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CROIRE… EN PSYCHANALYSE

Sidi Askofaré

Érès | « Essaim »

2015/2 n° 35 | pages 53 à 60
ISSN 1287-258X
ISBN 9782749248806
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Croire… en psychanalyse

Sidi Askofaré

« Nous ne croyons pas à l’objet, mais nous constatons le désir,


et de cette constatation du désir nous induisons la cause comme objectivée. »
J. Lacan 1

Que notre monde contemporain soit dominé par le discours de la


science, soit par l’idéologie de la science et les produits de la technoscience,
est maintenant une évidence largement partagée. Ce qui l’est beaucoup
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moins, c’est le recul – au moins apparent – de la rationalité scientifique au
profit d’une montée des pensées magico-religieuses. Comme si faisaient
cortège le savoir rationnel le plus sophistiqué et les croyances les plus
obtuses.
Le lieu par excellence où se met en scène la complicité à l’œuvre dans
ce « dieu-lire » est sans doute ce qu’on appelle la Toile, c’est-à-dire Internet,
cette foire perpétuelle des savoirs et des croyances. Croire ou savoir ?
Croire et savoir ? Croire pour savoir ? Savoir pour ne plus avoir à croire ?
Les liens et articulations sont innombrables.
J’ajouterai que les champs du savoir ont chacun leur mot à dire sur
ce motif. Reste la question de savoir comment, ce croire, cette croyance,
l’aborder sur le fond de la découverte freudienne de l’inconscient, de cet
inconscient qui, à en croire Lacan, est lui-même savoir, et même « savoir
sans sujet ».
Il y a sans doute beaucoup à dire sur le statut de la croyance chez
Freud 2. Que ce soit dans ses rapports à la perception, à la mémoire, au
déni, au désir, au fantasme ou à l’illusion, la croyance est toujours présente
et tisse, au moins en partie, les liens du sujet au réel.

1. J. Lacan, Le sinthome, Paris, Le Seuil, 2005, p. 36.


2. Sur cette question, on se reportera avec profit à l’ouvrage, qui n’a pas pris une ride, de Marie-Jean
Sauret : Croire ? Approche psychanalytique de la croyance, Toulouse, Privat, 1989.

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Prenons néanmoins notre départ dans une référence plus récente. En


1964, dans Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, J. Lacan, dans
son effort de donner statut à la psychanalyse, situait cette dernière « entre
science et religion ». Ce qui peut, voire doit se lire : ni l’une ni l’autre, ou ni
tout à fait l’une ni tout à fait l’autre. C’est déjà ce qu’il avait presque défi-
nitivement établi, quelques années plus tard, en 1966, dans « La science et
la vérité », en démontrant en quoi elles se distinguaient par leurs rapports
à la « vérité comme cause ».
Si cette élaboration n’a pas désamorcé les efforts – y compris chez des
analystes et parfois des « proches » de Lacan – pour continuer à rapprocher
la psychanalyse et la religion, la raison en est peut-être à chercher du côté de
la croyance, de la place et de la fonction de la croyance dans l’une et l’autre.
Or, comme le disait A. Malraux dans ses Antimémoires, « les croyances
ne sont pas seulement religieuses 3 ».
Je tenterai donc de rassembler dans le présent article quelques éléments
susceptibles d’éclairer ce qu’il en est de la croyance dans la psychanalyse.
Avec l’idée qu’il apparaîtra que cette croyance à l’œuvre dans la psycha-
nalyse ne se confond pas avec les croyances religieuses, philosophiques,
scientifiques ou autres.

D’une supposition l’autre


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Dans un de ses textes les plus importants, par sa portée tant doctrinale
que politique, « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de
l’École », Lacan écrivait : « Au commencement de la psychanalyse est le
transfert 4. »
Il s’agit d’une thèse qui est loin d’être triviale, que ce soit du point de
vue de l’histoire de la psychanalyse (le transfert de Freud à Fliess) ou que
ce soit sur le plan clinique (la nécessité du transfert pour qu’un symptôme
soit offert au déchiffrage analytique). Je n’accentuerai cependant que ceci :
le transfert que Lacan pose au commencement de la psychanalyse n’est pas
« l’effet constitué » auquel il faisait référence, en 1953, dans son « Discours
de Rome 5 », c’est-à-dire le transfert-sentiment qu’une certaine « vulgate
analytique » a réduit à la répétition en tant que « mise en acte 6 » ; il s’agit
de ce qui détermine cet « effet constitué », soit ce que Lacan appelle, para-
doxalement, « l’effet constituant 7 » du transfert.

