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CHANT DEUX (extrait 1)

AIDÉ PAR ATHÉNA, TÉLÉMAQUE PRÉPARE SON VOYAGE

Fraîche éclose, l'Aurore aux doigts de rose apparut et le fils d'Ulysse se leva de son lit, mit ses
vêtements et plaça son épée dans son baudrier d'épaule. Il sortit de la chambre et ordonna aux hérauts
à la voix harmonieuse de convoquer à l'agora les Achéens à la belle chevelure.

Une fois qu'ils furent tous réunis, Télémaque apparut, la lance au poing, accompagné de deux chiens.
Le peuple entier le suivait des yeux, tandis qu'il s'asseyait à la place de son père. Les anciens lui firent
place. Le noble Egyptios le premier se leva et prit la parole :

— Ecoutez-moi maintenant, gens d'Ithaque ; il n'y a pas eu d'assemblée chez nous ni de séance de
conseil depuis que le divin Ulysse est parti sur ses bateaux creux. Alors, qui nous a convoqués ? A-t-on
reçu des nouvelles de l'expédition ? Ou bien s'agit-il de quelque autre affaire publique ?

Télémaque ne resta pas plus longtemps assis, il se leva au milieu de l'assemblée. Le héraut lui mit le
sceptre en main et il répondit à Egyptios :

— L'ancien, il n'est pas loin, celui que tu cherches ; c'est moi qui ai convoqué le peuple. Je n'ai pas de
nouvelle du retour de I'armée, ni d'affaire publique à exposer. Mais c'est la nécessité qui me contraint :
un double malheur m'accable. J'ai perdu mon noble père, votre roi, mon père si bienveillant, mais de
plus voici qui va ruiner complètement ma maison : les fils des héros les plus nobles qui sont ici, les
prétendants, harcèlent ma mère et elle, elle ne veut rien entendre. Ils passent leur temps chez nous, à
sacrifier des bœufs, des moutons et des chèvres grasses. Ils font de riches banquets, boivent à tout va
mon vin couleur de feu. Personne comme Ulysse pour défendre notre maison. Moi je me battrais bien, si
j'en avais la force. Craignez, vous, la colère des dieux. A moins que mon père, le noble Ulysse, n'ait eu
des torts envers les Achéens aux bonnes jambières et que ce soit la raison de votre antipathie.
Maintenant, en tout cas, vous me déchirez le cœur.

C'est ainsi qu'il parlait, en colère. Il jeta le sceptre à terre et laissa échapper ses larmes. Tout le peuple
fut saisi de pitié et personne ne parlait.

Seul Antinoos osa répondre :

—Télémaque, que de grands mots I Pourquoi nous insulter ? Voilà maintenant deux ans, bientôt trois
que ta mère trompe le cœur des Achéens, promet chacun, donne de l'espoir à tous, nous couvrant de
messages. Voici la ruse qu'elle médita dans son cœur.

Elle avait dressé un grand métier pour y tisser fine une toile immense et nous affirmait que c'était pour le
linceul de son beau-père Laerte. Mais la nuit elle détissait la toile. Elle nous trompa pendant trois ans, la
quatrième année elle fut dénoncée par une servante. Toi, écoute la réponse des prétendants : renvoie ta
mère, pousse-la à épouser celui que son père voudra et qui lui plaira. Mais si elle tourmente encore les
fils des Achéens et compte sur son astuce, supérieure à celle de toutes les Achéennes, eh bien, aussi
longtemps qu'elle gardera ces sentiments, nous mangerons tes vivres et tes biens I Nous ne rentrerons
pas dans nos domaines avant qu'elle ait fait son choix parmi les Achéens.

Télémaque, en garçon avisé, lui dit en face :

— Antinoos, il ne m'est pas possible, si elle ne veut pas partir, de chasser ma mère de la maison : elle
m'a mis au monde, elle m'a élevé. Mais vous, si vous craignez les dieux, sortez, trouvez-vous d'autres
repas, mangez vos propres biens !

Télémaque parla ainsi.

Zeus alors lui envoya deux aigles qui plongèrent du haut des montagnes. Ils planaient sur les souffles du
vent, côte à côte, déployant leurs ailes ; quand ils survolèrent l'assemblée bruyante, ils se mirent à
tourbillonner à coups d'ailes rapides, puis ils s'éloignèrent vers la droite à travers les maisons et la cité.
Tous regardèrent les oiseaux avec crainte, se demandant dans leur cœur ce qui allait arriver.

Alors le vieux héros Halithersès, fils de Mastor, intervint. C'était le meilleur de sa génération pour
interpréter le vol des oiseaux :

— Ecoutez-moi, gens d'Ithaque ; c'est surtout pour les prétendants que je vais parler. Car c'est sur eux
que déferle le malheur. Ulysse ne restera plus très longtemps loin des siens, il est tout près, préparant la
mort et le meurtre pour ses ennemis. Le malheur va s'abattre aussi sur beaucoup d'autres, parmi nous
qui habitons Ithaque l’ensoleillé. Bien avant cela, réfléchissons, arrêtons tout cela, dès maintenant, c'est
le mieux. Je ne prédis pas à la légère, j'ai de l'expérience. J'affirme que tout va s'accomplir, toutes les
prédictions que j'ai faites à Ulysse, quand les Achéens s'embarquaient pour Ilios. Je lui avais dit qu'il
aurait bien des malheurs, qu'il perdrait ses équipages et qu'il reviendrait chez lui la vingtième année ..
tout se réalise.

Eurymaque, l'un des chefs des prétendants, prit la parole :

—Vieillard, va donc prédire à tes enfants, rentre chez toi, gare à ta famille ! Moi je vais prédire bien
mieux que toi. Il y a bien des oiseaux qui volent dans les rayons du soleil, ils ne portent pas tous des
messages I Ulysse est mort et tu aurais dû mourir avec lui, tu ne ferais pas tant le devin, tu n'exciterais
pas Télémaque ! Si tu continues, nous t'infligerons une amende, bien pénible à payer. Moi, je vais
donner un bon conseil à Télémaque, devant vous tous : qu'il renvoie sa mère chez son père ; nous,
nous nous occuperons du mariage et des cadeaux de noce. Sinon, nous ne cesserons pas de l'irriter
par notre cour. Nous ne craignons personne, ni Télémaque, tout bavard qu'il soit, ni toi, vieillard, avec
tes prédictions creuses. Nous continuerons à manger ses biens, sans payer en échange, tant qu'elle
n'aura pas choisi entre les Achéens.

Télémaque, en garçon avisé, lui dit en face :

- Eurymaque et vous, nobles prétendants, je ne parlerai plus de cela ; maintenant les dieux et tous les
Achéens connaissent l'affaire. Allons, accordez-moi un bateau rapide et vingt compagnons ; je veux
aller à Sparte et à Pylos, au milieu des sables, pour interroger les gens sur le retour de mon père. Si
j'apprends que mon père vit et va revenir, j'attendrai encore un an, malgré ma lassitude. Si j'apprends
qu'il est mort, s'il n'est plus, une fois revenu dans ma patrie, j'érigerai un tertre funèbre et
j'accomplirai les rites, puis je donnerai ma mère à un mari.

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