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Jean-Paul Demoule
in François Djindjian, La préhistoire de la France
2018 | pages 11 à 20
ISBN 9782705695934
DOI 10.3917/herm.djind.2018.01.0011
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Résumé
L’organisation actuelle de l’archéologie en France est ne communiquent qu’occasionnellement avec eux. Aussi
le résultat d’un processus complexe et qui n’est toujours l’archéologie préventive n’a démarré qu’à partir des années
pas stabilisé. État unifié de longue date, la France n’a 1980, beaucoup plus tard en France que dans d’autres
pas eu besoin de l’archéologie pour la construction de pays, et sa législation n’a été mise en place qu’à partir des
l’identité nationale au cours des deux derniers siècles. Ou années 2000, sous la pression des archéologues. En outre,
plutôt, l’archéologie identitaire pour les élites françaises l’ouverture des fouilles archéologiques préventives à la
était celle de l’Orient, de la Grèce et de Rome, sur laquelle concurrence commerciale a occasionné récemment une
les efforts financiers et intellectuels ont longtemps été guerre des prix et une dégradation des conditions de travail
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privilégiés – et dont le musée du Louvre est l’illustration. des archéologues et de leurs publications. L’archéologie est
Il en est résulté ainsi deux formes d’archéologie : une donc éclatée en de nombreuses institutions, comprenant les
archéologie « classique » et professionnelle, enseignée universités, le Centre national de la recherche scientifique
dans les universités et s’appuyant sur des fouilles et des (CNRS), les services archéologiques du ministère de la
institutions permanentes à l’étranger, et une archéologie Culture, l’Institut national de recherches archéologiques
bénévole menée à leurs frais par des notables locaux sur préventives (INRAP), les Services archéologiques des villes
le territoire de la France actuelle. La réglementation sur et des départements, les entreprises privées et les musées,
les fouilles archéologiques ne date que de 1945, et les sans compter les associations de bénévoles. Néanmoins,
services archéologiques du ministère de la Culture n’ont l’archéologie rencontre en France une grande faveur de la
donc été que lentement développés. En outre, contrai- part du public, comme le montre le succès des expositions,
rement à l’Europe centrale, ces services archéologiques des visites de chantier, des films documentaires ou des
sont séparés des musées renfermant de l’archéologie, et livres qui lui sont consacrés.
Abstract
The present-day organisation of archaeology in France East, Greece and Rome, concentrating for a long time
is the result of a complex process and the situation is still financial and intellectual efforts – and for which the
not stabilised. A state unified a long time ago, France did Louvre museum is the illustration. There thus resulted
not need archaeology for the construction of its national two kinds of archaeology: a “classic” and professional
identity over the last two centuries. Or rather, the iden- archaeology, taught in universities and relying on excava-
titary archaeology for French elites was that of the Near tions and permanent institutions abroad, and an amateur
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archaeology undertaken and funded by local notables in about a price war and a deterioration of archaeologists’
France. Regulations for archaeological excavations only working conditions and publications. Archaeology is thus
date from 1945, and the archaeological departments of split up into many institutions, including universities,
the Culture ministry were thus only slowly developed. the National centre for scientific research (CNRS), the
Furthermore, unlike in Central Europe, these departments archaeological departments of the Culture ministry, the
are separated from museums containing archaeology, and National institute for preventive archaeological research
only occasionally communicate with them. Also preven- (INRAP), the archaeological departments of towns and
tive archaeology only started in the 1980s, much later counties, private companies and museums, not to mention
in France than other countries, and legislation was only amateur groups. Nevertheless, archaeology is widely
established from the 2000s, under pressure from archae- favoured by the general public in France, as shown by
ologists. Furthermore, the opening of archaeological exca- the success of exhibitions, site visits, and documentary
vations to commercial competition has recently brought films and books on the subject.
