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Licence 2 du module Module : Genres littéraires et auteurs


Deuxième année Latifa SARI Initiation au
M. texte
du XIXème siècle/
12ème séance littéraire L’époque symboliste

L'époque symboliste
Le symbolisme fut une réaction contre l'art des Parnassiens, art tout représentatif, qui consiste soit
dans la reproduction des formes et des couleurs, soit dans la transcription logique des idées. Telle
que la conçurent les nouveaux poètes, la poésie devait traduire ce que l'âme recèle de plus profond
et presque d'inconscient. Le symbole est fondé sur une correspondance entre deux objets dont l'un,
généralement, appartient au monde physique, et l'autre au monde moral. D'ailleurs, le symbolisme
ne consiste pas à faire des symboles en forme, suivis et longuement développés. Pour être
symboliste, il suffit d'exprimer les secrètes affinités des choses avec les émotions.

Si l'école parnassienne se rattachait au réalisme, si son art était une représentation directe, le
symbolisme s'y oppose comme étant une sorte d'évocation. La poésie des symbolistes ressemble à
la musique par son objet, cet objet étant de rendre les sentiments et les émotions qui échappent à
l'analyse, par ses moyens, les rythmes et les sons. Parallèlement, les symbolistes revendiquèrent de
grandes libertés dans la forme : libertés avec la syntaxe, avec le vocabulaire, avec la rime, qu'ils
s'attachèrent à atténuer, et surtout avec la métrique : leur vers libre, dont la longueur dépasse
parfois celle de l’alexandrin, se distingue souvent à peine de la prose.

Si l'on considère l'histoire du mouvement symboliste, on peut constater que les littératures
allemande et anglaise, la musique wagnérienne ne furent pas sans influence sur son
développement. Mais il eut en France des précurseurs dans Alfred de Vigny et surtout dans
Charles Baudelaire. L'initiateur et le législateur de l'école fut Stéphane Mallarmé. Le maître dont
elle se réclamait est Paul Verlaine, dont l'inspiration originale et sincère dépasse, à vrai dire,
l'esthétique du groupe. H. de Régnier ne fit qu'y passer. Sorti de l'école symboliste, Jean Moréas
l'abandonna pour fonder l'école romane. Parmi les poètes symbolistes, citons encore Gustave
Kahn, Jules Laforgue, et un certain nombre de poètes d'origine étrangère, tels que Viélé-Griffin,
Rodenbach, Verhaeren.

Philosophie. Sociologie
Vers 1880, une réaction se produit non contre l'observation, non contre les sciences, mais contre
les abus du naturalisme et du scientisme. Déjà, chez Renan, le rationalisme incline à l'idéalisme, et
les influences wagnérienne, ibsénienne, tolstoïenne s'ajoutent à celle de Renan. C'est aussi le
temps où le Genevois Frédéric Amiel (1821-1881) est révélé par la publication posthume et
fragmentaire de son Journal intime (1883), dont la sensibilité maladive et anxieuse contribuera à
accroître le malaise dont souffrent les intellectuels.

Tandis que Charles Renouvier (1815-1903) rajeunissait la philosophie de Kant en fondant le néo-
criticisme, Alfred Fouillée (1858-1912) se faisait le théoricien du volontarisme et de l'idée-force,
et Emile Boutroux (1845-1921), par son livre De la contingence des lois de la nature, se classait
parmi les défenseurs de l'idéalisme métaphysique, en réaction contre les doctrines déterministes.

Puis Henri Bergson, né en 1859, éclectique à la façon de Leibniz, tenta, comme il l'a dit lui-même,
de « porter la métaphysique sur le terrain de l'expérience » en faisant appel à la science et à la
conscience, en développant la faculté d'intuition. Il a exposé les principes de sa « métaphysique

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expérimentale » dans l'Essai sur les données immédiates de la conscience (1889). Il distingue
deux mondes : celui de la durée intuitivement saisie, qui est toute réalité, toute qualité, toute
liberté, et celui de l'espace, de la quantité, de la géométrie, de l'idéologie, du langage. Une telle
doctrine, servie par le plus beau style, devait séduire les champions d'un art de pure spontanéité et
l'on devine tout le parti qu'allait en tirer le néo-romantisme.

