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SAMUEL EBOUA
LE PRÉSIDENT AHIDJO
Journal
Éditions L'Harmattan
5-7, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris
Licence accordée à Franck MVONDO fhmvondoa@gmail.com - ip:62.201.135.246
L'auteur
_
- Professeur au Lycée Général Leclerc à Yaoundé,
Directeur de l'Enseignement du Second Degré au Ministère de
l'Education, de la Jeunesse et des Sports,
_
- Chargé de Mission à la Présidence de la République,
Secrétaire Général-Adjoint de la Présidence de la République
avec rang et prérogatives de Ministre-Adjoint,
_
- Président Directeur Général de Cameroon Airlines,
Secrétaire Général de la Présidence de la République avec rang
et prérogatives de Ministre d'Etat,
- Ministre d'Etat Chargé de l'Agriculture.
Il est actuellement Président National du Parti politique camerou-
nais dénommé "Mouvement pour la Démocratie et le Progrès".
@ L'Harmattan, 1995
ISBN: 2 - 7384 - 2356-6
ISSN : 0297 - 1763
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(( ((
Collection Mémoires Africaines
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Du même auteur
Ahidjo et la logique du pouvoir, Éditions L'Hannattan, 224 p.
Le Cameroun à L'Harmattan
A VANT-PROPOS
S'il est une tâche qui m'a toujours paru délicate et difficile,
c'est la tentative, au niveau de l'individu, de restituer fidèlement le
passé. Comment y palVenir sans une certaine actualisation plus ou
moins voulue, plus ou moins subjective? L'Histoire, en tant que
science, peut approcher cet objectif. Approcher, mais non
atteindre. L'idéal est comme le mirage, insaisissable. L'historien
comme le journaliste, bien que les approches ne soient pas les
mêmes, ne se limite pas à narrer les faits. Le récit serait insipide.
fi s'efforce de les expliquer en remontant à ce qu'il estime être les
causes profondes et lointaines d'un cÔté, les causes immédiates,
de l'autre. Ce faisant, il inclut, sans le vouloir, une dose plus ou
moins élevée de subjectivité dans son récit. Ceci est inévitable.
Comment séparer l'homme du récit? Un même fait, vécu par
plusieurs personnes donnera lieu à des versions différentes,
souvent diamétralement opposées. Il existe toujours un danger à
vouloir reproduire par écrit les événements vécus dans le passé.
Le développement des notes prises au moment même où le fait se
déroulait n'y peut rien. On est toujours tenté d'apporter des
améliorations à la version originale et, avec le temps, de réagir
différemment devant le contenu de ses propres notes par rapport à
l'époque où elles avaient été prises. A force de les actualiser, afin
qu'elles soient mieux comprises, mieux jugées dans un contexte
ou une conjoncture qui ne sont plus les mêmes, on les défonne et
elles deviennent sans intérêt. Bref, on n'écrit plus dans le passé et
pour le passé, mais pour le présent.
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1971
21 septembre
Voici pratiquement deux ans que j'ai été appelé au Cabinet du
Président Ahidjo. Sans être historien, j'ai étudié l'Histoire. Il
serait regrettable que certains actes du personnage, qui aura
marqué de son empreinte non seulement la naissance d'un Etat
mais aussi la formation en cours d'une Nation, tombent dans
l'oubli. N'en déplaise à certains. Ce journal, loin d'être l'œuvre
d'un collaborateur partisan doit constituer, pour les chercheurs de
demain, une des sources de documentation. Le Chef de l'Etat est
entouré de plusieurs collaborateurs. Je n'en suis qu'un. Je suis
loin de le connaftre sous tous ses aspects. Je me limiterai par
conséquent au cadre de mes fonctions qui, quotidiennement, me
mettent en contact direct avec l'homme qui assume le destin du
pays.
n est dix heures. Ma secrétaire me signale que le Président
m'attend dans son bureau. Je me présente quelques minutes
après. Les étudiants, me dit-il, auraient obtenu qu'aucune discri-
mination ne soit plus pratiquée dans l'attribution des bourses. Or,
en dehors des enfants des membres du gouvernement, une réalité
demeure, à savoir, l'inégalité de la scolarisation des différentes
régions du pays. On ne peut pas ne pas tenir compte du cas des
étudiants issus des régions sous-scolarisées.
- Voyez le Ministre Mongo Soo pour savoir ce qu'il en est,
me dit-il.
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22 septembre
9h30 : Le Président se rend en visite en Guinée Equatoriale.
Comme à l'accoutumée, le gouvernement au complet, et les corps
constitués se trouvent à l'aéroport pour lui dire au revoir. Après la
revue du détachement militaire qui rend les honneurs, le Prési-
dent, en serrant la main aux uns et aux autres, s'arrête à mon
niveau.
- Avez-vous vu le Ministre Mongo Soo ?
- Oui, Monsieur le Président.
- A-t-il fait le nécessaire?
- Oui, Monsieur le Président.
Après le décollage de l'avion présidentiel, je prends à l'écart
le Ministre de l'Education, de la Jeunesse et des Sports pour lui
rapporter mes réponses au Président.
- Il est donc souhaitable que le nécessaire soit effectivement
fait, lui dis-je.
28 septembre
16h30: Je monte voir le Président dans son bureau. Il est
de bonne humeur. J'avoue que depuis que je suis au cabinet, je
l'ai trouvé la plupart du temps détendu lorsqu'il m'appelle pour un
dossier, ce qui facilite beaucoup la tâche de ses collaborateurs qui
peuvent ainsi travailler dans la sérénité.
- Je vous appelle au sujet du Ministre qui sollicite une
bourse pour son ex-épouse.
Je lui suggère de me remettre le dossier, s'il y en a un, pour
étude. Mais le Président est catégorique:
- Que ce soit pour son épouse ou son ex-épouse, il n'est pas
question d'attribuer des bourses aux épouses des Ministres. Ces
derniers disposent des moyens qui leur permettent de faire face à
de telles obligations, s'ils les jugent nécessaires. L'Etat ne peut,
dans la limite de ses possibilités, s'occuper que des jeunes, intel-
lectuellement doués, mais matériellement démunis, et non des
épouses des Ministres, conclut-il.
Il me rapporte que lorsqu'il était jeune, on racontait que dans
la partie occidentale du pays - comme au Nigeria voisin - les
gens n'étaient pas assujettis à des principes et du coup il se
demande si ce n'est pas le cas chez nous en ce moment. Nous
faisons ensuite un tour d'horizon des travaux d'équipement que je
supelVise personnellement: Résidence de Douala, nouveau Palais
de Yaoundé, Palais de Garoua...
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29 septembre
18h : Son Excellence M l'Ambassadeur extraordinaire et
plénipotentiaire de la République Fédérale d'Allemagne présente
ses Lettres de créances. Pour la circonstance, le Chef de l'Etat est
entouré de : MM. Tandeng Muna, Vice-président de la République
Fédérale; Biya, Sabal Lecco, Vroumsia Tchinaye, Ministres;
Sengat Kuo, Ministre-Adjoint et moi-même. A l'issue de la céré-
monie, le Président invite dans un salon voisin M.l'Ambassadeur
et sa suite. Nous attendons dans un autre salon que le chef de
l'Etat raccompagne ses hôtes sur le perron, qu'il revienne
s'entretenir quelques instants avec nous comme à l'accoutumée
avant de regagner ses appartements. Et voilà qu'au moment où il
échange quelques propos avec ses hôtes, un garçon se présente
avec du champagne, un plateau d'amuse-gueules, et se met à les
servir.
Après le départ des diplomates, le Président revient vers
nous, ostensiblement furieux.
- Qui a ordonné de seIVir à boire? Depuis quand cela se fait-
il?
Effectivement, c'est la première fois qu'un rafraîchissement
est servi aux diplomates en de telles circonstances. Tous les
regards se tournent vers le garçon qui nous a également servis.
Pour nous, c'était une habitude et le Président le savait. Le
garçon, qui transpire à grosses gouttes répond:
- C'est le Lieutenant.
- Et vous! reprend le Président en se tournant vers nous.
Personne n'a eu la présence d'esprit d'empêcher le garçon
d'apporter à boire!
Confus, aucun de nous ne répond. Il appelle Biya pour un
bref entretien, puis Sengat, et regagne ensuite ses appartements
sans s'entretenir comme à l'accoutumée avec les Ministres et les
membres de son cabinet qui assistent à cette cérémonie.
14 octobre
Un coup de fil retentit dans mon secrétariat. L'Aide de camp
du Chef de l'Etat m'annonce que j'accompagnerai ce dernier à
Douala, le lendemain 15 Octobre. Il s'y rend pour inspecter les
services des Forces Années et de Sécurité de la province du Litto-
ral installés dans cette cité cosmopolite. Le décollage de l'avion
présidentiel est prévu pour 10h30.
Il
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15 octobre
10h30: Nous décollons de Yaoundé. La ponctualité est la
première règle d'Ahidjo. Font partie du voyage les ministres Yadji
Abdoulaye, Sengat Kuo, l'Attaché de Cabinet Bouba Bello et
moi-même. Quelques agents de sécurité nous accompagnent.
Nous nous installons tous dans le salon arrière de l'appareil,
attendant que le Président lui-même nous invite dans son compar-
timent, ce qu'il fait dès qu'il embarque. Tous les trois, sans
l'Attaché, nous nous retrouvons à ses côtés. Après dix minutes de
vol, nous atterrissons à Douala. L'accueil de la population de cette
métropole économique est indescriptible. De l'aéroport à la
résidence (6 km), c'est une haie humaine enthousiaste. Les cinq
cent mille habitants de la ville se sont précipités avec une joie sans
précédent sur le parcours pour acclamer le Président. Un véritable
triomphe.
Et lorsqu'on sait que dans cette ville, comme dans toute cité
industrielle des jeunes Etats, se posent de cruciaux problèmes
sociaux, lorsqu'on se souvient de l'audience dont jouissaient
naguère les tenants de la rébellion, les opposants de tout poil au
régime, on réalise l'œuvre de pacification accomplie depuis dix
ans par le Président National de l'Union Nationale Camerounaise,
chef de l'Etat. Dans la soirée, je profite de ma présence à Douala
pour inspecter le chantier de la résidence présidentielle dont je
m'occupe. Prenant l'air dans les jardins avec Sissoko, le Président
m'interroge sur l'état d'avancement de ce chantier.
16 octobre
, Le programmede la journée est particulièrementchargé. Dès
8h45, nous visitons la Marine et la Gendannerie Nationales. A
9h45, c'est le tour de la Brigade de Recherche où la manière
d'exploiter une fiche est expliquée par un responsable de la
Sécurité. Nous nous rendons ensuite au Camp Mboppi, où nous
assistons à une manœuvre ayant pour thème :ttDéloger les bandits
occupant une maison". L'après-midi est consacrée à la Sûreté
Nationale. Le Commissaire central, Blaise Mvoula fait un brillant
exposé sur l'organigramme et les problèmes que pose le maintien
de la sécurité à Douala.. Le commissaire nous présente successi-
vement : le Corps Urbain, la Brigade Spécialisée, la Compagnie
Mobile d'IntelVention. Cette dernière exécute une belle démonstra-
tion sur le thème: "Surveillance d'une zone d'insécurité" ...
Pourquoi le Président me désigne-t-il pour faire partie de sa
suite dans tous ses déplacements à l'intérieur du pays? Pourquoi
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17 octobre
Tout d'un coup, Douala dévoile son visage de mauvaise
saison. Il a plu toute la nuit. Ce sont les dernières précipitations.
C'est sous une pluie battante que nous visitons l'Escadron Blindé.
Il se dégage de cette unité une impression de puissance. On a
souvent répété qu'à quelque chose, malheur est bon. En effet la
rébellion, contrairement au but qui était le sien, a été l'un des
ciments de l'unité nationale en gestation. Elle a également pennis
la mise en place de forces armées et de sécurité en mesure de
décourager tout ennemi, intérieur ou extérieur. C'est à 11h15 que
le Président de la République arrive devant le Cinéma Les
Portiques où attendent, pour défiler, les forces armées et de
sécurité. Imposant défilé militaire: Gendatmerie, Armée de Terre,
Armée de l'air, Marine nationale, Police, Engins Motorisés,
Engins Blindés. On n'avait jamais assisté à un tel déploiement des
forces armées et de sécurité à Douala
A 20h, la section départementale de l'U.N.C.l du Wouri,
présidée par El Hadj Tanko Hassan, offre une soirée à la perma-
nence du Parti. Dans son allocution au cours de cette soirée, le
Chef de l'Etat met l'accent sur les options du pays en matière de
politique étrangère et de politique économique.
Le retour sur Yaoundé est prévu pour 11h30. J'étais à peine
réveillé lorsque le coup de téléphone du commandant Ousmanou,
m'annonce que l'avion qui doit nous ramener à Yaoundé décolle
une heure plus tôt que prévu. En fait, nous ne décollons pas avant
21 octobre
Le Ministre Biya est alité depuis deux jours. Il a une grippe.
Le ministre Sengat tombe malade à son tour. Je reçois ce matin un
mot du ministre Biya me demandant de signaler son état de santé
au Chef de l'Etat. Je le fais aussitôt par l'intermédiaire du
commandant Ousmanou, chef du cabinet militaire. Je suis donc
seul au Secrétariat général de la Présidence! Les dossiers affluent
à un rythme infernal. J'ai à peine le temps de les ventiler aux
Conseillers techniques, Chargés de mission et Attachés.
22 octobre
Un coup de téléphone du commandant Ousmanou m'annonce
que le Président m'appelle. Je me présente aussitôt et le trouve un
peu terne. Ce n'est pas étonnant. C'est le début du jeûne du
Ramadan.
- Qu'y a-t-il de nouveau? me demande-t-il.
- Rien, lui dis-je, excepté que les ministres Biya et Sengat
sont toujours alités.
23 octobre
Je suis toujours seul au Secrétariat général de la Présidence de
la République. Je fais de mon mieux pour examiner le courrier
"Arrivée", communiquer à la lecture du Chef de l'Etat les corres-
pondances qui le méritent, retenir celles que j'étudierai moi-même
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Directeur de cabinet, Kuoh Tobie. Ils lui ont fait des avances. Ils
veulent avoir partout des agents...
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1976
Yaoundé 30 août
Je m'entretiens avec le Président Ahidjo de la crise du
gouvernement Mbida. Il arrive au Président de me parler longue-
ment de sujets n'ayant aucun rapport avec les dossiers que nous
examinons. Est-ce pour mon infonnation, pour ma formation, ou,
supposant que j'écrirai plus tard, me livre-t-il partiellement, et par
anticipation, le contenu de ses futurs Mémoires? Toujours est-il
que ce matin, je ne me rappelle plus à quel propos il en est aITivéà
m'entretenir des événements des années 58. Il me raconte, avec
force détails, la crise qui a été à l'origine de son accession au
pouvoir. Soppo Priso aurait-il décliné en 1958 l'offre du poste de
.,Premier Ministre, laissant Ahidjo y accéder, avec l'espoir de le
récupérer par la suite et très rapidement, dès que le titulaire aurait
fait preuve de son incapacité à gouverner?
Le Président Ahidjo est catégorique:
- Par calcul, me dit-il, Soppo Priso a pris le tournant décisif
en 1956. A cette époque, il avait à choisir entre le groupe majori-
taire à l'Assemblée que je conduisais, et l'opposition contrôlée par
l'U.P.C.3 Soppo n'a jamais été upéciste, mais par opportunisme,
préjugeant que l'avenir du pays risquait de dépendre de cette
dernière fonnation politique, il a préféré se lier à elle. C'est à
compter de cette période que Soppo, qui était populaire - il se
faisait facilement plébisciter par les Bamiléké, les Bassa et autres
groupes ethniques - a compromis son avenir politique. Il aurait
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8 novembre
Rien n'est jamais définitivement acquis. Des efforts gigan-
tesques ont été déployés par le Président Ahidjo pour réaliser
l'unité du pays. Mais celle-ci, jusqu'ici, demeure une illusion, eu
égard au profond enracinement de la conscience ethnico-tribale.
Cependant, ce pays s'est imposé à l'opinion internationale comme
un modèle de stabilité et de prospérité, grâce à la sagesse de son
chef. Est-ce une raison
pour s'endonnir sur ses lauriers? N'y a -t-il plus rien à faire?
Rien n'est jamais définitivement réalisé, même au sein des nations
qui sont fonnées depuis des siècles. Il subsiste des obstacles, des
goulots d'étranglement qui constituent des freins à leur évolution
ou bien ceux-ci surgissent au cours de leur cheminement.
Le 25 Octobre dernier, j'ai demandé à mes collaborateurs, de
l'Attaché de Cabinet au Conseiller spécial en passant par les chefs
de Division, les Chargés de Mission et les Conseillers techniques
d'examiner, chacun dans le secteur qui est le sien, les imperfec-
tions existantes, et de préconiser des solutions. L'ensemble ferait
l'objet d'une synthèse sous fonne d'un Livre blanc à soumettre au
chef de l'Etat en guise de contribution de son cabinet à la marche
des affaires. Il lui appartiendra de l'exploiter dans le sens qu'il
voudra, ou de ne pas l'exploiter du tout. J'insistai sur le fait que
ce projet ne devait pas être divulgué hors du Cabinet, afin d'éviter
de froisser des susceptibilités et provoquer les commentaires
tendancieux.
Un membre du Cabinet porta à la connaissance de l'assistance
un texte qui interdit aux fonctionnaires de critiquer l'œuvre du
Gouvernement, et préconise que la synthèse soit rédigée de
manière à ne pas paraître comme une critique. Un autre, qui sait
pertinemment que l'énonne département de l'Economie et du Plan
ne donne pas du tout satisfaction, se demande s'il faut en parler...
Bref, le personnel du Cabinet ignore dans quel sens il peut aider le
chef de l'Etat. Soucieux de ne pas compromettre sa carrière, il
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1977
3 jan vier
C'estla premièreaudiencede l'annéeque m'accordele chef
de l'Etat. En l'absence de dossiers revêtant un caractère d'urgence
_
c'est le lendemain des fêtes de fin d'année -je n'ai pas demandé
à le voir, d'autant que, selon la liste des audiences en ma posses-
sion, il a une matinée plutôt chargée. La première audience est
fixée à 10h Et surtout, il reçoit à 11h30 Effon Vincent, ancien
ministre des Affaires Etrangères, et à 12h, S.E. l'Ambassadeur
des Etats-Unis d'Amérique. S'agissant de ce dernier, il me dit
ceci :
_ L'Ambassadeur a demandé à me voir. Selon un message
qu'il a reçu de Washington, il aurait de bonnes nouvelles pour le
Cameroun.
