédécesseur.
Dieu et le Golem
humains sont rarem ent assez clairs pour que l’on UNE L E T T R E DU
puisse d onner aux machines cybernétiques des M ASSA CH U SETTS
directives précises. « Une machine à jo u e r peut IN STIT U T E
être construite pour assurer l’exécution auto OF TECHNOLOGY
matique de n’importe quelle fonction, si cette
fonction est définie par un critère clair et objectif The M .I.T. Press
de succès. » Aux échecs ou aux dam es, et, d ’une Cambridge, Massachusetts
façon plus complexe, dans les stratégies militaires
ou économiques, le critère est évident: il s’agit 8 mars 1965
de gagner la partie conform ém ent à certaines Nous avons le grand plaisir de
règles. « Il peut y avoir bea ucou p de doutes sur les vous informer que G od and
moyens de gagner un jeu; il n’y en a pas sur la G olem Inc. a reçu le «National
question de savoir si la partie est gagnée ou non. » B ook Award» dans le domaine
En somme, nous pouvons construire des machines scientifique, philosophique et reli
qui nous aideraient à résoudre nos problèm es gieux de ce prix. L'annonce offi
fondamentaux, mais nous ne savons pas les cielle en sera fa ite demain dans
instruire. « Il est hors de doute que la technique une conférence de presse tenue à
de l’apprentissage est applicable à de nombreux New York. Nous vous envoyons
domaines de l’effort humain qui n’y ont pas été le document que nous avons pré
soumis.» Seulement, les critères nécessaires paré sur cette conférence, pensant
manquent. Il faudrait d ’abord répondre aux qu'il vous sera utile pour la publi
grandes questions que tant de philosophes ont cation du livre de Norbert Wiener
examinées sans fournir de solutions décisives: dans Planète et dans ses revues
Pourquoi les humains sont-ils ce q u ’ils sont ou sœurs. Nous vous enverrons éga
paraissent être? Q ue doivent-ils faire de leur lement les coupures de presse qui
existence? commenteront la remise du prix.
Dans le prochain article, nous term inerons la pré Nous vous félicitons du bon ju g e
sentation condensée de ce testament, en suivant m ent qui vous a fa it choisir ce
Norbert W iener dans ses réflexions sur les livre, jugem ent qui a été si vite
machines qui se reproduisent et sur les relations confirmé par le jury éminent qui a
de l’hom m e et de la machine cybernétique. distingué G o d and G olem Inc.
(C o p yrig h t M .I .T . et P lanète). pour ce prix très important.
Sincèrement vôtre.
Michaél Connolly,
D irecteur du D épartem en t
international.
Prochain article
LA MAGIE,
LA TECHNOLOGIE ET
LE DESTIN DE L’HOMME
Pour le moment, ce qu’on peut dire sur ces drogues, en dehors de leur
intérêt intrinsèque, c’est-à-dire de l’intérêt éthique, sociologique et
spirituel de l’expérience hallucinatoire, c’est que, si elles sont judicieu
sement utilisées, il peut en résulter un changement profond et important
de notre conscience et de notre comportement, et que cela peut être dans
le sens du bien. aldou s huxley.
LE S C A N D A L E D E H A R V A R D
1
Au début, l’artiste
a la sensation de
plonger dans son
inconscient
en chute libre,
en même temps que
les barrières
habituelles de son
Au centre de ce scandale, deux éminents psycho sont essentiellement des moyens de formation
logues: Timothy Leary, d ’abord - que nous avons individuelle et non des médicaments. L’im portant
plusieurs fois cité — quarante-trois ans, et est d ’apprendre à chacun à améliorer la connais
Richard Alpert, trente-deux ans. Ils étaient p ro sance de son univers intérieur et à contrôler
fesseurs à la fameuse université de Harvard son système nerveux. Tous ceux qui désirent
lorsqu’en 1960 ils co m m en c èren t à s’intéresser expérim enter le L.S.D. ou ses dérivés devraient
aux effets psychiques du L.S.D. Les premières pouvoir le faire. De telles affirmations cons
expériences se déroulèrent dans le cadre de l’uni tituent évidemm ent des ferments révolution
versité de H arvard et sous ses auspices. Puis, à naires qui m ettent en cause les habitudes, les
mesure que l’intérêt des professeurs pour ce lois, les échelles de valeurs de notre civilisation.
q u ’ils sucitaient grandissait, elles furent pour Le gouvernem ent mexicain lui-même les a jugées
suivies en privé, dans l’ap p a rtem e n t de tel ou tel
de leurs collègues ou étudiants. Dès 1962, les
deux professeurs furent attaqués p ar les respon
sables de l’université, puis par les notables, puis
par la presse. « J ouer avec ces drogues c ’est
com me jo u e r à la roulette russe », estimait déjà R O G E R H EIM
John U. Monro, un des dirigeants influents de Directeur du Muséum d’Histoire naturelle de Paris.
Harvard.
Placés en face du choix: l’université ou leurs La première expérience que j ’ai tentée sur
recherches, Leary et A lpert préférèrent l’I.F.I.F. les champignons hallucinogènes utilisés par
(La F édération internationale pour la liberté inté les Indiens du Mexique méridional et central
rieure) q u ’ils avaient fondée en 1962. Cette asso porte sur une quantité de 120 g, sous la
ciation groupait 3 000 adhérents, parmi lesquels forme de cinq carpophores frais. Les carpo-
de nom breux médecins, psychiatres, psycho phores furent l’un après l’autre mastiqués
logues, pasteurs, artistes et écrivains, lorsque et absorbés à 1 h du matin. Les premières
les deux professeurs démissionnèrent de l’univer manifestations apparurent environ une heure
sité, à la fin de l’année scolaire 1963. « Les et demie après l’absorption, mais une som
rapports entre notre groupe et Harvard ont nolence naturelle a rendu tout d’abord
toujours été malaisés, déclarèrent Leary et malaisée la caractérisation des symptômes
Alpert. N ous introduisions avec enthousiasme un correspondant à l’apparition dans l’obscurité
élément puissant, non verbal et méta-intellectuel de traînées de couleurs vives, puis du spec
dans une com m unauté entièrem ent vouée aux tacle coloré d’un carrefour où des rues en
mots et à l’intelligence rationnelle. » pente se rejoignaient et que bordaient des
bâtiments élevés serrés l’un contre l’autre,
LES Q U ESTIO N S Q U ’IL F A U T sans aucune silhouette humaine...
SE PO SER Une sorte de féerique spectacle en bleu
m ’apparaissait, form é de disques rappelant,
Depuis deux ans, Tim othy Leary et Richard par l’intensité plus vive du centre, les ocelles
Alpert se sont entièrem ent consacrés à l’I.F.I.F. des ailes de papillon. Une excitation gaie se
qui édite un bulletin, des livres, multiplie les manifesta : elle se traduisit par des réflexions
conférences. Ils se sont désintéressés des appli faites à haute voix. Je réalisai alors que
cations médicales des psychédéliques, pour se j ’étais seul, que personne n’avait pu sur
livrer à l’étude des états de surconscience. Une prendre mes interjections et j ’en éprouvai
pareille attitude ne pouvait évidem m ent leur un vif soulagement...
concilier la société am éricaine. La position offi {in: les C h a m p ig n o n s h a llu c in o g è n e s du M exique).
cielle adoptée par l’I.F .I.F. est que les drogues
Rêver de la mort
de personnes chères
Une telle vison signifie p our Freud que, enfant,
on a désiré la m ort de ces personnes. C ertes,
pareille résurgence infantile n’im plique pas
que le rêveur désire encore cette m ort à
l’époque de son rêve. Elle ne correspond pas
non plus chez l’enfant à un désir analogue à
celui que po u rrait avoir un adulte conscient.
L’enfant ne « ré alise» pas la m ort q u ’il iden
tifie à une sim ple séparation. Elle signifie donc
p our lui élim ination de ce qui le gêne, sans que
pareille élim ination req u ière une d estruction
physique. Freud croit encore que le rêve de
m ort a le plus souvent p o u r objet le paren t
de m êm e sexe que le rêveur, ce qui se trouve
en relation avec sa th éo rie du com plexe
d ’Œ dipe, d ’après laquelle to u t fils finirait par
d ésirer le m eurtre de son père afin de pouvoir
posséder librem ent sa m ère. Sans vouloir ici
d iscu ter c ette théorie, de plus en plus contestée
a u jo u rd ’hui, il suffit d ’observer que de
nom breux fils rêvent de la m ort de leur m ère,
de nom breuses filles de celle de leur père, de
m êm e q u ’on rêve souvent de la m ort d ’amis
dont on ne possède nul souvenir d ’enfance.
Q uoique, en ce dern ier cas, il faille toujours
réserver l’hypothèse d ’identifications p a ren
tales, l’in te rp réta tio n p u re m e n t infantile se
révèle insuffisante. On ne peut davantage
reten ir, sauf en cas exceptionnels, l’idée que le
rêve de m ort puisse être une prém onition de
m ort réelle. Des milliers de rêves de m ort
n’ont jam ais correspondu à une m ort réelle.
Il s’agit donc de la dram atisation d ’un désir
de séparation ou de fin, en ra p p o rt avec la
personne d o n t on rêve. C ’est un é ta t d ’âm e, un
sentim ent, une obligation dont quelque chose
en nous veut la disparition.
\
vie psychique. Ce n’est pas seulem ent en ajoutant Mais, depuis que la psychologie des profondeurs
à la notion freudienne d ’un inconscient individuel a entam é l’exploration de ces sources du rêve,
celle d ’un inconscient collectif que Jung a permis nous com m ençons à discerner que, par lui, nous
ce redressement et cet élargissement. C ar l’in ne nous bornons pas à revivre le passé et à le
conscient collectif pourrait n ’être, lui aussi, que répéter, mais trouvons les mêmes forces dyna
le dépotoir de la vie collective, au même titre miques ayant construit ce passé et nous per
que l’inconscient individuel l’est pour la vie de mettant, à notre tour, d ’édifier l’avenir. Nous
l’individu. L’abondance plus grande des sou pouvons ainsi mieux com prendre ce propos mys
venirs et des matériaux ne changerait rien à leur térieux d ’Héraclite d ’après lequel, «dans leur
nature. sommeil, les hommes travaillent et collaborent
Dans cette perspective, ce n ’est pas la vie cons aux événem ents de l’univers ».
ciente qui a créé l’inconscient par le rejet ou le Si Freud n ’attache jamais grande importance aux
refoulement de ses éléments incongrus: du moins rêves du réveil, j ’ai acquis la conviction que c ’est
n’est-ce là que la partie de l’inconscient dont en pareils instants que se produisent les rêves les
Freud s’est préoccupé; mais c ’est l’inconscient plus riches, les plus bouleversants pour le destin
qui possède l’antériorité historique et a fini par de l’individu. Pourquoi? Parce que c ’est alors
créer la conscience com me un produit perfec que se joignent, en une synthèse inattendue, les
tionné et toujours fragile de l’évolution. Dans pensées de veille et les pensées de nuit, les aspi
son autobiographie dont la traduction anglaise rations conscientes et les aspirations incons
a paru sous le titre Memories, Dreams, Refiections, cientes. Déjà, dans son De mysteriis Aegyptorum,
C.G. Jung a cité un rêve saisissant par lequel il Jamblique assurait que les rêves divins se pro
eut la révélation concrète de cette relation du duisent dans un état intermédiaire entre le
conscient et de l’inconscient: il apercevait, face sommeil et la veille, état dans lequel se fait
à une chapelle et assis par terre dans la position entendre le phénom ène de la voix. De même, le
du lotus, un yogi en profonde méditation. En Spandahârikâ de Vasugupta, texte tantrique du
l’observant de plus près, il découvrit que le X' siècle, notait que le yogi obtient l’accomplis
visage du yogi était le sien, de sorte que, s’en sement de ses désirs lorsqu’il se trouve, « en cours
allant plein d ’effroi, il se réveilla sur cette du rêve, à la jonction de la veille et du sommeil ».
pensée: «A h! Ainsi, c ’est lui qui me médite. Si, avec Freud, on peut adm ettre que, du point
Il a eu un rêve et je suis ce rêve. » Et il sut dès de vue thérapeutique, les rêves les plus signi
lors que le jour où le yogi se réveillerait, lui- ficatifs sont ceux où cette influence de la veille
même ne serait plus. est la moins transparente, force est de considérer
Oui, l’individu est de quelque façon le rêve de que l’état décrit par Jamblique et Vasugupta est
l’espèce, le conscient le rêve de l’inconscient, celui où s’élaborent les plus hautes et les plus
et c ’est ce rêve q u ’il nous faut réaliser. Il n’y a riches fantaisies imaginaires, en ce q u ’elles
là rien de mystique, mais la prise de conscience résultent de la conjonction des pulsions incons
concrète d ’une vérité qui n ’apparaît trop souvent cientes et des acquisitions de la conscience. Bref,
que de façon théorique: celle de la dépendance c ’est à ce point q u ’elles ont le plus de chances
de l’individu envers l’espèce et de l’évolution d ’offrir une représentation du Soi, ou tou t au
de l’espèce dans et par l’individu — qui en cons moins une indication dans la croissance vers le
titue le fer de lance. Au siècle passé, Nietzsche — Soi, c’est-à-dire vers ce q u ’il est permis d ’appeler
en qui Freud salua le précurseur de la psycha l’expression totale de l’individu dans ses rapports
nalyse — avait réagi contre la conception naïve avec autrui et l’univers.
qui voulait toujours découvrir dans le rêve une L’étude des rêves mène à une ultime considé
prédiction. Il m ontra le prem ier que les sources ration, familière à l’Extrême-Orient, mais encore
du rêve se trouvaient à la fois dans l’enfance de étrangère à l’Occident. Il s’agit de la nature
l’individu et dans celle de l’espèce tout entière. même de la réalité. F reud l’a abordée d ’une
« L e passe-muraille ».
par Félix Labisse.
(P h o to D orka).
Aux frontières de la recherche
des battem ents du c œ u r augm entait pendant flements, etc.). Périodiquement, ils les arra
les «rems». D ’où l’idée révolutionnaire, publiée chaient au sommeil p a r une sonnette d ’alarme.
dans le num éro de « Science » 1953, que le p héno Après trois ans de recherches, ils purent se flatter
mène rem correspondait au rêve: il se produisait d ’avoir découvert une clé du monde mystérieux
quand le patient rêvait. de la nuit. Ils constatèrent que, dans la nuit de
Com m ent vérifier cette hypothèse? T out sim huit heures de sommeil, on rêve quatre ou cinq
plem ent en réveillant le sujet pour lui d em ander fois, le rêve final pouvant être quatre fois plus
s’il rêvait au moment où il était arraché au long que le premier.
sommeil, ce que Kleitm an com m ença de faire Lorsqu’on s’endort, il y a d ’abord un état initial
dans une série de 191 expériences; 152 fois sur durant lequel se fait progressivement la coupure
191, le d orm eur réveillé au m om ent où se produi avec le monde objectif. D urant cet état initial,
saient les rems confirmait q u ’il était bien en train on a l’impression de flotter dans l’air ou à la sur
de rêver. En revanche, si on le laissait dormir toute face d ’une rivière. Est-ce cet état initial qui a
la nuit (tout en enregistrant les impulsions rem) donné naissance aux légendes sur le corps astral?
il ne se souvenait plus de rien 15 fois sur 16. On p eut se le dem ander. Ensuite, quinze minutes
Ainsi donc le phénom ène rem était un indicateur environ après s’être endormi, on arrive réel
objectif du rêve, tout com m e le therm o m ètre est lement au sommeil profond. Au bout de soixante-
un indicateur objectif de la fièvre. A vant le ther dix minutes apparaît le prem ier rêve. Il dure neuf
m omètre, on ne pouvait jamais être sûr q u ’un minutes environ. On retourne ensuite au som m eil
patient avait la fièvre. A vant le d étec teu r rem p r o fo n d \ Quatre-vingt-dix minutes s’écoulent,
de Kleitman, on ne pouvait jamais être sûr q u ’un puis apparaît un second rêve qui dure dix-neuf
dorm eur rêvait au m om ent mêm e où il rêvait. minutes environ, suivi encore de quatre-vingt-
On n’avait que le récit du dorm eur, vague, filtré dix minutes de sommeil profond. Puis c ’est le
par l’incertitude des souvenirs et ne pouvant troisième rêve de la nuit, qui dure vingt-quatre
conduire à aucune étude quantitative. L’indi minutes. Et le cycle continue tout au long de la
cateur rem pouvait indiquer, dans le monde nuit. Le quatrième rêve dure vingt-huit minutes.
objectif de la science, q u ’un dorm eur rêvait. Entre la septième et la huitième heure de
« La science, avait dit Claude Bernard, est un sommeil, c ’est le réveil définitif. Ce cycle est
art de mesure ; il n’y a de science que du mesu absolument général. O n le retrouve chez tous
rable. » Avec l’indicateur rem il devenait possible les êtres normaux, hommes, femmes et enfants.
de mesurer, d ’obtenir des nombres correspondant Il avait échappé dans le passé à tous les cher
à la fréquence, à l’intensité, à la durée du rêve. cheurs, parce qu’ils n’avaient pas eu la possibilité
L ’indicateur rem indiqua que tout le monde d ’observer systématiquement le dorm eur avec les
rêvait, mêm e ceux qui prétendaient ne se sou instruments appropriés et d urant des nuits
venir de rien. Les recherches allaient révéler tout entières.
un monde nocturne inconnu. La technique s’améliora. Kleitman, D em e n t et
leurs collaborateurs arrivaient à suivre les rêves
C H A C U N RÊVE Q U A T R E O U CIN Q FOIS de plus en plus objectivement. Les mouvements
P A R N U IT du globe oculaire, détectés avec soin, m ontrèrent
que le rêveur, lorsque son œil bougeait, croyait
En 1953, Kleitman prit avec lui un jeune étudiant voir dans son rêve une scène. C ’est ainsi que,
en médecine, William D em e nt, né en 1928 et par exemple, un rêveur venait de ramasser un
dont le nom restera à jamais associé au sien. objet sur le plancher au m om ent où son rêve fut
Ils engagèrent à trois dollars par nuit des étudiants interrompu par la sonnette d ’alarme: ses globes
q u ’ils coiffèrent de l’électro-encéphalographe. oculaires avaient bougé, com m e s’il avait effec-
Ils enregistrèrent tous leurs mouvements et tous 1. T elle é ta it d u m oins l’in te rp ré ta tio n d e K le itm an ; les re c h e rc h e s
les sons qu’ils ém ettaient la nuit (soupirs, ron fra n ç a ise s o n t d e p u is lo rs q u e lq u e p eu m odifié c e schém a.
NO US S O M M E S PLUS Q UE CE NO US CR O YO N S
Les rêves, les frayeurs, les faits miraculeux, les légendes, les
« nocturne lémures», toutes les merveilles de Thessalie ou d ’ailleurs
n’ont cessé, depuis que la raison existe, d ’indisposer les hommes de
La transcription «bon sens». Ainsi, chez ceux qui s’attachent par-dessus tout aux
vertus pratiques, les rêves ne sont que billevesées, de même que les
la plus rêveurs ne sont que des songe-creux.
Il y eut toujours, en revanche, une minorité attentive, inspirée qui,
même aux époques froides, eut la prescience de conc éde r au rêve,
convaincante à l’imaginaire la part royale. La connaissance - ou l’intuition —
des pouvoirs du songe, encore q u ’elle fût l’apanage de poètes, de
penseurs ou d ’aventuriers de science nourris de tradition occulte,
du domaine était partagée au sein du peuple p ar les âmes simples et naïves, que
ne parvenaient point à com bler les certitudes de l’état de veille et
du rêve qui s’exprim èrent p a r les contes, les légendes, la poésie.
La lame de fond du Rom antisme fut le prem ier m ouvem ent col
lectif dont les protagonistes te ntèrent, intuitivement, l’exploration
qu’aucun artiste des profondeurs de l’être. Les Rêves de Jean-Paul, les Fragments de
Novalis, les Contes bizarres d ’Arnim, autant que les essais de Ritter,
ait approchée de Passavant, de Morritz, abolissent toute hiérarchie entre les deux
versants de la réalité humaine: le monde de l’action et de la raison,
côté lumière, le monde du rêve et de l’inconscient, côté nuit.
L'Aurélia de Nerval, qui porte com m e sous-titre le Rêve et la Vie,
décrit, com m e cela n’avait été jamais fait, « l’épa n che m e nt du songe
dans la vie réelle». La fusion des deux états, veille et rêve, devient
lecteur libre d’interpréter ses gravures selon son propre monde intérieur.
Le premier livre que Max Ernst conçut selon
cette m éthode fut, en 1930, la Femme 100 têtes,
suivi, un an plus tard, par le Rêve d ’une petite fille
qui voulut entrer au Carmel, deux chefs-d’œ uvre C
qui furent salués avec ferveur par les poètes. Une .H
Semaine de B onté vint couronner cette série ”
d ’expériences en atteignant, selon le mot de X!
Picasso, « la perfection d ’un certain ordre ^
d ’idées». A l’attention des curieux, nous signa-
lerons que les images, auxquelles Max Ernst a „
em prunté presque toujours les diverses parties de G
ses compositions hallucinées, sont tirées de publi- | | | 2
cations « fin de siècle » : Journal des Voyages, HHHH "
Magasin pittoresque, livres de nature et de science 2
appliquée, manuels Roret, planches illustrant les
G
feuilletons, les mélodrames, et les ouvrages pour
la jeunesse. D e ces images, déjà fort attrayantes, D
il a su multiplier à une extrême puissance le
pouvoir de séduction et de dépaysement. Le _ _ ^
caractère dém odé des costumes, somnambulique
des gestes, surprenant des juxtapositions de ■H H B q
mécaniques inusitées, d ’animaux angoissants, de B IB B H CO
plantes vénéneuses, accentue jusqu’au paroxysme
les vertus oniriques de cette envoûtante fiction. -q
L’alchimie de la réalité et du rêve à laquelle nous
convie Max Ernst s’adresse à ceux qui ne ^
repoussent point les sortilèges de la nuit. *j-h
« L’hom m e qui n’aurait jamais rêvé, a écrit 53
H enri-Frédéric Amiel, ressemblerait à un cristal, Ë
incapable de deviner la cristallisation.» A suivre u
r'0)
3
94 M a x E rnst e t les m a ch in a tio n s de la n u it
S a
Dimanche: élément: la boue; exemple: le lion de Belfort.
Lundi: élément: l’eau: exemple: l’eau.
