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AU NORD ET AU SUD DU DANUBE/

NORTH AND SOUTH OF THE


DANUBE

Dynamiques politiques, sociales et religieuses


dans le passé /
Political, Social and Religious Aspects of the Past
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AU NORD ET AU SUD DU DANUBE/
NORTH AND SOUTH OF THE
DANUBE
Dynamiques politiques, sociales et religieuses
dans le passé /
Political, Social and Religious Aspects of the Past

Sous la direction de / edited by


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SOMMAIRE / CONTENTS

Avant-propos (Snezhana Rakova, Gheorghe Lazăr) ……………… 7

I. LES BALKANS AU TEMPS DE BYZANCE ET


DE L’EMPIRE OTTOMAN /
THE BALKANS DURING THE BYZANTINE AND
THE OTTOMAN EMPIRES

Elena KOSTOVA, Byzantium, Ragusa and Bulgaria according to


the Treaty of 1192……………………………………………………….. 15
Alexandar NIKOLOV, De Modo Sarracenos Extirpandi or How
To Crush The Greeks: the Anti-Byzantine Motives in the Treatise
of William (Guillaume) Adam………………………………………… 25
Ivayla POPOVA, The Ottoman Turks Seen Through the Eyes of
Western Travelers of the 15th Century……………………………….. 39
Snezhana RAKOVA, The Last Crusaders: Felix Petančić and the
Unfulfilled Crusade of 1502…………………………………………... 49
Alexandru CIOCÎLTAN, The Pastoral Visit of the Catholic
Archbishop of Sofia in Wallachia and Transylvania
(1715)……………………………………………………………………... 75

II. MARCHANDISES, COMMERCE ET ACTEURS /


GOODS, TRADE AND COMMERCIAL ACTORS

Mária PAKUCS-WILLCOCKS, Demand and Consumption:


Sibiu and the „Turkish” Products in the Sixteenth Century……… 91
Gheorghe LAZĂR, Les marchands « bulgares » et leur activité
en Valachie (XVIIe – début du XIXe siècle)………………………….. 105
Ivaylo NAYDENOV, Commercial Entrepreneurship during the
Bulgarian National Revival Period: the Case of Pulievi Brothers
(1839-1868)……………………………………………………………… 135
III. COMPORTEMENTS RELIGIEUX ET SOCIAUX /
RELIGIOUS AND SOCIAL BEHAVIORS

Petronel ZAHARIUC, « Au milieu de l’étranger ». Deux


documents de donation pour le monastère de Lipnic de Bulgarie... 153
Mariana LAZĂR, Les Cantacuzènes au sein des élites valaques
(XVIIe siècle)……………………………………………………………... 167
Elena BEDREAG, L’enfance et les enfants en Moldavie aux XVIIe
et XVIIIe siècles: réglementations juridiques et témoignages
documentaires……………………………………………………………. 187
Adrian-Bogdan CEOBANU, Un agent diplomatique de la
Roumanie à Sofia: Ioan N. Papiniu (1893-1896)............................ 205
Malamir B. SPASOV, North and South of the Danube:
Imagination Travelers, Traveling Imaginations. Scattered Notes… 223

Bibliographie / Bibliography…………………………………………... 233


Biographie des Auteurs / Notes on Contributors……………………. 265

 
LES MARCHANDS « BULGARES » ET LEUR ACTIVITE
EN VALACHIE (XVIIe – DEBUT DU XIXe SIECLE)*

GHEORGHE LAZĂR
georgelaz2001@yahoo.fr

La disparition des deux formations étatiques bulgares dès la fin du


e
XIV siècle et l’étendue autonomie – politique, judiciaire et économique –
dont on bénéficié les Pays Roumains par rapport à la Porte ottomane
constituent autant de facteurs qui ont favorisé l’installation à demeure en
Valachie d’un nombre important d’individus originaires des contrées sud-
danubiennes correspondant, en lignes générales, au territoire de la
Bulgarie actuelle. Nous estimons ne pas nous tromper en affirmant que
l’émigration des ressortissants bulgares vers le Nord du Danube, attestée
dans les sources dès la fondation de la Principauté de Valachie, ait
considérablement augmenté à partir du début du XVIIe siècle1.
Cependant, pour l’époque que nous tâcheront d’analyser ici, nous sommes
conscients qu’établir avec précision l’origine ethnique de ces migrants
reste une démarche extrêmement compliquée. La diversité ethnique des
régions balkaniques et la forte mobilité géographique – individuelle ou
collective – dans cette zone2, favorisée par le contrôle de l’Etat Ottomane,

*
Ce travail reprend et développe le sous-chapitre sur les marchands bulgares
analysé dans notre livre Les marchands en Valachie, XVIIe-XVIIIe siècles, Bucureşti,
Institutul Cultural Român, 2006, p. 126-134.
1
P.P. Panaitescu, Românii şi bulgarii, Bucureşti, 1944; Alexandru Gonţa,
Bulgarii şi sârbii în ţările române în secolele al XV-lea şi al XVI-lea, dans idem, Studii
de istorie medievală, éds. Maria Magdalena Szekely et Ştefan S. Gorovei, Iaşi, 1998,
p. 78-88; Dinu C. Giurescu, Relaţiile economice ale Ţării Româneşti cu ţările Peninsulei
Balcanice din secolul al XIV-lea până la mijlocul secolului al XVI-lea, dans
„Romanoslavica”, XI, 1965, p. 167-200; Bistra Tvetkova, Regimul schimburilor
economice dintre teritoriile de la Nord şi Sud de Dunăre în secolul al XVI-lea, dans
Relaţii româno-bulgare de-a lungul veacurilor (sec. XII-XIX). Studii, I, Bucureşti, 1971,
p. 107-150.
2
Sur ce phénomène, voir Lidia Cotovanu, L’émigration sud-danubienne vers la
Valachie et la Moldavie et sa géographie (XVe-XVIIe siècles): la potentialité heuristique

Au Nord et au Sud du Danube/North and South of the Danube, p. 105-133


106 Gheorghe Lazăr

nous rendent la tâche difficile. Pour éliminer toute confusion, précisons


d’emblée qu’on utilisera ici le terme de bulgare / bulgares plutôt dans un
sens géographique, d’individus originaires de l’espace actuellement
bulgare, et dans une moindre mesure dans son sens ethnique. Nous avons
inclus dans la catégorie des marchands bulgares – à l’exception de ceux
dont l’origine ethnique autre (grecque, arménienne, etc.) est clairement
affirmée3 – tous ceux qui sont identifiés dans les documents valaques à
partir de leur localité d’origine ou de dernière résidence, des centres
commerciaux dans la plupart des cas, situés sur le territoire de la Bulgarie
actuelle: dârstoreanul (originaire de Dârstor / Silistra), şiştoveanul
(originaire de Şiştov), târgovişteanul (originaire de Târgovişte, en
Bulgarie), gabroveanul (originaire de Gabrovo), etc. Nous y avons inclus
également les marchands qualifiés par les sources valaques comme étant
des „Serbes” (sg. sârbul, pl. sârbi)4. Pour ce qui est de la synonymie des
noms collectifs Serbes / Bulgares, nous avons suivi l’opinion
historiographique quasi unanime à ce propos, mais aussi le fait que les
documents de l’époque envisagée par notre étude (XVIIe - début du XIXe
siècle) évoquent des quartiers „serbes” dans les centres commerciaux de
Valachie (în sârbie), dont les habitants étaient en même temps membres
de la „compagnie des marchands bulgares ”5. On n’exclura pas que parmi
ces derniers il y avait aussi des Serbes à proprement parler.

d’un sujet peu connu, dans „Cahiers balkaniques”, INALCO, Paris [en ligne], 42 (2014),
mis en ligne le 21 mai 2014 (URL : http://ceb.revues.org/4772).
3
C’est le cas, par exemple, du marchand Sefteri de Tărnovo; les sources
précisent qu’il était d’origine grecque (Acte judiciare din Ţara Românească. 1775-1781,
éds. Gheorghe Cronţ, Alexandru Constantinescu, Anicuţa Popescu, Theodora Rădulescu,
Constantin Tegăneanu, Bucureşti, 1973, no. 514, p. 573-574).
4
Pour les sens de ce nom collectif, voir Pavlina Bojčeva, Renseignements sur
les Bulgares d’apres des historigraphes roumains, dans „Etudes Balkaniques”, XXIX,
1993, no. 3, p. 30-37; Cătălina Vătăşescu, De nouveau sur l’emploi en roumain de
l’ethnonyme sârbi/ „serbes”/ pour designer les Bulgares aussi, dans „Linguistique
balkanique”, XLIV, 2005, no. 1-2, p. 143-152; Margarita Kuyumdzhieva, On the
interrelations between Wallachia and Bulgarians during the 17th century: Benefactors
and Beneficiaries, dans „Revue des Etudes Sud-Est Européennes”, LIV, 2016, no. 1-4,
p. 154-155.
5
Voir, à titre d’exemple, le cas du marchand Nicola qui, en 1731, achetait un
domaine dans le village de Coşoveni; le document précise que l’acheteur était „du
quartier serbe de la ville Craiova, membre de la compagnie des Bulgares” (din sârbiia
Craiovei, din compania bolgarilor) (Bibliothèque de l’Académie Roumaine [= BAR],
Documente istorice, MCDLXXIII/131).
Les marchands „bulgares” et leur activité en Valachie 107

Tout comme dans le cas d’autres groupes d’allogènes demeurant


sur le territoire de la Valachie – celui des Grecs (roum. greci) étant le
mieux représenté6 –, une part importante de ces Bulgares était impliquée
dans le commerce des lieux, notamment dans le négoce avec des produits
alimentaires7, déployé sur les deux rives du Danube. Étant donné que les
sources disponibles ne nous offrent pas suffisamment d’informations pour
opérer une analyse plus étendue, nous tâcherons dans la présente étude
d’esquisser le contexte économique et fiscal dans lequel la communauté
des marchands bulgares a développé ses activités en Valachie, pendant
l’époque mentionnée. Précisons d’emblée que nous n’avons pas considéré
opportun de reprendre la discussion autour du phénomène de l’émigration
/ refuge vers la Valachie de certaines communautés sud-danubiennes,
qu’il s’agisse d’un déplacement volontaire, poussé par la pression
ottomane ou par la politique menée par les souverains valaques en vue
d’encourager un pareil processus démographique8.
6
Olga Cicanci, Statutul social-juridic al grecilor „împământeniţi” (secolele XVI
- XVII), dans Cercetări de istorie şi civilizaţie sud-europeană, III, 1986, Bucureşti, 1987,
p. 114-123; Bogdan Murgescu, „Phanariots” and „Pământeni”. Religion and Ethnicity
in Shaping Identities in the Romanian Principalities and the Ottoman Empire, dans
Maria Crăciun, Ovidiu Ghitta (éds.), Ethnicity and Religion in Central and Eastern
Europe, Cluj, 1995, p. 196-204; Gheorghe Lazăr, « De la boutique à la terre ». Les
marchands „grecs” et leurs stratégies d’insertion sociale (Valachie, XVIIe siècle), dans
„Studii şi Materiale de Istorie Medie”, XXVI, 2008, p. 51-67; Cristian Luca, Il regime
giuridico dei mercanti stranieri in Valacchia e in Moldavia nel Cinque-Seicento, dans
A. Castaldini (éd.), L’eredita’ di Traiano. La tradizione instituzionale romano-imperiale
nella storia dello spazio romeno. Atti del Convegno Internazionale di Studi, Bucarest,
Istituto Italiano di Cultura – Accademia Romena, 6-7 giugno 2007, Bucarest, 2008,
p. 195-208.
7
Pour les produits acquis en Valachie et commercialisés par les marchands
bulgares au Sud du Danube, voir le document émis le 26 janvier 1666, selon lequel trois
individus de la ville Râmnic attestaient par écrit avoir reçu de la part du marchand Ganea
de Cernavoda (Cervena-Voda), d’avance, la somme de 765 lei; en échange de cet argent,
ils s’engageaient à lui procurer une certaine quantité de beurre et de miel. Le document
témoigne également du fait que les produits en question allaient être livrés pendant et au
prix du marché de Câmpulung (tenu en juillet). Les trois personnes n’ont pas réussi à
honorer leur engagement, ainsi qu’une décennie plus tard – une notice des années 1678-
1679 l’atteste –, dame Comna, l’épouse de Ganea, tâchait encore de récupérer l’argent de
la part des débiteurs et de leurs fils (Gh. Lazăr, Documente privitoare la negustorii din
Ţara Românească, vol. 1, 1656-1688, Iaşi, 2013, no. 85, p. 87-88).
8
Sur la bibliographie à ce sujet, voir Violeta Barbu, Les Arbanassi: un réseau
marchand aux frontières de l’Empire Otoman au début du XVIIe siècle, dans „Études
Balkaniques”, XLVI, 2010, no. 1-2, p. 206-222; Lidia Cotovanu, Despre ctitorii
108 Gheorghe Lazăr

