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25/12/2022 19:51 2022, nouvelle année noire pour les « 

règlements de comptes » dans les Bouches-du-Rhône

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SOCIÉTÉ • FAITS DIVERS

2022, nouvelle année noire pour les « règlements de


comptes » dans les Bouches-du-Rhône
La préfecture de police recense, depuis le 1er janvier, 60 faits d’homicide ou de tentative
d’homicide liés au trafic de stupéfiants. Deux assassinats ont eu lieu au cours du week-end de
Noël. Les victimes avaient 20 ans et 22 ans.

Par Luc Leroux (Marseille, correspondant)

Publié aujourd’hui à 14h58, mis à jour à 18h22 • Lecture 5 min.

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C’était un guet-apens. Le 17 décembre, un jeune homme de 25 ans est abattu au pied des tours du
Castellas (15e arrondissement), une des nombreuses cités des quartiers Nord de Marseille. Des
témoins ont aperçu une Clio blanche, entendu une rafale de Kalachnikov. Tout comme cela avait été le
cas au mois de mai, sur le parking du supermarché de la cité, et au mois de juin, lorsqu’un jeune
homme de 20 ans a succombé aux tirs. Le Castellas, trois fusillades, trois morts… A quelques jours de
la Saint-Sylvestre, 2022 se profile comme une nouvelle année noire en termes de ce qu’à Marseille, on
a pris l’habitude de nommer des « règlements de comptes ».

La préfecture de police des Bouches-du-Rhône recense, depuis le 1er janvier, soixante faits d’homicide
ou de tentative d’homicide liés au trafic de stupéfiants dans le département. Soixante fusillades qui
ont causé la mort de 29 hommes, dont les deux tiers étaient âgés de moins de 30 ans. Un bilan
comparable à celui de 2021, qui avait connu 49 faits recensés, pour 31 morts. Des chiffres logiquement
en écho avec ceux du parquet de Marseille, qui précise avoir, depuis le début de l’année, ouvert auprès
d’un juge d’instruction 42 procédures pour « homicide volontaire » et/ou « tentative d’homicide
volontaire en bande organisée ». Bande organisée, traduisez : sur fond de guerre des
stupéfiants. Trente morts, vingt-huit blessés depuis le début de l’année, indique-t-on au parquet. Près
de 85 % de ces dossiers concernent des faits commis sur la commune de Marseille.

Lire aussi l’enquête : A Marseille, la guerre de la drogue tue des hommes de plus en plus jeunes

A ces décomptes officiels, il convient d’ajouter l’assassinat d’un homme de 20 ans, dans la nuit du
samedi 24 au dimanche 25 décembre, dans le 14e arrondissement de Marseille. C’est le deuxième
homicide par balles au cours du week-end de Noël, après celui d’un garçon de 22 ans, vendredi
23 décembre vers 23 heures, au pied des HLM Méditerranée, dans le 13e arrondissement. Celui-ci avait
été précédé le matin même, rapporte le quotidien La Provence, d’une fusillade dans un bar du
quartier de la Belle-de-Mai (3e arrondissement), dont un client a été blessé par des tirs d’arme à feu.

Guerre entre clans

Deux conflits majeurs entre bandes auraient nourri cette comptabilité morbide. Selon la police
judiciaire, les rivalités ont été fortes, cette année encore, entre deux puissantes équipes, d’un côté, les

https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/12/25/2022-nouvelle-annee-noire-pour-les-reglements-de-comptes-dans-les-bouches-du-rhone_6155656_3224.html 1/3
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Blacks – une bande historique de trafiquants qui doit son nom à l’appartenance de ses membres à la
communauté comorienne –, de l’autre, celle des Oliviers A, une cité du 13e arrondissement.

On prête à Kamel Meziani d’avoir la main haute sur ce dernier point de vente et ses succursales dans
d’autres cités marseillaises. Plusieurs rendez-vous judiciaires attendent ce dernier : il sera rejugé en
janvier 2023 en appel après une condamnation à quatorze ans de prison pour la direction du trafic et
il comparaîtra devant la cour d’assises pour un rôle qu’il conteste dans un règlement de comptes qui
avait fait deux morts sur le parking d’un KFC, en octobre 2016. Comme c’est souvent le cas,
l’arrestation, à l’automne, d’un membre influent des Blacks, un trentenaire déjà condamné dans une
affaire de stupéfiants, a « mis en pause » ce conflit, mais la police judiciaire redoute les effets de la
sortie de prison d’autres figures éminentes de cette équipe.