Bergson est un pur philosophe ; Charles Maurras (né en 1868) est un politique méditerranéen épris
de raison et d'ordre. Pur et vigoureux écrivain, monarchiste par positivisme, il a exprimé l'essentiel
de son système dans l'Enquête sur la monarchie et dans l'Avenir de l'Intelligence. Il n'a pas
seulement fondé une école, mais un parti (d'extrême droite).

La critique
Qu'elle se dise impressionniste ou subjective avec Jules Lemaitre (1853-1914) et Anatole France
(1844-1924) ; qu'elle se montre, avec Paul Bourget, soucieuse d'objectivité et d'analyse ; qu'elle
soit plus dogmatique avec Ferdinand Brunetière (1849-1907), qui applique aux faits littéraires la
théorie darwinienne de l'évolution; qu'elle tende à la lecture commentée avec Emile Faguet (1847-
1916), à la leçon de goût avec René Doumic et Gustave Lanson, ou qu'elle soit poussée par l'esprit
de la découverte avec Melchior de Vogué, André Chevrillon et André Bellessort, la critique
française, même si elle prétend jouir, se donne surtout pour mission de comprendre, mais elle ne
s'interdit pas toute liaison avec une poétique ou une doctrine générale, avec Paul Souday, l'abbé
Henri Brémond, Pierre Lasserre, Henri Massis

L'histoire
Après le renouveau que provoqua le romantisme dans l'étude du passé, l'histoire s'organisa
scientifiquement, entendit rester objective et cessa d'être un genre proprement littéraire. Il
conviendrait cependant, parmi tant de travaux et pour s'en tenir à la France, de mentionner
quelques œuvres qui ne sont pas de pure érudition, où le souci de la forme s'unit à la solidité du
fond : celles de Gaston Maspero, de Victor Duruy, de Gaston Boissier, de Camille Jullian, de
Pierre Imbart de la Tour, de Gabriel Hanotaux, de Mgr Baudrillart, du duc Albert de Broglie, de
Pierre de Nolhac, d'Aulard, de Pierre de la Gorce, d'Albert Sorel, de Frédéric Masson, d'Albert
Vandal, de Rodolphe Dareste.

La tendance générale des historiens fut pendant longtemps à la monographie, mais à l'ère des
grandes synthèses, qui paraissait à peu près close, semble se rouvrir, sous la forme collective, avec
l'Histoire de France d'Ernest Lavisse, l'Histoire de la nation française de Gabriel Hanotaux,
l'Évolution de l'humanité de Henri Berr, l'Histoire du monde de Godefroy Cavaignac, l'Histoire
universelle de Glotz, Peuples et civilisations de Louis Halphen et Henri Sagnac.

La poésie
Ce qui, après 1880, caractérise un peu partout le mouvement poétique, c’est son subjectivisme de
plus en plus hardi et hautain. Comme l'art, et sous les noms simultanés de symbolisme,
d'esthétisme, de décadentisme, d'impressionnisme, en attendant ceux de futurisme, d'imagisme,
d'expressionnisme, d'ultraïsme, de dadaïsme, de surréalisme, qui appartiennent en propre au XX e
siècle, la poésie tend à donner le pas, dans l'exécution de l'œuvre, aux forces obscures de l'âme, et
non plus seulement au sentiment, mais à l'instinct sur la raison.

Cette tendance a contre elle les écoles de tradition, qui, d'ailleurs, ne s'entendent pas toujours :
derniers Parnassiens, poètes hors groupe - les plus nombreux -, tenants d'un classicisme rajeuni et
exclusif, comme l'École romane en France. Entre la révolution et la réaction, on démêlerait des
échanges nombreux, curieux, imprévus. L'interpénétration va quelquefois jusqu'à la confusion.

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Corbière, Rimbaud, Verlaine, Lautréamont.
Victor Hugo, dont l'ombre planait encore sur le Parnasse, a été délogé par Baudelaire.
L'impatience du joug parnassien se trahissait, au lendemain de la guerre franco-allemande de
1870, par les révoltes d'un Tristan Corbière (1845-1875), le spleenétique et tout celtique auteur des
Amours jaunes, et par celles d’un Arthur Rimbaud (1854-1891), le poète précoce, brutal et raffiné
d'Une saison en enfer, le technifantaisiste du sonnet des Voyelles.

