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La cité

Author(s): Francesco Paolo Adorno


Source: Cités , 2000, No. 1, Sociétés sans droits ? (2000), pp. 221-228
Published by: Presses Universitaires de France

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/40620666

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La cité
Francesco Paolo Adorno

Pendant longtemps la philosophie « cité » est utilisé surtout en trois sens :


n'a
pour indiquer un groupement d'in-
porté que peu d'intérêt à une interro-
gation sur la substance linguistique
dividus basé sur des institutions politi-
ques ; pour indiquer une ville ; ou en-
que pourtant elle n'arrêtait de brasser.
Il a fallu attendre les dernières décen-
core dans le sens le plus moderne,
nies pour voir des études lexicales pouretdésigner une agglomération de
conceptuelles d'une certaine impor- bâtiments destinés à une catégorie spé- 221

tance dont on ne soulignera jamais cifique


as- de personnes. Dans son pre-
sez la portée. La recherche lexicalemier
per- sens la cité est pour nous syno- hâté
met en effet non seulement de traiter
nyme d'État, conformément au sens
de la manière la plus convenable que les
le terme correspondant en grec,
concepts et les termes considérés,polis,
mais et en latin, civitas, possédait.
Dans son deuxième sens, cité tend à se
aussi de supprimer les obstacles théori-
ques qui sclérosent la recherche superposer
philo- à ville qui traduit le grec
sophique et donc de trouver deacropolis,
nou- et le latin urbs. Quant à son
troisième sens, il semble être un mé-
velles voies d'analyse. C'est justement
ce que nous nous proposons de lange,
faire et bien bizarre, des deux pre-
en nous attaquant à un mot, cité, miers.
qui Laissant de côté le dernier sens,
appartient au langage courant. Si
quelque peu dévoyé, de cette notion,
l'usage quotidien semble presque nousluinous intéresserons plus spécifi-
avoir enlevé toute signification, nous
quement au premier - cité en tant que
essayerons de montrer que son analyse
polis ou civitas - et à ses rapports d'une
lexicale et conceptuelle permet part avec les citoyens et d'autre part
de dé-
avec ne
couvrir des couches de sens qu'il la ville.
faut pas négliger. 1. - Dans un essai désormais ou-
blié,de
Dans la langue courante le terme Emile Benveniste avait eu le mé-

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rite de commencer une analyse du s'en tenant simplement aux données lin-
terme qui nous occupe en montrant guistiques, nous pouvons dire que la
par ce biais comment les rapports lin- société romaine se base sur une
guistiques mais aussi politiques, entre conception individualiste de la poli-
cité et citoyen se réfléchissent dans le tique : les parties existent avant le tout
langage1. L'analyse linguistique de la et le constituent.
cité, du mot cité, et plus particulière- A côté de ce modèle politique véhi-
ment l'étude du phénomène linguis- culé par la langue latine, ou mieux en
tique de la dérivation, permet de dé- opposition à celui-ci, le grec nous en
passer le niveau premier de la simple propose un autre. Toujours à partir du
définition offerte par les dictionnaires même phénomène linguistique de la
et de problématiser tant la notion de dérivation, Benveniste nous fait obser-
cité que les rapports entre celle-ci et les ver qu'en grec les choses se passent dif-
citoyens. féremment du latin. C'est de polis
Le sens de civitas couramment ad- équivalent du latin civitas que dérive
mis est celui de cité, tout comme la polîtes, le cives latin. On part donc « du
traduction de cive est citoyen. Toute- nom de l'institution ou du groupe-
fois, en latin civitas se forme à partir ment pour former celui du membre
de cive par l'ajout du suffixe -tas. Dès ou du participant »2. Ce phénomène
lors, on peut considérer cive comme le linguistique est le signe d'une priorité
terme primaire et civitas comme le accordée au groupement par rapport à
terme dérivé. Comment peut-on donc l'individu. D'ailleurs comme Benve-
222
traduire cive par citoyen si ce terme niste le rappelle très opportunément,
présuppose l'existence de la cité, selon Aristote, l'homme étant un ani-
Lexique politique
c'est-à-dire du terme qui est censé dé- mal social par définition, la polis existe
river de cive} Benveniste propose par nature. Toutefois la priorité du
donc de changer la traduction de cive : groupe sur l'individu signifie aussi que
elle ne sera plus citoyen mais conci- tous les privilèges, toutes les charges,
toyen. De cette manière, on peut toutes les qualités d'un individu sont
rendre compte du point de vue lo- liés à la cité à laquelle il appartient et,
gique du phénomène linguistique. en quelque sorte, proviennent de
Pour les Romains, c'est l'existence celle-ci. L'homme est avant tout un ci-
d'un rapport, pour ainsi dire, horizon- toyen. En dehors de cette apparte-
tal qui permet la création de l'espace nance, on peut dire que pour les Grecs
commun de la cité. Avant d'appartenir l'homme n'a presque pas d'existence,
à une entité globale comme peut l'être
la civitas romaine, on est dans une re-
1. É. Benveniste, « Deux modèles linguisti-
lation avec quelqu'un ou, comme le
ques de la cité », in Problèmes de linguistique
dit Benveniste : « On est le civis d'un
générale, vol. II, Paris, Gallimard, 1974,
autre civis avant d'être civis d'une cer- p. 272-280.
taine ville. » En termes politiques, et 2. Ibid., p. 277.