Mardi: élément: le feu; exemple: la cour du Dragon.
Mercredi: élément: le sang; exemple: Œdipe.
Jeudi: élément: le noir: exemple: le rire du coq.
Vendredi: élément: la vue; exemple: l’intérieur de la vue.
Samedi: élément: inconnu; exemple: la clé des chants.
Les mathématiciens font la guerre sur le papier
Jacques Bergier
UN M O N D E FOU, FOU, F O U
Les guerres Lorsque les États-Unis entrèrent, en 1917, dans la Première G uerre
d ’autrefois mondiale, leur gouvernem ent se trouva embarrassé. Un prem ier
recensem ent avait donné les noms et les adresses de cinq cent mille
se décidaient Américains bons pour le service. Il s’agissait de savoir quand on
sur le terrain allait les mobiliser: il était inutile de les mobiliser trop tôt et il
pouvait être catastrophique de les mobiliser trop tard. On posa le
problèm e à un certain nombre de statisticiens et de mathématiciens
Les guerres qui do nnèrent des réponses contradictoires. Finalement, on confia
d ’aujourd’hui le soin de prendre la décision au colonel Léonard P. Ayres, officier
chargé des statistiques p our l’armée. Le colonel Ayres remit au
sont simulées président des États-Unis un rapport disant q u ’après des études
en laboratoire m athém atiques extrêm em ent poussées il était arrivé à la conclusion
q u ’il fallait mobiliser les troupes dans la première semaine de
On voit septem bre 1917. T out se passa très bien. Personne ne dem anda
jamais au colonel Ayres com m ent il était arrivé à sa conclusion
q u ’elles ne sont et il ne révéla sa m éthode que dans une conférence q u ’il fit à des
pas rentables élèves officiers le 4 mai 1940, alors que la Seconde G u erre mondiale
approchait des États-Unis.
La m éthode du colonel Ayres avait consisté à établir la date où il y
C ’est pourquoi, aurait, dans les camps de réception, une culotte pour chaque recrue;
elles n’ont ce détail d’intendance lui avait paru la nécessité minimum pour
organiser une armée. Q uant aux divers calculs qui lui avaient été
pas lieu soumis, il n’en avait tenu aucun compte.
Les culottes du colonel Ayres sont généralem ent considérées com me
Vous savez, Roi, c'est fabuleux. Nous étions dans le parc de Turin.
Il y avait un bébé, et la nurse s ’était endormie. Un frelon noir s ’est
approché. J ’ai pensé qu'il allait piquer l’enfant. Je l’ai dit à Roi. A
quarante m ètres de distance, d'un seul geste des mains, il a foudroyé
le frelon. Je l’ai vu. J'en ai eu la chair de poule.
FEDERICO F E LL IN I (dans Planète n° 19).
Attention! Je n’ai pas lu dans H érodote ou M arco Polo les faits que je vais
narrer. Je les ai vus de mes propres yeux, et ils se sont reproduits
Témoignage plusieurs fois. Vous ne trouverez ici rien d ’autre q u ’un long tém oi
gnage. Je ferai com m e chaque témoin d ’un procès, qui doit déposer
n ’est sans avoir entendu la déposition des témoins précédents; je ch e r
pas preuve. cherai à oublier (mais je ne jure pas d ’y réussir) tout ce que je sais
sur l’école de Rhine, sur les cartes de Zener, sur la lévitation de
sainte Catherine de G ênes, de la sainte Brigitte suédoise et de saint
Mais les témoins Joseph de Copertino, et sur le dédoublement, les dons de bilocation
sont sincères de saint Alphonse de Liguori et du Padre Pio.
Roi, sur lequel je vais apporter mon témoignage, est un homme
et nombreux. d ’âge moyen. Son père était directeur d ’une banque im portante;
l’aisance de sa famille lui permit de devenir docteur en droit, de
vivre aristocratiquem ent dans un climat d ’art et d ’élégance. Collec
Considérez tionneur d ’objets anciens, musicien, doué d ’une culture encyclo
les faits, pédique, navigateur et voyageur, il a épousé une blonde Scandi
nave. Il jouit d ’une santé excellente. Il s’inspire dans ses actes des
mais dix com m andem ents, obéit scrupuleusement au neuvième, celui
attendez les qui lui interdit de désirer « le serviteur, l’âne, le b œ u f et la femme
de son prochain». Il suit surtout ces conseils quant à l’âne, le b œ u f
vérifications... et le serviteur. Je veux dire que sur le plan moral c ’est un homme
com m e les autres.
Il a un visage de réclame de farine lactée, qui a pris avec les années
tous les traits du bon vivant, de l’épicurien, le visage, enfin,
Portrait de Roi
par Pierre Lafillé.
Personnages extraordinaires 1
VOICI POURQUOI NOUS AVONS de l’homme sans problèmes métaphysiques. Il n ’a
LA PASSION DE L’INEXPLIQUÉ f pas le visage conventionnel des astrologues,
com m e sur les vieilles images. Il n’a pas, pour
parler com me Rimbaud, « les rides que l’alchimie
imprime aux grands fronts studieux». Bref, il ne
présente pas le visage standard et conventionnel
du mage.
Avant de dire pourquoi le témoignage
T out ce q u ’il dit n’est pas systématiquement
de Pitigrilli me semble digne d ’être | exact. Son imagination est fertile. Il invente
publié ici, je voudrais expliquer éga- | certains faits sans le moindre soupçon de vérité.
lem ent en quoi il justifie notre sigle de ! Il en modifie certains autres. Ce trait fait partie
du personnage. Ce q u ’il dit ne com pte pas. Ce
prudence. Il ne s’agit nullem ent de q u ’il fait est sensationnel. Au cours des années
méfiance. Il s’agit de m éthode. Les | où je l’ai approché, j ’ai compris « quelque chose »,
prouesses attribuées à Roi ont en ! mais c ’est par quelques paroles q u ’il a involon
tairement laissé échapper. Ce q u ’il m ’a donné
effet, avec les autres prodiges fami ouvertem ent n ’avait d ’autre but que ca ch e r la
liers à la parapsychologie, ceci de vérité.
commun que l’on peut presque tous
MA S IG N A T U R E A P P A R A ÎT A L O R S QU E
les m ettre en parallèle avec d ’autres JE NE L’AVAIS PAS ÉC R IT E
p ro u esses d û m e n t c o n sta té e s et
contrôlées par les témoins les plus Le jour même où je fis sa connaissance à Turin,
Roi me dit:
dignes de foi et les plus com pétents, — Entre dans un magasin quelconque, achète
et aussi avec ces faux prodiges, réa deux jeux de cartes de poker. Je t ’attends dehors.
lisés par des trucages d ’une habileté Je choisis un magasin, j ’entrai, achetai les deux
jeux de cartes et sortis. Il me dem anda alors de
presque aussi incroyable que le pro- | mettre les deux paquets dans ma poche, et nous
dige lui-même. Je n’en citerai qu’un primes un taxi. Arrivés chez lui, il dit:
exemple, rapporté par le professeur — G arde un des deux jeux dans ta poche, sans
l’ouvrir.
Robert Tocquet dans son livre les Puis il me fit ouvrir le second et me fit tirer une
Pouvoirs secrets de l'homme. Il y a carte. Supposons que c ’était le 9 de carreau. Il
quelques années, un ingénieur anglais posa le 9 de carreau sur un meuble et m ’ordonna:
— M aintenant, ave.c ton crayon ou ton stylo,
du nom de M ac Carthy affirma qu’il écris dans l’air quelque chose, un mot, une phrase,
était capable d’im pressionner à dis un nom de personne ou de ville.
tance sur des plaques photographiques J ’inscrivis dans l’air ma signature.
— Et maintenant, dit Roi, prends le paquet que
n’im porte quelle image qu’on lui tu as dans ta poche. C herche dans ce paquet,
dem anderait. On créa une commis qui n’a été ouvert ni par toi ni par moi, le 9 de
sion pour l’examiner. Cette commis- 1 carreau.
Je déchirai la cellophane. Je cherchai la carte.
sion, qui com prenait divers experts j Sur le 9 de carreau, ma signature était écrite au
dont un photographe professionnel, crayon, com m e si c ’était moi qui l’avait faite.
IL FA IT A P P A R A ÎT R E DES C A R TE S
QUI N ’E X IS T E N T PAS
I
|
telle plaque (qu’il désigna) on y trou-
verait le portrait de la mère et d ’un
parent défunt de deux des expérimen
tateurs. Pour corser encore l’expé-
| rience, la commission dem anda qu’un
Nous suivîmes ses ordres. Les deux facteurs verset de la Bible s’inscrivît sur une
furent formés en collaboration avec les plus
méfiants de la soirée. N ous réussîmes à effectuer autre plaque. Un des expérim entateurs
la multiplication difficile. Q uand tout le monde proposa que ce verset fût écrit en
fut d ’accord sur le produit, Roi prononça, avec hébreu, tandis qu’un autre suggérait
I
un visage tendu, quelques mots dont il sait le sens
secret. Ce sont des mots dans lesquels les A et
le chinois. On discuta et le chinois fut
les O abondent (détail que j ’ai ensuite retrouvé finalement retenu.
dans certains livres de magie). T out à coup, il
se contracta: On développa les plaques. Tout y
— Il y a un ennui, dit-il, dans le produit il y a
six 6.
T out le monde sait qu ’il ne peut y avoir que
quatre 6 dans un jeu de cartes (6 de carreau, de
cœur, pique et trèfle).
— Cela ne fait rien, reprit Roi, ouvrez le paquet.
Les premières cartes - je ne sais plus si elles
I était, les chers défunts et le verset
biblique en chinois, chaque sujet sur
la plaque annoncée par Mac Carthy.
Les experts, stupéfaits, exam inèrent
le tout avec soin sans déceler la
étaient seize ou dix-huit —, alignées dans l’ordre moindre fraude, et donnèrent leur
nouveau q u ’elles avaient pris à l’intérieur de leur
langue au chat.
Personnages extraordinaires 1
L’ingénieur exhiba alors un minus boîte, donnaient le produit de la multiplication.
En d ’autres termes, à l’intérieur de la boîte scellée
cule appareil de projection à rayons et intacte, les cartes qui, dans un jeu neuf, sont
ultraviolets (donc invisibles) de la disposées par ordre croissant (as de cœur, 2 de
forme et de la taille de son petit doigt, cœur, 3 de cœur,...) s’étaient disposées autrement,
obéissant pour ce nouvel ordre à une logique
contenant un microfilm où des images mathém atique. Et il y avait six 6, c’est-à-dire
grandes comme une tête d ’épingle deux de plus que ceux qui se trouvent dans tous
m ontraient les portraits des défunts et les jeux de poker du monde.
Autre expérience. Un soir, chez des amis, Roi
le verset chinois. Il expliqua com m ent, avait am ené un jeune et pauvre violoniste à qui
sans en avoir l’air, lui-même avait il avait offert un violon. L’artiste jo u a «les
orienté la discussion vers le choix de Sorcières», de Paganini.
: — Bravo, lui dit Roi. Tu vas avoir une récom
ces sujets, préparés de longue main pense. Prends un paquet de cartes et va le cacher
dans son laboratoire, de quelle façon, où tu veux, deux ou trois pièces plus loin.
au prix d ’un peu de prestidigitation Enferme-le dans un meuble et mets la clef dans
ta poche. Puis reviens ici... Et maintenant, choisis
élém entaire, il avait dérobé le petit une carte dans un autre paquet.
appareil à la fouille et l’usage qu’il en Le musicien s’exécuta. Roi s’app rocha d ’une
avait fait. Tout n ’était finalement que porte et passa ses mains de haut en bas com me
sur les cordes d ’un violon géant.
trucage. - M aintenant, va reprendre le paquet que tu as
— Bon, dira-t-on, les exploits de Roi caché, ordonna-t-il au jeune musicien.
Quand le violoniste revint avec le paquet intact,
sont donc truqués? A cela, je répon il le pria de ne pas l’ouvrir, mais de chercher
drai par un apologue. Il était une fois dans un autre paquet, ouvert, une carte quel
un psychiatre qui, fatigué d ’entendre conque. Le jeune homme choisit une carte.
- Eh bien, sur la carte correspondante, mais
ses clients proclam er qu’ils étaient dans le p aquet encore fermé que tu as seulement
Napoléon, résolut d ’en avoir une fois touché et que tu ouvriras, tu verras quelque chose.
le cœ ur net. Après enquête, il put Le musicien ouvrit le paquet. Sur la carte était
écrit: « Plus lentement, la première partie. »
prouver que neuf cent quatre-vingt- Personne ne pouvait prévoir que le violoniste
dix-neuf d ’entre eux avaient menti par jouerait «les Sorcières» de Paganini, ni deviner
la bouche et qu’ils n’étaient pas plus quelle carte il allait choisir. Les cachets du paquet
q u ’il avait dissimulé étaient intacts. Toutefois,
N apoléon que vous et moi. Restait le un avocat, encouragé par les hochem ents incré
millième, à la vérité passé depuis dules des petits chapeaux de deux ou trois belles
longtemps dans un monde meilleur, dames, dit:
- Il y a un truc, mais on ne le voit pas.
mort et enterré. Enterré aux Inva Il voulait dire que le petit jeu de manipulations
lides. Les témoignages étaient nom s’était déroulé après une préparation préalable.
breux, certes, mais anciens et contra J ’intervins alors:
I — Le violoniste pourrait répéter ce m orceau,
dictoires. Le psychiatre, rasséréné et plus lentement. Nous verrons bien ce que
fort de la m éthode statistique tant de Paganini écrira.
LE PRIX Q U ’IL F A U T P A Y E R AU D É M O N
r Une ém otion Ils ram en èrent la châtelaine de Joiry entre deux soldats, les mains
liées. Ils traversèrent la galerie du château en zigzaguant entre
des tas de cadavres. Deux fois même, ils glissèrent sur des mares
impossible de sang. Lorsqu’ils s’arrêtèrent devant le chevalier en armure qui
avait gagné la bataille, la châtelaine jurait avec furie et désespoir,
à nommer, et ses jurons étaient amplifiés par son casque.
Le vainqueur, qui s’appelait Guillaume, se pencha en avant, appuyé
une ém otion sur son épée, les deux mains croisées sur la poignée. Il était de
haute taille, et son armure maculée de taches de sang le faisait
paraître encore plus grand. Son visage dur était couturé de cicatrices
qui n’avait et un ricanement coupait en deux sa courte barbe. Il était splendide
et dangereux. Il dit d ’une voix profonde et lente:
jam ais été créée — Enlevez-moi la carapace de ce homard. Nous allons voir la tête
de celui qui nous a livré un si dur combat. Enlevez son casque.
Il fallut appeler un troisième soldat pour couper les jugulaires qui
pour la chair maintenaient le casque d ’acier. Lorsqu’il roula sur le pavé, les dents
blanches de Guillaume éjectèrent un juron de stupéfaction.
et le sang... Maintenu par ses deux gardiens, la dame de Joiry les regardait, les
cheveux rouges en désordre, les yeux jaunes com me ceux d ’un lion
en colère.
— Dieu te maudisse! hurla la dame de Joiry. Dieu maudisse ton
cœ u r noir!
Guillaume l’entendit à peine. Ses yeux étaient écarquillés, ce qui
arrivait à la plupart des hommes qui voyaient Girel de Joiry pour
V O YA G E A U X O R IG IN E S DU M A L
144 Le m atérialisme
1 D'où vient le matérialisme?
LA G E N È S E D ’UN E PENSÉE En somme, l’idée de matière est l’image d ’une
image, très différente pour un ouvrier sumérien
D ’abord, q u ’est-ce que le matérialisme? ou pour un physicien moderne. Mais ces images
C ’est, répond le Dictionnaire de Littré qui fait présentent cependant assez d ’analogies p our
autorité en langue française, « le système de ceux qu ’une certaine com préhension s’établisse.
qui pensent que tou t est matière». Et q u ’est-ce Sachons seulem ent que, com me la vie, com m e la
que la matière? « T out ce qui se touche et a forme pensée, l’attitude envers l’univers que nous
et corps. Ce dont une chose est faite. Se dit désignons approxim ativement par le te rm e
par opposition à esprit. En méd.: excrétion du «matérialisme» est une aventure. Elle a des ori
corps humain. Fig. : cause, sujet, occasion. Fig. : gines, des péripéties, d ’incessantes transfor
l’objet sur lequel on écrit, on parle, etc. » mations, que nous allons te n ter de décrire.
Puisque nous achetons un dictionnaire p o ur avoir
des définitions, nous ne pouvons lui reprocher de LE M IR A C L E G R E C
nous en donner. Il n’em pêche que, du point de
vue de la science contem poraine, ces définitions Lange, qui reste le principal historien du m a té
ne veulent à peu près rien dire. Elles reflètent rialisme, semble avoir été un hom m e de qualité.
des conceptions anciennes, que l’on sait dépassées Son cœ ur, disaient ceux qui l’ont connu, battait
par le m ouvem ent des connaissances. Par à la seule pensée de la misère des masses. Il
exemple, est-ce que les ondes des téléc o m m u organisa des sociétés de consommation p our les
nications, sans lesquelles notre civilisation ne travailleurs et fut un pionnier de l’éducation
pourrait pas fonctionner, se to u c h en t et ont populaire, ce qui lui valut des ennuis avec la
forme et corps? H eureusem ent, nous savons nous police prussienne.
débrouiller avec les approximations. Si j ’écris: Il est, en tout cas, un hom m e de talent. Dès la
la matière est la matière de cet exposé, nous première phrase de son m onum ental ouvrage, il
arrivons à peu près à nous com prendre. pose exactem ent le problèm e: « Le matérialisme
est aussi ancien que la philosophie, mais il n’est
Mais nous ne croyons plus, com m e au temps de pas plus ancien. » Dans notre étude, nous nous
Maximilien-Émile-Paul Littré, que les définitions référerons de préférence à des travaux histo
linguistiques décrivent la réalité. (11 est d ’ailleurs riques plus récents, com m e le célèbre cours de
curieux de noter que cet érudit était matérialiste E.R. Dodds à l’université Berkeley ou les Cahiers
militant; son élection à l’A cadém ie provoqua la d ’Histoire mondiale publiés par la Commission
démission du père D upanloup.) Nous savons internationale pour l’histoire du D éveloppem ent
aujourd’hui que notre organisation biologique ne scientifique et culturel de l’H umanité. Mais per
perçoit pas « les choses en soi». Elle reçoit, inter sonne mieux que Lange n’a attaqué aussi fran
prète, élabore les messages de nos sens, elle leur chem ent cette vaste question.
donne des significations et des valeurs. Les sen En effet, sitôt que la réflexion est sortie de
sations les plus immédiates sont déjà des cons l’enfance, des penseurs hardis ont imaginé les
tructions très complexes de notre système fondations de ce qui deviendrait, bien plus tard,
nerveux. Et, lorsque nous nommons ces sensa le matérialisme classique. Bien plus tard, puisque
tions, lorsque nous les définissons, nous effec le mot «matérialiste» est introduit par Voltaire
tuons un travail d ’abstraction encore plus en 1734; et «matérialisme» par d ’Argenson en
complexe, impossible aux animaux qui sont 1751. Les pionniers furent des Ioniens des v r et
pourtant des structures fantastiquement com vr siècles avant Jésus: Thalès, A naxim andre,
pliquées. Empédocle, Anaxim ène, Démocrite, Héraclite.
Le m atérialisme
Inde. II est m aintenant prouvé que l’astronomie, fonctions générales du développem ent humain,
l’esquisse d ’une théorie de la connaissance, non le monopole d ’une seule culture. C ’est en
l’atomisme furent conçus par K ananda dans les partant de bases com munes aux grandes civili
mêmes term es que par Démocrite, mais avec sations du prem ier millénaire avant Jésus que la
presque un demi-millénaire d ’avance. Au v r siècle réflexion occidentale a pris un tournant, rac
avant notre ère, dit R.C. Majumdar, A ryabatha courci peut-être, ou impasse, qui l’a conduite au
« avait découvert la théorie épicyclique, la durée matérialisme philosophique et idéologique.
correcte de l’année, la rotation de la Terre sur
son axe et la théorie exacte de l’éclipse lunaire». LE G R A N D T O U R N A N T . A R IST O T E
Cela n ’enchantait guère les autorités religieuses
qui enseignaient que l’éclipse est causée par les Protagoras est indubitablement un ancêtre du
tentatives du démon Rahu pour dévorer la Lune. matérialisme moderne. Il a lancé une idée qui
Elles n’allaient cependant pas jusq u’à proscrire aura de l’avenir, celle que la matière ne prend
l’astronomie et persécuter l’astronom e. En forme que par la perception humaine : « L’homme
mathématiques, en médecine, en botanique, en est la mesure de toute chose. » Cette im portance
psychologie, la priorité indienne est certaine. Les des sens, le « sensualisme », trouvera sa plus p a r
travaux de Filliozat (1949), Piggot (1950) laissent faite expression chez Condillac, en 1746, année
peu de doute et, dans son ouvrage classique où s’affirme le matérialisme proprem ent dit.
