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Cahiers d'études africaines

La production d'un récit historique.


Monsieur Jean Bazin

Abstract
J. Bazin—The Production of a Historical Narrative.
A number of historical African polities—such as the kingdom of Segu—-are known to us almost exclusively through oral
traditions. Hence the absolute necessity of a critical study of the production of this type of narratives, including both the
processes of their generation and memorization and the circumstances of their enun-ciation. This is illustrated by the study in
depth of a relation of king Da's accession, which is shown to be more than a mere 'historical', nonfictional report on things past.
Far from being a factual, objective report of actual facts, the narrative has political and ethical implications which remain
operative to this day. [PP- 435-483]

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Bazin Jean. La production d'un récit historique.. In: Cahiers d'études africaines, vol. 19, n°73-76, 1979. Gens et paroles
d'Afrique. Écrits pour Denise Paulme. pp. 435-483;

doi : https://doi.org/10.3406/cea.1979.2874

https://www.persee.fr/doc/cea_0008-0055_1979_num_19_73_2874

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JEAN BAZIN

La production un récit historique

Quand pour connaître le passé une société nous nous servons de


ce on nous en raconte hui nous tendons traiter les récits
recueillis comme un matériau dont il faut seulement extraire par des
opérations plus ou moins méthodiques et contrôlées une certaine quantité
informations Nous sommes pour cela nécessairement amenés briser
la totalité formelle que constitue chaque récit et retenir des conditions
singulières de son énonciation celles seulement qui permettent apprécier
le degré de confiance accorder aux informations il contient est
une démarche indispensable et légitime je considère cependant elle
risque être naïve et partielle si ne associe étroitement une interroga
tion reflexive sur production des récits Plus elle appuie sur le matériau
narratif plus la connaissance historique doit se doubler une sociologie
des récits
Il agit abord bien sûr précaution élémentaire loin être pour
tant toujours respectée de tenir compte des conditions actuelles de la
narration des intérêts du narrateur en fonction de la position sociale
il occupe de ceux aussi il peut supposer chez auditeur individuel
ou collectif auquel il adresse de occasion conjoncturelle du récit.
Bref de tous les traits qui qualifient la situation énonciation et dont le
classement permet identifier les divers types de pratiques narratives
propres une société Cette situation est jamais sans effets sur le contenu
énoncé même si ceux-ci peuvent être que marginaux dans le cas de
récits relativement fixés et reproductibles
Mais dans la mesure où ces récits paraissent relever une tradition
orale il faut aller plus loin et tenter ce qui est évidemment très aléa
toire de remonter la chaîne des narrations successives dont le récit
présent est le dernier maillon de reconstituer les situations originaires
énonciation dont énoncé actuel est le fruit lointain et déformé Il faut
se demander quand comment par qui et pour qui ont chance avoir été
sélectionnés et mémorisés les éléments narratifs que combinent aujour
hui les narrateurs que nous enregistrons
Notre capacité répondre de telles questions est certainement
limitée surtout dans des sociétés mémoire presque exclusivement orale
qui ne laissent guère autre chemin vers une histoire des récits que
analyse critique des récits de histoire Je crois cependant que plus

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accroît et affine notre connaissance des rapports qui organisent aujour


hui et organisaient hier une formation sociale mieux nous comprenons
la raison des récits ils engendrent et qui les trahissent Réciproquement
plus nous sommes parvenus élucider les conditions de la production
narrative plus les récits dont nous disposons se révèlent riches infor
mations insoup onnées car traités comme des produits et non plus
seulement comme des sources ils ne disent plus seulement histoire
ils sont eux-mêmes une histoire sédimentée la manière un monument
où peut se lire la série des remaniements architecturaux successifs dont
résulte sa structure finale
Une telle sociologie de la production narrative devrait et pourrait
donner lieu des recherches systématiques tant monographiques que
comparatives ai préféré ici1 dans incertitude des premiers pas prendre
comme objet expérience un unique récit et aborder ce domaine par le
biais la fois plus modeste et plus aisé un commentaire ai choisi le
récit de avènement du plus célèbre des rois de Segu2 Da dans la version
en donne un lettré musulman passionné histoire Laaji Sumayla
Fané3

présentée
Ce texte
au colloque
reprendinternational
et développe sur
unelespartie
sources
uneorales
communication
organisé non
par univer
publiée
sité de Bologne en décembre 1976
Le royaume de Segu est fondé au début du xviiie siècle par Maamari sur
nommé Biton Kulubali il atteint sa plus grande extension sous la dynastie dont il
sera question ici celle des Ngolosi les descendants de Ngolo Jara qui prend le
pouvoir vers 1766-1770 Les Ngolosi régnent la conquête du pays par al-
Hajj Umar 1861) et animent ensuite la résistance aux envahisseurs toucouleurs
Futaka la conquête coloniale 1890 Leur capitale était emplacement
de actuelle ville de Segou république du Mali Je poursuis depuis plusieurs années
des recherches sur histoire et organisation de ce royaume Les sources disponibles
sont dans leur très grande majorité ordre narratif et rétrospectif traditions
familiales et villageoises récits des narrateurs professionnels)
Ce récit est pas le produit une composition élaborée il intervient au cours
une très libre conversation enregistrée Segou le 14 août 1970 Le texte respecte
ordre ou plutôt le relatif désordre de renonciation ai seulement supprimé
les redites et les hésitations Le récit se subdivise de lui-même en cinq séquences
dont chacune organise autour de la narration une scène centrale
La transcription et la traduction auraient pas été possibles sans le travail
Amidu Magasa et de Shaka Bagayogo elles sont notre uvre commune Confor
mément au de leur auteur ensemble des récits de Sumayla Fané sera pro
chainement réuni en un seul texte et éventuellement publié)
PRODUCTION UN RECIT HISTORIQUE
438 JEAN BAZIN

ns banna tuma min denke minw to denke gale togo ye ko Paama Da Nka
min wolola gale gale ye Cèf ye
wolola tuma min na su fé musok baw ye fa ye taa ka taa faama ye ko
muso karisa wolola nana soro blonk sofaw be dumuni kan ke ko wa
dumuni ke dumuni ke
Fajiri fe Da wolola
ye dafalen sala da la ko aie denke soro na togo da Masala da la
Paama Da togo de dalen be Masala da la Dafalenden don
Sibèn koolilen yan jaki kan Faama Da Dakabana mogo dö kôyi Taamashyèn
min tun ale la ani min tun be Sikaso Ceba la bée tun ye kelen ye
tuma na sa Faama Da wolola aj iri fe Musok baw ye ci nana soro nin
be dumunikè la ko tè dumuni kè wa ko ayi fén min be ne da ka bon
dumuni ye temenna ka se faama ma ko faama muso karisa masinè ko
wolola denke la ko hatte ko ka dafalen minèna
Nin yèrè nana kanto ko ne tun cira yèrè muso karisa wolola ko wolola
denke la Anhan tun be nakun na tun be dumuni min na ye nakun ye
Min föra ne ye gale ye ne ka denke gale ye
de ye Faama Da de bila Cèf lö nyè tuma ko nin ma sa ko Cèföl mogo
be föl tè gale tè ka koro ni Faama Da ye bee wolola su kelen na nka
Faama Da ye aj iri ye
tuma na sa tögö da Masala da la ko Faama Da Ale tile la mofo tè se ka
fo da de be tobili kè da la tè se fö de fö ko tobilan NO tè ko da
faama wele

io Faama Da sigira jamani kun na san mugan ni duru


tuma na Mönsön denke gale ye Faama Da ye ka na Cèf lö da kan ka Kirango
Ben da kan ka Weta Nyènama da kan ka Saka sakoro da kan ka Sanyi Fili
da kan ka sala Denba da kan ka Nango Belén da kan ka Torokoro Mari
da kan ka soro ka na Bina Ali da kan ka na Ma Nje Jara da kan bée ye
kulusi ta bée sigilen be
12 Mônsôn banana turna min bana gèlènyara ye denkèw bée wele nana sigi
ko ne ka bana gèlènyara ko aw bee sigilen ule nyOgön kan ne den de ye
ko ka hakili to nyögön na ka nyögon miné kana fara de faral fadenw
be se la Nka ye kafo nyögön kan koro bonyè sigi ne sigiyor la
koro ka hine dôgôninw la ka nyögön mine segu tè se la ko ba an men

Faama litt le puissant le fort est le terme habituel pour désigner le


roi de Segu Selon Sumayla Fané est sous le règne de Da que pour la première
fois le mot aurait été utilisé comme un titre et étroitement associé au nom du roi
Le narrateur ne se souvient plus du nom des mères des deux princes
est-à-dire que tous ces princes ont été officiellement installés dans un
village princier dendugu) ce qui intervenait une fois le prince
adulte et marié Le prénom de chaque prince est associé au nom de son village
princier Celui de Cèfolô était Koke celui de Bina Ali bina est un terme de respect
Weta et celui de Ma Nje Ma est le nom de sa mère Masala Saka sakoro est vrai
semblablement celui on appelle aussi Fisa de Nango il pas régné Dans un
PRODUCTION UN RECIT HISTORIQUE 439

LAAJI SUMAYLA FANE CIT DE AV NEMENT DU ROI DA

Parmi les fils que laissait ns sa mort aîné avait pour nom Faama Da4
Mais celui qui était né réellement le premier était Cèf
Quand Cèf naquit durant la nuit les vieilles femmes chargées aider accou
chement envoyèrent un dire au roi que son épouse Une telle5 avait accouché
Le messager trouva les soldats de garde dans le vestibule en train de prendre leur
repas ils lui dirent Viens donc manger viens
Da lui naquit aube
ns avait fait le serment au da jarre sacrée de Masala de donner son nom
son fils il en avait un Le nom de Faama Da vient donc du da de Masala est un
enfant du serment
Faama Da avait une touffe de poils qui enroulait dans le haut du dos était
vraiment un être hors de ordinaire Ce signe il portait Ceba de Sikaso avait
aussi
Donc Da naquit aube Les vieilles femmes envoyèrent également un messager
qui trouva le premier en train de manger Les gardes lui dirent Ne viens-tu pas
manger Non répondit-il ce que ai dans la bouche est plus gros un repas
II passa son chemin entra chez le roi et lui dit Ta femme Une telle accouché
un fils Très bien dit ns est que mon serment réussi
Le premier messager intervint alors Mais moi aussi ai été envoyé pour annon
cer que ton autre épouse Une telle accouché un fils Non répondit le roi
la raison de ta venue est ce repas que tu étais en train de prendre Celui on
annoncé le premier gale sera mon fils aîné denke gale
Ainsi Faama Da fut placé avant Cèf Et est pourquoi on dit propos de
Cèf premier gar on on peut être le premier sans être le premier
gale pourtant Cèf était plus âgé que Da Ils étaient nés dans la même nuit
mais Da aube seulement
Son père lui donna donc ce nom de Faama Da en honneur du da de Masala Sous
son règne on ne pouvait pas dire le mot da pot Dire je vais faire la cuisine
dans ce da était impossible On disait la place tobilan instrument de cui
sine Car sinon en disant da on appelait le roi

io Quand Faama Da fut installé la tête du pays il avait vingt-cinq ans


II était donc le fils aîné de ns venaient ensuite Cèf Ben de Kirango
Nyènama de Weta Sakafisak Fili de Sanyi Denba de Masala Belén de Nango
Torok Mari et enfin Bina Ali et Ma Nje Jära Tous ceux-là ont atteint âge
adulte et ont été
12 ns tomba malade et comme sa maladie aggravait il les fit tous venir Quand
ils furent là assis devant lui il leur dit Je suis gravement malade Vous voici
tous rassemblés vous mes enfants Restez solidaires restez unis ne vous divisez
pas sinon vos rivaux vous vaincront Si vous préservez cette union si vous respec
tez votre aîné et installez ma place et si aîné traite avec bienveillance ses
puînés contre vous tous unis Segu ne pourra rien Père nous avons compris
répondirent-ils

autre récit Sumayla Fané précise que Belén de Nango est un autre nom de Torok
Mari Mari sous le figuier car il avait habitude de asseoir près un toro Ficus
gnaphalocarpa)
440 JEAN BAZIN

13 ko ta cekala kuru kelen tige ka na nana ni cekala kuru kelen ye ka


tige tige ko keme ke ny kan ye cekala kuru keme kè ny
kan ka siri siri di Faama Da ma ko je ka kari ny
fé Faama Da be kari ma se ko ba ko mogo tè se ka kari dé ko di
Cèf ma Cèf be kari ma se ko ka di kè ma ale be kari
ma se
14 ko dèsèra ko nh ko wa ye kelen fosi ka la ye kelen fosi
ko kari kari ko ye se ka bèe kari tan de ko nh ko wa
ye ny mine mogo tè se la faral bèe kelen kelen kari tan
15 de Bamananw fe be cekala kuru keme siri da la ko du kana fara

tuma kera tuma min ns nana ban su fé


17 Dow ko Faama Da de kakan ka sigi ns de ye kè denke gale ye Dow ko
hun ye toduny kuma ye Cèf de ye denke gale ye
tuma Faama Da soro ye dabali kè moriw fé kè bagaa ye don
kinibolo la
19 ns sarà su fé ye sok sofaw damaw wele ma dog wele de ka MOnson ko
ka sutura nyodu la munyina könö nyodu Sebenin min ba da la misiriba ni
tan ce be ns kun koro
20 tuma na ale su don ma foyi ye Dugu jera minke ye bèe
wele ka sigi ko wa babà sarà suro ko su be mini ko anw su don
anw tla la CèfOlô ko anw fa su ka don anw ma da na wôgObè
21 Faama Da dabali min bolo la nana kanto ko ni ba su wôg bèra ni ba
su wögöbèra tè dogo Segu Bagaa min bolo forokira ka ten blenya
ko ko tasuma ka taa bin ba la ye mankan men
22 Mogo si ma se ka kuma bien tuma Faama Da sigira Shanro Ne de ye sa
sigi de ye kafotigiw bèe la cèk ba ye turna na nkunna kèmè wolonwula ni
debe jora kun na fa tinyè ta

23 soro sa MOnsön hakili bora dôonin MOnsôn bena ka ban tuma min na
ye ntalen in da ye kalakari in ye ko Da de ka koro tow ye Mone saba
donna ne na sera ka mone saba ni su be fen nye nyènama ye na nye
ye
24 don Faama Da ale ni Tinyè Marna ani Sègèla Bèlèn ani Nani Nje ani ama
ny äna Basi de tonnyOgonma ye de ye terimaw ye bèe jelen monna faama-
denya na Nka Tinyè Mama bilakoroma ni Faama Da ye bari ta fa yèrè koro
ye Faarna Da bin fo ka npogi uru tige dusukasi tora Mönson na ...]

