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Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis

DROIT FISCAL
« La théorie générale de l’Impôt »

Cours à l'attention des étudiants de :

3e Année – Licence en droit public (LMD)

Assuré par
Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

Année Universitaire 2021-2022


UNIVERSITE DE CARTHAGE

2 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

INTRODUCTION

L’impôt est un phénomène social à multiples facettes dont la complexité n'est plus à
démontrer.
Il fait partie intégrante de la vie publique et rythme également la vie quotidienne des
individus. Présenté comme une technique libérale de financement des dépenses publiques,
l'impôt, dont le caractère obligatoire et inéluctable est associé à la spoliation (« l’impôt c’est
le vol ») est souvent ressenti comme une intrusion inique dans la vie des individus 1.
En vérité, l’impôt constitue l'aspect le plus visible du droit fiscal, concrètement
perceptible par les citoyens. Il existe au quotidien pour chacun(e) d’entre nous et l’on peut
prendre des exemples très simples : allumer la lumière contribue au paiement de l'impôt,
puisque l'électricité est soumise à la T.V.A. , acheter des cigarettes est soumis à l’impôt,
l’État ayant le monopole de la fabrication et de la distribution du tabac et des allumettes etc.
Concernant la plupart de ces exemples, toute personne qui supporte l'impôt n'est pas
consciente de la part concrète que représente celui-ci dans le coût d’un produit ou d’un
service. Il est alors plus ou moins indolore et acquitté inconsciemment, ce qui le cas de la
plupart des impôts indirects sur la dépense (T.V.A, droits de consommation) qui frappent les
achats (également les droits de douane, qui sont inclus dans les prix des produits mis en vente
dans les grandes surfaces). En revanche, l’impôt direct sur les revenus (le travail des
contribuable) ou sur le patrimoine (droits de succession et/ou d’enregistrement) est très
souvent mal ressenti et mal perçu par les contribuables. D’ailleurs, selon le courant de pensée
libéral : « Le prélèvement de l’impôt au-delà du strict nécessaire constitue un vol légalisé »2.
Pourtant si l’on souhaite vivre dans une société solidaire, l’impôt est un mal nécessaire
car c’est lui qui permet de financer les services publics qui profitent au plus grand nombre
(écoles, hôpitaux, etc.). C’est là tout le paradoxe de la notion d’obligation fiscale, aussi
connue sous le nom de devoir fiscal ou de principe de la nécessité de l’impôt

1
Pour une réflexion sur cette ambiguïté, voir Gérard TOURNIÉ, « L’obligation fiscale entre objectivité et subjectivité  »,
In Mélanges Joël MOLINIER, Paris, LGDJ, 2012, p. 647 à 664.
2
Déclaration du Président États-unis Calvin Coolidge en 1923.

3 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

En effet, l’impôt occupe une place prépondérante non seulement dans la vie de ceux qui
l'acquittent, mais permet à l'État et aux collectivités locales de disposer de ressources afin de
réaliser leurs activités et il est donc fondamental de prévoir des règles qui encadrent le
prélèvement des impôts de manière à préserver les droits des deux parties en présence : les
particuliers d'une part et l'État d'autre part. Ainsi, l'objet du droit fiscal est de prévoir les
règles d'assiette, de taux, de recouvrement, de contrôle et de contentieux des prélèvements
fiscaux.

Quelques citations pour commencer :


« Pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses d'administration, une
contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens
en raison de leurs facultés »
Article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 26 août 1789
Cet article pose le principe de la nécessité de l’impôt et du devoir fiscal. En effet, il
institue un droit pour l’État de percevoir l’impôt ; tout en faisant du paiement de l’impôt une
obligation et un devoir pour chaque membre de la communauté nationale3.
Cependant, si l’article 13 de la déclaration de 1789 dispose qu’une contribution
commune est indispensable ; il ajoute également que «elle doit être également répartie entre
les citoyens en raison de leurs facultés» (on constate que le terme «citoyen» est employé ici) ;
càd selon les capacités financières de chacun, ce qui évoque la justice dans la répartition de la
charge fiscale.
Cette formulation se retrouve avec plus ou moins de variantes dans la plupart des
constitutions contemporaines, y compris en Tunisie où l’article 16 de la Constitution du 1 er
juin 1959 disposait ce qui suit :
« Le paiement de l’impôt et la contribution aux charges publiques, sur la base de
l’équité, constituent un devoir pour chaque personne  »
Article 16 de la Constitution tunisienne du 1er juin 1959 (suspendue en 2011)
On retrouve une formule similaire à l’article 10 de la Constitution du 27 janvier 2014,
selon lequel :

3
Sur le droit fiscal général et la théorie de l’impôt, consulter Michel BOUVIER, Introduction au droit fiscal général et à
la théorie de l’impôt, Paris, L.G.D.J, collection Systèmes, 14 e édition, Paris, 2020 ; Jacques GROCLAUDE et Philippe
MARCHESSOU, Droit fiscal général, 10e édition, Paris, Dalloz, 2021. Voir aussi Habib AYADI, Droit fiscal, Tunis,
CERP, 1989, Ahmed ESSOUSI, Précis de Fiscalité, Sfax, éditions Clé, 1998, Néji BACCOUCHE, Droit Fiscal général,
Novaprint, Sfax, 2008.

4 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

« Le paiement de l’impôt et la contribution aux charges publiques constituent un


devoir, conformément à un système juste et équitable ».
Ainsi, le paiement de l'impôt par les personnes résidant sur le territoire tunisien (on note
à ce niveau l’utilisation du terme «personne» et non «citoyen» au niveau de l’article 16 de la
Constitution de 1959, d’où l’inclusion des personnes morales et de celles de nationalité
étrangère) a été institué comme une obligation fondamentale, au même titre que la « défense
de la patrie », inscrite elle aussi en tant que « devoir sacré pour chaque citoyen » dans la
Constitution elle-même (article 15 de la Constitution de 1959 et article 9 de la Constitution de
2014), qui constitue le texte juridique suprême, selon le principe de la hiérarchie des normes4.
Il convient de noter que l’accomplissement du devoir fiscal s’accompagne de la référence
à un principe de justice dans la répartition de la charge fiscale, qui doit se faire «sur la base
de l’équité» 5.
En fait, le paiement de l’impôt a été érigé en un DEVOIR essentiel et fondamental prévu
par la Constitution elle-même (principe de la nécessité de l’impôt) parce que l'impôt constitue
la recette principale du budget de l'État : sans impôt il n'y aurait pas de dépenses publiques, et
sans dépenses publiques, il n'y aurait pas d'État [sauf les États très riches, comme les États
pétroliers, par ex]. Les recettes fiscales constituent en effet des ressources essentielles pour le
budget de l'État ; car si celles-ci venaient à diminuer, il faudrait alors :
 soit diminuer les dépenses publiques dans les mêmes proportions, ce qui est
socialement et politiquement dangereux ;

4
La référence aux « personnes » et non aux « citoyens  » par l’article 16 de la Constitution de 1959 mérite quelques
éclaircissements, car si tous les citoyens sont bien des personnes, l’inverse n’est pas vrai  : les personnes morales ne sont
pas des citoyens et les étrangers ne sont pas des nationaux. En revanche, toutes les personnes imposables (physiques et
morales, nationales et étrangères) sont des contribuables (elles « contribuent » aux charges publiques). Selon le lexique
fiscal Dalloz (édition 1992), le Contribuable est : «toute personne astreinte au paiement des contributions, impôts, droits
ou taxes dont le recouvrement est autorisé par la loi ». A l’origine, le terme s’appliquait à toute personne tenue de verser
une contribution directe, càd au sens large à toute personne contrainte (obligée = devoir fiscal) au paiement d’une
contribution obligatoire créée par la loi et dont le recouvrement a été autorisé par le législateur. Aujourd’hui, le terme
«contribuable» sert à désigner principalement les personnes soumises au paiement des contributions directes [IRPP/IS
notamment ; ou encore lorsque l’impôt est perçu par voie de rôle] et plus largement les personnes qui supportent
directement et définitivement le paiement des divers prélèvements obligatoires. Parmi les contribuables, certains sont en
même temps redevables de l’impôt pour le compte d’autrui. Selon le lexique fiscal, le Redevable est : «toute personne
légalement tenue au paiement d’un impôt, d’une taxe, d’un droit, d’une redevance, et il ne s’agit pas nécessairement de la
personne qui supporte en définitive le poids de l’impôt ». Ainsi, par exemple, en matière de taxes sur le chiffre d’affaires
(TCA ou plus précisément aujourd’hui TVA) ou de droits indirects, l’entreprise qui collecte les taxes ou acquitte les droits
indirects sera le redevable pour le compte du fisc, càd le collecteur des prélèvements qu’il doit ensuite reverser au Trésor
Public, tandis que le consommateur final en assume véritablement la charge fiscale, ce qui fait qu’il est le contribuable,
mais de manière indirecte car ce n’est pas lui qui verse l’impôt au fisc mais l’intermédiaire appelé redevable. Dans la
pratique administrative, le terme «redevable» est utilisé en matière de TCA (de type TVA), de droits indirects, et de droits
de douane, tandis que la qualification «contribuable» est plutôt utilisée pour les impôts directs.
5
Ndlr : Les électeurs sont d’ailleurs très sensibles à un tel argument. En effet, chaque contribuable personne physique
étant en même temps un citoyen qui dispose en principe du droit de vote, les partis politiques utilisent assez souvent des
promesses fiscales pour obtenir des voix aux élections.

