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L’évolutionnisme d’Albert Gaudry

Pascal Tassy
CR2P, Muséum national d’Histoire naturelle et Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse
L’évolutionnisme d’Albert Gaudry

Clichés Visset D.
Albert Gaudry (1827-1908)

1850 : employé temporaire au laboratoire de géologie du Muséum

1852 : thèse de doctorat à la Sorbonne

1853 Chargé de mission en Orient (ministère de l’agriculture)

1855-56, 1860 : fouilles paléontologiques à Pikermi (Grèce)

1872 : professeur de paléontologie au Muséum

1898 : inauguration du bâtiment d’anatomie comparée / paléontologie

1904 : président de l’Académie des sciences


Lamarck 1809 Darwin 1859
Avant la lecture de L’Origine des espèces

« On a pensé que les espèces se sont modifiées pendant le cours


des âges, que les être inférieurs se sont perfectionnés et
transformés peu à peu en animaux d’une organisation très
avancée. Auprès de quelques esprits, cette théorie des
transformations a passé pour une doctrine matérialiste. Ce
reproche ne nous semble pas fondé.

...

Il est vrai que les êtres des diverses créations présentent des
points communs de ressemblance frappant : ils ont entre eux des
traits communs qu’il est impossible de méconnaître ; mais ces traits
d’union ne sauraient prouver leur filiation. »

Gaudry 1859 Alcide d’Orbigny, ses voyages et ses travaux
Pendant la lecture de L’Origine des espèces
Après la lecture de L’Origine des espèces

[J]e lus le livre sur l’Origine des espèces avec une admiration
passionnée ; s’il m’était permis d’employer une telle expression, je
dirais que je le dégustai lentement, comme on boit à petits traits
une délicieuse liqueur.
...

Assurément Darwin n’a pas tout expliqué ; l’incompréhensible dans


l’univers se dresse encore immense en face du compréhensible.
Mais la voie est ouverte : tracer une voie nouvelle, c’est faire
preuve de génie.

Gaudry 1882 Le rôle de Darwin considéré au point de vue de la


paléontologie La Nature 479 : 150-152 ; 1888 Les Ancêtres de nos
animaux dans les temps géologiques)
1 La filiation

Darwin 1859 Gaudry 1866


1 La filiation

« J’ai dressé des tableaux dans lesquels j’ai


disposé un assez grand nombre d’animaux
fossiles suivant l’époque à laquelle ils ont fait
leur apparition sur la terre. Dans le bas j’ai
rangé les espèces les plus anciennes ; au-
dessus de celles-ci, j’ai mis celles de la
seconde époque ; plus haut, celles de la
troisième époque ; plus haut encore, celles de
la quatrième, et ainsi de suite. J’ai joint par des
traits les espèces qui se ressemblent
davantage. Ces tableaux font ressortir les
modifications lentes qui se sont produites chez
les animaux, à mesure que se déroulaient les
temps géologiques » (A. Gaudry, 1866 Animaux
fossiles aux environs d’Athènes. Revue des
cours scientifiques, 1866, p.18.)

Gaudry 1866
2 L’analyse des caractères

Il est bien entendu que mes tableaux ont un


caractère essentiellement provisoire ; chaque
pas de la science les modifiera ; telle espèce
qui, dans l’état actuel de nos connaissances,
semble très-proche d’une autre, nous paraîtra
plus éloignée, quand, au lieu de raisonner sur
une mâchoire isolée, nous raisonnerons sur
toutes les parties du squelette.
(A. Gaudry, 1866 Animaux fossiles aux environs
d’Athènes. Revue des cours scientifiques, 1866,
p.18.)

Gaudry 1866
3 Relativité de la classification

Il ne faut pas prendre trop de peine pour fixer les


limites de ces espèces, car elles ne sont que
subjectives ; elles n’existent pas dans la Nature :
(...) sur bien des points où l’on a cru d’abord voir
des entités distinctes, on reconnaîtra qu’il n’y a
qu’un seul et même type qui s’est développé avec
de lentes variations (Gaudry 1891 Mémoires de la
Société géologique de France 4 (2) : 1‐6, 1891). 

Gaudry 1866
4 Biostratigraphie, paléobiogéographie

Pernègre & Tassy 2014 ; Cliché V. Pernègre

Gazella deperdita MNHN LUB681


Gaudry 1873 Vertébrés fossiles du Mont Léberon (Vaucluse)
4 Biostratigraphie, paléobiogéographie

« Ainsi la surface terrestre se partageait en deux parties : l’hémisphère Boréal où le


progrès s’est continué jusqu’à nos jours et où la vie s’est manifestée dans toute sa
magnificence. Les régions antarctiques où le monde animal a subi un arrêt de
développement. Pourquoi ? Nous l’ignorons.

