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30/09/2022 16:43 Le Monde

BRÉSIL
Le grand saccage des années Bolsonaro

Bruno Meyerfeld et Anne Vigna

L’héritage du leader d’extrême droite en matière d’environnement est


unanimement jugé catastrophique

RIO DE JANEIRO - correspondants

D
évastation », « carnage », « apocalypse »… les mots sont forts et sans détour. Ce sont ceux
choisis par les défenseurs de la nature lorsqu’il s’agit de qualifier le bilan en matière
d’environnement de Jair Bolsonaro, président du Brésil et candidat à sa réélection au scrutin
du dimanche 2 octobre. Ils en disent long sur l’héritage, jugé unanimement catastrophique,
du leader d’extrême droite qui, en seulement quatre ans, aura transformé en paria
international un pays autrefois leader dans la lutte contre le changement climatique.

Certes, le combat pour la protection de la nature a connu ici « des hauts et des bas », rappelle Marcel
Bursztyn, grand expert du sujet et professeur au centre de développement durable de l’université de
Brasilia. Le Brésil est une économie primaire, basée depuis cinq siècles sur l’exploitation de la nature.
« Mais ce que nous avons aujourd’hui est sans précédent depuis le retour de la démocratie en 1985 : un
gouvernement écocidaire, c’est-à-dire ayant pour projet la destruction planifiée de l’environnement »,
affirme-t-il.

Qu’on en juge par l’Amazonie. D’ici à la fin de l’année, près de 40 000 km2 de forêt tropicale y auront été
rasés, soit l’équivalent d’un pays comme la Suisse, remplacés (souvent à jamais) par des pâtures ou des
champs de soja. Chaque jour, 1,5 million d’arbres sont abattus dans le « poumon de la planète », soit près
de 4 000 terrains de football. Du jamais-vu en deux décennies.

Jair Bolsonaro n’a pas fait qu’amplifier des tendances préexistantes. « De nouveaux fronts de
déforestation ont été ouverts », précise Ane Alencar, chercheuse à l’Institut de recherche
environnementale (IPAM). L’Amazonas, plus grand Etat du Brésil, autrefois modèle de préservation, est
désormais au cœur des inquiétudes. « Au sud, des milliers de kilomètres de pistes ont été ouverts par les
pilleurs de bois », dit-elle ; 300 000 km2 de forêt primaire (l’équivalent de l’Italie) y sont menacés de
destruction.

Invasion des terres indigènes triplée

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30/09/2022 16:43 Le Monde

« Tout cela est organisé, soutenu et encouragé par le gouvernement fédéral », déplore Ane Alencar. Jair
Bolsonaro a entamé un démantèlement en règle des agences de protection de la nature, qui faisaient la
fierté du Brésil. Police environnementale, Institut Chico-Mendes, Institut spatial… Toutes ont subi des
coupes drastiques, allant du quart à la moitié de leur budget. Les dépenses pour les projets de réduction
et d’adaptation au changement climatique ont été sabrées de 93 %.

Partout, Jair Bolsonaro a placé ses hommes : policiers et militaires, aussi incompétents que dociles. A
Brasilia, voleurs de bois, fermiers et orpailleurs illégaux ont été reçus à bras ouverts, en particulier par
Ricardo Salles, ministre de l’environnement de 2019 à 2021. Avocat d’extrême droite et conspirationniste
assumé, favorable à l’exploitation illimitée de la forêt, celui-ci appela en 2020 à profiter de la pandémie
pour « faire passer le troupeau de bovins ». Comprendre : dévaster la nature en toute impunité.

« L’intérêt de l’Amazonie, ce ne sont pas les Indiens ni les putains d’arbres, mais le minerai ! », a déclaré
Jair Bolsonaro. Par ses décrets et ses discours, le président du Brésil n’a pas cessé d’encourager
l’orpaillage illégal. Une activité lucrative, qui fait vivre des dizaines de milliers d’Amazoniens, et pollue
(souvent au mercure) de gigantesques cours d’eau. Ainsi en va-t-il du grand rio Tapajos, dans l’Etat du
Para, souillé par les activités minières sur plusieurs centaines de kilomètres.

Face au désastre en cours, les populations autochtones sont en première ligne. Les invasions des terres
indigènes ont triplé entre 2019 et 2021. Jair Bolsonaro – pour qui ces peuples ne sont guère plus que des
« hommes préhistoriques » – a coupé à vif dans le maigre budget de la Fondation pour l’Indien, chargée
de veiller sur les peuples natifs. Résultat : un retour dramatique des épidémies et de la faim dans les
villages.

« Nous avons affaire à un gouvernement anti-environnement », tranche Cristiane Mazzetti, porte-parole


de Greenpeace Brésil. Le tout obéit à une logique prédatrice, « où la jungle est vue comme un
obstacle pour le développement ». Porté par l’agronégoce et relayé par les autorités locales, le discours
trouve un écho certain chez les populations d’une région toujours miséreuse. « Bolsonaro a répandu
l’illusion que le futur de l’Amazonie passait par la destruction de la forêt », déplore Mme Mazzetti.

