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SAMUEL EBOUA

UNE DÉCENNIE AVEC

LE PRÉSIDENT AHIDJO
Journal

Éditions L'Harmattan
5-7, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris
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L'auteur

Samuel EBOUA est né le 3 Mars 1928 au Cameroun.


Après des études en Histoire et Géographie à l'Institut de Géogra-
phie de l'Université de Paris couronnées par le diplôme d'Etudes
Supérieures de Géographie, à l'Institut d'études politiques de
l'Université de Paris couronnées par le diplôme de cet établisse-
ment, il rentre au Cameroun en 1964 et sera tour à tour:

_
- Professeur au Lycée Général Leclerc à Yaoundé,
Directeur de l'Enseignement du Second Degré au Ministère de
l'Education, de la Jeunesse et des Sports,
_
- Chargé de Mission à la Présidence de la République,
Secrétaire Général-Adjoint de la Présidence de la République
avec rang et prérogatives de Ministre-Adjoint,
_
- Président Directeur Général de Cameroon Airlines,
Secrétaire Général de la Présidence de la République avec rang
et prérogatives de Ministre d'Etat,
- Ministre d'Etat Chargé de l'Agriculture.
Il est actuellement Président National du Parti politique camerou-
nais dénommé "Mouvement pour la Démocratie et le Progrès".

@ L'Harmattan, 1995
ISBN: 2 - 7384 - 2356-6
ISSN : 0297 - 1763
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(( ((
Collection Mémoires Africaines
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Du même auteur
Ahidjo et la logique du pouvoir, Éditions L'Hannattan, 224 p.

Le Cameroun à L'Harmattan

EBOUA Samuel: Une décennie avec le Président Ahidjo -


Journal, 176p.
ELA Jean-Marc: Restituer l'Histoire aux Sociétés africaines -
Promouvoir les Sciences Sociales en Afrique Noire, 144 p.
ELA Jean-Marc: Afrique-L'irruption des Pauvres - Société contre
Ingérence, Pouvoir et Argent, 266 p.
KAMGANG Hubert: Au-delà de la Conférence Nationale - Pour
les États Unis d'Afrique, 252 p.
MOUKOKO PRISO : Cameroun/Kamerum, la transition dans
l'impasse, préface par Fotso Djemo, 172 p.
.
,SIKOUNMO Hilaire: L'école du sous-développement, gros plan
sur l'enseignement secondaire au Cameroun, 240 p.
SIKOUNMO Hilaire: Les jeunes Africains face à l'éducation,
Préface par Pierre Emy, 180 p.
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A VANT-PROPOS

S'il est une tâche qui m'a toujours paru délicate et difficile,
c'est la tentative, au niveau de l'individu, de restituer fidèlement le
passé. Comment y palVenir sans une certaine actualisation plus ou
moins voulue, plus ou moins subjective? L'Histoire, en tant que
science, peut approcher cet objectif. Approcher, mais non
atteindre. L'idéal est comme le mirage, insaisissable. L'historien
comme le journaliste, bien que les approches ne soient pas les
mêmes, ne se limite pas à narrer les faits. Le récit serait insipide.
fi s'efforce de les expliquer en remontant à ce qu'il estime être les
causes profondes et lointaines d'un cÔté, les causes immédiates,
de l'autre. Ce faisant, il inclut, sans le vouloir, une dose plus ou
moins élevée de subjectivité dans son récit. Ceci est inévitable.
Comment séparer l'homme du récit? Un même fait, vécu par
plusieurs personnes donnera lieu à des versions différentes,
souvent diamétralement opposées. Il existe toujours un danger à
vouloir reproduire par écrit les événements vécus dans le passé.
Le développement des notes prises au moment même où le fait se
déroulait n'y peut rien. On est toujours tenté d'apporter des
améliorations à la version originale et, avec le temps, de réagir
différemment devant le contenu de ses propres notes par rapport à
l'époque où elles avaient été prises. A force de les actualiser, afin
qu'elles soient mieux comprises, mieux jugées dans un contexte
ou une conjoncture qui ne sont plus les mêmes, on les défonne et
elles deviennent sans intérêt. Bref, on n'écrit plus dans le passé et
pour le passé, mais pour le présent.

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Certaines réactions d'hier peuvent paraître plus ou moins


excessives dans le contexte d'aujourd'hui. On s'efforce par
conséquent d'atténuer certains passages, si on ne les supprime pas
purement et simplement. En cherchant à justifier les faits, les
réactions et comportements d'hier qui, au moment où on les met
par écrit sont susceptibles d'être critiqués, on expose au lecteur la
version revue et corrigée de la réalité. on soutient la manière dont
on aurait dû agir, la façon dont on aurait aujourd'hui décidé,
tranché tel ou tel problème, et non la manière dont on s'est vérita-
blement comporté devant ces mêmes problèmes au moment où ils
se sont posés. Telle est la pénible impression que j'ai toujours eue
à la lecture des mémoires de certains hommes d'Etat. On dirait que
tout leur comportement, toute les décisions prises ont résulté de
l'appréciation rationnelle de la situation, et que rien n'a été fait, ou
laissé au hasard. Bien sûr, au siècle de l'ordinateur, le pragma-
tisme seul ne saurait suffire à la conduite des hommes et des
peuples. Toutefois, si la grande majorité des décisions prises au
niveau des Etats découlent effectivement des études préalables,
donc, pensées, il en est d'autres qui échappent à l'analyse appro-
fondie préalable. Il en résulte des erreurs. Mais l'erreur n'est-elle
pas humaine? fi est donc superflu de vouloir coûte que coûte, et a
posteriori, se justifier.

D'aucuns seront surpris de ne pas trouver dans cette évoca-


tion des révélations sur la répression, les tortures, les centres
d'internement, les exécutions...Ils resteront sur leur faim. Je ne
me suis jamais entretenu avec le Président Ahidjo de ces sujets
')qui, selon la répartition des tâches au Secrétariat général de la
Présidence de la République, ne relevaient pas de ma compétence.
Si le Chef de l'Etat les avait évoqués lors de nos entretiens - ce
qu'il n'a jamais fait -, il n'y aurait aucune raison de les occulter.
En relisant les notes que j'ai à la hâte "griffonnées" entre deux
dossiers ou deux audiences, en revoyant mes propres réactions
devant certaines situations d'alors, je me pose aujourd'hui la
question de savoir pourquoi j'ai pu avoir de telles réactions, et si
elles seraient les mêmes aujourd'hui dans des situations simi-
laires. Mais surtout, je me demande quelle serait la réaction de
Ahidjo, dont les propos vont suivre, propos qu'il ne reconnaîtrait
peut-être pas, ou dont il ne se souviendrait plus, ignorant que je
les avais notés. Moi-même, en relisant ces notes, certaines situa-
tions qu'elles relatent s'étaient déjà estompées dans ma mémoire.

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Elles ne reviennent petit à petit en surface qu'au fur et à mesure


que je les relis. Comme quoi, notre mémoire a des limites.

Généralement, les notes de cette nature ne sont publiées


qu'après la disparition de l'un des protagonistes. Mon vif souhait
aurait été que l 'homme à qui je prête les propos qui suivent puisse
les lire. Cet ouvrage a été achevé à Nkongsamba le 18 Octobre
1993, mais le Président Ahidjo a été foudroyé par une crise
cardiaque à Dakar, au Sénégal, le 30 Novembre 1989. Les restes
de l 'homme qui, pendant un quart de siècle a bâti le Cameroun
moderne, et a volontairement quitté le pouvoir, reposent sous une
terre qui, pour être amie, n'en est pas moins étrangère.
Je crains une autre chose. J'ai rapporté quelques-uns de ses
jugements sur les hommes, dont certains sont encore en activité.
Peut-être aurait-il préféré en faire état lui-même dans ses mémoires
plus tard, et sous une autre fonne, lorsque certaines blessures, à
l'épreuve du temps, seraient sur le point de se cicatriser.
Enfin, je suis loin d'être un enregistreur pour pouvoir repro-
duire, de manière fidèle du point de vue de la fonne, les propos
que j'ai pu recueillir.
D'abord, parce qu'ils n'ont été mis sous forme de notes
rapides dans mon bureau qu'à l'issue des différentes audiences
que le Chef de l'Etat m'accordait. Ensuite, parce qu'il a fallu déve-
lopper ces notes. Mais je suis resté fidèle quant au fond - aussi
brutal puisse-t-il paraître à certains - à l'auteur de ces propos qui y
découvrirait sa propre face cachée, s'il avait pu les lire, et surtout
fidèle à moi-même, avec le recul.

Ceux qui, comme moi, ont approché quotidiennement le


Président Ahidjo ne manqueront pas de retrouver l'homme, et la
manière dont il s'exprimait, à travers ces entretiens. Ceux qui ne
l'ont pas approché ou ne l'ont pas connu, ne manqueront pas de le
découvrir ici.

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1971

21 septembre
Voici pratiquement deux ans que j'ai été appelé au Cabinet du
Président Ahidjo. Sans être historien, j'ai étudié l'Histoire. Il
serait regrettable que certains actes du personnage, qui aura
marqué de son empreinte non seulement la naissance d'un Etat
mais aussi la formation en cours d'une Nation, tombent dans
l'oubli. N'en déplaise à certains. Ce journal, loin d'être l'œuvre
d'un collaborateur partisan doit constituer, pour les chercheurs de
demain, une des sources de documentation. Le Chef de l'Etat est
entouré de plusieurs collaborateurs. Je n'en suis qu'un. Je suis
loin de le connaftre sous tous ses aspects. Je me limiterai par
conséquent au cadre de mes fonctions qui, quotidiennement, me
mettent en contact direct avec l'homme qui assume le destin du
pays.
n est dix heures. Ma secrétaire me signale que le Président
m'attend dans son bureau. Je me présente quelques minutes
après. Les étudiants, me dit-il, auraient obtenu qu'aucune discri-
mination ne soit plus pratiquée dans l'attribution des bourses. Or,
en dehors des enfants des membres du gouvernement, une réalité
demeure, à savoir, l'inégalité de la scolarisation des différentes
régions du pays. On ne peut pas ne pas tenir compte du cas des
étudiants issus des régions sous-scolarisées.
- Voyez le Ministre Mongo Soo pour savoir ce qu'il en est,
me dit-il.

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22 septembre
9h30 : Le Président se rend en visite en Guinée Equatoriale.
Comme à l'accoutumée, le gouvernement au complet, et les corps
constitués se trouvent à l'aéroport pour lui dire au revoir. Après la
revue du détachement militaire qui rend les honneurs, le Prési-
dent, en serrant la main aux uns et aux autres, s'arrête à mon
niveau.
- Avez-vous vu le Ministre Mongo Soo ?
- Oui, Monsieur le Président.
- A-t-il fait le nécessaire?
- Oui, Monsieur le Président.
Après le décollage de l'avion présidentiel, je prends à l'écart
le Ministre de l'Education, de la Jeunesse et des Sports pour lui
rapporter mes réponses au Président.
- Il est donc souhaitable que le nécessaire soit effectivement
fait, lui dis-je.

28 septembre
16h30: Je monte voir le Président dans son bureau. Il est
de bonne humeur. J'avoue que depuis que je suis au cabinet, je
l'ai trouvé la plupart du temps détendu lorsqu'il m'appelle pour un
dossier, ce qui facilite beaucoup la tâche de ses collaborateurs qui
peuvent ainsi travailler dans la sérénité.
- Je vous appelle au sujet du Ministre qui sollicite une
bourse pour son ex-épouse.
Je lui suggère de me remettre le dossier, s'il y en a un, pour
étude. Mais le Président est catégorique:
- Que ce soit pour son épouse ou son ex-épouse, il n'est pas
question d'attribuer des bourses aux épouses des Ministres. Ces
derniers disposent des moyens qui leur permettent de faire face à
de telles obligations, s'ils les jugent nécessaires. L'Etat ne peut,
dans la limite de ses possibilités, s'occuper que des jeunes, intel-
lectuellement doués, mais matériellement démunis, et non des
épouses des Ministres, conclut-il.
Il me rapporte que lorsqu'il était jeune, on racontait que dans
la partie occidentale du pays - comme au Nigeria voisin - les
gens n'étaient pas assujettis à des principes et du coup il se
demande si ce n'est pas le cas chez nous en ce moment. Nous
faisons ensuite un tour d'horizon des travaux d'équipement que je
supelVise personnellement: Résidence de Douala, nouveau Palais
de Yaoundé, Palais de Garoua...

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29 septembre
18h : Son Excellence M l'Ambassadeur extraordinaire et
plénipotentiaire de la République Fédérale d'Allemagne présente
ses Lettres de créances. Pour la circonstance, le Chef de l'Etat est
entouré de : MM. Tandeng Muna, Vice-président de la République
Fédérale; Biya, Sabal Lecco, Vroumsia Tchinaye, Ministres;
Sengat Kuo, Ministre-Adjoint et moi-même. A l'issue de la céré-
monie, le Président invite dans un salon voisin M.l'Ambassadeur
et sa suite. Nous attendons dans un autre salon que le chef de
l'Etat raccompagne ses hôtes sur le perron, qu'il revienne
s'entretenir quelques instants avec nous comme à l'accoutumée
avant de regagner ses appartements. Et voilà qu'au moment où il
échange quelques propos avec ses hôtes, un garçon se présente
avec du champagne, un plateau d'amuse-gueules, et se met à les
servir.
Après le départ des diplomates, le Président revient vers
nous, ostensiblement furieux.
- Qui a ordonné de seIVir à boire? Depuis quand cela se fait-
il?
Effectivement, c'est la première fois qu'un rafraîchissement
est servi aux diplomates en de telles circonstances. Tous les
regards se tournent vers le garçon qui nous a également servis.
Pour nous, c'était une habitude et le Président le savait. Le
garçon, qui transpire à grosses gouttes répond:
- C'est le Lieutenant.
- Et vous! reprend le Président en se tournant vers nous.
Personne n'a eu la présence d'esprit d'empêcher le garçon
d'apporter à boire!
Confus, aucun de nous ne répond. Il appelle Biya pour un
bref entretien, puis Sengat, et regagne ensuite ses appartements
sans s'entretenir comme à l'accoutumée avec les Ministres et les
membres de son cabinet qui assistent à cette cérémonie.

14 octobre
Un coup de fil retentit dans mon secrétariat. L'Aide de camp
du Chef de l'Etat m'annonce que j'accompagnerai ce dernier à
Douala, le lendemain 15 Octobre. Il s'y rend pour inspecter les
services des Forces Années et de Sécurité de la province du Litto-
ral installés dans cette cité cosmopolite. Le décollage de l'avion
présidentiel est prévu pour 10h30.

Il
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15 octobre
10h30: Nous décollons de Yaoundé. La ponctualité est la
première règle d'Ahidjo. Font partie du voyage les ministres Yadji
Abdoulaye, Sengat Kuo, l'Attaché de Cabinet Bouba Bello et
moi-même. Quelques agents de sécurité nous accompagnent.
Nous nous installons tous dans le salon arrière de l'appareil,
attendant que le Président lui-même nous invite dans son compar-
timent, ce qu'il fait dès qu'il embarque. Tous les trois, sans
l'Attaché, nous nous retrouvons à ses côtés. Après dix minutes de
vol, nous atterrissons à Douala. L'accueil de la population de cette
métropole économique est indescriptible. De l'aéroport à la
résidence (6 km), c'est une haie humaine enthousiaste. Les cinq
cent mille habitants de la ville se sont précipités avec une joie sans
précédent sur le parcours pour acclamer le Président. Un véritable
triomphe.
Et lorsqu'on sait que dans cette ville, comme dans toute cité
industrielle des jeunes Etats, se posent de cruciaux problèmes
sociaux, lorsqu'on se souvient de l'audience dont jouissaient
naguère les tenants de la rébellion, les opposants de tout poil au
régime, on réalise l'œuvre de pacification accomplie depuis dix
ans par le Président National de l'Union Nationale Camerounaise,
chef de l'Etat. Dans la soirée, je profite de ma présence à Douala
pour inspecter le chantier de la résidence présidentielle dont je
m'occupe. Prenant l'air dans les jardins avec Sissoko, le Président
m'interroge sur l'état d'avancement de ce chantier.

16 octobre
, Le programmede la journée est particulièrementchargé. Dès
8h45, nous visitons la Marine et la Gendannerie Nationales. A
9h45, c'est le tour de la Brigade de Recherche où la manière
d'exploiter une fiche est expliquée par un responsable de la
Sécurité. Nous nous rendons ensuite au Camp Mboppi, où nous
assistons à une manœuvre ayant pour thème :ttDéloger les bandits
occupant une maison". L'après-midi est consacrée à la Sûreté
Nationale. Le Commissaire central, Blaise Mvoula fait un brillant
exposé sur l'organigramme et les problèmes que pose le maintien
de la sécurité à Douala.. Le commissaire nous présente successi-
vement : le Corps Urbain, la Brigade Spécialisée, la Compagnie
Mobile d'IntelVention. Cette dernière exécute une belle démonstra-
tion sur le thème: "Surveillance d'une zone d'insécurité" ...
Pourquoi le Président me désigne-t-il pour faire partie de sa
suite dans tous ses déplacements à l'intérieur du pays? Pourquoi

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me dépêche-t-il souvent auprès de ses homologues à l'étranger?


Pourquoi m'a-t-il désigné - privilège unique - pour accompagner
voici bientôt un an Simon-Pierre Tchoungui, alors Premier
ministre du Cameroun Oriental, aux obsèques de l'un des grands
hommes que j'ai le plus admirés, Charles de Gaulle, à Paris, puis
à Colombey-les-deux-Eglises ?
La réponse ne me semble pas comporter de mystère. La
fonnation universitaire et les diplômes qui en résultent sont certes
nécessaires, mais non suffisants pour conférer aux hommes la
capacité d'appréhender les multiples et complexes problèmes qui
se posent aux responsables des Nations. C'est dire que cette visite
à Douala confirme le souci du Président Ahidjo de compléter, sur
le tas, la formation des jeunes cadres dont il s'est entouré et, à
travers eux, des responsables de demain.

17 octobre
Tout d'un coup, Douala dévoile son visage de mauvaise
saison. Il a plu toute la nuit. Ce sont les dernières précipitations.
C'est sous une pluie battante que nous visitons l'Escadron Blindé.
Il se dégage de cette unité une impression de puissance. On a
souvent répété qu'à quelque chose, malheur est bon. En effet la
rébellion, contrairement au but qui était le sien, a été l'un des
ciments de l'unité nationale en gestation. Elle a également pennis
la mise en place de forces armées et de sécurité en mesure de
décourager tout ennemi, intérieur ou extérieur. C'est à 11h15 que
le Président de la République arrive devant le Cinéma Les
Portiques où attendent, pour défiler, les forces armées et de
sécurité. Imposant défilé militaire: Gendatmerie, Armée de Terre,
Armée de l'air, Marine nationale, Police, Engins Motorisés,
Engins Blindés. On n'avait jamais assisté à un tel déploiement des
forces armées et de sécurité à Douala
A 20h, la section départementale de l'U.N.C.l du Wouri,
présidée par El Hadj Tanko Hassan, offre une soirée à la perma-
nence du Parti. Dans son allocution au cours de cette soirée, le
Chef de l'Etat met l'accent sur les options du pays en matière de
politique étrangère et de politique économique.
Le retour sur Yaoundé est prévu pour 11h30. J'étais à peine
réveillé lorsque le coup de téléphone du commandant Ousmanou,
m'annonce que l'avion qui doit nous ramener à Yaoundé décolle
une heure plus tôt que prévu. En fait, nous ne décollons pas avant

1. Union Nationale Camerounaise, Parti-Etat.


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llh, le Président ayant été retenu par l'audience qu'il devait


accorder à Paul Soppo Priso ce matin-là. Dans l'avion, notre
conversation portera sur Soppo. Le Chef de l'Etat émet un juge-
ment peu flatteur sur l'intéressé:
- Sous des apparences affables, c'est un monsieur orgueil-
leux, malhonnête et égoïste, dit-il.
Sengat évoque le cas où l'un des collaborateurs de Soppo
avait exposé à ce dernier les difficultés qu'il éprouvait à construire
sur un lopin de terre qu'il venait d'acquérir, espérant que son
patron lui viendrait en aide. Or, un jour après, Soppo téléphone à
l'intéressé et propose de lui acheter cette parcelle de terre,
puisqu'il ne dispose pas des moyens nécessaires pour la mettre en
valeur!
- Ce n'est pas étonnant, rétorque le Président. Il n'est pas
exclu qu'il ait à sa solde des agents en quête de personnes en
difficulté qu'il pourrait exploiter... C'est un monsieur intelligent,
peut être trop intelligent, mais égoïste.

21 octobre
Le Ministre Biya est alité depuis deux jours. Il a une grippe.
Le ministre Sengat tombe malade à son tour. Je reçois ce matin un
mot du ministre Biya me demandant de signaler son état de santé
au Chef de l'Etat. Je le fais aussitôt par l'intermédiaire du
commandant Ousmanou, chef du cabinet militaire. Je suis donc
seul au Secrétariat général de la Présidence! Les dossiers affluent
à un rythme infernal. J'ai à peine le temps de les ventiler aux
Conseillers techniques, Chargés de mission et Attachés.

22 octobre
Un coup de téléphone du commandant Ousmanou m'annonce
que le Président m'appelle. Je me présente aussitôt et le trouve un
peu terne. Ce n'est pas étonnant. C'est le début du jeûne du
Ramadan.
- Qu'y a-t-il de nouveau? me demande-t-il.
- Rien, lui dis-je, excepté que les ministres Biya et Sengat
sont toujours alités.

23 octobre
Je suis toujours seul au Secrétariat général de la Présidence de
la République. Je fais de mon mieux pour examiner le courrier
"Arrivée", communiquer à la lecture du Chef de l'Etat les corres-
pondances qui le méritent, retenir celles que j'étudierai moi-même
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et ventiler le reste. A 10h, le Président m'appelle et me demande


les nouvelles des ministres Biya et Sengat.
- Ils vont mieux, lui dis-je, mais sont encore fatigués.
fi me remet le dossier d'un candidat à l'I.I.A.P.2 Vers 11h30,
c'est moi qui demande cette fois à le revoir. En principe, après
l'audience qu'il m'accorde en début de matinée en priorité, nous
ne nous revoyons pas dans la journée, sauf s'il y a urgence. C'est
le cas. Il se trouve qu'à l'instant précis où je dois le revoir, son
Excellence l'Ambassadeur de France, M. Rebeyrol, doit être reçu.
fi est arrivé avec quelques minutes d'avance et se trouve déjà dans
le salon d'attente. Dans les cas de cette nature, j'ai toujours la
priorité.
L'Aide de camp m'annonce dès que je me présente, et j'entre.
Le Président est contrarié, car ma demande d'audience l'oblige à
faire patienter encore quelques minutes l'Ambassadeur dont
l'audience est fixée à cette heure précisément. Ce n'est pas dans
ses habitudes. Il est visiblement mécontent, mais ne peut pas me
demander d'attendre la fin de l'audience de l'Ambassadeur. Il y a
à peine une heure qu'il m'a reçu. Si je demande à nouveau à le
voir, c'est qu'il y a vraiment urgence.
_ Qu'est-ce qu'il y a ? me demande-t-il, debout, dès que
j'entre dans son bureau.
_ Le Département d'Etat américain vient de téléphoner à notre
ministre des Affaires Etrangères pour connaître à l'avance la posi-
tion du gouvernement camerounais concernant le vote qui inter-
viendra le lundi suivant sur l'admission de la Chine Populaire à
l'O.N.U. et sur la question de Taiwan. Positive ou négative, le
Département d'Etat souhaite la connaître à l'avance, lui dis-je.
En réponse, Ahidjo m'apprend qu'il a examiné cette question
avec le ministre des Affaires Etrangères, Keutcha, qui a reçu des
instructions précises.
_ Dites-lui de recevoir l'ambassadeur des Etats-Unis
d'Amérique et de lui notifier notre position. Hier. J'ai reçu, sur
ma ligne directe, un coup de téléphone. J'ai reconnu la voix de la
secrétaire de M.Rogers qui m'a dit que le Secrétaire d'Etat améri-
cain voulait me parler. Je lui ai répondu que le Président Ahidjo
n'était pas là, et j'ai raccroché. J'espère qu'elle n'a pas de son
côté reconnu ma voix! Ne pouvait-il pas téléphoner à mon
ministre des Affaires Etrangères ? Est-ce parce que nous sommes
de petits pays? Ils connaissent tout de même ma position sur la

2. Institut International d'Administration Publique.


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question chinoise à travers mes différentes déclarations, à Alger et


ailleurs. Lorsque nous avons reconnu la Chine Populaire, j'ai
publiquement déclaré que cette dernière représentait tout le peuple
chinois. Ils veulent que nous nous déjugions. Pendant ce temps,
Nixon s'apprête à se rendre à Pékin pour discuter avec les
Chinois! Non!
Je lui emboîte le pas pour faire remarquer qu'en notre qualité
"d'assistés", les pays riches nous dénient toute autonomie et
entendent nous dicter la conduite à tenir en matière de politique
extérieure. C'est, selon eux, la contrepartie de l'aide qu'ils nous
apportent.
- Quelle aide? s'exclame Ahidjo. Tout au contraire. Ils ont
tout. Nous n'avons rien. Et ce sont ces Etats riches qui, tels des
vautours sur des cadavres, planent sur les pays démunis pour leur
arracher le peu qu'ils possèdent.
Le Président fait ensuite état d'un député français, d'origine
juive, qui possède une entreprise de meubles et qui lui a parlé des
musulmans du Cameroun. Selon ce dernier, le voyage du Chef de
l'Etat camerounais à Alger, puis à Tripoli, était interprété en
France comme le virage de la politique camerounaise en faveur de
la solidarité arabe.
- Et lorsque je vais en France, en Allemagne, au Canada, aux
Etats-Unis..., leur attention n'est point attirée... Dans tous les
cas, les responsables de ces pays, qu'ils s'appellent Pompidou,
Nixon ou autres ne défendent que les intérêts de leurs peuples.
Par contre, ils n'apprécient guère que nous défendions ceux des
nôtres. On a dit qu'ils étaient en mesure de fomenter des coups
d'Etat. Eh bien, qu'ils le fassent! En mon âme et conscience, je
n~airien à me reprocher lorsqu'il s'agit de la sauvegarde des inté-
rêts du peuple camerounais.
C'est alors que j'évoque le cas de notre représentant à New-
York, qui n'a pas cru devoir adopter la position officielle du
gouvernement sur la question chinoise, et je me demande s'il n'a
pas été influencé par les Américains.
- Bien sûr qu'il l'a été, rétorque le Président. Tous les
diplomates subissent leurs pressions. Ils ont de grands moyens de
corruption...C'est avec raison que j'ai toujours refusé d'autoriser
mes collaborateurs à bénéficier des voyages d'études qu'ils nous
proposent chaque année. Dans le temps, j'y avais envoyé mon

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Directeur de cabinet, Kuoh Tobie. Ils lui ont fait des avances. Ils
veulent avoir partout des agents...

* *
*

Au début de l'année 1972, je suis nommé Président Directeur


Général de Cameroon Airlines. Je quitte le Palais pour Douala,
siège de cette compagnie aérienne, ce qui explique l'interruption
de ce journal.

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1976

Yaoundé 30 août
Je m'entretiens avec le Président Ahidjo de la crise du
gouvernement Mbida. Il arrive au Président de me parler longue-
ment de sujets n'ayant aucun rapport avec les dossiers que nous
examinons. Est-ce pour mon infonnation, pour ma formation, ou,
supposant que j'écrirai plus tard, me livre-t-il partiellement, et par
anticipation, le contenu de ses futurs Mémoires? Toujours est-il
que ce matin, je ne me rappelle plus à quel propos il en est aITivéà
m'entretenir des événements des années 58. Il me raconte, avec
force détails, la crise qui a été à l'origine de son accession au
pouvoir. Soppo Priso aurait-il décliné en 1958 l'offre du poste de
.,Premier Ministre, laissant Ahidjo y accéder, avec l'espoir de le
récupérer par la suite et très rapidement, dès que le titulaire aurait
fait preuve de son incapacité à gouverner?
Le Président Ahidjo est catégorique:
- Par calcul, me dit-il, Soppo Priso a pris le tournant décisif
en 1956. A cette époque, il avait à choisir entre le groupe majori-
taire à l'Assemblée que je conduisais, et l'opposition contrôlée par
l'U.P.C.3 Soppo n'a jamais été upéciste, mais par opportunisme,
préjugeant que l'avenir du pays risquait de dépendre de cette
dernière fonnation politique, il a préféré se lier à elle. C'est à
compter de cette période que Soppo, qui était populaire - il se
faisait facilement plébisciter par les Bamiléké, les Bassa et autres
groupes ethniques - a compromis son avenir politique. Il aurait

3. Union des Populations du Cameroun.


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choisi de rester dans la majorité, au lieu de rejoindre les rangs de


l'opposition qu'il jouerait encore aujourd'hui un rôle politique
important dans sa région et au sein de son ethnie d'origine et de la
Nation. Malheureusement, il se fait tard pour lui. Les Provinces
ont pris conscience de leur existence et Soppo aurait aujourd'hui
peu de chance de se faire élire en dehors des siens. Quand à la
thèse selon laquelle Soppo m'aurait laissé occuper le fauteuil de
Premier ministre avec la certitude de se débarrasser facilement de
moi par la suite, il n'en fut rien.
Puis, il me narre la manière dont les choses se sont réellement
passées:
_ La brutalité de Mbida était connue de tous. Au moment où
les autorités françaises devaient nommer un Premier ministre, il y
eut une rencontre entre Mbida et moi-même à Paris. A cette
occasion, nous avions conclu un pacte: lui, Mbida serait Premier
ministre, et moi, Vice Premier Ministre chargé de l'Intérieur. Je
fus cependant assailli par mes amis qui voulaient que je brigue le
poste de Premier ministre. A ceux d'entre eux qui pour moi étaient
des hommes de confiance, je révélai discrètement le pacte que
j'avais conclu avec Mbida et que j'entendais respecter. "Nous
fonnerions ensemble l'équipe gouvernementale", les rassurai-je.
Messmer, conscient de l'impopularité de Mbida, hésitait à le
nommer Premier Ministre. En effet, Mbida risquait ne pas recueil-
lir l'investiture de l'Assemblée. De retour de Paris, je rencontre le
Haut commissaire Messmer pour lui confinner mon intention de
ne pas briguer le poste de Premier ministre, mais plutôt celui de
Vice Premier Ministre chargé de l'Intérieur. Messmer est soulagé,
mais n'est pas certain que Mbida obtiendra l'investiture de
l'Assemblée. Le Premier ministre désigné obtiendra cette investi-
ture grâce au soutien de mon groupe.
Entre-temps, Mbida, Premier ministre, commit des excès.
Ennemi n01 de tous ceux qui se réclament de l'U.P.C, il se décide
à exterminer les Bassa. Lors d'un concours de recrutement des
agents de police, il voulut écarter les candidatures de l'ethnie
bassa. Je m'y opposai, estimant que si l'on pouvait pénaliser les
individus se réclamant de l'U.P.C, il serait maladroit de s'en
prendre à toute une tribu. Ces excès allaient indisposer tout le
monde, à commencer par le Haut Commissaire Messmer. Fin
politicien, ce dernier fit des démarches pour être nommé à
Brazzaville et quitter ainsi le Cameroun. Le Gouvernement
français devait donc proposer au Premier Ministre camerounais
trois noms au choix, pour le remplacement du Haut Commissaire.
. 19
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Tous les trois étaient socialistes. Mbida connaissait les deux


premiers, qui avaient travaillé au Cameroun. Il écarta d'un revers
de la main leurs candidatures. Le troisième s'appelait Ramadier.
Ne le connaissant pas, Mbida l'agréa. Ironie du sort, c'est
Ramadier qui sera à l'origine de sa chute.
Je me trouvais à Paris lorsque Mbida me fit connaître les
noms de ceux que le gouvernement français proposait au poste de
Haut commissaire au Cameroun, en remplacement de Messmer. Il
m'infonna qu'il avait consenti à la candidature de Ramadier. Je lui
fis comprendre le piège dans lequel il venait de tomber en accep-
tant la nomination au Cameroun d'un socialiste en la personne de
Ramadier. Mais il était trop tard. Mbida avait déjà notifié son
accord aux autorités françaises. Je me rendis en vain à la rue
Oudinot pour tenter de faire revenir le gouvernement français sur
sa décision de nommer Ramadier au Cameroun. Lorsqu'on me
demanda si j'avais une candidature à proposer, j'avançai le nom
de Sanmarco, l'actuel Président de l'ASECNA, alors Haut
commissaire au Tchad. Mes démarches n'eurent point de suite. Je
devais, lors du même séjour à Paris, donner une réception à la rue
Murillo. Ramadier s'y rendit. Au cours de cette cérémonie, je lui
fis comprendre que je m'étais opposé à sa nomination au
Cameroun et l'intéressé me répondit qu'il le savait.

LA CHUTE DU PREMIER MINISTRE MBIDA

Mbida n'a pas tiré la leçon de ses excès et de son impopularité


croissante. Au cours d'un conseil des Ministres - c'est le Haut
.
,Commissaire qui le présidait - Ramadier fit connaître la disponi-
bilité du gouvernement français à accorder l'indépendance au
Cameroun et à assurer sa réunification. Il y a lieu de préciser ici
que Ramadier fut nommé au Cameroun avec des instructions
précises de son gouvernement: en aucun cas, il ne devait me
nommer Premier ministre. L'annonce de cette intention de la
France rendit le Premier ministre Mbida furieux: "Comment!
devait-il s'exclamer. Il ne peut être question d'indépendance pour
le moment!" et de conclure: "le Haut Commissaire fait de la
subversion". Je dus à mon tour intervenir pour dire en substance
que je ne voyais pas pourquoi le Premier ministre s'en prenait au
Haut Commissaire qui n'avait fait qu'exprimer le point de vue de
son gouvernement, lequel point de vue n'engageait en rien le
gouvernement camerounais; que pour ma part, j'étais favorable à
l'accession du Cameroun à l'indépendance, et à sa réunification.

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Quant au gouvernement camerounais, poursuivis-je, il était libre


d'accepter ou de rejeter la proposition française, sans pour autant
en vouloir au Haut Commissaire qui n'avait fait qu'exprimer le
point de vue de son Gouvernement.
D'autres ministres appuyèrent mon inteIVention, y compris
certains amis de Mbida. Dès lors, entre le Premier ministre et le
Haut-Commissaire en place, la rupture était consommée. C'est par
la suite que je songeai à démissionner, compte tenu de la diver-
gence de vues qui éclata entre le Premier Ministre et le Vice-
Premier Ministre que j'étais. J'avais l'intention de démissionner
avec mon groupe. Le Haut Commissaire l'ayant appris, il voulut
rencontrer le Premier ministre, non au Palais, mais à l'actuel
immeuble de l'Inspection Générale de l'Etat. Nous étions trois. Je
confinnai mon intention de démissionner, et le fis peu de temps
après. Lors de la tournée administrative - en réalité politique -
que je fis au nord du pays,je contactai les députés et leur expliquai
les raisons pour lesquelles notre groupe devait quitter la coalition.
Mbida était cependant en mesure de gagner certains Députés
de mon groupe à sa cause. C'est pourquoi en quittant la coalition,
il fut décidé qu'aucun membre du groupe ne devait accepter de
faire partie du nouveau gouvernement que fonnerait Mbida. Effec-
tivement, ce dernier fit au Haut Commissaire des propositions
pour sa composition. Logmo Antoine, alors Secrétaire à
l'Information, fut proposé au poste de Vice-Premier Ministre.
Ramadier infonné de l'impopularité du Premier ministre refusa
d'entériner son initiative. Par contre, il proposa à Mbida de se
présenter devant l'Assemblée et de poser la question de confiance.
Mbida repoussa cette proposition. C'est alors que mon groupe
déposa une motion de censure. C'était vraiment risqué. Quand
bien même cette motion passait, ce ne pouvait être que de justesse.
Juridiquement, Ramadier n'avait aucune raison de refuser de
signer la liste que Mbida lui avait soumise. Mais politiquement, il
ne pouvait pas l'accepter. Mbida m'accusa d'être de connivence
avec le Haut Commissaire Ramadier. Il fit polycopier la lettre
manuscrite que je lui avais adressée depuis Paris pour lui recom-
mander de ne pas accepter la candidature de Ramadier, et la distri-
bua aux députés.
Au cours d'une rencontre en privé chez Daniel Kémajou,
alors Président de l'Assemblée Législative, dans l'actuel
immeuble de l'Inspection Générale de l'Etat, Ramadier me fit
savoir que si je démissionnais avec mon groupe, il n'était pas
question pour lui de signer la liste du nouveau gouvernement que
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lui présenterait Mbida. Ce dernier s'envola pour Paris où il ameuta


tous les socialistes, provoquant des remous considérables au sein
du gouvernement français. Revenu au Cameroun, il ne voulut rien
entendre au sujet de la question de confiance. Or, la motion de
censure avait été déposée par mon groupe. Les amis de Mbida,
voyant l'impasse dans laquelle ce dernier s'était engagé, lui
conseillèrent de démissionner, ce qu'il fit.

FORMATION DU GOUVERNEMENT AHIDJO

Après la démission de Mbida, le Haut Commissaire Ramadier


me désigna comme Premier ministre pour former le nouveau
gouvernement. Ille faisait contre les instructions reçues de Paris
selon lesquelles je ne devais point accéder au premier rang de la
scène politique. Dès que cette nouvelle fut connue à Paris, le
processus de son rappel fut déclenché. Sous prétexte qu'il devait
prendre ses congés, son intérimaire - en réalité son remplaçant -
Xavier Torre - Secrétaire Général du gouvernement de l'A.O.F.
en congés, fut convoqué d'urgence et envoyé au Cameroun.
Simultanément, un télégramme rappelant Ramadier arrivait à
Yaoundé. Ce dernier me conseilla d'agir rapidement, c'est-à-dire
de solliciter, sans tarder, l'investiture de l'Assemblée. Contraire-
ment à ce qui se raconte, Soppo Priso voulait bien faire partie du
gouvernement que j'étais en train de fonner. A cette fin, il avait
dépêché auprès de moi le Docteur Bellè avec pour mission de
préparer sa participation au gouvernement en gestation, mais sans
succès. Par contre, de ma propre initiative, je consultai deux parti-
,.$ansde son groupe. Il s'agissait de M.Assalé et du même Bellè.
Ces derniers hésitèrent et me proposèrent de m'adresser plutôt à
leur chef de file, Soppo, en l'occurrence. C'était à l'hôtel Tenni-
nus. Or je n'entendais pas consulter un groupe, mais des indivi-
dus, à titre personnel. Je leur accordai un court instant de
réflexion. Lorsqu'ils revinrent, Assalé se déclara disposé à parti-
ciper au gouvernement. Bellè hésita un peu, mais consentit à son
tour. C'est ainsi que fut fonné mon premier gouvernement. Ainsi,
Ramadier nommé au Cameroun avec pour mission d'empêcher à
tout prix ma promotion politique sera, par un de ces retourne-
ments de situations dont l'Histoire seule a le secret, celui-là même
qui favorisera mon accession au pouvoir. Du reste, en refusant
d'obtempérer au télégramme le rappelant à Paris avant mon inves-
titure en qualité de Premier ministre, il connaissait le sort qui

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l'attendait. Effectivement, il fut relevé de ses fonctions et mourut


d'ailleurs quelques années plus tard.
Mon sort, comme celui du pays tout entier, fut scellé au
cours de cette année 1958. Nul aujourd'hui n'est en mesure de
dire ce que serait le Cameroun si, obéissant aux instructions de
son gouvernement, le choix du Haut Commissaire Ramadier
s'était porté sur quelqu'un d'autre pour succéder à Mbida.
Et Ahidjo s'arrête là. ..

8 novembre
Rien n'est jamais définitivement acquis. Des efforts gigan-
tesques ont été déployés par le Président Ahidjo pour réaliser
l'unité du pays. Mais celle-ci, jusqu'ici, demeure une illusion, eu
égard au profond enracinement de la conscience ethnico-tribale.
Cependant, ce pays s'est imposé à l'opinion internationale comme
un modèle de stabilité et de prospérité, grâce à la sagesse de son
chef. Est-ce une raison
pour s'endonnir sur ses lauriers? N'y a -t-il plus rien à faire?
Rien n'est jamais définitivement réalisé, même au sein des nations
qui sont fonnées depuis des siècles. Il subsiste des obstacles, des
goulots d'étranglement qui constituent des freins à leur évolution
ou bien ceux-ci surgissent au cours de leur cheminement.
Le 25 Octobre dernier, j'ai demandé à mes collaborateurs, de
l'Attaché de Cabinet au Conseiller spécial en passant par les chefs
de Division, les Chargés de Mission et les Conseillers techniques
d'examiner, chacun dans le secteur qui est le sien, les imperfec-
tions existantes, et de préconiser des solutions. L'ensemble ferait
l'objet d'une synthèse sous fonne d'un Livre blanc à soumettre au
chef de l'Etat en guise de contribution de son cabinet à la marche
des affaires. Il lui appartiendra de l'exploiter dans le sens qu'il
voudra, ou de ne pas l'exploiter du tout. J'insistai sur le fait que
ce projet ne devait pas être divulgué hors du Cabinet, afin d'éviter
de froisser des susceptibilités et provoquer les commentaires
tendancieux.
Un membre du Cabinet porta à la connaissance de l'assistance
un texte qui interdit aux fonctionnaires de critiquer l'œuvre du
Gouvernement, et préconise que la synthèse soit rédigée de
manière à ne pas paraître comme une critique. Un autre, qui sait
pertinemment que l'énonne département de l'Economie et du Plan
ne donne pas du tout satisfaction, se demande s'il faut en parler...
Bref, le personnel du Cabinet ignore dans quel sens il peut aider le
chef de l'Etat. Soucieux de ne pas compromettre sa carrière, il
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désire heurter le moins possible de front les ministres dont ils


peuvent redevenir, du jour au lendemain, des collaborateurs.
Quoi qu'il en soit, le projet fut accueilli avec enthousiasme par
la grande majorité des membres du Cabinet, bien qu'il représentât
pour eux un surcroît de travail. Ce fut sans compter avec les
agents gagnés par des groupes d'intérêt de tous genres et présents
au Cabinet. Le premier de ces groupes à réagir fut celui du Centre-
Sud qui, en prenant connaissance du projet, aurait déclaré:
"Eboua nous déclare la guerre. Il veut démontrer que rien ne
marche. On verra". Il Y a lieu de noter que le poste de Premier
ministre qui venait d'être créé, était occupé par l'un des leurs.
Ont-ils pensé que ce dernier était visé, ce qui n'était nullement
dans mes intentions. Le second groupe à réagir fut celui du Nord.
Il se serait réuni et mon adjoint, ressortissant de cette province,
aurait déclaré qu'il n'avait pas été consulté, et qu'il avait été très
gêné de se prononcer sur le principe même de cette initiative. Pour
ce groupe, mon projet visait à sanctionner l'œuvre du chef de
l'Etat dans un sens négatif en cherchant à mettre en relief certaines
lacunes du Gouvernement.

C'est là un exemple des difficultés que rencontrent ceux qui


sont appelés à travailler aux côtés des Chefs d'Etat, notamment
lorsqu'ils veulent prendre des initiatives. Chacun se plaît à ne lui
dire que ce qui peut le réjouir. Du griotisme. Même ses proches
collaborateurs s'abstiennent, en dehors des dossiers qui leur sont
ventilés pour étude, d'évoquer quoi que ce soit, notamment dans
le sens négatif. Qui le fera alors? Il serait nécessaire que le Chef
,;.del'Etat réunisse, ne fût-ce qu'une fois par an, son Cabinet et lui
donne des directives. Je lui ai fait cette proposition qu'il a agréée.

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1977

3 jan vier
C'estla premièreaudiencede l'annéeque m'accordele chef
de l'Etat. En l'absence de dossiers revêtant un caractère d'urgence
_
c'est le lendemain des fêtes de fin d'année -je n'ai pas demandé
à le voir, d'autant que, selon la liste des audiences en ma posses-
sion, il a une matinée plutôt chargée. La première audience est
fixée à 10h Et surtout, il reçoit à 11h30 Effon Vincent, ancien
ministre des Affaires Etrangères, et à 12h, S.E. l'Ambassadeur
des Etats-Unis d'Amérique. S'agissant de ce dernier, il me dit
ceci :
_ L'Ambassadeur a demandé à me voir. Selon un message
qu'il a reçu de Washington, il aurait de bonnes nouvelles pour le
Cameroun.
Je me rappelle aussitôt certaines demandes que nous avons
adressées au Gouvernement américain et qui sont restées en
instance, ce qui me permet d'enchaîner:
- J'espère que la bonne nouvelle consistera à vous annoncer
que nos demandes ont été agréées.
_ Pensez-vous! Le Président Ford fait ses valises. Ce n'est
pas le moment de prendre des décisions. Il faut attendre
l'installation du nouveau Président, M. Carter. Le message qu'il a
reçu peut tout au plus lui annoncer que nos demandes ont été bien
reçues, et seront examinées.
Nous parlons ensuite du Malfrançais que vient de publier le
ministre Peyrefitte, de la prochaine mission de bonne volonté au
Nigeria, et pour finir, le Président me parle du Général Semengué.
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- Je l'ai reçu. Je vais crever l'abcès. Le Général Semengué


n'est pas content, parce qu'il ne peut plus noter et punir. Et
surtout, il se plaint de ses conditions matérielles. Après les
cérémonies de vœux de fin d'année, le maire Fouda a demandé à
rencontrer le ministre Sadou en dehors des lieux de seIVice. Lors
de cette rencontre, Fouda a déclaré que le Général Semengué et sa
femme sont passés lui présenter leurs condoléances, à la suite du
décès de l'une de ses épouses. A cette occasion, le général a
rapporté à Fouda toutes les misères qu'on lui fait subir, la manière
dont il est filé, les contrôles et autres tracasseries de la police dont
il est l'objet...et lui a brusquement posé la question suivante:
"- Qu'allez-vous faire en 1980 ?
- Pourquoi 1980? lui demande Fouda.
- C'est l'expiration du mandat présidentiel en cours. Et vous
vous souvenez que vous avez dû forcer la main à Ahidjo la
dernière fois pour qu'il l' accepte.
- Et si à nouveau nous lui demandions de demeurer à la tête
de l'Etat?
- Jamais. Jamais il ne l'acceptera. Dès lors, il n'y a que trois
possibilités: le Nord, l'Ouest et le Centre-Sud4. Il est exclu que la
Présidence de la République revienne encore à un ressortissant du
Nord. Quant à la Province de l'Ouest, personne dans ce pays
n'acceptera qu'elle accède au pouvoir. Reste donc le Centre-Sud.
- Où voulez-vous en venir? lui demande Fouda.
- En tout cas, l'Armée ne restera pas les bras croisés."
Le général fait ensuite allusion aux conditions matérielles,
incomparablement meilleures dont bénéficie le Premier
.ministre,son camarade de lycée, par rapport aux siennes.
Le Chef de l'Etat m'a évidemment demandé de garder cette
histoire pour moi, mais était décidé à "crever l'abcès".
- Lorsque j'ai reçu le Général, me dit-il encore, ce dernier a
déclaré qu'il était responsable devant la nation, et devant moi, le
Président! Un tel état d'esprit se passe de commentaire. Le Géné-
ral n'a ni la satisfaction morale, ni la satisfaction matérielle ou
professionnelle.

.4. Centre-Sud: Province qui abrite la capitale.