Les enquêteurs de la brigade criminelle de la police judiciaire, dont les saisines ont explosé, font face
à un second conflit à l’origine des mauvais chiffres de 2022. Celui-ci oppose les tenants du point de
vente de la cité du Moulin-de-Mai, à la Belle-de-Mai, l’un des quartiers les plus pauvres de Marseille, à
une équipe, plus armée, plus puissante, de la cité voisine de Félix-Pyat. Les hostilités débutent au
printemps et sont à l’origine de plusieurs fusillades, dont certaines mortelles. En octobre, en vingt-
quatre heures, trois hommes ont été tués dans ce quartier.

Lire aussi | Le « narco-banditisme » des cités de Marseille

La variation des chiffres traduit l’intensité des guerres entre clans, analyse Frédérique Camilleri,
préfète de police des Bouches-du-Rhône. Ce conflit de la Belle-de-Mai illustre aussi la banalisation du
recours à la violence. On tue pour défendre ou conquérir des points de vente mineurs alors que
l’assassinat, il y a quelques années encore, concernait des équipes d’envergure, avec des liens à
l’international pour l’approvisionnement et le blanchiment. Les victimes sont de moins en moins des
« gros poissons » mais des « petites mains », cette main-d’œuvre jeune des points de stups parfois
contrainte de « jober » (travailler) sous la menace de la violence. La nature des fusillades a évolué,
observe Mme Camilleri, qui use d’une image : « On attaque le magasin plutôt que le gérant. »

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Le Moulin-de-Mai, qui semble défendre chèrement ses positions, est un trafic de proximité, avec un
chiffre d’affaires sans commune mesure avec les hauts lieux de la vente de drogue que sont les cités
de La Castellane, celle des Oliviers A ou de Bassens, où des dizaines de milliers d’euros rentrent
chaque jour dans les caisses du réseau. La guerre sanglante des territoires concernait hier les
« supermarchés » de la drogue, aujourd’hui elle est descendue au niveau de la « supérette de quartier »,
analyse un observateur. « Une violence disproportionnée par rapport aux objectifs », confirme un
enquêteur. Cet usage débridé de l’assassinat, de l’intimidation par l’usage en rafale d’armes
automatiques, va de pair avec ce que le parquet de Marseille nomme « une dépersonnalisation des
cibles » et une « évolution vers le fonctionnement des cartels mexicains ».

Lire aussi : « Bassens est monté sur la Paternelle et la guerre a commencé » : Marseille entre
trafic de drogue et règlements de compte

Ces nouvelles cibles, cette descente de la violence extrême aux niveaux inférieurs des réseaux, sont à
l’origine d’une clarification des modes de comptabilisation des faits. La préfecture de police se refuse
à communiquer les chiffres de règlements de comptes – au sens strict – recensés par la police
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judiciaire. Cette appellation historique prend en compte trois critères cumulatifs, un mode opératoire
sophistiqué avec des armes lourdes, un profil de la victime, un malfaiteur chevronné à qui les
enquêteurs prêtent des responsabilités au sein d’une bande criminelle, et un mobile lié à une
opposition entre clans. Cette classification ne reflète plus la réalité des fusillades, qui visent des
jeunes gens inconnus ou peu connus. Au sens strict du règlement de comptes, l’année 2022 en
compte 18, pour 16 morts, englobés dans les 60 fusillades ayant causé 29 décès liées au trafic de
stupéfiants.

Inconnus de la police

Face à cette violence et à ce mode opératoire qu’est la fusillade, pour tuer ou intimider, qui font tache
d’huile dans d’autres villes comme Arles, Salon-de-Provence dans les Bouches-du-Rhône mais aussi
Avignon, Carpentras et Cavaillon dans le Vaucluse, les autorités déploient tout un arsenal de
mesures. Au Moulin-de-Mai, la présence de CRS a été renforcée, ne serait-ce que pour desserrer l’étau
dans lequel vivent les populations sur ces théâtres de violences. La recherche d’armes illégales porte
des fruits, avec 1 172 saisies depuis le début de l’année, soit une augmentation de 72 % par rapport à
2021 – hors l’opération de dépôt volontaire d’armes détenues par des particuliers.

Pour déjouer des règlements de comptes, la police judiciaire table sur la « méthode proactive » qui,
depuis plusieurs années, consiste à confondre pour des armes, des stupéfiants, des membres
d’équipes « prêts à taper » (tuer). Mais cela ne concerne que les bandes importantes, pas ces jeunes,
parfois inconnus de la police, qui déboulent de plus en plus tôt et de plus en violemment sur le
marché de la drogue. Côté élucidation, des résultats sont au rendez-vous. Selon le parquet de
Marseille, dans 70 instructions ouvertes entre 2014 et 2019 pour « homicide volontaire en bande
organisée », des mises en examen sur des qualifications criminelles ont eu lieu dans 36 dossiers,
concernant 113 personnes.

Luc Leroux (Marseille, correspondant)

https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/12/25/2022-nouvelle-annee-noire-pour-les-reglements-de-comptes-dans-les-bouches-du-rhone_6155656_3224.html 3/3

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