Je me rappelle aussitôt certaines demandes que nous avons
adressées au Gouvernement américain et qui sont restées en
instance, ce qui me permet d'enchaîner:
- J'espère que la bonne nouvelle consistera à vous annoncer
que nos demandes ont été agréées.
_ Pensez-vous! Le Président Ford fait ses valises. Ce n'est
pas le moment de prendre des décisions. Il faut attendre
l'installation du nouveau Président, M. Carter. Le message qu'il a
reçu peut tout au plus lui annoncer que nos demandes ont été bien
reçues, et seront examinées.
Nous parlons ensuite du Malfrançais que vient de publier le
ministre Peyrefitte, de la prochaine mission de bonne volonté au
Nigeria, et pour finir, le Président me parle du Général Semengué.
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Il janvier
Je monte voir le Président. J'ai avec moi un certain nombre de
dossiers sur lesquels je souhaite obtenir son avis. Dès que je
pénètre dans son bureau, je constate qu'il n'est pas de bonne
humeur, ce qui ne l'empêche pas de me recevoir. A peine suis-je
assis en face de lui qu'il me dit qu'il est de mauvaise humeur. Je
me suis gardé de lui en demander les raisons. Ce n'est donc pas
l'occasion, du moins la meilleure, pour examiner certains dossiers
difficiles, posant des problèmes difficiles et exigeant des solutions
élaborées. Je déclare par conséquent n'avoir avec moi qu'un
certain nombre de documents qu'il m'a fait tenir, et qui ne revêtent
aucun caractère d'urgence. Nous pourrons discuter ultérieure-
ment, des dossiers difficiles lui dis-je. Sa mauvaise humeur ne
nous a pourtant pas empêchés de traiter certains de ces dossiers :
situation préoccupante à la Loterie nationale, situation inquiétante
à la Cameroon Bank, le problème de la décentralisation adminis-
trative.. .
A propos de cette dernière, il me charge de lui rappeler ce
problème après le Conseil National du Parti.
- Nous nous acheminons vers la paralysie de la machine
administrative. C'est préoccupant. Tout est centralisé à Yaoundé.
Le personnel enseignant exerçant en province passe des mois sans
toucher son salaire, s'il ne vient pas lui-même le suivre à
Yaoundé. Ceci explique ces queues quotidiennes dans les locaux
des Finances, de l'Education nationale et du Trésor. Il faut que
cela cesse. Il faudra envisager un comité comprenant le Ministre
Délégué à l'Inspection Générale de l'Etat et à la Réforme Adminis-
trative pour l'étude d'un projet de décentralisation. Les pouvoirs
des Gouverneurs de Province pourraient être renforcés, leurs
seIVices étoffés avec des représentants, à l'échelle provinciale, des
Finances, de l'Education nationale et des autres départements
ministériels intéressés, conclut-il.
Au moment de m'en aller, il me charge de dire à l'Aide de
camp d'appeler Sengat, "son maquisard" selon lui.
- Sengat ne veut plus rien faire. Lui avez-vous parlé de
l'affaire Tchouaffé ?
- Oui, Monsieur le Président. J'ai appelé Sengat pour lui dire
que s'il a un problème, il vaut mieux qu'il vous le soumette, afin
que vous en discutiez ensemble.
- Oui, qu'on le fasse venir.
En sortant de son bureau, je ne souhaite pas croiser dans le
couloir Sengat qui doit se rendre à cette audience pas comme les
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24 janvier
L'Office National des Sports
Je suis surpris, pour ne pas dire choqué, par la brutalité avec
laquelle certains responsables jettent le masque dès que se
trouvent menacés ce qu'ils considèrent comme leurs intérêts
personnels. La rentabilité des stades Omnisport de Douala, et
Ahmadou Ahidjo de Yaoundé, est quasi nulle, au point que l'Etat
a dû consolider l'avance de plus de cinq milliards de francs cfa
consentie par le trésor public pour leur construction. Au départ,
les études avaient démontré que les recettes de ces stades, bien
gérées, étaient en mesure d'amortir dans des délais raisonnables
ces investissements. Or, non seulement les recettes ne rentrent
pas, alors que les stades sont régulièrement pleins à craquer, mais
le Gouvernement doit en outre subventionner l'Office qui gère ces
stades, pour leur permettre de fonctionner. Il prend en charge les
frais de transport et de séjour de certains membres de l'Office
appelés à effectuer des missions à l'extérieur, alors que cet
organisme jouit de l'autonomie financière. L'Etat vient de
débloquer au profit de cet établissement cent millions de francs
dans le cadre de l'exercice budgétaire en cours. En moins de six
mois, cette somme s'est volatilisée et l'office, se tournant à
nouveau vers l'Etat, tend la main pour une nouvelle subvention.
C'est dans ce contexte que le Secrétariat Général de la Prési-
dence de la République, en sa qualité de gestionnaire des crédits
.'destinés aux missions à l'étranger, est intervenu pour proposer la
rationalisation de la gestion des fonds de l'office. Il a élaboré,
avec l'accord du chef de l'Etat, un projet de texte dans ce sens, et
l'a communiqué au ministère de tutelle pour d'éventuelles obser-
vations. Le ministère de la Jeunesse et des Sports, en prenant
connaissance du projet, a estimé qu'il s'agissait là d'une affaire
trop sérieuse pour être traitée par échange de cOITespondances. Il a
proposé la tenue, au niveau de la Présidence de la République,
d'une séance de travail, ce qui a été accepté. Le Secrétaire Général
de la Présidence charge le Conseiller Spécial du Chef de l'Etat de
présider cette séance de travail, et demande au ministre de tutelle
de s'y faire représenter. En effet, la réunion n'étant pas présidée
par le Secrétaire Général de la Présidence de la République en
personne, il n'est pas nonnal que le Ministre de la Jeunesse et des
Sports y assiste lui-même.
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14 mars
Il est 17h 15. J'entretiens le Président de certains dossiers en
ma possession. A la fin de notre séance de travail qui, exception-
.'nellement a eu lieu en fin d'après-midi, il me demande de convo-
quer, pour le mercredi 16 mars à 17h, une séance de travail qu'il
présidera personnellement. Elle portera sur la situation qui prévaut
dans l'Agriculture. Participeront à cette réunion le Premier
ministre, le ministre de l'Economie et du Plan, et le Conseiller
technique, Abanda Metogo. Puis, tout d'un coup, il me lance:
- Il me souvient que le département de l'Agriculture nous
avait soumis un programme d'action qui a été approuvé?
- Oui, Monsieur le Président.
- Au moment où les cours des matières premières deviennent
de plus en plus en plus intéressants, il nous faut mettre l'accent
sur le développement de l'agriculture. A propos, en créant les
SeIVices du Premier Ministre, il n'était nullement dans mes inten-
tions d'en faire un goulot d'étranglement. Il me revient de jour en
jour que les dossiers traînent là-bas, notamment à la Division
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9 juin
Il est 17h10 lorsque le Président m'appelle. Dès que je me
présente, il me remet le rapport élaboré par le Comité Technique
d'Etudes sur les problèmes de l'Administration. Il y a quelques
jours, me parlant de ce rapport qu'il n'avait pas encore entière-
ment parcouru, il dit:
- Le tableau est à tel point peint au noir qu'il y a de quoi se
décourager en y pensant. Après l'avoir lu, on n'a qu'une seule
envie: fenner la porte, y laisser les clefs et s'en aller. Revenant
sur ce rapport, intéressant par plusieurs points, il constate que le
:'Comité a voulu tout embrasser.
- Tous les problèmes soulevés, ne sont pas propres à notre
pays. S'agissant des hommes, ils sont pratiquement les mêmes ici
et ailleurs. Il faut donc étudier ce rapport, en extraire les priorités
et s'attaquer progressivement aux situations qui y sont mention-
nées, en commençant par les plus urgentes et les plus importantes.
Il me parle ensuite de l'audience qu'il vient d'accorder à deux
universitaires, les professeurs Anomah Ngu, Vice-Chancelier de
l'Université, et Bernard FonIon, ancien Ministre, Professeur à la
Faculté des Lettres et Sciences Humaines, tous les deux membres
du Comité Central de l'Union Nationale Camerounaise. D'entrée
de jeu, me dit-il ses visiteurs louent l'action qu'il mène à la tête de
l'Etat depuis bientôt vingt ans. Ils font ressortir tous les avantages
que le Cameroun tire de cette stabilité, par rapport aux inconvé-
nients qui résultent de l'instabilité constatée dans certains Etats
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Dimanche 31 juillet
Je rentre de chasse. On me signale que l'Aide de camp du
Président, le lieutenant Sali, est au bout du fil, qu'il a déjà appelé
et qu'il rappelle. Je sors de la baignoire et prends la communica-
tion: "Le Président vous attend à 17h", me dit-il.
A 17h, je pénètre dans les appartements du Président. Il est
seul. Il me parle de la revalorisation de l'indemnité de sujétion des
.secrétaires généraux, directeurs, chefs de services et chefs de
bureaux des départements ministériels. Je lui fais savoir que dans
un premier temps, nous avons envisagé le doublement pur et
simple de ces indemnités. L'incidence budgétaire s'élève à un
milliard trois cent cinquante millions de Francs CFA6. Ne dispo-
sant point d'une dotation atteignant ce montant, nous avons révisé
le taux à la baisse. L'incidence avait alors été ramenée à un
milliard cent cinquante millions. Une dernière hypothèse avait
abouti à une incidence de un milliard cent millions, compte tenu
du grand nombre de chefs de bureaux, de chefs de service et de
directeurs. Je lui fais savoir que nous avons estimé ne pas pouvoir
descendre plus bas.
2 décembre
Un proche collaborateur d'un chef d'Etat peut-il être consi-
déré comme un homme politique, ou comme un simple haut
fonctionnaire? Question à laquelle il est difficile de répondre de
façon catégorique, la frontière entre le politique et l'administratif
étant floue. Un jour, mon prédécesseur au Secrétariat général de la
Présidence de la République me rapporte comment, lors des inves-
titures des candidats par le Parti aux élections législatives, il avait
fait parvenir une note au Chef de l'Etat pour annuler la candidature
d'une dame de mœurs légères,originaire de son département.
N'empêche! Ladite personne est investie et est député à
l'Assemblée Nationale. Il n'a donc été tenu aucun compte de son
information.
Je n'irai pas jusqu'à dire que je me suis retrouvé dans la
même situation au sujet de la municipalité de Nkongsamba, chef-
lieu de mon département d'origine. J'ai, à trois reprises, entretenu
verbalement le Chef de l'Etat de la situation qui prévaut dans cette
ville. A trois reprises également, je lui ai fait tenir une note à ce
sujet, à laquelle était venue s'ajouter une motion collective que
nous avions fait signer par la personne alors considérée comme
l'homme politique du département. Il s'agissait de proposer au
Chef de l'Etat de nommer, pour la première fois, un autochtone au
poste de Délégué du gouvernement, à l'instar de ce qui est fait
dans les municipalités de Yaoundé et de Douala.
Nkongsamba est la seule de ces municipalités où se succè-
dent, depuis un quart de siècle, un maire, ou un Délégué du
gouvernement allogène. N'était-il pas pas temps qu'un aborigène
soit à son tour mis à l'épreuve, en lui confiant la gestion de cette
municipalité? .
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6 décembre
Révocation d'un Ministre
Le Président m'avait demandé d'obtenir du ministre de
l'Education Nationale toutes les pièces justificatives des dépenses
engagées sur la ligne "frais d'études", se rapportant à
l'implantation de l'Université de Technologie. A l'audience de ce
matin, je les lui apporte. Il y jette un coup d'œil rapide et se rend
compte de la manière dont les dépenses ont été engagées. Le
ministre a signé un arrêté irrégulier, octroyant une somme forfai-
taire de cent mille francs par mois à chaque membre du Comité
d'Etudes. Plus grave, il a lui-même émargé pour six cent mille
francs.
- C'est un voleur, ce gars! s'écrie Ahidjo. Ce n'est ni plus
ni moins qu'un détournement de deniers publics. Je vais le révo-
quer. Contactez le ministre des Finances. Ils doivent tous
rembourser.
fi actionne le système de sonnerie et son Aide de camp entre.
- Dites au Ministre de l'Education nationale que je le reçois à
17h30.
Il est 18h. Mon garde du corps me signale l'arrivée du
ministre de l'Education nationale qui demande à me voir. Je sais
qu'il revient de l'audience que le Chef de l'Etat devait lui accorder
à 17h30. J'ordonne qu'on l'installe au salon. C'est un homme
abattu que je trouve. Il est resté debout. Je l'invite à s'asseoir. Il
ne peut se retenir et éclate en sanglots. Il pleure à chaudes lannes.
Je fais de mon mieux pour le consoler.
- Le Président m'a chassé de son bureau, me dit-il. Il n'a
même pas voulu que je m'explique. Il m'a dit que j'irai
m'expliquer devant les tribunaux.
C'est dans ces conditions que nous nous séparons.
7 décembre
Je suis reçu en audience par le Chef de l'Etat à 9h30. Je lui
fais le compte rendu de mon entretien de la veille avec le ministre
de l'Education Nationale, et ne manque pas de lui dire combien
j'ai été peiné de voir un membre du gouvernement pleurer comme
un gosse.
- En effet. Il a la lanne facile. Il m'est revenu qu'il a égale-
ment pleuré lorsqu'il il a été mis fin à ses fonctions de ministre
des Finances, il y a quelques années. Ce sont des larmes de
crocodile. Je vais le révoquer.
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1978
3 Janvier
Je me rends à l'audience de 9 heures. Le Président, sans être
de mauvaise humeur, me paraît quelque peu crispé. Je lui présente
les dossiers que j'ai sous le bras.
_ Eboua, je veux vous parler sincèrement, et en toute inti-
mité. Je saisis l'occasion de cette nouvelle année pour le faire.
Vous vous acquittez de vos responsabilités avec dévouement,
célérité et compétence. Mais vous savez que vos fonctions exigent
que vous vous placiez au-dessus de certaines considérations. Il est
avéré que vous vous entourez des vôtres. Bien sûr, c'est délicat.
n y a des familiers que vous ne pouvez pas vous empêcher de
fréquenter... Mais la nature de vos responsabilités devrait faire en
sorte que votre domicile ne devienne pas une place publique, un
lieu permanent de fête. En outre, je n'ai pas apprécié votre attitude
dans l'affaire des Chargeurs. Vous avez vous-même pris connais-
sance du dossier. Vous avez vu comment le responsable de cet
organisme a dilapidé les fonds. Comment avez-vous pu donner
les instructions, dont vous m'avez parlé, à celui qui vous repré-
sentait à la réunion présidée par le Premier Ministre7? Vous auriez
dû verbalement donner des directives à votre représentant, sans
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18 mars
Nous sommes à la veille du deuxième tour des élections légis-
latives en France. Je suis reçu en audience à lOh par le Président
de la République. Nous nous entretenons de ces élections.
- Eboua, vous savez, j'ai encore réfléchi depuis le début de
la campagne pour les législatives françaises au problème du multi-
partisme. Je suis arrivé à la conclusion que nos jeunes Etats ne
sont pas mûrs pour instaurer la démocratie à l'occidentale. J'ai
suivi à la radio la campagne, avec toutes les promesses faites aux
Français par ceux qui sollicitent leurs suffrages. Où la Gauche
trouvera-t-elle les moyens pour tenir ses promesses, si par
malheur, elle parvient au pouvoir? Vous savez, j'ai toujours
pensé que l'existence de plusieurs partis n'était pas mauvaise en
soi. Je n'exclus pas la possibilité de l'expérimenter, d'autant que
je suis de cette génération qui, ici même, a mené des combats
parlementaires dans un régime à plusieurs partis. Mais je suis
persuadé qu'au stade actuel, une telle expérience conduirait à la
destruction délibérée de tout ce qui a été réalisé...
Je ne manque pas d'approuver sincèrement l'analyse qu'il
vient de faire, connaissant suffisamment la situation politique du
pays. J'avoue mon admiration pour la maturité politique des
Français, car, en dépit de toutes les sollicitations, assorties de
promesses peu réalistes de la Gauche, ce sont pratiquement 50%
de Français qui ne se sont pas laissés prendre au piège. Or, chez
nous, 90% des électeurs prêteraient une oreille bienveillante à ces
sirènes qui leur promettent ciel et terre. Pour conclure, je fais
remarquer qu'on ne peut pas parler de démocratie sans multipar-
tisme, mais que la démocratie, au sens occidental du tenne, ne
s'improvise pas: elle suppose une période d'apprentissage, et
notre tort n'est pas d'avoir instauré le parti unique, mais de
n'avoir pas jusqu'ici amorcé l'apprentissage des principes élémen-
taires de la démocratie. Je terminai en disant que dès l'école
machine étatique causée par son absence l'a décidé à rentrer plus
tôt que prévu. C'est là ma propre déduction. Ils ne sont pas
légion, en Afrique, les Chefs d'Etat qui ont une telle conscience
de leur charge.
9 mai
J'avais obtenu de passer le week-end dans ma localité
d'origine. Je rentre à Yaoundé lundi soir et dès mardi matin, je
suis reçu par le Président. Je lui fais le compte rendu de l'état
d'avancement des travaux de ma villa en construction à
Nkongsamba : "un gouffre de fonds", lui dis-je. En effet,
l'entrepreneur a exigé six millions de francs pour la seule main-
d'œuvre. Je dois moi-même acheter tous les matériaux, qui sont
constamment détournés. Il manque tantôt ceci, tantôt cela...
- Eboua, ne me parlez pas des affaires de construction. Vous
vous souvenez du projet de ma villa à Garoua. J'ai pris le devis
qui m'était présenté pour le montant global des travaux. Or, tenez-
vous bien, on vient tout juste de me signaler que ce montant ne se
rapporte qu'au gros-œuvre! Il faudra encore deux fois ce
montant, sinon plus, pour les finitions. J'avais demandé quelque
chose de simple, pas un palais avec du marbre partout. Il faut que
je m'adresse à ma banque pour un découvert. Je n'oublierai
jamais, jusqu'à ma mort, le coup qu'ils m'ont fait ...
Il m'interroge ensuite sur l'état de l'opinion dans le Littoral
après la publication de la liste des candidats investis par le Parti
aux prochaines législatives:
- Je n'en sais rien. Je ne m'en suis pas occupé. Je n'ai vu
personne, lui ai-je répondu.