Cekala Cymbopognon gigantens est une grarninée géante très vivace et


tenace dont la tige est particulièrement dure Sur les significations symboliques de
cette plante et sur celle du faisceau de tiges cf ZAHAN 1960 59-60 164 252 334-
Littéralement est histoire affaire kuma la parole du lieu ou du
moment où on mange le to le gâteau de mil toduny
Neon ls de Shanro Masa le fondateur de importante chefferie de Shanro
ou Saro est de Segu) serait né vers 1750 et mort en 1846 cf BA DAGET 1962
132)
10 est-à-dire six cents selon la manière de compter particulière auxBamanan
11 Samanyana le village du célèbre Basi Jakitè) est sur le Niger 30 km au
sud-ouest de Bamako Les villages de Marna Yatura et de Nje Jane ou Tarawele
sont plus proches de Segou Belen ou Bala Kulubali était le chef de la région dite
Masarana au nord du Niger
PRODUCTION UN RECIT HISTORIQUE 441

ns leur dit alors aller chercher une touffe de roseaux7 ce ils firent II leur
dit de séparer les tiges ce ils firent Puis en mettre une centaine ensemble et de
les attacher ce ils firent Il fit remettre le tout Faama Da et lui dit de briser
un seul coup ce faisceau Faama Da essaya mais en vain et dit Mais père est
vraiment impossible ns lui dit alors de passer le faisceau Cèf Ce dernier
essaya mais en vain On le remit chacun des puînés ils ne purent pas davantage
le briser
14 Vous avez pas pu questionna ns Ils répondirent que non Eh bien
leur dit-il maintenant retirez du faisceau une des tiges ils le firent Et cassez-
la ils parvinrent De cette manière questionna ns arrivez-vous
pas toutes les briser Ils répondirent que si Voilà conclut ns si vous
restez ensemble personne ne vous vaincra si vous vous divisez on vous brisera
comme cela un après autre
15 est pourquoi chez les Bamanan on place au seuil de la maison un faisceau une
centaine de tiges de roseau cela signifie puisse la famille ne pas se diviser

16 la suite de cela durant la nuit ns mourut


17 Certains disaient II faut installer comme roi Faama Da puisque ns en
fait son fils aîné Mais autres disaient Non est seulement cause de cette
histoire de messager affamé8 sinon Cèf est bien aîné
18 Entre-temps Faama Da était fait faire un sortilège par les mori marabouts
ils lui avaient procuré un bracelet de cuir il portait au bras droit
19 ns mourut durant la nuit Da appela que les soldats de garde et sans pré
venir ses frères puînés il lava le corps et enterra dans la cour aux greniers in
térieur du palais Le petit rônier au bord du fleuve près de la mosquée est empla
cement de la tête de ns
20 II enterra donc sans rien dire ses frères Au matin il les fit venir et leur dit
Voilà notre père est mort cette nuit Mais où est son corps demandèrent-ils
Nous avons enterré est terminé dit Da Comment cela écria Cèf
tu as enterré notre père sans que nous ayons vu il faut exhumer
21 Alors Faama Da avec son sortilège au bras déclara Si on déterre le corps de
mon père si on fait cela que Segu le sache Le bracelet de cuir se dilata et éclata
il se défit de son bras se mit rougir comme du feu et plongea enfin dans le fleuve
Cela fit un bruit que tout le monde entendit
22 Personne ne put plus parler Faama Da fut installé comme roi est Neon de
Shanro9 le plus vieux des chefs de région qui installa Les sept cent quarante
hommes10 de la garde passèrent désormais son service Il prit héritage de son père

23 ai oublié de raconter que ns peu avant sa mort après apologue que ai


rapporté histoire des tiges de roseau avait déclaré Da Tu es aîné de tes
frères la vie me laisse trois causes amertume si tu parviens les effacer je
promets de aider dans la mesure où un mort peut aider un vivant
24 Faama Da Mama de Tinyè Bèlèn de Sègèla Nje de Nani et Basi de Samanyana
étaient des camarades de même classe âge11 Un jour alors ils étaient encore
incirconcis Mama de Tinyè et Faama Da avaient lutté en présence de ns
Mama avait terrassé Da et coupé attache de sa culotte ns en avait gardé
mauvais souvenir ...]1*

i2 Le narrateur interrompt ici pour répondre ma demande de précisions


concernant Marna de Tinyè
442 JEAN BAZIN

25 tuma na sa ko Tinyè Mama ni Ala to kana to ko Jakuruna Toto ni


Ala to murutira ma kana to Samanyana Basi Ala to kana to
few Ni sera ka nin dugu saba ci Faama Da ni su be fen nye nyènama ye ne na
nye ye Da ko ko ba ka saya ke
26 tuma na sa ns sara Paama Da sigira ko tè foyi fo ba sangab ka kè

27 tè sangab don Ni kèlècèfarin sarà walima donso nana sarà denw ni se be ye


be na kalo filé ka don ka ci sama jamana bee donsow bee jelen
ka ci sama nyènajèkèla bee ma tuma na be fa su kasi be fa takèlenw
nyènajè si bée be kè tigi be fén bée di seko ye fén fen ye ni
nyènamaya ye ko ke bena bée kali togo ye ko karisa sangab
28 ye ci bila ba ko nye ma ko tuma na bena ba sanga bo Jamana jiginna
kèlèbolo dèbèdlanya bée ka cèbo nana jeliw nana balaninf law olu nana manin-
kakè ra Mande Balansan ju la nana ka sigi Jama nana ka na dibi
tuma min na nkunna keme wolonwula ni debe jolen yèrè kun na nk nin-
bara keme be ye jeliw ka gitaflen keme ni mugan olu birilen be lo be min
29 ko ko jeliw jama ye ale fa bila nyènafin na Olu bila falaya la
to jamana no fa fe marabaga la kera fala ye tuma kasira
30 kasira minke Tinyètigiba Dante fora ka wili daden tè falajugu ye
Dugu baa debe ni duuru mogo min fa to ye ko té falajugu ye Fala min
be birimisi baa kelen nono na ko tè falajugu ye Fala min be gadanpogotigiw
bolo ko tè falajugu ye daden tè falajugu ye fa ye ko dugu baa debe ni
duuru to ye daden dugu ta Ginb ka taa bila Kurusa fa to ye
ta Biru ka taa bua Tèngèrèla fa to ye tè falajugu ye
31 fora ka wili sigi ko Ba Tinyètigi tinyè ko ye Farak ni dugu
maninkèmè ni la de Farak bèe ye jelij ye Farak kaw ma son ka fa ye
32 tuma na maninka balatigi ra Balansan fora ka wili ka na ka balanin
kan Faama Da sigilen ko
Kolon tè maa min fé
tè bako dio min
ko Tinyètigi ko nin be min ko nin ye dunan ye be Maninka balanin
ko fa ye ko ye nkè keme ni mugan ani nmuso keme ni mugan ko
ke ka bala ansa taara ka taa sigi Kala min be bako fe Kala koro ye ko bala
don be fö balanin ma ko kalanin

13 Jakuruna est dans le Bèndugu une cinquantaine de kilomètres au sud-


sud-ouest de San Son chef Toto Dènbèlè aurait été selon autres sources vaincu
par MOnson et non par Da
14 Litt fais ta mort
15 Balansan est au sud-ouest de Kangaba près de la frontière entre le Mali et
la Guinée
16 Il agit des points extrêmes de empire sur axe est-ouest et sur axe
nord-sud Ginbo est peut-être Ginjo sur le lac Debo Kurusa Kouroussa se trouve
sur le Niger dans actuelle Guinée Biru est Walata dans le Sahel mauritanien
Tèngèrèla est situé au nord de la Côte Ivoire près de la frontière malienne
17 Selon les gens de Farak un seul des quartiers du village était jelij est-
à-dire habité par des captifs personnels des Dante Cependant le faama avait
semble-t-il attribué Tinyètigiba tout ou partie du butin de guerre de la compagnie
kèlèbolo de Farak qui comprenait outre Farak même tous les villages de la
rive gauche jusque vers Nyamina Les Dante avaient en outre des captifs dans
plusieurs autres villages de cette région Cf sur ce point BAZIN 1975 164)
18 Il fallait pour traverser le Niger payer son passage en cauris aux piroguiers
PRODUCTION UN RECIT HISTORIQUE 443

25 Donc continua ns si Dieu épargne Marna de Tinyè toi ne épargne pas


Si Dieu épargne Toto de Jakuruna qui est révolté toi ne épargne pas13 Si Dieu
épargne Basi de Samanyana toi ne épargne pas Si tu parviens détruire ces trois
villages je aiderai pour autant un mort puisse aider un vivant Père
répondit Da tu peux mourir tranquille 11
26 Alors ns mourut et Faama Da lui succéda Mais de ce dernier discours de son
père il ne voulut rien révéler avant la cérémonie funéraire finale sangabo]

27 Tu ne sais pas ce est sangabo Quand un vaillant guerrier ou un grand chasseur


mourait ses enfants ils en avaient les moyens fixaient une date et invitaient tout
le pays tous les chasseurs tous ceux qui se chargent animer les fêtes On pleurait
le défunt on contait ses hauts faits on se livrait toutes sortes de réjouissances
Les organisateurs de la fête faisaient de multiples dons ils distribuaient tout ce
ils pouvaient et on racontait en long et en large tout ce que le défunt avait fait
de son vivant est ce on appelait sangabo un tel
28 Da envoya annoncer partout au nord comme au sud du fleuve il faisait la fête
funéraire de son père Tout le pays arriva les trente-cinq compagnies envoyèrent
des détachements vinrent aussi des jeli griots des joueurs de xylophone parmi
lesquels un Maninka Malinké qui était de Balansan16 au Mande était noir de
monde les sept cent quarante hommes de la garde entouraient le roi une centaine
de guitares jouaient pour lui une centaine de tambourins étaient frappés par les
jeli on buvait de la bière
29 Da dit aux jeli de proclamer la foule que son père avait plongé dans la tristesse
que tous étaient maintenant des orphelins que le pays tout entier se trouvait
désormais abandonné sans père sans protecteur seul Puis il pleura
30 Alors Tinyètigiba Dante prit la parole et dit Tais-toi tu es pas un malheureux
orphelin Quand votre père vous laisse quarante cinq mille villages on est pas
orphelin Quand on peut boire le lait de mille vaches on est pas un pauvre
orphelin orphelin que vont élever de multiples jeunes servantes est pas un
pauvre orphelin Non tais-toi vraiment tu as rien un malheureux orphelin
Ton père te laisse quarante cinq mille villages tais-toi Le pays que tu hérites
étend de Ginbo Kurusa il étend de Biru tu es pas un mal
heureux orphelin
31 Le jeli se rassit et Da lui répondit Ah Ba Tinyètigi tu dis vrai Je te fais don
de Farako et de soixante villages Tous les gens de Farako sont des elijan cap
tifs de jeli mais ils ne veulent pas le dire17
32 Puis avan le joueur de xylophone le Maninka venu de Balansan devant le roi
assis en accompagnant de son instrument il chanta
Qui pas de cauris
Ne boira pas la bière de autre rive 18
Tinyètigi questionna Da qui est-ce est un étranger qui joue du xylo
phone des Maninka Dis-lui reprit le roi que je lui fais don de cent captifs et
de cent captives en honneur de son instrument Ce Maninka installa par la suite
le village de Kala sur la rive gauche ce nom de Kala désigne le xylophone car
époque on appelait cet instrument kalan et non comme hui balanin

som ou sumana) un corps de spécialistes formé de dépendants du roi qui lui


remettaient une partie de leurs gains
444 JEAN BAZIN

Ni ns jiginna ka bo kele fe gadamusok ba be togo tè


jiginna nana se da la de be na nègèsen mine ye be yele de be nègèsen
de mine ye ma ko ka ji uuru
34 tuma na sa bamananw ka laada la ni sangabo sera sa be ji ke fien no min
ka sogo joli ko min be cèfarin tege ko ka joli la togo ye ko
jisuurubaga ra kele la musok ba be na tege ko ka joli la
su nyènama de ka jisuurubaga ye
35 musok ba de tun be ke ns ye wilila sa ji ta sa uuru Faama
Da ye be ns tanu be ns ka donw ns ma ko
Wuruwara dabi
Fén nn ma
Hawusa gala
Segu ni Minyankala cè bananminikalama
Ba ni kolon cè
ko maa tè ye ye ka ban maako banna
36 ko Paama Da ko jo fa rö la nana kanto ko ba kaari ko
son jônmuso kèmè ni mugan ani jönkè keme ni mugan ko ta ye wilila ni
ye ka taa sigi Musok robugu dugu sigira tan ni tan
37 tuma Faama Da ka soro ka banfula ta ns bannen kalo saba ka ka
taa Jakuruna bon

19 Le récit est ici un peu confus Il agit du rituel de purification des proches
du mort Une vieille servante est chargée de prendre eau lustrale dans des cale
basses disposées cet effet et de la verser sur Da le ni du mort Est choisie la
servante qui du vivant de ns avait pour tâche de le purifier son retour
expédition pour éviter les effets nocifs du nyama ou énergie vitale des guer
riers tués)
Après un décès trois rituels de purification des proches du mort et de sa mai
son avaient lieu le troisième le septième et le quarantième jour La cérémonie dite
sangabb avait pas de date fixe elle se faisait dès on en avait les moyens
parfois très longtemps après la mort Mais ici elle se confond semble-t-il avec la
purification terminale du quarantième jour Cf. sur les rituels funéraires MONTEIL
1977 172)
20 Dabi engoulevent Macrodipteryx longipennis) est un oiseau nocturne
réputé dangereux et de mauvais augure ZAHAN 1963 73 Il aurait quatre ailes
fréquenterait particulièrement les cimetières tuerait les enfants et ferait enfler les
pieds de ceux qui marchent sur ses ufs selon Sumayla Fané Tèsèrèla dec 1977
Wuruwara désigne la couleur du plumage tacheté de brun et de blanc)
21 hovorna litt auréolé lumineux arabe nuv)
22 est-à-dire le pays des Minyanka au sud du Bani
23 La réponse est aussi bien celle de ns que celle de Da il agit en effet
de la forme habituelle par laquelle les Ngolosi répondaient aux salutations
PRODUCTION UN CIT HISTORIQUE 445

II avait une vieille servante dont ai oublié le nom qui venait tenir étrier de
ns lorsque arrivé sur le seuil il descendait de cheval son retour de guerre
et qui lui tenait aussi étrier il montait cheval est elle on chargea de
verser eau
34 cette époque en effet selon la coutume bamanan au moment de sangabo on
remplissait eau plusieurs calebasses Celle qui purinait du sang du gibier tué celle
qui lavait la main du guerrier pour en öter le sang humain on appelait jisuurubaga
la verseuse eau La vieille ainsi chargée de te purifier du sang humain ton
retour de guerre était durant ta vie comme après ta mort ta verseuse eau 1à
35 Cette vieille-là donc remplissait ce service pour ns Elle se leva alla prendre
de eau et vint la verser sur Paama Da Elle fit éloge de ns elle narra les
grands jours de sa vie et redit ce chant fait en son honneur
Engoulevent aux plumes tachetées20
Glorieuse21 chose noire
Indigo du Hausa
Bâtonnet en travers de Segu au Minyankala22
Entre le fleuve et le puits
Le roi répondit Personne quand tu as vu il plus autre humain.23
36 Puis la vieille servante ajouta Faama Da prends la place de ton père Femme
répliqua Da je te fais don de cent captifs et de cent captives est toi Elle
partit avec cela installer Musok bugu le hameau de la vieille est ainsi que
fut fondé ce village
37 Voilà comment Faama Da prit la coiffe royale Trois mois après la mort de ns
il partit en guerre contre Jakuruna

objet et le sens

II faut distinguer objet et le sens un récit objet est ce dont il


parle est par lui un récit est dit historique Par opposition au
récit de nction conte ou fable un récit apparaît comme historique
parce il pour objet un événement réel du passé Cela ne suppose pas
une communauté savante historiens ait préalablement testé et
prouvé par des critères externes la vérité objective du récit Un tel classe
ment serait ailleurs bien délicat tant il de manières de parler fausse
ment un événement vrai et vice versa Sera donc historique tout
récit que son narrateur et ses auditeurs ordinaires tiennent pour tel en
fonction du partage ils effectuent entre différents genres narratifs
Un public de langue bambara bamanakanf law distinguera par exemple
nsiirin fable ou conte utalen proverbe ou apologue des divers modes
narratifs propres la récitation des choses anciennes ko koro fasa
louange et plus particulièrement récit de style épique la gloire un
héros du passé buruju origine évocation des origines et des fonda
teurs une lignée etc.24
24 Cf sur ces points sans tenir compte des etymologies fantaisistes données
par auteur ZAHAN 1963 125 sq.)
440 JEAN BAZIN

Parce il se donne comme étant pas de fiction un récit historique


est toujours un piège on peut aisément croire que son objet lui tient lieu
de sens il ne dit rien autre que ce il raconte La lecture des ana
lyses de contes réunies par Denise Paulme 1976 me suggère un récit
historique est souvent un conte plus rusé le conteur conclut sa
fable par une morale explicite qui apparaît comme la cause finale de la
narration parce il agence des éléments évidemment imaginaires
chaque conte est un appel direct interprétation au décryptage Au
contraire la prétention du récit historique traiter un objet vrai tend
occulter la question de son sens au point que la poser peut même
paraître absurde On illusion que est simplement parce que événe
ment effectivement eu lieu il en narration Pourtant on en
parle ne nous dit pas pourquoi on en parle ni pourquoi on parle de celui-ci
plutôt que un autre Denise Paulme 1976 il montre que la le on
explicite du conte semble parfois mal venue ou comme interpolée elle
est souvent différente du message implicite dans le récit historique est
la dimension descriptive objectale sinon objective qui tient ce rôle de
premier plan trompeur généralement le narrateur ne tire point lui-
même une morale mais la le on histoire en cache une autre de politique
ou éthique qui reste pour ainsi dire faire
Le récit un événement donné comme historique et donc singulier
peut ailleurs inclure énoncé explicite un message vocation uni
verselle est même un procédé fréquent de certains narrateurs
professionnels maliens On en deux exemples dans le précédent
récit le discours de ns ses fils 10-15 est entendre comme
un véritable sermon sur les bienfaits de la solidarité lignagère de plus
il est présenté comme origine et explication une coutume rituelle
commune tous les Bamanan le faisceau de tiges de cekala on
suspend au seuil 15 Le récit prend ici de fa on marginale une
valeur mythique si on convient appeler mythe le récit de
origine une institution Il est bien sûr plus vraisemblable de
supposer que les narrateurs ont mis dans la bouche de ns cet
apologue25 précisément parce que la coutume en question était bien
connue de leurs auditeurs Mais oublions pas en occurrence le
narrateur adresse un étranger moi-même il est en droit de
supposer la fois ignorant et soucieux ethnographie
Deuxième exemple interversion de ordre des naissances des
deux princes est donnée comme origine une sorte de proverbe
on peut être premier sans être Cèf perdant son droit
aînesse quelques instants près par la goinfrerie un messager
est une fable humoristique bien connue de tout le monde et que
Sumayla Fané rapporte sur un ton peu sérieux26
Les multiples récits on peut entendre hui sur histoire
de Segu ne sont pas de même statut On pourrait pour introduire un

