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FORMULES
20 - 2016
Presses Universitaires du
Nouveau Monde
Formules. Revue des créations formelles est une revue publiée par les Presses Universitaires
du Nouveau Monde avec le soutien de la chaire Melodia E. Jones de la State University of
New York.
Formules est une revue traitant d’un domaine particulier, celui des créations formelles.
Chaque numéro annuel est consacré à un aspect spécifique lié à cet intérêt principal ; on y
trouve également des rubriques régulières concernant des sujets proches ou des créations
plastiques qui correspondent aux préoccupations des rédacteurs et des lecteurs de la revue.
Les envois spontanés sont encouragés, pourvu qu’ils soient en rapport avec ce domaine ;
toutefois Formules ne maintiendra pas de correspondance avec les auteurs des textes refusés,
qui ne seront pas retournés. Les auteurs publiant dans Formules proposent librement une
spéculation critique ou une création qui n’engage pas la revue. Cependant, Formules se donne
pour règle de ne jamais publier de textes antidémocratiques ou contraires à la dignité de la
personne humaine. Les auteurs trouveront une feuille de style pour Formules à :
http://www.ieeff.org/formulesstyle.html. Tout contact avec la rédaction doit se faire par
courriel.
Conseil de rédaction : Jan Baetens, Daniel Bilous, Philippe Bootz, Anne Garréta, Alison
James, Warren Motte, Alain Schaffner.
Comité de lecture : Chris Andrews, Camille Bloomfield, Cécile de Bary, Marc Lapprand,
Astrid Poier-Bernhard, Mireille Ribière, Frank Wagner.
Cover image: Mark Rothko, No. 5 / No. 22, 1950© 1998 Kate Rothko Prizel &
Christopher Rothko. ARS, New York/Licensed by Viscopy, 2016
3
Présentation
Chris Andrews
maîtrisable que la structure, plus soumise aux aléas et aux résistances des
matériaux, elle est aussi plus attentionnelle, et ne communique pas non
plus de la même manière. Sa communication consiste à modifier notre
perception ; elle procède d’un vouloir-faire-percevoir ou un vouloir-faire-
expérimenter plutôt que d’un vouloir-dire. Et ce que les formes texturales
veulent faire expérimenter est de l’ordre d’une force ou d’une émotion,
plutôt que de l’ordre d’un message.
Valeria de Luca et Antonino Bondì montrent pour leur part
comment des travaux récents en sciences du langage, et particulièrement
la théorie des formes sémantiques de Pierre Cadiot et Yves-Marie Visetti
(qui puisent dans la tradition phénoménologique et la Gestalttheorie),
peuvent renouveler notre compréhension de ce que c’est qu’une forme.
Ils nous invitent à repenser les formes non pas comme des entités
clairement isolables et indéfiniment stables mais comme des
stabilisations provisoires, prises dans une tension entre l’intentionnalité
du dire et les normes langagières. Dans cette perspective, la contrainte
littéraire – et la contrainte oulipienne en particulier, de par sa formulation
précise et explicite – serait une stabilisation efficace de la forme, qui ne
fige pas pour autant l’instabilité constitutive des expériences de sens.
Concevoir la forme comme activité dynamique peut nous aider à
éviter les généralisations abusives à partir des sens qu’on attribue à une
forme ici et maintenant. Comme les formes elles-mêmes, les sens formels
ont une histoire, et les formes peuvent subir des reconfigurations
sémantiques. C’est ce que montre, pour la forme très courte du fragment
moraliste, Ingrid Riocreux, et pour la forme très longue du roman-fleuve,
Augustin Voegele.
Les historiens de la littérature ont souvent caractérisé l’évolution
du fragment en disant que le genre est passé de l’universalisme au
subjectivisme ou de la clôture formelle à l’ouverture. En lisant de près les
fragments de La Rochefoucauld, Chamfort, Schlegel et Cioran, Ingrid
Riocreux pointe les insuffisances de ces oppositions schématiques et
propose de penser l’histoire du fragment en termes d’une négativité
formelle qui s’exerce à la fois dans les textes et au-delà, sur le plan
symbolique, en faisant signifier les blancs qui les séparent. Ingrid
Riocreux fait voir comment la négativité chez La Rochefoucauld se
rapproche de celle de la théologie apophatique – on ne peut dire que ce
que Dieu n’est pas – tandis que chez Chamfort elle ne renvoie pas à une
quelconque transcendance. De l’espace blanc comme lieu de l’indicible
on passe à l’espace blanc comme signe du vide.
Des reconfigurations sémantiques tout aussi profondes affectent le
roman-fleuve. Selon la lecture d’Augustin Voegele, la profusion
romanesque de L’Astrée (1607-1627) et L’Artamène (1649-1653) trahit
5
une angoisse et un désarroi qui sont des traits de l’époque baroque. C’est
la forme comme symptôme. Quand le genre émerge de nouveau au dix-
neuvième siècle avec Victor Hugo, Dumas, Balzac et Zola, l’ambition de
maîtrise est assumée par des auteurs qui se démiurgisent en même temps
qu’ils font entrer le peuple dans leurs œuvres et commencent à s’adresser
à lui. La longueur a ici un sens mimétique : elle est proportionnelle à la
totalité vaste et complexe que les sommes et les cycles visent à capter.
Puis les enjeux formels du « roman interminable » se transforment de
nouveau au début du vingtième siècle : la forme devient plus auto-
réflexive et mime de manière plus variée des visions du monde
particulières (la métaphysique du temps chez Proust, ou les « ondes
historiques » de Romains).
Si les relations entre forme et sens se modifient au cours de
l’histoire, elles sont troublées aussi par des déplacements dans l’espace
culturel et tout particulièrement par la traduction. Véronique Duché suit
de près les fortunes et les avatars d’un corpus de poèmes courtois
espagnols du moyen âge tardif qui ont beaucoup perdu en franchissant les
Pyrénées, faute d’une forme adéquate dans la langue cible et du contexte
ludique ou les originaux servaient de devinettes en faisant jouer ensemble
texte et image. Finalement c’est l’inventivité même de la letra de
invención qui s’évanouit dans le transfert.
Mais de telles pertes ne sont ni universelles ni fatales. En analysant
la traduction d’un poème d’Oskar Pastior par Frédéric Forte et Bénédicte
Vilegrain, Alain Chevrier fournit un contre-exemple : même en traduisant
des textes à contraintes fortes, garder la forme n’interdit pas de s’attacher
au sens. Dans ce cas précis, même à l’intérieur du carcan
anagrammatique, une ingéniosité patiente a pu récupérer, par toutes sortes
de détours, une proportion étonnamment élevée des sèmes de l’original.
L’ingéniosité en question appartient aux traducteurs et à l’exégète
(comme il ressort de la correspondance entre Chevrier et Forte). Essayer
de l’attribuer plus précisément, en traçant des lignes de partage, serait
hasardeux et sans doute peu utile.
S’il y a un auteur qui a exercé l’ingéniosité exégétique, c’est bien
Stéphane Mallarmé. Joëlle Molina se livre ici à une cryptanalyse de trois
de ses poèmes, et avance l’hypothèse de la généralité d’un emboîtement
de deux formes : l’une « officielle » et patente, l’autre secrète, perceptible
au terme d’un travail « à la lettre près ». En ce qu’elle est tributaire des
accidents de la matière verbale (les lettres d’un nom propre, par
exemple), cette forme secrète se rapproche de la texture et de son mystère
tels qu’Antoine Caille les théorise dans le premier article.
Par des manipulations typographiques, Joëlle Molina rend visibles
des motifs qui, sans cela, opéreraient de manière subliminale lors d’une
6
lecture. Elle « déballe » des formes cachées dont les effets ne peuvent se
produire qu’à retardement. C’est sur des formes conçues, au contraire,
pour frapper de prime abord que Lucie Lavergne se penche en regardant
et en lisant des calligrammes et des « tableaux de mots » composés entre
1910 et 1920 par des poètes des avant-gardes espagnoles. Ce que veulent
dire les formes de ces poèmes n’est pas limité par un paradigme
mimétique ; elles peuvent matérialiser des métaphores ou d’autres
figures, ou encore servir comme notation d’une nouvelle prosodie.
On associe la sémantisation de l’espace blanc surtout à la poésie –
du Coup de dés à la poésie blanche et au-delà – mais le roman peut aussi
le faire signifier. C’est ce dont fait la démonstration Michel Sirvent en
revisitant l’affaire de la page 88 de la première édition du Voyeur d’Alain
Robbe-Grillet. Armé des outils conceptuels de la textique et d’une
connaissance fine du texte et des avant-textes, il fait voir comment, dans
les bonnes conditions, le roman induit une formidable « effervescence
sémiotique » qui finit par charger irrésistiblement cette page blanche de
sens, en dépit des dénégations (perverses ou oublieuses ?) de l’auteur.
Retraçant le parcours théorique et critique de Bernard Magné,
Cécile de Bary y discerne une évolution qui l’a éloigné de la théorie
textualiste de Jean Ricardou en ce qui concerne le concept de biotexte.
Dans le cas de Georges Perec, privilégié par Magné, le refus de
l’expression ne semble pas avoir été ni total ni dogmatique, puisque
même si les éléments qui entrent dans ses écrits obéissent largement à
« certaines règles du texte en fabrique » (pour citer Ricardou), ces règles
mêmes s’ancrent parfois dans le vécu. Ce qui est ancré n’est pas pour
autant figé ni fixe : tout dépend de la longueur de la chaîne et de sa
résistance. Cécile de Bary met l’accent sur le e dans la ligature initiale
des æncrages (terme forgé par Magné pour rendre compte de l’intime
intrication de l’autobiographique et du formel chez Perec), non pas pour
les détacher de leur substrat vécu et revenir vers le textualisme, mais pour
multiplier leurs significations et les liens qu’ils tissent entre eux.
C’est à une métaphore quelque peu traîtresse que Dominique
Raymond s’attaque dans son article, où il est également question de
Perec : celle qui assimile texte littéraire et message codé. S’agissant de
littérature à contraintes, on peut être tenté de voir la contrainte elle-même,
aussi bien que le sens « profond », comme un élément du contenu
provisoirement caché. Mais ce serait supposer que la contrainte, une fois
déchiffrée, aurait dans tous les cas un sens clair et unique. Et même si
l’on modifiait la métaphore pour assimiler la contrainte aux règles de
codage, celles-ci opèrent forcément d’une manière bien plus rigide que
les contraintes littéraires. Pour illustrer son propos, Dominique Raymond
se tourne vers un texte de Perec dont l’aspect formel ne saute pas aux
7
yeux – « Les lieux d’une fugue » – et y décèle, non pas pour décoder le
texte mais pour enrichir ses résonances, une contrainte de structuration
musicale dont l’origine se trouve peut-être dans un calembour sur « fugue
d’école ».
En se penchant sur Octogone de Jacques Roubaud, Thea Petrou
déplie les sens temporels des formes – anciennes et nouvelles – que le
poète y déploie. Le sonnet, « laboratoire central » du travail poétique de
Roubaud, lui sert à rendre hommage à des précurseurs et des disparus,
devenant ainsi palimpseste. Le « trident » et la « Joséphine », nouvelles
inventions, abandonnent la solidité cristalline ou même marmoréenne du
sonnet pour dire, dans leurs formes, le rétrécissement des capacités et la
disparition progressive. Ainsi concourent-ils à un émouvant adieu à la
poésie, sans précipitation et paradoxalement productif.
Le numéro 20 de Formules se clôt sur deux articles d’écrivains qui
sont des figures historiques de la revue : Didier Coste et Bernardo
Schiavetta. Dans les deux cas il s’agit de retracer un parcours formel et
vital, et de réfléchir sur ce que les formes ont voulu dire dans une vie
d’écrivain. Didier Coste interroge la présupposition courante d’une
harmonie entre forme et fond. Parfois les formes, comme les acteurs et
les actrices, donnent le meilleur d’elles-mêmes quand elles jouent à
contre-emploi, et les faire jouer ainsi permet de mettre en question le
statut « naturel » d’un emploi conventionnel. Saisi par la dynamique du
sonnet, Didier Coste ne s’est pas contenté, pas plus que le
« sonnetomane » Merrill Moore,4 de faire des variations sur des thèmes
patentés. À la suite de Rilke et ses Sonnets à Orphée, il a voulu
resémantiser la forme, en l’arrachant à la fonction élégiaque qu’il a si
souvent remplie depuis Pétrarque. Cependant, il ne s’agit pas simplement
pour lui d’établir de nouvelles correspondances entre formes et sens.
Dans des poèmes récents, écrits en anglais, il fait dialoguer un vouloir-
dire de convention et un contre-dire qui s’appuient sur des formes
renouvelées par une invention constante.
Comme le parcours de Didier Coste, celui de Bernardo Schiavetta
l’a mené vers l’altérité linguistique. C’est en traduisant en français
certains de ses poèmes écrits en espagnol sous des contraintes diverses
qu’il a vu se dégager les traits d’une altérité autre : celle de
l’hétéronymie. Ayant reconnu les étrangetés de ces poèmes, il leur a
inventé des auteurs et les a dotés de vies imaginaires dans lesquelles
lesdites étrangetés s’intègrent et s’expliquent tout naturellement. À
l’inverse de la biographie, pour laquelle les expériences vécues
déterminent en général la forme littéraire, dans ce cas insolite ce sont les
formes qui déterminent indirectement les expériences imaginées. Ainsi un
long détour par l’écriture sous contraintes, l’invention d’hétéronymes et
8
NOTES
1
Maniglier, Patrice. « Du mode d’existence des objets littéraires : Enjeux
philosophiques du formalisme ». Les Temps modernes 676 (mai 2013) :
66.
2
Ibid., 65.
3
À ce sujet, voir les remarques de Simon Jarvis dans « Why Rhyme
Pleases ». Thinking Verse 1 (2011) : 19.
4
Voir la vie brève de Merrill Moore dans Jacques Roubaud,
L’Abominable Tisonnier de John McTaggart Ellis McTaggart. Paris :
Seuil, 1997. 296-308.
5
Voir Maniglier. Ibid., 58.
10
Résumé
Abstract
On peut parler des formes de l’objet et l’on peut parler de ses qualités, par
conséquent forme et contenu peuvent être distingués. Mais ils ne peuvent
être séparés puisque c’est l’organisation formelle de l’objet qui fait sa
qualité. Il est notable que la formule utilisée pour évoquer le contenu –
« la qualité d’un complexe » – n’implique pas l’idée de signification, et
offre ainsi une voie théorique alternative par rapport à celle de la
sémiologie, une voie plus proprement esthétique – nous y reviendrons.
Ce qui compte pour Beardsley est qu’on lui accorde la définition
suivante : « la forme d’un objet esthétique est l’ensemble du réseau de
relation entre ses parties » (168). Une telle définition permet de donner à
la texture un statut théorique qui ne la relègue pas à de l’informe, et
même de concevoir entre texture et structure une continuité qui
n’enlèverait rien à leur différence. Structure et texture définissent toutes
deux la forme d’un objet esthétique, simplement à des niveaux de
perception différents. Beardsley propose les diagrammes suivants :
14
[FIGURE 1]
Diagrammes structure/texture proposés par Beardsley.7
[FIGURE 2]
Foyer municipal [Städtisches Obdach], 1926. Dessin lithographié, 43.8 x
54cm. © Artists Rights Society (ARS), 2015, New York. Tous droits
réservés.
15
Beardsley n’argue pas qu’ils ont tort de penser la chose ainsi ; mais que si
la chose paraît telle, c’est en raison des relations entre les petites parties
qui la composent ; et par conséquent, c’est pour une raison formelle. Il
entend par là renforcer sa démonstration, valider sa conception de la
texture en termes formels.
Pour notre part, avant de tenir pour valide cette conception, nous
voudrions interroger l’une de ses implications : celle qui consiste à faire
de la texture quelque chose qui est identique à la structure à la différence
d’échelle près. Pour rappel : les deux sont conçues comme rapports entre
parties, la première au niveau macroscopique, la seconde au niveau
microscopique – à condition d’enlever à ce qualificatif l’idée qu’il s’agit
de perception qu’on ne peut avoir sans l’aide d’un appareil.
est cet étrange cinéma dont les formes deviennent les actrices ? Comment
comprendre cette insolite revendication de la part d’un peintre qui n’a
pourtant produit ni bande dessinée ni dessin animé ? Que ces formes
soient mouvantes en dépit du fait qu’elles sont fixes serait en quoi
l’œuvre transcende cette fois le programme pictural en général. La texture
est ce qui permet aux formes structurelles d’acquérir une mobilité : si la
magie opère, alors les formes s’activent devant le spectateur dont le
regard scrute les « accidents » et les « impuretés » de la matière colorée,
qui prend vie.15
Si les traces de peinture font apparaître des « formes » qui semblent
plus ou moins accidentelles au sein des formes structurelles, on ne saurait
leur assigner une signification énonçable. Les impuretés ne sont pas pour
autant destituées par un message (représentatif, narratif, ou symbolique)
de la composition d’ensemble, qui les réduirait à l’inimportance.16 La
simplicité des formes structurelles et l’absence de formes
microstructurelles signifiantes favorisent l’aperception des « formes »
texturales (asignifiantes), invite à en considérer l’hypothétique et
problématique sens – autrement dit, le mystère.
œuvre d’art, les formes texturales qui ne valent pas comme imitation de la
texture d’objets extérieurs, ne veulent pas dire la manière dont elles sont
constituées ; elles sont telles qu’elles sont et cet être-tel offre l’expérience
de son être-tel. Cette double tautologie a peut-être au moins le mérite de
délester l’expérience esthétique d’un appareil conceptuel inutilement
lourd parce qu’inadéquat. Les formes texturales doivent en effet être
conçues comme le produit d’une intention qui vise à ce que le récepteur
leur porte attention ; et si on admet que l’intention esthétique de l’artiste
puisse avoir été dictée par la texture des matériaux qu’il/elle utilise, dans
un élan légèrement mystique on peut déclarer que les formes elles-mêmes
veulent dire : « prêtez-nous attention ». Mais réduire leur communication
à ce message, c’est risquer de réduire l’expérience perceptive à un
processus d’intellection (qui consisterait seulement à reconnaître cette
intention). Se contenter d’analyser l’œuvre d’art en termes sémiotiques
revient à manquer le potentiel émotionnel et spirituel de la texture. C’est
en ce sens que Rothko refusait la dénomination d’abstractionniste et
mettait en valeur l’importance des émotions. Lui-même, dans son
discours, ne parvient pas à sortir du modèle de la communication.
Cependant il parvient à atténuer ses défauts en expliquant que
l’« expérience religieuse » qu’il cherche à communiquer ne précède pas la
production de l’œuvre : elle est ressentie au cours de l’action de peindre.
distinction fait perdre de vue que ce qui est proprement artistique ne peut
être un message distinct de l’œuvre elle-même. Dire de l’œuvre qu’elle
est le message serait encore fallacieux. Si l’on veut conserver le terme de
communication, il faut alors concevoir une communication sans
message : une communication émotionnelle. Et la texture, au-delà de
l’intérêt qu’elle a dans l’optique de mieux connaître et apprécier les
rapports de formes et de couleurs, est ce qui permet de découvrir cette
communication perceptivo-émotionnelle. L’intelligence lectrice de
messages (représentatifs, symboliques, narratifs) est court-circuitée par
cet art du toucher, qui garde son mystère.