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ou, comme dit Aristote, il est un Dieu de ses fondateurs. Certes, il semble
ou une bête. difficile en s'appuyant sur un menu
Pour résumer, alors que la cité ro- fait de langue comme celui de la déri-
maine n'est que la somme d'un en- vation que nous avons analysé, de
semble de gens qui partagent une qua- s'opposer à une tradition théorique
lité, qu'il s'agisse d'une profession, désormais classique, mais peut-être
d'une classe sociale, d'un âge, la cité que la langue « pense » encore des
grecque est un « corps abstrait... elle choses que les hommes croient avoir
ne s'incarne ni en un édifice, ni en une oublié ou avoir dépassé.
institution, ni en une assemblée. Elle 2. - Aristote indique un processus
est indépendante des hommes, et sa de formation de la cité qu'on retrou-
seule assise matérielle est l'étendue du vera constamment dans l'Antiquité.
territoire qui la fonde »' Encore une En effet, il reconnaît que « la commu-
fois, les données linguistiques nous nauté née de plusieurs villages est la
permettent de tirer une conclusion cité, parfaite, atteignant désormais,
partielle : pour les Grecs, la concep- pour ainsi dire, le niveau de l'autarcie
tion de la société est une conception complète : se formant pour permettre
organique. Le tout est avant les parties de vivre, elle existe pour permettre de
qui ne sont rien en dehors du tout. vivre bien »2. De l'existence des pre-
Or, que se passe-t-il en français ? mières communautés, Aristote ne dé-
On comprend bien que selon le mo- duit pas seulement que la polis existe
dèle sur lequel repose la formation du par nature mais aussi qu'elle est leur 223
couple cité-citoyen on pourra tirer des fin naturelle. Du fait que la polis est
conséquences concernant la concep- naturelle et qu'elle représente le fin de
La cité
tion sur laquelle notre société est toute communauté humaine, Aristote
fondée. Normalement, on devrait re- déduit que l'homme est un animal po-
trouver un rapport de dérivation cons- litique car, seul parmi tous les autres
truit sur le modèle linguistique latin qui animaux, il possède la voix. C'est à
est plus proche de nous. De plus, le travers la voix qu'il peut exprimer
modèle latin s'est théoriquement af- l'utile et le nuisible, et par suite aussi le
firmé aux XVIe et XVIIe siècles grâce à la juste et l'injuste. La possession de ces
théorie contractualiste. Il est en re- notions est ce qui constitue la base sur
vanche facile de s'apercevoir qu'en laquelle fonder la société. Dernier
français la dérivation procède du mo-moment de la définition de la polis,
dèle grec, car c'est le mot citoyen quic'est son antériorité par rapport à
est formé de cité et non l'inverse. Tout
se passe donc comme si le français - la
langue française - pensait que la cité,
1. Ibid., p. 278.
donc l'État, était un corps organique, 2. Aristote, Politique, 1252*28-1252*31,
en dépit de la tradition contractualiste tr. Jean Aubonnet, Paris, Les Belles Lettres,
qui trouve pourtant en Rousseau un 1991.

