Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Yves Chevallard*
RESUME
Cet exposé repose en premier lieu sur la dialectique entre curriculums institutionnellement offerts (CIO) et curriculums
personnellement vécus (CPV). Alors que la notion de curriculum ordinairement employée renvoie presque toujours à la
notion de CIO, on insiste ici sur la notion clé de CPV, c’est-à-dire, grosso modo, sur la réalité vécue par l’utilisateur de
l’offre curriculaire – « l’étudiant ». Pour cela, deux aspects essentiels sont développés. D'une part, nous donnons une
formalisation soignée de la notion de curriculum utilisant notamment les notions de position institutionnelle, de fonction
productive et de fonction formative et de parcours positionnel et formatif. D’autre part, une place jusqu’ici inédite est donnée
à la description empirique de parcours positionnels et formatifs, qui ancre la dialectique précitée dans la réalité vécue. Tout
cela conduit à poser le problème du resserrement de la dialectique CIO/CPV, exprimé en termes de « défigement »
curriculaire et de changement de paradigme d’étude articulés aux besoins praxéologiques.
Mots clefs : Curriculum offert, curriculum vécu, défigement praxéologique, production et formation positionnelles,
questionnement du monde,
ABSTRACT
This presentation is primarily based on the dialectic between institutionally offered curriculums (IOC) and personally lived
curriculums (PLC). While the commonly used notion of curriculum almost always refers to the notion of IOC, here we insist
on the key notion of PLC, i.e., roughly speaking, on the reality experienced by the user of the curriculum offer — “the
student”. For this, two essential aspects are developed. On the one hand, we give a careful formalization of the concept of
curriculum using in particular the concepts of institutional position, productive function and formative function, and
positional and formative path. On the other hand, a hitherto unprecedented place is given to the empirical description of
positional and formative paths, which anchors the aforementioned dialectic in lived reality. All this raises the problem of the
tightening of the IOC/PLC dialectic, expressed in terms of curricular “uncongealment” and change of study paradigm in
agreement with praxeological needs.
Key words: Lived curriculum, offered curriculum, positional production and training, praxeological uncongealment,
questioning the world.
UN ÉCLAIRCISSEMENT PRÉALABLE
À l’instar des mathématiques, la TAD use de certains mots d’une manière qu’il faut se garder
de prendre au sens donné à ces mots en telle autre institution. Pour se prémunir de toute
méprise, on aura donc en tête le principe de Humpty Dumpty, emprunté à l’ouvrage Through
the Mirror, and what Alice found there (1871) de Lewis Carroll : « “When I use a word,”
Humpty Dumpty said, in rather a scornful tone, “it means just what I choose it to mean—
neither more nor less.” »
CURRICULUMS VÉCUS
*
Université d’Aix-Marseille.
broadly defined as the totality of student experiences that occur in the educational process. The
term often refers specifically to a planned sequence of instruction, or to a view of the student’s
experiences in terms of the educator’s or school’s instructional goals. In a 2003 study, Reys, Reys,
Lapan, Holliday, and Wasman refer to curriculum as a set of learning goals articulated across
grades that outline the intended mathematics content and process goals at particular points in time
throughout the K–12 school program. Curriculum may incorporate the planned interaction of
pupils with instructional content, materials, resources, and processes for evaluating the attainment
of educational objectives.
Cet extrait laisse voir en vérité une dualité de points de vue. Il y a d’abord ce qu’on appellera
ici les curriculums institutionnellement offerts (CIO), que nombre de noosphériens ont en tête
lorsque le mot est prononcé. Dans cette acception, comme le dit le texte examiné, le terme
curriculum « refers specifically to a planned sequence of instruction », soit, plus
complètement dit, « a set of learning goals articulated across grades that outline the intended
mathematics content and process goals at particular points in time. » Le mot peut être plus ou
moins inclusif, on l’a vu : « Curriculum may incorporate the planned interaction of pupils
with instructional content, materials, resources, and processes for evaluating the attainment of
educational objectives. » Il convient de souligner toutefois que la formulation précédente est
traversée par une ambiguïté qui tend à confondre curriculum existant et projet de curriculum.
Dans ce qui suit, on gardera en tête qu’un CIO est un curriculum qui existe réellement, et non
un « simple » projet, c’est-à-dire, en attendant mieux, une entité de papier.
L’autre pôle de la dualité annoncée semble proche de ce que le passage examiné ci-dessus
décrit comme étant « a view of the student’s experiences in terms of the educator’s or
school’s instructional goals. » En fait, ce pôle est celui de ce qu’on pourrait appeler un
curriculum vitae ou, pour être plus exact, un curriculum vitae et studiorum, que nous
appellerons ici un curriculum personnellement vécu (CPV). Cette dualité, nous le verrons sans
plus attendre, donne lieu à une tension dialectique – la dialectique des CIO et des CPV.