25 Sumayla Fané désigne lui-même ce passage sous le nom de ntalen proverbe


ou apologue 23]
26 Je dois cette remarque Shaka Bagayogo
PRODUCTION UN RECIT HISTORIQUE 447

début ordre distinguer deux modèles extrêmes un côté une narration


qui aurait autre fin que de communiquer un savoir du passé qui donc
aurait autre sens que son objet De autre le pur conte historique
où la référence au passé est plus un instrument narratif un pseudo
objet entièrement soumis impératif du sens Dans la pratique chaque
récit se tient quelque part entre ces deux pôles Un doyen de lignage
livrant ce il sait de histoire de ses ancêtres se situe plus près du pre
mier pôle Cependant la situation de neutralité artificielle implique
enquête ne doit pas faire oublier chance avoir été mémorisé de
fa on privilégiée précisément ce qui avait un sens dans une conjoncture
pratique donnée rivalités politiques ou foncières entre lignages ou entre
villages etc. Certaines métaphores usées les archives orales le
vieillard qui est une bibliothèque .. reflètent bien cette croyance
illusoire et dangereuse en une sorte de conservation des souvenirs par
simple inertie
Inversement art des narrateurs professionnels maliens généralement
de caste jeli tend se rapprocher du second pôle objet explicite du
récit est souvent plus un prétexte La le on éthico-politique que le
narrateur entend proposer son public le plaisir esthétique il veut
lui procurer deviennent les finalités dominantes du récit Par utilisation
éléments narratifs per us comme historiques noms de rois de guer
riers ou de batailles célèbres coutumes ou institutions disparues... il
recherche surtout aux dépens de exactitude multiples confusions de
noms anachronismes...) évocation parfois très réussie une atmos
phère héroïque et archaïque
On pourrait montrer comment la radio en offrant aux professionnels
les plus connus un public généralisé et anonyme pour conséquence
appauvrir le contenu historique des récits et de les tirer vers le
conte Les narrateurs sont conduits en effet supprimer tout ce qui
permettait de rattacher tel ou tel fait aux ancêtres de telle ou telle
famille localement connue Le souci de transmettre un message
signifiant pour tous tend exclure insertion jadis dominante du
récit des jeli dans un champ politique particulier Meillassoux
Meillassoux Sylla 1978 348 350 propose de distinguer entre les
jeli urbanisés libérés des anciennes tutelles dont art relève de
plus en plus de ordre du conte littéraire et philosophique et les jeli
encore liés au milieu social rural qui continuent être les déten
teurs une parole immédiatement efficace ne pouvant être mani
pulée avec prudence
en est-il cet égard de ce récit de avènement de Da Sumayla
Fané est pas un narrateur professionnel il fait uvre historien et
erudii La plupart de ses récits utilisent et combinent des informations
provenant de sources très différentes traditions familiales savoir des
lettrés musulmans etc. celui-ci cependant provient pour essentiel du
fonds narratif propre aux jeli ses cinq séquences en effet sauf peut-être
dans une certaine mesure la seconde se retrouvent fréquemment sous
448 JEAN BAZIN

des variantes diverses et parfois déplacées dans un autre contexte dans


les productions des professionnels
Le récit pour objet avènement du roi Da la suite de la mort de son
père ns est un fait bien connu qui se situe très vraisemblablement
en 1808 avènement proprement dit occupe pourtant une partie
du récit Da est abord officiellement installé litt assis ka sigi au
pouvoir par les principaux chefs du royaume conduits et représentés par
leur doyen 22]

est une cérémonie la fois de couronnement et intronisation


le roi revêt cette occasion une coiffe particulière quatre pointes
banfula ou masabanfula coiffe de roi 37 ka banfula ta prendre
la coiffe signifie accéder la royauté On lui remet en même temps
les divers insignes minen litt les affaires i.e les regalia de son
pouvoir hérités du roi défunt Puis on asseoit ainsi paré sur une peau
de uf blanc wolo-kansigi étalée sur une estrade de terre bènbè

Cette cérémonie avait lieu en principe le huitième jour après la mort


elle était suivie le quarantième jour après la mort une présentation
du nouveau roi la foule de ses sujets occasion des fêtes funéraires
publiques san gabo par lesquelles se clôturait le deuil est la des
cription de ces fêtes est consacrée la dernière séquence 27-37]
Tout le reste du récit pour objet expliciter les antécédents de cet
avènement est-à-dire expliquer pourquoi ce fut Da plutôt un
autre qui succéda ns ces antécédents sont la fois symboliques
et factuels Da porte les signes de son destin royal il est choisi par son
père comme héritier mais il doit aussi triompher de la crise ouverte par
opposition de ses frères objet du récit est ce qui en commande la
logique interne

exposition de ces multiples antécédents prend souvent le pas sur


événement lui-même si bien que objet du récit est pas toujours
aisément discernable Ainsi le récit de Sory Komara publié par Gérard
Dumestre 1979 183-273 traite bien en fait de avènement de Da
quoique cet événement apparaisse que très brièvement dans la
conclusion En intitulant Douga de Kore parce que épisode de
la guerre contre Dugak de Kore tient une grande place on fait
apparaître la construction du récit comme étrangement disparate
alors que cet épisode pour fonction de révéler le destin guerrier de Da
par opposition son rival Cèf en même temps que la nature
implacable et cruelle de son pouvoir il laisse enterrer vive la femme
qui par amour pour lui trahi son époux Dugak et permis ainsi
la victoire de Segu est donc un antécédent explicatif parce il
contribue déterminer qualitativement la force particulière qui
en la personne de Da arrive au pouvoir

Si objet du récit de Sumayla Fané est clair son sens au contraire est
beaucoup plus complexe et tout le reste de ce commentaire pour but
de tenter de élucider La première question poser est celle des conditions
PRODUCTION UN RECIT HISTORIQUE 449

de renonciation actuelle du récit Pourquoi Sumayla Fané raconte-t-il


avènement de Da Car le récit un événement est toujours lui-même un
événement dont le récit généralement ne parle pas
En ce jour août 1970 nous avons Sumayla Fané et moi un long
entretien sur les sujets les plus divers au cours duquel je suis amené
demander quelques précisions sur le plus célèbre jeli27 de Segu Tinyètigiba
Dante Le récit de avènement de Da vient en réponse ma question
Sumayla Fané se propose de expliquer par là comment Tinyètigiba
acquis sa très grande renommée comment il est devenu le plus puissant
des maîtres de la parole kumatigi) ces quasi-professionnels du verbe
qui se recrutaient généralement dans les groupes artisans castes Le
grand-père de Sumayla Fané Dnamakè de caste ïè forgerons
exer ait des fonctions de ce genre en particulier auprès des chefs de
Dugaso Mon ami Moulay Kida est présent animant le débat de sa verve
descend une lignée de caste maabo tisserands qui tenait également
cet office auprès des princes du Futa Le narrateur et lui commencent
par évoquer ce prestigieux lignage des jeli Dante des gens qui vrai
ment savaient parler olu ye kuma don yi Ainsi enclenche le
récit travers avènement de Da il sera donc question implicitement de
la parole kuma) de son efficacité politique et historique et des rapports
que le pouvoir entretient nécessairement avec elle Entre ce sens latent et
objet du récit la conjonction est pas de pur hasard au ur un
autre récit de avènement de Da celui de Taïrou Bambéra in Dumestre
1979 289-291) on trouve une proclamation qui pourrait servir exergue
celui-ci

Celui qui dit que parler kuma est rien


se trompe
car
rien arrive homme sans la parole
ni en bien ni en mal
rien arrive homme sans la parole
ni mariage ni enfant
Celui qui dit que la parole est rien
est que lui-même est rien

Au demeurant je crois on pourrait démontrer que la plupart des


récits produits par les professionnels du verbe ont au moins secondaire
ment ce sens être par une sorte de réflexion interne un éloge de la
parole et donc un plaidoyer pr domo ce qui se traduit par un mode de
représentation et de mise en scène de histoire selon lequel la parole est
pour ainsi dire déterminante en dernière instance

27 Le terme jeli est au sens strict le nom une des castes artisanales Le rôle
de maître de la parole ordinairement appelé griot est pas absolument un
monopole des jeli il peut être tenu par des membres autres castes Par ailleurs
les jeli ont généralement aussi une spécialité artisanale Segu ils étaient souvent
tanneurs ou cordonniers est pourquoi je préfère ne pas traduire le terme jeli
par griot
29
450 JEAN BAZIN

Les conditions de historisation

Le sens un récit est pas réductible aux conditions de son énoncia-


tion actuelle il faut en effet poser la question du sens des éléments nar
ratifs il agence ce qui nous renvoie aux multiples enunciations anté
rieures dont il est héritier et donc aux processus historisation qui ont
engendré le matériel narratif dont il se sert Question peut-être jamais
totalement soluble surtout dans une société où usage de écriture était
que très restreint ce qui nous interdit le plus souvent de pouvoir disposer
des versions anciennes des récits actuels28 Mieux vaut cependant tenter
répondre même par des hypothèses parfois aventureuses avoir
imprudence ou la naïveté méthodologique de ne pas la poser29
est la loi de tout récit il le dise ou non être récit un autre
récit ailleurs plus le narrateur entend être reconnu comme historien
plus il prend soin affirmer Sumayla Fané le premier il ne fait
que raconter ce il entendu raconter plus il revendique cet enracine
ment dans une tradition narrative Entre un récit et son objet tel événe
ment réel du passé interpose toujours ce on peut appeler son réfèrent
implicite un autre récit
Le réfèrent du discours narratif est jamais le fait brut événement rauet
mais déjà du narratif des histoires tout un bruissement de paroles qui précède
provoque accompagne et suit le cortège des guerres et des fêtes des travaux et des
jours et inversement le récit est jamais achevé car par principe le narrateur
adresse un auditeur le narrataire qui peut ensuite se faire narrateur faisant de
la narration dont il été le narrataire le narré une nouvelle narration )30
est-ce qui se transmet dans cette tradition Il jamais repro
duction simple il pas un énoncé initial dont les autres ne seraient
que la copie Comme montré Jack Goody 1979 chap la possibilité
une telle reproduction est en fait vraiment offerte que dans une civi
lisation disposant de écriture En absence un modèle écrit chaque
narrateur est consciemment ou non auteur il effectue un certain travail
de transformation conformément ses intérêts propres ou aux attentes
un public donné Mais ce travail est toujours une manière de retraiter
un matériel narratif hérité un stock événements mémorisés Chaque
auteur dispose un trésor un patrimoine dans lequel il sélectionne
des éléments avec lesquels il recompose un produit au moins partiellement
nouveau Chaque jeli acquiert un maître généralement lui aussi jeli

28 On trouvera un passionnant exemple de ce que peut être dans une société


de civilisation écrite histoire des récit successifs un grand événement dans le
livre de Georges DUBY sur Bouvines 1973)
29 Comme ont montré de récents colloques organisés par une vieille maison
de commerce coloniale au Mali il encore des gens pour croire que par la bouche
de tel jeli réputé un savoir insondable la vérité il sept siècles parle en
personne
30 Vincent DESCOMBES Le même et autre Paris ditions de Minuit 1979
216-217
PRODUCTION UN RECIT HISTORIQUE 451

la fois des techniques de composition accompagnement musical etc.


et un matériel narratif Ainsi tend se constituer une tradition narrative
particulière qui exclut pas innovation et enrichissement Pourtant
si on considère les récits que les narrateurs professionnels consacrent
histoire de Segu on peut constater une part que leurs objets sont en
nombre assez restreint arrivée au pouvoir de Maamari Kulubali celle
de Ngolo avènement de Da quatre ou cinq guerres célèbres la geste
du héros Bokari Jan...) beaucoup de faits majeurs étant presque jamais
traités sinon allusivement que autre part les éléments narratifs
utilisés sont souvent récurrents

Une fois un fait est vu promu ce rôle de trait narratif il peut


resservir tout propos de même on réutilise au gré des besoins
les mêmes thèmes rythmiques ou mélodiques Par exemple histoire
de la vieille captive qui grâce la générosité du roi installe le village
de Musok bugu est ici rapportée avènement de Da Mais on la
retrouve dans un récit31 faisant partie de la geste de Bokari Jan dont
les hauts faits se situent quelque trente ans plus tard Bak ba
Dante raconte que la vieille re oit ce don parce elle est la première
annoncer au roi Bèn de Kirango la nouvelle de la victoire du héros
contre son adversaire fula peul

En même temps que ce contenu narratif relativement défini se


transmet du même coup quelque indice des conditions historisation
dans lesquelles se sont forgés les éléments de ce contenu Un récit ne nous
informe pas seulement des événements eux-mêmes mais aussi de ce qui
les rendus signifiants du réseau particulier intérêts et de dispositifs
paradigmatiques au sein duquel ils sont apparus remarquables et dignes
être mémorisés Un récit est pas historique seulement par son objet
explicite il garde trace du passé dans son corps même trace au moins de
ce geste par lequel ce dont il parle fut un jour promu objet privilégié de
récit De la poussière de tout ce qui arrive ne devient événement que
ce dont il fut dit après coup que en était un En traitant trop exclusive
ment le récit comme une source comme un instrument de révélation
une réalité en soi présumée extérieure au récit nous avons tendance
négliger accorder la narration elle-même son plein statut acte
historique On pourrait dire le paradoxe ses vertus que par
exercice certes légitime et indispensable de la critique historique nous
engendrons un récit neutre et objectif qui est certains égards moins
vrai il est par définition tel aucun des acteurs ne énoncé
ni pu énoncer Chaque récit si éloigné soit-il du réel et tous
bien sûr ne le sont pas un égal degré en manifeste pas moins la
vérité une certaine pratique narrative et de ses conditions exercice
Le récit que ai choisi intérêt de nous donner voir en sa dernière
séquence une de ces circonstances majeures dans lesquelles les maîtres

31 Bak ba Dante Segou 4.5.1968)


452 JEAN BAZIN

de la parole attachés la cour avaient déployer leurs talents de narra


teur les funérailles du roi Le deuil est abord privé domestique
ensuite on sort le deuil sanga bo) on le porte sur la place publique
Les spécialistes racontent alors de long en large tout ce que le défunt
fait 27 Par effet de la parole le mort devient objet de discours absent
dont on parle tandis que parallèlement il cesse être un corps et migre
au royaume des ombres Ainsi opère un travail historisation qui
contribue au travail du deuil détacher les vivants du mort et les
sujets de leur ancien roi Tinyètigi grand maître des jeli répond aux
pleurs quasi rituels de par une consolation qui est aussi un récit du
règne écoulé en forme oraison funèbre 30]
On peut supposer que ces récits funéraires des rés gest du roi défunt
en répètent autres a-t-on pas conté déjà bien des fois les grands
jours 35 du règne occasion autres grands jours un stock
éléments narratifs produits au fil des événements les professionnels
extraient sans doute de quoi recomposer un nouvel ensemble approprié
la circonstance De récits faits au roi ou devant lui on tire un récit du
roi la fois épitaphe et enseignement destiné son successeur Mais du
même coup quelque chose ici se fige devient monument Un savoir
commémoratif institue un récit-type du règne de ns élabore
que vont répéter les récits futurs

Si Sumayla Fané ne reprend pas ici ces récits du règne de ns


faits le jour de ses funérailles est il agit en occurrence de
raconter histoire de Da et non celle de ns il suffit donc évo
quer ces événements discursifs dont histoire locale Farako 31]
et la toponymie Kala 32 Musok bugu 36] sont censées porter
trace pour témoigner des largesses du nouveau roi Le rappel de ces
chants la gloire de ns est argument un récit la gloire de
Da Au premier chapitre de histoire de Da il faut conter la générosité
dont il fit preuve en entendant narrer histoire de son père Mais
quand Sumayla Fané comme il le fit en janvier 1969 au cours un
long récit beaucoup plus construit et en partie écrit de toute histoire
de Segu raconte son tour les hauts faits du roi ns sur un ton
de panégyrique proche de celui il prête ici Tinyètigiba Dante
ne peut-on supposer que son récit par de multiples médiations
conserve quelque lien avec ceux prononcés devant Da lors de son
avènement