Effectivement, je ne me suis occupé de ces élections qui
relèvent du Parti, ni de près, ni de loin. Je ne suis qu'un simple
militant et j'apprends comme tous les autres, par les médias, les
noms des candidats investis. Qui plus est, le 3 Janvier dernier, j'ai
fait une promesse au Président de la République. J'entends la
tenir.
En effet, il m'est revenu qu'un député bamiléké de
Nkongsamba clame partout que je veux sa tête, à cause du soutien
qu'il apporte aux siens dans le conflit foncier qui m'oppose aux
ressortissants de son ethnie. Il est vrai qu'il avait orchestré une
campagne contre moi dans cette affaire, en dépit de ses
dénégations lorsqu'il a été reçu dans mon bureau, sur sa
demande. Il est également vrai que j'ai entretenu le Chef de l'Etat,
mais aussi le Secrétaire général de l'Assemblée nationale de cette
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17 juillet
"Le pouvoir, c'est l'impuissance", aurait déclaré le général de
Gaulle. Qu'est-ce que le pouvoir en réalité? Dans une société
organisée, qui le détient? Qui décide, ou plus exactement, où se
trouve la genèse des décisions? Autant de questions auxquelles il
n'est guère aisé de répondre avec précision. Je n'avais jamais
ressenti, comme ce jour, à quel point sont désannés ceux qui sont
censés détenir le pouvoir.
Il est 19h lorsque j'arrive à l'hôpital central de Yaoundé, au
pavillon du professeur Eben Moussi. Je suis accompagné de Zoa
Oloa qui rend visite à son père hospitalisé dans ce pavillon. En
descendant du véhicule, nous croisons Koula Edouard,
Administrateur Directeur général de la Société Camerounaise de
Banque. Ce dernier revient sur ses pas et nous accompagne. Le
père de Zoa se sent déjà mieux.
Nous nous apprêtons à repartir lorsque Koula me signale que
Rythé, la fille de Ngallè, internée administrativement pour avoir
été impliquée dans l'affaire des tracts, se trouve juste à côté, dans
la même pièce. Elle a été transférée à l'hôpital pour des raisons de
santé. Je connais bien M. Ngallè. Nous sommes originaires du
même département. Il a été tour à tour mon maître et mon
collaborateur. Quant à sa fille, Rythé, je ne l'ai jamais rencontrée.
Elle est couchée juste à deux pas du lit du père de Zoa. Une feuille
de contre-plaqué de 1,50 m de hauteur l'isole des deux premiers
lits. Deux femmes, en tenue de gardiennes de prison, surveillent
l'accès vers la détenue. Je m'adresse à l'une d'elles pour savoir si
je peux voir la malade. Elle me répond par la négative.
- Il vous faut un permis de communiquer, précise-t-elle.
- Je le sais, lui dis-je. Mais je ne suis pas venu la voir. C'est
incidemment qu'on m'a signalé sa présence ici.
Refus de la gardienne. Je révèle mon identité. Nouveau refus.
Je présente ma carte d'identité spéciale. Rien à faire.
- Scandale! s'écrient les personnes présentes qui me
connaissent.
- C'est votre patron, lui fait-on observer. Du reste, vous
avez tout à l'heure autorisé le Vice-Ministre Awunti, à qui vous
n'avez pas exigé le permis de communiquerpour la voir. Et vous
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1979
3 jan vier
Je n'arrivepas, commeje l'auraisvoulu,à noter régulière-
ment l'essentiel de mes entretiens avec Ahidjo, faute de temps. Le
volume des affaires à traiter augmente chaque jour, et c'est à peine
si je trouve un instant pour rédiger en style télégraphique ma
correspondance personnelle.
Hier, lors de son audience quotidienne, le Président
m'annonce - et je dois le garder pour moi -l'arrivée dans
l'après-midi, de Sissoko Cheik, envoyé du Président Houphouët
Boigny de Côte-d'Ivoire. A quel sujet? Impossible de le deviner.
En tout cas, il voyagera à bord du Grumann présidentiel ivoirien.
Je profite de cette infonnation pour tenter de savoir si Sissoko,
ami de longue date du Président, et mon ancien collaborateur à
Cameroon Airlines, est désormais au service du Président
ivoirien.
- Voyez-vous Sissoko est un opportuniste hors classe.
Depuis l'affaire de la Camair11, je ne le vois plus que sporadi-
quement. Il est en Côte d'Ivoire où il possède une villa; à Dakar,
à Bamako, à Paris... De temps en temps, il vient ici pour vingt-
quatre heures, et repart. Il a repris la fréquentation de son pays, le
Mali. Il a des entrées auprès du Président Moussa Traoré et rend
souvent visite au père de ce dernier. Pendant ce temps, il n'entend
Il. Le Chef de l'Etat avait contraint son ami Sissoko, Directeur des
Relations Extérieures de Cameroon Airlines durant ma présidence, à poser sa
démission de cette compagnie.
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19 mars
Voici un bout de temps qu'il ne m'a pas été possible de
prendre la moindre note. Et pourtant, que de sujets intéressants
j'aurais voulu aborder dans ce journal! Je dispose de moins en
moins du temps. Il est 10h15. Le Chef de l'Etat me reçoit en
audience, comme à l'accoutumée. Nous faisons, comme on dit,
un tour d'horizon des problèmes d'actualité (voir annexes "Le
prochain congrès du Parti"). Il me demande de dire au Premier
ministre d'élaborer un projet de circulaire interdisant désonnais les
cadeaux que les responsables des entreprises publiques,
parapubliques et d'économie mixte adressent aux personnalités à
l'occasion des fêtes de fin d'année.
- Il Y a trop d'abus et trop de dépenses incontrôlables. Je me
rappelle que vous aviez déjà attiré mon attention là-dessus.
L'Aide de camp vient signaler l'arrivée de l'émissaire du
général Malloum, Chef de l'Etat du Tchad. Nous nous entrete-
nons un instant de l'objet probable de cette mission. Vient-il nous
annoncer que le Sud de son pays entend se replier sur lui-même et
faire ainsi sécession? Si c'était le cas, sur qui pourrait compter
cette partie du Tchad pour son ravitaillement en annes, munitions
et autres produits de première nécessité, puisqu'elle sera lâchée
par la France?
- En tout cas, conclut le Président, les Tchadiens risquent de
nous poser des problèmes.
10h45. Le Président me rappelle pour me dire qu'il vient de
recevoir l'envoyé tchadien.
- Le Président Malloum veut se retirer chez nous. Il m'est
impossible d'accéder à cette demande qui risque de nous poser
beaucoup de problèmes.
Après un rapide échange de vues, nous arrivons à la conclu-
sion que la situation au Tchad n'est pas près de se stabiliser. Dès
lors, si le Président Malloum s'installe chez nous, juste à la
frontière, tous les affrontements dans son pays lui seront imputés,
mais à nous également qui l'hébergeons. La meilleure solution
serait donc qu'il s'installe, dans un premier temps, loin des
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29 mai
Ce matin, je suis reçu plus tôt que d'habitude par le Chef de
l'Etat. A 8h45. Le Président regrette d'abord la mise au point que
nous venons de faire sur le problème tchadien, après la Confé-
rence de Lagos. En effet, la presse a présenté cette mise au point
de manière tendancieuse. Selon elle, le Cameroun prend ses
distances, ce qui est loin d'être le cas. Ensuite, nous examinons
quelques dossiers que j'ai avec moi. Après quoi, il m'interroge:
- Vous avez tenniné ?
- Oui, Monsieur le Président
- C'est que j'ai quelque chose d'important à vous dire.
Voilà, Je vais modifier la Constitution. Avec la tension internatio-
nale qui règne en ce moment, il faut prendre ses dispositions.
Selon la constitution, le Président de la République peut - c'est
facultatif - nommer un Premier Ministre. Il faut rendre obligatoire
cette nomination et stipuler comme suit cet article: "Le Président
de la République nomme un Premier Ministre. Pour ce qui est de
la vacance de la Présidence de la République par décès, incapacité
:~physique pennanente, constatée par la Cour Suprême, ou par
démission, les pouvoirs du Président de la République sont
exercés de plein droit par le Premier Ministre pour le reste du
mandat en cours. Ce dernier nomme un nouveau Premier Ministre
et fonne un nouveau gouvernement. En cas d'empêchement
temporaire du Président de la République, le Premier Ministre
assure l'intérim. Si, à son tour, il était empêché, le Président de
l'Assemblée Nationale le fait. Si le Président de l'Assemblée se
trouve lui aussi dans l'impossibilité d'assurer cet intérim, le
premier des Ministres, dans l'ordre de nomination, le fera."
L'après-midi, je revois le Président au sujet de la révision de
la Constitution, avec une note que j'ai demandée à mes deux
Conseillers techniques aux Affaires juridiques et aux Affaires
organiques, de rédiger. Avant l'examen de cette note, je pose la
question suivante au Chef de l'Etat:
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5 juin
Le Ministre d'Etat chargé de l'Administration Territoriale,
Ayissi, m'appelle au téléphone. Il veut s'assurer du libellé précis
du projet de loi portant modification des articles 5 et 7 de la consti-
tution, qu'il aura à défendre devant l'Assemblée nationale. Il me
lit ces modifications pour approbation: "le Premier Ministre, une
fois Chef de l'Etat après démission, incapacité ou décès du titu-
laire du poste peut nommer un nouveau Premier ministre, fonner
un nouveau gouvernement avant de prêter serment. Il prêtera
sennent, non devant l'Assemblée nationale en présence de la Cour
Suprême, mais seulement devant le Bureau de ladite Assemblée".
Du moins, c'est dans ce sens qu'il veut élaborer le texte
modifiant les articles 5 et 7 de la Constitution. Il ne m'est pas
possible de donner mon accord, sans avoir sous les yeux le projet
définitif du texte dont je conserve une copie. Ces deux modifica-
tions m'ont paru suffisamment importantes pour que j'aie
demandé au Ministre d'Etat Ayissi de me faire venir ces deux
projets manuscrits.
6 juin
Le manuscrit du ministre Ayissi me parvient. Je le soumets à
l'étude des Conseillers techniques. Ces derniers soulignent la
pertinence des observations du ministre d'Etat chargé de
l'Administration Territoriale. Mais je ne veux pas trancher, sans
m'en référer à celui qui a pris l'initiative de modifier la Constitu-
tion, le Chef de l'Etat. Il est 18h45. Je sais que le lendemain, le
Président, venant d'Arabie Saoudite où il vient d'effectuer une
visite officielle, arrive à Garoua en fin de matinée, à 11h30
précises. Je décide de me rendre à Garoua le lendemain matin
pour connaître son avis sur les deux observations faites par le
Ministre d'Etat Ayissi. Mon secrétariat me réserve aussitôt une
place dans le vol Camair du lendemain. Décollage à 8h25. Vers
18h, j'appelle le Premier Ministre pour l'infonner de mon dépla-
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7 juin
Il est 7h30 du matin. On me signale la présence du Délégué
Général à la Sûreté venu me remettre un pli pour le Président de la
République. Il m'informe de la manière dont le projet portant
modification de la Constitution a été accueilli à l'Assemblée. En ce
qui concerne la prestation de se111lent,il m'indique textuellement
la position adoptée par le Premier Ministre lors de mon entretien la
veille avec ce dernier. Je décolle de Yaoundé à l'heure prévue,
pour Garoua. A 10h50, l'avion présidentiel en provenance
d'Arabie Saoudite s'immobilise sur l'aire atterrissage. Le Prési-
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8 juin ça y est", me
Je reçois un coup de fil du ministre Ayissi : "
dit-il. Il a demandé une seconde lecture, et le texte a été adopté en
commission dans la version recommandée par le Chef de l'Etat. Il
doit, dès le lendemain, passer en séance plénière. Mais, me dit-il,
le Président de l'Assemblée Nationale lui a demandé de ne pas
faire passer le texte en plénière avant qu'il n'ait rencontré le Chef
de l'Etat. A 18h30, j'entre en communication avec le Chef de
l'Etat, qui me dit qu'il rentre à Yaoundé le 15 Juin. Je lui fais part
des intentions du Président de l'Assemblée Nationale.
_ Vous lui direz que j'ai exposé les raisons de la modification
de certains articles de la Constitution, aussi bien devant le Bureau
Politique du Parti, dont il est membre, que devant le Conseil
ministériel. Il faut donc que le texte passe en séance plénière sans
plus attendre.
23 juin
La grande explication
Au moment où je couche sur le carnet ces notes, une grande
explication va s'ouvrir, dans cinq minutes exactement. De quoi
s'agit-il? Hier, comme chaque matin, j'ai été reçu par le Prési-
apportés.
dent, à 9h30. Nous avons examiné les dossiers que j'ai
Je lui ai ensuite fait état de la manière dont le projet de loi portant
modification de la Constitution a été accueilli par les parlemen-
taires, selon les infonnations non recoupées qui me sont parve-
nues. Du côté anglophone, ce serait l'hostilité à peine voilée. Du
côté francophone, il existe quelques réticences également.
_ Ce n'est pas surprenant que les Anglophones adoptent cette
attitude, déclare le Président. En réalité, ils n'ont jamais été pour
un Etat unitaire, qui les prive - je parle des responsables - des
avantages qu'ils avaient lorsqu'au Cameroun occidental, il existait
une Assemblée et un Gouvernement. C'est la réalité.
En effet, au cours des travaux d'un comité restreint constitué
pour examiner la situation créée par la distribution de tracts d'un
soi-disant mouvement politique anglophone basé à New-York, le
Cameroon Action Movement, les responsables anglophones n'ont
pas caché leur sympathie pour cette initiative, à commencer par le
Président de l'Assemblée Nationale, Solomon Tandeng Muna, qui
présidait ce comité. Selon les responsables anglophones, les tracts
contiennent des vérités concernant certains problèmes qu'il
convient d'examiner, afin de leur trouver des solutions. C'est
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était très inquiet, ne sachant pas s'il serait à nouveau investi par le
Parti. Et cela d'autant plus qu'un député de chez lui l'avait
vivement attaqué et discrédité aux yeux de tOUSaAvant son départ
pour une mission qu'il devait effectuer au Caire, il vint me voir
pour me demander si je jugeais opportun qu'il se portât candidat
aux prochaines élections. Je lui répondis que je ne voyais pas
pourquoi il ne le ferait pas. Très content, il compléta l'imprimé et
déposa sa candidature avant de partir.
Non seulement je le soutins, mais j'estimai en outre anormal
qu'un député puisse attaquer de cette manière le Président de
l'Assemblée Nationale. Je demandai que le mandat de ce député
ne soit pas reconduit. Ce dernier ne fut donc pas réinvesti. Pour
Muna, c'était une double victoire. Non seulement il était, lui,
réinvesti - ce à quoi il ne s'attendait pas - mais surtout, son
adversaire, qui avait failli compromettre son investiture, était
écarté!
Vous voyez ce que j'ai fait pour cet homme! Je l'ai soutenu
contre vents et marées, malgré son impopularité, et son égoïsme
connu de tous. Et c'est le même Muna qui ose prendre parti en
faveur de ceux qui nous critiquent, qui nous combattent, en partie
à cause de sa présence aux hautes responsabilités de l'Etat!
Demain, je le reçois. On va s'expliquer.
28 juin
Le Président ne voulait pas toucher à la composition du
gouvernement avant 1980. Or, selon certaines interprétations des
articles 5 et 7 de la Constitution qui venaient d'être modifiés, le
,Premier ministre en place ne serait pas le même que celui prévu
par les nouvelles dispositions constitutionnelles. Je dois dire qu'à
mon avis, il n'est pas nécessaire de nommer à nouveau le Premier
ministre en place, les nouvelles dispositions constitutionnelles
devant lui être appliquées de droit. Tel était également l'avis du
Chef de l'Etat. Mais tel n'était pas celui des Conseillers du Cabi-
net. A l'issue de deux réunions que je tins avec ces derniers, il
fallait absolument, selon eux, nommer un Premier Ministre
confonnément aux nouvelles dispositions de la Constitution, faute
de quoi, celui en place ne serait pas qualifié pour assurer la
succession comme le prévoient les modifications apportées aux
articles 5 et 7. C'est dans ces conditions que Paul Biya, Premier
ministre en place, a été à nouveau nommé par un décret daté du
30 juin.
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20 octobre
Je passe voir le Président à 11h40. Après avoir examiné des
dossiers en instance, nous passons en revue un certain nombre de
sujets. A propos du Comité Central du Parti qu'il a présidé dans la
matinée, il m'apprend que les comités ont été constitués pour la
relance du Parti. Lors des réunions que ces comités tiendront, il
sera fait état de la dernière tentative des militaires pour renverser le
régime, afin de couper court aux spéculations de plus en plus
fantaisistes. De mon côté, je lui rapporte ce que disent les gens au
sujet de cette tentative.
Il me parle ensuite d'un marché signé par Kwayep pour la
fourniture de chaises à la maison du Parti de Bafoussam : 28
millions! Or, pour le même marché, Ayissi a reçu des proposi-
tions pour 19 millions. Evidemment, j'ai donné mon accord à
Ayissi. Je suis écœuré par la manière dont les gens cherchent à
tout prix à s'enrichir. J'en profite pour lui dire que c'est la raison
pour laquelle certains sont braqués contre la Direction Centrale des
marchés.
_ En effet, parce qu'ils ne peuvent plus voler! Il faut tenir
bon et, au besoin, ne pas hésiter à faire comprendre aux uns et
aux autres que c'est moi-même qui attribue les marchés. Ils auront
peur. Ce que je crains, c'est que votre équipe risque de succomber
à la tentation que représente la corruption. Il faut la tenir bien en
main et, au besoin, faire comprendre à vos collaborateurs qu'ils
ne doivent recevoir personne en privé, ou à leur domicile et leur
dire qu'ils sont sUlVeillés 14.
22 octobre
Au cours de l'audience de ce jour, le Président me confinne
son intention de procéder à un petit remaniement ministériel au
mois de novembre. Qui partira, qui restera, qui entrera? Nul ne
peut le savoir. Tout ce que je sais, c'est qu'il m'a demandé de lui
communiquerquelques noms de hauts fonctionnairesoriginaires
des départements du Ndian et de la Mémé.
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1er novembre
Ce matin, le Président m'apprend qu'il va procéder au rema-
niement ministériel:
- Je compte le faire le 8 de ce mois. N'est-il pas possible de
tenir plus tôt le Conseil d'Administration de la Camair, convoqué
pour le 12 Novembre?
Quelques jours auparavant, il m'avait révélé son intention de
relever de ses fonctions le P.D.G. de cette compagnie, qui, selon
lui, ne fait pas l'affaire. Le Président connaît ma position sur le
fonctionnement de la Camair. Le changement du P.D.G.
de la Camair relevant de la compétence de son Conseil
d'Administration, il aurait voulu que ce changement intelVînt en
même temps que le remaniement ministériel. Où trouver un
nouveau P-D.G. ? Nous pensons à Zambo, ou à Abanda Metogo.