Déjà, son aîné et ami Paul Verlaine (1844-1896) avait écrit les Poèmes saturniens, les Fêtes
galantes et la Bonne Chanson; acclamé « prince des poètes » à la mort de Leconte de Lisle, il
connut, dans ses dernières années, une gloire qui le vengea des dédains officiels. Poète de l'instinct
avec le goût de la mysticité, ami de la nuance plus que de la couleur, de l'atmosphère plus que du
contour, moins soucieux de décrire que de suggérer, d'analyser que de deviner, il fut un artiste
assez subtil pour se créer une prosodie personnelle en disloquant tous les rythmes sans sortir de la
tradition métrique.

L'énigmatique Isidore Ducasse (1846-1870) publie en 1868, sous le pseudonyme de Lautréamont,


les Chants de Maldoror, en 1869, singulière épopée en prose, inaperçue de son temps et que
redécouvriront les surréalistes.

Mallarmé
Afin de faire de la poésie la langue de toute synthèse, Stéphane Mallarmé (1842-1898) voulut «
donner un sens plus pur aux mots de la tribu » et n'atteignit qu'à l'indéchiffrable, qui est peut-être,
après tout, une forme de l'ineffable, mais en restant, lui aussi, et plus strictement encore que
Verlaine, fidèle à la versification usuelle.

Jules Laforgue
Tout change avec Jules Laforgue (1860-1887). Cet humoriste sensationnel, « Breton né sous les
Tropiques, » tire du vers libéré, en accord avec les rythmes populaires, des effets d'ironie
transcendante. Autant que d'Arthur Rimbaud et plus que de Tristan Corbière, c'est de lui que les
nouvelles écoles se réclament; il forme avec eux la trinité secondaire immédiatement placée dans
leur culte au-dessous de Baudelaire, et, dans une zone plus nébuleuse, de Nerval et de Mallarmé,
parce que, nourri de la philosophie d’Hatmann, il a le premier signalé l'immense domaine que
l'inconscient ouvrait à la poésie, les ressources illimitées qu'elle pouvait trouver dans ces « forêts
vierges » de l'âme.
Kahn, Viélé-Griffin, Merrill, Régnier
Dans le groupe qui se forme et qui n'obéit encore que faiblement à ses directions, l'histoire
littéraire distingue les noms de Gustave Kahn (1859-1936), métricien consommé et le premier
inventeur du vers libre proprement dit; de Viélé-Griffin (1864-1937) et de Stuart Merrill (1863-
1915), tous deux nés en Amérique : l'un, d'une sensibilité raffinée, créateur ou rénovateur de beaux
mythes antiques et moyenâgeux; l'autre, moins puissant et mai dégagé encore des bandelettes
hérédiennes ; de Henri de Régnier (1864 -1936 ) surtout, qui, du vers libre, passera
progressivement à une foi moins exclusive, conciliant le Parnasse expirant et le symbolisme dans
les poèmes de sa maturité.

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M. texte L’École Romane et les
13ème séance littéraire Indépendants

L'École romane et les indépendants


Jean Moréas (1856-1910) a décrit une courbe encore plus longue, mieux dessinée aussi, pour
aboutir aux Stances (1900), le chef-d’œuvre et l’œuvre-type de cette École romane, dont Charles
Maurras fut le Du Bellay, et qui comprenait à l'origine, outre les poètes précédents, Raymond de la
Tailhède, Maurice du Plessys, Ernest Raynaud.