4. Texture et asignifiance
Aussi pourrions-nous conclure sur deux points. D’une part que l’idée de
signes asignifiants continue à être opérante dans l’ouvrage de Deleuze sur
la texture, bien que le terme asignifiance n’y apparaisse pas. D’autre part
que ce sont bien les formes structurelles qui ont tendance à « vouloir
dire » quelque chose : dans l’exemple du dessin de Kollwitz, la forme
pyramidale appelle à être interprétée comme constitution d’un abri par les
corps-mêmes, et renforce ainsi le signifié connoté (la misère) ; en
revanche, les traits qui dessinent les formes des étoffes constituent des
traits de style asignifiants. Les formes texturales font percevoir des forces
– même quand les corps « molaires » sont au repos. Elles donnent à
expérimenter les forces moléculaires ; elles tracent des devenirs entre
l’artiste, le récepteur et le « sujet ». L’exemple de Kollwitz illustre bien
l’avertissement de Deleuze et Guattari. Mais nous avons essayé de
montrer à partir de l’exemple de Rothko que cet avertissement n’est pas
toujours valable, puisque celui-ci parvient à faire agir une texture
asignifiante en prenant soin de composer des formes structurelles elles-
mêmes asignifiantes. Ainsi le théâtre des « formes » communique de
pures émotions.
28
NOTES
1
Mounin, Georges. Clefs pour la linguistique, Paris : Seghers, 1968. 79-
80.
2
Klee, Paul. Théorie de l’art moderne, Paris : Denoël, 1964. 58.
3
Voir Barthes, Roland. « La peinture est-elle un langage ? » La
Quinzaine littéraire (1-15 mars 1969) : 15-17.
4
En témoigne la présentation qu’en donne la conservatrice Anne Grace
pour une exposition au musée des beaux-arts à Montréal, que l’on peut
découvrir en suivant ce lien :
https://www.youtube.com/watch?v=5Rl5Hvspo88 Web. 14 décembre
2015.
5
Beardsley, Monroe C. Aesthetics : Problems in the Philosophy of
Criticism. Indianapolis/Cambridge : Hackett, 1981, (1958). 165. Nous
sommes responsables des traductions des citations en langue anglaise.
6
Ibid., 168.
7
Ibid., 171.
8
Ibid., 169.
9
Genette, Gérard. Fiction et diction, Paris : Seuil, 2004, (1991). 214.
10
Voir Barthes, Roland. « Eléments de sémiologie ». L’Aventure
sémiologique, Paris : Seuil, 1985. 66.
11
Leibniz, Gottfried Wilhelm. Nouveaux Essais sur l’entendement
humain, Paris : Flammarion, 1921. 91.
12
Dans son film Figures de l’invisible, Alain Jaubert fait des remarques à
propos de Jaune – Rouge – Bleu de Kandinsky qui rendent manifeste une
proximité avec le travail de Rothko : « De loin, ces figures paraissent
régulières. De près, on observe que le traitement est plutôt libre, que les
formes ne sont pas aussi strictement délimitées. » (3’’50-3’’58) ; «
Flottent des formes qui ne sont pas attribuables à des objets précis. »
(8’’28) ; il évoque aussi un « grouillement microscopique » (14’’).
13
« Si le tableau présente finalement l’aspect d’une configuration de
cristaux tranchants ou de pierres polies, ce n’est pas un jeu mais le
résultat logique d’une méditation sur la forme : la réflexion cubiste repose
essentiellement sur la réduction de toutes les proportions et aboutit à des
formes projectives primordiales, comme le triangle, le rectangle, et le
cercle. » (Klee, Théorie de l’art moderne, 12.)
29
14
« I think of my pictures as dramas ; the shapes in the pictures are the
performers. They have been created from the need for a group of actors
who are able to move dramatically without embarrassment and execute
gestures without shame. Neither the action nor the actors can be
anticipated, or described in advance. They begin an unknown adventure
in an unknown space. […] Ideas and plans that existed in the mind at the
start were simply the doorway through which one left the world in which
they occur. The great cubist pictures thus transcend and belie the
implications of the cubist program. » (Clifford Ross, éd., Abstract
Expressionism, Creators and Critics, New York : Abrams, 1990. 167-
168.)
15
Dans une lettre à Clifford Still, Rothko écrit : « I will say without
reservations that from my point of view there can be no abstractions. Any
shape or area that has not the pulsating concreteness of real flesh and
bones, its vulnerability to pleasure or pain is nothing at all. Any picture
that does not provide the environment in which the breath of life can be
drawn does not interest me. » (Ibid., 170.) Et dans ses notes : « I use
colors that have already been experienced through the light of day and
through the state of mind of the total man. In other words, my colors are
not colors that are laboratory tools which are isolated from all accidentals
or impurities so that they have a specified identity or purity. » (Ibid.,
173.)
16
Nous empruntons le concept de destitution à la Textique, où l’on parle
d’un « effet destitutif » de la forme globale sur son détail.
17
Eco, Umberto. Tr. Uccio Esposito-Torrigiani. La Structure absente.
Introduction à la recherche sémiotique, Paris : Mercure de France, 1972.
231.
18
Ibid., 231-232.
19
On trouve une position théorique similaire chez Deleuze : « Le
Baroque est l’art informel par excellence : au sol, au ras du sol, sous la
main, il comprend les textures de la matière (les grands peintres baroques
modernes, de Paul Klee à Fautrier, Dubuffet, Bettencourt…). Mais
l’informel n’est pas négation de la forme : il pose la forme comme pliée,
et n’existant que comme « paysage du mental », dans l’âme ou dans la
tête, en hauteur ; il comprend donc aussi les plis immatériels. Les
matières, c’est le fond, mais les formes pliées sont des manières. On va
30
Valeria De Luca
Université de Limoges
Antonino Bondì
École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris
Résumé
Abstract
1. Préambule
Par conséquent, c’est cette expressivité – par laquelle la figure peut être
interprétée sous le prisme d’une perception sémiotique dans une
continuité entre les faits linguistiques stricto sensu et des phénomènes de
sens constitués par des matières autres que la langue – qui permet,
comme dans le cas de la Ninfa warburgienne en tant que Pathosformel, de
formuler la répétition, la revenance, la survivance des images, en un seul
mot la reprise, en tant que retour non pas du même dans le sens d’une
« identité de l’être » mais dans celui d’un « semblable ».26 Didi-
Huberman, dans son analyse de la Nachleben – la vie posthume des
images dans le projet warburgien –, où l’on peut repérer à la fois une
dimension extensive de la figure et une dimension intensive de sa propre
force de figuration, cite à ce propos un passage de Giorgio Agamben
autour du Gleich (le même) nietzschéen. Le philosophe italien constate en
effet que Gleich
NOTES
1
Cadiot, Pierre et Yves-Marie Visetti. Pour une Théorie des formes
sémantiques. Motifs, profils, thèmes, Paris : PUF, 2001. Basso Fossali,
Pierluigi. La tenuta del senso. Per una semiotica della percezione,
Rome : Aracne, 2009. Didi-Huberman, Georges. L’Image survivante.
Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris :
Minuit, 2002. Gervais, Bertrand et Audrey Lemieux, éds. Perspectives
croisées sur la figure. À la rencontre du lisible et du visible, Québec :
Presses de l’Université du Québec, 2012. Batt, Noëlle. « L’expérience
diagrammatique : un nouveau régime de pensée », TLE (22 2005) : 5-28.
2
Visetti, Yves-Marie et Pierre Cadiot. Motifs et proverbes. Essai de
sémantique proverbiale, Paris : PUF, 2006.
3
Rosenthal, Victor et Yves-Marie Visetti. Köhler, Paris : Les Belles
Lettres, 2003. Bondì, Antonino. « Pour une anthropologie sémiotique et
phénoménologique. Le sujet de la parole entre cognition sociale et
valeurs sémiolinguistiques », Intellectica 63 (2015) : 125-148.
4
De Luca, Valeria. « Le figural entre imagination et perception »,
Metodo. International Studies in Phenomenology and Philosophy 3.1
(2015) : 199-220.
5
Fontanille, Jacques. Soma e Sema. Figures du corps, Louvain :
Maisonneuve et Larose, 2004.
6
Cadiot et Visetti, Pour une Théorie des formes sémantiques ; Visetti et
Cadiot, Motifs et proverbes. Le concept de forme sémantique apparaît
pour la première fois dans le contexte de la sémantique intérprétative de
Francois Rastier (Arts et sciences du texte, Paris : PUF, 2001), qui
l’utilise pour expliquer la tension essentielle entre fragments textuels qui
se stabilisent, formes de contextualisation et constitution de genres et
interprétations situées des locuteurs. La théorie des formes sémantiques
de Cadiot et Visetti, de son côté, vise à élargir la notion de forme
sémantique, conçue comme la clé de voûte d’une nouvelle théorie
linguistique à la fois perceptiviste, praxéologique et expressiviste. Dans
cette perspective, le concept de forme – au sens d’une forme dynamique
et microgénétique – devient central pour définir les phases de
stabilisation du sens, scandé selon ces phases d’organisation (motifs,
profils et thèmes) et se différenciant constamment par transposition des
formes mêmes.7 Le primat de la perception est une expression de
Merleau-Ponty (Le Primat de la perception et ses conséquences
48
autorisation de l’auteur.
23
On se réfère évidemment à l’ouvrage fondateur de Jean-François
Lyotard autour du figural : Discours, figure (1971). Pour un examen de la
figuralité dans les images, nous renvoyons à Acquarelli, Luca, éd. Au
prisme du figural. Le sens des images entre forme et force, Rennes :
Presses Universitaires de Rennes, 2015. Pour un examen sémiotique sur
la figure et le figural voir le déjà mentionné Parret, Sutures sémiotiques
(2006). Nous renvoyons aussi à De Luca, « Le figural entre imagination
et perception », Metodo. International Studies in Phenomenology and
Philosophy 3.1 (2015) : 199-220.
24
Cf. la notion d’imaginaire radical élaborée par Cornelius Castoriadis.
25
Prévost, Bertrand. « L’image et le problème de l’expression. Pour une
cosmologie esthétique », op. cit.
26
Didi-Huberman, Georges. L’Image survivante. Histoire de l’art et
temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris : Minuit, 2002. 172.
27
Agamben, Giorgio, cité dans Didi-Huberman, ibid., 172.
28
Pour une réflexion sur les relations entre musement et imaginaire nous
renvoyons à De Luca, Valeria. « Tra valore e immaginario : musement e
magma a confronto », RIFL 1 (2015) : 19-31.
29
Gervais, Bertrand. Figures, lectures. Logiques de l’imaginaire – Tome
I, Montréal : Le Quartanier, 2007. 16-17, 19, 31.
30
Jenny, Laurent. « Du style comme pratique », Littérature 118 (2000) :
102. http://www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_2000_num_118_2_1679.
31
Ibid.
32
Ibid. : 111-112, 117.
33
Maniglier, Patrice. « Du mode d’existence des objets littéraires : enjeux
philosophiques du formalisme », Les Temps modernes 676.5 (2013) : 56-
57.
50
Ingrid Riocreux
Résumé
L’histoire du fragment moraliste est autant celle d’un genre littéraire que
du renouvellement de la conception sémiotique et sémantique d’une
forme. La Rochefoucauld paraît concevoir l’espace blanc comme la
matérialisation du silence dans lequel s’exprime la Vérité indicible, que le
51
Abstract
du lecteur chargé d’en chercher les motivations. »19 De fait, dans cette
forme particulière – « insolite »20 – qu’est le fragment, la négation vient
faire système avec les espaces blancs qui manifestent les silences du
texte. C’est l’espace blanc qui rend problématique la négation des
énoncés moralistes en les isolant, au moins en apparence, de tout contexte
discursif, de sorte que le lecteur se retrouve comme seul face au rejet de
ses propres préjugés, dans un cadre qui dénonce l’insuffisance de son
intellect et semble donc lui interdire de penser, pour son propre bien. Il
devient le spectateur d’une entreprise systématisée de démolition de sa
manière d’être au monde, sans que lui soit proposé d’enseignement de
substitution, puisque sur le mode aléthique ou déontique, le moraliste se
refuse à adopter un discours explicitement didactique. Le lecteur est
renvoyé à lui-même et sommé de compléter les manques informatifs
résultant d’une démarche qui consiste moins à dire ce que les choses sont
que ce qu’elles ne sont pas. Il y a bien un phénomène pétrifiant dans cette
combinaison du dire que ne pas, matérialisé par la négation, et du ne pas
dire, manifesté par les blancs typographiques.
Alain Montandon a consacré un article aux « espaces blancs de
l’aphorisme ».21 Son point de départ est l’expérience empirique de la
lecture : il note que le fragment moraliste « se donne à lire dans une
discontinuité radicale, séparé, encadré par des espaces bancs. »22 Or,
« ces blancs provoquent une stupeur immédiate, comme un silence
diffus »23 qui n’est ni « inerte » ni « neutre ».24 Balayant un corpus
diachronique large et varié, Alain Montandon conclut ce qu’on pourrait
appeler son esthétique de la réception des textes fragmentaires en
proposant de considérer avant tout « l’espace entre le dire et le dire, ou le
vide de la discontinuité » comme un « appel à la liberté ».25 Des citations
célèbres de Stéphane Mallarmé, Maurice Blanchot, René Char et Paul
Valéry concernant l’esthétique du discontinu se côtoient dans cette mise
en perspective théorique très générale qui prend La Rochefoucauld pour
point de départ mais ne s’attache pas à la spécificité de l’écriture morale
et partant, n’établit pas de lien entre le sens de l’espace blanc et le sens du
texte, entendu très concrètement comme ce vers quoi il tend, sa visée.
En effet, La Rochefoucauld le dit dans une maxime présente dès la
première édition et maintenue telle quelle jusqu’à la dernière
(contrairement à bien d’autres) : « Le silence est le parti le plus sûr de
celui qui se défie de soi-même » (max. 79, p. 144). En nous montrant que
56
Pour avoir une idée juste des choses, il faut prendre les mots
dans la signification opposée à celle qu’on leur donne dans le
monde. Misanthrope, par exemple, cela veut dire
Philanthrope ; mauvais Français, cela veut dire bon citoyen,
qui indique certain abus monstrueux ; philosophe, homme
simple, qui sait que deux et deux font quatre, etc. (258, p.
105).
58
Mais alors que les moralistes chrétiens soutenaient une position plus ou
moins explicitement essentialiste, on voit que Chamfort est un vrai
nominaliste. Et il l’est d’autant plus que, pour lui, les valeurs morales
sont des coquilles vides. On objectera qu’il faut peut-être, comme c’était
le cas chez La Rochefoucauld, distinguer entre le vrai et le réel, comme
le prouverait l’incidente dans la maxime suivante : « L’amour, tel qu’il
existe dans la société, n’est que l’échange de deux fantaisies et le contact
de deux épidermes. » [mes italiques] (359, p. 133).30 On pourrait déduire
de cette maxime qu’il existe un amour idéal, à titre de concept non-réalisé
ici-bas, ou même d’exception (historique et/ou géographique), hors de
l’état social. D’une manière ou d’une autre, il faudrait, pour que cette
maxime permette d’envisager l’existence d’un amour vrai, qu’il existât
un amour possible en dehors de la société. Or, ce n’est pas le cas.
Chamfort ne croit pas en Dieu. Et l’état de nature est chez lui, comme
chez Rousseau, une image idéale au rôle purement rhétorique, une
hypothèse méthodologique permettant de condamner une situation de fait,
bien réelle celle-là. L’amour n’existe donc que dans la société, où il ne
présente aucun point commun avec sa version idéalisée ; et il est
impossible de renouer avec l’amour naturel pur puisque « la société n’est
pas, comme on le croit d’ordinaire, le développement de la nature, mais
bien sa décomposition et sa refonte entière. C’est un second édifice, bâti
avec les décombres du premier. » (8, p. 53).
Les hommes sont condamnés à vivre en société, privés de toute
transcendance qui soutienne les valeurs morales. Dans ces conditions,
sans que cela doive nous surprendre, Chamfort aboutit à une éthique
minimaliste : « Jouis et fais jouir, sans faire de mal à toi ni à personne,
voilà, je crois, toute la morale. » (319, p. 123). Dans un monde sans
repères, le plaisir et la douleur deviennent les seuls critères de
discrimination entre le bien et mal. Ne pouvant plus se référer ni à une
morale théologiquement fondée, ni à une morale naturelle (Chamfort
incarne bien la crise des Lumières), on parle et on juge au nom de soi-
même, en tâchant de ne pas oublier que les autres sont autant de moi
susceptibles d’éprouver, comme soi-même, plaisir et douleur. On aboutit
à une approche totalement égocentrée de la morale, que l’on pourrait
résumer par l’impératif, bien connu, de ne pas faire aux autres ce qu’on
n’aimerait point qu’on nous fît. Dans cette perspective, Chamfort
59
NOTES
1
Fink, Arthur-Hermann. Maxime und Fragment : Grenzmöglichkeiten
einer Kunstform. Zur Morphologie des Aphorismus, München : Max
Hüber Verlag, 1934.
2
Krüger, Heinz. Über den Aphorismus als philosophische Form,
München : Dialektische Studien, 1957.
3
Kruse, Margot. Die Maxime in der französischen Literatur. Studien zum
Werk La Rochefoucaulds und seiner Nachfolger, Hambourg : De Gruyter,
1960.
4
Susini-Anastopoulos, Françoise. L’Écriture fragmentaire. Définitions et
enjeux, Paris : Presses universitaires de France, 1997.
5
Doubrovsky, Serge. « Vingt propositions sur l’amour-propre : de Lacan
à La Rochefoucauld », Parcours critique, Paris : Éditions Galilée, 1980.
203-234. 203.
6
Larthomas, Pierre. Notions de stylistique générale, Paris : Presses
Universitaires de France, 1998. 225-226.
7
Jürgen von Stackelberg a imposé ce concept dans la critique allemande
(Französische Moralistik im europäischen Kontext, Darmstadt :
Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1982), et Louis van Delft en a
généralisé la forme francisée, qui figure même dans le titre d’un article
(« Moralistique et topographie : caractères et lieux dans l’anthropologie
classique », dans Nies, Fritz et Karlheinz Stierle, éds., Französische
Klassik. Theorie. Literatur. Malerei, München : Fink, 1985. 61-87).
8
Lafond, Jean. Moralistes du XVIIe siècle, Paris : Robert Laffont, 1992.
XIV.
9
Molinié, Georges. « Statut énonciatif et fonction littéraire du discours
bref à l’âge baroque : une figure de l’insatisfaction », dans Les Formes
brèves de la prose, Paris : Vrin, 1984. 89.
10
Ibid.
11
Schapira, Charlotte. La Maxime et le discours d’autorité, Paris :
SEDES, 1997. 93.
12
J’utilise pour édition de référence : La Rochefoucauld, François de.
Réflexions ou Sentences et maximes morales et Réflexions diverses,
Laurence Plazenet, éd., Paris : Champion, 2005. 135.
13
On pense à Paul Bénichou (L’Écrivain et ses travaux, Paris : Librairie
José Corti, 1967). Mais plus encore à Jean Starobinski (« Complexité de
64
43
Cioran, Emil Michel. Le Crépuscule des pensées, Paris : Éditions de
l’Herne, 1991. 138.
44
Cioran, Emil Michel. Précis de décomposition, Paris : Gallimard, 1977.
45
Porte, Yann. « Cioran, sceptique abîmé et cynique fragmenté »,
Alkemie 6 (décembre 2010) : 66-90. 88.
46
Ibid., 79.
47
Ibid., 68.
48
Cioran, Emil Michel. De l’inconvénient d’être né, Paris : Gallimard,
1973. 131.
49
Susini Anastopoulos, Françoise, op. cit. 3.