Le Chef de l'Etat m'informe de son intention de se séparer de
certains membres du gouvernement. fi me cite les noms des dépar-
tements concernés: l'Energie, les Transports, les Eaux-et-Forêts.
fi me communique les noms de deux Anglophones et me demande
de les recevoir en audience; de m'entretenir avec chacun d'eux, et
de lui rendre compte de mes impressions. Auparavant, une
réunion houleuse s'est tenue au ministère de l'Agriculture, au
cours de laquelle la brouille entre le chef de ce département minis-
tériel et son Vice-Ministre a éclaté au grand jour. Ahidjo entend en
tirer les conséquences: le ministre changera de portefeuille. Quant
à son Vice-Ministre, il entend s'en séparer, mais me demande de
recevoir le Secrétaire général de ce ministère, afin qu'il me dise
objectivement ce qui s'est passé. L'après-midi, à 16 heures, je
reçois le premier Anglophone. Il ne me fait pas mauvaise impres-
sion. J'en rends compte au Chef de l'Etat. Malheureusement, le
responsable sous l'autorité duquel ce haut fonctionnaire exerce
estime qu'il est sans personnalité. Je dois dire qu'on se trompe
facilement sur l'attitude, toute de soumission, de certains Anglo-
phones devant l'autorité. Ce qui est loin de signifier qu'ils sont
dépourvus de personnalité. Souvent, ils cachent leur jeu. J'en ai
moi-même fait l'expérience. Outre ce renseignement défavorable
sur le compte du premier des candidats, le frère de ce dernier est
député à l'Assemblée Nationale. Faut-il que les membres d'une
même famille accaparent tous les postes de l'Etat? Il n'a certaine-
ment pas de chance d'être retenu.
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2 novembre
Je reçois le second Anglophone. Celui-là me fait nettement
bonne impression. J'en rends compte au Président. Je ne doute
point qu'il sera retenu. Aux Transports? Le même jour, je reçois
le Secrétaire général du ministère de l'Agriculture. Il me rend
compte de la réunion présidée par son ministre en présence du
Vice-Ministre et des accusations portées contre ce dernier, etc.
- Et vous, que pensez-vous honnêtement de ces accusations?
Il m'avoue que tous les hauts fonctionnaires qui accusent le
Vice-Ministre sont des aigris, presque tous relevés des postes de
responsabilité.
- A cause de cela, poursuit-il, le Vice-Ministre des Eaux-et-
Forêts qui est lui-même forestier de formation, n'a aucune
confiance en ces derniers et les soupçonne de complicité avec les
exploitants forestiers, ce qui d'ailleurs, n'est pas totalement faux.
Certains de ces hauts fonctionnaires ont des intérêts dans des
exploitations forestières.
J'en rends compte au Chef de l'Etat et plaide en faveur du
maintien du Vice-Ministre au sein du gouvernement. Nous en
arrivons à la conclusion de le garder, son éviction du gouverne-
ment équivalant à une sanction. Il est donc convenu que tous les
deux changeront de portefeuille: le ministre et son Vice-Ministre.
Ce dernier deviendra Vice-Ministre de l'Administration Territo-
riale, en remplacement de son homologue qui s'y trouvait et qui
deviendra ministre de l'Elevage et des Industries animales.
Voilà ce que je sais, à cette date, du remaniement ministériel
en préparation. Le Président me fait confiance en me révélant
certaines de ses intentions secrètes, très secrètes. Ni mes gestes,
ni mes propos ne devront les trahir. Même mon épouse n'en saura
rien, jusqu'au jour où ces intentions seront rendues publiques.
5 novembre
A 7h20, le téléphone "rouge" retentit à mon domicile.
- Eboua ?
- Oui, Monsieur le Président.
- Voulez-vous venir au bureau un peu plus tôt, à 8h15 ?
Je suis dans mon bureau à 8h15 et vais le voir. Nous nous
entretenons des événements de Makary15, à l'extrême-Nord du
15. Un marabout avait drogué des jeunes gens, prétendant les blinder
contre des balles. Les gendarmes envoyés pour enquêter sont agressés et
quatorze d'entre eux sont tués d'où l'intervention des parachutistes qui à son
tour, fait une trentaine de morts.
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6 novembre
Je monte voir le Président aux environs de 10h, et lui présente
les dossiers que j'ai avec moi. Il est de mauvaise humeur, ce qui
est rare, et ostensiblement tendu. Sur une liste de personnes
devant se rendre en mission, figure le nom du P.D.G. de la Régie
Nationale des Chemins de Fer.
Il me demande de le barrer. Il ne partira pas. "Je vais le
relever aussi", me dit-il.
C'est alors qu'il me prend à partie:
- Un rapport est parvenu ici sur la S.C.B.. Vous l'avez
bloqué.
Devant ma sutprise, il reprend:
- Oui, Kamgueu m'a dit qu'il a rédigé une note sur ce
rapport, et que vous lui avez demandé de l'envoyer à Koula,
Directeur général de la S.C.B. Si on fait un rapport sur la S.C.B.,
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7 novembre
Réunion du Conseil ministériel. Il s'agit du plus bref Conseil
depuis la fonnation du gouvernement en 1975. Il est llh lorsque
chef de l'Etat fait son entrée dans la salle.
- Mesdames, Messieurs, je vous ai convoqués pour vous
dire que demain, je vais procéder au remaniement du gouverne-
ment. Je remercie les partants, autant que ceux qui resteront, de
tout les concours que vous m'avez apportés depuis quelques
années.
Il lève la séance et se retire dans son bureau.
Tout a été expédié en trente secondes. C'est la première fois
que je le vois procéder ainsi. Pourquoi ces 24 heures
d'incertitude? Une véritable torture pour plusieurs membres du
gouvernement qui ne donniront pas cette nuit, se demandant s'ils
seront reconduits dans leurs fonctions. Une demi-heure avant, il
m'a reçu pour me révéler les changements qui vont intervenir.
Partiront du gouvernement: Sengat Kuo et Yadji Abdoulaye,
ministres Chargés de mission à la Présidence de la République;
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8 novembre
Il est 10h lorsque le Président m'appelle dans son bureau.
Contrairement à son habitude, il se lève dès que j'entre et nous
passons immédiatement dans la salle voisine qui contient une table
de réunion. Il me demande de prendre des notes, et de préparer un
projet de décret portant nomination des membres du gouverne-
ment. Les noms des partants me sont dictés, ainsi que ceux des
nouveaux qui font leur entrée dans le gouvernement. A une
exception près, cette liste correspond aux révélations qu'il m'avait
déjà faites la veille. Le seul nouveau nom panni les partants est
celui de Naah Robert, alors Vice-Ministre de l'Economie et du
Plan. Je suis également peiné de ce départ auquel je ne m'attendais
pas du tout. Qu'a-t-il pu faire, Naah ? La compétence ne peut être
mise en cause. Je sais qu'il ne s'entend pas avec son ministre,
y oussoufa Daouda. Ces derniers temps cependant, j'avais
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10 décembre
Je monte voir le Président vers lOh. Nous examinons les
dossiers que j'ai avec moi. Il me demande ensuite si une allo-
cution a été préparée pour lui à l'adresse du corps diplomatique
qui lui présentera les veux de fin d'année. J'en profite pour lui
demander la date retenue par le Cabinet civil pour cette cérémonie.
Il décroche son combiné téléphonique et appelle le Directeur du
Cabinet Civil. Ce dernier n'a pas l'air de connaître la date retenue
pour cette cérémonie. Il ajoute que M. Ekedi, le Chargé de
mission, qui suit l'organisation de celle-ci, est absent.
- Ecoutez, Beb, qui est le Directeur de Cabinet? Est-ce vous
ou Ekedi ? Il fait tout, vous n'êtes au courant de rien. Et vous
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14 décembre
Nous nous entretenons du nouveau ministre Chargé de
Mission à la Présidence de la République.Je fais état des besoins
de ce dernier. Il demande notamment que les véhicules de ses
prédécesseurs, Sengat et Yadji, lui soient affectés.
- Il n'en est pas question. Vous devez appliquer les textes
régissant l'attribution et l'utilisation des véhicules administratifs.
Vous savez, j'ai commis une erreur. Je n'aurais pas dû rappeler
Doumba au gouvernement. Il serait ainsi resté dehors, ne serait-ce
que pour six mois. Il était à l'Assemblée, puis à l'Infonnation,
ensuite à la Justice. Ici, il est réduit à la rédaction des discours. Il
n'a plus les avantages qu'il s'octroyait. Il ne peut être qu'un aigri.
Il me cite alors l'exemple d'un ancien ministre, non repris
dans le gouvernement, et qui, au bout d'un certain temps, se mit à
se lamenter partout, sollicitant l'intervention des uns et des autres
pour être repris, ne serait-ce qu'en qualité de planton. "Et lorsque
je l'ai rappelé comme Conseiller Spécial, il était tellement
content l" conclut-il.
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1980
15 février
Le 6 Février dernier, vers 19h15, un appareil gabonais ayant
à son bord M.Journiac, Conseiller à la Présidence de la Répu-
blique française pour les Affaires Africaines, s'est écrasé à
quelques kilomètres de l'aéroport de Ngaoundéré. Parmi les cinq
occupants de cet appareil, un Grumann du Président gabonais
Omar Bongo, il n'y a eu aucun survivant. Le Président Ahidjo
adresse aussitôt deux messages de condoléances, l'un au Prési-
dent français, et l'autre à son homologue gabonais. Un troisième
message est adressé à la famille Joumiac. Mieux, le Président
Ahidjo assiste personnellement à la levée des corps à Ngaoundéré
où. il se trouve au moment de l'accident, ainsi qu'à la messe célé-
brée à cette occasion.
Dès le jeudi, Ahidjo décide de dépêcher auprès de son homo-
logue français son Directeur de Cabinet civil, qui a rang et préro-
gatives de ministre, avec un pli par lequel il renouvelle ses condo-
léances. Le Secrétaire Général-Adjoint de la Présidence est
également dépêché auprès du Président gabonais, avec un pli
analogue. Le même jour, j'adresse à la Présidence de la Répu-
blique Française un message annonçant le jour et l'heure de
l'arrivée de l'appareil à bord duquel se trouve l'envoyé personnel
du Président camerounais. Ainsi, je suis sûr qu'il sera attendu et
accueilli avec les égards dus à son rang. J'adresse un second
message à notre Ambassade à Paris pour annoncer ce déplace-
ment.
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6 mai
Hier, le Président de la République a prêté serment à
l'Assemblée Nationale pour un nouveau mandat de cinq ans. Ce
matin, je suis reçu à 9h. Nous parlons du pouvoir.
- Vous savez, Eboua, ce qui me déçoit le plus? C'est la
tendance de certains responsables à se croire indispensables. Lors
de mon récent séjour en France, j'ai reçu mon ami Moktar Ould
Daddah, ancien Chef de l'Etat mauritanien. En dépit de tout ce qui
s'est passé dans son pays, il m'a laissé entendre qu'il demeure à
la disposition de son peuple, et qu'il est disposé à revenir aux
affaires si on fait appel à lui.
12 juin
Je suis reçu par le Président à 9h30, et nous parlons d'un
Conseiller Spécial. Je lui rapporte que l'intéressé a dû oublier
d'assister à la réunion préparatoire consacrée au voyage officiel
que le Président s'apprête à effectuer en Roumanie.
- A ce propos, n'avez-vous pas constaté un changement dans
son attitude ces derniers temps?
Je réponds que mon épouse a constaté que depuis un certain
temps, l'épouse de l'intéressé ne nous tient pas à cœur, et nous
évite systématiquement lors des réceptions données au Palais.
Pour le Président, ce collaborateur a changé d'attitude depuis son
retour du Congrès de Bafoussam.
- Que doit-on faire pour les hommes? s'écrie-t-il. A son
retour d'Addis-Abeba, il n'avait rien à faire. Je l'ai rappelé ici, et
voilà! Peut-être est-il déçu par la promotion de Bello? Il a pris le
J.11aquis,à l'instar de Sengat. A propos, entre nous, avez-vous
encore des bureaux? Lors du prochain remaniement, il est
possible que je nomme un autre ministre Chargé de Mission.
Je lui réponds que mon adjoint rejoindra incessamment son
nouveau bureau, que Foncha occupera celui que mon adjoint a
libéré, et que le ministre Doumba ayant lui aussi rejoint le sien
dans le nouvel immeuble, son ancien bureau est disponible. Qui
sera ce second ministre Chargé de Mission? Deux noms me
viennent à l'esprit, je ne sais pourquoi: Keutcha et Ousmane
Mey.
13 juin
Le Président me demande de passer dans ses appartements à
8h15. En effet, dès 9h, il doit s'envoler pour le nord du pays.
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25 juin
A 10h, je monte voir le Président. Il m'apprend qu'il se
rendra à Douala le samedi suivant. C'est de là qu'il partira lundi
pour Freetown. Au retour, il fera un petit crochet par Dakar et ne
rentrera à Yaoundé que le 8 juillet.
- C'est à mon retour que je procéderai au léger remaniement
ministériel dont je vous ai parlé.
12 juillet
- Eboua, vous manquez souvent d'objectivité, et ce n'est
pas sérieux, au poste que vous occupez. Vous avez bien pris
connaissance du dossier que Libock m'a remis sur cette affaire, et
que je vous ai communiqué. C'est donc vous qui êtes à l'origine
de l'arrestation du garçon qui a vendu le terrain, puisque vous
m'avez vous-même déclaré que vous avez saisi la Sûreté, la
Justice et les Domaines?
Celui qui me parle ainsi, est le Chef de l'Etat. De quoi
s'agit-il? D'une affaire de terrain à Douala. Un jeune homme
profite de l'état de santé de son père - paralysé - pour vendre le
terrain sur lequel ce dernier vit encore, avec ses femmes et ses
enfants. Panni les acquéreurs, un de mes collaborateurs, Libock,
êt un autre cadre de sa tribu. Pour moins de 900 m2 de superficie,
ils ont versé, frais d'enregistrement inclus, 40 millions de francs
CFA. Or, les autres membres de la famille du jeune homme qui a
engagé la transaction s'insurgent contre cette vente. Mais toutes
les portes leur sont fermées pour faire aboutir leur opposition.
C'est le cas au niveau du notaire, un certain Minlend, au niveau de
la Police Judiciaire également, qui, bien qu'ayant appréhendé le
jeune délinquant, le remet en liberté et refuse de transmettre au
Parquet les résultats de son enquête, au niveau enfin du Procureur
de la République qui s'emploie à décourager les plaignants avant
même que le dossier ne lui palVienne.
C'est dans ces conditions que l'une des épouses du proprié-
taire du terrain, que je n'ai jamais rencontrée, se souvient avoir de
lointains liens de parenté avec mon épouse. Elle monte donc à
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c'est parce que toutes les portes lui étaient fennées à Douala. Au
cas où le Chef de l'Etat n'y voit pas d'inconvénient, nous
pourrions laisser l'affaire suivre son cours au niveau des rensei-
gnements que j'ai sollicités.
Ahidjo m'a donné son accord sur cette proposition. Je tombe
donc des nues, lorsqu'après avoir reçu le dossier en retour, avec
mon mot, le Président me reproche de manquer d'objectivité au
poste où je me trouve et d'avoir fait arrêter le garçon qui a vendu
le terrain etc. Serait-ce parce que la requérante se dit apparentée à
mon épouse? Je me pose la question de savoir si le Président me
fait vraiment confiance. En tout cas, c'est le jugement le plus
sévère qu'il ait jamais porté sur mon action à ses côtes, et j'en suis
d'autant plus navré que je ne pense pas du tout le mériter.
Objectivité? Concept difficile à cerner. D'un individu à
l'autre, les problèmes, et la manière de les résoudre, ne sont pas
perçus sous un même angle. La situation se complique encore
davantage selon le degré de véracité des éléments à partir desquels
on statue sur un cas donné. Si l'on prend en considération ces
éléments, avec la conviction qu'ils sont exacts, on décide en toute
objectivité, du moins pense-t-on. Mais supposons que ces
éléments, que l'on croit exacts, aient subi une certaine manipula-
tion. La personne qui décide à partir de ces derniers manque peut-
être d'objectivité, parce qu'elle n'a pas recherché l'exacte vérité,
ce qui est plus facile à dire qu'à faire, sans que pour autant cela ait
été dans ses intentions. En réalité, manquer d'objectivité, c'est
délibérément trancher un problème dans le sens contraire des
éléments justes qui plaident en sa faveur. Ce n'est ni plus, ni
:moins que de la mauvaise foi au selVice de la subjectivité.
On peut donc manquer d'objectivité dans certains cas, alors
qu'en réalité, on était de bonne foi. C'est la raison pour laquelle je
ne crois pas mériter l'appréciation sévère portée sur moi dans cette
affaire. Dans quels domaines ai-je manqué d'objectivité? Dans le
traitement des dossiers? Lorsque j'émets, pas toujours d'ailleurs,
un avis sur tel ou tel dossier, ce ne peut être que mon point de
vue, qui ne lie en rien le Chef de l'Etat. Je suis rarement sollicité
pour faire des propositions de nomination à des postes de respon-
sabilité, le cas de Mundi Ko'o ayant constitué une exception. Je
ne suis pas toujours les promotions, même pas celles de mes
proches collaborateurs,contrairement à ce qu'on pense générale-
ment. Alors, si je manque d'objectivité, quel sens donner à ma
présence ici?
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28 août
Le Président vient de se rendre en visite officielle à Bucarest.
Augusta16 a pris l'avion hier pour Paris. Je ne risque donc pas
d'être sollicité ni par la Présidence, ni par mon domicile. Rentré
du bureau, je décide de prendre un peu d'air et de changer un peu
d'ambiance. Il faut dire que cela a été programmé, puisque je dois
aller chercher, aux environs de 20h, la personne qui habituelle-
ment m'infonne sur beaucoup de choses. Cela fait aussi partie du
métier. A 19h, la police, en faction à mon domicile, me signale la
visite de l'ex-Colonel Etondè Ekoto. Il ne m'est pas possible de le
recevoir, à cause du rendez-vous fixé à la personne qui m'attend.
A 19h50, elle n'est pas présente au lieu du rendez-vous. Je tourne
pendant 20 mn et, enfin, je la trouve. Le cap est mis sur Obala.