3. A. Malraux, Antimémoires, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1972, p. 366.


4. J. Lacan, Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 247.
5. J. Lacan, « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », dans Écrits, Paris, Le
Seuil, 1966, p. 308.
6. Ibid.
7. S. Freud, « Remémoration, répétition, élaboration », dans La technique psychanalytique, Paris, Puf,
1953, p. 105-115.

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À dire vrai, la supposition, ici, est loin d’être univoque. D’une part,
il y a la supposition pour ainsi dire structurale du sujet. En l’occurrence,
nul sujet ne suppose, c’est le sujet qui est supposé, « supposé […] par le
signifiant qui le représente pour un autre signifiant 8 ». D’autre part, il y a
la supposition du savoir qui, elle, se divise, voire s’écartèle et se décline en
une supposition de méthode – hypothèse de l’inconscient, côté analyste – et
une supposition d’attribution de savoir, côté analysant, supposition-attri-
bution qui consiste à loger le savoir, non pas dans le symptôme, mais dans
l’Autre, que tôt ou tard l’analyste sera appelé à incarner.
Si la supposition d’un savoir inconscient par l’analyste est peu ou
prou de même nature que l’hypothèse du scientifique (à ceci près que cette
hypothèse puise aux sources de l’expérience de son analyse), demeure la
question de savoir ce qu’il en est de l’autre supposition, celle de l’analysant.
Cette dernière a-t-elle même structure et même fonction que la première ou
est-on fondé à penser qu’elle relève de la croyance comme mode particulier
d’adhésion ? À la formuler très simplement, la question est : l’analysant
est-il de structure un croyant ?
La réponse est positive, nécessairement positive, dans la mesure où son
engagement dans le processus analytique – je ne parle même pas des effets
de l’analyse sur ses symptômes – requiert cette adhésion minimale au sujet
supposé savoir, cette prise dans le transfert qui conditionne l’efficace de
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l’interprétation.
Loin de se réduire aux termes quasi psychologiques auxquels on le
ramène communément – confiance, crédit, foi, crédulité –, ce transfert est
d’abord et avant tout une ouverture dialectique à l’Autre et à son désir. Or,
c’est cette ouverture dialectique qui, au dire de Lacan, « se manifeste dans le
phénomène de la croyance » : « Au fond de la paranoïa elle-même, disait-il le
10 juin 1964, qui nous paraît tout animée de croyance, règne ce phénomène
de l’Unglauben. Ce n’est pas le n’y pas croire, mais l’absence d’un des termes
de la croyance, du terme où se désigne la division du sujet. S’il n’est pas, en
effet, de croyance qui soit pleine et entière, c’est qu’il n’est pas de croyance
qui ne suppose dans son fond que la dimension dernière qu’elle a à révéler
est strictement corrélative du moment où son sens va s’évanouir 9. »
Comment dire mieux que la croyance, avant d’être croyance dans
quelque domaine que ce soit ou en quelque étant ou être que ce soit, est
d’abord un effet de la structure de langage, de la division du sujet et de
la dimension du sens qui s’en infèrent ? De sorte qu’on peut affirmer
que la croyance, du point de vue psychanalytique, est fondamentalement
croyance à l’Autre, croyance au signifiant et au sens.

8. J. Lacan, « Proposition du 9 octobre sur le psychanalyste de l’École », dans Autres écrits, op. cit.,
p. 248.
9. J. Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, 1973, p. 215-216.