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nationale aux xixe et xxe siècle (Demoule et al. 2009). xixe et xxe siècles, le vrai passé culturel dont elles se
Un symptôme suffit à éclairer cet aspect particulier. réclamaient était celui des civilisations gréco-romaines
Dans toutes les capitales de l’Europe et du monde, et orientales. Les indigènes originels, les Gaulois, étaient
il existe en leur centre un grand musée national, où les vaincus de -52 avant notre ère, ce qui n’était pas
sont exposées les principales découvertes archéolo- très glorieux pour une nation, alors que l’histoire de
giques provenant du sol national, avec éventuellement l’Allemagne, par exemple, commence avec la victoire
une section historique pour les périodes les plus du Germain Arminius (ou Hermann) sur les armées de
récentes. Il y a effectivement à Paris, au centre de l’empereur Auguste en l’an 9 de notre ère. De surcroît,
la capitale, installé dans l’ancien palais des rois de les Romains vainqueurs des Gaulois furent à leur tour
France et objet de nombreuses attentions politiques vaincus par les Francs de Clovis. Mais les Francs, de
successives, un grand musée national, celui du Louvre. langue germanique, disparurent au sein de la popula-
Il tire son origine de la Révolution française qui, avec tion gallo-romaine ensuite sans guère laisser d’héritage
le Romantisme, donna corps à l’idée nouvelle de culturel – sinon le nom de la langue, qui descend
« nation », en tant que « communauté de citoyens », pourtant du latin, ou celui du pays. C’est pourquoi,
et non plus en tant que sujets vivant sous l’autorité malgré les compilations minutieuses du bénédictin
de rois de droit divin. Auparavant, il n’y avait que Bernard de Montfaucon (Les monuments de la monarchie
des « sujets » vivant sous l’autorité de rois de droit française, 1729-1733) ou les catalogues du comte
divin, et dont les possessions s’agrandissaient au gré de Caylus (Recueil d’antiquités égyptiennes, étrusques,
des guerres et des mariages. Mais dans ce grand musée, grecques et romaines, 1752-1767), malgré le projet de
l’un des plus visités au monde, si y sont exposés des fondation du musée du Louvre par la Révolution,
œuvres d’art « française », il n’est en revanche aucun malgré l’intérêt du Romantisme pour les Celtes
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ou le Moyen Âge, l’archéologie du territoire national place la Syrie et le Liban sous le mandat de la France,
restera longtemps au second plan (Schnapp 1998). qui y fonde les services des Antiquités, de même
Alors que la France fonde en Grèce en 1846 l’École que celui de l’Égypte avait été fondé par Auguste
française d’Athènes, l’un des plus vieux instituts Mariette et Gaston Maspéro. La colonisation directe
archéologiques du monde, bientôt suivi par celui de l’Afrique du nord et de l’Indochine ouvrira de
de Rome et du Caire, elle ne commencera guère à nouvelles perspectives, la période romaine étant
organiser professionnellement l’archéologie du terri- privilégiée dans la première région (avec les fouilles
toire national qu’un bon siècle plus tard (Coye 1997, de Volubilis, Timgad, Cherchell, Tipaza, Bulla Regia,
Duval 1992, Gran-Aymerich 1998, Groenen 1994, Hippone, Carthage, etc.), tandis que commenceront
Hurel 2007). Cette particularité du roman national au Cambodge les recherches à Angkor. Les collec-
français explique la division qui a longtemps marqué tions gréco-romaines et proche-orientales affluent au
l’histoire de la discipline : d’un côté une archéologie Louvre, tandis que celles d’Extrême-Orient prennent
classique professionnalisée, s’appuyant sur des ensei- place au musée Guimet, inauguré à Paris en 1889 à
gnements universitaires, des chantiers et des instituts l’initiative du collectionneur et industriel lyonnais
archéologiques prestigieux à l’étranger, empreint d’une Émile Guimet, mais aussi, par un processus identique,
vision littéraire et humaniste, l’archéologie n’étant au musée Cernuschi, inauguré en 1898 grâce au legs
considérée que comme « une discipline auxiliaire de du financier Henri Cernuschi.