Nous causons tout en roulant à 40 km à l 'heure. Tout d'un coup,
le rétroviseur réfléchit le faisceau de lumière des phares d'un véhi-
cule qui arrive derrière nous. Rien de plus nonnal.
Le véhicule nous double, et son immatriculation porte deux
lettres blanches - S.N. - sur fond rouge: Sûreté Nationale.
Ronde de routine ou, pourquoi pas, un véhicule des services de la
Sûreté d'Obala, de Monatélé ou de Bafia, revenant de la capitale?
Le véhicule s'éloigne et disparaît. Deux kilomètres plus loin, nous
retrouvons le même véhicule à l'arrêt, après avoir dépassé de
50 m environ la bifurcation, à droite, que j'emprunte pour aller
chasser. S'attendent-ils à ce que je tourne par là ? L'un des
occupants est sorti du véhicule et fait semblant de vérifier les feux-
arrière. Nous les dépassons. Mais peu de temps après, le même
véhicule nous rejoint et nous double. Nous le trouvons 5 km plus
loin, à nouveau à l'arrêt, après avoir à peine dépassé une autre
bifurcation que j'emprunte également pour la chasse. Comme au
précédent arrêt, un des occupants est descendu et fait semblant
d'essuyer le pare-brise. L'envie me prend de m'arrêter et de leur
demander s'ils ont des ennuis mécaniques. Pour qu'ils me
reconnaissent, bien qu'ils savent pertinemment la personne qu'ils
suivent! Je ne le fais pas, et nous continuons notre route. Il n'y a
point de doute: je suis filé, et grossièrement. A nouveau, le véhi-
cule que nous avons laissé derrière nous se signale dans le rétro-
viseur. Je décide alors de rouler très lentement, à peine 30 km à
l'heure, pour voir la réaction de ses occupants. C'est plutôt gênant
pour eux, de me filer à cette vitesse. Ils sont donc obligés de nous
doubler une troisième fois. Cette fois, après qu'ils aient disparu à
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20 septembre
Je vais à l'audience quotidienne. Je ne sais plus à quel propos
le Président me parle de la fatalité.
- Eboua, vous savez, j'ignore ce qu'il en est de vous autres
chrétiens. Nous, les musulmans, croyons en la fatalité, au destin
écrit de tout homme. Il suffit, notamment pour ceux qui ont réussi
- je veux dire ceux qui sont ce que je suis, ou ce que vous êtes -
d'une rétrospective pour s'en rendre compte. Comment ne pas
croire au destin? En ce qui me concerne, savez-vous que j'ai failli
faire l'Ecole d'Agriculture comme Keutcha ? Et si je l'avais faite,
est-il certain que je serais ce que je suis? Et vous-même, si vous
aviez continué à enseigner au lycée, est-il certain que je vous
aurais appelé ici? Et même à votre retour de France, si vous étiez
parti à l'université comme vous en aviez l'intention au lieu de
rester au lycée, peut-être n'auriez-vous pas été appelé au ministère
comme Directeur de l'Enseignement du Second Degré d'où je
vous ai fait venir à mon cabinet comme Chargé de Mission. ..
C'est à partir de ces remarques pertinentes, selon lesquelles le
rationnel cède souvent le pas au hasard dans la vie des hommes
que le Président Ahidjo me parle de sa scolarité, de l'école
primaire élémentaire à l'école primaire supérieure d'abord; de sa
carrière politique ensuite.
- Je me suis retrouvé au cours moyen deuxième année avec
certains camarades tels que Yadji Abdoulaye, le préfet Maïdadi
Sadou et un métis. J'étais assez bon élève, mais je ne fus pas reçu
au concours d'admission à l'Ecole Supérieure de Yaoundé. A
l'époque, fin 1937-début 1938, on était considéré comme très
instruit dès qu'on était titulaire du C.E.P.EI? Je me rends donc à
Maroua où je fus engagé dans un bureau par un Administrateur
colonial. J'appris à taper à la machine, c'est ainsi que j'entrai dans
la vie active. A cette époque, une épidémie de méningite sévissait
à Maroua, et faisait de nombreuses victimes. Ma mère prit peur et
vint à Maroua me demander de quitter cette ville et de revenir avec
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10 octobre
Le Président me reçoit en audience. Entre autres, il me reparle
de l'affaire du terrain des Libock. Entre-temps, il a reçu le
ministre de la Justice, Garde des Sceaux, qui l'a certainement
entretenu de la culpabilité incontestable du Notaire Minlend. Le
Président évoque l'affaire. Evidemment, je me tais. C'est que le
jugement qu'il a porté sur moi à ce propos demeure présent dans
mon esprit. Il va jusqu'à reprendre mot à mot une phrase de la
note que je lui ai faite, à savoir que les acquéreurs sont peut-être
de bonne foi, mais pas leur Notaire. Il me recevra, dit-il, avec
Libock à 11h30.
Il nous reçoit effectivement et, sans détour, signifie à Libock
que leur notaire n'a travaillé que sur de faux documents, et qu'il
s'agit d'un bandit; que les Libock feraient mieux de récupérer
leurs 40 millions, s'ils le désirent, sinon, ils risquent de les
perdre... Libock tente de justifier le Notaire.
- Mais Libock, reprend Ahidjo. Vous ne croyez que ce que
vous dit votre Notaire, alors qu'il ne s'est servi que de faux
documents. De toute façon, je tenais à vous mettre en garde. Je
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n'ai aucun intérêt dans cette affaire. La justice suivra donc son
cours.
Je me suis ultérieurement posé la question de savoir pourquoi
le Chef de l'Etat avait tenu à entretenir Libock de cette affaire en
ma présence. S'est-il rendu compte qu'il m'avait blâmé un peu
hâtivement. De toute façon, une balle tirée ne revient jamais dans
le canon.
5 novembre
Le Président reçoit le Premier Ministre et moi-même à 10h. Je
ne sais plus à propos de quel dossier, le Premier ministre,
s'adressant au Chef de l'Etat, déclare avoir examiné cette affaire
avec "le Ministre d'Etat". Le Président le reprend:
- Avec le Secrétaire Général.
Le Premier Ministre, embarrassé, bafouille quelques mots,
justifiant sa déclaration par l'habitude.
- Oui, répond Ahidjo. Surtout dans cette maison.
- Monsieur le Président, lui dis-je, j'ai tout fait pour qu'on
ne me désigne pas par le terme "Ministre d'Etat". Sur les impri-
més qui me sont destinés, ne figure nulle part ce terme. C'est une
question d'habitude, car mon prédécesseur était Ministre d'Etat
Secrétaire Général.
Se tournant vers le Premier-Ministre:
- Parce que vous étiez Ministre d'Etat! Mais après tout, cela
revient au même, conclut-il.
Mais pas du tout. J'avais déjà relevé la nuance. Pourquoi cette
équivoque? Je pensais qu'il plaisantait. Or, il n'en était rien. Plus
.\tard,mon adjoint, Bello Bouba Maïgari, me révélera que la même
réflexion a été faite au ministre Youssoufa Daouda. Mon senti-
ment est que le Président est de plus en plus sensible à tout ce qui
peut corroborer l'idée de la toute-puissance prêtée au Secrétariat
Général de la Présidence.
En effet, ce dernier, parce qu'il coiffe l'action des ministères
- le Premier Ministre lui-même est tenu d'y transiter pour bon
nombre de ses dossiers - est considéré comme influent, tout-
puissant. Depuis que les Marchés Publics lui ont été également
confiés, en partie à cause de son efficacité, les critiques qui n'ont
pour justification que des intérêts compromis, ne lui sont pas
épargnées. Dès lors, le chef de l'Etat veut-il briser la "toute-
puissance" qui nous est prêtée? Y croit-il? Qui d'autre que lui sait
que son Cabinet n'a aucun pouvoir qui lui soit propre? Le livre de
Samy Cohen qu'il m'a prêté et dont je me propose de remettre un
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27 novembre
Le Président rentre de Conakry, via Dakar. Il a trouvé, me
dit-il, dans ce pays, un peuple abreuvé de slogans, mais accusant
vingt ans de retard sur le plan économique. Conakry, en dehors
de deux nouveaux immeubles, n'a point évolué depuis vingt ans.
Ahidjo en profite pour me dire que le Président Senghor quitte le
pouvoir. Il démissionnera le 31 Décembre. Abdou Diouf, qui doit
prendre la succession, n'est pas très enthousiaste.
5 décembre
Le Président me parle d'un Bamiléké, Conseiller à la Cour
Suprême de surcroît, qui fait la réflexion suivante au Secrétaire
Général de l'Assemblée Nationale: "Vous savez, Monsieur le
Secrétaire Général, sans fausse modestie, ce pays nous appartient
- entendez, appartient aux Bamiléké." Et le Président de
conclure:
- Curieuse conception de l'unité nationale, n'est-ce
pas?
16 décembre
Le Président et moi évoquons le passé. Il revient sur le cas
Soppo dont il m'a déjà parlé, et déclare:
- Soppo avait l'étoffe d'un homme d'Etat. Il aurait pu accé-
der au pouvoir et le garder. Ce qui lui a été fatal, est l'erreur qu'il
a commise en 1957. S'il avait composé avec la majorité de
l'époque, il aurait eu toutes les chances d'accéder au pouvoir.
Malheureusement pour lui, il a voulu jouer la carte d'un certain
progressisme en flirtant avec l'U.P.C. pensant que ceux qui se
disaient nationalistes à l'époque constituaient l'avenir. Il voulait
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donc les ménager pour bénéficier de leur soutien. Hélas, pour lui,
les choses ont pris une autre tournure.
Lorsqu'en 1958 j'ai été appelé à former le gouvernement,
Soppo, en sa qualité de chef de file du Groupe des Huit auquel
appartenaient Assalé, Bellè, Ekwabi, pensait que je ferais appel à
lui. Je me proposais bien de leur consentir quelques portefeuilles,
mais à titre individuel et non pas au Groupe en tant que tel. C'est
ainsi que je convoquai Assalé, Bellè et un troisième pour leur
proposer des portefeuilles. Ils répondirent qu'ils devaient consul-
ter leur groupe. Je leur donnai une matinée. Dès que Soppo apprit
que certains membres de son groupe avaient été contactés sans
passer par lui, il posa ses conditions: ces portefeuilles devaient,
selon lui, être attribués au Groupe à qui revenait la charge d'en
désigner les bénéficiaires. Lorsque cette exigence me fut
rapportée, je la repoussai et leur donnai un moment de réflexion
pour savoir si, en tant qu'individus, ils entendaient, oui ou non,
faire partie du gouvernement. Sur place, Assalé me notifia son
accord pour faire partie du gouvernement. Je le nommai Ministre
des Finances.
20 décembre
Je reçois Pierre Biarnès qui représente le journal Le Monde en
Afrique Occidentale, et réside à Dakar. Nous évoquons la situa-
tion politique du Sénégal, et notamment l'ouverture démocratique
en cours dans ce pays. Nous nous entretenons également de
l'expérience ivoirienne dans ce domaine. Pour Biarnès, le Prési-
dent Senghor n'est pas parti du pouvoir à cause de la mauvaise
situation économique de son pays. C'est un départ qui a été voulu
et préparé. Quant à ce qu'on pourrait appeler ouverture démocra-
tique en Côte-d'Ivoire, à la suite des élections législatives qui ont
pratiquement balayé l'ancienne équipe, ce n'est qu'apparence, les
uns et les autres ayant voté pour la "tribu" .Je fais remarquer, en
abondant dans son sens pour ce qui est du Sénégal, que le Prési-
dent Senghor a préparé sa succession, car son ancien Premier
Ministre a officiellement été déclaré dauphin, et que le Cameroun,
à quelques variantes près, est sur la même lancée.
_ Voulez-vous que je vous dise ce que je pense personnelle-
ment? me demande Biarnès. Je ne pense pas que vous suivez le
même chemin. D'abord, parce que le Président Ahidjo ne pense
pas pour l'instant à sa succession à la manière senghorienne. Il a
certes un Premier Ministre, mais celui-ci est là parce qu'il ne lui
pose aucun problème. Lorsque le Président Ahidjo pensera à sa
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1981
27 mars
Note spéciale
On m'apporte un billet d'avion Camair pour le vol inaugural
du Boeing 747 nouvellement acquis par cette compagnie. Ne
pouvant personnellement prendre part à cette manifestation, je
demande qu'on me passe le P.D.G. à qui je téléphone pour savoir
si mon fils Eugène peut faire le voyage à ma place. Je voulais lui
proposer également qu'en cas de nécessité, mon fils soit déclassé
et voyage en classe économique plutôt qu'en première classe. Il
m'est répondu que le P-D.G. ne se trouve pas au Cameroun.
Discrètement consultés par mon secrétariat, ses proches collabora-
,'teurs estiment qu'il ne devrait pas y avoir de problème. Je n'ai pas
non plus pensé qu'il puisse y en avoir. En effet, mon fils qui est
en quatrième année de Droit - dernière année de licence, ancien
régime - à l'Université, n'est plus un gosse. Fort de ces assu-
rances, je demande à Eugène de se faire vacciner dès le lundi
30 mars. Entre-temps, son passeport est établi et tous les visas
obtenus auprès du consulat de France. Jeudi 2 avril, dans la
matinée, j'appelle le P.D.G. qui doit être de retour. On répond
qu'il ne rentre qu'en fin d'après-midi. Le Vendredi 3 avril,
pendant que je préside le Comité National de Gestion des Secours
aux Réfugiés tchadiens, je charge un de mes collaborateurs,
Zambo, Conseiller Technique à la Présidence et Administrateur de
la Camair, de contacter, en mon nom, le P.D.G., pour savoir si
mon fils peut voyager avec mon billet. La suite de l'entretien des
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21 avril
Le Président me reçoit à 8h40. Je n'avais pas encore demandé
à le voir lorsqu'il m'a appelé, à peine arrivé à son bureau. Nous
faisons un tour d'horizon des élections qui vont se dérouler en
France. Nous parlons de Chirac qui risque de surprendre tout le
monde, puis du ministre Galley en visite à Yaoundé. Je fais
remarquer au Chef de l'Etat que M. Galley est venu pour, entre
autres, rallier à Giscard le suffrage de ses compatriotes installés
chez nous. Le Président me répond qu'il n'avait pas songé à cet
aspect du déplacement du ministre français, quelques jours seule-
ment avant le premier tour des présidentielles.
Nous parlons ensuite du Tchad, notamment de la position
nigériane à propos de la situation à laquelle ce pays est confronté.
Enfin, nous terminons par la proposition d'accréditation d'un
Ambassadeur nigérian au Cameroun. Dans un premier temps,
Ahidjo avait donné son accord de principe sur la candidature
proposée. Je lui fais remarquer que le futur ambassadeur du
Nigeria au Cameroun est né en 1952 et a par conséquent vingt-
huit ans à peine, que pour un grand pays comme le Nigeria, c'est
ne pas nous prendre au sérieux que. d'accréditer dans notre pays
un homme de cet âge, sans expérience ni culture de surcroît. Sur
ce, le Président m'ordonne de ne pas notifier son accord aux
Affaires étrangères. Il contactera Lamine, notre ambassadeur à
Lagos, afin d'essayer d'amener le Président Shagari à lui faire une
autre proposition.
20. Il savait que le P.D.G. avait refusé que mon fils fasse partie du vol
inaugural, et n'avait pas reçu mon épouse. Ce qu'il ignorait, c'est que le
même P.D.G. s'était également opposé au voyage de mon fils à mes propres
frais. Tant de haine! Pourquoi?
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5 mai
Le Président me reçoit. Il m'entretient de son intention de
remplacer certains membres du Conseil Economique et Social.
Pour le Moungo, un nom est avancé par le Gouverneur de la
Province du Littoral. Faisant allusion au mot que j'ai adressé au
Premier Ministre, il me dit que la candidature de la personne
proposée pourrait être retenue, si je n'y trouve aucun inconvé-
nient, dès lors que son prédécesseur décédé n'a pas démérité.
Mais je ne suis consulté que pour la forme. Dans un premier
temps, c'est la candidature d'un ressortissant de l'Arrondissement
de Mélong qui est retenue. J'aurais pu m'en réjouir, s'agissant de
mon arrondissement d'origine. Or, par souci d'équilibre entre les
arrondissements du Département, je suggère que le poste de
Conseiller Economique et Social, qui est détenu par
l'arrondissement de Manjo, y soit maintenu. Je suis suivi. L'élite
de la région, qui m'avait saisi à l'époque, estime que prendre en
considération la candidature du frère du précédent titulaire décédé,
pourrait laisser croire qu'il s'agit d'un poste qui revient de droit à
une famille. Le Président n'est pas de cet avis. C'est encore
l'occasion de constater que le Chef de l'Etat ne nous fait confiance
que dans le domaine administratif. Chaque fois que je lui propose
un nom ou une personnalité pour un poste, il se méfie. Et
pourtant, que de propositions intéressées lui sont faites par
d'autres et adoptées. Et moi qui me suis toujours efforcé d'être
objectif! Comme quoi, l'objectivité ne paie pas toujours en poli-
tique. Mais je ne changerai point. Je m'abstiendrai simplement de
faire des propositions, dans quelque domaine que ce soit.
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16 mai
Une crise dont il a déjà été question éclate entre le Cameroun
et le Nigeria. Des éléments de la marine camerounaise se heurtent
à une patrouille nigériane dans les eaux territoriales camerou-
naises21de Rio deI Rey : cinq tués du côté nigérian, un blessé du
côté camerounais. Par note verbale, le Cameroun proteste auprès
des autorités nigérianes. De son côté, le Nigeria élève une protes-
tation énergique, prétendant que l'incident s'est produit sur la rive
droite du fleuve frontalier Akwayafé, dans son territoire. Il
adresse un ultimatum en trois points au Cameroun. En premier
lieu: présenter officiellement des excuses inconditionnelles. En
second lieu: punir les militaires camerounais auteurs de ces
meurtres. Enfin, indemniser les familles des victimes. Le Came-
roun dispose de sept jours pour s'exécuter.