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l'individu, car le tout doit être néces- confédération de plusieurs groupes qui
sairement antérieur à la partie. étaient constitués avant elle et qu'elle
Or la cité, au moins dans son sens laisse subsister. »2 Groupes qui tous, à
originel, n'identifie pas la ville, n'importe quel niveau de grandeur, se
l'étendue spatiale occupée par les habi- réunissent autour d'une croyance
tations. Différence bien marquée tant commune. La différence entre cité et
en grec qui a respectivement polis et ville consiste dans le fait que « la cité
arcopolis, qu'en latin qui possède civi- était l'association religieuse et poli-
tas pour cité et urbs pour ville. tique des familles et des tribus ; la ville
Encore au XVIe siècle, on retrouve était le lieu de réunion, le domicile et
signalée par Bodin la différence entre surtout le sanctuaire de cette associa-
la ville et la cité, et entre celle-ci et la tion »3. La fondation de Rome rend
république. « La ville ne fait pas la bien compte, par le rituel et
cité »!, car celle-ci peut être composée l'ensemble des prohibitions qu'elle a
de plusieurs villes et bourgs ; et la ré- comportés, de cette double fonction
publique est un ensemble de plusieurs - domicile et sanctuaire - que chaque
cités qui sont gouvernées par des lois ville devait satisfaire. Pour les anciens,
et des coutumes différentes. Il apparaît la ville « entourée d'une enceinte
ainsi que la cité est un ensemble de vil- sacrée, et s'étendant autour d'un autel,
les, villages ou provinces qui ont en était le domicile religieux qui recevait
partage les mêmes lois et les mêmes les dieux et les hommes de la cité »4. Si
224
coutumes. la ville était un domicile et surtout un
Si la cité ne correspond pas sanctuaire
complè- c'était que ce qui faisait lien
dans
tement à l'espace occupé par la l'Antiquité,
ville, ce qui constituait la
Lexique politique
cité, était une croyance commune.
c'est qu'elle identifie simplement
l'association de différentsCette
groupes,
conception de la cité comme as-
alors que la ville est tant l'espace sociation ha-
d'individus basée sur une re-
bité par ces groupes associésligion qu'un commune
es- s'est peu à peu mo-
pace symboliquement beaucoup difiée,plus
parallèlement à la création et à
important qui est celui des l'utilisation lois et des de synonymes qui l'ont
coutumes communes. Fustel de Cou- remplacée dans le langage de la poli-
langes explique la différence entre cité tique. Au fil des siècles cette identifi-
et ville en se référant à la présence dans cation de la cité à une croyance com-
la cité d'un élément religieux com-
mun : la cité est le lieu symbolique
commun habité par les dieux. La cité1. J. Bodin, Les six livres de La République, 1. 1,
est constituée par l'alliance de plu-chap. VI, p. 95, Paris, Le Livre de Poche,
1996.
sieurs tribus qui s'associèrent, tout en
2. Fustel de Coulanges, La cité antique (1864),
gardant leurs dieux et leurs mœurs Paris, Flammarion, 1984, p. 145.
particuliers : « Ainsi la cité n'est pas 3. Ibid., p. 151.
un assemblage d'individus : c'est une 4. Ibid., p. 160.