II est important de ne pas oublier que nombre des récits que nous
entendons hui ont vraisemblablement pour réfèrent non point
une historisation primaire quasi contemporaine de événement mais une
historisation secondaire produite largement après coup et en fonction
intérêts éventuellement très étrangers aux circonstances de événement
narré Je montrerai plus loin que tel est probablement le cas du récit de
avènement de Da Mais cette scène de funérailles le mérite aussi de
nous rappeler que même des récits qui semblent hui avoir pour
PRODUCTION UN CIT HISTORIQUE 453

but un divertissement littéraire ont en fait pour réfèrent lointain des


récits politiquement actifs
La parole des jeli en ce jour de sangabo contribue opérer avène
ment au moins dans sa dimension publique dans sa légitimité manifeste
alors que les querelles de succession derrière les murs du palais se sont
déjà tues La mort du roi est en principe abord tenue secrète ou plutôt
la nouvelle en reste officieuse

en septembre 1889 le lieutenant Marchand rend visite


Farako au nouveau roi Mari Jara ce dernier est pas encore pro
clamé faama quoique son frère Karam soit mort le 13 août
II ne peut être que le quarantième jour après la mort En attendant
le changement de règne est tenu secret et le nouveau roi règne sous
le nom de ancien Pourtant la succession est déjà réglée et les
principaux chefs ont déjà reconnu Mari comme roi32

Par un de ces simulacres dont se plaisent jouer les rites de passage on


fait un temps comme si le nouveau roi était encore ancien Puis la
parole éclate publiquement et proclame De identification abord feinte
et lourde de silence obligé on passe identification symbolique lumi
neuse est-à-dire médiatisée par les mots et par les gestes On sait que
héritage dans le lignage royal comme dans tout autre doit apparaître
non comme une simple transmission de biens ou de fonctions mais comme
une substitution de personnes On célèbre donc devant tous la puissance
de ns mais est Da qui réplique ces chants et ces narrations en
distribuant les richesses accumulées par son père

Dans une autre version33 est le jeli lui-même Tinyètigiba qui


pleure le roi défunt qui autre dit-il pourra se montrer aussi bien
veillant son égard que ns Alors Da le geste large lui offre
Farako un des principaux villages garnisons du royaume Provoqué
par ejeli Da démontre il vaut son père

est pourquoi aussi la vieille captive qui purifiait ns du sang des


guerriers morts répète son geste pour purifier Da de la mort de son père
En même temps elle adresse Da le chant dont elle glorifiait ns
et conclut prends la place de ton père 35-36]

Ce chant fait peut-être allusion aspect physique particulier du


roi défunt la noirceur de sa peau cf les vers et mais il évoque
surtout la nature la fois terrifiante oiseau nocturne et ordonna
trice elle sépare et unit les régions cf le vers de la puissance
royale En tant que tel le chant applique rétrospectivement
ns mais aussi prospectivement Da Certains de ses éléments
peuvent ailleurs figurer dans la devise collective du lignage dynas-
32 Notice sur le royaume bambara de Segou Renseignements Mage
Barth et Farako signé Marchand le 13 sept 1889 Niamina Archives natio
nales du Mali sér Monographies de cercle cercle de Segou)
33 Bwa Dante Segou 18.6.1969)
454 JEAN KAZIN

tique Zahan 1963 137-138 cet éloge Da réplique comme aurait


répliqué son père par orgueilleuse formule que pronon ait ordi
naire tout Ngolosi en réponse un salut 35

Tel père tel ni Il faut que par cette représentation solennelle un soit
autre Le même contenu symbolique est reproduit mais adressé un
autre comme pour réincarner dans ce nouveau corps la puissance de
Segu et de son lignage dirigeant La parole est chargée de mimer la conti
nuité Par la narration le présent se noue au passé
Mais la parole ouvre aussi avenir Da joue abord extrême abatte
ment de orphelin le jeli réagit en proclamant la puissance du roi
défunt est en manière de consolation bien sûr mais aussi avertisse
ment la cantonade on ne se laisse pas prendre cette image de
deuil le nouveau roi aura la force de ancien et de provocation le
rappel des limites de empire est un appel les dépasser 30 Da réagit
son tour non seulement par la générosité de ses dons ce qui signifie
déjà il pourra sans peine acquérir autres villages et autres cap
tifs mais aussi en lan ant la guerre contre Jakuruna 37] une place
rebelle que son père pas vaincue

Dans le récit que Sory Komara donne de la même scène est Da


qui proclame lui-même avec un tel héritage il vraiment pas le
droit de se dire malheureux et de sa richesse il fait aussitôt étalage
en offrant Farako Tinyètigiba Mais ce dernier lui réplique par
énumération des trois places rebelles restées invaincues ce est
en en triomphant que Da fera vraiment reconnaître il est bien
de la lignée de son père fakosi in Dumestre 1979 261-263

Sumayla Fané indique que Da attend la cérémonie dite sangabo la


fois de funérailles et avènement pour rendre public cet héritage dont
son père investi la liste des trois places qui restent vaincre 26
Sans doute ordonne-t-il son héraut de répéter la foule ce discours que
son père mourant est censé lui avoir tenu 23-25 Cet héritage guerrier
est un thème narratif fréquemment repris par les jeli modernes il permet
de vanter posteriori la puissance de Da il surpassé son père il réussi
là où son père avait échoué Mais ici ce thème est situé dans le contexte
qui fut peut-être celui de son efficacité initiale Nul ne sait cela va de soi
si ns effectivement tenu ces propos mais il paraît plausible que
Da le fasse dire Car la provocation vise également les guerriers assemblés
On fait comme si le roi mort adressait encore lui-même la foule pour
exiger vengeance est un devoir pour tout Segu de laver ces trois affronts
sa mémoire autant plus manifestes en ce jour que les rebelles ont
sans doute envoyé ni représentant ni contribution aux funérailles34 Il
34 Villages sujets et chefs vassaux devaient envoyer des offrandes aux funé
railles du roi Ne pas le faire était signe de rébellion Cf. par exemple le récit de
Tamura Kore in MONTEIL 1977 53 Sumayla Fané raconte aussi comment Jaku
runa Toto refusa envoyer ses représentants aux funérailles de ns Segou
14.8.1970)
PRODUCTION UN RECIT HISTORIQUE 455

agit par cet artince narratif de susciter la confiance des guerriers arme
indispensable de la victoire la bénédiction du défunt planera sur le jeune
roi et ses troupes si ces trois expéditions sont entreprises 23 est
manière aussi de ressouder un état unanimité quelque peu mis mal
par les débats sur la succession 17] de clore par la voix de ns la
crise ouverte par sa mort

Le parallèle impose entre ce récit provocateur qui ouvre un règne


et celui qui ouvre le combat lors de la veillée armes les spécialistes
de la parole attaquent ko bon successivement les guerriers les
plus réputés en leur narrant les exploits de leurs pères ou de tel preux
célèbre mort au combat Les guerriers réagissent en se livrant aune
surenchère de défis est ce on appelle baarabo litt sortir sa
tâche annoncer publiquement avance exploit on tentera le
lendemain)35 Ainsi le récit de la guerre enflamme la guerre dememe
que le récit du règne écoulé installe le règne venir Comme si pour
une action soit entreprise et réussie il fallait toujours la provoca
tion un récit du passé et la récompense ou la menace un récit
futur

On pourrait dire plus généralement entre le roi de Segu et ses


sujets tout semble transiter par une narration est bien sûr en partie
une illusion rétrospective due au fait il ne nous reste du royaume pré
cisément que des récits Il est vrai cependant en public le faama ne
parlait pas ou peu il exposait voix basse et brièvement son héraut36
ce il voulait dire puis ce dernier se chargeait de développer et de trans
mettre

Taïrou Bambéra raconte que Da lors de cette cérémonie avène


ment donne rapidement son jeli le canevas un discours justifiant
sa légitimité puis ajoute Moi Da je ne suis pas un jeli je ai pas
les prier ka dèli un homme de statut libre koronkê ne peut
prononcer plus de trois paroles de suite sans devenir un nyamakala
in Dumestre 1979 337-339 Il est en effet de bon ton que le koronkê
par opposition la fois aux femmes aux gens de caste ou nyamakala
et aux esclaves en dise le moins possible Parler de soi en particulier
manque de dignité ou marque une situation de dépendance une posi
tion de demandeur Mieux vaut faire énoncer ses propres actes par
un témoin shyèrè étiquette royale ne fait que pousser extrême
ce point honneur

Réciproquement il était aussi plus prudent de passer par un intermédiaire


spécialiste du discours et bien en cour pour adresser au roi On racontait

35 Sumayla Fané raconté le rôle que tint ainsi son père Numu Danseni
la veille un combat entre les troupes de Karam Jara et celles de Mädani Tall
en 1889 Il compare le rôle des narrateurs dans ce genre de circonstances celui des
services de propagande hui Segou 19.8.1970)
36 La charge de héraut dalaminè fut détenue abord par un lignage Kone
de caste jeli ensuite par un lignage Simagan de caste garange cordonniers
Karam Dèdèw Simagan Segou 20.7.1968)
45 JEAN BAZIN

donc sans cesse aux sujets les actes et les décrets de leur roi et au roi les
actes de ses sujets Chaque premier vendredi du mois lunaire le faama
donnait audience sur la place publique kènè étendant devant la porte
de son palais munyina là en présence des chefs des différentes compa
gnies on lui racontait tout ce qui avait été fait 37 Ainsi les maîtres
de la parole bardes prestigieux attachés la cour et ancêtres des nar
rateurs professionnels actuels occupaient-ils ce point de passage obligé
entre le prince et ses sujets était le récit Exclus de par leur statut
des charges officielles du commandement mais souvent fort puissants
defacto par leur rôle de conseiller du roi et par leur richesse) ni vraiment
princes ni vraiment sujets ils étaient pour ainsi dire les spécialistes de la
médiation les opérateurs privilégiés de ce rapport symbolique par lequel
il un prince pour des sujets et des sujets pour un prince Or il est clair
une telle fonction pu manquer avoir un effet déterminant sur les
récits ils ont produits et transmis et dont les récits des jeli actuels
portent au moins la trace

En 1818 armée de Segu est battue Nukuma par es fula de Seku


Amadu saih Ahmad leur retour les rescapés adressent abord
au jeli préféré de Da et lui content toutes les péripéties du combat
est historisation primaire Beaucoup autres récits circulent sans
doute parallèlement qui ont ni même forme ni même contenu récits
des exploits ou au contraire de la conduite peu glorieuse de tel ou tel
dont les captives gada de la ville vont peut-être faire des chansons38
Le récit au jeli du roi est certainement déjà biaisé Puis celui-ci
audience du lendemain met son tour en scène pour le spectateur
royal la présentation de armée battue haillons mines piteuses
visages ravagés par la faim Il agit par étalage du malheur des
vaincus de tenter obtenir leur pardon effet un tel spectacle
tant sur le roi lui-même que sur ses sujets est aussitôt soigneusement
compensé par le rappel oratoire des victoires passées du roi et de ses
pères Le jeli raconte alors la défaite deuxième récit qui répète le
premier mais en arrangeant il met tout échec au compte une
regrettable erreur tactique manière habile de nier la puissance de
ennemi la bêtise des guerriers ou incompétence de leur chef
sauvent la grandeur royale et ouvrent espoir une revanche Ba
Daget 1962 133-134 auteur du récit est pas précisé

Entre le souverain et ses dépendants les spécialistes du récit occupent


donc une sorte de tierce position illusoire neutralité ils sont de part et
autre tout instant invités fabriquer image que ses dépendants
ont du souverain aussi bien que celle le souverain de ses dépendants
En principe dévoués au pouvoir en place ils peuvent aussi contribuer

souvent
37 Les
38 Cèk
humoristiques
événements
Kulubaliniais
pouvaient
Segou
contenu
20.6.1969)
aussi
faiblement
faire objet
narratif
de brèves
généralement
chansons composées
donkili)
par les femmes du peuple On en trouve un bon exemple datant de la période tou-
couleur futaka) dans SOLEILLE 1887 451)
PRODUCTION UN RECIT HISTORIQUE 457

sa chute et de même le nom togo la fois nom et renom


un guerrier ou un chef ayant existence publique que par leur
parole ils peuvent leur gré favoriser ou entraver la carrière de chacun
La parole des narrateurs apparaît aux acteurs comme une force jamais
totalement contrôlable laquelle il faut constamment sacrifier 39 pour
obtenir elle soit propice
est pourquoi le nouveau roi dès son avènement doit commencer
par renouer solennellement alliance du pouvoir et de la parole en dis
tribuant généreusement les biens il hérite ceux qui la détiennent
ai déjà indiqué que cette scène finale est dans intention du narrateur
le but et le sens de tout le récit avènement de Da est occasion de
vanter la puissance de son jeli En fait le célèbre Tinyètigiba était vrai
semblablement mort en i8o840 mais son nom fait figure de symbole
tinyè-tigi est littéralement celui qui ou qui tient le vrai acteur
royal quelque certain de soi il puisse être est séparé de sa vérité
un autre son alter ego placé en miroir détient et fait reconnaître Ce
nom est ailleurs un quasi-titre qui se transmet ses fils autres
sources précisent que le jeli préféré de Da était en réalité Tinyètigiba
Nincènin Tinyètigiba le Jeune 41 Il semble après certains récits42
que Tinyètigiba ait aidé Ngolo fondateur de la dynastie et grand-père
de Da conquérir le pouvoir 1766-1770 Ngolo et peut-être aussi
ns ont fait sa richesse et sa puissance Da ne peut donc que réaffirmer
ce pacte déjà ancien entre les deux lignages est un peu comme si la
puissance de la dynastie et celle du lignage jeli étaient directement pro
portionnelles une signifiant autre aux yeux du public hui
comme en 1808 est pourquoi cette scène du don Tinyètigiba est
aisément déplacée un règne un autre et vient en particulier servir
élément narratif quasi obligatoire dans le récit de avènement de Da
Mais est également pour les narrateurs successifs une fa on de rendre
implicitement hommage leur art le plus puissant des roi de Segu doit
commencer par assurer le concours de son jeli et de ses narrations Les
récits de histoire de Segu ne disent pas seulement le passé ils portent
aussi témoignage il avait pas Segu histoire sans récit histoire
faite sans histoire dite Vérité sans doute universelle43 mais où exprime

39 Faire des dons un jeli se dit ko jeli son litt arroser un jeli est le verbe
qui désigne le geste sacrificiel on arrose autel du sang de la victime)
40 Selon Buba Dante il serait mort sous le règne de ns Segou juillet
1968 Buba Dante décédé en 1969 était aîné de ses descendants après les
généalogies il paraît peu probable il ait pu vivre sous Da Le personnage que
Mungo Park rencontre en 1805 et il nomme Jower ainsi que le Guiawe chez
qui loge Isaac en 1810 est vraisemblablement Jaw Dante un fils de Tinyètigiba
PARK 1815 278 319)
Tamura
41 EtKore
non inTinyètigiba
MONTEIL 1977 ba 9o)est-à-dire Ancien BA DAGET 1962 133
42 Karam Tarawèlè dimini 2.2.1969)
43 histoire le mot histoire désigne la fois un procès ou une action
réelle et le récit de cette action Récit qui tout la fois énonce action et la
produit ... Le procès même de histoire se manifeste en chaque instant comme
double action et récit FAYE 1972 24.
458 JEAN BAZIN

aussi intérêt ont les narrateurs rappeler que tout pouvoir si grand
soit-il doit toujours composer avec le leur Ceux dont la fonction est de
parler ne peuvent pas ne pas dire que Histoire passe par la parole et que
tous les rois du monde dépendent du bon vouloir des mots

Les signes de la puissance

où vient cette force du récit quel est son ressort ou son secret
On pourrait dire me semble-t-il un récit est efficace que dans la
mesure où il produit des signes où il opère la transmutation des événe
ments en signes Le pouvoir est un fait expérience et peut ce titre être
raconté Mais le récit des jeli est jamais une simple chronique sa magie
propre est de suggérer que derrière les phénomènes est uvre une
puissance aussi mystérieuse que déterminante jamais directement per
ceptible mais dont la présence se manifeste et peut se repérer certains
signes il une physique du pouvoir ce genre de récit relèverait
plutôt une métaphysique de la puissance
Le pouvoir se constate mais sa force reste ainsi de ordre de accident
encore presque innocente Par la représentation narrative ou par tout
autre effet de mise en scène) le souverain est au contraire posé dans sa
différence radicale dans sa nécessité historique est pourquoi entre le
roi et les gens de caste qui racontent son histoire ou celle de ses prédéces
seurs il la fois stricte hiérarchie et réciprocité de fait Le pouvoir
se prend mais la puissance elle ne peut que se dire Entre acteur et le
narrateur de histoire royale il donc en un sens égalité puisque un
apparaît comme acteur déterminant et unique de histoire que dans et
par le récit de autre Le roi besoin de historien car le pouvoir poli
tique ne peut trouver son achèvement son absolu que si un certain usage
de la force est le point application de la force du pouvoir narratif 44
Le récit un jeli ne décrit des faits en apparence en réalité il
accumule et agence subtilement des indices de la puissance immanente
qui est censée habiter la personne singulière du souverain et lui conférer
la capacité ordonner le monde selon sa volonté On croit il est ques
tion histoire alors il agit plutôt de cosmogonie politique Par là
se trouvent piégés en un premier temps les sujets du roi et en un second
temps ceux entre nous qui ne voient là que littérature épique On récite
avec art sinon histoire du moins des histoires mais auditeur en sort
lesté une théorie de histoire qui tient en deux propositions le
monde est nécessairement dominé par quelques individus doués une
puissance dont le commun des mortels est dépourvu est grâce la
parole aes jeli on la chance de le savoir est-ce pas toujours par un