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Il janvier
Je monte voir le Président. J'ai avec moi un certain nombre de
dossiers sur lesquels je souhaite obtenir son avis. Dès que je
pénètre dans son bureau, je constate qu'il n'est pas de bonne
humeur, ce qui ne l'empêche pas de me recevoir. A peine suis-je
assis en face de lui qu'il me dit qu'il est de mauvaise humeur. Je
me suis gardé de lui en demander les raisons. Ce n'est donc pas
l'occasion, du moins la meilleure, pour examiner certains dossiers
difficiles, posant des problèmes difficiles et exigeant des solutions
élaborées. Je déclare par conséquent n'avoir avec moi qu'un
certain nombre de documents qu'il m'a fait tenir, et qui ne revêtent
aucun caractère d'urgence. Nous pourrons discuter ultérieure-
ment, des dossiers difficiles lui dis-je. Sa mauvaise humeur ne
nous a pourtant pas empêchés de traiter certains de ces dossiers :
situation préoccupante à la Loterie nationale, situation inquiétante
à la Cameroon Bank, le problème de la décentralisation adminis-
trative.. .
A propos de cette dernière, il me charge de lui rappeler ce
problème après le Conseil National du Parti.
- Nous nous acheminons vers la paralysie de la machine
administrative. C'est préoccupant. Tout est centralisé à Yaoundé.
Le personnel enseignant exerçant en province passe des mois sans
toucher son salaire, s'il ne vient pas lui-même le suivre à
Yaoundé. Ceci explique ces queues quotidiennes dans les locaux
des Finances, de l'Education nationale et du Trésor. Il faut que
cela cesse. Il faudra envisager un comité comprenant le Ministre
Délégué à l'Inspection Générale de l'Etat et à la Réforme Adminis-
trative pour l'étude d'un projet de décentralisation. Les pouvoirs
des Gouverneurs de Province pourraient être renforcés, leurs
seIVices étoffés avec des représentants, à l'échelle provinciale, des
Finances, de l'Education nationale et des autres départements
ministériels intéressés, conclut-il.
Au moment de m'en aller, il me charge de dire à l'Aide de
camp d'appeler Sengat, "son maquisard" selon lui.
- Sengat ne veut plus rien faire. Lui avez-vous parlé de
l'affaire Tchouaffé ?
- Oui, Monsieur le Président. J'ai appelé Sengat pour lui dire
que s'il a un problème, il vaut mieux qu'il vous le soumette, afin
que vous en discutiez ensemble.
- Oui, qu'on le fasse venir.
En sortant de son bureau, je ne souhaite pas croiser dans le
couloir Sengat qui doit se rendre à cette audience pas comme les
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autres. En tout cas, les explications risquent d'être chaudes. Je


finirai par deviner la raison de sa mauvaise humeur.

24 janvier
L'Office National des Sports
Je suis surpris, pour ne pas dire choqué, par la brutalité avec
laquelle certains responsables jettent le masque dès que se
trouvent menacés ce qu'ils considèrent comme leurs intérêts
personnels. La rentabilité des stades Omnisport de Douala, et
Ahmadou Ahidjo de Yaoundé, est quasi nulle, au point que l'Etat
a dû consolider l'avance de plus de cinq milliards de francs cfa
consentie par le trésor public pour leur construction. Au départ,
les études avaient démontré que les recettes de ces stades, bien
gérées, étaient en mesure d'amortir dans des délais raisonnables
ces investissements. Or, non seulement les recettes ne rentrent
pas, alors que les stades sont régulièrement pleins à craquer, mais
le Gouvernement doit en outre subventionner l'Office qui gère ces
stades, pour leur permettre de fonctionner. Il prend en charge les
frais de transport et de séjour de certains membres de l'Office
appelés à effectuer des missions à l'extérieur, alors que cet
organisme jouit de l'autonomie financière. L'Etat vient de
débloquer au profit de cet établissement cent millions de francs
dans le cadre de l'exercice budgétaire en cours. En moins de six
mois, cette somme s'est volatilisée et l'office, se tournant à
nouveau vers l'Etat, tend la main pour une nouvelle subvention.
C'est dans ce contexte que le Secrétariat Général de la Prési-
dence de la République, en sa qualité de gestionnaire des crédits
.'destinés aux missions à l'étranger, est intervenu pour proposer la
rationalisation de la gestion des fonds de l'office. Il a élaboré,
avec l'accord du chef de l'Etat, un projet de texte dans ce sens, et
l'a communiqué au ministère de tutelle pour d'éventuelles obser-
vations. Le ministère de la Jeunesse et des Sports, en prenant
connaissance du projet, a estimé qu'il s'agissait là d'une affaire
trop sérieuse pour être traitée par échange de cOITespondances. Il a
proposé la tenue, au niveau de la Présidence de la République,
d'une séance de travail, ce qui a été accepté. Le Secrétaire Général
de la Présidence charge le Conseiller Spécial du Chef de l'Etat de
présider cette séance de travail, et demande au ministre de tutelle
de s'y faire représenter. En effet, la réunion n'étant pas présidée
par le Secrétaire Général de la Présidence de la République en
personne, il n'est pas nonnal que le Ministre de la Jeunesse et des
Sports y assiste lui-même.

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C'était ignorer ce que représente pour le Ministre de tutelle


l'Office national des Sports. Le jour fixé pour la séance de travail,
le ministre, flanqué de son Secrétaire général, se présente en
personne. Le Conseiller Spécial est embarrassé de présider une
réunion où assiste un membre du gouvernement, mais ce dernier a
vite fait de déclarer pour le mettre à l'aise:
- On n'est jamais mieux représenté 'que par soi-même.
Toutes les propositions tendant à amender le texte régissant
l'O.N.S. sont repoussées en bloc par le ministre de tutelle et son
Secrétaire général. Tous deux parlent si haut et si fort que
personne d'autre, y compris le président de séance, ne paIVient à
placer un mot.
Lorsque ceci m'est rapporté,deux solutions sont envisagées:
prendre en considération les arguments du ministre de tutelle qui
s'oppose à toute réforme, et laisser la situation telle quelle, aux
dépens de la rentabilité de l'O.N.S. ou, au contraire, faire valoir
l'intérêt de l'Office en modifiant le texte qui le régit. Le Secrétaire
Général de la Présidence ne pouvait opter que pour la seconde
solution. Il élabora un nouveau projet de texte, dont les innova-
tions importantes portaient sur deux points: le Président du
Conseil d'Administration de l'Office sera désonnais une
personnalité autre que le Ministre de tutelle qui le présidait jusque-
là. En second lieu, il sera créé une Commission financière
présidée par un Inspecteur d'Etat et chargée de suivre la gestion
financière de cet Organisme. Lors de la séance de travail, le
Ministre de tutelle n'ayant pas voulu coopérer, il s'avérait inutile
de lui soumettre à nouveau le projet qui avait été élaboré, sachant
d'avance qu'il s'y opposerait de toutes ses forces.
Entre-temps, ce dernier ne se doutant point que quelque
chose se tramait dans l'ombre, brancha tous les siens sur le projet.
Le Secrétariat Général de la Présidence de la République fut
accusé d'initiative unilatérale, comme si ce projet n'avait jamais
été porté à la connaissance du Ministre de la Jeunesse et de
Sports. Le Conseiller Spécial qui avait présidé cette réunion étant
originaire du Littoral, le Ministre de tutelle mit à contribution le
Chancelier de l'Université, un ressortissant du Littoral, le Direc-
teur Général de l'Office National de Participation, également du
Littoral, pour dissuader le Conseiller Spécial de poursuivre l'étude
de ce texte. Pendant ce temps, son Secrétaire Général, de l'ethnie
du Secrétaire Général de la Présidence de la République, assiège
littéralement ce dernier. Un seul objectif à atteindre: cette réforme
ne doit pas voir le jour. A plus de deux reprises, le ministre de
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tutelle entretient lui-même le Chef de l'Etat de cette affaire, sans


omettre, à chaque fois, d'accuser le Secrétariat Général de la
Présidence de la République.
L'élaboration du projet de réforme ne fut pas pour autant
arrêtée. Le nouveau projet de texte est soumis à l'avis du Premier
Ministre, qui y est favorable, puis à la signature du Chef de l'Etat.
Dès sa publication, la réaction, on ne peut plus violente, du
ministre de tutelle ne se fait pas attendre:
- Le Ministre de la Jeunesse et des Sports est particulière-
ment découragé et démoralisé. La réorganisation de l'O.N.S. a été
conçue et réalisée sans son concours... Il a tout appris par la radio
comme le commun des citoyens... Les Chargés de Mission et les
Conseillers de la Présidence se sont substitués au Ministre
responsable. Il s'agit d'une dérogation flagrante aux hautes
instructions du Chef de l'Etat...
Rien de surprenant. C'est toujours l'entourage du Prince qui
est méchant, jamais celui-ci, ni même le Secrétaire Général de la
Présidence de la République. Pour le Ministre, l'O.N.S. est une
direction décentralisée de son département. Dès lors qu'il est
écarté de la présidence du Conseil d'Administration, que reste-t-il
de son autorité de responsable de la politique gouvernementale en
matière de promotion sportive? Et de poursuivre:
- La nouvelle structure de l'Office National des Sports enlève
toute autorité, toute responsabilité et toute crédibilité au ministre
responsable.
Fait rare dans les jeunes Etats, il demande au Président de la
République de reconsidérer la situation. En d'autres termes, il
.,voudrait que ce dernier revienne sur sa signature afin, dit-il, "de
ne pas paralyser sa mission, s'il bénéficie encore de sa
confiance" .
On saisit malles raisons profondes de cette vive réaction du
ministre de la Jeunesse et des Sports. De deux choses l'une: ou
bien le Ministre, qui dispose d'un budget distinct de celui de
l'Office, se mêle de la gestion de ce dernier, auquel cas il est à
l'origine de cette gestion catastrophique, et ne saurait cautionner
son écartement de cet organisme, ou, au contraire, il n'y dispose
point d'intérêts, et alors on ne comprend pas pourquoi il s'oppose
à la réforme. Mais le fait que l'Inspection Générale de l'Etat soit à
cette même période branchée sur la gestion, tout aussi catastro-
phique de la Direction du Service Civique de Participation, qui
relève également de sa tutelle, lui aurait fait penser qu'on lui en
voulait particulièrement à la Présidence de la République. Il

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pouvait valablement craindre pour son portefeuille, d'autant plus


que des rumeurs sur un éventuel remaniement ministériel étaient
dans l'air. L'analyse de la réaction de ce Ministre révèle que le
département de la Jeunesse et des Sports, dissocié de la gestion de
l'Office National des Sports, est vidé de tout son contenu.
Désormais, c'est le Président du Conseil d'Administration, qui
n'est plus le Ministre de tutelle, et qui, par hasard, se trouve être
un membre du Secrétariat Général de la Présidence, qui est le vrai
Ministre de la Jeunesse et des Sports, selon ce dernier. Le Secré-
tariat Général de la Présidence de la République aurait su que
l'essentiel du portefeuille de la Jeunesse et des Sports résidait
dans la gestion des fonds de l'Office qu'il n'aurait peut-être pas
pris cette initiative. Il n'appartient qu'au Chef de l'Etat, et à lui
seul, de remanier son gouvernement.
En outre, il n'est pas courant dans le système politique des
jeunes Etats qu'un ministre pose une question de confiance au
Chef de l'Etat. Ce c'est ni plus ni moins qu'un ultimatum: ou
bien le Président de la République lui fait encore confiance, et il
revient sur le décret qu'il vient de signer, ou au contraire, le décret
est maintenu, et alors? Le ministre ira-t-il jusqu'à donner sa
démission? La suite de la carrière de l'intéressé montrera qu'il
n'est pas de cette trempe. Il y a certainement anguille sous roche
dans cette affaire, sinon, comment confondre un département
ministériel, doté d'un budget qui doit permettre au titulaire de
mener sa politique au même titre que les autres chefs de départe-
ments ministériels, avec l'Office, organisme jouissant d'une
personnalité juridique et d'une autonomie financière, et dont
l'unique mission consiste à gérer des stades? Une saine gestion
de ces derniers ne doit-elle pas renforcer les moyens de la poli-
tique du département de tutelle? C'est le cas ici de relever qu'on
ne saisira jamais dans leur intégralité, tous les aspects de la
personnalité d'un individu. Les accusations proférées contre le
Secrétariat Général de la Présidence de la République auraient été
compréhensibles, si elles provenaient d'un Ministre qui n'avait
point transité par le Cabinet du Chef de l'Etat. Tel n'est cependant
pas le cas du ministre de la Jeunesse et des Sports. Il me souvient
que l'intéressé a été Chargé de Mission à la Présidence de la
République et que, venant moi-même de la Direction de
l'Enseignement du Second Degré du Ministère de l'Education
Nationale, je l'ai remplacé à ce poste. Il venait d'être nommé
Secrétaire général du ministère du Travail. Il est à l'origine de la
réhabilitation du travail manuel dans les établissements scolaires-
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ce qui est à son honneur - lorsque, étant à la Présidence de la


République, il s'occupait des Affaires culturelles. L'Education
nationale, où je me trouvais alors comme Directeur, n'a jamais été
consultée. Le Chargé de Mission à la Présidence avait unilatérale-
ment conçu et préparé un texte qu'il avait fait approuver par le
Chef de l'Etat, et l'Education Nationale n'avait plus eu qu'à
l'appliquer.
Aujourd'hui, c'est ce même Chargé de Mission, devenu
Ministre, qui reproche au Secrétariat Général de prendre des initia-
tives unilatérales, avec, il faut le dire, une bonne dose de
mauvaise foi, puisqu'il a bel et bien été associé à la première
mouture du texte.
"Ah! les hommes!" n'a jamais cessé de répéter le Président
Ahidjo. Il me revient ce qu'il me dit un jour:
- Vous savez, Eboua, c'est certainement un inconvénient de
rester trop longtemps au pouvoir, mais c'est aussi un avantage.
On finit par mieux connaître les hommes... Lorsqu'un ministre,
certainement de bonne foi, me propose la nomination de tel ou tel
fonctionnaire à un poste de responsabilité, il ne comprend rien
lorsque je lui réponds que ce n'est pas l'homme qu'il faut à ce
poste. C'est qu'il y a des années que le proposé est signalé dans
des affaires louches. Tout le monde l'avait oublié. Le jeune
Ministre n'en savait rien. Mais moi, je le savais...

14 mars
Il est 17h 15. J'entretiens le Président de certains dossiers en
ma possession. A la fin de notre séance de travail qui, exception-
.'nellement a eu lieu en fin d'après-midi, il me demande de convo-
quer, pour le mercredi 16 mars à 17h, une séance de travail qu'il
présidera personnellement. Elle portera sur la situation qui prévaut
dans l'Agriculture. Participeront à cette réunion le Premier
ministre, le ministre de l'Economie et du Plan, et le Conseiller
technique, Abanda Metogo. Puis, tout d'un coup, il me lance:
- Il me souvient que le département de l'Agriculture nous
avait soumis un programme d'action qui a été approuvé?
- Oui, Monsieur le Président.
- Au moment où les cours des matières premières deviennent
de plus en plus en plus intéressants, il nous faut mettre l'accent
sur le développement de l'agriculture. A propos, en créant les
SeIVices du Premier Ministre, il n'était nullement dans mes inten-
tions d'en faire un goulot d'étranglement. Il me revient de jour en
jour que les dossiers traînent là-bas, notamment à la Division

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économique. Il cite l'exemple d'une proposition de nomination à


l'Elevage, déposée dans les selVices du Premier ministre depuis le
mois de janvier. Ce projet de nomination ne vient que de lui
palVenir, alors qu'il ne nécessitait aucune étude. fi me demande:
- Ne vous est-il pas revenu que les dossiers accusent des
retards considérables au niveau des selVices du Premier ministre ?
- Il arrive que certains Ministres nous posent la question de
savoir si tel ou tel dossier déposé au niveau des Services du
Premier ministre, pour la sanction du Chef de l'Etat, nous est déjà
parvenu. Nous répondons par l'affinnative lorsque nous avons le
dossier, par la négative dans le cas contraire.
- Oui, on me dit que la Division Economique des selVices du
Premier Ministre n'est constitué que d'incapables. Le Premier
Ministre lui-même m'a parlé du Directeur des Affaires Econo-
miques. Et pourtant, on parle des Assoumou des Moulion ... Je
vais en parler à Biya...

9 juin
Il est 17h10 lorsque le Président m'appelle. Dès que je me
présente, il me remet le rapport élaboré par le Comité Technique
d'Etudes sur les problèmes de l'Administration. Il y a quelques
jours, me parlant de ce rapport qu'il n'avait pas encore entière-
ment parcouru, il dit:
- Le tableau est à tel point peint au noir qu'il y a de quoi se
décourager en y pensant. Après l'avoir lu, on n'a qu'une seule
envie: fenner la porte, y laisser les clefs et s'en aller. Revenant
sur ce rapport, intéressant par plusieurs points, il constate que le
:'Comité a voulu tout embrasser.
- Tous les problèmes soulevés, ne sont pas propres à notre
pays. S'agissant des hommes, ils sont pratiquement les mêmes ici
et ailleurs. Il faut donc étudier ce rapport, en extraire les priorités
et s'attaquer progressivement aux situations qui y sont mention-
nées, en commençant par les plus urgentes et les plus importantes.
Il me parle ensuite de l'audience qu'il vient d'accorder à deux
universitaires, les professeurs Anomah Ngu, Vice-Chancelier de
l'Université, et Bernard FonIon, ancien Ministre, Professeur à la
Faculté des Lettres et Sciences Humaines, tous les deux membres
du Comité Central de l'Union Nationale Camerounaise. D'entrée
de jeu, me dit-il ses visiteurs louent l'action qu'il mène à la tête de
l'Etat depuis bientôt vingt ans. Ils font ressortir tous les avantages
que le Cameroun tire de cette stabilité, par rapport aux inconvé-
nients qui résultent de l'instabilité constatée dans certains Etats
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voisins. Selon eux, le Président doit tout mettre en œuvre pour


sauvegarder cette stabilité, afin que tout ce qu'il a réalisé ne vienne
pas à être détruit par des irresponsables si, d'aventure, ces
derniers s'emparent du pouvoir. A cette fin, ils préconisent une
solution qui n'est autre que celle qui prévaut dans la plupart des
systèmes politiques anglo-saxons. D'après eux, le gouvernement
devrait être responsable de la politique et donc, instable: des
premiers ministres se succéderaient à la tête du gouvernement
selon leur compétence, leur capacité de gestion, et le degré
d'approbation de leur action par l'opinion. En revanche, le Chef
de l'Etat, débarrassé de la gestion quotidienne serait le garant de la
continuité de l'Etat. Cette proposition fait penser au régime britan-
nique où, le roi règne, mais ne gouverne pas, ou à celui de la
IVème République en France. Une telle conception, conclut le
Président, valable en Grande-Bretagne, l'est-elle dans les jeunes
Etats tels que le nôtre, qui se cherchent encore? Même dans un
pays comme la France où le Premier Ministre est le chef du
Gouvernement,les grandes décisions se prennent à l'Elysée, et
non à Matignon.
Ses visiteurs ont critiqué ensuite les fonctionnaires de la
Présidence de la République. D'après eux, il existe au sein des
ministères des fonctionnaires plus compétents que ceux de la
Présidence de la République. Paradoxalement, ce sont ces
derniers qui tranchent les problèmes les plus importants de la
République. Ils lui ont suggéré d'instituer une commission qui lui
ferait des propositions à chaque fois qu'un problème important se
poserait. En d'autres tennes, des commissions devraient se substi-
tuer à son Cabinet, composé d'incompétents, d'incapables. Enfin,
sur le plan politique, les deux universitaires ont apprécié l'action
menée par le Secrétaire à l'Organisation du Comité Central de
l'U.N.C. lors du renouvellement des organes de base du Parti. Ils
estiment que ce début de démocratisation devrait s'étendre aux
élections municipales et législatives. Commentant l'ensemble de
ces suggestions,le Président de la République fait ressortir
l'incapacité de ceux qui manipulent les théories et les idées, à leur
trouver des applications concrètes sur le terrain. Il m'apprend
combien il lui a souvent été difficile de trouver des hommes à
nommer à certains postes précis de responsabilité, puis il me fait
une confidence :
- Entre nous, et vous garderez cela pour vous, j'avais
l'intention de faire un remaniement ministériel dès la fin de ce
mois, mais il n'aura pas lieu, compte tenu des révélations de

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l'hebdomadaire Jeune Afrique. Les gens raffolent de changement.


Ils seraient bien contents s~il intervenait un changement de
ministres tous les matins. Or~bien que chacun se dit en mesure
d'assumer cette responsabilité, les hommes réellement valables ne
sont pas légion. Souvent, on finit même par regretter certaines
personnes que l'on a remerciées, lorsqu'on voit leurs successeurs
à l'œuvre. Le cas du général Gowon, aujourd'hui regretté dans
tout le Nigeria, le confirme.
Nous parlons ensuite des visites attendues des Ministres
français et canadien de la Coopération. Le Ministre de l'Economie
et du Plan vient de lui remettre une fiche, faisant le point sur la
coopération avec le Canada, et notamment sur les projets financés
chez nous par ce pays. Le Président relève l'importance des inter-
ventions du Canada au Cameroun.
- C'est une coopération peu intéressée, bien qu'il s'agisse là
encore d'une aide liée.
Je lui pose la question de savoir ce qu'il entend par "aide liée"
dans ce cas précis, puisqu'il vient d'affirmer qu'elle était peu inté-
ressée.
- C'est que nous sommes tenus de nous équiper chez eux
avec les sommes qu'ils mettent à notre disposition.
Je lui fais remarquer que c'est parfaitement logique, dans la
mesure où la France, ou tout autre pays qui nous vient en aide
n'apprécierait pas que les sommes qu'elle nous alloue aillent faire
prospérer les affaires d'un autre pays. Le Président insiste sur le
caractère peu intéressé de l'aide canadienne par rapport à l'aide
française.
En effet, il suffit de considérer l'importance de la colonie
française chez nous, qui tire également profit de l'aide de son pays
d'origine, ce qui montre bien le côté intéressé de celle-ci. Tel n'est
pas le cas du Canada dont la colonie au Cameroun est pratique-
ment inexistante. Enfin, il évoque le passé colonial de la France
qui explique, en partie, le concours qu'elle nous apporte. Le
Président pousse plus loin son analyse. Il constate que
l'Allemagne Fédérale est bien disposée à nous aider, et que les
concours qu'elle nous apporte sont également moins intéressés
que ceux de la France. C'est alors que je lui rapporte la nouvelle
selon laquelle les Allemands seraient sur le point de renoncer à
attribuer l'aide de huit milliards de francs cfa qu'ils se proposaient
de nous apporter dans le cadre du réalignement du chemin de fer
entre Douala et Yaoundé, et cela parce que ce concours n'est pas
vu d'un bon œil par les Français.

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- En effet. Mais il semble également que notre projet


d'autoroute Douala-Yaoundé décourage certains bailleurs de fonds
favorables au réalignement du chemin de fer, qui estiment que ce
dernier cessera d'être rentable.
fi cite le cas de la Banque Mondiale. Il est 17h50 lorsque je
quitte son bureau.

* *
*

Mon travail est accablant. Il ne me laisse pas souffler. C'est


même un miracle que j'arrive à trouver le temps de coucher de
temps en temps sur du papier certains entretiens que j'ai eus avec
le Président Ahidjo. Je rentre chaque soir fatigué, cassé, sans
pour autant être à l'abri d'un coup de fil du Président me deman-
dant de passer le voir dans les dix minutes qui suivent, ou de faire
telle ou telle chose (voir en annexes "L'état des lieux"). Je n'ai
pratiquement pas de distractions. J'avais débuté un entraînement
de tennis au gymnase de l'Institut de la Jeunesse et des Sports
avant d'aller à la Camair à Douala. Mais cela n'avait point duré.
Revenu à Yaoundé, je me suis procuré un ensemble de tennis de
table. Je m'y suis entraîné avec Zoa Oloa une seule fois. Je l'ai
abandonné à mes enfants, ne trouvant pas le temps de m'y
adonner. C'est à peine si, une fois par semaine, le samedi soir de
préférence, je vais au cinéma avec mon épouse. J'ai dû y renoncer
également,bien avant que je ne me procure une vidéo cassette que
je n'allume que lorsque des amis veulent visionner un film. C'est
vraiment abrutissant. Il me faut une distraction en mesure de me
faire oublier pendant quelques heures les dossiers et autres
affaires de l'Etat. Je la trouve dans la marche.
Mais où effectuer celle-ci? Plus d'une fois, j'ai tenté de sortir
à pieds de ma résidence pour longer la rue d'en face, le soir, en
prenant soin de ne pas me faire reconnaître. Pour y palVenir, il me
faut à chaque fois changer de trottoir pour ne pas croiser les gens
qui marchent dans ma direction. Peine perdue! Souvent, ces
passants marquent le pas, se retournent pour scruter l'ombre
solitaire qui vient de traverser la voie, et s'entretiennent à voix
basse entre eux. Je suis certainement reconnu dans la pénombre.
Deux fois de suite, un véhicule s'est immobilisé à ma hauteur. Le
conducteur m'avait reconnu et me proposait gentiment de me
déposer chez moi, croyant que j'étais victime d'une panne. J'ai dû
renoncer à cette marche en ville.

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J'avais chez moi un fusil de calibre 12. Il se rouillait littérale-


ment dans le placard. Pourquoi ne pas joindre l'utile, la
marche, à l'agréable, la chasse? Aller chasser tout seul, c'est
manquer de prudence. Y aller à deux, c'est encore plus dange-
reux, ne cessait-on de me répéter. Il ne restait plus qu'à me faire
accompagner par mon garde du corps, ou par l'un des Gardiens
de la Paix en faction.à ma résidence. Il n'en n'était pas question.
Je voulais me détendre, oublier quelque peu mes dossiers, le
service de l'Etat et ses contraintes. Je trouvai en Zoa Oloa, un
passionné de la chasse, un compagnon irremplaçable. Dès lors,
qu'il fasse beau ou qu'il pleuve, nous allions chasser le samedi
après-midi, ou le dimanche matin. Le Président le savait, et,
lorsqu'il avait besoin de moi, il téléphonait à mon domicile afin
que je passe le voir dès mon retour. J'étais souvent moi-même au
volant. Sinon, c'était Zoa. Je ne prenais jamais de chauffeur. Mais
de quelle chasse s'agit-il en réalité? Nous n'allions jamais à plus
de vingt kilomètres de Yaoundé. Or, il existe dans les villages de
nombreux chasseurs professionnels. Il y a également des mili-
taires venant de Yaoundé qui, avec leurs armes de guerre,
déciment le gibier dans les environs. Un véritable braconnage. De
temps en temps, nous décidions d'aller un peu plus loin. Dans ce
cas, nous nous levions à cinq heures du matin.
Dans les villages où nous garions notre véhicule, il y avait
toujours de jeunes enfants qui s'offraient pour nous servir de
guides. Ils prétendaient connaître les endroits fréquentés par les
singes ou les écureuils. Zoa est un excellent tireur. Il a des
réflexes rapides et vise à merveille. Dans l'année ou la police, il
aurait été un tireur d'élite.
Nous marchions souvent des heures, de 8 à 12 heures sans
arrêt, et sans nous en rendre compte. J'oubliais tout durant ces
parties de chasse, notamment lorsque nous étions à la poursuite
d'un kounoung.5
Le seul gibier que nous abattions le plus souvent était
l'écureuil, un petit rongeur particulièrement agile et rapide, mais
nuisible. Il est vraiment détesté par les planteurs de cacao dont il
détruit la récolte en rongeant les cabosses. Aussi, lorsque nous
revenions avec en main un lot d'écureuils abattus, les planteurs
étaient particulièrement heureux d'être débarrassés de ces
maudites bêtes. A chaque fois, l'un d'eux déclarait connaître un
endroit où nous pouvions en abattre au point de remplir notre

5. Nom local d'un gros oiseau au très beau plumage.


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gibecière, et s'offrait pour nous y accompagner lors de notre


prochaine randonnée. En fait, cet endroit giboyeux, où il nous
promettait une chasse miraculeuse n'était autre que sa propre
cacaoyère. C'était pour lui le meilleur moyen d'exterminer ces
écureuils qui lui faisaient perdre, chaque année, une bonne partie
de sa récolte. Et comme les écureuils sautent de branche en
branche au lieu de demeurer sur place pour nous attendre, il était
furieux lorsque nous n'en abattions que deux ou trois, alors que
c'est souvent toute une troupe qui le narguait lorsqu'il était seul, et
sans anne, se plaignait-il. Progressivement, la chasse devint pour
moi une véritable passion. Lorsque Zoa ne pouvait pas se libérer,
j'y allais seul, et rentrais souvent sans avoir abattu une mouche.
Mais l'objectif était atteint: j'avais parcouru à pied des kilomètres.
De notre chasse, nous n'avons jamais ramené que des écureuils,
des toucans, de temps en temps une perdrix, un kounoung.
Jamais de singe. Une seule fois j'ai abattu un hérisson. Souvent,
nous rentrions bredouilles. Et nos épouses plaisantaient, se
demandant si en réalité nous n'allions pas chasser autre chose que
du gibier...

Dimanche 31 juillet
Je rentre de chasse. On me signale que l'Aide de camp du
Président, le lieutenant Sali, est au bout du fil, qu'il a déjà appelé
et qu'il rappelle. Je sors de la baignoire et prends la communica-
tion: "Le Président vous attend à 17h", me dit-il.
A 17h, je pénètre dans les appartements du Président. Il est
seul. Il me parle de la revalorisation de l'indemnité de sujétion des
.secrétaires généraux, directeurs, chefs de services et chefs de
bureaux des départements ministériels. Je lui fais savoir que dans
un premier temps, nous avons envisagé le doublement pur et
simple de ces indemnités. L'incidence budgétaire s'élève à un
milliard trois cent cinquante millions de Francs CFA6. Ne dispo-
sant point d'une dotation atteignant ce montant, nous avons révisé
le taux à la baisse. L'incidence avait alors été ramenée à un
milliard cent cinquante millions. Une dernière hypothèse avait
abouti à une incidence de un milliard cent millions, compte tenu
du grand nombre de chefs de bureaux, de chefs de service et de
directeurs. Je lui fais savoir que nous avons estimé ne pas pouvoir
descendre plus bas.

'6. Le Franc CFA valait alors 0,02 FF.


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- Nous nous sommes lancés dans une aventure, rétorque le


Président Ahidjo. Nous venons de revaloriser les salaires à
compter du 1er de ce mois, et le ministre des Finances n'a prévu
qu'un milliard. Il n'est pas possible qu'un mois à peine plus tard,
il lui soit demandé de trouver un milliard supplémentaire. La
revalorisation de l'indemnité n'intéressera dans un premier temps
que les secrétaires généraux des ministères, les conseillers
techniques et chargés de mission de la Présidence et des seIVices
du Premier Ministre. Le cas des autres responsables sera examiné
lorsque la conjoncture sera plus favorable.
Je lui suggère qu'un geste soit également fait en faveur du
personnel du Commandement.
- D'accord. D'autant que la situation des gouverneurs de
Province vient d'être substantiellement améliorée.
Il ne me reste plus qu'à examiner cette situation avec le
Premier ministre afin que d'ici le 2 Août au plus tard, les textes
soient signés.
Le Président me parle ensuite de la visite qu'il vient
d'effectuer en Algérie.
- L'accueil a été cordial. Dès le lendemain de mon arrivée j'ai
un entretien de deux heures avec le Président Boumédienne. Ce
dernier ne m'a pas embarrassé avec le problème du Sahara occi-
dental, bien que cette situation ait été à plusieurs reprises évoquée
au cours de nos conversations. Le Président Boumédienne compte
sur le revirement du Président QuId Daddah de Mauritanie qui,
selon lui, devrait faire machine arrière. C'est mal connaître
l'entêtement du Président mauritanien. Ce qui inquiète Alger, c'est
l'encerclement de la région par les Marocains qui finiront par
annexer la Mauritanie.
S'agissant du conflit égypto-libyen, il a constaté que le Prési-
dent algérien, sans le dire explicitement, prend partie pour la
Libye.
- Le Président Boumédienne s'arrêtera au Cameroun en se
rendant au sommet de Lusaka, si le Roi du Maroc ne fait pas
échouer ce sommet. Un peu réservé au début, le Président
Boumédienne s'est ensuite totalement ouvert à moi. Il était
décontracté et nous avons eu plusieurs entretiens.
Il est 17h45. Je m'apprête à le quitter lorsqu'il m'apprend
qu'il est seul dans sa résidence et qu'il peut entendre voler une
mouche. Toute sa famille est partie en congé à Cannes. A quoi je
réponds qu'on se plaint souvent de la turbulence des enfants, mais
dès qu'ils sont malades ou absents, la maison est sans âme.
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- En effet. Même si on n'est pas avec eux, on les entend, et il


y a un peu plus de chaleur dans la maison.

2 décembre
Un proche collaborateur d'un chef d'Etat peut-il être consi-
déré comme un homme politique, ou comme un simple haut
fonctionnaire? Question à laquelle il est difficile de répondre de
façon catégorique, la frontière entre le politique et l'administratif
étant floue. Un jour, mon prédécesseur au Secrétariat général de la
Présidence de la République me rapporte comment, lors des inves-
titures des candidats par le Parti aux élections législatives, il avait
fait parvenir une note au Chef de l'Etat pour annuler la candidature
d'une dame de mœurs légères,originaire de son département.
N'empêche! Ladite personne est investie et est député à
l'Assemblée Nationale. Il n'a donc été tenu aucun compte de son
information.
Je n'irai pas jusqu'à dire que je me suis retrouvé dans la
même situation au sujet de la municipalité de Nkongsamba, chef-
lieu de mon département d'origine. J'ai, à trois reprises, entretenu
verbalement le Chef de l'Etat de la situation qui prévaut dans cette
ville. A trois reprises également, je lui ai fait tenir une note à ce
sujet, à laquelle était venue s'ajouter une motion collective que
nous avions fait signer par la personne alors considérée comme
l'homme politique du département. Il s'agissait de proposer au
Chef de l'Etat de nommer, pour la première fois, un autochtone au
poste de Délégué du gouvernement, à l'instar de ce qui est fait
dans les municipalités de Yaoundé et de Douala.
Nkongsamba est la seule de ces municipalités où se succè-
dent, depuis un quart de siècle, un maire, ou un Délégué du
gouvernement allogène. N'était-il pas pas temps qu'un aborigène
soit à son tour mis à l'épreuve, en lui confiant la gestion de cette
municipalité? .

Le moins que je puisse dire est que le Chef de l'Etat a renvoyé


dos à dos allogènes, et autochtones minoritaires dans la ville, en
nommant un fonctionnaire n'appartenant ni à l'un ni à l'autre des
deux groupes. Mais dans des situations de cette nature, peut-on
réellement parler de neutralité? L'expérience ne prouve-t-elle pas
que sous nos latitudes, l'individu, au départ neutre, est vite
récupéré par le groupe économiquement, et, partant politiquement
le plus puissant? J'ai également contacté le ministre de
l'Administration Tenitoriale et Secrétaire politique de l'U.N.C...
à propos de l'investiture des conseillers municipaux dans mon
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arrondissement d'origine. Il en aurait parlé au Chef de l'Etat qui


aurait rétorqué:
- Les gens pensent que Eboua peut tout faire, parce qu'il est
à mes côtés. Le Parti et les autorités administratives ont décidé. n
n'est pas question de revenir sur leur conclusion. Effectivement,
ceux de chez moi qui m'ont saisi des irrégularités constatées lors
de ces investitures ont eu le temps de se rendre compte que je n'ai
pu rien faire pour eux, puisqu'aucune suite n'a été réservée à leur
requête. Je pensais, en ma qualité de proche collaborateur du Chef
de l'Etat, que ce dernier pourrait, de temps en temps, recueillir
auprès de moi un complément d'informationssur certaines situa-
tions prévalant dans mon arrondissementd'origine. Nul n'ignore
que je travaille auprès de lui et que, en tant que natif de ce coin du
pays, nombre d'information me palViennent dans une version qui
peut être différente de celle des responsables de l'administration et
de ceux des Renseignements. Y aurait-il meilleure manière de
procéder à un recoupement? Il va sans dire que toute information
que je pourrais lui fournir ne peut en rien préjuger de la décision
qu'il prendra.
C'est dire la situation on ne peut plus inconfortable dans
laquelle se trouve le proche collaborateur d'un Chef d'Etat qui
entend assumer le contrat qu'il a conclu avec son peuple. Chacun
pense que ce collaborateur est à l'origine de tout, qu'il est tout-
puissant, notamment pour tout ce qui concerne sa localité
d'origine. Comment un tel responsable peut-il crier sur les toits
qu'il a appris, à l'instar de l'homme de la rue, par la radio et la
presse, la liste investie par le Parti? Comment peut-il soutenir
qu'il n'est pas à l'origine de la nomination de tel administrateur
municipal ou de tel délégué du Gouvernement? Qui le croira?
Le Secrétaire Politique du Parti est pour beaucoup dans cette
situation. Il peut, certes, bénéficier de circonstances atténuantes.
En tout cas, s'il fallait à chaque fois consulter les responsables
politiques sur tous les problèmes relevant de leur fief, on s'en
sortirait difficilement, d'autant que l'objectivité n'est pas toujours
l'apanage des hommes politiques. Il n'en reste pas moins qu'à un
certain niveau, et dans certains cas, ,par solidarité gouvernemen-
tale, il pourrait consulter, certains de ses collègues, quitte à
trancher dans le sens qu'il estime répondre à l'intérêt du Parti.

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6 décembre
Révocation d'un Ministre
Le Président m'avait demandé d'obtenir du ministre de
l'Education Nationale toutes les pièces justificatives des dépenses
engagées sur la ligne "frais d'études", se rapportant à
l'implantation de l'Université de Technologie. A l'audience de ce
matin, je les lui apporte. Il y jette un coup d'œil rapide et se rend
compte de la manière dont les dépenses ont été engagées. Le
ministre a signé un arrêté irrégulier, octroyant une somme forfai-
taire de cent mille francs par mois à chaque membre du Comité
d'Etudes. Plus grave, il a lui-même émargé pour six cent mille
francs.
- C'est un voleur, ce gars! s'écrie Ahidjo. Ce n'est ni plus
ni moins qu'un détournement de deniers publics. Je vais le révo-
quer. Contactez le ministre des Finances. Ils doivent tous
rembourser.
fi actionne le système de sonnerie et son Aide de camp entre.
- Dites au Ministre de l'Education nationale que je le reçois à
17h30.
Il est 18h. Mon garde du corps me signale l'arrivée du
ministre de l'Education nationale qui demande à me voir. Je sais
qu'il revient de l'audience que le Chef de l'Etat devait lui accorder
à 17h30. J'ordonne qu'on l'installe au salon. C'est un homme
abattu que je trouve. Il est resté debout. Je l'invite à s'asseoir. Il
ne peut se retenir et éclate en sanglots. Il pleure à chaudes lannes.
Je fais de mon mieux pour le consoler.
- Le Président m'a chassé de son bureau, me dit-il. Il n'a
même pas voulu que je m'explique. Il m'a dit que j'irai
m'expliquer devant les tribunaux.
C'est dans ces conditions que nous nous séparons.

7 décembre
Je suis reçu en audience par le Chef de l'Etat à 9h30. Je lui
fais le compte rendu de mon entretien de la veille avec le ministre
de l'Education Nationale, et ne manque pas de lui dire combien
j'ai été peiné de voir un membre du gouvernement pleurer comme
un gosse.
- En effet. Il a la lanne facile. Il m'est revenu qu'il a égale-
ment pleuré lorsqu'il il a été mis fin à ses fonctions de ministre
des Finances, il y a quelques années. Ce sont des larmes de
crocodile. Je vais le révoquer.

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Le mot fatidique était revenu: révoquer. Et le Président de


continuer:
- Je me proposais de remanier le gouvernement en 1978.
Maintenant, je ne peux plus attendre. Au moment où nous luttons
contre la corruption et les détournements de fonds publics, ce ne
sont pas les membres du gouvernement qui doivent se comporter
de cette manière. Il n'est pas exclu qu'il ait trafiqué lorsque je l'ai
nommé ministre des Finances. Il m'est du reste revenu qu'il
accordait des exonérations fantaisistes d'impôts... J'ai réfléchi
depuis hier soir pour trouver qui nommer à sa place. J'ai pensé à
Doumba, ministre de la Justice, Garde des Sceaux. Mais il est
trop fuyant, ne veut assumer la moindre responsabilité. J'ai
également pensé à Zé Nguélé, ministre de l'Information et de la
Culture. Or, il semble que ce département a des problèmes. Vous
m'en avez vous-même parlé. Enfin, j'ai pensé à Ndam Njoya,
Vice-Ministre des Affaires Etrangères.
C'est alors que j'interviens en faveur du ministre de
l'Education Nationale, afin qu'un sursis lui soit accordé. Je fais
remarquer au Président que l'Education Nationale est un gros
morceau.
- En effet. C'est même l'un des départements les plus diffi-
ciles. Ndam Njoya, au départ, n'aurait pas fait l'affaire. Mais il
m'est revenu qu'il s'est ressaisi...Enfin, ou verra.
C'est sur ces mots que je sors de son bureau pour me rendre
directement à la salle des Conférences où je dois présider une
réunion convoquée pour 10 heures.
Il est 11h30 lorsqu'un gendarme m'apporte dans une chemise
un bout de papier de mon secrétariat sur lequel je lis: "le Président
vous demande de regagner un instant votre -bureau. Il veut vous
parler au téléphone". Je pénètre dans mon bureau et j'ai le Prési-
dent au bout du fil.
- Eboua ?
- Oui Monsieur le Président.
- Vous êtes seul?
- Oui Monsieur Le Président.
- Préparez-moi un projet de décret nommant Ndam Njoya
Ministre de l'Education Nationale. Je le reçois dans quelques
instants. Le décret sera rendu public à 13h .
Entre-temps, le Président avait convoqué le Premier Ministre
pour l'informer de cette décision. C'est ainsi qu'à 13h, la radio
annonce la nomination de Ndam Njoya à la tête du département de

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l'Education Nationale. C'est le premier départ d'un ministre


depuis la fonnation du gouvernement du 30 juin 1975.
La patience du Président Ahidjo est légendaire, et lorsqu'il
prend une décision comme celle-là, en moins de quarante-huit
heures, c'est qu'après avoir toléré un certain nombre de compor-
tements incompatibles avec le service de l'Etat, il est excédé. C'est
également une preuve qu'en sa qualité de responsable suprême de
l'Etat, rien et nul ne peut être à l'abri des foudres de l'Olympe,
dès lors que les intérêts de l'Etat sont en jeu. Il n'est pas exclu de
penser que d'autres, encore dans l'ombre, mais dont les crimes
contre l'intérêt général sont autant, sinon plus graves que ceux
reprochés au ministre de l'Education nationale, soient, un jour ou
l'autre, frappés à leur tour.

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1978

3 Janvier
Je me rends à l'audience de 9 heures. Le Président, sans être
de mauvaise humeur, me paraît quelque peu crispé. Je lui présente
les dossiers que j'ai sous le bras.
_ Eboua, je veux vous parler sincèrement, et en toute inti-
mité. Je saisis l'occasion de cette nouvelle année pour le faire.
Vous vous acquittez de vos responsabilités avec dévouement,
célérité et compétence. Mais vous savez que vos fonctions exigent
que vous vous placiez au-dessus de certaines considérations. Il est
avéré que vous vous entourez des vôtres. Bien sûr, c'est délicat.
n y a des familiers que vous ne pouvez pas vous empêcher de
fréquenter... Mais la nature de vos responsabilités devrait faire en
sorte que votre domicile ne devienne pas une place publique, un
lieu permanent de fête. En outre, je n'ai pas apprécié votre attitude
dans l'affaire des Chargeurs. Vous avez vous-même pris connais-
sance du dossier. Vous avez vu comment le responsable de cet
organisme a dilapidé les fonds. Comment avez-vous pu donner
les instructions, dont vous m'avez parlé, à celui qui vous repré-
sentait à la réunion présidée par le Premier Ministre7? Vous auriez
dû verbalement donner des directives à votre représentant, sans

7. J'avais en effet suggéré que, dans la recherche d'un éventuel


remplaçant du Secrétaire général du Conseil national des Chargeurs, les
ressortissants du Littoral ne soient pas exclus. En effet, j'étais déjà en
possession du nom du candidat que l'on voulait proposer au Chef de l'Etat,
lequel candidat était parfaitement incompétent.
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avoir besoin de lui recommander de poser la question comme il l'a


fait. Par ailleurs, il m'est revenu que les fils du Moungo ne sont
pas contents de la nomination inteIVenue au poste de Délégué du
Gouvernement à Nkongsamba, parce que l'un d'eux n'a pas été
nommé à ce poste. Voyez vous-même, Eboua. La ville de
Nkongsamba est à près de 80 % bamiléké. Dans le cadre de ma
politique de protection des minorités,vous avez dû constater que,
depuis un certain temps, je tiens à ce que le personnel de
commandement dans le Moungo ne soit pas d'ethnie bamiléké.
D'autre part, vous voyez que la même évolution s'amorce sur le
plan communal. Vous avez vous-même été témoin de toutes les
démarches effectuées par les Bamiléké à notre niveau pour que ce
poste leur revienne. Comment expliquer cette réaction des fils du
Moungo ? Je pense que vous devriez leur expliquer la situation.
J'ai écouté le Président sans l'interrompre. Puis, pour toute
réponse, je lui ai fait comprendre que je n'ai jamais cherché à
protéger qui que ce soit dans l'affaire des Chargeurs, car cela
n'est pas dans mes habitudes; et que je n'aurais pas cherché à
couvrir, pas même mon fils, s'il s'était montré indélicat avec les
affaires de l'Etat. Du reste, l'idée de chercher un ressortissant du
Littoral pour remplacer le Secrétaire Général sortant, également
originaire du Littoral était d'Onana Awana, et non de moi. Je lui ai
promis de suivre à la lettre les conseils qu'il venait de me prodi-
guer. S'agissant des miens qui m'entourent, je lui ai fait
comprendre qu'ils venaient me voir pour des questions d'ordre
matériel et non politique, et qu'en tout état de cause, je n'oriente
pas l'étude des dossiers en fonction de la pression que je subis
des
, miens.
- Non,je ne dis pas cela, réplique Ahidjo.
Par la suite, je me suis rendu compte que certains groupes,
pour lesquels le poste que j'occupe constitue un écran entre eux et
le Président, ne manquent aucune occasion pour me calomnier. Ils
l'avaient déjà fait lorsque j'ai demandé à mes collaborateurs de
faire le point, chacun dans son secteur sur ce qui n'allait pas, à
l'intention du Chef de l'Etat, et de préconiser des solutions. A
l'époque, j'étais accusé de vouloir démontrer que le Premier
Ministre était incapable d'assurer la coordination qui lui était
confiée. Le soir même, je rédigeai une note manuscrite que
j'adressai au Président. Dans cette note, je réitérais l'idée que je ne
me sentais nullement concerné par tout ce qui m'était reproché;
que j'acceptais mal qu'on me donne des leçons sur le tribalisme,
notamment lorsque de telles leçons proviennent de ceux qui sont

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connus comme étant les plus tribalistes8. Enfin, je tenninais la


note en faisant valoir que j'avais tenu à faire cette mise au point
parce que je n'avais pas encore oublié les attaques dont j'avais été
l'objet dans l'affaire dite "du livre blanc".