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mune a été abandonnée au profit gestion de ce droit - son respect de la
d'une autre conception qui devait part de tous et de chacun, son applica-
concilier la constitution d'un espace tion, etc. - ainsi que dans la définition
politique commun avec un phéno- et la convergence des intérêts particu-
mène qui était inconnu aux premiers liers dans l'intérêt commun. Même
fondateurs des cités. Ce phénomène, s'ils se sont par la suite presque
la formation de l'Empire romain, ren- confondus, les termes de cité et de ré-
dait en effet impossible de penser la publique désignent à l'origine deux
cité en tant que telle. Si le latin utilise choses différentes.
encore le terme civitas, il tend à le Or cette façon de définir le peuple
remplacer, comme on le sait, par res comme un groupe d'hommes qui par-
publica pour indiquer la communauté tagent un droit et des intérêts et qui,
des citoyens. sur cette base, forment une cité,
En effet, à côté de la cité et du constitue une des difficultés majeures
peuple, Cicéron reconnaît l'existence pour la pensée politique catholique, et
d'une res publica, c'est-à-dire d'une surtout pour saint Augustin. Pour
« chose » du peuple. Le peuple c'est l'évêque d'Hippone, l'humanité se
le « rassemblement d'une multitude partage en deux groupes, un premier
d'individus qui se sont associés en qui constitue la cité de Dieu et un
vertu d'un accord sur le droit et d'une autre qui forme la cité des hommes.
communauté d'intérêt »l ; la cité c'est Deux groupes qui, il faut le souligner,
ce qui constitue un peuple, alors que ne correspondent pas à l'Église et à 225
la république c'est la « chose » du l'État, comme on l'a souvent écrit. La
peuple. difficulté de saint Augustin était de
Ucité
Cicéron, tout en reprenant l'idée trouver un même fondement pour
aristotélicienne d'une naturalité des les deux communautés, capable aussi
communautés humaines, de la civitasy d'expliquer la différence et la supério-
se détache d'Aristote à propos du lien rité de la cité de Dieu sur la cité des
qui constitue la polis. Pour le philo- hommes. Ce fondement ne pouvait
sophe grec, c'est la voix qui, permet- pas être la justice ou l'intérêt commun
tant d'exprimer et de connaître le juste car on voit mal comment il aurait pu
et l'injuste, représente le fondement justifier l'existence d'une cité, d'un
naturel des sociétés. Multipliant les État qui fonctionnait bien ou mal à
définitions et surtout les entités « so- partir de la considération que la jus-
ciales », Cicéron arrive à définir la cité tice, la « vraie » justice, n'existait pas
comme une assemblée constituée par sur terre2. Saint Augustin sort de la
des individus qui ont en partage un
droit et des intérêts communs, alors
1. Cicéron, La République, XXV, 39, p. 35,
que la république, conformément à la Paris, Gallimard, 1994.
tentative suivante de définition des ty- 2. Cf. E. Gilson, Les Métamorphoses de h cité
pes de gouvernement, consiste dans la de Dieu, Paris, Vrin, 1952.

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difficulté en indiquant dans l'amour prend une hiérarchie de valeurs, il est
d'une même chose le lien existant tout aussi vrai que, à l'intérieur de
entre les hommes qui forment une chaque ordre, il est possible de réaliser
cité : « Le peuple est l'association
pleinement l'ensemble de valeurs qui
d'une multitude raisonnable unie dansle caractérisent. Ainsi, pendant le sé-
la paisible et commune possession jour
de sur terre des hommes, la cité et le
savoir qui lui correspond - le poli-
ce qu'elle aime. »l Cela lui permet de
faire la différence entre la cité divinetique
et - doivent permettre la réalisa-
la cité terrestre - car il y a le vrai ettion
le des fins auxquelles la vie est or-
bon amour pour Dieu qui est partagé donnée. Certes, le bien réalisé sur terre
par les membres de la cité divine etest le inférieur à la béatitude divine et
faux amour pour la créature qui fondeentre ces deux ordres il y a une rela-
la cité des hommes - tout en faisant tion hiérarchique dans le sens que le
appel au même lien. Remarquonsdernier est supérieur au premier mais
quand même deux choses : en premier aussi dans le sens que le premier n'a
lieu, la cité divine est une cité extrater- pas la même perfection que le second ;
ritoriale, elle n'est pas renfermée dans toutefois, il ne faut pas non plus déva-
les confins d'un État ou dans les rem- luer la félicité terrestre sous prétexte de
parts d'une ville. En deuxième lieu, son imperfection. La cité - du type de
c'est par un acte libre et réfléchi de larégime à la législation, des modalités
volonté qu'on peut choisir d'appar- de soumission aux lois aux rapports
226 tenir à l'une ou à l'autre des deux cités. entre gouvernants et gouvernés -, est
Alors que maintenant on a un état ci- donc caractérisée par le finalisme im-
vil, on peut affirmer que pour saint manent qui permet à tous et à chacun
Augustin, les citoyens devaient avoirde trouver dans la communauté la réa-
Lexique politique

