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La description des chaînes opératoires: Contribution à l'analyse des systèmes


techniques

Article · October 1976


DOI: 10.4000/tc.6267

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1 author:

Lemonnier Pierre
French National Centre for Scientific Research
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1
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1
CULTURES
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~ LA DESCRIPTION DES CHAINES OPERATOIRES:


lt-ut-I'<\ -q vi"
'/ CONTRIBUTION A L'ANALYSE DES SYSTEMES TECHNIQUES
E"""? UJ t:'TZF"f.-E /

"" <J / { 1 Df-b/

Pierre LEMONNIER

Bien qu'elles constituent une branche peu développée

de l'anthropologie, les études technologiques forment un ensemble

disparate j elles v a r i en t au gré de leur problématique, de leur objet

ou de l e ur méthode. L·'ample voie de recherche explorée par l'E. R. 191

s'inscrit dans une perspective souvent abordée par les technologues

l'étude des relations - terme volontairement vague - entre système

technique et système social, ou plutôt entre le sous-système

"technique" et le reste du système social. Le rapprochement de ces

deux d o rn a i n es - le "technique" et le "soci-a}\L - ,'effectue gér,éralement

de manière linéaire et tout 11. la fois partielle (o.n retient un seul f a c t e u r

ou ensemble de facteurs techniques) et :;énéralis a n t e : on ~tudiera par

exemple l'innovation, ses conditions d'apparition et ses effets sur

le système technique (1), voire sur le système social tout entier (2).

A l'opposé, on a parfois prccédé 11. la mise en p a r a l Lè l e

de pan> entiers de la réalité technique et de la réalité sociale j le

niveau d'abstraction qui caractérise le diséours est alors tel que les

propositions émises posent plus de problèmes scientifiques qu'elles


1

1. v o i r le point établi récemment par H. Balfet (1975 : 49-51)

2. cf. 1est t a v a u x d e \V h i te, e n par tic u 1i ers a cl é mon s t rat i c n rel a t : v ~

à l'introduction de l'étrier dans l'europe du VI!lè siècle, "trop

belle pour être vraie".


n'en résolvent: force est de constater que pour remarquable (voire

juste) qu'elle soit, une intuition ne demeure jamais qu'une intuition.

A cet égard, certains travaux d'A. G. Haudricourt ou de R. Cresswell

(3) ne pou v aie n t qu' i ne i ter à con si dé r e r d 1 un 0 e i l no u ve au les

rapports entre technique et société.

La technologie "science des forces productives" (4) -~

dispose d'outils méthodologiques et théoriques longuement élaborés,

dus à M. Mauss. A. Leroi-Gourhan ou A. G. Haudricourt, pour s'en

tenir aux pionni,ers de la discipline i leur combinaison fournit

une grille de lecture des phénomènes techniques qui ne demande

1 qu'à être affinée.

de "l'économique" (ou de "techno-économique'"


Par contre au sein des travaux relatifs à la place

dans les systèmes

1 sociaux, le domaine propre aux rapports entre les (orees productives

(ou système technique en géné..ta.l}'e.t t'~~e.=b.t.e.. d.u. système social

1 est quasiment inexploré

relatif aux rapports sociaux de production.


à la différence du champ de recherc!:le

1 Misp.s à part les propositions théoriques de R.


la démarche qui se
Cresswell, sur lesquelles n o u s reviendrons

rapproche le plus de notre problématique est celle de A. Leroi-

Gourhan (S) lorsqu'il propose une typologie des sociétés fondée

sur une base technologique; mais la problématique qui sous-tend

L ~ ! 0 rn i:l :! •
i-i;l ~,~ - i ~:
1

A . C. COli r ç. Il Do r:l ..;: s t! C .'1 Li. 0 Il Gè S a il. i ::1 ". .V' •


3
R. Cr~sswell (1970 pp. 26-27) suppose un
( i ). 19 62.. .; 0 - 50
lien de causalité entre la précision des outils et celle des statuts

au [ a p o n .
1\ 4. A. G. Haudricourt, "La technologie, science humaine", La Pens,{e,

lIS. 1974. p. 28.


S. L'homme et la matière. 1971. pp. 40-42. Approche reprise par

H. Balfet, in Cresswell. 1975, pp. 55-58. A. Leroi-Gourhan était

également au coeur de n otre probl~matique lorsqu'il ahordait -

ln 0 Ir! ..: il t ,1 n é nrC :: t _ 1 c s P It li n ,\ m .c 1\ c s des ï m b i 0 S.: tee h 1\ i que, (L. - G . 1 ~l


1 102 l

1
1
1 cette tenta tive - appré hende r une"h iérarc hie des ens~m bles
techn iques "

~ aband onner
- le .c o n d u Lt
et des socié tés auxqu elles ils corre spond ent

1 l'idée d'une class ificat ion se fonda nt sur


des critèr es purem ent

poten tielle ment ~qui-


techn iques : "le nivea u de techn icité est

1 valen t chez tous les homm es,

que socio -écon omiq ue" (A.


il n'y a donc d'au.t re 'hiéra rchie '

Leroi -Gour han, 1971, 41).

1 L'hyp othès e de R. Cressw el1 est relati ve au rappr oche-

ch n i que s con s i d é r sen


1 men t des car a c t é ri s t i que s des s y s t ème ste
é

x au sein àesqu els se


eux-m êmes, de celles des systèm es sociau
ns dire sous- systèm es)
sont dével 6ppés ces systèm es (nous devrio
1 techn iques (Cres swell , 1972 ).
"1
i
,
,;

I!

1 ./
Nous repren drons cette hypot hèse ~ notre comp te,
'j

non sans ajout er quelq ues remar ques.

1 1. Tout en prena nt garde aux déter minis mes


"prim aires" ,

1 ilyalieu nous semb le-t-i l,

--
qui existe nt entre les systèm es techn iques
d'exp lorer systé matiq ueme nt les liens

et les systèm es sociau x

ces causa lités, ne sont


1 afin d'en appré cier les eifets i ces liens,

pas à sens uniqu e 1 e s pra t i que ste c h ni que s s on t l' 0 b jet d ' un
c on t rO 1e

direc te-
mais certai nes d'entr e elles reten tissen t
1 socia l comp lexe,

ment sur le systèm e socia l i une coopé ration


techn iquem ent néces saire.

le du trava il
par exem ple déter mine pour partie l'orga nisati on socia

1 lors de sa mise en oeuvr e. C'est lorsq u'elle conce rne un seul


~tre l:l·ptt :;
sv s t è rn e s o c La I que c c t t e appro che s e rn b l e devoi r

1 fécon de; le c o rn p a r a t i s m e impli que en effet une perte


tre des ensem bles rela-
d'info rmati on,

la comp araiso n ne pouva nt interv enir qu'en

1 tivem ent homo gènes . Elle perme t en partic

concr ètes de relati ons dont on établ it génér


ulier de saisir les m o d a l Lt s

aleme nt l'exis tence


é

1 théor ique.

1
1
1
1 103

2. Dire qu'il existe des analogies structurales entre

systèmes techniques et systèmes sociaux. c'est émettre une propositon

extrêmement puissante. mais q:1Ï n'en demeure p'1S moins une hypo-

thèse fragile, tant que certains points n'auront pas été éclaircis:

-où et comment appréhender la (les) structure (s)


)
d'un système technique?

-qu'est-ce qu'une analogie structurale (dans le c a s

présent) ?

De ces deux questions. la première fait partie

de nos préoccupations théoriques, mais la seconde n'éveille en

nous aucun écho. Quelles que soient les réponses qui leur seront

apportées, chacun s'accordera sans doute à r e c o n n a î t r e que l'une

---------'
des tâches les plus urgentes du e.c.h n.c k c g ue-'~::'~ d.e. s s o u d r e les pro-

1
t . ë

bl è m es posés par la "simple" description des phénomènes


!
technique~·.

En limitant le domaine technique aux phénomènes

relatifs à l'action de l'homme sur la matière (6) nous distinguerons

arbitrairement trois ordres des faits techniques et considérerons


..
1 que l'on peut rendre compte d'une t:chnique par la description et

l'étude des moyens de travail, des chaines opératoires et des

1 connaissances techniques.

Les ~-9_ v c r:..~~ r a \ l (7) o n [ con s t i u ~ Jo c e .i ur' lob i c

1
t J. \' t 0 t

1 6.

7.
Après R. CresS'."ell,

Terme moins restrictif qu'outils.


-1974 - 823-828.

Nous appelons "moyen de travail"

1 tout objet matériel utilisé dans un processus technique

Le Capital li v r e ch. VII.


j cf. K. Marx,

1
1
1
-1
104

~ d'étude p r i v i Lé g i des t e c h n o l o g u e s . s a a s doute parce que les seules

1
é

t r ace s mat ri e 11 e s deI' a c r i '1 i cé h u !:l a i il e s e r a p p 0 rte n t ~ cet t e


, ;
é

i: c at g o r l e de faits techniques. Ce?enda:::t la voie ouverte par

1
ë

A. Leroi-Gourhan n'est pas totale rn e a t explorée et la zn é t h o d o Lo g i e


i!
de leur étude demande à ê t re c om pl é r ë e ainsi qu'en atteste par

exemple le vaste problème des indices {Cresswell, 1965, S3 s q

1972, 23 ).
_ .. ..
"

1 'Les connaissances tec:!:!niquc:s comprennent à la Cois


1

1 le discours . : acteurs,

auquel l'ob e r v a t e u r n e p e u t avoir


s po n t a n é 0- ::0::.

2.C'::~i
et le savoir ir::!plicite

d Lr e c t e m e n t , Elles sont

I~
généralement i g no r é e s d a n s les é;:uées r e c h n c l c g i q u e s (S) (sans

doute parce que La i s s a a t peu. de t r a c e s ra a t é r l e l Le s ) , voire m ê rn e

omises dans les définitions du d o zn a La e c e c h n i q u e i- elles en sont

1 p o u r t a n t un é l é rn e n t essentiels, ne serait-ce que parce

1
qu'elles forment un préalable nécessaire à toute p r a t i q u e

technique. La difficulté de leur s a I s i e ne doit pas faire oublier

1 a co rn pie x i t des ch 0 i x e t cl e s l a:' 0 rat ion sin tell e ct u e Is n O!J

1
é ë

exprimés et souvent non exprimables qui a c c o rn p a g n e n t co u e

processus technique. Par ailleurs l'acc~s au savoir t e c h n Lqc e et son

1 a s s i rn i La rl o n impliquent un c o n t r

titre que les activités Lrn rn é


ô I e social et un travail,

d i a t e m e n r p r o du c e Lv e s , Il e s z certain
au rn ë rn e

1 que notre analyse ne peut pas a p p r

des processus mentaux largement inexprimables tels que ceux qui


é h e n d e r de manière exhaustive

1 p e r rn e t t e n t à un acteur de s u i v r e la piste d'un animal, de d é t e r m Ln e r

1 8. Elles n'entrent que p a r c l e l I e rn e a ; d a z s le champ de l'et~nosciencc.