l’histoire » ; de l’autre une archéologie d’amateurs, Paradoxalement, l’administration française met en
notables locaux (médecins, prêtres, instituteurs, place dans ses colonies une législation archéologique
rentiers) férus de l’histoire de leur terroir, réunis bien plus moderne que sur le territoire métropolitain.
dans des sociétés savantes, et souvent intéressés par Un service archéologique est créé dans chaque pays,
la préhistoire, une période dépourvue de textes. la propriété des objets y est publique, des fouilles
Revanche néanmoins, les travaux de ces préhisto- sont organisées à l’initiative de l’État et soumises à
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riens amateurs, qui mettent peu à peu au point leurs autorisation, et des musées sont fondés (Galitzine-
méthodes de fouille, ordonneront et nommeront, Loumpet et al. 2011-2012).
à partir de sites français dans un modèle stratigra-
phique directement inspiré par la géologie, les grandes 2. Une archéologie métropolitaine largement
périodes et cultures du Paléolithique à l’échelle de bénévole
toute l’Europe, voire au-delà : Acheuléen, Moustérien, En France métropolitaine, donc, il n’existera pas de
Aurignacien, Gravettien, etc. Cette dichotomie, née législation archéologique avant 1941 (voir plus loin).
vers le milieu du xixe siècle, entre ces deux types En 1825, Victor Hugo déclara dans un article célèbre
d’archéologie durera jusqu’à la fin des années 1930, la « guerre aux démolisseurs », devant les destructions
au moins. Un tissu de sociétés savantes maille donc le des monuments médiévaux par les notables locaux,
territoire, qu’elles soient nationales (Société française soucieux d’un urbanisme « moderne ». Il faudra
d’archéologie, Société des Antiquaires de France, puis néanmoins presque un siècle pour qu’en 1913 une loi
Société préhistorique française) ou locales, chaque institue la protection des « monuments historiques ».
grande ville possédant la sienne, à vocation régionale. Entre-temps avait cependant été créé un service, dont
À l’étranger, la recherche française s’attaquera le second titulaire fut l’écrivain Prosper Mérimée,
à des sites prestigieux, comme en Grèce (Delphes, et l’intérêt grandissant pour le passé avait lancé un
Délos), en Mésopotamie (Ninive, Khorsabad – dont mouvement de restaurations, jugées parfois excessives
une grande partie des statues, emportées vers le de nos jours, menées notamment par l’architecte
Louvre sur des radeaux, couleront au fond du Viollet-le-Duc, comme à Carcassonne, Pierrefonds
Tigre), en Égypte (Karnak-Louqsor), en Iran (Suse). ou Notre-Dame de Paris. La loi de 1913 devait
Le démantèlement de l’Empire ottoman en 1918 inclure un volet archéologique, soumettant les fouilles
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sites spectaculaires. Ainsi Napoléon III charge en Christian Goudineau de 1984 à 2009 – qui n’a pas
1859 l’architecte Viollet-le-Duc de mener des fouilles eu de successeur sur ce périmètre. La préhistoire
en forêt de Compiègne sur le site gallo-romain de trouva cependant une place au Collège de France
Champlieu ; puis fait fouiller Alésia par un détache- avec l’élection de l’abbé Breuil (de 1929 à 1947) puis
ment militaire à partir des années 1860, et dresser d’André Leroi-Gourhan (de 1969 à 1982) – sans
une grandiose statue de Vercingétorix, avec ses compter, plus tard, la paléontologie humaine, avec
propres traits, au sommet de la colline. Il crée aussi Yves Coppens (de 1983 à 2005) et la protohistoire
l’actuel musée d’archéologie nationale dans le château avec Jean Guilaine (de 1994 à 2007).