5 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
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 soit financer les dépenses publiques par un recours accru à l'emprunt, c’est-à-dire
par une augmentation du déficit budgétaire, ce qui est contraire aux principes d’une
saine gouvernance financière.
Par ailleurs, un autre principe de base, directement lié aux précédents, commande l’étude
du droit fiscal et mérite d’être évoqué à ce niveau, à savoir le principe du consentement du
peuple à l’impôt, posé par l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
de 1789 dans les termes suivants :
« Tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou
par leurs représentants la nécessité de la contribution publique, de la
consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la
quotité, l’assiette, le recouvrement, la durée ».
Article 14 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789
Ce texte signifie que la contribution commune obligatoire dont il était question à l’article
précédent, doit être acceptée par les membres de la communauté nationale auxquels elle est
censée s’appliquer. Il s’agit du principe du consentement du peuple à l’impôt, qui fonde
l’ensemble du droit public financier et a donné naissance à la plupart des autres principes
financiers et fiscaux contemporains6.
L’une des conséquences du principe du consentement du peuple à l’impôt est notamment
le principe de la légalité de l’impôt, consacré dans l’ancienne Constitution tunisienne (1er juin
1959) au sein de deux articles, à savoir l’article 34 selon lequel :
« Sont pris sous forme de lois : ....- Les textes relatifs à l'assiette, aux
taux et aux procédures de recouvrement des impôts, … (sauf délégation
accordée au Président de la république par les lois de finances et les lois
fiscales)  »
Article 34, alinéa 7 de la Constitution tunisienne du 1 er juin 1959
(Cet article ne concerne que les impôts au sens strict – mais tous les impôts,
càd aussi les impôts locaux - et non toutes les « contributions publiques »
obligatoires ; et il permet en outre une délégation de la compétence
législative en la matière au Président de la République)
Et l’article 36, alinéa 2, selon lequel :

6
Il convient cependant de ne pas confondre le « principe du consentement (du peuple) à l’impôt », qui désigne
l’acceptation collective de l’impôt par ses représentants ; avec le consentement individuel de chaque contribuable, désigné
par l’expression « consentement de l’impôt ». Voir à ce sujet Pierre BELTRAME, « Le consentement de l'impôt, devenir
d'un grand principe », Revue Française de Finances Publiques, n° 51, 1995, p 81 à 90

6 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
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«  La loi autorise les recettes et les dépenses de l’État … (dans les


conditions prévues par la loi organique du budget)  »
Article 36, alinéa 2nd de la Constitution tunisienne du 1er juin 1959
(Cet article concerne toutes les recettes et toutes les dépenses de l’État, à
l’exclusion de celles des autres personnes publiques telles que les CPL et les
EP)
De même, selon l’article 65, alinéa 1, de la Constitution du 27 janvier 2014 :
« Sont pris sous forme de loi ordinaire, les textes relatifs : (point 7)  : - à la
détermination de l’assiette des impôts et contributions, de leurs taux et des procédures de
leur recouvrement » ;
Quant à l’alinéa 2 du même article, il dispose ce qui suit :
« Sont pris sous forme de loi organique, les textes relatifs aux matières suivantes :
(point 15) : la loi organique du budget »
Origines
À l’origine, le principe du consentement (du peuple) à l’impôt a été consacré dans un
document du XIIIe siècle appelé Magna Carta (latin : Grande Charte), signée en 1215 par le
Roi anglais Jean sans Terre sous la pression de ses barons, qui avaient exigé d’être – à partir
de cette date - préalablement consultés avant toute levée d’impôts. Il ne s’agissait pas du tout
d’un consentement populaire au sens où nous l’entendons aujourd’hui, puisque la notion de
peuple elle-même n’existait pas encore.
Toutefois, le rapport de forces entre les barons et le Roi était tel à ce moment-là que ce
document a constitué la première limitation du pouvoir absolu des monarques ; et c’est
d’ailleurs pourquoi les successeurs du Roi Jean ont tenté par tous les moyens - bien que sans
succès - de s'affranchir de cette contrainte.
Ainsi, le Roi Charles 1er avait engagé dès le début de son règne une lutte contre le
Parlement pour faire abolir ce texte ; mais cette lutte conduisit à un échec du Roi qui se
termina en 1649 par son exécution.
A partir de là, il ne restait plus au Parlement anglais qu'à imposer au pouvoir royal le
renouvellement périodique de l'autorisation de lever l'impôt (pouvoir budgétaire) pour établir
définitivement le parlementarisme britannique, notamment via le Parliament Act de 1668, tel
que complété par le Bill of rights proclamé en 1689. On assiste ainsi à une limitation

7 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
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progressive du pouvoir royal anglais dans un contexte qui demeure pourtant toujours
monarchique et constitue la spécificité de la démocratie libérale anglaise jusqu’à nos jours7.
L'expérience anglaise a été suivie quelques siècles plus tard au sein de ses propres
colonies, puisqu'en 1765, les colons du Nouveau Monde (Amérique) refusent d'acquitter les
taxes sur le thé auxquelles ils n'avaient pas consenti et entament la Guerre d'Indépendance qui
s’acheva le 4 juillet 1776 par la proclamation de l’Indépendance (commémoration de
l’Independance Day). Le 17 septembre 1787 fût adoptée à Philadelphie la Constitution des
États-Unis - toujours en vigueur, en dépit de nombreux amendements - qui consacra au sein
du nouvel État le principe du consentement du peuple à l'impôt. En effet, selon la Section 8
de l’Article 1er de ce texte, consacré au pouvoir Législatif, il est précisé que le Congrès (càd le
Pouvoir Législatif composé du Sénat et de la Chambre des représentants)
«  aura le pouvoir  : - De lever et de percevoir des taxes, droits, impôts et
excises (accises  ??), de payer les dettes et pourvoir à la défense commune
et à la prospérité générale des États-Unis ; mais lesdits droits, impôts et
excises seront uniformes dans toute l'étendue des États-Unis ; …  »
Selon la section 7 du même article :
«  Tout projet de loi comportant la levée d'impôts émanera de la Chambre
des représentants ; mais le Sénat pourra proposer ou y apporter des
amendements comme aux autres projets de loi ».
En France, le principe du vote de l'impôt par les représentants des contribuables a été
proclamé dès 1314 par les États Généraux, mais le pouvoir royal s'étant montré plus fort - ou
seulement plus chanceux - qu'en Angleterre, la règle demeura lettre morte après quelques
tentatives d'application et ne fut plus officiellement évoquée sous l'Ancien Régime après les
États Généraux de 1614.
Ce sont les révolutionnaires de 1789 qui ont remis au goût du jour cet ancien/vieux
principe qui faisait partie des Lois fondamentales du Royaume et en s'appuyant sur les
exemples anglais et américain, ainsi que sur les réflexions de leurs maîtres à penser du siècle
des Lumières, Montesquieu et Rousseau.

7
Mais cette monarchie, ainsi que la noblesse, sont dépouillées de toute compétence fiscale  : ainsi, lorsqu'au début du
XXème siècle, Lloyd Georges fit voter par la Chambre des Communes (élue) une réforme fiscale comportant notamment un
impôt sur la plus-value immobilière dont s'émurent les propriétaires fonciers, et que la Chambre des Lords (non élue) se
permit de la refuser, cet acte parut suffisamment scandaleux pour motiver une profonde réforme constitutionnelle qui
priva la Chambre des Lords de la plupart de ses droit séculaires.

8 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
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Mesurant toute l'importance de la règle, les rédacteurs de la Déclaration des Droits de


l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 ont fait, dans le cadre de l'article 14 du « droit de
consentir librement les contributions »et non seulement l'impôt au sens strict « un droit
inaliénable et sacré de l'homme et du citoyen », qui n'a cessé, depuis lors, d'être réaffirmé et
consolidé - en dépit des changements de régime - du fait de sa pertinence et de sa légitimité.
En effet, le fondement de la règle qui donne au peuple le droit de consentir à l'avance aux
impôts qui lui seront appliqués, se trouve dans le fait que c'est ce même peuple qui assume la
charge de l'impôt, c’est-à-dire la couverture des charges publiques et qu’il est donc logique de
lui donner un pouvoir de décision en la matière. Toutefois, comme le peuple en tant qu’entité
n’est pas matériellement en mesure d'exprimer directement ce consentement, (sauf par
référendum, ce qui est assez compliqué en matière fiscale) il a été établi que celui-ci devait
être exprimé par l'organe législatif en sa qualité de représentant du peuple et que ce
consentement des représentants du peuple constituait ensuite une présomption irréfragable de
l'acceptation de l'impôt par le peuple8. Le recours au référendum fiscal qui aurait permis
l’expression d’un consentement direct du peuple demeure en effet très exceptionnel 9.
Utilisant ensuite leurs compétences financières - issues du principe du consentement du
peuple à l’impôt - pour renforcer leur contrôle politique sur le gouvernement, les
parlementaires du XIXe siècle ont forgé les principes budgétaires qui fondent jusqu’à nos
jours l’élaboration et l’exécution du budget et de la loi de finances, consolidant de ce fait le
régime parlementaire et le contrôle du Législatif sur l'Exécutif, ce qui a fait dire à Jean Rivoli
que le Parlement était «fils de l'impôt »10.
Ainsi, la consécration du principe du consentement du peuple à l’impôt a eu
d’importantes conséquences politiques puisqu’il est coutumier de considérer que c’est lui qui
a permis l’affirmation du pouvoir des assemblées législatives élues face à la puissance des
exécutifs et qu’il a donc été à l’origine des régimes démocratiques contemporains.
En effet, d’un point de vue historique, le développement des pouvoirs financiers des
assemblées parlementaires a permis de consolider les régimes politiques nés à la suite des
révolutions libérales et fondés sur une séparation et une complémentarité entre les 3 pouvoirs
principaux (Législatif, Exécutif, Judiciaire).
8
Voir Lucien MEHL, « Le principe du consentement à l'impôt et autres prélèvements obligatoires, mythe et réalité  »,
RFFP, n° 51, 1995, p 65 à 80.
9
En effet, il a pu être proposé d'avoir recours à la technique du référendum fiscal afin d'obtenir un consentement réel et
direct à l'impôt, mais seuls certains cantons suisses et certains États des États-Unis le pratiquent réellement  ; compte tenu
des risques de projets démagogiques en la matière et de la complexité des questions fiscales ainsi que de la rigidité des
procédures référendaires.
10
Expression de Jean RIVOLI, Le budget de l'État, éditions du Seuil, Paris, 1975, p. 62.