Même si les données dont on dispose à ce jour ne permettent pas


de mener une enquête quantitative à proprement parler, elles montrent
assez clairement que durant le long règne de Matei Basarab (1632-1654),
une importante communauté de marchands bulgares s’est constituée en
Valachie. Les documents de l’époque mentionnent maints pareils
marchands, en qualité d’acheteurs ou de témoins à des transactions
patrimoniales. On citera le document du 3 mai 1646 par lequel
l’hégoumène du monastère de Brâncoveni achète plusieurs carrés de
vignobles; parmi les témoins figurent plusieurs marchands originaires
d’outre-Danube, tel Ivan „le Serbe de Nicopolis” (sârb ot Nicopoe) et
Gheorghe „du même endroit ” (ot tam)9. Déjà en 1639, l’évêque
catholique Petru Bogdan Baksič – qui semble exagérer par endroit –
déplorait l’exode massif des habitants de Kiproveč vers la Valachie10,
alors qu’en 1644 les marchands catholiques de Valachie (nomina
mercatorum catholicorum Valachiae) demandaient au prince régnant de
confier l’église catholique de Târgovişte aux soins des moines
franciscains bulgares11. Un acte de donation datant du règne de
Constantin Brâncoveanu (1688-1714), émis le 14 mars 1697 au bénéfice
du monastère Sainte-Trinité situé „dans les montagnes de Târnovo, fait et
érigé depuis les fondements par feu le roi Šišman d’outre-Danube” (din
munţii Târnovului, făcută şi înălţată den temeliia ei de răposatul Şişmon
craiu peste Dunăre), confirme encore l’existence d’une pareille

„arbănaşi” ai bisericii Adormirii Domnului din Călineştii Prahovei (1646), dans Mircea
Ciubotaru, Lucian V. Lefter (éds.), Mihai Dim. Sturdza la 80 de ani, Iaşi, 2014, p. 659-
701; eadem, À la recherche de nouveaux contribuables: politiques publiques de
colonisation rurale avec des ‘étrangers’ (Valachie et Moldavie, XIVe-XVIIe siècles), dans
„Revue des Etudes Sud-Est Européennes”, LIII, 2015, no. 1-4, p. 33-69.
9
Documenta Romaniae Historica, serie B, Ţara Românească [= DRH, B],
XXXI (1646), éds. Violeta Barbu, Constanţa Ghiţulescu, Andreea Iancu, Gh. Lazăr,
Oana Rizescu, Bucureşti, 2003, no. 122, p. 137.
10
Lors de son séjour en Valachie et de sa visite à Câmpulung, en août 1640, où
demeurait une importante communauté catholique, Petru Bogdan Baksič enregistrait le
fait que les marchands chiproviceni avaient fait don à l’église de la ville, à l’occasion de
la fête de St-Élie, de deux nappes pour l’autel: Călători străini despre ţările române, V,
éds. Maria Holban, Maria Matilda Alexandrescu-Dersca Bulgaru, Paul Cernovodeanu,
Bucureşti, 1973, p. 209.
11
Karol Telbizov, Liste des chartes de privilèges octroyés, aux XVIIe-XIXe
siècles, aux compagnies commerciales de Bulgares de Čiprovec dans la Principauté de
la Roumanie, en Transylvanie et dans le Banat, dans „Études Balkaniques”, 1976, no. 4,
p. 65, note 8.
Les marchands „bulgares” et leur activité en Valachie 109

communauté12. À part le fait que l’édifice en question a bénéficié de


nombreuses donations princières dès le début du XVIIe siècle, de la part
de Radu Şerban (1602-1610, 1611) et Radu Mihnea (1601-1602, 1611-
1616, 1620-1623), le document cité nous fait savoir que les chrysobulles
de donation – conservés dans la maison d’un certain Petru marchand – ont
disparu pendant le règne de Matei Basarab, dans l’incendie qui a dévasté
le cartier bucarestois habité par les marchands bulgares13.
Bien que les sources de l’époque témoignent de la présence de
marchands originaires de plusieurs villes sud-danubiennes et des régions
avoisinantes - Dârstor (Silistra)14, Arbănaşi, près de Razgrad
(tc. Arnautköy, gr. Αρβανιτοχώρι)15, Tărnovo16, Gabrovo17, Nicopolis18,
12
En dehors de la dimension religieuse et idéologique de ce geste, il se peut que
la présence de cette communauté dans la capitale valaque ait déterminé Matei Basarab à
fonder au Sud du Danube, à Şiştov et Vidin, deux églises. Certains hauts dignitaires du
pays ont poursuivi l’œuvre du souverain. À ce propos, on se contentera de citer les
études de Petronel Zahariuc, „În mijlocul străinătăţii”: două hrisoave de danie pentru
mănăstirea Lipnic din Bulgaria, dans idem, De la Iaşi la Muntele Athos. Studii şi
documente de istorie a Bisericii, Iaşi, 2008, p. 210-211, et de Margarita Kuyumdzhieva,
op. cit., p. 158-159, avec la bibliographie plus ancienne.
13
Pavlina Bojčeva, Sur un acte de donation de Constantin Brâncoveanu à
l’église orthodoxe de Tărnovo, dans „Études Balkaniques”, 2001, no. 1, p. 71-82.
14
Le 8 décembre 1665, le prince Radu Leon ordonne au marchand Gheorghe de
Dârstor d’acquitter ses obligations envers le monastère de Viforâta (Gh. Lazăr,
Documente negustori, I, no. 85, p. 87-88). Une charte judiciaire du 16 juin 1731,
témoigne de la plainte de deux boyards valaques à l’encontre du marchand Temelie de
Tărnovo, leur associé dans le négoce du bétail (neguţătorie de vite); les plaignants
l’accusaient de n’être pas rentré du „Pays Allemand” (ţara nemţească), où il s’était
rendu pour vendre le bétail „à un prix meilleur” (mai cu preţ). On apprend, donc, que les
deux boyards non seulement avaient confié à Temelie de la marchandise, mais, confiants
de leur future gain, ils ont emprunté 500 thalers à un autre marchand sud-danubien,
Hagi-Gheorghe de Dârstor, argent qu’ils étaient sommés à restituer (BAR, Documente
istorice, CCXLIV/112).
15
Le 11 août 1676, un certain Roman vend aux marchands Nicola Buicliul et
Neculce sa part de domaine à Obileşti, en vue d’acquitter une dette de 30 ughi
[= monnaie d’or] contractée auprès des deux négociants (Gh. Lazăr, Documente
negustori, I, no. 193, p. 184-185). Un autre document, du 19 février 1677, nous apprend
que Nicola Buicliul et son frère Iorga, „les fils de Iane marchand Buicliul d’Arnăutuchioi
de Razgad” (fiii lui Iane cupeţul Buicliul de la Arnăutuchioi de la Razgad), ont vendu au
marchand Nicola de la Ville-de-Foci (Oraşul de Floci), pour 130 thalers, un terrain de
construction à Bucarest, dans le cartier (mahala) commercial bien connu de l’église „des
Grecs” (biserica grecilor) (voir Ştefan Andreescu, Câteva precizări despre ctitoriile
bucureştene ale lui Ghiorma banul, dans „Glasul Bisericii”, XXIII, 1964, no. 5-6,
p. 562).
110 Gheorghe Lazăr

Rusciuc (bg. Ruse)19, Cernavoda (Cervena-Voda)20, etc. –, les plus


connus et nombreux étaient ceux arrivés de la région de Kiproveč (roum.
Chiprovăţ), appelés du nom de chiproviceni. Il n’y a rien de surprenant,
vu les étroites relations économiques que les marchands en question
entretenaient avec l’Europe occidentale, notamment avec Venise, vu aussi
que, suite aux événements sanglants de 1688, un nombre important

16
Stamu marchand de Tărnovo, ensemble avec deux autres ressortissants sud-
danubiens, Ianea et Cârstea de Cernavoda, sont mentionnés en tant que témoins dans un
acte de 14 août 1666 (Archives Nationales Historique Centrales [=ANIC], ms. 186,
f. 190-191). Au début du XIXe siècle, un certain Laţcar Dimitriu, marchand de Tărnovo
(neguţător de la Târnova), rédigeait sont testament, en léguant tout son avoir à son
neveu Hagi Pantazi (BAR, ms. rom., 612, f. 97v-98v).
17
Le 23 juin 1801, Hagi Teodosie Gabrovolu et le fourreur (cojocar) Ianache
font échange de leurs boutiques à Bucarest (Florin Georgescu, Paul Cernovodeanu,
Ioana Panait (éds.), Documentele oraşului Bucureşti, Bucureşti, 1960, no. 112, p. 183-
185). Deux décennies plus tard, en 1817, Stoian épicier (băcan), le fils de Petre Steneţ de
Gabrovo (gabroveanu), érigeait l’église des Saints-Voïévodes à Bucarest (Constantin C.
Giurescu, Contribuţiuni la studiul originilor şi dezvoltării burgheziei române până la
1848, Bucureşti, 1972, p. 93).
18
Le 28 septembre 1650, le prince Matei Basarab confirment à l’intendant
(vătaf) Neagu le droit de possession sur le village de Băcăleşti, reçu en donation de la
part de son oncle Dumitru Ochea de Nicopolis. Le document précise que l’intendant
Neagu a fait parvenir au patriarche de Jérusalem Païsios les 100 ughi légués par son
oncle au Saint-Sépulcre (DRH, B, XXXV (1650), éds. Violeta Barbu, Constanţa
Ghiţulescu, Andreea Iancu, Gh. Lazăr, Oana Rizescu, Bucureşti, 2003, no. 293, p. 310-313).
19
Petru hagiul de Rusciuc vend boutique dans le cartier St-Nicolas, Rue Grande
(G. Potra, Documente privitoare la istoria oraşului Bucureşti, 1634-1800, Bucureşti,
1982, no. 189, p. 225).
20
Par exemple, le marchand Sava de Cernavoda, le fils de Ghioca, est
mentionné par les documents valaques à partir de 1651, soit en qualité de témoin (DRH,
B, XXXVI (1651), éds. Oana Rizescu, Marcel-Dumitru Ciucă, Bucureşti, 2006, no. 158,
p. 183), soit en achetant des serfs (I.C. Filitti, Arhiva Gheorghe Grigore Cantacuzino,
Bucureşti, 1919, no. 713, p. 228). Pour les relations des habitants de Cernavoda
(Cervena) avec la Valachie, voir T. Mateescu, Din legăturile Episcopiei de Cerven cu
ţările române (sec. XVII – XIX), dans „Biserica Ortodoxă Română”, XCIV, 1976, no. 2,
p. 176-179; Adrian Tertecel, O problemă de geografie istorică. Cernavodă şi Cervena
Voda, dans „Studii şi Materiale de Istorie Medie”, XX, 2002, p. 343-346; Rossitsa
Gradeva, Villagers in International Trade: the Case of Chervena Voda, Seventeenth to
the Beginning of Eighteenth Centrury, dans eadem, War and Peace in Rumeli 15th to
Beginning of the 19th Century, Istanbul, 2008, p. 299-319; Lidia Cotovanu, Despre
ctitorii „arbănaşi”, p. 665-666 et passim; Margarita Kuyumdzhieva, op. cit., p. 164-165.
Les marchands „bulgares” et leur activité en Valachie 111