Petite par le nombre, grande par l'influence qu'elle exercera même sur les dissidents, l'École
romane, restauratrice des grands principes essentiels de la poésie, fera de brillantes recrues en
Joachim Gasquet (1873-1921), Fernand Mazade, Jean-Marc Bernard, Xavier de Magallon, André
Thérive, Lucien Dubech, Paul Alibert, Henry Charpentier, mais elle ne tentera ni Charles Péguy
(1873-1914), figure de voyant et d'apôtre, homme de la glèbe, d'où il peine à faire jaillir une
poésie lourde, puissante et informe; ni Francis Jammes (1868-1938), Virgile béarnais, chantant la
vie rustique en vers ingénus et subtils, qui sentent le froment, la résine et l'encens pascal; ni Paul
Claudel (1868-1955), mystique et lyrique jusque sur la scène, parfois obscur, parfois sublime,
spécialiste des versets assonancés qui sont un moyen terme entre les libertés de la prose et les
exigences du vers ; ni le Champenois Paul Fort (1872-1960), dont les Ballades françaises sont
pétries de grâce et de malice, au point de prendre la figure typographique de la prose pour tromper
le lecteur non averti ; ni Valéry Larbaud, dont on commence à s'apercevoir que le Barnabooth
(1908) fut une date, et qui découvrit à ses contemporains la poésie des transatlantiques et de
l'Orient-Express. Larbaud est déjà un « Européen ».

Toutes les traditions helléno-latines en France s'accordent, au contraire, chez Auguste Angelier,
lyre dorienne, qu'on voudrait seulement parfois un peu moins souple; chez Frédéric Plessis (1851-
1942), poète citoyen, humaniste et croyant, de forme toujours parfaite; chez son émule Pierre de
Nolhac (1859-1936), que l’Auvergne et Rome se disputent et qui les honore également ; chez
Charles Guérin (1873-1907), âme inquiète, venue des brouillards germaniques à l'appel du dogme
chrétien ; chez Louis Le Cardonnel (1862-1936), pour qui semble avoir été créé le mot «
séraphique », dévot, comme un des Renaissants de sa chère Italie, à Virgile et à Platon.

L'exemple d'une même fidélité, sinon à la tradition helléno-latine, du moins à la langue et au vers
traditionnel, est donné par Jean Lahor (1840-1909), boudhiste et grand poète du néant, dans
l'Illusion ; par Léon Dierx (1830-1912), né à l'île de la Réunion comme Leconte de Lisle et que les
porte-lyre élurent pour leur prince au décès de Paul Verlaine; par Jean Richepin (1849-1926), le «
touranien » à l'éloquence débridée et rutilante, à la langue plantureuse, à la versification éclatante
et sonore ; par Raoul Ponchon (1848-1947), dyonisiaque et léger comme un fils de Pan ; par
Maurice Bouchor (1855-1929), dont la muse adolescente baignait dans le clair de lune
shakespearien; par Edmond Haraucourt (1857-1941), qui, après l'Ecclésiaste, dénonce la misère et
la solitude de l'homme ; par Albert Samain (1859-1900), tout en demi-teintes dans son Jardin de
l'Infante, poète de la pénombre et du clair-obscur de l'âme : par Jules Tellier (1863-1887), mort à
vingt-six ans et qui mieux que dans ses vers, s'est livré avec tout son pathétique amer dans ses «
Proses » sombres, cadencées et puissantes. La comtesse Anne de Noailles (1876-1933) est la plus
célèbre des muses du temps. Romantique au lyrisme jaillissant dans le Cœur innombrable (1900)
et dans ses autres recueils, il semble qu'elle se soit repliée sur elle-même à partir de la Grande

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Guerre, qu'elle soit devenue plus soucieuse d'intellectualiser l'émotion en des vers plus sobres,
plus condensés, plus classiques.

Mais en Belgique, et sauf chez George Rodenbach (1855-1898), le fil est rompu, et ce sont de purs
symbolistes qu'Émile Verhaeren (1855-1916) et Maurice Maeterlinck (1862-1949) : l'un, poète
visionnaire et tumultueux des « campagnes hallucinées », des « villes tentaculaires », de la guerre
moderne à forme industrielle ; l'autre, poète du mystère, expert à rajeunir la figure du Destin, à
livrer la faiblesse humaine au jeu des grandes forces ténébreuses qui mènent le monde.

Un autre animateur de la jeune poésie, celui qui a le plus orienté le lyrisme cubiste et dadaïste vers
l'humour, la bizarrerie, la mystification, Guillaume Apollinaire (1880-1918), était d'origine slave.