Scholz, lequel s’intéresse à la neurologie alors que, dès 1883, Freud souhaite lui-même se
spécialiser en neuropathologie’. Nommé maître assistant (Privatdozent) en neuropathologie en
septembre 1885, il obtient une nouvelle bourse pour un séjour de six mois à l’étranger et part en
octobre à Paris pour un stage à l’hôpital de la Salpêtrière, dans le service du professeur Jean-Martin
Charcot. (pp. 93-94)
Tel est ce que l’auteur cité ci-dessus nomme le « parcours élaboratif » du jeune Freud1. Les
institutions visitées sont généralement résumées par un nom ou deux : Carl Claus (1835-1899)
et Trieste, Ernst von Brücke (1819-1892), Hermann Nothnagel (1841-1905), Theodor
Meynert (1833-1892), Franz Scholz (1819-1902), la Salpêtrière et Jean-Martin Charcot
(1825-1893). Ajoutons une autre position visitée par Freud après la Salpêtrière et Charcot : à
Nancy, auprès d’Hippolyte Bernheim (1840-1919). Comme presque toujours, le parcours
évoqué résulte de choix de la personne (ici, du jeune Sigmund Freud), des positions existantes
et des occasions qui s’offrent ou se refusent. Vu de l’extérieur, ce parcours apparaît souvent
désordonné et presque aléatoire. Le lecteur sera peut-être surpris de découvrir par exemple
que Freud, qui obtient « son diplôme de médecin le 31 mars 1881 après huit années d’études,
au lieu des cinq attendues », a durant ces huit années « effectué deux séjours en 1876 dans la
station de zoologie marine expérimentale de Trieste, sous la responsabilité de Carl Claus »,
séjours d’étude pour lesquels il bénéficie de « deux bourses d’un montant total de 180
Gulden », accordées par le Ministère de l’Éducation « pour lui permettre d’étudier les
anguilles mâles de rivière ». Les dissections qu’il effectue à Trieste « confirment l’existence
de testicules chez l’anguille mâle ». Ces résultats seront « publiés en 1877 devant l’Académie
des sciences de Vienne »2. (Je laisse au lecteur intéressé le soin d’enquêter sur l’intérêt aux
yeux de Freud et de ses contemporains d’étudier la sexualité des anguilles.)
Pour analyser correctement les enjeux des CIO, qui captent généralement l’attention
exclusive des chercheurs en didactique, nous devons ainsi nous placer d’abord du point de
vue des CPV. Ou plutôt nous devons mettre au cœur de notre problématique d’étude la dualité
CIO/CPV. En l’espèce, Freud trouve à Vienne une offre curriculaire sans égale, comme Peter
Gay, dans son livre Freud: A Life for Our Time (1998/2006), le souligne dans le passage
suivant, consacré à l’extraordinaire offre de formation « exploitée » par Freud :
During his time at the University of Vienna as student and researcher, the medical faculty was a
superb, highly select fraternity. Most of its members had been imported from Germany: Carl
Claus, who headed the Institute of Comparative Anatomy, had recently been acquired from
Göttingen; Ernst Brûcke, the famous physiologist, and Hermann Nothnagel, who headed the
Division of Internal Medicine, had both been born in Northern Germany and trained in Berlin;
Theodor Billroth, a celebrated surgeon, gifted amateur musician, and one of Brahms’s closest
friends, had been lured to Vienna after holding chairs in his native Germany and in Zurich. These
professors, luminaries in their fields, lent an air of intellectual distinction and cosmopolitan
breadth to parochial Vienna. It is no accident that during those years the medical school attracted
scores upon scores of students from abroad—from other parts of Europe and from the United
States. (p. 30)
Rétrospectivement, le parcours freudien peut ainsi apparaître comme ayant bénéficié de
conditions exceptionnelles. Encore fallait-il que le jeune Freud sache jouer de ces conditions
et contraintes (en acceptant par exemple de « perdre du temps » durant ses études de
1
Tous ces éléments biographiques sont bien connus. À titre complémentaire, voir par exemple la notice
consacrée à Freud par l’encyclopédie Wikipédia (Sigmund Freud, s.d.).
2
Ces éléments sont tirés de la notice déjà évoquée (Sigmund Freud, s.d.). Dans son ouvrage Freud: A Life for
Our Time (1998), Peter Gay écrit (pp. 31-32) : « He [Freud] went [to Trieste] with an assignment that reflected
Claus’s long-standing interest in hermaphroditism: to test the recent assertion of a Polish researcher, Simone de
Syrski [1824-1882], that he had observed gonads in eels. This was an astonishing discovery—if it could be
substantiated. For, as Freud laid out the issue in his report, “there had been innumerable efforts through the
centuries” to find the eel’s testes, and all had failed. If Syrski was right, the traditional view of the eel as
hermaphroditic would be shown to be baseless. »
4 YVES CHEVALLARD
pluralité de positions institutionnelles : x est l’enfant de ses parents, le père ou la mère de ses
enfants, x est amant ou amante, mari ou épouse, x est élève, étudiant, professeur, etc. Pour une
présentation plus synthétique des choses, on définit alors la notion d’instance : une instance î
est soit une personne x (on a alors î = x), soit une position institutionnelle (I, p).
Étant donné une instance î et un objet o (qui peut être n’importe quoi d’existant pour au
moins une personne ou une institution), on appelle rapport de î à o, et on note R(î, o),
l’ensemble des liens entre î et o (ce que î fait ou sait faire avec o, les idées ou les sentiments
qui lui viennent au sujet de o, etc.). Si, d’après une instance ŵ, on a R(î, o) = ∅, ce qu’on écrit
ŵ ⊦ R(î, o) = ∅, on dit que, selon ŵ, « l’instance î ne connaît pas l’objet o » et encore que
« l’objet o n’existe pas pour l’instance î »3. Lorsque, au contraire, on a ŵ ⊦ R(î, o) ≠ ∅, on dira
de même que, selon ŵ, « l’instance î connaît l’objet o » et encore que « l’objet o existe pour
l’instance î ».