d’habitants des régions mentionnées ci-dessus se sont réfugiés en


Valachie21.
L’importance de ces marchands pour l’économie et le commerce
de la Valachie, puis leur nombre toujours croissant constituent autant de
facteurs qui, à notre sens, ont déterminé la décision du prince Constantin
Şerban (1654-1658) d’accorder, le 14 juin 1654, un privilège collectif aux
chiproviceni „qui se nourrissent dans les villes du pays de ma seigneurie”
(care merg de se hrănesc în ţara domniei mele prin târguri). À la
demande „desdits gens de Kiproveč” (mai sus - zişilor oameni
chiproviceni), arrivés devant le Conseil princier à Bucarest, le souverain
les exemptait de toutes les taxes prélevées au cours de l’année (de toate
slujbele şi mâncăturile care sunt peste an). Il leur accordait ainsi un statut
fiscal d’exception, semblable à celui des boyards, des monastères et des
principales catégories de serviteurs princiers, en leur permettant
d’acquitter juste la taxe annuelle de 130 ughi (monnaie en or)22. En
échange de l’engagement d’acquitter cette somme annuelle au moment du
payement du haratch envers la Porte ottomane, le prince régnant leur
garantissait l’entière liberté de pratiquer le commerce sur le territoire de la
Valachie (să se hrănească slobozi în ţara domniei mele); les serviteurs
princiers étaient défendus de porter atteinte à leurs activités23. On peut
supposer que les prescriptions de cet acte ont été favorables aux deux
parties, vu qu’elles ont été maintenues et confirmées par les princes qui
ont succédé à Constantin Şerban au trône du pays : Mihnea III (1658-
1659), Gheorghe Ghica (1659-1660) et Grigore Ghica (1660-1664)24.

21
Dinu C. Giurescu, Maîtres orfèvres de Kiprovač en Valachie, au XVIIe siècle,
dans „Revue des Etudes Sud-Est Européennes”, II, 1964, no. 3-4, p. 468-469;
idem, Două opere de argintărie lucrate de meşteri din Chiprovăţ în Ţara Românească în
secolul XVII, dans „Studii Muzeale”, III, 1966, p. 20-24; sur l’histoire de cet importante
centre commercial, voir aussi Virginia Paskaleva (éd.), 300 godini Chiprovsko vâstanie,
Sofia, 1988.
22
À ce sujet, voir Gh. Lazăr, Les marchands en Valachie, XVIIe-XVIIIe siècles,
Bucureşti, 2006, p. 78-79.
23
P. P. Panaitescu, op. cit., p. 45; K. Telbizov, op. cit., p. 65, 69. Voir la
dernière édition du chrysobulle dans DRH, B, XXXIX (1654), éds. Violeta Barbu, Gh.
Lazăr, Florina Manuela Constantin, Constanţa Ghiţulescu, Oana Mădălina Popescu,
Bucureşti, 2010, no. 203 bis, p. 243-244.
24
K. Telbizov, op. cit., p. 69.
112 Gheorghe Lazăr

Pour des raisons qui ne sont pas encore tout à fait élucidées25, le
statut fiscal des marchands chiproviceni a été révisé par Radu Leon
(1664-1669), qui a doublé, puis triplé leurs obligations financières envers
la Trésorerie publique. Au final, le voïévode a entièrement annulé les
anciens privilèges26. Antonie Vodă de Popeşti (1668-1672) a rétabli la
situation dès qu’il est monté sur le trône; le 15 avril 1669, suite à
l’intervention d’un certain Iacov „capitaine de chiproviceni” (căpitan de
chiproviceni)27, le prince a émis un nouveau chrysobulle en faveur des
marchands bulgares. Une fois de plus, l’acte princier stipule que les
marchands chiproviceni allaient être exemptés de touts les impôts
prélevés à travers le pays, sous condition d’acquitter juste une taxe
annuelle, augmentée cette fois-ci. Les dispositions de ce nouveau
privilège allaient être maintenues pendant les règnes de Gheorghe Duca
(1673-1678) et Şerban Cantacuzène (1678-1688) ; chacun des deux
souverains les a renouvelés par chrysobulle princier, l’un le 14 avril 1676
et l’autre le 26 mai 167928.
Le statut des marchands chiproviceni de Valachie connut une
amélioration considérable pendant le règne de Constantin Brâncoveanu
(1688-1714)29, dont le début avait coïncidé – dans le contexte de la guerre
menée par la Ligue Sainte contre l’Empire Ottoman et des victoires
remportées par les forces autrichiennes après l’asseau ottoman de Vienne
(1683) –avec le déclenchement de la révolte bulgare, notamment dans la
région de Kiproveč, à l’issue dramatique. La répression ottomane fut
sanglante, ce qui a poussé les révoltés à l’exile, notamment vers le Nord
du Danube, de préférence en Olténie (la partie ouest de la Valachie)30.

25
Selon P.P. Panaitescu, op. cit., p. 45, il s’agirait des plaintes des marchands
„grecs” à l’encontre des marchands de Kiproveč, sans pour autant y apporter des
arguments.
26
P.P. Panaitescu, op. cit., p. 46; K. Telbizov, op. cit., p. 69.
27
Sans savoir qu’il y ait un lien quelconque avec les marchands bulgares,
rappelons quand même le cas des „capitaines de Serbes” (căpitani de sârbi), mentionnés
dans les documents valaques depuis le règne de Matei Basarab: Vucina est mentionné en
1632 (il deviendra membre du Conseil princier en tant que grand échanson) et Tanase en
1649 (DRH, B, XXIII (1630-1632), éd. Damaschin Mioc, Bucureşti, 1969, no. 93,
p. 166-168; XXXIV (1649), éds. Violeta Barbu, Gh. Lazăr, Oana Rizescu, Bucureşti,
2002, no, 101, p. 84-85).
28
P.P. Panaitescu, op. cit., p. 46; K. Telbizov, op. cit., p. 69-70.
29
K. Telbizov, op. cit., p. 68.
30
Constantin Velichi, România şi renaşterea bulgară, Bucureşti, 1980, p. 36-
37; Margarita Kuyumdzhieva, op. cit., p. 156.
Les marchands „bulgares” et leur activité en Valachie 113

Dans ce contexte politique et économique trouble, on comprend mieux le


privilège accordé par Constantin Brâncoveanu aux Bulgares de Kiproveč,
le 2 avril 1691. À part la confirmation des anciens privilèges – consistant
à payer une taxe annuelle et pratiquer le commerce sur l’entier territoire
du pays –, le souverain leur a accordé le droit de s’installer à demeure en
Valachie, d’acheter des maisons et même d’ériger une église pour leurs
nécessités spirituelles. En échange de ces privilèges, la communauté des
Bulgares chiproviceni devaient acquitter la taxe collective annuelle de
200 ughi; vu leur situation précaire, la somme due à la Trésorerie
publique allait rester intacte à l’avenir, quelqu’en fût le nombre des
membres nouvellement entrés dans la communauté31.
Ces privilèges eurent des conséquences heureuses sur la
communauté bulgare, à en juger d’après les testaments mentionnés dans
le Registre de la Trésorerie du Pays (Condica Visteriei Tării)32; les
sommes prélevées sur les marchands chiproviceni, probablement sous
forme de taxes sur les marchandises vendues en Valachie, ont augmenté
d’une année à l’autre. Ce constat confirme les dires de l’évêque
Knejević33: Constantin Brâncoveanu est „nostro benefacctore e potettore
dei nostri christiani”34. Des données d’ordre financier enregistrés par ce
document exceptionnel, qui couvre la période de 1694-1704, il ressort
qu’entre octobre 1693 – août 1694, la Trésorerie publique a encaissé
auprès des marchands chiproviceni des taxes en valeur de 1125 ughi.
Quelques années plus tard, en 1697-1698, la somme récoltée a atteint les
1800 ughi. Signalons, à titre de comparaison, que les corporations des
marchands braşoveni (de Braşov, en Transylvanie) et arméniens ont versé
dans les caisses de la Trésorerie publique 400 ughi chacune, en 1693-
1694, et respectivement 200 et 300 ughi, en 1697-169835.
31
N. Iorga, Privilegiul lui Constantin vodă Brâncoveanu pentru bulgarii
colonişti, dans „Revista Istorică” XI, 1925, no. 10-12, p. 305-308; Dinu C. Giurescu,
Maîtres orfèvres de Kiprovač, p. 467-510; K. Telbizov, op. cit., p. 70-71.
32
Condica de venituri şi cheltuieli a vistieriei de la leatu 1694-1704, éd.
C. Aricescu, Bucureşti, 1873.
33
C. Velichi, op. cit., p. 36.
34
Au sujet des donations faites par Constantin Brâncovenau envers les lieux de
culte chrétiens situés sur l’actuel territoire bulgare, voir Pavlina Bojčeva, Sur un acte de
donation de Constantin Brâncoveanu; eadem, Un document de Constantin Brâncoveanu
relatif au monastère de Kapinovo (Saint-Nicolas) près de Tărnovo, dans P.H. Stahl (éd.),
Omagiu Virgil Cândea la 75 de ani, Bucureşti, 2002, p. 97-107; P. Zahariuc, op. cit.,
p. 213-214; Margarita Kuyumdzhieva, op. cit., p. 161-164.
35
Gh. Lazăr, Les marchands, p. 82.
114 Gheorghe Lazăr

Sans doute, cette augmentation des sommes encaissées par l’État


correspond à l’ampleur du commerce déployé par les chiproviceni en
Valachie, mais aussi à leur grand nombre36. Ce constat est confirmé par
d’autres sources de l’époque, qui enregistrent de plus en plus souvent la
présence de ces marchands et de leurs familles en Valachie. Par exemple,
le 29 novembre 1691, dame Maria chiproviceanca, l’épouse de feu le
marchand Anta de Kiproveč (de la Chiprova), vendait au prince
Constantin Brâncoveanu sa part de domaine dans le village de Ghibuceani
(dépt. de Dolj), qu’elle avait achetée de commun effort avec son mari „au
temps d’Antonie voïévode” (din zilele lui Antonie vodă), c'est-à-dire deux
décennies auparavant. Elle motivait la vente par le fait qu’elle était „une
femme étrangère et en impossibilité de garder le domaine” (fiindu eu
fămăie striină şi neputând ţinea această moşie). La vente eut lieu en
présence de nombreux témoins, parmi lesquels on retrouve certains
membres de la communauté des marchands chiproviceni, dont un qui
appose sa signature en caractères latins37. Pendant la même période, le
17 février 1698, dame Iana et son frère Toşa, les enfants du marchand
Chera de Kiproveč – connu des sources dès la quatrième décennie du
XVIIe siècle38 –, ont décidé de vendre au monastère de Cozia le vignoble
acquis par leur père par achat39. L’acte de vente précise que le marchand
Chera était le frère de „messire Stoian des Grandes Salines” (jupânul
Stoian de la Ocnele Mari), à son tour impliqué dans le commerce depuis