44 Louis MAR 1979 propos du Projet de Histoire de Louis XIV


par lequel Pellisson effor ait obtenir la charge historiographe officiel
Cf également MARIN 1978
PRODUCTION UN RECIT HISTORIQUE 459

leurre de ce genre que ceux qui subissent le pouvoir en deviennent


proprement parler les sujets est-à-dire presque les complices Ainsi
que le dit Claude Lef ort 1972 413 415 commentant Machiavel la
transcendance du pouvoir grâce quoi le peuple se rassemble dans son
unité et cesse être simple matière de oppression ne va pas sans le
déploiement un imaginaire est dans cet art de rattacher chaque
action particulière une certaine image du prince que les narrateurs
professionnels de Segu sont depuis longtemps passés maîtres
Le récit de avènement un roi est de ce point de vue particulièrement
exemplaire il se doit en effet de réduire ce scandale initial de toute sou
veraineté pourquoi celui-ci plutôt un autre en vient-il représenter
tous les autres Par quel miracle tel individu se met-il incarner la
collectivité Ou bien ordre est que hasard ou bien il faut pouvoir
dire qui ou ce qui fait roi En apparence le récit montre par quel
enchaînement événements Da est devenu roi en fait il démontre il
ne pouvait en être autrement que la puissance personnelle de Da était
telle elle ne pouvait que forcer histoire Le récit déploie cet effet
une série de signes
Da naît le second mais est reconnu comme le premier 1-2 6-8
Da est un individu difficile engendrer implicitement en effet si
ns dû aller invoquer le da de Masala pour avoir un fils est
il redoutait de ne pas en avoir
Da un corps hors de ordinaire monstrueux
Da devient roi malgré opposition de ses frères et une partie de
opinion publique 17-19
Da impose grâce un bracelet enchanté qui est englouti par le fleuve
I8-2I]
Pour il ait signe et il soit compris il faut un code On peut
montrer que chacun de ces traits narratifs résulte de application impli
cite un ensemble de schemes paradigmatiques Ce code non formulé
mais plus ou moins reconnu par tous est pas propre Segu ni même
aire linguistique bambara il est uvre non seulement dans les
récits historiques mais aussi dans les contes et dans les énoncés cosmolo
giques et cosmogoniques recueillis par école de Griaule Enfin il est
pas de ordre du vestige il reste opératoire intérêt porté par le public
malien ce genre de récits tient notamment ce ils fournissent les
éléments une méditation sur le pouvoir toujours actualisable et même
parfois allusivement actualisée Ces schemes constitutifs une théorie
latente de la puissance fonctionnent une part comme principe de légi
timation le roi et ses narrateurs produisent et diffusent des signes qui
seront mémorisés et répétés par les récits futurs et autre part au
travers des multiples historisations rétrospectives comme principe ex
plication posteriori histoire est arrangée réordonnée par le travail
narratif processus de sélection les faits non signifiants sont oubliés ou
censurés) de déplacement un événement est par exemple transféré un
460 JEAN BAZIN

règne un autre) de déformation et de correction un événement réel


est raconté selon angle sous lequel il apparaît signinant)
Une première série de signes pour effet de révéler unicité de la
personne de Da il est unique parce il est rare difficile engendrer)
parce il un nom étrange parce que son corps est extraordinaire La
légitimation de avènement échappe ici toute logique du contrat Le
roi est pas roi parce que tous le veulent bien il est pas différent de ses
semblables en ceci seulement ils ont élu leur tête Il pas de
semblable il est le dissemblable par excellence Il est autre emblée
par nature peine né est justement son extrême singularité qui le
désigne et le destine représenter incarner universel
Le roi conquérant le souverain fondateur Maamari Kulubali Segu
Sunjata au Mande par exemple) le grand guerrier sont chargés dans leur
personne même une telle violence que leur existence apparaît incompa
tible avec la reproduction féconde avec la multiplication de la vie est
pourquoi ils sont une manière ou une autre difficiles engendrer
nés après une longue stérilité ni uniques de leur mère etc. et menacés
de stérilité les magies invulnérabilité sont censées rendre stériles ou
tout au moins infécondité relative ns comme son père Ngolo était
dit-on ni unique de sa mère et dut subir le dédain et hostilité de ses
nombreux demi-frères est pour cette raison45 que ns redoutant
lui-même être infécond serait allé invoquer les deux jarres da sacrées
jumelles de Masala46 et aurait passé avec elles ce contrat sous serment
dafalen litt échange si tu me donnes un fils je lui donnerai ton
nom Da apparaît donc comme le fruit une intervention surnaturelle
exceptionnelle obtenue par serment un dafalenden Et de là lui viendrait
ce nom étrange qui est pas ordinaire un prénom est le terme
générique daga forme contractée da ou daa) désignant tous les réci
pients en terre cuite interprétation de Sumayla Fané est plausible
nombreux sont en effet les prénoms dont le sens est de rappeler la force
surnaturelle ou ancestrale censée avoir permis la naissance48 Mais son
intérêt majeur me paraît être ordre symbolique on suggère ainsi en
effet que Da est dans son existence même le produit une sorte de
tradition infécondité relative Da le troisième des grands rois de la
dynastie doit nécessairement comme son père et son grand-père avoir

45 Comme le suggère Sumayla Fané dans un autre récit Tèsèrèla 26.1.1969)


46 Il agit de deux grosses jarres une femelle autre mâle posées
sur des trépieds de bois et gardées par les Kulubali du quartier Soninna de Masala
est un des objets magico-rituels boli ou nyanan les plus connus de la région
47 La forme brève Da semble usage récent Isaac le guide de Mungo Park
écrit Dacha soit peut-être en arabe Daha Mage écrit Dah
48 Cf. par exemple Nyaanson de nyanan objet de culte ns de ou
ke grand-père ancêtre On obtient de la même manière Dason sur la
racine son cf 39 Il existe autres interprétations du nom Selon un mori de
Segou Abdulay Mori Jirè ns aurait demandé aux connaisseurs donbaa
de lui fournir le nom un kafiri païen des temps anciens particulièrement redou
table gelen dur difficile Da serait ainsi la forme abrégée de Dagayanusa
(Segou 29.5.1968)
PRODUCTION UN CIT HISTORIQUE 461

été difficile engendrer Cette exigence de sens exerce même aux dépens
des faits car une part on accorde très généralement attribuer
ns plus une vingtaine de fils et autre part Da était pas
semble-t-il le seul fils de sa mère49
Le futur grand roi est aussi un rejeton anormal50 un être hors de or
dinaire ce qui est une autre manière être unique Son corps est
marqué une monstruosité en occurrence cette touffe de poils dans le
haut du dos On sait que selon la psycho-physique bambara plus un
être est exceptionnel non conforme son genre ou simplement rare plus
est réputée grande la quantité énergie offensive et défensive ama
il recèle Zahan 1963 147 est selon un tel critère par exemple
que les chasseurs classent les différents gibiers Le souverain est un être
extra-ordinaire qui frappe étonnement dakabana mogo 5] son corps
est éminemment dangereux Sumayla Fané ajoute que Ceba Tiéba)
le fameux roi de Sikaso Sikasso) avait cette même touffe de poils ce
même signe taamashyèn Cette comparaison laisse deviner que le
récit rétrospectif du pouvoir imbrique étroitement un savoir général
des signes qui peut être aussi usage prospectif On raconte ainsi que
Ngolo Jara portait son avenir prestigieux écrit dès son enfance dans la
forme de son crâne Il faudrait reconstituer bribes par bribes toute cette
anatomie et cette physiologie de la puissance que manipulent les devins
tinyèdala celui qui pose le vrai et les connaisseurs donbaa de
tous genres Da avait-il vraiment cette touffe de poils Il est clair que
nous ne le saurons jamais Mais on peut supposer il avait quelque
intérêt le faire croire Un signe qui révèle ou annonce la puissance peut
aussi servir prouver on Le récit pourrait bien être ici objective
ment faux tout en étant la trace une mise en scène réelle

Le faama de Segu se devait avoir un souffle nyonkan parti


culièrement bruyant et inquiétant mais quand le signe manquait
on le fabriquait Taïrou Bambéra raconte que Da avant de se pré
senter pour la première fois assemblée de ses sujets prise pour dix
cauris de tabac en poudre afin de rendre plus méchant son souffle
nyonkan goyara in Dumestre 1979 339)

Da aurait eu cette touffe de poils sur la nuque ou le haut du dos


jaki est endroit où attache la crinière jakisi Le corps du roi
apparaît ainsi partiellement animal il est autant plus inquiétant il
est extra-humain de même Sunjata par exemple durant son enfance
est incapable de marcher ce semblant de crinière vient si on peut
dire servir de support la métaphore la plus couramment utilisée pour
désigner la violence exerce le roi sur ses sujets ou ses ennemis il est

Ba 49
JaraSaSegou
mère Ba
28.5.1969)
Joni eut également pour fils Sann dit aussi Jonin Ba Kirango
cf PAULME
50 Sur ce
1976
thème104)
du futur roi qui est un enfant difforme Sunjata dipe...)
462 JEAN BAZIN

un fauve wara) est-à-dire un chasseur hommes maafaadonso


Les jeli vantaient ns par ce chant Les veaux ne savent pas que
Jara est un fauve mais leurs mères le savent 52
histoire de interversion des deux frères du premier-né qui devient
cadet par la faute un messager gourmand est un thème narratif très
répandu Pour rester peu près dans la même aire culturelle je me conten
terai de signaler on la raconte aussi propos de Sunjata53 ai
indiqué plus haut que Sumayla Fané lui-même ne lui accorde vraisembla
blement pas grande valeur historique est une légende stéréotypée très
dans la manière des griots-conteurs Son attribution Da est pourtant
ancienne on raconte déjà histoire Mage 1868 403 lors de son séjour
Segu en 1865-66 Cependant Tamura Kore dont le savoir se constitue
quelques années plus tard en fait pas mention dans le récit il donne
Charles Monteil 1977 39-101 en 1902 mais Tamura rè est un
chroniqueur remarquablement informé et précis pas un conteur a-t-il
pas pourtant sous ce déguisement narratif le souvenir un fait réel
Chaque légende sa part de vérité en ce sens que son invention est
jamais tout fait gratuite Nous savons que Da bien régné avant ses
oncles et il donc eu entorse la règle normale de succession ligna-
gère succession dite en Dans les années 1787-1790 ns dû
faire face une rébellion de ses frères Après sa victoire tous ont pas
été tués Certains tel Dna Seri de Ns nna) surtout coupables avoir
voulu rester neutres furent laissés en vie tout en étant exclus du lignage
de la ngolosiya) eux et leurs descendants Monteil 1977 76-81 Ils
avaient donc en principe en 1808 pas droit la succession ce qui
interdit pas de penser ils aient encore compté des partisans Mais
affaire est sans doute plus complexe selon Buba Dante54 Cèf aurait
été un frère cadet et non un ni de ns Il est pas impensable que
Ngolo ait eu sur le tard un fils de même âge que son petit-fils Da et
par là même trop jeune en 1787 pour avoir été impliqué dans la guerre
civile Certes Cèf est très généralement présenté comme un frère cadet
de Da mais il peut agir une correction ultérieure de la généalogie
promue vérité officielle55 Il est donc possible que le récit substitue ici un
écart minimal quelques heures génération égale un écart maximal
différence une génération) il soit une manière euphémisée évoquer

51 épithète est habituelle chez les jeli pour désigner Maamari Kulubali
52 Sumayla Fané 14.8.1970 Jara le nom honneur jamu du lignage dynas
tique signine aussi lion Sur le thème du roi-fauve cf PAULME 1976 90 sq.
ami du lion
53 Récit de Bamba Suso Sunjata transcrit et traduit in INNES 1974 42-
43 Voir aussi les fondateurs de dynastie songhay des Sonni qui sont présentés
par le rîh al Sudan chap comme deux frères nés durant la même nuit de
deux urs les nouveau-nés sont placés dans une pièce obscure car il est interdit
de les laver avant le matin Le premier lavé devient aîné
54 Segou juillet 1968
55 Il est possible aussi que Cèf ait été le fils de un des frères de ns
et donc un frère classi ficatoire de Da Selon Bwa Dante Segou 18.6.1969)
parmi ceux que on considère comme fils de ns figurent aussi en réalité des
ls de ses frères
PRODUCTION UN CIT HISTORIQUE 463

une transgression de la règle de succession En effet le savoir historique


le plus populaire peut garder trace événements censurés par la tradition
plus officielle
Reste que ce trait narratif pu se transmettre et se diffuser que
parce il était particulièrement signifiant il ne sied pas que le grand
prince conquérant ait régné simplement parce il se trouvait être
héritier légitime Sa force propre sa vertu personnelle et immanente
devait de toute manière imposer En lui et par lui vit une puissance qui
ne peut que retourner son profit ordre des choses ordre contingent
des naissances par exemple est donc un moyen évoquer cette puis
sance que de présenter le roi comme un héritier illégitime La théorie de
la puissance implique on fasse fi des formes constitutionnelles de légi
timation Le roi de Segu est toujours un personnage double face une
part il est le souverain de droit celui qui instaure et gère un certain
ordre intérieur un espace politique donné autre part il est or
ganisateur de la guerre une sorte entrepreneur qui ne se juge sa
réussite un souverain de fait qui est légitime que dans la mesure où il
est victorieux Aux yeux de ses dépendants les plus directs les guerriers
quasi professionnels de Segu et des villages garnisons proches de la
capitale est ce second aspect qui prévaut Grâce en partie la médiation
des narrateurs chaque victoire est per ue la fois comme la preuve et
comme effet de la force fanga personnelle de celui on appelle
justement Segu jaama contraction de fanga-ma le fort Or si la
charge de roi masaya peut bien hériter cette force elle ne hérite
pas56 elle est une qualité on ou on pas un destin singulier
on puisse la conserver ou accroître par diverses pratiques
Elle ne se prouve en définitive au combat est pourquoi avènement
du roi se conclut par sa première guerre la guerre de prise de coiffe
banfulatakèlè 37] pour laquelle il convient de ne pas choisir un adver
saire trop médiocre Mais le récit peut en indiquer la présence par autres
signes ce qui est pas sans efficacité militaire puisque le secret de la
victoire réside en partie dans la confiance des guerriers en cette force qui
les mène figure aliénée de leur propre puissance collective inversion
de ordre normal de succession peut justement être un des signes de
cette force qui ne hérite pas

II avait dans la région de Segu des personnages portant le titre


de masa roi qui dans un secteur territorial bien défini assuraient
des fonctions de juge-arbitre et de roi-prêtre Ils ne disposaient
aucune force coercitive et avaient même pour interdit parmi beau
coup autres la guerre il éventuellement transformation
de ce pouvoir de paix en un nouveau pouvoir guerrier le récit indique
il eu transgression de la règle de succession Si Nani Nje par
exemple fils du masa de Tawa reconstitue son profit un pôle

56 propos un ancien lignage de chefs les Koyta) supplanté la nn du


xvne siècle par les Kulubali un chant dit tout fils obtient pas la force den
bée te fanga soro Amadu Bari Segubugu 26.5.1969)
464 JEAN BAZIN

de domination est dit-on il volé les regalia de son père 57


illégalité de leur appropriation est le signe un changement de
nature du pouvoir que ces insignes symbolisent On retrouve la même
logique dans le récit traditionnel de la fondation du royaume du
Wagadu par Tudo Yaresi in Monteil 1953 376 au moment où
Dinga sur le point de mourir va bénir son successeur le cadet Jabe
se substitue son aîné Khine grâce un stratagème identique
celui utilisé par Jacob aux dépens Esau il revêt une peau de bête
pour imiter le corps particulièrement poilu de son frère Mais du
même coup la nature du pouvoir change autour du cadet rusé illé
gitimement investi une troupe guerrière vient se concentrer partir
de laquelle se constitue tat de Wagadu