9 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
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Plus précisément, en reconnaissant que les parlementaires sont les représentants des
citoyens/contribuables et qu’ils sont à ce titre compétents pour «constater la nécessité de la
contribution publique» ; «de la consentir librement» et «d’en suivre l’emploi» [tout en en
déterminant la «quotité»] ; ce sont les bases des régimes politiques modernes qui ont été
posées ; puisqu’il s’agit de régimes fondés sur un contrôle politique a priori et a posteriori des
flux financiers publics (établissement et perception des impôts, autorisation des emprunts,
suivi de l’exécution du budget à travers le vote de la LRB, etc.).
C’est donc à partir de là que sont nés tous les principes fiscaux et budgétaires que nous
connaissons actuellement, comme par exemple le principe de l’annualité budgétaire (complété
par le principe de l’annualité de l’impôt) qui consacre la régularité du contrôle politique, les
principes de l’unité et de l’universalité qui permettent la globalité du contrôle, le principe de
la spécialité qui organise la précision du contrôle politique et le principe de l’équilibre qui
permet de garantir la rigueur de la gestion des deniers publics.
En réalité, le principe du consentement du peuple à l’impôt et ses corollaires, aujourd’hui
consacrés dans la plupart des constitutions contemporaines, font référence à une idée encore
plus générale mais implicite, à savoir l’idée selon laquelle le prélèvement et l’usage des
deniers collectés auprès des citoyens/contribuables pour financer les dépenses publiques
doivent être encadrés de manière à éviter les malversations et/ou les gaspillages et doivent
aussi être les plus transparents possibles ; ce que l’on peut identifier de manière synthétique
comme étant le principe de la sécurité des deniers publics, qui constitue le fondement de
toute «bonne gouvernance financière»11.
En Tunisie, l’article 2 du Pacte fondamental, première Déclaration (écrite) de droits du
monde arabe et africain de l’époque, a posé le principe de l’égalité devant l’impôt (voire de sa
légalité) en ces termes : « Tous nos sujets sont assujettis à l’impôt existant aujourd’hui - ou
qui pourra être établi plus tard - proportionnellement et quelle que soit la position de fortune
des individus, de telle sorte que les grands ne seront pas exempts du Qanoun à cause de leur
position élevée et que les petits n’en seront point exempts non plus à cause de leur faiblesse.
Le développement de cet article aura lieu d’une manière claire et précise »12.
En outre, on trouve les traces d'une consécration du principe du consentement à l'impôt
dans la Constitution octroyée de 1861 qui, bien qu’inspirée par les légations étrangères de
l’époque afin d’assurer la protection de leurs ressortissants au sein de la Régence de Tunis,

11
Voir Leïla CHIKHAOUI : «  Sécurité des deniers publics et contrôles juridictionnels   », In Revue tunisienne de droit,
2004 (cinquantenaire), p 299 à 384.
12
Décret de Mohamed Bey du 10 septembre 1857 portant proclamation du Pacte fondamental

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n’en est pas moins un texte novateur organisant un début de limitation du pouvoir absolu des
Beys et la première Constitution du monde arabe et africain d’alors13.
Toutefois, les enseignements de l'histoire ont démontré le caractère peu opérationnel de
ces textes - qui n'ont d'ailleurs pas survécu à l'insurrection fiscale de Ali BEN GHADAHEM
en 1864 - sans omettre le fait qu'ils avaient été plus ou moins imposés au souverain par les
minorités étrangères profitant de l'appui des puissances occidentales14.
C'est plutôt vers la seconde moitié du Protectorat et plus précisément entre la fin des
années 1920 et la pré-Indépendance que l'on peut situer en Tunisie l'origine du principe du
consentement du peuple à l'impôt, à travers les prérogatives budgétaires et financières
accordées au Grand Conseil, qui est devenu en 1945 une Assemblée élue, composée d'une
section française élue au suffrage universel et direct selon le mode de la représentation
proportionnelle (favorable à une représentation élargie de petits groupes) ; et d'une section
tunisienne également élue, mais au suffrage restreint à deux degrés et au scrutin uninominal
(mode de scrutin non favorable à une large représentation des tunisiens)15.
Cette nouvelle Assemblée était en effet obligatoirement - quoique seulement - consultée
en matière d'examen du budget de l'État, de même qu'avant l'adoption de tout décret législatif
à caractère financier, économique et social16.
Toutefois, la véritable affirmation du principe du consentement à l'impôt en Tunisie
figure à l'article 34 de la Constitution du 1er juin 1959 (ancien article 36) qui a consacré
expressément le principe de la légalité de l’impôt, à savoir le principe selon lequel l'impôt ne
peut être créé que par une loi, qui constitue l’une des traductions concrètes du principe du
13
Ainsi, selon l’article 63 de la Constitution de 1861 : « Les affaires qui ne peuvent être décidées qu'après avoir été
proposées au conseil suprême, discutées en son sein, examinées si elles sont conformes aux lois, avantageuses pour le
pays et les habitants, et approuvées par la majorité de ses membres, sont : (….) l’augmentation et la diminution des
impôts, (…) ». Décret de Mohamed Sadok Bey du 26 avril 1861 relatif aux lois de l’État (Constitution du 26 avril 1861).
14
Voir notamment Sana BEN ACHOUR, « Aux sources de l’État moderne. Des Tanzimat au Qanoun-Ad-Dawla », in
Ridha MOUMNI (dir.), L’Éveil d’une nation, Fondation Rambourg et Ministère des Affaires Culturelles (Tunisie),
Verona, Officina Libraria, 2016, pp. 39-49 ; Kmar BEN DANA, « Les droits fondamentaux en Tunisie : une histoire à
éclairer », in Wahid FERCHICHI (dir.), Indissociables droits et libertés, Tunis, ADLI, 2020, pp. 12-36 ; Leïla BLILI,
« Réformes politiques et vie privée à la Cour de Tunis au XIX e siècle (1830-1881) », in Odile Moreau (dir.), Réforme de
l’État et réformismes au Maghreb, Paris, l’Harmattan, Tunis, IRMC, 2009, pp. 91-116 ; Leon Carl BROWN, The Tunisia
of Ahmed Bey (1837-1855), Princeton, NJ, Princeton University Press, 1974 ; Khelifa CHATER, Dépendance et mutations
précoloniales  : la Régence de Tunis de 1815 à 1857, Tunis, Université de Tunis, 1984 ; Ali CHENOUFI, Le ministre
Khéreddine et ses contemporains  : XIXe siècle, documents établis et présentés par Ali CHANOUFI, Carthage, Fondation
Beyt-Al-Hikma, 1990 ; Jean GANIAGE, Les origines du protectorat français en Tunisie (1861-1881), Paris, P.U.F, 1959 ;
Mustapha KRAÏEM, La Tunisie précoloniale, 2 volumes, Tunis, STD, 1973
15
Voir Lamia NÉJI, « La question du consentement de l’impôt en Tunisie  », In Actes du colloque des 5-7 avril 2012,
Impôt et démocratisation des systèmes politiques, In Revue tunisienne de fiscalité n° 18, 2012, p. 97 à 110.
16
Les avis du Grand Conseil n'étaient cependant pas dépourvus de toute force juridique, car ils étaient parfois obligatoires
conformes, c'est à dire que le gouvernement avait non seulement l'obligation de les solliciter, mais encore de suivre les
recommandations qu'ils contenaient. C'était notamment le cas en matière de virements de crédits d'article à article du
budget, ou de chapitre à chapitre, motivés par des dépenses nouvelles, qui ne pouvaient être effectués sans son avis
conforme.