36
Rappelons qu’en 1705, suite à la plainte du patriarche de Jérusalem Dosithée,
l’évêque Ilarion de Râmnic a été accusé pour trop „d’indulgence accordée aux fidèles du
pape” (îngăduinţă faţă de închinătorii papei) qui résidaient dans la ville mentionnée
(référence y est faite à la puissante communauté de marchands chiproviceni) (Alexandru
Elian, Legăturile Mitropoliei Ungrovlahiei cu Patriarhia de Constantinopol şi cu
celelalte Biserici de la întemeiere până la 1800, dans „Biserica Ortodoxă Română”,
LXXVII, 1959, no. 9-10, p. 929; Violeta Barbu, Miniatura brâncovenească. Manuscrise
ilustrate şi ornamentate, Bucureşti, 2000, p. 38-39.
37
Gh. Lazăr, Documente negustori, II, 1689-1714, Iaşi, 2014, no. 33, p. 44-45.
38
DRH, B, XXIV (1633-1634), éds. Damaschin Mioc, Saşa Caracaş,
Constantin Bălan, Bucureşti, 1974, no. 78, p. 105-106; XXV (1635-1636), éds.
Damaschin Mioc, Maria Bălan, Ruxandra Cămărăşescu, Coralia Fotino, Bucureşti, 1985,
no. 125, p. 137.
39
Tezaur medieval vâlcean. Catalogul documentelor de la Arhivele Statului din
Râmnicu Vâlcea. 1388-1715, I, éds. Corneliu Tamaş, Ion Soare, Carmen Andreescu,
Bucureşti, 1983, no. 1047, p. 318.
Les marchands „bulgares” et leur activité en Valachie 115

166040. On sait à propos du frère de Chera qu’à part ses préoccupations


commerciales, il détint la charge de cămăraş41 et qu’à sa mort, il a laissé
beaucoup de dettes derrière lui; pour les acquitter, ses enfants –
Constantin, Tănase et Dumitru – ont été contraints de vendre une partie
du patrimoine foncier de la famille42.
Enfin, les documents émis pendant le règne de Constantin
Brâncoveanu attestent la première fondation d’un lieu de culte accomplie
par un membre de la communauté des marchands bulgares. Il s’agit de
l’église de la Dormition de la Mère de Dieu, connue aussi du nom de
l’Église des Étaux (Biserica Scaune), attestée un siècle auparavant et
refaite au début du XVIIe siècle sur les dépenses „du trépassé Tănasie de
Tărnovo” (răposatului Tănasie de la Târnovo) et avec l’effort (osteneala)
de son neveu Stavro, pour la commémoration éternelle du ktitor et de son
lignage (ca să-i fie întru pomenire şi a tot neamului său, în veci)43. À en
juger d’après l’emplacement de l’édifice – dans un des cartiers
commerciaux importants de Bucarest, là où déployaient leurs activités les
marchands bouchers –, mais aussi d’après la possible identité du ktitor
avec messire (jupan) Stavro, connu des documents émis pendant le
dernier quart du XVIIe siècle44, on est tenté de considérer que Tănase

40
Gh. Lazăr, Documente negustori, I, no. 60, p. 67-68; Grina-Mihalela
Rafailă, Actele domniei lui Gheorghe Ghica aflate în colecţia de „Documente” a
Muzeului Municipiului Bucureşti, dans „Bucureşti. Materiale de istorie si muzeografie”,
XXIII, 2009, no. 1, p. 161-162.
41
ANIC, M-rea Bistriţa, XXVII/6, XXVII/7.
42
Gheorghe Dumitraşcu, Corneliu Tamaş (éds.), Râmnicul medieval. Studiu şi
documente, Râmnicu Vâlcea, 1995, no. 218, p. 96.
43
Şt. Andreescu, Contribuţii la istoricul bisericilor Scaune şi Săpunari din
Bucureşti, dans „Glasul Bisericii”, XXIII, 1964, no. 1-2, p. 105-119; N. Stoicescu,
Repertoriul bibliografic al monumentelor feudale din Bucureşti, Bucureşti, 1961, p. 268-
269; la dernière édition de l’inscription votive, datée de 8 septembre 1705, dans
Inscripţiile medievale ale României, I, Oraşul Bucureşti, I, éds. Al. Elian (coord.),
Constantin Bălan, Haralambie Chirca, Olimpia Diaconescu, Bucureşti, 1965, no. 356,
p. 363-364; Margarita Kuyumdzhieva, op. cit., p. 163-164 (avec une riche incursion dans
l’historiographie bulgare).
44
La lettre d’un certain Voico palatin (vornic), adressée au trésorier (vistier)
Constantin le 15 mars 1679, mentionne le nom de messire (jupân) Stavro, qui allait
recevoir l’argent récolté dans le département de Dâmboviţa pour le compte du kharatch
(bir) dû par le pays à la Porte (G. Potra, Tezaur documentar al judeţului Dâmboviţa,
Musée Municipal de Dâmboviţa, 1972, no. 593, p. 415-416). À ce stade de la recherche,
nous pouvons avancer que ce marchand Stavros était différent du prévôt (staroste)
homonyme qui, quelques années plus tard, en compagnie d’autres marchands, jugeait
116 Gheorghe Lazăr

mentionné ci-dessus n’était pas étranger à ce monde commerçant. Au-delà


de ses implications religieuses, l’acte de fondation évoqué plus haut
témoigne, ainsi que nous l’avons montré en d’autres occasions45, tant de
la recherche de la visibilité sociale par le ktitor – „tout est démonstration
d’une aptitude à la durée”46 –, que de la volonté de celui-ci à faire preuve,
symboliquement, de son potentiel économique accumulé à travers le
commerce47; les sources disponibles n’offrent pas beaucoup d’informations à
ce sujet.
Le 15 mai 1700, l’empereur Léopold a émis un diplôme en faveur
des marchands bulgares réfugiés en Transylvanie48, en leur garantissant

une affaire patrimoniale qui opposait deux frères (ANIC, Mănăstirea Radu Vodă,
XLII/55). Le prévôt Stavros est connu pour avoir été en étroites relations avec le prince
Constantin Brâncoveanu, qui, d’ailleurs, l’avait désigné comme épitrope pour sa vaste
fortune (Gh. Lazăr, Documente privitoare la negustorii Pepano şi la ctitoria lor de la
Codreni „pe Mostoşte” (II), dans „Studii şi Materiale de Istorie Medie”, XIX, 2001, no.
12, p. 269. Conformément aux sources italiennes, le prévôt serait le fils d’un marchand
originaire de Ioannina, appelé Stati (Eustathios) (Cr. Luca, Ţările române şi Veneţia în
secolul al XVII-lea. Din relaţiile politico-diplomatice, comerciale şi culturale ale Ţării
Româneşti şi ale Moldovei cu Serenissima, Bucureşti, 2007, p. 316.
45
Gh. Lazăr, Negustori mecena în Ţara Românească (secolul al XVIII-lea),
dans „Studii şi Materiale de Istorie Medie”, XXIII, 2005, p. 159-168.
46
Jean Favier, De l’or et des épices. Naissance de l’homme d’affaire au Moyen
Âge, [Paris], Fayard, 1987, p. 398.
47
En ce sens, rappelons le cas du marchand Dumitru Ochea/Ochiut, originaire
de la ville de Nicopolis qui, arrivé à sa mort, a fait don de 100 ughi au Saint-Sépulcre de
Jérusalem, somme assez importante pour l’époque (DRH, B, XXXV (1650), no. 293,
p. 310-313). Les documents consultés laissent entendre que Dumitru Ochea eut pour
associé commercial (au fost amândoi soţie la ocnă) le marchand Vasile Culea, lui aussi
originaire de Nicopolis (DRH, B, XXXVI (1651), no. 105, p. 112-113; no. 141, p. 155-
156). En 1721, Cârstea chiproviceanul, de son côté, avançait la somme de 300 thalers au
serviteur princier Velisarie capitaine, sous condition que ce dernier paye l’impôt dû par
le créditeur au Trésor public (N. Iorga, Studii şi documente cu privire la istoria
românilor, V, Bucureşti, 1903, p. 139). Le créditeur semble être la même personne avec
Cârstea marchand de Tărnovo, mentionné vers 1726 en tant que créditeur de dame Maria
Grecianu (Gh. Lazăr, Cheltuielile de înmormântare a unei jupânese de altădată: cazul
Mariei Greceanu, dans Mircea Ciubotaru, Lucian-Valeriu Lefter (éds.), Mihai Dim.
Sturdza la 80 de ani. Omagiu, Iaşi, 2014, p. 793). Les situations contraires ne manquent
pas, si l’on prend en compte le cas de dame Ruxandra qui, après avoir invoqué son état
de pauvreté, a obtenu de la part du métropolite de Valachie l’approbation de son divorce
de Vlad le Serbe (Constanţa Ghiţulescu, În şalvari şi cu işlic. Biserică, sexualitate,
căsătorie şi divorţ în Ţara Românească a secolului al XVIII-lea, Bucureşti, 2004, p. 368-369).
48
Eudoxiu de Hurmuzaki, Documente privitoare la istoria românilor, VI, 1700-
1750, Bucureşti, 1878, Apendice no. I, p. 615-616. Le document laisse entendre que le
Les marchands „bulgares” et leur activité en Valachie 117

toute une palette de droits et l’exemptions d’impôts sur une durée de trois
ans. Ce sont tout autant de preuves de la renommée acquise par ces
marchands, ainsi que des importants bénéfices financiers que le fisc
impérial espérait tirer de leurs activités commerciales. L’intérêt montré
par les autorités autrichiennes aux marchands bulgares a augmenté suite à
l’annexion de l’Olténie, après la ratification de la Paix de Pasarowitz
(1718)49; l’événement a marqué une nouvelle étape dans l’évolution de
cette importante communauté marchande. Du fait d’avoir joué un rôle
important dans les projets politiques et économiques de Vienne, elle a
bénéficié d’une attention toute particulière de la part des autorités
autrichiennes, qui ont pris des mesures en vue de mieux organiser et
valoriser les activités de celle-ci50. De leur côté, le 15 octobre 1719, les
représentants de la communauté bulgare adressaient aux autorités
militaires depuis Sibiu un mémoire, en 9 points, pour demander des
garanties pour leurs droits et pour les principes d’organisation et de
fonctionnement de leur communauté51. Certaines de ces revendications
trouveront à nouveau leur réponse dans la patente impériale de 1727, qui
garantissait aux marchands chiproviceni toute une série de privilèges
fiscaux, judiciaires et administratifs. Tout comme dans le cas des
compagnies grecques de Sibiu et Braşov52, le privilège le plus important

statut privilégié dont bénéficiaient les Bulgares avaient été facilement acceptés par les
habitants et les autorités locales; bientôt après l’émision de cet acte, les Bulgares ont
adressé un mémoire aux autorités transylvaines pour demander le respect du contenu de
la charte impériale, alors qu’en août 1702, l’empereur exigeait lui-même qu’on respecte
leurs droits: ibidem, Apendice no. II, IV, p. 616-617, 619).
49
Deux ans auparavant, plus précisément le 12 mars 1716, les chiproviceni se
voyaient octroyer un nouveau chrysobulle de la part du prince Nicolae Mavrocordat
(1714-1716), qui leur garantissait les anciens privilèges (K. Telbizov, op. cit., p. 71).
50
Pour plus de détails, voir Ioan Moga, Politica economică austriacă şi
comerţul Transilvaniei în veacul XVIII, dans „Anuarul Institutului de Istorie Naţională
Cluj”, VII, 1936-1938, p. 86-165; idem, Ştiri despre bulgarii din Ardeal, dans idem,
Scrieri istorice, 1926-1946, éds. Mihail Dan, Aurel Răduţiu, Cluj, 1973, p. 271-277.
51
Mémoire publié dans Hurmuzaki, Documente, VI, p. 337-338; pour une
analyse de ses clauses principales, voir Alexandru Vasilescu, Oltenia sub austriaci,
1716-1739, Bucureşti, 1929, p. 113-114; Şerban Papacostea, Oltenia sub stăpânirea
austriacă (1718-1739), éd. Gh. Lazăr, Bucureşti, 1998, p. 151-152.
52
Olga Cicanci, Companiile greceşti din Transilvania şi comerţul european în
anii 1636-1746, Bucureşti, 1981; Mária Pakucs-Willcocks, The „Greek” merchants in
the Saxon Transylvanian towns in the later Middle Ages and early modern times, dans
„Historical Yearbook”, II, 2005, p. 107-116; Despina Tsourka-Papastathi, Compania
118 Gheorghe Lazăr

visait à assurer la dépendance directe des marchands de la Chambre


Aulique et à les exempter des impôts et des obligations en nature ou
militaires, à condition que chaque famille acquitte une taxe annuelle. Ils
se voyaient accorder le droit de s’organiser en communautés autonomes,
dans les trois localités qu’ils habitaient – Craiova, Râmnic et Brădiceni –,
investis d’importantes compétences judiciaires et administratives. Dans le
but de les motiver à s’installer dans les localités mentionnées, mais aussi
pour imprimer plus de stabilité à leur communauté, les autorités
autrichiennes les ont autorisés à organiser des foires hebdomadaires, à
cultiver la terre et exploiter les forêts avoisinantes, acheter et vendre des
biens immobiliers, construire sur leur propre dépenses des écoles et des
églises censées répondre aux nécessités spirituelles de la communauté53.
À la lumière des données disponibles, on constate que, pour ce qui est de
l’application de la patente impériale, les membres de la communauté de
Craiova ont été les plus actifs. Dès 1731, une „compagnie des Bulgares”
(companii a bulgarilor)54 est attestée dans la ville, alors que trois ans plus
tard, l’on commençait à bâtir une église à l’usage de la communauté
catholique des chiproviceni; la construction de l’édifice, qui fut frappé par
les incursions ottomanes dans la région, n’a pas pu être menée à bien55.