18 mars
Nous sommes à la veille du deuxième tour des élections légis-
latives en France. Je suis reçu en audience à lOh par le Président
de la République. Nous nous entretenons de ces élections.
- Eboua, vous savez, j'ai encore réfléchi depuis le début de
la campagne pour les législatives françaises au problème du multi-
partisme. Je suis arrivé à la conclusion que nos jeunes Etats ne
sont pas mûrs pour instaurer la démocratie à l'occidentale. J'ai
suivi à la radio la campagne, avec toutes les promesses faites aux
Français par ceux qui sollicitent leurs suffrages. Où la Gauche
trouvera-t-elle les moyens pour tenir ses promesses, si par
malheur, elle parvient au pouvoir? Vous savez, j'ai toujours
pensé que l'existence de plusieurs partis n'était pas mauvaise en
soi. Je n'exclus pas la possibilité de l'expérimenter, d'autant que
je suis de cette génération qui, ici même, a mené des combats
parlementaires dans un régime à plusieurs partis. Mais je suis
persuadé qu'au stade actuel, une telle expérience conduirait à la
destruction délibérée de tout ce qui a été réalisé...
Je ne manque pas d'approuver sincèrement l'analyse qu'il
vient de faire, connaissant suffisamment la situation politique du
pays. J'avoue mon admiration pour la maturité politique des
Français, car, en dépit de toutes les sollicitations, assorties de
promesses peu réalistes de la Gauche, ce sont pratiquement 50%
de Français qui ne se sont pas laissés prendre au piège. Or, chez
nous, 90% des électeurs prêteraient une oreille bienveillante à ces
sirènes qui leur promettent ciel et terre. Pour conclure, je fais
remarquer qu'on ne peut pas parler de démocratie sans multipar-
tisme, mais que la démocratie, au sens occidental du tenne, ne
s'improvise pas: elle suppose une période d'apprentissage, et
notre tort n'est pas d'avoir instauré le parti unique, mais de
n'avoir pas jusqu'ici amorcé l'apprentissage des principes élémen-
taires de la démocratie. Je terminai en disant que dès l'école

8. Il m'est revenu, par celui qui m'avait représenté à la réunion, qu'à la


suite de son intervention, le Président de séance avait déclaré que je "faisais
du tribalisme" en recommandant que les ressortissants du Littoral ne soient
pas exclus de la liste de succession du Secrétaire général du Conseil national
des Chargeurs.
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primaire, et au niveau de chaque classe, on devait inculquer ces


principes aux jeunes responsables du pays, et que ces principes
pourraient déjà être expérimentés au niveau du Parti...
- En effet. C'est dans ce sens que j'ai tenu à ce que les
ministres s'expliquent devant l'Assemblée nationale à l'occasion
de la présentation de leur budget. Et soyez tranquille, les"députés
ne les ménagent pas du tout...
7 avril
A ma montre, il est ISh 30, soit 16h30 à Paris, heure d'été.
Un message de l'ambassadeur du Cameroun en France, en
réponse à celui que je lui ai adressé déclare ceci: "Le Président a
désigné le Secrétaire général du ministère des Affaires Etrangères
pour représenter le gouvernement aux obsèques de Nkouandi. "9Il
se trouve malheureusement que le ministre des Affaires Etrangères
s'est déjà rendu dans la province d'origine du défunt, et s'apprête
à prononcer l'éloge funèbre, avec mon accord, je dois l'avouer. Je
me décide à entrer en contact téléphonique avec le Président qui
passe quelques jours de congé à Grasse, près de Nice, pour
savoir s'il maintient ses instructions.
- Oui. Il ne faut pas que la cérémonie prenne l'allure
d'obsèques officielles. Mais, le Ministre étant sur place, qu'il
. assiste aux cérémonies,mais qu'il n'y prenne pas la parole
C'est alors que je lui proposai que le Gouverneur de la
Province de l'Ouest représente le gouvernement à la place du
Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères. En me
notifiant son accord sur cette proposition, il me confirme son
retour à Yaoundé le 4 mai. Incidemment, je lui apprends que,
tlepuis son départ, mon bureau, souvent encombré, se retrouve
sans dossiers: en effet, les ministres sachant qu'il est absent,
attendent son retour pour me les envoyer.
- Il faut les bousculer, me dit-il. Non seulement ils attendent
mon retour, mais en plus, ils se croisent les bras!
17h40. Le téléphone spécial sonne. C'est le Président que j'ai
au bout du fil. Il me dit qu'à 18h40 à Grasse, il a pensé que
j'avais peut-être regagné mon domicile. Il a donc appelé à ma
résidence. C'est par la suite qu'il s'est rendu compte qu'il n'était
que 17h40 à Yaoundé et a formé le numéro de mon bureau pour.
me dire qu'il ne rentre plus le 4 Mai, mais plutôt le 29 Avril. Il est
incontestable que le fait de lui avoir parlé de la paralysie de la

9. Il s'agit de l'ancien Vice-Ministre des Domaines, alors Consul


général
. du Cameroun à Paris, qui vient de décéder.
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machine étatique causée par son absence l'a décidé à rentrer plus
tôt que prévu. C'est là ma propre déduction. Ils ne sont pas
légion, en Afrique, les Chefs d'Etat qui ont une telle conscience
de leur charge.

9 mai
J'avais obtenu de passer le week-end dans ma localité
d'origine. Je rentre à Yaoundé lundi soir et dès mardi matin, je
suis reçu par le Président. Je lui fais le compte rendu de l'état
d'avancement des travaux de ma villa en construction à
Nkongsamba : "un gouffre de fonds", lui dis-je. En effet,
l'entrepreneur a exigé six millions de francs pour la seule main-
d'œuvre. Je dois moi-même acheter tous les matériaux, qui sont
constamment détournés. Il manque tantôt ceci, tantôt cela...
- Eboua, ne me parlez pas des affaires de construction. Vous
vous souvenez du projet de ma villa à Garoua. J'ai pris le devis
qui m'était présenté pour le montant global des travaux. Or, tenez-
vous bien, on vient tout juste de me signaler que ce montant ne se
rapporte qu'au gros-œuvre! Il faudra encore deux fois ce
montant, sinon plus, pour les finitions. J'avais demandé quelque
chose de simple, pas un palais avec du marbre partout. Il faut que
je m'adresse à ma banque pour un découvert. Je n'oublierai
jamais, jusqu'à ma mort, le coup qu'ils m'ont fait ...
Il m'interroge ensuite sur l'état de l'opinion dans le Littoral
après la publication de la liste des candidats investis par le Parti
aux prochaines législatives:
- Je n'en sais rien. Je ne m'en suis pas occupé. Je n'ai vu
personne, lui ai-je répondu.
Effectivement, je ne me suis occupé de ces élections qui
relèvent du Parti, ni de près, ni de loin. Je ne suis qu'un simple
militant et j'apprends comme tous les autres, par les médias, les
noms des candidats investis. Qui plus est, le 3 Janvier dernier, j'ai
fait une promesse au Président de la République. J'entends la
tenir.
En effet, il m'est revenu qu'un député bamiléké de
Nkongsamba clame partout que je veux sa tête, à cause du soutien
qu'il apporte aux siens dans le conflit foncier qui m'oppose aux
ressortissants de son ethnie. Il est vrai qu'il avait orchestré une
campagne contre moi dans cette affaire, en dépit de ses
dénégations lorsqu'il a été reçu dans mon bureau, sur sa
demande. Il est également vrai que j'ai entretenu le Chef de l'Etat,
mais aussi le Secrétaire général de l'Assemblée nationale de cette
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campagne de calomnies orchestrée par ce député à mon encontre,


sans pour autant demander que le mandat de ce député ne soit pas
renouvelé par le Parti !

17 juillet
"Le pouvoir, c'est l'impuissance", aurait déclaré le général de
Gaulle. Qu'est-ce que le pouvoir en réalité? Dans une société
organisée, qui le détient? Qui décide, ou plus exactement, où se
trouve la genèse des décisions? Autant de questions auxquelles il
n'est guère aisé de répondre avec précision. Je n'avais jamais
ressenti, comme ce jour, à quel point sont désannés ceux qui sont
censés détenir le pouvoir.
Il est 19h lorsque j'arrive à l'hôpital central de Yaoundé, au
pavillon du professeur Eben Moussi. Je suis accompagné de Zoa
Oloa qui rend visite à son père hospitalisé dans ce pavillon. En
descendant du véhicule, nous croisons Koula Edouard,
Administrateur Directeur général de la Société Camerounaise de
Banque. Ce dernier revient sur ses pas et nous accompagne. Le
père de Zoa se sent déjà mieux.
Nous nous apprêtons à repartir lorsque Koula me signale que
Rythé, la fille de Ngallè, internée administrativement pour avoir
été impliquée dans l'affaire des tracts, se trouve juste à côté, dans
la même pièce. Elle a été transférée à l'hôpital pour des raisons de
santé. Je connais bien M. Ngallè. Nous sommes originaires du
même département. Il a été tour à tour mon maître et mon
collaborateur. Quant à sa fille, Rythé, je ne l'ai jamais rencontrée.
Elle est couchée juste à deux pas du lit du père de Zoa. Une feuille
de contre-plaqué de 1,50 m de hauteur l'isole des deux premiers
lits. Deux femmes, en tenue de gardiennes de prison, surveillent
l'accès vers la détenue. Je m'adresse à l'une d'elles pour savoir si
je peux voir la malade. Elle me répond par la négative.
- Il vous faut un permis de communiquer, précise-t-elle.
- Je le sais, lui dis-je. Mais je ne suis pas venu la voir. C'est
incidemment qu'on m'a signalé sa présence ici.
Refus de la gardienne. Je révèle mon identité. Nouveau refus.
Je présente ma carte d'identité spéciale. Rien à faire.
- Scandale! s'écrient les personnes présentes qui me
connaissent.
- C'est votre patron, lui fait-on observer. Du reste, vous
avez tout à l'heure autorisé le Vice-Ministre Awunti, à qui vous
n'avez pas exigé le permis de communiquerpour la voir. Et vous

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refusez au Secrétaire Général de la Présidence de la République,


Ministre d'Etat, de voir une malade?
- Nous avons reçu des instructions, rétorque la gardienne.
Je n'ai pas insisté. Je suis reparti sans voir cette malade.
Les gardiennes n'ont fait que leur travail. Peut-être avec un
excès de zèle. Une fois rentré chez moi, je téléphone, à titre
d'information, au Directeur général du C.N.D.lo dont relèvent ces
gardiennes, bien qu'elles soient en tenue de gardiennes de prison,
pour lui narrer l'incident. Je suis surpris par sa réaction. Sa
surprise, ce n'est point que ses agents se soient comportés à mon
égard comme ils l'ont fait, mais d'apprendre qu'ils ont laissé
passer un autre ministre sans le pennis de communiquer.
- Je vais voir et vous rendrai compte, me dit-il.
Quarante-huit heures plus tard, il n'est toujours pas venu me
rendre compte, comme il l'a promis. Il a cependant relaté
l'incident à mon adjoint, à qui j'en ai moi-même parlé également.
Selon le décret du Chef de l'Etat, le C.N.D. relève du Secrétariat
Général de la Présidence de la République, pour son
administration, et non pour ses missions. Même pour son
administration, le Secrétaire Général ne signe la nomination
d'aucun agent du C.N.D, fût-il subalterne. Au sein même du
Secrétariat général, c'est mon adjoint qui suit les problèmes de
sécurité, c'est-à-dire la Sûreté, les Forces Armées et le C.N.D.
Mon adjoint se serait indigné du comportement de ces deux
gardiennes. Encore davantage de ce que le Directeur général du
C.N.D. ne soit toujours pas venu me faire le compte-rendu
promis. Il aurait demandé des sanctions à l'encontre de ces
gardiennes.
C'est alors que le Directeur général du C.N.D. se décide à
venir me faire le compte- rendu de son enquête. D'entrée de jeu, il
prend la défense des gardiennes: ces dernières n'auraient pas
laissé passer le Ministre Awunti - bien que des témoins aient
déclaré le contraire; aucun autre papier, en dehors du permis de
communiquer, n'est valable à cause des fausses cartes d'identité;
les agents qui montent la garde ne relèvent ni du C.N.D, ni de la
Sûreté, mais de la Gendarmerie. Je lui apprends alors qu'ils
dépendent également de l'Administration Territoriale, que le
Régisseur de la Prison, tout comme le Lieutenant de gendannerie
dont relèvent ces derniers, ne voient pas pourquoi ces gardiennes
devraient être sanctionnées. Monsieur le Secrétaire Général de la

10. Centre National de Documentation (Autrement dit les services de


sécurité intérieure du Président Ahidjo).
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Présidence de la République n'avait qu'à annoncer sa visite pour


qu'elle soit organisée etc, etc...
Au fait, à qui le Directeur général du C.N.D. veut-il raconter
des histoires? Je n'ai jamais demandé à qui que ce soit de prendre
des sanctions contre des agents qui n'ont fait qu'exécuter des
instructions reçues. Ce qu'il y a d'instructif dans ce cas, c'est que
ces sanctions n'auraient pas été prises, même si je les avais
exigées. Où donc se trouve le pouvoir, lorsque le Secrétaire Géné-
ral de la Présidence de la République est humilié par des agents
censés relever, ne serait-ce que théoriquement, de son autorité?
Disons que ce sont des pouvoirs parallèles, qui se neutralisent
réciproquement.

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1979

3 jan vier
Je n'arrivepas, commeje l'auraisvoulu,à noter régulière-
ment l'essentiel de mes entretiens avec Ahidjo, faute de temps. Le
volume des affaires à traiter augmente chaque jour, et c'est à peine
si je trouve un instant pour rédiger en style télégraphique ma
correspondance personnelle.
Hier, lors de son audience quotidienne, le Président
m'annonce - et je dois le garder pour moi -l'arrivée dans
l'après-midi, de Sissoko Cheik, envoyé du Président Houphouët
Boigny de Côte-d'Ivoire. A quel sujet? Impossible de le deviner.
En tout cas, il voyagera à bord du Grumann présidentiel ivoirien.
Je profite de cette infonnation pour tenter de savoir si Sissoko,
ami de longue date du Président, et mon ancien collaborateur à
Cameroon Airlines, est désormais au service du Président
ivoirien.
- Voyez-vous Sissoko est un opportuniste hors classe.
Depuis l'affaire de la Camair11, je ne le vois plus que sporadi-
quement. Il est en Côte d'Ivoire où il possède une villa; à Dakar,
à Bamako, à Paris... De temps en temps, il vient ici pour vingt-
quatre heures, et repart. Il a repris la fréquentation de son pays, le
Mali. Il a des entrées auprès du Président Moussa Traoré et rend
souvent visite au père de ce dernier. Pendant ce temps, il n'entend

Il. Le Chef de l'Etat avait contraint son ami Sissoko, Directeur des
Relations Extérieures de Cameroon Airlines durant ma présidence, à poser sa
démission de cette compagnie.
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pas couper les ponts avec le Cameroun où il a des entrées partout,


grâce à l'amitié que l'on nous attribue. J'ai donné l'autorisation
qu'on lui délivre un passeport diplomatique camerounais.
Ce matin donc, le Président me révèle l'objet de la mission de
Sissoko.
Elle porte sur deux points: la situation du Président de
l'Assemblée Nationale ivoirienne, Philippe Yacé, d'une part, la
prochaine visite officielle du roi du Maroc, Hassan II, en Côte-
d'Ivoire, d'autre part. S'agissant du premier point, tout le monde
sait que Philippe Yacé est le dauphin du Président ivoirien. Or, le
Président Houphouët a constaté que son dauphin est très
impopulaire, et pas du tout accepté par les cadres du parti et la
population. En outre, l'intéressé a pris des contacts à l'extérieur,
notamment à Dakar. Le Président Houphouët a donc décidé de le
limoger. Il comptait modifier en conséquence la constitution pour
y introduire le poste de Vice-président de la République, poste qui
ne serait du reste pas pourvu dans l'immédiat.
- Ayant appris que j'ai reçu M.Yacé en audience à Douala,
poursuit le Chef de l'Etat, le Président Houphouët, en portant sa
décision à ma connaissance, aimerait savoir ce que je pense de son
dauphin présumé. J'ai dit à Sissoko que je ne connais pas
M.Yacé, et qu'il m'est difficile de me faire une idée du person-
nage après une courte audience. Tout ce que j'ai remarqué, c'est
qu'au cours de l'audience, l'intéressé a parlé du Président
Houphouët avec beaucoup d'égards et de respect...
Le second point de la mission de Sissoko consiste à
m'annoncer la visite officielle que le roi du Maroc s'apprête à
effectuer à Abidjan, à la fin du mois. A cette occasion, le Président
Houphouët, certainement sur instigation du roi Hassan II,
souhaiterait que les Chefs d'Etat "modérés" de l'Afrique Occiden-
tale et centrale se retrouvent à Abidjan pour une concertation.
Sans attendre de savoir ce qu'en pense le Président, je
réponds qu'un tel déplacement ne devrait pas être envisagé.
- Vous me voyez me rendre à Abidjan à cette occasion?
rétorque le Chef de l'Etat. Il doit certainement s'agir de la situation
qui prévaut au Sahara Occidental. Le roi Hassan II, coincé,
cherche probablement une porte de sortie. Vous avez écouté les
déclarations du colonel Salek,Président mauritanien? Il va sortir
son pays de la guerre. Que fera alors le Maroc? J'ai toujours
refusé de me prononcer sur cette affaire. Si je me suis jusqu'ici
abstenu, en dépit des n1ultiples sollicitations dont j'ai été l'objet,
en particulier de la part de Bouteflika (Algérie), c'est à cause de

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mon amitié pour Moktar QuId Daddah (président mauritanien).


Vous avez remarqué qu'avant même l'éviction de ce dernier du
pouvoir, je prenais déjà mes distances sur ce problème. Ensuite, il
y avait Boumédienne que je voyais de temps en temps. Il est
décédé. Vous me voyez maintenant m'occuper de cette affaire du
Sahara? Il n'en est pas question. Je n'irai nulle part.

19 mars
Voici un bout de temps qu'il ne m'a pas été possible de
prendre la moindre note. Et pourtant, que de sujets intéressants
j'aurais voulu aborder dans ce journal! Je dispose de moins en
moins du temps. Il est 10h15. Le Chef de l'Etat me reçoit en
audience, comme à l'accoutumée. Nous faisons, comme on dit,
un tour d'horizon des problèmes d'actualité (voir annexes "Le
prochain congrès du Parti"). Il me demande de dire au Premier
ministre d'élaborer un projet de circulaire interdisant désonnais les
cadeaux que les responsables des entreprises publiques,
parapubliques et d'économie mixte adressent aux personnalités à
l'occasion des fêtes de fin d'année.
- Il Y a trop d'abus et trop de dépenses incontrôlables. Je me
rappelle que vous aviez déjà attiré mon attention là-dessus.
L'Aide de camp vient signaler l'arrivée de l'émissaire du
général Malloum, Chef de l'Etat du Tchad. Nous nous entrete-
nons un instant de l'objet probable de cette mission. Vient-il nous
annoncer que le Sud de son pays entend se replier sur lui-même et
faire ainsi sécession? Si c'était le cas, sur qui pourrait compter
cette partie du Tchad pour son ravitaillement en annes, munitions
et autres produits de première nécessité, puisqu'elle sera lâchée
par la France?
- En tout cas, conclut le Président, les Tchadiens risquent de
nous poser des problèmes.
10h45. Le Président me rappelle pour me dire qu'il vient de
recevoir l'envoyé tchadien.
- Le Président Malloum veut se retirer chez nous. Il m'est
impossible d'accéder à cette demande qui risque de nous poser
beaucoup de problèmes.
Après un rapide échange de vues, nous arrivons à la conclu-
sion que la situation au Tchad n'est pas près de se stabiliser. Dès
lors, si le Président Malloum s'installe chez nous, juste à la
frontière, tous les affrontements dans son pays lui seront imputés,
mais à nous également qui l'hébergeons. La meilleure solution
serait donc qu'il s'installe, dans un premier temps, loin des
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frontières du Tchad, en France par exemple, ou dans un pays de


l'Afrique de l'Ouest. Tel sera certainement le conseil qui sera
prodigué à l'envoyé du Président tchadien. C'est embarrassant
pour nous. C'est même triste, car le Président Malloum a toujours
compté sur le soutien du Président Ahidjo, lequel soutien est du
reste reproché au Chef de l'Etat camerounais par les partisans de
Rissen Habré. Ceci dit, le sentiment doit céder le pas à la raison
d'Etat.

29 mai
Ce matin, je suis reçu plus tôt que d'habitude par le Chef de
l'Etat. A 8h45. Le Président regrette d'abord la mise au point que
nous venons de faire sur le problème tchadien, après la Confé-
rence de Lagos. En effet, la presse a présenté cette mise au point
de manière tendancieuse. Selon elle, le Cameroun prend ses
distances, ce qui est loin d'être le cas. Ensuite, nous examinons
quelques dossiers que j'ai avec moi. Après quoi, il m'interroge:
- Vous avez tenniné ?
- Oui, Monsieur le Président
- C'est que j'ai quelque chose d'important à vous dire.
Voilà, Je vais modifier la Constitution. Avec la tension internatio-
nale qui règne en ce moment, il faut prendre ses dispositions.
Selon la constitution, le Président de la République peut - c'est
facultatif - nommer un Premier Ministre. Il faut rendre obligatoire
cette nomination et stipuler comme suit cet article: "Le Président
de la République nomme un Premier Ministre. Pour ce qui est de
la vacance de la Présidence de la République par décès, incapacité
:~physique pennanente, constatée par la Cour Suprême, ou par
démission, les pouvoirs du Président de la République sont
exercés de plein droit par le Premier Ministre pour le reste du
mandat en cours. Ce dernier nomme un nouveau Premier Ministre
et fonne un nouveau gouvernement. En cas d'empêchement
temporaire du Président de la République, le Premier Ministre
assure l'intérim. Si, à son tour, il était empêché, le Président de
l'Assemblée Nationale le fait. Si le Président de l'Assemblée se
trouve lui aussi dans l'impossibilité d'assurer cet intérim, le
premier des Ministres, dans l'ordre de nomination, le fera."
L'après-midi, je revois le Président au sujet de la révision de
la Constitution, avec une note que j'ai demandée à mes deux
Conseillers techniques aux Affaires juridiques et aux Affaires
organiques, de rédiger. Avant l'examen de cette note, je pose la
question suivante au Chef de l'Etat:

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- Au moment où les Anglophones s'agitent, avec la création


à l'étranger, d'un parti baptisé Cameroon Action Movement, est-
ce vraiment le moment de leur donner l'impression qu'on leur
retire le poste de deuxième personnage de l'Etat qu'ils occupent de
fait, en la personne du Président de l'Assemblée nationale?
- J'y ai pensé. Mais qui leur dit qu'ils n'occuperont pas le
poste de Premier ministre, ou celui de Président ,- de la
République?
C'est alors que je lui pose une deuxième question:
- Je pensais que vous réserveriez la primeur de cette impor-
tante initiative au congrès du Parti, comme vous l'aviez fait lors de
la création du poste de Premier Ministre.
- Non. Il faut que ce projet de loi soit examiné par la session
ordinaire de l'Assemblée qui s'ouvre le 1er Juin prochain.
S'agissant de la note des Conseillers techniques qui font un
certain nombre d'obselVations, il me dit ceci:
- Dites-leur de rédiger le projet de texte tel que je l'ai indiqué.
Comment le Chef de l'Etat en est-il arrivé là ? D'abord, il n'y
a jamais de précipitation dans la prise de ses décisions. Il réfléchit
longuement avant de décider, et lorsqu'il décide, il est certain qu'il
a examiné, étudié le problème sous tous les angles. Dès lors, il est
difficile, et même rare de le faire revenir sur sa décision. Je n'ai
donc pas insisté, persuadé qu'il s'agit de la résultante d'une
longue et mûre réflexion. Il doit y avoir cependant des causes
profondes et des causes immédiates.
Parmi les causes profondes, j'ai pensé à la situation qui
prévaut au Tchad, où depuis quinze ans sévit la guerre civile.
Depuis 1979, on assiste à la désintégration totale de ce pays. Que
de fois le Président Ahidjo ne s'est-il pas exclamé:
_ Eboua, vous vous rendez compte? Il n'y a plus
d'administration, pas de gouvernement au Tchad. Il n'y a prati-
quement plus d'Etat. Comment un pays peut-il ainsi disparaître de
la carte ?
En se penchant ainsi sur la situation qui prévaut dans le Tchad
voisin, je suis persuadé qu'il pense à son propre pays, qu'il
construit avec ténacité et persévérance depuis bientôt vingt ans.
Panni les causes immédiates, il peut s'agir de la mort tragique
du Premier Ministre mauritanien, le lieutenant colonel Bouceif. Il
aurait pu s'agir du Chef de l'Etat lui-même, me fait remarquer
Ahidjo. Le Président s'est certainement rendu compte de la
manière dont un pays peut du jour au lendemain perdre son diri-
geant, car il se crée ainsi un vide juridique qui pourrait favoriser
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les aventuriers de tout poil. Il a donc songé aux dispositions


constitutionnelles en mesure d'assurer la continuité de l'Etat. Sans
aucun doute,y songeait-il depuis un certain temps, puisqu'il
m'avait demandé de me procurer les Constitutions de l'Algérie, de
la Tunisie, du Sénégal et de la Côte-d'Ivoire. Je lui ai remis tous
ces documents, que les ambassadeurs des pays concernés
accrédités chez nous avaient bien voulu me communiquer. Et j'ai
noté: "évolution à suivre". ..

5 juin
Le Ministre d'Etat chargé de l'Administration Territoriale,
Ayissi, m'appelle au téléphone. Il veut s'assurer du libellé précis
du projet de loi portant modification des articles 5 et 7 de la consti-
tution, qu'il aura à défendre devant l'Assemblée nationale. Il me
lit ces modifications pour approbation: "le Premier Ministre, une
fois Chef de l'Etat après démission, incapacité ou décès du titu-
laire du poste peut nommer un nouveau Premier ministre, fonner
un nouveau gouvernement avant de prêter serment. Il prêtera
sennent, non devant l'Assemblée nationale en présence de la Cour
Suprême, mais seulement devant le Bureau de ladite Assemblée".
Du moins, c'est dans ce sens qu'il veut élaborer le texte
modifiant les articles 5 et 7 de la Constitution. Il ne m'est pas
possible de donner mon accord, sans avoir sous les yeux le projet
définitif du texte dont je conserve une copie. Ces deux modifica-
tions m'ont paru suffisamment importantes pour que j'aie
demandé au Ministre d'Etat Ayissi de me faire venir ces deux
projets manuscrits.

6 juin
Le manuscrit du ministre Ayissi me parvient. Je le soumets à
l'étude des Conseillers techniques. Ces derniers soulignent la
pertinence des observations du ministre d'Etat chargé de
l'Administration Territoriale. Mais je ne veux pas trancher, sans
m'en référer à celui qui a pris l'initiative de modifier la Constitu-
tion, le Chef de l'Etat. Il est 18h45. Je sais que le lendemain, le
Président, venant d'Arabie Saoudite où il vient d'effectuer une
visite officielle, arrive à Garoua en fin de matinée, à 11h30
précises. Je décide de me rendre à Garoua le lendemain matin
pour connaître son avis sur les deux observations faites par le
Ministre d'Etat Ayissi. Mon secrétariat me réserve aussitôt une
place dans le vol Camair du lendemain. Décollage à 8h25. Vers
18h, j'appelle le Premier Ministre pour l'infonner de mon dépla-

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cement, et de l'objet de ce déplacement. Il m'apprend que le


Ministre d'Etat Ayissi l'a entretenu du projet de modification des
articles 5 et 7 de la Constitution. Je lui fais savoir que j'ai
demandé au ministre d'Etat Ayissi de différer l'examen de ce
projet par les députés, en attendant que nous prenions connais-
sance de la pensée profonde du Chef de l'Etat, tout en lui préci-
sant que le ministre d'Etat Ayissi est du même avis. Le Premier
Ministre semble aussi se rallier à cette façon de voir.

Il est 19 heures passées. Un coup de téléphone retentit à mon


domicile où je me trouve déjà. C'est le Premier ministre, encore à
son bureau, qui m'appelle. Il me dit qu'il a discuté de ce projet
avec M.Ayissi et qu'ils sont tombés d'accord pour que les députés
examinent ce texte, tel qu'il est libellé, dès le lendemain matin.
Selon lui, le Chef de l'Etat ne comprendrait pas qu'on retarde
l'examen de ce texte. Par ailleurs, l'Assemblée Nationale risque
de prétendre avoir un droit de regard sur le nouveau Président si le
serment est au préalable prêté devant elle. J'essaie de lui faire
comprendre qu'il serait utile de reporter dans l'après-midi du
même jour l'examen du projet de loi par l'Assemblée, le temps de
consulter à Garoua le Chef de l'Etat. Je devrais être de retour à
15h30. Le Premier Ministre ne semble pas voir les choses de cette
manière. Pour ma part, je ne pense pas que ce soit l'avis du Chef
de l'Etat de libeller le texte tel qu'ils veulent le déposer devant
l'Assemblée. C'est tout juste si le Premier Ministre ne juge pas
inutile mon déplacement pour Garoua.
_
C'est utile que vous y alliez tout de même, finit-il par
convenir.
Il me promet de demander au ministre Ayissi de surseoir à
l'examen du texte jusqu'à ce que je sois de retour de Garoua.
C'est sur ce point que nous nous séparons.

7 juin
Il est 7h30 du matin. On me signale la présence du Délégué
Général à la Sûreté venu me remettre un pli pour le Président de la
République. Il m'informe de la manière dont le projet portant
modification de la Constitution a été accueilli à l'Assemblée. En ce
qui concerne la prestation de se111lent,il m'indique textuellement
la position adoptée par le Premier Ministre lors de mon entretien la
veille avec ce dernier. Je décolle de Yaoundé à l'heure prévue,
pour Garoua. A 10h50, l'avion présidentiel en provenance
d'Arabie Saoudite s'immobilise sur l'aire atterrissage. Le Prési-
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dent débarque et m'aperçoit. Il est inquiet, car il ne s'attendait pas


à me trouver là. Il me demande s'il se passe quelque chose. Je
réponds par la négative, tout en précisant que je suis venu le
consulter sur une question précise. Il me reçoit aussitôt dans le
salon d'honneur de l'aéroport. Je lui expose le problème.
- Dans mon esprit, me dit-il, la prestation de sennent précède
l'exercice des attributs du nouveau chef de l'Etat. Voilà une
précision qui ne va pas dans le sens souhaité par le Premier
ministre. S'agissant de la deuxième question, il déclare:
- Le sennent sera prêté dans les fonnes prescrites par la loi,
et en cas d'urgence, devant le Bureau de l'Assemblée Nationale,
en présence de la Cour Suprême.
A 14h30, je reprends l'avion et arrive à Yaoundé à 15h30.
J'appelle aussitôt le Premier Ministre pour lui communiquer
l'interprétation que fait le Chef de l'Etat de la modification des
articles 5 et 7 de la Constitution. Je vois qu'il est contrarié.
J'appelle ensuite le Ministre Ayissi qui m'apprend qu'au même
moment, le Premier ministre l'appelle, et il me déclare que le
projet de loi a été examiné ce matin en commission, sans
problème. J'exprime aussitôt ma surprise, puisqu'il était convenu
qu'il attendrait mon retour de Garoua. Le Premier Ministre, en
dépit de la conclusion à laquelle nous étions parvenus la veille, a
tenu à ce que le projet de loi soit examiné comme tel, et dans la
matinée. Il n'a par conséquent rien dit à Ayissi, contrairement à ce
qu'il m'avait promis. Et lorsque je l'ai appelé dès mon retour de
Garoua pour lui annoncer la version retenue, il ne m'a pas dit que
le projet de loi avait déjà été examiné en commission à
,l'Assemblée. Cela promet..
Lorsque j'annonce au ministre Ayissi qu'il ne s'agit pas
d'inverser simplement l'ordre des paragraphes du projet de loi,
comme il l'a fait, mais de procéder à une nouvelle rédaction d'un
des paragraphes et qu'il aurait dû attendre mon retour de Garoua,
il me répond que le Premier Ministre lui a fait savoir qu'il n'était
pas au courant de la nouvelle version; à quoi je rétorque qu'il ne
pouvait pas le savoir au moment où il a ordonné que le texte soit
examiné à l'Assemblée, puisque je n'étais pas encore de retour de
Garoua.

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8 juin ça y est", me
Je reçois un coup de fil du ministre Ayissi : "
dit-il. Il a demandé une seconde lecture, et le texte a été adopté en
commission dans la version recommandée par le Chef de l'Etat. Il
doit, dès le lendemain, passer en séance plénière. Mais, me dit-il,
le Président de l'Assemblée Nationale lui a demandé de ne pas
faire passer le texte en plénière avant qu'il n'ait rencontré le Chef
de l'Etat. A 18h30, j'entre en communication avec le Chef de
l'Etat, qui me dit qu'il rentre à Yaoundé le 15 Juin. Je lui fais part
des intentions du Président de l'Assemblée Nationale.
_ Vous lui direz que j'ai exposé les raisons de la modification
de certains articles de la Constitution, aussi bien devant le Bureau
Politique du Parti, dont il est membre, que devant le Conseil
ministériel. Il faut donc que le texte passe en séance plénière sans
plus attendre.

23 juin
La grande explication
Au moment où je couche sur le carnet ces notes, une grande
explication va s'ouvrir, dans cinq minutes exactement. De quoi
s'agit-il? Hier, comme chaque matin, j'ai été reçu par le Prési-
apportés.
dent, à 9h30. Nous avons examiné les dossiers que j'ai
Je lui ai ensuite fait état de la manière dont le projet de loi portant
modification de la Constitution a été accueilli par les parlemen-
taires, selon les infonnations non recoupées qui me sont parve-
nues. Du côté anglophone, ce serait l'hostilité à peine voilée. Du
côté francophone, il existe quelques réticences également.
_ Ce n'est pas surprenant que les Anglophones adoptent cette
attitude, déclare le Président. En réalité, ils n'ont jamais été pour
un Etat unitaire, qui les prive - je parle des responsables - des
avantages qu'ils avaient lorsqu'au Cameroun occidental, il existait
une Assemblée et un Gouvernement. C'est la réalité.
En effet, au cours des travaux d'un comité restreint constitué
pour examiner la situation créée par la distribution de tracts d'un
soi-disant mouvement politique anglophone basé à New-York, le
Cameroon Action Movement, les responsables anglophones n'ont
pas caché leur sympathie pour cette initiative, à commencer par le
Président de l'Assemblée Nationale, Solomon Tandeng Muna, qui
présidait ce comité. Selon les responsables anglophones, les tracts
contiennent des vérités concernant certains problèmes qu'il
convient d'examiner, afin de leur trouver des solutions. C'est

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seulement par la suite que les moyens de combattre le mouvement


subversif, qui préconise le retour à la Fédération, seraient étudiés.
- Je reçois demain à 10h30 le Président de l'Assemblée
Nationale pour une grande explication, me dit Ahidjo. Je ne sais
pas si je vous ai déjà raconté la carrière politique de l'actuel Prési-
dent de l'Assemblée. S'il est vrai qu'il ne faut pas, dans le
domaine politique, s'attendre à quelque reconnaissance que ce soit
de la part des hommes, une telle ingratitude du Président Muna est
tout de même déconcertante. Je l'ai convoqué pour une franche
explication.
Puis le Président me fait le récit de la carrière politique du
Président de l'Assemblée Nationale.
- Immédiatement après la réunification, le groupe de Salo-
mon Tandeng Muna a été exclu du K.N.D.P.12, alors dirigé par
John Ngu Foncha. A l'époque, S.T.Muna était membre du
Gouvernement du Cameroun occidental. Le gouvernement était en
quelque sorte l'émanation du parti dominant. Lorsque
J.N.Foncha, qui ne s'entendait pas avec Muna, dut venir à
Yaoundé occuper le poste de Vice-président de la République
Fédérale, il fit des démarches auprès de moi pour que S.T.Muna,
qui ne faisait plus partie du K.N.D.P., ne le remplace pas au
poste de Premier Ministre du Cameroun occidental. Foncha
proposa à ce poste Ngom Jua, son homme à lui. En réalité,
j'aurais voulu nommer Muna Premier ministre. Mais j'accédai à la
requête de Foncha en nommant Ngom Jua, Premier ministre.
Au moment de la formation du Gouvernement fédéral,
Foncha intelVint à nouveau pour que Muna en soit écarté. C'est
"alors que je m'adressai à Foncha en ces termes: "J'ai appris que
vous vous rendez à la messe tous les matins. Vous êtes donc
chrétien pratiquant et, partant, partisan d'une certaine morale,
même en politique. Vous m'avez demandé de ne pas nommer
Muna Premier ministre du Cameroun Occidental. Je vous ai donné
satisfaction en nommant votre homme à vous, Ngom Jua. Vous
revenez encore à la charge pour que Muna ne fasse pas partie du
gouvernement que je vais fonner. Là, je ne peux pas vous suivre.
En politique, il ne faut pas complètement anéantir son adversaire".
Je nommai donc Muna ministre, malgré Foncha.
Deux ans plus tard, Ngom Jua devint impopulaire comme on
ne l'a jamais vu. Entre-temps, Foncha, Vice-président de la
République Fédérale, manifestait déjà certains signes d'agitation.

.12. Kamerun National Democratic Party.


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Muna, de son côté, avec Egbé, créait un nouveau parti Politique,


le C.U.C.13. Je dois avouer que j'ai encouragé cette création,
compte tenu de la nouvelle attitude de Foncha. Ngom Jua, une
fois impopulaire et rejeté de tous, je désignai Tandeng Muna
Premier Ministre du Cameroun occidental, alors qu'en réalité, il
ne représentait rien! Lorsque je me décidai à me séparer de
Foncha, je pensai une fois de plus à Muna, en le proposant au
poste de Vice-président de la République. Je l'en infonnai au
préalable. A ma grande surprise, je constatai qu'il était hésitant et
préférait garder son poste de Premier Ministre du Cameroun
occidental plutôt que de devenir Vice-président de la République.
Les membres du Comité Central du Parti furent donc travaillés
pour qu'au moment où ma candidature serait proposée au poste de
Président de la République Fédérale, celle de S.T.Muna le soit au
poste de Vice-président. Feu Ndounokon fut chargé de faire cette
proposition au Comité Central. Lorsqu'il la fit, Muna demanda la
parole pour dire qu'il n'avait pas sollicité cette investiture. Il finit
tout de même par l'accepter. C'est ainsi qu'il devint Vice-
président de la République Fédérale, cumulativement avec ses
fonctions de Premier ministre du Cameroun Occidental.
Vint l'année 1972. Je décidai d'en finir avec trois Assem-
blées, trois Gouvernements, en instituant l'Etat unitaire. J'appelai
donc Simon-Pierre Tchoungui, alors Premier ministre et chef du
gouvernement du Cameroun Oriental, et Muna, Premier Ministre
du Cameroun occidental et Vice-président de la République, pour
leur donner la primeur de cette décision. Evidemment, les postes
de Premiers Ministres devant sauter, c'est malgré eux qu'ils
approuvèrent mon projet. J'appelai Muna pour lui dire qu'il serait
nommé ministre d'Etat à la Présidence de la République, en atten-
dant les élections législatives, à l'issue desquelles je le proposerais
au poste de Président de l'Assemblée Nationale. Des instructions
furent données pour que les avantages qu'il avait lui soient
conservés.
Elu Président de l'Assemblée Nationale, Muna devint
exigeant, estimant qu'il avait perdu certains avantages d'ordre
matériel. Je donnai des instructions au Bureau de l'Assemblée afin
qu'il conserve les avantages acquis: domesticité, frais de
missions, etc... Je demandai qu'il garde également la résidence du
Vice-président de la République qu'il occupait encore. A
l'approche des nouvelles investitures aux élections législatives, il

13. Cameroon United Congress.


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était très inquiet, ne sachant pas s'il serait à nouveau investi par le
Parti. Et cela d'autant plus qu'un député de chez lui l'avait
vivement attaqué et discrédité aux yeux de tOUSaAvant son départ
pour une mission qu'il devait effectuer au Caire, il vint me voir
pour me demander si je jugeais opportun qu'il se portât candidat
aux prochaines élections. Je lui répondis que je ne voyais pas
pourquoi il ne le ferait pas. Très content, il compléta l'imprimé et
déposa sa candidature avant de partir.
Non seulement je le soutins, mais j'estimai en outre anormal
qu'un député puisse attaquer de cette manière le Président de
l'Assemblée Nationale. Je demandai que le mandat de ce député
ne soit pas reconduit. Ce dernier ne fut donc pas réinvesti. Pour
Muna, c'était une double victoire. Non seulement il était, lui,
réinvesti - ce à quoi il ne s'attendait pas - mais surtout, son
adversaire, qui avait failli compromettre son investiture, était
écarté!
Vous voyez ce que j'ai fait pour cet homme! Je l'ai soutenu
contre vents et marées, malgré son impopularité, et son égoïsme
connu de tous. Et c'est le même Muna qui ose prendre parti en
faveur de ceux qui nous critiquent, qui nous combattent, en partie
à cause de sa présence aux hautes responsabilités de l'Etat!
Demain, je le reçois. On va s'expliquer.

28 juin
Le Président ne voulait pas toucher à la composition du
gouvernement avant 1980. Or, selon certaines interprétations des
articles 5 et 7 de la Constitution qui venaient d'être modifiés, le
,Premier ministre en place ne serait pas le même que celui prévu
par les nouvelles dispositions constitutionnelles. Je dois dire qu'à
mon avis, il n'est pas nécessaire de nommer à nouveau le Premier
ministre en place, les nouvelles dispositions constitutionnelles
devant lui être appliquées de droit. Tel était également l'avis du
Chef de l'Etat. Mais tel n'était pas celui des Conseillers du Cabi-
net. A l'issue de deux réunions que je tins avec ces derniers, il
fallait absolument, selon eux, nommer un Premier Ministre
confonnément aux nouvelles dispositions de la Constitution, faute
de quoi, celui en place ne serait pas qualifié pour assurer la
succession comme le prévoient les modifications apportées aux
articles 5 et 7. C'est dans ces conditions que Paul Biya, Premier
ministre en place, a été à nouveau nommé par un décret daté du
30 juin.

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Dès la promulgation de la loi portant modification de la


Constitution, un hebdomadaire parisien Demain l'Afrique publie
un article sur la succession au Cameroun. Le directeur de cette
publication ayant appris que son journal était saisi me contacte,
ainsi que le Chef de l'Etat en personne. Après m'être informé
auprès de l'Administration territoriale, je le tranquillise par un
message lui signifiant qu'il n'en était rien. Le Président lui-même
me dit:
_ Prenez des dispositions afin qu'aucun journal ne soit saisi.
J'ai reçu le responsable de Jeune Afrique qui ne manquera pas, lui
aussi, de faire des commentaires. Laissez-les spéculer. Vous
savez, c'est inévitable.

20 octobre
Je passe voir le Président à 11h40. Après avoir examiné des
dossiers en instance, nous passons en revue un certain nombre de
sujets. A propos du Comité Central du Parti qu'il a présidé dans la
matinée, il m'apprend que les comités ont été constitués pour la
relance du Parti. Lors des réunions que ces comités tiendront, il
sera fait état de la dernière tentative des militaires pour renverser le
régime, afin de couper court aux spéculations de plus en plus
fantaisistes. De mon côté, je lui rapporte ce que disent les gens au
sujet de cette tentative.
Il me parle ensuite d'un marché signé par Kwayep pour la
fourniture de chaises à la maison du Parti de Bafoussam : 28
millions! Or, pour le même marché, Ayissi a reçu des proposi-
tions pour 19 millions. Evidemment, j'ai donné mon accord à
Ayissi. Je suis écœuré par la manière dont les gens cherchent à
tout prix à s'enrichir. J'en profite pour lui dire que c'est la raison
pour laquelle certains sont braqués contre la Direction Centrale des
marchés.
_ En effet, parce qu'ils ne peuvent plus voler! Il faut tenir
bon et, au besoin, ne pas hésiter à faire comprendre aux uns et
aux autres que c'est moi-même qui attribue les marchés. Ils auront
peur. Ce que je crains, c'est que votre équipe risque de succomber
à la tentation que représente la corruption. Il faut la tenir bien en
main et, au besoin, faire comprendre à vos collaborateurs qu'ils
ne doivent recevoir personne en privé, ou à leur domicile et leur
dire qu'ils sont sUlVeillés 14.

14. Depuis la création de la Direction Centrale des Marchés, placée


sous mon autorité, Ahidjo ne sera consulté qu'une seule fois par mes soins,
pour l'attribution du marché de la Télévision.
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Nous parlons ensuite de la Camair. Le Président en est arrivé


à la conclusion que le P-D.G actuel, Koulé Njanga, doit être
remplacé si l'on veut sauver cette compagnie. Il me parle d'une
récente note de service de ce dernier accordant une indemnité de
logement à tout le personnel de la Représentation de Paris,
simplement parce qu'il vient d'y affecter son cousin. Le Président
connaît évidemment ma position sur le fonctionnement de la
Camair depuis un certain temps: il faut trouver quelqu'un, si
possible, ici dans le Cabinet: Monsieur Zambo ou Monsieur
Ngongang ?
- Ni l'un, ni l'autre. De par leur présentation, ils ne font pas
l'affaire. Voilà le problème des hommes. On croit que le pays
dispose d'un excédent de cadres, ce qui est exact. Mais dès qu'il
faut trouver l 'homme qui convient à un poste précis, on se
retrouve devant le vide. Il m'est aujourd'hui plus difficile de
former un gouvernement qu'il y a vingt ans, au moment de
l'indépendance. Vous savez, lorsqu'on reste longtemps au
pouvoir, on finit par trop connaître les gens, avec leurs qualités et
leurs défauts. Au début, je pouvais appeler n'importe qui au
gouvernement, ne connaissant pas les hommes. Aujourd'hui, je
les connais trop, et la fonnation d'un gouvernement devient pour
moi un casse-tête: un tel, techniquement valable, est moralement
inutilisable. A tel autre, il est reproché ceci ou cela...
Je lui fais comprendre que nul ne s'attend en ce moment à un
remaniement ministériel, et que les uns et les autres pensent qu'ils
bénéficient cette fois d'un mandat ministériel de cinq ans. Ils sont
donc conscients de s'acheminer vers la fin de ce mandat
puisqu'après les prochaines élections présidentielle du mois
d'avril, il ne s'agira plus d'un remaniement, mais de la fonnation
d'un nouveau gouvernement.
- Ils seront surpris, puisque le mois prochain, je ferai un
remaniement, me fait-il remarquer.

22 octobre
Au cours de l'audience de ce jour, le Président me confinne
son intention de procéder à un petit remaniement ministériel au
mois de novembre. Qui partira, qui restera, qui entrera? Nul ne
peut le savoir. Tout ce que je sais, c'est qu'il m'a demandé de lui
communiquerquelques noms de hauts fonctionnairesoriginaires
des départements du Ndian et de la Mémé.

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1er novembre
Ce matin, le Président m'apprend qu'il va procéder au rema-
niement ministériel:
- Je compte le faire le 8 de ce mois. N'est-il pas possible de
tenir plus tôt le Conseil d'Administration de la Camair, convoqué
pour le 12 Novembre?
Quelques jours auparavant, il m'avait révélé son intention de
relever de ses fonctions le P.D.G. de cette compagnie, qui, selon
lui, ne fait pas l'affaire. Le Président connaît ma position sur le
fonctionnement de la Camair. Le changement du P.D.G.
de la Camair relevant de la compétence de son Conseil
d'Administration, il aurait voulu que ce changement intelVînt en
même temps que le remaniement ministériel. Où trouver un
nouveau P-D.G. ? Nous pensons à Zambo, ou à Abanda Metogo.
Le Chef de l'Etat m'informe de son intention de se séparer de
certains membres du gouvernement. fi me cite les noms des dépar-
tements concernés: l'Energie, les Transports, les Eaux-et-Forêts.
fi me communique les noms de deux Anglophones et me demande
de les recevoir en audience; de m'entretenir avec chacun d'eux, et
de lui rendre compte de mes impressions. Auparavant, une
réunion houleuse s'est tenue au ministère de l'Agriculture, au
cours de laquelle la brouille entre le chef de ce département minis-
tériel et son Vice-Ministre a éclaté au grand jour. Ahidjo entend en
tirer les conséquences: le ministre changera de portefeuille. Quant
à son Vice-Ministre, il entend s'en séparer, mais me demande de
recevoir le Secrétaire général de ce ministère, afin qu'il me dise
objectivement ce qui s'est passé. L'après-midi, à 16 heures, je
reçois le premier Anglophone. Il ne me fait pas mauvaise impres-
sion. J'en rends compte au Chef de l'Etat. Malheureusement, le
responsable sous l'autorité duquel ce haut fonctionnaire exerce
estime qu'il est sans personnalité. Je dois dire qu'on se trompe
facilement sur l'attitude, toute de soumission, de certains Anglo-
phones devant l'autorité. Ce qui est loin de signifier qu'ils sont
dépourvus de personnalité. Souvent, ils cachent leur jeu. J'en ai
moi-même fait l'expérience. Outre ce renseignement défavorable
sur le compte du premier des candidats, le frère de ce dernier est
député à l'Assemblée Nationale. Faut-il que les membres d'une
même famille accaparent tous les postes de l'Etat? Il n'a certaine-
ment pas de chance d'être retenu.