1
1
1
1
1
1 105

1
1
1 l'e~placement d'une plante donnée ou de décider "qu'il est temps"

1 de procéder ~ une quelconque opération donnée; une partie du

savoir-faire consiste en la saisie et l'interprétation d'une multitude

d'indices qui ne deviennent parfois efficaces qu'après des années


1 voire des d i z a i n e s d' a n n é e s de pratique: A d ë faut de pouvoir

espérer rendre compte de ce type de démarche, nous ne devons pas

1 ignorer cette dimension des phénomènes techniques.

1 De plus, indépendamment de leur place au sein des

phé n o m è n es technique s, les c o n n a i s s a ne es re qu i èren t notre a tte ntion

1 pour un second ordre de raisons.

uniquement technique j
Le discours technique n'est pas

il relève largement du système des représen-

a t i o n s et constitue un des ensembles de faits dont l'analyse devrait


1 t

nous permettre de saisir un de s liens existant entre système technique

et système social (9).


1
Mais ce sont les processus techniques qui retiennent
1 pour l'instant notre attention. Sous ce terme nous regroupons l'en-

semble des opérations enchainement d'actions sur la matière,

1 attentes etc. qui interviennent lors d'une activité technique.

1 L'étude des processus techniques. Compte-tenu

des i g n 0 r a n ces e t des i ne e r t i tu des qui P ë.s e n t sur 1a pro blé mat i que

générale de la recherche relative aux r ap p o r t s entre "système


!
technique" et "système social" nous noufs sommes volontairement


9. Pour l'ébauche d'une étude du discours é:nis à propos de phénomène 5

techniques, voir Lemonnier, Heral, 1975

)
1 106

1
1
1 absten u jusqu 'à prése nt d'app orter à notre vocab ulaire
une précis ion

est temps de défin ir


qui aurai t été fallac ieuse (artif iciell e) ; il
1 quelq ues uns des terme s qui revien drons régul
ièrem ent dans la suite

de ce trava il.

" Nous postul ons que l'ense mble des phéno mène
s strict e-

1
0. _- ...

matiè re, forme nt au sein


ment relati fs à l'acti on de l'hom me sur la
doté d'une certa ine homo -
d'un group e donné un "systè me techn ique"

1 généi té. Ceci se rappr oche on le voit, de ce que A. Leroi -Gour han

pre s s ion "m i li eut e c hn i que" (1 9 7 3 : 3 4 0 - 3


43 ). N 0 us
dés i g n e par l' e Je

1 emplo yons le terme "systè me" par analo gie

"systè me politi que" "écon omiqu e·'", etc.


avec les expre ssions

tout en étant consc ient

itatio n de-te ls doma ines et


1 de la part d'arb itrair e que recèle la délim

de l'état de l'anal yse_d e systèm e en scien


ces socia les (10).

1 Une chain e opéra toire "série d'opé ration s qui t r a n s f o r «

(Cres swell . 1976) , es t


ment une matiè re premi ère en un produ it"
1
1
const ituée d'acti ons sur la matiè re de phase s de prépa ratio n. maté-

de ces action s, et de temps morts , néces saires ou non


rielle ou non,

1 à l'obte ntion du résult at techn ique visé. Ces éléme nts ont une

se dérou lent simul taném ent


dimen sion temp orell e: ils se succè dent,

1 ou se cheva uchen t i si une chain e opéra toire

une fin,
possè de un début et

elle n'est pas néces sairem ent linéa ire.

1 Aussi en emplo yant l'expr essio n proce ssus


techn igue

plus large que celui


voulo ns-no us défin ir un ensem ble de faits

1 10. Barel (1971 )

Re vue Fra n ç ais e de Soc i 0 log i e 1970- 71

1
1
1
1
1 107

1
1 que représ ente une chain e opéra toire. Une
activ ité techn ique peut

inaiso n de plusie urs


d e rn an d e r l'orga nisati on relati ve et la comb
1 chain es opéra toires ; cette organ isatio n et
son dérou lemen t dans le

temps forme nt un proce ssus techn ique.


1
de chaîn es
Il nous faudr ait encor e nomm er les "part ies -:~ .
- .-" ...

1 op é r a t o Lr e s P rn a Ls nous verron s plus loin que cette


quest ion est

e.
étroit emen t liée au sujet même de cet articl

1 r e indiss ociab le
On a souve nt insist é sur le c a r a c t è

1 du coupl e geste -outil (Haud ricour t,

32 ; 1964 : 31 ; Leroi -Gour han 1965 : 35 s


q]
1940 : 760 ; 1948 : 54

j
j 1955

l'acti on sur la matiè re

conna issanc e de L' o u t i I


ne peut être comp rise qu'en .comp létant la
1 par la c o n n a Ls s a n c e- du geste qui le met en
oeuvr e, il est inutil e d'y

comp orter, à
reven ir. L'étud e d'une pratiq ue techn ique doit donc
1 côté de la descr iption des moyen s de trava
il et des conna issanc es

entes action s sur


techn iques mobil isés, la descr iption des différ
1 la matiè re mises en oeuvr e, de leur succe ssion
(chain es opéra toires ),

de leurs agenc emen ts relati fs. etc. On const ate cepen dant que les

1 descr iption s de chain es opéra toires dont on


dispos e aujou rd'hu i

le plus souve nt,


ne sont pas homo gènes et ne perm etten t pas

1 de procé der à. leur étude . Les analy ses de

plus rares encor e.


c h a l n e s opéra toires sont,

a fortio ri,

1 Privil égier ainsi l'étud e des proce ssus techn


ique s

préci ser.
ne va pas sans présu pposé s qu'il impor te de
1
techn iques .
En porta nt notre intérê t sur les proce ssus
1 nous affirm ons impli citem ent qu'il est pertin
ent d'ana lyser un

1
1
1 f:
1,

,
1

1 l'
1
li
1 108

s y S t ème te c h ni que en soi. C' est di r e qu'il ex i ste d e.s car a ct é ris t i que s

socialement déterminées au sein du seul système technique d'un

gr 0 u p e, e t que 1 e sac t i vit é ste c h ni que s peu ven t ê t r ecu 1tu r elle m-e n t

marquées, indépendamment de l'organisation sociale qui les a c c o m p a >

gne. Ai:lsi par ex e m pie a van t des e pré 0 CCII P e r cl e s a v 0 i r que cl ~ u x

coopérants sont des alliés ou que leur action est contrôlée par un

troisième individu, il importe de s'attarder sur le fait que la t â c he

accomplie requiert le travail de deux hommes. Notre hypothèse est

que ce simple fait peut avoir une si gnification culturelle.

Il ne s'agit donc ni de répéter après M. Mauss

(1934) que les plus "élémentaires" de nos gestes portent une marque

1 sociale, ni de nier l'existence d'un déterminism-e technique qui

li mit e 1 e cha m p des var i a n te s cul t ur e 11 e s p 0 s s i b 1 e s dan sie ci 0 mai n e cl e

1 l'action de l'homme sur la matière '(Leroi-Gourhan, 1971: 14-15;

27 sq ; 321 sq) mais de chercher o ü , dans un processus technique,

1 peut se situer une caractéristique culturelle.

allons le voir. le problème de "la


Ceci rejoint,

mesure de l'écart entre tendance


nous

et fait" (Balfet, 1975 : 72).


1
Ra p pel 0 n s que L e r 0 ï"- Go u rh a n a nom m é t end a n cel a
1 loi qui a 'S soc i e née e s sai rem e n t u n t y P e cl' 0 b jet (e t d e g est e) a u x

caractéristiques déterminées, à une action donnée sur la matière

1 il existe par exemple un ensemble de conditions représentant

"un minimum nécessaire pour qu'un h o m rn e moyen, depuis le

1 Néolithique, taille du bois". L'herminette s'impose alors comme

outil dont les propriétés correspondent à ces conditions minimum

(Leroi-Gourhan) 1971 : 323-324). Mais sur la base de principes


1 généraux, directement déterminés par la matière et le type de

transformation que l'on désire lui faire subir, existent des faits
1 -,:
techniques qui apparaissent de plus en plus individualisés (culturelle-

ment marqués) au fur et à mesure que s'affine le regard que


1 l'on porte sur eux.

1
îC9

Le déterminisme technique ne concerne pas seulement

les objets adaptés ;\ un effet sur la matière j il concerne également -

~ l'évidence - les processus techniques. Aussi sure ment que les

contraintes m a t é r i e l l e s du t r a v a i l du bois "To n t naître" l'herminette.

le I a ç o n n a g e d'un tronc intervient - généralement - a p r è s

que l'arbre ait été abattu, dépouillé de ses branches, écorcé, etc.
1 Il n'en demeure pas moins qu'il existe des processus techniques

équivalents (non h i é r a r c h i s a b Le s } qui aboutissent ;\ des résultats

identiques j dans un tel cas nous parlerons de ~iantes. Elles

peuvent concerner les techniques mises en oeuvre elles-mêmes

un mur peut -être b â t i en pierre, en torchis en bois ••. mais éga-

1 e men t 1 e s é 1é men t s - 0 u c e r t ;], i n s é 1 é 'rn e n t s - du pro ces sus t e c h n i que

1 s'il est par exemple nécessaire de poser des briques les 'unes- sur

les autres pour b â t i r un mur 1 c'est ~ las'uite d'un "choix"

1 arbitraire (c u l t u r e lLe rn e n t déterminé) que' le constructeur le monte

sur toute sa hauteur, portion par portion, ou au contraire sur toute

sa longueur, en posant les briques rang par rang. De même il y a


1 lieu de se demander si c'est à la suite d'un déterminisme technique

ou social (ou par hasard?) qu'un acteur choisit ou façonne le manche


1 d'un outil avant sa lame, ou vice-versa.

1 Nous nous proposons d'étudier au sein des processus

techniques, les phénomènes relatifs ;\ l'ordonnancement des opérations,

1 ;\ leu r c 0 m b i n ais 0 n , ;\ 1 e urs u b s t i tut ion, q'u ' i', s soient ou non

appréhendables en utilisant un (hypothétique) critère d'efficacité.