comercială greacă din Sibiu, Transilvania, 1636-1848. Organizare şi drept, éd. Olga
Cicanci, Bucureşti, 2016.
53
Cornelia Papacostea-Danielopolu, Le régime privilégié des marchands
bulgares et grecs en Olténie pendant l’occupation autrichienne (1718-1738), dans
„Revue des Études Sud-Est Européennes”, IV, 1966, no. 3-4, p. 475-490; K. Telbizov,
op. cit., p. 71-72; Ş. Papacostea, op. cit., p. 121-124.
54
À cette date, un certain Nicola chiproviceanul entrait dans la possession d’un
domaine à Coşoveni (BAR, Documente istorice, MCDLXXIII/131). Le marchand en
question est mentionné dans les sources valaques depuis 1714 (ibidem,
MCDLXXIII/128), puis en 1722, lorsqu’il vendait, ensemble avec ses trois fils, Matei,
Luca et Iovan, une maison à Craiova (N. Iorga, Studii şi documente, V, no. 82, p. 315;
Meşteşugari şi neguţători din trecutul Craiovei. Documente (1666-1865), éds.
Al. Balintescu, I. Popescu-Cilieni, Bucureşti, 1957, p. 13).
55
N. Iorga, Studii şi documente, I-II, Bucureşti, 1901, no. XLVII, p. 258, 434.
La majorité des marchands bulgares résidaient dans „le cartier des Serbes” (mahalaua
sârbilor), où l’on retrouve dès 1731 „messire Boje, le fils de messire Tudor Bojâ, qui tire
ses racines de la ville de Kiproveč” (jupan Boje, feciorul lui jupan Tudor Bojâ, care se
trage den oraş de la Chiproveţ). De commun effort avec Bălaşa capitaine, il érigeait, sur
l’emplacement d’un édifice en bois plus ancien, une église en pierre, connue du nom de
l’église de Pătru Boje (biserica Pătru Boje) (Dumitru Bălaşa, Contribuţii la istoricul
bisericii „Pătru Boj” (Sf. Mina) din Craiova, dans „Mitropolia Olteniei”, X, 1958,
no. 9-10, p. 661-668).
Les marchands „bulgares” et leur activité en Valachie 119

Rappelons également l’effort déposé par la communauté des marchands


chiproviceni à Râmnicu-Vâlcea, où elle s’est longtemps impliquée dans
l’entretien et la réfection de l’église Ste-Parascève, une ancienne
fondation des princes Pătraşcu le Bon (1554-1447) et Michel le Brave
(Mihai Viteazul, 1593-1601). Durant la troisième décennie du XVIIIe
siècle, ayant constaté l’état déplorable de l’église (ajungând biserica la
multă cădere), les marchands Ilie „le Vénitien de Kiproveč” (jupan Ilie
veneţianul ot Chiproveţ), Iova et Sava (jupan Iova, jupan Savvi) ont réuni
leurs efforts financiers en vue de consolider le clocher, la voûte et la
chaire. Cinq décennies plus tard, l’édifice était refait par les paroissiens,
avec le soutien financier du marchand Dumitrache Ievoiu et d’autres
membres de la compagnie56.
Pour la période d’après la Paix de Belgrade (1739) – qui remettait
l’Olténie sous l’autorité des princes de Valachie – et jusqu’au dernier
quart du XVIIIe siècle, nous ne disposons d’aucun autre acte princier
réglementant le fonctionnement de la communauté des marchands
chiproviceni de Valachie. Le „silence” des sources est d’autant plus
surprenant si l’on prenne en compte le fait que les princes phanariotes
„ont montré une attention toute particulière aux corporations, aux isnaf
des artisans et des marchands”57. L’explication réside, très probablement,
dans le désintérêt des autorités valaques à conserver ce type de documents
– au cas où le personnel des archives roumaines n’ont pas identifiés de
nouvelles pièces en ce sens. En tout cas, la réalité historique elle-même
semble n’y être pour rien.
La perte des nombreux avantages économiques qu’ils avaient tirés
de leurs liens directs avec le marché transylvain et celui autrichien, ainsi
que la réduction de leur nombre58, suite à la retraite d’une partie d’entre
56
Ioan Ionescu, Pomelnicul bisericii Cuvioasa Paraschiva din Râmnicu Vâlcea,
dans „Mitropolia Olteniei” X, 1958, no. 7-8, p. 561; Inscripţii medievale şi din epoca
modernă a României. Judeţul istoric Vâlcea (sec. XIV-1848), éds. Constantin Bălan,
Haralambie Chircă, Olimpia Diaconescu, Bucureşti, 2005, p. 804-805.
57
N. Iorga, Scrisori de negustori, Bucureşti, 1925, p. IX.
58
Tout au long de cette période, le phénomène de l’émigration depuis le Sud du
Danube, assez intense, a alimenté et consolidé les communautés des Bulgares déjà
existantes en Valachie; voir, à ce propos, C. Velichi, Aşezămintele coloniştilor bulgari
din 1830, dans „Romanoslavica”, III, 1958, p. 117-134; Gh. D. Ionescu, Aşezarea
coloniştilor bulgari lângă oraşul Buzău şi împrejurimi, între 1792-1838, dans
„Romanoslavica”, XI, 1965, p. 137-153; Gheorghe Trifonescu, Toma Svinţiu,
Contribuţii la istoricul aşezării unor refugiaţi bulgari în judeţul Dâmboviţa, în secolul al
XIX-lea, dans „Scripta Valachica”, IV, 1973, p. 219-229; Louis Roman, Aşezări de
120 Gheorghe Lazăr

eux en Transylvanie après la ratification de la Paix de Belgrade59, ont


défavorablement influencé l’activité commerciale des marchands
chiproviceni. Ils continuent tout de même à être présents, durant la
seconde moitié du XVIIIe siècle, dans le paysage économique de la
Valachie60; l’attestation documentaire d’une corporation de marchands
chiproviceni à Craiova, en 1760-177061, en est la preuve. Ce fut la période
pendant laquelle maints marchands chiproviceni, à côté des marchands
„grecs”, ont assumé le rôle d’intermédiaire dans le commerce entre la
Péninsule Balkanique et l’Europe Centrale, ayant parvenu à accumuler
des fortunes considérables, ce qui leur aura permis de s’affirmer aussi sur
le plan culturel et religieux62.
Le premier exemple qu’on citera en ce sens et celui des marchands
Iovipali – nous reviendrons sur l’histoire de cette famille dans une étude
spéciale –, fort présents dans la vie économique de la ville de Râmnicu-
Vâlcea et des régions avoisinantes. Ils ont contribué financièrement à la
construction ou la réfection de l’église Ste-Parascève de Râmnicu-Vâlcea,
du skitè de Frăsinei et du skitè de Cireşu, ainsi que d’une école63.
Signalons également le cas de „messire Ionaşcu Ioan le Serbe” (jupân
Ionaşcu Ioan sârbu) de Slatina, descendant de quelques marchands
bulgares qui, vers la fin du XVIIIe siècle, ont légué par testament une
partie de leur fortune en vue de financer la construction d’une école pour
garçons, „pour l’apprentissage des enfants” (pentru învăţătura copiilor),
puis d’un hôpital. Les deux institutions ont été dotées de domaines
fonciers, dont les revenus servaient à l’entretien des édifices. Le nom des
Iovipali est lié également à la fondation, entre 1780-1786, d’une église à
Slatina, qui porte leur nom et où, d’ailleurs, ils on trouvé leur lieu de
repos éternel64.

bulgari şi alţi sud-dunăreni în Ţara Românească (1740-1834), dans Relaţii româno-


bulgare de-a lungul veacurilor. Studii, II, Bucureşti, 1984, p. 126-143.
59
Pour les marchands bulgares retirés en Transylvanie, voir K. Telbizov,
op. cit., p. 75-77.
60
N. Iorga, Opere economice, éd. Georgeta Penelea, Bucureşti, 1982, p. 93-94.
61
K. Telbizov, op. cit., p. 73.
62
Voir, à titre d’exemple, le cas de Dobre „le Serbe” (sârbul) et celui de Petru
Giurgiu qui, ensemble avec un autre marchand, ont subventionné, entre 1749-1764, la
réfection de l’église princière de Târgu-Jiu, où se conservent encore leurs portraits votifs
(Alex. Ştefulescu, Istoria Târgu Jiului, Târgu-Jiu, 1906, p. 129).
63
N. Iorga, Studii şi documente, I-II, p. 434; Ioan Popescu-Cilieni, Biserici,
târguri şi sate din judeţul Vâlcea, Craiova, 1941, p. 43.
64
Gh. Lazăr, Negustori mecena, p. 166.
Les marchands „bulgares” et leur activité en Valachie 121

Le 1er août 1803, dans le contexte économiquement favorable


évoqué plus haut, le prince Constantin Alexandru Ypsilanti émet un
nouveau chrysobulle en faveur de la compagnie des marchands
chiproviceni „de Râmnic, des Grandes Salines d’outre-Olt” (de la
Râmnic, de la Vel Ocnă ot preste Olt), en s’appuyant sur des chrysobulles
plus anciens (ale altor fraţi trecuţi domni mai dinainte), dont celui de son
père, Alexandru Ipsilanti (1774-1782, 1796-1797), et celui d’Alexandru
Moruzi (1793-1796, 1799-1801). En échange d’une taxe annuelle de
2 138 thalers versés au Trésor public, à laquelle s’ajoutait l’impôt de
16 parale pour chaque vente en valeur de 1 leu, le souverain leur
garantissait la liberté de pratiquer le commerce „en gros et en détail dans
les boutiques” (cu rădicata şi cu mărunţişul în prăvălii). Le souverain
octroyait également à la compagnie le droit de choisir son prévôt
(staroste) parmi ses propres membres. Au début de chaque année, le jour
de Saint Basile, l’ensemble des membres de la compagnie passaient en
revue la façon dont leur représentant s’était acquitté de ses devoirs
(slujbe), évaluation après laquelle le prévôt était confirmé dans sa
fonction ou remplacé par un autre65. L’acte princier de confirmation
précisait que le prévôt et ses conseillers (epitropi) étaient autorisés non
seulement à tenir des registres sur la fortune des membres de la
compagnie, mais aussi de juger et arbitrer les conflits qui les opposaient
en justice (când unul cu altul vor avea pricini). Ce droit atteignait ses
limites lorsque dans le conflit étaient impliqués des gens d’en dehors de la
compagnie (un alt om de ţară) ou lorsqu’il s’agissait d’affaires d’ordre
public (pricini mari de obşte); dans toutes ces situations, le jugement des
affaires incombait au grand ban de Craiova.
Le chrysobulle d’Ipsilanti permettait le recrutement de nouveaux
membres au sein de la compagnie, „des marchands étrangers, autant
qu’ils soient, mais qu’ils soient des Chrétiens” (niguţitori streini cât de
mulţi, însă creştini) – à l’exception des Juifs et des Arméniens –, sous
condition de signaler le recrutement auprès de la Trésorerie publique. Les
Juifs et les Arméniens, et tout ceux qui n’étaient pas affiliés au corps
fiscal de la compagnie (care nu vor fi cu bir la această companie), étaient