History o f Hindu Chemistry, Ray fait rem onter la Mais Protagoras se voulait en réaction contre
chimie pratique au xiir siècle avant Jésus. les autres grands ancêtres, notam m ent contre
Voilà qui heurte notre image d ’une Inde indiffé Dém ocrite et son atomisme. Il avait fondé l’école
rente à la science et aux valeurs «matérielles». des «sophistes», virtuoses intellectuels cosmo
Mais n ’oublions pas que notre conception d ’un polites et fastueux, qui avaient un franc succès
Orient pétri de spiritualité a été formée au de curiosité et de scandale. A son tour, Socrate
xix' siècle, lors de l’expansion industrielle et colo réagit contre les sophistes, au bénéfice d ’un ratio
niale. Les orientalistes faisaient connaître les nalisme pratique. Est-il, lui aussi, précurseur du
écritures védantiques au m om ent où Sainte- matérialisme? Non, si l’on considère q u ’il adm et
Beuve rem arquait: « Les médecins sont sujets à tait la divination, la prémonition, com me l’Athé-
être matérialistes et les astronomes à être athées. » nien de la rue; qu’il ne s’intéressait à la nature
Au Moyen Age, il en était autrem ent. Jusqu’aux de la matière et du monde que dans la mesure où
grandes guerres dites « de Religion » qui rava cela lui était utile pour com prendre l’hom m e et
gèrent l’Europe au x v r siècle, toutes les affaires pour le transformer. Oui, en ce q u ’il est une
sociales, intellectuelles et politiques s’expri im portante étape de la formation du génie
maient et se justifiaient en term es religieux. européen et de son instrument clé, la logique
En Orient, d ’im portantes écoles inspirées formelle.
du bouddhisme et du confucianisme partaient Platon, son élève, parcourt une autre étape,
de la même attitude qui fit exiler Protagoras: l’avant-dernière, en ac centuant encore ces deux
« Q u an t aux dieux, j ’ignore s’ils sont ou s’ils ne caractères paradoxaux. Ce fervent m a th ém a
sont pas.» L’absolutisme de la pensée médié ticien («Que nul n’entre ici s’il n ’est géom ètre»)
vale, la rigueur de l’inquisition auraient empli
les clercs chinois et indiens de d é g o û t 1. 1. C e rte s, la civ ilisatio n c h in o ise n 'a v a it p as le c a ra c tè re idy lliq u e que
V oltaire c é lé b ra it d an s ses p a m p h lets. Je v o u d rais so u lig n e r une fois
Si nous dépassons nos préjugés et si nous exa p o u r to u te s, à l’in te n tio n des le c te u rs é ru d its ou sp é cia liste s d e telle
minons les acquisitions historiques récentes, nous p é rio d e ou d e telle d iscip lin e, q u e ré s u m e r tre n te siècles d ’év o lu tio n
h u m ain e en qu in ze pages ne p e u t se faire sans sacrifier b e a u co u p
voyons que l’étude rationnelle de la nature, la de d é ta ils et d e n u an ces. M o n bu t est d e d o n n e r au le c te u r a tte n tif,
recherche de lois p erm e tta n t de la com prendre m ais n o n sp é cia lisé , u n e id ée cla ire d 'u n d é v e lo p p e m e n t h isto riq u e trè s
co m p lex e. C 'e s t aussi d e fo rm u le r q u e lq u e s h y p o th èses nou v elles qui
et de la contrôler, le patient travail de d éc o u p e u v e n t in té resse r les sp écialistes; ceux-ci n ’o n t d ’ailleu rs a u c u n e p eine
verte, de formulation, d ’enseignement, sont des à rem p lir eu x -m êm es les ellip ses d e l’exposé.
148 Le matérialisme
organism e tou tes les con n aissan ces de son pays et regroupe les en seign em en ts de D ém o crite et
de son tem ps. C ’est-à-dire to u tes les con n ais d’Epicure.
sances im aginables, puisque : 1) ce qui n ’était pas S eu lem en t, les énorm es co n q u êtes rom aines font
grec n ’avait au cune im portance; 2) le m onde était affluer dans la Ville et les subtilités in tellec
définitif et fixe. A près lui, la p en sée n ’avait plus tu elles g recq u es qui vont faire des ravages dans
qu’à tirer l’éc h e lle . C e systém atism e p èsera lourd les frustes cervelles latines, et les dieux redou
sur la p hilosop hie occid en ta le et contribuera à tables de l’O rient. R om e, dit jolim en t Lange,
l’âpreté des querelles. Pour m ériter le nom de tom be « dans le gouffre des v ices et des m ystères ».
p h ilosop h e, le penseur qui se resp ecte devra créer Au prem ier siècle de notre ère, l’appétit religieux
un systèm e com p let et exclusif. se dirige vers M ithra et vers un assortim ent de
dieux m ineurs im portés en m êm e tem ps que
R O M E , O U LE R E F U S d’autres objets de luxe. Puis vient le christianism e.
D E LA PEN SÉ E PU R E Sous l’angle de notre problèm e. Jésus lui-m êm e
sem ble s’être aussi peu sou cié de la question
Q uand le dernier grand ancêtre du m atérialism e m atérialiste que de tou te autre dispute ph ilo
arrive à A th èn es, vers 325, A ristote est en exil, sop h iq u e. N ou s ignorons, hélas! ses débats contre
A lexandre va mourir en A sie et l’illustre cité est les scribes et les d octeurs de la Loi. M ais nous
au term e de sa splendeur. É picure en seign e un savons que les grands maîtres m ystiques ne s’in té
«sen su alism e»; seul com p te le bonheur, mais ce ressent pas à la sp écu lation . D ’une certaine
bonheur est le som m et de la raison et de la vertu : façon , ils sont m oins des philosop h es que des
« Vous vivrez com m e des dieux au m ilieu des praticiens, d es ingénieurs qui étudient la te c h
hom m es, car ce n ’est plus ressem bler aux nique de p h én om èn es, pour eux co n crets et
h om m es, mais aux dieux, que de jouir sans cesse expérim entaux. Ils n’écriven t pas, ou peu, et
du repos des d ieu x», ces dieux, infinim ent loin g én éralem en t pour disloquer la con n aissan ce ver
des petits soucis hum ains, dans leur in co n cev a b le bale et faire place nette à l’« exp érien ce ».
p erfection . L’épicurism e originel n ’est pas plus
un m atérialism e que l’autre é c o le de sagesse de L es P ères de l’Église, évid em m en t, sont tout
ce tem ps, le stoïcism e. Pour les stoïcien s, tout est autre ch o se. Saint Paul, brillant propagandiste
m atière, y com pris les dieux. L’âm e du sage survit et manager, qui aurait pu rendre des points à
à la mort corp orelle et va rejoindre l’âm e univer L énine et à Ford, im plante une horreur de la
selle. C ette doctrine parle d on c bien de m atière, plus com m une sensualité. Saint A ugustin, le
mais dans une optique m ystique p roche des p seu d o -D en y s et b eau cou p d ’autres christia
attitudes orientales. nisent un néo-p laton ism e qui régnera un p etit
Les deux é c o le s avaient du respect l’une pour m illénaire sur la th éo lo g ie: il y a la m atière,
l’autre et m aints points com m uns. Les co m m en certes, mais elle est en tièrem en t p én étrée par
tateurs rom ains ne les op poseront q u ’en les l’Esprit; tout est sym bole, tout est égalem en t
dénaturant, com m e ils dénaturent la doctrine m iraculeux; il n ’y a pas de d ifféren ce entre le
d ’Épicure ju sq u ’à une ap ologie délirante de la vin que l’on presse chaque autom ne et le vin des
sensualité. D ans R om e, la qu estion du m atéria n o ces de Cana.
lisme ne se p ose guère. L es dieux sont partout En fa ce de ce m onism e de fait, la rencontre de
présents, en tant que fon ction n aires de l’État. l’h ellén ism e, de la gn ose et du zoroastrism e
Ils président aux charges de l’ordre social, avec produit le plus intransigeant d es dualism es.
des rôles définis et hiérarchiques. Surtout, pas de Zoroastre passe pour le réform ateur d ’une antique
spéculation gratuite: la scie n c e est m obilisée dans religion iranienne rem ontant aux civilisations
le gén ie m ilitaire et civil. La seu le contribution ch alcolith iq u es du iir m illénaire. Lors de ses cap
im portante à la g en èse du m atérialism e est le tivités, le peu p le d ’Israël en fut certain em en t
De Natura Rerum, grand p o èm e où L ucrèce m arqué. Il y a deux « p rin cip es» en lutte in co n
150 Le matérialism e
un ouvrage susp ect de com m unism e. En effet, co n cen trer, com m e à F loren ce, les b én éfices
une illustration m ontrait Ève pourvue d ’un de l’art, de la scie n c e, de l’industrie, de la civiltà.
nom bril, attaque d irecte con tre l’en seig n em en t Q uant aux autorités p olitiques, religieu ses, in tel
biblique puisque notre m ère à tous est n ée d ’une lectu elles, elles ne ten aien t pas leur pouvoir de
c ô te d ’A dam . A près exam en , une so u s-co m quelque hyp oth étiq u e libéralité divine; elles
m ission con clu t que la sécurité des É tats-U nis étaien t, com m e le reste, ju sticiab les d evant la
n’était pas en cause et que l’inspiration com m u R aison.
niste n ’était pas évid en te, considérant que «T u déterm ineras ta propre nature», ainsi parle
M ich el-A n ge s’était perm is la m êm e licen ce. D ieu à A dam , par la bou ch e de Pic de La Miran-
Un autre chartrain, A bélard de B ath, c o lle c d ole (l’érudit qui voulait savoir tout, et le reste),
tionnait les traductions de l’A ntiquité produites « sans être contraint par aucune lim itation, grâce
par les infatigables traducteurs hispano-arabes. à la liberté que je t ’ai d on n ée. Je t’ai p lacé au
Le M oyen A ge ignorait la proliférante p en sée m ilieu du m onde pour que tu puisses m ieux voir
de l’O rient e t jusqu’à l’e x isten ce de l’É co le ce qui est dans le m onde. Je ne t ’ai fait ni céle ste
d ’A lexandrie. C ’est surtout par l’interm édiaire ni terrestre, ni m ortel ni im m ortel, afin que, telle
des A rabes que nom bre d ’auteurs ont été réin une création libre et souveraine, tu sach es te
troduits dans la p en sée m éd iévale d ’Europe. forger et te sculpter toi-m êm e en la form e que
tu auras ch oisie. »
LA R E N A ISS A N C E : Ce pouvoir et c ette liberté, les R enaissants
LA P R IM A U T É D E LA SC IE N C E l’assurent par une prise ferm e sur la nature,
sur la so cié té , sur l’histoire. L ’hom m e est nature,
Lorsque le M oyen A ge su ccom b e, les R enaissants la plus haute form e de la nature. Il ne peut
d isposent d ’une solide tech n o lo g ie, de textes l’ignorer ni la m épriser. D eu x co n séq u en ces prin
an ciens accessib les, de p uissantes id ées dorm ant cip ales: le rejet de l’ascétism e, l’im portance de
depuis des siècles. Sur ce point d ’appui, ils vont la sc ien ce . L orenzo Valla, par exem p le, n ’a pas
sou lever le m onde et dire « la dignité et l’e x c e l peur d ’aller loin dans les im plications de ses
len ce de l’hom m e». « A partir de la seco n d e th éories: « H u m ainem ent parlant», dit-il dans son
m oitié du x iv e siècle, écrit N . A bbagnano, les De Voluptate, « les prostituées sont plus m éritantes
écrivains, les historiens, les m oralistes et les p o li que les vierges con tin en tes. » D an s son De Pro-
ticien s d ’Italie ont insisté unanim em ent sur le fait fessione religiosorum, il co m m en te une idée
qu’un changem ent radical avait eu lieu , m ani d’avenir: celu i qui suit le m ieux l’en seign em en t
festé par l’attitude de l’h om m e envers le m onde du Christ n’est pas celu i qui se voue à la co n tem
et envers la vie. Ils étaien t con vain cu s qu’une plation m onastique, mais celu i qui con sacre son
n ouvelle ép oq u e avait co m m en cé, qui rompait activité à D ieu . Jésus sem ble ne pas avoir été
n ettem en t avec le M oyen A ge. Ils entreprirent tout à fait de cet avis, mais, à travers le calvi
de clarifier la signification de ce ch an gem en t. » nism e, la valeur religieuse du travail, du su ccès
C et hom m e nouveau apparaissait com m e un être m atériel im prégnera tou te la m orale anglo-
fini et rationnel, qui n ’était pas exilé dans la saxonne.
nature, ni con dam n é par quelque m ystérieux D ’autre part, les R enaissants avaient b esoin , pour
d écret à une am ère d estin ée individuelle et affirmer leur pouvoir et leur liberté, d ’un m onde
sociale. Il avait sa p lace, une p lace ém in en te, ouvert, transform able, régi par la causalité. Le
dans la nature. Par, et dans la vie so cia le, il m onde fixe et la finalité d ’A ristote les ex a sp é
pouvait s’accom plir. Les grands voyageurs m on raient. G a lilée, parmi d ’autres, attaquera le prin
traient que la Terre était p lein e de rich esses et cip e d ’autorité avec to u tes les ressources de son
de m erveilles prêtes à être con q u ises. Les gén ie et de sa rem arquable habileté.
citoyen s p ou vaient faire de leur cité quelque Pour faire tout ça, il fallait être prospère. Pour
ch ose où il était bon de se sentir un hom m e: ch erch er de bons argum ents contre l’ordre à
152 Le m atérialisme
tentions religieuses. C e scep ticism e français, propagandiste. Le problèm e esprit-m atière, D ieu-
c ’est en som m e le catalyseur d ’une réaction ch i U nivers, lui paraissait sim ple: «Je suis corps et
mique qui ne s’était jam ais en co re produite, si je p en se. » L’univers est m écan iq u e com m e une
elle avait été longtem ps préparée. horloge, mais il faut bien un horloger. Q uoi de
Le fam eux historien britannique B u ck le a sans plus clair?
doute été le prem ier à le m ontrer: c ’est de H istoriquem ent, le problèm e était ailleurs: dans
l’éch ange entre l’A ngleterre et la France qu’est la lutte contre l’absolutism e de Louis XIV, contre
né le m atérialism e. L’exem p le significatif est la tyrannie in tellectu elle de l’É glise, pour les
celui des rapports entre N ew ton et V oltaire. libertés civiles et individuelles. Un fort courant
N ew ton avait été astronom e, p h ysicien , m ystique d ’opinion travaillait aux m êm es buts. Du point de
et haut fonctionnaire. Personne n’avait été plus vue de l’histoire gén érale, qui con sid ère m oins
loin dans l’in telligen ce de la nature « m écan iq u e » les év én em en ts politiques que les grands p h é
de l’univers; il était l’auteur de Commentaires nom èn es évolutifs, la question en jeu était la pré
sur ïA pocalypse de saint Jean; il avait dirigé ce paration de la révolution industrielle. En A n g le
qui allait d evenir cette form idable p u issan ce, terre, elle était im m inente: un siècle plus tard,
la Banque d’A ngleterre. C e pays était sorti de ce pays représenterait deux pour cen t de la p op u
sa révolution et de sa restauration; il avait trouvé lation m ondiale et produirait cinquante pour cent
une stabilité qui dure e n co r e, en harm onisant des biens industriels. En F rance, la situation était
une hiérarchie bien assise et les libertés civiles. telle que la révolution technique réclam ait une
N ew ton avait mis dans sa p en sée le m êm e ordre: révolution in stitutionnelle, l’a ccessio n au pouvoir
il donnait les lois de la m écan iq u e c éle ste , sans de la bourgeoisie laborieuse, l’abolition des privi
exclure la dom ination de D ieu et la finalité de lèg es aristocratiques et des corporations qui lim i
la C réation. D ieu et la m atière se com p létaient taient l’activité ouvrière.
com m e le R oi et le D roit. L'Encyclopédie, dirigée avec enthousiasm e par
Ainsi, et nous som m es m aintenant dans le premier D id erot et d ’A lem bert, fut à la fois un m onum ent
tiers du x v n r siècle, le divorce entre le m até des con n aissan ces tech n iq u es et une m achine
rialisme et l’idéalism e n’a toujours pas eu lieu. de guerre contre l’A n cien R égim e. D id erot ne
La scien ce et le libéralism e se sont affirmés, mais vint que tard au m atérialism e intégral: son Rêve
sans exclure la religion et le surnaturel. Le mot de d ’Alem bert, où il prend p osition sans éq u i
m êm e de « m atérialism e» n’a pas été créé. A rm é voq u e, est de 1769. D ans le prem ier état de sa
de sa rigoureuse logiq u e, l’O ccid en t a dépassé p en sée, il reste dans l’optique n ew ton ien n e-
tou tes les autres civilisation s dans l’étude d e la voltairien n e.
nature, mais elle ne s’en est pas séparée ph ilo L’historien scrupuleux souffre sou ven t dans sa
sophiquem ent. co n scie n c e de devoir produire des dates précises,
Peu après la mort du grand g én ie anglais, Voltaire alors que les év én em en ts réels restent indéter
s’était rendu si insupportable à Paris qu’il avait m inés. C e n ’est pas le cas du m atérialism e. C ette
dû traverser la M anche. Il rapporta d ’exil les philosophie, lon gu em en t a n n o n cée, mais qui
Lettres philosophiques sur l’A ngleterre, ou Lettres aurait pu fa cilem en t ne jam ais être, co m m en ce
anglaises, dont le L arousse dit: « P u b liées en 1745, avec VHistoire naturelle de l’A m e, de
en 1734, elles m arquent un progrès notable de La M ettrie. A lors, l’effort de cen t générations
l’influence anglaise en France. Elles sont aussi un prend sens, conduit au bou leversem en t de 1789
pam phlet qui inaugure la lutte contre le chris et, quand s’ach èven t les guerres n ap oléon ien n es,
tianism e, les institutions politiq u es de la France malgré les vaines ten tatives de restauration de
et contre les m œ urs et id ées du siècle p récèd en t. » l’ordre an cien , le m onde entre dans cette époque
Elles introduisent dans notre langue le term e nationaliste, industrielle, révolutionnaire où nous
matérialiste, mais en se référant à la solution vivons aujourd’hui.
n ew tonienn e, pour laquelle V oltaire fut un ardent GABRIEL VERALDI.
Nous publions cette importante enquête dans le cadre des accords passés
entre Planète internationale et la grande revue scientifique américaine
« Science and Technology ».
EN Q U Ê T E D ’U N O U I O U D ’U N N O N C A T É G O R IQ U E
Savants et p h ilosop h es, de toute étern ité, ont hésité entre deux
h yp oth èses extrêm es quant à l’éten d u e de la vie: 1) Elle serait
163
Informations
Je le revis. Je lui expliquai notre travail, lui montrai
les documents que nous réunissions pour chaque étude
publiée et m’efforçai de lui faire saisir qu’on ne saurait
m ettre aussi légèrement en cause le sérieux et la bonne
foi d’une équipe qualifiée. Il en parut touché, projeta
d’organiser et de publier un débat sur Planète, où nous
serions conviés. Douze jours après, le 22 avril, il
m’écrivait: « ... Nous publions une étude de Mme Odile
Passeron, spécialiste des analyses sociologiques. Je ne
possède malheureusement pas la copie de son texte,
dont tu prendras connaissance en lisant le journal... Je
souhaite de tout cœur, cher Louis, que ces réflexions
contribuent à améliorer la revue Planète qui, à mes
yeux, représente tant d’espoirs. Bien à toi. »
CONFUSION SUR L’ESTRADE
L’étude de cette singulière spécialiste de service était
un barbouillis de venin. Ce n’était pas assez. Arts
publia une déclaration de M. Leprince-Ringuet. Un
article de Planète avait révélé que les Russes pré
paraient une arme fondée sur l’anti-m atière. « C’est
une effroyable m alhonnêteté», écrivit cet homme
éminent. Nous étions pris la main dans le sac. Les
Russes confirmèrent quelques semaines plus tard.
L’homme éminent ne prit pas le soin de dém entir son
démenti. Mais il prit le soin de nous adresser une lettre
afin de nous dem ander nos avis et conseils pour la
collection de vulgarisation scientifique qu’il fondait.
On peut avoir de la science et manquer de caractère.
Quant à M. Parinaud, il tenait à m’assurer que « tout Voici la page du manuscrit de Jacques Le Grant :
cela faisait de la publicité». on y cherche en vain la croix inventée
Je le revis une dernière fois. Il était sur une estrade. par M. Jean Servier.
Un groupe catholique, rue M adam e, l’avait convié à
une mise en cause de Planète. M a présence n’était pas
prévue, la charité n’étant pas toujours bien ordonnée.
Un biologiste, qui devait discourir sur l’objectivité en l’avons rétablie ici pour m ontrer avec quel mépris
science, nous accusa de dépersonnaliser Dieu. cette revue traite et la vérité et ses lecteurs. »
M. Parinaud, sur le point d’ouvrir la bouche, En effet, au-dessus du document, Arts avait ajouté une
m’aperçut. Il eut un instant de confusion: il se pré croix, à l’encre rouge, afin de bien indiquer l’indigne
senta comme « un simple honnête homme». falsification.
Or, ce document, photographié par l’abbé G arnier,
L’INVENTION DE LA CROIX notre iconographe, professeur de philosophie au
collège St-M artin de Pontoise, était la reproduction
Ces microscopiques événem ents étaient oubliés, quand d’une miniature ornant un manuscrit de la bibliothèque
parut, le 24 février de cette année, un numéro de Arts du musée Condé à Chantilly (M anuscrit NO 1338. 297,
dont la prem ière page était intitulée: « Les Faussaires au catalogue XIV-B 8 : Jacques Le G rant, le Livre des
de la Science». On retournait au vomi. Bonnes Mœurs). Il ne com portait aucune sorte de
Sur cette page figurait la reproduction d ’un docum ent croix. Rien ne perm et d’assurer qu’il représente le
publié dans notre livraison 15, page 85, assortie du globe terrestre ou la fortune, et l’on n’en finirait pas de
comm entaire suivant: citer les objets célestes dans l’iconographie du Moyen
« Pourquoi cette montgolfière dans une miniature du Age. Nous l’avions justem ent choisi à titre d’exemple,
XV' siècle? demande la légende qui accom pagne cette à la demande de l’auteur de l’étude sur « la France
illustration parue dans Planète. Étrange question! Il mystérieuse», notre collaborateur Robert Philippe,
n’est pas difficile de reconnaître ici un globe terrestre, agrégé d’histoire, sous-directeur aux Hautes Études,
symbole de la puissance tem porelle, que tenaient entre directeur de notre collection, « les M étam orphoses de
leurs mains les souverains chrétiens. Mais il était sur l’Hum anité», réalisée avec le concours de conser
monté d’une croix. Les rédacteurs de Planète ont sup vateurs de musée du monde entier et d’historiens
primé cette croix pour les besoins de la cause. Nous universitaires.
16 4
Informations
C’était tout de même énorme. L’accusation, mise en $ £ £ £ £ £ $ £ £ £ £ LA F R A N C E SE C R È TE
évidence par M. Parinaud, était formulée par M. Jean "bf
Servier, professeur de sociologie et d’ethnologie à "bf
l’université de M ontpellier. On n’avait pas encore ’bf
vu user d’un faux pour accuser des hommes de fausseté, ’bf
sinon dans des affaires politiques qui ont soulevé les
cœurs.