11 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
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consentement du peuple à l'impôt, puisqu’elle donne à l’organe législatif les compétences


financières censées lui permettre d’exercer un contrôle politique sur l’Exécutif 17.
L’article 36, alinéa 2 de la Constitution du 1 er juin 1959 complétait le dispositif en
énonçant que « La loi autorise les recettes et les dépenses de l’État dans les conditions
prévues par la loi organique du budget » ; étendant l’exigence de légalité à d’autres recettes
que les impôts au sens strict (ex : emprunts d’État ou autres ressources non fiscales), tout en
restreignant sur un autre plan le champ de compétence du législateur aux seules recettes et
dépenses de la personne morale « État »18.
Avec la promulgation de la Constitution du 27 janvier 2014, adoptée par l’Assemblée
nationale constituante trois ans après les événements des 17 décembre 2010 au 14 janvier
2011, qualifiés de « Révolution du jasmin » [clôturée par la fuite de l’ex-Président Ben Ali et
suivie par la dissolution des instances constitutionnelles précédentes (Chambre des députés et
des Conseillers, Conseil Constitutionnel, Conseil économique et social…), la suspension de la
Constitution du 1er juin 1959 et l’élection d’une ANC le 23 octobre 2011], on retrouve les
mêmes principes, puisque l’article 10 proclame le devoir fiscal (nécessité de l’impôt)
« conformément à un système juste et équitable »19 et compte tenu de l’égalité de tous devant
la loi (y compris la loi fiscale) selon l’article 21 20 ; tandis que l’article 65 consacre le principe
de la légalité de l’impôt (7e tiret de l’alinéa 1er), ainsi que le principe de la soumission de
l’élaboration et de l’exécution du budget à une loi organique du budget (15 e tiret de l’alinéa
2nd de l’article 65)21.

17
Etant précisé que c'est la révision de la Constitution de 1959 opérée par la loi constitutionnelle n° 97-65 du 27.10.1997
qui a étendu le champ de compétence du législateur aux procédures de recouvrement des impôts, ce qui ne figurait pas
dans l'ancienne formulation de l'article 34 du même texte, sans omettre que cette révision a en même temps institué un
domaine législatif réservé/assigné, et un domaine réglementaire autonome, faisant disparaître les interrogations quant à
l'existence des décrets quasi-autonomes en Tunisie. En outre, dans le texte original de la Constitution du 1 er juin 1959,
l’article 36 disposait que : « Les impôts d’État, les emprunts publics et les engagements financiers ne peuvent être décidés
que par une loi ».
18
Etant rappelé que les impôts locaux sont de la compétence du législateur en vertu de l’article 34 précité.
19
Il dispose ainsi que : « Le paiement de l’impôt et la contribution aux charges publiques constituent un devoir,
conformément à un système juste et équitable » (on note l’absence de référence aux destinataires de l’impôt, comme
si c’était implicite) ; mais ajoute également d’autres dispositions afférentes à la lutte contre la fraude et l’évasion
fiscales et même la bonne gestion des deniers publics et la poursuite de toute forme de corruption : « L’État met en
place les mécanismes adéquats permettant de garantir le recouvrement des impôts et de lutter contre l’évasion et la
fraude fiscales. L’État veille à la bonne gestion des deniers publics et prend les mesures nécessaires pour qu’ils
soient dépensés en fonction des priorités de l’économie nationale ; il œuvre à empêcher la corruption, ainsi que toute
autre pratique de nature à porter atteinte à la souveraineté nationale » L’on peut se demander si la présence de cet
ensemble d’éléments disparates – bien que tous liés à la gestion des deniers publics – est pertinente au sein de la
Constitution ?
20
Selon l’article 21 : « Les citoyens et citoyennes sont égaux en droits et en devoirs. Ils sont égaux devant la loi
sans discrimination. L’État garantit aux citoyens et citoyennes les droits et libertés individuels et collectifs. Il veille à
leur assurer les conditions d’une vie digne (décente) ».

12 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

Pour sa part, l’article 66 de la nouvelle Constitution pose les règles du vote annuel de la
loi de finances conformément aux dispositions de la loi organique du budget22.
A cet égard, une nouvelle LOB a été votée en 2019, venant remplacer le texte précédent
datant de 1967, à savoir la loi organique n°2019-15 du 13 février 2019 portant loi organique
du budget (LOB)23.

Ainsi, via la consécration des compétences financières des assemblées législatives –


phénomène directement issu de la consécration du principe du consentement du peuple à
l’impôt - on peut constater le lien existant entre l’exercice du pouvoir au sein de l’État et
l’équilibre des pouvoirs entre eux, notamment entre le Législatif et l’Exécutif, dans toute la
mesure où les mécanismes financiers publics représentent un phénomène de pouvoir et
d’exercice de l’autorité24.

Les États contemporains se fondent sur l'exercice d'un pouvoir souverain sur un territoire
et une population donnés, dont l'expression essentielle se manifeste à travers la souveraineté
politique et la souveraineté fiscale.

21
Article 65, § 1, alinéa 7 «  Sont pris sous forme de lois ordinaires, les textes relatifs à (alinéa 7)  : à la détermination de
l’assiette de l’impôt, de ses taux et des procédures de son recouvrement » et article 65, § 2, alinéa 15 : « Sont pris sous
forme de lois organiques les textes r elatifs à la loi organique du budget »
22
Cette règle est posée en ces termes : « La loi autorise les ressources et les charges de l’État conformément aux
conditions posées par la loi organique du budget. L’Assemblée des Représentants du Peuple adopte les projets de
lois de finances et de règlement du budget conformément aux dispositions de la loi organique du budget. Le projet
de loi de finances est présenté à l’Assemblée au plus tard le 15 octobre et adopté au plus tard le 10 décembre. Le
Président de la République peut renvoyer le projet à l’Assemblée pour une seconde lecture dans les deux jours qui
suivent son adoption. En cas de renvoi, l’Assemblée se réunit pour un deuxième examen du projet dans les trois
jours suivant l’exercice du droit de renvoi. Les parties mentionnées au premier tiret de l’article 120 peuvent, dans les
trois jours suivant l’adoption du projet en seconde lecture après renvoi ou à l’issue de l’expiration des délais
d’exercice du droit de renvoi, soulever l’inconstitutionnalité des dispositions de la loi de finances devant la Cour
constitutionnelle, qui statue dans un délai de cinq jours à compter de la date du recours. Si la Cour
constitutionnelle prononce l’inconstitutionnalité, elle transmet sa décision au Président de la République, qui la
transfère à son tour au Président de l’Assemblée des Représentants du Peuple, l’ensemble de la procédure ne
dépassant pas deux jours à compter de la date de la décision de la Cour et l’Assemblée adopte le projet dans les
trois jours qui suivent la réception de la décision de la Cour constitutionnelle. Si la constitutionnalité du projet est
confirmée, si le projet est adopté en seconde lecture après renvoi ou en cas d’expiration des délais de renvoi en
se c onde l e c t u re e t de s dé l a i s de recours pour inconstitutionnalité, le Président de la République promulgue le
projet de loi de finances dans un délai de deux jours et en tout état de cause avant le 31 décembre. Si le projet de
loi de finances n’est pas adopté au 31 décembre, son exécution peut être ordonnée matière de dépenses par décret
présidentiel, par tranches trimestrielles renouvelables, tandis que les recettes demeurent perçues selon les lois en
vigueur ».
23
(JORT n° 15 du 19 février 2019). Pour un commentaire, voir Raya CHOUBANI, «  La loi organique du budget du 13
février 2019 : quelle évolution du cadre budgétaire de l’état ? », In Revue tunisienne des sciences juridiques et politiques,
n° 5, 2019/1, p. 9 à 83.
24
L’étude de ces phénomènes constitue d’ailleurs l’objet même de la science politique et permet d’aborder l’étude desdits
mécanismes sous un angle autre que purement technique, apportant de ce fait un nouvel éclairage aux études financières,
au même titre que l’étude approfondie des opérations financières permet une meilleure analyse de certains phénomènes
politiques ; voir Paul-Marie GAUDEMET, « L’apport de la science financière à la science politique », In Revue
Française de Science Politique, 1965, p. 629.

13 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

En effet, la perception de l'impôt est un droit pour l'État  : c’est une manifestation
de sa souveraineté (lien entre souveraineté politique et souveraineté fiscale)
En effet, l'impôt constitue l'une des manifestations essentielles du pouvoir, de la
souveraineté politique de l'État telle que consacrée par la Constitution, ce qui veut dire que
cette dernière (la souveraineté politique) est complétée par sa souveraineté fiscale et illustre le
caractère indissociable des deux notions25.
La souveraineté fiscale des États constitue ainsi le complément indispensable et
incontournable de leur souveraineté politique. Il s’agit en effet de l’un des attributs essentiels
de la souveraineté politique à laquelle la souveraineté fiscale est étroitement liée, puisqu’elle
représente l’une des manifestations du pouvoir de l’État, de son autonomie sur le plan interne
et de son indépendance au niveau international.
Ainsi, une entité étatique est réputée disposer de la souveraineté fiscale à partir du
moment où elle dispose d’un système fiscal présentant deux caractéristiques essentielles, à
savoir : «…d’une part une autonomie technique ;
 et d’autre part une exclusivité d’application dans (sur) le territoire en question »26.
En d’autres termes, la souveraineté fiscale constitue :
«  Le pouvoir d’édicter un système d’impôts, (soit législatif, soit
réglementaire), possédant une autonomie technique par rapport aux
systèmes susceptibles d’entrer en concurrence avec lui  »27.
Dans la majorité des cas, souveraineté politique et fiscale coexistent au sein d’un même
État.
En réalité, la notion de souveraineté fiscale est peu étudiée en droit fiscal interne, dans la
mesure où elle pose surtout des problèmes en matière de fiscalité internationale :
 soit du fait de la concurrence entre deux ou plusieurs souverainetés fiscales qui se
retrouvent en conflit au titre de l’imposition d’une même personne (physique ou morale)
et/ou d’un même revenu au cours d’une même période : c’est ce que l’on appelle la double
imposition juridique (qui est forcément internationale) qui résulte de la perception d’un
impôt comparable dans 2 ou plusieurs États, auprès d’un même contribuable, sur une
même base imposable et pour une même période de temps 28 ;

25
Voir Jacques BUISSON, « Impôt et souveraineté», in Archives de Philosophie du droit, n° 46, L’impôt, 2002, p. 25 à
31.
26
Gilbert TIXIER, Guy GEST et Jean KEROGUES, Droit fiscal international, Paris, Litec, 1979, 2e édition, p. 3.
27
Gérard DALIMIER, Droit fiscal international français, Jurisclasseur Fiscal, fascicule n° 14, p. 4.