67
Augustin Voegele
Université de Haute-Alsace
Résumé
Abstract
C’est cette totalité subsumante (mais qui n’est connaissable que par
le biais des phénomènes subsumés) que rend visible, par un mécanisme
d’analogie, le cycle, cet ensemble à la fois vaste et complexe qui tire sa
cohérence non de sa linéarité, mais du jeu de rapports et de rappels qui
l’anime et le structure. Tout cycle, en effet, est aussi une collection, et
« fabrique du liant, invente des connexions inaperçues, réunit ce qui a été
séparé ».29
73
comme suite d’« ondes d’historiques » : celle qu’il raconte dure vingt-
cinq ans, du 6 octobre 1908 au 7 octobre 1933, et elle a pour « crête »40 la
bataille de Verdun.
C’est donc une vision du monde (ou de l’univers) qui se traduit,
selon des modalités variables, par le choix de la forme longue. Faut-il
voir, dès lors, dans la longueur du roman-fleuve du premier XXème
siècle français, le signe d’une volonté de construire des mondes
fictionnels « habitables »,41 des univers romanesques hospitaliers, dans
lesquels on puisse, à volonté, s’installer, ou voyager ? Il va de soi que les
dimensions impressionnantes des Hommes de bonne volonté par exemple
ajoutent au réalisme, et donnent au lecteur le sentiment d’une liberté
réelle de mouvement au sein du roman, de telle sorte que la forme fait
sens en tant qu’elle participe de la stratégie mimétique globale du livre.
Toutefois, l’adjectif « habitable » ne s’applique pas qu’aux romans
longs : ainsi, si Mauriac l’appliquait à Proust et Balzac (dont il aimait les
œuvres dans la mesure où il pouvait y entrer et en sortir quand il
voulait),42 il l’appliquait aussi à ses propres romans. Plus récemment,
Bernard Vouilloux l’a utilisé pour qualifier les récits de Julien Gracq.43
Sont ainsi « habitables » aussi bien des œuvres interminables que des
récits brefs – sans compter que, pour Mauriac, l’archétype de l’œuvre
inhabitable, c’est Ulysse, donc une œuvre longue, très longue même.
Mais ce n’est peut-être pas les dimensions des romans-fleuves qui
en font des œuvres habitables. Certes, pour Tiphaine Samoyault,
l’aboutissement d’un projet littéraire aussi ambitieux qu’un roman-fleuve
est le signe d’une foi renouvelée dans la capacité du livre à rendre le
monde intelligible.44 Cependant, on peut aussi bien considérer (c’est
l’avis d’Aude Leblond) que le roman-fleuve, parce qu’il semble
impossible de le conclure, de le borner, de cerner ses contours, est à
l’image d’un univers déroutant et indéchiffrable. Jules Romains, Georges
Duhamel et Roger Martin du Gard seraient ainsi les héritiers lointains des
romanciers baroques. Il est en tout cas difficile de contester que le roman-
fleuve est un genre ouvert, qui se distingue par son « refus de
conclure »,45 et qui par là même est propre à raconter le destin
inélucidable d’une « époque disloquée ».46 Jules Romains ne le cache pas,
il a songé à poursuivre son roman, et à y intégrer le récit de la Seconde
Guerre mondiale. Il a d’ailleurs donné une « suite » (certes de faible
qualité littéraire, mais ce n’est pas là ce qui importe) aux Hommes de
77
NOTES
1
Boileau, Nicolas. L’Art poétique, Paris : De l’imprimerie d’Aug.
Delalain, 1815. 3.
2
Diderot, Denis. Jacques le Fataliste et son maître, Paris : Le Livre de
poche, 2000. 85.
3
Chauveau, Jean-Pierre. Lire le Baroque, Paris : Armand Colin, 2005.
27.
4
Stalloni, Yves. Écoles et courants littéraires, Paris : Armand Colin,
2015. 48.
5
Prigent, Christian. « Roue, roue voilée, roue en huit ». Figures du
Baroque, Jean-Marie Benoist, éd., Paris : Presses universitaires de
France, 1983. 169.
6
Bourg, Lionel. Matière du temps, Portiragnes : Cadex, 1996. 58.
7
Gheysens, Fabienne. Baroque, préciosité et burlesque : quand
l’instabilité s’empare des lettres françaises, Namur : 50 minutes, 2015.
13.
8
Delecroix, Vincent. Poussin. Une journée en Arcadie, Paris :
Flammarion, 2015. 220.
9
Scudéry, Madeleine de. Artamène ou le grand Cyrus, partie 1, livre 1,
Paris : Augustin Courbé, 1656. 5.
10
Scudéry, Madeleine de. Artamène ou le grand Cyrus, partie 10, livre 3,
Paris : Augustin Courbé, 1656. 850.
11
Urfé, Honoré d’. L’Astrée, première partie, Paris : Champion, 2011.
109.
12
Ibid.
13
Poletto, Christine. Arts et pouvoirs à l’Âge baroque : crise mystique et
crise esthétique aux XVIème et XVIIème siècles, Paris : L’Harmattan,
1990. 197.
14
Besançon, Alain. « The Roots of Modern Iconoclasm ». Jan Assmann,
Albert I. Baumgarten, éds., Representation in Religion : Studies in
Honour of Moshe Barash, Leyde : BRILL, 2001. 320.
15
Hugo, Victor. Les Travailleurs de la mer, Paris : Ollendorf, 1911. 80.
16
Hugo, Victor. Les Misérables, volume 2, Paris : Gallimard, 1973. 79.
17
Hugo, Victor. « Lettre au rédacteur en chef du Croisé ». Œuvres
complètes : Correspondance, tome III, Paris : Albin Michel, 1952. 64.
18
Voir Romains, Jules. « Petite Introduction à l’unanimisme ».
Problèmes d’aujourd’hui, Paris : Kra, 1931. 149-182.
19
Ibid., 164.
20
Aragon, Louis. Avez-vous lu Victor Hugo ? Paris : Pauvert, 1964. 22.
21
Claudel, Paul. « Sur Victor Hugo ». Œuvres en prose, Paris :
Gallimard, 1965. 80.
82
22
Philippe Dufour. « Flaubert lecteur : une histoire des écritures ».
Flaubert : revue critique et génétique 2 (2009). Revues.org. 14 décembre
2015.
23
Voir La Forge, Anatole de. Les Serviteurs de la démocratie, Paris : G.
Maurice, 1886.
24
Hugo, Victor. « Lettre à Champfleury ». Œuvres complètes :
Correspondance, tome II, Paris : Albin Michel, 1950. 331.
25
Dumas, Alexandre. Causeries, volume I, Paris : Michel Lévy frères,
1860. 5.
26
Robert, Guy. « Zola et le classicisme ». Revue des sciences humaines
49-50 (1948) : 138. Voir aussi Borie, Jean. « Une littérature
démocratique ? La situation des écrivains naturalistes ». Qu’est-ce que la
culture française ? Jean-Paul Aron, éd., Paris : Denoël-Gonthier, 1975.
77-102.
27
Schalk, David. « Zola et l’histoire : l’historien Zola ». Les Cahiers
naturalistes 67 (1983) : 47-55. 48.
28
Thibaudet, Albert. Réflexions sur la littérature, Paris : Gallimard, 2007.
881.
29
Besson, Anne, Vincent Ferré et Christophe Pradeau. « Avant-propos ».
Anne Besson, Vincent Ferré et Christophe Pradeau, éds., Cycle et
collection, Paris : L’Harmattan, 2008. 7-14. 11. Sur le cycle romanesque,
on pourra consulter également : Pradeau, Christophe. L’Idée de cycle
romanesque. Thèse de Doctorat. Université de Saint-Denis, 2000 ;
Conrad, Thomas. Poétique des cycles romanesques, de Balzac à
Volodine. Thèse de Doctorat. Paris 3 Sorbonne Nouvelle, 2011.
30
Au sujet de débats sur la délimitation du corpus des romans-fleuves,
voir Leblond, Aude. Sur un monde en ruine. Esthétique du roman-fleuve,
Paris : Champion, 2015. 12 : « [Pour certains, parmi lesquels Tiphaine
Samoyault], le terme de roman-fleuve [ne doit être retenu] que pour les
romans où la narration s’organise effectivement autour d’un fleuve, sous
forme matérielle ou allégorique ».
31
Rolland, Romain. « Lettre à Sigmund Freud ». Un beau visage à tous
sens. Choix de lettres de Romain Rolland, Paris : Albin Michel, 1967.
264-266.
32
Blanchot, Maurice. Le Livre à venir, Paris : Gallimard, 1959. 10 et 18.
33
Rolland, Romain. Jean-Christophe, Paris : Albin Michel, 2007. 1482.
34
Voir Blanchot, Maurice. Op. cit., 19-37.
35
Piat, Julien. « Proust par/entre parenthèse(s) ». Acta fabula 14.2
(février 2013). Web. 14 décembre 2015. Julien Piat propose une
recension de l’ouvrage d’Isabelle Serça, Les Coutures apparentes de la
Recherche. Proust et la ponctuation, Paris : Honoré Champion, 2010.
36
Rousset, Jean. Forme et signification, Paris : Corti, 1989. 135.
83
37
Ibid., 138.
38
C’est le titre du recueil poétique majeur de Jules Romains, paru en
1908. Voir Romains, Jules. La Vie unanime, Paris : Gallimard, 1983.
39
Voir Leblond, Aude. Op. cit., 337-436.
40
Romains, Jules. Ai-je fait ce que j’ai voulu ? Paris : Wesmael-Charlier,
1964. 110.
41
Voir Leblond, Aude. Op. cit., 507.
42
Voir « François Mauriac à propos de Mémoires intérieurs ». INA. 1959.
Web. 14 décembre 2015.
43
Vouilloux, Bernard. Julien Gracq : la littérature habitable, Paris :
Hermann, 2007.
44
Voir Samoyault, Tiphaine. Excès du roman, Paris : Maurice Nadeau,
1999.
45
Voir Leblond, Aude. Op. cit., 447-457.
46
Romains, Jules. Le Fils de Jerphanion, Paris : Flammarion, 1956. 137.
47
Romains, Jules. Le 7 octobre (Les Hommes de bonne volonté, tome 27),
Paris : Flammarion, 1946. 324.
48
Duhamel, Georges. La Passion de Joseph Pasquier (La Chronique des
Pasquier, tome 10), Paris : Omnibus, 1999. 1343.
49
Romains, Jules. « Préface ». Le 6 octobre (Les Hommes de bonne
volonté, tome 1), Paris : Flammarion, 1932. VII-VIII.
50
Duhamel, Georges. Défense des lettres : biologie de mon métier, Paris :
Mercure de France, 1937. 33.
51
Martin du Gard, Roger. « Lettre à Jean Fernet ». Correspondance
générale, tome 1, Paris, Gallimard : 1980. 200.
52
Thérive, André. « Les Hommes de bonne volonté. VII. Recherche d’une
église. VIII. Province ». Bulletin des Amis de Jules Romains 10 (1977) :
39.
53
Voir Fraisse, Luc. L’Œuvre cathédrale : Proust et l’architecture
médiévale, Paris : Corti, 1990.
54
Voir Leblond, Aude. Op. cit., 23.
55
Voir Romains, Jules. Vorge contre Quinette (Les Hommes de bonne
volonté, tome 17), Paris : Flammarion, 1939. 237-243.
84
Véronique Duché
The University of Melbourne
Et je t’asseure à bon escient que bien traduire est chose mal aisée
Debat des deux gentizhommes Espagnolz, 1541, ã iii
Abstract
Résumé
texte (letra) et image (divisa), ces courtes strophes étaient le plus souvent
arborées à l’occasion de fêtes de cour, notamment joutes et tournois
solennels. Inscrites sur des objets ou brodées sur des vêtements, elles
faisaient partie des jeux poétiques et des rituels de la cour. Le Cancionero
General de Hernando del Castillo (1511) comprend 106 letras de
invención, mais ces dernières pouvaient également figurer dans des
romans sentimentaux, comme la Questión de amor (1513), le plus
important gisement de devises à notre connaissance. Cependant la
traduction de ces formes poétiques n’était pas sans poser problème à la
Renaissance, la letra de invención ne semblant pas avoir d’équivalent en
poésie française. Cet article étudie un corpus de letras de invención issues
de deux traductions françaises du XVIe siècle et examine la déperdition
de leur sens.
enigmatic combinations of visual device and brief verse. This study will
scrutinize and compare the French versions of these Spanish poetic forms
and show the mechanisms of their transfer and translation.
The letra de invención, a minor genre of Castilian poetry, was very
popular at the court of the Catholic Monarchs.8 These occasional poems
added a visual element (divisa) to a short poem (letra) consisting of 2, 3
or 4 octosyllables following the conventions of cancioneril poetry.9
Exhibited as a crest on the knight's helmet (cimera), inscribed on small
wooden boards (rótulos) or embroidered on cloth draperies (paramentos),
this spectacular genre was composed primarily for festive occasions such
as tournaments and jousts. The Cancionero General compiled by
Hernando del Castillo included 106 of them,10 but letras de invención
were also inserted in novelas sentimentales, such as Diego de San Pedro’s
Tractado de amores de Arnalte y Lucenda (5 letras) or Nicolás Núñez’s
Continuación (21 letras), Questión de amor being the richest with its 128
letras. This courtly lyric offered a miniature art where play, and
especially word-play, came to the fore; furthermore the interrelationship
between divisa (image) and letra (text) was very close, and readers were
asked to exercise their imagination in order to decipher the hidden
meaning of this witty combination.
The anonymous author11 of Questión de amor exacerbated the
hermetic dimension of the letra de invención by offering a “roman à
clef.” As stated in the “Argumento y declaración de toda la obra,” he
conceals not only his own identity, but also that of his characters, giving
nonetheless clues about their real names:
[In the present work the author remains silent and hides his
name [...]. He also silences and disguises all the names of the
gentlemen and ladies who enter into the work, and the titles
and cities and domains, prelates and lords named therein, but
for those who might be inclined to seek out and know the
truth, the first letters of the false names are the first letters of
the true names of all the gentlemen and ladies represented,
and by the colors of the attire named in the work or by the
first letters of the invenciones, one can also discover who the
servants are and who are the ladies they serve.]
Some effects, such as the sound inversion in (19) mis enojos/en mis ojos,
present a difficult challenge for the translators – ignored by Bertaut, but
rendered with an assonance by his competitor: ennuis/diverty/conduictz.
The characteristic attribute of the letra is its rhetorical substrate.
Figures such as antithesis or parallelism are easily translated into French
– dentro y fuera (15): devant et derriere (La Penitence); par dedans et par
dehors (Le Debat); encubre/descubre (13): couvert, descouvert (La
Penitence and Le Debat); en el alma y en la vida (2): sur mon ame et sur
ma vie (Le Debat). The syntax of the Spanish original is generally
respected, especially by Bertaut who mostly sticks to it; but the
anonymous translator tries to add an element of surprise in his poems and
changes the syntax in order to grant special weight to the last line, as in
90
the pointe of the traditional epigram. The second letra in our corpus
shows this trend very clearly:
Encontráronme ‘n los Les yeulx m’ont Sur mon ame & sur
ojos rencontré ma vie
y hizieron la herida Et ont faict la playe si A esté le coup
en el alma y en la vida. grande emprainct
Que je la sentz dehors & Bien qu’aux yeulx,
dedans. m’ayent atteint.
(La Penitence) (Le Debat)
In sum, the external shape of the letra (metrics, rhyme pattern) as well as
its construction material (rhetorical figures) are more or less transferred
into the French poems. However the most important feature of the letra
de invención, that is its invention, its wittiness, is very often overlooked:
the close link between the divisa and the letra, the image and the word, is
discounted (see Table 2).
This loss is mainly due to mistranslations. For example the
“villetas de oro de martillo” (2) still puzzle the scholars. A villeta is a
billet, an heraldic charge in the shape of a rectangle, but also a spearhead.
In the letra, the jouster/lover has been hurt in the eyes by the spearhead.
Both translators struggle with this unknown word: Bertaut ignores the
villetas and invents the image of buckles with a peak pointing downwards
(“petites boucles dor le hardillon contrebas”), while his colleague evokes
private items (“petites privetez d’or battu”). The Holy door (“puertas de
jubile cerradas”) is also an issue for Bertaut, who understands it as a
closed letter of indulgence (“unes bulles de pardons fermees & serrees”).
The sixth letra in our corpus has challenged both translators, who have
unfortunately missed the allegorical dimension of the text/image
combination.
The golden leads (“laxas de oro”) are released by the lover who sends his
hunting dog Pleasure (“Plazer”) in pursuit of Hope (“Esperança”).
Bertaut’s almost literal translation misunderstands the text – he makes the
91
ANNEXES
Table 1
Corpus: letras de invención
Questión de amor (14-23) Penitence d’amour (m6-n6) Debat des deux gentilzhommes
(A4-B2)
1 Es imposible saltar Il est impossible saillir Impossible m’est de saillir
de las brasas donde muero Des braises qui brusler ne Du grand feu qui m’a espris :
pues que m’abrasa ‘l cessent Car j’en suys tout entrepris,
brasero. Puis que ne peult le feu faillir
Et n’ya moyens qui l’appaisent
2 Encontráronme ‘n los ojos Les yeulx m’ont rencontré Sur mon ame & sur ma vie
y hizieron la herida Et ont faict la playe si grande A esté le coup emprainct
en el alma y en la vida. Que je la sentz dehors & Bien qu’aux yeulx, m’ayent
dedans. atteint.
3 No pueden passer mis males Ne peuvent passer mes maulx Ne peuvent oultre passer
pues qu’en medio Puis que au millieu Mes maulx desquelz n’ay
les á faltado remedio. Le remedde ya failly. deffault
Car le remede leur fault.
5 Aunque aya en todos los Encores qu’il y ayt en tous les Combien qu’en tous maulx y
males maulx redemption ait redemption
redempción, Nesespere en ma passion. N’en a en ma passion.
no s’espera en mi passion.
6 Yo solté tras mi ‘sperança J’ay deslié mon esperance apres Plus tormenté moins repenty
mi placer, mon plaisir
y jamås le vi bolver. Sans jamais y revenir.
7 Tiene puesta mi ‘sperança Mon esperance tient son Pourchasser mon esperance du
El pensamiento pensement, passement
Donde la derriba el viento. De la ou tire le vent Il n’y fault que ung peu de vent
8 La poca firmeza haze Le peu de fermeté donne tant de Mon foible pouvoir est cause
a mi cuidado soucy Que l’ennuy au cueur cloué
qu’esté ‘n ell alma clavado. A ce quest dedans mon cueur Ne peult estre descloué.
cloué.
9 Si un inconveniente quito Si je oste ung grief à mon Oste mon inconvenient de mon
A mi pesar, desplaisir ennuy,
Me nacen siete a la par. Il m’en naist sept à l’autre part. Sept en viennent pour celluy.
94
14
Con mis tiros [he] apartado Avec mes traitz j’ay separé la J’ay les vies desparty
las vidas, por ser mortales, vie Des deux pour estre mortelles,
mas no dellas las señales.
De ceulx pour estre mortelles Mais non la memoire d’elles.
mais pas les armes d’icelle.
15
La muerte dexó ‘l dolor La Mort a laissé la douleur Les douleurs que mort laissa.
y tristeza de manera & tristesse de maniere, Qu’elle Ont noircy mon triste corps
que se muestra dentro y se Par dedans & par dehors.
fuera. monstre devant & derriere.
