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En septembre dernier, on a tiré au lance roquette à Béziers, chef lieu

d’arrondissement de l’Hérault traversée par les eaux paisibles et ombragées du


canal du midi. Cibles :un véhicule de police et le commissariat. Avant de tomber sous
les balles du GIPN de Marseille, le tireur a abattu d’une rafale de pistolet mitrailleur le
chef de cabinet du maire. Le 15 octobre 2001, Thonon les bains, charmante station
thermale de Haute Savoie est la proie d’une violence urbaine inédite. Quatre jeunes
poursuivis par la police se tuent dans un accident de voiture. Dans la nuit, une
dizaine de véhicules sont incendiés. L’un d’entre eux renfermait quatre bouteilles de
gaz placées intentionnellement. Deux explosent sous l’effet de la chaleur sans, par
miracle, faire de victimes. En novembre, c’est au tour d’une autre ville moyenne,
Bourges d’avoir les honneurs de la presse au terme d’un scénario connu : Acte
un :vol de moto, poursuite et interpellation des auteurs présumés du délit dans les
quartiers sensibles. Acte deux : mis à sac du centre commercial, incendies de
voitures, attaque de l’antenne de police du quartier. Il y a plus grave. Le 17 octobre à
Amiens, quatre policiers appelés à la suite du vol et de l’incendie d’une voiture sont
reçus à coup de fusil à pompe et blessés au visage dans ce qui ressemble beaucoup
à une embuscade. Le 8 janvier dernier, loin des cités, des banlieues, dans l’air pur
des montagnes, à la Foux d’Allos, petite station sans histoires des Alpes de Haute
Provence, une bataille rangée oppose une dizaine de jeunes des quartiers sensibles
du Havre à des vacanciers des villageois et des gendarmes. Bilan une demi
douzaine de blessés, dont les deux gendarmes souffrant de traumatismes crâniens.
En Savoie, dans les Hautes Alpes, d’autres stations sont confrontés à ce qu’il est
convenu d’appeler des problèmes de zones péri urbaines : violences, vols, tapages
nocturnes, dégradations diverses, actes de malveillance. L’été dernier, Saint germain
du Puech, petite commune girondine de l’entre deux mer proche de Libourne, a fait
connaissance avec la technique de la voiture bélier. Une bande a défoncé la vitrine
du bar tabac. Butin : deux tubes de smarties et trois paquets de cigarettes.
Saintes, Aubusson, Dax, sur les traces du Neuhoff le quartier de Strasbourg
où les voitures partent en fumée? La violence urbaine chronique et la délinquance
des grandes agglomérations gagneraient -t- elles la France des sous préfectures et
des chefs lieux de canton ? L’insécurité serait elle devenue le lot des bourgades
considérées jusque là comme des havres de paix, et l’incarnation d’une certaine
douceur de vivre ? Les statistiques de la délinquance en 2001,publiées par le
ministère de l’intérieur, semblent confirmer une tendance décelée depuis quelques
années : Dans les zones rurales ou péri urbaines les gendarmes enregistrent une
augmentation des crimes et délits supérieure à celle des secteurs sous la
responsabilité de la police nationale. 11% dans les premières, 6,6% dans les
seconds. En 2000 déjà, les statistiques indiquaient une croissance de 9,45% des
crimes et délits constatés par la gendarmerie contre 4,48% pour la police nationale.
De nos jours, en matière de délinquance, la ville n’est jamais loin. « Le
principal facteur contemporain de l’insécurité, c’est l’urbanisation, explique Sébastien
Roché, chercheur au CNRS et auteur notamment de la délinquance des jeunes « les
départements les plus urbanisés sont ceux où se commettent le plus de délits et à
l’intérieur du département, c’est la ville centre qui est la plus touchée, avec la
première et la deuxième couronne qui font physiquement partie de l’agglomération ».
Les problèmes rencontrés à Romans, ville de 30 000 habitants ne sont pas très
différents de ceux d’agglomérations comme saint Etienne ou Grenoble qui en
comptent 400 000. C’est juste une question d’échelle.
Dans un département rural comme les Pyrénées Atlantiques, la délinquance
sur la voie publique, vols simples ou aggravés, dégradations diverses, a progressé