lourdement restauré de Saint-Germain-en-Laye, Mais pour revenir à l’entre-deux-guerres, cette
qu’il inaugure en 1867 sous le nom de « musée des période peut être considérée pour l’archéologie
antiquités celtiques et gallo-romaines » et qui devient métropolitaine comme une période de régression
en 1879 « des Antiquités nationales ». De fait le souve- scientifique, de par la saignée intellectuelle qu’a
rain souhaite asseoir son pouvoir, obtenu par un coup représenté le conflit, mort de Déchelette comprise,
d’État sanglant, sur une idéologie nationale en phase mais aussi par la crise économique de la fin des années
avec l’éveil des nationalités un peu partout en Europe, 1920 qui, ruinant une partie des rentiers, ampute
en même temps qu’il prend acte de la montée de considérablement la capacité de travail des amateurs.
l’archéologie de terrain en France. Il posera de même
à Amiens la première pierre du musée de Picardie, 3. La lente mise en place d’une législation
inauguré également en 1867, qui conserve toujours La « loi » dite de 1941 – qui n’est qu’un décret
la truelle impériale utilisée pour ce faire – musée dû puisqu’il n’existait plus de parlement – validée en
à l’initiative de la Société des Antiquaires de Picardie. 1945 ne fut pas pour l’essentiel « vichyssoise ».
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Elle avait été préparée avant la guerre sur le modèle de bonne volonté, chargé ainsi d’alerter les directeurs
de la loi italienne, et peut être considérée comme une des antiquités de découvertes éventuelles. En 1964,
« loi de police », soumettant les fouilles à autorisation. est mis en place auprès du ministère de la Culture un
Fut « vichyssois » son contexte puisque l’occupation « Conseil supérieur de la recherche archéologique »,
allemande interdisait tout débat, contrairement composé de membres nommés au sein de l’adminis-
à ce qui s’était passé au début des années 1910 ; tration et de la recherche, professionnels et bénévoles.
et « vichyssoise » aussi le régime de propriété des Il examine en particulier les demandes de fouilles,
objets archéologiques. Leur dévolution à l’État avait pour l’essentiel programmées, alors même qu’avec les
été prévue à l’instar de la loi italienne ou grecque, Trente Glorieuses une activité économique détruisait
mais le régime réaffirma par idéologie la propriété un peu partout les sites archéologiques sans guère
privée des découvertes, pour moitié au découvreur entraîner encore de réactions publiques. Le prolifique
(« inventeur ») et pour moitié au propriétaire du journaliste Henri-Paul Eydoux, auteur d’une quaran-
terrain. Il faudra trois-quarts de siècle de plus pour taine d’ouvrages de vulgarisation, a fort bien décrit
que la propriété publique soit enfin instituée avec la le destin d’un certain nombre de ces archéologues
loi de 2016 – toutefois non rétroactive. amateurs enthousiastes, démunis de moyens au départ,
Une seconde « loi », en 1942, dans la logique dont certains parvinrent à devenir professionnels,
de la première, créait enfin des « circonscriptions comme René Joffroy ou Odette Taffanel.
des Antiquités », chacune divisée entre « préhis- Cette organisation va peu à peu s’étoffer. Esquissées
toire » (des origines à -800) et « histoire » (de -800 à à partir de 1963, des directions régionales des Affaires
+800). Faute de personnels disponibles, une grande culturelles (DRAC) sont mises en place dans chaque
partie de ces « directeurs des antiquités » étaient région à partir de 1977. Au cours des années 1980, les
« indemnitaires », c’est-à-dire qu’il s’agissait souvent, directions des antiquités duales sont fusionnées dans
surtout pour les périodes historiques, de professeurs chaque région sous la forme d’un Service régional de
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d’université qui exerçaient cette fonction en sus. l’archéologie (SRA) au sein de la DRAC (Montagne
Certains, notamment pour la préhistoire (où les 2005). Dans le même temps, le petit Bureau des
postes universitaires étaient quasiment inexistants), fouilles et antiquités du ministère de la Culture
commencèrent peu à peu à être à plein temps. Ainsi devient la sous-direction de l’Archéologie, avec plus de
cette distinction reproduisait en partie celle, originelle, moyens. En 1994 sont créées en région des commis-
entre une archéologie classique et professionnelle et sions d’experts pour conseiller les services régionaux.