Le Président Ahidjo dépêche une mission de bonne volonté
au Nigeria avant l'expiration des délais de l'ultimatum. Elle est
conduite par le ministre d'Etat chargé des Affaires étrangères,
Paul Dontsop, et comprend en outre MM. Bello Bouba Maïgari,
Secrétaire Général-Adjoint de la Présidence de la République,
Mohaman Lamine, ambassadeur du Cameroun au Nigeria. Cette
délégation doit rencontrer le Président Shehu Shagari, et lui
présenter les regrets du Gouvernement camerounais pour les
pertes humaines enregistrées à la suite de cet incident, ainsi que
ses condoléances aux familles des victimes. Par la même
occasion, le Président camerounais propose la constitution d'un
comité mixte Cameroun-Nigeria, aux fins d'enquêter sur les
causes et le lieu exact de l'incident. Dans sa réponse à cette
.;\démarche,le Nigeria décline la proposition de constitution d'un tel
comité, estimant que le Cameroun a gardé le silence sur
l'indemnisation des familles des victimes, ainsi que sur les
sanctions à infliger aux militaires camerounais coupables. Il se
propose par conséquent de porter l'affaire devant l'arbitrage
international. Tout ceci se déroule au moment où le sommet de la
C.D.E.A.O. siège en Sierra Leone.
Les responsables de cette organisation régionale se proposent
de charger certains d'entre eux d'une mission de bons offices
auprès du Cameroun et du Nigeria. Cette proposition se heurte au
veto du Président Shehu Shagari qui justifie son refus par le fait
que le Cameroun n'est pas membre de la C.D.E.A.O. Le veto du
leader nigérian à cette initiative provoque l'indignation du Prési-
3 juillet
Le Chef de l'Etat me demande de passer le voir dans ses
appartements à 19 h. J'y arrive cinq minutes avant l'heure indi-
quée. Nous discutonsdu problèmenigérian et de la note que je lui
ai remise à ce sujet (voir en annexes "Le Nigeria et nous"). Un
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prier, laissant derrière lui ses disciples qui doivent eux aussi
veiller et prier. Lorsqu'il revient, il les trouve endonnis.
- Je viens tout juste de m'allonger, Monsieur le Président.
- Voilà. J'ai eu Monsieur Penne, conseiller du Président
Mitterrand, au téléphone. C'est lui qui m'a appelé. Il me propose
que l'ambassadeur de France serve d'intennédiaire entre nous et le
Nigeria pour le règlement de l'incident. J'ai refusé. Comme ils
sont maladroits! Déjà, le Nigeria accuse la France d'être à
l'origine de notre intransigeance, et ils veulent lui donner raison
en intervenant dans cette affaire! En outre, le ministre de la
Coopération, Jean-Pierre Cot, m'a appelé. Pour une fois, les
Français, qui gardent le plus grand mutisme quant à l'éventualité
de leur engagement à nos côtés en cas de conflit avec le Nigeria,
viennent de décider de nous soutenir. Le ministre Cot a proposé
qu'un avion, un Transall ou un DC8 nous apporte dans la journée
du Samedi 4 juillet les armes et munitions dont nous aurions
besoin dans l'immédiat. J'ai opté pour un appareil civil, le DC8,
moins visible. Le ministre Cot m'a en outre assuré que les avions
Mirage qui se trouvent au Gabon sont mis en état d'alerte, bien
qu'il faille quelque temps pour qu'ils interviennent effectivement.
Il en est de même pour les appareils basés à Bouar, en
Centrafrique, si la situation l'exige.
Les dirigeants français sont donc décidés à honorer l'accord
de défense signé avec le Cameroun, au cas où il serait agressé par
un pays étranger.
Le 4 juillet, rien ne s'est produit. Mais, mon impression est
que nous avons été à un doigt de la guerre avec le Nigeria.
9 .juillet
Comme chaque matin, je monte voir le Président. Nous
examinons les dossiers que j'ai avec moi. Puis tout d'un coup,
s'adressantà moi:
- Eboua, je voulais vous en parler. Il semble que vous
refusiez d'assister aux réunions présidées par le Premier ministre.
C'est ainsi que vous vous êtes fait représenter par Item à la
réunion que devait présider le Premier ministre sur la création
d'une cellule d'études.
Je proteste et lui dis que j'ai toujours assisté aux réunions
présidées par le Premier Ministre: une fois, dans son cabinet, et
chaque fois que ces réunions se sont tenues dans la salle de confé-
rences de la Présidence de la République; que je ne comprends pas
d'où viennent ces assertions, et qu'en tout état de cause, je suis
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Il juillet
L'Aide de camp téléphone pour me dire que le Président
demande de passer le voir à 11h45. Sur un dossier, il a marqué:
"Eboua, m'en parler". Il s'agit de la rémunération des membres
du Gouvernement non fonctionnaires, venant du secteur privé.
M. Djeudjang, le Conseiller technique aux Affaires Juridiques
étant absent, je fais appeler M. Zambo qui suit les Affaires
Organiques pour lui demander d'être au Palais à llh 45, car je
compte prendre avec moi ce dossier. Il m'est répondu que Zambo
est chez le Président. J'arrive au Palais à l'heure prévue. J'y
trouve le ministre d'Etat chargé des Affaires Etrangères, Dontsop,
et l'Ambassadeur Mohaman Lamine. Le Président sort de son
bureau, nous trouve dans le couloir et, s'adressant à moi:
- Dites à Lamine, à Dontsop et à Eteki d'être là à 15h pour
une séance de travail. Puis préparez-moi un décret à signer et à
diffuser à la radio à 13h, nommant Zambo Joseph Directeur
Général de la C.N.P.S.23en remplacement de ce fou.
Ce "fou", c'est Mundi, contre qui toutes les forces du
Centre-Sud, avec la bénédiction du Président du Conseil
d'Administration de la C.N.P.S. se sont coalisées, me rendant
responsable de sa nomination. Or, Zambo est présent. Je demande
au Président si l'intéressé a été infonné de cette nomination, et si
3 septembre
Je suis à Noisy-le-Grand (en région parisienne), seul dans
mon petit trois-pièces, les enfants étant en congé au Cameroun. Le
téléphone sonne, et, au bout du fil, se trouve Koula. Il m'annonce
qu'un conseil d'administration extraordinaire de la Société
Camerounaise de Banque, dont il est l'Administrateur-Directeur
Général est convoqué pour le mardi 8 septembre, sans ordre du
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7 septembre
Je rentre de congé et débarque à Yaoundé aux environs de
22h. Mon épouse, mes enfants et Mbella Mbappé sont là pour
m'accueillir. Au bas de la passerelle se tient Ntang Gilbert,
ministre des Finances, venu lui aussi accueillir ses enfants qui ont
emprunté le même vol que moi. Je le prends en aparté pour
m'enquérir de l'objet du Conseil d'Administration de la S.C.B.
du lendemain, question que je voulais lui poser depuis Noisy-le-
Grand. Il m'apprend que le Directeur Général de la S.C.B. sera
remplacé par Naah Robert au cours de ce Conseil. Dès le lende-
main, ce sera chose faite.
8 septembre
Je reprends le service. Je monte voir le Président aux envi-
rons de lOh. Il me souhaite la, bienvenue, mais trouve que j'ai
moins bonne mine qu'à l'issue des congés précédents. C'est
pourtant la première fois que j'ai le sentiment de fi 'être vraiment
reposé. Ce qu'il ignore, c'est que depuis trois ans, mon poids n'a
pas varié d'un gramme.
103
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30 décembre
Le Chef de l'Etat me parle de ses vieux compagnons de route.
Ces derniers ont toujours fait l'objet de toute son attention, sans
qu'ils en soient pour autant satisfaits. A l'occasion, il cite le cas de
Onana Awana. Lorsque l'intéressé assumait des responsabilités
ministérielles, il était connu de tous comme un ami personnel du
Chef de l'Etat, ce qui n'était pas entièrement faux. Mais il laissait
entendre que cette amitié découlait des services qu'il lui avait
rendus lorsqu'il s'était trouvé à l'Ecole Supérieure de Yaoundé
avec ce dernier.
_ Voyez le cas d'Onana par exemple. Il n'est pas de ma
promotion à l'Ecole Supérieure, et il n'est pas exact de soutenir
que notre amitié s'est nouée à l'école. Après ma sortie de l'Ecole
Supérieure, et alors que je m'étais déjà engagé dans la politique,
Onana et Chatap, actuellement à l'Inspection Générale de l'Etat,
étaient aux Finances. Lorsque je me rendais à Yaoundé, je
descendais chez Chatap qui, comme Kuoh Tobie, est de ma
promotion. Et comme Onana habitait non loin de là, nous allions
de temps en temps chez lui. Après tout, nous étions tous anciens
élèves d'une même Ecole, bien qu'Onana ne fût pas de notre
promotion. Très vite, j'appelle Onana dans mon cabinet dès que je
devins Vice-Premier Ministre, puis lorsque je remplace Mbida au
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31 décembre
Le Président me reçoit en audience quotidienne. Nous
parlons du Président gabonais, Omar Bongo. Il me remet un
article de Pierre Biarnès paru dans Le Monde sur la réunion de
Libreville ayant pour objet le projet de l'élargissement de
l'U .D.E.A. C.
- Vous savez, j'ai reçu le Premier ministre Biya. Il m'a dit
qu'il avait omis de me rapporter une réflexion du Président gabo-
nais émise lors de la réunion de Libreville où il me représentait.
Bongo lui aurait dit ceci: "Vous savez, moi, j'ai un Premier
ministre à qui j'ai tout confié. Il est Chef du Gouvernement. Je
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1982
.
16 janvier
Je rentre de mon village. J'ai encore reçu des allogènes, au
nombre de six, qui occupent irrégulièrement un terrain de ce
village depuis 1976. J'ai proposé à ces occupants de demeurer sur
ce terrain, à la seule condition de s'entendre avec la collectivité,
propriétaire du terrain. Refus catégorique de leur part. J'ai alors
proposé de les indemniser. Nouveau refus. Mais que veulent-ils
en réalité? Conseillés par l'un des leurs, député à l'Assemblée
Nationale et phannacien de son état à Nkongsamba, ils demandent
qu'on leur vende ce terrain. Irrité, je demande aux habitants de
mon village de descendre sur ce terrain et de le mettre en valeur,
çe qu'ils font. J'en parle au Chef de l'Etat dès mon retour à
Yaoundé. Aucune réaction de sa part dans l'immédiat.
Le lendemain, il me demande si l'obtention du titre foncier sur
ce terrain par la communauté villageoise est antérieure ou posté-
rieure à l'installation de ces occupants. Je réponds qu'elle est
postérieure, mais que les occupants n'ayant rien acheté et ne
pouvant brandir la moindre promesse de vente, ils n'étaient pas en
mesure de faire opposition lors de l'immatriculation de ce terrain
ancestral.
- N'empêche, que ces gens ont été installés là de longue date
par les aborigènes eux-mêmes, et qu'ils ont mis ces terres en
valeur.
C'est la version des autorités administratives, dont la première
préoccupation est de conjurer tout ce qui est de nature à troubler
l'ordre public. Un contre six, sans compter ceux qui sont derrière
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ces six: le choix de ces autorités est vite fait. C'est à la majorité
qu'il faut donner raison. Le Président conclut:
- Ces gens sont de bonne foi. Les chasser parce que vous
avez obtenu par la suite un titre foncier risque de créer un précé-
dent.
Je propose au Président de solliciter une version neutre de
l'affaire. Il accepte. C'est le Ministre de l'Administration Territo-
riale qui saisit le Gouverneur de la province du Littoral et le préfet
du Département du Moungo de cette affaire de terrain, le même
Préfet qui avait déjà tranché l'affaire conformément aux disposi-
tions des textes en vigueur en la matière. Influencés maintenant
par leurs supérieurs hiérarchiques, ces deux responsables propo-
sent le morcellement de mon terrain au profit des allogènes, ce
qu'accepte le Chef de l'Etat, en dépit de ma bonne foi dans cette
affaire. Rappelant le problème de mon terrain de Mankoua, qui
n'a rien à voir avec le terrain de mon propre village, il va jusqu'à
me demander de ne plus m'occuper des affaires de terrains chez
moi. Décision lourde de. conséquences: c'est le feu vert à
l'envahissement! Je promets au Chef de l'Etat de m'exécuter.
J'attends que l'Administration Territoriale m'indique la portion de
terrain à céder aux occupants, si ce n'est pas la totalité.
13 mars
Avec le Chef de l'Etat, nous parlons des matières premières.
Je fais remarquer que si le pétrole actuellement exploité dans notre
pays l'avait été durant la période coloniale, il aurait été exporté au
même titre que les extractions effectuées en territoire allemand,
anglais ou français, sans que nous ayons le moindre mot à dire.
Abondant dans le même sens, Ahidjo m'apprend que lorsqu'il
siégeait à l'Assemblée Territoriale, le café exporté n'était assujetti
à aucune taxe, alors que le cacao était lourdement taxé. Il ne
comprendra cette discrimination que plus tard: le café était cultivé
par les colons, alors que les plantations de cacao appartenaient aux
indigènes.
30 mai
Le travail que j'effectue ici est éprouvant. Eprouvant tant sur
le plan physique que moral. Il est donc souhaitable de me mettre à
l'abri dans l'accomplissement de ma tâche difficile, de certaines
insinuations et calomnies, sans preuves à l'appui, dont je suis
quotidiennement victime. Pour être honnête, j'ai jusqu'ici
accompli ma délicate mission dans un climat de sérénité créé par le
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28 juin
Le Président de la République me reçoit en audience. Je lui
faJs le compte-rendu du déroulement du Conseil d'Administration
dè la S.N.H.25que j'ai présidé la veille. Avant ce Conseil, je lui ai
présenté le projet de statut de cet organisme, et notamment l'avis
du comité ad hoc qui est chargé de l'examiner entre les deux
sessions du conseil. Le Directeur Général de la S.N.H. Libock
veut que ce statut soit rapidement adopté par le Conseil, compte
tenu des pressions qu'il subit de la part des cadres de cette société.
Or les Administrateurs estiment qu'il est prématuré de publier ce
projet de statut, dès lors que la convention collective intéressant le
secteur pétrolier est sur le point d'aboutir. J'avais porté cette
remarque à la connaissance du Chef de l'Etat, également de cet
avis. Aujourd'hui, il me reproche de n'en avoir pas parlé au
préalable à Libock qu'il a dû recevoir entre-temps.
_
C'est tout de même lui le Directeur Général, me fait-il
observer.
Le bien-fondé de l'observation qui m'est ainsi faite est indis-
cutable. Mais, ce n'est pas de cette manière que j'entendais régler
cette affaire. Si j'avais reçu Libock avant son entrevue avec le
Président, je lui aurais dit: " Voici les instructions du Chef de
l'Etat" Dès lors, la discussion n'aurait plus eu lieu pendant le
_
30 juin
Le Chef de l'Etat me reçoit aux environs de 9h30. Je dois lui
présenter le dossier de la Camair. De quoi s'agit-il? La Présidence
de la République n'a plus de représentant au Conseil
d'Administration de cette société depuis le départ du Conseiller
technique, Zambo, à la C.N.P.S. Or, à chaque fois qu'un Conseil
d'Administration de la Camair se réunit, un dossier est envoyé au
Secrétariat Général de la Présidence de la République. Je le fais
alors étudier par la Division des Affaires Economiques qui élabore
une note à l'intention du Chef de l'Etat. Ce n'est un secret pour
personne que la Camair connaît des problèmes depuis l'arrivée du
P.D.G. Koulé Njanga, et que la situation n'a fait qu'empirer avec
Amadou Bello, qui avait pourtant pour mission de la redresser.
Les moyens nécessaires ont été mis à la disposition de ce dernier à
cette fin : plus de neuf milliards de francs CFA en l'espace de
deux ans, alors que Koulé Njanga, en l'espace de quatre ans, n'a
pas reçu un sou.
Un Conseil d'Administration doit se réunir le vendredi 25
Juin. Le Premier Ministre - c'est le Président lui-même qui me le
révèle -lui signale que le projet de budget à soumettre à l'examen
du Conseil accuse un déficit de deux milliards de francs. Jeudi
soir, alors que le ministre des Transports préside le pré-conseil, le
Président me demande de faire savoir au Ministre que le budget de
la Camair doit être équilibré en dépenses et en recettes, et qu'il ne
veut pas entendre parler d'un budget déficitaire.
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22 octobre
Depuis quelque temps, il ne m'a pas été possible de noter mes
entretiens avec le Président, faute de temps. Ses jugements sur les
hommes et les événements, ses rapports avec ses homologues
africains, notamment ceux qui se gargarisent de propos révolu-
tionnaires pendant que leurs compatriotes meurent de faim.
Depuis son retour d'Espagne, le Chef de l'Etat a des problèmes de
santé. Son visage en porte les stigmates. Il m'en a à plusieurs
reprises parlé: des maux de tête persistants, des nausées après les
repas, des insomnies et, des palpitations de cœur ces derniers
temps. Or tous les examens auxquels il s'est soumis ne révèlent
aucune anomalie. Ce qui me conduit à porter ces mots dans ce
journal, c'est que ce matin, il m'a signalé la persistance de ces
malaises. Plus grave, il me rapporte que durant son sommeil, il a
l'impression d'avoir de légères syncopes, qui doivent, selon ses
propres déductions,provenir des calmants qu'il prend.
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28 octobre
Le Chef de l'Etat décolle de Yaoundé à 10h, à destination de
Nice via Douala. Le Boeing 727 qui ne peut pas décoller de
Yaoundé avec les réservoirs pleins, la piste étant trop courte, ne
fera le plein de carburant qu'à Douala. A l'exception du
gouverneur et du Délégué du Gouvernement, personne n'est
autorisé à venir accueillir Ahidjo à Douala. Il restera à l'aéroport,
le temps de faire le plein. De même au départ de Yaoundé, seuls le
Premier ministre, le Directeur du Cabinet civil et moi- même
devions le saluer à l'aéroport. C'est dans ces conditions qu'il s'est
envolé, nous laissant inquiets.
30 octobre
J'appelle le Président. Au bout du fil, se trouve Hamidou, le
Maître d'hôtel, qui répond:
- Le Président est sorti, me répond-il.
Il me demande de rappeler entre 12h et 12h30, ce que je fais.
Je tombe sur le Président lui-même et lui narre l'incident intervenu
à l'aéroport de Garoua au cours de l'escale du Président Kolingba
de Centrafrique. Ce dernier, ayant à plusieurs reprises demandé,
sans succès, d'effectuer une visite au Cameroun, notamment à
l'occasion des cérémonies du 20 Mai, nous boude ostensiblement.