Une personne x est, du point de vue de l’instance ŵ, un « bon sujet » de la position (I, p) au
temps ȶ en ce qui concerne l’objet o si son rapport personnel R(x, o) est jugé par ŵ conforme,
au temps ȶ, au rapport institutionnel R((I, p), o), rapport que l’on note aussi, plus
traditionnellement, RI(p, o) ; on écrit alors : ŵ ⊦ R(x, o) ≅ȶ RI(p, o). Dans le cas contraire, on
écrira : ŵ ⊦ R(x, o) ≇ȶ RI(p, o). Une instance ŵ pourra ainsi dire que « x est un bon père » ou
un « bon professeur », ou un « piètre amant », et cela à tel ou tel égard (à propos de tel objet
o), etc.
Lorsqu’une personne x occupe une position (I, p), on dit que x est assujettie à cette
position. Lorsque ce positionnement de x est pérenne, les rapports R(x, o) initiaux sont
modifiés de manière à devenir davantage conformes aux rapports RI(p, o) existants – à moins
que, en sens inverse, la pression exercée sur p par les sujets x de (I, p) ne conduisent à une
évolution de RI(p, o). Le rapport R(x, o) apparaît ainsi comme la « résultante » dynamique,
changeante, des assujettissements institutionnels passés et présents de x qui impliquent l’objet
o.
Soit πŵ(p) l’équipement praxéologique de la position (I, p) tel que le voit l’instance ŵ. Le
rapport RI(p, o) est alors, pour ŵ, la « résultante » de l’ensemble des praxéologies ∈ πŵ(p)
qui mettent en jeu l’objet o. Si, par exemple, x est un sujet de (I, p) qui ne connaît tel objet o
que par le truchement de la position (I, p), on peut s’attendre à ce que le rapport R(x, o)
ressemble fortement à RI(p, o), même s’il en est parfois une caricature (ce qui pourrait le
rendre non conforme à RI(p, o) du point de vue de telle ou telle instance ŵ′). En général,
pourtant, le rapport de x à un objet o découle de multiples assujettissements institutionnels,
simultanés ou étalés dans le temps, de la personne x. Notons que le problème de la conformité
de x à (I, p) ne se pose, du point de vue d’une instance ŵ, que si, selon ŵ, (I, p) connaît o, i.e.,
si ŵ ⊦ RI(p, o) ≠ ∅. Les choses seront autres du point de vue d’une instance ŵ′ telle que ŵ′ ⊦
RI(p, o) = ∅.
On peut poser plus généralement la question de l’effet formatif, du point de vue d’une
instance ŵ, d’une position (I, p) à propos d’un ensemble d’objets o et d’une « espèce » de
personnes x, soit de sa capacité à faire que les rapports R(x, o) deviennent davantage
conformes aux rapports RI(p, o), pour o ∈ et x ∈ . Je reviendrai sur ce point, essentiel dans
la suite de cette étude. En attendant, nous rappellerons quelques notions de base encore
utilisées en TAD.
On définit d’abord l’univers cognitif d’une instance î vu par l’instance ŵ par Ωŵ(î) ≝ {o | ŵ
⊦ R(î, o) ≠ ∅}, et son équipement cognitif vu par ŵ par Γŵ(î) ≝ {(o, R(î, o)) | ŵ ⊦ o ∈ Ω(î)}.
L’univers cognitif de î est constitué par définition de tous les objets o que, du point de vue ŵ,
3
Le symbole ⊦ peut être employé avec n’importe quel énoncé ϑ ; on écrira alors : ŵ ⊦ ϑ. En revanche, l’écriture ⊦
ϑ, interprêtée comme équivalente à l’écriture ẑ ⊦ ϑ où ẑ serait une instance privilégiée dont le point de vue
prévaudrait sur tout autre point de vue, est dénuée de sens, l’existence d’une telle instance « jupitérienne » ẑ étant
étrangère à la TAD.
6 YVES CHEVALLARD
î connaît (au sens où î a, du point de vue de ŵ, un rapport non vide à o). Son équipement
cognitif précise, lui, la manière dont, du point de vue de ŵ, î les connaît. L’univers
praxéologique de î vu par ŵ, noté Ω✦ ✦
ŵ (î), est alors défini par Ωŵ (î) ≝ { | ŵ ⊦ praxéologie
∧ R(î, ) ≠ ∅}, et son équipement praxéologique, noté Γŵ (î), est défini par Γ✦
✦
ŵ (î) ≝ {( , R(î,
)) | ŵ ⊦ ∈ ŵ (î)}, soit encore par Γŵ (î) = {( , R(î, )) | ŵ ⊦ praxéologie ∧ R(î, ) ≠ ∅}.
✦ ✦
2. Associations positionnelles
Je présenterai en ce point un fragment d’une théorie des positions institutionnelles (I, p)
développée en TAD.