Voilà un nouveau problème qui se pose devant les savants voués à l’histoire de
l’évolution des Etres »

(Gaudry 1906 Fossiles de Patagonie ; Etude sur une portion du monde antarctique, C R
Acad Sc 142 : 1394)
5 Les mécanismes
5 Les mécanismes
1865
Lorsque M. Darwin, dans son livre sur l’Origine des
espèces, a prétendu qu’il y avait eu des transformations, il
a répondu aux aspirations d’un grand nombre
d’observateurs ; mais quand ce savant illustre a voulu
expliquer de quelle manière les transformations avaient
été produites, de graves objections lui ont été opposées
par des hommes très exercés dans l’étude de la
nature (Revue des cours scientifiques, 1866).
5 Les mécanismes
1865
Lorsque M. Darwin, dans son livre sur l’Origine des
espèces, a prétendu qu’il y avait eu des transformations, il
a répondu aux aspirations d’un grand nombre
d’observateurs ; mais quand ce savant illustre a voulu
expliquer de quelle manière les transformations avaient
été produites, de graves objections lui ont été opposées
par des hommes très exercés dans l’étude de la
nature (Revue des cours scientifiques, 1866).

1882
Il a suivi leurs insensibles modifications ; il a été
profondément impressionné par la vue des changements qui
sont déterminés par quelques efforts de l’Homme, par des
influences de milieux, par des unions répétées d’individus
ayant la prédominance de telles ou telles qualités.
Assurément Darwin n’a pas tout expliqué ;
l’incompréhensible dans l’univers se dresse encore immense
en face du compréhensible. Mais la voie est ouverte : tracer
une voie nouvelle, c’est faire preuve de génie.
5 Les mécanismes

S’il appartient aux paléontologistes d’apporter des


preuves à la doctrine de l’évolution, il ne leur appartient
pas d’expliquer les procédés par lesquels l’Auteur du
monde a produit les modifications. C’est aux
physiologistes, qui font des expériences sur les créatures
vivantes, de nous apprendre comment les changements
se produisent aujourd’hui et ont dû se produire autrefois ;
en employant une expression de Claude Bernard, je dirai
que c’est à eux de nous faire connaître le déterminisme
des espèces. (Les ancêtres de nos animaux dans les
temps géologiques : 73, 1888).
5 Les mécanismes

Comment les transformations ont-elles eu lieu ? Lamarck


et M. Cope plus récemment ont parlé de l’influence que
l’exercice a sur les organes ; Darwin a étudié le rôle
qu’ont joué la sélection naturelle et la concurrence vitale ;
les microbes n’ont pas été sans importance, etc.
Cependant on doit avouer que jusqu’à présent on connaît
très peu les causes de transformations des êtres. Je ne
saurais m’en occuper. La tâche que j’ai entreprise me
paraît déjà assez difficile. (Essai de paléontologie
philosophique : 201-202, 1896)
« Dans ses premiers articles le Professeur Gaudry (...) a construit son 
enseignement sur la théorie de l’évolution, un fait qui a assimilé son travail (...) à 
un acte d’indépendance et de courage que peu d’hommes de science sur le 
Continent étaient prêts à suivre en ces jours anciens des écrits de Darwin » 
(Henry Woodward, Geological Magazine 1903)
J’ai dernièrement fait un travail sur l’éléphant fossile de Durfort, le plus
imposant mammifère terrestre dont on possède un squelette entier ; en
le contemplant dans notre galerie de paléontologie du Muséum, en
pensant au Dinotherium gigantissimum plus puissant encore, au
Mastodonte, aux Dinosauriens des temps secondaires, j’ai cherché en
vain quelle cause matérielle a pu les faire disparaître. Tout se
transforme ou meurt, géant ou nain, peuple ou individu, lentement ou
brusquement. Les mieux doués, ceux qui marquaient le complet
épanouissement de leur classe et semblaient les plus invincibles, se
sont éteints souvent sans laisser de postérité. Depuis le jour où la
première créature reçut le souffle de vie, combien d’êtres sont tombés,
que de naissances, d’amours, d’épanouissements dont la trace s’est
effacée ! Le changement paraît la suprême loi de la nature. Il y a
quelque mélancolie dans le spectacle de ces inexplicables disparitions.
L’âme du paléontologiste, fatiguée de tant de mutations, de tant de
fragilité, est portée facilement à chercher un point fixe où elle se
repose ; elle se complaît dans l’idée d’un Etre infini, qui, au milieu du
changement des mondes, ne change point. (Essai de paléontologie
philosophique,1896)

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