1
Cette perspective de recherche peut aussi bien être

1 a p pli q u é e à une m ê met e c h n i que,

q u l a u x diverses techniques présentes dans une unique société


a t tes t é e dan s dive r ses soc i été _s ,

1 (système technique).
/
f

1
1
1
1 l,
1'10

1,
1
, Dans un premier temps de notre approche, nous nous

orientons vers la recherche d'une caractérisation du déroulement


1 des processus techniques fondée sur l'utilisation du temps et de l'éner-

gi e , sur "l'importancil" du processus considéré par rapport au


1 r é sul ra t etc. C 'e s t , pen son s - n 0 us. à l' a i è e cl e cri t ère! ~,I: s~i

grossiers qu'il sera possible de repérer d'éventuelles "régularités"

(il serait hasardeux d'employer un terme plus précis) au sein


1 des phénomènes techniques. On constatera alors, peut-être, que

1 certaines techniques ou certains moments de processus techniques

se déroulent suivant un ordre strict, ou au contraire fort variable

1 que dans certains cas la dépense d'énergie (ou de temps) est démesurée

par rapport ~ l'efficacité p.otentielle des pratiques techniques dans

1 le milieu technique considéré, ou enfin q u e i.t o u t processus tech.nique

don t l' e ff i cac i t é est li é e . à l' a c h è v e men tes t s Y sté mat i que rn-e-n t men é

à SOLI t e r m e ou au c o n tr a i r e, fréquemment interrompu (11).


1
Ce type de caractéristiques. prenant largement
1 en compte le déroulement des processus techniques, nous semble

être un des moyens de cerner les problématiques "structures

1 te c h n i que s". Not 0 ns qu' U Il e des a pp 1 i c a t ion sim m éd i a tes cl e ce

type d'analyse serait la détermination objective 'des t â ches

1 "stratégiques", "complexes", etc. au sein d'une technique ou

d'un système technique. Complétés par l'étude de leur prise en

charge sociale (contrôle, organisation du travail, etc,) les résultats


1
1 11. -C'est J. Vignet-Zuns qui a attiré l'attention de notre groupe s u r
cette caractéristique de certains processus techniques, sur
1 l'exemple des c h a i n e s opératoires relatives à 1:1. poterie.

1
1
11 '\

o b t en u s for m e rai e nt une n sem b 1 e d 1 i n for mat i ons p e r met t a nt de

saisir un moment privilégié des rapports entre système technique

et système social. Nous illustrerons ces propositions dans la seconde

p a rt i e t:~ <;,ot a r i i c l e .

Problèmes méthodologique s.

La description des processus techniques implique

de répondre à deux questions: que décrire, comment décrire?

Nous possédons déjà un élément de réponse à la

première question: le domaine concerné par notre démarche est

celui des activités techniques. Ainsi par exemple, lorsque nous

rencontrerons des séquences gestuelles. nous ne retiendrons que

celles impliquées dans une transformation de la matière j elles

peuvent certes avoir des fonctions secondaires, d'ordre symbolique

ou esthétique (Koechlin, 1972 : 165-167) dont on aura à rendre

compte, mais c'est leur fond technique qui nous intéresse ici.

Mais les processus techniques se présentent comme un

continuum d'"opérations", de séquences gestuelles et de gestes,

eux-mêmes décomposables et analysables en termes anatomiques ou

physiologiques. La question se pose alors de savoir où porter notre

regard. Nous voudrions ici insister sur le fait qu'il n'y a pas a

priori de niveau d'analyse plus pertinent qu'un autre, déterminé

par un q 1.J e 1con que "b 0 n sen s". Il fa ut par con t r e r e con na rt r e que

notre champ d'analyse est limité par des facteur matériels. Nous"ne

savons pas étudier le détail d'un geste ("prendre une pomme"), et

nous n'en avons pas les moyens en hommes, en temps et en matér i e l .


If -

112

. Cela ne signif ie en aucun e façon - jusqu 'à preuv e du contr aire - que

se situe nt pas à ce
des éléme nts à signif icatio n cultu relle ne
voire à un nivea u
nivea u (mouv emen t des doigts par exem ple),

de détai l inféri eur (?).

quelc onque
Si nous pouvo ns postu ler l'exis tence d'une
l'';;,
, aucun éléme nt objec tif ..
logiqu e intern e aux phéno mènes techn iques
able à traver s des
ne nous indiq ue par contre qu'ell e sera repér
ou des opéra tions, ou
phéno mènes d'ordo nnanc emen t des activ ités
ne e s g est ue 11 es , ou
(/ et) à t r a ver s un e s y n t a g ma t i que des s é que

ailleu rs.

Pou r des rai son s pra t i que s J no usa n.a 1 ys e r 0 n s des

par des séque nces


faits dont les plus détail lés seron t const itués
a l l a n t des phéno mènes
gestu elles plus ou moins longu es. Ainsi} en
partic uliers , nous nous
tes plus globa ux aux phéno mènes les plus
"techn ique au sein des
attach erons à carac térise r la place d'une
différ entes c h a Ln e s opéra -
activ ités d'un group e, l'agen ceme nt des
ique donné , ainsi
toires mises en oeuvr e dans un proce ssus techn
à l'inté rieur de chaqu e
que l'orga nisati on des séque nces gestu elles
(etc. ) d'une chain e
opéra tion, de chaqu e étape ou sous- étape

opéra toire.

Avan t de cherc her une métho de de descr iption


plus loin qu'el le n'est
des proce ssus techn iques - dont on verra
de consu lter des exem ples
qu'em bryon na-ïre - nous avons jugé utile
techn ique, réalis ée parfoi s,
de descr iption systém atique de proce ssus
ions.
on va le voir, dans un but très éloign é de nos préoc cupat
Il 1 115
1 1

1
1 1. Les méthodes de description

La majorité des analyses ou méthodes d'analyse que

1 nous avons consultées

tement visible; seul L.


est fondée sur l'observation d'un compor-

Barnier (qui propose une méthode d'étude

1 1
des m o u v e rn e n t s réalisés lors de pratiques sportives) c o m p l

s c n a n a ! ys C l' méc a ~~ i q u e ,. P à r il nè ., ~.1 al)' sep h :: ~ i 0 log i q 11 C Il)


è t e

fa i .i a ;~ t
i
1 1
intervenir le détail des mécanismes musculaires.

Le principe d'une analyse multidimentionnelle


1 est développé par Leroi-Gourhan et Cresswell / ER 191 j seule une

a n a 1ys e- de c e t y pep e r met e n e if e t des ais i r i ' e n sem b 1e d' e s fa c te urs

1 qui déterminent - ou sont susceptibles de déterminer - le contenu

d'une chaine opératoire. Leroi-Gourhan propose d'utiliser comme

1 critère de découpage des c h a i ne s opératoires l'entrée (lien s c ë ne v ï

des outils, le geste et l'évolution du produit. Cress..well / ER 191

1 1''t'opo~eU1: d'ajouter à cette liste: le découpage indigène,

implicitement retenu par B. Koechlin, et l'intersection avec une


critère,

1 autre chaine opératoire. Remarquons que l'évolution du produit

(ou l'''évolution de la matière") constitue un critère objectif,

directement lié à la nature du processus observé. Il est utilisé par


1 exemple par M. Godelier (1969 : 13 ; 1973 : 199, 201) et dans

l'analyse des postes de travail de l'industrie (B. T. E., ·1963 :

1 84). Notons qu'il est cependant plus facile d'apprécier l'état de

transformation de la rn a t Lè r e dans ce dernier cas (Ille diamètre

1 extérieur de la p l è c e est ébauché"), que dans celui des techniques

que rencontre habituellement l'ethnologue.

l' Les découpages les plus souvent rencontrés sont

1 relatifs aux s q u e n c e s gestuelles ou aux opérations réalisées


é

sont fondés sur le repérage J'actions sur la matière et / ou de


j ils

1
1
1
1
1
1
1
1
!
comportements. Des o p é r a t i o n s s t a n d a r d s peu:ent être explicitement

1 cl é fin i es: c' est 1e c s s des the r b 1i g sut i li s é sen a na 1ys e dut r a va i 1.

Diverses s q u en c e s gestuelles (therbligs) ont un contenu connu u n e


é

1 fois pour toutes; leur définition abstraite d c i

Ainsi le therb!i; "grasr" r e ç oi t 1:1 d é


t permettre de les r e p

I i n i t i o n ; "begins w h e n h a n d
é re r

1 or body m e rn b e r touches an object. Consists of gaining control of an

object. Ends when control is gained Il (1965: 64). La critique de ce

type de décompositions est immédiate: elles sont arbitraires, et


1 elles postulent l'indépendance d'opération qui sont liées dans la

réalité (De MONTMOLLIN) 1961 : 10 ; Ombredane et Faverge

1 110-111). Par ailleurs elles ne fournissent aucune indication sur le

détail des séquences gestuelles accomplies (Haudricourt, 1964 : 31).

1 Une démarche Je même nature, mais implicite se

1 retrouve en éthologie. Les mouvements d e: parade du Canard colvert

·sont par exemple décrits comme: 1) mouvement du bec de bas en haut

1 2) ébrouement et redressement à l'oblique; 3) agitation de la queue

4) grognement sifflé; 5) etc. Une telle description n':t évidemment

de sens que dans la mesure où des expr.essions telles que "ébrouement et

redressement à l'oblique" ont une signification unique pour le spécialiste,

ce qui est sans doute le cas en éthologie, compte-tenu du caractère-

1 stéréotypé du type de comportements étudié.

1 L'utilisation d'unités standards prédéfinies (mouvements,

s é que ne e s g est u e 11 e s J a ct ion sur 1 a mat i ère) ne peu t s -e jus t i fi e r que

1· lorsqu'elles sont définies sans équivoque ou lorsqu'elles laissent une

marge d'interprétation qui ne grève pas leurs possibilités d'application.

1 C'est le cas dans l'exemple ci-dessous,

de cuisine (qui ne sont rien d'autre que de s descriptions de chaines


tiré d'un livre de recettes

1 opératoires) :

1
1
1
115

"-Passer les filets de poisson II la moulinette pour les

b a c b e r très finement. Travaillez-!es avec le pain trempé dans le lait

chaud, les jaunes d'oeuf, sel poivre, puis les blancs en neige ferme.

- Gril i s sc r g é né r eus e men t un mou 1e II sou f fl é. Vers e z 1e m é 1a n g e

dedans. Couvrez de papier d'aluminium" etc.

Cette description, qui fait appel II des termes

désignant des o p r a t Lo n s prédéfinies ("travaillez-les avec le pain


é

trempé") est parfaitement adaptée II son usage par les ménagères.