UN DADA EMBALLÉ
v
■bf
Le labyrinthe s
L’article de M. Jean Servier, qui se fondait là-dessus,
était assorti de diverses considérations délirantes, sur
lesquelles il serait vain d’insister. M. Servier a écrit
| de la cathédrale
un assez beau livre poétique, l’Homme et l ’invisible, qui
est une défense des civilisations traditionnelles. Nous
’z
'bf
de Chartres
avons accueilli ses propos dans notre N° 18. Il ne nous •bf
a point pardonné de n’être point tout à fait de son
’bf Il y a chaque année, à Chartres, près de cent mille
avis, et de le dire. Nous ne pensons pas, comme lui,
*bf visiteurs attentifs et respectueux. Il en est bien
que, « si la civilisation occidentale venait à disparaître,
*t>f peu qui rem arquent dans la nef le gigantesque ser-
l’humanité n’en serait pas affectée». Nous ne par
tageons pas sa haine de la modernité. Nous croyons ’bf pentin de dalles blanches qui déroule ses méandres
à une synthèse possible entre la pensée tradition ’bf sous les chaises et les prie-Dieu. Ce dessin mys-
nelle et la pensée moderne. Nous ne détestons point "bf térieux constitue pourtant l’une des plus passion-
notre temps. Nous pensons qu’il est un tem ps où tous *of nantes énigmes de N otre-Dam e de Chartres.
les temps se peuvent rejoindre. Bref, nous ne voyons "b- Il s’agit, en effet, d ’un labyrinthe. D ’un labyrinthe
pas que, pour être spiritualiste, il faille être démis *bf de forme ronde dont le diam ètre est de 18 mètres
sionnaire. Mais M. Servier croit à un Dieu de ven Tb+ et le développement total de 294 mètres. Lorsqu’on
geance et à des complots contre le sacré. Il croit que "bf sait que cette étrange figure était liée à certains
nous avons partie liée avec le Diable. C’est de la folie. ’bf rites initiatiques de Crète (il nous en reste l’his-
Nous n’y voyons nul inconvénient sauf si cette folie lbf toire de Thésée et du M inotaure) et qu’on la voit
devient nuisible, associée par les effets de la hargne "bf sur certains mégalithes bretons et irlandais, on
et de la naïveté aux bassesses de M. Parinaud. ’bf est en droit de trouver sa présence insolite dans
C’est pourquoi il nous a semblé nécessaire d’intenter, ’bf un tem ple chrétien.
pour diffamation, diverses actions en justice et de ’bf Les historiens expliquent qu’à Chartres (tout
protester, auprès des corps constitués, universitaires et *bf comme à Poitiers, à Auxerre, Reims, Sens, Saint-
professionnels, contre cet imbécile attentat. ’bf Quentin, Amiens et Saint-Omer où se trouvaient
Nous avons écrit une lettre collective de protestation, ’bf également des labyrinthes) les fidèles considéraient
l’équipe animatrice de Planète étant mise en cause. ’bf que ce chemin de pierre représentait une « réduc-
M. Parinaud l’a publiée, tronquée, et comme une "bf tion du pèlerinage en Terre sainte». Ceux qui ne
réponse venant de moi seul, les titres de mes collabo "bf pouvaient aller à Jérusalem le parcouraient à
rateurs l’inquiétant. Il m’apparaît, d’ailleurs, que *bf genoux, car les mêmes grâces et les mêmes indul-
M. Servier n’est point agrégé, et que cet ancien officier ’bf gences y étaient attachées. Selon d ’autres auteurs,
de cavalerie, lorsqu’il monte sur ses grands chevaux, ’bf ce labyrinthe figurait la « voie douloureuse » suivie
mord la sciure. ’bf par le Christ, de la maison de Pilate au Calvaire.
Mais c’est assez. La plume me fuit dans ces médio ’bf Mais, dans les deux cas, pourquoi avoir donné à
crités. Il me faut me reporter à la prose de M. Parinaud ’bf cette croisade en miniature ou à ce chemin de croix
qui, pour tenter de se justifier, écrit dans un numéro ’bf la forme d ’un «jeu de l’oie»? Pourquoi, enfin — et
suivant : « La vérité apparaît aveuglante avec la croix ’bf cette question est la plus troublante de toutes —,
rajoutée, et la malhonnêteté n’est pas de notre côté. » 'bf pourquoi la pierre centrale du labyrinthe de
Il me faut lire, à notre propos, des mots comme: ’bf Chartres ne représente-t-elle pas le tombeau du
« truquage, flagrant délit, épicerie, escroquerie», pour ’bf Christ ou le Calvaire, mais Thésée et le Minotaure?
me persuader qu’on ne rêve pas, que cela est possible, ’bf (Usée par le passage des fidèles, cette figure est
pour m’échauffer à l’idée que, pour l’honneur et la ’bf aujourd’hui quasi invisible.) Devons-nous donc
vérité, cela ne saurait dem eurer impuni. C ’est assez ’bf considérer les labyrinthes inscrits dans les dalles
sur ces Messieurs. D ’autres attendent. « Il y a du 'bf de certaines de nos cathédrales comme d ’étranges
temps, dit Chateaubriand dans ses Mémoires, où l’on ’bf liens qui rattachent le christianisme aux plus
ne doit dépenser le mépris qu’avec économie, à cause ’bf anciennes religions connues? Sans doute. Comme
du grand nombre de nécessiteux. » ’bf nous devons y voir un symbole alchimique.
LOUIS PAUWELS.
165
Informations
£ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £ £
l’esprit.) Plus loin, l’auteur du Mystère des Cathé- ^
drales ajoute cette phrase toute scintillante d’un ^
sens caché: «A riane est une araignée mystique ^
qui a laissé sur le parvis du chœ ur la trace de sa *
toile»... ^
Ce labyrinthe, que nous retrouvons dans nombre ^
d’initiations m éditerranéennes et que Jorge Luis ^
Borgès appelle le «jardin aux sentiers qui bifur- ^
quent», semble bien être le symbole du lent chemi-
nement du disciple vers la Connaissance, et le
point auquel il aboutit n’est pas autre chose que
l’image d’un centre spirituel. A cet égard, René
G uénon est formel: «Le parcours du labyrinthe,
écrit-il, n’est donc proprem ent qu’une représen-
tation des épreuves initiatiques; et il est facile de
concevoir que, quand il servait effectivement de
moyen d ’accès à certains sanctuaires, il pouvait
être disposé de telle façon que les rites corres-
pondants soient accomplis dans ce parcours même.
D ’ailleurs, on trouve là l’idée de voyage, sous
l’aspect où elle est assimilée aux épreuves elles-
mêmes, ainsi qu’on peut le constater dans la maçon- ^
nerie, par exemple, où chacune des épreuves *
symboliques est précisém ent désignée comme un
voyage. » ^
............................... 166
Information:
T E IL H A R D D ISA IT : Nous nous découvrons
responsables de la cosmogenèse
Il y a dix ans, le père Teilhard de Chardin m ourait à N ew York. — On n ’est converti que par ce
D om inique de W espin avait fait sa co n n aissan ce en C hine, à la qu’on aime. Cependant, je ne crois
veille de la dernière guerre m ondiale. L es q u elq u es souvenirs qu’elle pas souhaitable de voir un jour le
évoq u e à l’occasion de cet anniversaire nous m ontrent com b ien le monde uniformément chinois! Culti
père, aussi bien en ce qui co n cern e l’avenir de la C hine que l’avenir vons nos différences tout en nous
rapprochant les uns des autres.
de l’hum anité dans son en sem b le, avait ém is des ju gem en ts prop h é Sans com pétence particulière sur
tiques. l’histoire de la pensée asiatique,
A Pékin, où je l’ai rencontré pour la Le visage émacié rayonnant de bonté mais entouré d ’amis et de collabo
première fois, Pierre Teilhard de du père Teilhard me fit penser à la rateurs chinois, Pierre Teilhard de
Chardin vivait au pied des Remparts phrase de G œ the: «Ces âmes qui Chardin avait appris à voir l’ancien
dans le Quartier des Légations, for sym pathisent avec toutes les âmes. » Empire du Milieu dans sa lumière.
teresse enclavée dans le sud-est de Un sourire tour à tour tendre et Ne vivait-il pas depuis plus de seize
la ville tartare et réservée aux admi m oqueur courait de son regard à ans en osmose avec cet Extrême-
nistrations et aux ambassades étran ses lèvres, le long des fines rides Orient dont il avait fait sa seconde
gères. qui ciselaient les traits. patrie?
Véritable « cité interdite » en minia Dès l’abord, je connus l’exquise — Depuis toujours la Chine est par
ture, derrière ses hauts murs couleur courtoisie de son accueil, sa gentil excellence un foyer d’aspirations
de sang séché, ma maison se trouvait lesse véritablem ent désarmante, la matérielles et humaines, apprécia
au cœ ur de la rue du Chapeau-M an- suavité de son caractère et son Teilhard. S’il était possible de con
darinal. Il fallait quinze minutes à humour. denser dans une formule l’exubé
pied pour parcourir mon houtoung, - La Chine, vous le constaterez au rante richesse contenue dans trois
traverser le boulevard Hatamen, départ, est comme un labyrinthe: mille années de vertu, d ’art et de
ouvert sur l’une des neuf portes beaucoup d ’entrées et beaucoup de poésie, je dirais que ce qui, à mes
de la ville, les Glacis et la rue sévère fausses sorties! Nul fil d’Ariane, ici! yeux, caractérise l’âme de la vieille
comme un couloir menant à la rue La Chine, cette grande dame, ne Chine, c ’est son goût pour l’homme.
Labrousse, près de l’école française. connaît pas le coup de foudre. Elle Cependant, cette vue, pour admirable
C ontrairem ent à ce qui a été trop ne vous adopte pas au prem ier qu’elle soit, reste assez courte, car
fréquemm ent répandu par ceux qui regard. Mais elle a un appétit féroce. il ne s’agit jamais ici que de l’homme
ne l’ont pas connu, le père Teilhard Elle absorbe tout. D ’ici quelques d’hier, à peine de celui d’aujour
résidait à Pékin, non point en exilé années, les «Japs» que vous ren d ’hui. L’avenir ne se pare d ’aucun
plus ou moins volontairement heu contrez dans nos rues seront complè charme pour le Chinois!
reux, mais en homme élargi aux tem ent enchinoisés! La Chine fait Le Dr Péi secoua la tête. L’enthou
dimensions du monde, partout chez des Chinois! Vivez à Péiping et vous siasme de ses trente ans s’accom
lui « sur la belle terre verte où il y serez Pékinoise! modait mal d’une Chine tradition
a de l’homme ». Je ne pus m’em pêcher d’applaudir. nelle.
— Je me sens parfaitem ent « at - Qui aime la Chine, la Chine le lui — Pou che! Pou c h e ! 2 fit-il avec
home » dans ce bon vieux Péiping, rend, surenchérit gravement le animation. Cette guerre sonne le glas
où les âmes se font plus appro- docteur W eng-Tchoung-Péi, colla des mandarins pour lesquels le
chables, comme transparentes les borateur du père. Ni ai Tsoungo, moindre idéogramme d ’un poème
unes aux autres, me dit-il, ce matin Ni che T soungo-Jeun ! 1 Tang ou Soung vaut toutes les inven
d ’octobre 1939, où le Dr Weng- Le père Teilhard opina joyeusement. tions, les plus merveilleuses même,
Tchoung-Péi me conduisit à lui. I . V ous aim ez la C h in e, vous ê te s C hinois! 2. N o n ! N o n ! m
167
Philosophie
de la science moderne! Ma géné la pensée de l’avenir! Après bien
ration, je vous l’assure, écrit le mot des tâtonnem ents, je n’ai pas trouvé
Min-Tien, demain, et le regarde. personnellement de formule meil
Le père Teilhard 'saisit la balle au leure: progresser dans une succes
bond. sion de pas, faits un à un, avec la
— Quel beau mariage, s’exclama- confiance et l’espoir d’être menés
t-il. Sérénité, fille de Lao Tseu et de là où nous ne savons pas Je crois
Confucius, épouse le fils de l’En- que, malgré tant de malheurs et tant
Avant, né de la recherche scienti de haine dans le monde, le bloc
fique et du progrès! Vous avez raison, humain ne se désagrégera pas.
mon cher Péi, une grande force Chaque guerre — et j ’en connais
couve dans les hommes de votre l’indicible horreur — a pour consé
génération, sur les épaules desquels quence de faire se lier et s’emmeler
pèse tout le poids du présent. Un les nations qui y sont engagées. Plus
jour, nous verrons la résignation nous nous repoussons et plus nous
chinoise se faire combative et le nous compénétrons. S’il devait y
détachem ent chinois devenir pas avoir jam ais un dernier jour de l’hu
sionné! manité, il coïnciderait avec un maxi
mum du resserrem ent des hommes
NOUS DEVONS VIVRE DANS entre eux.
LA PENSÉE DE L’AVENIR - Je suis d’avis que nous vivons
actuellem ent, en Chine, une époque
Le front du paléontologiste chinois totalem ent révolutionnaire, coupa
s’était rembruni. Il avait baissé la Weng-Tchoung-Péi. Il se peut que
tête. je me trompe, mais, sous la botte
— Mais que de souffrances pour le japonaise, n’est-ce pas une sorte de Teilhard: « Je nomme croyant
peuple chinois! Que de sacrifices fin du monde qui commence? Il est qui croit au monde. »
exigera cette mue! Ceux qui ont pu vrai qu’au début du IIe siècle, vos
construire, au prix de mille douleurs, ancêtres ont cru qu’ils se trouvaient
la G rande Muraille, à l’âge où la à la veille de quelque Apocalypse... peur, à la révolte et au découra
science n’était pas née, consentiront — Et ils se sont trompés! Les pessi gement, qu’il découvrira la force
un tel effort... mistes ont toujours tort! Il est logique irrésistible d ’un monde en voie d ’uni
— Les affres de la parturition, cher toutefois de dire que l’humanité fication et d ’arrangement.
Péi. Songez à la grandeur de la nais doit vivre comme une seule famille — Mais vous avez la foi, cher oère!
sance attendue. N ’est-ce pas à force si elle veut survivre. Je ne peux Vous parlez en chrétien, s'exclama
de souffrances, et même de décep m’em pêcher de rester optimiste. Il Weng-Tchoung-Péi. Vous oubliez
tions comme les vôtres en ce moment, y a une sorte de conscience humaine que je suis incroyant! Votre Église
que la victoire s’atteindra: celle de à l’échelle planétaire qui est en train ne vit peut-être pas le drame pro
l’Homme s’unissant enfin sur lui- de naître. Nous savons m aintenant fond de l’homme. Nous y étouffons,
même dans un grand idéal commun? que la vie et la terre ont un âge. Il nous, parce que nous le vivons!
Le geste essentiel, le plus fécond y a eu un passé. Il y a aussi un — Incroyant, vous? Je nomme
sans doute, est de nous fier, de nous avenir en face de nous. Pour la pre croyant qui croit au monde. La
abandonner, avec quelque chose qui mière fois, au-dessus du conflit qui grande affaire, de ce point de vue,
ressemble à de l’amour, à la force secoue notre monde, nous commen est de battre le rappel et de former
qui anime le monde en crise de nais çons à voir, en nous et en avant de le bloc de tous ceux qui, soit à droite,
sance. Cette force pourrait-elle ne nous, l’unité de l’espèce humaine. soit à gauche, pensent qu’il faut
pas être de l’espèce d’un super Autrefois — il n’y a pas si longtemps, avant tout, pour l’humanité, une
amour puisqu’elle est parvenue à cent cinquante ans à peine —, nous issue en avant. Malgré la vague de
produire l’homme qui tout de même nous imaginions regarder, spectateurs scepticisme qui semble balayer au
sait de plus en plus aimer? inactifs et irresponsables, un grand jo urd’hui les espérances dont a vécu
Le Dr Péi esquissa un geste de décou décor terrestre planté autour de nous. le xixc siècle, la foi en l’avenir n’est
ragement. Du Glacis proche montait Nous nous sentons aujourd’hui les pas morte dans les cœurs. C ’est elle,
le vrombissement des tanks japo atomes vivants d’un univers en et elle seule, qui peut sauver le monde
nais à l’exercice. marche. Voyez-vous, c’est au mo des mains d ’une humanité prête à
— Nous n’avons pas le choix, con ment où l’homme est le plus dange détruire l’univers si elle ne l’adore
tinua le père Teilhard. Sombrer dans reusem ent menacé sur un globe qui pas.
la neurasthénie et le dégoût du pré rétrécit à vue d’œil, au moment où L’inconscience tranquille de mes
sent ou vivre en avant de nous dans il est le plus près de succom ber à la vingt ans me fit intervenir.
168
A savoir
—Je sais ce que vous pensez, reprit Qu’une liaison ait peu être ainsi
passionnément Pierre Teilhard de établie à travers une coque d’acier et
Chardin. Le « croyant» tel que vous P A R A P SY C H O L O G IE une couche d’eau salée, voilà qui est
l’entendez — celui qui croit à la profondément troublant. Aucune
résurrection de Lazare ou aux pro onde de radio n’en serait capable.
diges du Bouddha et de M ahom et - Télépathie: on progresse Quelle est donc la nature du vecteur
s’est trop longtemps, en effet, déso de la pensée mis en jeu?...
lidarisé des «affaires humaines». Dès 1888, soit peu de temps après la
Trop longtemps, il a dédaigné le La très sérieuse revue « Toute l’élec découverte des ondes portant son
monde et renoncé à aimer et à servir tronique » consacre l’éditorial d ’un de nom, Heinrich H ertz émit l’hypo
l’univers dont il fait partie. Trop ses récents numéros à la parapsycho thèse selon laquelle ces ondes
longtemps aussi, il a donné l’im logie. Il s’agit pratiquem ent d’un pourraient établir des communi
pression de ne pas sentir avec l’hu bilan des interrogations actuelles sur cations entre les cerveaux humains.
manité. Une fissure s’est créée entre les phénomènes télépathiques. Lorsque, en 1929, Hans Berger
ce «croyant» et l’existence, pour Tout un ensemble de phénomènes, devait découvrir l’existence des
cet « enfant du ciel » qui n’était plus dits « parapsychiques», requièrent un potentiels électriques oscillants du
en même temps « enfant de la terre ». examen objectif, une étude attentive cerveau (qu’il a enregistrés en forme
Mais nous commençons à surmonter m ettant en oeuvre des méthodes d’électro-encéphalogrammes), la
ces perspectives étroites. Pour la rigoureuses d’investigation scienti preuve semblait être administrée de
plupart des croyants que je connais, fique. C’est notam m ent le cas de la l’existence des ondes rayonnées par
le monde n’est plus désormais un télépathie dont il est pour le moins le cerveau. Et pourtant, quelle que
jardin tout planté où la fantaisie du ridicule de nier l’existence. fût la sensibilité des récepteurs
C réateur nous a, pour un temps, Tant qu’il ne s’agissait que de cas employés pour tenter de les détecter,
exilés. De plus en plus, partout sur spontanés de la transmission des jamais on n’est parvenu à en perce
la terre, nous nous découvrons res pensées à distance, on pouvait voir la moindre trace.
ponsables de la cosmogenèse. arguer de simples coïncidences. Nous connaissons maintenant toute
Le Dr Péi ne dissimula pas sa joie. Mais des expériences de suggestion à l’étendue du spectre des radiations
Le père Teilhard donnait à sa pensée distance conduites avec toutes les électromagnétiques allant des rayons
la couleur humaine propre à inté garanties de sérieux ont administré cosmiques, en passant par les rayons
resser tous les hommes de la terre, la preuve mathématique de la réalité gamma et X, l ’ultraviolet, la lumière
qu’ils fussent de l’Est, de l’Ouest, de des phénomènes télépathiques. visible de l'infrarouge, pour, sans
l’Occident, de l’Orient, Moyen ou lacune, se terminer par toute la
Extrême. ON REPARLE DU «NAUTILUS» gamme des ondes radio-électriques. Où
— Dans mon pays, on dit: « Fan situer les « ondes mentales » dans tout
liao, fan liao!», cela signifie: «Le La plus retentissante des démons cela? Et si de telles ondes occupent
ciel et la terre sont sens dessus trations fu t celle effectuée, pendant effectivement une bande du spectre,
dessous. » Un nouvel ordre com l’été 1959, lorsque le sous-marin comment se fait-il que l’organisme
mence. Pourtant, avouons-le, ce américain Nautilus resta seize jours humain ne perçoive pas directement
n’est encore que désordre... Le en plongée dans l’Atlantique. A des d’autres radiations émises sur la
banyan étale ses racines à trois mille centaines de kilomètres de là, sur la même fréquence?
lieues, dit-on aussi en Chine. Com terre ferme, une machine tirait au Arrivé à ce point de mes réflexions,
ment dès lors changer son ombre? hasard, d’une pile de plusieurs milliers je me suis vu dans l’obligation de
Le père Teilhard pressa l’une contre de cartes, telle ou telle autre. Il y en formuler une hypothèse étrange: il y
l’autre ses longues mains transpa avait cinq sortes, pourvues de dessins aurait d’autres formes de radiations
rentes. géométriques simples: un cercle, un que celles de nature électrom agné
— Gare au pessimisme, mon cher carré, une étoile, une croix et une série tique. Non sans hésitation, je m’en
Péi. Ne regardez pas seulement le de lignes ondulées. Un expérimen suis ouvert au grand savant
côté négatif des événements et des tateur (appelons-le « inducteur »), assis W. Zworykin et au D r Davis,
choses. Restez fidèle à la vie qui est devant la machine, s efforçait à sug directeur de l’institut international
positive. Il faut chercher à combler gérer ces images à un « percipient » se d’Electronique médicale, avec qui
les crevasses et non y enfoncer le trouvant à botd du submersible, et j ’ai eu récem m ent le plaisir de
pied. celui-ci notait les images perçues. bavarder au cours d’un déjeuner. Je
Et il cita l’admirable vers de Lorsque, au terme de l’expérience, on craignais d’être taxé d’hérétique. Il
William Blake: «N e doutez jamâis. compara les suites des images n’en fut rien. Mes deux éminents
Le soleil même, s’il doutait de soi, « émises » et « reçues », on constata interlocuteurs, esprits d’une grande
s’éteindrait sur le champ. » plus de 70% de résultats justes, alors ouverture, ont considéré l’hypothèse
Dominique de Wespin. que, selon la théorie des probabilités, comme plausible. Et, en fait,
il ne devait pas y en avoir plus de 20 % ! qu’auraient dit les physiciens du X I X ' mt
169
Parapsychologie
•« r siècle si, avant Faraday et Maxwell, on La conclusion s ’impose: ce ne sont pas .;..BM:
leur avait parlé des ondes électro des ondes électromagnétiques qui
magnétiques, capables de transporter constituent le support de la suggestion A S T R O N O M IE
des sons et des images?... mentale à distance.