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Symptôme et croyance

Dès lors, il n’est pas étonnant que Lacan ait été conduit à reconsidérer
la question centrale du symptôme lui-même à la lumière de la croyance.
Rappelons rapidement les coordonnées de cette articulation.
C’est dans son séminaire du 21 janvier 1975 10, et après ce qui fut
davantage qu’une reformulation, une reconsidération de la métaphore
paternelle – en tant qu’elle intègre la fonction d’objet a qu’une femme peut
venir occuper pour un homme comme fondement de la père-version pater-
nelle –, que Lacan en arrive à réinterroger ce qu’il en est du symptôme. Et,
à la surprise générale, ce qu’il convoque et mobilise, c’est la croyance sous
les deux modalités du « y croire » et du « le croire ».
« Ce qu’il y a de frappant dans le symptôme, avance-t-il, dans ce
quelque chose qui, comme là, se bécote avec l’inconscient, c’est que on y
croit. » Mais « y croire », ici, ce n’est pas croire en quelque chose, au sens
de croire en l’existence d’êtres ou d’entités auxquels il n’est pas possible
d’accéder par les sens. Le « croire » que mobilise Lacan, s’appuyant d’ail-
leurs sur le roman de Giraudoux, Ondine, c’est « croire à des êtres en tant
qu’ils peuvent dire quelque chose 11 ».
Qu’ils puissent dire quelque chose ne préjuge nullement de ce que ce
dit soit vérité ou mensonge. Il témoigne juste de ceci, qui suffit pour mon
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propos, que l’y croire est un effet de la structure et un procès qui suppose
d’attribuer à ce à quoi l’on croit un vouloir-dire, une intention de significa-
tion, voire une structure de langage.
N’est-ce pas ce qui se vérifie chaque fois qu’au-delà de la souffrance
dont il est affecté, un sujet porte au déchiffrement analytique le symptôme
dont il est porteur ? Pour Lacan, en tout cas, « il n’y a pas de doute,
quiconque vient nous présenter un symptôme y croit. Qu’est-ce que ça veut
dire ? S’il nous demande notre aide, notre secours, c’est parce qu’il croit que
le symptôme, il est capable de dire quelque chose, qu’il faut seulement le
déchiffrer 12 ».
Mais si cet « y croire » rend raison du symptôme en tant que névro-
tique, il échoue pour ce qu’il en est de la psychose mais aussi pour ce qu’il
faut bien appeler, avec Lacan, la « folie de l’amour ». En posant, thèse
inouïe, qu’une femme est un symptôme pour l’homme, Lacan fait valoir
du même coup que l’amour d’une femme – génitif objectif – comporte d’y
croire. Seulement, on n’irait pas jusqu’à la folie de l’amour si pour y croire,
à cette femme, son homme n’allait pas jusqu’à la croire. Or, justement, il
convient de distinguer sévèrement ces deux formes que peut prendre la

10. J. Lacan, rsi, Séminaire 1974-1975, inédit, séance du 21 janvier 1975.


11. Ibid.
12. Ibid.

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croyance. Lacan n’y voit rien de moins que ce qui distingue et sépare la
névrose de la psychose. En effet, « dans la psychose, les voix, tout est là, ils
y croient. Non seulement, ils y croient, mais ils les croient. Or, tout est là,
dans cette limite 13 ».
Que l’invocation des deux modes d’assujettissement à la structure, la
névrose et la psychose, ne conduise pas pour autant à penser qu’il existerait
entre les deux modes du croire un clivage irréductible. C’est même parce
que c’est tout à fait l’inverse que Lacan insiste sur ce binaire, notamment
pour éclairer la fonction de la croyance dans l’amour. Et ce qu’il met au
jour, c’est une dialectique qui permet d’isoler comme l’amour majeur,
l’amour-goût de Stendhal 14, figure de l’amour fondée sur ceci : « C’est
qu’on la croit, qu’on la croit parce qu’on n’a jamais eu de preuve qu’elle
ne soit pas absolument authentique. Mais ce la croire est tout de même ce
quelque chose sur quoi on s’aveugle totalement, qui sert de bouchon, si je
puis dire, […] à y croire, qui est une chose qui peut être très sérieusement
mise en question 15. »
Au fond, se dégagerait de cette élaboration de Lacan l’idée suivante :
pour y croire, pour croire à une femme-symptôme, il faut la croire. De sorte
que le temps d’un amour – côté homme – est peut-être fonction de la durée
en laquelle le la croire retarde la mise en question de l’y croire.
Mais ce qui vaut pour l’amour d’un homme pour une femme ne vaut-il
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pas également, et en tous points, pour l’amour de transfert, si véritablement
le transfert est de l’amour qui s’adresse au savoir ?

La croyance subvertie par l’expérience :


du Nom-du-Père à l’inconscient réel

Pourquoi y a-t-il de l’inconscient plutôt que rien ? À cette question


radicale – démarquée de Leibniz – la réponse de la psychanalyse, selon
Lacan, est : le Nom-du-Père. Ou plus exactement : la supposition du Nom-
du-Père. C’est en tout cas une des lectures qui se peuvent faire de l’affir-
mation de Lacan selon laquelle « l’hypothèse de l’inconscient ne peut tenir,
Freud le souligne, ne peut tenir qu’à supposer le Nom-du-Père ». Je vais
m’attacher à examiner rapidement cette première proposition.
Que l’inconscient, pour Freud, soit une hypothèse est tout à fait incon-
testable. Freud le dit et le redit notamment dans son texte métapsycho-
logique de 1915, « L’inconscient 16 ». Qu’il ait affirmé que l’hypothèse de
l’inconscient ne peut tenir qu’à une autre hypothèse, celle du Nom-du-Père

13. Ibid.
14. Stendhal, De l’amour, Paris, Garnier-Flammarion, 1993.
15. J. Lacan, rsi, Séminaire 1974-1975, inédit, séance du 21 janvier 1975.
16. S. Freud, Métapsychologie, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1968, p. 65-121.