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2 novembre
Je reçois le second Anglophone. Celui-là me fait nettement
bonne impression. J'en rends compte au Président. Je ne doute
point qu'il sera retenu. Aux Transports? Le même jour, je reçois
le Secrétaire général du ministère de l'Agriculture. Il me rend
compte de la réunion présidée par son ministre en présence du
Vice-Ministre et des accusations portées contre ce dernier, etc.
- Et vous, que pensez-vous honnêtement de ces accusations?
Il m'avoue que tous les hauts fonctionnaires qui accusent le
Vice-Ministre sont des aigris, presque tous relevés des postes de
responsabilité.
- A cause de cela, poursuit-il, le Vice-Ministre des Eaux-et-
Forêts qui est lui-même forestier de formation, n'a aucune
confiance en ces derniers et les soupçonne de complicité avec les
exploitants forestiers, ce qui d'ailleurs, n'est pas totalement faux.
Certains de ces hauts fonctionnaires ont des intérêts dans des
exploitations forestières.
J'en rends compte au Chef de l'Etat et plaide en faveur du
maintien du Vice-Ministre au sein du gouvernement. Nous en
arrivons à la conclusion de le garder, son éviction du gouverne-
ment équivalant à une sanction. Il est donc convenu que tous les
deux changeront de portefeuille: le ministre et son Vice-Ministre.
Ce dernier deviendra Vice-Ministre de l'Administration Territo-
riale, en remplacement de son homologue qui s'y trouvait et qui
deviendra ministre de l'Elevage et des Industries animales.
Voilà ce que je sais, à cette date, du remaniement ministériel
en préparation. Le Président me fait confiance en me révélant
certaines de ses intentions secrètes, très secrètes. Ni mes gestes,
ni mes propos ne devront les trahir. Même mon épouse n'en saura
rien, jusqu'au jour où ces intentions seront rendues publiques.

5 novembre
A 7h20, le téléphone "rouge" retentit à mon domicile.
- Eboua ?
- Oui, Monsieur le Président.
- Voulez-vous venir au bureau un peu plus tôt, à 8h15 ?
Je suis dans mon bureau à 8h15 et vais le voir. Nous nous
entretenons des événements de Makary15, à l'extrême-Nord du

15. Un marabout avait drogué des jeunes gens, prétendant les blinder
contre des balles. Les gendarmes envoyés pour enquêter sont agressés et
quatorze d'entre eux sont tués d'où l'intervention des parachutistes qui à son
tour, fait une trentaine de morts.
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pays. Puis, Je lui présente le projet de discours envoyé par le


Garde des Sceaux à l'occasion de la rentrée judiciaire, présidée
chaque année par le Chef de l'Etat.
- Oui, je prendrai la parole à cette occasion. Faites revoir les
éléments de ce projet de discours.
II m'apprend que le Garde des Sceaux changera lui aussi de
portefeuille: "Puisqu'il aime tellement faire des discours, je vais
l'appeler ici à la Présidence de la République". Du coup, j'ai un
peu peur pour Sengat qui, jusqu'ici, ne s'occupe que des projets
de discours. Lui confiera-t-il un département ministériel? Ce
serait sutprenant, compte tenu de certains signes qui trahissent des
rapports plutôt tendus entre les deux hommes. Ou au contraire,
entend-il se séparer de lui? En tout cas, je crains que le sort de
Sengat ne soit déjà scellé.
En effet, c'est à Eteki qu'il est demandé d'élaborer le projet
du discours du Congrès, et non à Sengat. Pire, Sengat n'est pas,
comme par le passé, tête de liste d'une délégation du Comité
Central qui doit se rendre dans le Littoral pour relancer le Parti.
L'intéressé me rapporte que le Président lui demande de lui
remettre le projet d'allocution pour le toast donné à l'occasion de
la visite du roi des Belges, d'ici Mercredi au plus tard. Or, je sais
moi, que le remaniement ministériel intelViendra Jeudi, Peut-être
qu'à compter de Jeudi, le Président entend-il décharger Sengat de
la rédaction de ses discours? Mais pour quelle autre occupation,
si ce doit être le cas ?

6 novembre
Je monte voir le Président aux environs de 10h, et lui présente
les dossiers que j'ai avec moi. Il est de mauvaise humeur, ce qui
est rare, et ostensiblement tendu. Sur une liste de personnes
devant se rendre en mission, figure le nom du P.D.G. de la Régie
Nationale des Chemins de Fer.
Il me demande de le barrer. Il ne partira pas. "Je vais le
relever aussi", me dit-il.
C'est alors qu'il me prend à partie:
- Un rapport est parvenu ici sur la S.C.B.. Vous l'avez
bloqué.
Devant ma sutprise, il reprend:
- Oui, Kamgueu m'a dit qu'il a rédigé une note sur ce
rapport, et que vous lui avez demandé de l'envoyer à Koula,
Directeur général de la S.C.B. Si on fait un rapport sur la S.C.B.,

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est-ce pour le renvoyer au responsable de cette Banque? Oui,


vous bloquez les dossiers ici.
- Je vais voir, Monsieur le Président, lui dis-je calmement.
En tout cas, en mon âme et conscience, je ne mérite pas un tel
reproche. Je n'ai jamais bloqué un dossier, quel qu'il soit. Bien
au contraire, j'ai toujours mené une lutte sans merci contre les
départements ministériels à ce sujet, au point de me rendre
impopulaire, afin que chaque requête, y compris celle du plus
modeste citoyen de ce pays, obtienne une suite. Favorable ou
défavorable selon les cas, mais une suite tout de même. Et c'est
moi qui suis accusé de bloquer les dossiers! Il appartient au
Président de tirer les conséquences de cette situation dans le cadre
du remaniement ministériel en gestation. C'est grave, à mon avis,
si le Chef de l'Etat estime qu'il y a blocage des dossiers à mon
niveau. Je suis dégoûté, découragé.
Quand je sors de son bureau, il me demande de convoquer le
Conseil ministériel pour le lendemain 7 novembre à llh. La
veille, il m'a dit qu'au cours de ce conseil, il remercierait en cinq
minutes les membres du gouvernement du concours qu'ils lui ont
apporté. Dans l'après-midi, il recevrait les ministres qui changent
de portefeuille, et jeudi matin, les nouveaux venus au
gouvernement. Jeudi, à 13h, la liste du nouveau gouvernement
serait publiée.

7 novembre
Réunion du Conseil ministériel. Il s'agit du plus bref Conseil
depuis la fonnation du gouvernement en 1975. Il est llh lorsque
chef de l'Etat fait son entrée dans la salle.
- Mesdames, Messieurs, je vous ai convoqués pour vous
dire que demain, je vais procéder au remaniement du gouverne-
ment. Je remercie les partants, autant que ceux qui resteront, de
tout les concours que vous m'avez apportés depuis quelques
années.
Il lève la séance et se retire dans son bureau.
Tout a été expédié en trente secondes. C'est la première fois
que je le vois procéder ainsi. Pourquoi ces 24 heures
d'incertitude? Une véritable torture pour plusieurs membres du
gouvernement qui ne donniront pas cette nuit, se demandant s'ils
seront reconduits dans leurs fonctions. Une demi-heure avant, il
m'a reçu pour me révéler les changements qui vont intervenir.
Partiront du gouvernement: Sengat Kuo et Yadji Abdoulaye,
ministres Chargés de mission à la Présidence de la République;

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Elangwe, ministre des Mines et de l'Energie; Yondo Marcel,


ministre des Finances, et Monié Nkengon, ministre des
Transports. Entreront au gouvernement: MM. Ntang Gilbert aux
Finances, Bwélé Guillaume à l'Information et à la Culture,
Ngomè Komè aux Transports, Mfor Ngwei à l'Agriculture
comme Vice-Ministre, Engo Pierre-Désiré comme Vice-Ministre
de l'Economie et du Plan.
Changent de portefeuille: MM. Hamadou Moustapha, Vice-
Ministre des Finances devient ministre de l'Urbanisme et de
l'Habitat, Yang Philémon, Vice-Ministre de l'Administration
Territoriale devient ministre des Mines et de l'Energie, Tonyé
Mbog, ministre de la Jeunesse et des Sports devient ministre de
l'Agriculture, Andzé Tsoungui de l'Agriculture va à la Justice,
Doumba de la Ju.stice vient à la Présidence comme ministre
Chargé de Mission, Awunti Chongwan, Vice-Ministre de
l'Agriculture devient Vice-Ministre de l'Administration Territo-
riale.
Il est 11h45 lorsque Sengat entre dans mon bureau. Il a été
reçu par le Chef de l'Etat qui lui a appris qu'il ne fera plus partie
de l'équipe gouvernementale. Je le savais déjà, mais ne pouvais
pas le lui dire. Cependant, au moment où il me l'apprend, je suis
peiné, comme si je viens vraiment de le découvrir. En effet, voici
quelques années que je travaille avec Sengat. Je ne peux rester
indifférent à son départ. Mais cela fait aussi partie des risques du
métier. Aujourd'hui, c'est lui. Demain, ce sera un autre.

8 novembre
Il est 10h lorsque le Président m'appelle dans son bureau.
Contrairement à son habitude, il se lève dès que j'entre et nous
passons immédiatement dans la salle voisine qui contient une table
de réunion. Il me demande de prendre des notes, et de préparer un
projet de décret portant nomination des membres du gouverne-
ment. Les noms des partants me sont dictés, ainsi que ceux des
nouveaux qui font leur entrée dans le gouvernement. A une
exception près, cette liste correspond aux révélations qu'il m'avait
déjà faites la veille. Le seul nouveau nom panni les partants est
celui de Naah Robert, alors Vice-Ministre de l'Economie et du
Plan. Je suis également peiné de ce départ auquel je ne m'attendais
pas du tout. Qu'a-t-il pu faire, Naah ? La compétence ne peut être
mise en cause. Je sais qu'il ne s'entend pas avec son ministre,
y oussoufa Daouda. Ces derniers temps cependant, j'avais

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l'impression que les choses s'arrangeaient entre eux. Jusqu'ici,


j'ignore ce qui lui est reproché.
Entre-temps, le Président m'a laissé entendre qu'il se propose
de nommer un Grand Chancelier des Ordres Nationaux, fonction
jusqu'ici cumulée avec celle de Directeur du cabinet civil. Il
avance le nom de l'ancien Vice-président de la République
Fédérale, John Ngu Foncha, pour ce poste, et me demande ce que
j'en pense. J'estime que politiquement, ce serait une bonne chose,
d'autant que Foncha demeure l'homme politique le plus populaire
du côté anglophone. Le Président décide de lui donner le rang et
les avantages d'un ministre d'Etat, à ne pas confondre avec "rang
et prérogatives". Mais, me dit-il, "il ne faut pas qu'il ait un bureau
ici à la Présidence. Il nous posera des problèmes". Je fais remar-
quer qu'il lui faut de toute façon un bureau. Sinon, où signera-t-il
les diplômes? Plus tard, le Président me posera à nouveau la
question de savoir si je maintiens ma position antérieure en faveur
de la nomination de l'intéressé. Je me déclare favorable. Alors,
me dit-il, "on lui affectera le logement qu'occupait Yadji. Il faudra
aussi prévoir un bureau pour lui dans le nouveau Palais" .
C'est à cette occasion qu'il m'apprend qu'il entend nommer
Vroumsia Tchinaye, ancien ministre, au poste de Délégué général
à la Recherche scientifique et technique. Je lui fais remarquer que
l'abus d'alcool est à l'origine des malheurs de l'intéressé.
- En effet. Mais c'est l'un des meilleurs ministres lorsqu'il
n'a pas bu.
Vroumsia est en effet un élément très valable lorsqu'il n'est
pas "dans le verre". Les deux anciens responsables, Foncha et lui,
seront nommés, et le décret annoncé à la radio le Lundi 17
Décembre à 20h.

10 décembre
Je monte voir le Président vers lOh. Nous examinons les
dossiers que j'ai avec moi. Il me demande ensuite si une allo-
cution a été préparée pour lui à l'adresse du corps diplomatique
qui lui présentera les veux de fin d'année. J'en profite pour lui
demander la date retenue par le Cabinet civil pour cette cérémonie.
Il décroche son combiné téléphonique et appelle le Directeur du
Cabinet Civil. Ce dernier n'a pas l'air de connaître la date retenue
pour cette cérémonie. Il ajoute que M. Ekedi, le Chargé de
mission, qui suit l'organisation de celle-ci, est absent.
- Ecoutez, Beb, qui est le Directeur de Cabinet? Est-ce vous
ou Ekedi ? Il fait tout, vous n'êtes au courant de rien. Et vous

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vous plaignez, même si vous ne me le dites pas, que je traite


directement avec le Chargé de Mission!
Il raccroche, et, se tournant vers moi:
- Vous savez, toutes mes notes sont rédigées par Ekedi à qui
je donne des directives. Je sais que Beb n'est pas content. Que
voulez-vous que je fasse? Je suis obligé de traiter avec Ekedi, le
principal responsable ne prenant jamais la moindre initiative.
Votre collègue-là, il faut le connaître. Il a des qualités. Il est
intègre, discret. .. Mais en dehors de cela, on ne peut rien attendre
de lui.

14 décembre
Nous nous entretenons du nouveau ministre Chargé de
Mission à la Présidence de la République.Je fais état des besoins
de ce dernier. Il demande notamment que les véhicules de ses
prédécesseurs, Sengat et Yadji, lui soient affectés.
- Il n'en est pas question. Vous devez appliquer les textes
régissant l'attribution et l'utilisation des véhicules administratifs.
Vous savez, j'ai commis une erreur. Je n'aurais pas dû rappeler
Doumba au gouvernement. Il serait ainsi resté dehors, ne serait-ce
que pour six mois. Il était à l'Assemblée, puis à l'Infonnation,
ensuite à la Justice. Ici, il est réduit à la rédaction des discours. Il
n'a plus les avantages qu'il s'octroyait. Il ne peut être qu'un aigri.
Il me cite alors l'exemple d'un ancien ministre, non repris
dans le gouvernement, et qui, au bout d'un certain temps, se mit à
se lamenter partout, sollicitant l'intervention des uns et des autres
pour être repris, ne serait-ce qu'en qualité de planton. "Et lorsque
je l'ai rappelé comme Conseiller Spécial, il était tellement
content l" conclut-il.

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1980

15 février
Le 6 Février dernier, vers 19h15, un appareil gabonais ayant
à son bord M.Journiac, Conseiller à la Présidence de la Répu-
blique française pour les Affaires Africaines, s'est écrasé à
quelques kilomètres de l'aéroport de Ngaoundéré. Parmi les cinq
occupants de cet appareil, un Grumann du Président gabonais
Omar Bongo, il n'y a eu aucun survivant. Le Président Ahidjo
adresse aussitôt deux messages de condoléances, l'un au Prési-
dent français, et l'autre à son homologue gabonais. Un troisième
message est adressé à la famille Joumiac. Mieux, le Président
Ahidjo assiste personnellement à la levée des corps à Ngaoundéré
où. il se trouve au moment de l'accident, ainsi qu'à la messe célé-
brée à cette occasion.
Dès le jeudi, Ahidjo décide de dépêcher auprès de son homo-
logue français son Directeur de Cabinet civil, qui a rang et préro-
gatives de ministre, avec un pli par lequel il renouvelle ses condo-
léances. Le Secrétaire Général-Adjoint de la Présidence est
également dépêché auprès du Président gabonais, avec un pli
analogue. Le même jour, j'adresse à la Présidence de la Répu-
blique Française un message annonçant le jour et l'heure de
l'arrivée de l'appareil à bord duquel se trouve l'envoyé personnel
du Président camerounais. Ainsi, je suis sûr qu'il sera attendu et
accueilli avec les égards dus à son rang. J'adresse un second
message à notre Ambassade à Paris pour annoncer ce déplace-
ment.

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Le Directeur du Cabinet civil vient de rentrer de sa mission.


Lors de notre entretien, et avec la retenue qu'on lui connaît, il me
laisse entendre qu'aucun membre du Cabinet du Chef de l'Etat
français ne s'est dérangé pour l'accueillir. Même pas un planton
du protocole! Si notre Ambassade n'avait pas été mise au courant
de son déplacement, il aurait été réduit à emprunter un taxi pour se
rendre à notre représentation diplomatique. Et ce n'est pas tout!
L'ambassade du Cameroun en France a téléphoné à l'Elysée pour
signaler la présence à Paris de l'envoyé spécial du Président came-
rounais. C'est avec beaucoup de difficultés que le Secrétaire
Général de l'Elysée a fini par lui accorder une audience et, à cette
occasion, par récupérer le pli destiné au Président français. A
l'Elysée où doit être célébrée une messe à la mémoire du disparu,
l'envoyé du Chef de l'Etat camerounais est perdu dans la foule.
Lorsqu'il révèle son identité, c'est à peine si un garçon du proto-
cole lui indique du doigt l'emplacement réservé au Corps diploma-
tique africain.
Je suis vraiment scandalisé par tant de mépris, tant à l'égard
d'un homologue, qu'envers de tout un peuple qui, voici un an à
peine, avait réservé au Président français, Valéry Giscard
d'Estaing qu'accompagnait le disparu, un accueil sans précédent.
N'avons-nous donc que des devoirs, et n'avons-nous droit à
aucune considération aux yeux des responsables français? Parce
qu'ils nous apportent ce qu'il est convenu d'appeler l'" aide", qui
n'est ni plus ni moins que la récupération partielle de tout ce qui
nous est soutiré, ils ont le droit de se comporter de cette manière?
Qu'on s'imagine un peu la situation inverse, à savoir le Directeur
du Cabinet civil du Président de la République Française qui, arri-
vant à Yaoundé porteur d'un pli personnel de son Président à son
homologue camerounais, serait reçu ainsi!
Nous sommes habitués à passer inaperçus en France lorsque
nous y séjournons à titre privé. Mais il s'agit cette fois d'une
mission parfaitement officielle. Je me pose la question de savoir si
une attitude analogue aurait été observée par les responsables
français vis-à-vis d'un envoyé spécial provenant d'un Etat autre
que d'Afrique noire. C'est vraiment un scandale! Je pense
néanmoins que tout doit être mis en œuvre pour que les dirigeants
de ce pays ami cessent de nous considérer comme un peuple
inexistant. Le Président Ahidjo me demandera de convoquer
l'ambassadeur de France et d'élever une protestation. Peu de
temps après, le Président Giscard d'Estaing adressera une lettre
d'excuses à son homologue camerounais pour clore cet incident.
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6 mai
Hier, le Président de la République a prêté serment à
l'Assemblée Nationale pour un nouveau mandat de cinq ans. Ce
matin, je suis reçu à 9h. Nous parlons du pouvoir.
- Vous savez, Eboua, ce qui me déçoit le plus? C'est la
tendance de certains responsables à se croire indispensables. Lors
de mon récent séjour en France, j'ai reçu mon ami Moktar Ould
Daddah, ancien Chef de l'Etat mauritanien. En dépit de tout ce qui
s'est passé dans son pays, il m'a laissé entendre qu'il demeure à
la disposition de son peuple, et qu'il est disposé à revenir aux
affaires si on fait appel à lui.

12 juin
Je suis reçu par le Président à 9h30, et nous parlons d'un
Conseiller Spécial. Je lui rapporte que l'intéressé a dû oublier
d'assister à la réunion préparatoire consacrée au voyage officiel
que le Président s'apprête à effectuer en Roumanie.
- A ce propos, n'avez-vous pas constaté un changement dans
son attitude ces derniers temps?
Je réponds que mon épouse a constaté que depuis un certain
temps, l'épouse de l'intéressé ne nous tient pas à cœur, et nous
évite systématiquement lors des réceptions données au Palais.
Pour le Président, ce collaborateur a changé d'attitude depuis son
retour du Congrès de Bafoussam.
- Que doit-on faire pour les hommes? s'écrie-t-il. A son
retour d'Addis-Abeba, il n'avait rien à faire. Je l'ai rappelé ici, et
voilà! Peut-être est-il déçu par la promotion de Bello? Il a pris le
J.11aquis,à l'instar de Sengat. A propos, entre nous, avez-vous
encore des bureaux? Lors du prochain remaniement, il est
possible que je nomme un autre ministre Chargé de Mission.
Je lui réponds que mon adjoint rejoindra incessamment son
nouveau bureau, que Foncha occupera celui que mon adjoint a
libéré, et que le ministre Doumba ayant lui aussi rejoint le sien
dans le nouvel immeuble, son ancien bureau est disponible. Qui
sera ce second ministre Chargé de Mission? Deux noms me
viennent à l'esprit, je ne sais pourquoi: Keutcha et Ousmane
Mey.

13 juin
Le Président me demande de passer dans ses appartements à
8h15. En effet, dès 9h, il doit s'envoler pour le nord du pays.

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- A mon retour de Sierra Leone, je procéderai à un remanie-


ment ministériel. J'ai besoin de quelqu'un pour les Affaires étran-
gères. J'ai pensé à Bello. Il est intelligent et présente bien. Et
comme il est laxiste en gestion, eh bien! il n'y aura pas grand-
chose à gérer là-bas. Mais il est jeune. Qu'en pensez-vous?
L'Education Nationale! Ce Ndam Njoya est laxiste. Il ne m'a pas
convaincu. fi est démagogue. fi accepte tout.
Je lui promets de réfléchir, en lui faisant remarquer que
l'Education Nationale est un département difficile. Le prochain
titulaire de ce poste devrait être un ancien membre du gouverne-
ment expérimenté. Mais qui? Je vais y réfléchir.
- Et la Santé, Monsieur le Président?
- Je vais en changer le titulaire.
- En effet, c'est l'un des départements qui posent le plus de
problèmes ces derniers temps.

A 8h45, nous sommes à l'aéroport. Le Premier ministre, le


Directeur du Cabinet Civil et moi-même accueillons Ahidjo à sa
descente de voiture. Il prend à part le Premier Ministre. Un instant
plus tard, ce dernier nous rejoint et le Président m'appelle.
- Alors, que diriez-vous si Ndam va à la Santé et Ntang à
l'Education nationale? Pour le premier, je pense que ça pourrait
aller. Peut-être remettrait-il de l'ordre dans ce département minis-
tériel. Pour le second, j'hésite.
Voyant mon indécision:
- Qui alors?
- L'Education Nationale est un gros morceau.
- Je le sais. Mais qui? Ntang y a été Secrétaire général.
- Je vais continuer à y réfléchir, Monsieur le Président.
24 juin
Je me rends à l'audience quotidienne à 10h. Le Chef de l'Etat
me demande de dire au ministre de l'Education Nationale de
surseoir à la révision des critères d'attribution des bourses, une
telle révision n'incombant pas à la commission qu'il a fait siéger
(voir en annexes "L'université de Yaoundé").
_ Aucun jeune cadre ne m'a autant déçu que ce Ndam Je
connais son comportement aux Affaires étrangères et, en le
nommant à l'Education nationale, j'ai tenté un coup de poker. Je
me propose d'y envoyer Zé Nguélé, de la Jeunesse et des Sports.
Je pense qu'il a du caractère.

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J'approuve son choix, en faisant simplement remarquer que


U Nguélé est un enseignant.
~ Mais Ndam aussi.
- Je suggère que Ndam aille à la Santé.
- Démagogue comme il est, il nous créera des problèmes. Je
ne pense même pas le reconduire.

25 juin
A 10h, je monte voir le Président. Il m'apprend qu'il se
rendra à Douala le samedi suivant. C'est de là qu'il partira lundi
pour Freetown. Au retour, il fera un petit crochet par Dakar et ne
rentrera à Yaoundé que le 8 juillet.
- C'est à mon retour que je procéderai au léger remaniement
ministériel dont je vous ai parlé.

12 juillet
- Eboua, vous manquez souvent d'objectivité, et ce n'est
pas sérieux, au poste que vous occupez. Vous avez bien pris
connaissance du dossier que Libock m'a remis sur cette affaire, et
que je vous ai communiqué. C'est donc vous qui êtes à l'origine
de l'arrestation du garçon qui a vendu le terrain, puisque vous
m'avez vous-même déclaré que vous avez saisi la Sûreté, la
Justice et les Domaines?
Celui qui me parle ainsi, est le Chef de l'Etat. De quoi
s'agit-il? D'une affaire de terrain à Douala. Un jeune homme
profite de l'état de santé de son père - paralysé - pour vendre le
terrain sur lequel ce dernier vit encore, avec ses femmes et ses
enfants. Panni les acquéreurs, un de mes collaborateurs, Libock,
êt un autre cadre de sa tribu. Pour moins de 900 m2 de superficie,
ils ont versé, frais d'enregistrement inclus, 40 millions de francs
CFA. Or, les autres membres de la famille du jeune homme qui a
engagé la transaction s'insurgent contre cette vente. Mais toutes
les portes leur sont fermées pour faire aboutir leur opposition.
C'est le cas au niveau du notaire, un certain Minlend, au niveau de
la Police Judiciaire également, qui, bien qu'ayant appréhendé le
jeune délinquant, le remet en liberté et refuse de transmettre au
Parquet les résultats de son enquête, au niveau enfin du Procureur
de la République qui s'emploie à décourager les plaignants avant
même que le dossier ne lui palVienne.
C'est dans ces conditions que l'une des épouses du proprié-
taire du terrain, que je n'ai jamais rencontrée, se souvient avoir de
lointains liens de parenté avec mon épouse. Elle monte donc à

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Yaoundé pour m'exposer la situation, et me remet une requête


adressée au Chef de l'Etat. Comme pour toute requête de cette
nature, je dois d'abord réunir les informations se rapportant au
sujet. Je les sollicite auprès des Domaines, de la Justice et de la
Sûreté. Avant même qu'ils ne me palViennent, le Chef de l'Etat
lui-même, au cours d'une audience, me parle de cette affaire.
C'est à cette occasion qu'à mon tour je lui apprends qu'une
requête lui a été adressée sur la même affaire, et que j'attends de
réunir les éléments demandés à la Justice, à la Sûreté et aux
Domaines pour lui faire le point précis de la situation. Je lui
expose la version qui m'a été présentée, à savoir que les membres
lésés de la famille ont porté plainte, laquelle plainte a conduit à
l'arrestation du jeune homme qui a ensuite été remis en liberté. Et
ceci bien longtemps avant que cette affaire ne soit portée à ma
connaissance. A l'issue de cet entretien, le Chef de l'Etat me
demande de saisir le Garde des Sceaux, qui doit personnellement
suivre cette affaire et lui en rendre compte.
C'est suite à cet entretien que le Chef de l'Etat a dû entendre
Libock. Ce dernier lui a exposé sa version des faits, tout en lui
remettant l'ensemble du dossier qui indique que la transaction
s'est déroulée dans les conditions les plus régulières. Le Chef de
l'Etat, en me confiant ce dossier veut, en partie, me faire
comprendre que la version qui m'a été présentée n'est pas exacte.
Or, selon les documents versés au dossier en ma possession, tout
a été fraudé d'un bout à l'autre. D'abord, un titre foncier irrégu-
lier, que le jeune délinquant s'est fait établir en son nom propre, et
qui a été annulé lorsque le vrai titre foncier a été présenté. Cela est
vérifié. Ensuite, mutation frauduleuse du vrai titre foncier au nom
des nouveaux acquéreurs. C'est également vrai. Extorsion des
empreintes digitales à un homme qui ne jouit plus de toutes ses
facultés mentales et qui, de surcroît, est paralysé. C'est également
vrai. Le notaire tient coûte que coûte à réaliser cette transaction.
C'est lui qui se livre à toute cette gymnastique. On le comprend:
passer un acte de 40 millions de francs ce n'est pas peu de chose.
Avec tous ces éléments, je retourne l'ensemble du dossier au
Chef de l'Etat avec une petite note rédigée comme suit: "La bonne
foi des acquéreurs ne peut pas être mise en cause, bien que
l'acquisition de moins de 900 m2de terrain par des fonctionnaires
pour 40 millions laisse pantois. Il apparaît que le traitement de
cette affaire a été irrégulier d'un bout à l'autre. Du notaire au
Procureur de la République en passant par la Police Judiciaire. Si
cette femme a dû se rendre à Yaoundé pour voir mon épouse,
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c'est parce que toutes les portes lui étaient fennées à Douala. Au
cas où le Chef de l'Etat n'y voit pas d'inconvénient, nous
pourrions laisser l'affaire suivre son cours au niveau des rensei-
gnements que j'ai sollicités.
Ahidjo m'a donné son accord sur cette proposition. Je tombe
donc des nues, lorsqu'après avoir reçu le dossier en retour, avec
mon mot, le Président me reproche de manquer d'objectivité au
poste où je me trouve et d'avoir fait arrêter le garçon qui a vendu
le terrain etc. Serait-ce parce que la requérante se dit apparentée à
mon épouse? Je me pose la question de savoir si le Président me
fait vraiment confiance. En tout cas, c'est le jugement le plus
sévère qu'il ait jamais porté sur mon action à ses côtes, et j'en suis
d'autant plus navré que je ne pense pas du tout le mériter.
Objectivité? Concept difficile à cerner. D'un individu à
l'autre, les problèmes, et la manière de les résoudre, ne sont pas
perçus sous un même angle. La situation se complique encore
davantage selon le degré de véracité des éléments à partir desquels
on statue sur un cas donné. Si l'on prend en considération ces
éléments, avec la conviction qu'ils sont exacts, on décide en toute
objectivité, du moins pense-t-on. Mais supposons que ces
éléments, que l'on croit exacts, aient subi une certaine manipula-
tion. La personne qui décide à partir de ces derniers manque peut-
être d'objectivité, parce qu'elle n'a pas recherché l'exacte vérité,
ce qui est plus facile à dire qu'à faire, sans que pour autant cela ait
été dans ses intentions. En réalité, manquer d'objectivité, c'est
délibérément trancher un problème dans le sens contraire des
éléments justes qui plaident en sa faveur. Ce n'est ni plus, ni
:moins que de la mauvaise foi au selVice de la subjectivité.
On peut donc manquer d'objectivité dans certains cas, alors
qu'en réalité, on était de bonne foi. C'est la raison pour laquelle je
ne crois pas mériter l'appréciation sévère portée sur moi dans cette
affaire. Dans quels domaines ai-je manqué d'objectivité? Dans le
traitement des dossiers? Lorsque j'émets, pas toujours d'ailleurs,
un avis sur tel ou tel dossier, ce ne peut être que mon point de
vue, qui ne lie en rien le Chef de l'Etat. Je suis rarement sollicité
pour faire des propositions de nomination à des postes de respon-
sabilité, le cas de Mundi Ko'o ayant constitué une exception. Je
ne suis pas toujours les promotions, même pas celles de mes
proches collaborateurs,contrairement à ce qu'on pense générale-
ment. Alors, si je manque d'objectivité, quel sens donner à ma
présence ici?

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28 août
Le Président vient de se rendre en visite officielle à Bucarest.
Augusta16 a pris l'avion hier pour Paris. Je ne risque donc pas
d'être sollicité ni par la Présidence, ni par mon domicile. Rentré
du bureau, je décide de prendre un peu d'air et de changer un peu
d'ambiance. Il faut dire que cela a été programmé, puisque je dois
aller chercher, aux environs de 20h, la personne qui habituelle-
ment m'infonne sur beaucoup de choses. Cela fait aussi partie du
métier. A 19h, la police, en faction à mon domicile, me signale la
visite de l'ex-Colonel Etondè Ekoto. Il ne m'est pas possible de le
recevoir, à cause du rendez-vous fixé à la personne qui m'attend.
A 19h50, elle n'est pas présente au lieu du rendez-vous. Je tourne
pendant 20 mn et, enfin, je la trouve. Le cap est mis sur Obala.
Nous causons tout en roulant à 40 km à l 'heure. Tout d'un coup,
le rétroviseur réfléchit le faisceau de lumière des phares d'un véhi-
cule qui arrive derrière nous. Rien de plus nonnal.
Le véhicule nous double, et son immatriculation porte deux
lettres blanches - S.N. - sur fond rouge: Sûreté Nationale.
Ronde de routine ou, pourquoi pas, un véhicule des services de la
Sûreté d'Obala, de Monatélé ou de Bafia, revenant de la capitale?
Le véhicule s'éloigne et disparaît. Deux kilomètres plus loin, nous
retrouvons le même véhicule à l'arrêt, après avoir dépassé de
50 m environ la bifurcation, à droite, que j'emprunte pour aller
chasser. S'attendent-ils à ce que je tourne par là ? L'un des
occupants est sorti du véhicule et fait semblant de vérifier les feux-
arrière. Nous les dépassons. Mais peu de temps après, le même
véhicule nous rejoint et nous double. Nous le trouvons 5 km plus
loin, à nouveau à l'arrêt, après avoir à peine dépassé une autre
bifurcation que j'emprunte également pour la chasse. Comme au
précédent arrêt, un des occupants est descendu et fait semblant
d'essuyer le pare-brise. L'envie me prend de m'arrêter et de leur
demander s'ils ont des ennuis mécaniques. Pour qu'ils me
reconnaissent, bien qu'ils savent pertinemment la personne qu'ils
suivent! Je ne le fais pas, et nous continuons notre route. Il n'y a
point de doute: je suis filé, et grossièrement. A nouveau, le véhi-
cule que nous avons laissé derrière nous se signale dans le rétro-
viseur. Je décide alors de rouler très lentement, à peine 30 km à
l'heure, pour voir la réaction de ses occupants. C'est plutôt gênant
pour eux, de me filer à cette vitesse. Ils sont donc obligés de nous
doubler une troisième fois. Cette fois, après qu'ils aient disparu à

16. Mon épouse.


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la hauteur d'un virage, je décide d'accélérer pour les rattraper,


mais pas pour les dépasser, sauf s'ils s'arrêtent. De toute façon,
leur petit véhicule, de marque Toyota, n'est pas plus rapide que
ma Mercedès. Nous verrons bien s'ils vont à Obala. En vain.
Nous ne les verrons plus, jusqu'à Obala. Ils n'y sont pas allés. Ils
ont da emprunter la première bifurcation à droite ou à gauche pour
nous laisser passer. Nous avons continué jusqu'à Obala et avons
fait demi-tour pour revenir à Yaoundé.
Sur le chemin du retour, au niveau de Nkolemetou, un véhi-
cule arrive, derrière nous. Je ralentis pour le laisser passer. Il
s'agit du même véhicule que tout à l'heure. Il nous double; nous
ne le reverrons plus. Nous atteignons Yaoundé. Je dépose la
personne et rentre chez moi. Il est 22h. La main courante ne
manquera pas, comme toujours, de relever l'heure à laquelle je
suis de retour dans la concession.
Pourquoi tout cela? C'est la première fois que je suis filé, ou
du moins que je me rends compte que je le suis. Est-ce pour ma
protection? Je n'en ai pas besoin. C'est seulement une fois arrivé
à la maison que je rapproche cette surveillance policière de la visite
de l'ex-colonel Etondè, deux heures plus tôt, à mon domicile, où
il n'a pas été reçu du reste. Ce dernier, mis à la retraite par antici-
pation pour des raisons certainement politiques plutôt que de
mauvaise gestion à l'Office National de Participation au Dévelop-
pement, est sous surveillance discrète. Je le sais. Il a da être filé
jusqu'à ma résidence. Bien que je ne l'ai pas reçu, le fait que j'aie
quitté mon domicile immédiatement après son départ a dû
conduire ses pisteurs à supposer une rencontre entre lui et moi
qors de mon domicile; et ce d'autant que le Colonel, pour
convaincre la police en faction à ma résidence de le laisser entrer,
a déclaré qu'il avait rendez-vous avec moi, ce qui n'était pas
exact, puisque j'ignorais même qu'il était à Yaoundé.
Le Président absent, et l'ex-colonel à Yaoundé, en ont-ils
déduit qu'un coup d'Etat était en gestation avec ma complicité?
Me voient-ils en train de mijoter un complot contre le régime?
Pour être soutenu par qui? Là où ils auraient dû braquer leurs
projecteurs de surveillance, ils ne le font pas. Des ambitieux dans
la République, il n'en manque pas. Qu'il s'agisse d'individus, de
groupes ethniques ou tribaux organisés. Ils les connaissent. Ils
savent bien que je ne représente pas un danger. Je n'ai point de
fief politique, ni d'audience au niveau de la nation. Pourquoi
brûler tant de carburant, sur 100 km, pour me filer? C'est
ridicule, mais il font leur travail, bien qu'ils le fassent mal, et

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grossièrement. Ils manquent d'organisation. N'ont-ils pas un


véhicule à l'immatriculation banalisée pour filer les gens au lieu
d'un véhicule de la police connu de tous? Le lendemain, j'ai
convoqué le Délégué Général à la Sûreté pour protester d'une
part, et d'autre part, relever la manière peu efficace dont ses
collaborateurs s'acquittent de leur mission.

20 septembre
Je vais à l'audience quotidienne. Je ne sais plus à quel propos
le Président me parle de la fatalité.
- Eboua, vous savez, j'ignore ce qu'il en est de vous autres
chrétiens. Nous, les musulmans, croyons en la fatalité, au destin
écrit de tout homme. Il suffit, notamment pour ceux qui ont réussi
- je veux dire ceux qui sont ce que je suis, ou ce que vous êtes -
d'une rétrospective pour s'en rendre compte. Comment ne pas
croire au destin? En ce qui me concerne, savez-vous que j'ai failli
faire l'Ecole d'Agriculture comme Keutcha ? Et si je l'avais faite,
est-il certain que je serais ce que je suis? Et vous-même, si vous
aviez continué à enseigner au lycée, est-il certain que je vous
aurais appelé ici? Et même à votre retour de France, si vous étiez
parti à l'université comme vous en aviez l'intention au lieu de
rester au lycée, peut-être n'auriez-vous pas été appelé au ministère
comme Directeur de l'Enseignement du Second Degré d'où je
vous ai fait venir à mon cabinet comme Chargé de Mission. ..
C'est à partir de ces remarques pertinentes, selon lesquelles le
rationnel cède souvent le pas au hasard dans la vie des hommes
que le Président Ahidjo me parle de sa scolarité, de l'école
primaire élémentaire à l'école primaire supérieure d'abord; de sa
carrière politique ensuite.
- Je me suis retrouvé au cours moyen deuxième année avec
certains camarades tels que Yadji Abdoulaye, le préfet Maïdadi
Sadou et un métis. J'étais assez bon élève, mais je ne fus pas reçu
au concours d'admission à l'Ecole Supérieure de Yaoundé. A
l'époque, fin 1937-début 1938, on était considéré comme très
instruit dès qu'on était titulaire du C.E.P.EI? Je me rends donc à
Maroua où je fus engagé dans un bureau par un Administrateur
colonial. J'appris à taper à la machine, c'est ainsi que j'entrai dans
la vie active. A cette époque, une épidémie de méningite sévissait
à Maroua, et faisait de nombreuses victimes. Ma mère prit peur et
vint à Maroua me demander de quitter cette ville et de revenir avec

17. Certificat d'Etudes Primaires Elémentaires.


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elle à Garoua. Je ne discutai point et rapportai à l'Administrateur


colonial que ma mère était venue me chercher, et que j'avais
décidé de repartir avec elle à Garoua. Très surpris par ma déci-
sion, et malgré les plans de ma fonnation qu'il avait déjà dressés,
il ne s'y opposa point. Je regagnai donc Garoua avec ma mère.
A Garoua, je rendis par hasard visite à mon ancien maître
colonial du cours moyen deuxième année. "Retourne à l'école",
me dit-il. "Viens redoubler le CM2". C'est ainsi que je repris cette
classe et qu'à la fin de l'année 1939, je fus admis à l'Ecole Supé-
rieure de Yaoundé où je me suis retrouvé avec les Kuoh Tobie, les
Yadji... Ce dernier n'a pas franchi le cap de la première année. On
avait besoin, dans notre promotion, de quelques éléments de la
Province du Nord pour la section Agriculture, vers laquelle les
Keutcha furent orientés. Je fus convoqué pour suivre cette
section. J'opposai un refus catégorique à cette proposition. Il faut
dire que je voyais ceux qui avaient opté pour cette section parcou-
rir Nkolbisson ou Mvog Betsi, portant sur leur tête de lourdes
charges. Cela ne m'enchantait guère. J'étais décidé à regagner
mon Nord natal, si on m'obligeait à suivre cette section. C'est
ainsi que j'échappai à la section Agriculture. Peut-être, serais-je
infinnier-vétérinaire aujourd 'hui ?
A la sortie de l'Ecole Supérieure, nous pouvions opter, selon
le classement, soit pour l'enseignement, les Postes, les Services
financiers, soit enfin pour les Télécommunications. J'optai pour la
Radio, parce que j'avais horreur des sections où il fallait manier
de l'argent. En effet, les gestionnaires des fonds publics ont
toujours eu des problèmes. La branche technique me paraissait
donc préférable. Je fis un stage de neuf mois à Douala. Je partis
ensuite à l'Est pour ouvrir la station radio de Batouri, puis à
Ngaoundéré et enfin à Mokolo. Pendant ce temps, Kuoh Tobie
exerçait dans l'administration centrale des Postes à Yaoundé. Je
souhaitais quitter Mokolo pour Garoua. Je décidai donc d'écrire à
Kuoh Tobie pour qu'il me pistonne depuis Yaoundé. Ce dernier
fit des démarches et la décision me mutant à Garoua fut signée.
Mais la personne qui devait prendre ma relève à Mokolo fut
victime d'un accident et, par une nouvelle décision abrogeant la
première, je fus maintenu à Mokolo. J'y passai encore six mois
avant de saisir à nouveau Kuoh pour de nouvelles démarches
devant me pennettre de quitter Mokolo. Illes fit et cette fois, je
fus enfin muté à Garoua, où je retrouvai Yadji, engagé dans
l'administration des Douanes, Mahondé et un autre métis, tous
anciens camarades de l'Ecole Supérieure de Yaoundé.

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Nous avions pris l'habitude de nous retrouver à un endroit


précis, à midi, à la sortie des bureaux, pour rentrer ensemble chez
nous. C'est à cette période que l'Administration coloniale parle,
pour la première fois, d'élections à l'Assemblée Représentative.
Un jour, à midi, nous nous sommes retrouvés, tous les quatre, à
notre lieu de rendez-vous. Vint à passer, à côté de nous, un
monsieur que nous ne connaissions pas: "Jeunes gens, nous
lance-t-il, il y a des élections. Moi, ça ne m'intéresse pas. Si cela
vous dit quelque chose, allez chercher des imprimés et complétez-
les." Ce monsieur reprit son chemin.
Une discussion s'engagea entre nous. L'un de nous n'était
pas intéressé. En revanche, je l'étais, les deux autres aussi, dont
y adji. Il fut donc décidé que nous irions en début d'après-midi
retirer les imprimés. Yadji avait fait à peine 100 m, lorsqu'il revint
vers nous pour nous informer qu'il avait réfléchi, et qu'il n'irait
pas chercher les imprimés. Il ne se porterait pas candidat car,
selon lui, s'il le faisait, il risquait d'être mal vu par ses supérieurs
des Douanes. C'est donc avec Mahondé que je présentai ma
candidature sur la même liste, ce dernier étant tête de liste. J'aurais
pu, en principe, avoir le même nombre de voix que lui. Or, c'était
la première élection et les gens ne s'y retrouvaient pas dans les
bulletins. Mahondé fut donc déclaré élu. Moi, pas. Un second
tour fut organisé. Cette fois, je restais en piste avec le fils du
Lamido de Garoua. Le Lamido fit une campagne intense en faveur
de son fils, d'autant qu'au second tour, les gens avaient pris
conscience de l'enjeu des élections. Le Lamido avait écrit à tous
les notables en faveur de son fils, et moi j'étais là, ne sachant
même pas comment faire campagne. Le fils du Lamido était loin
d'être un illettré. Il était titulaire du C.E.P.E. ce qui, à l'époque,
était considérable.
En discutant avec Yadji et Mahondé, je me rendis compte
qu'il y avait beaucoup d'électeurs à Guider. Et si je m'y rendais?
Du reste, Maïdadi s'y trouvait. Un autre camarade de l'Ecole
Supérieure y exerçait comme instituteur et était membre du bureau
de vote. Je décidai de me rendre à Guider et priai un commerçant
de la place, propriétaire d'un vieux camion qui s'y rendait, de
m'emmener. Il réclama 25 francs. Je les lui versai. Je fus invité à
monter tout seul à l'arrière de son vieux camion, alors que lui-
même était tout seul dans la cabine. Dès mon arrivée à Guider, je
me rendis chez Maïdadi.
"- Que viens-tu faire ici? me questionna-t-il.
- Je suis candidat aux élections, répliquai -je.
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- Ah! s'écria-t-il. Sois tranquille. Allons voir notre cama-


rade, membre du bureau de vote."
Nous trouvons ce dernier à son domicile. Maïdadi et lui
contactent nos amis, et, au bureau de vote, veillent sur les
suffrages exprimés en ma faveur à Guider. Je rentre ensuite à
Garoua. Les résultats commencent à tomber. Partout, le fils du
Lamido est en tête. Les autorités coloniales de l'époque le consi-
dèrent d'ores et déjà comme élu, et lui présentent leurs félicita-
tions. C'est sans compter avec les voix de Guider non encore
parvenues à Garoua. Quelle n'est pas la surprise des uns et des
autres lorsque les résultats du bureau de Guider sont proclamés.
Et la radio d'annoncer: "Ahidjo est en tête. Il est élu" !
C'est ainsi que débuta la carrière politique du Chef de l'Etat.
Fatalité, destin de chacun, comme il dit. L'arrivée de sa mère à
Maroua et son retour avec elle à Garoua; reprise du Cours Moyen
2ème année dans sa ville natale; admission à l'Ecole Supérieure;
refus de suivre la Section Agriculture; démarches de Kuoh Tobie
pour sa mutation à Garoua; le passage de l'inconnu qui leur parle
des élections; sa décision de se rendre à Guider où, comme par
hasard, il retrouve ses anciens camarades de l'Ecole Supérieure
dont Maïdadi. .. Tels sont les chemins tortueux et inexplicables du
hasard ou, si l'on veut, du destin d'un individu.

10 octobre
Le Président me reçoit en audience. Entre autres, il me reparle
de l'affaire du terrain des Libock. Entre-temps, il a reçu le
ministre de la Justice, Garde des Sceaux, qui l'a certainement
entretenu de la culpabilité incontestable du Notaire Minlend. Le
Président évoque l'affaire. Evidemment, je me tais. C'est que le
jugement qu'il a porté sur moi à ce propos demeure présent dans
mon esprit. Il va jusqu'à reprendre mot à mot une phrase de la
note que je lui ai faite, à savoir que les acquéreurs sont peut-être
de bonne foi, mais pas leur Notaire. Il me recevra, dit-il, avec
Libock à 11h30.
Il nous reçoit effectivement et, sans détour, signifie à Libock
que leur notaire n'a travaillé que sur de faux documents, et qu'il
s'agit d'un bandit; que les Libock feraient mieux de récupérer
leurs 40 millions, s'ils le désirent, sinon, ils risquent de les
perdre... Libock tente de justifier le Notaire.
- Mais Libock, reprend Ahidjo. Vous ne croyez que ce que
vous dit votre Notaire, alors qu'il ne s'est servi que de faux
documents. De toute façon, je tenais à vous mettre en garde. Je
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n'ai aucun intérêt dans cette affaire. La justice suivra donc son
cours.
Je me suis ultérieurement posé la question de savoir pourquoi
le Chef de l'Etat avait tenu à entretenir Libock de cette affaire en
ma présence. S'est-il rendu compte qu'il m'avait blâmé un peu
hâtivement. De toute façon, une balle tirée ne revient jamais dans
le canon.