Le travail de désagrégation auquel les Romances sans paroles de Verlaine avaient donné
l'expression la plus accessible et la plus touchante, d'autre part l'effort de construction et de
condensation, l'espèce de géométrie poétique dont l'École romane offrit l'exemple, semblent avoir
trouvé leur accord dans les poèmes de Paul Valéry (1871-1945), représentant depuis longtemps
consacré - après un long silence où il se recueillait - de la « poésie pure », entendue comme une
métaphysique sous forme de chant.

Le roman
La vogue du roman n'a pas diminué, bien au contraire, si difficile qu'il parût d'innover
après les romantiques et les réalistes. Les deux pays qui, au début XX e comme au XIXe siècle, ont
le plus fourni au genre, sont la France et l'Angleterre.

En France, le roman naturaliste se prolonge en se diversifiant, et c'est encore lui qu'on reconnaît
sans trop de peine sous la plume d’Octave Mirbeau, de Lucien Descaves, des frères Margueritte,
de Barbusse. Mettons à part le naturalisme condensé et ironique de Jules Renard (1864-1910).
Mais d'autres voies ont été ouvertes par Villiers de l’Isle-Adam (1838-1889), le romancier du rêve,
de la féerie, de l'idéal, du sarcasme et du paradoxe, sans parler d'un esthétisme verbal qui fait
penser à Oscar Wilde. A la même époque, Paul Bourget (1852-1935), après s'être essayé comme
critique, donne coup sur coup les romans d'analyse psychologique qui l'imposent comme un
Stendhal modernisé (Mensonges, Cruelle énigme, Notre cœur et surtout le Disciple). Sans
renoncer à sa méthode, il fait hommage des suivants à la tradition catholique et sociale, telle qu'on
la trouve « concrétisée » dans l'Étape et le Démon de Midi.

Non moins traditionalistes sont René Bazin (1853-1932), le meilleur peintre et le plus fin
observateur de la vie provinciale (la Terre qui meurt), et Henry Bordeaux (1870-1963) qui,
fondant sur le foyer sa théorie de la cité (la Croisée des chemins, les Roquevillart), atteint au grand
pathéthique dans la Maison morte. Tous deux sont également régionalistes : le premier pour
l'Anjou, le second pour la Savoie, comme Émile Pouvillon pour le Quercy, Erckmann-Chatrian
pour l'Alsace, Ferdinand Fabre pour le Languedoc, René Boylesve pour la Touraine, Lucie
Delarue-Mardrus pour la Normandie.

Une autre façon de sortir du naturalisme, c'est d'emporter l'imagination en pays lointain. Pierre
Loti (1850-1923) a satisfait mieux que personne cette disposition nouvelle : il n'est guère de pays
ou de mer où il n'ait conduit son lecteur. Romantique peu objectif, sauf dans Pêcheurs d'Islande et
Ramuntcho, il est le principal personnage de ses récits. Mais de quel clavier, de quels nerfs il
dispose et quelle musique en tire ce prodigieux sensitif!

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Voyageurs aussi, mais plus préoccupés du document, plus soucieux d'une vérité objective sont
Claude Farrère (1876-1957), marin comme Loti et dont la Bataille a tout le caractère d'un chef-
d’œuvre; Louis Bertrand (1866-1941), épris de vie forte et de civilisation latine; les frères
Tharaud, Jérôme (1874-53) et Jean (1877-1952), spécialistes de l'enquête romanesque à travers les
pays et les âges, conduite dans un style ferme qui épouse directement la pensée; Louis Hémon
(1880-1913), dont il suffit de citer Maria Chapdelaine.

La manière de Pierre Louys (1870-1925) confine à l'esthétisme ; celle de Paul Adam (1862-1920)
est pénétrée de nietzschéisme. Les écrivaines, notamment Colette (1873-1954) et Gérard
d'Houville (Marie de Heredia, 1875-1963), font d'indiscrets appels à l'autobiographie: confidences
charmantes, ailées et quelquefois profondes. Le roman romanesque est la spécialité de Marcel
Prévost (1872-1941), dont l'œuvre contient, malgré des apparences parfois contraires,
d'excellentes leçons de sagesse bourgeoise; d'Abel Hermant, observateur pénétrant, écrivain subtil
et spirituel; de Marcelle Tinayre (1872-1948), dont la Maison du péché est l'œuvre la plus
profonde, et, dans la note humoristique, de Georges Courteline (1860-1929) et de Henri Duvernois
(1875-1937). Henri Lavedan (1859-1940), après avoir mis en scène sous la forme dialoguée, la
société parisienne, avec les cinq volumes de son Chemin du salut, a écrit de nouveaux
Misérables.