Un premier principe est qu’une position institutionnelle n’est jamais une entité isolée mais
fonctionne au sein d’associations de positions p plus ou moins larges. Le cas le plus fameux
est évidemment pour nous celui d’une classe, où position d’enseignant et position d’élève sont
plus ou moins étroitement associées. Mais cela est un principe universel : la position de mari
est associée à celle d’épouse et ces deux positions sont associées à la position d’enfant d’un
couple. La position de secrétaire dans une administration ne se dissocie guère de celle de son
« patron », etc.
La relation d’association (p, p′) se traduit par des conditions et contraintes qui
déterminent l’activité des sujets x et x′ de p et p′ respectivement. En particulier, étant donné
des tâches t du type T accomplies en position p, trois types d’associations peuvent être
observées : 1) t peut être accomplie par un sujet x de p seul : on parle alors de (type de) tâches
non coopératives ; 2) t peut être accomplie de façon coopérative par deux ou plusieurs sujets x
de p : on parle alors de (type de) tâches coopératives intrapositionnelles ; 3) t peut être
accomplie de façon coopérative par des sujets x de p en coopération avec des sujets de p′, p″,
… : on parle alors de (type de) tâches coopératives interpositionnelles.
Les remarques précédentes s’étendent au cas d’une association quelconque de positions
= {p, p′, p″, …}. En fait, étant donné deux positions p et p′, on considèrera aussi, en certains
cas, la position notée p ⋁ p′. Dans le cas où p est la position d’enseignant et p′ celle d’élève
dans une classe donnée, p″ = p ⋁ p′ est la position de « membre de la classe » (qu’occupent
tous ceux que l’on voit, traditionnellement, sur les « photos de classe »). Dans le cas où p est
la position de mère et p′ celle de père dans une famille donnée, p″ = p ⋁ p′ est la position de
parent dans ladite famille. Ces remarques se généralisent à une association finie de positions :
p = ∨ = ∨{p, p′, p″, …}.
La fonction principale d’une position institutionnelle, c’est ainsi l’effectuation d’un certain
travail, dont les produits sont des composants praxéologiques pour l’activité d’autres
positions. C’est ainsi que le devoir rendu par l’élève suscitera une note de la part du
professeur et que cette note sera utilisée par l’instance compétente pour produire des
appréciations, des classements, des décisions diverses (de redoublement, d’exclusion, etc.).
En chaque position p, à chaque instant ȶ, il y a ainsi des types de productions (pour un
élève ou pour un professeur, la rédaction d’une solution de l’équation x2 – 4x + 2 = 0 est une
telle production par exemple) et des modes de production (dans l’exemple précédent il
s’agirait essentiellement d’une technique de résolution de l’équation). L’expression mode de
production désigne ici un type de techniques de production – type qu’il faut chaque fois
définir, en particulier concernant son infrastructure matérielle et immatérielle. (L’actuelle
informatisation des sociétés engendre ainsi de nouveaux modes de production en presque
toute position p.)
dynamique institutionnelle, et qui tend à modifier les positions p, p″, p‴, etc., ainsi donc que
les équipements praxéologiques πŵ(p), πŵ(p″), πŵ(p‴), etc. Je vais y revenir.
1. Le cas Léo
Il fait alors une demande, qui n’aura pas de suite dans l’instant, auprès du rectorat de
l’académie d’Aix-Marseille. Dans le même temps, après une candidature qui n’avait pas
abouti, l’enseignement diocésain le sollicite. Il commence ainsi à enseigner en 1976-1977 en
tant que maître auxiliaire de mathématiques dans un lycée technologique et professionnel,
établissement catholique privé sous contrat de la ville d’Arles, ville où, cependant, il ne réside
pas (il fait en train le voyage Marseille-Arles et retour cinq jours par semaine).
Il enseigne là les mathématiques dans une classe de seconde et dans une classe de première
G2. À côté de mathématiques « classiques », il doit enseigner des mathématiques financières,
domaine inconnu de lui jusque-là. (Il dit avoir ignoré jusqu’alors le lien entre emprunts,
intérêt, etc., et suites arithmétiques et géométriques.) Il doit alors étudier ce domaine de façon
vigoureuse, en autodidaxie, en s’aidant d’un fascicule sur le sujet, pour pouvoir préparer son
enseignement, qu’il assure pendant deux années scolaires.
L’enseignant apprenant
Léo accepte alors des enseignements dans le BTS « Action commerciale » où il doit se
confronter à des éléments de statistique encore plus spécifiques. Mais surtout, il s’y trouve ex
abrupto confronté à la théorie des graphes et à l’algorithme du simplexe, choses que, à
l’époque, autour de lui, personne ne connaît. Léo se rend donc dans une grande librairie
marseillaise pour acheter des ouvrages universitaires sur ces questions (les manuels de BTS
appropriés n’arriveront que plus tard).
Léo est ainsi, durant tout un temps, obligé de travailler seul. Quand il bute sur quelque
aspect « mathématique », il requiert l’aide d’un bon ami, agrégé de mathématiques, mais qui
n’a pas lui-même à enseigner ces questions. Ces aspects inchoatifs ne sont pas propres à Léo
en tant que nouveau venu dans ce monde institutionnel, mais bien à la position qu’il lui est
donné d’occuper. Un incident survenu dès sa première année au lycée Sully, en 1979, en
témoigne. Lors d’une épreuve du baccalauréat G2, il est question d’algèbre de Boole, notion
qui figure bien au programme et fait l’objet d’un traitement dans le manuel utilisé mais dont
10 YVES CHEVALLARD
Léo n’a soufflé mot aux élèves. Cela lui est alors reproché mezza voce par la famille d’un de
ses élèves, qui connaît sa propre famille. En fait, l’autre professeur concerné dans
l’établissement, bien plus ancien que Léo en la matière, n’avait pas non plus présenté cette
notion dans sa classe.