une volonté civile qui était surtout un lisation de son existence, toujours
acte de foi ; volonté qui ne devait ja- dans la conscience de son imperfec-
mais faillir sous peine d'exclusion de la tion par rapport à la béatitude divine.
cité divine. A partir de la fin du XVe siècle, le
Saint Thomas, en revanche, en terme cité pour désigner l'association
s'appuyant sur les textes d'Aristoted'un peuple en une organisation poli-
- c'est surtout le traité De Coelo qui lui tique fut abandonné au profit de sta-
fournit les bases philosophiques et tus, utilisé dans son sens moderne
théologiques pour opérer un dépasse-d'État. Ce changement linguistique si-
ment de la position augustinienne -, gnale une modification historique
réaffirme l'origine naturelle de la cité. dont nous devrons faire l'économie
Le but de la cité est de réaliser pleine-car c'est là une tout autre histoire qui
ment le bien commun de l'ensemble
des citoyens à l'intérieur de l'ordre na-
turel dans lequel ils se trouvent. S'il est 1. Augustin d'Hippone, La cité de Dieu,
vrai en effet que le bien commun com- 1. XIX, chap. 24.

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va commencer à laquelle nous ne pou- et toute sa puissance sous la suprême
vons pas nous intéresser dans le cadre direction de la volonté générale, et
de cette brève étude. Toutefois, dans nous recevons en corps chaque
le même moment où le mot d'État membre comme partie indivisible du
commence à remplacer le terme de tout »3. La constitution d'une cité est
cité, on peut tout de même remarquer donc la conséquence d'un contrat qui
deux occurrences de cité chez deux est stipulé entre tous les citoyens lors
classiques, Hobbes et Rousseau. de l'assemble générale. Toutefois, à
Hobbes, dans le De cive, critique lacôté de sa théorie du contrat, Rous-
vision aristotélicienne de la naturalité seau indique aussi la nécessité d'une
de la cité et de l'homme comme ani- sorte de religion civile, car « il importe
mal social, s'attaquant directement à bien à l'État que chaque citoyen ait
ce qui fait la différence entre les bêtes une religion qui lui fasse aimer ses
et les hommes, c'est-à-dire la voix. Elle devoirs »4.
ne sert pas à exprimer la différence L'application pratique de ces deux
entre le juste et l'injuste, mais elle estprincipes théoriques à la vie politique,
la source de tous les conflits entre les le contractualisme et la fondation
hommes car elle est « une trompette d'une religion civile, eurent, pendant
de sédition et une allumette de la la Révolution française, des consé-
guerre »' quences plutôt contrastées. La cité se
Pour Hobbes la cité se fonde sur transforme en une communauté
d'égaux, avec les mêmes devoirs et les
l'expression de la volonté commune de 227
se soumettre à la volonté d'un homme mêmes droits - notamment celui du
vote -, dont les rapports sont désor-
seul. Cette union forme le corps d'une
h cité
société, d'un État ou d'une personnemais réglés par le Code civil. Signe de
civile qui réunit les volontés de tous
l'application de cette volonté égalitaire
ainsi que de la nécessité d'élargir à
ses membres. La cité est « une per-
sonne dont la volonté doit être tenue, l'ensemble de la population la partici-
pation à la vie politique, il devait
suivant l'accord qui en a été fait, pour
la volonté de tous les particuliers, etêtre, dans l'esprit des révolutionnaires,
qui peut se servir de leurs forces et del'utilisation pour tout individu de
leurs moyens, pour le bien de la paix,
l'appellation de citoyen : tous devaient
et pour la défense commune »2. Idée et
définition qui seront répétées d'une
manière plus articulée dans les chapi-
tres XVI et XVII du Léviathan. 1. Th. Hobbes, De cive, Paris, Le Livre de
Rousseau considère la cité comme Poche, 1996, p. 115.
2. Ibid., ψ. 117.
la personne publique qui se forme par3. J.-J. Rousseau, Du contrat social, Paris,
l'acte d'association exprimé par tous Gallimard, « Bibliothèque de la Pléaide »,
les citoyens. Dans cet acte chaque ci- 1964, p. 361.
toyen « met en commun sa personne 4. Ibid., p. 468.