Les frères Boex (J-H Rosny ainé, 1856-1940, et J.-H. Rosny jeune, 1859-1948), longtemps
collaborateurs, ont montré une belle ardeur de sensualité, une rare fraîcheur de naturel, un sens
singulier du merveilleux dans leurs romans réalistes, primitifs ou d'anticipation. Édouard Estaunié
(1862-1942) s'avère dans l'Empreinte, le Ferment, l'Infirme aux mains de lumière un analyste aigu
de la vie secrète. Et Jean Giraudoux (1882-1944) s'ingénie à « styliser chaque acte, chaque
passage, chaque émotion » de ses personnages en leur appliquant une formule neuve, inattendue et
qui fait école.

Forme indéfiniment malléable, le roman devient le genre d'élection dans une époque qui confond
tous les genres, et il s'est prêté à l'expression des idées, selon une tradition d'ailleurs vénérable et
abondamment illustrée par Voltaire et Diderot. Touché par l'esprit de Renan, Anatole France
(1844-1924), lettré supérieur et d'une constance unique dans la perfection, esprit souple et
complexe, est avant tout un dilettante aux curiosités érudites ou doctrinales, avec tendance
progressive à remplacer le scepticisme ou l'épicurisme de Sylvestre Bonnard ou de Jérôme
Coignard par le socialisme de Monsieur Bergeret et de Crainquebille, non sans allumer, en
passant, la flamme de passion qui brûle dans Thaïs et le Lys rouge.

Renanien émancipé, Maurice Barrès (1862-1923), après avoir exprimé un égotisme absolu dans
ses « romans idéologiques » et discipliné sous une Minerve intérieure toutes les puissances du
romantisme, se laissa conduire par une logique qui lui appartenait à l'égoïsme sacré de la patrie,
qui lui paraissait la seule fraternité possible, et devint un organisateur d'intelligences, un
conducteur d'hommes. Son idéologie d'extrême droite allait être très active dans la société de
l'entre-deux guerres.

Parmi ceux qui combinent également la fiction et l'idéologie, nous citerons Marcel Schwob (1867-
1905), essayiste et humaniste; Charles Maurras, avec son Anthinéa et ses beaux mythes du Chemin
du Paradis ; Rémy de Gourmont (1858-1915), autre essayiste un peu égaré dans le roman ;
Romain Rolland (1868-1944), le puissant auteur de Jean-Christophe, analyste subtil, cultivant les
antinomies comme des fleurs rares dans le jardin secret de son moi, un de ceux dont l'inquiétude
intellectuelle et le style dépouillé ont le plus agi sur la jeune génération, rêvant - à la veille de la

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tragédie de 1914 - d'une Europe où se fondraient passionnément les qualités foncières de la
France, de l'Italie et de l'Allemagne.

Après lui, Marcel Proust (1871-1922) s'est surtout appliqué à éclairer le travail subconscient de
l'esprit, grâce à sa lucidité de malade et à des sens suraigus. Mais cette littérature, aboutissant à
une abondance minutieuse et souvent fastidieuse, ramena par réaction la vogue du roman
d'aventures, dont Pierre Benoît a donné les plus attirants spécimens.

De la Grande Guerre cependant, toute la littérature semble avoir sombré, sauf les épiques Croix de
bois de Roland Dorgelès, les Martyrs de Georges Duhamel, et, en Bretagne, les lais celtiques du
barde Calloc'h.