5 novembre
Le Président reçoit le Premier Ministre et moi-même à 10h. Je
ne sais plus à propos de quel dossier, le Premier ministre,
s'adressant au Chef de l'Etat, déclare avoir examiné cette affaire
avec "le Ministre d'Etat". Le Président le reprend:
- Avec le Secrétaire Général.
Le Premier Ministre, embarrassé, bafouille quelques mots,
justifiant sa déclaration par l'habitude.
- Oui, répond Ahidjo. Surtout dans cette maison.
- Monsieur le Président, lui dis-je, j'ai tout fait pour qu'on
ne me désigne pas par le terme "Ministre d'Etat". Sur les impri-
més qui me sont destinés, ne figure nulle part ce terme. C'est une
question d'habitude, car mon prédécesseur était Ministre d'Etat
Secrétaire Général.
Se tournant vers le Premier-Ministre:
- Parce que vous étiez Ministre d'Etat! Mais après tout, cela
revient au même, conclut-il.
Mais pas du tout. J'avais déjà relevé la nuance. Pourquoi cette
équivoque? Je pensais qu'il plaisantait. Or, il n'en était rien. Plus
.\tard,mon adjoint, Bello Bouba Maïgari, me révélera que la même
réflexion a été faite au ministre Youssoufa Daouda. Mon senti-
ment est que le Président est de plus en plus sensible à tout ce qui
peut corroborer l'idée de la toute-puissance prêtée au Secrétariat
Général de la Présidence.
En effet, ce dernier, parce qu'il coiffe l'action des ministères
- le Premier Ministre lui-même est tenu d'y transiter pour bon
nombre de ses dossiers - est considéré comme influent, tout-
puissant. Depuis que les Marchés Publics lui ont été également
confiés, en partie à cause de son efficacité, les critiques qui n'ont
pour justification que des intérêts compromis, ne lui sont pas
épargnées. Dès lors, le chef de l'Etat veut-il briser la "toute-
puissance" qui nous est prêtée? Y croit-il? Qui d'autre que lui sait
que son Cabinet n'a aucun pouvoir qui lui soit propre? Le livre de
Samy Cohen qu'il m'a prêté et dont je me propose de remettre un
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exemplaire à chacun de mes collaborateursest suffisammentnet


sur le pouvoir, si pouvoir il y a, des "Conseillers du Président".
La situation équivoque dans laquelle je me trouve ainsi que
mon adjoint dans une certaine mesure, n'aurait pas duré
longtemps si elle avait été celle d'un ressortissant d'une puissante
tribu. Une note des Renseignements l'aurait décriée, et un texte
aurait été pris pour lever l'équivoque. Ce n'est pas mon problème
à moi. Je continuerai à faire mon travail comme par le passé,
m'abstenant de me trouver directement aux prises avec les
membres du Gouvernement, tout en faisant travailler un peu plus
le Chef de l'Etat. Qu'il s'attende désonnais à un courrier à signer
plus fourni.

27 novembre
Le Président rentre de Conakry, via Dakar. Il a trouvé, me
dit-il, dans ce pays, un peuple abreuvé de slogans, mais accusant
vingt ans de retard sur le plan économique. Conakry, en dehors
de deux nouveaux immeubles, n'a point évolué depuis vingt ans.
Ahidjo en profite pour me dire que le Président Senghor quitte le
pouvoir. Il démissionnera le 31 Décembre. Abdou Diouf, qui doit
prendre la succession, n'est pas très enthousiaste.

5 décembre
Le Président me parle d'un Bamiléké, Conseiller à la Cour
Suprême de surcroît, qui fait la réflexion suivante au Secrétaire
Général de l'Assemblée Nationale: "Vous savez, Monsieur le
Secrétaire Général, sans fausse modestie, ce pays nous appartient
- entendez, appartient aux Bamiléké." Et le Président de
conclure:
- Curieuse conception de l'unité nationale, n'est-ce
pas?

16 décembre
Le Président et moi évoquons le passé. Il revient sur le cas
Soppo dont il m'a déjà parlé, et déclare:
- Soppo avait l'étoffe d'un homme d'Etat. Il aurait pu accé-
der au pouvoir et le garder. Ce qui lui a été fatal, est l'erreur qu'il
a commise en 1957. S'il avait composé avec la majorité de
l'époque, il aurait eu toutes les chances d'accéder au pouvoir.
Malheureusement pour lui, il a voulu jouer la carte d'un certain
progressisme en flirtant avec l'U.P.C. pensant que ceux qui se
disaient nationalistes à l'époque constituaient l'avenir. Il voulait

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donc les ménager pour bénéficier de leur soutien. Hélas, pour lui,
les choses ont pris une autre tournure.
Lorsqu'en 1958 j'ai été appelé à former le gouvernement,
Soppo, en sa qualité de chef de file du Groupe des Huit auquel
appartenaient Assalé, Bellè, Ekwabi, pensait que je ferais appel à
lui. Je me proposais bien de leur consentir quelques portefeuilles,
mais à titre individuel et non pas au Groupe en tant que tel. C'est
ainsi que je convoquai Assalé, Bellè et un troisième pour leur
proposer des portefeuilles. Ils répondirent qu'ils devaient consul-
ter leur groupe. Je leur donnai une matinée. Dès que Soppo apprit
que certains membres de son groupe avaient été contactés sans
passer par lui, il posa ses conditions: ces portefeuilles devaient,
selon lui, être attribués au Groupe à qui revenait la charge d'en
désigner les bénéficiaires. Lorsque cette exigence me fut
rapportée, je la repoussai et leur donnai un moment de réflexion
pour savoir si, en tant qu'individus, ils entendaient, oui ou non,
faire partie du gouvernement. Sur place, Assalé me notifia son
accord pour faire partie du gouvernement. Je le nommai Ministre
des Finances.

20 décembre
Je reçois Pierre Biarnès qui représente le journal Le Monde en
Afrique Occidentale, et réside à Dakar. Nous évoquons la situa-
tion politique du Sénégal, et notamment l'ouverture démocratique
en cours dans ce pays. Nous nous entretenons également de
l'expérience ivoirienne dans ce domaine. Pour Biarnès, le Prési-
dent Senghor n'est pas parti du pouvoir à cause de la mauvaise
situation économique de son pays. C'est un départ qui a été voulu
et préparé. Quant à ce qu'on pourrait appeler ouverture démocra-
tique en Côte-d'Ivoire, à la suite des élections législatives qui ont
pratiquement balayé l'ancienne équipe, ce n'est qu'apparence, les
uns et les autres ayant voté pour la "tribu" .Je fais remarquer, en
abondant dans son sens pour ce qui est du Sénégal, que le Prési-
dent Senghor a préparé sa succession, car son ancien Premier
Ministre a officiellement été déclaré dauphin, et que le Cameroun,
à quelques variantes près, est sur la même lancée.
_ Voulez-vous que je vous dise ce que je pense personnelle-
ment? me demande Biarnès. Je ne pense pas que vous suivez le
même chemin. D'abord, parce que le Président Ahidjo ne pense
pas pour l'instant à sa succession à la manière senghorienne. Il a
certes un Premier Ministre, mais celui-ci est là parce qu'il ne lui
pose aucun problème. Lorsque le Président Ahidjo pensera à sa
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succession à la manière de Senghor, il nommera un dauphin


conséquent. C'est, conclut-il, ce que je pense.

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1981

27 mars
Note spéciale
On m'apporte un billet d'avion Camair pour le vol inaugural
du Boeing 747 nouvellement acquis par cette compagnie. Ne
pouvant personnellement prendre part à cette manifestation, je
demande qu'on me passe le P.D.G. à qui je téléphone pour savoir
si mon fils Eugène peut faire le voyage à ma place. Je voulais lui
proposer également qu'en cas de nécessité, mon fils soit déclassé
et voyage en classe économique plutôt qu'en première classe. Il
m'est répondu que le P-D.G. ne se trouve pas au Cameroun.
Discrètement consultés par mon secrétariat, ses proches collabora-
,'teurs estiment qu'il ne devrait pas y avoir de problème. Je n'ai pas
non plus pensé qu'il puisse y en avoir. En effet, mon fils qui est
en quatrième année de Droit - dernière année de licence, ancien
régime - à l'Université, n'est plus un gosse. Fort de ces assu-
rances, je demande à Eugène de se faire vacciner dès le lundi
30 mars. Entre-temps, son passeport est établi et tous les visas
obtenus auprès du consulat de France. Jeudi 2 avril, dans la
matinée, j'appelle le P.D.G. qui doit être de retour. On répond
qu'il ne rentre qu'en fin d'après-midi. Le Vendredi 3 avril,
pendant que je préside le Comité National de Gestion des Secours
aux Réfugiés tchadiens, je charge un de mes collaborateurs,
Zambo, Conseiller Technique à la Présidence et Administrateur de
la Camair, de contacter, en mon nom, le P.D.G., pour savoir si
mon fils peut voyager avec mon billet. La suite de l'entretien des

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deux hommes, je m'abstiens de la reproduire. Bref, un refus


catégorique est opposé à ma demande.
J'ai demandé à Zambo de s'assurer que mon fils pourrait
voyager comme simple passager, à mes propres frais, au cas où le
P-D.G. ne retiendrait pas son nom dans le cadre du vol inaugural.
S'agissant de cette alternative, je n'ai même pas besoin de le
consulter. J'ai cru devoir le faire parce qu'il s'agit d'un vol
inaugural, le problème de la disponibilité des places pouvant se
poser. Or, tous les services de la Camair sont formels. Il ne
manque guère de places. Du reste, c'est moi qui ai approuvé la
liste des personnes invitées à participer à ce vol inaugural. J'ai
refusé que l'une d'elles, qui doit des centaines de millions de
francs à un organisme d'Etat, la B.C.D.18,se déplace. Sa place est
donc disponible. La mienne également.
Le Samedi 4 Avril, mon épouse accompagne Madame Ahidjo
au baptême du nouvel appareil à Douala. Elle en profite pour se
rendre au siège de la Camair afin de s'infonner si notre fils pourra
voyager. Le secrétariat du P.D.G. signale sa présence au siège et
veut savoir si elle peut être reçue: refus catégorique du P.D.G.
Ironie du sort, le soir même, à l'occasion de la soirée de gala
présidée par Mme Ahidjo, le protocole désigne mon épouse pour
ouvrir le bal avec le même P.D.G. qui a refusé de la recevoir, il y
a quelques heures seulement! Je ne voudrais pas faire de
commentaire sur cette affaire. Que le lecteur sache seulement que
je suis le plus proche collaborateur du Chef de l'Etat; que j'ai été
P.D.G. de la Camair de Mai 1972 à Juin 1975. Quant au travail
effectué pour le redressement de cette compagnie, il ne
m'appartient pas de l'apprécier. Les Camerounais de bonne foi le
feront.
J'ai donc décidé de faire voyager, à mes frais, mon fils, qui
n'aurait pas compris l'annulation du voyage que je lui avais
proposé, et pour lequel il s'était préparé. Il ne reste plus que le vol
UTA du lundi 6 Avril. Je lui ai remis un chèque de 409 420 F
CFA pour un billet U.T.A.19 De Douala, M. Elamè de la Camair
qui doit s'occuper de son embarquement me téléphone dans la
matinée du lundi et me dit textuellement ceci:
- Monsieur, vous avez été responsable de cette compagnie.
Je sais ce qui s'est passé et les raisons pour lesquelles votre fils
doit voyager par U.T.A. Mais ce n'est pas possible. J'ai pris sur
moi de le faire voyager mardi matin sur le vol Camair, plutôt que

18. Banque Camerounaise de Développement.


19. Union des Transports Aériens.
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par le vol V.T.A. de 23h d'aujourd'hui. En effet, les gens qui


ignorent ce qui s'est passé ne comprendraient pas que le fils
Eboua voyage par V.T.A. Après tout, la Camair est une affaire
nationale et non la propriété d'un individu, conclut-il.
Après réflexion, j'ai trouvé qu'il avait raison. Je lui notifie
mon accord. Eugène finit donc par acheter un billet Camair pour
aller voir ses frères et sœurs à Paris.
Je parle de cet incident au Chef de l'Etat. TIme répond que sa
belle-fille, la fille de Moussa Yaya, avait également eu des
problèmes parce que le vol était complet. Mais moi, je sais qu'elle
a voyagé. Je ne pense pas que Ahidjo ait fait la moindre obser-
vation au p.D.G.20

21 avril
Le Président me reçoit à 8h40. Je n'avais pas encore demandé
à le voir lorsqu'il m'a appelé, à peine arrivé à son bureau. Nous
faisons un tour d'horizon des élections qui vont se dérouler en
France. Nous parlons de Chirac qui risque de surprendre tout le
monde, puis du ministre Galley en visite à Yaoundé. Je fais
remarquer au Chef de l'Etat que M. Galley est venu pour, entre
autres, rallier à Giscard le suffrage de ses compatriotes installés
chez nous. Le Président me répond qu'il n'avait pas songé à cet
aspect du déplacement du ministre français, quelques jours seule-
ment avant le premier tour des présidentielles.
Nous parlons ensuite du Tchad, notamment de la position
nigériane à propos de la situation à laquelle ce pays est confronté.
Enfin, nous terminons par la proposition d'accréditation d'un
Ambassadeur nigérian au Cameroun. Dans un premier temps,
Ahidjo avait donné son accord de principe sur la candidature
proposée. Je lui fais remarquer que le futur ambassadeur du
Nigeria au Cameroun est né en 1952 et a par conséquent vingt-
huit ans à peine, que pour un grand pays comme le Nigeria, c'est
ne pas nous prendre au sérieux que. d'accréditer dans notre pays
un homme de cet âge, sans expérience ni culture de surcroît. Sur
ce, le Président m'ordonne de ne pas notifier son accord aux
Affaires étrangères. Il contactera Lamine, notre ambassadeur à
Lagos, afin d'essayer d'amener le Président Shagari à lui faire une
autre proposition.

20. Il savait que le P.D.G. avait refusé que mon fils fasse partie du vol
inaugural, et n'avait pas reçu mon épouse. Ce qu'il ignorait, c'est que le
même P.D.G. s'était également opposé au voyage de mon fils à mes propres
frais. Tant de haine! Pourquoi?
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- Mais, poursuit-il, s'il maintient sa première proposition9


nous nous plierons. Peut-être, avec un homme comme celui-là,
sans personnalité, nous aurons moins de problèmes.
Je m'entretiens à nouveau avec le Président des élections
françaises du 10 mai. Ahidjo est gaulliste. Il l'a lui-même déclaré,
mais certainement pas dans le sens où ses propos furent interpré-
tés par les médias à l'époque. Le Chef de l'Etat n'a jamais
pardonné à Giscard d'avoir tant malmené les Gaullistes, pourtant
majoritaires à l'Assemblée, après avoir contribué au départ du
Général de Gaulle en faisant voter "non" au référendum de 1969.
TIsuit avec sympathie la percée de Chirac avant le premier tour, et
ne serait pas du tout fâché si ce dernier l'emportait sur Giscard.
Mais il est possible qu'à l'issue du premier tour il ne reste en lice
que Giscard pour la majorité, et Mitterrand pour l'opposition. Le
Président m'avoue que face à un choix aussi difficile, il voterait,
malgré lui, pour Giscard - s'il était français. Pour lui, l'élection
de Mitterrand à la Présidence de la République entraînerait un
bouleversement de la société française, que le nouveau Président
le veuille ou pas.
Je me garde de lui dire de quel côté penche ma préférence.
Celle-ci oscille entre Chirac et Mitterrand, pour des raisons
complètement différentes. Pour Chirac, c'est moins à cause du
type de société qu'il préconise, que pour son dynamisme. J'aime
en effet les hommes d'action, dynamiques et intelligents. A mon
avis, il réunit ces qualités. Il a fait ses preuves lors de la bataille
pour la ville de Paris, et en tant que Maire de cette énonne agglo-
mération. Contre vents et marées, il a pennis au gaullisme de
,'sulVivre et de redevenir une force politique avec laquelle il faut
compter. Enfin, Jacques Chirac possède d'incontestables qualités
d'homme d'Etat. Il est en mesure de se contrôler et de se maîtri-
ser, s'il le veut. Je pense qu'il a un avenir national.
S'agissant de Mitterrand, je souhaite, au fond de moi-même,
qu'il l'emporte au second tour, d'abord parce que, de par mon
éducation et mes croyances, je sympathise pour le genre de socia-
lisme qu'il préconise. Je ne suis pas partisan du socialisme dit
scientifique ou révolutionnaire, dont le jargon et la propagande
sont loin de correspondre aux besoins de bien-être et de liberté des
peuples, pas plus que du libéralisme sauvage, une sorte de jungle
régie par la loi du plus fort. Pour moi, la société idéale est celle
qui s'efforce d'œuvrer pour le bien-être de tous, selon les moyens
disponibles, sans distinction aucune; celle qui, sans prétendre
enrayer les inégalités, dont la suppression complète ne peut

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relever que de l'utopie quel que soit le type de société, s'emploie à


réduire l'écart entre les mieux nantis et les démunis. En outre,
Mitterrand est un homme conséquent avec lui-même, et coura-
geux. fi a, depuis 1958 combattu le gaullisme. Il a su maintenir le
fragile équilibre entre sa fonnation politique et le parti communiste
en vue de la conquête du pouvoir. Il est politiquement resté lui-
même pendant sa très longue traversée du désert. Après tant de
combats livrés, tant d'endurance et de persévérance, le lot de
consolation, à mon avis, serait qu'il figure au palmarès de ceux
qui ont réussi à assumer le destin de la France et des Français. Ce
ne serait que justice qu'il l'emporte le 10 mai prochain, mais les
Français seront seuls à décider, en toute liberté.

5 mai
Le Président me reçoit. Il m'entretient de son intention de
remplacer certains membres du Conseil Economique et Social.
Pour le Moungo, un nom est avancé par le Gouverneur de la
Province du Littoral. Faisant allusion au mot que j'ai adressé au
Premier Ministre, il me dit que la candidature de la personne
proposée pourrait être retenue, si je n'y trouve aucun inconvé-
nient, dès lors que son prédécesseur décédé n'a pas démérité.
Mais je ne suis consulté que pour la forme. Dans un premier
temps, c'est la candidature d'un ressortissant de l'Arrondissement
de Mélong qui est retenue. J'aurais pu m'en réjouir, s'agissant de
mon arrondissement d'origine. Or, par souci d'équilibre entre les
arrondissements du Département, je suggère que le poste de
Conseiller Economique et Social, qui est détenu par
l'arrondissement de Manjo, y soit maintenu. Je suis suivi. L'élite
de la région, qui m'avait saisi à l'époque, estime que prendre en
considération la candidature du frère du précédent titulaire décédé,
pourrait laisser croire qu'il s'agit d'un poste qui revient de droit à
une famille. Le Président n'est pas de cet avis. C'est encore
l'occasion de constater que le Chef de l'Etat ne nous fait confiance
que dans le domaine administratif. Chaque fois que je lui propose
un nom ou une personnalité pour un poste, il se méfie. Et
pourtant, que de propositions intéressées lui sont faites par
d'autres et adoptées. Et moi qui me suis toujours efforcé d'être
objectif! Comme quoi, l'objectivité ne paie pas toujours en poli-
tique. Mais je ne changerai point. Je m'abstiendrai simplement de
faire des propositions, dans quelque domaine que ce soit.

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16 mai
Une crise dont il a déjà été question éclate entre le Cameroun
et le Nigeria. Des éléments de la marine camerounaise se heurtent
à une patrouille nigériane dans les eaux territoriales camerou-
naises21de Rio deI Rey : cinq tués du côté nigérian, un blessé du
côté camerounais. Par note verbale, le Cameroun proteste auprès
des autorités nigérianes. De son côté, le Nigeria élève une protes-
tation énergique, prétendant que l'incident s'est produit sur la rive
droite du fleuve frontalier Akwayafé, dans son territoire. Il
adresse un ultimatum en trois points au Cameroun. En premier
lieu: présenter officiellement des excuses inconditionnelles. En
second lieu: punir les militaires camerounais auteurs de ces
meurtres. Enfin, indemniser les familles des victimes. Le Came-
roun dispose de sept jours pour s'exécuter.
Le Président Ahidjo dépêche une mission de bonne volonté
au Nigeria avant l'expiration des délais de l'ultimatum. Elle est
conduite par le ministre d'Etat chargé des Affaires étrangères,
Paul Dontsop, et comprend en outre MM. Bello Bouba Maïgari,
Secrétaire Général-Adjoint de la Présidence de la République,
Mohaman Lamine, ambassadeur du Cameroun au Nigeria. Cette
délégation doit rencontrer le Président Shehu Shagari, et lui
présenter les regrets du Gouvernement camerounais pour les
pertes humaines enregistrées à la suite de cet incident, ainsi que
ses condoléances aux familles des victimes. Par la même
occasion, le Président camerounais propose la constitution d'un
comité mixte Cameroun-Nigeria, aux fins d'enquêter sur les
causes et le lieu exact de l'incident. Dans sa réponse à cette
.;\démarche,le Nigeria décline la proposition de constitution d'un tel
comité, estimant que le Cameroun a gardé le silence sur
l'indemnisation des familles des victimes, ainsi que sur les
sanctions à infliger aux militaires camerounais coupables. Il se
propose par conséquent de porter l'affaire devant l'arbitrage
international. Tout ceci se déroule au moment où le sommet de la
C.D.E.A.O. siège en Sierra Leone.
Les responsables de cette organisation régionale se proposent
de charger certains d'entre eux d'une mission de bons offices
auprès du Cameroun et du Nigeria. Cette proposition se heurte au
veto du Président Shehu Shagari qui justifie son refus par le fait
que le Cameroun n'est pas membre de la C.D.E.A.O. Le veto du
leader nigérian à cette initiative provoque l'indignation du Prési-

21. Pour les besoins de la cause, le Nigeria prétend que l'incident a eu


lieu .dans ses eaux territoriales.
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1. La famille de Samuel EBOUA.


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2. Le président Ahidjo s'entretient


avec S. Eboua et Bello Bouba Maïgari.

3. Le président Ahidjo et ses ministres.


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4. S. Ebaua et le secrétaire d'Etat américain.

5. La famille royale belge est reçue au Palais (1979).


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6. Visite en Chine en octobre 1977 : le président Hua Kuo Feng


accueille la délégation camerounaise.

7. Séance de travail avec le vice-premier ministre chinois.


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8. Voyage en Chine sur le fleuve Likiang dans le Kouelin.

9. Sur le Grand pont de Nankin.


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10. Toast en l'honneur des hôtes camerounais.

Il. Signature des accords sino-camerounais le 7/10/1977.


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12. Visite du président Sékou Touré de Guinée.

13. Visite du président Shehu Shagari du Nigeria en 1981.


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14. Le président Ahidjo décore Samuel Eboua et Marcel Yondo.


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dent Sékou Touré de Guinée. Outre cette rencontre au sommet


ouest-africaine, le sommet de l'Organisation de l'Unité Africaine
prévu à Nairobi approche. On apprend que le Nigeria boycottera
ce sommet, si le différend Nigeria-Cameroun n'est pas inscrit à
l'ordre du jour. Par la suite, le Président nigérian fera savoir qu'il
ne participera pas à ce sommet pour protester contre la manière
dont, selon lui, le Secrétariat général de l'O.U.A. a traité cette
affaire. Le Président Eyadema du Togo, qui a certainement des
comptes personnels à régler avec son compatriote Edern Kodjo,
Secrétaire Général de l'organisme interafricain, reproche à ce
dernier de n'avoir pas inscrit cette que~tion à l'ordre du jour du
sommet. Or, le Nigeria n'a en définitive pas demandé l'inscription
de ce litige à l'ordre du jour. Il voulait simplement que les Chefs
d'Etat de l'O.U.A. soient infonnés de la situation.
Avant la tenue de ce sommet, plusieurs Chefs d'Etat africains
ont offert leur médiation. C'est le cas des Présidents Houphouët
Boigny de Côte-d'Ivoire et Eyadema du Togo. Une délégation de
leurs Ministres s'est rendue à deux reprises à Yaoundé pour
proposer une rencontre en terrain neutre entre les Présidents nigé-
rian et camerounais. Il en est de même du Président nigérien, le
colonel Kountché, venu personnellement à Yaoundé à cette fin. Le
Président Ahidjo est disposé à rencontrer son homologue nigérian
où que ce soit. Une fois de plus, la partie nigériane repousse cette
proposition.
A Nairobi, certains Chefs d'Etat proposent l'examen du litige
entre le Cameroun et le Nigeria. Panni ceux-ci, on compte le
Président Diouf du Sénégal. La délégation nigériane déclare ne
pas être prête pour un tel examen. Du reste, affirme-t-elle, elle doit
demander des instructions à Lagos sur la conduite à tenir. Lagos
s'oppose à l'examen de cette situation au niveau de l'O.U.A. Où
donc veut en venir le Nigeria? L'intoxication est à l'acmé tant du
côté nigérian, où les troupes sont effectivement massées le long de
la frontière, que du côté camerounais. Selon des rumeurs non
contrôlées, le Nigeria attaquera incessamment le Cameroun pour
.
laver l'affrontqui lui a été infligé...

3 juillet
Le Chef de l'Etat me demande de passer le voir dans ses
appartements à 19 h. J'y arrive cinq minutes avant l'heure indi-
quée. Nous discutonsdu problèmenigérian et de la note que je lui
ai remise à ce sujet (voir en annexes "Le Nigeria et nous"). Un

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domestique surgit: "L'Ambassadeur de France veut vous parler",


dit-il au Chef de l'Etat.
- L'Ambassadeur du Cameroun en France ou l'Ambassadeur
de France chez nous? demande Ahidjo, estimant que le
domestique s'est trompé.
En effet, ce n'est pas tous les jours qu'un Ambassadeur
appelle au téléphone le Chef d'Etat auprès duquel il est accrédité.
Le domestique repart vérifier.
- L'Ambassadeur de France au Cameroun, déclare-t-il,
lorsqu'il revient quelques instants plus tard.
Le Chef de l'Etat me laisse sur le balcon où nous nous
trouvions pour aller prendre la communication. Lorsqu'il revient
peu de temps après, il me dit:
- L'Ambassadeur de France demaIlde à me voir d'urgence,
parce qu'il a des nouvelles importantes à me rapporter. Peut-être
sommes-nous attaqués par le Nigeria. Je lui ai dit de venir. Il sera
là dans dix minutes. Nous allons l'attendre en bas, au salon. Vous
assisterez à l'entretien.
Nous nous rendons au salon. Les minutes me paraissent des
heures. L'ambassadeur entre, grave, presque catastrophé.
D'entrée de jeu, il déclare: "De source digne de foi, le Nigeria
attaquera le Cameroun sur deux fronts, demain à l'aube. Au nord,
l'expédition punitive partira de Yola en direction de Garoua.
Après avoir exécuté son coup dans cette ville, elle se retirera. Au
sud, les Nigérians atteindront Buéa et Victoria22. On ignore leur
intention pour cette partie du pays. Ils pourront, soit repartir une
fois leur coup perpétré, soit rester et occuper cette région du terri-
toire camerounais. L'infonnation provient d'un officier supérieur
nigérian qui s'est ouvert à l'Ambassadeur de Grande-Bretagne au
Cameroun. Ce dernier à son tour m'a entretenu de la situation.
L'officier en question serait très proche d'Obasanjo, l'ancien Chef
de l'Etat nigérian. Avant que je ne vienne ici, j'ai été appelé de
Paris d'où cette nouvelle m'a été confinnée."
Le Président Ahidjo remercie l'Ambassadeur de France. Au
moment où ce dernier se retire, il lui lance, à l'intention du
gouvernement français:
- Si le Nigeria nous attaque, j'entends que l'accord de
défense conclu avec votre pays soit appliqué.
Aussitôt après le départ de l'Ambassadeur, le Chef de l'Etat
convoque le Ministre des Forces armées, le Dr Maïkano

22. La nouvelle dénomination de cette ville est Limbé.


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Abdoulaye, ainsi que le chef du Cabinet militaire, le Colonel


Ousmanou Daouda, pour un conseil de guerre. Nous sommes
quatre. Le Président les informe des nouvelles qui viennent de
nous parvenir. Un coup de téléphone l'interrompt dans son
exposé. En allant prendre la communication dans le salon voisin,
il me demande de continuer le compte-rendu commencé par lui. Le
Président revenu, les deux responsables des Forces Années nous
font le point sur nos forces. A leur avis, il est impossible que les
Nigérians attaquent dans des criques, d'accès difficile. A moins
qu'il ne s'agisse d'opérations aériennes visant des objectifs
économiques tels que les plates-formes de forage, la raffinerie de
Victoria etc. L'attaque de Garoua par voie terrestre est également
jugée hasardeuse, compte tenu de la distance qui sépare cette
localité de Yola, au Nigeria. En conclusion, ils estiment que les
éventuelles attaques de Garoua, de Buéa et de Victoria du côté des
criques, ne peuvent représenter que des manœuvres de diversion.
Pour eux, l'accès à notre territoire ne peut s'effectuer que du côté
de Manfé. Carte d'état-major à l'appui, ils nous montrent les
points de concentration des troupes nigérianes le long de la
frontière.
La décision est prise de mettre nos forces en état d'alerte. Le
gouverneur Ousmane Mey de la Province du Nord est contacté
pour faire acheminer sur Garoua, la nuit même, la compagnie
basée à Maroua. De même, des instructions sont données afin que
les troupes basées à Douala soient acheminées sur Manfé avant
l'aube, pour renforcer celles se trouvant à la frontière. Le Ministre
des Forces Armées et le chef du Cabinet militaire se retirent. Ils
vont tenir une réunion technique avec les états-majors de l'armée.
Nous nous retrouvons à deux. Nous sommes sceptiques. Ce ne
peut être que de l'intoxication.
Je rejoins assez tard mon domicile. Il n'est pas exclu que
nous nous réveillions le lendemain en pleine guerre avec le
Nigeria. Mais chez moi, personne ne le sait, même pas mon
épouse. La prise du téléphone se trouve dans ma chambre à
coucher afin que je puisse être réveillé à tout moment, si la situa-
tion l'exige. Effectivement, à peine me suis-je allongé que le
téléphone sonne. Il est 23h45 à ma montre. C'est le Président.
- Eboua ?
- Oui Monsieur le Président.
- Vous dormiez déjà?
Cette question me rappelle le passage de la Bible où Jésus,
confronté à l'épreuve de la mort au Mont des Oliviers, est allé
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prier, laissant derrière lui ses disciples qui doivent eux aussi
veiller et prier. Lorsqu'il revient, il les trouve endonnis.
- Je viens tout juste de m'allonger, Monsieur le Président.
- Voilà. J'ai eu Monsieur Penne, conseiller du Président
Mitterrand, au téléphone. C'est lui qui m'a appelé. Il me propose
que l'ambassadeur de France serve d'intennédiaire entre nous et le
Nigeria pour le règlement de l'incident. J'ai refusé. Comme ils
sont maladroits! Déjà, le Nigeria accuse la France d'être à
l'origine de notre intransigeance, et ils veulent lui donner raison
en intervenant dans cette affaire! En outre, le ministre de la
Coopération, Jean-Pierre Cot, m'a appelé. Pour une fois, les
Français, qui gardent le plus grand mutisme quant à l'éventualité
de leur engagement à nos côtés en cas de conflit avec le Nigeria,
viennent de décider de nous soutenir. Le ministre Cot a proposé
qu'un avion, un Transall ou un DC8 nous apporte dans la journée
du Samedi 4 juillet les armes et munitions dont nous aurions
besoin dans l'immédiat. J'ai opté pour un appareil civil, le DC8,
moins visible. Le ministre Cot m'a en outre assuré que les avions
Mirage qui se trouvent au Gabon sont mis en état d'alerte, bien
qu'il faille quelque temps pour qu'ils interviennent effectivement.
Il en est de même pour les appareils basés à Bouar, en
Centrafrique, si la situation l'exige.
Les dirigeants français sont donc décidés à honorer l'accord
de défense signé avec le Cameroun, au cas où il serait agressé par
un pays étranger.
Le 4 juillet, rien ne s'est produit. Mais, mon impression est
que nous avons été à un doigt de la guerre avec le Nigeria.

9 .juillet
Comme chaque matin, je monte voir le Président. Nous
examinons les dossiers que j'ai avec moi. Puis tout d'un coup,
s'adressantà moi:
- Eboua, je voulais vous en parler. Il semble que vous
refusiez d'assister aux réunions présidées par le Premier ministre.
C'est ainsi que vous vous êtes fait représenter par Item à la
réunion que devait présider le Premier ministre sur la création
d'une cellule d'études.
Je proteste et lui dis que j'ai toujours assisté aux réunions
présidées par le Premier Ministre: une fois, dans son cabinet, et
chaque fois que ces réunions se sont tenues dans la salle de confé-
rences de la Présidence de la République; que je ne comprends pas
d'où viennent ces assertions, et qu'en tout état de cause, je suis
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disposé à assister à toutes les réunions présidées par le Premier


ministre dans son cabinet.
- Non. Je n'ai pas dit cela. Je ne vous demande pas
d'assister à toutes les réunions présidées par le Premier ministre
dans son cabinet, mais uniquement à celles que je lui demande de
présider en votre présence. Nous sommes dans un Etat organisé,
hiérarchisé. Du reste, ce n'est pas le Premier Ministre qui m'en a
parlé, je l'ai appris par d'autres, et surtout par la note rédigée par
Item qui vous y représentait.
Je n'ai pas cru devoir continuer la discussion. Le Premier
ministre ne s'est pas plaint auprès de lui? Je veux bien le croire.
Mais il peut bien le faire par personne interposée. Dans mon
propre entourage, manque-t-il des ambitions? J'ai remarqué que
depuis ce jour, le Chef de l'Etat ne m'a plus jamais demandé de
participer à une réunion présidée par le Premier Ministre. Ce sera
désormais mon adjoint qui remplira cette mission. C'est tout de
même désagréable, cette petite guerre qu'on ne cesse de me livrer.

Il juillet
L'Aide de camp téléphone pour me dire que le Président
demande de passer le voir à 11h45. Sur un dossier, il a marqué:
"Eboua, m'en parler". Il s'agit de la rémunération des membres
du Gouvernement non fonctionnaires, venant du secteur privé.
M. Djeudjang, le Conseiller technique aux Affaires Juridiques
étant absent, je fais appeler M. Zambo qui suit les Affaires
Organiques pour lui demander d'être au Palais à llh 45, car je
compte prendre avec moi ce dossier. Il m'est répondu que Zambo
est chez le Président. J'arrive au Palais à l'heure prévue. J'y
trouve le ministre d'Etat chargé des Affaires Etrangères, Dontsop,
et l'Ambassadeur Mohaman Lamine. Le Président sort de son
bureau, nous trouve dans le couloir et, s'adressant à moi:
- Dites à Lamine, à Dontsop et à Eteki d'être là à 15h pour
une séance de travail. Puis préparez-moi un décret à signer et à
diffuser à la radio à 13h, nommant Zambo Joseph Directeur
Général de la C.N.P.S.23en remplacement de ce fou.
Ce "fou", c'est Mundi, contre qui toutes les forces du
Centre-Sud, avec la bénédiction du Président du Conseil
d'Administration de la C.N.P.S. se sont coalisées, me rendant
responsable de sa nomination. Or, Zambo est présent. Je demande
au Président si l'intéressé a été infonné de cette nomination, et si

23. Caisse Nationale de Prévoyance Sociale.


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je peux lui demander de préparer le projet du texte en question.


"Oui", me dit-il. Voilà de quelle manière j'apprends le départ du
Cabinet d'un collaborateur, uniquement à l'occasion de la prépara-
tion d'un projet de décret, à rendre public une heure plus tard! Le
Président aurait pu demander directement à l'intéressé de préparer
lui-même cc projet de décret, car c'est lui qui, avec Djeudjang,
prépare les projets des textes de cette nature.
Le Chef de l'Etat n'est nullement tenu de consulter qui que ce
soit sur les décisions qu'il s'apprête à prendre. Mais s'agissant de
ceux qu'il a placés à mes côtés depuis des années pour m'assister,
se garder jusqu'à la dernière minute de me dire le moindre mot sur
leur départ du Cabinet ne peut que cacher quelque chose. J'ai du
reste appelé Zambo par la suite pour savoir à quel moment le
Président l'avait informé de son départ du Cabinet. J'ai constaté
son embarras. Il a soutenu qu'au moment où je le cherchais pour
monter voir le Président à 11h45, il n'était pas au Palais - sans
préciser où il se trouvait - et que c'est par la suite que le Chef de
l'Etat l'a appelé pour lui annoncer l'imminence de sa nomination.
Il a précisé que le Président lui a fait savoir qu'il ne m'avait pas
encore entretenu de cette nomination. En tout cas, le Chef de l'Etat
n'ayant pas jugé nécessaire de me parler de son départ du Cabinet,
il ne revient pas à Zambo de vendre la mèche, d'où son embarras.
Le poste que j'occupe est délicat et stratégique: soit je béné-
ficie de la confiance du Chef de l'Etat, soit je n'en bénéficie pas.
Dans ce denùer cas, je ne suis donc pas à ma place. Le Président a
donc cru tout ce qu'on a raconté sur moi à propos de la nomina-
tion de Mundi à la C.N.P.S ! Comment pourrait-on démontrer le
"contraire? Je continuerai à m'acquitter, comme par le passé, de
mes responsabilités, sans défaillance. J'ai cependant un défaut:
celui de dire ce que je pense et tout ce que je pense. Désormais,
une certaine retenue s'impose. Je me limiterai à mes tâches
d'exécution en m'abstenant de faire des propositions. Il me faut
désormais m'exprimer le moins possible. Une fois de plus, ma
volonté est mise à l'épreuve.

3 septembre
Je suis à Noisy-le-Grand (en région parisienne), seul dans
mon petit trois-pièces, les enfants étant en congé au Cameroun. Le
téléphone sonne, et, au bout du fil, se trouve Koula. Il m'annonce
qu'un conseil d'administration extraordinaire de la Société
Camerounaise de Banque, dont il est l'Administrateur-Directeur
Général est convoqué pour le mardi 8 septembre, sans ordre du

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jour. Il entend, me dit-il, demeurer conséquent avec lui-même et


avec ses opinions. De cet entretien, j'ai retenu qu'il sera remplacé
à la direction de cet établissement à l'issue de ce conseil, et qu'il a,
en quelque sorte, lui-même initié ce départ. Je le mets en garde,
lui conseillant de ne prendre aucune initiative dans ce sens, et de
ne faire aucune déclaration. Je lui pose ensuite la question de
savoir si après mon départ en congé, il s'est brouillé, soit avec
son Ministre de tutelle, soit avec le Président du conseil
d'administration. En effet, autant les Conseils d'Administration de
la S.C.B. étaient houleux lorsque Fouda les présidait - au point
que ce dernier sollicita le départ de Koula - autant, durant les
dernières années de Fouda, et après sa mort, l'atmosphère y était
complètement détendue. Il me répond que rien de particulier ne
s'est passé après mon départ en Europe. Je lui promets de
contacter son Ministre de tutelle pour savoir, ne serait-ce que de
manière officieuse, l'objet du Conseil d'Administration du 8
septembre. Je ne réussis pas à entrer en contact avec le ministère
des Finances. Au moment précis où Koula, sentant le danger qui
le menace, m'appelle, il est avec ses deux amis inséparables,
Mbella Mbappé et Naah Robert. Il me les passe au bout du fil et
j'échange quelques mots avec l'un et l'autre.

7 septembre
Je rentre de congé et débarque à Yaoundé aux environs de
22h. Mon épouse, mes enfants et Mbella Mbappé sont là pour
m'accueillir. Au bas de la passerelle se tient Ntang Gilbert,
ministre des Finances, venu lui aussi accueillir ses enfants qui ont
emprunté le même vol que moi. Je le prends en aparté pour
m'enquérir de l'objet du Conseil d'Administration de la S.C.B.
du lendemain, question que je voulais lui poser depuis Noisy-le-
Grand. Il m'apprend que le Directeur Général de la S.C.B. sera
remplacé par Naah Robert au cours de ce Conseil. Dès le lende-
main, ce sera chose faite.

8 septembre
Je reprends le service. Je monte voir le Président aux envi-
rons de lOh. Il me souhaite la, bienvenue, mais trouve que j'ai
moins bonne mine qu'à l'issue des congés précédents. C'est
pourtant la première fois que j'ai le sentiment de fi 'être vraiment
reposé. Ce qu'il ignore, c'est que depuis trois ans, mon poids n'a
pas varié d'un gramme.

103
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- J'ai décidé de procéder à un mouvement dans les Banques,


me dit-il tout d'un coup. Koula sera remplacé à la tête de la
S.C.B. par Naah Robert. Je pense, poursuit-il, que Naah a acquis
une certaine expérience à la banque Paribas et qu'il devrait faire
l'affaire. Quant à son prédécesseur, personne ne comprend
comment j'ai pu jusque-là le supporter: des lettres incendiaires
qu'il a écrites à certains membres du Gouvernement pour les
insulter, des étudiants qu'il a encouragés à poursuivre la grève des
cours, etc.
A ce propos, il est vrai que le Chef de l'Etat m'a demandé, il
y a un peu plus d'un an, de convoquer Koula, de le mettre sévè-
rement en garde et de lui demander "d'arrêter", ce que j'ai fait.
- Koula a déclaré que je suis en train de constituer un empire
dans le Nord, que toute l'économie se trouve entre les mains des
nordistes, et que les sudistes doivent se serrer les coudes pour
s'opposer aux Nordistes, me révèle le Chef de l'Etat.
J'enregistre tout cela sans émettre une opinion, et comprends
que c'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Dans l'après-
midi de ce même jour, Naah remplace Koula à la Direction
Générale de la S.C.B. Un ami intime en remplace un autre. On
aurait pu s'en féliciter. Or, les humains sont ce qu'ils sont, et je
crains que ce ne soit le terme de leur amitié, bien que le nouveau
Directeur Général, à ma connaissance, ne soit pour rien dans sa
nomination. Je ne manquerai pas d'attirer l'attention de l'un et de
l'autre sur la nécessité de maintenir les bons rapports qu'ils
entretenaient jusque-là.
Pourquoi ce conseil est-il convoqué juste au lendemain de
.,mon retour de congé? Est-ce pour que je sois au préalable
informé du mouvement qui va intervenir dans cette Banque, le
Chef de l'Etat sachant que je rentre le 7 ? Si c'est le cas, je n'en
vois pas l'utilité. Mundi est parti de la C.N.P.S. J'étais présent,
mais n'en ai pas été informé au préalable. J'avais du reste juré de
ne pas m'employer à connaître les raisons de son limogeage, eu
égard à toutes les calomnies dont j'ai été l'objet, me rendant
responsable de sa nomination à la C.N.P.S. On n'a pas manqué
de douter de mon honnêteté jusqu'au plus haut niveau. Zambo est
parti du Cabinet sans même que j'en sois informé.
Alors, pourquoi Naah? Certainement parce qu'il est du Litto-
ral comme son prédécesseur. Ainsi, les ressortissants de cette
province ne penseront pas qu'on leur en veut particulièrement.Je
me rappelle encore ce qu'un cadre de cette province, à laquelle
j'appartiens moi-même,m'a dit il n'y a pas très longtemps :"Tu es
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auprès du Chef de l'Etat, et les ressortissants de ta province


d'origine sont les victimes désignées du régime". Lors du dernier
remaniement ministériel, seule la province du Littoral a été visée,
avec le départ du Gouvernement de Sengat, de Yondo, de Naah,
puis, Mbella Mbappé de l'Université, Koulè Njanga de la Camair,
de X de l'O.C.B. d'Etondè Ekoto, de l'Armée, de Mundi de la
Caisse Nationale de Prévoyance Sociale, etc. Les ressortissants
des autres provinces, occupant des postes de responsabilité, sont
stables, alors que ceux du Littoral vivent dans l'insécurité totale.
Faut-il conclure que ces derniers commettent plus de gaffes que
les autres?
Je n'ai pas répondu à ces questions. Je ne pouvais pas y
répondre: j'ai préféré me taire. Tous ignorent ce que signifie
travailler auprès d'un Chef d'Etat. Si donc c'est le facteur
"ressortissant du Littoral" qui a joué en faveur de Naah, il aurait
fallu, en toute logique, que son poste précédent, laissé vacant à
Paribas, soit occupé par un autre ressortissant du Littoral. On voit
à quelle rigidité peut conduire la stricte application du principe de
l'équilibre régional.

30 décembre
Le Chef de l'Etat me parle de ses vieux compagnons de route.
Ces derniers ont toujours fait l'objet de toute son attention, sans
qu'ils en soient pour autant satisfaits. A l'occasion, il cite le cas de
Onana Awana. Lorsque l'intéressé assumait des responsabilités
ministérielles, il était connu de tous comme un ami personnel du
Chef de l'Etat, ce qui n'était pas entièrement faux. Mais il laissait
entendre que cette amitié découlait des services qu'il lui avait
rendus lorsqu'il s'était trouvé à l'Ecole Supérieure de Yaoundé
avec ce dernier.
_ Voyez le cas d'Onana par exemple. Il n'est pas de ma
promotion à l'Ecole Supérieure, et il n'est pas exact de soutenir
que notre amitié s'est nouée à l'école. Après ma sortie de l'Ecole
Supérieure, et alors que je m'étais déjà engagé dans la politique,
Onana et Chatap, actuellement à l'Inspection Générale de l'Etat,
étaient aux Finances. Lorsque je me rendais à Yaoundé, je
descendais chez Chatap qui, comme Kuoh Tobie, est de ma
promotion. Et comme Onana habitait non loin de là, nous allions
de temps en temps chez lui. Après tout, nous étions tous anciens
élèves d'une même Ecole, bien qu'Onana ne fût pas de notre
promotion. Très vite, j'appelle Onana dans mon cabinet dès que je
devins Vice-Premier Ministre, puis lorsque je remplace Mbida au
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poste de Premier ministre. En 1958 ou 59, je le fais admettre à


l'INFOM de Paris et, parallèlement, le nomme Délégué du
Gouvernement camerounais auprès des autorités françaises. Après
l'indépendance, je le nomme Ministre des Finances. A la suite
d'un remaniement du Gouvernement, il reste sans poste pendant
quelques mois, puis je le fais nommer Secrétaire Général de
l'U.D.E.A.C.24 Je le rappelai par la suite comme Ministre de
l'Economie et du Plan, puis à nouveau comme Ministre des
Finances.
En 1975, lorsque j'ai décidé de créer le poste de Premier
Ministre, Onana Awana a été le premier, et le seul, à qui j'ai
confié mon intention de nommer Biya Premier Ministre. Biya lui-
même ne l'a su qu'après. A l'occasion de la formation du nouveau
Gouvernement, j'ai appelé Onana pour lui dire qu'il serait nommé
à l'Inspection Générale de l'Etat. Il n'apprécia pas que les
Finances lui soient enlevées. Mais voyez-vous, Eboua, je ne dis
pas qu'Onana n'était pas un bon ministre des Finances, seule-
ment, voilà, les choses évoluent et, avec l'ordinateur, les
techniques financières également. J'ai pensé qu'Onana devait
céder la place à un jeune technicien. Malheureusement, depuis
lors, il est entré dans le maquis, jusqu'à son départ du Gouver-
nement. C'est cet Onana qui, aujourd'hui, raconte des choses sur
moi!
L'ingratitude des hommes, voilà le lot de tous les respon-
sables. Le Président me parle également de ses anciens maîtres de
l'école primaire qui ont bénéficié de toute sa sollicitude, tel Sam
Bilé, et qui ont, soit tout dilapidé, soit considéré que ces faveurs
,;étaientpour eux un droit.

31 décembre
Le Président me reçoit en audience quotidienne. Nous
parlons du Président gabonais, Omar Bongo. Il me remet un
article de Pierre Biarnès paru dans Le Monde sur la réunion de
Libreville ayant pour objet le projet de l'élargissement de
l'U .D.E.A. C.
- Vous savez, j'ai reçu le Premier ministre Biya. Il m'a dit
qu'il avait omis de me rapporter une réflexion du Président gabo-
nais émise lors de la réunion de Libreville où il me représentait.
Bongo lui aurait dit ceci: "Vous savez, moi, j'ai un Premier
ministre à qui j'ai tout confié. Il est Chef du Gouvernement. Je

.24. Union Douanière et Economique de l'Afrique Centrale.