Cette déficience était en fait beaucoup plus générale : Léo se souvient aujourd’hui que la
même inattention tranquille à cet item du programme affectait déjà l’enseignement des
professeurs de l’établissement arlésien où il avait enseigné durant deux années. Tant et si bien
que, cette année-là, le jury d’examen ne tint pas compte de ladite question, se contentant
d’ajouter des points de bonification aux candidats l’ayant abordée.
Léo restera au lycée Sully jusqu’en 1988-1989 (il y aura donc passé onze années). En
1989, il est reçu au CAPES de mathématiques et entame donc son stage au CPR (Centre
pédagogique régional), institution qui cédera la place, à la rentrée 1991, à l’IUFM (Institut
universitaire de formation des maîtres).
4
Cet acronyme signifie Beginner’s All-purpose Symbolic Instruction Code (BASIC, s.d.).
LA QUESTION CURRICULAIRE ET LA TAD 11
cette aventure même après avoir quitté l’établissement en 1989, s’occupant pendant encore
quelques années de la maintenance du système qu’il y avait mis en place.
nouvellement créée en seconde (alors même qu’il n’a pas suivi le « stage lourd » préparatoire
qu’avaient suivi ses collègues) : parmi les nouveautés auxquelles il doit se former figure ainsi
en bonne place, en ce point, le langage de programmation Turbo Pascal. À nouveau, sa charge
de travail croît terriblement, au point que la proviseure du lycée doit intervenir auprès de
l’administration rectorale qui renâclait – au prétexte qu’elles auraient été en trop grand
nombre – à lui payer les heures supplémentaires qui lui étaient dues.
À l’IUFM
L’année d’après (1993-1994), les anciennes dénominations (C, D, E) ayant disparu, Léo a une
première et une terminale S. Le vendredi après-midi, il continue de travailler à l’IREM (où il
assume notamment des tâches de formation continue), ce qui suscite une certaine animosité de
la part de l’IPR qui l’avait soutenu jusque-là, au motif qu’il aurait à l’IREM, ainsi d’ailleurs
qu’à l’IUFM, de « mauvaises fréquentations ». Puis, sa délégation rectorale prenant fin, il
rejoint le poste qui lui a été attribué dans un collège marseillais, le collège des Caillols, où il
reste deux années (1998-1999 et 1999-2000) et enseigne dans des classes de 4e et 3e.
Par ailleurs, depuis 1995, en collaboration avec un collègue, B. E., Léo forme les élèves
mathématiciens de deuxième année de l’IUFM (PCL2) à l’usage des calculatrices dans
l’enseignement. Il deviendra ensuite formateur associé à l’IUFM, puis après avoir occupé
brièvement un service à mi-temps, il sera ensuite à temps complet (2000) avant d’obtenir un
poste de PRAG en 2002.
Dans son engagement à l’IUFM, Léo aura à nouveau un rôle d’homme-orchestre. Il
intervient dans la formation mathématique et didactique des élèves PE1 et PE2. Il prend sa
part, du moins au début, des visites en classe aux PCL2, qu’il forme par ailleurs à
l’informatique. Un peu plus tard, Léo assure avec une collègue, M. A., la formation aux
calculatrices des PCL1, en s’occupant également des élèves professeurs de mathématiques et
sciences physiques (PLP2), avec une autre collègue, G. C.. Il met en place le certificat
« Informatique et Internet niveau 2 – Enseignant » (C2i2e) créé en 2004, et assume des stages
de formation continue (avec notamment M. C.).
Tout au long de sa carrière, et jusqu’à la fin, afin d’être en phase avec les positions
toujours nouvelles qu’il n’a cessé d’être amené à occuper, Léo a dû apprendre et apprendre
encore – par exemple le langage Python pour l’enseigner à partir de 2011 dans le cadre de la
préparation au CAPES de mathématiques. Il prend sa retraite en 2013.
entendu, le CPV de Léo est plus complexe encore que le résumé que nous en avons donné le
montre. Et on peut gager qu’il en est généralement ainsi de tout CPV.
Considérons plus généralement une position institutionnelle quelconque (I, p) et une
personne x venant occuper la position p, c’est-à-dire venant s’assujettir à p. De façon
générique, il y a ce que les sujets de p font (et pensent à propos de ce qu’ils font) et ce qu’ils
apprennent (du point de vue d’une instance ŵ). Le premier aspect de l’activité des sujets de p
correspond à l’activité productive dont p est le siège. Cette activité de production aboutit à des
« produits » qui participent du monde des praxéologies (à titre de composants et d’ingrédients
de diverses natures). On l’a dit, dans une classe, si p est la position de professeur, la
production réalisée en p sera faite d’enseignements, de leçons, de corrections, de notes, etc. Si
p est la position d’élève, ses produits seront des devoirs écrits, des exposés, des débats, des
travaux d’examen, etc.