Elle est relativement inutilisable si nous nous Ln t é r e s s c ns à la technique

cu li n air e. Il n' est pas ce rt a i n que 1ete c h n 0 log u e pu i s s e dei a me me

manière renvoyer à un savoir implicite 1 même lorsque les termes

employés dans la description sont apparemment sans éq~ivoque

(B. Koechlin présente par exemple "claquer les talons" c om m e un

élément de séquence gestuelle invariable (1972 : 165) alors qu'il

existe .c.h e z les militaires une bonne et des mauvaises manières de pro-

céder II ce mouvement (qui n'est d'ailleurs pas essentiellement

1 technique).

1 Nous retiendrons de ces tentatives de saisir la réalité

technique. (ou comportementale) II l'aide de catégories explicitement

ou implicitement défiuies, qu'elles se heurtent - tout comme nous


1 d' a i Il e urs - a u pro b 1ème de la dé t e ~ min a t ion d' un ni veau de description

pertinent. Par ailleurs, les plus détaillées des descriptions demeurent


1 souvent imprécises.

l' Plu sie urs a u t e ·u r s ses 0 nt i nt e r r 0 g é s sur l' e x i ste n c e d e

séquences de gestes ou d'opérations - susceptibles de se reproduire

1 de In a n i ère ide n t i que dans des co tl tex tes d if! é r e nt s.

1
1
1
1

116

,
:
j Koech lin (1972 . 162-1 66), selon
~. C'est le cas de B.
pes de mouv emen ts
qui on devra it pouvo ir déterm iner des "grou

1 t r a d Lt i o n n e l s simul tanés ", qui seraie nt l'obje


t d'une "sorte de deuxi ème

tout en nous garda nt de


articu lation ". Nous retien drons cette idée,

li nous prono ncer sur l'anal ogie lingu istiqu e


/ "gest ique" dével oppée

" et l'ana logie avec la


par cet auteu r. Son "part i pris pour la forme
r sur la natur e de ces
lingu istiqu e l'entr ainen t en effet à s'inte rroge
iantes et li. expli quer
unités de mouv emen t(s) (relat iveme nt) invar

I~
peuve nt [ . . . ] prése nter
que "des systèm es de dynam ique corpo relle
xte perm ettra de dire qu'il
z
• des cas d'hom omorp hisme où seul le conte

I~f s'agit d'opé ration s techn iques différ entes ",

i o n est
Or nous ne savon s pas si ce type de q'u e s t
nterr oger sur le "sens "
pertin ent. Autre ment dit, y-a.t 'illie u de·s'i
ique? Ajout ons que
d'une s"éq-u euce gestu elle à effica cité techn

1 B. Koech lin est sans doute amené li. se poser


ce type de quest ions

moins dans son argum entati on)


parce qu'il s'inté resse essen tielle ment (au

1 à des proce ssus gestu els à effica cité symb


olique (clin d'oei l, hoche ment

de t t e , voire déma rche m'ilit aire) tout en


ë
ayant rappe lé, après

1 Haud ricour t, que "b foncti on primo rdiale

des group es socia ux" e s t l'effi cacit é techn


de l'acti vité gestic ulato ire

ique. Son appro che garde

rne une activ ité gestic u-


1 par contre tout son intérê t lorsq u'elle conce

l a t o i r e symb oliqu e.

1 Nous ne retien drons , pour notre part, de l'idée

plus immé diat: il doit être


d'une "synt agma tique " que son conte nu le

1 possib le d'isol er des s q u e n c e s gestu elles


é
- plus ou moins longu es et

ou là ; et - d'une rn a n i re
comp lexes - susce ptible s d'app arattr e ici
è

1 plus génér ale, des suites d'opé ration s - il


Y a lieu de s'atta cher

1
1
1
1
117

1\,
~ lés repérer, ne serait-ce que pour réduire le nombre des informations
retenues dans la description.

c'est une notion que l'on trouve d é j à chez

M Mag~t (1962 : 39-43) et en a n a ly s e du travail (B.T.E. 191i3 : 4ï ).

Le lI g e s t e élémentaire" est pour M. Maget "d'un seul tenant" et "dans


~'."

son exécution normale, il est, sauf accident, ininterrompu"

(ex ~ "un coup de rabot, de lime"). Sa description doit faire appa-

r a t t r e la position initiale, la trajectoire, le point d'arrivée, le

retour à la position initiale, l'amplitude de la trajectoire et la

durée, toutes indications nécessaires, mais pour lesquelles il est

difficile d'établh- une présentation simple (12).

Les analystes du travail définissent des "éléments

de travail" ; ils sont "-susceptibles de se reproduire identiquement

d:-m! d':utres travaux". Ils constituent les éléments les plus détaillés

du découpage des t â c he s :

Pha se

~<-Pha<'
~'ation
~nt de travail

Un "élément de travail" sera par exemple défini

12. Notons l ce sujet avec B. Koechlin (1972 : 183) que le complexité

d'un système d e description n l e s t pas, li. pri:Jri, un handicap i son

apprentissage par l'utilisateur sera t o u j o u r s plus rapide que se mise

en pratique.
1
1 118
,
1

li
i
li
t~
par la formule "prendre axe et goupille".

Il M . .Maget nomme "op€ration élémentaire" des


1
"s é que n ces ho m 0'; è ne set ry th mec 0 m p o s é s d' une s é ri e de me mes
1! gestes" (42), ce qui se rapproche des "familles d'éléments de t r a va i l "
1
r en con t rée sen a n a lys e dut r a va i 1 Il ne précise pas autrement les

1 critères permettant de délimiter de telles séquences, ni leur

utilisation dans l'analyse.

Résumons les enseignements de ces diverses approches

méthodologiques

a. En appréhendant les processus techniques à travers

1eurs man i f est a t ion s -i m m é dia tes - c e qui peu t ê t r e une d é m arc h e r end u e

n ~ c e s.s air e par 1 e seo n dit ion s m mes dan sie s que Ile s _ l' e n q u ~ t e se dér 0 u 1e ,
1
ê

en particulier par les moyens matériels dont on dispose (voir paint e)-

on oblitère des phénomènes qui peuvent, a priori. être significatifs -

on doit être conscient des implications de cette pratique, même s'il

est impossible} dans l'état actuel des choses, de l'améliorer;

b. Une analyse multidimensionnelle est nécessaire.

1 Il va de soi qu'elle sera complétée par la prise en compte d'informations

d'ordre extra-technique {identité des acteurs, origine des matériaux, etc.

1 c , Il Y a lieu de chercher à définir des séquences

1 homogènes au sein des processus techniques,

sur leur "sens" et sans que l'on connaisse, à


sans pour autant s'attarder

l'heure actuelle, de c r i t è re

permettant de déterminer leur dimension minimum (voit point e)


1
d, Dans la recherche de ces séquences homogènes,

1
1
1
1
1 l 'j

li

Il

Il
1 i les t pré f é r a b 1 e de d é fi n i r des un i tas s.a -=lu
e n t i e Il e sad a pt é e s l cha que

retenu s (état de la matiè re,


objet , en fonct ion des critèr es d'ana lyse
Il inters ectio n de c h a Ln e s opéra toires , etc.) plutô t que d'util iser des

t, i a d Lg e n e s ou n t res}
catég ories prédé finies (quel les qu'el les soien
ô

1/
e, Le conte nu de ces séque nces homo gènes est

~ probl émati que. On ne peut que const ater après d'aut res, que la

descr iption et l'ana. lyse des séque nces gestu elles relèv e de reche rches

On est condu it ~ se "cont enter " de d e s c r i p t i o n par le texte


Il, future s.

et l'ima ge., utilis an: un La n g a g e a u s s i r i g


o u r e u x que possi ble, mais
1
mple prése nta p:l.r B.
néanm oins "lang age de tous les j c u r s !'; L'exe
li r c h e j i l semb le diffic ile
Koech lin illust re p a r f a Lt e rn e n t cette d m a é

c ise , c o m p t e t e n u de la métho de
de p r s e n t e r une d e s c r i p z i o n plus p r
i-
ê
é

li
utilis ée.

t 2. tes rnétho des d'ana lvse des proce ssus techn


iques sont

e s que les m t h o d e s de d e s c r i p t o a ,
logiq ueme nt - encor e m o i n s dé·... e l o p p
ï
é
é

II./; rn e m e n t somm aires et ne traite nt guère


Elles sont génér aleme nt e x t r ê

1
1 se, en l'occu .ence le
1 en vérité q,u'un e prem ière étape d'u!le analy
stent en des
J! recou rs l des repré senta tions graph iques . Elles consi
des s r i e s d'opé ration s en
tablea ux dans lesqu els on fait c p p a r a c r e î ë

carac térisa nt leur durée (time chart ) le type d'opér atiO:: l r e a c o n t r


1
ë

etc. M. Mage t (1962 : 47)


ou la natur e des acteu rs (nroce ss c ha r t },

cette appro che en


fourn it un exem ple de mise en pratiq ue de
1 ethno logie , a v e c un schém a tradu isant le
f o n c t i o n n e rn e n t d'un

four ~ pain comm unal.


J,
Apr~s ce tour d'h.:ori ze':1 quelq ue peu d é cevaat .

1 mais utile dans ra mesur e o ù il p e r za e t de savoi r d'où p a r t e n t aujou rd'hu i

nos r e c h e r c h e s ..... o u s prése nteron s une é b a u c h e d e descr iption et

1
1
1
1
120

1
1

li
1
1 d'analyse de processus technique, sur l'exemple 'de nos propres

matériaux. [1 ne s'agit en aucune façon d'illustrer une méthode

puisque celle-ci est à établir, mais d'illustrer les directions de

recherche évoquées dans la première partie de cette note. Ainsi


1
essaierons-nous d'échapper au sentiment d'inachèvement, voire de
1
gr a tu i t é qui a c c 0 m p a g n e p a ri 0 i sIe ses sais rn é th 0 dol 0 g i que s .
1
Ebauche d'analyse d'un système technique.
1
Notre exemple est relatif aux techniques de production

du sel marin dans un des marais salants de l'Ouest de la France (13),

celui de Guérande (Loire-Atlantique).

La productio'n du sel représente une des activités

p r a r.Lq u é e s par les m e m b'r e s des communautés riveraines du marais.

Elle prend place à c ô t é de l'agriculture, de diverses activites artisanales.

mais aussi d'activités techniques d'ordre strictement domestique

(nettoyer son jardin, tuer un la p in, etc.). Toutes ensembles elles

forment le système technique du groupe de référence (ici le village

de Clis, commune de Guérande). Le fait que la technique dont

nous avons approfondi l'étude f o n de l'activité économique qui domine

1 au sein de la communauté n'est évidemment pas un hasard. Dans

nos recherches personnelles, nous avons privilégié l'étude de cette

activité de production parcequ'il semble qu'elle entretienne des

liens significatifs avec l'organisation sociale du groupe. Mais notre

1 i n t e n t ion est ici den 0 u ste n i r à l' é t u d e d"~ n s y s t ème t e c h n i que i à

1 13. Les matériaux utilisés sont tirés de LEMONNIER" 1975 b, où les

1 chaises opératoires intervenant dans la production sont décrites

par le texte. mais ne s o n t pas analysées.