106
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n'ai pas un Ministre-Secrétaire Général de la Présidence de la


République." Une façon de monter Biya, conclut-il. Il n'est pas
exclu que le Président Bongo ait tenu ces propos, ce qui ne serait
ni plus ni moins qu'une immixtion dans les affaires intérieures du
Cameroun voisin. Mais on peut également se poser la question de
savoir si ces propos sont réellement du Président Bongo, d'autant
que le Premier Ministre m'a personnellement rapporté n'avoir pas
été reçu en audience par ce dernier. Or de tout temps, les amis du
Premier ministre n'ont jamais apprécié que ce dernier ne soit que
le premier des Ministres, sans être le chef du Gouvernement. Le
même cercle a toujours toléré, et non accepté, l'existence d'un
secrétariat général de la Présidence qui, selon lui, fait double
emploi avec le poste de Premier Ministre. Dès lors, les propos
attribués au Président Bongo ne seraient-ils pas simplement le
fruit de leur propre souhait?

107
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1982

.
16 janvier
Je rentre de mon village. J'ai encore reçu des allogènes, au
nombre de six, qui occupent irrégulièrement un terrain de ce
village depuis 1976. J'ai proposé à ces occupants de demeurer sur
ce terrain, à la seule condition de s'entendre avec la collectivité,
propriétaire du terrain. Refus catégorique de leur part. J'ai alors
proposé de les indemniser. Nouveau refus. Mais que veulent-ils
en réalité? Conseillés par l'un des leurs, député à l'Assemblée
Nationale et phannacien de son état à Nkongsamba, ils demandent
qu'on leur vende ce terrain. Irrité, je demande aux habitants de
mon village de descendre sur ce terrain et de le mettre en valeur,
çe qu'ils font. J'en parle au Chef de l'Etat dès mon retour à
Yaoundé. Aucune réaction de sa part dans l'immédiat.
Le lendemain, il me demande si l'obtention du titre foncier sur
ce terrain par la communauté villageoise est antérieure ou posté-
rieure à l'installation de ces occupants. Je réponds qu'elle est
postérieure, mais que les occupants n'ayant rien acheté et ne
pouvant brandir la moindre promesse de vente, ils n'étaient pas en
mesure de faire opposition lors de l'immatriculation de ce terrain
ancestral.
- N'empêche, que ces gens ont été installés là de longue date
par les aborigènes eux-mêmes, et qu'ils ont mis ces terres en
valeur.
C'est la version des autorités administratives, dont la première
préoccupation est de conjurer tout ce qui est de nature à troubler
l'ordre public. Un contre six, sans compter ceux qui sont derrière
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ces six: le choix de ces autorités est vite fait. C'est à la majorité
qu'il faut donner raison. Le Président conclut:
- Ces gens sont de bonne foi. Les chasser parce que vous
avez obtenu par la suite un titre foncier risque de créer un précé-
dent.
Je propose au Président de solliciter une version neutre de
l'affaire. Il accepte. C'est le Ministre de l'Administration Territo-
riale qui saisit le Gouverneur de la province du Littoral et le préfet
du Département du Moungo de cette affaire de terrain, le même
Préfet qui avait déjà tranché l'affaire conformément aux disposi-
tions des textes en vigueur en la matière. Influencés maintenant
par leurs supérieurs hiérarchiques, ces deux responsables propo-
sent le morcellement de mon terrain au profit des allogènes, ce
qu'accepte le Chef de l'Etat, en dépit de ma bonne foi dans cette
affaire. Rappelant le problème de mon terrain de Mankoua, qui
n'a rien à voir avec le terrain de mon propre village, il va jusqu'à
me demander de ne plus m'occuper des affaires de terrains chez
moi. Décision lourde de. conséquences: c'est le feu vert à
l'envahissement! Je promets au Chef de l'Etat de m'exécuter.
J'attends que l'Administration Territoriale m'indique la portion de
terrain à céder aux occupants, si ce n'est pas la totalité.

13 mars
Avec le Chef de l'Etat, nous parlons des matières premières.
Je fais remarquer que si le pétrole actuellement exploité dans notre
pays l'avait été durant la période coloniale, il aurait été exporté au
même titre que les extractions effectuées en territoire allemand,
anglais ou français, sans que nous ayons le moindre mot à dire.
Abondant dans le même sens, Ahidjo m'apprend que lorsqu'il
siégeait à l'Assemblée Territoriale, le café exporté n'était assujetti
à aucune taxe, alors que le cacao était lourdement taxé. Il ne
comprendra cette discrimination que plus tard: le café était cultivé
par les colons, alors que les plantations de cacao appartenaient aux
indigènes.

30 mai
Le travail que j'effectue ici est éprouvant. Eprouvant tant sur
le plan physique que moral. Il est donc souhaitable de me mettre à
l'abri dans l'accomplissement de ma tâche difficile, de certaines
insinuations et calomnies, sans preuves à l'appui, dont je suis
quotidiennement victime. Pour être honnête, j'ai jusqu'ici
accompli ma délicate mission dans un climat de sérénité créé par le
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Chef de l'Etat lui-même, en dépit de certaines observations inévi-


tables, indispensables du reste, pour ma fonnation. En effet, on
apprend tous les jours. Je sais qu'il me fait confiance. Compte
tenu en outre de l'idée que je me fais de la chose publique, je ne
crains point de répondre de mon action, n'importe quand et
n'importe où, quoi que cela puisse me coûter. En effet, s'il en
était autrement, comment Ahidjo aurait-il pu me confier
l'important secteur des Marchés Publics, s'abstenant lui-même de
faire la moindre recommandation en faveur de telle ou telle entre-
prise, me laissant la latitude de décider souverainement sans
jamais solliciter son avis? Il n'a jamais, à ma connaissance, gagné
un sou à titre de commission. Il sait que je n'en gagne pas non
plus.
S'il ne me faisait pas confiance, pourquoi me confierait-il la
supervision de la gestion de nos ressources d'hydrocarbures,
secteur sensible s'il en est, où l'imagination des gens est d'une
fertilité déconcertante? Pourquoi me permettrait-il de prendre
connaissance de toute la production, de toutes les recettes et de
leur utilisation au seul profit de l'Etat, même si le choix de certains
secteurs considérés comme prioritaires pour l'utilisation de ces
revenus peut paraître discutable? Je ne cite pas mes responsabilités
quotidiennes au Secrétariat Général de la Présidence de la Répu-
blique. Cette mise au point est nécessaire à la compréhension de la
s~ite de ce journal.

28 juin
Le Président de la République me reçoit en audience. Je lui
faJs le compte-rendu du déroulement du Conseil d'Administration
dè la S.N.H.25que j'ai présidé la veille. Avant ce Conseil, je lui ai
présenté le projet de statut de cet organisme, et notamment l'avis
du comité ad hoc qui est chargé de l'examiner entre les deux
sessions du conseil. Le Directeur Général de la S.N.H. Libock
veut que ce statut soit rapidement adopté par le Conseil, compte
tenu des pressions qu'il subit de la part des cadres de cette société.
Or les Administrateurs estiment qu'il est prématuré de publier ce
projet de statut, dès lors que la convention collective intéressant le
secteur pétrolier est sur le point d'aboutir. J'avais porté cette
remarque à la connaissance du Chef de l'Etat, également de cet
avis. Aujourd'hui, il me reproche de n'en avoir pas parlé au
préalable à Libock qu'il a dû recevoir entre-temps.

25. Société Nationale des Hydrocarbures.


110
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_
C'est tout de même lui le Directeur Général, me fait-il
observer.
Le bien-fondé de l'observation qui m'est ainsi faite est indis-
cutable. Mais, ce n'est pas de cette manière que j'entendais régler
cette affaire. Si j'avais reçu Libock avant son entrevue avec le
Président, je lui aurais dit: " Voici les instructions du Chef de
l'Etat" Dès lors, la discussion n'aurait plus eu lieu pendant le
_

Conseil. Or, en ce qui me concerne, j'estime que le comité ad hoc


aurait dû d'abord exposer aux Administrateurs ses conclusions.
Ensuite, le Conseil aurait été amené à trouver une conclusion
conforme aux instructions du Chef de l'Etat. Ainsi le conseil
aurait eu la satisfaction, bien qu'apparente, d'avoir souveraine-
ment décidé. C'est d'ailleurs ce que j'ai fait. J'ai donc commis
une erreur! Raison pour laquelle je n'ai pas discuté lorsque la
remarque m'a été faite.

30 juin
Le Chef de l'Etat me reçoit aux environs de 9h30. Je dois lui
présenter le dossier de la Camair. De quoi s'agit-il? La Présidence
de la République n'a plus de représentant au Conseil
d'Administration de cette société depuis le départ du Conseiller
technique, Zambo, à la C.N.P.S. Or, à chaque fois qu'un Conseil
d'Administration de la Camair se réunit, un dossier est envoyé au
Secrétariat Général de la Présidence de la République. Je le fais
alors étudier par la Division des Affaires Economiques qui élabore
une note à l'intention du Chef de l'Etat. Ce n'est un secret pour
personne que la Camair connaît des problèmes depuis l'arrivée du
P.D.G. Koulé Njanga, et que la situation n'a fait qu'empirer avec
Amadou Bello, qui avait pourtant pour mission de la redresser.
Les moyens nécessaires ont été mis à la disposition de ce dernier à
cette fin : plus de neuf milliards de francs CFA en l'espace de
deux ans, alors que Koulé Njanga, en l'espace de quatre ans, n'a
pas reçu un sou.
Un Conseil d'Administration doit se réunir le vendredi 25
Juin. Le Premier Ministre - c'est le Président lui-même qui me le
révèle -lui signale que le projet de budget à soumettre à l'examen
du Conseil accuse un déficit de deux milliards de francs. Jeudi
soir, alors que le ministre des Transports préside le pré-conseil, le
Président me demande de faire savoir au Ministre que le budget de
la Camair doit être équilibré en dépenses et en recettes, et qu'il ne
veut pas entendre parler d'un budget déficitaire.

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Vendredi, le Chef de l'Etat a consulté Moussa Yaya, Admi-


nistrateur de la Camair. Ce dernier affinne qu'à sa connaissance,
le projet de budget soumis au Conseil n'accuse aucun déficit. Le
Chef de l'Etat me demande de faire examiner ce projet de budget
par le Cabinet. De cet examen, il ressort des documents versés au
dossier qu'un bénéfice de quatre cent millions de francs est
escompté, et que le projet de budget n'est par conséquent pas
déficitaire. Entre-temps, j'ai eu l'occasion de consulter un autre
Administrateur, Zoa Oloa, Secrétaire général du ministère des
Finances et représentant de ce département ministériel.
Zoa me confinne que, cette fois, le document financier du
Conseil a été bien élaboré, et qu'à son avis, à moins qu'il ne l'ait
mal lu à cause de la session budgétaire de l'Assemblée Nationale
où il assiste son Ministre, il n'apparaît aucun déficit dans le
dossier du Conseil. Le Chef de l'Etat me reprochera par la suite de
n'avoir pas révélé le nom de Zoa. Ce dernier souligne cependant
la pléthore de personnel, ce qui n'empêche pas le projet de budget
de prévoir deux cent quarante nouveaux recrutements.
Je rapporte tout ceci au Chef de l'Etat. Compte tenu de la
concordance des avis de Moussa Yaya, de Zoa Oloa et de la note
du Cabinet, le Chef de l'Etat estime que la malveillance ne peut
provenir que de l'auteur de la note de service du Premier Ministre
qui fait ressortir un déficit de deux milliards. Devant moi, il
appelle le Premier Ministre au téléphone, et lui demande de
retrouver le dossier de la Camair, y compris la note élaborée par
ses SelVices s'y rapportant; et d'adresser tout cela à la Présidence
de la République. Il me confie le dossier dès qu 'il lui parvient, me
demande de prendre connaissance de la note qui fait ressortir un
déficit de deux milliards, de la faire étudier et de lui en parler au
plus tard à llh. Il doit recevoir le Premier Ministre à cette heure
là, certainement pour le même dossier.
Je revois donc le Président. S'agissant du dossier Camair, je
lui dis qu'il m'est difficile de me prononcer, et que mon sentiment
est que nous ne sommes pas en possession de tous les éléments
pouvant nous pennettre de nous prononcer en connaissance de
cause. En effet, une nouvelle étude par le Cabinet de la note
établie au niveau des Services du Premier Ministre, évalue
maintenant à un milliard deux cents millions le déficit de ce
budget, compte non tenu de la dévaluation du franc français qui ne
fera qu'alourdir la dette extérieure de la Cam air auprès des
banques américaines. Je suggère au Chef de l'Etat de recourir à
l'avis d'un deuxième Administrateur autre que Zambo. J'ajoute
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que l'intéressé ne représente plus la Présidence, et que la note


qu'il avait adressée au Chef de l'Etat à l'issue du précédent
Conseil, non seulement manquait de consistance, mais ne reflétait
pas la situation réelle constatée dans cette société. A la suite de ces
propos, Ahidjo explose littéralement:
- Pourquoi pas Zambo? Je sais que vous ne voulez pas de
Zambo. C'est donc Zoa qu'il faut consulter?
En passant, je fais remarquer que pour certains administra-
teurs, ce Conseil est difficile. Dès que Moussa Yaya prend posi-
tion, aussitôt appuyé par Aminou Oumarou, la question est
tranchée, personne n'osant plus prendre la parole.
- J'ai reçu Zambo hier, me dit Ahidjo. Mais Eboua, vous
êtes - je ne me rappelle plus du terme utilisé - Vous m'avez
parlé de Koula, celui-là qui m'insulte partout. Dieu seul sait ce
que j'ai fait pour ce garçon! Vous m'avez parlé de Koulé Njanga.
Or, vous l'avez vous-même reçu trois fois sans qu'il change. Il ne
faut donc pas que les Moussa siègent au Conseil, parce qu'ils sont
du Nord? Mais je suis moi aussi du Nord! En ce qui concerne
l'affaire du gaz, vous avez laissé entendre que vous annonceriez
vous-même le procédé de liquéfaction retenu; et vous m'avez
téléphoné sur la Côte d'azur pour me dire qu'une personne aurait
reçu cinq cents millions sur cette affaire. Est-ce donc moi-même
qui ai reçu cette somme?
Jusque-là, je me gardais de l'interrompre, mais c'était trop.
Alors je répliquai :
- Monsieur le Président, ce n'est pas moi qui ai annoncé le
procédé retenu, et je ne me souviens pas vous avoir parlé de cinq
cents millions qui auraient été versés à une personne.
Sa réplique ne tarda point.
- Je sais que ce n'est pas vous qui avez annoncé le procédé
retenu, justement parce que j'avais demandé que ce ne soit pas
vous!
Cet entretien me laisse pantois. Le Président a donc cru aux
propos qui m'ont été prêtés, selon lesquels on lui aurait versé cinq
cents millions de francs de commission! C'est vraiment
incroyable. Quel intérêt avais-je à annoncer le principe retenu de
liquéfaction de gaz ? Il ne me souvient même pas d'avoir eu à
discuter de ce problème avec qui que ce soit. Tout cela a donc été
rapporté au Président, qui a préféré ne pas me demander la
moindre explication! Quant aux cas Koula, Koulé et Sengat, en
parler au Président constituait-il un crime? Je suis du Littoral
comme eux, et je suis un des plus proches collaborateurs du
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Président. Ce dernier n'a même pas cherché à connaître ma


réaction aux situations que les ressortissants de ma province
d'origine m'exposaient. Il existe bel et bien d'autres individus,
pires que ces personnes, qui ont été réhabilités. Dois-je donc
m'abstenir de parler de quoi que ce soit de ma province d'origine?
Je ne suis pas un homme politique, au sens classique du
tenne. Je ne suis qu'un simple militant du Parti. Mais lorsque les
gens viennent me soumettre leurs problèmes, ils le font à cause de
ma position auprès du Chef de l'Etat. Ils savent que c'est la voie
sûre pour lui faire parvenir leurs doléances. Je ne suis qu'un
intennédiaire, et mon intervention n'engage en rien le Président de
la République. Je ne fais que mon devoir. Bien des gens inter-
viennent en faveur de leurs protégés qui ont commis des fautes
graves, y compris la dilapidation ou le détournement des fonds
publics. Souvent, ils le font par l'intermédiaire des amis du Chef
de l'Etat, et non à visage découvert. Moi, je suis à ses côtés, et je
ne conçois pas de passer par des intermédiaires pour lui dire tout
ce qui m'est rapporté. Comment peut-on être l'un des plus
proches collaborateurs du Président de la République sans avoir la
possibilité de lui rapporter quoi que ce soit? J'ai pensé, et continue
à penser qu'il est temps que je m'impose une retenue totale. Je n'y
suis pas encore parvenu. C'est mon caractère. Mais la volonté doit
quelquefois façonner le caractère. Je m'efforcerai de parvenir à ce
, résultat.

22 octobre
Depuis quelque temps, il ne m'a pas été possible de noter mes
entretiens avec le Président, faute de temps. Ses jugements sur les
hommes et les événements, ses rapports avec ses homologues
africains, notamment ceux qui se gargarisent de propos révolu-
tionnaires pendant que leurs compatriotes meurent de faim.
Depuis son retour d'Espagne, le Chef de l'Etat a des problèmes de
santé. Son visage en porte les stigmates. Il m'en a à plusieurs
reprises parlé: des maux de tête persistants, des nausées après les
repas, des insomnies et, des palpitations de cœur ces derniers
temps. Or tous les examens auxquels il s'est soumis ne révèlent
aucune anomalie. Ce qui me conduit à porter ces mots dans ce
journal, c'est que ce matin, il m'a signalé la persistance de ces
malaises. Plus grave, il me rapporte que durant son sommeil, il a
l'impression d'avoir de légères syncopes, qui doivent, selon ses
propres déductions,provenir des calmants qu'il prend.

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Il m'apprend qu'il se rendra à Nice le Jeudi 28 octobre pour


consulter son cardiologue et son neurologue qui, avec son méde-
cin de famille, doivent lui faire subir des examens approfondis. Je
ne dissimule pas mes inquiétudes pour ce pays et pour l'homme.
Le pays est difficile et fragile. A ce stade, je n'arrive pas à
m'imaginer la relève au cas où le Président se trouverait dans
l'incapacité d'assumer ses fonctions à la tête de l'Etat.

28 octobre
Le Chef de l'Etat décolle de Yaoundé à 10h, à destination de
Nice via Douala. Le Boeing 727 qui ne peut pas décoller de
Yaoundé avec les réservoirs pleins, la piste étant trop courte, ne
fera le plein de carburant qu'à Douala. A l'exception du
gouverneur et du Délégué du Gouvernement, personne n'est
autorisé à venir accueillir Ahidjo à Douala. Il restera à l'aéroport,
le temps de faire le plein. De même au départ de Yaoundé, seuls le
Premier ministre, le Directeur du Cabinet civil et moi- même
devions le saluer à l'aéroport. C'est dans ces conditions qu'il s'est
envolé, nous laissant inquiets.

30 octobre
J'appelle le Président. Au bout du fil, se trouve Hamidou, le
Maître d'hôtel, qui répond:
- Le Président est sorti, me répond-il.
Il me demande de rappeler entre 12h et 12h30, ce que je fais.
Je tombe sur le Président lui-même et lui narre l'incident intervenu
à l'aéroport de Garoua au cours de l'escale du Président Kolingba
de Centrafrique. Ce dernier, ayant à plusieurs reprises demandé,
sans succès, d'effectuer une visite au Cameroun, notamment à
l'occasion des cérémonies du 20 Mai, nous boude ostensiblement.
Rentrant d'une visite en France, sa Caravelle, qui logiquement
aurait dû faire le plein à Garoua avant de continuer sur Bangui,
porte son choix sur Maïduguri au Nigeria. Malheureusement pour
lui, des émeutes à caractère politico-religieux se déroulent dans
cette ville. Selon les chiffres officiels, il y aurait entre 350 et 400
morts. La Caravelle n'ayant pas été autorisée à se poser à Maïdu-
guri, met le cap sur Garoua. C'est dix minutes à peine avant son
atterrissage que le Gouverneur Ousmane Mey est prévenu. Il se
précipite vers l'aéroport et y arrive au moment précis où l'avion
présidentiel s'immobilise en bout de piste. Il attendra en vain au
bas de la passerelle que le Président centrafricain descende. Le
protocole finit par lui faire savoir que le Président Kolingba
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préfère rester à bord durant l'escale. Le Gouverneur, surpris,


demande à monter à bord pour saluer le Président. Ce dernier,
consulté, donne son accord. Ousmane monte et essaye de
convaincre le Président Konlingba de descendre et d'attendre au
salon d'honneur. Ce dernier maintient sa position: il restera à
bord.
tt_
Que vais-je dire à votre frère Ahidjo? Que vous êtes passé
par ici et avez refusé de fouler le sol camerounais ?"
Le Président Centrafricain ne descendra pas. "Alors, au
revoir, Monsieur le Président", dit le Gouverneur. Le Président
centrafricain passera une heure trente minutes à bord avant de
s'envoler pour Bangui. Et si une panne technique avait été
décelée, obligeant le Président Kolingba à passer la nuit à Garoua,
qu'aurait-il fait?
J'évoque ensuite avec le Président d'autres sujets d'actualité.
Au téléphone, sa voix est faible. Je n'ose pas lui demander ce
qu'il en est des examens médicaux qu'il devait subir. Il
m'annonce son retour pour Mercredi ou Jeudi, puis me dit au
revoir.

3 novembre
Au cours de la matinée, le Cabinet civil me signale que le
Président sera de retour le jour même à 15h. L'accueil se fera
, comme au départ, à savoir, le Premier ministre, le Directeur du
Cabinet civil et moi-même. A mon arrivée à l'aéroport, l'accès
donnant au salon d'honneur est fermé. Je demande à mon
chauffeur de passer par le camp ASECNA voisin. Le Premier
ministre et le Directeur du Cabinet civil sont déjà là. Le Boeing
727 présidentiel se pose à 15h40. Nous sommes au bas de la
passerelle. Le Président descend, visiblement fatigué. Il est suivi
par Mme Ahidjo, détendue, rayonnante et souriante comme
d 'habitude, qui nous salue. J'ignorais qu'après avoir assisté le
Vendredi dans l'amphi 700 de l'Université de Yaoundé à la céré-
monie au cours de laquelle sa fille aînée a prêté le serment
d'Hippocrate et reçu le diplôme de Docteur en médecine, elle avait
rejoint son mari sur la Côte d'Azur. Comme d'habitude, le
Président appelle le Premier Ministre au salon. Ils s'entretiennent
pendant quelques minutes, puis il me fait appeler.- Je lui rapporte
qu'il n'y a rien à signaler. Ensuite, je lui demande s'il a pu avoir
les résultats de ses examens médicaux avant son retour au Came-
roun. En effet, ayant constaté que la Présidente est plutôt déten-
due, j'en ai déduit que les résultats des examens médicaux de son

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époux sont plutôt rassurants. "Nous en parlerons demain. Vous


savez que le voyage a été long et fatigant", rétorque Ahidjo. Il me
demande d'appeler Beb, le Directeur du Cabinet Civil. Puis, sans
escorte, comme au départ, dans sa CX Citroën suivie de quelques
véhicules de sécurité, nous regagnons le Palais de l'Unité, respec-
tant les priorités et les feux rouges.

4 novembre
L'Aide de camp me fait dire que le Président me recevra à
10h15. Pour moi, il s'agit d'une audience de routine, comme
c'est le cas tous les matins. Je m'attends cependant à ce qu'il me
parle de sa santé, comme promis la veille à l'aéroport: "Nous en
parlerons demain", m'avait-il répondu. Je trouve le Président
visiblement fatigué. C'est alors qu'il me révèle ce qu'il a dû
méditer, ruminer pendant des mois, voire des années.
_
J'ai décidé de démissionner. En effet, depuis un certain
temps, je constate que je ne suis plus à même d'assumer pleine-
ment mes fonctions à la tête de l'Etat. Mes nerfs sont à bout, et
mes médecins m'ont prescrit un repos complet d'un an, renouve-
lable. J'ai donc vu Biya. Je lui ai dit que vous avez seIVi avec
dévouement l'Etat, et qu'il est souhaitable que vous continuiez à le
faire. Il vous proposera donc soit le ministère du Travail et de la
Prévoyance Sociale, soit le département de l'Agriculture avec le
, titre de ministre d'Etat. Toutefois, au cas où vous ne désireriez
pas continuer à faire partie du Gouvernement, vous pourriez aller
à la Société Nationale d'Investissement en qualité de Président
Directeur Général.
Je tombe des nues, rien ne m'ayant laissé prévoir un tel
dénouement. J'arrive à peine à maîtriser mon émotion. Je lui pose
la question de savoir pourquoi il en est arrivé à une décision aussi
grave. Je ne lui cache pas que pour ses collaborateurs immédiats,
dont moi-même, et surtout pour le pays, c'est une catastrophe. Et
que, s'il vient à mettre à exécution ses intentions, je n'aurais pas
d'autre choix que de me retirer chez moi à Nkongsamba pour
m'occuper de mon exploitation agricole; qu'en tout état de cause,
je n'aurais pas le courage de continuer.
_ Mais ce n'est pas possible. L'Etat doit continuer après moi.
Comme il insiste, je lui demande de me laisser un temps de
réflexion, afin que je puisse également consulter mon épouse.
_ D'accord. Je vous rappellerai cet après-midi pour connaître
votre décision.

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Sur ce, je quitte son bureau. Dans le salon d'attente, je trouve


mon adjoint, Sadou Daoudou qui, lui, doit être à reçu à 10h30. Je
lui révèle l'objet de son audience:
- C'est une catastrophe, lui dis-je. Le Président a décidé de
démissionner.
Je me retire alors que Sadou pénètre dans le bureau du Prési-
dent. Peu de temps après, il me rejoint dans mon bureau, les yeux
rouges. Il a dû pleurer en apprenant la nouvelle.
- Je n'ai pas pu me maîtriser, me dit-il. J'ai éclaté en
sanglots. Ce n'est pas possible. Est-ce un rêve ou la réalité?
Je lui apprends que je préfère me retirer chez moi, mais que
sur l'insistance du Président, j'ai demandé un temps de réflexion.
"Je lui communiquerai ma décision seulement cet après-midi," lui
dis-je. Sadou Daoudou m'apprend que c'est également sa
réaction, qui n'a pas été acceptée par le Président. Ce dernier a
proposé à Biya que lui, Sadou, devienne Secrétaire Général de la
Présidence de la République.
- Après tout, poursuit Sadou, le Président a raison. Notre
départ serait interprété comme un refus de collaborer avec le
nouveau Président. Certains ne manqueraient pas de nous prêter
des intentions et d'insinuer que nous sommes ambitieux. Puis il
ajoute:
- Penses-tu qu'ils te laisseront tranquille si tu t'installes chez
toi? Tu seras considéré comme un opposant au régime, et on te
collera sur le dos tout ce que tu ne peux imaginer. As-tu vu en
Afrique quelqu'un se retirer de l'équipe en place, même s'il en a
envie?
A peine Sadou est-il sorti de mon bureau que j'appelle mon
épouse et lui demande de préparer nos effets personnels pour le
départ. Elle ne comprend rien.
- Que se passe -t-il ? T'es-tu brouillé avec le Président?
- Non. Téléphone au Dr Etamé et dis-lui d'être là avant mon
retour du bureau.
Je rentre à mon domicile à 12h40. Etamé Ewanè est là avec
son épouse. A quatre, nous analysons la situation. Nous aITivons
à la conclusion que je ne dois pas me retirer, sauf si le nouveau
Président ne sollicite pas ma collaboration. Etamé aurait préféré le
département du Travail et de la Prévoyance Sociale. Mais moi, je
ne suis pas du tout décidé à faire partie de la nouvelle équipe.
Avant de quitter mon bureau à 12h30, j'avais glissé un mot au
Président, dont le contenu est le suivant: "Vous avez consacré
presque toute votre vie active à ce pays. Est-ce trop vous deman-

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der de continuer, aussi longtemps que le peuple comptera sur


vous, quelle que soit la gravité de votre état de santé? D'autres
ont succombé à la tâche, bien que se sachant condamnés".
L'après-midi, je n'ai pas attendu qu'il m'appelle. Je demande
à le voir. Il me reçoit à 16h.
- Alors? me demande-t-il.
Je ne réponds pas. Cette fois, je ne parviens pas à me contrô-
ler.
- Monsieur le Président, j'ai consulté mon épouse. Vous
savez qu'elle n'a pas fait de hautes études. Mais elle est douée
d'une logique et d'un bon sens qui, très souvent, m'ont été d'un
précieux concours. Elle m'a dit ceci: "il est des Présidents
beaucoup plus âgés que lui, et malades. Ils passent dix mois sur
douze à l'étranger pour se soigner et se reposer, mais demeurent à
la tête de leur pays. C'est une couverture et une sécurité pour le
pays. Pourquoi ne ferait-il pas de même" ? Et moi j'ajoute: si
votre décision n'est pas définitive, et me basant sur la réflexion de
mon épouse, j'ose vous proposer une autre solution: révisez la
constitution, faites du Premier Ministre le chef du Gouvernement
et restez à la tête de l'Etat.
- Mais, Eboua . Il m'est demandé d'arrêter pendant un an ou
même deux. Comment garder le titre, sachant moi-même que je ne
pourrai pas m'acquitter de ma mission? Ce ne serait pas rendre
,
service à mon pays.
- Alors? me questionne-t-il à nouveau pour connaître ma
décision personnelle.
- Je me retire, Monsieur le Président.
- Ce n'est pas possible, Eboua. Et si j'avais péri dans un
accident d'avion par exemple, vous auriez tous abandonné le
service de l'Etat? Je ne comprends pas. Je pose la question à un
tel, il hésite. Je fais des propositions à tel autre, il pleure. Si je
vous ai gardé longtemps à mes côtés, comme certains autres,
c'était pour assurer la continuité de l'Etat.
- Pour ce qui est de vos trois propositions, Monsieur le
Président, j'ai déjà été dans le parapublic. Je pense qu'il ne serait
pas souhaitable que j'y retourne, du moins dans l'immédiat.
- Alors, vous avez le choix entre deux départements ministé-
riels: l'Agriculture et le Travail.
Je ne désespère pas pour autant de le faire revenir sur sa déci-
sion. Je ne me souviens plus à quel propos il parle du Parti, ce à
quoi je lui rétorque:

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- Mais, Monsieur le Président, vous parlez du Parti. Le Parti


grâce auquel tient le régime, c'est vous.
C'est alors qu'il me révèle sa décision de rester Président du
Parti. Je sors de son bureau sans réellement avoir fait une option.
Je suis à peine revenu dans mon bureau que l'Aide de camp
m'appelle pour me dire qu'un conseil ministériel se tient à 18h30.
Or, c'est moi qui propose et la date et l'ordre du jour des conseils
ministériels. Une fois l'ordre du jour approuvé par le Président, il
me revient de les convoquer, d'indiquer aux ministres qui doivent
faire des communications les sujets de leurs exposés. Cette fois,
j'ignore tout du Conseil ainsi improvisé. Je déduis qu'il s'agit,
pour le Président, d'informer les membres du gouvernement de sa
décision de démissionner. Par ailleurs, certains ministres, dont
Sadou, membres du Comité Central du Parti, me signalent que
ledit Comité Central est convoqué pour 18h, mais que personne
ne leur a parlé du conseil ministériel. Je contacte donc à nouveau
un aide de camp pour savoir s'il s'agit d'un Conseil ministériel ou
d'une réunion du Comité Central du Parti. Il me répond qu'il
s'agit des deux, à une demi-heure d'intervalle, et que les Ministres
ne sont pas informés. Il me revenait donc de convoquer le conseil
ministériel. Je charge mon secrétariat de contacter individuelle-
ment tous les ministres pour le Conseil de 18h30.
A 18h15, je suis au 3ème étage du Palais de l'Unité. Le
'Comité Central siège, non au Palais des Congrès comme
d 'habitude, mais dans la salle des Conseils ministériels. Il est
bientôt 18h30. Certains membres du Comité Central, foudroyés
par ce qu'ils viennent d'apprendre, sortent de la salle en pleurant.
"Mme Keutcha, secouée par des sanglots, est soutenue par un
collègue. Pendant ce temps, d'autres membres du Comité Central
discutent dans la salle.
C'est alors que nous apprenons que plusieurs membres du
Comité Central du parti ont pleuré, lorsque le Président a déclaré
qu'il cessera ses fonctions le samedi 6 novembre à 10h. Sa décla-
ration n'a pas pris plus de deux minutes. Il a aussitôt regagné son
bureau. Les membres présents du Comité Central décident alors
de dépêcher auprès de lui une délégation ayant pour mission de le
prier de revenir sur sa décision,et de rester à la tête du Parti, de
l'Etat, et du Gouvernement. Le Ministre Charles-Joseph Doumba
me dira par la suite que la délégation était conduite par le Premier
ministre, et qu' Assalè en était le porte-parole. Doumba, ira lui-
même annoncer l'arrivée de cette délégation. Celle-ci ne réussit

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pas à faire revenir Ahidjo sur sa décision. Pour dissuader les uns
et les autres, le Président évoque son état de santé.
Déjà, arrivent les Ministres pour un conseil sans ordre du
jour. Ils ne comprennent rien à ces scènes qui se déroulent dans le
hall du 3ème étage du Palais de l'Unité. Ils pénètrent dans la salle
du conseil que viennent de libérer les membres du Comité Central
du Parti. Le Premier ministre et plusieurs membres du Gouver-
nement sont déjà dans la salle lorsque j 'y pénètre à mon tour. Les
uns sont assis, les autres debout, attendant que les cartons indi-
quant leurs places soient posés par le service du protocole. Le
Président, qui n'est pas annoncé par un huissier comme
d'habitude, fait son entrée. Je l'aperçois et me lève. Le Premier
Ministre, me voyant me lever, et surpris de constater que le
Président est déjà près de son siège, se lève brusquement à son
tour. Il est assis à la droite du Président, et moi, à sa gauche.
D'une voix faible, le Président déclare:
_ Mesdames, Messieurs, je vous ai appelé pour vous dire
que je démissionne de mes fonctions de Président de la Répu-
blique. Cette décision prend effet à compter du Samedi 6
Novembre 1982 à 10 heures. Je remercie chacune et chacun de
vous du concours qu'il m'a apporté, dans le secteur qui était le
sien.
Plusieurs membres du Gouvernement éclatent en sanglots.
, Certainsd'entre eux, membresdu Comité Centraldu Parti avaient
déjà pleuré une demi-heure avant. Spectacle insupportable. Le
Président se lève et regagne son bureau.
Désemparés, les membres du Gouvernement sortent, les uns
après les autres, tel un troupeau désormais sans berger. Ils se
retrouvent dans le hall du Palais. Certains proposent qu'une délé-
gation aille prier Ahidjo de revenir sur sa décision. Sadou et moi-
même les dissuadons de former une telle délégation dont la
démarche n'aboutira à rien. Je regagne mon bureau pendant que
les journalistes convoqués pour enregistrer la déclaration annon-
çant la démission d'Ahidjo à diffuser à 20h, arrivent au Palais et
commencent à installer leurs appareils.
C'est alors que le ministre Guillaume Bwélé, chargé de
l'Information et de la Culture, me demande s'il ne faut pas
consacrer la totalité du journal de 20h à cet événement, compte
tenu de son importance. Je lui donne mon accord. Avant comme
après cette déclaration, ce sera de la musique traditionnelle.
Aucune autre nouvelle, intérieure ou extérieure. Cette déclaration
doit être rédigée avant l'enregistrement, et il n'y a plus qu'une
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petite heure pour le faire. Heureusement qu'il est possible de


retarder le journal parlé, à chaque fois qu'un événement important
se produit. Tout le monde le sait. Lorsque de la musique en
continu est diffusée à I'heure où le journal de l3h ou de 20h doit
passer, chacun se dit qu'il va se passer quelque chose
d'important, et demeure à l'écoute. Ce soir du 4 novembre 1982,
le suspense durera 23 minutes, avant que l'hymne national
n'annonce la déclaration du Chef de l'Etat:
"Camerounaises, Camerounais, mes chers compatriotes. J'ai
décidé de démissionner de mes fonctions de Président de la Répu-
blique du Cameroun. Cette décision prendra effet le samedi
6 novembre à 10 h. En cette circonstance capitale, je voudrais du
fond du cœur remercier toutes celles et tous ceux qui, depuis
bientôt vingt-cinq ans m'ont accordé leur confiance et apporté leur
aide dans l'accomplissement de mes lourdes tâches à la tête de
l'Etat. Je voudrais tout particulièrement remercier les militantes et
les militants de notre grand Parti national, l'U.N.C. de leur
soutien total, constant et inébranlable.
"S'il reste beaucoup à faire dans la grande et longue œuvre de
construction de notre cher et beau pays, nous avons ensemble
accompli après l'indépendance, la réunification et l'unification,
des progrès considérables dans tous les domaines. Notre pays
dispose d'atouts importants: l'unité nationale consolidée, des
ressources nombreuses, variées et complémentaires, une écono-
mie en expansion continue, des finances saines, une justice
sociale en amélioration, une population laborieuse et une jeunesse
dynamique, de solides et fructueuses relations d'amitié et de
coopération en Afrique et dans le monde.
"J'invite toutes les Camerounaises et tous les Camerounais à
accorder sans réserve leur confiance, et à apporter leur concours à
mon successeur constitutionnel, M. Paul Biya. Il mérite la
confiance de tous, à l'intérieur et à l'extérieur. Je vous exhorte à
demeurer un peuple uni, patriote, travailleur, digne et respecté. Je
prie Dieu Tout-Puissant afin qu'il continue à assurer au peuple
camerounais la protection et l'aide nécessaires à son développe-
ment dans la paix, l'unité et la justice.
tt
Vive le Cameroun.
A cet instant précis, le peuple camerounais foudroyé par cette
nouvelle qu'il n'attendait pas, est médusé, pétrifié. Il croit rêver.
"Le temps semble avoir suspendu son vol". Dans les grandes
villes, telles que Yaoundé et Douala, les rues sont désertes. Les

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bars sont fermés. Chacun s'est enfenné chez soi. Beaucoup de


gens pleurent. Quelqu'un affinne avoir cassé son poste radio. Un
autre raconte qu'il se trouvait dans son véhicule à l'heure des
informations. Son chauffeur, en écoutant la nouvelle, a failli
s'écraser sur un arbre. "Patron, me dit-il, il est mort, le Président.
Le Président est mort. Il ne peut s'agir que d'un message enregis-
tré avant sa mort " D'autres enfin ont pensé à un coup d'Etat, et
donc que la déclaration se faisait sous la contrainte des militaires.
Ce soir-là, je ne lui ai monté aucun dossier.

5 novembre
Le capitaine Abdoulaye m'annonce que le Président me reçoit
à IOh. Je me rends à son bureau à l'heure convenue et le trouve
dans son fauteuil, plus détendu et même souriant, ce qui était rare
ces derniers temps. Comme d'habitude, il plonge la main dans la
poche du côté droit de sa gandoura, en retire l'éternelle noix de
kola dans laquelle il mord, puis la remet dans la même poche.
_ Eboua, hier, quand j'ai vu toutes ces scènes, au Comité
Central du Parti, au Conseil ministériel et dans mon entourage,
j'ai failli craquer. Ma femme, qui seule était dans le secret de mon
départ des affaires de l'Etat et qui est parfaitement d'accord avec
moi, m'a cependant posé une question: "à qui vas-tu laisser le
pays ?" Je lui ai répondu que la Constitution prévoit la succession
,
à la tête de l'Etat, et que Biya était là. Elle a levé les bras au ciel et
nous nous sommes fâchés. Elle m'a raconté que ma fille, la plus
sensible, qui se trouve en classe terminale a pleuré. Celle qui est
médecin a exigé que sa mère lui présente les résultats de mes
examens médicaux. "Mon père est-il condamné ?" a-t-elle
demandé.
Je lui rapporte que de mon côté, je n'ai pas fermé l'œil de la
nuit. Il reconnaît que c'est une dure épreuve. C'est alors qu'il me
confinne sa décision de rester président du Parti, mais se hâte
d'ajouter:
- Les deux titres, Président de la République, et Président du
Parti sont liés. Je garderai la Présidence du Parti pendant un an au
plus, puis je la céderai au nouveau Président de la République. Je
lui réponds que si telle est son intention, le Congrès serait
l'occasion idéale pour l'annoncer publiquement.
- On verra.
Puis, il me parle de Doumba.
- Je l'ai appelé hier soir, et lui ai demandé de s'asseoir dans
un fauteuil. Il s'agissait de lui dicter les grandes lignes de la décla-
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ration que j'allais faire, et qu'il devait rédiger. Lorsque je lui ai


dicté la phrase selon laquelle j'invitais tous les Camerounais et
toutes les Camerounaises à accorder sans réserve leur confiance à
mon successeur constitutionnel Paul Biya, il a tressailli de joie:
"oui, oui", m'a-t-il dit. C'était indécent...Je savais qu'il était
l'homme de Biya, mais tout de même! Biya m'en avait lui-même
parlé. Un jour, vous m'attendiez à l'aéroport, à l'occasion d'un
retour de voyage. Doumba, s'adressant à Biya, l'appelle
"Monsieur le Président de la République par intérim"; Biya lui-
même était gêné.
Il en arrive au "coup" que Sabal Lecco et Adalbert Owona26
lui ont fait
- Trois cent cinquante millions de francs pour des brochures
qui, imprimées sur place, n'auraient pas coOté la moitié du prix!
Ils se sont partagé l'argent. C'est sOr...Je vais le limoger.
Il s'agit certainement de Sabal, Secrétaire Politique du Parti.
Puis il me dit:
- Les anciens Présidents de la République ont droit à un
certain nombre de collaborateurs: Conseillers techniques et
Chargés de missions. J'ai pensé à Sadi, Conseiller pour les
Affaires diplomatiques au Secrétariat Général de la Présidence. Il
me serait utile pour la politique européenne et internationale.
Sondez-le pour voir si cela l'intéresse. Evidemment, tout dépend
,de lui. Il faudra qu'il le veuille.
Je lui pose la question de savoir s'il faudra lui monter les
dossiers en fin d'après-midi.
- Mais, bien sOreJe suis encore Président de la République
jusqu'à demain 10h .
- Ce n'est pas dans ce sens que j'ai posé la question,
Monsieur le Président. C'est à cause de la fatigue que vous
ressentez, et à laquelle est venue s'ajouter la dure journée d'hier.
- En effet. Mais vous savez, c'est tôt le matin que générale-
ment j'examine les parapheurs. A cette période de la journée, il
n'y a aucun problème.
Je profite de cette occasion pour lui faire signer les derniers
textes: titularisation d'un directeur par intérim au Secrétariat géné-
ral de la Présidence de la République, nomination de trois chefs de
Bureau dans le même Secrétariat... Dans la journée, le Cabinet
Civil a remis à mes services, pour enregistrement, un décret signé
sur stencil, modifiant le décret fixant le montant de la pension des

26. Secrétaire politique du Parti, et Conseiller technique du Secrétaire


Politique.
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anciens Présidents de la République. Le Directeur des Affaires


réglementaires avait reçu, de ma part, l'ordre de garder les origi-
naux des textes signés par le Chef de l'Etat. Ceci suppose que ces
textes soient tapés sur du papier blanc pour être ensuite tirés, car
le stencil se conserve difficilement. Il m'apporte le texte en
question déjà signé sur stencil par le Chef de l'Etat, et me
demande la conduite à tenir. Je fais reprendre ledit texte sur du
papier ordinaire après l'avoir fait modifier sur certains points par
le Conseiller aux Affaires Juridiques. Je le soumets à nouveau à la
signature du Chef de l'Etat.
- Ah, ce stencil! Je l'ai signé depuis l'année dernière. Mais
j'avais demandé au Directeur du Cabinet civil de le conserver,
sans le faire enregistrer.
Il signe donc le nouveau texte que je lui soumets pour me
pennettre de détruire le stencil. C'est la preuve irréfutable pour
moi que le Président ruminait depuis un certain temps l'idée de
son départ, et que la décision de ce départ n'est pas aussi
impromptue que nous le pensons. Je lui pose la question de savoir
s'il peut me recevoir le lendemain 6 Novembre. Il accepte et me
demande de passer dans ses appartements à 9h, avant de me
rendre à l'Assemblée pour assister à la prestation de serment du
nouveau Président. A 2Ih, Sad ou Daoudou m'appelle au
téléphone:
- Le nouveau Président veut savoir si la passation de service
s'est déjà effectuée entre nous.
- Je n'ai pas encore été reçu par le nouveau Président. De
quelle passation de service s'agit-il?
Sadou m'a rapporté que le Président Biya l'avait reçu, et lui
avait demandé de rester à la tête du Secrétariat général de la
Présidence de la République. J'étais donc remercié. Encore fallait-
il qu'on me le dît. Suite à ma réaction, Sadou s'adresse à nouveau
au Chef de l'Etat qui vient de prêter serment, pour savoir de quelle
passation de service il s'agissait, et notamment s'il m'a déjà reçu.
Le Président Biya reconnaît ne m'avoir pas encore reçu, mais
assure Sadou qu'il le fera incessamment. Il demande donc à celui
qui jusque-là est mon adjoint de constituer un secrétariat avec moi
pour élaborer les textes. Lesquels? Nous n'en savons rien.

6 novembre
Je suis reçu par le Président Ahidjo à 9 h, soit une heure avant
l'expiration du délai qu'il s'est donné pour mettre un terme à ses
fonctions de Président de la République. Je le trouve dans ses
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appartements et lui demande de me remettre les parapheurs montés


la veille. Il me répond qu'ils sont déjà dans mon bureau. Ayant
appris qu'il quitte la Capitale dès cet après-midi, je veux connaître
l'heure de son départ afin d'aller le saluer à l'aéroport. Il me
répond qu'il décolle à 15h et ajoute:
- Je ne veux voir personne à l'aéroport, excepté le nouveau
Président de la République, le Premier vice-président de
l'Assemblée Nationale, en l'absence du Président Muna; vous-
même et vos adjoints, le Directeur du Cabinet Civil et des deux
ministres Chargés de Mission à la Présidence de la République. Je
pars pour Garoua, me dit-il, où seuls Ousmane Mey et le Maire
Bako seront à l'aéroport pour m'accueillir.
Dès le lendemain, il s'envolerait pour Nice.
Il refuse qu'on avance quelque raison que ce soit pour justi-
fier sa démission. A l'intention de Hervé Bourges de Radio-
France-Internationale qui m'a téléphoné de Paris pour connaître
les raisons de ce départ, afin de couper court à toutes les spécula-
tions, le Président Ahidjo me dit: "Vous lui direz que ni des
raisons économiques et sociales, ni des raisons politiques ne sont
à l'origine de mon départ des affaires du pays. Seulement, après
près de vingt-cinq ans de pouvoir, les nerfs en prennent un coup
et la fatigue s'ensuit..."
Je lui rends compte des résultats de la mission qu'il m'a
- confiée auprès de Sadi qui accepted'être son conseillertechnique.
Au moment de le quitter, je lui réitère mon attachement. Il me
répond:
- Vous avez mon numéro de téléphone. Si Dieu me prête vie,
j'écrirai mes mémoires. Vous avez été d'un dévouement et d'une
efficacité exemplaires. Lorsque j'étais absent, je ne me faisais
aucun souci, parce que je savais que vous étiez là. Pour cent
problèmes qui se posaient en mon absence, vous en résolviez
quatre-vingt-dix, exactement dans le sens où je l'aurais fait moi-
même...
Troublante concordance avec ce que le Commandant Ibrahim
m'a révélé dans mon bureau la veille, 5 Novembre à 11h30 :
- Vous savez, le Président avait entièrement confiance en
vous. Lorsque nous nous trouvions sur la Côte d'Azur, et que se
posait un problème, il répondait invariablement: "Allez voir
Eboua". En réalité, nul ne saura ce qui est arrivé au Chef de l'Etat.
Savez- vous qu'il était sur le point de remanier le Gouvernement?
Nous nous séparons à 9h15 et je fonce vers l'Assemblée
Nationale où le successeur constitutionnel doit prêter serment à
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lOh. A la sortie de cette cérémonie, Sadou et moi regagnons nos


bureaux. Le nouveau Président nous convoque tous les deux. Il
nous parle du remaniement convenu avec le Président sortant.
Nous répondons qu'il serait souhaitable de donner lecture de la
composition du nouveau gouvernement à la radio, y compris les
noms de ceux qui ne changent pas de portefeuille. Nous nous
basons sur le fait qu'un nouveau Président, qui vient de prêter
serment, doit former un nouveau gouvernement, fût-il composé
des mêmes hommes que le précédent, et non procéder à un rema-
niement.
Après nous avoir demandé de sortir un instant, il consulte, au
téléphone, son prédécesseur qui vient à peine de se poser à
Garoua. Peu de temps après, il nous fait rentrer.
- C'est la continuité. Seuls les changements intervenus
seront publiés et on ajoutera: "le reste, sans changement", nous
dit-il, dans ce bureau où, ce matin encore, trônait Ahidjo.
Il est convenu qu'après la présentation des Corps constitués à
l7h, nous examinerons avec lui ces changements qui doivent être
rendus publics à 20h, afin de couper court à toutes les spécula-
tions et intoxications. Jusque-là, le nouveau Président ne me dit
rien sur le sort qu'il compte me réserver. Lorsque vers 18h45,
.
après le cocktail,il m'appelledans son bureau pour me remettrela
liste des personnes qui changent de poste et de celles qui entrent
dans le Gouvernement - je suis le seul dans ce cas - ainsi que
quelques autres projets de décrets, il n'ose pas me dire qu'il me
propose le poste de ministre d'Etat chargé de l'Agriculture. C'est
à peine s'il murmure: "Le Président sortant a da vous dire..." Il
.,ne termine pas sa phrase. Il me remet les noms manuscrits qui
,

doivent faire l'objet de cinq projets de décrets.