Rentrant d'une visite en France, sa Caravelle, qui logiquement
aurait dû faire le plein à Garoua avant de continuer sur Bangui,
porte son choix sur Maïduguri au Nigeria. Malheureusement pour
lui, des émeutes à caractère politico-religieux se déroulent dans
cette ville. Selon les chiffres officiels, il y aurait entre 350 et 400
morts. La Caravelle n'ayant pas été autorisée à se poser à Maïdu-
guri, met le cap sur Garoua. C'est dix minutes à peine avant son
atterrissage que le Gouverneur Ousmane Mey est prévenu. Il se
précipite vers l'aéroport et y arrive au moment précis où l'avion
présidentiel s'immobilise en bout de piste. Il attendra en vain au
bas de la passerelle que le Président centrafricain descende. Le
protocole finit par lui faire savoir que le Président Kolingba
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3 novembre
Au cours de la matinée, le Cabinet civil me signale que le
Président sera de retour le jour même à 15h. L'accueil se fera
, comme au départ, à savoir, le Premier ministre, le Directeur du
Cabinet civil et moi-même. A mon arrivée à l'aéroport, l'accès
donnant au salon d'honneur est fermé. Je demande à mon
chauffeur de passer par le camp ASECNA voisin. Le Premier
ministre et le Directeur du Cabinet civil sont déjà là. Le Boeing
727 présidentiel se pose à 15h40. Nous sommes au bas de la
passerelle. Le Président descend, visiblement fatigué. Il est suivi
par Mme Ahidjo, détendue, rayonnante et souriante comme
d 'habitude, qui nous salue. J'ignorais qu'après avoir assisté le
Vendredi dans l'amphi 700 de l'Université de Yaoundé à la céré-
monie au cours de laquelle sa fille aînée a prêté le serment
d'Hippocrate et reçu le diplôme de Docteur en médecine, elle avait
rejoint son mari sur la Côte d'Azur. Comme d'habitude, le
Président appelle le Premier Ministre au salon. Ils s'entretiennent
pendant quelques minutes, puis il me fait appeler.- Je lui rapporte
qu'il n'y a rien à signaler. Ensuite, je lui demande s'il a pu avoir
les résultats de ses examens médicaux avant son retour au Came-
roun. En effet, ayant constaté que la Présidente est plutôt déten-
due, j'en ai déduit que les résultats des examens médicaux de son
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4 novembre
L'Aide de camp me fait dire que le Président me recevra à
10h15. Pour moi, il s'agit d'une audience de routine, comme
c'est le cas tous les matins. Je m'attends cependant à ce qu'il me
parle de sa santé, comme promis la veille à l'aéroport: "Nous en
parlerons demain", m'avait-il répondu. Je trouve le Président
visiblement fatigué. C'est alors qu'il me révèle ce qu'il a dû
méditer, ruminer pendant des mois, voire des années.
_
J'ai décidé de démissionner. En effet, depuis un certain
temps, je constate que je ne suis plus à même d'assumer pleine-
ment mes fonctions à la tête de l'Etat. Mes nerfs sont à bout, et
mes médecins m'ont prescrit un repos complet d'un an, renouve-
lable. J'ai donc vu Biya. Je lui ai dit que vous avez seIVi avec
dévouement l'Etat, et qu'il est souhaitable que vous continuiez à le
faire. Il vous proposera donc soit le ministère du Travail et de la
Prévoyance Sociale, soit le département de l'Agriculture avec le
, titre de ministre d'Etat. Toutefois, au cas où vous ne désireriez
pas continuer à faire partie du Gouvernement, vous pourriez aller
à la Société Nationale d'Investissement en qualité de Président
Directeur Général.
Je tombe des nues, rien ne m'ayant laissé prévoir un tel
dénouement. J'arrive à peine à maîtriser mon émotion. Je lui pose
la question de savoir pourquoi il en est arrivé à une décision aussi
grave. Je ne lui cache pas que pour ses collaborateurs immédiats,
dont moi-même, et surtout pour le pays, c'est une catastrophe. Et
que, s'il vient à mettre à exécution ses intentions, je n'aurais pas
d'autre choix que de me retirer chez moi à Nkongsamba pour
m'occuper de mon exploitation agricole; qu'en tout état de cause,
je n'aurais pas le courage de continuer.
_ Mais ce n'est pas possible. L'Etat doit continuer après moi.
Comme il insiste, je lui demande de me laisser un temps de
réflexion, afin que je puisse également consulter mon épouse.
_ D'accord. Je vous rappellerai cet après-midi pour connaître
votre décision.
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pas à faire revenir Ahidjo sur sa décision. Pour dissuader les uns
et les autres, le Président évoque son état de santé.
Déjà, arrivent les Ministres pour un conseil sans ordre du
jour. Ils ne comprennent rien à ces scènes qui se déroulent dans le
hall du 3ème étage du Palais de l'Unité. Ils pénètrent dans la salle
du conseil que viennent de libérer les membres du Comité Central
du Parti. Le Premier ministre et plusieurs membres du Gouver-
nement sont déjà dans la salle lorsque j 'y pénètre à mon tour. Les
uns sont assis, les autres debout, attendant que les cartons indi-
quant leurs places soient posés par le service du protocole. Le
Président, qui n'est pas annoncé par un huissier comme
d'habitude, fait son entrée. Je l'aperçois et me lève. Le Premier
Ministre, me voyant me lever, et surpris de constater que le
Président est déjà près de son siège, se lève brusquement à son
tour. Il est assis à la droite du Président, et moi, à sa gauche.
D'une voix faible, le Président déclare:
_ Mesdames, Messieurs, je vous ai appelé pour vous dire
que je démissionne de mes fonctions de Président de la Répu-
blique. Cette décision prend effet à compter du Samedi 6
Novembre 1982 à 10 heures. Je remercie chacune et chacun de
vous du concours qu'il m'a apporté, dans le secteur qui était le
sien.
Plusieurs membres du Gouvernement éclatent en sanglots.
, Certainsd'entre eux, membresdu Comité Centraldu Parti avaient
déjà pleuré une demi-heure avant. Spectacle insupportable. Le
Président se lève et regagne son bureau.
Désemparés, les membres du Gouvernement sortent, les uns
après les autres, tel un troupeau désormais sans berger. Ils se
retrouvent dans le hall du Palais. Certains proposent qu'une délé-
gation aille prier Ahidjo de revenir sur sa décision. Sadou et moi-
même les dissuadons de former une telle délégation dont la
démarche n'aboutira à rien. Je regagne mon bureau pendant que
les journalistes convoqués pour enregistrer la déclaration annon-
çant la démission d'Ahidjo à diffuser à 20h, arrivent au Palais et
commencent à installer leurs appareils.
C'est alors que le ministre Guillaume Bwélé, chargé de
l'Information et de la Culture, me demande s'il ne faut pas
consacrer la totalité du journal de 20h à cet événement, compte
tenu de son importance. Je lui donne mon accord. Avant comme
après cette déclaration, ce sera de la musique traditionnelle.
Aucune autre nouvelle, intérieure ou extérieure. Cette déclaration
doit être rédigée avant l'enregistrement, et il n'y a plus qu'une
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5 novembre
Le capitaine Abdoulaye m'annonce que le Président me reçoit
à IOh. Je me rends à son bureau à l'heure convenue et le trouve
dans son fauteuil, plus détendu et même souriant, ce qui était rare
ces derniers temps. Comme d'habitude, il plonge la main dans la
poche du côté droit de sa gandoura, en retire l'éternelle noix de
kola dans laquelle il mord, puis la remet dans la même poche.
_ Eboua, hier, quand j'ai vu toutes ces scènes, au Comité
Central du Parti, au Conseil ministériel et dans mon entourage,
j'ai failli craquer. Ma femme, qui seule était dans le secret de mon
départ des affaires de l'Etat et qui est parfaitement d'accord avec
moi, m'a cependant posé une question: "à qui vas-tu laisser le
pays ?" Je lui ai répondu que la Constitution prévoit la succession
,
à la tête de l'Etat, et que Biya était là. Elle a levé les bras au ciel et
nous nous sommes fâchés. Elle m'a raconté que ma fille, la plus
sensible, qui se trouve en classe terminale a pleuré. Celle qui est
médecin a exigé que sa mère lui présente les résultats de mes
examens médicaux. "Mon père est-il condamné ?" a-t-elle
demandé.
Je lui rapporte que de mon côté, je n'ai pas fermé l'œil de la
nuit. Il reconnaît que c'est une dure épreuve. C'est alors qu'il me
confinne sa décision de rester président du Parti, mais se hâte
d'ajouter:
- Les deux titres, Président de la République, et Président du
Parti sont liés. Je garderai la Présidence du Parti pendant un an au
plus, puis je la céderai au nouveau Président de la République. Je
lui réponds que si telle est son intention, le Congrès serait
l'occasion idéale pour l'annoncer publiquement.
- On verra.
Puis, il me parle de Doumba.
- Je l'ai appelé hier soir, et lui ai demandé de s'asseoir dans
un fauteuil. Il s'agissait de lui dicter les grandes lignes de la décla-
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6 novembre
Je suis reçu par le Président Ahidjo à 9 h, soit une heure avant
l'expiration du délai qu'il s'est donné pour mettre un terme à ses
fonctions de Président de la République. Je le trouve dans ses
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12 novembre
Il est 16h30. De la Présidence' de la République, on me
signale que j'irai représenter le Gouvernement camerounais aux
obsèques de Leonid Brejnev qui est décédé à Moscou.
Le 13 Novembre, j'arrive à Paris et appelle l'ancien Président
sur la CÔte d'Azur où il se trouve. Il est surpris d'apprendre que
je l'appelle de Paris.
De retour de Moscou le 16, je l'appelle à nouveau poUf avoir
des nouvelles de sa santé. Il va bien. Le 18, je rentre à Yaoundé.
1 ~r décembre
fi est presque 20h30 lorsque sonne le téléphone à mon domi-
cile. C'est Koula.. Il m'apprend que selon la rumeur, l'ancien
Président va très mal. "ll serait même décédé", me dit-il. Après
l'avoir remercié, je décroche aussitôt mon combiné téléphonique.
.
,J'appelle à Grasse, dans l'arrière-pays niçois où se trouve l'ancien
Président. Le téléphone sonne. Personne ne décroche. Je rappelle,
une fois, deux fois, trois fois, ...personne ne répond. Je suis très
inquiet. La nouvelle de sa mort serait-elle exacte? Tout son entou-
rage serait-il à la clinique? C'est alors que l'idée me vient
d'essayer le deuxième numéro de téléphone, celui d'une conces-
sion louée, et qu'il m'avait également communiqué. Dès le
premier essai, quelqu'un décroche: je reconnais sa voix. Vient-
elle d'outre-tombe ?
- C'est Eboua ?
- Oui, Monsieur le Président, je réponds, soulagé. Je voulais
simplement avoir de vos nouvelles et savoir si Ousmane Mey est
toujours là-bas.
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3 décembre
Il est 16h30. Le téléphone sonne."Théodore Bella veut vous
parler", me signale ma Secrétaire. C'est Zoa Oloa, mon compa-
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* *
*
12 décembre
L'ancien Président se trouve à Yaoundé depuis le Vendredi,
10 Décembre. J'ai demandé au Premier Ministre Bello de lui dire
que je souhaite aller le saluer. Le Premier ministre a dû oublier,
puisque personne ne m'a appelé pour m'indiquer l'heure de
l'audience. Je devais à cette occasion remettre à l'ancien Président
un pli de M Biamès, correspondant dujoumal Le Monde à Dakar.
Par hasard, Sadou Daoudou m'apprend qu'il sera reçu par
l'ancien Président Dimanche à llh.3D.
Dès 9h.30 ce dimanche, je me rends chez Sadou pour déposer
le pli destiné à l'ancien Président dans lequel je lui joins mes
vœux de santé pour l'année 1983. Je ne fais pas allusion à
l'audience que j'ai sollicitée.
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inscrit en maîtrise de droit public. Sur ce, il monte dans son véhi-
cule et s'en va. A peine trois agents de la sécurité l'accompagnent.
14 décembre
Je téléphone au Premier Ministre Bello Bouba Maïgari pour
lui dire que j'étais absent Dimanche, lorsqu'il m'a appelé et que je
l'ai rappelé pour apprendre qu'il avait voyagé.
- En effet. Je m'étais rendu dans le Nord. Je vous ai appelé
pour vous dire que le Patron allait vous faire une surprise.
Contrairement à ce que j'avais pensé, et en dépit de la déné-
gation de l'ancien Président, le Premier Ministre lui a donc bel et
bien rapporté mon désir de passer le saluer. Ahidjo a préféré, lui,
passer à mon domicile. Et tous ses gestes étant calculés, lui séul
en connaît les raisons.
15 décembre
A l'occasion de la réunion de l'U.D.E.A.C., au cours de
laquelle la Guinée Equatoriale sollicitera son admission dans cet
organisme régional,le Présidentéquato-guinéenarrive le premier
à Yaoundé. Les autres Chefs d'Etat sont attendus pour le lende-
main. Nous nous trouvons à l'aéroport pour l'accueillir. Au
Premier Ministre Bello Bouba Maïgari à qui je pose la question de
savoir pourquoi l'ancien Président n'a pas été saisi de ma
demande d'audience, il répond:
- J'ai bien rapporté au Président Ahidjo votre souhait de le
rencontrer. Nous avons parlé de vous. Il m'a dit qu'il passerait
vous voir. Outre cette surprise, je pense qu'il vous en réseIVe une
autre.
16 décembre'
Dans la soirée, l'ancien Président m'appelle depuis Garoua.
Je me trouve dans les jardins de ma résidence où je reçois MM.
Mbella Mbappé, Koula et Naah, pour réconcilier ces deux
derniers. En effet, Koula n'a pas compris son remplacement par
Naah à la Direction Générale de la Société Camerounaise de
Banque. Or, Naah n'est pour rien dans cette nomination.
- C'est à propos de la nouvelle de mon décès, me dit le
Président Ahidjo. J'ai pensé à ce monsieur parti à Libreville.
- De qui voulez-vous parler?
- Du nouveau représentant de l'A.F.P. qui est parti se fixer à
Libreville.
- fi ne peut s'agir que d'un certain Barbier.
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18 décembre
Je suis chez moi à Nkongsamba. Dans l'après-midi, je vais
visiter mon exploitation de Mankoua, accompagné par le Sous-
préfet Bekolo. Jamais je n'en suis revenu avec une aussi mauvaise
impression. Toutes les plantations sont envahies par la brousse,
alors que je dépense des millions pour leur entretien. Où passent
donc les sommes qui me sont réclamées à chaque fin de mois?
Les quelques cerises visibles à travers les herbes dans lesquelles
sont noyés les pieds de caféiers, sèchent sur les branches et
tombent. Nous regagnons Mélong à la tombée de la nuit.
L'épouse du Sous-préfet insiste pour que j'entre prendre un
rafraîchissement. Je m'excuse de ne pouvoir le faire. J'ai en effet
décidé de ne plus descendre, ni chez le Préfet, ni chez le Sous-
préfet, sauf si je suis en visite officielle. Je rejoins donc
Nkongsamba et vais dîner chez ma sœur au Quartier Trois. A
peine suis-je rentré dans ma résidence du Quartier Poola que le
téléphone sonne. Le Président Ahidjo m'appelle depuis Mokolo,
depuis l'Extrême-Nord du pays où il se trouve.
- Alors, avez-vous eu Bourges?
- Oui, Monsieur le Président. Il a promis d'ouvrir une petite
enquête, et me rappellera, mais pas avant lundi.
- Bon. Je vous rappellerai Lundi.
21 décembre
Entre-temps, j'ai eu Bourges. Le "monsieur" en question du
journal Le Monde n'est pas à Libreville mais à Paris. Bourges a
réussi à mettre la main sur le Directeur d'Africa n01 qui émet
depuis Libreville, et qui serait à l'origine de la macabre nouvelle.
Ce dernier a démenti la rumeur selon laquelle la nouvelle du décès
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26 décembre
Le capitaine Salatou m'appelle pour me dire que le Président
Ahidjo me reçoit à 19h30, à la résidence du Mont Fébé. Je me
présente à l'heure indiquée. Contrairement à l'habitude, un seul
gardien est posté derrière le portail d'entrée. Il me reconnaît et me
laisse passer. Je gare mon véhicule. Un seul agent de sécurité
m'accueille. C'est le calme total. Je me demande comment un
homme d'action, comme lui, peut s'imposer une telle solitude. Ce
calme, je ne le conçois pas pour lui. J'entre, et trouve le Président
reposé. Il a retrouvé sa voix.
- Alors? Comment vont vos nouvelles fonctions ?
- Bien. J'ai reçu les responsables centraux et provinciaux de
mon département ministériel, ainsi que les responsables des
organismes placés sous sa tutelle. Je tiendrai ensuite une réunion
.,de coordination pour indiquer aux uns et aux autres la manière
dont je compte travailler. C'est par la suite que j'entamerai la
préparation du Cornice agro-pastoral de 1984 de Bamenda.
Nous nous entretenons ensuite à bâtons rompus, notamment
de la nouvelle de son décès.
- En définitive, me dit-il, je pense que ce sont les upécistes
qui sont à l'origine de cette fausse nouvelle.
Nous parlons de Koula lorsque le téléphone sonne. Il s'agit
de Sabal Lecco. Ahidjo et lui s'entretiennent un moment sur un
article du règlement intérieur du Parti. Il s'agit de la possibilité,
pour le Comité Central, d'exclure du Parti un membre qui a failli à
sa mission. Le Président demande à son interlocuteur que ce point
soit clarifié. Un second coup de téléphone retentit. Il s'agit cette
fois, du Président Biya. L'ancien Chef de l'Etat l'a appelé alors
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27 décembre
Ahidjo a effectivementprésidé la réunion du Comité Central
du Parti. Le communiqué de cette réunion est lu à la radio. Le
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1983
10 janvier
Sengat est passé me voir Samedi soir. Au cours de notre
entretien, il m'apprend qu'il a été convoqué par le Président Biya,
qui lui a remis un titre de transport pour Garoua où l'attendait
l'ancien Président. A Garoua, Ahidjo lui a proposé de raider dans
le cadre d'une tournée provinciale qu'il effectuera, en sa qualité de
Président du Parti, pour consolider la position du nouveau Prési-
dent de la République. Sengat me dit qu'il a posé ses conditions
au Président Ahidjo, et qu'avant de quitter Garoua, il les a consi-
gnées dans une note écrite remise à Ousmane Mey à l'intention de
l'ancien Président.
fi faut comprendre Sengat. Au même titre que le Président
Biya et, dans une certaine mesure moi-même, il est l'un des
premiers collaborateurs d'Ahidjo, issus de l'élite intellectuelle du
pays. Limogé du Gouvernement lors du remaniement de 1979,
non reconduit au Comité Central du Parti lors du Congrès de
Bafoussam, il est désormais un simple citoyen. A plusieurs
reprises, il m'a contacté pour que j'intervienne auprès de l'ancien
Chef de l'Etat en sa faveur, ce que j'ai toujours fait, sans
beaucoup de succès, il faut l'avouer. Sengat aurait souhaité être
tout au moins Président de Conseil d'Administration de l'une des
Sociétés parapubliques. Il m'en a parlé et j'ai attiré l'attention du
Président Ahidjo sur l'existence de plusieurs Conseils, présidés
par des membres du Gouvernement, où on aurait pu nommer des
personnalités telles que Sengat.