Cependant, avec mon hypothèse, Quelle est dès lors la nature de ce
j ’étais en train de découvrir l’Amé «vecteur psychique»? Compte tenu La Lune arrachée à la Terre
rique. En effet, le hasard devait des grandes étendues qu’il perm et de
m ettre entre mes mains quelques franchir (en 1928, des expériences de Selon John O’Keefe, chef adjoint de
récents numéros de la « Revue télépathie ont été réalisées avec la division théorique du « G oddard
métapsychique » qui m’ont montré succès entre Athènes et Paris, soit Space Flight C enter», qui est l’une
que la plupart des parapsychologues sur 2 101 km), on doit adm ettre que des installations gouvernementales
ont abandonné la théorie de la trans la loi de l’inverse du carré de la américaines de recherche et d’appli
mission de la pensée par ondes élec distance ne joue pas en l’occurrence. cations spatiales, les perturbations
tromagnétiques et, plus ou moins On peut supposer qu’il s’agit de géologiques se produisant à l’inté
ouvertement, adm ettent l’existence radiations concentrées en faisceaux. rieur du globe terrestre seraient dues
d’une énergie de nature différente S’agirait-il d’une forme de champ à des «cicatrices» laissées par la
qui reste à préciser et à étudier. semblable à celui de la gravitation?... Lune lorsqu’elle s’arracha à sa
Cette même revue m’a mis sur la Sommes-nous en présence d’un phé planète mère, la Terre.
trace d’un ouvrage rem arquable, la nomène apparenté à ces étranges Si cette théorie de la formation de la
Suggestion à distance, de L.-L. Vassi- neutrinos qui traversent aisément le Lune est loin d’être catégoriquem ent
liev, traduit du russe et publié chez globe terrestre pour sortir aux établie, précise John O ’Keefe, les
Vigot frères. L’auteur est une per antipodes? Nous n’en savons rien. mesures de l’aplatissement de la
sonnalité scientifique de prem ier Mais ce qui peut être affirmé avec T erre ne concordent pas, en effet,
plan: professeur de physiologie à certitude, c’est que, devant nous, se avec les calculs théoriques de la pro
l’université de Leningrad, membre découvre un immense domaine portion dans laquelle les forces rota
correspondant de l’Académie des inconnu dont l’exploration sera riche trices auraient dû provoquer cet
sciences médicales de l’U.R.S.S. et en surprises. „ .. , aplatissement. Cet écart peut s’ex
dont les travaux dans les domaines E. A isberg. pliquer si l’on admet que la Lune fit
de la biophysique et de la biochimie d’abord partie de la Terre, en un
font autorité. temps où la rotation de celle-ci
Pour trancher la question de la s’effectuait en 3 heures et non pas en
nature des radiations porteuses de la 24 heures comme maintenant. Tandis
Krishnamurti à Paris que la masse, alors sous forme
suggestion à distance, Vassiliev a
réalisé des expériences cruciales en N o u s avons le plaisir de liquide, de la Terre se refroidissait,
enfermant « l’inducteur» dans une les métaux se déplacèrent à l’inté
vous inform er que Krishna rieur de cette masse, provoquant des
cage de Faraday conçue avec un
soin particulier. C’est ainsi que les murti, va donner à Paris une instabilités. Il y a quatre à cinq
joints entre la partie supérieure série de cinq con féren ces. milliards d’années, ces instabilités
formant couvercle et la partie infé E lles auront lieu à la Salle auraient donné à la Terre la forme
rieure de la cage sont constitués par A dyar, 4, square Rapp. d’un cigare qui se serait aplati de
des rigoles remplies de m ercure, de plus en plus à mesure qu’une cer
Les dim anches: 16, 23, 30
manière à ne laisser aucun interstice. taine quantité de matière s’en
mai 1965 à 11 h du matin, détachait, tout en continuant à
Une vérification à l’aide d’un
ém etteur et d’un récepteur placés, les jeu d is: 20 et 27 mai 1965 tourner. A la longue, cette masse de
l’un à l’extérieur, l’autre à l’intérieur à 18 h 45 matière détachée de la Terre aurait
de la cage, puis inversement, devait C es co n féren ces seront constitué la Lune, qui se serait
dém ontrer l’étanchéité parfaite de d o n n ées en anglais, mais éloignée progressivement de la Terre
l’ensemble pour les ondes courtes et elles seront acco m p a g n ées en décrivant une orbite de plus en
moyennes et un peu moins bonne de traductions françaises: plus large.
pour les ondes longues. les lundis: 24 et 31 mai à 20 h John O ’Keefe ajoute que la Lune a
Plusieurs séries d ’expériences ont été été probablem ent formée en même
les m ercredis: 19, 26 et 2 juin
effectuées tantôt en isolant par des temps que le manteau de la croûte
cages de Faraday et l’inducteur et le à 20 h égalem en t salle Adyar. terrestre, car la Lune a la même
percipient, tantôt sans isolation. Pour tou s renseignem ents, densité que le manteau. C ette
Aucune différence sensible n ’a pu être s’adresser: M onsieur Carlo théorie se trouverait confirmée si
constatée entre les résultats numé Suares, 15, avenue de La l’exploration de l’écorce lunaire
riques précis et positifs dans les deux Bourdonnais, Paris 7. m ontrait que sa composition est
cas. analogue à celle du manteau.
170
A savoir
H ISTO IR E
Vingt ans après...
Les livres sur le nazism e et la S eco n d e G uerre m ondiale qui a des intermédiaires, des consomma
entraîné sa chute se m ultiplient. N otre ami A ndré Brissaud fait le teurs. Des êtres qui tuent et qui se
bilan de cette bibliothèque d’histoire con tem p orain e. Il est lui- font tuer, qui commandent et qui
m êm e un sp écialiste de cette période, mais il a m o d estem en t om is obéissent — ou qui désobéissent.
L’histoire est ordre et désordre, plan
de signaler son propre ouvrage récem m en t paru, la Dernière année
et caprice, raison et hasard, progrès
de Vichy1, qui apporte des p récisions in éd ites sur la fin de l’État et recul. »
Français. A ndré Brissaud term ine d ’autre part un Sigmaringen
et prépare deux autres ouvrages co n sa crés à la S eco n d e G uerre LE TEMPS DU REGARD
m ondiale: l’Agonie wagnérienne du II? Reich et l’Étrange destin O BJECTIF EST VENU
de l’amiral Darlan. P longé dans ses propres d ocu m en ts, il était Est-ce parce que l’homme se sent
particulièrem ent qualifié pour ju ger ceu x d es autres. J.M . écartelé entre sa puissance grandis
1. L ib ra ire A c a d é m iq u e P errin.
sante dans le domaine matériel et
ses difficultés à résoudre les grands
Quand on voit le nombre grandis donc que « si la foi en l’avenir n’est problèmes spirituels qu’il se penche
sant des livres, des témoignages, pas morte dans les cœurs », le chemin intensém ent sur l’histoire de l’huma
des documents, des récits, des études à parcourir est, en revanche, plus nité? Croit-il ainsi découvrir les
qui paraissent sur la période 1939- difficile et plus chargé de mystères solutions du temps présent et les
1945 — et le succès de ces publi qu’il n’imaginait. C ’est en cela que secrets de son devenir? En résolvant
cations —, on s’interroge sur le phé l’histoire n’a pas de sens, au niveau les mystères de l’histoire pense-t-il
nomène qui attire ainsi la conscience d’une logique élémentaire. Au niveau acquérir par cette vue rétrospective
universelle. d’une conception globale, on peut une vision prospective? Il faudrait
Des événements catastrophiques dire que l’histoire n’a pas de sens alors, peut-être, que ce sondage du
comme la première et la seconde mais suit une direction. Il est parfois passé soit ontologique et qu’il tienne
guerre mondiale ont sérieusem ent difficile de le déceler dans les compte, derrière la trame des événe
modifié la notion un peu naïve, et désordres quotidiens. ments et des comportem ents, de la
d ’un optimisme sans nuances, du Dans son dernier livre l’Histoire n’a réalité plus profonde, plus secrète,
sens de l’histoire qui régnait à la fin pas de sens (Arthème Fayard), René qui ne peut s’apercevoir que par
du xixc et au début de notre siècle. Sédillot écrit: « L’histoire ne se laisse transparence. L’histoire aurait besoin
Plus l’homme parvient à dom pter pas mettre en adages prophétiques, ni d’une sorte de désintégration qui
les forces naturelles, plus il pro pour le passé ni pour l’avenir; et pas perm ettrait de libérer son énergie
gresse sur le chemin de la connais davantage en formules mathéma secrète comme la désintégration de
sance dans le domaine des tech tiques. Elle n’appartient ni à Nostra- la « bombe » a libéré l’énergie en
niques et des sciences, et plus il se damus, ni à Karl Marx, ni aux algé- close dans l’atome. Quelques rares
sent dominé par des forces surnatu bristes. Elle relève de l’homme, au historiens travaillent à cette libé
relles dont il ne discerne guère les même titre que n’importe quelle vie ration. Déjà des progrès sensibles
contours et encore moins l’essence, humaine, soumise tout à la fois aux ont été réalisés, mais il faudrait des
enivré par les abîmes qu’il découvre tables de mortalité et à l’accident du milliers de chercheurs « éclairés »,
sans cesse dans l’infiniment petit et coin de la rue. C’est l’homme qui fait des centaines de savants «initiés»,
l’infiniment grand, dérouté par l’histoire, mais aussi qui la subit. et une organisation planétaire des
quelques fulgurantes révélations L’homme, c’est-à-dire des gouver études historiques pour atteindre à
venues d’un passé plus ou moins loin nements, des peuples, des héros, des la vérité.
tain, qui bouleversent toutes les hypo monstres, des génies, des médiocres. A elle seule, l’histoire de la Seconde
thèses élaborées jusque-là. Il sent C’est-à-dire, encore, des producteurs, G uerre mondiale offre un champ
171
Histoire
pratiquem ent illimité d’investiga secrète. Des milliers de livres, en points particuliers. Je songe, par
tions du plus haut intérêt. Intuiti toutes langues, ont été publiés: exemple, à des ouvrages comme:
vement, le public se penche sur ce témoignages individuels et collectifs, Duel pour la France 1944, par Martin
passé récent, comme aimanté par récits d’événements et de batailles, Blumenson (Denoël), Opération Bar-
les forces obscures qui se sont dé biographies individuelles, études de barossa par Paul Carell (Laffont),
chaînées avant l’An I de l’ère ato points particuliers, tentatives de syn Une guerre pas comme les autres,
mique. Parmi ces forces, celle qui thèse, etc. Combien abordent les par Michel G arder (La Table ronde),
suscite le plus de curiosité est, sans questions essentielles? Quelques le Jour le plus long, par Cornélius
aucun doute, le national-socialisme: lueurs, de-ci de-là, au détour d ’une Ryan (Laffont), la Destruction de
H itler et son entourage, l’action page, dans une note ou dans une Dresde, par David Irving (Laffont),
nazie dans toute l’Europe, son in annexe, mais les points importants Sept hommes à l’aube, par Alan Bur-
fluence, etc. Vingt ans après... ne sont pas cernés, décortiqués, gess (Albin Michel), Waffen-SS au
L’épreuve passée, il faut proba mis en lumière, ou trop rarement. combat, par Lothar van Greelen
blement à l’homme vingt ans d ’oubli (France-Empire), les Cosaques de
avant de se souvenir et de réfléchir, LE VOILE SE LÈVE Hitler, par Erich Kern (collection
il faut vingt ans pour que les passions LENTEM ENT « Action »), le Dernier Coup de dés
s’apaisent un peu. de Hitler, par Jacques Nobécourt
Le temps est-il venu d’écrire, sans Pour se limiter au problème qui (Laffont), les Derniers Jours de Hitler,
haine et sans crainte, l’histoire de intéresse la majorité des lecteurs, par H.-R. Trevor-Roper (Calmann-
ces années sanglantes et encore bien le national-socialisme, peut-on dire Lévy), Yalta ou le partage du monde,
mystérieuses? J ’en suis convaincu. qu’on connaisse son histoire secrète? par A rthur Conte (Laffont), etc.
Depuis près de vingt ans, je cherche Le livre de William Shirer, le Troi Ce sont des études brillantes, com
à percer certains secrets de la sième Reich des origines à la chute plètes, objectives, indispensables,
Seconde G uerre mondiale. J ’ai con (édition Stock et « l’Encyclopédie qui perm ettent d’aborder les rivages
sulté des tonnes d’archives et de contem poraine» du Club des Amis où se cachent encore d’autres aspects
documents, lu des centaines de livres du Livre), est certainem ent un des du dram e et les chemins qui mène
et des milliers d’articles de journaux plus complets sur la question. Pour ront à la vérité.
ou de revues, interrogé des centaines tant, des points essentiels ne sont pas En effet, est-on assuré de connaître
de témoins parmi les plus connus et abordés ou sont traités trop hâti la vérité, toute la vérité sur Hitler
parmi les plus obscurs. Je suis per vement. C’est ainsi que l’idéologie et son entourage? Sur le jeu Hitler-
suadé que Balzac avait raison quand nazie est escam otée; les contra Staline, le drame du général sovié
il écrivait: « Il y a deux histoires: dictions apparentes de Hitler ne tique Vlassov, l’étrange com por
l’histoire officielle, menteuse, qu’on sont pas expliquées, ni celles de tem ent de Canaris, de Heydrich ou
enseigne, puis l’histoire secrète où Gœring, de Himmler ou de Speer. de Bormann, les camps d ’extermi
sont les véritables causes des événe Comment expliquer la fuite de nation, les «arm es secrètes», les
ments.» La quête est difficile! Clio Rudolph Hess en G rande-Bretagne rivalités parmi les chefs de la SS,
est une dame d’une farouche pru en 1941, les négociations de Himmler etc.? Que de mystères! L’histoire
derie et une menteuse fieffée. Sa avec le Congrès juif mondial en vraie et secrète du IIIe Reich reste
conquête exige une stratégie com 1945, les contacts du maréchal à écrire, de nombreux volumes seront
pliquée, prudente, patiente. On Rommel avec les Américains ou nécessaires. Elle s’écrit peu à peu,
n’obtient rien d’elle par la bruta ceux de Hewel, Brandt et Schel- au fur et à mesure que les voiles
lité ou la précipitation. Il faut beau lenberg avec les Russes? Connaît-on sont déchirés. D éjà des lueurs pré
coup de ruse pour l’amener aux le détail des discussions et les déci cises se discernent.
confidences, pour lui arracher un à sions qui ont amené à « la solution
un tous ses voiles et la contem pler finale », l’extermination des juifs?
enfin nue comme la Vérité. Comme La longue et tumultueuse rivalité UN EXEM PLE DE MYSTÈRE:
elle est éblouissante alors! entre l’Abwehr, dirigée par l’amiral
Le pape Léon XIII a fixé les deux Canaris, et l’Office de sécurité du Parmi ces lueurs, je voudrais citer
lois fondamentales qui régissent la Reich (Reichssicherheitshauptam t : une page du dernier livre de Saint-
profession d ’historien : « La première R.S.H.A.), dirigé par Reinhard Hey- Loup, les Hérétiques (Presses de la
loi de l’historien est de ne pas oser drich puis par Kaltenbrunner, n’est Cité), qui conte, pour la prem ière
mentir, la seconde, de ne pas craindre pas mise en relief; et pourtant! fois, l’histoire authentique de la
d ’exprimer toute la vérité. » Le livre de W. Shirer est un des division SS-Charlemagne, composée
Il faudra du temps, beaucoup de plus complets, que dire des autres de volontaires français venus de la
temps, pour explorer méthodique qui tentent de présenter une syn Légion des Volontaires français
ment tous les aspects du dram e san thèse du national-socialisme? Plus contre le bolchevisme (L.V.F.), de
glant de la Seconde G uerre mon satisfaisants, en un certain sens, la brigade d’assaut SS française et
diale et, surtout, découvrir l’histoire sont les livres qui portent sur des de la Milice française de Darnand.
172
A lire
Dans ce livre, Saint-Loup lève un Waffen-SS: Danois, Norvégiens,
coin du voile. Il écrit: Finlandais, Baltes, Hollandais, Fla
« L’idée originale de la SS « garde mands, Wallons, Suisses, Français.
armée de la révolution socialiste et Pour ces idéalistes-activistes, repré
nationale » ne provenait pas, comme sentant finalement trente-deux na
on le croit généralem ent du N.S. tions, l’aryamsation, notion ethnique,
D.A.P. mais du général comte von ne pouvait se confondre avec le
der Schulenburg, chef d ’état-m ajor pangermanisme.
du Kronprinz. Elle matérialisait le » Riedweg s’installa à la direction IV
très vieux rêve du baron Cou- du Führungshauptamt-SS en 1941.
denhove-Kalergi, celui de la Pan- Tout de suite, la lutte fut acharnée
Europa, fédération européenne entre les représentants du N.S.D.A.P.,
socialiste, mais anticommuniste. conservateurs d’une révolution alle
Elle avait donc séduit, dès l’abord, mande, incapables de se hausser
des personnalités étrangères à jusqu’au plan universel, le « Rasse
l’Allemagne et, en premier lieu, des und Siedlungs-Amt der SS» chargé
Suisses, traditionnellem ent ouverts des questions raciales et qui défen
à l’idée de l’Europe. dait une prétendue supériorité du
» Le prem ier SS « européen » fut sang allemand, les gauleiters Koch
donc le chirurgien militaire helvé et Terboven, véritables chauvins
tique Riedweg qui, secrétaire général pangermanistes et impérialistes,
de l’« Action suisse contre le com Martin Bormann, Müller, chef de la
munisme» en 1937, devait se heurter G estapo, et les activistes « euro
au gouvernement fédéral à propos péens » groupés derrière le Suisse
de son film la Peste rouge. Brimé Riedweg.
en Suisse, Riedweg tira les conclu » Riedweg, fortem ent combattu,
sions de cet ostracisme, passa en démissionna en 1942, repartant pour
Allemagne, épousa la fille du général le front de l’Est dans les services
von Blomberg, devint le confident du général Steiner. Mais il fut rem
de Himmler; prem ier représentant placé par Spaarmann qui poursuivit
de l’Europe dans une organisation sa politique avec un succès de plus Mais l’histoire semble parfois
que le pangermanisme de Hitler allait en plus grand. Petit à petit, la frac perdre son sens.
dévoyer après la victoire du 30 juin tion européenne de la Waffen-SS
1934, date cruciale dans l’histoire l’em portait sur la vieille garde pan-
du IIIe Reich. germaniste, dans la mesure où les plissait donc sans éclat, protégé,
» Confondant, dès le départ, le effectifs étrangers l’em portaient sur encouragé par un Allemand du
national-socialisme avec le panger les effectifs de nationalité allemande. Führungshauptamt-SS qu’on appe
manisme avide de territoires d ’ex Au début de 1944, en effet, la lait der Chef... »
pansion, mettant le prem ier au Waffen-SS comptait 400 000 citoyens Et Saint-Loup note: «N os infor
service du second, H itler devait allemands et 250 000 étrangers dont mateurs nous ont toujours dissimulé
jeter, dès le 30 juin 1934, les bases 50 000 seulement appartenaient à le nom de cette personnalité, mais
des contradictions internes qui le l’espace germanique (Hollandais et le fait d ’utiliser, pour la désigner,
menaient à sa perte, l’opposant aussi Scandinaves). cette expression der Chef réservée à
bien à l’O.K.W. qu’à la SS. » Dès 1943, la Waffen-SS interna Hitler par ses familiers, implique
» Cette orientation faisait de la SS, tionale cherchait son propre destin une rivalité « au sommet ». »
non plus la « garde armée de la révo et se sentait capable d ’organiser une N ’avais-je pas raison, tout à l’heure,
lution socialiste et nationale», mais Europe sans frontière échappant, en citant Balzac? La thèse de Saint-
un instrument d ’oppression au ser dans une large mesure, à la tutelle Loup, pour aventurée qu’elle soit et
vice de la politique nationaliste la allemande. La fraction opposition- avec les réserves qu’elle impose
plus étroite. La guerre qui provoqua nelle prenait plus d’im portance en quant au fond, ne manque pas
la création de la Waffen-SS, non plus core en 1944. Certes, il n’existait d’apparaître comme une hypothèse
« garde armée » mais « armée com pas de complot mûrissant contre de travail utile aux chercheurs.
battante», ne devait rien changer à Himmler au Führungshauptamt-SS. L’histoire secrète de la seconde
cette situation. Mais à partir de comme il en existait un à l’O.K.W. guerre mondiale et plus spécia
1941, avec l’extension officielle de la contre Hitler, le Reichsführer étant lem ent du nazisme ne fait que
lutte contre le bolchevisme, des plutôt favorable à la tendance nou commencer. Elle nous réserve, j ’en
centaines de milliers d ’étrangers velle... suis certain, d’énormes surprises.
affluèrent dans les rangs de la » Ce transfert de puissance s’accom- A ndré Brissaud.
173
Histoire
tem ents physiques, intellectuels et
psychologiques, et la possibilité de
C Y B E R N É T IQ U E les modifier.
Le Conte bref de Planète
Alors? Le moment nous paraît
proche où il faudra faire la « part des
« La cybernétique choses» et adm ettre une nouvelle LA L O N G U E M IN U T E
manière et un nouveau langage en D E V ÉRITÉ
et l'humain » matière de Vie. Lupasco a tenté une
nouvelle sémantique de l’énergé Après de patientes années de
tique vivante, et les disciples de recherches et de voyages, il
Sous ce titre publié dans la rem ar W iener insèrent dans les servo- trouva le Sage dans une grotte
quable, collection ■« Idées» de la mécaniques des tendances à l’orga de la grande banlieue de Jubbul-
N.R.F., Aurel David nous expose ses nisation, à la différenciation, à pore dans le M adhya Pradesh.
vues personnelles sur une science l’intellectualisation, à l’éducation qui Le Sage le pria de s’asseoir sur
qui paraît devoir concerner la pourraient bien être le moyen scien une peau de chèvre et lui offrit
plupart des activités de l’esprit tifique de développer une négentropie du thé au beurre, puis m ontra
moderne. Lorsque N orbert W iener ou une anentropie dans l’industrie qu’il l’écoutait.