Le théâtre
En France, selon une tradition bien établie, le théâtre est toujours le plus florissant. Le naturalisme
n'y aurait eu qu'un succès mitigé, avec les Goncourt et Zola, si un homme de métier n'avait donné
figure de vie à cette formule; le succès de Henri Becque (1837-1899), avec les Corbeaux et la
Parisienne, précéda de peu l'effort d'Antoine dans le sens du réel, du jeu vrai, de la diction
familière. Le Théâtre-Libre (1887-1894) s'ouvrit largement aux auteurs étrangers (Ibsen,
Bjoernson, Strinbderg, Tolstoï, Verga, Hauptmann), et le théâtre de l’Œuvre, sous Lugné-Poé,
poursuit le même effort d'art.

Cependant la tradition créée par Émile Augier et Dumas fils se perpétuait, avec des
rajeunissements, dans la comédie de mœurs. A force d'ingéniosité et d'élégance, Jules Lemaître
(1853-1914) tenait la gageure de rester dilettante, tout en présentant des conflits du cœur et des
conflits de classes. Paul Hervieu (1857-1915) écrivait d'un style sec des tragédies en prose, dont
les Tenailles resteront le type. Eugène Brieux (1858-1932) s'attaquait, dans ses pièces-
conférences, à certaines tares sociales. Henri Lavedan (1859-1940), après avoir été le moraliste
léger du Vieux Marcheur, s'élevait progressivement à la noblesse cornélienne du Duel et de Servir.
Alfred Capus (1858-1922), sur un mode plus familier, montrait qu'avec de l'intelligence, et surtout
de l'indulgence, « tout s'arrange » en ce monde, surtout à Paris. Robert de Flers (1872-1927), en
collaboration avec Arman de Caillavet (1869-1915), puis avec Francis de Croisset (1877-1937), se
partageait avec un égal bonheur entre la comédie de sentiment et le Vaudeville satirique.

Le théâtre d'amour, toujours populaire en France, fut spécialement représenté par George de
Porto-Riche (1849), le Racine du sensualisme, chez qui l'observation fine et profonde s'allie à un
fourmillement de mots spirituels d'une vérité un peu amère. Dans la voie ouverte par ce maître ont
marché Pierre Wolff, Romain Coolus, Henry Bataille (1872-1922), dont l'œuvre tout entière est un
beau cri d'angoisse amoureuse. Chez Henri Bernstein (1876), le conflit s'exaspère, tous les vieux
instincts sont déchaînés : c'est la lutte pour la proie, comme aux premiers âges du monde.

Maurice Donnay (1860-1945), spirituel, malicieux et tendre, établit, en des pieces comme Amants,
le passage de la tradition française à ce théâtre tout physiologique.

En 1910, le symbolisme apparaît sur la scène avec l'Intruse de Maeterlinck, une pièce
d'atmosphère et de fatalisme, suivie des Aveugles et de Pelléas et Mélisande. Le Voile de
Rodenbach relève de la même technique. Combiné avec le réalisme, le symbolisme aboutit au
théâtre de François de Curel (1854-1928), théâtre viril, sans complaisance, dédaigneux de
l'habileté et auréolé de poésie. Au symbolisme encore peuvent se rattacher les pièces mystiques et
lyriques de Paul Claudel, sauf l'Otage, conçu dans la formule courante.

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Le théâtre en vers a été cultivé avec succès par François Coppée, Jean Richepin, François Porché,
surtout par Edmond Rostand (1868-1918), qui connut le grand triomphe avec Cyrano de Bergerac
(1897). Les pièces de Rostand ne sont pas toutes de la même veine heureuse, une école d'héroïsme
chevaleresque et précieux, exaltant l'honneur, le sacrifice, la bravoure spirituelle ; c'est du théâtre
selon la formule empanachée des prédécesseurs de Corneille, et Cyrano lui-même est une sorte de
prototype du Cid.

Parmi les comiques purs, Georges Courteline (1860-1929) nous présente dans Boubouroche, le
Gendarme est sans pitié, la Conversion d'Alceste, les plus savoureuses combinaisons de
misanthropie et d'humour, une largeur d'observation et un sens du ridicule qui rappellent Molière ;
Jules Renard (1864-1910) a la verve plus acidulée dans Poil de Carotte et le Plaisir de rompre.
Tristan Bernard (1866-1947), délicieux d'ironie dans l'Anglais tel qu'on le parle, excelle à mettre
en scène des types d'ahuris.

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