65
Par exemple, dans un acte émis le 24 juillet 1819, la Trésorerie publique
mettait au courant tous les membres de la compagnie des chiproviceni du département de
Vâlcea que le prévôt Ioan Popovici, accusé d’avoir provoqué de graves préjudices
financiers au fisc, a été remplacé dans sa fonction par le marchand Constantin Nicolau
(ANIC, Achiziţii Noi, MMDLXXXIV/46).
122 Gheorghe Lazăr

expressément interdits de pratiquer le commerce en détail (cu


mărunţişul); la transgression de cette prescription princière devait être
portée devant le grand ban de Craiova, qui avait le pouvoir de sanctionner
ou de chasser les fautifs du pays66. Les multiples avantages, et notamment
ceux d’ordre fiscal et judiciaire, accordés aux marchands chiproviceni
auront permis à leur communauté d’Olténie non seulement de survivre à
long terme, mais aussi de se développer et attirer d’autres marchands dans
ses rangs. Pour preuve, on citera le registre (catagrafie) des membres de
la „compagnie des chiproviceni” (companiei chiprovicenilor) du
département de Râmnic, conclu en 1820; une bonne partie des 225
marchands enregistrés étaient des autochtones ou des „Grecs”67.
Un document récemment identifié dans les archives de Bucarest
est en mesure de prouver, contrairement à ce que l’on a considéré jusqu’à
ce jour, qu’entre la date de son émission (infra) e t „ el rè glement
concernant les Bulgares arrivés de Roumélie” (aşezământului pentru
bulgarii veniţi din Rumeli) d’août 183068, les princes de Valachie avaient
accordé bien d’autres privilèges aux immigrés sud-danubiens; on
n’exclura pas la possibilité qu’à l’avenir d’autres documentes semblables
soient retrouvés et mis dans le circuit scientifique, permettant une
meilleure appréhension du phénomène de l’immigration sud-danubienne
au Nord du Danube. Il s’agit, plus précisément, d’un acte émis par le
prince Alexandru Şuţu le 28 avril 1820 en faveur de tous ceux qui arrivent
„d’outre-Danube, d’Arvanitochori” (de peste Dunăre, de la
Arvanitohori), qui, „à cause des temps difficiles” (din pricina
vremelnicelor întâmplări), se sont installé en Valachie, „en qualité de
marchands et d’hommes honnêtes, qui font leurs affaires en pratiquant le
négoce dans ce pays” (fiind parte neguţătorească şi oameni cinstiţi,

66
V. A. Urechia, Istoria românilor, XI, Bucureşti, 1900, p. 284-285.
67
Constantin Şerban, Companiştii bulgari chiproviceni din Oltenia în ajunul
revoluţiei de la 1821, dans Relaţii româno-bulgare de-a lungul veacurilor, II, Bucureşti,
1984, p. 144-152.
68
Il faut préciser quand même que ce règlement accordait toute une série de
privilèges fiscaux uniquement à ceux qui étaient impliqués dans des activités agricoles,
ce qui a suscité le mécontentement des autres catégories professionnelles des Bulgares.
Suite à cette réaction, en février 1832, les facilités fiscales ont été appliquées – pour une
période de trois ans seulement – aux autres artisans et marchands bulgares, à condition
qu’ils s’inscrivent dans les rangs des corporations sanctionnées par le Règlement
Organique (1831) (Vladimir Diculescu, Bresle, negustori şi meseriaşi în Ţara
Românească (1830-1848), Bucureşti, 1973, p. 38-39).
Les marchands „bulgares” et leur activité en Valachie 123

făcându-şi alişverişul lor prin mijlocirile negoţului acestui pământ). Bien


que les documents n’offrent pas davantage d’informations au sujet de la
localité mentionnée, on supposera qu’il s’agit d’Arbănaşi (gr. Αρβανιτοχώρι,
tc. Arnautköy), ville située près de Tărnovo, différente du village
homonyme de la région de Razgrad69. Nous appuyons notre hypothèse sur
le fait que les princes régnants de Principautés danubiennes ont offert au
cours des siècles des nombreuses donations aux lieux de culte et aux
établissements scolaires de Tărnovo et des régions avoisinantes, mais
aussi sur le fait que, grâce a l’emplacement géographique avantageux de
cette ville, les membres des familles princières et nobles de Valachie ont
acquis de nombreux biens immobiliers sur place70.
Ce n’est pas le moment, ni le cas de discuter ici la problématique
complexe de l’origine ethnique et géographique, ni le causes ou le
contexte politique dans lequel une parte de ceux qui ont habité au fil du
temps dans ces localités a décidé de s’installer au Nord du Danube71.
Précisons tout de même que, par la suite de leur spécialisation dans les
armes, pareilles communautés ont été colonisées (aşezate) en Valachie
surtout dans les régions frontalières ou tout au long des routes
commerciales importantes, en échange de privilèges fiscaux et
administratifs de la part des princes valaques; l’exemple des
communautés d’arbănaşi installés dans le village de Călineşti
(département de Prahova), étudié récemment par Lidia Cotovanu, illustre
parfaitement ce cas de figure72.

69
Voir supra, note 15.
70
Pour tous ces aspects, voir Virgil Cândea, Mărturii româneşti peste hotare,
nouvelle série, I, Albania – Etiopia, éds. Ioana Feodorov, Andrei Pippidi, Andrei
Timotin, Daniel Cain, Bucureşti, 2010, p. 290-291.
71
Voir, plus en détails, Violeta Barbu, Les Arbanassi, p. 206-222; Lidia
Cotovanu, Despre ctitorii „arbănaşi”, p. 665-670; Gergana Georgieva, The Rich in
Eighteenth and Nineteenth Century Arbanasi: Netwoorks of Prosperity, dans Evguenia
Davidova (éd.), Wealth in the Ottoman and post-Ottoman Balkans. A Socio-Economic
History, London-New York, 2016, p. 139-151; Margarita Kuyumdzhieva, op. cit.,
p. 164-167.
72
Lidia Cotovanu, Despre ctitorii „arbănaşi”, p. 674-677, 699-700. Pour ces
privilèges en faveurs des communautés d’arbănaşi, voir aussi Violeta Barbu, Les
Arbanassi, p. 215-216; il faut ajouter à la liste, le chrysobulle émis par Simion Movilă en
faveur de certains arbănaşi de Cernavoda, le 3 mai 1602, en leur confirmant le droit de
possession sur une partie du village de Călineşti (G.D. Florescu, Dan Pleşa, Documente
privind istoria României, B, Ţara Românească. Materiale din arhive particulare, dans
„Studii şi Materiale de Istorie Medie”, V, 1962, p. 602-604. En ce qui concerne les
124 Gheorghe Lazăr

Forts de leur statut fiscal privilégié, de l’emplacement avantageux


de leurs localités d’origine et de leur solidarité ethno-géographique,
certains habitants originaires d’Arvanitochori installés en Valachie se sont
adonnés à des activités commerciales. Par exemple, en septembre 1775,
un certain Stamate d’Arvanitochori (arvanitochoritul) louait un terrain
avec boutique à Craiova, appartenant à l’hégoumène du monastère de
Segarcea73. Quelques années plus tard, le métropolite du pays et les
grands boyards, pris sur l’ordre du prince régnant, jugeaient le conflit
entre le marchand Mihai Anagulea et sa belle-soeur Anastasia, qu’il
accusait d’avoir vendu une maison à Arvanitochori. Les résultats de
l’enquête et les témoignages des témoins à l’appui, l’instance judiciaire a
constaté que la vente de la maison en question a été faite en toute légalité,
puisque Anastasia l’avait reçue en dot de la part de ses parents. Il a été
établi également que le devoir d’acquitter les dettes de son trépassé mari
Gheorghe envers les habitants d’Arvanitochori (oroşanii arvanitohoreni)
incombait à Mihai, le frère du défunt, en sa qualité d’héritier74.

arbănaşi de Călineşti, nous mentionnons que les sources attestées leur implication dans
le commerce dès le dernier quart du XVIe siècle (Violeta Barbu, Les Arbanassi, p. 221,
note 65) et que le phénomène prend de l’ampleur tout au long des XVIIe - XVIIIe siècles.
Par exemple, pendant le règne de Constantin Brâncoveanu, rappelons le cas de Ghica /
Ghioca: en 1712, il vendait, ensemble avec son épouse Neagolea et leur fils Vintilă,
Stănilă et Apostul, un vignoble sur la colline de Călineşti au marchand bien connu à
l’époque Şerban, le fils de Grozea (Documentele epocii brâncoveneşti în colecţiile
Muzeului Municipiului Bucureşti, éd. Grina-Mihaela Rafailă, Bucureşti, 2008, no. 373,
p. 383). Tel est encore le cas de Leca, le fils de Ghioca marchand de Călineşti, ou celui
de Fota, le fils d’un certain Sarul arbănaşul qui, avec l’accord de ses fils Iane, Dima et
Dumitraşco, vendait un vignoble et un terrain de construction sur la colline de Călineşti à
Ianuţă prévôt de marchands de Bucarest (Gh. Lazăr, Documente negustori, II, no. 119,
p. 127-128; no. 198, p. 206). Voir également les chrysobulles émis par la Chancellerie
princière de Constantin Brâncoveanu au sujet du fonctionnement des douanes (rânduiala
vămilor); les arbănaşi y sont mentionnés parmi les personnes astreintes à payer les taxes
douanières (Dinu C. Giurescu, Anatefterul. Condica de porunci a vistieriei lui
Constantin Brâncoveanu, dans „Studii şi Materiale de Istorie Medie”, V, 1962, p. 367-
372, 395-396, 405, 444).
73
BAR, Documente istorice, XCI/116.
74
Acte judiciare, no. 431, p. 477-478. Signalons le fait qu’en 1763, un certain
Zamfirache cămăraş des salines, „ayant pour patrie Arvanitohori” (având ca patrie
Arvanitohori), érigeait, de commun accord avec son épouse Elena, une église, vocable
St-Nicolas, dans le village de Baloteşti, aux alentours de Bucarest (Ioan Muşeţeanu,
Comunicări, dans „Buletinul Comisiunii Monumentelor Istorice”, XXXIII, 1940, fasc.
106, p. 44. Ensuite, on retrouve dans l’obituaire du monastère de Câmpulung le nom de
„messire Vasile d’Arvanitochori” (chir Vasilie arvanitohoritu) (BAR, ms. rom. 3722, f. 27v).
Les marchands „bulgares” et leur activité en Valachie 125