(dont la collection 10/18 vient de moderne, génératrice d’entropie. — Tu connais la réponse à tout,
republier l’ouvrage capital Cyberné Cette recherche expérimentale va dit le voyageur.
tique et société) lança le mot, il se au-devant d’une physiologie pavlo — C ’est exact, dit le Sage.
doutait bien de son im portance, mais vienne où la mise en condition d’un — Bien. Il me reste ceci à ré
il redoutait aussi l’usage qui en serait organisme explique les instincts et soudre pour que ma cosmologie
fait. En moins de vingt ans, la phy les réflexes, voire le comportem ent. soit parfaite et que tout s’em
sique, la médecine, l’engeneering, le Elle rejoint par ailleurs la psycha boîte. Une pièce du puzzle sans
droit, l’économie, l’armée, la philo nalyse de Freud, la part de l’incon laquelle l’image reste floue et
sophie, voire la littérature et le jo u r scient et nos propres recherches sur fait un trou dans la lumière.
nalisme se sont emparés de ce la médecine fonctionnelle. Peux-tu me prom ettre que ta
nouveau langage pour y trouver les Nous sommes personnellement réponse sera celle que je cherche?
clés de notre présent et de notre convaincus que cette « part des — Je te le prom ets, dit calme
devenir, sinon de notre destin. choses» mène à la mise en évidence m ent le Sage.
Il fallait toute l’innocence d’un d’un «surplus d’âme», d’un irra — Voici la question; c’est celle
légiste et d’un économiste en matière tionnel qui, finalement, distingue que se posent parfois les écoliers
de biologie pour nous faire sentir absolument les êtres les plus simples et qu’ils oublient quand ils ont
tout le poids de l’analyse cyberné des choses les mieux organisées. grandi. L orsqu’un arbre tombe
tique sur la condition humaine. Il Nous ne pensons pas que la méde dans une forêt et qu’il n’y a pas
importe en effet de démystifier, cine se limite à des greffes d’organes un être vivant pour l’entendre
les sciences humaines et de les ou à des membres artificiels, comme tom ber à mille lieues à la ronde,
placer devant les faits. paraît le croire notre auteur. Nous fait-il du bruit? E t dans une
L’excellent ouvrage d’Aurel David ne croyons pas que la cybernétique pièce sans porte et sans fenêtre,
nous paraît un pas im portant dans puisse obtenir plus que des machines c ’est-à-dire quatre murs épais et
cette démystification, et il nous faut intelligentes, relayant les fonctions un toit, et dans laquelle il n’y a
examiner quand et comment « la Vie primaires d’un organisme humain et personne pour voir, la flamme de
choit dans la m atière». A bien perm ettant d’accom plir la seconde la bougie donne-t-elle de la lu
regarder un homme, il est une révolution industrielle, chère à mière? Voilà ma question. Quelle
machine complexe, certes, mais Wiener. Mais il s’agit là d’une sorte est ta réponse?
décomposable en parties, en organes, de pari sur la Vie et sur l’Homme. — M a réponse, dit le Sage, est
en systèmes dont on peut facilement Si nous venions à le perdre, il la suivante : je ne sais pas.
imaginer cybernétiquem ent les faudrait en envisager les consé Le voyageur but une gorgée de
fonctions selon la théorie de l’in quences et ne pas camoufler par du thé brûlant et s ’étira sur la peau
formation et les rétroactions. La fantastique un matérialisme triom de chèvre. II éprouvait une grande
pensée humaine est « asservie » dans phant. Ou bien l’homme est une lassitude et un immense bien-
la plupart de ses activités, et la machine asservie qu’il faut perfec être.
« zone obscure » (heuristique) tionner et délivrer de ses états d’âme, — M erci, dit-il. On ne m ’avait
régresse devant la «zone claire» — ou bien il est un organisme animé pas menti, et tu as tenu ta pro
(algorythmique). En fait, tout cela par une énergie surnaturelle, et il messe. C ’est bien exact que tu
est vrai, et nous reconnaissons per faut alors asservir la matière et sais tout.
sonnellement les processus phy l’énergie à des impératifs conscients. R O G E R M IN N E .
siques, ioniques, de nos com por Jacques Ménétrier.
174
A lire
THÉÂTRE
Notre époque mise en scène
C ette saison, la création, en France, du Dossier Oppenheimer, due à leusement le sens et la portée du
Jean Vilar, et d 'Andorra, de M ax Frisch, su ccéd a n t aux représen drame. Témoin de la réalité même,
tation s du Vicaire, de H ans H och u etz, de Biedermann et les incen le spectateur est libre de juger en
diaires, du m êm e M ax Frisch, et des Physiciens, de D urrenm att, son âme et conscience, comme l’ont
fait avant lui les juges du physicien,
p erm et de se poser q uelques questions. mais il lui appartient de tirer de
Assistons-nous à l’élaboration d’un Plus encore que le Vicaire, le Dossier l’exposé des faits des conclusions
répertoire qui non seulement s’ins Oppenheimer, sur lequel Jean Vilar différentes. La représentation d’un
pire de thèmes contemporains, mais s’est expliqué ici m êm e1, emprunte tel événement provoque une émotion
encore reproduit le plus fidèlement son déroulem ent et ses personnages inhabituelle au théâtre: le héros
possible un événement d’actualité? aux minutes du procès réel. L’auteur dont nous partageons les angoisses
S’il en est ainsi, ce répertoire appar- n’est là que pour réduire la tota est encore vivant, nous savons qu’il
tient-il encore à l’art dramatique? lité des documents aux limites de la compte parmi les esprits les plus
Enfin, n’est-il pas significatif que ce représentation, péchant ainsi par importants de l’époque et que ce
théâtre vivant soit essentiellement omission, mais respectant scrupu 1. V oir Planète N" 20. I
d’expression allemande?
175
Théâtre
1^ " dossier ouvert devant nous ne s’est
peut-être pas encore refermé dans
son souvenir. Nous ne pouvons man
quer de penser à ses réactions pré
sentes puisque l’actualité qui nous
environne est la sienne. Après l’avoir
connu, nous aimerions l’entendre et
le voir. Cette rencontre n’est pas
impossible, alors que tel ou tel héros
arraché d’une page d’histoire et
porté à la' scène n’a qu’une vie théâ
trale et souvent interprétée.
Le répertoire qui nous présente une
«tranche de vie» ajoute à la vérité
dram atique la vérité de l’existence
des héros. Le spectateur se sent ainsi
concerné par ces personnages réels,
ses contem porains, et c’est là l’es
sentiel de ce nouveau théâtre où
l’homme d’aujourd’hui nous parle du
monde d’aujourd’hui dans un langage
de notre temps. Brecht traça les
chemins de la dramaturgie moderne, Le dossier Oppenheimer: un théâtre dont le héros est encore vivant.
il en fixa le déroulement et em prunta (Photo Lipnitzki).
ses thèmes d’inspiration aux circons
tances. Mais, poète, il transposa le
plus souvent l’événement dans le Il inventa la fable du jeune juif but du théâtre est de « m ontrer à l’in
temps ou l’espace afin que cette recueilli, pour cacher à ses compa famie sa propre image, à chaque
distance lui perm ette un dépas triotes qu’Andri était son fils naturel. époque son effigie2». M iroir de la
sement de la réalité. Quand il l’avoue, personne, pas nature, il est juste qu’il reflète le
même Andri, ne veut le croire. visage de l’époque. Et s’il nous
LE RACISME EN QUESTION Avec ce thème, Max Frisch nous présente un conflit dont l’issue est
apporte la peinture d’événements incertaine, si un déroulem ent rigou
A son exemple, Max Frisch fait que nous avons connus, mais il reux conduit au dénouement qui voit
appel à la fiction pour illustrer un élargit le débat: le racisme est une le triom phe ou la perte du héros,
des principaux problèmes du siècle. gangrène qui ronge psychiquement alors il s’agit bien de théâtre. C’est
Voulant traiter la persécution des la victime autant que le persécuteur. le cas du Dossier Oppenheimer et
juifs pendant la guerre, Frisch Nous voici affrontés au problème d'Andorra, Max Frisch ayant cepen
choisit un cadre intemporel : Andorra, que nous côtoyons chaque jour. dant sur H einar Kipphardt, auteur
pays neutre dont les voisins sont Même dans notre pays, respectueux de la première version scénique du
racistes et belliqueux. Toute l’atten en principe de toutes les libertés, Dossier, la supériorité de l’invention
tion des Andorriens se porte vers un une défiance croissante se manifeste théâtrale.
jeune juif, Andri, qui, encore enfant, à l’égard des ressortissants de nos Ce théâtre de notre temps est-il dans
fut arraché aux massacres du pays anciennes colonies. Leur présence la tradition de la littérature alle
voisin par l’instituteur d’Andorra. dans nos familles, dans nos ateliers mande? En jetant un regard sur le
A l’heure où les armées du pays tota ou dans certains quartiers de nos passe, on rem arque que l’Allemand
litaire envahissent Andorra et com villes provoque un malaise. On montre une tendance fondamentale
mencent la chasse aux juifs, les assiste à des campagnes de presse et tenace à rechercher des sujets
citoyens vont-ils défendre et cacher dénonçant le danger qu’ils repré mythologiques ou historiques. Cepen
Andri? Ce serait com pter sans la sentent. Le racisme est une mauvaise dant, depuis 1945, le théâtre germa
lâcheté, la mesquinerie et la peur. graine déposée au cœ ur de l’homme, nique a produit de nombreuses
Plus Andri est rejeté par ses compa quelle que soit sa couleur; Max œuvres inspirées par l’actualité,
triotes, plus il se sent profondément Frisch nous le rappelle avec force. évoquant la dictature et la guerre ou
juif. Il se glorifie de cet état et les drames qui opposent l’homme à
assume jusqu’au poteau d’exécution UN NOUVEAU RÉPERTOIRE? la contrainte de l’État*. Et ceci est
le martyre d’une race qui pourtant nouveau. Brecht qui ne concevait le
n’est pas la sienne. En effet, l’ins Ce nouveau répertoire appartient à théâtre que pour illustrer ses thèses
tituteur d ’A ndorra est son vrai père. l’art dram atique dans la mesure où le sociales transposait le réel dans un
176
A entendre
lieu et un temps différents. Ainsi Vilar, grâce à lui, révolutionna la
d'Arturo Ui, paraphrase de l’as représentation de nos classiques et
M U S IQ U E
cension de H itler, ou de Maître imposa un style. Tout un public est
Puntilla et son valet Matti, brillamment déjà accoutumé au découpage parti
créé cette saison au T.N.P., qui nous culier de Brecht. A ses yeux, les trois
actes de nos comédies sont aussi
La révolution
montre une satire du capitalisme
dans le cadre de la Finlande de 1939, caducs que le rideau ou les dorures électronique
avec des références implicites à la de nos scènes à l’italienne. C’est
comédie italienne ou française du pourquoi les salles nouvelles d ’Au- Un des événements musicaux les
xviii' siècle. Fusion harmonieuse et bervilliers, M énilm ontant ou Vin- plus importants du xxc siècle est
exemplaire de l’actualité avec la cennes sont des cadres propices à la l’application des moyens électro
tradition. rencontre d’un répertoire et d’un acoustiques à la création musicale.
La dernière guerre, dans ses prémices public contemporains. En marge de On lui doit l’avènement de la musique
et ses conséquences, a bouleversé l’exploitation régulière, les recherches concrète et de la musique électro
trop profondém ent l’âme germa de Jacques Polieri ou de Jean-M arie nique.
nique pour que l’on s’étonne de voir Serrau montrent l’intérêt que nous Pendant les cinquante dernières
un reflet de ce drame dans le théâtre portons, en France, au théâtre futur. années d’évolution technique et esthé
de langue allemande. D urrenm att et Les plus audacieux de ces travaux tique, le langage musical s’est pro
Frisch ont su donner à l’évocation de appartiennent encore au laboratoire fondém ent transformé. C ette évo
ces événements une portée uni mais, sans doute, trouveront-ils place, lution, en général, et sauf dans le cas
verselle. Ils contribuent puissamment un jour, dans le théâtre total attendu de quelques instruments microtonals,
à l’existence d’une expression dra par certains. Il est à souhaiter de n’a pas atteint l’aspect purem ent
matique nouvelle. A la différence de trouver alors, réunis dans un même instrumental. L’édifice tonal miné
leurs voisins, il semble que nos homme, un poète dram atique et un par W agner et Debussy fut définiti
auteurs répugnent à peindre la réa scénographe, ce que fut Brecht en vement aboli par Schœnberg. Le lan
lité immédiate. Salacrou (les Nuits de son temps, sinon il est à craindre gage atonal, celui de notre époque, à
la Colère), Sartre (Morts sans que la technique audiovisuelle étouffe qui W ebern a donné de nouvelles
sépulture), Clavel (les Incendiaires) le Verbe, élém ent essentiel de la dimensions, utilisait des instruments
ont reproduit après la guerre, avec représentation. fabriqués pour le langage tonal.
réalisme, les drames de la résistance En conclusion, à l’heure où le A ujourd’hui a lieu avec quelque
ou de l’occupation. Mais, plus théâtre n’a plus de frontière, retard, en ce qui concerne la
nombreux, nos poètes dram atiques D urrenm att et Frisch ajoutent au musique électronique, la synthèse
ont, depuis G iraudoux, fait appel à capital dram atique européen que du langage contemporain avec son
la légende ou à l’histoire pour Christopher Fry, Ionesco, Ugo Betti, «m atériau», synthèse qui comprend
traiter des problèmes actuels. L’au Beckett, Elliott, G enêt, Billetdoux non seulement les hauteurs de sons,
teur, soucieux de m ontrer son déta ont nourri de forces vives. A travers mais qui perm et une intégration
chement, a recours aux personnages ce théâtre d’aujourd’hui, riche et encore plus efficace de tous les
et aux situations historiques pour divers, apparaît un souci de refléter éléments (timbres, intensités, atta
exprimer les réflexions que lui ins le réel qui pourrait bien être caracté ques et durée).
pire l’époque. Ce recul donne ristique du théâtre de demain. Pour la prem ière fois, le compositeur
parfois à son propos une valeur Roger Iglésis. peut parler de l’« architecture du
intemporelle. Ainsi Pompée et Caton, 2. S h a k e sp ea re , Hamtel. son». Il travaille (suffisamment pour
dans la Guerre civile, de Henri de 3. V oici q u e lq u e s titre s d e ce th é â tre vivant se mettre au courant, ce qui n’est pas
d ’a p rè s-g u e rre en A llem a g n e :
M ontherlant, énoncent quelques C ari Z u rc k m a y e r: le Général du Diable, le Chant très difficile) avec un conseiller tech
sentences éternelles. M alheureu dans la Fournaise; M ax F ris c h : Quand finit la nique. Il ne s’agit pas naturellement
sement, l’éternité est abstraite et ce Guerre; H o n o ld : la Poussée vers Sogrebitsche; de reproduire des sons qui existent
F a b e r: Tempête sur l ’Elbe; B a rc a v a : les
théâtre romain, aussi noble soit-il, Prisonniers; H e in ric h C a rw in : Grand-mère
déjà, imiter par exemple un violon
est à l’opposé du théâtre actuel; car, Himmelreich (la d e stin é e d ’u n e fam ille ju iv e de ou une clarinette (bien qu’en théorie
dans ces personnages illustres, il est V ienne d e p u is l’e n tré e d es nazis en A u tric h e , en cela soit possible), mais de chercher
p a ssa n t p a r les c a m p s d e c o n c e n tra tio n , ju s q u ’à
malaisé de reconnaître nos l’ém ig ratio n en A n g le te rre ); É lise H o h o ff: la
une nouvelle « originalité» à travers
semblables. Légende de Baby Dolly (h isto ire d e so ld ats des sons inconnus jusque-là. Ce qui
Ce théâtre en marche a-t-il une alle m a n d s e n fe rm é s p e n d a n t d e s a n n é e s d an s les préoccupe le compositeur, c’est de
ru in e s d ’u n b u n k e r d e rav itaille m e n t).
forme scénique différente de la L e th é â tre ang lo -sax o n c o m p o rte ég a le m en t de
créer des timbres qui proviennent du
représentation traditionnelle? Il no m b reu x o u v rag es in sp irés p a r l’a c tu a lité . Ils langage qu’il emploie et propres à
suffit d’avoir vu le « Berliner fe ro n t l’o b jet d ’u n e p ro ch a in e é tu d e . Signalons une œuvre déterm inée; nécessité
q u e l’on re p ré se n ta it, il y a q u e lq u e s a n n é es, à
Ensemble», sous la direction de B ro ad w ay , u n e b io g ra p h ie d e F .D . R o o sev elt.
essentielle d’ordre musical.
Brecht, pour savoir que, là encore, le O n p ré p a re a c tu e lle m e n t une b io g ra p h ie Le musicien s’approprie ainsi un
nouveau théâtre lui doit tout. Jean « d ram a tisé e » d e C h u rch ill. monde réservé jusqu’à présent aux tmr
177
Théâtre
I V arts plastiques. Au contact immédiat presque infinie, c’est-à-dire qu’elle a de spirales, etc. En réalité, ce genre
de la matière, il découvre de nou comme limite le seuil de la per de musique possède un caractère
velles possibilités dans l’ordre ception sonore. cosmique.
créateur. Il voit son œuvre naître de Volume sonore. Dans l’instrument
ses propres mains, en créera lui- traditionnel, la gamme d ’intensité DEUX CONCEPTIONS
même la densité et le volume et est toujours limitée, tant au niveau ESTHÉTIQUES
obtiendra ainsi une version définitive maximum de l’échelle qu’à son Il existe une grande similitude entre
comme s’il s'agissait d’un tableau niveau minimum. Le violon, par la musique électronique et la musique
ou d’une sculpture. exemple, qui prit la succession de la concrète dans les procédés d’élabo
viole parce qu’il était plus puissant, ration et de montage. Dans l’une
LES MOYENS NOUVEAUX ne peut dépasser un certain volume. comme dans l’autre, on a recours à
Dans les instruments à vent, on ne l’enregistrement sur bande magné
Deux caractéristiques fondamentales peut jouer au-dessous d’un certain tique et aux procédés d’élaboration
distinguent la musique électronique niveau, la pression de l’air devenant que perm et ce moyen. Dans les deux
de la musique telle qu’on la pratique insuffisante pour maintenir l’oscil cas, on utilise des filtres électriques,
habituellem ent: 1/ les sources lation. D ’autre part, malgré l’inter des modulateurs, la réverbération
sonores qu’elle utilise; 2/ la façon prétation du meilleur virtuose, le son naturelle et artificielle, etc. Dans la
dont elle réalise la matérialisation le plus ténu se trouve encore assez musique concrète comme dans
sonore de la composition. éloigné de notre limite d’audition. l’électronique, l’enregistrement sur
Dans la musique ordinaire, la ma Arriver à la limite de l’inaudible est bande et le montage rendent inutile
tière prem ière provient des dif une des conquêtes de l’instrument l’intervention de l’interprète. La
férents instrum ents musicaux; ceux- électronique: il s’y exprime avec la différence réside dans la conception
ci sont les sources sonores. même aisance que dans le mezzo esthétique elle-même qui nécessai
L’exécutant d’un instrument musical forte. Q uant au fortissimo, celui-ci est rem ent se répercute sur certains
non seulement engendre les sons limité simplement par la résistance aspects techniques.
mais tient aussi le rôle d ’interprète. de notre tympan. Tandis que la musique électronique
Dans la musique électronique, le son Timbre. Alors que les instruments nous achemine vers l’avenir de la
est obtenu par les oscillations d ’une traditionnels sont limités à leur conception traditionnelle de l’idée
valve électronique. Il ne s’agit pas timbre propre, dont la qualité varie musicale, la musique concrète, en
ici d ’instrum ents musicaux, mais de seulement en fonction de l’expé revanche, conduirait vers une nou
simples générateurs de sons. rience de l’interprète, l’instrument velle façon d’articulation sonore,
Les moyens que l’électro-acoustique électronique peut toujours, en raison vers une nouvelle poétique sonore.
offre aux musiciens peuvent se de la facilité avec laquelle il est Elle facilite un enchaînement de
grouper en trois catégories: possible de modifier la forme de qualités sonores qui évoquent l’am
1/ Moyens pour enregistrer et l’oscillation électrique, ém ettre des biance journalière et qui, toujours
reproduire des sons de n’importe sonorités d’une extraordinaire diver conditionnée naturellem ent par le
quelle origine (magnétophones avec sité et qui sont en grande partie temps du réalisateur, pourrait remplir
ruban et systèmes d’amplification et complètem ent inédites: ce qui repré le vide qui existe entre la poésie et la
de projection acoustique). sente un enrichissement considé musique.
2/ Moyens pour construire et rable de la gamme sonore mise à la Dans ce nouveau type d’articulation
élaborer des sons (filtres électriques, disposition du compositeur. musicale, la transmission acoustique
modulateurs, magnétophones avec Temps. La durée d’un son est cal joue un rôle spécial; en plus des
vitesses variables, montage sur bande culée en longueur de ruban que l’on moyens de projection habituels,
magnétique). coupe avec des ciseaux. depuis l’unique haut-parleur fixe
3/ Sources sonores électroniques La réaction devant une telle musique jusqu’aux haut-parleurs stables placés
qui fournissent la matière première à n’a guère d’équivalent dans la dans divers endroits de la salle, les
partir de laquelle se fabriquent et musique réalisée par les moyens tra techniques de reproduction et de
se modèlent les sons utilisés dans la ditionnels. Aussi compliquée que projection sonore dans l’espace per
composition. soit la musique instrumentale, elle m ettent actuellem ent de donner
En disposant de ces moyens, le com mène toujours la fantaisie de au son différents genres de dépla
positeur se trouve devant des élé l’auditeur par des voies habituelles. cement inconnus jusqu’à présent en
ments (hauteur, intensité, timbre et Dans la musique électronique, les musique. Nous commençons, par
temps) complètem ent transformés. associations doivent l’orienter vers exemple, à entendre un son qui jaillit
Hauteur. Le violon, le cor, la contre d’autres horizons. Lorsqu’on l’écoute, devant nous; ensuite ce son, sans
basse ont un registre limité en raison ce mélange de sons se transforme en interrom pre sa continuité, effectue
de la constitution même de l’ins des phénomènes connus, comme des un trajet circulaire vers la droite et
trument. Dans les instrum ents élec projectiles du règne minéral, des s’éteint en arrivant à un point situé
troniques, l’étendue du son est métaux qui chantent, des sonorités à notre gauche.