1
1
1
121

ce titre. notre essai d'analyse pourrait aussi bien porter sur un

processus technique quelconque'. C'est l'existence de matériaux

adéquats qui a déterminé le choix de notre exemple.

L es marais. salants sont des dispositifs 11. l'aide

desquels on extrait le sel contenu d a n s l'eau de mer par concentration

et évaporation naturelles, sous les actions conjuguées du soleil et

du vent. Les principes physiques mis en oeuvre impliquent la

réalisation d'une série d'opérations:

-la prise d'eau de mer, généralement amenée

jusqu'aux exploitations par un réseau de canaux;

-la décantation et la circulation de- l'eau dans des

bassins ou des réservoirs j

-la concentration de l'eau qui intervient pendant

qu' e 11 e par cou r t des bas sin sou sur f ace sap pr 0 prié es

-la cristallisation du sel dans les derniers bassins

rencontrés (c r i s t a llisoirs).

Ces principes caractérisent tous les types de marais

salants, et en particulier des unités de production aussi dissemblables

d'aspect que les marais de l'Atlantique ou les salines méditerranéennes,

qui s'opposent par la dimension, la périodicité des récoltes, la

productivité, etc . . .

1
A Guérande les premiers réservoirs parcourus par

1 l'eau de mer sont a l l m e n t é s lors des marées hautes de v i v e s e a u x ;

a p r è s a v 0 i r t r a ver s é un lac m a r i n 0 u ver t ver s 1 e 1 a r g e ( t rai c t du C roi sic) ,

1 le flot remonte jusqu'aux: exploitations proprement dites par un

réseau de canaux: dont l'importance diminue au fur et :l. mesure des

1
1
1
1
-------------

,
1 r a m i f I c a t i o n s successives (ce sont des étiers, puis des b o n d r e s .

puis d e s b o n d r e a u x }, Les e x p l o i t a t i o n s sont co nst i t u é e s d'un r é s e r :... o Lr

1 (v a s Lè r e ) qui alimente par g r a v i t é u n e ou plusieurs "salines".'

1 L'eau parcourt plusieurs types de bassins à l'intérieur marne

1 saline. prlnc i pa le m e n t tics fares c ci sont des surfaces d e c o rr c e n >

t r a t i o n et de décantation. et des "oeillets" (cristallisoirs) d a a s

1 lesquels le "sel gris" est récolté,

si les conditions météorologiques le permettent,


en principe quotidiennement,

sous une f a Lb l e

1 couche d'eau très c o n c e n t r é e (14).

son t s é par ~ sie sun s è. e s au: r es? a r è e: s : a lus (" Ï 0 s s é s") q


Les étiers, v a si è r e s et salines

'1 i s e r '; e n t é ~ a-

l e m e n t de voies de c c m m u n I c a t i o n . A l'ir:::érieur de la saline p r o p r e «

ment dite. les d i f f é r e a t s types de b a s s l n s - e t Le s p e c i r s c a n a u x qui

les relient s o n t m a t é r i a l i s s par des d Lg u e t t e s de vase s


é é ch é e (";Jonrs").

1
La ré co 1 t e a li eu l' é ré. de j u i n à se? t e rn b ra.

Elie est cependant très irrégulière; la za o i n d r e pluie i n t e r r o ra p

en effet la p r o d u c t i on, Trois ou q u a t r a orages r é gu l i è re ment espac é s

(toutes les trois semaines par e x e m p l e ) peuvent a n é a n t Lr une récolte.

Pendant l'automne et l'hiver, les s a l i a e s se rec ouvren t p r o g r e s s i v e rn e n t

1 d'eau,

douce,
au hasard des p r

etc ..
é c l p i t a t io n s ,

Les di guettes sont ainsi protégées du gel,


infiltrations parasites d'eau

m a i s le

"battage" d e l'eau et le d v e l o p p e m e a t spontané de la flore d r Lo r e n t


1
é é t é

partiellement les exploitations (déc':>::lposition des d i g u e s , dépôt de

vase . . . ) qui doivent être remises e n état chaque année. Les répara-
1 tions interviennent 'au printemps; leur déroulement est é t ro i t e m e n t

i 14. Le "sel gris" cristallise sur le f o n d de l'oeillet du "sel fin",

"blanc", a p p a r a I'r ~ la s u r f a c e de r'eau.

" 1

1
1
lié 'aux circonstances atmosphériques qui déterminent en particulier

la formation de la vase et l'accroissement de la salinité de l'eau

qui atteint progressivement le seuil de cristallisation du sel.

Le déroulement annuel des activités de production

du sel se traduit par une succession de grands ensembles d'opérations,

rassemblés dans le tableau 1.

1
\
1

Il
\
Î.24

TABLEAU 1

LES GRANDES PHASES ANPiUELLES DU PROCESSUS TECH~[QUE DE PRODUCTION

DU SEL (N[VEAU 1).

l., ~[ENT RESUME DE LA PHASE CONTENU DE LA PRA S E

entretien de l'er:semble -entretie:l d u système de protection c o n t r e la

(a-:>vembre à du marais mer (digues. talUS.,.l


17j:IrS} -entretien des canalisations extérieures aux

unités de p r od u c t l o u (curer. étiers et bondres)

-réparation et r e m p La-c e rn e n t des vannages

<r e c o n s t r u c r Lc n t o z a l e :::es c r Ls r a l l Ls o i r s et de s

f 2. r es (= ",c h au s s age des rn a rai s ) i t 0 us les 20 à

30 ans?our une saline déterminée) ;

-curer v a s i ères
tous les 2 à 5 ans
-p~cher v a si è res

Nota: ces opérations ont des périodicités

diverses; elles concernent des parties variable

du s y s t ë m e de production (portion de saline,

vasière commune •. digue p r o t é g e a n t tout un

secteur du marais i leur moment est plus ou

moins précis; elles sont indépendantes, sauf

"curer et pêcher les vasières",

~ilrintemps" (transport du p r o d u i t} -reconstruire p a r t Le Ll e m e n t vannage principal;

(:nars ~ remise en état des -éliminer eau douce et vase accumulées pendant

JOin-Juillet) exploitations elles-mêmes l'hiver;

-reconstruire les d i g u e t t e s matérialisant les

bassins;

Nota: v o i r d é t a i I au tableau 3

.. -! t é ri
récolte du sel M:1tin -transporter récolte de la v a i Ll e sur les
(J ',,: i no à t a lcs ;
-rassembler au centre des crisL.11lisvirs

les c r i s ta u x formés j
125

MOMENT RESUME DE LA PHASE CONTENU DE LA PHASE

Après-midi -récolter sel fin (éventuellement)

1 -rassembler au centre des


1 cristaux formés depuis le matin et

1
hisser au sec la production du jour
<--
1 - a li men ter en eau 1 e s cris ta lli soi r~'"

I-automne" transport du produit -remplir sacs

1 (Se p t e m b r e hors de la zone de -changer sacs

1 ~ production ou

décembre) stockage -remplir remorque


-déplacer remorque j u s q u I a u x magasins de
1
stockage
1
1
1
Il est à. noter que les inform ation s conte nues dans ce

r a n d a Ls , sont suffis amme nt


table au, bien qu'éta blies sur l'exem ple g u ë

s près (trans port) -


génér ales pour s'app lique r - à quelq ues détail
attest ées dans l'Oue st
à l'ense mble des techn iques de produ ction
sens dans
de la Franc e. Par contr e elles n'aur aient à peu près aucun
éen. Malgr é sa gross iè-
le conte xte de la produ ction du sel médit erran
ais 0 n 1 de repér er les cha i n e s_
r e té, cette grille perm ettrai t, par co m par .}:~ ..
séque nces gestu elles, comm unes à
opéra toires ou simpl emen t les
Ce sont ici les opéra tions
la produ ction du sel et à d'aut res activ ités.
spéci fique s.
de transp ort qui appar aissen t comm e les moins

Notre décou page, qui suit large ment celui effect ué

fa i t a pp a ra r t r e des s é que n ces d' 0 P é ra ti 0 ns


par les a c t e urs eux - m ê mes J

Le tablea u 2 sc h m a t Ls e les relati ons


de plus en plus détai llées.
ë

1 qui lient les différ ents ensem bles de c h a i n


e s opéra toires .

1
~
1

1
1
1
:
1

1
i

1"

1
1
.. :.- a.- :.II ~_._.=-._._~_ .. .
~
.~---!_---~_ . - : .: .: : .- - - - - - - - -
TABLEAU 2

NIVEAUX D'ANALYSE RETENUS


ti2ll : fi. chaque niveau on a souligné l'opération détaillée au niveau suivant.

Temps

~~iYèaU\ ~ •

1 cntJetien de remise ln état récoltJ du sel transport du prodJit hors de la

l'cnsemble du des exploi ta tions zone de production. stockage

marais .._.. . .;. . sss"


1
1 1 1 1 .. - - - -
2 "algir les ~', , ,"déch!uger les (voir TA BLEAU 3)

muID"

\ 1 J 1
3 boucher " (voir TABLEAU 4)

dans les di- épaisseur d'eau

guettes sur le crlstal ll solr

.; dëgager " gralsser"

entrée l'ardoise (voir TABLEAU 5)

~_ ....
d'eau

;;
prendre

palette", (voir TABLEAU 6)

1
[séquence gestuelle
l,
[\
permettant de saIsir la <,

palette] •

.
l''~
v,

--"",---,-""-~ - . -.,...
.--~., ~-- =.-
1 128

1
j
j Il est clair q u e chacune des séries d'opérations ou de

chaines opératoires é s t incluse dans un ensemble d'ordre supérieur.

Il serait vain de nommer chacun de ces niveaux, leur nombre même

varie suivant les processus techniques concernés et la finesse Je

l'observation pratiquée. L'exemple présenté par B. Koechlin

( 1 972 : 1 59) fa i t a pp a r a ft r e qua t r e ni v eau x d' 0 b sel" v a t ion (a ct i vit é ,


~~.:.~.
technique, phase technique, position et mouvements des membres

du corps humain) j notre tableau 2 en retient - arbitrairement -

six j nous nous contenterons, faute de mieux, de les numéroter,

1 plutôt q~e d'essayer de les caractériser.

Dans ce qui suit nous n'avons développé qu'une

branche de l'arborescence, en chacun de ses niveaux, pour des

raisons évidentes. On notera au passage l'importance du volume

d'informations susceptibles d'être rassemblées dans une description

'"'exhanstive" de ce type.