une archéologie d’amateurs et plus tournée vers les Néanmoins, jusqu’à la fin des années 1970, les
périodes anciennes – même si l’essentiel des fouilles fouilles métropolitaines continuent à être majoritai-
gallo-romaines restaient bénévoles également. Dans le rement conduites par des archéologues bénévoles,
même temps, à l’initiative d’Albert Grenier, professeur auxquels le ministère accorde une somme globale
au Collège de France, et dans le cadre du CNRS, d’environ 2,4 millions de francs de l’époque (soit
fondé en 1939 dans le sillage du Front Populaire, à peu près la même somme en euros de 2018), soit
est créée la revue Gallia, chargée officiellement de le quart de ce qui est alors accordé par le ministère
la publication des fouilles métropolitaines. des Affaires étrangères aux missions françaises à
Le dispositif se mit lentement en place durant la l’étranger. Ce faible développement de l’archéologie
Reconstruction, mais la loi ne fut vraiment appliquée métropolitaine commence à être perçu par les autorités
qu’à partir des années 1960, sous le ministère Malraux, politiques et suscite en 1976 un rapport rédigé par
beaucoup d’archéologues amateurs se dispensant l’américaniste Jacques Soustelle à la demande du
encore d’autorisations. Le ministère de la Culture premier ministre – premier d’une longue série qui en
créa également le titre honorifique de « correspondant compte à ce jour plus de quarante, et symptôme de
des antiquités », décerné à des archéologues amateurs la difficulté à traiter de ce problème, pour des raisons
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d’Extrême Orient – cette dernière néanmoins repliée importantes, il ne réussit pas à jouer ce rôle fédérateur,
à Paris en raison des guerres en Asie du sud-est) en partie en raison de sa position géographique trop
relevant du ministère de la Recherche. Ces écoles, excentrée, et sera dissous à la fin de l’année 1999.
particulièrement celle de Rome, tendent à moderniser Cette initiative était de toute façon contra-
leur fonctionnement et leur recrutement et à s’ouvrir riée par la tendance commune au CNRS et aux
davantage aux périodes récentes, particulièrement universités à construire à partir des années 1990
à Rome. Il existe en outre une dizaine d’instituts des « maisons de la recherche » afin de regrouper,
plus récents, dépendant du ministère des Affaires au sein de campus universitaires, des équipes de
étrangères et soutenus par le CNRS. À cela s’ajoutent sciences humaines (voire simplement d’archéologie
enfin une centaine de missions annuelles, soutenues comme à Nanterre et à Bordeaux), bénéficiant de
en particulier par le ministère des Affaires étrangères, locaux et de moyens communs. Ainsi fut créée à
conseillé par une « commission des recherches archéo- la fin des années 1990 la Maison de l’Archéologie
logiques françaises à l’étranger » composée d’experts et de l’Ethnologie sur le campus de l’université
nommés. Cette organisation générale s’est perpétuée de Nanterre, regroupant, sous la triple tutelle du
jusqu’à nos jours, même si on pourrait s’interroger CNRS, des universités de Paris 1 et de Paris 10 et
sur le poids du ministère des Affaires étrangères, du ministère de la Culture, quelque 400 chercheurs
dont la première vocation n’est pas la recherche, professionnels et plusieurs centaines de doctorants,
en regard de celui du ministère de la Recherche et sans doute l’un des plus importants regroupements
de son bras séculier le CNRS. Seules vont varier d’archéologues en Europe. Plus généralement, dans
les conditions géopolitiques. Si l’Europe orientale le cadre du CNRS, les chercheurs travaillent au sein
s’ouvre à partir des années 1990, en revanche l’Afrique d’ « unités mixtes de recherche », sous la double
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tutelle du CNRS et d’une université, auxquels quartier de Lyon dit du Verbe Incarné, etc. Il devint
s’associent parfois le ministère de la Culture ainsi de plus en plus difficile de détruire de tels sites sans
que l’Inrap (voir plus loin) – l’archéologie au CNRS fouilles préalables. Ceci incita certains aménageurs,
étant désormais éclatée entre deux départements sous la pression des services régionaux de l’Archéo-
(ou « instituts ») différents, celui dit des « sciences logie, à financer des fouilles préventives. Les crédits
humaines et sociales » et celui dit « Écologie et ainsi dégagés étaient centralisés par une agence
environnement », perpétuant ainsi la césure disci- du ministère de la Culture, de statut simplement
plinaire née au xixe siècle. associatif, l’Association pour les fouilles archéologiques
Du point de vue de l’enseignement, celui de nationales (Afan). Celle-ci comptait dans les années
l’archéologie s’est développé, jusqu’à être dispensé 1990 plusieurs centaines d’archéologues, néanmoins
aujourd’hui dans une quinzaine d’universités, les plus dépourvus de réel statut.