Ainsi le pouvoir violent paraît-il provenir une violence initiale faite la


règle de transmission est pourquoi Paama Da troisième et dernier des
grands rois guerriers de la dynastie Ngolosi ne peut être un cadet qui
règne avant son aîné ne serait-il le plus jeune que de quelques heures
par un écart que nous dirions justement symbolique
De même il faut que Da comme son père ns et son grand-père
Ngolo accède au pouvoir issue un conflit autre manière de
mettre épreuve sa puissance Il paraît pourtant peu probable que
avènement de Da ait pu être sérieusement contesté ns avait
certainement eu le souci éviter que ne se reproduise sa mort une crise
comparable celle il avait dû affronter en 1787-1790 et qui avait si
gravement mis en péril la domination de Segu Son discours ses ni tel
que le rapporte Sumayla Fané 10-14] reflète bien ce dû être sa
politique cet égard Nous savons par le deuxième voyage de Mungo
Park 1815 273) en 1805 Da le fils aîné est déjà officiellement
prince héritier il re oit ce titre sa part des dons que Mungo Park fait
au roi Après avoir installé abord Npèbala ancien village prin
cier dendugu de ns lui-même son père crée ensuite pour lui
Banank qui devient vite un des plus importants villages garnisons
du royaume Da se voit confier en enet nombre expéditions importantes
et obtient de conserver pour lui une grande partie des captifs il en
ramène58 Ses frères au contraire sont installés dans des villages princiers
de moindre importance et plus éloignés de la capitale Tamura Kore
dont le père était contemporain de Da59 ne mentionne dans sa chronique
une discussion ordre purement privé et vite réglée entre Da et ses
frères propos de la répartition des épouses de ns

Da tranche rapidement le débat en affirmant


Pour moi je ne vois dans héritage de notre père que arc et
les flèches
Eh bien prends-les exclame un des frères puisque tu es notre

58
57 Banank
Cèk Tangar
17.5 Tona
969 31.7.1970)
59 Selon son fils Abdulay Tamura Kore serait né vers 1850 et mort en 1916
PRODUCTION UN CIT HISTORIQUE 465

aîné et que nous avons aucune envie de nous disputer comme notre
père et ses frères Monteil 1977 90.
Il est cependant significatif que Tamura Kore rapporte cette
petite dispute comme il fallait tout prix il ait eu conflit
quitte se servir une querelle mineure telle il en surgit chaque
décès du moindre aîné de lignage

Le conflit tel que le raconte Sumayla Fané est plus sérieux il


porte sur la question du pouvoir même il faut entendre en effet que si
Da enterré seul et rapidement son père est pour approprier les
insignes de la fonction ainsi que les talismans dont est revêtu le corps
du roi60 La succession se trouve réglée de facto avant même avoir été
ouverte La protestation de ses frères ne relève en apparence de la
pure piété filiale ils exigent en réalité que le pouvoir de leur père soit
scindé et réparti Or on peut remarquer que est précisément ce qui se
passe selon Tamura Kore in Monteil 1977 90) au moment de la mort
de Ngolo ns procède une inhumation clandestine de son père et
déclenche ainsi la longue guerre civile avec ses frères Certes dans le
récit de Sumayla Fané ce conflit ne dépasse pas le simple débat opi
nion mais il en va pas de même dans la version que donne Taïrou
Bambéra in Dumestre 1979 309 sq. selon lui les gens de Segu
auraient manifesté une hostilité quasi unanime accession de Da au
pouvoir celui-ci en aurait triomphé en ordonnant sa garde person
nelle de massacrer par traîtrise dans le palais un certain nombre de
notables Il faut ajouter que il est peu probable que avènement de Da
ait été occasion un tel conflit public celui de son successeur Cèf fut
au contraire semble-t-il vivement contesté selon Tamura Kore in
Monteil 1977 97) Da aurait tenté avant sa mort imposer comme succes
seur son ls Cèkura pendant huit mois la situation resta confuse les
troupes de Npèbala soutenant Cèkura litt dernier gar on celles de
Segu-sik et de Segu-k soutenant Cèf litt premier gar on 61 ce
dernier finit par imposer en tendant un piège au chef de Npèbala Il me
paraît vraisemblable que ce récit de avènement de Da dans la version
faible de Sumayla Fané comme dans la version forte de Taïrou Bambéra
se soit peu peu constitué par un déplacement sur Da éléments narratifs
empruntés aux récits des avènements de son prédécesseur ns et de

60 Le bracelet mystérieux de Da entre en action au moment précis où les frères


exigent exhumer ns 20-21 peut-être est-il ainsi suggéré que le bracelet
est pas sans lien avec le cadavre précipitamment enterré les masa dont ai parlé
plus haut portaient un bracelet de cuir contenant des os de leur prédécesseur
Ainsi intervention du bracelet au pront de Da serait indirectement celle du mort
lui-même Il est possible il ait ici le souvenir très effacé un rituel interroga
tion du cadavre destiné déterminer héritier légitime Un passage obscur du récit
de Tamura Kore MONTEIL 1977 76 est peut-être sous réserve enquêtes ulté
rieures une allusion un rituel de ce genre
61 Il est possible que les prénoms des deux rivaux soient des surnoms donnés
cette occasion Cependant Cèkura et peut-être aussi Cèf est une appellation
de substitution elle permet éviter de nommer ancêtre dont enfant porte le
nom
30
JEAN BAZIN

son successeur Cèf Comme il avait fallu corriger posteriori histoire


de manière ce que Da sous lequel le royaume atteint sa plus grande
extension apparaisse comme doté une puissance au moins équivalente
celle de ns le grand organisateur de empire inversement le
conflit entourant le début du règne de Cèf est généralement oublié
parce que comme je indiquerai plus loin Cèf apparaît certains
égards comme un roi pacifique

Le cinquième signe le bracelet magique qui engloutit dans le fleuve


est un statut différent abord parce que selon le récit est Da lui
même qui le produit au sens où on produit une preuve pour mettre
fin cette épreuve de sa puissance que constitue opposition de ses frères
et une partie de opinion publique Ensuite parce ce signe se révèle
la seconde face du pouvoir royal sa puissance organisatrice et fécondante
symbolisée par le fleuve
Une telle scène où le nouveau roi met fin la crise de interrègne par
une démonstration du caractère exceptionnel et surnaturel de son pou
voir est caractéristique des récits avènement

la mort de Maamari son fils aîné Bakari qui re une éducation


musulmane Jene enne) se heurte opposition de son frère
Jek II convoqua les esclaves raconte Tamura Kore et quand
tous furent présents prenant une main une étoffe merveilleuse don
des marabouts de enne il la jeta en air elle éploya magnifique
ment au-dessus de Bakari et de son frère Dé-koro Jek assis près
de lui Le ton-masa Tonmasa un des principaux chefs se passa alors
une bande de toile de coton autour du cou et vint humblement en
remettre les bouts entre les mains de Bakari en lui disant par la
volonté de notre maître Maamari dit Biton] je suis et demeure ton
esclave In Monteil 1977 52.
De même dans le conflit précédemment évoqué Cèf fait venir
Nso le chef sofa de Npèbala qui soutient son rival Soudain au
milieu de la cour Cèf lui apparut tout de blanc vêtu une queue de
vache suspendue au poignet et tout autour de lui des gens étaient
prosternés Ibid 97. Impressionné Nso se soumet il est vrai il
vu en entrant les gardes du roi prêts assassiner

Ces récits gardent sans doute ici le souvenir un des moments majeurs
du cérémonial avènement devant le roi en majesté muni de tous
les attributs de sa fonction les principaux de ses sujets font acte de
soumission
Le bracelet de cuir est riche de sens bagaa désigne une gaine de peau
en forme anneau intérieur de laquelle les mori placent un talisman
le plus souvent un écrit seb n) est-à-dire un fragment recopié du
Livre divin Puis le bracelet engloutit dans le fleuve est aussi le flux
de eau évoquent écharpe merveilleuse de Bakari et le vêtement
blanc de Cèf eau en particulier celle du fleuve est analogue du
PRODUCTION UN CIT HISTORIQUE 467

Verbe de la parole en tant que principe ordonnateur du monde On sait


en termes cosmogoniques la puissance créatrice est représentée comme
la relation de deux forces opposées et complémentaires vient abord
Pènba le fabricateur des choses fén) dont action est proprement
ouvrière et donc violente il naît avant terme en arrachant son propre
placenta et est un être unique en ce sens il est séparé de son double
femelle lui seul ce premier principe ne peut engendrer finalement
que désordre et stérilité Le monde est abord raté Il faut alors in
tervienne Faro le génie du fleuve énonciateur le maître du dit
ko signifiant également chose mais au sens de affaire dont on
parle) pouvoir de régulation et de classement donc de paix cf. entre
autres Dieterlen 1951 sq 1955 43 sq. De Faro qui est lui de
nature gémellaire ou androgyne) on peut dire il est aîné ibid
55 il arrive en second parce il incarne le savoir suprême
sans lequel rien est achevé Il en va de même du souverain terrestre
aux signes qui manifestent sa force fanga) le moment agressif de
sa puissance il faut que viennent ajouter ceux par où se révèle il
le soutien légitimant de la Parole Le bracelet devenu rouge comme feu
est attiré par eau union féconde telle alternance des saisons des
éléments opposés et complémentaires Par un syncrétisme caractéristique
des cours royales anciennes le roi apparaît la fois comme élu Allah
du Verbe crit et comme élu de Faro du Verbe Fleuve le Niger axe
principal du royaume flux organisateur de son espace Quand le Verbe
est ainsi doublement prononcé les sujets ont plus se taire 22]

Ce passage est rapprocher de histoire très connue on raconte


propos de Ngolo Jara Maamari veut se débarrasser de lui parce que
les devins ont prédit il régnerait il lui confie la garde un anneau
or puis le lui fait dérober jetée au fleuve la bague est retrouvée
par Ngolo dans le ventre un poisson cf. entre autres Sory Komara
Douga de Kore in Dumestre 1979 189 sq En prenant anneau
de cuir comme en rendant anneau or le fleuve manifeste par une
intervention miraculeuse que le futur roi est son protégé

Ou bien la force du roi est que purement destructrice ou bien il faut


elle vienne articuler la Parole elle obtienne la garantie et
presque la complicité du Fleuve On dit du roi il est non seulement
maître des hommes maaligi mais maître de eau jitigi) il dispose
du cours du fleuve anciens chefs de Segu62 on raconte ils avaient
fait creuser un canal pour un bras du Niger passât devant leur
demeure mais Da aurait fait mieux encore par la construction un
pont de bateaux) il aurait un jour rendu possible la traversée du fleuve
pied sec63
Plus concrètement le jitigi est aussi comme la pluie la source en

62 Taïrou
63 Ng nyi Bambéra
nmasaSegou
Banbugu
4.5.1968)
Nji
468 JEAN BAZIN

principe inépuisable des richesses de chacun le roi chasseur prend la vie


mais le roi fleuve doit la donner et par le flux réputé continuel de ses
dons assurer la ndélité des sujets et la cohésion du royaume est pour
quoi le nouveau règne commence par une vaste redistribution ceux qui
sont présents aux fêtes funéraires Tout ce qui été apporté en hommage
au défunt doit en principe être redonné en particulier aux pauvres
récit de Tamura Kore in Monteil 1977 52 170-171 La bière de mil 28
et hydromel coulent flots le nouveau roi régale ses sujets les jeli
chantent alors que le fleuve est la chose du roi on ne peut passer le
Niger sans payer des cauris aux piroguiers du roi 32] que le roi est
comme eau entre le fleuve et le puits 35]
On retrouve ainsi sur un autre plan on pourrait dire onto-théolo-
gique le sens dominant du récit aucun pouvoir est achevé sans le
complément de la parole agir wali le fait accomplir appelle néces
sairement son autre le dire noli le fait de venir ce par quoi acte par
vient la connaissance sa nouvelle Dieterlen 1951 un peu comme
la matière le quoi accompagne nécessairement de la forme le comment
ibid 15 Chaque acteur doit avoir son témoin shyèrè Faro est
le témoin de Pènba il met en forme et en ordre ce que Pènba fait
ibid. est pourquoi le signe ultime de la souveraineté légitime est
celui par où se révèle elle pouvoir sur les signes que le Verbe comme
principe lui obéit Mais si le roi est la parole encore faut-il que ceux qui
Vont le disent Même la Parole suprême ne peut se faire entendre que par
ses humbles serviteurs narrateurs devins et connaisseurs qui se
chargent de rendre signifiants la personne du roi et ses actes De la chute
du bracelet dans le fleuve on per extérieur du palais que le
bruit et ce miracle est bien de ordre de ces bruits 64 lancés par on ne
sait qui colportés de bouche oreille et finalement répétés par les récits
de ces on-dit par lesquels chacun est aidé se persuader que le roi est
bien le bon roi est ce bruit si lourd de sens qui fait taire les paroles
vaines des opposants mais est surtout le fait on sache et on
répète que par intermédiaire de tel ou tel célèbre mori Da est assuré
une caution divine inattaquable Le destin de Da se joue dans ce récit
autour de deux interventions de cette parole eminente une celle du
fleuve et conjointement Allah réaffirme sa légitimité face ceux qui la
contestent autre est celle des jarres jumelles de Masala qui enfantèrent
et dont eau sacrée sert la fois aux purifications et aux ordalies judi
ciaires Mais dans les deux cas il fallu des médiateurs un côté des
mori spécialistes de la parole divine qui ont fabriqué le bracelet ou dont
on raconte ils ont fabriqué de autre les messagers chargés an
noncer la nouvelle de la naissance car est grâce interversion de
ordre des messages cette ruse du signifiant que Da né le second re oit
ce nom promis au premier-né De ces messagers on ne nous dit rien
serviteurs occasionnels et obscurs de la parole ils sont image abstraite
64 Mankan signi bruit au sens matériel mais désigne aussi écho le
retentissement un événement remarque de Shaka Bagayogo)
PRODUCTION UN CIT HISTORIQUE 469

de cette fonction médiatrice que autres détiennent professionnellement


et statutairement Ainsi le récit est-il encore ici double effet dans son
énoncé il fournit les signes de la puissance de Da mais il dit aussi réflexi-
vement que comme il est de signe que par ceux qui énoncent histoire
suit le cours que tracent les donneurs et porteurs de signes humbles ou
prestigieux

Politique du récit

ai brièvement esquissé le code qui régit les signes de la puissance


Mais le code en principe commun au narrateur et au narrataire est ce
qui sert communiquer non ce qui est communiqué Le code est pas
le sens du récit65 mais ce dont le récit joue ou se joue pour produire un
sens partir un stock éléments narratifs au moins partiellement
commun les narrateurs combinent les signes leur manière et chaque
récit est une configuration signifiante particulière enjeu un récit
comme celui de avènement de Da est de donner en fin de compte par
un certain agencement indices une image de la puissance propre de Da
en fournir une définition relative Or si un récit autre les événe
ments narrés peuvent être les mêmes chaque narrateur de histoire de Da
en transmet pas pour autant le même message Ce que fut la puissance
de Da est au travers des différentes versions objet un débat jamais
clos
il est vrai que les narrations des professionnels sont étroitement
solidaires une idéologie de la puissance il ne faudrait pas en déduire
que leurs récits sont obligatoirement des panégyriques du pouvoir royal
La représentation une histoire perpétuellement dominée par les puis
sants de ce monde est une contrainte narrative peut-être une constante
du genre épique dans les limites de laquelle peut aussi exprimer quoique
de fa on biaisée une certaine contestation du pouvoir établi Il est
certes de intérêt des jdi de chercher assurer la faveur du prince
mais cela suffit les impliquer dans les conflits de ceux qui se disputent
le princip Ainsi peuvent se trouver produits des récits susceptibles de
donner quelque satisfaction substitutive aversion du peuple pour le
despote
Plusieurs procédés sont utilisables abord les jeli sont depuis
longtemps passés maîtres dans cet art subtil qui consiste prendre parti
allusivement et métaphoriquement dans une situation présente grâce
un récit orienté du passé

Par adjonction un détail inhabituel ou par une modification


de son équilibre général et de sa tonalité dominante un récit clas-

65 Comme le croirait volontiers un certain structuralisme On sait que selon


Lévi-Strauss les mythes signifient esprit est-à-dire ils ne contiennent pas
autre message que leur code
470 JEAN BAZIN

sique et bien connu peut prendre une signification politique conjonc


turelle La parole des jeli même privée de son enracinement dans un
milieu social localisé est encore per ue comme chargée efficacité
pratique Les narrations épiques que diffuse la radio nationale
ne sont pas entièrement réductibles une littérature orale qui
aurait autre fin que de procurer un plaisir esthétique même si
une telle autonomie du champ littéraire tend certainement im
poser peu peu une partie du public Les auditeurs maliens ne
manquent pas de rappeler que tel célèbre jeli fut interdit antenne au
temps de Modibo Keitä après avoir dépeint avec trop de talent la
misère du peuple sous un lointain tyran ou comment tel autre modifie
un détail de la célèbre histoire de Sunjata pour plaire au pouvoir
en place