de 20%, sur la zone gendarmerie (sauf la compagnie de Bayonne au pays basque),


contre seulement 2,5% dans la communauté urbaine paloise. En périphérie des
villes, moyennes ou petites, l’urbanisation a fait reculer la campagne. Le partage des
tâches entre police nationale et gendarmerie en a été modifié. « Certaines brigades
de gendarmerie font un travail de commissariat, notamment sur la commune de
Lescar » analyse Jean Pierre Drone procureur du TGI de Pau. Cette banlieue de Pau
siège d’un important centre commercial a vu se multiplier les vol à l’étalage et ceux à
la roulotte sur les parkings. Dans une petite commune bien desservie, les jeunes
adoptent un comportement de milieu urbain même s’ils vivent dans la ruralité ou
dans un habitat pavillonnaire. Les taux de délinquance des jeunes de 13 à 19 ans ne
sont pas très différents en périphérie et en centre ville.
L’augmentation des délits en zone gendarmerie, favorisée par la proximité de
la ville, est aussi facilitée par le mode de vie actuel. On habite aujourd’hui à la
campagne avec un mode de vie de citadins, de façon tout aussi anonyme, et non
comme autrefois dans un village où tout le monde connaissait tout le monde. Les
gens partent travailler le matin et laissent leur habitation principale aussi vide qu’une
résidence secondaire. Ces comportements favorisent le développement de la
délinquance parce qu’ils laissent des richesses non surveillées. Cette réflexion vaut
pour toutes les villes françaises, a fortiori pour les petites et moyennes ou la tentation
d’habiter à la campagne est supérieure. « La grande nouveauté c’est l’urbanisation
de la délinquance rurale » analyse Sébastien Roché.
Dans le département des Charente Maritimes, les chiffres indiquent une
hausse de 10% des actes en zone gendarmerie. Brut, ce chiffre donne une idée
assez fausse de la réalité. « Dans les statistiques, un assassinat vaut un chèque
émis par un interdit bancaire » déplore le colonel Roumagne, qui dirige le
groupement de gendarmerie des Charentes Maritimes. Les vols représentent plus de
11 000 des 15 000 crimes et délits recensés. Les actes les plus graves, assassinats
et vols avec violences ( 6% du total) n’ont pas augmenté. Neuf assassinats en 200O,
dix en 2001. 52 vols à main armée en 2000, 57 en 2001. Dans 70% des cas graves,
les auteurs ont été arrêtés et déférés au parquet. Mais les petits délits gonflent les
statistiques, et à la télévision, les images des gros nourrissent les angoisses. « La
délinquance n ‘a pas changé de nature, n’a pas augmenté non plus, mais le
sentiment d’insécurité et la perception d’un phénomène de délinquance va être
rattaché au phénomène national, il faut lutter aussi contre le sentiment d’insécurité »
analyse Jean François Monteils, sous préfet de Saintes.
Dans le sud du département, prés de Jonzac, mais aussi de l’agglomération
bordelaise, le bar tabac de Montguillon, a été victime d’un cambriolage à la voiture
bélier. « mois d’août chaud à Montguillon » a titré la presse locale. Disons tiède. En
août 2000, sur Jonzac et les communes avoisinantes, on a dénombré deux
cambriolages. En août 2001, cinq. Mathématiquement parlant, 250%
d’augmentation. Depuis 1999, la part de la délinquance constatée par les gendarmes
à Jonzac et dans les communes voisines n’a cessé de diminuer dans les statistiques
du département. 12, 84% en 1999, 9,98% en 2001.
La virée en voiture façon razzia est une sorte de version moderne et
délinquante d’un après midi à la campagne. Les délinquants volent une voiture et
vont casser deux ou trois vitrines. Après les gendarmes lancent leurs fourgonnettes
diesel épuisées aux trousses d’Audi ou de BMW surpuissantes. Le phénomène s’est
aussi produit à Oloron ou à Orthez petites villes à une demi heure de route de Pau.
L’enquête sur le cambriolage d’un magasin de lingerie à Mauléon par une bande du
quartier de l’Ousse des bois à Pau a permis d’établir que le délit avait été commis à