gros départements se situant en région parisienne, ainsi Après de nombreuses actions syndicales telles que
qu’à Toulouse, Bordeaux, Lyon, Aix-en-Provence, manifestations ou occupations de locaux et la rédac-
rennes, auxquels s’ajoutent principalement Lille, tion d’une vingtaine de rapports supplémentaires, la
Strasbourg, Dijon, Besançon, Montpellier ou Nice, pression du milieu archéologique finit par déboucher
parmi les principaux. Les universités françaises sont sur le vote de la loi sur l’archéologie préventive du
en 2018 en cours de regroupements qui ne sont pas 17 janvier 2001. Entre-temps il est vrai, le Conseil
encore totalement stabilisés. En revanche l’ensei- de l’Europe (qui réunit la cinquantaine de pays
gnement de l’archéologie dans le secondaire reste géographiquement européens) avait adopté en 1992
très limité ; la préhistoire avait été même totalement la Convention dite de Malte, qui fait obligation à
éliminée des programmes scolaires en 2008, avant tous les pays signataires de sauvegarder leurs vestiges
d’être partiellement rétablie en 2016. Les enseignants archéologiques dans le cadre de l’archéologie préven-
de collège et de lycée disposent cependant, en matière tive (Demoule 2012).
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de pédagogie de l’archéologie, du site internet de La loi de 2001 stipule que « L’État veille à la
l’Inrap, qui est abondamment utilisé. conciliation des exigences respectives de la recherche
scientifique, de la conservation du patrimoine et
5. Le développement de l’archéologie préventive du développement économique et social ». Plus
Le fait le plus marquant, à partir des années 1990, concrètement, elle fait désormais obligation aux
sera la montée en puissance de l’archéologie préven- aménageurs économiques de financer l’archéologie
tive, autrefois appelée « de sauvetage » (Demoule préventive – ce à quoi ils n’étaient pas jusque-là
et Landes 2009). Jusque-là en effet les destructions tenus ; et elle transforme l’Afan en un institut de
dues aux grands travaux d’aménagement (autoroutes, recherche placé sous la double tutelle du minis-
lignes de TGV, carrières, zones industrielles, parkings tère de la Culture et du ministère de la Recherche,
souterrains, etc.) avaient été massives, et la plupart qui va devenir l’Institut national de recherches
du temps sans aucune surveillance archéologique, ni archéologiques préventives (Inrap), créé en 2002.
interventions. Néanmoins, à partir de la crise écono- Cet institut possède alors le monopole des fouilles
mique des années 1970, de la montée du chômage, préventives, à charge pour lui d’associer les autres
des angoisses écologiques et des peurs autour de services de recherche archéologique (universités,
l’immigration étrangère, un intérêt grandissant pour CNRS, collectivités territoriales) qui le souhaitent.