Mais il en est ainsi les récits que nous enregistrons hui peuvent
être en fait le sédiment historisations successives dont chacune avait
pour but de ré-écrire histoire en fonction des intérêts du moment
Face au matériel narratif utilisé par les professionnels il faudra se deman
der quels détournements de sens ont pu intervenir entre événement
narré et son image actuelle66
Un autre procédé des jeli est le discours double entente le recours
des éléments narratifs pourvus de significations ambiguës Le récit des
guerres de Segu en fournirait de multiples exemples Dire un roi il
vaincu telle place la suite un long siège peut être une manière de
vanter sa puissance il pu entretenir son armée pendant une aussi
longue période ou de la mettre en cause ses troupes étaient pas assez
fortes ou pas assez résolues pour prendre la place plus vite Dire que le
roi vaincu son ennemi par une trahison peut être un éloge le roi est
assez puissant pour transgresser obligation de fidélité la parole donnée
Ce peut être aussi manière de dire il pu se tirer autrement une
situation délicate

Sumayla Fané fait allusion 24 la guerre de Da contre Marna


de Tinyè On raconte généralement il aurait attaqué Marna parce
que les femmes le trouvaient très beau Les jeli donnent fréquemment
aux guerres de Segu les mobiles les plus futiles pour suggérer que la
décision du roi nul besoin autre règle que son bon plaisir
Il est plus honorable de risquer sa vie en duel pour une illade que
pour un trésor67 Mais dire comme le fait Sumayla Fané que le mobile

66 Au lieu par exemple de tenir naïvement les récits la gloire du fondateur


de empire du Mali Sunjata fasa pour des témoignages directs de ce qui se passait
au xme siècle mieux vaudrait se demander comme on fait depuis longtemps
pour les poèmes homériques quelle époque est constituée et fixée cette tradition
relativement stéréotypée Le thème souvent présent un partage final des terri
toires conquis entre une série de chefs de lignées différentes pourrait indiquer que
le sens du récit est davantage référer la situation de division du Mande entre les
nombreux petits pouvoirs rivaux au xvine et au xixe siècle
67 Le père de Mama était selon Sumayla Fané le gardien du trésor foroba-
sanu royal Peut-être faut-il chercher de ce côté la vraie raison du conflit
PRODUCTION UN RECIT HISTORIQUE 471

de cette guerre aurait été le souvenir cuisant une joute enfantine


issue de laquelle Da se serait fait piteusement déculotter par son
rival est déjà une tout autre manière de raconter histoire
De plus selon Tamura Kore in Monteil 1977 92-95) Da aurait
été contraint après de multiples échecs dus surtout semble-t-il
une mauvaise volonté de ses chefs de guerre) entreprendre un
long siège contre ce modeste village situé quelque quarante kilo
mètres de sa capitale Il aurait remporté finalement la victoire que
grâce une infâme et meurtrière machination contre son ami en
fance Marna Le fait que Sumayla Fané introduise cette campagne
particulièrement peu honorable et pourtant bien connue et souvent
racontée dans le glorieux héritage guerrier transmis Da par son
père est sans doute comprendre comme un subtil contrepoint
éloge de la puissance du jeune roi

La théorie de la puissance qui sert de code au récit de avènement se


prête particulièrement bien une telle pratique du discours double
entente Si en effet toute souveraineté est toujours double face ordre
et violence alors tout souverain se tient quelque part entre deux pôles
un maléfique agression déchaînée et autre bénéfique la justice et
harmonie et dire il est près de un peut être une manière de dire
il est fort loin de autre Tout est affaire de proportion et de dosage
dans les signes un signifié par nature ambivalent les signifiants sont
par définition ambigus

Je voudrais tenter maintenant compte tenu de ces remarques une


lecture politique de ce récit avènement Sumayla Fané propose un cer
tain agencement particulier de signes qualifiant la puissance de Da qui
doit être mis en relation avec autres agencements possibles pour que
son sens relatif soit perceptible observerai abord que les deux pre
mières séquences du récit 1-9 10-15 sont dans une certaine mesure
hétérogènes Il est plus question dans la deuxième de ce défi ordre
des choses est interversion des naissances ns mourant fait très
solennellement comparaître devant lui ses fils un après autre dans
leur ordre aînesse il fixe ainsi symboliquement ordre de succession
des règnes venir tel il effectivement été suivi Cette mise en ordre
par avance de histoire future principe de tout régime dynastique
découle un souci explicitement politique éviter un conflit intra-
lignager ne vienne affaiblir nouveau le pouvoir des Ngolosi et ne remette
en cause la paix civile et la prospérité du royaume Cette scène édifiante
apparaît guère ma connaissance dans les récits des professionnels
Au contraire Gaossou Diara qui était reconnu comme aîné des Ngolosi
en donné en 1955 une version détaillée plus oratoire et plus pathétique
encore in Sauvageot 1965 107 sq Gaossou Diara était soucieux de pré
senter du royaume de ses pères une image pacifique et harmonieuse Il
472 JEAN BAZIN

ne fait aucune mention une interversion des naissances pas plus au


cun des Ngolosi que ai rencontrés Tous compris les descendants de
Cèf 68 affirment que Da était bien aîné et Cèf le puîné Il est donc
vraisemblable que Sumayla Fané combine ici deux traditions narratives
distinctes une dynastique presque officielle qui en tout cas la faveur
des membres du lignage royal autre plus populaire et plus libre
histoire des deux frères et du messager affamé est de ces anecdotes que
tous les jeli racontent et que chacun connaît Or ces deux traditions ne
vont pas politiquement dans le même sens une en excluant toute mise
en cause de la légalité de son avènement situe Da du côté du pôle positif
de la souveraineté autre en affirmant que ordre des naissances
pas été respecté le situe davantage du côté négatif et destructeur Ce roi
qui entrée force la règle est une menace est déjà par son désir de
tout plier la force de sa loi il devient roi Inversement le roi selon la
norme ne peut être promis au rôle de gardien des normes être
doué de ce sens de arbitrage équitable et de la gestion pour le plus
grand bien de tous dont Gaossou Diara fait la vertu principale des rois
de Segu
opposition des deux versions est cependant moins grande il
paraît au premier abord où la possibilité de leur coexistence Dans la
version dynastique ns ne fait que proclamer officiellement comme
ordre aînesse ordre chronologique des naissances Ce dernier peut être
mis au compte de la volonté divine est Allah dit Gaossou Diara qui
décide de ordre des rois la fois par la naissance des princes et par la
mort de certains entre eux Si ns désigne bien aîné sa parole
est que redondance de la Parole divine Dans autre version au contraire
ns institue un ordre légal qui est inverse de ordre réel des nais
sances mais non par décret arbitraire ni par erreur Il faut comprendre
plutôt que ns reconnaît dans interversion des messages le signe
de ce que doit être ordre vrai le bon ordre ns ne prend pas
un fils pour un autre il sait bien que Cèf est né le premier mais il met
au compte une intervention de la Providence le fait que cet ordre initial
soit aussitôt inversé par le jeu des messages Comment ne pas voir un
indice dans cette permutation symbolique par laquelle un énoncé vient
prendre la place de autre Il faut noter que de fa on identique Dinga
dans le mythe du Wagadu et Isaac dans la Genèse ne sont pas totalement
abusés par le stratagème utilisé par Jabe et par Jacob le récit précise
dans les deux cas que le père reconnaît la voix de son fils puîné il lui
donne tout de même sa bénédiction est il choisit de se plier cet
appel du destin est la substitution un fils autre En outre dans
le récit biblique les deux frères sont jumeaux Jacob qui naît le second
peut être considéré comme ayant été engendré le premier est donc une
aînesse contestable Esau échange par la suite contre le plat préparé
par son frère et il reperd nouveau par la ruse finale de Jacob ces

68 Belen Jara Tèsèrèla 26.12.1968)


PRODUCTION UN RECIT HISTORIQUE 473

deux événements viennent additionner pour signifier Isaac le


décret divin pour lui indiquer que le véritable aîné est celui des frères
qui est né chronologiquement le second De même ici Da ne dérobe pas
indûment son droit aînesse est bien plutôt Cèf qui sous la forme
de la nouvelle de sa naissance dans la bouche du messager échange sa
priorité chronologique minime contre un plat de mil Celui que marque
le destin un grand roi ne naît avant ni après il naît importe quand
les voies détournées du symbolique la circulation des apparences et des
messages feront beaucoup plus sûrement de lui aîné est pourquoi
ns est en droit de considérer que la priorité chronologique folo ne
confère pas aînesse véritable gale)69 que la contingence des faits ne
pèse pas face la nécessité de la ruse de la raison
Le récit apparaît donc comme le produit un double compromis
une part Sumayla Fané conjugue vraisemblablement deux traditions
distinctes dont une nie il ait eu interversion des naissances autre
part histoire de interversion telle il la raconte est double sens
elle permet affirmer la fois que Da règne le premier alors il est né
le second et il est bien pourtant aîné légitime Il faut pour avoir le
système complet des possibles introduire maintenant le récit de Sory
Komara in Dumestre 1979 213 sq. qui intérêt de reprendre la même
histoire tout en inversant la position des deux princes Da naît le premier
mais le messager de sa naissance attarde déjeuner Cèf est reconnu
par ns comme aîné Da est la victime et non plus le bénéficiaire
de la substitution des messages On obtient ainsi une série de trois énoncés

4- Da naît le premier il est aîné il règne le premier Diara


Da naît le second il est aîné il règne le premier Fané
Da naît le premier il est pas aîné il règne le premier70 Komara

La version que Sumayla Fané reprend dans son récit est la plus com
munément re ue Elle occupe entre deux énoncés extrêmes une position
médiane laquelle correspond sur le plan du signifié une image relati
vement équilibrée de la puissance souveraine de Da une part Da règne
le premier alors il est né le second il donc un écart par rapport la
règle dynastique de primogeniture Cette anomalie est du même ordre
que les autres traits enfant difficile engendrer au corps monstrueux
par lesquels le récit évoque aspect inquiétant de la puissance de Da
Mais autre part né le second il est pourtant aîné légitime celui que
désigne au-delà de la règle dynastique la loi eminente de la Parole Dans
la suite du récit intervention du bracelet magique vient confirmer que
Da est bien élu de Faro du principe ordonnateur du monde et

69 Selon Shaka Bagayogo il peut-être une nuance entre les deux mots
mais ils relèveraient surtout de lexiques dialectaux différents
70 Le troisième terme ne peut évidemment être modifié puisque on sait que
Da régné avant Cèf Notons cependant que dans le récit de Sory Komara
le Cèf qui devient ainsi aîné est ensuite tué il faut donc supposer que est un
autre prince du même nom qui règne après Da
474 EAy BAZIN

contraindre au silence ceux qui se laissent prendre ce signe trompeur


est la priorité chronologique Ainsi Da se trouve-t-il placé mi-che
min des deux pôles de la souveraineté Au contraire dans les deux énoncés
extrêmes Da est soit aîné la fois selon la règle et selon la loi -)-) soit
aîné selon la règle mais contre la loi -)
Dans la version de Sory Komara Da naît le premier et règne finale
ment le premier mais il est pas au départ reconnu comme aîné La
parole par le jeu des messages se prononce pour Cèf Da naît contre
temps aîné réel folo) il devance aîné vrai gale est par effet
de sa propre force interne il vient existence avant son frère puis
le jeu des messages vient rétablir ses dépens le bon ordre Da occupe
ainsi une position très analogue celle de Pènba principe cosmogonique
la fois de fabrication des choses et de stérilité Pènba naît le premier
en devan ant le temps de sa formation il arrache son placenta)71 il
précède la venue de Faro qui est pourtant aîné par excellence Un autre
avatar de ce principe chronologiquement premier et symboliquement
second est arbre balansan Acacia albida il est également contre
temps il ses feuilles pendant la saison sèche quand les autres
les perdent De cet arbre étrange qui semble se nourrir du dessèchement
des autres plantes on fait le premier despote aient eu subir les
hommes on lui impute aussi origine de la mort Dieterlen 1951 19-22
38 Il symbolise souvent dans les formules stéréotypées des jeli tat
de Segu sans doute parce que comme la guerre activité principale du
royaume il épanouit avant les pluies avant la venue du règne de Faro

Cosmogonie Récits de la naissance de Da


version courante version de Komara

Naît le premier Pènba balansan Cèf Da


Renard Pâle etc
Est aîné Faro Nommo etc Da Cèf

Ainsi par une permutation des rôles que tiennent les princes dans le
scénario de la double naissance est implicitement modifiée la qualité
spécifique de la puissance de Da Tout le reste du récit vient confirmer que
Da et son règne sont situer selon Sory Komara au plus près du pôle
exclusivement guerrier de la souveraineté Le conflit des deux frères se
joue ici en deux temps de sens contraire abord épreuve de la parole
la course des messages du lieu de accouchement oreille du roi
issue de laquelle les princes re oivent leur nom ce jeu-là Da est
perdant Puis épreuve de la guerre ns demande Cèf de partir
en campagne contre Dugak de Kore devant assemblée des guerriers
Cèf répond te se en suis incapable ns le fait alors égorger

71 Cf DIETERLEN 1955 Sur le thème de enfant qui accouche et se nomme


lui-même cf PAULME 1976 243 sq.)
PRODUCTION UN CIT HISTORIQUE 475

et appelle sa place Da Da remporte donc la seconde manche celle où


se juge la vertu guerrière Il faut noter que si le premier temps de la
compétition est interne espace domestique et lignager le second au
contraire est public

Contrairement Cèf Da accepte de relever le défi que Dugak


lancé son père il convoque alors les guerriers de Segu et les enivre
au cours un grand festin issue duquel il fait annoncer son projet
attaquer Kore Que ceux qui sont avec moi lèvent la main que
ceux qui ne sont pas avec moi le disent Tous se dressent comme un
seul homme et crient Là où tu mourras nous mourrons tous
in Dumestre 1979 223-225

Les guerriers désignent ce cadet plus fort que son aîné est par accla
mation par la voix pressante de opinion et de la masse et non par les
défilés obscurs du signifiant que Da devient le futur roi En outre
lors de cette deuxième épreuve ns ne choisit pas son successeur par
une nomination seulement mais aussi par un meurtre pour que Da règne
il faut ait été sacrifié la puissance militaire de Segu celui dont la
Parole avait fait aîné Ainsi le pouvoir de Da enracine-t-il dans la
violence la plus interdite celle un père contre son fils
Le récit de Sory Komara est pas directement une critique de Da et
de son action Tous les éléments il agence la naissance du prince
aussi bien que la guerre contre Kore ont bien pour fonction explicite de
vanter la vertu guerrière du héros On voit cependant par comparaison
avec la version de Sumayla Fané que le dosage des signes est ici un
effet globalement négatif La violence guerrière moment certes nécessaire
de action royale doit trouver son complément et son dépassement
dans un ordonnancement réglé du monde Isolée elle se dépense en vain
et se retourne finalement contre son auteur De même le premier monde
créé est un monde raté si intervient pas le second règne celui de
Faro accumulation des signes confine ici Da dans une position qui
parce elle est exclusive devient exagérée La logique de référence
celle une dualité hiérarchique entre deux principes opposés et complé
mentaires intérêt être souple et de permettre des manipulations
grâce auxquelles éloge devient insensiblement une critique qui ne se dit
pas Dans la combinaison signifiante que produit Sumayla Fané au
contraire Da parcourt la totalité du cycle de la souveraineté de la guerre
la paix de acte la parole et vice versa Il règne le premier mais il est
aussi comme Faro cet aîné qui ne vient en second Il est la fois le
terme et le commencement
La narration est donc pas neutre au fil de chaque récit élabore
et se prouve un jugement Mais qui émet ce jugement Il est clair que
Sumayla Fané par exemple son opinion quant la signification his
torique du règne de Da Cependant il les choisit et les combine sa
guise il invente pas ces signes Ne faut-il pas alors référer leur produc-
476 JEAN BAZIN

tion et leur mémorisation autres jugements dont il est pas auteur


Chaque récit se trouverait entrecroisement des jugements en acte de
son narrateur et de jugements anciens objectivés dans les éléments nar
ratifs ils ont contribué engendrer Chaque récit doit pouvoir être
compris comme la somme des positions assumées par une série de narra
teurs dans des débats époques différentes
Il est possible me semble-t-il de se faire quelque idée au moins hypo
thétique de la conjoncture politique dans laquelle ont dû initialement
avoir sens et efficacité pratique les ancêtres de ces récits de avènement
de Da En 1818 le royaume islamique du Masina le califat Ham-
dallay se constitue la puissance de Segu en expansion continue depuis
cinquante ans connaît sa première défaite sous les coups des guerriers
fula peul Da perd ainsi le contrôle de toute la partie orientale de
son empire Cet islam mobilisateur et conquérant profondément différent
de la foi tolérante et discrète des commer ants et des mori depuis long
temps implantés dans le royaume est pour Segu non seulement un danger
militaire externe mais une menace religieuse interne chaque victoire de
Seku Amadu aih Ahmad est-elle pas indice que les boli fétiches
de Segu ont trouvé leur maître Crise de confiance autant plus aiguë
une partie du groupe dirigeant en dépit du paganisme officiel est
depuis longtemps gagnée islam partir de 1818 la vie politique Segu
est certainement largement dominée par opposition entre un parti de
la guerre outrance et un parti sinon de la paix du moins de la concilia
tion avec les puissances islamiques Ceux dont le métier est la guerre et
le butin la principale ressource ne peuvent être que du premier ils se
font du même coup les défenseurs de la tradition païenne du royaume
Outre les milieux musulmans bien des nantis sont sans doute du second
parti par crainte un effondrement de tat qui serait fatal leur posi
tion privilégiée Les princes se partagent au gré des conflits dynastiques
qui les opposent
Da et Cèf sont dans ce débat des figures antagonistes Da continue
sa mort la lutte contre les Fula de Seku Amadu en particulier par
intermédiaire des chefs du Shanro qui mènent aux confins du Masina
une guerre usure jamais décisive Dernier grand roi guerrier de Segu
Da est aussi le prince païen par excellence On ne manque pas de le
présenter comme ennemi juré des musulmans cf Tamura rè in
Monteil 1977 il est pas impossible que devant la menace Ham-
dallay il ait manifesté quelque hostilité égard des Compagnons du
Prophète présents dans les murs de sa ville Du règne de Cèf nous
savons peu de choses mais deux faits significatifs ont été mémorisés
abord Cèf met fin selon Sumayla Fané72 aux hostilités contre
tat musulman il choisit de passer un pacte de non-agression avec
le calife Hamdallay et de lui reconnaître la possession des territoires