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Il janvier
Il est 7 heures. Le téléphone sonne. C'est le Président Ahidjo
qui m'appelle depuis Garoua.
- Contactez Bourges de Radio-France-Internationale. Dites-
lui d'insister sur le fait que Moussa Yaya est généralement consi-
déré comme l'un des barons de l'ancien régime, et que des noms
soient cités.
Après plusieurs tentatives, je parviens à avoir Bourges au
bout du fil. Mais R.F.I. n'insistera pas outre mesure. Il y a lieu de
reconnaftre que, dans la matinée, le poste émetteur français a déjà
cité le nom de Moussa. En réalité, que reproche-t-on à ce dernier?
Outre ce que l'ancien Président m'a révélé, à savoir le
retournement trop rapide de veste, il semble que Moussa ait été
déçu par la tournure que les événements ont pris. Il pensait
qu'Ahidjo parti, le poste de Président lui revenait de droit. Au lieu
de cela, Ahidjo y a placé Biya. Dans ces conditions, lui Moussa se
serait contenté du poste de Premier Ministre. Ahidjo y a placé le
jeune Bello. Moussa n'a pas digéré tout cela. Il ne lui reste plus
qu'à verser dans des intrigues. Il appelle le Premier Ministre Bello
Bouba Margan pour lui tenir le langage suivant: "Chaque fois
qu'Ahidjo vient à Yaoundé, tu es à l'aéroport. Chaque fois qu'il
part de Yaoundé, tu es à l'aéroport. Même si c'est lui qui t'a fait
pommer, sache que c'est un décret de Biya qui t'a fait Premier
'ministre et qu'un autre décret pourrait te dégommer", me rapporte
Ahidjo.
Lors d'un séminairedu Parti à Bafoussam,Moussa aurait pris
des contacts avec des chefs traditionnels pour savoir ce que les
uns et les autres pensent du changement intelVenu à la tête du
pays. fi serait parti à Bamenda poser la même question à John
Ngu Foncha. fi aurait rappelé à ce dernier leur lutte commune au
sein du Parti, "récompensée aujourd'hui par la mise d'un blanc-
bec au pouvoir" et lui aurait demandé ce qu'il en pense. En
réponse, Foncha l'aurait renvoyé de chez lui, en rappelant à son
interlocuteur que si lui Foncha était mis à l'écart des affaires,
Moussa n'y était pas étranger. Moussa revu à Yaoundé et
apprenant que l'ancien Président était lui aussi attendu dans la
capitale, aurait eu cette réflexion: "Qu'est-ce que Ahidjo revient si
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12 janvier
Le Président Ahidjo m'appelle du Nord du pays pour
m'apprendre que Moussa Yaya , dès son exclusion du Parti, a
regagné Garoua, sa ville natale.
- Moussa qui, sortant de la réunion du Bureau Politique du
Parti, d'où il venait d'être exclu, déclarait à qui voulait l'entendre
que" la lutte continue" pleure maintenant, me dit-il. Il ameute
tous les Lamibé, les Bako, le Maire de Garoua, Mme Ahidjo,
pour qu'on obtienne mon pardon en sa faveur. Mieux, il m'a écrit
et a demandé six fois pardon. Selon sa propre expression, il
"n'est qu'une founni sur laquelle marche l'éléphant".
A quoi je rétorque que le repentir de Moussa ne peut être
qu'une comédie.
19 janvier
Il est 20h 10 lorsque je pénètre dans le salon de la Résidence
du Mont Fébé, où le couple présidentiel s'est installé provisoire-
ment depuis son départ du pouvoir. Ahidjo est à Ngaoundéré.
Mme Ahidjo est là, détendue. Son mari vient de l'appeler de
Ngaoundéré et elle lui a appris qu'elle attend ma visite. Je
m'entretiens avec elle du départ du pouvoir du Président Ahidjo.
- Vous savez, me dit-elle, 25 ans de pouvoir, cela pèse. Mais
bien que fatigué, les raisons de santé avancées n'avaient pour but
que de faire avaler la pilule qu'il savait amère. C'est moi qui lui ai
suggéré de se rendre en France, avec pour prétexte, des raisons de
santé, pour consulter ses médecins. Il pourrait ainsi se détendre
une semaine avant d'annoncer sa décision historique de se retirer
du pouvoir. Le secret a été bien gardé pour éviter qu'on ne
l'oblige à rester.
C'est donc clair. Le départ d'Ahidjo a été planifié. Les raisons
de santé avancées n'étaient qu'un simulacre. Du reste, j'en suis
arrivé à cette conclusion bien avant cette rencontre. Madame
Ahidjo était parfaitement au courant de ce qui allait se passer. Qui
d'autre? Même le futur Président n'était certainement pas au
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12 février
Je rencontre l'ancien Président qui me parle de sa nouvelle
résidence du Lac. En effet, selon le texte qu'il a lui-même signé,
les anciens Présidents de la République ont droit à un logement
fourni par l'Etat. Le couple Biya vient de déménager de cette rési-
dence du Lac pour celle du Palais de l'Unité.
- C'est tout un village qui s'est installé dans cette résidence
du Lac, me dit Ahidjo. La résidence officielle d'un Premier
Ministre! Une cinquantaine de personnes au moins, garçons et
filles, habitaient les dépendances. Mme Biya est passée me voir
parce qu'elle a un problème. La résidence du nouveau Palàis où
elle vient d'aménager ne peut abriter dans ses dépendances que
cinq ou six personnes au maximum. Où donc loger tout ce monde
qui se trouve dans les dépendances de la résidence du Lac? D'où
la tentation de vouloir garder dans le domaine présidentiel les
dépendances de la résidence du Lac, pour continuer à y loger
toutes ces personnes.
Dans ces conditions, le déménagement complet des Biya qui
doit permettre à la famille de l'ancien Président de s'installer à la
résidence du Lac ne peut guère s'effectuer. Jusqu'au début du
mois d'Août, l'ancien couple présidentiel est toujours dans la
résidence du Mont Fébé réservée aux chefs d'Etat en visite au
Cameroun .
, - J'ai donc appelé le nouveau Président pour lui exprimer ma
surprise. Je lui ai remis tout le Cameroun sur un plateau d'argent.
Faut-il qu'on se dispute aussitôt une petite résidence oùje dois, ne
serait-ce que provisoirement, me retirer avec ma famille en atten-
dant que ma dernière fille qui se trouve en classe terminale achève
sa scolarité? Biya a réagi comme s'il n'était point au courant de
cette situation.
* *
*
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3 mars
Le lendemain3 Mars, mon épouseme téléphone.On est venu
lui rapporter que des voleurs ont cassé la porte de mon bureau
entre 12 et 14h30.Ils ont forcé mon tiroir fenné à clef, ont mis le
bureau sens dessus-dessous, et, pour donner le change, ont
emmené le poste récepteur de radio, et assez curieusement mon
carnet d'adresses aussi. Mieux, lors de la réception donnée à
l'occasion des installations de la matinée, le Gouverneur de la
Province, Abouem a Tchoyi, m'apporte un message: "Yaoundé
demande que le ministre d'Etat Chargé de l'Agriculture en tournée
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20 mars
Le Capitaine Salatou m'annonce que l'ancien Président me
recevra en audience à 20h. Je me présente à l'heure indiquée. Il
écoute Radio-France-Intemationale.
- On vous a dit à 20 h ?
- Oui Monsieur le Président.
- J'avais dit à 20 h 30.
Il éteint le poste et nous nous retirons sur la loggia.
- Vous allez tous me tuer, Eboua.
- Comment ça, Monsieur le Président?
- On vient de me rapporter que le Président Biya a fait venir
des expatriés pour assurer sa sécurité. Et ceux qu'il a trouvés, ne
sont-ils pas là pour assurer sa sécurité? Si ces derniers ne lui
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Deux jours plus tard, j'appelle son Aide de camp pour lui
demander de ne plus faire figurer mon nom sur la liste des
audiences, sauf si le Président se souvient de ma demande. Nous
sommes le 26 Mars. L'après-midi du même jour, la date de
l'audience m'est communiquée: Lundi 28 mars à 10 heures.
28 mars
Je suis reçu en audience à 10h précises par le Président Biya.
Nous nous entretenons à bâtons rompus.
- Des gens s'attendaient à ce que je change tout. Où ont-ils
vu cela? On n'improvise pas les responsables dans un Etat.
Voyez ce qui se passe en France. On pensait que les Socialistes
allaient tout chambouler. Or, ce sont les mêmes qui sont revenus.
Nous avons certes beaucoup d'intellectuels. Mais, ce ne sont pas
les diplÔmes qui gouvernent. Certaines personnes me demandent
de placer les miens partout. Ne sommes-nous pas pas toujours
dans le même régime? Est-ce que je ne continue pas le même
mandat? Ne faisais-je pas partie de la même équipe?
Je lui fais remarquer qu'il continue bien le même mandat, ce
qui n'empêche pas qu'il soit Président à part entière. Ceux qui
pensent le contraire foulent aux pieds notre Constitution. "C'est
pourquoi, vous auriez dû former un nouveau gouvernement,
même avec la même équipe, au lieu de procéder à un remanie-
ment. "
- Vous avez raison. Cela a été une erreur. Mais en disant: "le
reste, sans changement", n'était-ce pas les nommer aussi?
- Oui, en quelque sorte.
- On raconte partout que nous - moi compris - avons volé
l'argent du pétrole, me dit-il.
- Je l'ai appris aussi, avant même que le changement ne
survienne. Il est des gens qui répandent partout des rumeurs selon
lesquelles ils détiendraient des documents compromettants, qu'ils
auraient gardés en lieu sûr, et se rapportant aux détournements des
recettes du pétrole. Mais qu'attendent-ils pour les rendre publics?
- Ce n'est ni plus ni moins que du chantage. Je pense ainsi à
un camarade, que nous connaissons tous les deux, sans le
nommer.
- Oui, cet ami-là que nous avons à maintes reprises protégé?
- Ici, me dit-il, si on n'a pas les nerfs solides, on devient
fou. Il semble qu'on ait commandé des tueurs à gages pour me
liquider. Qu'ils épargnent au moins la vie de ma femme!
Nous évoquons ensuite d'autres sujets.
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ANNEXES
(NOTES COMPLÉMENTAIRES
1977-1982)
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I - STRUCTURES
Dans l'ensemble, il y a peu à dire sur les structures mises en
place avant mon arrivée. Toutefois, c'est une évidence qu'il n'y a
jamais de structures parfaites, et les remarques qui vont suivre ne
visent qu'à les améliorer, à la lumière de ces deux années
d'expérience, en vue d'une plus grande efficacité.
La première faiblesse des structures actuelles a été relevée par
le Chef de l'Etat lui -même, à savoir la non-spécialisation des
membres du Cabinet. C'est ainsi qu'un même dossier est étudié
aujourd 'hui par tel responsable et demain, par tel autre. Le
nouveau projet tendra à spécialiser les Conseillers, les Chargés de
Mission, les Attachés, à des domaines précis de l'activité natio-
nale.
La seconde remarque a trait au selVice de presse de la Prési-
dence de la République, qui n'est rattaché ni au Secrétariat Géné-
ral, ni à la Direction du Cabinet Civil. Le responsable de ce
service en profite pour se trouver rarement dans son bureau. Le
moins que l'on puisse dire est que la Présidence de la République
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II-LES HOMMES
Le choix des membres du Secrétariat Général est dans
l'ensemble satisfaisant et répond en quelque sorte au souci de
l'équilibre régional. Il n'en demeure pas moins que ce dernier
objectif n'a pas été entièrement atteint, sans doute à cause des
difficultés à trouver les hommes qu'il faut dans toutes les
Provinces. Ainsi, les membres du Secrétariat Général et du
Cabinet Civil se répartissent comme suit:
- Centre-Sud: 8, dont 3 Conseillers Techniques, 4 Chargés
de Mission et 1 Attaché
- Nord: 3, tous les trois Chargés de Mission
- Ouest: 5, dont un Conseiller Technique, 1 Chargé de
Mission et 3 Attachés
- Nord-Ouest: 1 Attaché
- Sud-Ouest: 1 Conseiller technique
- Est: 0
- Littoral: 0, M. Bwélé ayant été promu Conseiller Spécial.
Dans l'ensemble, les uns et les autres s'efforcent de donner le
meilleur d'eux -mêmes dans l'accomplissement des tâches qui leur
sont confiées. Je n'ai point de remarques à faire, aussi bien sur le
loyalisme aux institutions, que sur la rigueur et la célérité dans
l'étude des dossiers. J'ai toutefois constaté que l'esprit du "spoilt
systeme", selon lequel chaque responsable arrive et repart avec
son équipe n'est pas complètement absent dans notre
administration. C'est ainsi que mes proches s'attendaient à ce que
je propose au Chef de l'Etat une nouvelle équipe, qui serait la
mienne, et qui m'apporterait un concours loyal du fait que ceux
que j'ai trouvés en place ne peuvent être que des "pions" au
selVice des autres groupes, décidés à saboter mon travail.
A une exception près, je n'ai rien constaté de tel. Pour moi,
peu importe leur appartenance aux groupes, du moment qu'ils
font correctement leur travail. Ceux qui se sont montrés
indiscrets, et sont connus comme tels, ne sont pas maintenus dans
l'enceinte de la Présidence de la République. Ils sont au nombre
de trois. Ceci dit, certains cas méritent d'être signalés:
- M. Libock est de plus en plus absorbé par les
responsabilités qu'il assume au sein de la Sonara28.Il est de moins
en moins présent. Il devient urgent de détacher un diplomate de
rang élevé à la Présidence, du fait que les Affaires Etrangères se
considèrent comme une simple boîte à lettres, s'abstenant de toute
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LE PROCHAIN CONGRÈS
DU PARTI
(1979)
LES COMITÉS
Selon l'entretien que j'ai eu avec le Chef de l'Etat, trois
Comités peuvent être constitués:
a) Un comité d'orientation politique et des structures, dont le
responsable est le Secrétaire Politique.
b) Un Comité d'orientation économique, culturel et social qui
serait coiffé par le Premier Ministre. Ce Comité pourrait se
subdiviser en deux sous-comités:
- Sous-comité des affaires économiques.
- Sous-comité des affaires sociales et culturelles.
c) Un comité chargé de la préparation matérielle du Congrès.
Au moment où siège le Congrès, la mission des deux
premiers comités est teffi1inée. Dès lors certains de ses membres
pourraient, sans inconvénients, figurer au sein du Comité chargé
de la préparation du Congrès, bien qu'à un certain stade, il puisse
y avoir interférence.
Ce dernier Comité fonctionne avant, pendant et même après le
Congrès. Il pourrait lui aussi se subdiviser en deux sous-comités:
- Un sous-comité chargé de la préparation matérielle du
'Congrès.
- Un sous-comité chargé de la centralisation et de la réalisa-
tion des travaux écrits et imprimés du Congrès.
En effet, l'organisation d'un Congrès est toujours l'occasion
de dépenses considérables. Les économies sont possibles, à la
seule condition de confier cette charge à des responsables relati-
vement honnêtes. Le sous-comité chargé de la préparation maté-
rielle du Congrès, à la tête duquel je verrais le Secrétaire à
l'Organisation, aurait pour tâche de recenser toutes les dépenses
prévisibles, et de contacter à temps les fournisseurs potentiels
afin de réaliser les travaux nécessaires. A titre d'exemple, si la
permanence du Parti à Bafoussam est à agrandir, le fait de s'y
prendre dès à présent pennet de procéder à une consultation
restreinte, et de faire ainsi jouer la concurrence, alors qu'à la
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L'UNIVERSITÉ DE YAOUNDÉ
(1981)
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LE NIGERIA ET NOUS29
(1981)
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pli, donc, par la force. Cette hypothèse pourrait revêtir l'une des
fonnes ci-après:
- Le Nigeria envisagerait, comme il l'appelle, une sorte
d'expédition punitive. Il s'agirait d'un coup de force, ponctuel et
spectaculaire sur notre territoire pour venger ses morts et laver
l'affront devant son opinion publique. Un tel coup d'éclat pourrait
viser certains objectifs précis: raffinerie, plates-formes
d'exploitation pétrolière etc. Dans ce cas, et du fait qu'il se retire-
rait son forfait accompli, il y a peu de risque d'extension du
conflit en dehors de la riposte de nos forces.
- Le Nigeria peut également choisir une zone de notre terri-
toire qu'il occuperait par la force pour nous amener à négocier, ou
encore faire stationner ses bateaux de guerre dans la zone qu'il
considère comme litigieuse, y créer une insécurité pennanente de
manière à la soustraire à notre souveraineté. Il y aurait ainsi, dans
un premier temps, une sorte de no man' s land que préconise le
Gouverneur de l'Etat de Cross River en attendant l'annexion pure
et simple de la zone par le Nigeria. Ce qui est certain, c'est que le
Nigeria recherchera désonnais ostensiblement les incidents qui
puissent lui fournir prétexte à l'occupation par la force de cette
zone, n'étant pas certain que l' arbitrage, quel qu'il soit, puisse lui
donner gain de cause.
Si le Nigeria devait ainsi nous imposer la guerre, il serait
difficile, voire impossible, de nous dérober en dépit du déséqui-
libre des forces en présence.
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une oreille attentive à ces plaintes, depuis qu'il est établi que la
zone recèle des réserves pétrolières. Il est indispensable pour nous
de tenir compte de cette nouvelle situation.
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Juillet 1981.
S. Eboua.
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SOMMAIRE
9
- 1971............................................................. 18
- 1976 .............................................................
25
- 1977............................................................. 45
- 1978 ... .... ... . .. ... . ... ... . ... ... .... ... . ... ... .. . .... ... ...
53
- 1979 .............................................................
74
- 1980 .............................................................
91
- 1981............................................................. 108
- 1982 0. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Départ du président Ahidjo (6/11/1982)....................... 129
139
- 1983 .... ... ... .... ... .... ... ... .. .. ... .. .. ... ... .... .. .. ..
ANNEXES
1- L'état des lieux (1/7/1977) 154
2- Le prochain Congrès du Parti (10/4/1979) 160
3- L'Université de Yaoundé (13 /1 /1981) .. ... .. ... .. ... 164
4- Le Nigeria et nous (juillet 1981) 0. ... ... 168
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