Le premier de ces textes nomme Bello Bouba Maïgari,
Premier Ministre. Le second me nomme Ministre d'Etat chargé de
l'Agriculture, en remplacement de Tonyé Mbog nommé Ministre
du Travail et de la Prévoyance Sociale. Engo Désiré est nommé
Ministre de l'Economie et du Plan en remplacement de Bello
Bouba Maïgari. Aminou Oumarou est nommé Ministre des
Affaires Etrangères. Un vice-ministre de l'Economie et du Plan,
est également nommé en la personne de Mme Tanku Elisabeth.
Un troisième décret nomme Sadou Daoudou Secrétaire Général de
la Présidence de la République avec rang et prérogatives de
Ministre d'Etat, et Kamgueu Daniel, jusque-là Ministre du Travail
et de la Prévoyance Sociale, comme adjoint de Sadou Daoudou,
avec rang et prérogatives de Ministre. Un quatrième décret nomme
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Acha, anglophone très estimé par l'ancien Président et par le


Préfet de la Benoué - fait rare - comme Secrétaire Général des
Services du Premier Ministre, en remplacement de Moudiki,
nommé Conseiller technique à la Présidence de la République par
un cinquième texte. Ltensemble de ces décrets est lu à la radio à
20h35, après une longue attente.

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DÉPAR"T DU PRÉSIDENT AHIDJO


6 Novembre 1982

A l'Assemblée Nationale où le nouveau Président doit prêter


serment, je m'entretiens avec le Ministre d'Etat chargé de
l'Administration Territoriale, Ayissi Mvodo. Il a appris, me dit-il,
que le Président Ahidjo qui quitte la capitale en début d'après-
, midi, ne veut voir personne à l'aéroport pour lui dire au revoir.
- Ce n'est pas possible, me dit-il. Nous allons faire un
communiqué pour que la population s'amasse le long du
parcours, à l'heure de son passage, ainsi qu'à l'aéroport. Il ne
peut tout de même pas partir comme ça !
J'apprendrai par la suite que le Président Ahidjo a fini par
céder aux pressions, et a donné son accord pour que la population
de la capitale soit infonnée de son départ. Je me rends à l'aéroport
à 14h15, lui-même devant s'y trouver à 14h30 pour le décollage
fixé à 15h. Entre-temps, un communiqué est passé à la radio invi-
tant la population à s'amasser le long de l'itinéraire et à l'aéroport
pour lui dire au revoir. Malgré l'heure tardive de ce communiqué,
une foule considérable s'est retrouvée le long de son parcours. A
l'aéroport, elle est en tout cas compacte. L'avion à bord duquel le
Président Ahidjo doit s'envoler à destination de sa province
natale, s'est immobilisé à une vingtaine de mètres du perron du
salon d'honneur. Une foule innombrable, s'est massée de part et
d'autre du passage menant à l'avion. Dès que le Président Ahidjo
arrive, et se dirige vers le salon d 'honneur, c'est un spectacle
inoubliable, triste et insupportable qui a lieu: des mains sont
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tendues vers lui, comme pour le supplier de rester; des sanglots


éclatent ici et là, des lannes que les gens les plus expérimentés et
les plus sérieux n'arrivent plus à contenir Et, lorsqu'il quitte le
salon et se dirige vers l'avion, la foule envahit son passage,
comme pour l'empêcher de s'en aller. Il aura fallu les solides
épaules des "gorilles" pour lui frayer un passage. Et, lorsque, du
haut de la passerelle, il se tourne vers la foule pour la saluer, tous
ces bras de gens en pleurs, tendus vers le ciel, portent l'émotion à
son comble. Peu de temps après, l'avion, revenant du bout de la
piste, décolle à la hauteur de la foule, orpheline, qui se retire des
lieux comme lors d'un enterrement..

12 novembre
Il est 16h30. De la Présidence' de la République, on me
signale que j'irai représenter le Gouvernement camerounais aux
obsèques de Leonid Brejnev qui est décédé à Moscou.
Le 13 Novembre, j'arrive à Paris et appelle l'ancien Président
sur la CÔte d'Azur où il se trouve. Il est surpris d'apprendre que
je l'appelle de Paris.
De retour de Moscou le 16, je l'appelle à nouveau poUf avoir
des nouvelles de sa santé. Il va bien. Le 18, je rentre à Yaoundé.

1 ~r décembre
fi est presque 20h30 lorsque sonne le téléphone à mon domi-
cile. C'est Koula.. Il m'apprend que selon la rumeur, l'ancien
Président va très mal. "ll serait même décédé", me dit-il. Après
l'avoir remercié, je décroche aussitôt mon combiné téléphonique.
.
,J'appelle à Grasse, dans l'arrière-pays niçois où se trouve l'ancien
Président. Le téléphone sonne. Personne ne décroche. Je rappelle,
une fois, deux fois, trois fois, ...personne ne répond. Je suis très
inquiet. La nouvelle de sa mort serait-elle exacte? Tout son entou-
rage serait-il à la clinique? C'est alors que l'idée me vient
d'essayer le deuxième numéro de téléphone, celui d'une conces-
sion louée, et qu'il m'avait également communiqué. Dès le
premier essai, quelqu'un décroche: je reconnais sa voix. Vient-
elle d'outre-tombe ?
- C'est Eboua ?
- Oui, Monsieur le Président, je réponds, soulagé. Je voulais
simplement avoir de vos nouvelles et savoir si Ousmane Mey est
toujours là-bas.

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- Oui, me répond-il. Je sors de clinique. Ils m'ont prescrit un


tas de médicaments à prendre. Ousmane est déjà monté à Paris.
Comment ça va ?
- Rien de particulier à signaler, Monsieur le Président.
Nous nous entretenons ensuite du cas Kuoh Tobie, P.D.G.
de la Régie Nationale des Chemins de Fer, qu'il a proposé au
poste de Délégué du Gouvernement auprès de la Commune de
Douala.
- Si je comprends bien, il préfère rester à la Régie des
Chemins de Fer. Bof! On n'a qu'à l'y laisser. J'avais aussi pensé
au Docteur Barla, actuellement adjoint au Délégué du Gouverne-
ment. Mais il a beaucoup à faire au Port. On verra.
n me dit au revoir et raccroche.
Je prends mon véhicule et me rends au domicile de Koula qui
m'a annoncé cette mauvaise nouvelle. L'intéressé, après m'avoir
téléphoné, s'est carrément barricadé chez lui. A mon appel, il
refuse d'ouvrir sa porte, demandant à plusieurs reprises qui je
suis. Sur mon insistance, et après m'être exprimé en douala, il
s'approche, toujours méfiant, pour identifier à travers les
persiennes la personne qui demande à le voir.
- Entrez de l'autre côté.
- Ouvre la porte.
Il entrebâille la porte, me scrute avec méfiance, puis éclate de
,
rire lorsqu'il me reconnaît. Il ouvre la porte et me demande
d'entrer. Je refuse et le prends en aparté dehors:
- J'ai vérifié ce que tu viens de m'annoncer. Ce n'est pas
exact. Tu as bien fait de m'alerter, mais...Chut...N'en parle à
personne d'autre.
- Je te jure que cela reste entre nous. Tu sais, j'ai eu très peur
que la nouvelle soit confinnée. On ne peut pas toujours prévoir ce
qui va arriver. C'est pourquoi, après avoir délibérément placé
mon véhicule en travers de l'allée menant vers la porte d'entrée de
ma maison, pour que personne ne puisse passer, je me suis barri-
cadé chez moi.
En effet, j'ai dû laisser mon véhicule loin de chez lui, sa
Mercedès barrant la voie. Sur ce, je prends congé de Koula, et
regagne mon domicile.

3 décembre
Il est 16h30. Le téléphone sonne."Théodore Bella veut vous
parler", me signale ma Secrétaire. C'est Zoa Oloa, mon compa-

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gnon de chasse, qui m'a mis en contact avec l'intéressé. Je l'ai au


bout du fil. -
- Je ne vous apporte pas une bonne nouvelle. On vient de
m'apprendre que le Patron -l'ancien Président - va très mal sur
la Côte d'Azur. Je vous le signale pour vérification.
- Je vous remercie, lui dis-je. Je vais le faire immédiatement.
J'ai décidé, en dehors de Koula - pour qu'il ne continue pas
à propager cette fausse nouvelle - et de mon épouse, de ne dire à
personne que j'ai eu au téléphone l'ancien Président, supposé
décédé. Rentré chez moi à l2h.30, j'informe mon épouse de ce
nouveau coup de téléphone annonçant le décès du Président
Ahidjo. Elle m'apprend alors que la nouvelle s'est répandue
partout, jusqu'au fin fond des quartiers. Vers l7h, Ousmane Mey
m'appelle pour me dire qu'il est rentré de France, et qu'il me verra
le lendemain à 9h au bureau.

* *
*

Une semaine plus tard, Mercredi 8 Décembre, Théodore Bella


qui doit passer dans mon bureau pour une commande de meubles
que je désire faire, ne se présente pas. En fin de journée, on
m'apprend qu'il a été arrêté et est gardé à la Police Judiciaire, pour
,fabrication de fausse monnaie. Il aurait introduit dans les
coopératives qui lui livrent du cacao, 200 millions de francs en
fausses coupures de 10 000 francs. C'est vraiment dommage!
J'avais de l'estime pour cet homme.

12 décembre
L'ancien Président se trouve à Yaoundé depuis le Vendredi,
10 Décembre. J'ai demandé au Premier Ministre Bello de lui dire
que je souhaite aller le saluer. Le Premier ministre a dû oublier,
puisque personne ne m'a appelé pour m'indiquer l'heure de
l'audience. Je devais à cette occasion remettre à l'ancien Président
un pli de M Biamès, correspondant dujoumal Le Monde à Dakar.
Par hasard, Sadou Daoudou m'apprend qu'il sera reçu par
l'ancien Président Dimanche à llh.3D.
Dès 9h.30 ce dimanche, je me rends chez Sadou pour déposer
le pli destiné à l'ancien Président dans lequel je lui joins mes
vœux de santé pour l'année 1983. Je ne fais pas allusion à
l'audience que j'ai sollicitée.

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Il est presque Il heures. Je discute avec les fils de Ngollè


Isaac venus me remercier de la reconduction de leur frère Ngollè
Jean-Jacques Richard au poste d'Administrateur Municipal de la
Commune rurale de Nkongsamba. Je leur réponds qu'il s'agit là
d'une décision souveraine de l'ancien Président Ahidjo. Je suis
encore avec encore eux lorsque le commandant Ibrahim fait irrup-
tion dans mon salon et me dit: " le Patron est là ". J'ai tout juste le
temps de demander aux Ngollé de gagner le boukarou, par
l'entrée qui donne sur le jardin. Le Président Ahidjo entre.
_
Alors? Ainsi, vous m'évitez depuis que je suis arrivé!
_ Pas du tout, Monsieur le Président. J'ai demandé au
Premier Ministre Bello de vous dire que je comptais passer vous
saluer. Dans l'attente, j'en ai également parlé à Sadou qui m'a
appris que vous lui avez fixé audience à Il h. 30. Je rentre de
chez lui où j'ai déposé un pli pour vous.
_ Bello ne me l'a pas dit. Effectivement, je reçois Sadou à
11h30. Je vais mieux. Ils m'ont donné beaucoup de médicaments
à prendre.
Nous évoquons ensuite la rumeur sur son décès. Il me dit
qu'il est passé par le Sénégal où il a rencontré les Présidents
Senghor et Abdou Diouf.
_ Puis, lorsque j'ai appelé le Président Houphouët-Boigny
pour lui dire que je venais le voir, il n'en a pas cru ses oreilles!
. Surpris, il m'a demandé les dispositions qu'il fallait prendre. Il a
dû penser à une ambulance!
Il m'expose ensuite son programme. Il se rend demain dans
le Nord, fera une tournée dans les provinces pour rassurer les
populations qui ont appris qu'il était décédé. Il se fixera par la
suite à Mayo Oulo pour se reposer. Il me demande si je continue
les visites de prise de contact avec mon département ministériel,
comme Ousmane Mey le lui a rapporté. Je réponds par
l'affirmative. Il se lève, me demande des nouvelles de ma famille.
J'en profite pour appeler mon épouse qui vient le saluer. Pendant
notre conversation, mon petit-fils, Bayom-Ba-N'kom Cléry-
Samuel fait irruption et va dire bonjour au Président. Je le prends
par la main pour le conduire vers mon épouse, alors qu'il lance au
Président: "au revoir", en agitant la main. Il a deux ans et cinq
mois. Une fois à l'extérieur, avant de monter dans sa voiture,
Ahidjo s'enquiert des nouvelles de mon fils Eugène. Il sait que ce
dernier me cause du souci. Je lui apprends qu'il se trouve à Paris,
que les nouvelles ne sont pas mauvaises, et qu'il est régulièrement

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inscrit en maîtrise de droit public. Sur ce, il monte dans son véhi-
cule et s'en va. A peine trois agents de la sécurité l'accompagnent.

14 décembre
Je téléphone au Premier Ministre Bello Bouba Maïgari pour
lui dire que j'étais absent Dimanche, lorsqu'il m'a appelé et que je
l'ai rappelé pour apprendre qu'il avait voyagé.
- En effet. Je m'étais rendu dans le Nord. Je vous ai appelé
pour vous dire que le Patron allait vous faire une surprise.
Contrairement à ce que j'avais pensé, et en dépit de la déné-
gation de l'ancien Président, le Premier Ministre lui a donc bel et
bien rapporté mon désir de passer le saluer. Ahidjo a préféré, lui,
passer à mon domicile. Et tous ses gestes étant calculés, lui séul
en connaît les raisons.

15 décembre
A l'occasion de la réunion de l'U.D.E.A.C., au cours de
laquelle la Guinée Equatoriale sollicitera son admission dans cet
organisme régional,le Présidentéquato-guinéenarrive le premier
à Yaoundé. Les autres Chefs d'Etat sont attendus pour le lende-
main. Nous nous trouvons à l'aéroport pour l'accueillir. Au
Premier Ministre Bello Bouba Maïgari à qui je pose la question de
savoir pourquoi l'ancien Président n'a pas été saisi de ma
demande d'audience, il répond:
- J'ai bien rapporté au Président Ahidjo votre souhait de le
rencontrer. Nous avons parlé de vous. Il m'a dit qu'il passerait
vous voir. Outre cette surprise, je pense qu'il vous en réseIVe une
autre.

16 décembre'
Dans la soirée, l'ancien Président m'appelle depuis Garoua.
Je me trouve dans les jardins de ma résidence où je reçois MM.
Mbella Mbappé, Koula et Naah, pour réconcilier ces deux
derniers. En effet, Koula n'a pas compris son remplacement par
Naah à la Direction Générale de la Société Camerounaise de
Banque. Or, Naah n'est pour rien dans cette nomination.
- C'est à propos de la nouvelle de mon décès, me dit le
Président Ahidjo. J'ai pensé à ce monsieur parti à Libreville.
- De qui voulez-vous parler?
- Du nouveau représentant de l'A.F.P. qui est parti se fixer à
Libreville.
- fi ne peut s'agir que d'un certain Barbier.
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- Oui. Celui-là, avec lequel nous nous sommes brouillés,


parce qu'il ne voulait pas déclarer ses.impôts. Il m'est revenu que
cette fausse alerte serait partie de Libreville et qu'un certain
monsieur, qui écrit dans le journal Le Monde en sait quelque
chose. Essayez de contacter Bourges de R.F.I., pour avoir plus
de précisions. Je vous rappellerai demain.
- C'est justement demain que je me rends chez moi, à
Nkongsamba, Monsieur le Président
Je le lui avais déjà dit. En réalité, je m'y rends ce soir même.
- Ah ! oui, j'ai oublié. Je vous appellerai à Nkongsamba.
Communiquez votre numéro de domicile à Ousmane qui me le
remettra.

18 décembre
Je suis chez moi à Nkongsamba. Dans l'après-midi, je vais
visiter mon exploitation de Mankoua, accompagné par le Sous-
préfet Bekolo. Jamais je n'en suis revenu avec une aussi mauvaise
impression. Toutes les plantations sont envahies par la brousse,
alors que je dépense des millions pour leur entretien. Où passent
donc les sommes qui me sont réclamées à chaque fin de mois?
Les quelques cerises visibles à travers les herbes dans lesquelles
sont noyés les pieds de caféiers, sèchent sur les branches et
tombent. Nous regagnons Mélong à la tombée de la nuit.
L'épouse du Sous-préfet insiste pour que j'entre prendre un
rafraîchissement. Je m'excuse de ne pouvoir le faire. J'ai en effet
décidé de ne plus descendre, ni chez le Préfet, ni chez le Sous-
préfet, sauf si je suis en visite officielle. Je rejoins donc
Nkongsamba et vais dîner chez ma sœur au Quartier Trois. A
peine suis-je rentré dans ma résidence du Quartier Poola que le
téléphone sonne. Le Président Ahidjo m'appelle depuis Mokolo,
depuis l'Extrême-Nord du pays où il se trouve.
- Alors, avez-vous eu Bourges?
- Oui, Monsieur le Président. Il a promis d'ouvrir une petite
enquête, et me rappellera, mais pas avant lundi.
- Bon. Je vous rappellerai Lundi.
21 décembre
Entre-temps, j'ai eu Bourges. Le "monsieur" en question du
journal Le Monde n'est pas à Libreville mais à Paris. Bourges a
réussi à mettre la main sur le Directeur d'Africa n01 qui émet
depuis Libreville, et qui serait à l'origine de la macabre nouvelle.
Ce dernier a démenti la rumeur selon laquelle la nouvelle du décès
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de l'ancien Président aurait été lue sur les antennes de sa station-


radio."Prouvez le contraire" aurait-il ajouté. Il reconnaît toutefois
que ce soir-là, des rumeurs sur le décès de l'ancien Président
camerounais ont couru, au point qu'ils ont dû contacter l'A.F.P. à
Paris pour en avoir la confirmation. Il ne révèle cependant pas le
nom de son infonnateur. C'est donc clair. A mon avis, la nouvelle
est bel et bien partie de Libreville, et le représentant de l'A.F.P.
n'y est pas étraIlger. C'est ce que je rapporte à l'ancien Président
lorsqu'il me rappelle.
- Ce doit être lui, me dit-il. J'arrive à Yaoundé le Dimanche
26 pour présider une réunion du Comité Central du Parti. Je vous
ferai signe.

26 décembre
Le capitaine Salatou m'appelle pour me dire que le Président
Ahidjo me reçoit à 19h30, à la résidence du Mont Fébé. Je me
présente à l'heure indiquée. Contrairement à l'habitude, un seul
gardien est posté derrière le portail d'entrée. Il me reconnaît et me
laisse passer. Je gare mon véhicule. Un seul agent de sécurité
m'accueille. C'est le calme total. Je me demande comment un
homme d'action, comme lui, peut s'imposer une telle solitude. Ce
calme, je ne le conçois pas pour lui. J'entre, et trouve le Président
reposé. Il a retrouvé sa voix.
- Alors? Comment vont vos nouvelles fonctions ?
- Bien. J'ai reçu les responsables centraux et provinciaux de
mon département ministériel, ainsi que les responsables des
organismes placés sous sa tutelle. Je tiendrai ensuite une réunion
.,de coordination pour indiquer aux uns et aux autres la manière
dont je compte travailler. C'est par la suite que j'entamerai la
préparation du Cornice agro-pastoral de 1984 de Bamenda.
Nous nous entretenons ensuite à bâtons rompus, notamment
de la nouvelle de son décès.
- En définitive, me dit-il, je pense que ce sont les upécistes
qui sont à l'origine de cette fausse nouvelle.
Nous parlons de Koula lorsque le téléphone sonne. Il s'agit
de Sabal Lecco. Ahidjo et lui s'entretiennent un moment sur un
article du règlement intérieur du Parti. Il s'agit de la possibilité,
pour le Comité Central, d'exclure du Parti un membre qui a failli à
sa mission. Le Président demande à son interlocuteur que ce point
soit clarifié. Un second coup de téléphone retentit. Il s'agit cette
fois, du Président Biya. L'ancien Chef de l'Etat l'a appelé alors

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qu'il faisait du sport, et il n'a donc pas pu lui parler. Le Président


Ahidjo me reparle de Sabal Lecco.
- Vous savez, ils ont trafiqué, Adalbert Qwona et lui, des
documents qui ont coûté 350 millions au Parti.
Il me parle ensuite de la secrétaire de Sabal, qui selon lui,
serait la maîtresse de ce dernier.
- Il me l'a proposée au poste de Chargé de Mission auprès
du Secrétaire Politique du Parti, sous le prétexte qu'elle a une
licence d'enseignement supérieur. Je n'ai pas signé le projet de
texte qu'il m'a soumis dans ce sens.
n me parle ensuite de Doumba :
- Vous savez, Bello m'a dit que .Doumba est venu le voir
pour lui rapporter toutes les misères qu'il a subies durant ces trois
années passées comme Ministre Chargé de Mission à la Prési-
dence de la République. Cet homme!
Qui d'autre que le Secrétaire Général que j'étais alors pouvait
avoir fait subir ces misères? Je m'interroge intérieurement.
Nous faisons ensuite un tour d'horizon et parlons des
investitures à l'Assemblée Nationale. Pour Ahidjo - et Biya est
de cet avis -, les investitures doivent se faire à la base. Ayissi et
Sabal veulent que ce soit le Comité Central qui accorde les
investitures. En outre, le Président Biya a proposé qu'il y ait deux
candidatures pour un même poste. Je pense que ce serait aller trop
vite en besogne. Si déjà les investitures se font à la base, c'est un
progrès certain. Pour ce qui est de Doumba, Ahidjo s'en
débarrassera comme Chargé de mission auprès du Parti.
Enfin, il me communique son programme. Entre le 5 et le 8
janvier, il sera sur la Côte d'Azur où il a rendez-vous avec ses
médecins. Ce sera ensuite le retour à M'ayo Qulo. Je l'appellerai
s'il arrive quelque chose. L'entretien aura duré trois quarts
d'heure. Demain, il présidera la réunion du Comité central. Puis,
il me dit:
- En ma qualité de Président du Parti, j'ai délégué tous les
pouvoirs au Président Biya. Il lui reviendra de discriminer lui-
même les questions à me soumettre. Ils ont lu à la radio ce texte
qui délègue les pouvoirs au Vice-président du Parti, en ayant soin
d'omettre le membre de phrase qui parle de la discrimination des
problèmes. Vous lirez demain ce qu'ils vont publier.

27 décembre
Ahidjo a effectivementprésidé la réunion du Comité Central
du Parti. Le communiqué de cette réunion est lu à la radio. Le
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lendemain matin, la presse, au lieu de le publier intégralement,


n'en reproduit que des extraits, et passe sous silence le membre de
phrase selon lequel le Vice-président du Parti -le Président Biya
- discriminera lui-même les problèmes à soumettre à la décision
du Président national du Parti. Comme moi, quelqu'un a dû se
rendre compte de cette omission, et réagir. Mercredi matin,
Cameroon Tribune1 revient sur le communiqué, en le reproduisant
cette fois dans son intégralité.

1. Quotidien du parti unique UNC.

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1983

10 janvier
Sengat est passé me voir Samedi soir. Au cours de notre
entretien, il m'apprend qu'il a été convoqué par le Président Biya,
qui lui a remis un titre de transport pour Garoua où l'attendait
l'ancien Président. A Garoua, Ahidjo lui a proposé de raider dans
le cadre d'une tournée provinciale qu'il effectuera, en sa qualité de
Président du Parti, pour consolider la position du nouveau Prési-
dent de la République. Sengat me dit qu'il a posé ses conditions
au Président Ahidjo, et qu'avant de quitter Garoua, il les a consi-
gnées dans une note écrite remise à Ousmane Mey à l'intention de
l'ancien Président.
fi faut comprendre Sengat. Au même titre que le Président
Biya et, dans une certaine mesure moi-même, il est l'un des
premiers collaborateurs d'Ahidjo, issus de l'élite intellectuelle du
pays. Limogé du Gouvernement lors du remaniement de 1979,
non reconduit au Comité Central du Parti lors du Congrès de
Bafoussam, il est désormais un simple citoyen. A plusieurs
reprises, il m'a contacté pour que j'intervienne auprès de l'ancien
Chef de l'Etat en sa faveur, ce que j'ai toujours fait, sans
beaucoup de succès, il faut l'avouer. Sengat aurait souhaité être
tout au moins Président de Conseil d'Administration de l'une des
Sociétés parapubliques. Il m'en a parlé et j'ai attiré l'attention du
Président Ahidjo sur l'existence de plusieurs Conseils, présidés
par des membres du Gouvernement, où on aurait pu nommer des
personnalités telles que Sengat.

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Une fois au ministère de l'Agriculture, je me suis débarrassé


de l'un des trois Conseils d'administration que présidait mon
prédécesseur, celui de la Socapalm, en attendant d'en faire autant
pour les deux autres. L'ancien Président a suggéré à son succes-
seur d'y nommer Sengat, ce qui a été fait. Pour moi, c'est le début
de la réhabilitation de ce dernier. Maintenant qu'il est en outre
appelé à accompagner le Président National du Parti dans sa
tournée des Provinces, je pense que le retour de Sengat aux
affaires est en bonne voie. Or, l'intére.ssé ne voit pas les choses de
cette manière. J'ai l'impression qu'il n'entend plus jouer la carte
Ahidjo. Le vent n'a-t-il pas tourné? Il me le fait comprendre sans
ambages:
- L'ancien Président veut me reprendre auprès de lui comme
Conseiller technique. Franchement, cela ne m'intéresse pas. J'ai
tout de même ma carrière à faire. J'ai donc posé mes conditions,
me dit-il.
Son souhait est que l'ancien Président intervienne auprès de
son successeur, afin que ce dernier le nomme, au moins, Ambas-
sadeur Itinérant à la Présidence de la République. Et comme cette
fonction n'est qu'une sinécure, il disposera de tout son temps
pour écrire les discours du Président National du Parti et,
pourquoi pas, pour lui rédiger ses mémoires. Il me prie
d'intervenir dans ce sens auprès de l'ancien Président. Une fois
de plus, je m'acquitte de cette mission.
- Je ne suis plus Président de la République pour imposer
des hommes à mon successeur, me rétorque le Président Ahidjo.
Il n'a qu'à voir Biya lui-même. Si la proposition que je lui ai faite
pe l'intéresse pas, qu'il n'y réserve aucune suite.
S'agissant justement du rappel de Sengat par l'ancien
Président pour la tournée des Provinces, Doumba qui effectue lui
aussi sa traversée du désert et qui, comme Sengat, a tourné la
page Ahidjo, décidé à jouer à fond celle du nouveau Président me
déclare :
- Lorsque j'ai vu Sengat descendre de l'hélicoptère à Bertoua
avec l'ancien Président, lors de la tournée provinciale de ce
dernier à l'Est, je suis allé l'embrasser et lui ai dit: "mon frère, on
t'a rappelé pour à nouveau faire de toi le scribe. Et si tu étais mort
depuis qu'on t'a écarté des affaires, serait-on venu te chercher
dans la tombe pour te replacer le crayon entre les doigts ?"
C'est donc Sengat, un pied chez l'ancien Président, un autre
chez le nouveau, qui m'apprend que le premier présidera le
lendemain une réunion du Bureau Politique. Effectivement, dans

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la matinée du Lundi, le Bureau Politique s'est réuni. Je n'écoute


jamais Radio-Cameroun. Ce jour-là, j'allume par hasard le poste à
l'heure des infonnations de 13h. Le communiqué du bureau poli-
tique tombe :
"Sur proposition du Président National, sont exclus du Parti:
- Moussa Yaya Sarki Fada,
- El hadj Ninga Songo Ibrahim,
- Atemengué Bienvenue,
- Mbassi Prosper".
C'est réellement un coup de tonnerre. Qui aurait cru que cela
arriverait à Moussa Yaya, qui donnait l'impression de faire la
pluie et le beau temps dans la République? Et les journalistes de
commenterla nouvelle ~ "exclusdu parti, ceux-là ne peuvent plus
s'attendre à être investis par le Parti, dans un mois, aux élections
législatives". En effet, les quatre sont membres du Comité
Central, et deux d'entre eux sont députés. Moussa Yaya est
député, membre du Comité Central, membre du Bureau Politique,
Secrétaire aux affaires syndicales et féminines du Comité Central
et Vice-président de l'Assemblée Nationale.
J'appelle Ousmane Mey à Garoua pour savoir s'il a écouté la
"bombe". On me répond qu'il est chez le Président Ahidjo. Or, je
croyais ce dernier encore à Yaoundé, alors qu'après avoir lâché sa
bombe, il a aussitôt regagné Garoua où il est arrivé avant les
infonnations de 13h. Je demande qu'Ousmane me rappelle. Il ne
le fera pas. Il est 23 h. Je suis dans le bureau, chez moi pour
répondre aux vœux qui m'ont été adressés, parmi lesquels ceux
de Biarnès du journal Le Monde et de Joseph P. Kennedy II,
lorsque la sonnerie du téléphone retentit. Je décroche. C'est
l'ancien Président Ahidjo.
- C'est Eboua ?
- Oui, Monsieur le Président.
- Ça va ?
- Oui, Monsieur le Président.
- Vous avez suivi la bombe de 13 h ?
Je réponds par l' affinnative.
_ C'était trop. Moussa était devenu presque fou. Vous vous
rendez compte? Il est allé dire au Premier Ministre Bello ceci:
"Vous savez, même si c'est l'autre - Ahidjo - qui vous a fait
nommer, il suffit que Biya prenne un décret pour que vous soyez
destitué". Il allait d'intrigue en intrigue. Bref, il voulait mettre
Biya dans sa poche. Les députés sauront à quoi s'en tenir.

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Et moi de renchérir qu'ayant frappé à ce niveau, les uns et les


autres vont rentrer dans leurs coquilles.
- Kuoh Tobie m'a fait féliciter par Lamine conclut-il, en me
précisant qu'à partir du lendemain, il sera à Mayo Oulo.

Il janvier
Il est 7 heures. Le téléphone sonne. C'est le Président Ahidjo
qui m'appelle depuis Garoua.
- Contactez Bourges de Radio-France-Internationale. Dites-
lui d'insister sur le fait que Moussa Yaya est généralement consi-
déré comme l'un des barons de l'ancien régime, et que des noms
soient cités.
Après plusieurs tentatives, je parviens à avoir Bourges au
bout du fil. Mais R.F.I. n'insistera pas outre mesure. Il y a lieu de
reconnaftre que, dans la matinée, le poste émetteur français a déjà
cité le nom de Moussa. En réalité, que reproche-t-on à ce dernier?
Outre ce que l'ancien Président m'a révélé, à savoir le
retournement trop rapide de veste, il semble que Moussa ait été
déçu par la tournure que les événements ont pris. Il pensait
qu'Ahidjo parti, le poste de Président lui revenait de droit. Au lieu
de cela, Ahidjo y a placé Biya. Dans ces conditions, lui Moussa se
serait contenté du poste de Premier Ministre. Ahidjo y a placé le
jeune Bello. Moussa n'a pas digéré tout cela. Il ne lui reste plus
qu'à verser dans des intrigues. Il appelle le Premier Ministre Bello
Bouba Margan pour lui tenir le langage suivant: "Chaque fois
qu'Ahidjo vient à Yaoundé, tu es à l'aéroport. Chaque fois qu'il
part de Yaoundé, tu es à l'aéroport. Même si c'est lui qui t'a fait
pommer, sache que c'est un décret de Biya qui t'a fait Premier
'ministre et qu'un autre décret pourrait te dégommer", me rapporte
Ahidjo.
Lors d'un séminairedu Parti à Bafoussam,Moussa aurait pris
des contacts avec des chefs traditionnels pour savoir ce que les
uns et les autres pensent du changement intelVenu à la tête du
pays. fi serait parti à Bamenda poser la même question à John
Ngu Foncha. fi aurait rappelé à ce dernier leur lutte commune au
sein du Parti, "récompensée aujourd'hui par la mise d'un blanc-
bec au pouvoir" et lui aurait demandé ce qu'il en pense. En
réponse, Foncha l'aurait renvoyé de chez lui, en rappelant à son
interlocuteur que si lui Foncha était mis à l'écart des affaires,
Moussa n'y était pas étranger. Moussa revu à Yaoundé et
apprenant que l'ancien Président était lui aussi attendu dans la
capitale, aurait eu cette réflexion: "Qu'est-ce que Ahidjo revient si

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vite chercher à Yaoundé? Il n'a qu'à rester à l'étranger comme


son ami Senghor et laisser les mains libres au nouveau Président".
- En réalité, dit Ahidjo, Moussa veut mettre Biya dans sa
poche. Ostensiblement, il veut que chacun remarque que lui,
Moussa, est toujours omniprésent, et que rien ne peut se décider
sans lui. Il serait tous les soirs, fourré chez le nouveau Président.
Bref, c'est un dangereux intriguant.

12 janvier
Le Président Ahidjo m'appelle du Nord du pays pour
m'apprendre que Moussa Yaya , dès son exclusion du Parti, a
regagné Garoua, sa ville natale.
- Moussa qui, sortant de la réunion du Bureau Politique du
Parti, d'où il venait d'être exclu, déclarait à qui voulait l'entendre
que" la lutte continue" pleure maintenant, me dit-il. Il ameute
tous les Lamibé, les Bako, le Maire de Garoua, Mme Ahidjo,
pour qu'on obtienne mon pardon en sa faveur. Mieux, il m'a écrit
et a demandé six fois pardon. Selon sa propre expression, il
"n'est qu'une founni sur laquelle marche l'éléphant".
A quoi je rétorque que le repentir de Moussa ne peut être
qu'une comédie.

19 janvier
Il est 20h 10 lorsque je pénètre dans le salon de la Résidence
du Mont Fébé, où le couple présidentiel s'est installé provisoire-
ment depuis son départ du pouvoir. Ahidjo est à Ngaoundéré.
Mme Ahidjo est là, détendue. Son mari vient de l'appeler de
Ngaoundéré et elle lui a appris qu'elle attend ma visite. Je
m'entretiens avec elle du départ du pouvoir du Président Ahidjo.
- Vous savez, me dit-elle, 25 ans de pouvoir, cela pèse. Mais
bien que fatigué, les raisons de santé avancées n'avaient pour but
que de faire avaler la pilule qu'il savait amère. C'est moi qui lui ai
suggéré de se rendre en France, avec pour prétexte, des raisons de
santé, pour consulter ses médecins. Il pourrait ainsi se détendre
une semaine avant d'annoncer sa décision historique de se retirer
du pouvoir. Le secret a été bien gardé pour éviter qu'on ne
l'oblige à rester.
C'est donc clair. Le départ d'Ahidjo a été planifié. Les raisons
de santé avancées n'étaient qu'un simulacre. Du reste, j'en suis
arrivé à cette conclusion bien avant cette rencontre. Madame
Ahidjo était parfaitement au courant de ce qui allait se passer. Qui
d'autre? Même le futur Président n'était certainement pas au
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courant avant la matinée du 4 novembre 1982. Nous parlons


ensuite de Moussa Yaya, de l'accueil sans précédent que les gens
réseIVent à l'ancien Président, qui n'a jamais été aussi populaire.

12 février
Je rencontre l'ancien Président qui me parle de sa nouvelle
résidence du Lac. En effet, selon le texte qu'il a lui-même signé,
les anciens Présidents de la République ont droit à un logement
fourni par l'Etat. Le couple Biya vient de déménager de cette rési-
dence du Lac pour celle du Palais de l'Unité.
- C'est tout un village qui s'est installé dans cette résidence
du Lac, me dit Ahidjo. La résidence officielle d'un Premier
Ministre! Une cinquantaine de personnes au moins, garçons et
filles, habitaient les dépendances. Mme Biya est passée me voir
parce qu'elle a un problème. La résidence du nouveau Palàis où
elle vient d'aménager ne peut abriter dans ses dépendances que
cinq ou six personnes au maximum. Où donc loger tout ce monde
qui se trouve dans les dépendances de la résidence du Lac? D'où
la tentation de vouloir garder dans le domaine présidentiel les
dépendances de la résidence du Lac, pour continuer à y loger
toutes ces personnes.
Dans ces conditions, le déménagement complet des Biya qui
doit permettre à la famille de l'ancien Président de s'installer à la
résidence du Lac ne peut guère s'effectuer. Jusqu'au début du
mois d'Août, l'ancien couple présidentiel est toujours dans la
résidence du Mont Fébé réservée aux chefs d'Etat en visite au
Cameroun .
, - J'ai donc appelé le nouveau Président pour lui exprimer ma
surprise. Je lui ai remis tout le Cameroun sur un plateau d'argent.
Faut-il qu'on se dispute aussitôt une petite résidence oùje dois, ne
serait-ce que provisoirement, me retirer avec ma famille en atten-
dant que ma dernière fille qui se trouve en classe terminale achève
sa scolarité? Biya a réagi comme s'il n'était point au courant de
cette situation.

* *
*

Depuis le 6 novembre 1982, je suis responsable du départe-


ment de l'Agriculture. Plus que pour tout autre département minis-
tériel, il faut descendre sur le terrain. Ma première visite provin-
ciale est donc programmée. Il s'agit, non seulement de prendre

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contact avec les services extérieurs de mon département, mais


surtout de me rendre compte de l'état d'avancement des prépara-
tifs du prochain cornice agro-pastoral programmé à Bamenda.
Ceci explique la priorité accordée aux provinces du Nord-Ouest et
de l'Ouest.
Je débute par Bamenda, qui doit abriter le prochain Cornice.
J'y préside une réunion consacrée aux préparatifs de cette mani-
festation. Je visite l'emplacement du village du Cornice, en cours
de déblaiement; celui du futur hôtel à construire avant la tenue de
cet événement, ainsi que l'emplacement retenu pour le nouvel
aéroport à construire dans le même délai. Je mets en place les
sous-comités d'accueil, de restauration et d'hébergement au
niveau de la Province. Dans la même foulée, j'installe dans ses
fonctions le Directeur général de la Mission de Développement du
Nord-Ouest, le Conseil d'Administration de cet organisme et son
Président. Je tennine par l'installation de M. Simon Ashu Achidi,
ancien Ministre, dans ses fonctions de Président de la North-West
Cooperative Association. Mes allocutions sont prononcées en
anglais, tout comme l'a fait peu de temps auparavant le nouveau
Chef de l'Etat à Buéa, lors de sa tournée dans la Province du Sud-
Ouest. Les journalistes qui font partie de ma suite se rendent à
Bafoussam pour diffuser l'intégralité de cette allocution de la
matinée sur le poste national, lors de l'édition de 15 h du journal
parlé en langue anglaise. Yaoundé n'a pas dû apprécier. Lorsque,
dans la soirée, les mêmes journalistes se rendent à nouveau à
Bafoussam pour rendre compte de mes activités de l'après-midi au
journal parlé de 20 h, il leur est répondu que Yaoundé leur
demande d'attendre la fin de ma tournée pour faire le résumé de
leurs comptes-rendus. Les journalistes et le reste de la suite ne
comprennent rien. Moi non plus.

3 mars
Le lendemain3 Mars, mon épouseme téléphone.On est venu
lui rapporter que des voleurs ont cassé la porte de mon bureau
entre 12 et 14h30.Ils ont forcé mon tiroir fenné à clef, ont mis le
bureau sens dessus-dessous, et, pour donner le change, ont
emmené le poste récepteur de radio, et assez curieusement mon
carnet d'adresses aussi. Mieux, lors de la réception donnée à
l'occasion des installations de la matinée, le Gouverneur de la
Province, Abouem a Tchoyi, m'apporte un message: "Yaoundé
demande que le ministre d'Etat Chargé de l'Agriculture en tournée

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dans le Nord-Ouest rejoigne la Capitale, pour être présent dans


son bureau le Samedi 5 Mars à 8 hIt, est-il précisé.
Or, selon mon programme de tournée, approuvé par le
Premier Ministre et la Présidence de la République, je dois encore
passer une semaine dans les deux Départements, et c'est à
Bafoussam que je dois passer le week-end avec ma suite - la
visite de la Province de l'Ouest "devantcommencer le Lundi. Nous
ne sommes que jeudi. Je dicte au Gouverneur un message par
lequel je sollicite des éclaircissements. S'agit-il d'interrompre ma
tournée? Auquel cas je dois regagner Yaoundé avec ma suite.
Trois heures plus tard, la réponse arrive: il n'est point question
d'interrompre la tournée. Je dois regagner tout seul Yaoundé,
laissant sur place toute ma suite que je retrouverai Dimanche. En
tout cas, ça commence bien! Dès vendredi après-midi, je rejoins
Yaoundé en voiture via Bafoussam et Bafia. J'arrive à mon
domicile vers 20h.
Le lendemain matin, à 8h, je suis dans mon bureau saccagé
par de curieux "voleurs". Je signale aussitôt ma présence aux
SelVices du Premier Ministre ainsi qu'à la Présidence de la Répu-
blique. Durant toute la matinée, personne ne me dira pourquoi j'ai
été rappelé à Yaoundé. Vers 11h30, on me demande de recevoir
en audience le Ministre congolais des Eaux-et-Forêts. Le pauvre
ne comprend rien: il a déjà été reçu par le Chef de l'Etat. Nous ne
nous sommes donc pratiquement rien dit, en dehors de l'objet de
son déplacement déjà exposé au Président de la République.
Dimanche après-midi, je regagne Bafoussam.
A peine ai-je débarqué dans le chef-lieu de cette Province que
le Gouvemeur Luc Loé qui doit m'accompagner dans son unité de
commandement est convoqué à Yaoundé. C'est donc le Secrétaire
Général de la Province, Etame Massoma, qui m'accompagnera
dans le Noun, la Mifi, et la Menoua. Le Gouverneur ne sera de
retour que la veille de mon retour sur Yaoundé. Pourquoi a-t-il été
convoqué dans la Capitale alors qu'un Ministre d'Etat est en
tournée dans sa Province? On ne lui dira pas grand-chose. Bref,
je ne suis pas en odeur de sainteté auprès du "nouveau régime". Il
Ya dans l'ombre des forces en action. Je ne les ignore point.
18 mars
Le capitaine Salatou m'appelle et m'annonce que l'ancien
Présidentme recevra à 19h30.Je me rends à cette audience,et lui
parle de ma récente tournée de prise de contact dans l'Ouest et le
Nord-Ouest,et de toutes les suspicions qui l'ont entourée. "En un
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mot, dis-je, tout se passe comme s'il existe une confrontation


entre deux camps: d'un côté, celui des vainqueurs, et de l'autre,
celui des vaincus. Et malheur à ces derniers". Je lui parle ensuite
de la récente visite du nouveau Président dans la Province du
Littoral dont les ministres, moi-même et Bwélé, avons été exclus.
Seul Eteki Mboumoua a fait le voyage. Les choses se sont passées
comme suit:
J'apprends officieusement que le Président Biya se rend
en visite dans ma province d'origine, le Littoral. Pour
l'accompagner, je décide de reporter à plus tard la tournée de prise
de contact que je dois effectuer dans l'Ouest et le Nord-Ouest. En
ma qualité de ministre d'Etat originaire de cette province, il
m'incombait d'inviter les ressortissants du Littoral à ma résidence
pour examiner la nature de notre contribution à l'accueil du
nouveau Président dans notre province. Nous sommes le samedi
19 février. La décision est prise de cotiser de l'argent à envoyer
aux ressortissants du Littoral qui, sur place, organisent cette
première visite du nouveau Chef de l'Etat. Un comité chargé
d'élaborer le projet d'allocution que prononcera un ressortissant
du Littoral à cette occasion est constitué. Nous nous donnons
rendez-vous, toujours chez moi, le Lundi 21 Février, pour
prendre connaissance du montant des cotisations et du contenu du
projet d'allocution.
La divergence a surgi au sein de ce comité sur une phrase du
projet du discours. Koula s'oppose à ce que le nom d'Ahidjo y
figure. Les autres membres sont pour. Il faudra trancher lundi. Ce
lundi, le nouveau Président rentre de sa visite en France. Le
Premier Ministre m'a autorisé, ainsi que le Ministre Bwélé, à nous
rendre à Douala dès mardi soir pour préparer l'arrivée du Prési-
dent Biya prévue pour jeudi. A l'aéroport où nous accueillons ce
dernier, je demande à Sadou Daoudou, Secrétaire Général à la
Présidence de la République, d'obtenir du Président qu'il soit
débloqué à mon intention 800 millions de francs pour compléter
les 700 millions disponibles, destinés au transport des engrais. Je
souhaiterais connaître la suite avant mon départ pour Douala mardi
soir. Peu de temps après, de son bureau, Sadou m'appelle pour
me dire que le Gouvernement n'a pas d'argent, que Bwélé et moi-
même ferons partie de la suite du Président pour le voyage de
Douala, mais que nous ne partirons que Jeudi matin en même
temps que le Président.
Comme convenu, nous nous retrouvons chez moi le Lundi
après-midi. Nous avons pu réunir une somme de 1,8 million, et
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fonnons une délégation de deux personnes par département pour


porter cette somme à Douala, qui représente la contribution des
ressortissants du Littoral résidant à Yaoundé. Ensuite, c'est
l'examen du projet d'allocution élaboré par le comité ad hoc.
Koula, une fois de plus, s'élève contre la mention du nom
d'Ahidjo dans ce projet. Il est seul contre tous. Le nom d'Ahidjo
est maintenu dans le projet après un léger amendement de la
phrase. Nous nous séparons. Le lendemain mardi, vers
Il heures, Sadou m'appelle:
- Tu peux entreprendre ta tournée.
- Mais, voyons, je l'ai reportée.
- Tu peux l'entreprendre, puisque tu ne feras pas partie de la
délégation qui accompagne le Chef de l'Etat à Douala.
A ISh, le Ministre Bwélé m'appelle. Sadou lui demande
également de présider l'ouverture de la semaine franco-camerou-
naise. Bwélé proteste, car il n'a jamais été question pour lui de
présider cette cérémonie. Il s'agit en fait de lui signifier qu'il ne
fait pas non plus partie de la délégation du voyage de Douala. Un
des ressortissants du Littoral a da rapporter, le soir même du
Lundi à qui de droit, ce qui s'est dit à mon domicile au sujet de
cette visite. Nous savons qui est à l'origine de cette situation...
L'ancien Président me raconte ensuite ce qui s'est passé,
pendant que j'étais en tournée, lorsque le Prix de la Paix lui a été
remis. Alors qu'il doit arriver en dernier, comme cela était prévu
dans le programme déjà imprimé et distribué, Ekedi lui fait un mot
pour lui dire à la dernière minute qu'il devrait être présent à la
cérémonie cinq minutes avant le Président Biya, et que son allocu-
tion sera prononcée après le mot du nouveau Président.