14 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

 soit du fait de l’évasion et/ou de la fraude fiscale internationale, qui pousse les États à
tenter de coordonner leurs efforts en ce qui concerne la transmission des informations ou
l’appréhension des contribuables récalcitrants (assistance fiscale internationale et
coopération entre administrations fiscales).
Par conséquent, la souveraineté fiscale est peu traitée à part entière, mais elle sous-tend
toutes les études et recherches en matière de fiscalité internationale.
En outre, des conventions bilatérales sont négociées à cet effet, toujours bilatérales à
cause de la nécessaire réciprocité qu’elles impliquent, la Tunisie étant signataire d’une
cinquantaine de tels accords29.

Au niveau du droit interne, la souveraineté fiscale est ce qui permet l’application de


l’impôt sur l’intégralité du territoire sur lequel un État exerce sa souveraineté politique.
Certaines collectivités autres que les États indépendants peuvent éventuellement exercer
des compétences fiscales ; mais il ne s’agit que de simples “compétences fiscales” qui n’ont
rien à voir avec la souveraineté politique et peuvent s’exercer indépendamment d’elle. En
revanche, car la souveraineté fiscale se confond nécessairement avec la souveraineté
politique, sans abandon possible à des groupements supra-étatiques (comme par exemple
l’UE) ou infra-étatiques (comme par exemple les CPL au sein des États unitaires ou les États
fédérés dans les États fédéraux comme la Suisse, l’Allemagne ou les États-Unis).
Le droit pour l’État de créer et de recouvrer l'impôt qui constitue une manifestation de
l’exercice sa souveraineté fiscale est donc un attribut essentiel de sa souveraineté politique,
une conséquence logique de cette dernière.
Ceci demeure vrai même lorsqu’il existe à l’intérieur des États des zones défiscalisées à
l’image des «parcs d’activités économiques» créés en Tunisie en 1992 sous le nom de «Zones
franches économiques», appelées «Parcs d’acticités Economiques» à compter de 2001 30.

28
Il s’agit là de la notion de double imposition juridique que l’on doit distinguer de la double imposition économique.
Cette dernière résulte principalement, dans le cas des sociétés de capitaux, de la superposition de l’IS et de l’IR en ce qui
concerne les dividendes distribués aux personnes physiques. S’il concerne un même revenu (le bénéfice des sociétés), ce
phénomène ne touche cependant pas les mêmes personnes (personne morale société et personnes physiques actionnaires)
comme dans le cas de la double imposition juridique.
29
Voir Habib AYADI, Droit Fiscal International, Tunis, CPU, 2001 ; ainsi que Bernard CASTAGNÈDE, Fiscalité
Internationale, Paris, P.U.F, 2010.
30
Par la loi n° 92-81 du 3 août 1992, telle que révisée par la loi n° 94-14 du 31 janvier 1994 harmonisant ses dispositions
avec celles du CII (JORT n° 11 du 8 février 1994). Ces zones sont appelées «Parcs d’activités économiques» depuis 2001,
suite à la modification de la loi n° 92-81 du 3 août 1992 par la loi n° 2001-76 du 11 juillet 2001 (JORT n° 58 du 20 juillet
2001).

15 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

En effet, ces zones ne remettent pas en cause la souveraineté fiscale ou politique des
États, dans la mesure où elles sont créées sur le fondement d’une décision souveraine. De
même, lorsque les États acceptent momentanément de ne pas percevoir d’impôts sur une
catégorie de contribuables ou sur le produit de certaines activités dont ils souhaitent
encourager le développement, ils ne renoncent pas à l’exercice de leur souveraineté, qu’elle
soit politique ou fiscale.
En fait, ces différentes mesures qui peuvent ressembler à un abandon de souveraineté
fiscale, fondées sur une renonciation unilatérale à appliquer l’impôt sur une portion de
territoire ou sur une catégorie de personnes, font partie de l’interventionnisme fiscal, qui
constitue encore une manifestation de la volonté souveraine des États en la matière, à la fois
politique et fiscale.
Le droit souverain de créer et de recouvrer (collecter) les impôts sur un territoire donné,
doit cependant être utilisé avec un maximum de précautions dans la mesure où la matière
fiscale est extrêmement sensible.
La fiscalité est en effet composée d’un ensemble de prélèvements obligatoires permettant
à l'État de collecter des ressources financières auprès des personnes physiques et morales de
droit privé (et auprès de certaines personnes morales de droit public) résidant et/ou travaillant
sur son territoire, afin de les utiliser en vue de la couverture des charges publiques.
La fiscalité s'analyse donc comme un transfert de richesses, et ce transfert est souvent
mal ressenti par le contribuable : c'est la raison pour laquelle chaque État doit s'organiser pour
que sa législation fiscale soit aussi peu douloureuse que possible pour le contribuable (on a
coutume de citer à ce propos l’adage selon lequel : «Les impôts sont comme les chaussures,
plus ils sont vieux, moins ils font mal»).
Dans cette perspective, sa fiscalité doit :
 tout d'abord être équitable, c’est-à-dire que la charge fiscale doit être répartie entre les
différents contribuables d'une manière aussi juste que possible,
 et en second lieu veiller à sauvegarder les équilibres économiques et financiers généraux
au moment de la conception de nouveaux impôts et de la mise en œuvre de toute politique
fiscale.
Depuis 2011 en Tunisie, les défis de la transition démocratique accentuent ces exigences31.
L'objet de la fiscalité :
L’objet de la fiscalité consiste donc :
31
Voir Neïla CHAABANE, « La fiscalité tunisienne en période de transition », In Revue européenne et internationale de
droit fiscal n° 3, 2018, p. 342-350.

16 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

1. d’une part à procurer des recettes budgétaires à l'État : c’est la finalité première de l’impôt
qui est une finalité financière (objectif financier de l’impôt) ;
2. d’autre part à encourager le développement économique et ne pas constituer un frein à la
croissance (objectif économique de l’impôt).
3. mais également à renforcer le civisme et l’esprit (le sentiment) de solidarité des membres
de la société civile et politique : en effet, nous vivons tous dans une communauté et nous
avons donc l'obligation de contribuer à la couverture des charges publiques, parce que ces
charges publiques sont nécessaires pour que cette communauté puisse continuer à exister.
Ainsi, nous ne payons pas les impôts uniquement pour financer les dépenses publiques,
mais aussi pour que la communauté à laquelle nous appartenons puisse continuer à exister
dans de bonnes conditions. Dans cette perspective, le paiement de l’impôt vise à renforcer
le lien entre la société civile et l’État  (objectif socio-politique de l’impôt).
En résumé, une bonne fiscalité serait à la fois une fiscalité rentable pour l'État sans être
pénalisante pour les individus, càd une fiscalité qui permettrait en même temps le
développement économique et favoriserait la cohésion politique et sociale ; tandis qu’un
“mauvaise” fiscalité serait celle qui freine la croissance, engendre des inégalités et/ou risque
de provoquer des révoltes fiscales (conciliation entre les finalités financière, socio-
économique et politique de l’impôt).

Intérêt : Ceci démontre l’intérêt à la fois théorique et pratique de l’étude du droit fiscal,
dont la relation avec la science politique et les phénomènes de pouvoir mérite d’être
approfondie d’un point de vue théorique ; tandis que les règles concrètes d’établissement et de
recouvrement de l’impôt interpellent les connaissances pratiques des futurs techniciens du
droit.

Définitions Droit Fiscal, Fiscalité, Système Fiscal :


Mais comment définir le droit fiscal, sans commettre l’erreur d'en donner une
identification théorique trop imprécise, ou une qualification technique trop étroite ; dans la
mesure où la fiscalité constitue à la fois l'expression de la souveraineté politique et du pouvoir
fiscal de l'État ; c'est à dire un instrument de contrainte ; mais également un outil au service
de la réalisation d'un ensemble d'objectifs socio-économiques et politiques (justice sociale par
exemple) liés à la concrétisation de l'État de droit?

17 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

Le terme « fisc » est en fait issu du latin « fiscus » qui désignait à l’origine le panier dans
lequel le percepteur des impôts romain transportait le produit de sa collecte, et qui a ensuite
servi par extension à désigner le vase contenant l'argent du Trésor public. Par la suite, le mot
fiscus a été employé d'une manière technique sous l’empereur Auguste et surtout sous
l’empereur Tibère pour indiquer le Trésor du prince mais aussi pour désigner le domaine de
l’empire32.
Or, si l'impôt est d'abord une technique, il est autre chose que la simple énumération des
divers procédés inventés par les gouvernants en vue de s'approprier les ressources des
contribuables.
Par ailleurs, est-il possible de considérer la notion de droit fiscal comme synonyme de
fiscalité ou de système fiscal ?