16
La vida desesperada, La vie desesperee travailleuse Travailler est le repos.
trabajosa, Avecques le travail repose. De la vie travaillée
con el trabajo reposa. En despoir desesperée
17
Todas van mis alegrías Toutes mes joyes s’en vont Tous mes desduictz, vont par
por el suelo, soubz les piedz, terre.
pues no ay en mi mal Puis que je ne puis trouver en Veu que pour ma passion
consuelo. mes douleurs consolation N’y a consolation
18
La puerta de mi ‘sperança La porte de mon esperance ne La porte de mon espoir,
no se puede más abrir se peut ouvrir jusques je tourne Jusques à tant ne s’ouvrera,
Hasta que torne ‘l morir. à mourir. Que la mort retournera.
19
Secáronla mis enojos Mes ennuiz l’ont seichee Pour la passer par mes yeulx,
Para pasalla en mis ojos. Pour la passer parmy mes yeux mes ennuis
Ont diverty les conduictz.
20
Sin ventura mi remedio. Sans bonne aventure mon Sans remede ma fortune.
remede
Table 2
Corpus: divisas
Questión de amor (14-23) Penitence d’amour (m6-n6) Debat des deux gentilzhommes
(A4-B2)
1 Unos braseros de plata ung brasiers d’argent reschaufoers d’argent pleins de
llenos de brasas braise vive
2 Unas villetas de oro de petites boucles dor le hardillon petites privetez d’or battu
martillo contrebas
9 Unas serpientes llamadas ung serpent dargent a sept serpens d’argent que l’on appelle
idrias, de plata testes nomme hydra ydres à sept testes
14 Las armas de Vasquirán dars qu’il sembloit qu’eust tiré de fleches y avoit grand nombre
cuarteadas con las de la Mort de celle porte fichees parmy [les armes de
Violina, cona unas flechas Vasquiran et de Violine], que la
[…] que la muerte las mort de l’huis y avoit tirees, par
tirava de la puerta semblant
96
15 Por todas las otras partes aultres parties de la Maison Tous les huys des chambres &
de la casa que todas las estoient tendues des salles estoient tainctz de noir
puertas estaban teñidas de de tous les deux costez
negro de dentro y de fuera
16 Una cama sin cortinaje ung lict en courtine ung lict dressé sans cortines ne
[…] con unas faxas rideaulx
amarillas en torno
17 Reposteros de grana tappix rouges Les beaulx tappis d’escarlatte
18
La principal puerta cerrada ung beau Jardin, la porte Ung beau jardin, duquel la
de cal i canto
duquel estoit fermee maistresse porte estoit semee à
chault & sable
19
Una muy rica fuente, la une fontaine fort riche de fin une fontaine de marbre taillée à
cual estaba seca que no Albastre bien doré qui ne demye bosse d’un ouvrage bien
corría
rendoit point d’eaue singulier, mais elle estoit tarie
20
Todas la puertas estaban
teñidas de negro de dentro
y de fuera
21
Un rico espejo
myrouer ung riche mirouer
22
los todos vestidos de tous vestuz de jaulne, & en la Accoustrez de gris ayans des
amarillo con unos rótulos manche dextre
rooles à la manche du costé
en la mangas yzquierdas
gauche
23
La sepoltora de Violina la sepulture de Violine soubz
un grand tombeau d’Albastre
con una tumba grande
97
NOTES
1
On the translation of poetry into French during the 16th century, see
Histoire des Traductions en Langue Française XVe et XVIe siècles (1470-
1610), ed. V. Duché, Paris: Verdier, 2015, Chap. 18. 996-1181.
2
“le vers espagnol franchit mal les Pyrénées au XVIe siècle” (R. Béhar,
Histoire des Traductions en Langue Française XVe et XVIe siècles, op. cit.,
1141).
3
Cüestión de amor de dos enamorados, Valence : Diego de Gumiel,
1513. The only intact copy surviving of the editio princeps is in the
British Library (C.57.g.14). 22 editions in Castilian were published
(1513-1604) in Spain, Italy, Portugal, the Netherlands and France. The
novel was sometimes added to Cárcel de amor by Diego de San Pedro, or
Filocolo by Boccaccio. It takes place at the court of the viceroy of Naples
in 1512; the two heroes debate who suffers more in love: Vasquirán,
whose beloved Violine has died, or Flaminio, who is rejected by the hard-
hearted Belisena. The title reads: “De dos amorados: al uno era muerta su
amiga: el otro sirve sin esperança de galardon. Disputan qual delos dos
sufre mayor pena.”
4
In her article, V. Blay Manzanera identifies 128 letras, one mote, two
coplas, seven villancicos, ten canciones, the Égloga de Torino, and the
Visión (V. Blay Manzanera. “Prosa y verso en la ficción sentimental del
siglo XVI: el caso de Questión de amor (Valencia, 1513)”, La corónica
29.1 (2000): 15-51.
5
Le debat des deux gentilzhommes Espagnolz, sur le faict D'amour :
l'ung nommé Vasquiran, regrette s'amye, que mort luy a tollue apres
l'avoir espousee : et l’autre nommé Flamyan vouldroit mourir pour la
sienne, à la charge d’en jouyr par espouse ou aultrement, Paris : Denis
Janot, 1541.
6
La penitence d’amour, [Lyon]: [Denis de Harsy], 1537. This translation
is a patchwork of imitation and adaptation – see V. Duché. Si du mont
Pyrenée / N’eussent passé le haut fais …. Les romans sentimentaux
traduits de l’espagnol en France au XVIe siècle, Paris: Champion, 2008,
especially 406-413.
7
Jiménez de Urrea, Pedro Manuel. Penitencia de amor, Burgos: Fadrique
Alemán de Basilea, 1514.
98
8
According to the humanist Paolo Giovio, the trend for the impresa
(heraldic badge) comes from the French, and dates back especially to
when the French armies of Charles VIII and Louis XII entered Naples,
during the Wars of Italy: “Ma à questi nostri tempi doppò la venuta del
Re Carlo Ottavo, & di Lodovico XII. In Italia, ogniuno che seguitava la
militia, imitando I Capitani Francesi, cercò di adornarsi di belle, &
pompose imprese.” (P. Giovio. Dialogo delle imprese, Venice: G. Giolito
de Ferrari, 1556. 5).
9
According to Le Gentil, “Ce sont de courtes strophes de trois à cinq
vers, composées à l’occasion de tournois solennels.” (P. Le Gentil, La
poésie lyrique espagnole et portugaise à la fin du Moyen Age, Genève-
Paris: Slatkine, 1981 [Rennes, 1949-1953]. I, 216.)
10
De Castillo, H. Cancionero general de muchos y diversos autores,
Valence: Christoph Kaufman, 1511. A revised edition was published by
Jorge Costilla in 1514. The section devoted to “Invenciones y letras de
justadores” occupies the fol. 140r-143v.
11
Scholars do not agree about the identity of this anonymous author: for
Carla Perugini it is Juan Ram Escrivá de Romaní; for Benedetto Croce,
Vázquez de Ávila; for Gregory P. Andrachuk, the poet Alonso de
Cardona. (Andrachuk, Gregory P. ed. Questión De Amor. Bristol: Hiplam,
2006, xvii-xxxii. This edition will be used in this article.)
12
Questión de amor, op. cit., 2-3. Scholars have identified most of the
characters and places – for instance Belisena stands for Bona Sforza, and
Flaminio for Gerónimo de Fenollet. See for instance F. Vigier, Cuestión
de amor (Valence: Diego de Gumiel, 1513), Paris: Publications de la
Sorbonne, 2006. 431-446.
13
René Bertaut de la Grise, identified by the initials R.B. after the
subtitle, was the secretary of the cardinal Gabriel de Gramont, one of
Francis I’s most important diplomats. He also translated Guevara’s Libro
aúreo (Livre dore de Marc Aurele, Paris: G. Du Pré, 1531) and Relox de
príncipes (L’Horloge des princes, Paris: G. Du Pré, 1540).
14
Bertaut adds 26 mottos to the seven devices as symbolic gifts
exchanged between the lovers and translated from Penitencia de amor.
On the devices of La Penitence, see D. L. Drysdall, “An Early Use of
Devices : René Bertaut de la Grise, La Penitence Damour”, Renaissance
Quarterly 38.3 (1985): 473-487. However Drysdall did not identify
Questión de amor as the source of these 26 added by Bertaut.
99
15
“pour solemniser davantaige la feste y furent faictes jouxtes tournoys,
masques dances & chantreries & aultres gentillesses portans chescun ses
devises, & couleurs au mieux que leur feut possible eulx vestir &
accoustrer” (m5 v°).
16
P. Le Gentil. La Poésie lyrique espagnole et portugaise à la fin du
moyen âge, op. cit., I, 218, n. 13.
17
For instance the translations into French of San Pedro’s Cárcel de amor
(1525) and Flores’s Grisel y Mirabella (1529) were done from Italian
versions of the text.
18
See L. Hablot, La devise, mise en signe du prince, mise en scène du
pouvoir: les devises et l'emblématique des princes en France et en
Europe à la fin du Moyen Age, PhD thesis, University of Poitiers, 2001.
19
For the 22 letras and the mote, we have in total 46 French
compositions. There are 20 three-line Spanish letras, among them 11
have a shorter second line (de pie quebrado); two letras have two lines
only, and the mote is on one line. In the French versions, we have a four-
line poem, 19 three-line poems, 22 two-line poems, and 4 poems on one
line only.
20
The typographer is not familiar with the poetic genre. For instance he
uses a very large font for some letras, disregarding the start of new lines,
or adding the following lines which do not belong to the poem.
21
It is sometimes very difficult to determine the length of the line,
because of the pronunciation of the silent e and of possible diaeresis (for
instance pas-sion versus pas-si-on).
22
“[je] n’ay voulu occuper toy ne moy aux choses qui ne sont à propos :
ma visée a esté de suyvre les parolles tant qu’elles n’estoient point
desvoyantes de l’usage Francoys” (Le Debat, a3v).
23
“le blason des couleurs est tout aultre” (Le Debat, 22v).
24
This was already the case with the French devise, as stated by
Pastoureau: “Agrafées aux ceintures, cousues sur les chapeaux, brodées
sur les gants et les chaussures, gravées sur les armes et les bijoux, les
devises sont partout, et certaines finissent par en perdre, au milieu du
XVe siècle, toute destination autre qu’ornementale” (M. Pastoureau,
“Arma senescunt, insignia florescunt. Note sur les origines de
l’emblème”, in Figures et couleurs. Étude sur la symbolique et la
sensibilité médiévales, París: Le Léopard d’Or, 1986. 130).
100
Alain Chevrier
Chercheur indépendant
Résumé
Abstract
The author examines the various ways of translating a text with a literal
constraint: the anagrammatic poem. In the wake of “semantic”
translations, a new form has appeared: the "anagrammatic translation" of
the anagram. Hans Bellmer’s self-translation is recalled. Recreations in
English of anagrammatic poems by Georges Perec and Michelle
Grangaud, by Ian Monk and by Paul and Rosemary Lloyd respectively,
are discussed. The transposition of Oskar Pastior’s anagrammatic poems
by the Oulipian poet Frédédric Forte is presented with a reconstruction of
the various creative devices employed the translator-poet.
Une note des traducteurs précède ces deux textes, et, curieusement,
le texte anglais précède le texte français, alors qu’il le suit dans tous les
autres exemples : erreur de mise en page, ou traduction qui aurait pris le
pas sur le texte-source ? On pourrait croire que le texte anglais est suivi
de sa traduction en français.
Dans leur note, les traducteurs rappellent les particularités de cette
forme et expliquent les équivalences auxquelles ils ont eu recours.
Les auteurs ont repris la forme sextine (les mots-rime et leur ordre,
les 5 sixains 1/2), et la forme anagrammatique (les vers isolettriques de
32 lettres, et les arrangements différents des lettres à chaque vers).
Mais fallait-il anagrammatiser le titre ? Le nom pouvait être repris
tel quel (en enlevant l’accent sur le e)., Cette métatraduction est une
patatraduction, même si l’on comprend que les traducteurs ont voulu
rendre hommage à l’auteure contemporaine, à l’égard de laquelle ils ont
succombé à une identification mimétique. (La « fièvre des anagrammes »,
dont parlait Bellmer à propos de ses deux partenaires féminines, est en
effet très contagieuse).
On rapprochera du poème de Michelle Grangaud « Isidore
Ducasse, comte de Lautréamont » ce distique du même titre de Jacques
Perry-Salkow :
Wer sich aus der Luxusmenge drueckt, ist Melos, ein Aerger, Page
des Eurosex, recte Supergleimargus, wilde Argumentschikane
des Gummis, genrelle Saeurewirkung, Rexscharte à la Oedipus etc.
Schwer spuert der Mexicaner Lunge dieses Urgesaug im Acetol.
Irre, was durch Action Usus : Segelmurgel, Sekadeeexperiment,
Erls Wuergeschreck, der lange Edenguss… Permutatio examinis :
Einwegstrudel, paradoxale Gruesse, ein Schimmer Muck-Gestreu
— und steckt in Mixschleuders Sparauge als wuermere Geo-Regie.
Darum erwaechst dieser Magie so luger-suplex eine Streckung.
V. 7 – « Feuilleté = Ø.
- « salutations paradoxales » => « saluts paradoxaux ».
- « lueur » = « lueur ».
- « opaque » => « celée » ?
- Ø = « éclect… », suggérant éclectique.
109
Kannitverstan Jeunecomprendpas
santavinktern japoncrumecrème
nervanstinkat sonpascrémenjupe
transnektivan sampurconnejeep
nitanervanst jemepacsunporn
POST-SCRIPTUM
mund d’un m
- lage? - l’âge ?
- nebel! - né bel !
- leben, - le ben
- egal! - égal !20
112
ANNEXE
Frédéric Forte
Cher Alain,
différences notables dans les deux traductions (mais pas toujours bien sûr,
souvent ma contrainte anagrammatique m’empêche tout simplement,
comme tu l’as bien vu, de « tailler » un vers dans le sens de son modèle).
Au final, donc, les 2 traductions sont les résultats de cette analyse.
Il s’agit d’un circuit en « dérivation » (Pastior donne Vilgrain et
parallèlement Pastior donne Forte) plutôt qu’en « série » (P. donne V.
qui donne F.).
Quelquefois même, Bénédicte a orienté sa traduction en fonction
de la mienne, pour mieux souligner mon travail d’équivalence. Ou au
contraire, à d’autres moments, pour marquer le caractère polysémique
d’un mot, elle a choisi de l’exploiter dans un sens différent de ma
traduction.
C’est une nuance importante parce qu’elle est liée à ce que nous
avons voulu faire dans ce livre : une « lecture » des poèmes-anagrammes
pastioriens par des éclairages distincts. Il nous semblait, et à Oskar aussi
(une correspondance existe entre Bénédicte et lui), que cet
« appareillage » seul permettait de rendre son travail.
D’où la présence des contes de Hebel : même si, comme Pastior le
dit, il ne les avait pas lus avant (mais peut-on le croire ?), on peut
imaginer qu’il en connaissait, sinon la teneur exacte, du moins l’esprit.
Le parti pris de Bénédicte, nous imaginer après-coup assistant à la
lecture des textes d’Hebel par Pastior, est tout à fait pastiorien dans sa
manière de distordre la logique temporelle et renvoie aussi à un « livre de
lecture » – au sens scolaire – de Pastior dans lequel il revient sur ses
propres poèmes (Jalousien Gemacht).
Cela ne remet aucunement en question ta méthode d’analyse, que
je trouve justement excellente parce que c’est celle que devrait
idéalement avoir un lecteur attentif (archi-attentif, je le crains). Et ce
lecteur attentif ne dispose pas des éléments que je viens de donner.
Je suis complètement d’accord aussi avec ton idée qu’au-delà d’un
certain nombre de lettres, on peut parvenir à écrire presque n’importe
quel énoncé en anagramme. C’est ce qui rend possible en premier lieu la
tentative que j’ai faite.
Je ne suis par contre pas tout à fait d’accord, concernant Pastior,
avec ta remarque sur le générateur d’anagrammes. (À titre personnel, je
n’en utilise pas mais cela, je te l’avoue bien volontiers, a plus à voir avec
de la vanité et une vision sans doute un peu trop « romantique », et
honteuse pour l’oulipien que je suis, du Poëte inspiré… avec un plaisir de
« fabrication » aussi) Dans le cas de Pastior, sa propension à l’éclatement
de la langue est telle (je parle même de « langue hirsute ») que le
traducteur doit également essayer de « se perdre » dans une « forêt de
langues ». Ses repères anagrammatiques doivent être, à mon avis, internes
114
115
NOTES
1
Pastior, Oskar. « Question / Réponse. » [à Jean-Jacques Viton], If 8
(1996) : 78.
2
Chevrier, Alain. « La genèse du poème anagrammatique chez Nora
Mitrani et Hans Bellmer (d’après des documents inédits). » La Fabrique
surréaliste, actes du séminaire du Centre de Recherches sur le
surréalisme dirigé par François Py, Maryse Vassevière. Études
rassemblées par Maryse Vassevière. Association pour l’étude du
surréalisme et les auteurs, collection « Les Pas perdus », 2009, 73-102.
[Édition numérique mise en ligne, consultée le 15.12.2015]. [Exposé fait
en 2007 au Centre Censier, Université Sorbonne nouvelle-Paris 3].
3
Bellmer, Hans, et Unica Zürn. Lettres au Docteur Ferdière. Présenté par
Alain Chevrier. Paris : Nouvelles Éditions Séguier, 1994, cf. la postface,
« Sur l'origine des anagrammes d'Unica Zürn », 131-132.
4
Zürn, Unica. Anagrammes, supplément à Transitions 11 et 12 (1983) :
37. [Trad. Françoise Buisson].
5
Zürn, Unica. « Anagrammes / Textes à sorcières. » Cahiers Jean-Marie
Le Sidaner 12-13, « Présages », La Différence (2001) : 170. [Trad. anon.]
6
Blancard, Marion et Marion Sanchez. « Traduction des anagrammes
d’Unica Zürn réalisées à partir d’un vers de Henri Michaux. » Formules
11 (2007) : 317.
7
Mathews, Harry, et Alastair Brotchie. Oulipo Compendium, Londres :
Atlas Press, 1998. 229 et 232-233.
8
Caws, Mary Ann. The Yale Anthology of Twentieth-Century French
Poetry, New Haven & London : Yale University Press, 2004. 479.
9
Grangaud, Michelle. Formes de l’anagramme, Paris : La Bibliothèque
oulipienne, n° 75, 1995. 14-15.
10
Perry-Salkow, Jacques. Le Pékinois. Petit dictionnaire
anagrammatique des célébrités. Paris : Seuil, 2007. 91.
11
Chevrier, Alain. « Un poème ducassien. » Cahiers Lautréamont, année
2005, Livraisons LXXIII à LXXXVI, s. p. (Reproduit dans Yves Lamy,
Les anagrammes littéraires, Paris : Belin, « Le français retrouvé », 2008.
146.)
12
Graeff, Max Christian (dir.). Die Welt hinter den Wörten / Lehrt nie.
Worte werden Tiden. [Le Monde derrière les mots / N’enseignez jamais.
Les Mots deviennent marées.] Anagramm-Anthologie. [Anthologie des
anagrammes]. Alpnach, Suisse : Verlag Martin Walliman, 2004. 122.
13
Poier-Bernhard, Astrid. « “Lautréamont” de Kurt Mauz. » Cahiers
Lautréamont, année 2006, Livraisons LXXXI à LXXXIV, 43-44.
14
Pastior, Oskar. Anagrammgedichte, Munich : Verlag Klaus G. Renner,
1985.
116
15
Pastior, Oskar. 21 Poèmes-anagrammes d'après Hebel. Traduction et
notes de Bénédicte Vilgrain et Frédéric Forte. Courbevoie : Théâtre
Typographique, mars 2008. 58-59.