178
A entendre
Ces apports de l’électro-acoustique musique concrète, soutiennent avec Le contraste était flagrant entre ce
ouvrent le chemin vers de nouvelles une certaine horreur qu’il s’agit de que nous venions d’entendre, une
conceptions polyphoniques, donnant musique inhumaine. Pourquoi? Si pièce poétique, d’un langage raffiné
lieu à des manifestations contra- des appareils quelconques rem et magique, et ce que nous écoutions
punctiques spatiales d’une extra placent l’homme, ils existent seu à présent. Un peu ennuyée, je
ordinaire vitalité. lement dans la mesure où l’homme regardai Supervielle: celui-ci parais
Il ne faut pas croire que cette façon les contrôle. C ’est lui qui choisit sait dépaysé. Il s’inclina vers moi et
d’envisager la création musicale ait les sons, c’est lui le seul respon me dit: « Et penser que ce sont les
pour but de rem placer celle qui sable de l’œuvre musicale. Et mêmes mots!» Voilà le problème.
requiert l’emploi d’instruments tra l’œuvre d’art n’est-elle pas avant Tout dépend de ce que l’on fait avec
ditionnels. Il ne s’agit donc pas de tout le choix que fait l’homme, des les mots. On peut en faire un poème
la substitution d ’un moyen à un couleurs, des sons et des formes? ou un vaudeville.
autre, mais de l’élargissement de Ceci me rappelle une anecdote. Je Ayons confiance. Ce qui est
possibilités dont le compositeur me trouvais un jour avec Jules important, c’est le génie créateur,
bénéficiera certainement. Supervielle au « théâtre de verdure» non les moyens qu’il emploie pour se
Le contact avec les moyens électro de Charbonnières, près de Lyon. On manifester. La musique électronique
acoustiques a non seulement porté à y jouait une de ses pièces, Robinson. nous mène vers de nouveaux
notre connaissance les possibilités Après le spectacle, l’organisateur du horizons. Elle nous invite à y
inhérentes à ces moyens, mais en festival nous invita à prendre une pénétrer. Laissons de côté nos
outre a permis de nouvelles possi coupe de champagne au casino de réminiscences, nos habitudes, notre
bilités implicites dans la -musique l’endroit, où l’on exécutait des confort intellectuel et prenons part
dont l’exécution a besoin d’inter numéros de variétés malheureu à cette merveilleuse aventure.
prètes. Comme conséquence, on sement assez triviaux et vulgaires. Odile Baron-Supervielle.
constate depuis ces dernières années
une extraordinaire revitalisation de
la musique instrumentale.
179
Musique
r-MlîHiiilht-'iJBKPnrnîïïH
D ISQ U E S
Il existe un marché parallèle
D ans un tem ps pas tellem en t lointain, un disquaire connaissait La partie de ce marché parallèle qui
parfaitem ent «son ca ta lo g u e» ; il savait tous les enregistrem ents, les représente le chiffre d’affaires le
posséd ait en stock , suivait assez facilem en t les n ou veau tés et les plus im portant est constituée par les
clubs de vente par correspondance.
disparitions.
A part leur publicité payée, ces clubs
Être marchand de disques, c’était un ont toujours une grande valeur docu ne donnent pratiquem ent pas lieu à
des petits métiers de Paris. Puis mentaire et artistique; Vie de Jaurès, des articles dans la presse ni à des
brusquement, avec le microsillon, le Chants de la résistance espagnole de échos sur leurs activités. Leurs
disque devint une industrie, une nos jours, Poèmes de Fresnes, de ventes sont basées sur le fait qu’il
sorte d’âge d’or où les réussites et les Robert Brasillach. est simple de recevoir une œuvre
fortunes furent vite faites ou défaites. Il est difficile de juger de l’impor chez soi sans se déplacer. Dans
Depuis, le disque est un objet usuel. tance des éditions pornographiques, quelques cas, ces clubs ont réalisé
C ette facilité, cette sorte de démys car il s’agit là d’un véritable marché des enregistrements prestigieux
tification de la réalisation d’un noir. Il existe, par ailleurs, les dans l’intention de donner du piment
disque a tenté un grand nombre à collections, vendues en souscription, à leurs catalogues.
devenir éditeur, avec des fortunes de poèmes et textes érotiques. Là
diverses allant du plus pur artisanat aussi, il est difficile d’en jauger le UN TIERS DU M A RCH É
au club tentaculaire, organisme de volume. La phonothèque nationale,
vente par correspondance en marge qui reçoit en principe le dépôt légal, Dans ce monde parallèle, on‘ trouve
des circuits normaux. Ils ont créé réceptionne environ quarante disques aussi un journal sonore corporatif
une véritable vie parallèle du disque. de ce genre par an; ce chiffre est une pour les médecins, avec des cours
base, il est très sûrement dépassé, enregistrés par des spécialistes sur
Les motivations sont très diverses. car, si la limite entre le pornogra des points précis d’actualité médi
L’explication la plus courante, phique et l’érotique existe incontes cale; des disques d’enseignement,
donnée dans le domaine des variétés, tablem ent pour certains, il n’en est alliant les projections de diapo
est de vouloir réaliser ce que les pas de même dans l’esprit des services sitives avec les commentaires corres
éditeurs de classique n’ont pas fait de la censure ni dans celui des édi pondants. Ces disques sont édités
ou ne veulent pas faire. Il existe teurs qui, pour éviter des saisies, et vendus par des coopératives de
toujours des artistes qui résistent restent très souvent en dehors du membres de l’enseignement.
à l’empire dévorant des grandes processus de l’édition classique.
compagnies et ceux qui ne peuvent Quelle est l’importance de toutes ces
faire autrem ent qu’être en dehors Les éditions en souscription d’en activités? En 1964, sur un total de
des circuits commerciaux tradi quêtes sonores sur des sujets à 7 871 disques reçus en déôt légal à la
tionnels (éditeurs de musique, fabri scandales ou des informations impu phonotèque nationale, les dix pre
cants de disques, producteurs, stations bliables pour le grand public sont mières compagnies françaises sont
de radio, télévision, organisations de plus spéciales encore. Plus répandus responsables de 5 493 titres. Restent
ventes, interdépendance des uns et relativement faciles à acheter; les 2 378 autres disques. En regard de
envers les autres), soit qu’ils refusent disques pirates. C’est - à - dire les ces chiffres, il faut répéter que le
les conditions offertes, soit que les repiquages sur disques pressés, bien dépôt légal n’est pas toujours res
éditeurs les ignorent volontairement. faits, avec étiquette, pochette, textes, pecté, ce qui augmente le dernier
Pour ces derniers, ce sont les éditions sous une marque qui donne l’appa chiffre. En clair, cela veut dire que le
à compte d ’auteur; il existe des rence de la légalité, mais qui sont en discophile ne trouve pas, en poussant
entreprises prête - noms pour ce fait réalisés à partir d’enregis la porte de son disquaire, 20 % de la
genre d ’opération. trem ents disparus du commerce et production française; un disque sur
Les disques politiques se divisent en appartenant à des compagnies offi cinq n’est pas dans le circuit tra
publicité simple envoyée aux person cielles, sans que les nouveaux ditionnel. A ceux qui aiment la
nalités, et vente effective. Ils sont éditeurs en possèdent les droits. Ces recherche et qui veulent aller au-
édités soit par des sociétés liées à éditions sont assez courantes dans delà des horizons connus, le monde
des groupem ents politiques, soit par l’art lyrique et dans le jazz pour parallèle du disque offre de grandes
des particuliers dans un but de satisfaire les collectionneurs qui ne joies et recèle parfois de grands
contribution à une cause. En général, peuvent se procurer les disques ori trésors.
ces disques sont très bien réalisés et ginaux. Henri Krakovitch.
180
A entendre
à voir
C IN É M A
De l'adaptation
D epuis 1912, date de la prem ière version ciném atographiq u e des joue de la technique du verbe, com
Misérables, les producteurs, scénaristes, réalisateurs de ciném a, mente continuellement l’effet visuel,
à co u rt de sujets originaux ou dans un but intéressé, ont « adapté» explique la superficie des choses
p o u r l’écran la plupart des classiques de la littératu re. sans l’ambivalence de la vie. Le
De Tolstoï à Dickens, de Balzac à susciter une incantation de l’énergie. réalisateur, Jean Aurel, lui, pare
Melville, de Victor Hugo à Dos- Le beau doit transform er l’utile et l’amour de fétiches modernes habi
toïewski, la littérature mondiale a le jeter au-delà de la réalité. Bache tuels: restaurants de luxe, voitures
«subi» plusieurs versions cinéma lard dit: « Il y a une très grande dif de sport, essayages de robes, cinéma
tographiques de ses chefs-d’œuvre. férence entre une image littéraire amateur pour souvenirs érotiques.
On a tourné vingt fois les Misérables, qui décrit une beauté déjà réalisée, Jean Aurel a oublié que l’image est
quinze fois Notre-Dame de Paris, une beauté qui a trouvé sa pleine active, brûlante. Elle s’attaque aux
cinq fois Guerre et Paix, et enfin, forme, et une image littéraire qui instincts profonds, elle dépasse tou
last but not least, une nouvelle forme travaille dans le mystère de la jours la signification du symbole.
d ’adaptation a fait son apparition matière et qui veut plus suggérer De ce va-et-vient de l’image et du
cette année: « inspiré de... » que décrire. » texte sortent des mots qui ont du
Il fallait, dans ce film, jouer la rythme et des images qui n’en ont
UN MAUVAIS COCKTAIL beauté intime de la matière contre pas.
l’imagerie usuelle des scènes amou Enfin, De l ’amour est un film d’âge
Il s’agit de De l’amour, de C. Saint- reuses. Au lieu de cela, C. Saint- mûr. Les héros ne sont pas amou
Laurent et Jean Aurel, inspiré de Laurent, toujours présent à l’image, reux, ils sont complices. Plus de
Stendhal. Un homme de lettres intel
ligent, un cinéaste talentueux, le
génie de Stendhal, le sujet le plus
important depuis toujours; le résultat:
un film manqué. Film manqué par
trop de virtuosité voulue entre le
texte et l’image, par trop de spécu
lation intellectuelle et par une
absence d’intuition physique.
On essaye d’imiter Stendhal par un
texte parallèle décrivant des situa
tions amoureuses de notre temps,
et c ’est là l’erreur fondamentale.
Une image littéraire imitée perd sa
qualité créatrice. Le travail de
l’adaptateur ne peut être que d’ordre
poétique. La poésie multiplie l’es
sence des mots en les entourant d’un
fond constant d ’images, et nous
sommes, qu’on le veuille ou non,
en plein siècle de l’image. Le lan
gage cinématographique moderne, Les yeux d ’Eisa: on leur Jait jouer les trente-deux positions.
quand il expose des images quoti (Photo-Film Cocinor).
diennes, des images matérielles, doit
181
Cinéma
complicité que d’amour. Il n’y a ni
désir ni possession, mais une médio
crité des sensations, une médiocrité P E IN T U R E Tout craque.
vicieuse et bavarde, une médiocrité
à faire aimer la vertu. 1945-1965: vingt ans se sont é c o u lé s depuis la fin de la S eco n d e
G uerre m ondiale. L’esp ace d ’une gén ération artistique, le term e
UNE JUSTE DÉFINITION
d'un bilan historique. Le bilan des valeurs de l’après-guerre, que le
Mais il y a aussi un miracle: Eisa T out-P aris des conform ism es officieux et officiels s’obstine à ne pas
Martinelli. Elle possède la faculté vou loir assumer.
d’être lumineuse. Pierre précieuse Prétention vaine, s’il en est: que nouvelle figuration style yéyé,
qui éveille un matérialisme de la peut-on faire contre cette dimension Mickey Mouse et Cie.
pureté, elle jette des feux de toute objective du temps? Vingt ans: si
part, elle rayonne d ’une clarté intime l’on prend 1907 comme début du L’EXODE DE LA JEUNE
qui éclaire la splendeur de l’amour cubisme (date de l’exécution des GÉNÉRATION
charnel. Eisa Martinelli est une Demoiselles d'A vignon par Picasso), il
beauté cristalline, une beauté- est bien évident qu’en 1927 plus Car tout est là: alors qu’on s’efforce
diamant « qui nous renvoie le feu aucun doute n’était permis sur la de perpétuer un label (l’école de
de notre regard concupiscent». hiérarchie des valeurs au sein d’un Paris) et un style (l’art abstrait) aussi
Elle résiste au film et, parfois, le mouvement qui avait conquis le vénérables que dépassés, les plus
sublime de sa seule présence. Hélas, monde: deux géants, Picasso et authentiques éléments de notre
elle est le cantique des cantiques, Braque, quelques dizaines de bons avant-garde vont faire carrière à
on lui fait jouer les trente-deux tableaux chez les autres (Gris, Léger, New York et la génération de 1965
positions. Henri Michaux a écrit: Metzinger), et puis le lot commun s’apprête déjà à prendre la place
« Dans le visage de la jeune femme des petits maîtres. En 1965, ce bilan laissée vide. Sa force de frappe, c’est
est inscrite la civilisation où elle des « vingt ans après » demeure une peinture infantile, maladroi
naquit. » Eisa Martinelli, c’est l’Italie inchangé \ tem ent inspirée des diverses icono
stendhalienne, l’Italie plus l’Occi- Pour la génération de 1945, rien à graphies modernistes (dessins animés,
dent. Elle est « naturellement » un faire: elle est intouchable. Elle s’est romans d’aventures illustrés, publi
personnage de Stendhal, comme apparem m ent identifiée aux mythes cité par l’image): une vraie peinture
l’était Alida Vali dans Senso, film monstrueux et sacrés: elle trône yéyé! A la stagnation des bonzes et,
de Visconti, le seul film stendhalien quelque part entre la France éter à l’exode momentané de la classe
de l’histoire du cinéma parce qu’il nelle et la pérennité de l’Occident. d’âge intermédiaire (35-40 ans) cor
n’était ni adapté d’une œuvre de Cet immobilisme, heureusement, respond l’émergence des « copains».
Stendhal ni « d ’après Stendhal ». n’est de plus en plus qu’une façade. Après l’émergence, l’invasion? Ce
L’adaptation d’une œuvre littéraire D errière le bloc compact des qui s’est produit dans le domaine de
ne peut être qu’une transposition grandes « maisons » de l’art contem la chanson risque-t-il de se renou
poétique dans le domaine de l’image. porain et en dehors des activités veler dans le domaine de l’art? Eh
La définition la plus juste d’une d’avant-garde des galeries-labora- bien ! non, pas encore !
telle création, c’est peut-être P. Re toires, les jeunes marchands s’agitent. La menace d’une invasion des jeunes
verdy qui l’a donnée: «Q uand le Les uns se déclarent solidaires de classes aura en tout cas contribué à
poète a inventé « l’aurore aux doigts leur génération, la «leur», ou accélérer le processus de réajus
de rose», il n’a pas tué l’aurore, plutôt de l’image qu’ils s’en font. Les tem ent des valeurs. Devant l’effa
il ne l’a pas imitée ni embellie non autres, plus pessimistes ou plus rante marée des modes et des styles,
plus. Mais il a créé, par un rappro excessifs, ferment boutique et, avant les personnalités isolées gagnent un
chement tout à fait arbitraire mais de plier bagage, dénoncent avec nouveau relief : ce sont des rocs, des
mystérieusement juste, quelque quelque raison comment Paris creuse points d’appui dans la fluidité du
chose qui n’est ni réel ni vrai, mais sa propre tombe. Les plus réalistes courant. En période de transition
dont l’expression ém eut la sensi se préoccupent tout de même historique et de bilan, les « ismes »
bilité en passant d’abord par l’esprit d’ouvrir une fenêtre sur le présent: perdent tout prestige. Seules les indi
et, quels que soient les éléments, un jeune expert nous présente vidualités demeurent.
les objets mis en jeu, tout le prin l’éclectisme sympathique d’un pano Sur ce point, un grand m archand a
cipe du mouvement poétique est là. ram a actualisé (28 peintres d’aujour vu plus clair que les autres: Alexandre
D ’abord le lieu de la rencontre, d’hui, à Paris); une galerie de la rive 1. T o u te s les o p é ra tio n s d e réé v a lu atio n d es
puis les éléments rapprochés, enfin droite, naguère spécialisée dans une M a rc o u ssis, G leizes, L h o te ou V alm ier o n t
que des objets tellem ent dissem peinture de la tradition française, éexc hp oo usitio
é. Les rare s v isiteu rs d e la n a v ra n te
n G leizes au m u sée d ’A rt m o d ern e ,
blables puissent se souder à jamais. » post-cubiste et abstraite, se range p o u r ne c ite r q u ’un e x em p le ré c e n t, ne m e
Frédéric Rossif. désormais sous la bannière de la c o n tre d iro n t c e rte s p as su r ce po in t.
182
A voir
c'est bon signe.
Iolas, Américain d’origine grecque, l’accent a été reporté sur certains
qui est à la tête d’un réseau de aventuriers marginaux de l’art
galeries à New York, Paris et abstrait qui, comme par hasard, se
Genève. Il a misé sur les personna sont manifestés au même m o m en t2.
lités plutôt que sur les « ismes » et Par son exceptionnelle qualité, cette
cela sur deux générations: d’une exposition Wols a replacé le maître
part, les aînés, Max Ernst, Magritte, de la peinture informelle aux alti
Brauner; d’autre part, les plus tudes qu’il mérite. La démonstration
jeunes, Tinguely, Raysse, Niki de St- est éblouissante. Wols, le prince des
Phalle, Takis, Yves Klein. Il s’est peintres-poètes, est mort en 1951 •
imposé comme le triom phateur de la quel monde de différences entre
saison. Le musée de Houston (Texas), cette vision abstraite, intériorisée et
célèbre pour sa collection d’art griffue, et le réalisme objectif de la « Le panneau électoral », de Cadiou:
contemporain, a acheté en bloc les nouvelle vague! Deux styles s’af quel Musée achètera
douze pièces composant l’exposition frontent, deux qualités d’être au sein
des sculptures animées de Tinguely. du processus créateur. Les peintres
ce témoin de notre temps?
(Photo Marc Vaux).
Mais l’action de Iolas est plus abstraits étaient des philosophes
subtile encore dans ses effets in pour grandes personnes tourm entées;
directs: en niant le fossé des classes les peintres yéyé colorient des a joué sur l’ambiguïté d’une double
d’âge, il a voulu prouver que, dans pages d’album pour enfants sages. vocation de poète et de plasticien.
l’art, seule compte la personnalité, A utre grand peintre-poète de l’infor Nul plus que lui, parmi les peintres-
unique facteur de qualité. Et il y est mel, Camille Bryen présentait à peu poètes ou les poètes-peintres, n’a
parvenu. Son exposition Wols, à près en même temps à la librairie- assumé le drame sans fond de ce
Paris, a été le signal éclairant qui galerie La Hune un curieux livre, destin schizophrénique. Qu’elle ait
a renversé la vapeur. Le public a Carte blanche. L’ouvrage donne la été exécutée dans un état normal ou
redécouvert avec Wols l’existence dimension exacte du personnage, sous l’empire de la drogue, l’œuvre
des peintres-poètes de l’informel, dans son éclatem ent: il contient un peinte ou dessinée de Michaux est le
recueil de poèmes dont certains, constat de la non-communication et
phonétiques, datent de 1932, un l’aveu de toutes les impuissances
enregistrement de la voix de l’auteur corrélatives. Sautant la barrière
disant ses textes, et une série de consciente des mots, son imagination
diapositives originales (bryscopies), se dissout à plaisir dans l’univers
clichés de peintures sur verre spécia infini des taches d’encre au contour
lement conçues en fonction de la magique, des affleurements d’aqua -1
photographie.
2. L ’a rt a b s tra it (e t to u t p a rtic u liè re m e n t sa
v a ria n te « lyrique » e u ro p é e n n e , l’a rt in fo rm el)
a é té u n e p e in tu re litté ra ire e t c é ré b ra le ,
M ICHAUX, s’ad re ssa n t to u t a u ta n t aux sen s q u ’à l’in te l
LE PEINTRE-POÈTE lig en ce. Il d e v a it d e ce fait a ttire r à lui un
c e rta in n o m b re d e trè s sin g u lières v o c a tio n s
expressives. D e s p o è te s, n o ta m m e n t, se m ire n t
Le troisième grand de la série infor à p e in d re a b stra it « p o u r ne p lu s é c rire » . Le
melle a été exhumé par les soins du belge (n a tu ra lisé fra n ç a is) M ich au x , le n an tais
Musée national d’A rt moderne. B ry en e t l’a lle m a n d W ols so n t les ex em p les les
plus b rilla n ts d e c e tte d u a lité d ’ex p ressio n .
Poète-peintre cette fois, puisqu’il Q u e leu rs œ u v re s, m o n tré e s à P a ris en m êm e
s’agit d’Henri Michaux. A 66 ans, tem p s d u ra n t le m ois d e m ars 1965, a ie n t
H enri Michaux est un des person su scité a u ta n t d ’in té rê t h u m ain , d o c u m e n
ta ire ou ré tro sp e c tif, il y a là, à m o n sens,
nages les plus fascinants de notre plus q u ’u n e c o ïn c id e n c e : le fait v alait la
époque, éternel migrant, passager p e in e d ’ê tre signalé.
clandestin de tous les mondes qu’il 3. L e fo rt p ouvoir hallucinogène de la m escaline,
d é riv é e du p e y o tl, la p lan te s a cré e d es In d ien s
traverse, de la République des d u M ex iq u e, a te n té de n o m b re u x é c riv ain s
Lettres à l’univers de la drogue en c o n te m p o ra in s, d ’A ld o u s H u x ley à S a rtre . Les
« La toilette», de Grilli: passant par l’Equateur. Il est le résu lta ts so n t é m in e m m e n t v ariab les, selo n les
un retour aux formes. individus. F a c e à l’e n th o u sia sm e p ro sé ly tiq u e
poète maudit de la famille mesca- d ’H uxley, M ic h a u x p a rle d ’un « m isérab le
linienne3. Cet «hom m e en dehors» m ira cle » d o n t il ne sa u ra it p o u rta n t se p asser.
183
Peinture
relie, des notations à la plume, fili désormais plus pop’ que le pop’ (le
formes et dévertébrées. Le poète et panneau électoral de Cadiou est un
le voyageur introspectif sont insépa chef-d’œuvre du genre: il bat les A R C H IT E C T U R E
rables du peintre, et vice-versa: ne yéyés sur leur propre terrain), le
présenter que l’une des facettes du recul généralisé de toutes les formes
personnage est en soi une gageure. d’abstraction. Au profit de quoi? Mais qui est Frédérick J. Kiesler?