32
En effet, le Fiscus était considéré comme le trésor de la couronne, et, en ce sens, opposé à l' « Aerarium» ou trésor
public, dont les éléments et l'administration étaient différents. Quelquefois, le premier était appelé « Aerarium privatum»,
et le second «Aerarium publicum» ou «majus». Bien plus, Sénèque et même le jurisconsulte Ulpien, ont assimilé le Fiscus
à un quasi patrimoine du prince : «res fiscales quasi privatae et propriae principis sunt ». Historiquement, La création du
Fiscus dans le sens d’un «quasi-patrimoine» du souverain paraît remonter à l'an 7 de Rome ou 2l avant Jésus-Christ,
époque du partage des provinces entre le peuple et l'empereur. Le Fiscus renfermait d'abord les biens que le prince avait
reçus de sa famille, ou ses domaines héréditaires, patrimoniaux, et ceux qu'il avait acquis d'une autre manière. En outre, le
produit des amendes («Multae») prononcées contre ceux qui se rendaient coupables de contraventions ou fraudes aux lois
sur les douanes entrait dans la caisse du fisc (ces amendes s'élevaient au double ou au quadruple de la valeur des objets
soustraits au fisc). Un troisième élément de ressources pour le fisc consistait dans l'« aurum coronarium» que, d'après
l'usage, les grandes cités d'Italie et de province offraient au prince dans des occasions solennelles. En 4 ème lieu, le fisc se
grossissait des successions ou legs laissés au prince par des particuliers et recueillis «patrimonii». Hirschfeld estime que
les legs adressés au prince passaient au domaine de la couronne et non au patrimoine privé. Cinquièmement, depuis
Caracalla les biens vacants («bona vacantia») et les successions en déshérence «caduca» ou «ereptitia», dans les
provinces de César, faisaient également partie du fisc. Quant aux biens des condamnés, « bona damnatorum», le prince les
attribuait à sa volonté, soit à l'Aerarium, soit à la caisse militaire, « aerarium militare», soit au Fiscus proprement dit, ou
bien en laissait une partie à des délateurs ou à des courtisans (« petitores»). Les impôts perçus dans les «provinciae
Caesaris» entraient-ils également dans la caisse du fisc? Beaucoup d'auteurs soutiennent l'affirmative parce qu'il paraît
assez naturel que les provinces de César, administrées par lui directement, aient alimenté le fisc de l'empereur. Mais
Walter a combattu cette opinion (d'abord admise par lui dans la première édition de son Histoire du droit) en faisant
remarquer que l'«Aerarium», dont les dépenses étaient accrues par le traitement des nouveaux employés, n'aurait pu
perdre ainsi une partie notable de ses recettes. Hirschfeld croit que le fisc sous Septime Sévère finit par enlever au Sénat
le tribut des provinces stipendiaires. En outre, on voit dans Velleius Paterculus que les impôts d'Égypte, quoique province
de César, entraient dans l'«Aerarium». Enfin, l'édit de Tiberius Alexander, préfet d'Égypte, distingue nettement le compte
du prince et celui du trésor public. Quant aux dépenses qui incombaient au fiscus, il est certain que celui-ci supportait les
frais des provinces patrimoniales comme en Égypte, ceux de la maison impériale et tous ceux de la cour en général. Il est
naturel d'admettre qu'il payait également les traitements des nombreux employés du fisc ; enfin, les dettes des hérédités
recueillies par le Fiscus, soit directement, soit comme vacantes ou à titre de confiscation; même règle pour les « onera»
des biens enlevés pour indignité. L'empereur disposait du fisc comme d'un quasi patrimoine. D'ailleurs, il avait toujours
eu la haute main sur la caisse de l'«Aerarium» laissée en apparence à la disposition du Sénat, mais administrée par des
«praefecti aerarii» choisis par l'empereur. I1 pouvait donc puiser dans le trésor public en cas de détresse du fiscus ou
réciproquement. Source : Charles DAREMBERG et Edmond SAGLIO (dir.), Dictionnaire des antiquités grecques et
romaines d’après les textes et les monuments, Paris, Hachette, 1873-1923 (5 volumes) ; p 1142.

18 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

Oui, parce que les notions de fiscalité, de droit fiscal, ou de système fiscal sont
effectivement très proches, et sont souvent utilisées indifféremment les unes à la place des
autres car elles concernent la même réalité concrète, à savoir « l’ensemble des règles
juridiques relatives à l’établissement, au recouvrement et au contentieux des prélèvements
fiscaux et parafiscaux obligatoires (pas seulement les Impôts au sens strict, mais également
les taxes, taxes parafiscales et redevances, voire prélèvements sociaux dans certains cas) qui
sont appliqués sur un territoire donné à un moment donné, et qui contribuent à alimenter
(avec les ressources issues des revenus du domaine et des emprunts internes et externes 33) les
différents budgets des personnes morales de droit public » (État, CL, EP).
Selon le doyen Louis TROTABAS, le droit fiscal est « la branche du droit public qui
règle les droits du fisc et leurs prérogatives d’exercice »34.
En tant que branche autonome, le droit fiscal est d'apparition relativement récente, à
savoir vers la fin du XIXe siècle dans les pays occidentaux et plus tardivement dans les pays
en voie de développement, compte tenu de l'apparition plus tardive de l'Etat en tant
qu'institution dans ces pays, car le développement de l'impôt est lié à celui de l'Etat.
Ainsi, le droit fiscal met en présence l'Etat ou une collectivité publique et des particuliers
(même si parfois, il peut s'agir de personnes publiques) et il est de tradition de le classer dans
la catégorie des branches de droit public.
Il s’agit d’une branche de droit fondée sur une relation de pouvoir, qui met en œuvre des
prérogatives de puissance publique, ce qui le rapproche du droit administratif.
Distinction Droit fiscal / Finances Publiques / Comptabilité publique dans le cadre du
droit public financier :

33
Par exemple, afin de faire face à la pandémie due au coronavirus Covid-19, la Tunisie, comme la plupart des États du
monde, a été amenée à solliciter des prêts sur le marché international, mais également à recourir à l’emprunt interne, en
l’assortissant d’un taux d’intérêt élevé (de 8,7% à 8,9%), en vue de financer le budget 2021. Ainsi, en application de
l’article 7 de la loi de finances pour 2021 (loi n° 2020-46 du 23 décembre 2020), le d écret gouvernemental n° 2021-418
du 8 juin 2021 a fixé les conditions d’émission et de remboursement de l’emprunt obligataire national 2021 (JORT n° 49
du 9 juin 2021, p. 1466), tel que complété par le décret présidentiel n° 2021-146 du 20 octobre 2021 (JORT n° 97 du 20
octobre 2021, p. 2328) et par l’arrêté de la chargée du ministère de l’économie, des finances et de l’appui à
l’investissement du 12 août 2021 relatif à la fixation de la date d’ouverture et de clôture et les conditions de souscription à
la deuxième tranche de l’emprunt obligataire national 2021 (ouverture du 18 au 24 août) (JORT n° 74 du 17 août 2021, p.
2056).
34
Voir Louis TROTABAS, « Essai sur le droit fiscal », Revue de science et de législation financière, 1928, p. 201 ; ainsi
que Louis TROTABAS et Jean-Marie COTTERET, « Droit fiscal », 8e édition, Dalloz, 1996, paragraphe n° 11.

19 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
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Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

 En tant que branche du droit public, le droit fiscal, à savoir le droit applicable à
l’établissement (création) et au recouvrement des impôts et autres prélèvements
obligatoires (qui inclut le contentieux fiscal, c’est-à-dire l’ensemble des règles applicables
aux litiges soulevés par l’application des textes fiscaux : contentieux de l’assiette, du
recouvrement et contentieux fiscal pénal), fait partie du droit public financier, dont il
constitue l’une des 3 branches, les deux autres étant constituées par :
 le droit budgétaire ou le régime juridique des opérations de prévision, d’élaboration,
d’exécution et de contrôle du budget des personnes publiques,
 le droit de la comptabilité publique, qui détermine les modalités d’exécution des
opérations de dépenses et de recettes publiques par les ordonnateurs et les comptables
publics  
Il convient également de distinguer le droit fiscal par rapport au droit privé, dans la
mesure où cette branche du droit public se fonde, pour sa mise en œuvre, et notamment pour
la liquidation (calcul) de l’impôt dû par les contribuables et la détermination de l’assiette de
l’impôt, sur des notions issues de disciplines de droit privé comme les règles de la comptabilité
commerciale et du droit commercial, le droit des sociétés, le droit bancaire ou plus simplement
l’ensemble du droit civil (y compris le droit de la famille, des successions, etc.) .

Question de l’autonomie et du réalisme du droit fiscal (par rapport au droit privé) :

 En effet, si la place du droit fiscal parmi les disciplines de droit public ne fait pas de
doute, le droit privé, avec ses techniques et ses notions n'est pas totalement absent du
droit fiscal, qui fait largement appel aux notions du droit commercial et du droit civil
(ex : classification des sociétés, filiation, usufruit, etc.), mais en se réservant la
possibilité d'en tirer des conséquences différentes.
 Ainsi, la définition du bénéfice fiscal est légèrement différente de celle de bénéfice au
sens commercial. La notion de chef de famille et ses conséquences ne sont pas
exactement les mêmes en droit fiscal et en droit civil. Des faits répréhensibles sur le
plan pénal comme par exemple la prostitution ou le trafic de produits prohibés, sont
soumis à l'impôt. Le droit fiscal, appréhende le revenu de l'activité en tant que tel et
non pas sa qualification sur le plan pénal.
La polémique autour de l'autonomie du droit fiscal est née de cette position.