16
Perec, Georges et Oskar Pastior. La Cloture (sic) / Okular ist eng oder
Fortunas Kiel, Berlin : Plasma, 1992.
17
Mircea Ardeleanu. « La Clôture / Okular ist eng. La traduction “au
carré” », colloque Écriture formelle, contrainte, ludique : l’Oulipo et au-
delà, 29-31 octobre 2015, Université de Zadar, Croatie, à paraître.
18
Résonances. Französische Lyrik seit 1960. Übersetzungen von Eugen
Helmlé, Ludwig Harig, Felicitas Frischmuth, Hinrich Schmidt-Henkel
und Simon Werle, Munich : Kirschheim, 1969.
19
Elena Addòmine. « Forme for me, traduzioni omografiche » (1994),
dans Oplepo, La Biblioteca Oplepiana, Bologna : Zanichelli, 2005, 99-
112.
20
Reinhard Priessnitz. 44 poèmes. Poésie complète, traduction d’Alain
Jadot, Caen : Nous, « grmx », 2015. 144-145.
117
Joëlle Molina
Psychiatre Psychanalyste Avignon
Résumé
Abstract
[FIGURE 1]
Les rimes en X
[FIGURE 2]
Les {X} dans le Sonnet en X
J’extrais ce sonnet, auquel j’avais une fois songé cet été, d’une
étude projetée sur la Parole : il est inverse, je veux dire que le
sens, s’il en a un (mais je me consolerais du contraire grâce à la
dose de poésie qu’il renferme, ce me semble) est évoqué par un
mirage interne des mots mêmes. En se laissant aller à le
murmurer plusieurs fois, on éprouve une sensation assez
cabalistique.7
Autres anagrammes ?
Cette question, on le voit, n’est pas sans évoquer celle posée par
Saussure à propos de la poésie antique. Jean Starobinski nous a permis
dans son livre Les mots sous les mots un accès à cette recherche restée
inachevée. Saussure postule une construction phonique secrète des
poèmes antiques. Selon ses hypothèses, cette construction phonique
aurait obéi au principe selon lequel le nom d’un dieu présiderait au
rythme du poème, les lettres de ce nom répétées dans un ordre déterminé
tout au long du poème en constitueraient l’ossature. Ainsi, les poètes
grecs ou latins auraient composé leurs vers en partant d’un mot-thème,
dont les phonèmes devaient être utilisés conformément à certaines règles
que Saussure appela anagramme puis paragramme puis hypogramme.9
Saussure « ne pouvant en donner la preuve complète » n’a jamais
publié ces travaux, se désolant de ne trouver aucun texte théorique
émanant des auteurs ou de leurs contemporains qui corroborerait ses
intuitions. Il formulait plusieurs hypothèses pour expliquer ce manque : la
méthode était-elle si commune et si partagée qu’il n’était même pas
nécessaire d’en faire mention, était-elle une sorte de « coutume
poétique » ? Ou était-elle motivée par un rituel religieux lui aussi connu
de tous ?10 Voilà qui était indécidable.
La situation est ici cependant plus simple et le travail de Mallarmé
sur la langue du poème est largement explicité dans ses écrits théoriques
et dans sa correspondance. Il sera donc possible de mettre en parallèle les
hypothèses formelles et les écrits théoriques de Mallarmé. Nous assistons
pourtant à un paradoxe : alors que Mallarmé affirme à maintes reprises la
construction formelle rigoureuse de ses vers, son refus du hasard, le fait
qu’aucune des lettres du poème ne puisse être déplacée sans le modifier
grandement, cet aspect de son travail est relativement peu exploré, le lien
est rarement fait entre des techniques de construction de la poésie
mallarméenne et les textes théoriques de Mallarmé. C’est ce que fait
remarquer Thierry Roger dans son Archive du Coup de dés.11 Il affirme
qu’a existé longtemps un déni de la forme du poème et remarque que
c’est seulement à partir de 1980 que Mitsou Ronat et Tibor Papp, sous
l’impulsion de l’oulipien Jacques Roubaud,12 se préoccupent de la
métrique et de l’abandon du vers compté dans le Coup de dés.
124
L’anagramme consonantique
Il est assez simple de voir que de nombreux mots du poème sont issus
d’une anagramme consonantique du nom générateur du poème : Sainte
Cécile. Voici la liste des mots composés selon ce principe :
SaNTaL
éTiNCeLaNT
SaiNTe
éTaLaNT
SiLeNCe
SeLoN
SaNTaL
reCeLaNT + R
ruiSSeLaNT + R
oSTeNSoir + R
déLiCaTe + D
baLaNCe + B
INSTrumeNTaL + M + R
125
MuSiCieNNe + M
À la fenêtre recelant
Le santal vieux qui se dédore
De sa viole étincelant
Jadis avec flûte ou mandore,
À ce vitrage d'ostensoir
Que frôle une harpe par l'Ange
Formée avec son vol du soir
Pour la délicate phalange
Les mots lèvres et ruisseau sont repris au dernier tercet du poème. Reste
la mélodie. Quelle mélodie ? Et comment sera-t-elle conçue et produite ?
128
J’ai remarqué à l’analyse d’autres poèmes que l’un des vers du poème
donnait une sorte de clef de construction pour l’ensemble. La clef du
tombeau de Verlaine se trouverait au vers 11 : « Verlaine ? il est caché
parmi l’herbe,Verlaine ».
Le sens en est assez clair, me semble-t-il : loin de la solennité de la
pierre tombale, comme il a vécu, Verlaine (poète et ami) est là caché
simplement et nous reste proche, comme accessible encore lorsque nous
nous promenons dans la nature familière. Le vers évoque la dernière
strophe de « L’art poétique » de Verlaine.
Voilà pour un des sens possibles, mais que nous dit la forme du vers ?
Remarquons d’abord que nommer Verlaine au vers 11 pourrait être
une allusion à la prédilection du poète pour les hendécasyllabes. La
particularité de ce vers est la répétition du nom du poète en début et en fin
de vers. Il est aussi facile de voir que les seules voyelles utilisées dans la
totalité du vers sont celles de Verlaine : A, E, I.
Nous constatons la répétition de ces voyelles, quatre fois, les deux
groupes centraux renfermant diverses combinaisons des mêmes voyelles.
Magie
C’est dans l’article « Magie » inclus dans « Grands faits divers » que
Mallarmé livre une des clefs de sa méthode de composition.
Voici ce qu’écrit Verlaine dans son poème « Art poétique » paru en 1874.
Le poème est composé en vers de neuf syllabes sur neuf quatrains. Nous
allons voir comment Mallarmé transpose ces idées – celle de la musique
et celle de l’impair – au « Tombeau ».
Le digramme ER est lui répété trois fois, mettant en relation le mot
herbe et le nom de Verlaine.
À Ernest DelAhAye
Un système de comptage ?
Roulent le R avec le OU
NOTES
1
Lettre à Cazalis du 18 juillet 1868.
2
Staub, Hans. « Le mirage interne des mots. » Cahiers de l'Association
internationale des études françaises 27 (1975) : 275-288.
3
Molina, Joëlle. « Une lecture cabalistique du Sonnet en X. » Études
Stéphane Mallarmé 2 (2014) : 79-101.
4
Lettre à Lefébure du 3 mai 1868.
5
Sefer Yeshira ou Le Livre de la Création. Exposé de Cosmogonie
hébraïque ancienne, Paris : Payot, 2002.
6
Les rimes en or obéissent toutes à cette contrainte sauf deux : décor et
encore font écho à licorne dans le corps du poème.
7
Lettre à Cazalis du 18 juillet 1868.
8
Jean Starobinski. Les mots sous les mots. Les anagrammes de
Ferdinand de Saussure, Paris : Gallimard, 1971. 27-36 et 60.
9
Ibid., 125.
10
Thierry, Roger. Archive du Coup de dés, Paris : Classiques Garnier,
2010.
11
La tentative de Quentin Meillassoux se situe dans cette filiation (voir
Le Nombre et la sirène. Un déchiffrage du Coup de dés, Paris : Fayard,
2011.) Celle de Michel Murat situe l’aventure du Coup de dés dans la
perspective du vers libre et approche très finement les jeux de rythmes et
de lettres du poème (Le Coup de dés de Mallarmé, Paris : Belin, 2005.)
12
Pascal Durand donne le cercle des 28 noms du recueil posthume de
Poésies de 1899. Le nom de Cécile n’est pas cité du fait de son
escamotage lors du remaniement du poème parmi les noms qui courent
dans les Poésies de Mallarmé. « Formes et formalités : une poétique du
nom chez Mallarmé », Qu’est ce que les littératures à contraintes ?
Formules 4 (2000) : 230.
13
Marchal, Bertrand, ed. Mallarmé, Œuvres complètes, Paris :
Bibliothèque de la Pléiade, 1998. Tome I, 1171-1172.
14
Les « transitions de gamme » du poème « L’Azur » ont fait l’objet
d’une exposition et d’un livre édité par l’association Sauvegarde du
Patrimoine du Lycée Gabriel Faure de Tournon pour le colloque
Mallarmé à Tournon et au-delà. Joëlle Molina, « L’Azur de Tournon »,
2015.
138
15
Mallarmé, Stéphane. « Quelques médaillons et portraits en pied ».
Œuvres complètes, Paris : Bibliothèque de la Pléiade, 2003. Tome II,
119-120.
16
Mallarmé, Stéphane. « Magie ». Œuvres complètes. Tome II. 250-251.
17
Ibid.
18
Mallarmé modifie au vers 3 « Ne s’aplanira pas » en « ne s’apaisera
pas » puis en « Ne s’arrêtera ni » L’énigmatique ni du vers 3, qui reste là
en suspens sans son deuxième terme, remarquable trouvaille, pourrait
s’expliquer en partie par le respect de la séquence des voyelles de
Verlaine.
19
J’emprunte à Pascal Durand ce constat dans un article paru ici même au
numéro 4 de Formules en 2000, intitulé « Formes et formalités : une
poétique du nom chez Mallarmé » : « dans pareil cas, céder l’initiative
aux mots signifie céder l’initiative aux noms ». Article repris en partie
dans Mallarmé : Du sens des formes au sens des formalités, Paris : Seuil,
2008 (207-212), sous le titre « Le poème carte de visite », rapprochant
poèmes adressés et poèmes de circonstances.
20
Pascal Durand pose lui-même l’hypothèse en conclusion de l’article
cité : "D’où cette ultime hypothèse, en forme d’axiome, à mettre à
l'épreuve sur d’autres textes : mot ou nom, le vocable n’est poétique chez
Mallarmé qu’à contenir en lui toute la circularité du poème qui
l’encercle." Et de remarquer que les initiales de Baudelaire sont utilisées
pour la construction des rimes du Tombeau, comme les sonorités de
Vasco jalonnent l’hommage au navigateur. Ibid., 209.
21
Mallarmé, Stéphane. « Crise de vers ». Œuvres Complètes. Tome II,
204-213.
22
Genette, Gérard. Mimologiques. Voyage en Cratylie, Paris: Seuil, 1976.
316.
23
Schiavetta, Bernardo. « Mallarmé et sa méthode du mirage. » Mallarmé
et après. Fortune d’une œuvre, Daniel Bilous, ed., Paris : Noesis, 2006.
71-93.
24
Guy Lelong montre dans « La double entente mallarméenne » parue
dans Révolutions sonores : De Mallarmé à la musique spectrale que la
« Prose pour des Esseintes » est toute bâtie sur un travail sur les rimes
que vient redoubler un récit secret (second ou caché ou allégorique)
traitant justement de la question des rimes riches (longues, grandes,
139
immenses...) assimilées aux tiges des fleurs dont traite le poème (Paris :
Editions MF, 2014).
25
Durand, Pascal. « Formes et formalités : une poétique du nom chez
Mallarmé », op. cit., 230.
26
Bertrand, Jean-Pierre. Inventer en Littérature, Paris : Seuil, 2015.
Paradoxalement, Jean-Pierre Bertrand dénie toute invention
« technicienne » à Mallarmé (244).
140
Lucie Lavergne
Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand
Résumé
Abstract
vers qui s’écartent à l’oblique figurent à présent six larmes coulant d’un
œil invisible, dont la base des vers délimite la courbe inférieure. La non-
continuité du texte – puisque la police choisie est un script – figure le
goutte-à-goutte de ces larmes.
Cheveux, queue de comète, larmes et rayons sont les déclinaisons,
visuellement redondantes, d’un motif qui tient lieu de dénominateur
commun. Il est décliné encore par l’image des traînées des
fusées (« cohetes lascivos ») dans le second vers, où l’adjectif « lascif »
implique encore une personnification, l’expression réunissant à nouveau
les sens corporel et astral de « cabellera ». De même, dans les vers
suivants, les images du « ressort lumineux des astres » (v. 3), de la
« chevelure du Zodiaque » (v. 4), des « flèches dards projectiles » (v. 5)
et des « franges phosphorescentes » (v. 6) en constituent d’autres
variantes. Toutes sont semblables de par leur forme (longue, linéaire,
droite) mais renvoient à des domaines divers. En quelque sorte, comme
leur disposition typographique le suggère, elles sont proches d’une part et
se dispersent, de l’autre, dans l’infini de l’imaginaire – ou sur le blanc de
la page. Chaque vision est d’ailleurs évoquée par des verbes au présent de
l’indicatif (« solloza », « voltiguean », « agita »), c’est-à-dire qui
n’impliquent pas la finalité de l’action mais se perdent dans une
temporalité et dans un espace incertains. Les comparants des métaphores
convergent, non les comparés. Ce qui les réunit, tous, ce n’est pas la
réalité, mais l’imaginaire, dont l’éclatement fantaisiste apparaît, enfin,
dans la forme symbolique de l’éventail que l’on peut également voir sur
la page de ce poème « Cabellera ».
La construction du poème « Girándula », du même auteur,
s’apparente à celle de « Cabellera » sauf qu’au lieu de se joindre à leur
extrémité, quatre vers se croisent en leur milieu. On trouve une autre
forme ressemblante chez Josep Maria Junoy, dans le poème « Eufória »,24
où cinq vers dessinent une sorte d’étoile (aucun d’entre eux n’étant ni
parfaitement vertical ni parfaitement horizontal) et s’apparentent là
encore à des rayons tournant autour d’un centre. Le poème de Junoy
présente une particularité par rapport à ceux de G. de Torre : certains vers
sont à l’envers, obligeant le lecteur à tourner totalement le livre. Le
décalage (au moins temporel) entre vision et lecture n’en est que plus
important. De nouveau, la résonance entre les deux se fait, comme dans
« Cabellera », par le biais de métaphores : certains motifs font clairement
148
De tienda a tienda
el oasis cuelga sus hamacas
NOTES
1
1916 est la date de publication des premiers poèmes visuels donnée par
Muriel Durán Felipe. La Poesía visual en España, Séville : Almar, 2000.
75. Nous tiendrons aussi compte des poèmes de V. Huidobro de
Canciones de la noche de 1913 publiés au Chili.
2
1924 est l’année de la mort du poète Joan Salvat Papasseit et du déclin
des avant-gardes qui cèdent le pas au mouvement surréaliste (Muriel
Durán, Felipe, op. cit.).
3
Ibid., 75 et suivantes.
4
À ce sujet, voir Vallcorba, Jaume. « La Primera Vanguardia en
Cataluña », Ínsula 603 (2008) : 33.
5
Molas, Joaquim, cité par F. Muriel Durán, op. cit., 75.
6
Urrutia Gómez Jorge. « El Movimiento ultraísta » Treinta Años de
vanguardia española, Gabriele Morelli, ed., Séville : El carro de la nieve,
1991. 91.
7
« El movimiento ultraísta español », op. cit., 477. Ma traduction.
8
Notamment Los Quijotes, Cervantes, Ultra, Cosmópolis, España,
Tableros, Perseo, Reflector, Horizonte, Vértices, Tobogán, Algar, Ronsel
et Parábola. Díez de Revenga, Francisco Javier. Poesía española de
vanguardia (1918-1936), Madrid : Castalia, 1995. 19.
9
De Torre Guillermo. Hélices (1920-22), Madrid : Editorial Mundo
Latino, 1923.
10
Diego Gerardo. Imagen (1922), in Obras completas, Madrid :
Santillana, 2000.
11
Diez de Revenga, Francisco Javier, op. cit., 41.
12
Ibid., 16.
13
« El movimiento ultraísta español », Cosmópolis (1920) : 473.
14
Ibid., 77.
15
Videla, Gloria. El Ultraísmo, Madrid : Gredos, 1971, 25 : « podemos
considerar a Juan Ramón Jiménez como un precursor del ultraísmo en
tanto que hay en él una preocupación por renovar la poesía, por
desnudarla de elementos extra-poéticos, de los oropeles modernistas ».
16
Le Temps et l’espace sont morts hier, Paris : L’Improviste, 2006, 69.
17
Extrait de Ceci n’est pas une pipe, cité par Moll Maria, Les
Mouvements d’avant-garde dans la péninsule ibérique. Approches
traversières, Montserrat Prudon, ed., Paris: Université Paris 8-Vincennes-
Saint-Denis, 1999, 23.
18
Ils ne font jamais l’économie du texte écrit.
19
Dictionnaire des termes littéraires, Hendrik van Gorp et alii, Paris :
Champion, 2005. 80.
156
20
Klauber, Véronique. Dictionnaire des genres et notions littéraires,
Paris : Encyclopaedia Universalis, 2001. 98.
21
Coron, Antoine. Avant Apollinaire, vingt siècles de poèmes figuratifs,
Marseille : Le mot et le reste, 2005, 9 : « du grec, “jeu d’art” qui désigne
aussi des solutions apportées à des contraintes métriques ».
22
Les premiers vers (v. 1-3 très courts, puis v. 4-5 plus longs, vers. 6-11
de nouveaux très courts) forment une croix. Ensuite, la taille progressive
des vers centrés dessine la toiture arrondie de la chapelle. Enfin, deux
décrochements, au vers 35 puis au vers 40, brusquement plus longs que
les précédents, figurent les marches pour accéder à la chapelle.
23
F. Muriel Durán parle d’une « exaltation futuriste du mouvement et de
l’énergie » dans ces poèmes (op. cit., 128).
24
Junoy, Josep Maria. Obra poética, Barcelone : Acantilado, 2010. 228.
Édition bilingue catalan-espagnol.
25
Felipe Muriel Durán parle de « cuadro de palabras » à propos du poème
« Paisaje plástique » de Guillermo de Torre (op. cit., 128).
26
Reproduit par Muriel Durán Felipe, op. cit., 117.
27
« Le cercle vicieux de la typographie et le lit de Procuste, ou la lettre et
l’espace de la page chez Nodier », Calligraphie / typographie, Jacques
Dürrenmatt, ed., Paris : L’Improviste, 2000. 67.
28
Christin, Anne-Marie. Poétique du blanc : vide et intervalle dans la
civilisation de l'alphabet, Paris : Vrin, 2009. 141.
29
Réalisé pour une exposition au Théâtre Édouard VII, en 1922.
Reproduit dans Salle XIV Vicente Huidobro y las artes plásticas, Madrid
: Museo Reina Sofia 2001. 18-19. Le poème est visualisable sur cette
page :
http://www.memoriachilena.cl/602/w3-article-100339.html
30
Ibid., 34. Le poème est visualisable sur cette page :
http://www.memoriachilena.cl/602/w3-article-100342.html
31
« Una aproximación a los poemas pintados como reflexión del signo
artístico », Salle XIV Vicente Huidobro y las artes plásticas, op. cit., 59.