Les données d’archive dont on dispose à ce jour permettent


d’affirmer que la plupart des ressortissants sud-danubiens originaire de la
région de Tărnovo sont arrivés en Valachie pendant le conflit russo -
ottoman de 1806-1812 et que les plus nombreux d’entre eux se sont
installés à Bucarest. À la lumière du Registre de recensement (Catagrafie)
de 1810-1811, conclu sur l’ordre des autorités russes75, l’on constate que
dans la capitale habitaient 3 629 „serbes”, pour la plupart des marchands,
concentrés dans les cartiers Silvestru et Precupeţii-Vechi76.
Revenons à l’acte de 1820. Au-delà de son contenu, il y a deux
aspects à souligner. Premièrement, ainsi qu’il ressort du préambule, le
privilège accordé aux habitants d’Arvanitochori s’inscrivait dans une
série plus longue de documents, le premier datant du règne de Ioan
Gheorghe Caragea (1812-1818), renouvelé ensuite, „avec compléments,
pour plus d’effet” (cu adăogire, spre mai multă odihnă), par Alexandru
Suţu (1818-1821). C’est, d’ailleurs, la preuve du fait qu’il y a eut des
réglementations princières à propos des immigrés arrivés des contrées
actuellement bulgares dès la seconde moitié du XVIIIe siècle.
Deuxièmement, comparée à d’autres réglementations princières, celle de
1820 ne vise pas les immigrés installés dans des localités concrètes77,
mais ceux qui étaient impliqués dans des activités commerciales tout
particulièrement.
Quant au contenu proprement dit du chrysobulle, précisons qu’il
est structuré autour de plusieurs points. Le premier se réfère – comme
dans le cas des privilèges accordés aux chiproviceni – au droit des
nouveaux arrivés de s’organiser en corporation (companie) et d’élire, le
moment venu (când va fi trebuinţă), un prévôt parmi eux-mêmes. Celui-ci
allait être confirmé par la suite par charte princière (cu osebită carte a
domniei mele într-aceasta epistasie). Au prévôt revenait également
l’obligation de présenter auprès de la Trésorerie publique, à la fin de
chaque trimestre, une liste exacte (foaie pecetluită) de tous les membres
de la compagnie, en éliminant au préalable les membres défunts ou
75
Suite au conflit russo-ottoman de 1806-1812, qui a abouti à la Paix de
Bucarest (mai 1812), les deux Principautés danubiennes ont été occupées et mises sous
administration de l’armée russe.
76
Paul Cernovodeanu, Irina Gavrilă, Panait I. Panait, Catagrafia oraşului
Bucureşti din anii 1810-1811, dans „Revista Istorică”, nouvelle série, I, 1990, no. 7-8,
p. 714-715.
77
Le cas d’arbănaşi installés à Călineşti est le plus représentatif de ce point de
vue; voir Lidia Cotovanu, Despre ctitorii „arbănaşi”.
126 Gheorghe Lazăr

enfuis, avec preuves à l’appui (câţi vor fi morţi şi fugiţi […] însă cu bună
dovadă) et en y ajoutant les nouveaux recrus (câţi să vor mai adăoga).
Sans surprise, les clauses les plus importantes sont de nature
fiscale; à part les impôts sur les boutiques dans lesquels ils déployaient
leurs activités, „selon la coutume du pays” (după obiceiul pământului),
chaque membre de la compagnie (din cap în cap) était astreint à acquitter
la taxe annuelle de 45 thalers, en trois étapes, „comme dans le cas des
impôts subis par d’autres compagnies”» (precum să urmează dăjdiile şi
celorlaţi cumpănaşi). Au cas où certains membres de la compagnie
n’arrivaient pas à acquitter cet impôt individuel en totalité ou
partiellement, il était prévue que la somme restante soit couverte par les
autres marchands, „de manière proportionnelle aux moyens et au pouvoir
de chacun d’entre eux” (cisluită între dânşii după starea şi puterea ce vor
avea). Tous les autres auxiliaires – serviteurs et apprentis –, employés par
les marchands dans leurs boutiques, étaient eux aussi exemptés de l’impôt
ci-dessus, à condition de n’être pas mariés; cette clause était appliquée
également aux étrangers qui allaient être reçus au sein de la compagnie en
tant que nouveaux membres (vor voi ai priimi între dânşii la companie).
L’acte qui nous préoccupe ici stipule que 25 membres seulement étaient
exemptes de la taxe annuelle, „en vue d’aider les pauvres et les faibles de
la compagnie” (spre ajutiorul celor săraci şi neputincioşi ai companiei
lor). Néanmoins, pour éviter toute évasion fiscale en cachant des noms
(spre a nu să putea îndrăzni a tăinui mai multe nume), les bénéficiaires de
l’exemption en question allaient être enregistrés dans le Registre de la
Trésorerie publique, puis chacun allait recevoir „une feuille sigillée”
(foaie pecetluită) de la part de cette institution. Afin de protéger et
faciliter les activités des membres de la compagnie, le chrysobulle
princier prévoyait exempter celle-ci d’autres taxes à l’avenir, même dans
la situation où les autres compagnies allaient être soumises à des taxes
supplémentaires (va ieşi pe alte companii vreo havalea sau vreo altă
dare). Dans le même but, la compagnie était mise sous l’autorité directe
du grand trésorier, en écartant de cette manière toute possibilité
d’immixtion dans ses affaires des autres dignitaires princiers. Enfin, il y
est stipulé qu’on pouvait recevoir au sein de la compagnie „d’autres
étrangers semblables à eux” (şi alţi streini aseminea lor), à condition de
les déclarer (arătaţi) auprès de la Trésorerie publique, pour qu’on mène
l’enquête en détail à leur propos (cercetare cu amăruntul). Si l’enquête
montrait que les nouveaux recrus n’avaient pas d’autres obligations
Les marchands „bulgares” et leur activité en Valachie 127

fiscales (nici un fel de altă pricină), ceux-ci pouvaient devenir des


membres de plein droit de la compagnie ; le prévôt n’avait qu’à surveiller
à ce qu’ils payent leur impôt annuel78.
Il est difficile de dire, à ce stade de la recherche et dans le contexte
des événements tragiques de 1821-1822, quelles ont été les conséquences
immédiates ou plus éloignées dans le temps des clauses de ce chrysobulle,
pour ce qui était notamment de la présence en Valachie d’un nombre
important d’immigrés sud-danubiens. Par contre, il est certain que le
nombre des ressortissants originaires des régions actuellement bulgares
installés au Nord du Danube était de plus en plus grand et que parmi les
nouveaux arrivés il y avait aussi des marchands, tels les frères
Gheorghiev79, Puliev80, Mustakov, Vasil Aprilov, Ioan Hagi Bakaloglu,
etc. À part l’ampleur des activités que lesdits marchands déployaient dans
un large espace européen, ils se sont fortement impliqués dans le soutien
du mouvement national bulgare, pendant la seconde moitié du XIXe
siècle81. Une fois mis en application les prescriptions du Règlement
Organique en Valachie (1831)82, même si l’ancien principe
d’organisation des communautés socio-professionnelles sur la base de
critères ethniques ou géographiques a été maintenu, l’on constate une
nouvelle étape dans évolution des formes d’association et d’organisation
des marchands et des artisans, y compris de ceux arrivés d’outre-Danube;
mais c’est un aspect qui dépasse l’objectif de la présente étude83.

78
BAR, Documente istorice, LXIX/100, document publié ici même; voir infra,
Annexe.
79
Anca Dobre, Felicia Lebădă, Rolul fraţilor Gheorghiev în comerţul franco-
englez al Ţărilor române, dans „Hrisovul”, nouvelle série, II, 1996, p. 211-215.
80
Ivaylo Naydenov, The merchant network of the Puliev Family in the first half
of the 19 century, dans „Études Balkaniques”, LII, 2016, no. 2, p. 265-281.
th
81
C. Velichi, La contribution de l’émigration bulgare de Valachie à la
renaissance politique et culturelle du people bulgare (1762-1850), Bucarest, 1970;
D. Kosev, V. Paskaleva, Vl. Diculescu, Despre situaţia şi activitatea economică a
imigraţiei bulgare în Muntenia şi Oltenia în secolul al XIX-lea (până la războiul ruso-
turc din 1877-1878), dans Relaţii româno-bulgare de-a lungul veacurilor (sec. XII-XIX),
I, Bucureşti, 1971, p. 283-368. Pour l’implication de l’élément marchand dans le
mouvement de libération nationale bulgare, voir également Evguenia Davidova, Balkan
transitions to modernity and Nation-States. Through the Eyes of three generations of
merchants (1780s-1890s), Leiden-Boston, 2013.
82
Voir supra, note 68.
83
Vl. Diculescu, op. cit., p. 37-58.
128 Gheorghe Lazăr

Pour conclure, il faut dire que quelques soient les motifs qui ont
poussé les ressortissants chrétiens des régions actuellement bulgares à
émigrer vers le Nord du Danube – la répression des autorités ottomanes et
l’état l’insécurité, la recherche de conditions économiques avantageuses
pour la pratique du négoce, le recrutement pratiqué par les princes
valaques en échange d’exemptions fiscales, etc. –, les marchands
bulgares, ont constitué, à côté des autres allogènes (aroumains, arbănaşi,
grecs, juifs, arméniens) une communauté très active dans le paysage
économique de la Valachie; les nombreux privilèges reçus de la part des
souverains valaques en apportent la preuve. Malheureusement, face au
caractère lacunaire et parcimonieux des informations offertes par les
sources disponibles, notre analyse sur les marchands bulgares n’a touché
que de manière indirecte aux problèmes liés à la vie de famille,
l’attachement des migrants par rapport à leurs lieux d’origine84, la
solidarité familiale85, la constitution des réseaux et des stratégies de
développement. Espérons que des nouvelles recherches, appuyées sur le
dépouillement des archives, apporterons des informations concluantes au
sujet d’une partie du moins des aspects touchés par notre analyse.

84
Pour les actes de „patriotisme” manifestés par les autres ressortissants
balkaniques installés dans les Principautés danubiennes, voir, plus récemment,
Gh. Lazăr, Negustori mecena, p. 164-167; idem, Negustori din Ţara Românească şi
Locurile Sfinte (secolul XVII - începutul secolului al XIX-lea, dans P. Zahariuc (éd.),
Contribuţii privitoare la istoria relaţiilor dintre Ţările Române şi Bisericile Răsăritene
în secolele XIV-XIX, Iaşi, 2009, p. 59-74; Lidia Cotovanu, Le diocèse de Dryinoupolis et
ses bienfaiteurs de Valachie et de Moldavie. Solidarités de famille et traits identitaires
multiples (XVIe - XVIIe siècles), dans ibidem, p. 219-360; eadem, „Qu’on prie pour moi
là-bas et ici”. Donation religieuse et patriotisme local dans l’Orient orthodoxe (XVIe -
XVIIe siècles), dans Radu G. Păun (éd.), Histoire, mémoire et dévotion. Regards croisés
sur la construction des identités dans le monde orthodoxe aux époques byzantine et post-
byzantine, Seyssel, 2016, p. 207-255.
85
De ce point de vue, l’exemple le plus éloquent est celui du marchand Cernea
Popovici qui, dans son testament rédigé en 1823, offre des détails uniques sur sa vie, sa
famille et ses activités en Valachie (Gh. Lazăr, Un testament et un récit de vie: le cas du
marchand Cernea Popovici, dans „Études Balkaniques”, XLIX, 2013, no. 3-4, p. 129-154).
Les marchands „bulgares” et leur activité en Valachie 129