Un temps, on a pu croire qu’une action internationale viendrait stopper, sinon ralentir, cet engrenage
mortifère. En août 2019, les incendies en Amazonie provoquent un émoi international et une crise
diplomatique entre Jair Bolsonaro et Emmanuel Macron. Un an plus tard, Joe Biden, candidat à la Maison
Blanche, va jusqu’à menacer Brasilia de sanctions.

Six écosystèmes différents menacés


Mais les ultimatums ont fait long feu. Le Covid-19 et la guerre en Ukraine ont vite relégué l’Amazonie au
second plan. Pour la forme, Jair Bolsonaro adoucit son discours, limoge Ricardo Salles et promet de
mettre fin dès 2028 à la déforestation illégale. Mais sur le fond, rien ne change. En 2022, la déforestation
bat de nouveaux records : 74 000 incendies ont été recensés depuis le début de l’année en Amazonie :
51 % de plus qu’en 2021.

Mais dans ce pays-continent, comptant six écosystèmes différents et accueillant 15 % de la biodiversité
mondiale, le bilan environnemental de Jair Bolsonaro ne saurait être résumé à la seule Amazonie. Le
« poumon de la planète » a certes « un sex-appeal sans égal. Mais les autres biomes brésiliens, livrés aux
appétits de l’agronégoce, ont souffert autant, voire davantage ces dernières années », insiste Marcel
Bursztyn.

Il en va ainsi du Cerrado, vaste savane brésilienne, où le taux de déforestation a explosé de 34 % en trois
ans ; mais aussi des fragiles marécages du Pantanal, ravagés par de gigantesques incendies en 2020,
ayant entraîné la mort de 17 millions de vertébrés ; ou encore de la forêt atlantique, la « Mata Atlantica »,
luxuriante jungle côtière livrée par le pouvoir à la spéculation foncière. L’équivalent de 30 000 terrains
de football y a été rasé rien qu’entre 2020 et 2021.

Les 7 500 kilomètres de littoral brésilien n’ont pas non plus été épargnés. A plusieurs reprises, le
gouvernement d’extrême droite a tenté de lever les restrictions pesant sur la pêche ou la protection des
mangroves. Lorsque, en octobre 2019, une marée noire ravage les côtes du Nordeste, Jair Bolsonaro reste
indifférent.

Parmi les autres tragédies environnementales de l’« ère » Bolsonaro, il convient de citer celle de
Brumadinho. Le 25 janvier 2019, la rupture d’un barrage de l’entreprise minière Vale dans cette petite

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ville de l’Etat de Minas Gerais (sud-est) entraîne la mort de 270 personnes et le rejet dans la nature de
plus de 13 millions de mètres cubes de déchets toxiques. Le procès des responsables n’a toujours pas
débuté.

Au service de l’agronégoce
Un autre aspect inquiétant du « bilan écologique » du maître de Brasilia concerne l’alimentation et les
pesticides. Tereza Cristina, leader de l’agronégoce et inamovible ministre de l’agriculture de Jair
Bolsonaro, a autorisé la mise sur le marché de près de 1 700 nouveaux produits, soit plus d’un par jour,
dont beaucoup interdits sur le marché européen.

Crédits à la production, suspension de la réforme agraire, absence de contraintes sur la pulvérisation de


pesticides… « L’influence de l’agronégoce est au plus haut à Brasilia. Le gouvernement a satisfait toutes
ses revendications », constate Bruno Bassi, coordinateur de l’observatoire spécialisé De Olho nos
Ruralistas. Qui en doutait ? « Je suis votre employé, vous êtes mes patrons ! », lançait Jair Bolsonaro aux
grands fermiers en septembre 2020.

Les défenseurs de la nature mettent désormais tous leurs espoirs dans une victoire au scrutin du
2 octobre de Luiz Inacio Lula da Silva, l’ancien président de gauche sur le retour et favori de l’élection. Ce
dernier a pris publiquement position pour la protection de la nature et des peuples indigènes.

Mais les experts demeurent prudents, voire sceptiques, sur ses chances de réussite. « Les impacts sont
colossaux. Et certains, irréversibles », rappelle Cristiane Mazzetti, de Greenpeace Brésil. Dans le pays,
près d’un cinquième de la forêt amazonienne a déjà été détruit. Celle-ci approcherait de son point de
« non-retour », soit une chute des précipitations et une sécheresse aggravée, dont résulterait la
transformation de pans entiers de jungle en savane.

Pour Lula, la tâche sera d’autant moins aisée que la violence gangrène une Amazonie transformée en
zone de non-droit. La région accueille treize des trente villes les plus dangereuses du Brésil, et où le
nombre d’armes à feu a explosé de 219 % en trois ans. Trafics de bois, d’or et d’animaux ne font souvent
plus qu’un avec le trafic de drogue. Une situation révélée au grand jour en juin, lors du meurtre du
journaliste Dom Phillips et de l’indigéniste Bruno Araujo dans la région isolée du Vale do Javari.

En cas de retour de la gauche et des politiques de protection de la nature, nombreux sont ceux qui
craignent un embrasement de l’Amazonie. « Les institutions traditionnelles ne seront pas suffisantes
pour faire face. Il faudra certainement faire appel à l’armée, estime Ane Alencar, de l’IPAM. Ce qui nous
attend, ce n’est pas une simple bataille mais une véritable guerre. »

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