32
« La littérature de la langue espagnol [sic] d’aujourd’hui », Altazor,
Bruxelles : Champ libre, 1976. 223.
33
Dictionnaire des termes littéraires, op. cit. 165 : « cas particulier de
description […] : celle d’un objet d’art ».
34
Huidobro, Vicente. « Création pure. Essai d’esthétique », Altazor,
Paris : La Cible, 1921.
35
Christin, Anne-Marie. Poétique du blanc, op. cit., 11.
36
Junoy, op. cit., 224.
37
Actuellement utilisée pour les affiches du Grand Palais, à Paris.
38
Cité par F. Muriel Durán, op. cit., 103.
39
Ibid., 80.
157
40
Ibid., 79 et 81.
41
Dahlet, Véronique. Ponctuation et énonciation, Cahors : Ibis rouge,
2003. 25.
42
Diego, Gerardo. Obras completas, Madrid : Santillana, 2000. Tome 1,
74-85.
43
Cf. la rime « maligno » / « signo » au vers 8 du poème « Capricornio ».
44
Diego Gerardo, op. cit., 105-111.
158
Michel Sirvent
University of North Texas
Le livre à l'œuvre :
effets de présentation typographiques dans Le Voyeur
Résumé
Abstract
La lecture du scripteur
Double concordance
L'indifférence graphique
La dimension scriptographique
Bref, dans la façon dont l'œuvre se livre au public, elle est sujette à une
variabilité scriptographique incontrôlable.
Ainsi, et pour se tenir ici au texte imprimé ou numérique, le
« texte » c'est, sur un versant, ce que manifeste sa matérialité signifiante :
les composantes verbales dépendantes d'une langue et, puisqu'il s'agit
d'écrit, de marques grammatiques liées à un système d'écriture,
éventuellement porteuses selon certaines conditions de réussite d'une
« leçon idéelle » d'ordre, disons, représentationnel.
En même temps, le « texte » c'est aussi, et sur un autre versant, ce
que manifeste sa matérialité scriptographique, en l'occurrence dans cette
modalité de réception, typographique. Les marques linguistiques
concrétisées « noir sur blanc » revêtent, outre leur matérialité signifiante,
certaines caractéristiques (police, corps, style, etc.) liées à un « code
typographique » qui leur sont attachées en fonction d'une édition ou
« mise en texte », éventuellement d'une « rhétorique visuelle » qui est
toujours particulière.29
Fussent-ils parfaitement contingents, ces aspects graphiques, quels
soient-ils, n'en caractérisent pas moins, de façon tout à fait actuelle, la
matérialité signifiante – soit les lettres, les mots, les phrases, les
paragraphes successifs édifiant l'énoncé – qui constitue, en principe,
l'objet primaire de la lecture. Autrement dit, en tout déchiffrement, « la
chaîne linguistique » ne peut être appréhendée en dehors des traits
typographiques dont telle édition l'a « habillée », cette vêture fût-elle
totalement de circonstance. Ils n’affectent sans doute que la surface du
texte : dans ce sens ils sont superficiels. Ils n'en donnent pas moins
« forme aux mots de la langue écrite ».30
Bref, quelle qu'en soit la raison, la pertinence ou l'instance – agent
(éditeur, graphiste, imprimeur, maquettiste, scripteur) –, et fût-ce une
circonstance accidentelle liée à la mise en livre, le mode de manifestation
scriptographique conditionne l'accès à la matérialité signifiante.
Autrement dit, l'apparence d'un texte excède toujours ses seules
déterminations linguistiques et scripturales.
Or lire un texte, a fortiori les pages d'un roman, ce ne se résume
guère en général à le contempler sous l'angle de sa facture grapho-
visuelle. Fortes du sens qu'elles procurent, on privilégie plutôt ses
composantes grammatiques – cette matérialité signifiante s'estomperait-
elle au bénéfice des divers effets de représentation qu'elle suscite.31
Toutefois, ce tour de passe-passe ne saurait avoir lieu sans procéder à un
second type d'oblitération. Car si la fin est de convertir les marques
linguistiques pour en tirer prioritairement quelque leçon de nature
« idéelle », dès lors, tout obnubilé par cette seule dimension signifiante
168
L'efficience graphique
Blanc intra-paragraphique
Bien que cette page blanche ait déjà fait couler beaucoup d'encre,
l'intérêt de s'y appesantir est qu'elle fournit l'occasion d'ajouter deux
nouveaux éléments au dossier dont le premier est d'ordre strictement
intratextuel.
Tout à la fin du récit un paragraphe passé largement inaperçu –
puisque ni le scripteur ni les commentateurs ne semblent l'avoir relevé –
se distingue tout particulièrement. Mathias tente une dernière vente de
montre dans une maisonnette qui présente sur sa porte d'entrée une fois
de plus « deux nœuds arrondis, dessinés côte à côte, qui ressemblent à
une paire de lunettes » (251). La scène rend compte de tous les infimes
gestes mécaniques que le représentant de commerce enchaîne pour
exposer son article. Au moment exact où la montre se montre pourrait-on
dire, sa description est interrompue par ce qui constitue un formidable
hapax typographique :34
Concordance paratextuelle
NOTES
1
Une première version de ce travail a fait l'objet d'une contribution au
XXVIè séminaire de textique (Cerisy-la-Salle, août 2014) animé par Jean
Ricardou.
2
Robbe-Grillet, Alain. Paris : Éditions de Minuit, 1955.
3
Robbe-Grillet, Alain. Paris : Éditions de Minuit, 1953.
4
Robbe-Grillet commente avec ironie cet effet de « paratexte » dans Les
Derniers jours de Corinthe. Paris : Éditions de Minuit, 1994. 69. Voir
notre article « Mallarmé scriptographe ou Le bonheur d'impression »,
Po&sie 120 (2007) : 363.
5
Sur le « péritexte éditorial », voir Genette, Gérard. Seuils, Paris :
Éditions du Seuil, coll. « Poétique », 1987. 20.
6
Plus exactement, cet autre pan du paratexte est dénommé « épitexte ».
Ibid., 10-11.
7
Les Romans de Robbe-Grillet. Paris : Éditions de Minuit, 1963. 90-1.
8
« Réalités variables, variantes réelles », Problèmes du Nouveau Roman,
Paris : Éditions du Seuil, coll. « Tel Quel », 1967. 40-1.
9
« L’histoire dans l’histoire », ibid., 182.
10
Voir l'intervention de l'auteur dans Robbe-Grillet : Analyse, théorie, t.
2, Paris : U.G.E, coll. « 10/18 », 1976. 194-5 ; ses commentaires dans
Alain Robbe-Grillet, Préface à une vie d'écrivain, Paris : France Culture /
Seuil, coll. « Fiction & Cie », 2005. 56-7 ; Morrissette, « Robbe-Grillet
no1, 2... x », Nouveau Roman : hier, aujourd’hui, t. 2, Pratiques, Paris :
U.G.E, coll. « 10/18 », 1972. 125.
11
Nous suivons ici l'analyse de Ricardou dans « L'Œuvre au blanc »,
Amadis 3, Université de Bretagne Occidentale – Brest (1999) : 22, 24.
12
Ibid., : 26.
13
Ibid., : 25.
14
Ibid.
15
Cahiers du cinéma 123 (septembre 1961) : 18, cité par Morrissette. Les
Romans de Robbe-Grillet (op. cit.). 91.
16
« La page blanche du Voyeur. La forme du 8. La querelle du Voyeur »,
Alain Robbe-Grillet, Entretiens avec Benoît Peeters. Bruxelles : Les
Impressions nouvelles/Imec, 2001, DVD, séquence 16. Voir aussi Alain
Robbe-Grillet, Préface à une vie d'écrivain (op. cit.). 56-7. Et Le Miroir
qui revient, Paris : Éditions de Minuit, 1984. 216.
17
Paris : Éditions de Minuit, coll. « Mdouble », 2013. Pour la nouvelle
édition de mars 2012 dans la collection « blanche », le texte de la
première partie se termine en page paire (86) et le passage ne bénéficie
d'aucune particulière promotion péritextuelle.
174
18
De Maurice Blanchot dans « La clarté romanesque », Le Livre à venir,
Paris, Gallimard, 1959. 195-201, jusqu'à Morrissette, Les Romans de
Robbe-Grillet (op. cit.). 96-7, et Ricardou, « L’histoire dans l’histoire »
(op. cit.). 185 et Le Nouveau Roman, Paris : Éditions du Seuil, coll.
« Point », 1990 (1973). 92, 100, la figure du 8 a fait l'objet de nombreux
commentaires.
19
Entretiens avec Benoît Peeters (op. cit.).
20
Voir notre analyse dans « Rimes et détection dans Le Voyeur », Alain
Robbe-Grillet. Balises pour le XXIe siècle, Roger-Michel Allemand et
Christian Milat, éds., Presses Sorbonne Nouvelle / Presses de l'Université
d'Ottawa, 2011. 146-56. À la façon de rimes romanesques, la série des 8
est corrélée à une co-structure jusqu'ici passée inaperçue dite des « rimes
en -ette ». 154-6.
21
Sur ce croisement, voir Allemand, Roger-Michel. Alain Robbe-Grillet,
Paris, Éditions du Seuil, coll. « Les contemporains », 1997. 64.
22
Entretiens avec Benoît Peeters (op. cit.).
23
Sur cette question, voir Genette, Gérard. L'Œuvre de l'art. Immanence
et transcendance, Paris : Éditions du Seuil, coll. « Poétique », 1994.
24
Voir « L'œuvre au blanc » (op. cit.) : 27.
25
L'expression est de Ricardou. Ibid. : 26.
26
Pour une première approche de la dimension scriptographique voir,
notamment, notre Georges Perec ou le dialogue des genres,
Amsterdam/New York : Rodopi, 2007. 75-80, 189-91.
27
Sur ces aspects, voir Dionne, Ugo. La Voie aux chapitres. Poétique de
la disposition romanesque, Paris : Éditions du Seuil, coll. « Poétique »,
2008.
28
Il y a aussi le cas des textes mixtes comme les Calligrammes
d'Apollinaire ou Circus de Maurice Roche qui recourent aux deux modes
typographique et chirographique, d'où le terme plus générique de
scriptographique.
29
Voir notamment Baudin, Fernand. L'effet Gutenberg, Paris : Éditions
du cercle de la librairie, 1994. 27-8. De la conception même de L'effet
Gutenberg, dans l'avant-propos intitulé « L'édition visuelle de ce livre »,
l'auteur distingue encore celle-ci « de son édition grammaticale, de sa
mise en page ou de ce que les bibliographes appellent mise en texte. On
pourrait aussi bien parler de rhétorique visuelle sinon typographique ».
10.
30
Ibid., 28.
31
Rappelons qu'en textique – et pour prendre ici une formulation à la fois
ancienne et publiée –, l'effet de représentation s'avère « chaque fois que
les traces permettent qu'apparaisse à l'esprit du lecteur une autre idée que
175
Cécile De Bary
Cerilac, Université Paris Diderot
Résumé
Abstract
did not attempt fully to master the signifying networks in his writing ;
rather he attempted to provoke a relaunching of the reading process by
presenting a plurivocal ensemble. Consequently, the autobiographemes
should be reinterpreted, in order to take into account their mutliple
meanings. Finally, the article proposes an analysis of æncrages as
analogous to letters : forms without inherent meaning, but which enter
into signifying networks. This analysis helps us better to understand the
range of Perec’s constrained writing, in which letters are the privileged
units. The letter as « figure » of destiny and its variations is the means of
rediscovering the « vertiginous preoccupations » of the Kabbalists.
Lecture « réticulée »
Autobiotexte et biotexte
Formes et significations
parfois à une structure plus globale, celle des « symétries bilatérales ».34
Le simple fait de nommer un æncrage arrête ce défilé du signifiant qui
fascinait l’enfant Perec, avec une part d’arbitraire que Bernard Magné n’a
pas explicitée.
Dans un de ses articles, Bernard Magné évoque d’ailleurs un
« autobiographème du biais », qu’il rapproche de la diagonale, et qu’il
rattache au « regard de biais » de l’enfant, ainsi qu’à cette cicatrice qui a
retenu Jean Duvignaud dans son livre de témoignage.35 Perec a
mentionné dans W ou le Souvenir d’enfance son attachement à cette
« marque personnelle », ce « signe distinctif », ainsi que certaines
résonances de cet attachement dans son œuvre. Dès lors, le goût de Perec
pour les diagonales ne renvoie pas qu’au sens (schématisé) de l’écriture et
de la lecture, judaïque ou occidentale selon qu’elle est sénestro-
descendante ou en direction opposée, via, notamment, la ligne d’écriture
diagonale dite « à peu près horizontale » d’Espèces d’espaces. Elle
correspond encore au symbole de la barre oblique, qui fait l’objet d’un
long passage de W ou le Souvenir d’enfance, barre oblique dont Perec fait
le signe de la dichotomie comme de la latéralité. Plus encore, l’accent
aigu, est un signe diagonal et il a pour Perec une signification essentielle,
explicitée également par le texte de souvenirs : l’absence de ce signe
entraîne une « minuscule différence existant entre l’orthographe du nom
et sa prononciation », qui repère « toute l’élaboration fantasmatique, liée
à la dissimulation patronymique de [son] origine juive », faite autour de
ce nom.
Le réseau, multipolaire, est aussi plurivoque, d’autant que chaque
mise en relation peut être envisagée dans deux directions. Ainsi, on peut
penser que le X fascine Perec parce qu’il est constitué de deux
diagonales. À l’inverse, on peut tout autant penser que les diagonales
fascinent Perec parce que, croisées, elles forment un X.
Alors que le fonctionnement en réseau implique une ambiguïté
constitutive, les formulations de Bernard Magné tendent à figer le sens.
Paradoxalement, alors qu’il considère les æncrages comme un moyen
d’expression indirecte de l’indicible, il les réfère à des passages de W ou
le Souvenir d’enfance particulièrement clairs et explicites.36 Ne peut-on
regretter, dès lors, que les analyses de Bernard Magné semblent réduire la
richesse signifiante, si ce n’est de l’œuvre de Perec, du moins de
188
J
AI
CRU
VOIR
PARMI
TOUTES
BEAUTÉS
INSIGNES
ROSEMONDE
RESPLENDIR
FLAMBOYANTE
PANTELANTE
ÉCARTELÉE
ÉVOQUANT
QUELQUE
CHARME
TORDU
SCIÉ
SUR
UN
X
189
Conclusion
NOTES
1
Bernard Magné définit le métatextuel « comme l’ensemble des
dispositifs par lesquels un texte désigne, soit par dénotation, soit par
connotation, les mécanismes qui le produisent ». (« Le puzzle mode
d’emploi : petite propédeutique à une lecture métatextuelle de La Vie
mode d’emploi de Georges Perec. » 1982. Perecollages, 1981-1988,
Toulouse : Presses universitaires du Mirail, 1989. 33.)
2
Magné, Bernard. « Georges Perec oulibiographe. » Oulipo, poétiques,
Peter Kuon, Monika Neuhofer et Christian Ollivier, dir., Tübingen :
Gunter Narr Verlag, 1999. 49.
3
Magné, Bernard. « Le puzzle mode d’emploi. » Op. cit., 49.
4
Magné, Bernard. « Pour une lecture réticulée. » Cahiers Georges Perec
(4, 1990) : 152.
5
Magné, Bernard. Perecollages. Op. cit., 143.
6
Voir Bertelli, Dominique. « Les tombeaux de Cyrla. » Le Vif du sujet,
Texte lecture interprétation, Besançon : Presses universitaires de
Franche-Comté, 2004. 195-210.
7
« Pour une lecture réticulée. » Op. cit., 155.
8
Sur cette lecture, voir Rabaté, Dominique. « L’entre-deux : fictions du
sujet, fonctions du récit (Perec, Pingaud, Puech). » Le Chaudron fêlé,
Paris : Corti, 2006.
9
Magné, Bernard. « Les sutures dans W ou le Souvenir d’enfance. »
Cahiers Georges Perec 2 (1988) : 27-44.
10
Sur cette intertextualité restreinte, voir par exemple Magné, Bernard.
« Le puzzle du nom. » 1984. Perecollages, op. cit. 169.
11
Je cite l’une des « définitions » donnée par Bernard Magné en
préambule de « La textualisation du biographique dans W ou le Souvenir
d’enfance de Georges Perec. » Biographie et Autobiographie, Mireille
Calle-Gruber et Arnold Rothe, dir., Paris : Nizet, 1989. 163.
12
Ricardou, Jean. Le Théâtre des métamorphoses, Seuil, 1982. Cité par
Magné, Bernard. « Georges Perec oulibiographe. » Op. cit., 42.
13
« La textualisation du biographique. » Op. cit., 168.
14
« Georges Perec oulibiographe. » Op. cit., 45. Voir aussi 42-43.
15
Perec, Georges. W ou le Souvenir d’enfance, Paris : Gallimard, 2002.
Chap. XIII, 97.
193
16
Perec, Georges. « Les Lieux d’une fugue. » Texte daté de mai 1965
édité en 1975. Rééd. Je suis né, Paris : Seuil, 1990. 23. Paulette Perec a
fait observer que cette date ne concorde pas avec le calendrier. Portrait(s)
de Georges Perec, Paris : Bibliothèque nationale de France, 2001. 30.
17
Ricardou, Jean. Le Théâtre des métamorphoses. Op. cit., 188.
18
« Entretien Georges Perec/Bernard Pous. » 1981. Rééd. Perec, Georges.
Entretiens et Conférences, [Nantes] : Joseph K, 2003. T. II, 193.
19
Voir un exemple tiré du « Cahier des charges » de La Vie mode
d’emploi (1978), dans Magné, Bernard. Georges Perec, Paris : Nathan,
1999. 112-113.
20
Ibid., 89-90.
21
Lederer, Jacques et Perec Georges. « Cher, très cher, admirable et
charmant ami », Paris : Flammarion, 1997. 240. Il s’agit d’un extrait de la
lettre 83. La lettre 86, réponse de Perec, est située aux pages 247-248.
22
Entretien avec Pierre Lartigue, « Je ne veux pas en finir avec la
littérature. » 1978. Entretiens et Conférences. Op. cit., t. I, 222.
23
W ou le Souvenir d’enfance. Op. cit., 110.
24
Voir Bertelli, Dominique. « L’invention du cinquante-trois. » Le
Cabinet d’amateur 1 (1993) : 57-68.
25
De Bary, Cécile. « L’arbitraire de la contrainte, du sens chez Perec. »
Le Goût de la forme en littérature, Paris : Noésis, 2004. 148.
26
Magné, Bernard. Georges Perec. Op. cit., 30. Bernard Magné indique
assez systématiquement que l’æncrage est un signifié de connotation.
27
Kerbrat-Orecchioni, Catherine. La Connotation. Lyon : Presses
universitaires de Lyon, 1977. Rééd. 1984. 186.
28
Ibid., 185.
29
Magné, Bernard. « L’autobiotexte perecquien. » Le Cabinet d’amateur
5 (1997) : 11 : « je serais enclin à considérer l’autobiographème comme
un cas particulier d’isotopie au sens désormais admis que l’on donne
aujourd’hui à ce terme en sémiotique textuelle. » Bernard Magné a
exprimé cette idée à plusieurs reprises.
30
Voir Magné, Bernard. Georges Perec. Op. cit., 112.
31
C’est la définition de la contrainte que je propose dans mon ouvrage.
Une nouvelle pratique littéraire en France, le groupe Oulipo de 1960 à
nos jours, Lewiston (NY, USA) : Mellen, 2014. 61-70.