20 mars
Le Capitaine Salatou m'annonce que l'ancien Président me
recevra en audience à 20h. Je me présente à l'heure indiquée. Il
écoute Radio-France-Intemationale.
- On vous a dit à 20 h ?
- Oui Monsieur le Président.
- J'avais dit à 20 h 30.
Il éteint le poste et nous nous retirons sur la loggia.
- Vous allez tous me tuer, Eboua.
- Comment ça, Monsieur le Président?
- On vient de me rapporter que le Président Biya a fait venir
des expatriés pour assurer sa sécurité. Et ceux qu'il a trouvés, ne
sont-ils pas là pour assurer sa sécurité? Si ces derniers ne lui
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inspirent pas confiance, qu'il fonne tout au moins ceux de son


ethnie, de sa tribu, au lieu de faire venir des expatriés. Oumaroud-
jan vient d'avoir un adjoint béti.
- J'ai appris que le colonel Ousmanou a été lui aussi
remplacé à la tête du Cabinet Militaire, dis-je.
- Non. Le Lieutenant-Colonel U Meka a été nommé adjoint
au chef de Cabinet Militaire, et, tenez-vous bien, sans que le
Ministre d'Etat Chargé des Forces Années soit au courant! Quant
à Sadou Daoudou qui a été pendant des années responsable des
Forces Années, il a expliqué au Président Biya qu'en appelant Zé
Meka, commandant de l'EMIAC28, aux fonctions d'adjoint au
chef de Cabinet Militaire, il ne s'agissait point d'une promotion.
Bien au contraire. Dans un premier temps, Sadou a été écouté, et
le Président Biya n'a pas signé le décret. Mais quelle n'a pas été la
surprise de Sadou de voir revenir le même décret, signé! conclut
Ahidjo.
n me parle ensuite d'un prochain remaniement ministériel que
préparernit le Président Biya.
- Lorsque j'ai rapproché ce que vous m'avez dit de Koula de
ce que j'apprends, à savoir que Engo quitterait l'Economie parce
qu'il ne ferait pas l'affaire, et Ntang les Finances parce qu'il serait
un incapable, je comprends. Koula, à la place où il se trouve, doit
être à l'origine de tout cela. ..
A cet instant précis, un coup de téléphone retentit et inter-
rompt notre entretien, tant et si bien que je n'ai pas retenu les
noms des personnes intéressées par ce remaniement. En ce qui me
concerne, je n'ai pas jugé nécessaire de lui poser la question de
savoir si je ferai encore partie de la nouvelle équipe, puisqu'il est
de notoriété publique que le nouveau Président n'aime pas Eboua.
- Alors, poursuit le Président Ahidjo, j'ai appelé Biya et me
suis ainsi adressé à lui: tt_ Dites-moi. M'avez-vous battu à des
élections auxquelles nous nous serions présentés? Tout se passe
comme s'il y avait un vainqueur et un vaincu !tt L'autre s'est mis à
trembler.
tt_ Non, Monsieur le Président. Je ne suis que votre enfant.
- Mon enfant? Et tout ce que vous faites! si j'étais votre
père, vous demanderiez mon concours, tout au moins pour vos
premiers pas. Ainsi, vos conseillers, sont-ils les Koula et les
Doumba?

28. Ecole Militaire Interarmes du Cameroun.


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- Non, Monsieur le Président. Du reste, je vais me séparer


du second. Quant au premier, je ne l'ai jamais vu.
- Si ce que je viens de vous dire est exact, alors, je vais
m'adresser au pays, et lui dire que je n'assume plus moralement
aucune responsabilité sur tout ce qui se décide et se fait. Ainsi,
vous m'avez trompé pendant des années! Vous avez été
hypocrite! Alors, pouvez-vous me montrer votre projet de
remaniement ?
- Il n'est pas prêt, Monsieur le Président, à cause de la
préparation du budget."
- En réalité, poursuit Ahidjo, je suis certain que son projet
était prêt, mais qu'il ne pouvait plus le signer en l'état, après notre
entretien.
Affirmer que ni Koula, ni Doumba, ne sont ses conseillers
alors que ces derniers ne ratent aucune occasion pour faire
ressentir que c'est bien eux qui tirent désormais les ficelles! Le
Président Ahidjo m'apprend en outre que Sadou Daoudou, Secré-
taire Général à la Présidence de la République, passe des jours
entiers sans être reçu par le Président Biya.

D'UN PRÉSIDENT A L'AUTRE

Après ma tournée dans le Nord-Ouest et l'Ouest, le nouveau


Président m'accorde une première audience. Prenant congé, il me
dit:
- Inscrivez-vous à nouveau, pour que nous puissions nous
entretenir plus longuement.
Quatre jours plus tard, je m'inscris auprès de son Aide de
camp. Il y a lieu de préciser que la première audience qui m'a été
fixée a été reportée. C'est dans la salle d'attente du Palais, alors
que j'étais sur le point d'être introduit dans le bureau du
Président, que l'on est venu me dire que l'audience avait été
reportée à plus tard. Mon garde du corps, qui après m'avoir
déposé, ignorait que l'audience n'allait pas avoir lieu, n'était pas
avec mon chauffeur. Il était parti s'entretenir avec ses anciens
camarades du Secrétariat Général. Il a fallu aller le chercher.
Quelques jours après, l'Aide de camp du Président m'appelle:
- A propos de votre inscription sur la liste des audiences, le
Président souhaiterait savoir si c'est urgent.
- Non, ce n'est pas urgent. C'est le Président lui-même qui
m'a demandé de me réinscrire.

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Deux jours plus tard, j'appelle son Aide de camp pour lui
demander de ne plus faire figurer mon nom sur la liste des
audiences, sauf si le Président se souvient de ma demande. Nous
sommes le 26 Mars. L'après-midi du même jour, la date de
l'audience m'est communiquée: Lundi 28 mars à 10 heures.

28 mars
Je suis reçu en audience à 10h précises par le Président Biya.
Nous nous entretenons à bâtons rompus.
- Des gens s'attendaient à ce que je change tout. Où ont-ils
vu cela? On n'improvise pas les responsables dans un Etat.
Voyez ce qui se passe en France. On pensait que les Socialistes
allaient tout chambouler. Or, ce sont les mêmes qui sont revenus.
Nous avons certes beaucoup d'intellectuels. Mais, ce ne sont pas
les diplÔmes qui gouvernent. Certaines personnes me demandent
de placer les miens partout. Ne sommes-nous pas pas toujours
dans le même régime? Est-ce que je ne continue pas le même
mandat? Ne faisais-je pas partie de la même équipe?
Je lui fais remarquer qu'il continue bien le même mandat, ce
qui n'empêche pas qu'il soit Président à part entière. Ceux qui
pensent le contraire foulent aux pieds notre Constitution. "C'est
pourquoi, vous auriez dû former un nouveau gouvernement,
même avec la même équipe, au lieu de procéder à un remanie-
ment. "
- Vous avez raison. Cela a été une erreur. Mais en disant: "le
reste, sans changement", n'était-ce pas les nommer aussi?
- Oui, en quelque sorte.
- On raconte partout que nous - moi compris - avons volé
l'argent du pétrole, me dit-il.
- Je l'ai appris aussi, avant même que le changement ne
survienne. Il est des gens qui répandent partout des rumeurs selon
lesquelles ils détiendraient des documents compromettants, qu'ils
auraient gardés en lieu sûr, et se rapportant aux détournements des
recettes du pétrole. Mais qu'attendent-ils pour les rendre publics?
- Ce n'est ni plus ni moins que du chantage. Je pense ainsi à
un camarade, que nous connaissons tous les deux, sans le
nommer.
- Oui, cet ami-là que nous avons à maintes reprises protégé?
- Ici, me dit-il, si on n'a pas les nerfs solides, on devient
fou. Il semble qu'on ait commandé des tueurs à gages pour me
liquider. Qu'ils épargnent au moins la vie de ma femme!
Nous évoquons ensuite d'autres sujets.
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- Il faudrait qu'on se voie plus souvent, ici à mon bureau, ou


à ma résidence. Vous avez été au carrefour des problèmes de ce
pays. Nous avons tous travaillé sous le même homme. Ainsi nous
pourrons ensemble examiner certaines situations et faire le point.
- A votre disposition Monsieur le Président.
L'entretien a duré une heure d'horloge!

* *
*

La prochaine et dernière audience qui me sera accordée par le


président Biya aura lieu plus de deux ans après, soit en 1985,
lorsqu'il me nommera Président du Conseil d'Administration de
Cameroon Airlines - la Camair - après mon départ du
gouvernement. ..

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ANNEXES
(NOTES COMPLÉMENTAIRES
1977-1982)

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L'ÉTAT DES LIEUX


(1977)

Voici deux ans que le Chef de l'Etat a bien voulu me rappeler


au Secrétariat Général de la Présidence de la République. J'ai
pensé que cette période était suffisante pour tenter de faire des
remarques sur les structures et le fonctionnement du Secrétariat
Générnl de la Présidence de la République.

I - STRUCTURES
Dans l'ensemble, il y a peu à dire sur les structures mises en
place avant mon arrivée. Toutefois, c'est une évidence qu'il n'y a
jamais de structures parfaites, et les remarques qui vont suivre ne
visent qu'à les améliorer, à la lumière de ces deux années
d'expérience, en vue d'une plus grande efficacité.
La première faiblesse des structures actuelles a été relevée par
le Chef de l'Etat lui -même, à savoir la non-spécialisation des
membres du Cabinet. C'est ainsi qu'un même dossier est étudié
aujourd 'hui par tel responsable et demain, par tel autre. Le
nouveau projet tendra à spécialiser les Conseillers, les Chargés de
Mission, les Attachés, à des domaines précis de l'activité natio-
nale.
La seconde remarque a trait au selVice de presse de la Prési-
dence de la République, qui n'est rattaché ni au Secrétariat Géné-
ral, ni à la Direction du Cabinet Civil. Le responsable de ce
service en profite pour se trouver rarement dans son bureau. Le
moins que l'on puisse dire est que la Présidence de la République
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est sans service de presse. Il est temps d'y remédier. Ce selVice


pourrait être directement rattaché au Secrétaire Général ou, à
défaut, à la Division des Affaires Culturelles. Quant au respon-
sable actuel, il pourrait lui être trouvé un point de chute, soit dans
son administration d'origine, soit dans l'une des sociétés relevant
de la tutelle de cette administration.
En troisième lieu, deux Divisions fonctionnent au Secrétariat
Général de la Présidence de la République: la Division des
Affaires Générales dont le responsable à jusqu'ici cumulé ses
fonctions de chef de Division avec celles de Chargé de Mission, et
la Division Administrative dont le chef est assimilé à un Chargé de
mission, sans en avoir le titre. S'agissant de la première, qui
s'occupe des problèmes de gestion et de personnel, je pense
qu'elle pourrait être coiffée par un responsable ayant rang de
Directeur de l'Administration centrale, et permettre ainsi
l'économie d'un poste de Chargé de Mission. Le responsable
actuel ayant été nommé Chargé de Mission ne conselVerait que ce
titre, et collaborerait dès lors avec un Conseiller.
Quant à la Division des Affaires Administratives et Juridiques
qui ne donne pas entièrement satisfaction, il y aurait lieu de la
rattacher à un Conseiller. Dans les Structures actuelles, elle est
autonome.
Enfin, le service du courrier est rattaché à la Division des
Affaires Générales. Etant donné son importance, et compte tenu
de quelques indiscrétions que j'ai pu relever ici et là, il Y aurait
lieu de le rattacher directement au Secrétaire Général.
Outre ces remarques sur les structures, il y a lieu de signaler
une certaine confusion qui règne au niveau du Secrétariat Général
et du Cabinet Civil, pour ce qui est du traitement des dossiers.
Certainement, pour des raisons d'affinité, quelques dossiers sont
destinés à la Direction du Cabinet Civil, alors qu'ils ne peuvent
valablement être étudiés qu'au Secrétariat Général. Lorsqu'ils
palViennent directement au Directeur du Cabinet Civil, ce dernier
les répercute au Secrétariat Général. Tel n'est cependant pas le fait
de certains de ses collaborateurs qui traitent directement ceux des
dossiers qui leur parviennent, sans disposer des éléments
nécessaires à leur étude. Je me hâte cependant d'ajouter qu'aucune
friction, ni aucun conflit d'attribution n'a été enregistré entre le
Secrétariat Général et le Cabinet Civil. La collaboration est totale
et sincère.

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II-LES HOMMES
Le choix des membres du Secrétariat Général est dans
l'ensemble satisfaisant et répond en quelque sorte au souci de
l'équilibre régional. Il n'en demeure pas moins que ce dernier
objectif n'a pas été entièrement atteint, sans doute à cause des
difficultés à trouver les hommes qu'il faut dans toutes les
Provinces. Ainsi, les membres du Secrétariat Général et du
Cabinet Civil se répartissent comme suit:
- Centre-Sud: 8, dont 3 Conseillers Techniques, 4 Chargés
de Mission et 1 Attaché
- Nord: 3, tous les trois Chargés de Mission
- Ouest: 5, dont un Conseiller Technique, 1 Chargé de
Mission et 3 Attachés
- Nord-Ouest: 1 Attaché
- Sud-Ouest: 1 Conseiller technique
- Est: 0
- Littoral: 0, M. Bwélé ayant été promu Conseiller Spécial.
Dans l'ensemble, les uns et les autres s'efforcent de donner le
meilleur d'eux -mêmes dans l'accomplissement des tâches qui leur
sont confiées. Je n'ai point de remarques à faire, aussi bien sur le
loyalisme aux institutions, que sur la rigueur et la célérité dans
l'étude des dossiers. J'ai toutefois constaté que l'esprit du "spoilt
systeme", selon lequel chaque responsable arrive et repart avec
son équipe n'est pas complètement absent dans notre
administration. C'est ainsi que mes proches s'attendaient à ce que
je propose au Chef de l'Etat une nouvelle équipe, qui serait la
mienne, et qui m'apporterait un concours loyal du fait que ceux
que j'ai trouvés en place ne peuvent être que des "pions" au
selVice des autres groupes, décidés à saboter mon travail.
A une exception près, je n'ai rien constaté de tel. Pour moi,
peu importe leur appartenance aux groupes, du moment qu'ils
font correctement leur travail. Ceux qui se sont montrés
indiscrets, et sont connus comme tels, ne sont pas maintenus dans
l'enceinte de la Présidence de la République. Ils sont au nombre
de trois. Ceci dit, certains cas méritent d'être signalés:
- M. Libock est de plus en plus absorbé par les
responsabilités qu'il assume au sein de la Sonara28.Il est de moins
en moins présent. Il devient urgent de détacher un diplomate de
rang élevé à la Présidence, du fait que les Affaires Etrangères se
considèrent comme une simple boîte à lettres, s'abstenant de toute

28. Société Nationale de Raffinage.


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analyse poussée des dossiers communiqués à la Présidence. M.


Libock pourrait ainsi se spécialiser dans le secteur des
hydrocarbures et relever, si besoin en était, de la Division
Economique.
_ Pour M. Mbaya, je ne fais ici état que d'une simple
constatation: il peut s'écouler une semaine entière sans qu'un
dossier traité par l'intéressé me parvienne. Je me dis que de deux
choses l'une: ou bien il n'a pas de dossiers en instance, ou bien il
en possède et attend des éléments nécessaires pour leur traitement.
Par ailleurs, les dossiers sur lesquels le Chef de l'Etat s'est déjà
prononcé attendent encore dans son bureau pour être notifiés au
Garde des Sceaux. En revanche, lorsqu'il s'absente, et qu'il est
demandé à son collègue, M. Ngongang, de s'occuper de ses
dossiers, pratiquement chaque soir un certain nombre de ces
derniers est traité et me parvient. A chacun, sa méthode de travail,
peut-être.
fi n'en demeure pas moins que la présence de deux Magistrats
n'est tolérée que du fait que le Secrétariat du Conseil Supérieur de
la Magistrature est assuré par l'un d'eux.
_ Reste le cas de Kada Wappi. Il ne peut lui être confié que
des dossiers ne nécessitant aucune réflexion approfondie.
En dehors de ces cas, je n'ai pas, à mon niveau, à me
plaindre du personnel du Secrétariat Général.

III-L'ÉTAT D'ESPRIT DU PERSONNEL


Le personnel du Secrétariat Général sait ce qu'on attend de
lui: la régularité, la ponctualité, la rapidité dans l'étude des
dossiers, l'objectivité, la compétence, etc. Un effort incontestable
est consenti par les uns et les autres pour se plier à ces exigences.
Le rythme du traitement des dossiers est tel qu'il devient indispen-
sable d'étoffer en personnel la Division des Affaires Economiques
et celle des Affaires Culturelles et Sociales. Or, si les disponibili-
tés budgétaires nous pennettent le recrutement de deux Conseillers
techniques et de trois Attachés supplémentaires, tous les postes de
Chargés de Mission sont actuellement pourvus. Au Secrétariat
Général, on ne trouve pratiquement pas de gens qui se croisent les
bras. Bien au contraire, certaines Divisions sont plutôt surchar-
gées de travail.
S'agissant du moral du personnel, il serait difficile de ne pas
signaler ici les revendications qui me sont présentées depuis deux
ans. En effet, chaque médaille a son revers. Le personnel sait
qu'on exige de lui un rendement et un comportement qui ne sont
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pas demandés dans les autres départements ministériels, et estime


qu'il n'en est pas pour autant récompensé. Au niveau des
membres du Cabinet, existe le problème des chauffeurs qui
accompagneraient et iraient chercher leurs enfants à l'école. Les
autres agents constatent qu'ils ne bénéficient d'aucune prime,
alors qu'aux Finances par exemple, certains de leurs camarades
cumulent un nombre élevé de ces primes.
Quant au personnel de mon secrétariat, et surtout mes secré-
taires, qui se considèrent comme les secrétaires directs du Chef de
l'Etat qui n'en a pas d'autres, ce n'est pas de bonne humeur qu'ils
tapent les décrets accordant à leurs collègues du Conseil Econo-
mique et Social, ou à ceux du Premier Ministre, des primes d'un
montant double de ce qu'ils perçoivent, eux.
J'ai jugé utile de porter à la connaissance du Chef de l'Etat
l'existence de cet état d' esprit qui, pour l'instant, n'a pas encore
de répercussions sur le rendement, mais mérite d'être examiné.

IV - RAPPORT DU SÉCRÉT ARIA T GÉNÉRAL


AVEC LES AUTRES DÉPARTEMENTS

Ces rapports sont normaux et, à mon avis, bons dans


l'ensemble. Je n'ai point enregistré de plaintes directes, à moins
que ces dernières ne me soient pas directement adressées? Les
problèmes que les uns et les autres soumettent à l'appréciation du
Chef de l'Etat sont examinés dans les délais raisonnables, et les
instructions communiquées aux intéressés. En contrepartie, il
arrive que le Secrétariat Général exige la même célérité auprès des
4épartements ministériels, dès lors que ces derniers détiennent les
éléments indispensables à l'étude des dossiers qui lui sont
soumis. L'inertie de certains conduit à des relances écrites,
l'expérience ayant montré que la plupart des problèmes traités par
communication téléphonique tombent dans l'oubli, d'où le
reproche fait à l'endroit du Secrétariat Général de "trop écrire".
Nous nous efforçons d'y remédier.
Après une période d 'hésitation et de tâtonnement inhérente à
toute nouvelle structure dans la première phase de son application,
le Secrétariat Général et les Services du Premier Ministre ont
désormais chacun circonscrit le domaine de leur action. A mon
avis, tout se passe harmonieusement et dans la collaboration
indispensable à la solution des problèmes qui ne peuvent être que
les mêmes.

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Telles sont les remarques que j'ai cru devoir communiquer au


Chef de l'Etat, en même temps que la nouvelle conception des
structures du Secrétariat Général.
Yaoundé 1er juillet 1977
S. Eboua.

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LE PROCHAIN CONGRÈS
DU PARTI
(1979)

Le Président de la République sera amené à assurer un


nouveau mandat de cinq ans à la tête de l'Etat. Lors du dernier
Congrès à Douala, il a fallu la pression des masses et de l'opinion
pour qu'il accepte le mandat qui s'achemine vers son terme.
Certains n'ont pas manqué d'en tirer les conclusions: "Il a été
contraint, malgré lui, d'accepter un nouveau mandat. Ce ne peut
être par conséquent que le dernier". Dès lors, des "groupes" se
mettent en transe, et s'organisent en prévision de l'échéance de
1980. Je dois dire qu'au fur et à mesure qu'on s'approche de cette
échéance, les obselVateurs de la vie politique sont persuadés que
lç Chef de l'Etat, bon gré, mal gré, acceptera un nouveau mandat.
Certains se résignent à cette éventualité qui pour la grande masse
des Camerounais est une certitude, mais ne désespèrent pas pour
autant: un accident peut intervenir à tout instant. Il faut donc
s'organiser, placer ses pions, élargir l'audience etc.
Dans ces conditions, quelle devrait être l'attitude du Chef de
l'Etat à l'approche du prochain Congrès? A mon avis, le silence
est la meilleure attitude. L'opinion, dans sa très grande majorité
demande la reconduction du mandat du Chef de l'Etat à la tête du
Parti et du pays. Cette fois, je pense qu'il ne faudrait pas laisser
entendre, d'une manière ou d'une autre, que le Président ne solli-
citera pas la reconduction de son mandat ou que, s'il l'accepte, ce
serait le dernier. Quelles que soient les intentions du Chef de
l'Etat, seul son silence peut conjurer les spéculations qui risquent
d'être néfastes au pays. Ceci dit, il faudrait laisser faire l'opinion.
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Le moment venu, lorsque le Président sera investi candidat par le


Comité Central d'abord, par le Congrès ensuite, il faudra qu'il
accepte sans commentaire ni condition.
Reste la marque particulière qu'il conviendra d'imprimer à ce
nouveau contrat avec son peuple. Cette orientation, si elle était
perçue d'avance, devrait présider à la composition du Gouverne-
ment. Ceci suppose que certaines options, qui doivent orienter le
travail des comités de réflexion soient faites. S'agissant de ces
comités, les personnes qui les composeront doivent être en
mesure d'apporter leur contribution au niveau de la réflexion.
Ainsi, devraient faire partie de ces comités des personnes ayant
une longue expérience politique, et qui sont encore présentes dans
le bain de l'actualité d'une part, et d'autre part, celles qui sont à
cheval entre la technique de par la qualité de leur formation, et la
politique. Elles pourront, chaque fois qu'elles le jugeront néces-
saire, faire appel à des technocrates, qui émettront leur avis sur
des points précis. L'esprit des membres des comités, au lieu de se
replier sur le passé, devrait s'ouvrir sur l'avenir, même si les
structures existantes et les méthodes jusqu'ici utilisées ont fait leur
preuve. En effet, le pays évolue. Avec la formation assurée à
notre jeunesse, se développe l'esprit critique. Rien ne peut plus
être comme il y a 10 ou 15 ans. Il convient que nos structures et
nos méthodes épousent ou même devancent cette évolution. C'est
dans cette perspective que les comités devraient axer leurs
réflexions.
Ils devront proposer le thème central du Congrès, autour
duquel graviteront les thèmes secondaires, destinés à insuffler une
nouvelle dynamique à la vie du Parti. Pour plus d'efficacité, les
comités devraient se fixer un calendrier. Dans un premier temps,
ils choisiront les thèmes de réflexion. Moins ces thèmes seront
nombreux, plus la réflexion sera concentrée et approfondie. Ces
thèmes seront soumis à l'approbation du Chef de l'Etat qui
pourra, s'il le juge utile, les exposer au Comité Central. Ceci
devrait être fait d'ici le mois de Juin au plus tard.
Une fois les' thèmes retenus, les Comités se mettront au
travail. Les premières moutures de leurs réflexions devraient être
prêtes d'ici le mois d'Août. Au mois d'Octobre au plus tard, les
conclusions des travaux des comités seront déposées. Dès lors,
on pourrait extraire de ces travaux certains thèmes à soumettre à la
réflexion des sections départementales du Parti, les associant ainsi
dès le départ à la préparation du Congrès. Quant aux résultats des
conclusions qu'elles tireront de ces thèmes, on pourra retenir ce
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qui mérite d'être retenu, et l'insérer au document final à soumettre


à l'examen des comités qui seront constitués au sein du Congrès.
Ainsi, d'ici la fin du mois de Novembre ou au début de
Décembre, les travaux, ou du moins les résultats des travaux des
sections départementales, ou, si l'on veut simplifier, provinciales,
seront communiqués à la Centrale (Comité chargé de la
préparation du Congrès).

LES COMITÉS
Selon l'entretien que j'ai eu avec le Chef de l'Etat, trois
Comités peuvent être constitués:
a) Un comité d'orientation politique et des structures, dont le
responsable est le Secrétaire Politique.
b) Un Comité d'orientation économique, culturel et social qui
serait coiffé par le Premier Ministre. Ce Comité pourrait se
subdiviser en deux sous-comités:
- Sous-comité des affaires économiques.
- Sous-comité des affaires sociales et culturelles.
c) Un comité chargé de la préparation matérielle du Congrès.
Au moment où siège le Congrès, la mission des deux
premiers comités est teffi1inée. Dès lors certains de ses membres
pourraient, sans inconvénients, figurer au sein du Comité chargé
de la préparation du Congrès, bien qu'à un certain stade, il puisse
y avoir interférence.
Ce dernier Comité fonctionne avant, pendant et même après le
Congrès. Il pourrait lui aussi se subdiviser en deux sous-comités:
- Un sous-comité chargé de la préparation matérielle du
'Congrès.
- Un sous-comité chargé de la centralisation et de la réalisa-
tion des travaux écrits et imprimés du Congrès.
En effet, l'organisation d'un Congrès est toujours l'occasion
de dépenses considérables. Les économies sont possibles, à la
seule condition de confier cette charge à des responsables relati-
vement honnêtes. Le sous-comité chargé de la préparation maté-
rielle du Congrès, à la tête duquel je verrais le Secrétaire à
l'Organisation, aurait pour tâche de recenser toutes les dépenses
prévisibles, et de contacter à temps les fournisseurs potentiels
afin de réaliser les travaux nécessaires. A titre d'exemple, si la
permanence du Parti à Bafoussam est à agrandir, le fait de s'y
prendre dès à présent pennet de procéder à une consultation
restreinte, et de faire ainsi jouer la concurrence, alors qu'à la

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dernière minute, on n'a plus de choix puisque les entreprises ont à


ce moment-là, la latitude d'imposer leurs prix, non sans la compli-
cité de certains responsables. Ceci est également vrai pour les
brochures, les imprimés etc.
Compte tenu des dépenses que les caisses du Parti auront
ainsi à supporter, ce serait l'occasion de vérifier, sur le plan des
cotisations, la loyauté des uns et des autres, en commençant par
les responsables. J'ajoute que l'autonomie du responsable du
sous-comité chargé de l'organisation matérielle du Congrès devra
être complète en sa qualité d'ordonnateur des dépenses. Le Chef
de l'Etat désignera lui-même le responsable de ce Comité. Ce
dernier examinera la possibilité d'organiser certaines manifesta-
tions annexes du Congrès. Je pense notamment à une exposition
de photos, à la projection des films réalisés à l'occasion du
XXème anniversaire de l'accession du Chef de l'Etat au pouvoir
(version à revoir) et des Journées Camerounaises en Allemagne
(réalisations économiques et sociales) etc. Pour les invités des
Partis amis de l'Etranger, ce serait une bonne chose. Il convien-
drait par conséquent que tout cela soit programmé dès maintenant.
JO avrilJ979.
S. Eboua.

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L'UNIVERSITÉ DE YAOUNDÉ
(1981)

Une certaine agitation reprend à l'Université. Les étudiants en


cycle de maîtrise ne seraient pas étrangers à cette agitation, même
s'ils ne font qu'exploiter les brèches encore béantes ouvertes par
le service des œuvres, notamment au niveau du restaurant. Et
pourtant, les mesures susceptibles de désamorcer la situation qui
prévalait au sein de cette institution ont été prises.
Les responsables devraient, pendant un certain temps, faire
l'économie d'une agitation, du moins au niveau du service des
œuvres universitaires. S'il est établi que les étudiants en maîtrise
sont à l'origine de ce mécontentement, alors, nous ne serions
qu'au début de nos ennuis avec les étudiants du cycle du doctorat.
Je m'explique:
L'objet de la réforme à l'Université visait une sélection à deux
niveaux:
- Au niveau de l'accès à l'Université pour les élèves en
provenance du secondaire.
- Au niveau des licenciés pour l'accès au cycle de doctorat.
Cette dernière sélection devrait être particulièrement sévère,
faute de quoi, d'ici quelques années, nous aurons une pléthore de
docteurs, remplissant plus ou moins les normes académiques,
dont on ne saura quoi faire, comme il existe déjà une pléthore de
licenciés. Seuls par conséquent des éléments particulièrement
doués pour la recherche devraient accéder au cycle de doctorat, et
constituer la pépinière de nos futurs enseignants du supérieur.
Leur nombre devrait donc être fonction de nos besoins projetés, et
par conséquent restreint.

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J'estime par conséquent que les étudiants du cycle de maîtrise


qui réclament une bourse pour chacun d'eux ont parfaitement
raison. En effet, sélectionnés selon les critères ci-dessus énoncés,
ils représentent les meilleurs éléments de l'Université et ont dû
bénéficier d'une bourse durant tout leur cycle de licence. Dès lors,
on comprendrait mal que cette bourse leur soit supprimée au
moment où ils sont sélectionnés pour suivre le cycle de doctorat.
Ce que je viens de dire, c'est l'esprit de la réfonne.
Or, la réforme a soulevé des critiques que l'on sait, mais des
critiques d'irresponsables, fussent-ils des intellectuels. Bien sûr,
dans un premier temps, il fallait obsetVer une certaine souplesse
dans l'application des nouvelles mesures. Mais l'impression qui
prévaut est que la souplesse s'est muée en laxisme, au point de
vider la réfonne de toute sa substance. En effet, il faut reconnaître
que la transition entre la licence en 4 ans et la licence en 3 ans a
conduit un flot d'étudiants de troisième année au niveau de la
maîtrise.
Il n'en demeure pas moins que le nombre d'étudiants en
maîtrise qui avoisine le chiffre de 500 me semble anonnalement
élevé, et témoigne sans aucun doute du laxisme et du favoritisme
qui ont dû régner au niveau de la Commission de sélection. Si dès
à présent des mesures ne sont pas prises pour que progressive-
ment l'esprit de la réforme soit appliqué, le nombre d'étudiants
engagés dans le cycle du doctorat ira croissant. Et comme logi-
quement ils doivent tous être boursiers, il faudra prévoir une
dotation budgétaire conséquente, mais aussi, plus tard,
l'utilisation de ces hauts cadres.
Mais tous n'accèdent pas au cycle du doctorat. Le gros de la
troupe s'arrête au niveau de la licence, soit parce qu'ils n'ont pas
été sélectionnés pour le cycle de maîtrise, soit parce qu'ils préfè-
rent s'insérer dans la vie active. Ces derniers sont déjà nombreux
et le seront de plus en plus au fur et à mesure que la réfonne sera
appliquée. Déjà, il Y a un nombre considérable de licenciés qui
chôment pendant deux ou trois ans après l'obtention de leur
diplôme. J'en connais personnellement un certain nombre. A mon
avis, c'est là le problème le plus grave auquel nous avons à faire
face, je veux dire: l'occupation de nos jeunes diplômés des
universités. Bien sûr, ce problème ne nous est pas propre,
notamment à l'heure où l'inflation, certainement l'une des plus
sévères de l'histoire économique de l'humanité, atteint de plein
fouet même les peuples nantis de la planète: la France compte

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1 700 000 chômeurs, la Grande-Bretagne 2 millions, les Etats-


Unis d'Amérique 4 à 5 millions.
Quant aux pays pauvres, dès lors qu'ils ne peuvent plus payer
le personnel en fonction, ceux qui sont encore sur les bancs des
écoles ne peuvent être que leur dernière préoccupation. J'ai dit
qu'un certain nombre de nos licenciés chôment. Ce n'est pas à
cause du manque d'emploi, du moins pour certains, mais parce
que bon nombre d'étudiants ne sont pas attirés par le seIVice
public: ils préfèrent le secteur privé, les entreprises publiques ou
parapubliques où ils gagneront gros dès le départ. Quant à certains
littéraires, il ne faut pas leur parler de l'enseignement: ils veulent
aller dans le secteur pétrolier.
Or, pour accéder à ces secteurs, il faut avoir des relations. En
conséquence, certains traînent des années dans la rue. Ceux-là
sont prêts et perméables à tout. Je pense que des dispositions
devraient être prises pour les encadrer, et au besoin les placer
chaque fois que c'est possible. Pour y parvenir, le Chef de l'Etat
pourrait envisager une structure légère, qu'il placerait à un niveau
de son choix, et qui aurait pour mission le suivi - en liaison avec
le Ministère du Travail et de la Prévoyance Sociale, les secteurs
publics et parapublics - de nos jeunes diplômés de l'enseignement
supérieur.
Cette structure recenserait ces jeunes selon leur spécialité
d'une part, et d'autre part, les différents secteurs susceptibles
d'utiliser leurs services. Les recrutements dans les services
publics, dans les secteurs publics et parapublics transiteraient par
cette structure qui aurait en outre à connaître de la situation de
l'emploi dans le secteur privé par le truchement du Ministère du
Travail. Selon les disponibilités, chaque diplômé demandeur
d'emploi serait orienté dans le secteur correspondant à sa spécia-
lité et fiché. Ceux qui refuseraient l'emploi qui leur est proposé
seraient rayés de la liste des demandeurs d'emploi. Ainsi, les litté-
raires et les scientifiques seraient dans un premier temps systéma-
tiquement orientés vers l'enseignement.

Comme je le disais plus haut, je suis persuadé que nous


n'avons pas encore atteint le seuil de saturation. Une organisation
rationnelle de notre marché de l'emploi peut nous permettre, non
de résoudre entièrement un problème qui ne le sera jamais, mais
de soustraire de la rue le gros du contingent. Cependant, toute
réforme ne vaut que par la manière dont elle est appliquée, et
notamment par les hommes appelés à l'appliquer. Ces derniers

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devraient, dans ce domaine très sensible, être en mesure de


transcender les considérations d'ordre ethnique, tribal ou régional.
Il s'agit là d'idées émises pêle-mêle, et qui pouITaient faire
l'objet d'une étude approfondie au niveau du Gouvernement, si le
Chef de l'Etat trouve qu'elles peuvent être exploitées.
13 janvier 1981.
S. Eboua.

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LE NIGERIA ET NOUS29
(1981)

Le sommet de Nairobi vient de prendre fin sans que le litige


Nigeria-Cameroun y ait été débattu. Le Nigeria, selon ses dires,
aurait demandé l'inscription de cette question à l'ordre du jour.
C'est le même Nigeria qui n'a plus voulu qu'un débat soit engagé
sur ce problème. La question est de savoir où, quand et comment
ce pays entend régler cet incident. A ce propos, plusieurs hypo-
thèses peuvent être avancées:

1- Le Nigeria voudrait, à défaut d'une rencontre bilatérale,


que la question soit examinée dans le cadre restreint de certains
Chefs d'Etat désireux d'exercer leurs bons offices entre nos deux
.pays : hypothèse à écarter dès le départ. Lors de la rencontre au
sommet de la C.D.E.A.O, le Nigeria n'a pas voulu que ce
problème soit évoqué. En effet, still'avait voulu, il n'aurait pas
opposé une fin de non-recevoir aux démarches entreprises dans ce
sens par les Chefs d'Etat ivoirien, togolais et nigérien. Mieux, il
n'aurait pas sollicité l'inscription de cette question à l'ordre du
jour du sommet de l'OUA.

2- Le Nigeria désire porter l'affaire devant une instance


internationale. Cette volonté a été clairement exprimée dans la
lettre du 25 Mai du Président Shagari. Mais il s'agit de l'arbitrage
sur le tracé de la frontière et non sur l'incident en tant que tel. Or

29. Note remise ultérieurement au journal Galaxie et publiée dans le N°


83 du 17 Mars 1994.
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ce même pays ayant renoncé à ce que la question soit examinée au


niveau de l'O.D.A, à quel autre arbitrage entend-il recourir? Ce
revirement pourrait s'expliquer de plusieurs manières:
- Il se peut que le Nigeria voulait, par manœuvre de
diversion, l'inscription de la question à l'ordre du jour dans
l'espoir que nous nous y opposerions. Il a donc été pris au
dépourvu du fait de notre acceptation. En sa qualité d'accusateur,
et faute d'avoir préparé un dossier, il ne pouvait que chercher un
prétexte pour que l'on n'examine pas le problème.
- Il est également possible qu'après avoir sondé le terrain, la
délégation nigériane ait constaté qu'elle aurait difficilement gain de
cause, d'autant plus que l'accent aurait été mis sur la localisation
du lieu de l'incident et non sur le tracé de la frontière qui lui tient
tant à cœur.

3- Le Nigeria songerait à une juridiction internationale du


genre Cour Internationale de Justice de la Haye par exemple. Là
encore, on ne voit pas très bien de quelle manière serait rédigée sa
plainte. Du reste, le Nigeria qui se prend pour la plus grande
puissance africaine, est l'un de ces pays qui estiment que
l'Afrique est majeure, et n'a pas besoin de recourir aux instances
extra-africaines pour la solution de ses problèmes.

4- Le Nigeria est aux prises avec de sérieux problèmes


d'ordre interne et, comme l'a dit le Président Bongo, il n'a pas
intérêt à ouvrir plusieurs fronts de guerre à la fois. Il attend donc
la baisse de la tension intérieure pour faire connaître de quelle
manière, et à quel niveau il entend vider le litige. Du reste, selon
les dernières informations datées du 29 / 06, une émission de
Radio-Lagos captée à Buéa laisse entendre "qu'il sera soumis à
l'appréciation du Sénat, la décision de l'O.U.A. de renvoyer le
problème Nigeria-Cameroun à l'étude d'une Commission de sept
membres, avant d'être soumis au sommet de 1982". D'où tient-
elle cette information? D'un autre côté, le Nigeria examinerait la
possibilité de geler ses relations diplomatiques avec le Cameroun.
En d'autres temps, et s'il mettait à exécution cette menace, cela
équivaudrait à une déclaration de guerre.

Je n'ai fait qu'évoquer ces quelques hypothèses. Il en est une


qui, à mon avis, mérite de retenir toute notre attention. C'est celle,
pour le Nigeria, de régler le litige par une situation de fait accom-

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pli, donc, par la force. Cette hypothèse pourrait revêtir l'une des
fonnes ci-après:
- Le Nigeria envisagerait, comme il l'appelle, une sorte
d'expédition punitive. Il s'agirait d'un coup de force, ponctuel et
spectaculaire sur notre territoire pour venger ses morts et laver
l'affront devant son opinion publique. Un tel coup d'éclat pourrait
viser certains objectifs précis: raffinerie, plates-formes
d'exploitation pétrolière etc. Dans ce cas, et du fait qu'il se retire-
rait son forfait accompli, il y a peu de risque d'extension du
conflit en dehors de la riposte de nos forces.
- Le Nigeria peut également choisir une zone de notre terri-
toire qu'il occuperait par la force pour nous amener à négocier, ou
encore faire stationner ses bateaux de guerre dans la zone qu'il
considère comme litigieuse, y créer une insécurité pennanente de
manière à la soustraire à notre souveraineté. Il y aurait ainsi, dans
un premier temps, une sorte de no man' s land que préconise le
Gouverneur de l'Etat de Cross River en attendant l'annexion pure
et simple de la zone par le Nigeria. Ce qui est certain, c'est que le
Nigeria recherchera désonnais ostensiblement les incidents qui
puissent lui fournir prétexte à l'occupation par la force de cette
zone, n'étant pas certain que l' arbitrage, quel qu'il soit, puisse lui
donner gain de cause.
Si le Nigeria devait ainsi nous imposer la guerre, il serait
difficile, voire impossible, de nous dérober en dépit du déséqui-
libre des forces en présence.

La situation de "ni paix ni guerre" qui prévaut actuellement


.
,dans nos relations avec le Nigeria est malsaine. Nous devons y
réfléchir et, en ce qui nous concerne, chercher à la débloquer. Au
même moment, il nous faut élaborer une nouvelle stratégie qui
présidera à nos rapports avec le Nigeria. Tôt ou tard, il sera
nécessaire de réviser le protocole d'accord régissant le contrôle du
mouvement de personnes et de biens entre nos deux pays. En
effet, les sujets nigérians, accédant sans contrôle et s'installant
d'une manière anarchique dans notre pays, sont en grande partie
responsables de la situation actuelle. Se retrouvant pratiquement à
100% dans les criques, ils admettent de plus en plus difficilement
qu'ils sont en territoire étranger. Toutes les plaintes au sujet des
tracasseries dont ils seraient l'objet de la part des gendarmes
camerounais et adressées aux autorités de leur pays d'origine
viennent d'eux. Les responsables nigérians, qui jusque-là n'ont
pas cherché à dramatiser cette situation, prêtent de plus en plus

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une oreille attentive à ces plaintes, depuis qu'il est établi que la
zone recèle des réserves pétrolières. Il est indispensable pour nous
de tenir compte de cette nouvelle situation.

Dans cette perspective, nous devons mettre au point, et cela le


plus tôt possible, une stratégie nous pennettant d'exercer notre
entière souveraineté sur cette zone. En effet, dans l'état actuel des
choses et en dépit des impôts que nous levons, si les occupants de
la rone étaient appelés à dire s'ils sont en territoire camerounais ou
en territoire nigérian, ils opteraient pour ce dernier. C'est un fait
que récemment encore nous avons renforcé l'encadrement admi-
nistratif. Mais ceci ne suffit pas, pour une population qui vit
essentiellement sur l'enu. Du reste, ce sont ces sujets nigérians
qui, connaissant mieux que nous-mêmes la région, prennent la
plupart du temps nos autorités administratives dans leurs propres
embarcations pendant les tournées. Il est donc indispensable que
l'encadrement administratif soit doublé de la présence pennanente
de notre marine dans ces criques, afin que les nigérians sentent,
sans tracasseries inutiles, qu'ils sont en territoire camerounais,
aussi bien sur l'eau que sur la terre fenne. Pour cela, il nous faut
des hommes et du matériel, notamment des embarcations.

Cette présence constante devra s'exercer à une certaine


distance immédiate de la frontière, 1 km environ, pour éviter des
provocations, sans pour autant laisser les Nigerians occuper
l'espace en question. Le prochain choc entre nos éléments et ceux
de la marine nigériane serait d'une extrême violence. En tout cas,
pour venger leurs morts, les Nigerians le préparent et le souhai-
tent. Nous devons donc nous y préparer aussi. Nos éléments
devront être fortement annés et entraînés, prêts à faire face avec
efficacité à toute éventualité sur notre territoire chaque fois qu'ils
effectueront des tournées de routine. En cas d'affrontement, et
s'ils ont l'avantage sur l'agresseur, il faudra tout mettre en œuvre
pour qu'il reste des traces sur le lieu de l'incident. Au départ, ils
n'auront pas en face d'eux les 80 millions de Nigérians, mais une
patrouille, éventuellement plus nombreuse que la leur.

C'est également le lieu de constater que la paix revenue après


la rébellion, nous fiant à notre pacifisme, nous avons mis l'accent
sur notre développement, ce qui est en notre honneur. Ce faisant,
nous avons perdu de vue cet adage selon lequel "qui veut la paix
prépare la guerre". Nous avons pris un retard considérable dans le
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domaine de l'annement, à tel point que notre propre riposte à une


agression aérienne extérieure serait pratiquement insignifiante.
Heureusement que le Chef de l'Etat est en train d'y remédier.
L'entraînement de notre armée est à intensifier pour qu'elle
réponde aux réalités de I'heure. Dans un journal nigérian qui
faisait le point des forces en présence dans le litige Cameroun-
Nigeria, I'auteur, après avoir fait l' élo ge de l'année nigériane
aguerrie au combat dans les guerres du Shaba et durant la guerre
civile, concluait: "Quant à l'année camerounaise, elle n'a jamais
goOté à la guerre" .

Ceci dit, le règlement du litige né de l'incident du 16 mai est


dans l'impasse. Le Nigeria a balayé d'un revers de la main toutes
les tentatives de bons offices. Il y a donc lieu, tout en restant
disponible à tout dialogue sur cet incident, y compris sur le tracé
de la frontière, si le Nigeria portait l'affaire devant une juridiction
internationale, d'adopter deux attitudes:

1- Infonner largement l'opinion internationale de la nature du


litige, d~ notre position par rapport à celle du Nigeria, notamment
après le sommet de Nairobi. En effet, le Nigeria, à travers sa
presse déchaînée, a intoxiqué l'opinion internationale qui n'a pas
suffisamment pris connaissance de notre version des faits. Il y a
eu la mise au point de l'Administration Territoriale publiée par
Cameroon Tribune. Mais notre journal est de faible tirage, et à
audience internationale limitée. Il serait peut-être nécessaire, à
moins que le Chef de l'Etat n'en juge autrement, qu'après le
sommet de Nairobi, et compte tenu de l'attitude énigmatique du
'Nigeria, le cercle informé de notre position dans cette affaire soit
élargi. Ainsi, outre les missions d'explication récemment effec-
tuées au Sénégal, en Côte-d'Ivoire, au Ghana, au Togo, au Niger,
au Bénin, d'autres pays, à choisir, y compris certains organismes
internationaux et certaines grandes puissances comme les Etats-
Unis, la Grande-Bretagne, la France, devraient connaître d'une
manière officielle notre position dans cette affaire.

2- Préparer l'affrontement. Le Nigeria, pour se réhabiliter


devant la Communauté Internationale comme aux yeux de sa
propre opinion publique, peut à tout instant perpétrer un coup
spectaculaire chez nous et se retirer aussitôt pour qu'on soit à
égalité devant un quelconque arbitrage, ou occuper purement et
simplement, et en permanence, une portion de notre territoire. Se

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trouvant ainsi en position de force, il nous forcerait à négocier.


Dans ce dernier cas, la guerre sera inévitable. Nous devons en être
conscients et la préparer, ne serait-ce que pour la durée qu'il nous
sera possible de tenir. Dans le cadre de l'Accord Spécial de
Défense avec la France, celle-ci doit clairement être informée de
cette situation.
Telles sont les quelques réflexions que je soumets au Chef de
l'Etat qui pourra, s'il le juge nécessaire, en exploiter certains
aspects .

Juillet 1981.
S. Eboua.

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SOMMAIRE

A v aIlt -ProIJ<>s. ....................................................


5

9
- 1971............................................................. 18
- 1976 .............................................................
25
- 1977............................................................. 45
- 1978 ... .... ... . .. ... . ... ... . ... ... .... ... . ... ... .. . .... ... ...
53
- 1979 .............................................................
74
- 1980 .............................................................
91
- 1981............................................................. 108
- 1982 0. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Départ du président Ahidjo (6/11/1982)....................... 129
139
- 1983 .... ... ... .... ... .... ... ... .. .. ... .. .. ... ... .... .. .. ..
ANNEXES
1- L'état des lieux (1/7/1977) 154
2- Le prochain Congrès du Parti (10/4/1979) 160
3- L'Université de Yaoundé (13 /1 /1981) .. ... .. ... .. ... 164
4- Le Nigeria et nous (juillet 1981) 0. ... ... 168

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