La d e s c r i p t Lo n des opérations qui prennent place

au printemps ("habillage du marais" ; tableau 3 fa i t :l. p p ara tre


î

une succession de c h a i n e s opératoires: "algir", "faire le tour"

1 Ce rtai ne s d' entre elles se dé r.o u Le nt si mu l t a n é me n r , A insi on

commence de reconstituer les d i g u e t t e s séparant les fares alors que

1 l a vas e et les dép ô t s v é g é tau x qui en 0 nt été r et i rés n' 0 n t pas t 0 t ale men t

été transportés au pied des talus. Cette opération s'effectue en effet

1 en plusieurs fois,

d Lg u e t t
la vase s'égouttant peu ~ peu.

e s matérialisant le canal par lequel l'eau est amenée aux


De même, les

1 cristallisoirs - elles en constituent le quatrième côté - s o n t remises

en état pendant que d'autres achèvent de sécher.

1 Le schéma est général. Il traduit un processus

1
1
1
1
1 129

1
1

standard dont c h a c u n r e c o n n a t la nécessité et la nature immuable.


î

1 En apportant cette précision, nous intégrons à notre description

des éléments d'explication des phénomènes observés. Il s'agit

uniquement de préciser le~pourquoi'd'une pratique. en s'interrogeant


1 sur ses effets sur la matière et sur leurs conditions d'apparition. Dans

le cas présent - qui est un cas particulier - les phénomènes physiques ~.~,
1 et chimiques responsables des contraintes qui pèsent sur la démarche

des acteurs sont effectivement ceux auxquels ils font référence dans

1 leur discours, spontané ou non (connaissances techniques).

Il va de' soi que dans un autre contexte, nous a urions à étudier

séparément le discours technique des a c t e u rs et la réalité des

P h é nom è n e s 'p h ys i que sen cau s e ( c e qui i m p li que J dan s l a m a j 0 ri t é

des cas, le recours à la collaboration d'un spécialiste des "sciences


1 exactes"). Cette parenthèse étant refermée, quels commentaires

{analyse) peut-on apporter au tableau 3 ?


1
Il montre le r ô l e des contraintes nées de la matière

elle-même, dans le cadre du traitement dont elle est l'objet. Dans

l'état de la techni-que utilisée, des contraintes physiques telle que

la vitesse d'écoulement de l'eau à marée basse, la vitesse de

séchage de la vase (liée à sa salinité, donc en grande partie aux

conditions météorologiques), etc., pèsent lourdement sur le

déroulement des c h a i n e s opératoires et leur succession, au point

que certaines opérations ou les prises de décision à la suite

desquelles elles sont entreprises, peuvent être qualifiées de s t r a t é >

gi qu es, D'une manière générale nous nommerons "stratégiques"


r des opérations dont la réalisation imparfaite grève l'obtention

d u résultat technique final. Dans le cas de la production du sel

Il 1
- - - - - - - - -------._---_0.-.-.....'-,---------_--1-
- ~
TA BL EA U 3 : dé t a Il dei a p r ~ p Il rat 10 n cl u mil r Il 1 S \" h Il b 1lia g e " 1 ni vell u 2)

Te mps~

1. ~ ! ·.l rc de l'opé- e c o n s t ru l r e remplissage vider la saline r e con st ru 1 r e ca n a 1 f évacuer majeure évacuer vase

.. ' i o n vannage vasière jusqu 1 li fai re par lequel s'écou- partie formée dans les fares
1
principal a ppara î t r e les lera reliquat 1 de l'eau des pen d Iln t l' h ive r
diguettes die au
1
i
:

!
~~rJJ1~ vc rna » "faire la "lever la '~" "faire le tour" i "~ les fares" "repousser ses
,
.: tl 1:; i r l' cuvc ll
trappe" : (ou) IImettre les farcs"

i farcs li aller" 1 )

,,~collpag.: ! (ou) "faire tomber

illdig~nc

i
i l'eau d e s ~'. 1

: 1

,'Qlltraintes marée basse marée haute "morte d'eau" "tour" utilisable \ niveau d'eau.des

(mortes caux) de vives eaux afin que l'eau + 1 issss assez f a I >

-cuve s'écoule s u If l s a > marée basse l ble pour que la

reconstruite ment longtemps + 1 vase soit consis-


1
absence de vent , tante et manipu-

défavorable lable
i
i
,;sibilil~s néant né a nt né a nt néant i oui mals travail
1

" d P a. s sem en t
é
,i plus pénible

c la contrainte
.--.--------i-------t---------t---------j--------T--------+---------
-ss l bi I i t é de néant néant néant néant oui mals 11. moyen t erm

~--------_-:..._--------_._--- --. '-' .... -


détériore la saline
- ----..- Nota -Ce tableau résume le~va~onciflPll\nti!WP. sa . . . . 1 n~ un~udl_out_,bll_ p l _ u r a _ , u _ _ .. • _
-L'eau circule sur les bassins au (ur ct ~ mesure qu'Ils sont remis en état.

( 11 Ces opérations se succèdent ainsi "repousser ll fares N° 1 ~ IIrepousserll fares N° 2 4 II r epousser ll fares D
--;> IIrepousserll terre des _ ) Il r e pou S$ e r Il Car es nO 1
-+ repousser Cares n fares n "

-------r-- - -------.--,----
f ' --- --- _.....,... - - - - --------.r
faire circuler
!
r
transporter la reconstituer reconstituer reconstituer les "
! dé gagl 1 ère
vase évacuée l'eau sur les levées de canal amenant di gu e tt e s dé li m i- maj eure parti e l . totalité récolte
1
des~ jusqu' v a s e délimitant l'eau aux c r Ls t a l v] tent les cristal- de la vase formé e
,
au talus fares
--- les fares l l s o Lr s
1
1
1
l Ls o l r s : - daDs les oei 11 e ts p e n da n t
'-.
1

t l'hiver
- 1
i
1
1 1
...

1
"fair e 1 e s "faire le i "Caire les IItorcher les "décharger 111 ère prl se"
"r~pousscr sa "mettrl; l' eau
i
(e rre " à tourner"
ponts" dllvrc" (fi s. 1) l pon ts d'oeillet" marais" les m a r a l s "
i
1

1
1
1
;
1
1
1
,
i 1

1
1
"paquets" de vasière niveau d' eau dol t être effec- dIivre doit lI p o n ts ll d'oeillet s%. telle marais
',' a s e assez remplie adéquat dans tu é avant que 1, être sec ( : 11 doivent être que le sel d~chargés

é gou t t é s pour les fares salinité [ S %0] constitue secs cristallise S%O' ad e q l
pouvoir ~tre de l' eau ne salt l'extérieur du ie c on dl t :
1
1

déplacés ; trop é l é v e
ë
4ème cOté de. atmosphér
1 1

i ; oeillets) ..
! i favorables
1 1

!
néant oui mals 1
oui mais les né a nt n anté oui mals né a 1
i
i
i les oeillets peuvent
1 , efficacité du i dlguettes ne
i :
1
se "r s a l l r " si
ë

1
t ravai l sèchent plus la première
1 1 1
1
. 1 i
,
1 récolte tar
né an t existe latitude

l
né a nt néant oui mali opé- néant
i
j
mal s déterlore
. ,. r a t l o n suivante
.
1
, ............. & .. .
s a l l n e'!'r et menace'
, .\ '.1. 1
-_. ~-
_---_ .. - .,---
. .. - -_... - ~ .. --~._ ..
' -
plu. p n t b l e
.....
ë

. . ..
---_._-
1
1
1
J

1 (et des oplrations décrites dans le tableau 3 en particulier),

trouve ~ la fois des prises de décision stratégiques qui reposent


on

souvent sur une interprétation des conditions météorologiques'

1 passées et une appréciation des conditions météorologiques ~ venir,

et des opérations s t r a t é glqu es, dont la qualité de la réalisation

1 peut j ~ plus ou moins long terme, retentir de façon néfaste s'ur

le résultat du processus de production: la quantité de sel récolté

1 da.ns la saison.

1 Illustrons ces constatations générales: la décision

de commencer ~ "habiller" le marais - ou, ce qui revient au

même, le moment o ü cette opération débute - détermine la date

~ partir de laquelle le dispositif de prod uction (la saline) sera

prêt ~ fonctionner; le processus de préparation demande en eHet

1 un laps de temps in.compres.sible, ou très peu. Si ~ cette date -

nommée "date au plus tOt" en recherche opérationnelle - les

1 con ditions météorologiques s o n t telles que la production aurait pu

commencer n jours auparavant, ce sont n jours de production

1 qui sont définitivement perdus. A l'opposé,

les marais" résulte d'une appréciation de la "date au plus tard"


la décision de "décharger

1 ~ laquelle le dispositif devra être prêt à. fonctionner.

1 Parmi les opérations incomplètement réalisées,

dont l'inachèvement pèse le plus lourdement sur le fonctionnement


celles

d'une saline ne sont pas celles qui demandent le plus d'efforts ..


1 Pour quelques centimètres de vase manquant sur certaines d l g u e t t e s ,

une partie du dispositif de production' peut ê tre submergé a c c i d e n >

1 tellement (à. la suite de pluies et de vents défavorables, d'une

erreur de manoeuvre dans le contrOle de la circulation d'eau . . . ),

1 ce qui peut e n t r a n e r un arrêt de la

de jours,
î production pendant une dizaine

soit le quart de la durée moyenne d'une récolte. Ceci

1 nous amène 1l nous poser une nouvelie question: les contraintes

rencontrées sont-elles absolues? dans quelle mesure et comment

1
1
1
1 133

1
1
1
1
1 les producteurs peuvent-ils y échapper?

1 (cf. tableau 3)
La l a t i t u d e dont dispose les acteurs est (aible

~'est l à d'ailleurs une caractéristique de la technique

1 é tu d i é e . Ce c i s e t r 3. è :..: : t e n El art i cul i e r par l' i m po s si bi lit é de c o rn b le r

un retard; nous avons déjà. évoqué q u e l q u e s uns des risques e n c o u r r u s

à. la suite d'opérations inachevées. D'une manière générale.