Le second aspect est l’activité formative et réformative, qui d’abord rend les sujets de p
conformes à p (en termes cognitifs et praxéologiques), c’est-à-dire capables de prendre part
adéquatement à la production dont p est le lieu, selon les modes de production qui y sont en
vigueur. C’est là ordinairement un processus continu, non réduit à un temps limité, en sorte
qu’il convient de regarder un sujet de p comme étant indéfiniment en apprentissage – à le
regarder donc comme un éternel apprenti.
L’activité réformative découle du fait que, notamment, l’équipement cognitif et
praxéologique de p est amené à changer lorsque changent les exigences concernant les
productions et les modes de production de p, parce que les conditions sous lesquelles existe
p changent elles-mêmes. Ces conditions peuvent être notamment celles créées par le
changement affectant d’autres positions p′, 1) avec lesquelles les sujets de p sont amenés à
s’engager en synchronie dans des tâches coopératives intra- ou interpositionnelle (ce dont un
exemple central est celui des positions d’enseignant et d’élève au sein d’une même classe) ; et
2) avec lesquelles p entretient en diachronie une relation d’antécédence ou de consécution
curriculaire, c’est-à-dire telles que l’on ait, pour une instance ŵ, ŵ ⊦ p ⇝ … ⇝ p′ ou ŵ ⊦ p′
⇝ … ⇝ p. Si l’on a ŵ ⊦ p ⇝ … ⇝ p′, le fait que x, sujet de p, soit jugé capable de venir
occuper la position p′ est fondé sur ce que x fait (et donc est censé apprendre) en p.
Rappelons une fois encore que le jugement en question ne porte pas sur la capacité de x à
maîtriser à l’avance ce qu’il aurait à faire en p′, mais bien sur la capacité estimée à apprendre
ce qu’il aura à y faire, c’est-à-dire sur sa capacité à devenir conforme aux exigences
cognitives et praxéologiques imposées par la position p′. Ce jugement porte donc, non sur ce
que x sait et sait faire, mais sur ce qu’il serait capable d’apprendre – qui, bien sûr, sera en
partie lié, positivement ou négativement, à l’équipement praxéologique personnel qui se sera
constitué antérieurement du fait de son assujettissement à p.
1. Le problème curriculaire
Une question cruciale, implicitement présente dans ce qui précède, et à partir de laquelle nous
pouvons nous orienter, est la suivante : comment les types et modes de production sont-ils
déterminés et comment changent-ils quand les conditions prévalentes changent ? C’est en
réponse à cette question que va s’introduire ici la notion de paradigme d’étude.
Étant donné une position (I, p), on suppose qu’une instance ŵ au moins regarde p comme
antécédente d’une position p′ (≠ p), c’est-à-dire que l’on a ŵ ⊦ p ⇝ … ⇝ p′, soit Aŵ(p, p′) ou
Cŵ(p′, p). Bien entendu, il existe en général plusieurs positions p = p′, p″, p‴, etc., telles que
l’on ait ŵ ⊦ p ⇝ … ⇝ p. Le « travail curriculaire » (qui affecte la nature des productions et
des modes de production) effectué sur la position p peut ainsi ne pas être spontanément
LA QUESTION CURRICULAIRE ET LA TAD 15
pertinent par rapport à toutes les positions potentielles d’accueil des ex-sujets de p. Le
problème doit donc être regardé comme un problème d’optimisation sous les contraintes
imposées par les positions p envisagées par ŵ.
Dans ce qui suit, on simplifiera ce problème en ne considérant qu’une position p telle que
ŵ ⊦ p ⇝ … ⇝ p. La grande question qui se pose alors est celle des savoir-faire et des savoirs,
c’est-à-dire des praxéologies, dont la rencontre par le sujet x de p donnera à la noosphère de p
et en particulier à v l’assurance que x pourra venir valablement occuper la position p.
who tells lies, c’est-à-dire un menteur ou une menteuse. Il ne semble pas absurde de
démarquer ces distinctions dans la situation qui nous occupe. Il y a d’abord le créateur du
récit, généralement un « savant » ; puis il y a les copistes, qui reprennent le récit initial dans
une forme qu’ils jugent adaptée à p ; enfin, il y a les copieurs, qui fournissent trop hâtivement
des versions plus ou moins dégradées, voire erronées, du récit d’origine.
Le storytelling des œuvres, que la tradition scolaire situe quasi exclusivement dans le topos
du professeur, est une composante essentielle de la visite des œuvres. Mais le paradigme de la
visite des œuvres est aujourd’hui partout en crise : il devient de plus en plus écologiquement
improbable, quelle que soit la position p. En sens inverse, le paradigme du questionnement du
monde n’a cessé de monter en puissance, de manière certes anarchique, et dans des formes
ambiguës (l’ambiguïté se trouvant par exemple déjà dans le qualificatif « inquiry-based »
souvent usité dans l’anglais noosphérien international), à travers lesquelles le vieux monde
fait de la résistance sous les oripeaux trompeurs du questionnement du monde.