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– concept qu’il ignorait – paraît plus improbable. Reste qu’il peut s’inférer
comme dire de tout ce qu’il a pu élucubrer sur l’inconscient. Et d’abord par
ceci : l’inconscient freudien en tant que sa réalité est sexuelle tient au refou-
lement, donc à la castration, au complexe paternel, donc au père comme
agent de ladite castration. On sait combien Freud ne s’est pas contenté sur
ce point du seul appui qu’il pouvait trouver dans la clinique (de la névrose
comme de la psychose). Toutes ses élaborations sur le père, de Totem et
tabou à L’homme Moïse et la religion monothéiste, convergeaient vers ce même
point : nouer l’hypothèse de l’inconscient au Nom-du-Père. Cela devient
encore plus manifeste si l’inconscient est envisagé à partir de l’orientation
lacanienne : le langage, le symbolique, la nomination donnent la raison, la
structure et la fonction même de l’inconscient.
Que l’hypothèse de l’inconscient ne tienne qu’à supposer le Nom-du-
Père comporte cependant un paradoxe : il s’agit d’une double hypothèse,
la seconde – l’hypothèse « Dieu » – soutenant la première – l’hypothèse
« inconscient ».
Faut-il pousser les choses jusqu’à s’interroger sur ce qui fait tenir
l’hypothèse Nom-du-Père elle-même ? Partons plutôt de cette proposi-
tion en tant qu’elle prépare et d’une certaine façon introduit ce dont il
convient de rendre raison : d’une part le rapport – l’équivalence ? – du
Nom-du-Père, de Dieu et du sujet supposé savoir et d’autre part les
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usages différentiels/différenciés du Nom-du-Père dans la religion, la
science et la psychanalyse.
Du Nom-du-Père s’est surtout imposée, dans la doctrine comme
aujourd’hui dans la culture, l’idée qu’il est un concept du père comme
porteur de la Loi. C’est sans doute ainsi que Lacan l’installe dans la refor-
mulation critique de l’Œdipe freudien – la métaphore paternelle – et dans
sa théorisation de l’hétérogénéité de la névrose et de la psychose. Nous en
est restée cette définition quasi canonique : le Nom-du-Père est le « signi-
fiant qui dans l’Autre, en tant que lieu du signifiant, est le signifiant de
l’Autre en tant que lieu de la loi 17 ».
Mais on sait qu’il serait par trop réducteur de ne retenir du Nom-du-
Père que cette face loi de l’Autre. C’est qu’il y a aussi la face amour de
cet Autre en tant que « le père est celui qui est reconnu comme méritant
l’amour 18 ». Mais plus radicalement Lacan fera apparaître, au terme de
son enseignement, que les opérations du Nom-du-Père recoupent celles de
la nomination et de la nodalité. C’est même pourquoi, après l’avoir iden-
tifié à la réalité psychique, c’est-à-dire à la réalité religieuse, il en fera un
symptôme.

17. J. Lacan, « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », dans Écrits, op.
cit., p. 583.
18. J. Lacan, Le séminaire, Livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, 1991, p. 138.

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Cela ne suffit-il pas déjà à entrevoir en quoi « supposer le Nom-du-


Père […], c’est Dieu 19 » ? Et pas n’importe lequel : le Dieu judéo-chrétien,
celui tout à la fois Autre de la Loi et Autre de l’amour.
À partir de ce point peut se formuler le problème : de ce Dieu supposé,
ce Dieu-hypothèse à quoi « aucune existence n’est permise », quels furent
les usages fondamentaux et, parmi ceux-ci, qu’est-ce qui spécifie son usage
dans et par la psychanalyse ? Cela ouvre, bien évidemment, sur le destin
de cette croyance particulière, la croyance au père, dans une psychanalyse.

*
* *

Cela ouvre surtout, puisqu’il faut bien conclure, sur le fait de savoir
si l’exploration de la structure, dans une analyse, le « se passer du Nom-
du-Père », jusqu’à l’athéisme véritable, est équivalente à une sortie de la
religion. Je formerais plutôt l’hypothèse que l’expérience d’une analyse,
loin de poser une fin à toute croyance, inaugurerait le départ d’une autre
croyance. La croyance à l’inconscient. Mais pas n’importe lequel. Pas celui
de la vérité et du sens. La croyance à l’inconscient réel, celui de lalangue,
de la jouissance et du sinthome.
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19. J. Lacan, Le sinthome, op. cit., p. 136.

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