ANNEXE

1820 aprilie 28, Bucureşti

Io Alexandru Nicolae Suţul voievod, cu mila lui Dumnezeu domn şi


oblăduitor Ţării Româneşti.
Precum toţi oblăduitorii după vremi s-au sârguit spre faceri de bine cătră
cei ce s-au aflat supt a lor stăpânire, şi domniia mea, după urmare, nu mai puţină
îngrijire avem, precum pildele arată. Drept aceea, fiindcă toţi acei streini ce din
pricina vremélnicilor întâmplări, părăsindu-şi lăcaşurile strămoşăşti şi căzând
supt umbririle acestui loc, s-au împărtăşit cuviincioaselor mângâieri, într-acest
chip şi domniia mea găsind o sumă de oameni veniţi de peste Dunăre, de la
Arvanitohori, însă din vrémea trecutelor împărecheri şi aşăzaţi aici cu sălaşurile
lor, având şi hrisov de la fratele domn Ioan Caragea voievod, carâi, după
pliroforiia-m ce am luat domnia mea, fiind parte neguţătorească şi oameni
cinstiţi, făcându-şi alişverişurile lor prin mijlocirile negoţului acestui pământ, am
binevoit şi am înnoit şi am întărit hrisovul ce au avut încă mai cu adăogire spre
mai multă odihnă şi răpaosul lor şi hotărâm :
1. Prin cererea celor mai mari ai lor, când va fi trebuinţă, să să facă
alégere de un staroste între dânşâi, pe care să-l arate la vistierie ca să să
orânduiască cu osebită carte a domniei mele într-această epistasie.
2. Dajdiia lor să fie din cap în cap po taleri patruzeci şi cinci piste tot
anul, care bani făcându-să taxil de starostea lor să să dea la vistierie prin calemul
breslelor, răspunzându-să po taleri cincisprezece de om fieştecare tetraminâem,
precum să urmează dăjdiile şi celorlalţi cumpănaşi. Iar de nu vor fi toţi în stare
ca aceea încât să poată răspunză piste an po taleri patruzeci şi cinci tocma, au
voie să să cisluiască între dânşii după starea şi puterea ce vor avea, dar la
vistieriia domniei mele să istovească după cum mai sus s-au zis. Şi la sfârşitul
fieşcăruia tetraminim să fie dator acest staroste să aleagă acea foaie pecetluită cu
logofătu calemului ca câţi vor fi morţi şi fugiţi să să scoaţă, arătându-să însă cu
bună dovadă, cum şi câţi să vor mai adăoga să să alătureze. Şi într-acest chip să
să pecetluiască alt catastih de iznoavă.
3. Această companie legată fiind la vistieriia domniei mele, orice pricini
să vor urma între dânşii, au a să caute de cătră dumnealui vel vistier, fără a să
supăra de cătră vreun alt dregător.
4. Au voie găsind şi alţi streini aséminea lor să-i alăturéze la această
companie, însă arătându-i mai întâiu starostea la vistierie, ca să să facă cercetare
cu amăruntul şi să să dovedească de vor fi cu adevărat streini şi fără nici un fel
de altă pricină. Şi încărcându-să cu numele lor la foaia ce<a> pecetluită de cătră
domniia mea, dator este starostea a răspunde şi pentru aceea po taleri patruzeci şi
cinci pe fieşcare an.
130 Gheorghe Lazăr

5. Slugile şi călfile de la prăvăliile lor, câţi vor fi neînsuraţi, să fie


nedajnici supt ocrotirea stăpânilor, iar câţi vor fi însuraţi sau să vor însura de
acum înainte să fie dajnici. Şi de vor fi din streini vreunii ca aceştia şi vor voi ai
priimi între dânşii la companie, asemenea îi vor arăta la vistierie ca să să aşaze în
catastihul cel pecetluit, răspunzând şi aceia iarăşi po taleri patruzeci şi cinci pe
an. Iar prăvăliile ce vor ţinea să fie supuse la toate dările după obiceaiul
pământului.
6. Peste acestea, milă făcând domniia mea, le-am hărăzit ca să aibă a
ţinea doaăzeci şi cinci nume, iarăşi compănaşi de ai lor, de la carii să nu să ceară
banii dajdiei, ci să fie spre ajutoriul compăniei lor, cărora să li să dea
adeverinţele vistieriei şi numele lor să să treacă în catastih şi prin foile
pecetluite, însă fără bani, ca să fie ştiuţi şi cunoscuţi spre a nu să putea îndrăzni a
tăinui mai multe nume supt acest cuvânt, ci numai acele doaăzeci şi cinci ce li
s-au dat de cătră domniia mea spre ajutoriul celor săraci şi neputincioşi ai
companiei lor.
7. Aseminea, când va ieşi pe alte companii vreo havalea sau vreo altă
dare şi ajutor, ei nici atunci să nu fie supăraţi.
8. Pentru această întocmire ce din mila domniei mele s-au făcut, să dea
chezăşie unul pentru altul cu zapis la vistieriia domniei mele că întocmai vor fi
următori.
9. Şi spre a fi ştiut fiecare dintr-aceştiia la slujbaşii politiei, cum şi la alţi
dregători că easte din orânduiala aceştii companii, după catastih pecetluit de
cătră domniia mea, să să dea în mâna fieştecăruia adeverinţa starostei,
protocolisită şi de logofătu calemului, care logofăt pentru fieşcare adeverinţă să
aibă a lua cu cuvânt de avaet câte patruzeci şi cinci bani.
Şi spre a să păzi toate acestea neclintite şi nestrămutate, le-am întărit
domniia mea prin acest al nostru domnesc hrisov cu însăşi iscălitura şi pecetea
domniei mele.
Scrisu-s-au la anul 1820 aprilie 28, întru a treia domnie a noastră a Ţărâi
Româneşti, în scaunul domniei mele Bucureşti.
Io Alexandru Suţul voievod <m.p.>
Grigorie Filipescu vel vistier prociteh <m.p.>

[Traduction]
1820 avril 28, Bucarest

Io Alexandru Nicolae Şuţul voïévode, par la grâce de Dieu prince et


gouverneur [oblăduitor] de la Valachie.
À l’instar de tous les gouverneurs qui ont tâché dans leur temps à faire
du bien à ceux qui se trouvaient sous leur autorité, de la même façon, Ma
Seigneurie leur accorde pas moins de soin, ainsi que nos actions le prouvent.
Les marchands „bulgares” et leur activité en Valachie 131

Ainsi, vu tous ces étrangers qui, à cause des vicissitudes de la vie, ont quitté
leurs demeures ancestrales et, en se mettant à l’ombre de ces lieux, ont bénéficié
de la protection qu’on leur aura montrée, de la même façon, Ma Seigneurie,
ayant affaire à un certain nombre de gens arrivés d’outre-Danube,
d’Arvanitohori, depuis le temps des anciennes colonisations [traduction possible
de împărecheri], et installés à demeure ici, avec leurs familles, et dotés du
chrysobulle du frère, le prince Ioan Caragea voïévode, et qui, d’après les
informations recueillies par Ma Seigneurie, sont des marchands et des gens
honnêtes, qui font leurs affaires à travers le négoce déployé dans ce pays, nous
avons renouvelé et confirmé le chrysobulle qu’ils détenaient, en lui apportant
des compléments, pour plus d’assurance et pour leur tranquillité, et nous
disposons :
1) À la demande de leurs représentants, lorsqu’ils en auront besoin,
qu’ils choisissent un prévôt parmi eux-mêmes, qu’ils auront à le présenter à la
Trésorerie, afin qu’il soit nommé officiellement, sur émission de charte princière
à ce propos.
2) Qu’ils acquittent la taxe annuelle de quarante-cinq thalers par
personne, argent qui, après avoir été récolté par le prévôt, sera versé à la
Trésorerie par l’intermédiaire du calem [bureau; l’administration] des
corporations, quinze thalers par membre au bout de chaque semestre
[tetraminâem], conformément au règlement de la taxation appliquée aux autres
compagnies [cumpănaşi]. Au cas où tous n’auront pas la possibilité d’acquitter
au bout d’un an la somme de quarante-cinq thalers, ils ont la permission de
refaire les calcules entre eux-mêmes, selon la situation et le pouvoir de tout un
chacun, et de verser à la Trésorerie de Ma Seigneurie la somme établie ci-dessus.
Et qu’à la fin de chaque semestre, ledit prévôt, ensemble avec le logothète du
Bureau [des corporations], revoit la liste scellée [des membres] et y supprime
ceux qui seront décédés ou enfuis, sur preuve digne de confiance, et qu’il y
rajoute les nouveaux recrus. De cette manière, qu’on fasse émettre un nouvel
registre [catastih].
3) Étant donnée l’affiliation de cette compagnie à la Trésorerie de Ma
Seigneurie, tout conflit opposant ses membres sera jugé par le grand trésorier et
que nul autre dignitaire ne les importune.
4) Ils ont la permission d’intégrer à leur compagnie d’autres étrangers
comme eux, mais que le prévôt les déclare d’abord auprès de la Trésorerie,
permettant de mener enquête détaillée à leur sujet et prouver qu’il s’agit, en
effet, d’étrangers, non poursuivis pour des délits aucuns. Après les avoir inclus
dans la liste scellée par Ma Seigneurie, le prévôt est tenu à rendre compte des
quarante-cinq thalers annuels dus aussi par ceux-ci.
5) Les serviteurs et les apprentis célibataires employés dans leurs
boutiques seront exemptés des taxes et placés sous la protection des employeurs,
alors que ceux qui sont mariés ou se marieront à l’avenir seront soumis à la
132 Gheorghe Lazăr
Les marchands „bulgares” et leur activité en Valachie 133

taxation. S’il se trouve qu’il y ait des étrangers parmi ceux-ci et qu’ils voudront
les accueillir au sein de leur compagnie, pareillement, ils les déclareront auprès
de la Trésorerie en vue de les faire inclure dans le registre scellé et les faire
acquitter à leur tour quarante-cinq thalers par an. Par contre, les boutiques qu’ils
détiennent seront soumises à tous les impôts, conformément à la coutume du
pays [obiceaiul pământului].
6) En dehors de tout cela, par la grâce de Ma Seigneurie, nous leur avons
accordé le droit de choisir vingt-cinq noms, membres de leur compagnie,
desquels ils ne prélèveront pas d’impôt, mais les auront pour l’aide de la
compagnie, soutenus d’attestations délivrées par la Trésorerie, et les noms de
ceux-ci [i.e. des personnes choisies] seront inclus dans le registre et dans les
actes scellés, mais sans argent, seulement pour les faire connaître et tenir en vue,
afin que nul n’ose cacher d’autres noms derrière cette ordonnance ; [y seront
incluses] uniquement les vingt-cinq [personnes] que Ma Seigneurie leur aura
accordées dans le but d’assurer l’assistance des pauvres est des faibles de leurs
compagnie.
7) De même, lorsque les autres compagnies seront soumises à de
nouvelles obligations ou taxes et contributions, dans ce cas encore qu’ils ne soit
pas importunés.
8) Pour cette ordonnance, émise par la grâce de Ma Seigneurie, qu’ils se
portent garants l’un pour l’autre, avec acte écrit adressé à la Trésorerie de Ma
Seigneurie, en vue de tenir leur engagement.
9) Et pour faire connaître aux serviteurs de l’État [politiei], ainsi qu’à
d’autres dignitaires, qu’ils sont membres de ladite compagnie, conformément au
registre scellé par Ma Seigneurie, qu’on délivre à chacun d’entre eux
l’attestation du prévôt, authentifiée [protocolisită] par le logothète du Bureau
[des corporations] et que le logothète en question prélève pour chaque attestation
quarante-cinq bani à titre de taxe de fonction [avaet86].
Et pour que tout ceci soit inchangé et sans atteinte, Ma Seigneurie l’a
consolidé par le présent chrysobulle princier, authentifié de la signature et du
sceau de Ma Seigneurie.
Écrit en l’an 1820, avril 28, pendant notre troisième règne en Valachie,
dans la cité de résidence de Ma Seigneurie de Bucarest.
Io Alexandru Şuţu voïévode <m.p.>
Grigore Filipescu grand trésorier a lu <m.p.>

Bibliothèque de l’Académie Roumaine, Collection Documente istorice, LXIX/100.


Orig. roumaine, papier (50 x 75), sceau moyen à cinabre, aux marges décorées de motifs
floraux; avec une copie.

86
Avaet (tc. havaet) rémunération des dignitaires tirée des taxes prélevées sur
les services prêtés aux particuliers.
134 Gheorghe Lazăr

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