Questionner un complexe praxéologique que le passage du temps institutionnel a surchargé
d’approfondissements et de commentaires – qu’ils se veuillent épistémologiquement savants
ou didactiquement bienveillants, ou les deux – est la voie la plus directe pour combattre le
figement curriculaire, pour défiger ce que l’arrêt du questionnement (et déjà l’oubli des
questions initialement génératrices ou, plus tard, régénératrices) a coagulé, pour trier à
nouveaux frais le pertinent de l’anciennement pertinent, que l’on conserve souvent parce
qu’on le croit supérieurement « formateur » – comme il en va aujourd’hui (exemple entre cent
autres possibles) de l’algorithme graphico-numérique traditionnel, si scolairement résilient, de
la division des nombres entiers ou décimaux.
Il semble que notre enseignement scolaire ne réponde pas aux exigences curriculaires
précédentes – que l’on peut, bien entendu, discuter.
Mais je voudrais ajouter à cela un cas qui montre combien l’enjeu curriculaire doit être pris
au sérieux, déjà, pour cette position p qu’est la position de citoyen. Je voudrais, en vérité,
donner un exemple de ce qu’il faut regarder comme une insuffisance (parmi d’autres) de notre
éducation mathématique. Selon l’hebdomadaire L’Obs du 14 février 2018, une militante
féministe aurait déclaré à un journaliste de ce magazine (c’est moi qui souligne) :
« Aujourd’hui, il est admis qu’une femme sur deux a été victime de viol, d’agression ou de
harcèlement. En revanche, ce qui n’imprime pas, c’est la conclusion qu’il faut en tirer. À
savoir qu’un homme sur deux ou sur trois est un agresseur. » (Il faut entendre par là : un
agresseur sexuel de femmes.) Le journaliste la relance : « C’est aussi mathématique que
cela ? » L’interviewée aurait répondu : « Nous n’avons pas affaire à un petit groupe de
criminels qui se cache dans un coin et qui viole toutes les femmes de France ! Si les victimes
sont dans votre famille, dans votre entreprise, dans les partis politiques ou au gouvernement,
eh bien, les agresseurs sont exactement aux mêmes endroits. Logique infaillible. »
Je laisserai de côté la conclusion de l’interviewée (« un homme sur deux ou sur trois est un
agresseur ») et n’examinerai ci-après que le raisonnement implicite (présenté tacitement
comme participant d’une « logique infaillible ») par lequel celle-ci dit passer de la prémisse
qu’elle invoque (« une femme sur deux a été victime de viol, d’agression ou de
harcèlement ») à sa conclusion5. La petite étude mathématique ci-après – où, faute de
précisions numériques dans l’interview cité, les valeurs des paramètres ont été fixées d’une
manière qui nous a paru non déraisonnable – suggère que le « raisonnement » évoqué
mériterait d’être explicité et solidement argumenté6 :
Soit p la proportion d’agresseurs sexuels potentiels de femmes dans la population masculine de
France. On souhaite déterminer quelles valeurs de p font que la probabilité qu’une femme donnée
croise un homme agresseur sexuel potentiel de femmes (dans sa vie familiale, professionnelle, de
loisir, etc.) au cours d’une certaine période de temps soit supérieure ou égale à un nombre a
compris entre 0 et 1 exclus. Soit n le nombre d’hommes croisés au cours de la période considérée.
La probabilité qu’aucun de ces hommes ne soit un agresseur sexuel potentiel de femmes est égale
à (1 – p)n. La probabilité que cette femme croise au moins un tel homme est donc égale à 1 – (1 –
p)n. On cherche pour quelles valeurs de p on aura la minoration 1 – (1 – p)n ≥ a, soit encore (1 –
p)n ≤ 1 – a. L’étude de cette inéquation conduit à conclure que l’inégalité (1 – p)n ≤ 1 – a est
ln(1 – a)
réalisée si et seulement si on a p ≥ 1 – exp
n . Prenons n = 1000. Pour qu’on ait a = 50 %
= 0,5 (une femme a une probabilité d’au moins 50 % de croiser un agresseur sexuel potentiel de
femmes), il suffit d’avoir p ≥ 1 – exp
ln(0,5) ln(0,5)
1000 . On a : 1 – exp 1000 = 0,0006929… < 0,0007 =
7
. Il suffit donc que 7 hommes sur 10 000 soient des agresseurs sexuels potentiels de femmes
10 000
pour qu’une femme ait une probabilité de 50 % au moins de croiser un tel agresseur. Pour que l’on
ait a = 99 % = 0,99 (une femme a une probabilité supérieure ou égale à 99 % de croiser un tel
agresseur), il suffit d’avoir p ≥ 1 – exp
ln(0,01) ln(0,01)
1000 . On a : 1 – exp 1000 = 0,004594… < 0,005
5
= . Il suffit donc que 5 hommes sur 1000 soient des agresseurs sexuels potentiels de femmes
1000
pour qu’une femme ait une probabilité de 99 % au moins de croiser un agresseur sexuel potentiel
de femmes.
5
Notons que cette prémisse mériterait à elle seule une étude serrée à partir des nombreuses données d’enquête
aujourd’hui disponibles. Hypothétiquement, à l’instar de l’interviewée, nous la tiendrons ci-après pour avérée.
6
Dans ce qui suit, nous ne précisons pas davantage que ne le fait l’interviewée elle-même la notion d’agression
sexuelle – notion que, par ailleurs, dans son registre propre, le Code pénal s’efforce de clarifier (par exemple
dans son article 222-22 : « Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence,
contrainte, menace ou surprise »).