32
J’ai proposé de voir dans le bilinguisme l’un des aspects (majeurs) d’un
fonctionnement stylistique plus large, caractéristique de Perec, qu’on peut
194
Dominique Raymond
Université du Québec à Trois-Rivières
Résumé
Abstract
Portrait-robot no 3 : Le Bijoutier
corps de collier
taille d’un diamant
dent d’une broche
barbe d’une pièce de métal
bassin de cuivre
coffre-fort
talon de collier
de l'auteur, que nous pourrons dire comment, et sur quels plans, le lecteur
de textes à contrainte s'émancipe des réglages dominants.
205
NOTES
1
Perec, Georges. Les lieux d'une fugue, dans Je suis né, Paris: Seuil,
1990. 15-31.
2
Jakobson, Roman. Essais de linguistique générale, Paris: Éditions de
Minuit, 1963 (Tome 1), 1973 (Tome 2).
3
Charles Grivel donne plusieurs exemples de dissociation dans « Le
Fantasme oulipien », Oulipo poétiques, Peter Kuon, éd., Tübingen:
Gunter Narr Verlag, 1999. 193-198.
4
Shannon, C. E. et W. Weaver. The Mathematical Theory of
Communication, Urbana-Champaign: University of Illinois, 1949.
5
Hamon, Philippe. « Un discours contraint », Poétique 16 (1973): 423.
6
Voir par exemple Wagner, Frank. « Visibilité problématique de la
contrainte », Poétique 125 (2001): 3-15; Moncond'huy, Dominique.
« L'Ou-lipo, entre plaisir immédiat et illisibilité : qu'est-ce qu'un lecteur
oulipien ? », Formules 16 (2012): 207-214; Oulipo. La littérature
potentielle, section « Clés », Paris: Gallimard, 1988.
7
Wagner, Frank. « Visibilité problématique de la contrainte », Ibid.
8
Eco, Umberto. Sémiotique et philosophie du langage, 1988, Paris:
Quadrige/PUF, 2006. 249-250.
9
Métail, Michèle. « Portraits-robots », Bibliothèque oulipienne, 21.2,
Paris: Ramsay, 1987. 45-71.
10
Perec, Georges. La Disparition, 1969, Paris : Gallimard, 1999. 125
(feuillet non paginé).
11
Iser, Wolfgang. L’acte de lecture. Théorie de l’effet esthétique, trad.
Evelyne Sznycer, Liège/Bruxelles: Pierre Mardaga éditeur, 1976; Eco,
Umberto. Lector in fabula, Le rôle du lecteur ou la coopération
interprétative dans les textes narratifs, trad. Myriem Bouzaher, 1979,
Paris: Grasset, coll. « Le livre de poche/Biblio essais », 1995.
12
Voir Thérien, Gilles. « Pour une sémiotique de la lecture », Protée 18.2
(1990): 67-80; Gervais, Bertrand. À l’écoute de la lecture, 1993, Québec:
Nota Bene, 2006; Saint-Gelais, Richard. Châteaux de pages. La fiction au
risque de sa lecture, LaSalle: Hurtubise HMH, 1994.
13
Richter, Ernst Friedrich. Traité de fugue : précédé de l'étude des
imitations et du canon, trad. Gustave Sandré, Leipzig: Breitkopf &
Härtel, 1924. 50.
14
Ibid., 49.
206
Thea Petrou
University College London
Résumé
Abstract
Entrecimamen
Dans les branches les plus hautes de grands arbres, des pins,
des sapins, cèdres, mélèzes, sous le vent fort mais régulier,
qui n'est pas le vent de tempête qui choque, entrechoque,
embarrasse, punit, arrache, déracine, mais le beau grand vent
208
Hints of past memories are stirred up by the wind; the young poet's
first room of his own, defined by this very bed: “la ‘chambre au lit de
cuivre’, qui est la mienne.”6 Through it all, the poet appears as observer,
watching the wind sweep through the forest. It is a motif that is repeated
throughout the poem, “du même endroit voyant et revoyant” and later,
“moi en fascination regardant depuis le lit de cuivre à travers les
carreaux.”7 In La Boucle, a book bursting with autobiographical
reminiscences from the author's childhood, Roubaud comments on the
way in which he introduces descriptions of memories into the text with
the words “je vois,”8 much as he does here in “Entrecimamen.” He goes
on to describe these introductory words as:
209
years spent exploring its limits and flexibility, the sonnet in Octogone
remains a familiar space of shelter in the storm.
Aptly placed in the very centre of the book's first “Homages”
section are two tributes to number. There is a sense of order which was
lacking in “Entrecimamen”: both sonnets follow the same typographical
layout on the page and the two are also made up of hendecasyllabic lines.
They are visual and metrical copies of one another. In both poems,
number is placed at the centre of poetry and life. Much like the sonnet,
numbers have been a security for Roubaud. He turned to mathematics
optimistically in search of a more logical perspective on the world;20
number also rescued his poetic process from a “manque total de rigueur”
when he was still struggling under the free-verse influence of the
Surrealists in his youth.21 The first of the poems, “Laboratoire central,”
begins with a tribute to the role of number in the sonnet form:
Number here is the basis of every constraint and every form which
generates poetry. It also appears in the form of counting; Roubaud lists
poets associated with the sonnet form, from its origins in the Provençal
canso, which Arnaut Daniel developed into the sestina, through to more
recent writers to experiment with the form, such as Hopkins and
Mallarmé. Roubaud goes on to list subject matters treated by the form,
ranging from love to death, all capitalised in an assertion of universal
relevance. The sense of enumeration is compounded by the overflowing
of the lines in enjambment and the phonic repetition in elles, celles and
telles, which points to an abundance of sonnets. The poem echoes a
passage in Roubaud's Description du projet, where he compares the
sonnet to a crystal, not only due to its longevity, the gradual
sedimentation of its composite qualities over hundreds of years, but also
because of the form's “capacité de multiplication effervescente.”23 These
notions of proliferation and longevity resonate through the formal
213
The poet traces the count of numbers until they grow less distinct
against the fading grey background. The form of the sentence flowing
over the first stanza and a half of the poem parallels that of “Laboratoire
central,” with both ending at a full stop in exactly the same position of the
sixth line. The syllabic count of both sentences is exactly 67: the year in
which book of sonnets, Signe d'appartenance, was published, the same
year hailed as marking Roubaud's birth as a poet.26 If numbers are at the
centre of Roubaud's “Hommages,” it is to pay tribute to their role in his
poetry, to celebrate the place of the sonnet in the history of poetry, and to
commemorate his own beginning as a poet.
Just as Opalka's painted numbers mark the passing of time and the
fading of life, so too Roubaud's use of enjambment echoes the flowing
count of numbers; the words “Successivement successeur succédé” enact
the endless enumeration of counting to infinity, while noun phrases split
over line-endings, (“la perte / De substance” and “l'ombre inerte / De
l'indistinction”) link the ephemerality of time with loss, perte, and
lifelessness, inerte. Numbers generate form in Roubaud's poetry, but
these odes to number show that the forms themselves signify in turn.
Elsewhere in “Hommages I,” Roubaud combines his celebration of
the sonnet form with a tribute to late friend and poet Edoardo Sanguineti.
214
“In memoriam Edoardo Sanguineti” begins at the end, evoking the death
of Sanguineti within the first line:
The sonnet is also “upside down” in form, with the usual position
of the quatrains and tercets reversed. The hint is in the epigraph: “sopra il
secondo verso di un sonetto rovesciato.” These words are taken from one
of Sanguineti's contributions to Renga: a chain poem composed in four
languages by Roubaud, Sanguineti, Octavio Paz and Charles
Tomlinson.28 Tomlinson's English translation of Sanguineti's piece reads
“I stretch myself out over your body, like these words / along the second
line of a mirror sonnet.”29 The words self-reflexively signal their own
place in the sonnet, just as the poet signals his entering its space with his
body. The “sonnetto rovesciato,” which can be translated as “upside
down sonnet,” becomes in Tomlinson's rendering a “mirror sonnet,”
reflecting not just the vertical reversal of the form, but also the parallel
translation of the poem into English on the facing page. The self-
referentiality makes of the sonnet form the subject of the poem.
Roubaud reflects on his memory of “ces moments / Antiques,”
naming the place that was to be the poets' workshop over their week of
215
collaboration “la fosse aux lions.” The lions' den was an underground
room in a Parisian hotel, so named because of the intensity of the
experience there. Claude Roy's introduction to Renga evokes the myth of
Persephone to convey the wonder of rebirth that came of this
underground collaboration:
The poet underlines the places that have now largely disappeared
from the streets of Paris, as if to assert their presence within his memory,
while updating the reader on the changes that have taken place in a series
of whispered asides. This resonates with de Certeau's description of the
city as a palimpsest, full of the presences of various absences:
Inventing Form
La tempête est venue couchant les arbres
où s'étaient réfugiés les oiseaux
la tempête enroulée autour des tours
218
1 2 3 4 5
5 1 4 2 3
3 5 2 1 4
4 3 1 5 2
2 4 5 3 1
Working through the patterns of both the quinine and the interval
of two has the curious effect of establishing presence within absence: the
reader is given the formula to determine exactly which lines are missing
from the spaces that remain. The bullet points marking the blank lines
add to this spectral presence, reminding the reader of what could have
been there.
The form least familiar to Roubaud's reader will probably be that
of “Exact.” The poem spans over 40 pages and is composed of tiny pieces
that Roubaud calls tridents. They have the visual appearance of tridents
in that they are three-pronged verses (where each prong is a line), held
together by a pivot: a tiny circle with a cross inside it, much like the head
219
of a screw: U. The numbered verses are “pinned” to the pages according
to three formations. Running in threads starting from 1, 101, and 201, the
lowest set is aligned to the left of the page, those numbered between 101
and 200 are aligned to the right-hand side and the numbers in the highest
range appear within the central area of the page. The three threads
become increasingly interwoven as the poem progresses; the overall
effect is that the tridents appear to be floating in space, pinned to the page
only by their pivot.
The three threads group together common themes. The first set
collects memories from the poet's childhood and early adulthood, largely
in chronological order. These snatches of memories are often obscure, but
intriguing for the reader. A number of them can be unfolded into more
detailed anecdotes using Roubaud's prose volumes. The following
example is from “Exact”:
la nappe de miel
U transparent
et quelques cerneaux.41
101 démémoire
je t'ai en horreur
U démémoire
qui recroqueville.44
149 mémoire
The blank space that was once constitutive of a poem's rhythm and
overall shape is now a shrill reminder of the words that are missing from
it. In another stanza, words have a life of their own, challenging their
arrangement in the poet's vision with their own squinting in the night:
120 mots
la grêle de mots
U qui m'éveille
fuit d'entre mes doigts.49
Perhaps the reader even sees in this poetic form the fragmentation
of language experienced by the poet. The result for the poet is
disorientation:
Now it is not just the shape of poetry that collapses in on itself, but
the poet himself who loses his place, which is echoed in the shift of the
final line that breaks the trident formation.
At certain moments, the tone changes in the final thread of tridents.
Numbered from 201, their content is self-reflexively focused on the
trident form. Roubaud optimistically expounds the features of the form.
He presents the number of syllables it holds in a variety of typographical
formats, for example: “vers un: cinq syllabes,”51 “vers 2, trois,”52 “(vers
trois): 2-1-2.”53 He turns the structure inside out,54 lengthens it by two
lines,55 and shortens it to just three syllables.56 It would seem that there
are no limits to what the trident can do. The pivot is likened to a spring
mechanism, “sur lequel bondira le trident.”57 Yet as “Exact” progresses,
there is the sense that these efforts to show the multiple possibilities of
the trident rather exhaust its potential. Roubaud's exploration of the
structure becomes repetitive, which highlights the limits of the form
rather than its flexibility. If the pivot is a spring mechanism, an impulse
222
launching the tiny form into existence, it is also the nail that struggles to
hold the fragments of language together:
233 trident
l'équilibre de
U neuf mots à
tenir, comme, ensemble.58
The nine words that are the subject of the trident are precariously
held together, only the instability of “comme” completing their syllable
count and confirming the structure. Form becomes content, not only in
the obvious instances of self-referentiality, where the poet discusses his
new invention within its structure, but also in the sense that its brief lines
teeter perpetually on the edge of oblivion.
Roubaud is the pioneer of the trident, but each time he refers to it
as his invention, there is ambiguity. Rather than stating, he questions:
“avancer / sans prédécesseurs?”,59 which casts a shadow of doubt on the
form. Perhaps the poet is uncertain about leaving behind his allegiance to
tradition, or perhaps the question betrays his fear of what seems to be a
solitary future.60 The loneliness of memory loss is clear when the poet
poignantly states: “1 à 1 les vers / me désertent.”61 Poetry leaves him
behind like so many lost friends and the trident form is characterised by a
tension existing somewhere between creation and gradual deterioration of
memory. Can the poet ever really be “maître” of a form that both arises
out of and signifies loss?62
Roubaud closes “Exact” with a series of tridents reflecting on the
suicide of his brother, Jean-René Roubaud:
87 in memoriam JRR
de terre atterré
U la terreur
à tort déterrée.63
158 souvenirs
Perhaps this reaction to the tricks memory plays is at the root of the
Joséphine, whose patterns of absent lines remain ghostly presences in the
evaporating form. Are the disappearing birds in “Tempête sur la
Bibliothèque de France” the lines of poetry vanishing from the poet's
mind?66 Like the wind that mutes the poet in “Entrecimamen,” the gale in
the Joséphine ends the birdsong, “ne laissant que du silence entre les
tours.”67 Perhaps the reader is to be reassured by the towers of books that
rise through the silence. They stand for the spaces of reading: the sonnets
that will continue to hold their form for centuries to come; the magical
haven of a childhood bed; “[un] lieu emprunté, un moment, par un
passant.”68
The forms invented for Octogone – the Joséphine and the trident –
are necessarily personal to the poet who writes this last volume. They
signify as elements of a book that completes the architecture of a life's
work, resonating with the age of the poet and the memory struggle that
has come with being an octogenarian. Like the title at the centre of the
octagonal structure, Signe d'appartenance, the forms that constitute
Octogone all belong to the poet for a time, even if he is only passing
through them. In turn, the library towers become the structure of books
left behind when the poet is gone: spaces for his reader to borrow.
224
NOTES
1
See Roubaud's radio interview “Page 124 - Oubli.” Le Carnet d'or.
France Culture. 19 Apr. 2014. Further references to Roubaud's discussion
and elaboration on Octogone will be taken from this radio interview.
2
Roubaud, Jacques. Les Troubadours, Paris: Seghers, 1971. 38-42.
3
Roubaud, Jacques. Octogone, Paris: Gallimard, 2014. 9.
4
Roubaud, Jacques. La Fleur inverse, Paris: Éditions Ramsay, 1986. 7-
17.
5
Roubaud, Jacques. Octogone, op. cit., 10.
6
Roubaud, Jacques. La Boucle, Paris: Seuil, 1993. 547.
7
Roubaud, Jacques. Octogone, op. cit., 10.
8
Roubaud, Jacques. La Boucle, op. cit., 248. Emphasis in the original.
9
Ibid., 248-249.
10
Perec, Georges. Espèces d'espaces, Paris: Éditions Galilée, 1974. 34.
11
Ibid., 23.
12
Ibid., 33-34.
13
De Certeau, Michel. L'Invention du quotidien: arts de faire, Paris:
Gallimard, 1990. XLIX.
14
Roubaud, Jacques. Octogone, op. cit., 10.
15
Roubaud, Jacques. La Fleur inverse, op. cit., 278-281.
16
Roubaud, Jacques. Octogone, op. cit., 10-11.
17
Giannecchini, Hélène. Une image peut-être vraie, Paris: Seuil, 2014.
119.
18
Roubaud, Jacques. Le Grand Incendie de Londres, Paris: Seuil, 1989.
393.
19
Smock, Ann. “Jacques Roubaud's ‘Sonnetomania.’” Literary
Imagination 12.3 (2010): 345.
20
Roubaud, Jacques. Mathématique, Paris: Seuil, 1997. 54-57.
21
Roubaud, Jacques. Poésie:, Paris: Seuil, 2000. 104.
22
Roubaud, Jacques. Octogone, op. cit., 56.
23
Roubaud, Jacques. Description du projet, Caen: Nous, 2014. 31.
24
See Opalka's official website at:
http://www.opalka1965.com/fr/statement.php?lang=fr
25
Roubaud, Jacques. Octogone, op. cit., 57.
26
Roy, Claude. La Conversation des poètes, Paris: Gallimard, 1993. 284.
27
Roubaud, Jacques. Octogone, op. cit., 55.
225
28
Renga was composed in French (Jacques Roubaud), Spanish (Octavio
Paz), English (Charles Tomlinson) and Italian (Sanguineti). The entire
poem was subsequently translated into French, Spanish and English by
Roubaud, Paz and Tomlinson respectively.
29
Paz, Octavio, Jacques Roubaud, Edoardo Sanguineti and Charles
Tomlinson. Renga. Trans. Charles Tomlinson. New York: Braziller,
1971. 63.
30
Roy, Claude. “Avant-propos.” Renga. By Octavio Paz, Jacques
Roubaud, Edoardo Sanguineti and Charles Tomlinson. Paris: Gallimard,
1971. 9.
31
Paz, Octavio. “Introduction.” Renga, op. cit., 18.
32
Ibid., 22.
33
De Certeau, Michel. L'Invention du quotidien: arts de faire, op. cit.,
250.
34
Paz, Octavio. “Introduction.” Renga, op. cit., 22.
35
Roy, Claude. “Avant-propos.” Renga, op. cit., 12.
36
Roy, Claude. “Foreword.” Renga, op. cit., 10. Emphasis in the original.
37
Roubaud, Jacques. Octogone, op. cit., 29. Emphasis and font changes
in the original.
38
De Certeau, Michel. L'Invention du quotidien: arts de faire, op. cit.,
162.
39
Roubaud, Jacques. Octogone, Paris: Gallimard, 2014. 169-170.
40
See Octogone 267 for the quinine permutation. See also Octogone 261
for an explanation of the way in which elements of the poem are
eliminated according to the interval.
41
Roubaud, Jacques. Octogone, op. cit., 87.
42
Roubaud, Jacques. La Boucle, op. cit., 148.
43
Roubaud, Jacques. Octogone, op. cit., 83.
44
Ibid., 67.
45
Roubaud, Jacques. Poésie:, op. cit., 42.
46
Roubaud, Jacques. Octogone, op. cit., 78.
47
Ibid., 98.
48
Ibid., 79.
49
Ibid., 95.
50
Ibid., 75.
51
Ibid., 67.
52
Ibid., 69.
226
53
Ibid., 71.
54
Ibid., 70.
55
Ibid., 74.
56
Ibid., 73.
57
Ibid., 69.
58
Ibid., 90.
59
Ibid., 101.
60
Perhaps the doubt concerns the form’s newness, as it seems to be a
reduction of and variant on the haiku. Roubaud speaks of the wordiness
of the haiku in relation to his trident in his radio interview "Page 124 -
Oubli" (see note 1).
61
Roubaud, Jacques. Octogone, op. cit., 78.
62
Ibid., 104.
63
Ibid., 87.
64
Ibid., 68.
65
Ibid., 104.
66
Roubaud has commented on the alignment of birdsong with poetry in
the troubadour tradition. See, for example, Les Troubadours, Paris:
Seghers, 1971. 5.
67
Roubaud, Jacques. Octogone, op. cit., 170.
68
De Certeau, Michel. L'Invention du quotidien: arts de faire, op. cit.,
XLIX.