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se sentir également concernés par la commune chez Hobbes et chez Rous-
vie publique, et de la même manière. seau, à une croyance commune. Mais
Il faut rappeler trois tentatives de cette sécularisation n'a pas pour autant
création d'un culte civique destiné à tué le désir d'une société fondée sur un
constituer ce lien social invoqué par lien différent du contrat ou de l'intérêt
Rousseau comme seul capable de scel- partagé. Si, comme le disait Fustel de
ler le pacte social. Après le culte de la Coulanges, la croyance est ce qu'il y a
raison en 1793, Robespierre tentera de plus puissant et de plus ancré dans
d'imposer le culte de l'Etre suprême. l'âme, il faut reconnaître que toutes les
La tentative de Robespierre sera pensées politiques qui se fondent sur
relayée par la création semi-officielle le partage du propre font recours à un
de la théophilanthropie, qui échouera lien qui est avant tout religieux au sens
à son tour1. Ce dernier échec fermera large.
définitivement la période pendant la- Comme symptôme de la présence
quelle on a cru possible l'imposition de ce désir d'un autre fondement, et
d'une religion et consignera la fonda- sans arriver à rechercher dans la société
tion et la conservation de la cité à son contemporaine la survivance de liens
immanence, ce qui n'empêche pas que religieux, on peut quand même remar-
l'exigence d'un lien social autre que quer la persistance d'un autre modèle
contractualiste soit encore bien vi- de société qui se base sur la récupéra-
vante. tion linguistique des relations entre ci-
228 toyens et entre citoyens et cité dans le
De l'origine de la cité chez les Grecs
jusqu'à Hobbes et à Rousseau,latin.
il Ce
est
modèle est présent à travers
assez aisé de constater ce qu'onles pour-
lexiques qui ont affaire à société (so-
Loupe politique
rait appeler une sécularisation cius
du -lien> societas) et à amitié (soda-
social et du fondement de la cité, et
lis - > sodalitas), et se basent sur des
rapports de mutualité entre gens qui
cela parallèlement au remplacement
ont la même appartenance, comme les
de ce terme par d'autres qui semblent
mieux indiquer les changements fraternités,
inter- les corporations et les syn-
dicats.
venus dans la définition du fondement
social. Les déplacements successifs de
cité à res publica et de res publica à État
accompagnent les substitutions 1. Sur cette question deux études classiques
d'un
sont A. Aulard, Le Culte de h raison et le culte
intérêt commun et d'un droit public
de l'Être suprême (1793-1794). Essai historique,
chez Aristote et surtout chez Cicéron,
Paris, 1892, et A. Mathiez, La Théophilan-
ainsi que la théorisation de thropie et le culte décadré 1796-1801. Essai sur
l'expression d'une volonté générale et l'histoire religieuse de la Révolution, Paris, 1904.

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