1 le fait de "sauter" une étape se traduit par un report de travail

sur une période à. venir, ou une détérioration du processus de

1 production. C'est ainsi q u t a u j o u r d th u f , l'opé.atio:l "torche. les

marais" est s o u v e a t omise. Il e n r é s u l t e un s u r c r o l t de travail au

moment de "déchar~er" les oeillets, a lors q u e c ette op é ra t t on

est déjà. en temps normal la plus p é a i b l e , physiquement. De

1 même il arrive qu'un paludier omette,

autre, de dégager la vase formée d a n s les {ares.


pour une raison ou pour une

Cette pratique

1 .:l pe..ud'eIfets sur la saison e n cours; elle se traduit par contre

par un r é h a u s s e rn e n t du niveau des aires de concentration, avec

1 en quelques années,

lation de l'eau.
les conséquences que l'on imagine sur la. circu-

1 A travers notre e x e m p l e , nous ne faisons pas que

préciser l'ébauche d'une caractérisation de la technique de p r o d u c >

1 tian du sel appliquée dans certains communautés de l'Ouest de

la France; nous précisons également le type de questions qui

1 viennent 11. l'esprit lorsque l'on étudie l'agencement d'un ensemble

de c h a i n e s opératoires, dans le cas le plus général.

1 En p o r t a n t maintenant notre attention sur une

1 série d c p ï é r a t i o n s correspondant à. u n e étape de la prép:l.ration des

salines (ici "<d c h a r g e r les marais").


é nous rencontrons 11. nouveau un

1 ensemble d e chaines opératoires (tableau 4 - niveau 3).

1
1
1
TABLEAU 4

l'DE TAI L D EDE CHA R GER U NOE 1L LE T (N ive au 3)

-la veille du jour choisi, o o u c h e r ~ l'aide de vase d'éventuelles

fissures dans les diguettes qui délimitent les cristallisoirs

-diminuer l'épaisseur d'eau sur le cristallisoir j

-retirer le "rivet" [bourrelet de v a s e au pied d'une d Lg u e t t e ] ,

éventuellement j

-repousser vase et eau d'un même cOté du cristallisoir j

-faire passer' vase et eau de l'autre cOté de la levée (4 méthodes)

-nettoyer la levée

-retirer le "rivet" (éventuellement)


-reboucher le trou creusé éventueÙement en éliminant vase et eau

-laisser sécher;

-alimenter en eau (dourer)


-étaler la vase évacuée dans le bassin où elle repose désormais';

TABLEAU 5

OETA IL DEL 'OPERA TION "n o u RER" (A LIMENTER UN

CRISTALLISOIR EN EAU) (niveau 4)

-dégager "entrée" d'eau j

-attendre que l'eau recouvre toute la superficie du cristallisoir

-obturer le passage d'eau j

-renforcer l'étanchéité du disposItif ("graisser l'ardoise")

TABLEAU 6

DETAIL DE "GRAISSER L'ARDOISE" (,niveau 5)

-prendre palette

-étaler et lisser vase

- pré le ver vase ;

-reposer palette
135

".

:
/
Ce niveau de description permet de repérer

(da.ns le cas présent) des séquences gestuelles qui Ln t e r v i re n n e n t

il. d',autres moments du processus de production du sel. Ainsi:

l
-lIretirer le rivet" est une suite de mouvements

qui i n ter vie n t par ai 11 e urs. au m 0 men t de, r e con s t r u ire 1 e s d i gu e t tes

( Il fair e 1 e s pon t s Il j c f. t a b 1eau 3).

-le d é p ô t et l'étalement sur les d Lgu e t t es, de la

vase ainsi ,prélevée il. leur pied néce~site également une suite de

mouvements que l'on retrouve au moment de "faire les ponts li j

-les mouvements par lesquels la vase est repoussée

ou tirée vers la périphérie du cristallisoir sont identiques il. ceux

qui interviennent dans le déplacement des cristaux de sel, lors

de la récolte quotidienne; les outils utilisés dans chacun de ces

deux cas sont d'ailleurs généralement identiques j seule la

matière traitée change (vase et eau/sel et eau)

-enfin l'alimentation en eau des cristallisoirs

demande une même suite d'opérations. quel que soit le moment de

la saison auquel elle intervient (cf. tableau 5 j niveau 4).

11 est délicat d'apporter un commentaire il. des

observations relatives à un seul exemple; nous nous contenterons ici

de préciser que ces séquences gestuelles ou les·opérations standards"

intervlennent fréquemment dans l'ensemble des opérations de

production du sel, et qu'elles en sont spécifiques. Il y aurait

peut-être lieu de s'intéresser à ce type de séquences - à condition

que l'on puisse les définir sans ambiguité - qui sont à la fois les
1 136

1
1 1
1

1 plus caractéristiques

mesure,
d'une a c t Lv i

par le type d'a.ction sur la m a t i


t é , d é t

è
e rm ln é e, dans une certaine

r e dans lequel 011 les

1 rencontre, et néanmoins propres aux g r o c p e s qui les réalisent.

1 elles illustre le 'type de "choix" auqu:l.


Le t a b l e a u 4 fait état de v a r La n t e s ,

;lOUS faisions allusion


L'une d e n t r e
t

1 plus haut: certaines o p é r a ti o n s peuvent intervenir à plusieurs

moments du déroulement d'une c h a Ln e opératoire; ici le paludier

peut "retirer le rivet" au début ou à la iin de l'opération •.


1
'Les autres SO:1:: r e La t l v e s à la manière de réaliser

1 une même o p r a t Lo n , é à un rn m e ra o
ê tn ent "di::linuer l'épaisseur

d'eau sur le c r I s t a Ll i s c I.r " ; "fa.ire passer vase et ea'u de l'autre

1 c ë t é de la d i g u e t t e !", Consi dé r o n s la se conde

qui rend pénible le "déchargement" des za a r a i s ; il faut en effet


0 pé ration. C' e st ell e

1 sans cesse repousser un bourrelet de v a s e et d'eau qui tend à

s'étaler. Quatre variantes sont o b s e r v a b l e s :

1- a. méthode t r a d i t i o a a e Ll e : la vase et l'eau qui lui

1
est mélangée sont "jetées" à la volée par dessus la d i g u e t t e ; un

paludier seul peut accomplir cette o p é ration

1 ~. méthode an jour d'hui la plus répandue: l'eau et la

vase sont transportées d'un côté à L' a u r r e de la di guette à l'aide d'une

1 écope à long manche ("cesse"); ua ou deux paludiers poussent

et/ou tirent la vase en d i r e c t i o n du collègue qui manie la. "cesse";

1 la. d i g u e

la vase p e u t
tt e peut

ë t re
ë t r e protégée par une b::.::he -d e rn a

tirée par dessus la d Lg u e t t e


t i è r e plastique;

1 c. Le p a l u d i e ; doit alors marcher d a n s la vase'

1 des far e s_ et te nt e r cl e g a rd ers 0 n é qui 1 i b r e t 0 ut en ra men an t 1 a

vase c u r ses pieds lorsqu'il se tient sur 1::. d l g u e t t e. Cette variante

1
1
1
=
1 137

1
1
/
1 demande généralement la coopération de deux paludiers.

1 d • d e p u i s t 97 3, .u n pal u die rut i l i s e une pont p e

rotative entrainée par un moteur à explosion pour transporter

1 ~
la vase et l'eau d'un côté à l'autre de la d i g u e t t e ,

1 L'étude de 't e Ll e s varia.ntes passe par une appréciation

objective de leur efficacité technique. Ici encore ce sont les acteurs

1 eux - m ë m e s, dans leur discours, qui fournissent les. éléments

de cette appréciation; nous les reprenons à notre compte après

avoir noté à nouveau que l'analyse d'une chaine opératoire passe

1 par l'étude du discours technique des acteurs.

l' L'existence même des variantes fournit une première

i-n-f·'o"rnl":I""ti."'O"D ~ i l ~"Xiste "Une "bonne" manière de réaliser l'opéra~ion.

1 Les m é th 0 des b etc r e pré sen t e n t des é car t spa rra p p 0 r t .à 1 3. m'ë th 0 d e

r r ad l t l o n u e Tl e.; Dans le cas b , l'ïntr<>duc·tion d'une coôpération entTain~

1 un gain de temps moins que proportionnel à l'accroissement de la force

de travail; par ailleurs, lors de son maniement, l'écope racle

1 le fond du c r Ls t a Ll Ls o Lr ' et le détériore.

m ê mer e ma r que que pré c é de m men t)


La méthode c appelle la

rel a t ive men tau te m p s de t r a va il-.

L'utilisation d'une pompe rotative (méthode d) traduit évidemment

1 i'adaptation d'un moyen de travail moderne à une technique séculaire.

Cette innovation entraine un gain de temps et d'énergie humaine.

1 Jusqu'à présent, dans notre commentaire) nous

1 avons souvent recourru il. des informations qui n'a.pparaissent pas

dans nos tableaux descriptifs. Ce sont par exemple les temps de

1 travail) la n a t u r e et l'origine des outils) le nombre des acteurs, etc.,

l'
1
1
1
qui doivent nécessairement accompagner la description d'un processus

technique. On se heurte cependant à la difficulté de la mise au

p.oint d'une présentation matérielle de ces informations qui demeure

lisible. Nous nous sommes contentés ici de présenter les types

d'informations nécessaires à l'illustration de l'analyse dont nous

exposons les grandes lignes.

Retour à la problématique "technique et culture".

Nous aurions pu poursuivre notre investigation.

des niveaux successifs que nous avons arbitrairement définis au sein

de la réalité.

L'étude des tableaux 5 et 6 (niveaux 4 et 5 de notre

découpage) DOU$ amènerait à nouveau à n o u s intéresser à des variantes

ainsi qu'à leurs effets techniques; nous ne la développerons pas plus

que nous n'aborderons le niveau des séquences gestuelles. Le

problème] on le sait] reste entier.

Nous abandonnerons. même notre analyse des faits

spécifiquement techniques, pour nous interroger sur son utilisation·

éventuelle dans la saisie des relations existant entre les phénomènes

techniques et les autres phénomènes sociaux.

Il serait vain de chercher à cerner une quelconque

caractéristique structurale du système technique concerné) à partir

de notre embryon d'analyse. Par contre les notions de variantes

et de t â c h e s stratégiques - qui demanderaient assurément à ~tre

affinées - peuvent d'ores et déjà ë t re utilisées.


1:59

Les variantes techniaues. Les méthodes b et c

mis e sen 0 e u v r e au cou r s cl e l ' 0 p é rat i o a "cl é cha r g e r i e s m a rai s "

ont un rendement "effet o b r e uu Z n o m b re d'acteurs" inférieur à celui

qui c a r a c t é r i s e la méthode traditionnelle. L'utilisation d'une

b:lche de protection intervient lorsque les diguettes ne sont pas

totalement sèches au moment de "déchar;er les marais"} ce qui

révèle un travail précipité et un retard d a n s le déroulement

du processus global de préparation des salines. Une d l g u e t t e

"correctement" reconstituée supporte sans problème les gerbes

d'eau et de vase <;''.li la. ï r a n c h i s s e a c ; elle ne n é c e s s Lt e a l o r s aucune

protection. La coop~!';,ion m i s e e n o e u v r e r é s u l t e égalerr:~nt d 'un

besoin de gagner d u t e m p s j il est:' n c t e r qu'elle fai t appel à des

pa r tic i pan t s qui, cl a :l sie S'tH ème t r :l. dit ion :l el. n' i n ter ven aie nt ? a s

lors de ce type d'op~rations (enfants . é pouses, frères non paludiers . . . ) .