227
Didier Coste
Université Bordeaux-Montaigne
Résumé
Abstract
Most poetry readers and writers (often the same) still believe that a well-
wrought poem is one that displays textual coherence and whose formal
features fit its semantic contents or even duplicate them. But any history
of poetry will show that poetic forms have also been used
228
toute autre métrique. C’est à une autre échelle et sur d’autres critères,
numériques et géométriques, qu’il est auditivement et visuellement
reconnaissable : le nombre de vers, quatorze ; le groupement de ces vers
en strophes, séparées ou non par des blancs interlinéaires, et la
détermination des unités strophiques par des schémas rimiques tels que
l’ABBA des quatrains, lesquels en outre, lorsqu’ils sont répétés,
accouplent formellement les strophes par paires. Le sonnet est donc
affaire de brièveté, de « redoutables symétries » et de dialogue ou
dialectique entre pair et impair. Rien ne le voue a priori à l’adresse
amoureuse ni à la plainte, au regret, à une méditation sur la perte.
Or, toute la vogue du sonnet étant véritablement liée au succès de
ceux de Pétrarque, que l’on tendrait à qualifier de « post-courtois » pour
ceux écrits du vivant de Laure et d’élégiaques pour ceux écrits après la
mort de celle-ci, mais pas seulement, cette forme est rapidement et de
plus en plus devenue un véhicule privilégié quoique non exclusif de
l’expression du sentiment amoureux sous toutes ses formes (des plus
éthérées au désir le plus cru ou le plus coquin) ainsi que de la peine
résultant de toute perte, réelle, prévue ou imaginaire. Ainsi, si Lamartine,
dans « Le lac » ou « L’isolement » (« Un seul être vous manque et tout
est dépeuplé ») préfère l’amplitude de quatrains nombreux, le fameux
sonnet d’Arvers, qui se dit « imité de l’italien » constitue-t-il, plutôt que
la manifestation d’une « sensibilité nouvelle », comme il est convenu de
le dire, la cristallisation d’une affectation de la forme-sonnet à l’élégie
amoureuse, affectation qui n’a d’autre justification que l’ancienneté du
détournement historique, un droit coutumier. S’il y a eu sans doute
« sensibilité nouvelle » dans la poésie française, avec la substitution
insuffisante de la nature à la miséricorde divine et l’individualisation
croissante du sujet poétique face au monde, elle remonte assurément aux
élégiaques du XVIIIe siècle et bien plus loin encore ; en 1833 elle est loin
d’être nouvelle, comme en témoigne Millevoye parmi tant d’autres. En
fait, chez Pétrarque comme chez Shakespeare ou, bien plus tard encore
avec les Sonnets portugais d’Elizabeth Barrett Browning, louange du
monde et de l’objet amoureux et/ou action de grâce sont des objectifs du
sonnet qui rivalisent à armes égales avec le dire, voire la fabrication
neurasthénique de la perte. Chez Arvers, au contraire, la forme-sonnet, en
se fixant sur le thème de la passante (indifférente), manifeste par le
contraste entre la simple perfection formelle et l’incompréhension de la
234
entravé.
C’est encore ce que pourrait indiquer ma propre pratique du sonnet
français et de formes analogues de 1989 à 2012, ainsi que celle de
contraintes formelles majoritairement d’une autre nature dans mes
poèmes de langue anglaise depuis la fin de l’année 2008 et les problèmes
traductologiques soulevés par le transfert des poètes que je traduis et celui
de ma propre poésie par autrui dans des langues étrangères. Croyant que
la théorisation de la poétique du poème a tout à gagner d’une pratique
critique de l’écriture poétique, je terminerai par là.
permet pas d’aboutir, du fait de son peu d’étendue, s’étale sur chaque
couple de sonnets, chaque triade de couples, et sur les six triades. Ce qui
doit permettre à la seconde voix de réaliser dans le « pavillon de lecture »
(qui réunit le pavillon de l’oreille et l’orifice de la bouche, qui est donc à
la fois corps et habitacle dans le jardin de la langue) la tempérance du
deux, nombre d’union et non de division ou de répétition, et enfin
d’annoncer le repos du septième jour, un silence rumoreux :
***
NOTES
1
Comme l’impliquent par exemple les ouvrages de Culler, cité plus bas,
et de Gustavo Guerrero, Poétique et poésie lyrique. Paris: Le Seuil, Coll.
« Poétique », 2000. Si Le Tasse assigne au lyrique le concept pour objet,
ce ne peut être que parce que la fable ne correspond pas à la forme du
discours lyrique, et il va même jusqu’à affirmer l’identité du concept et
de la forme lyrique : « nous dirons que les concepts sont la forme dans
ces lyriques », cité par Guerrero, p. 177.
2
Voir par exemple Le Souci des apparences ; neuf études de poétique et
de métrique rassemblées par Marc Dominicy. Bruxelles : Éditions de
l’Université de Bruxelles, 1989.
3
Jonathan Culler, Theory of the Lyric. Cambridge, Mass. & Londres :
Harvard University Press, 2015. 176-180.
4
Texte et traduction française dans l’anthologie Le Sonnet réalisée par
Dominique Moncond’huy. Paris: Gallimard, coll. « Folioplus,
Classiques », 2005. 112-113.
5
Alexis Saint-Amand [pseudonyme], La Leçon d’Otilia ; sonnets
complets 1992-1994. Paris : La Différence, 1995.
6
« Eukléidès IV », poème extrait de Didier Coste, Composition sans titre,
à paraître au sein d’une sélection du volume dans un prochain numéro de
Po&sie.
7
Laurent Cassagnau et Jacques Lajarrige, dir., Pérennité des formes
poétiques codifiées. Clermont-Ferrand: Presses de l’UBP, 2000. Voir en
particulier les chapitres consacrés par Claude Le Bigot à « La lyre
d’Orphée : Remarques sur l’usage des formes régulières dans la poésie
espagnole actuelle », 67-79, et par Roger Gayraud à « Iliazd et le
sonnet », 81-92.
8
Antonio Rodriguez, Le Pacte lyrique. Sprimont (Belgique) : Mardaga,
2003. 43-48.
9
Didier Coste, Anonymous of Troy. Sydney: Puncher & Wattmann, 2015,
p. 13.
10
Ibid., 68.
11
Didier Coste, Indian Poems of the Carnal Edge (2012-2014), extraits
parus dans Muse India, 2014:
http://www.museindia.com/regularcontent.asp?issid=57&id=5178.
Édition imprimée trilingue en préparation.
249
12
Didier Coste, The Reading Pavilion, un extrait est à paraître début
2016 dans un numéro de la revue new-yorkaise Cardinal Points dirigé
par Alexandra Berlina. Le même extrait, intitulé « A Pair of Broken
Arrows » a fait en octobre 2015 l’objet d’une lecture enregistrée lors d’un
entretien avec H.G. Ruprecht pour le programme littéraire de la radio
CKCU FM d’Ottawa.
13
J’emprunte, en le traduisant, le terme de “transreading” à l’emploi
heuristique qu’en fait Huiwen Helen Zhang dans plusieurs articles et
communications particulièrement éclairants et innovants. Voir
notamment « “Translated, it is …” — An Ethics of Transreading »,
Educational Theory, 64.5 (2014) : 479-495, et ma recension à la fin de
l’essai critique « Si la traduction m’était contée (parcours accidenté) »,
Acta Fabula, 16.3 (avril 2015) :
http://www.fabula.org/acta/document9237.php (dernière consultation le
26.12.2015).
250
Bernardo Schiavetta
écrivain
Résumé
mais à la fin du processus d’écriture, et l’on peut dire que la forme est le
personnage même.
Abstract
…musique de boîte à…
FIGURE 1
… musique de boîte à… © Bernardo Schiavetta
254
créateur postulé par Poe ne communique pas une émotion qu’il éprouve
de manière intime ; non, avec son art, il cherche à la provoquer chez son
lecteur. Bien comprise, l’Épître aux Pisons dit la même chose : Horace
n’encourage pas les poètes à épancher leur subjectivité, mais à trouver
une thématique efficace.
L’ascèse de l’expression qui a ainsi guidé mon travail poétique ne
favorise pas, a priori, le narcissisme autobiographique ni le « vouloir-
dire » personnel. Celui-ci, bien sûr, aurait pu y être introduit a posteriori,
mais il n’en a pas été ainsi pendant la période de composition de
Fórmulas para Cratilo. Plutôt que l’inclusion de souvenirs personnels
(conscients), j’ai privilégié les associations culturelles, encyclopédiques,
mythiques et légendaires.
Et pourtant… une crise personnelle m’a poussé sur ce chemin. Elle
eut lieu pendant la première étape de mon travail poétique, celle qui
correspond à la gestation de Diálogo (1983),13 une étape dont je parlerai
maintenant.
[FIGURE 2]
Miroir pour Pirandello © Bernardo Schiavetta
Il se trouve que, depuis 1991 et jusqu’à présent, j’ai écrit aussi des
poèmes dans des langues autres que l’espagnol, pour de multiples raisons
techniques. Certains des Miroirs de Bruno Gonzalvi, par exemple,
exploitent un effet d’anamorphose propre à la symétrie axiale des lettres
majuscules AHIMOTUVWXY. Ces dernières ne changent pas
258
lorsqu’elles sont reflétées par un miroir. Cela permet, par exemple, que la
phrase incompréhensible XIOV AT ATIMI XIOV AM devienne MA
VOIX IMITA TA VOIX dans son reflet. Étant donné que chaque langue
possède un vocabulaire à la fois très restreint et très spécifique de
vocables composés par la combinaison de ces lettres-là, l’exploitation de
tel ou tel thème, impossible en telle langue, peut devenir possible dans
une autre. Par exemple, en italien, la ligne énigmatique : OTITUMMA
AMOTUA OTAMA IMATIMI se transforme en : IMITAMI AMATO
AUTOMA AMMUTITO (imite-moi, cher automate muet). Un autre
exemple d’anamorphose est le Miroir français intitulé « TAT » (sic, en
majuscules, voir fig. 3) dont les vers verticaux, reflétés dans une glace,
restent toujours lisibles.
M’adressant à un public majoritairement francophone, je ne
m’occuperai ici que des versions françaises de quelques Miroirs attribués
a posteriori à Bruno Gonzalvi. Le fait de m’auto-traduire ou, plus
exactement, de refaire de fond en comble mes anciens textes en d’autres
langues que ma langue maternelle, constitue la troisième étape de
gestation de l’auteur hétéronyme, et sans doute la plus fructueuse, celle
où j’ai pris pleine conscience de son existence.
Comme le firent Marinetti, Tzara ou bien Huidobro, Bruno
Gonzalvi (qu’il ne faut pas confondre avec moi), a écrit une bonne partie
de sa première production en français.
Il faut que je souligne que, par une volte-face inhérente à la fiction
hétéronymique, les recréations (en français) de mes poèmes originaux (en
espagnol) sont devenues les « originaux » des Miroirs et des Cercles de
Gonzalvi. Dans sa biographie imaginaire mes propres originaux
deviennent à leur tour les « recréations » que Bruno produit pour ses
lecteurs de langue espagnole.
Une caractéristique majeure de la poésie d’expression personnelle
se trouve justement dans l’utilisation viscérale de la langue maternelle.
Écrire dans une langue étrangère permet au poète de s’éloigner un peu
plus de sa subjectivité.15
259
[FIGURE 3]
TAT © Bernardo Schiavetta
[FIGURE 4]
mon nom © Bernardo Schiavetta
261
[FIGURE 5]
face-à-face © Bernardo Schiavetta
262
Reflet du reflet
face-à-face
mon nom
Élevé, révélé,
su, ce Revers rêva
l’ivresse de gagner
mon nom élu : Reflet.
PROSOPOPEÏA
(Inferno, XXXI, 67)
RAPHELMAYAMECHZABIALMI
Un peu de fiction
Almiraphel [1917]
Almiraphel [1987]
Tout ce long poème babélien sur Babel aurait donc été composé
par Gonzalvi de manière automatique, ce qui n’est nullement prouvé,
bien sûr. À l’en croire, sa mnémotechnie magique lui aurait permis de
trouver, cachée dans tous les livres du monde, une œuvre inspirée, déjà
existante, et ainsi révélée. On peut rester sceptique sur ce point (c’est
mon cas), mais il est certain qu’il a transcrit directement chaque ligne
dans une langue différente, et cela à partir de sources qui ont été
soigneusement vérifiées.22 En effet, tout le poème, dans cette dernière
mouture, est un collage d’une centaine de citations extraites de textes
anciens et modernes, rédigés en diverses langues naturelles et artificielles,
hybrides, forgées, et comportant en plus quelques onomatopées,
phonétismes, polyglossies, glossolalies, voces magicae, etc.
Étant donné qu’il fut un grand polyglotte, Bruno Gonzalvi aurait pu
composer son grand poème multilingue sans passer par des citations.
D’ailleurs, ce fut le cas de l’Almiraphèl 1978, resté inachevé ; il
272
NOTES
1
« Bernardo Schiavetta fait de la poésie un objet de laboratoire où
l’étalage formel étouffe tout effet poétique ». Suñén, J. C. « Fórmulas
para Cratilo » (note de lecture), El País, le 17 mars 1990. Ce jugement
fait partie de la polémique suscitée en Espagne par l’octroi du prix Loewe
à ce livre, cf. Coste, Didier et B. Schiavetta, Texto de Penélope, Córdoba
(Arg.) : Alción, 1999. 93-95.
2
Banville, Théodore de. Petit Traité de Poésie française, Paris :
Fasquelle, 1922. 240-243.
3
Schiavetta, Bernardo. Fórmulas para Cratilo, Madrid, Visor, 1990.
4
Cf. Kwapisz, Jan. The Greek Figure Poems. Leuven : Peeters, 2013.
5
Valéry, Paul. Variété III, Paris : Gallimard, Folio, 2002. 63-64.
6. Cf. Schiavetta, Bernardo. « Holotextualité, Signes holotextuels et
icônes métriques », OP. CIT. Revue de littératures française et comparée
(Pau) 10 (printemps 1998) : 193-204.
7
Pour ces termes et auteurs cf. Dällenbach, Lucien. Le Récit spéculaire
(Essai sur la mise en abyme), Paris : Seuil, 1977 ; cf. aussi Magné,
Bernard. « Métatextuel et lisibilité » Protée (Chicoutimi) 14.1-2 (1986):
77-88 ; deuxième principe de Roubaud, cf. OuLiPo, Atlas de littérature
potentielle, Paris : Gallimard, Idées, 1981. 90.
8
Roussel, Raymond. Comment j’ai écrit certains de mes livres, Paris :
Jean-Jacques Pauvert, 1963, passim. Il s’agit, dans le premier procédé,
d’équivoques et de paronomases ; dans le procédé évolué, de calembours.
9
Cf. Schiavetta, Bernardo. « Motivation de la Métrique et
diagrammatismes », Cahiers de Poésie Comparée 20, Paris : INALCO,
1992. 95-117.
10
Mallarmé, Stéphane. Lettre à Cazalis, Avignon, samedi 18 juillet 1868.
Correspondance, Lettres sur la poésie, éd. B. Marchal, Paris : Gallimard,
1995. 145.
11
Mallarmé, Stéphane. « Crise de vers », Divagations, Œuvres
complètes, éd. B. Marchal, Paris : Gallimard, Pléiade, 2003. Tome II,
210.
12
Mallarmé entend la méthode de Poe comme ce qu’elle est, un lyrique
dramaturgique : « L’art subtil de structure ici révélé s’employa de tout
temps à la disposition des parties, dans celles d’entre les formes littéraires
qui ne mettent pas la beauté de la parole au premier plan, le théâtre
notamment. Ses facultés d’architecte et de musicien, les mêmes en
l’homme de génie, Poe, dans un pays qui n’avait pas proprement de
scène, les rabattit, si je puis parler ainsi, sur la poésie lyrique ». « Scolies
à Les Poëmes d’Edgar Poe », Œuvres complètes, Paris : Gallimard,
275
Pléiade, 1945. 230. Mallarmé, pour cette raison, adopte une forme
explicitement théâtrale dans Hérodiade et dans le Faune.
13
Schiavetta, Bernardo. Diálogo, Valencia : Prometeo,1983.
14
Les structures métriques (à symétrie inversée, circulaires, etc.), au
départ, ne sont pas des signes, mais des simples schémas (ni sémantisés
ni motivés), ensuite, par une décision du scripteur, elles deviennent des
diagrammes : c’est-à-dire qu’elles sont sémantisées par motivation
iconique.
15
Schiavetta, Bernardo. « La Langue comme choix esthétique », Pays de
la langue, pays de la poésie, actes, Université de Pau et des Pays de
l'Adour : LRLLR / Covedi, 1998. 55-60.
16
Il s’agit du groupe de collaborateurs de la revue Le Grand Jeu, cf.
Krémer, Patrick, « Grand Jeu, Le », Encyclopædia Universalis [en ligne],
consulté le 1 janvier 2016. http://www.universalis.fr/encyclopedie/le-
grand-jeu/.
17
Schiavetta, Bernardo. « Les Sonnets écartés du ‘Miroir du Miroir’
(1937) de Selvio Zagghi », Formules 12 (2008) : 329-336.
18
Schiavetta, Bernardo. « Autres Hétéronymes », dossier, Poésie 91
(février 2002) : 40-60 ; repris dans Schiavetta, Bernardo. « Les
‘Métamorphoses’ de Zagghi », Formules 7 (2003): 181-187.
19
Cf. entre autres, Schiavetta, Bernardo. « Fragmentos de un poema
babélico », Hablar de Poesía (Buenos Aires) 14 (2005) : 40-50 ; et
surtout Schiavetta, Bernardo. Un échantillon de Wunderkammer,
plaquette, 140 p. Supplément hors commerce à Formules 14 (2010).
http://www.formules.net/revue/Daddy_Dada/index.html.
20
Cf. entre autres, pour les poètes : Tryphonopoulos, Demetres. The
Celestial Tradition, Ontario: Wilfrid Laurier University Press, 1992 ;
Wilson, Leigh. Modernism and Magic: Experiments with Spiritualism,
Theosophy and the Occult, Edinburgh : Edinburgh University Press,
2012. Cf. entre autres, pour les artistes : Tuchman, Maurice et Judi
Freeman, éds. The Spiritual in Art: Abstract Painting, 1890-1985, Los
Angeles / New York : Abbeville Press, 1986 ; Loers, Veit, éd.
Okkultismus und Avantgarde, Frankfort : Tertium, 1995 ; Ackermann,
Ute. Das Bauhaus und die Esoterik,Würzburg, Bern : Katalog Hamm,
2005-2006 ; Alizart, Mark, éd. Traces du sacré, Paris : Centre Pompidou,
2008 ; Hollein, Max. Künstler und Propheten. Eine geheime Geschichte
der Moderne 1872-1972, Frankfurt : Taschenbuch, 2015.
21
Cf. Rasula, Jed et Steve McCaffery. Imagining Language, London :
MIT Press, 1997. 10.
22
Pour la mise à jour des sources du centon, consulter les sites :
276
LES AUTEURS
Depuis, elle travaille sur la forme des poèmes de Mallarmé afin d’en
rendre visibles les contraintes secrètes dans des livres d’artiste,
installations, images, expos de poche ou supports numériques. Elle
présente au colloque Mallarmé herméneute en 2014, à l’université de
Rouen, son travail sur le Sonnet en X : Mallarmé passeur secret
d’herméneutique ancienne. La preuve par X.
joellemolina@me.com
Présentation............................................................................................ 3
Chris ANDREWS
« Les lieux d’une fugue d’école. Réflexion autour d'un avatar du modèle
de la communication »........................................................................... 195
Dominique RAYMOND
« Octogone: Forms of Farewell ».......................................................... 206
Thea PETROU