la demande d’un commanditaire du Mirail, quartier sensible de Toulouse. Du


buzziness inter cités. Plus classique, des épidémies de cambriolages s’abattent de
temps à autre sur les résidences secondaires, de Sauveterre et Salies en Béarn et
alimentent un trafic de meubles d’art.
On remarque cette influence du facteur urbain sur les formes de délinquances
dans la proximité des taux de délinquance des jeunes à Saint Etienne et à Grenoble.
L’ancienne ville industrielle de la Loire et la cité High tech de l’Isère n’ont guère de
points commun. Sauf un :les deux agglomérations sont de taille comparables. Le
phénomène d’urbanisation les rapproche plus que les différences économiques ne
les séparent. Même sans tenir compte de Marseille, la région Provence Côte d’Azur,
pourtant bien peu industrielle, a un très fort taux d’insécurité et se classe au premier
rang de la délinquance dans l’hexagone. Ses avantages n’ont pas échappés aux
délinquants : La population est âgée et riche, autrement dit les occasions d’exercer
ses talents y sont plus nombreuses qu’ailleurs, et les victimes plus vulnérables. Les
inégalités jouent un rôle important dans la distribution géographique des délits. Les
richesses se volent où elles se trouvent. Les pauvres (1) sont plus nombreux à la
campagne que dans les villes En 1996 le taux de pauvreté des communes rurales de
moins de 3500 habitants était de 12,9%. il était de 7,9 % dans les communes de 100
000 à 2 millions et de 4,7% dans l’agglomération parisienne avec la première
couronne. L’observation des taux d’actes de délinquance montre une répartition
strictement inverse. En 1999, ils étaient de134 pour mille habitants à Paris, de 84
pour mille dans les villes de 100 000 habitants et plus et de 41,3 dans les communes
de 2000 habitants et moins.
Cela ne suffit pas à protéger totalement les Charentes Maritimes, pourtant une
partie non négligeable de la population du département vit dans une grande
pauvreté. Au centre de la Rochelle, 25% des habitants ont un revenu inférieur au
seuil de pauvreté. Le taux de chômage (11%) est supérieur à la moyenne nationale,
et 13 900 personnes perçoivent le RMI. Alors que depuis plusieurs années le
chômage diminuait, le nombre d’allocataires du revenu minimum n’a commencé à
baisser qu’à partir d’avril 2000. En 2001, le COG (centre opérationnel de la
gendarmerie) a reçu 40 000 appels entre vingt deux heures et sept heures du matin.
33 000 étaient des demandes de renseignements. Sur les 7000 interventions, 70%
relevaient plus du SAMU social que de missions de sécurité.
« La délinquance locale est liée à la misère des gens, pas seulement
financière, mais aussi culturelle, éducative » constate Eric Legrand, vice procureur
de Saintes. Chéquiers volés, chapardages, des histoires de minorités ethnique non
sédentaire des « mens » en langage de gendarmerie. Un couple est passé en cour
d’assise pour inceste sur leurs enfants. Ils filmaient leurs ébats. Après le visionnage
de la cassette par la cour, la mère a interpellé le président : « De quoi vous vous
mêlez ? c’est notre vie privée », une humanité sans repère, inaccessible même à la
justice, des destins parfois sordide, d’autrefois surréalistes. Un géorgien de 40 ans a
été interpellé dans un centre commercial alors qu’il tentait de dérober pour 1500
euros de lames de rasoir. L’homme avait commis 18 actes de même nature depuis
1996 sous 12 identités différentes. Dans les magasins de nouvelles
affiches fleurissent :pour les lames de rasoir, adressez vous à la caisse.
La Rochelle, préfecture du département, n’a rien d’une pétaudière. Tous les
ans la régie des transports communaux transporte dix millions de passagers. Bon an
mal an on déplore moins de cent cas de vandalisme. « Quand on relève les faits
bruts en fin d’été, on s’aperçoit que la délinquance a diminué de 5 à 15% suivant les