72 Tèsèrèla 26 juillet 1970 ïamura rè dit cependant que Cèf continua


la guerre contre le Masina MONTEIL 1977 98)
PRODUCTION UN RECIT HISTORIQUE 477

il conquis73 Ensuite est sous son règne vraisemblablement en


1838 que al-Hajj Umar futur vainqueur des Ngolosi passe par Segu
en revenant du pays Hausa Selon certains récits le roi aurait fait empri
sonner puis sous la pression des milieux musulmans de Segu aurait
laissé repartir cf. entre autres Mage 1868 234 403 Binger 1892 II
390 Ainsi Cèf paraît-il avoir eu une attitude conciliatrice face ce
péril mortel pour Segu était la progression des pouvoirs théocratiques
et de esprit de guerre sainte jihad)
antagonisme sans doute déjà latent entre ces deux politiques éclate
la mort de Da en un conflit ouvert Les guerriers des principaux villages
garnisons Npèbala Banank soutiennent Cèkura le ms de Da désigné
par son père comme successeur et qui il confié le commandement une
vaste offensive contre Hamdallay Ba Daget 1962 141 mais la
capitale soutient Cèf est ce dernier qui emporte finalement et avec
lui le camp des sages dont les adversaires ne manquent sans doute pas de
suggérer que est plutôt le camp des lâches Le projet expédition est
abandonné la négociation engage Segu se met en paix avec Allah
Cèf meurt mystérieusement Tamura Kore in Monteil 1977 98)
sans doute victime un complot Nyènama lui succède mais les troupes
se rallient finalement Bèn de Kirango dont le premier geste est de
reprendre la guerre contre Seku Amadu74 Sous diverses formes le conflit
continue en 1861 les Futaka Toucouleurs rempla ant peu
peu les Fula du Masina dans le rôle adversaire principal du vieux
royaume païen
anecdote de la double naissance est resituer dans ce contexte
Da et Cèf incarnent deux politiques opposées Par le biais de ce récit
apparemment anodin on prend parti dans le débat on situe symboli
quement les deux princes un par rapport autre on porte implicite
ment un jugement relatif sur leur personne et sur le modèle de souve
raineté elle illustre en verrais volontiers confirmation dans la plus
ancienne version que nous ayons de cette histoire Lorsque Mage la
recueille en 1865 ses implications politiques sont encore très nettement
perceptibles

Tiéfolo Cèf était né le même jour que Dah Da mais une autre mère
Mansong ns était alors malade et couché la mère de Tiéfolo dès elle fut
délivrée envoya un esclave prévenir le roi de la naissance de ce ni mais esclave
en route trouva des gens qui dînaient et arrêta manger si bien il arriva chez
Mansong après le captif qui venait un autre côté annoncer la naissance de Dah
qui pourtant était né quatre heures plus tard que son frère Le lendemain il eut
une grande discussion pour savoir quel était aîné Bien il ne fût pas musulman
Mansong consulta les marabouts mais malgré leur avis il dit Dah été annoncé
le premier ce sera aîné Et il fut fait ainsi il avait décidé seulement Tiéfolo

73 Nous savons par un document arabe ultérieur une trêve effectivement


été conclue grâce aux bons offices des Kunta de Tombouctou BROWN 1969 56
BA DAGET 1962 278)
74 Sumayla Fané Tèsèrèla 26.7.1970)
478 JEAN BAZIN

une fois grand tua de sa main le captif qui par sa négligence ou sa faim lui avait
fait perdre son droit aînesse Mage 1868 403.

informateur de Mage Tierno Abdoul est un mori venu résider Segu


sous le règne de Cèf après avoir été compromis dans une révolte
maraboutique au Sénégal il par la suite servi intermédiaire entre
al-Hajj Umar et Torok Mari lors des négociations entamées par ce
dernier75 Il donne de incident une interprétation nettement islamophile
Cèf dès sa naissance la bénédiction Allah et de ses représentants
terrestres les mori Ainsi peut-on expliquer posteriori pourquoi il
pas tué al-Hajj Umar en 1838 Da est au contraire emblée un roi
maudit Il ne règne le premier que par effet du paganisme obstiné de
son père il ne peut avoir été ennemi des musulmans
Mais la genèse de ce thème est vraisemblablement plus ancienne et
plus complexe Je me demande si anecdote du messager affamé ne serait
pas origine une de ces plaisanteries malveillantes que devait inévita
blement provoquer le nom quelque peu ridicule de Faama Da Sumayla
Fané propose de ce nom une explication ordre rituel dont ai indiqué
elle était plausible Il en remarque pas moins que le mot est
forcément associé au repas puisque dans son usage le plus fréquent il
désigne tous les récipients en terre cuite dont on se sert pour faire la
cuisine Des deux princes celui dont le nom évoque immanquablement
le lieu où on mange le gâteau de mil est bien Da De ce point de
vue la version de Sory Komara le mérite une cohérence interne plus
grande très logiquement ns nomme premier gar on ce folo
celui qui lui est annoncé le premier et appelle pot ou plat da
celui dont le destin est avance marqué par ce déjeuner dar aka malen
contreux qui retarde le messager chargé de porter la nouvelle de sa nais
sance Ainsi la version transmise par Sory Komara serait fidèle au scé
nario originel dont on aurait par la suite tiré par permutation du rôle
des deux princes la version canonique du récit
Cette plaisanterie initiale était peut-être pas sans allusion savante76
Premier-né victime des ruses de son cadet Esau comme le Da de Sory
Komara re oit un nom77 qui évoque le plat en échange duquel il perdu
son droit aînesse Il est aussi comme Da 5] particulièrement velu
signe de force diront les uns mais signe aussi de cette quasi-animalité
impute ironiquement une civilisation agriculteurs ces sauvages
errants que sont les chasseurs Trop glouton et un peu sot le malheureux
Esau est non seulement supplanté par son cadet Jacob le futur Israël
mais voué au métier de mercenaire et aux terres stériles il est dit de lui
que sa demeure sera privée de la graisse de la terre et de la rosée du
ciel et il devra vivre de son épée au service de son frère

75 En 1859 Torok Mari est assassiné par les guerriers parce il est accusé
avoir tenté de négocier la soumission de Segu
76 On sait que les lettrés musulmans ont une certaine connaissance des textes
bibliques et en particulier de la Genèse
77 Il est appelé Edom par allusion la couleur rousse adoni du plat
PRODUCTION UN RECIT HISTORIQUE 479

Da est le prince violent par excellence il toujours avec lui son fusil
deux coups raconte Sory Komara et abat résolument et indistincte
ment tout ce il trouve sur son chemin compris des vaches ce qui
est pas très honorable Devenu roi la suite du meurtre de son frère
et par la faveur une assemblée de soudards bien ivres Da est un des
pote sans scrupule ni respect de la parole donnée il trahit ses amis comme
ses amantes78 et soif que de victoire tout prix Comment un tel
homme pourrait-il assurer la prospérité du royaume Comment la poli
tique il incarne amènerait-elle pas nécessairement destruction et
stérilité
Mais les narrateurs de autre bord empressent de retourner histoire
envoyeur Cèf est un poltron est bien lui plutôt dont le
destin se perd dès la naissance dans les plaisirs peu héroïques de la gas
tronomie Da est le véritable aîné élu de la Parole fécondante instru
ment comme son père et son grand-père de la puissance et de la richesse
de Segu Son âme violente de conquérant est le lointain héritage de ces
chasseurs en quête aventures et de gloire qui ont un siècle plus tôt
fondé le royaume La lutte des versions narratives comme dit Jean-
Pierre Paye est une joute fleurets mouchetés et ambiguïté des signes
permet chaque narrateur de ne se compromettre demi Ces mêmes
traits que les uns grossissent la caricature fournissent aux autres
les éléments une geste épique et grandiose
Peu peu de récit en récit cet enjeu politique est perdu la dimen
sion polémique de la production narrative est atténuée tat de Segu
disparu On ne peut plus que méditer sur son destin définitivement
accompli De ce point de vue une histoire rétrospective Da occupe une
position clé les dix premières années de son règne sont certainement
le point culminant de la puissance de Segu après 1818 au contraire est
le commencement de la chute Il faut proposer quelque explication ou
tirer quelque morale de ce renversement de la grandeur en décadence
on va pour cela puiser dans le stock éléments narratifs produits dans
des circonstances désormais oubliées et transmis par diverses traditions
De descriptions critiques du règne ou de portraits malveillants du sou
verain on peut extraire par exemple de quoi nourrir une vision théocen
triste de histoire la défaite de 1818 devient un châtiment infligé par
Allah un prince qui au mépris des conseils de ses mori cessé de
transgresser les lois les plus sacrées Ce genre interprétation constitue
souvent le principe organisateur implicite ou explicite du savoir histo
rique que se transmettent les lettrés musulmans79 entreprise de
Sumayla Fané du moins dans ce récit est un autre ordre elle vise
illustrer et appliquer une théorie latente de la puissance souveraine
elle relève plus une psychologie ou une métapsychologie de la

78 Cf histoire de Marna de Tinyè et celle de épouse de Dugak


79 Elle est sous-j acente dans le récit cité ci-dessus de Tierno Abdoul elle est
explicite dans celui de Tamura Kore MONTEIL 1977 96)
480 JEAN BAZIN

personne royale que une théologie histoire est déterminée par le


caractère propre de son acteur central et de ce caractère on quelque
idée grâce aux signes que présentent sa naissance et son avènement
Le sens global du récit est ainsi de suggérer que si histoire du royaume
bascule autour de Paama Da est il est lui-même un équilibre instable
de vertus contraires La puissance souveraine est ambivalente Elle est
nécessairement la fois meurtrière et protectrice dérèglement et régula
tion Tout ordre est abord désordre dans la mesure où son instauration
suppose violence et agression et tout ordre devient désordre parce que
agression est jamais sans effets nocifs sur son auteur ou ses descen
dants La violence implique inéluctablement accumulation sur celui
qui exerce de énergie vengeresse nyama des victimes Il pas
de domination par la force fanga qui terme ne se ruine elle-même On
là le principe une lecture cyclique de histoire tout pouvoir sa
phase ascension et sa phase de dégénérescence Da est au point où tout
inverse Petit- ls de Ngolo qui mis fin anarchie du royaume et
solidement établi les bases de la dynastie fils de ns le grand orga
nisateur de empire Da est le premier roi de la troisième génération avec
lui la vertu guerrière commence emporter sur la vertu de justice la
face inquiétante du pouvoir sur sa face rassurante Il est le dernier des
grands princes de Segu après lui autorité royale sera de plus en plus
mise en cause par autonomie croissante des chefs de région Mais il
témoigne aussi de cette folie qui ronge de intérieur tout exercice du
pouvoir chez lui la puissance perd conscience de ses limites et devient
démesure Sumayla Fané raconte dans un autre récit que Da faute de
trouver quelque ennemi sa taille aurait un jour donné ordre attaquer
Dieu et fait tirer ses troupes vers le ciel
Cette quasi-théorie une dégénérescence inéluctable du pouvoir est
ce qui confère la version de Sory Komara sa cohérence interne pour
que Da règne il faut que ns tue son aîné Cèf Mais ns ne fait
ainsi que répéter le geste sacrificiel qui lui-même porté au pouvoir
on apprend en effet au début du récit in Dumestre 1979 199-203) que
Ngolo sur les conseils un devin sacrifié un de ses fils afin que le pou
voir soit jamais conservé par sa lignée une seule femme accepté de
laisser égorger son premier-né en échange de la promesse publique que
son fils naître ns succéderait Ngolo

On trouve chez Tamura Kore in Monteli 1977 75 une histoire


très voisine Ngolo pour éviter que son fils Nji de Banbugu ne le
détrône doit sacrifier un de ses petits-fils le fils aîné de ns et
donc un frère aîné de Da Il est vraisemblable que les rois de Segu ont
effectivement pratiqué ce genre de sacrifices De passage Segu en
1810 Isaac ex-guide de Mungo Park note que Da six enfants
vivants mais il en déjà tué trois tout enfant prétend Isaac
qui naît le vendredi est tué ce qui est évidemment pousser très loin
la méfiance égard de islam Park 1815 322
PRODUCTION UN CIT HISTORIQUE 481

Tout se passe comme si le faama ne pouvait transmettre son pouvoir


certains de ses ls condition il en tue autres comme si la conti
nuité de ordre dynastique ne pouvait être fondée que sur une succession
de sélections par le meurtre Notre anecdote de la double naissance et de
interversion des messages enrichit ici une allusion aux pratiques
occultes de la puissance elle est peut-être une manière euphémisée de
dire que chaque succession dans la lignée royale suppose un rite de sacri
fice du premier-né du ce Mais ainsi plus une dynastie dure plus
allonge la série des meurtres nécessaires la conservation de son pouvoir
En vertu de cette logique macabre Da produit de deux générations est
ce moment de histoire une dynastie où les crimes des ascendants se
transforment en tares des descendants où par effet une sorte de
culpabilité inconsciente la force royale se retourne contre elle-même
Acteur ambigu un règne ambigu le roi Da est un objet privilégié de
méditation Au-delà de son histoire effective il est passé la postérité au
titre de figure idéale une réflexion éthique intemporelle et universelle
Dans les récits des griots-conteurs actuels il est ce prince dont on peut
un même propos la fois vanter la puissance et chanter impuissance
dont on peut faire simultanément un sujet de drames épiques et de féroces
satires Au besoin on concentre ailleurs sous son nom bien des traits
et bien des faits empruntés histoire de ses prédécesseurs et de ses suc
cesseurs Da devient souvent un prétexte une référence pseudo-historique
sous couvert de laquelle on peut librement rendre dérisoires les puissants
et annoncer que la roche tarpéienne est proche du Capitole Par là même
le récit peut sous une forme biaisée ou clandestine se trouver investi
nouveau un enjeu politique Narrer histoire de Da ou ce qui passe pour
tel peut être hui le moyen discret énoncer les signes auxquels
se per oit un pouvoir est proche de sa fin Lorsque Taïrou Bambéra
au mois août 1968 raconte avec une ironie mordante comment lors
de avènement de Da les gardes du roi sofa) soudards gloutons
minables et cupides massacrent avec empressement les notables hostiles
Da pour approprier leurs biens nul auditeur ne peut époque em
pêcher voir une excellente caricature de la milice populaire qui la
fin du régime de Modibo Keitä est objet majeur du ressentiment général
Aussi le narrateur ne manque-t-il pas avertir son public que le récit du
pouvoir et de ses abus est de tous les temps

Les connaissances que nous avons


propos de histoire de Da
nous les dédions aux grands hommes du Mali actuel
ann ils les entendent
et ils sachent ceci la pluie beau tomber et eau monter
le ndanso pousse toujours sa tige vers le ciel80

80 In DUMESTRE 1979 34i le ndanso est une plante aquatique qui grandit
par segments successifs quand eau monte
482 JEAN BAZIN

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