Dans les faits, cette gageure a pris Hélas! de l’éternelle mauvaise pein Ce nom est rarement cité dans les
la forme d’une monumentale erreur ture figurative, bourgeoise et satis histoires de l’architecture contem
muséologique: une exposition rétros faite, ravie d’être tirée de sa voie de poraine ou, en tout cas, jamais en
pective n’est pas une anthologie du garage par un train express, et qui se vedette. Il le sera plus tard. Ses
souvenir. Bourrées de pièces de petit répand sur tous les panneaux théories vinrent en effet trop tôt
format, les cimaises de l’exposition d’arrivée. L’absence de stimulant à pour pouvoir s’insérer dans un
Michaux constituaient un décor notre curiosité nous rend plus sen courant historique. Bien au con
incomplet, une intimité d’autant plus sibles à l’ensemble du contexte, au traire, elles s’insurgeaient contre
insupportable qu’elle débouchait sur «reste». Mais quel reste! C ’en est ce courant historique puisque, en
le vide. comique! Le paradoxe de « Compa pleine période fonctionaliste des
raisons» est d’avoir réalisé la coexis années 20 , il ne cessait de prôner une
Ainsi nous sont apparus, rendus à tence pacifique des abonnés du salon architecture courbe et sensuelle,
leur fascinante vérité, ces trois d’Automne et des pionniers de mobile et suspendue. Notions que
grands marginaux de l’informel, ces l’avant-garde, par la méthode très l’on redécouvre actuellem ent dans
peintres qui sont plus que des simple des petits paquets. les données d ’une architecture qui,
peintres, ces écrivains qui sont plus elle-même, n’est encore que pros
que des écrivains. G râce à cette LA NAUSÉE pective. Et lorsqu’on s’enthousiasme
dimension supplémentaire de leur pour l’aérogare de la T.W .A., de
être, ils ont survécu dans leur soli Tous ces défauts étaient préexistants: Saarinen, à New York, et le musée
tude au naufrage d’un style collectif. ils constituent à vrai dire les tares Guggenheim, de Wright, on ignore
Au moment où se dessine cette organiques, les vices constitutifs du que ces deux architectures sont
revanche de l’individualisme (à coup salon. Dans l’ambiance plus con directem ent inspirées des théories
sûr l’un des éléments positifs du trastée et plus vive des années précé de Kiesler.
bilan qui s’élabore), le salon « Com dentes, ils étaient moins apparents.
paraisons » nous offre son traditionnel A ujourd’hui, ils sont insupportables, LE TH ÉO RICIEN DE LA
panorama de tendances. Nous voilà ils finissent par jeter le discrédit sur MAISON SANS FIN
plongés dans l’actualité la plus les efforts les plus valables. Le
brûlante, celle des manifestes, des visiteur demande grâce; il n’en peut A rchitecte viennois, grand ami
mouvements, des écoles, bref, dans plus devant toutes ces Rue Mouf- d’A dolf Loos, Kiesler vint à Paris
le domaine de l’action collective. fetard, ces Chantai aux fleurs jaunes,en 1918 pour y dessiner un projet
ces ports de pêche et ces marines de ville spatiale qui fut exposé en
«COM PARAISONS 1965». aux mouettes, ces Mascarade dans la 1925 au Grand-Palais. Cette idée
neige ou ces Fin de moisson en d ’une « ville suspendue», reprise au
On ne peut pas dire que « Compa Beauce... jo urd’hui par tous les architectes
raisons 1965» soit objectivem ent A la lumière — peut-être - des aven prospectifs, paraissait alors si folle
inférieur à « Comparaisons 1964», le tures solitaires d’un Wols, d’un que Le Corbusier lui-même, gogue
brillant salon du Xe anniversaire '1. Il Bryen ou d’un Michaux, « Compa nard, lui dem anda si on la sus
demeure le même instrum ent utile raisons 1965» doit être jugé sévè pendrait à des zeppelins. L’année
de confrontation, le même lieu de rem ent: à un certain niveau des précédente, alors que les pionniers
rencontre, le même cocktail de différences mutuelles, il n’y a plus de l’architecture moderne impo
styles. Seulement, il ne nous offre d’enrichissement possible. La for saient avec beaucoup de mal l’idée de
aucune surprise, aucun essai de mule actuelle m’apparaît condamnée l’angle droit, Kiesler s’élevait contre
renouveau. Les productions de et condamnable. Sous peine d’écla ce qu’il appelait « le cube-prison,
l’avant-garde y prennent la saveur du tem ent, le salon doit se réformer etpanacée universelle», et dessinait ses
déjà vu. A peine peut-on noter se rajeunir. projets de maisons sphéroïdales,
quelques évolutions aussi marquées dites « maisons sans fin », les
qu’attendues: la tendance à une Après celui des galeries privées et planchers, les murs et le plafond
certaine complaisance esthétique des musées, le front des salons, qui formant une continuité. De même,
chez les suiveurs du nouveau réa s’était consolidé l’an dernier, se Kiesler imaginait alors un « théâtre
lisme, le virage total des peintres disloque à nouveau. T out craque à sans fin», qui demeure encore au
de la réalité dont le trom pe-l’œil est Paris en ce moment. C’est bon signe. jourd’hui l’une des propositions les
4. V oir Planète, N" 16, p. 155. Pierre Restany. plus audacieuses du renouvellement
18 4
A voir
Kiesler: je rêve d'une architecture féminine
En architecture, 1965 est une année K iesler. Frédéric K iesler publie ratoire pour la recherche du dessin
en effet le livre de sa vie: Journal d’un architecte ou la Recherche corréaliste» à l’université de Co
sans fin. Le m usée G uggenheim a consacré une exp osition à ses lumbia, basant tous ses plans archi-
sculptures, et le bâtim ent que l’État d ’Israël lui a com m an d é pour tectoniques et plastiques sur la
structure du noyau cellulaire et
les m anuscrits de la mer M orte est en voie d ’ach èv em en t.
cela bien avant la vogue des théories
atomiques. En 1942, Peggy Guggen
heim l’engageait pour aménager sa
galerie l’A rt du siècle. Il a expliqué,
en 1947, dans son Manifeste du corré-
alisme, comm ent il avait conçu alors
l’idée d ’un musée dont les tableaux
seraient débarrassés de leur cadre
et ce cadre remplacé par « l’archi
tecture générale de la pièce. Le
tableau faisait partie de l’ensemble
architectural et n’en était plus arti
ficiellement isolé... Pour séparer les
tableaux de l’arrière-plan sans inter
rompre la continuité des relations
qui les unissaient, je pris le mur
rigide et droit et je le recourbai.
Un support, sorte de bras en bois
de plusieurs pieds de long, était in
corporé dans la concavité du mur
et supportait le tableau. Le tableau
semble flotter librement. C’est un
monde en soi que le peintre a
conçu et que l’architecte a mis à
l’ancre. »
TOUT COM MENCE
185
A rch itectu re
Les d é b a ts
PLANETE
Le prem ier dîner-débat Planète aura lieu à Lille, le 19 Mai.
(s’inscrire à la librairie Le Furet du Nord, Messieurs Callens,
Place du Général-de-Gaulle, Lille).
186
ACTIVITES PLAN ETE
187
Débats
principaux: les Soucoupes volantes « Rendre mort le pelvis a une fonc
viennent d ’un autre monde et Black-out tion identique à celle qui rend mort
sur les soucoupes volantes. le ventre: celle d’éviter les sensa
ALAIN GOMEZ. tions, en particulier les sensations
Courrier de plaisir et d ’angoisse. »
C ’est lui qui, le premier, a fait la
Ce ne sont pas seulement des romans relation entre le blocage musculaire
lecteurs de vulgarisation s ’ils sont un peu cette raison qu’il sera vraiment
audacieux dans les hypothèses fo r connu dans vingt ans. Mais les
mulées. pelvis morts courent les rues, avec
leurs angoisses et leurs refoulements.
Mise au point sur Reich FRANÇOIS LE BERRE.
Les savants se cachent
Wilhelm Reich, c’est de la dyna Nous préparons un important dossier
Ayant découvert, par quelques indis mite, et votre article ne le laisse sur Reich que nous publierons dans
crétions, que certains savants authen pas du tout entrevoir. Je voudrais un de nos prochains numéros. Vous
tiques se cachaient sous des pseu vous citer quelques passages de son avez raison: ce disciple de Freud est
donymes pour tenter d’éclairer les livre, les Fonctions de l’orgasme. plus passionnant qu’on le prétend
gens par le biais de la science- «Toute rigidité musculaire contient souvent.
fiction, je me suis mis à lire avec l’histoire et la signification de son
ardeur ces ouvrages. Je ne tardai origine. » Pas d'accord avec
pas à découvrir que, sous le couvert « La rigidité de la musculature est
de cette littérature anodine, circu le côté somatique du refoulement Betty Friedan
laient des faits exacts, rarem ent et la base de son maintien. »
publiés dans les ouvrages scienti « Chez tous les névrosés sans excep Les études psychologiques m’inté
fiques. C ’est de cette façon qu’un tion, on peut trouver cette contrac ressant beaucoup, j ’ai lu avec intérêt
auteur fixa particulièrem ent mon ture tonique du diaphragme. » la Femme trahie par elle-même, de
attention: Jimmv Guieu, dont cer « Les mouvements dans l’acte sexuel Betty Friedan. Il me semble que
tains livres ont fait l’objet d ’émis sont forcés artificiellement sans que cette dernière va chercher de bien
sions radiophoniques et qui a rem l’individu en soit conscient. » subtiles explications du com por
porté, avec l’Homme de l’Espace, Il parle plus loin du « pelvis mort » tem ent féminin alors que la réalité
le grand prix de science-fiction (en en disant: « Il est possible d’étouffer est beaucoup plus simple.
1954, si je ne m’abuse). J ’ai lu tous toute sensation de plaisir génital par Certes, les femmes vivent dans un
ses livres ou presque, car il manque une contracture chronique de la monde construit et organisé par les
à ma collection les deux ouvrages musculature pelvienne. » hommes. Mais il en sera toujours W
188
Activités Planète
Le nouveau volume de
B N C
Ii.fl
Les pouvoirs par
Jean Dauven
Préface par
de l'hypnose
Psychanalyse, chirurgie, dentisterie, gynécologie, etc. :
le professeur
Emilio Servadio
189
Activités Planète
w ainsi, quels que soient la liberté Le mystère du regard radiations émises par le regard (alors
et l’épanouissement dont bénéfi qu’il pourrait ne s’agir que d’une
cieront les femmes. Car, bien que sensation de présence). En effet, et
Betty Friedan affirme que la femme Dans un court article de Planète n°18, ce n’est un mystère pour personne,
n’aura pas atteint un caractère plei intitulé: «D es questions sur le notre corps émet des radiations infra
nement humain tant qu’elle n’aura mystère du regard», pages 148 et 149, rouges dues à l’énergie libérée par
pas participé à la création, il est vous faites appel sur ce sujet à la col les oxydations biologiques. Peut-être,
bien certain que, par sa nature, la laboration de vos lecteurs. outre l’émission, le corps humain
femme n’est pas créatrice. Cette En tant qu’abonné et en tant que assure-t-il la détection de ces infra
constatation n’implique d’ailleurs scientifique (bien que mes recherches rouges. C ette hypothèse pourrait
nullement une infériorité de l’intel concernent une tout autre branche, peut-être être testée par l’interpo
ligence féminine qui vaut bien celle puisqu’il s’agit de génétique), je vous sition d ’un écran anticalorique entre
de l’homme, étant même sur certains apporte la mienne bien volontiers. le sujet détecté et le sujet détecteur.
points souvent supérieure. Mais Cette sensation de « sentir un regard Mais je ne suis pas physicien.
il est bien évident que la femme peser sur soi» a certainem ent été Que l’on me comprenne bien, il ne
n’est pas attirée par la créa observée bien souvent. Sur la nature s’agit que d ’hypothèses qui n’auront
tion. Il est caractéristique de cons physique de la sensation ainsi perçue, de sens que dans la mesure où elles
tater, à titre d ’exemple, que même je vous livre mon opinion qui peut- seront soumises à une expérimen
dans les activités particulièrem ent être vous décevra par son caractère tation serrée. En l’absence de
féminines telles que la couture et la prosaïque et terre à terre. travaux de cette sorte, il serait tém é
cuisine, ce sont les hommes qui Lorsqu’il se trouve en présence d’un raire de les donner (celles-ci ou
doivent se substituer aux femmes phénomène classiquement inexpli d ’autres, telles que la télépathie qui
lorsqu’il s’agit de créer. Et pour cable, le prem ier réflexe de tout est classique en cette matière)
tant, dans ces domaines où les scientifique doit être d’éliminer les comme des interprétations valables.
femmes ont le plus large accès, rien artefacts, de rechercher l’explication Le réalisme est fantastique, certes,
ne les em pêcherait de créer. Il est la plus «bête», disons-nous, c’est-à- tout ce qui est fantastique n’est pas
cependant une exception à noter: dire la plus simple. Dans le cas réel pour autant.
le domaine littéraire où les femmes présent, le premier artefact à éli CLAUDE R.
auteurs ne manquent pas, mais cela miner doit être celui d ’une per Faculté des sciences de Paris.
s’explique aisément par le fait que la ception auditive subconsciente (bruit
littérature perm et à la femme de de respiration, par exemple), d’un
libérer son imagination affective. niveau trop faible pour être iden
L’homme reste beaucoup plus enfant tifiée par le sujet en tant que sensation
N'oubliez pas
que la femme. Il continue à jouer auditive, mais suffisant toutefois les poètes, s.v.p.
plus ou moins toute sa vie (les pour qu’il ait la sensation d’une
innombrables associations ou clubs présence humaine. Comment infirmer Depuis ma lecture du Matin des
de jeux sont tous masculins). La ou confirmer cette hypothèse? Il Magiciens, je prends un intérêt renou
femme ne joue plus dès qu’elle sort faudrait placer des sujets ordinai velé à certaines œuvres de poètes
de l’enfance. Or, la création est une rem ent capables de « sentir un regard que j ’admire depuis longtemps, mais
sorte de jeu pour l’homme — c’est peser sur leur nuque » dans des qui me semblent prendre une impor
pour lui presque un jeu de cons conditions telles que toute per tance particulière dans les perspec
truction. L’homme joueur crée, ception auditive soit impossible. On tives qui sont les vôtres. Je songe en
tandis que la femme sentimentale pourrait utiliser à cet effet un casque particulier au grand Milosz, si
procrée dans l’épanouissement de insonorisant ou un fond sonore méconnu encore et dont Ars Magna
son besoin d ’amour. Je ne pense pas d ’intensité très élevée. et les Arcanes m ériteraient d’être
que les femmes, dans leur généralité, Mais la perception auditive n’est pas enfin examinés de près et com
souffrent-de cette situation, conforme la seule à envisager: peut-être mentés par des philosophes et par
aux aspirations des uns et des autres. sommes-nous capables de déceler des hommes de science. Ce n’est pas
Ces quelques constatations sont, à d ’infimes déplacements d’air? que l’abord en soit facile et, pour ma
mon avis, parfaitem ent confirmées A dm ettant maintenant que toutes les part, je ne possède malheureusement
par l’observation et traduisent bien hypothèses de ce type soient éli pas la formation scientifique néces
la nature différente des aspirations minées par une expérimentation saire à un commentaire approfondi
masculines et féminines. Telles sont sévère et qu’il s’agisse de radiations de ces œuvres. Je n’en suis pas moins
les vérités profondes que Betty électro-magnétiques comme le sug frappé par ce fait que, avant les
Friedan semble ignorer. gère E. Aisberg, je me demande si travaux d’Einstein et par une simple
PAUL VISSE. celui-ci ne limite pas le champ des réflexion philosophique et mystique
Nos lectrices seront-elles, elles, possibilités d ’explication en insistant sur les rapports de l’espace, du
d'accord avec M. Visse? sur la notion de regard et de temps et de la pensée, Milosz était 1 9 -
190
Activités Planète
Le nouveau volume de
191
Activités Planète
1^ - parvenu à des conceptions qui dans l’esprit de votre revue (de
rejoignent exactement celles d’Ein même pourrait-il être intéressant de C om m e chaque année (voir
stein (et lui-même ne manqua pas de réexam iner YEurêka, d’Edgar Poe) et
le souligner lorsque la théorie de la
nos num éros 10 et 17), nous
je vous serais personnellement
Relativité lui fut connue); qu’il ait reconnaissant, si vous envisagiez d’y publions no tre bilan com p
comm encé par s’assimiler tous les faire consacrer une étude, de m ’en table. En 1964 encore, nous
grands textes de la tradition ésoté- tenir informé (particulièrement pour avons pu nous développer
rique et qu’il emploie un vocabulaire Milosz, sur lequel je compte déposer dans une to tale in d ép en
souvent em prunté à l’alchimie peut un sujet de thèse). d an ce financière, grâce à la
détourner de lui des savants confor YVES R. fidélité de nos lecteurs. Nous
mistes, mais ce ne sera pas pour vous Vadé (Sarthe). les en rem ercions, et avons
gêner, bien au contraire!
en p ro jet de les associer
De même y a-t-il dans YA rt poétique, Nous publierons de nouveau des textes d avantage en co re à notre
de Claudel, des intuitions et des de poètes et sur les poètes. Nous
conceptions que Claudel lui-même l’avons déjà fait. Rappelons l’étude de effort. N ous préciserons ce
s’est réjoui de voir confirmer peu à Jacques Buge et le Dictionnaire des p rojet dans nos prochains
peu par la science moderne. Je crois responsables sur Milosz dans Planète num éros.
qu’il y a là des domaines à explorer N° 6.
É D IT IO N S P L A N È T E B IL A N AU 31 D É C E M B R E 1964
ACTIF PASSIF
Im m obilisations c o rp o re lle s ........................ 2 6 8 .2 5 8 ,6 8 Capital et ré s e rv e s ........................................ 5 5 .3 8 7 ,4 7 .
» in c o r p o r e lle s .................... 2 5 0 .0 0 0 .0 0 Valeurs e x ig ib le s ............................................ 2 .7 9 5 .2 6 1 ,5 3
S to cks............................................................... 2 3 8 .7 5 9 ,5 5 Comptes de régularisation............................ 3 9 2 .0 4 3 ,3 9
Valeurs ré a lis a b le s ........................................ 1 .1 6 7 .3 4 4 ,6 6 B éné fice........................................................... 2 6 .3 6 8 ,8 0
Valeurs dis p o n ib le s ........................................ 1 .0 2 1 .8 0 0 ,0 9
Comptes de ré gularisation............................ 3 2 2 .8 9 8 ,2 1
3.269.061,19 3.269.061,19
COMPTE D'EXPLOITATION 1 9 64
A chats................................................ 1 .9 3 2 .2 3 1 ,1 2 V entes............................................................... 4 .8 5 7 .7 8 3 ,2 0
Frais d 'e x p lo ita tio n ........................ 1 .5 8 2 .4 1 6 ,3 2 Stock au 3 1 -1 2 -1 9 6 4 ................................ 2 3 8 .7 5 9 ,5 5
Stock au 1-1 - 1 9 6 4 ........................ 8 5 .6 1 1 ,9 7 Produits fin a n c ie r s ........................................ 8.272,8 1
Frais de personnel . . . . . . . 7 2 0 .1 5 2 ,4 0
Im pôts et taxes................................ 2 7 6 .3 8 6 ,2 5
Fournitures et services extérieurs 1 6 9 .6 8 0 ,2 7
Déplacements et transports . . . 4 0 .6 2 4 ,6 9
Frais divers de g e s t io n ................ 1 8 6 .6 9 6 ,6 6
D otation aux am ortissem ents . . 9 .2 7 3 ,3 7
Bénéfice d 'e x p lo ita tio n ................ 101.74 2,51
5.104.815,56 5.104.815,56
261.863,00 261.863,00
192
Activités Planète
Si vous souhaitez vous abonner.
Veuillez tracer une croix X dans le carré correspondant au texte de votre choix.
Édition italienne: « Pianeta» - L.E.U.P., 21, via Fra Domenico Buonvicini - Firenze.
Édition en espagnol: « Pianeta» - Ed. Sudamericana, Humberto I, 545 - Buenos Aires - Argentine.
193
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Dans la nouvelle collection
P v iê s e n c e
iP L A N ^ T IE
La Lettre et l'Esprit
par F r a n ç o is R ic h a u d e a u
P r é fa c e de M a x im ilie n Vox
Les lettres sont faites pour composer des mots,
La Lettre et l'Esprit
les mots sont faits pour être lus. Voilà une
François Richaudeau
vérité qui fut bien près d ’être oubliée, jusqu’au
jour où l’on s’aperçut que l’homme moderne,
au lieu de lire moins comme on le prédisait, se
m ettait à lire de plus en plus. C ’était poser un
problème nouveau. Comm ent faire et que faire
pour que le texte imprimé soit adapté au
besoin du lecteur et non plus soumis à certains
impératifs catégoriques nés d ’une recherche
typographique artificielle et d ’une dictature
illégitime des « arts graphiques »?
A cette question, François Richaudeau, im pri
meur et éditeur, naguère professeur à l’École
Estienne, apporte une réponse logique. Mais
aussi une réponse d’expérience fondée sur les
recherches effectuées, entre autres, avec
l’Association des Compagnons de Lure, sur les
réalisations du Club de Livres qu’il dirige,
recherches et réalisations poursuivies, appro
fondies encore dans le cadre des Éditions
Planète, en compagnie de Louis Pauwels.
Des années de réflexions ininterrompues,
d’essais quotidiens, de réussites incontestées,
aboutissent à cet ouvrage où rien n’est dit que
l’essentiel, mais tout l’essentiel. Deux mots
peuvent le résumer. La typographie adaptée
L'IMMENSE VOYAGE
aux exigences d ’aujourd’hui et de demain sera ou L es méditations d ’un grand
«foisonnante»: foisonnante comme la vie, naturaliste
comme le savoir, comme la culture, comme la par LOREN EISELEY
pensée. L’esprit rendra ainsi son sens véritable
à la lettre.
1 94
Activités Planète
p fc a w y
DIRECTEUR LOUIS PAUWELS
M o u v e m e n t d e s c o n n a i s s a n c e s / E c h o i e p e r m a n e n t e / V i e s p i r i t u e l l e y.
L i t t é r a t u r e d i f f é r e n t e ,/ A r t f a n t a s t i q u e ,7.. H u m o u r / M y s t è r e s du m o n d e a n i m a l
Imprimerie L. P.-F. L. Danel L o o s - le z - L ille Nord im p r im é e n f r a n c e Diffusion Denoël / N.M.P.P.