quartiers » indique Joël Vincent directeur de cabinet du maire. Les faits graves,
homicides, vols à main armée sont très rares. Onze l’an dernier sur la zone police.
Pourtant, le département des Charentes Maritimes figure parmi les dix
premiers de l’hexagone pour le taux de criminalité. L’explication est simple : C’est le
deuxième département touristique français. Beaucoup de délits sont commis pendant
la saison estivale qui voit la population sur la côte multipliée par dix. La plupart sont
des infractions à la législation sur les stupéfiants. Un effet de loupe dans les
statistiques, mais pas seulement. Descendus d’abord pendant l’été ou à l’occasion
des Francofolies, festival qui attire de nombreux jeunes à la Rochelle,
des trafiquants originaire de Seine Saint Denis ont phagocyté le marché des
stupéfiants sur Royan, Saintes, Saint Jean d’Angely. Ils font travailler les dealers
locaux, exigent d’eux du rendement et n’hésitent pas à utiliser des méthodes
violentes. Certains d’entre eux ont avoué aux policiers réaliser des bénéfices bien
plus conséquents dans les Charentes qu’en région parisienne ou la concurrence est
beaucoup plus rude. Ce trafic alimente des faits plus graves. Deux gitans accusés
d’avoir cambriolé un dealer ont été séquestré pendant trois jours dans une cave d’un
quartier de Saintes, passés à tabac, tailladés au cutter. « On est confronté à de la
délinquance importé même si on ouvre une information, on ne peut pas remonter
très haut » déplore Eric Legrand, vice procureur du TGI de Saintes qui depuis deux,
trois ans, constate une augmentation du trafic de stupéfiants.
Délinquance et insécurité dans les villes moyennes et les zones rurales
suivent depuis la fin des années 80 les tendances globales relevées dans la
France des grandes agglomérations : augmentation des vols mais beaucoup moins
forte que celle des violences, des dégradations, des incendies volontaires, et de la
consommation de drogues. « On a considéré les banlieues comme des réservoirs à
délinquants, ceux sont des réservoirs à victimes pour qui le seul espoir c’est de
déménager, et c’est justement ce qu’elles ne peuvent pas faire. L’insécurité est une
manifestation de plus de leur mauvaise situation » analyse Philippe Robert,
sociologue au CNRS.
A Saint Herblain, commune de l’agglomération nantaise, Franck Sina,
chercheur qui travaille pour la municipalité dans le cadre du contrat local de sécurité,
a pu constaté le durcissement du climat. Depuis quelques année, des actions plus
spectaculaires ont pris le relais des rodéos. Après les poubelles, on a incendié les
voitures. Les bagarres sont plus graves. La violence est montée d’un cran dans les
écoles. La violence n’est plus faite pour se procurer de l’argent, elle est gratuite et
contribue à installer un climat de peur : « Brûler une voiture vieille de 15 ans c’est
une idiotie totale et c’est plus grave pour son propriétaire. les témoins sont tous
victimes et se demandent quand viendra leur tour » constate Charles Gautier
sénateur maire socialiste de Saint Herblain. Ce changement, Hugues Lagrange,
sociologue et chercheur au CNRS en a pris la mesure au cours d’un travail
d’enquête à Amiens, Après les années de forte croissance des trente glorieuses,
période marquée par « la domination d’une criminalité d’opportunité (principalement
des vols) on est passé depuis vingt cinq ans « à une criminalité d’exclusion »
dominée elle par les violences. Les prochaines années diront si, à la suite des
grandes agglomérations, les villes moyennes et les campagnes, vont elles aussi,
devenir les nouveaux territoires d’une violence chronique. La bataille n’est pas
perdue, elle n’est pas gagnée.

note 1 : . Le seuil de pauvreté est fixé à la moitié du revenu de celui de 50% des
français.

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