Qu.ant à -l'utilisation de la pompe r o t a t i ve , elle traduit certes une

modernisation de la production, mais c o m p t e tenu de la r é si st a nc e

opposée à l'introduction de toute nouveauté technique d'origine

extérieure au système villageois, on peut affirmer qu'elle i n t e r v i e n t

également au moment où un gain de productivité (par unité de temps)

devient nécessaire.

On constate en- effet une r é d u c t i o n du temps

disponible dont l'origine est à rechercher dans l'évolution du cadre

socio-économique dans lequel se situe la production du sel. Cette

évolution est caractérisée par une baisse du revenu tiré de cette

activité. Les paludiers ont été conduits à exercer un métier annexe

(maçonnerie, travail aux chantiers de construction navale de St.

Nazaire, e t c , }, ou à. a c c r o î t r e les d r m e a s t o n s de leur exploitation,

de m a n i è r e à augmenter leur production. Dans le premier cas, les

paludiers-ouvriers ne disposent plus que de leurs soirées pour

"habiller" les salines; dans le second, le temps disponible p a r


unité d'exploitation a été réduit. Ainsi la modification, même minime,

d'une technique de production dont la stabilité pluricentenaire est

certaine, reflète une modification fondamentale intervenue

dans le système social traditionnel.

· .
.... ' .
D'autres variantes repérables au sein des processus

techniques révèlent la nature de certains rapports sociaux de

production. C'est le cas de la dissociation des opérations de "rayage"

(curage) et de poiHonnage (pêche) des vasières (cf. tableau 1),

dont nous n'avons pas approfondi la description technique. Cette

dissociation est directement déterminée par le statut des exploitants:

Les deux o p é r a t i o n s peuvent intervenir simultanément,

à la Toussaint. Dans ce cas, certains travaux n.écessaires à la fois

à la p-ê c h e du poisson et au curage des vasières ne sont effectués

qu'une seule fois. Mais il arrive également que le poissonnage soit

seu 1 réa li sée n nove m b r e, et 1 e net t 0 Yage rem i s à plu s ta r d (f é v rie r -

mars). Cette dernière pratique demande une plus grande dépense

en travail. L'explication de l'existence de ces variantes est,

nous allons le voir, extérieure au seul système technique -.

Les baux oraux liant les propriétaires de salines et

les exploitants sont d é non ç a bles, chaque année, jusqu'au 8 février.

C'est ainsi que jadis un pal u die r pou v ait for t b i e n a p pre n d r e c e j 0 ur

là qu'il n'exploiterait plus désormais la (ou les) saline (s) qu'il


1 avait "cultivées" l'année précédente. Or le droit de participer

à la pêche et au partage du poisson d'une vasière (en novembre)


1
revient aux paludiers qu'exploitaient la (ou les) saline (s) correspon-

d a n t e s pendant la saison précédente. Au contraire, l'obligation de


-;Ir 1

pa, r I I ci p e r au" r a y age" dei a vas i ~ r e con cc r ne 1 e spa 1u dit: r s qui

exploiteront la saline pendant la saison suivante (après le i! février).

Aussi ~ la Toussaint, un paludier ignorant si le propriétaire de la.

saline qu'il exploitait la lui "donnerait" de nouveau "à faire",

pré f é rai t p 0 i s son e r une vas i ère - d e man i ère ~ n e pas p e r dl' e so n

droit au poisson pêché - sans la curer, quitte à accomplir cette

opération après leS février, si l'éventualité s'en présentait.

Les paludiers propriétaires de leur exploitation

n'avaient par contre aucune raison de ne pas procéder au curage

dei a vas i ère en m ê met e m p s qu' i l~ e n p ê cha i e nt 1 e po i s son,

économisant ainsi leur peine.

J..ors du tr a n s p o r t des récoltes quotidiennes, depuis

les . c r i s t a l Li s o i r s jusqu'aux talus où intervient un stockage temporaire,

ou <LUlllii pu observer, peu après la Seconde Guerre Mondiale,

des variantes techniques qui, à l'inverse des précédentes, trouvaient

principalement leur origine au sein même du système technique

des communautés: l'adoption rapide par une grande partie des

exploitants (15) d'un moyen de travail disponible depuis peu dans

la société globale, la brouette équipée de pneumatique .. L'introduction

de ce moyen de transport représente une véritable révolution technique

elle a permis d'abandonner le portage traditionnel à l'aide de

récipients de bois posés sur la tête, avec d'importantes conséquences

dans l'organisation du travail (tableau 7)

15. A la différence de la pompe rotative qui ne f a i t l'objet pour

l'instant que d'une adoption très marginale.


Tableau 7. Comparaison de l'utilisation de deux techniques dans le
transport de la récolte quotidienne (d'après Lemonnier,
1975: 188, tableau 14)
, 1
1 ~·loyens de ~joment Acteurs Coopération Morphologie, Conditions Temps ou Type de
portage des ~aline~'nécessnire rythme de "mulon"
au travail (tas de sel)
"portaBe" (unités
arbitrai-
1 res)
i
1 1 1
1
1 1 1
1
1
Gède 1 La nuit Paludier Nécessairel Tradition- Néant 1
1 1 Hulon et trousse
! (récipient
1 (à partir et nelle à conduire tous
:1 de bois: de 2-3 h porteuse(s) 1
1
i1 les deux jours -
1 contenance du matin) i, 1
1
mulon tassé
1+ 30 kg)
I-
I
1
1 1 1
1
i 1
1
1
1
1 !
1
1
i i
i
1 i 1

1
1
! 1 Talus
1 Mal déposé au
: Brouette 1
i
1
Le jour Paludier
seul
Pas abaI as s ,
ê

nécessaire coina des


Absence dJ
rosée
1
1
1/2 .
pied du mulon,
"relevé" a la
crista:\.lis-' 1 pelle, peu
i
1 •
jOlrs arron d- I
1
tassé
!is pour fac- 1
1
iiliter le ,
, 1
iroulaGe , ~
;
1
1 1
1
1 ,
Avant qu'un nouveau moyen de travail ait été s o c i a >

lement accepté il faut qu'il existe, et c'est dans le cas présent

l'invention du pneumatique agricole porteur (entre 1932 et 1935) qui

est largement responsable de l'adoption de la brouette comme moyen

de transport du sel.

Les .conséquences sociales des modifications techniques

résumées dans le tableau 7 sont considérables: disparition de la

coopération, disparition de personnages jouant un rOle essentiel

dans les rapports sociaux de production traditionnels (les "porteuses"

qui récoltaient et distribuaient le sel blanc), modification de

l'organisation du travail quotidien . . .

Les tâches stratégiques.

Nous avons vu que l'analyse de faits purement

techniques permet la mise en évidence d'opérations ou de séries

d'opérations dont l'accomplissement met en jeu la réussite d'un

processus technique engagé - ici l'avenir d'une, voire de plusieurs

ré col tes. Les ph é no ID è n e s rel a tif s au c on t rOI e soc i a 1 de tell e s

opérations se situent à l'intersection - purement imaginaire -

des deux domaines arbitrairement "définis" dont nous privilégions

l'étude: "système technique" et "système social".

En étudiant l'opération "habiller le marais", nous

avons signalé qu'il était important que les travaux commencent

"à temps", Nous ajouterons maintenant que la décision de commencer

l'habillage est individuelle; chaque exploitant conduit son travail

à sa gui-se (ou presque, la pratique de chacun fait l~objet de


nombreux commentaires "Untel a/ou n'a pas commencé . . . ").

L'initiative individuelle semble é'tre de règle,

lors de la réalisation de t â c h e s stratégiques: c'est encore le cas

lorsqu'il s'agit de décider s'il y a lieu de vider une saline après

un orage ou au contraire de la "noyer" d'eau de faible salinité

lorsque la saison s'avançant, la sursaturation de l'eau contenue

dans les cristallisoirs ralentit le processus physique de production,

deux interventions dont la réussite conditionne directement le volume

de la récolte.

Lors de la reconstruction périodique des cristalli-

soirs (tous les trente ans en moyenne), le nivellement de leur fond

détermine le fonctionnement futur de l'exploitation. C'est donc

une opération stratégique ayant des conséquences à long terme ou,

'S l i un pré f ère, sus cep t i b 1e de dé ter min e r pou r par t i e plu sie urs

dizaines de récoltes. Cette opération est menée par des spécialistes -

eux-mêmes exploitants au demeurant - dont le choix appartient au

propriétaire de la saline concernée. C'est le seul cas où l'on s'en

remet à l'avis d'un collègue; notons que la décision de faire appel

à autrui est là encore individuelle.

Ainsi, s'interroger sur la prise en compte sociale

d'opérations dont l'analyse a révélé qu'elles jouent un r ë l e central

dan sie dé r 0 u 1 e men t d e c e r t a i n s pro ces sus tee h n i que s ( ici 1 a

production de sel) permet de mettre en évidence des caractéristiques

dus ys t ème soc i a 1 (i c i une car a c té ris t i que, b i e n f r a g men t air e : 1e s

opérations stratégiques sont réalisées sous la responsabilité de ceux

qui sont les plus directement concernés par leurs effets, exploitants

en cours de saison, propriétaire lorsque l'opération engage l'avenir

de plusieurs récoltes).
c'est ce type de rapprochement entre phénomènes

techniques et phénomènes sociaux que nous avons essayé d'illustrer

ici. Nous avons montré - de manière très schématique - comment

deux types d'Interrogations relatives aux phénomènes techniques

(qu'est-ce qu'une variante? qu'est-ce qu'une opération stratégique ?)

nous conduisaient rapidement 1l. étudier la nature de certain s

rapports sociaux de production. Il est à peine nécessaire de signaler

que n o u s n'avons présenté ici qu'tl u n exemple d'analyse, très

partielle au demeurant. Nous aurions pu nous demander ce qu'est

une t â c h e "complexe", porter notre attention sur les types de

coopération rencontrés, etc. On ne peut qu'imaginer la richesse

des phénomènes que m a t t r a Lt en évidence une analyse de ce type,

appliquée de manière "exhaustive" à l'ensemble d'un p ro c e s s u s

"de production et, a fortiori. 1l. l'ensemble des phénomènes techni-

ques observables au sein d'une société.


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