20 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

La distinction du droit fiscal par rapport aux disciplines du droit privé pose en fait la
question très débattue au début du XXe siècle, de l’autonomie et du réalisme du droit fiscal,
dont le représentant principal (« père » ou créateur) a été le doyen Louis TROTABAS dans
les années 1920, càd quelques années après l’entrée en vigueur en France de l’impôt unique
(synthétique) sur le revenu tel que nous le connaissons aujourd’hui, mis en place en 1917
dans ce pays [au même titre que le pf. Maurice LAURE est considéré comme le « père » de la
TVA]35.
En effet, jusqu’alors, notamment pendant tout le XIXe siècle et le début du XXe siècle, le
principe était celui de la supériorité du droit civil sur le droit fiscal, postulat affirmé par tous
les auteurs de l’époque, et confirmé par la jurisprudence36.
Signification : Dans un tel contexte, la théorie de l’autonomie du droit fiscal était en
contradiction avec la doctrine et la jurisprudence dominantes, puisqu’elle signifiait, au sens
strict où l’entendait alors le doyen TROTABAS, l’indépendance [« totale » ou « absolue »]
de principe du droit fiscal par rapport aux disciplines du droit privé, mais avec cependant - en
cas de doute et/ou de nécessité d’interprétation – la possibilité d’un renvoi facultatif et
secondaire au droit commun.
Cette notion d’une autonomie de principe du droit fiscal s’opposait notamment à la
conception véhiculée au cours de la même période par le doyen Gény – le plus célèbre
privatiste de l’époque – qui s’était prononcée pour une spécificité ou un particularisme du
droit fiscal (toujours par rapport au droit privé) fondés sur la reconnaissance de la possibilité
pour le législateur fiscal d’émettre des règles spécifiques au droit fiscal, en contradiction
éventuelle avec le droit commun, mais à condition que ces règles « spécifiques » ou

35
Voir Louis TROTABAS , « Essai sur l’autonomie du droit fiscal », In Revue de Science et de Législation Financière ,
1928, p 201 ; ainsi que Louis TROTABAS racontant le 29 mars 1983 à Maurice COZIAN [à la demande de ce dernier qui
lui avait adressé un exemplaire des « Grands Principes de la fiscalité des entreprises », dont le premier document
s’intitulait précisément « Propos désobligeants sur une «  tarte à la crème  »  : l’autonomie et le réalisme du droit fiscal »]
comment, jeune agrégatif, il avait été conduit à « inventer » la théorie de l’autonomie du droit fiscal : « Il faut que je vous
raconte la naissance de cette autonomie, ce qui remonte aux années 20-21. En ce temps-là j’arrivais à Paris pour mes
études de doctorat, avec l’intention de préparer le concours d’agrégation. Selon l’usage, je désirais entrer dans une
étude d’avocat aux Conseils… Je suis donc sorti de chez le Président Aubert en emportant sous mon bras 3 ou 4 dossiers
qu’il m’avait confiés en me demandant de préparer des projets de mémoires pour le ministère des finances. Quand je les
ai étudiés, les arguments des contribuables m’ont paru irréfutables et ma position de «   spécialiste  » des finances
publiques ridicule. J’ai fini pourtant, car je ne pouvais pas perdre la face, par monter un projet où je reconnaissais que
le requérant avait tout à fait raison, mais qu’il n’était pas question de discuter ses droits d’après les articles du Code
Civil, car il s’agissait de définir ses obligations d’après la loi fiscale  »; extraits publiés en « Appendice » à la Revue de
Droit Fiscal n° (12+1), 1999, p 535 (ladite lettre a également été reproduite dans la RFFP, année 1995, p 259). Voir aussi
Maurice COZIAN, Les grands principes de la fiscalité des entreprises , Paris, LITEC, 1996, et du même auteur : Précis de
fiscalité des entreprises, Paris, 31e édition, LITEC, 2008 (Document 1).
36
Voir par exemple Albert WAHL, Traité de droit fiscal, Tome III, Paris, LGDJ, 1902 ; ou encore cette affirmation
d’Eustache PILON dans ses notes sous deux arrêts de la Cour de Cassation française en date du 11 février 1925 et du 10
février 1926 : «c’est le droit civil qui domine et doit dominer le droit fiscal».

21 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

« particulières » demeurent exceptionnelles et soient justifiées par l’objectif spécial du droit


fiscal, d’où l’obligation de les interpréter strictement 37.
De nos jours, la controverse entre « autonomie absolue » et/ou « simple particularisme
(spécificité) » du droit fiscal est relativement dépassée, puisque les auteurs contemporains
[ex : Maurice COZIAN, et même le doyen TROTABAS lui-même ?] s’accordent pour
considérer le droit fiscal comme étant constitué de règles juridiques spécifiques permettant de
le distinguer des autres branches du droit, mais sans pour autant s’affranchir complètement de
ces autres branches dont il a besoin pour sa mise en œuvre. Il s’agit par conséquent d’une
autonomie relative.
En effet, le droit fiscal s’applique à des situations juridiques préexistantes, issues du droit
civil, du droit commercial ou du droit comptable, sans pouvoir – sauf exceptionnellement –
les re-créer ou les modifier à des fins fiscales38.
Cette position est en fait conforme au principe de la sécurité juridique des contribuables,
dans la mesure où il serait contraire à cette sécurité de permettre au droit fiscal de remodeler
ou redéfinir à sa guise les situations juridiques déjà réglementées par d’autres disciplines.
La thèse de l’autonomie relative du droit fiscal est aujourd’hui partagée au niveau
européen par la majorité des auteurs contemporains, ainsi que par la jurisprudence, comme le
constate Mme Florence DEBOISSY, dans un ouvrage consacré à « La simulation en droit
fiscal» où elle écrit que : « La doctrine dominante, comme le juge de l’impôt, se rejoignent
aujourd’hui pour condamner toute autonomie de principe de la matière fiscale», et elle ajoute
que : «Le droit français s’inscrit par-là même dans la lignée des solutions récentes en Suisse
ou en Belgique où le principe de la dépendance du droit fiscal à l’égard du droit commun est
solidement ancré »39.
La thèse de l’autonomie relative du droit fiscal est complétée par la théorie du réalisme
de ladite discipline, qui en constitue une démonstration pratique et sa conséquence logique.
En effet, le réalisme est à l’autonomie ce que l’ombre est à l’homme, et le pf.
LUKASZEWICZ a notamment écrit à ce sujet que « le réalisme du juge et donc du droit

37
François GENY, « Le particularisme du droit fiscal », In Revue Trimestrielle de Droit Civil, 1931
38
Allant encore plus loin, le pf. Jean LAMARQUE, par exemple, nie tout pouvoir créateur au droit fiscal et affirme ce qui
suit : « Il n’est pas appelé à régler des situations juridiques propres, et ceci en raison de son objet même   », in «Les
Sources du droit fiscal», Jurisclasseur fiscal, fascicule n° 84.
39
Florence DEBOISSY, La simulation en droit fiscal, Paris, LGDJ, 1997, p 10.

22 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
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fiscal n’est qu’une application du principe d’autonomie dans les décisions individuelles
d’imposition »40.
Concrètement, le caractère réaliste du droit fiscal a été dégagé depuis longtemps par la
doctrine française et apparaît comme le fondement commun de plusieurs arrêts de principe41.
Le réalisme signifie que cette branche du droit public est appelée à tenir compte :
 d’une part de certains faits ignorés par le droit privé [situations fictives] ;
 et d’autre part à donner des conséquences juridiques - et donc fiscales - à des faits rejetés
par le droit privé [situations interdites, illicites ou immorales].
Cette conséquence de l’autonomie du droit fiscal a notamment été systématisée par le
Conseil d’État dans son arrêt « Syndicat des Agents Généraux de Belfort », rendu le 21
janvier 1921, et formulée de la manière suivante :
«  Qu’est-ce en effet qu’une loi fiscale ? C’est une loi destinée à frapper la
matière fiscale, la matière imposable, et qui la saisit là où elle se trouve et
telle qu’elle apparaît en fait, sans se préoccuper de ce qu’elle vaut en droit.
La loi fiscale frappe donc des états de fait et non des situations de droit ».
On comprend par là que le réalisme du droit fiscal signifie que cette discipline s’applique
à des réalités économiques, au-delà des abstractions juridiques. Il s’agit en effet d’assurer le
respect du principe de l’égalité des contribuables devant la loi d’impôt, notamment en luttant
contre la fraude organisée par le recours à des subterfuges juridiques.
Ainsi, en cas de tromperie volontairement organisée par les contribuables pour induire le
fisc en erreur, le droit fiscal permet à l’administration fiscale de procéder au rétablissement de
la réalité des faits faussement qualifiés sur le plan juridique et de leur appliquer la loi fiscale
correspondante [ex : cas fréquent : donation faussement qualifiée de vente pour échapper aux
droits de mutation élevés]. En effet, l’administration fiscale a la prérogative de disqualifier un
acte apparent fictif qui cache un autre acte réel, en dissipant les brumes trompeuses de la
fictivité, car pour le droit fiscal, celle-ci (la fictivité) n’est pas un écran suffisant pour
brouiller la réalité42.