LA QUESTION CURRICULAIRE ET LA TAD 19
Ce modèle ne concerne que la rencontre – dans une situation sociale quelconque – d’une
femme avec un agresseur sexuel potentiel de femmes. Pour se rapprocher de ce qui semble
être l’hypothèse de l’interviewée, on peut introduire la probabilité P(h) qu’une femme soit
aggressée sexuellement lorsqu’elle croise un agresseur potentiel. Si on désigne par g
l’événement « l’homme croisé est un agresseur sexuel potentiel de femmes », on a : P(h) =
P(h | g)P(g). Posons P(g) = p et = P(h | g). La probabilité qu’aucun des hommes croisés
n’agresse cette femme est égale à (1 – p)n. La probabilité que la femme croisée soit
effectivement agressée par au moins un des hommes croisés est donc égale à 1 – (1 – p)n.
Comme dans le développement mathématique ci-dessus, on cherche pour quelles valeurs de p
on aura la minoration 1 – (1 – p)n ≥ a, soit encore (1 – p)n ≤ 1 – a. Comme précédemment,
l’étude de cette inéquation conduit à conclure que la condition (1 – p)n ≤ 1 – a est réalisée si
ln(1 – a)
et seulement si on a p ≥ 1 – exp n . Prenons n = 1000. Pour que l’on ait a = 50 % =
0,5 (une femme a une probabilité d’au moins 50 % de croiser un agresseur sexuel potentiel de
femmes qui l’agresse effectivement), il suffit d’avoir p ≥ 1 – exp 1000 = 0,0006929… Ce
ln(0,5)
modèle s’identifie au précédent si = 1. Supposons – ce qui est sans doute une hypothèse
1 6,929…
basse – que = 10 = 0,1 ; il vient : p ≥ 0,006929… = 1000 . Il suffit en ce cas qu’on ait p =
7
1000 et donc que 7 hommes sur 1000 soient des agresseurs sexuels potentiels de femmes pour
que toute femme ait une probabilité d’au moins 50 % d’être agressée au cours de 1000
contacts sociaux avec des hommes. On est fort loin des proportions évoquées dans l’entretien
rapporté par L’Obs (« un homme sur deux ou sur trois est un agresseur »), ce qui fait souhaiter
une version à la fois explicite et bien justifiée du lien prétendu entre prémisse et conclusion.
Ici, en l’espèce, les mathématiques sont clairement un moyen d’interroger la validité d’un
raisonnement qui semble fragile. Pour cela, on peut vouloir que les outils mathématiques que
nous avons employés figurent parmi ceux mis à la portée de tout·e citoyen·ne, et non pas
seulement des « spécialistes ». C’est là, bien sûr, un immense chantier.
RÉFÉRENCES
ARON M. (2018, 14 février). Caroline de Haas : « Un homme sur deux ou trois est un agresseur ». L’Obs. Récupéré le 2
octobre 2019 de https://www.nouvelobs.com/societe/20180214.OBS2173/caroline-de-haas-un-homme-sur-deux-ou-trois-
est-un-agresseur.html
BASIC. (s.d). In Wikipedia. Récupéré le 2 octobre 2020 de https://en.wikipedia.org/wiki/BASIC
CARROLL, L. (1871). Through the Mirror, and what Alice found there. Londres : Macmillan.
GAY P. (1998). Freud: A life for our time. New York : W. W. Norton.
GROUPE DE TRAVAIL DES SOCIÉTÉS SAVANTES DE MATHÉMATIQUES ET D’INFORMATIQUE. (2016, 21 octobre). Propositions pour
le futur programme de mathématiques du lycée. Récupéré le 2 octobre 2019 de
https://www.societe-informatique-de-france.fr/wp-content/uploads/2016/11/2016-10-21-maths-info-lycee-propositions.pdf
HOUSSIER F. (2019). Freud étudiant. Paris : Campagne première.
CURRICULUM. (s.d.). In Wikipedia. Récupéré le 2 octobre 2020 de https://en.wikipedia.org/wiki/Curriculum
PARCOURSUP. (s.d.). In Wikipédia. Récupéré le 2 octobre 2020 de https://fr.wikipedia.org/wiki/Parcoursup
PLAN INFORMATIQUE POUR TOUS. (s.d.). Wikipédia. Récupéré le 2 octobre 2020 de
https://fr.wikipedia.org/wiki/Plan_informatique_pour_tous
PROGRAMME D’ENSEIGNEMENT. (s.d.). In Wikipédia. Récupéré le 2 octobre 2020 de
https://fr.wikipedia.org/wiki/Programme_d’enseignement
SIGMUND FREUD. (s.d.). In Wikipédia. Récupéré le 2 octobre 2020 de https://fr.wikipedia.org/wiki/Sigmund_Freud
STORYTELLER. (s d.). In Wordreference English-French Dictionary. Récupéré le 2 octobre 2019 de
https://www.wordreference.com/enfr/storyteller
STROMBONI C. (2019, 27 septembre). Comment vont être sélectionnés les futurs médecins. Le Monde.
STROMBONI C. (2019, 2 octobre). À l’université de Clermont, un bilan mitigé pour les parcours renforcés. Le Monde.