le passé et l’histoire s’était fait jour. Il s’est manifesté Une plainte contre ce monopole, déposée auprès de
dans plusieurs « scandales » archéologiques, autour de la Commission de l’Union européenne à Bruxelles
la destruction de sites spectaculaires, comme le port est rejetée en 2003, sous le motif que chaque pays
antique de Marseille, le cimetière médiéval d’Orléans, de l’Union peut s’organiser comme il veut en matière
le sanctuaire romain de Bourbonne-les-Bains, le d’archéologie préventive. À ce jour, l’Inrap regroupe
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enfin des entreprises privées agréées par le ministère abandonné l’archéologie préventive.
de la Culture, dont la création va être activement Les services régionaux de l’archéologie sont en
encouragée par ledit ministère – il n’en existait que principe chargés de veiller à la qualité des fouilles, mais
deux jusque-là. Cette mise en concurrence n’était ni leurs effectifs, déjà maigres, sont en baisse régulière,
une demande de l’Union européenne, ni celle des comme toutes les autres administrations publiques.
aménageurs économiques, dont beaucoup préfé- En outre, la réduction du nombre de régions en 2016
raient avoir en face d’eux un institut public garanti a obligé à de vastes réorganisations, tandis que le
par l’État, plutôt qu’une entreprise de petite taille. pouvoir direct des préfets sur les services archéolo-
L’aspect positif de ce nouveau dispositif sera giques, jadis faible, tend à croître, au détriment du
d’encourager les collectivités territoriales (villes, pouvoir central du ministère, notamment quand
communautés d’agglomérations, départements) à certaines fouilles pourraient retarder des opérations
créer leurs propres services archéologiques – à rebours d’aménagement. Dans le domaine culturel, certains
de leur tendance générale à « externaliser » et sous- services comme les archives ou l’inventaire ont déjà
traiter un certain nombre de fonctions. Ces services été dévolus aux collectivités territoriales. Le risque
pratiquent une archéologie de proximité et peuvent existe donc aussi pour l’archéologie, ce qui placerait
guider les choix des élus. Il existe à ce jour plus de les élus locaux, à la fois garants du patrimoine mais
700 archéologues de collectivités, alors qu’il n’y en aussi aménageurs, en situation de conflit d’intérêts.
avait presque aucun dans les années 1970. Ils ne sont Les effets néfastes de la concurrence ont fait ces
toutefois pas également répartis sur tout le territoire, dernières années l’objet de nouveaux rapports, aussi
le plus grand nombre étant dans le nord, le sud-est bien de la part d’experts scientifiques que de parle-
et la région parisienne. mentaires, qui tous ont confirmé les problèmes lies
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parler des pompiers ou de l’accueil dans les hôpitaux. Marseille, Les Eyzies, Bougon, Bordeaux, Lyon
Des archéologues bénévoles pourraient être d’oppor- (musée des Confluences), entre autres, ainsi que de
tuns « lanceurs d’alerte » lors des destructions, ou nombreuses initiatives plus locales, sans compter
encore mener des prospections systématiques de les musées en construction, comme à Narbonne
sites. Plus généralement, l’archéologie devrait pouvoir et Nîmes. En revanche, il n’existe toujours pas
jouer un rôle culturel, sinon citoyen, bien au-delà d’émissions régulières d’archéologie sur les chaînes
du milieu archéologique professionnel. de télévision, à la différence de biens d’autres pays.
En effet, l’intérêt du grand public pour l’archéo- Ainsi, si l’archéologie française s’est considéra-
logie est considérable, et il afflue aussi bien aux blement développée, il existe une contradiction entre
journées portes ouvertes sur les chantiers archéo- ses résultats scientifiques et l’engouement du public
logiques, que dans les conférences et les exposi- d’une part, et un état de crise récurrent dans ses
tions, et l’Inrap a joué pour cela, ainsi que pour les modes d’organisation, symptomatique des relations
publications en direction du grand public, un rôle complexes de ce pays avec son passé.
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© Hermann | Téléchargé le 17/12/2022 sur www.cairn.info via Université de Montréal (IP: 132.204.9.239)
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