40
J.-P. LUKASZEWICZ, Nouveaux aperçus sur l’autonomie du droit fiscal , Thèse de doctorat en droit, Université
d’Amiens, 1973.
41
Voir à ce sujet Cyrille DAVID, Olivier FOUQUET, Marie-Aimée LATOURNERIE et Bernard PLAGNET, « Le
réalisme du droit fiscal : apparence, illicéité et abus de droit », Conclusions sous C.E., Section 20 février 1974, requête
83270, LEMARCHAND, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, Paris, Dalloz, 3e édition, 2000, pp. 164-183.
42
Dans certains cas exceptionnels cependant, l’administration fiscale a la possibilité de choisir de se référer à l’apparence
et d’imposer les actes fictifs, ce qui peut sembler paradoxal, et a été qualifié par certains auteurs de « réalisme au 2nd
degré» du droit fiscal. Cette option en faveur de l’apparence a été consacrée par la jurisprudence du Conseil d’État dans
un arrêt de principe du 20 février 1997, l’arrêt Le Marchant.

23 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
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La plupart des systèmes fiscaux comportent d’ailleurs des présomptions légales de


simulation, dans lesquelles le législateur pose l’hypothèse d’une distorsion entre l’apparence
et la réalité [ou encore par le recours à la notion d’abus de droit en matière fiscale] 43. Il s’agit
en tout état de cause de présomptions simples, qui admettent la possibilité d’une preuve
contraire apportée par le contribuable, car poser une présomption irréfragable en la matière
serait contraire au principe constitutionnel des droits de la défense.
Parmi les manifestations du réalisme du droit fiscal figure par ailleurs la possibilité
d’imposer des situations illicites comme l’exercice d’une activité commerciale sans
autorisation (parce qu’immorale ?).
Toutefois, le réalisme du droit fiscal, au même titre que son autonomie, est une notion
relative, dans la mesure où le droit privé n’hésite pas non plus à faire produire à une activité
illicite des conséquences juridiques. Ainsi, face à l’exercice d’une activité illicite, le juge civil
peut tout à fait considérer la personne exerçant ladite activité comme « commerçante » au
sens du droit commercial, et à lui appliquer les règles du redressement ou de la faillite 44.
En effet, la sanction de l’exercice - dans les faits - d’une activité commerciale, même si
celle-ci est illégale, est constituée par l’obligation pour celui qui l’exerce de subir toutes les
conséquences juridiques liées à cet exercice. De ce fait, le droit fiscal ne manifeste pas plus
d’autonomie ou de réalisme que le droit commun lorsqu’il réserve des conséquences fiscales à
des faits illicites ou immoraux.
En outre, d’un point de vue purement comptable, il convient également de pacifier les
relations entre droit comptable et droit fiscal et de se préparer aux évolutions imposées par
des normes, venues de cabinets comptables privés, qui dictent leur logique économique, en
les rebâtissant sur de nouvelles bases : celles du compromis. D’ailleurs, si un tel compromis a
pu être réalisé dans le passé, il doit être possible d’en tirer les leçons pour le futur, notamment
en tenant compte des normes comptables internationales, devenues obligatoires pour les
entreprises45.
Plutôt que de traiter de l'autonomie du droit fiscal, il est en vérité plus pertinent
d’évoquer l'interaction entre le droit fiscal et les autres branches du droit.

43
Voir Maysoun BOUZID, « L’abus de droit en matière fiscale », mémoire, Mastère en droit des affaires, FDS, Sfax,
2003 ; actualisé et publié sous forme d’ouvrage portant le même intitulé et préfacé par les professeurs Gilbert ORSONI et
Néji BACCOUCHE, aux éditions Publibook, Droit et Sciences Politiques, Paris, 2008.
44
Voir à ce sujet Jean-Jacques BIENVENU, Droit fiscal, Paris, PUF, 1987, p 57.
45
Voir Siankolouté SAMBOU, Les relations entre fiscalité et comptabilité  : vers un passage de l’ère juridique à l’ère
économique, Paris, L’Harmattan, 2014.

24 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
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Il y a en effet, en droit fiscal, un corps de règles spécifiques comme par exemple les
règles d'assiette de l'impôt ou de contrôle. Il y a aussi des règles et des notions qu'il partage
avec d'autres disciplines comme par exemple le principe de légalité ou d'égalité, les règles en
matière de recouvrement qui sont les mêmes que celles du recouvrement des créances
publiques…En cela le droit fiscal ne se distingue pas des autres branches du droit. À côté d'un
corps de règles particulières, les disciplines juridiques puisent les unes dans les autres un
certain nombre de notions vu l'interaction entre les différents phénomènes sociaux que le droit
est habilité à encadrer. Ce phénomène a tendance à se vérifier encore plus en droit fiscal car
celui-ci s'intéresse à un aspect particulier de la vie des citoyens, leur richesse lorsqu'ils la
produisent ou lorsqu'ils l'utilisent ou lorsqu'ils la transmettent, laquelle est en principe
soumise à l’impôt.
Il convient en tout état de cause de retenir la thèse de l’autonomie et du réalisme relatifs
du droit fiscal par rapport aux disciplines de droit commun nécessaires à sa mise en œuvre, ce
qui en fait un « droit de mise en œuvre » ou « d’accompagnement » des autres disciplines
dont il s’inspire, et ce, même si, d’un point de vue historique, l’apparition du droit fiscal est
presque aussi ancienne que celle du droit privé au sein des civilisations humaines46.
Historique, droit comparé : En effet, si l'on revient aux enseignements de l'histoire, on
peut constater que de tout temps le prélèvement fiscal a été utilisé comme mode de
financement des dépenses publiques, de l'Égypte des pharaons à la Grèce et à la Rome
antique, en passant par le Moyen-âge chrétien ou même la Chine antique, car si l’on ne sait
pas exactement à quand remontent les premières taxes de l’histoire, on en trouve quelques
traces dans le premier empire chinois dès le IXe siècle avant J.-C47.
Sans doute l'impôt a-t’il varié dans son poids, dans sa répartition, dans ses justifications,
mais depuis la IIe dynastie de l'ancienne Égypte jusqu'à nos jours – à l'exception peut-être de
l'époque féodale, qui se présente comme un monde sans impôt au sens moderne du mot –, la
technique fiscale a évolué et a épousé fidèlement l'essor politique, économique, social et
démographique des sociétés, comme l'ont souligné les travaux de Gabriel Ardant établissant
clairement la corrélation entre les structures des collectivités humaines et leurs impôts48.
46
Expressions de Florence DEBOISSY dans son ouvrage précité.
47
Toutefois, on peut noter de grandes différences : par exemple, dans le passé, le montant de l'impôt à percevoir était
généralement fixé à l'avance, puis réparti selon divers systèmes entre les contribuables ; il s'agissait d'un impôt dit de
répartition ; tandis qu’actuellement, tous les impôts sont des impôts dits de quotité : car seule est fixée à l'avance la
quotité (pourcentage) de matière imposable (revenu, chiffre d'affaires, etc.) que chaque assujetti doit payer, et le montant
exact de la recette finalement encaissée dépend alors des aléas économiques (voire climatiques) affectant le volume de la
matière imposable.
48
Gabriel ARDANT, Théorie sociologique de l'impôt, SEVPEN, 1965 et Gabriel ARDANT, Histoire de l'impôt, Editions
Fayard, Paris, 1972

25 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
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En vérité, la caractéristique commune des impôts antérieurs à la période contemporaine –


qui commence environ au lendemain de la Révolution française – est leur caractère souvent
injuste et arbitraire.
En outre, le sens contemporain donné à la notion de droit fiscal, de système fiscal ou de
fiscalité, provient essentiellement des conséquences des révolutions libérales occidentales,
américaine de 1776-1787 et française de 1789.
Il est d'ailleurs possible de constater à ce propos que les revendications à caractère fiscal
sont souvent allées de pair avec des revendications en faveur de l'adoption d'un régime
constitutionnel par opposition aux régimes monarchiques autoritaires :
Ainsi, les révolutions libérales bourgeoises du XVIII e siècle ont abouti à la mise en place
de régimes politiques nouveaux dans lesquels une Constitution fixe les droits, les devoirs des
citoyens et organise la séparation des pouvoirs. Elles ont été provoquées par des motifs
d'ordre fiscal :
- en Amérique, la révolte des marchands contre l’augmentation des taxes sur le thé
(« Boston Tea Party ») ;
- en France, la révolte du Tiers-État contre l’injustice du système fiscal qui favorisait la
Noblesse et le Clergé.
En Tunisie, le facteur fiscal a également joué un rôle en matière politique, mais en sens
inverse, puisqu'il a abouti, non pas à l'adoption d'une Constitution limitant le pouvoir absolu
du souverain, mais plutôt à la suspension de l'application de la première Constitution
tunisienne, octroyée en 1861 par le Bey à ses sujets sous la pression des puissances
étrangères. En effet, la révolte fiscale de Ali Ben Ghadahem en 1864 a conduit à suspendre
l’application de la Constitution de 1861 qui comportait pourtant les prémisses du principe du
consentement du peuple à l’impôt 49. En fait, dans le contexte de l'époque, la Constitution
n'était pas perçue comme un gage de liberté, mais plutôt comme un instrument d'oppression
au service des légations étrangères ; en dépit de l'inspiration libérale de ce document.
Plus tard, la revendication constitutionnelle est devenue l'un des arguments principaux de
la lutte pour l'Indépendance, et le facteur fiscal a également joué un rôle libérateur, dans la
mesure où la résistance à l'impôt recouvré par la puissance protectrice était alors vivement
encouragée, car considérée comme un acte patriotique50.

49
Elle-même motivée par un doublement de l'impôt de capitation (la Mejba) de 36 à 72 piastres.
50
Selon le pf. AYADI, c’est ce qui explique en partie les difficultés actuelles pour faire accepter aux tunisiens l'obligation
fiscale inscrite dans la Constitution du 1 er juin 1959 ; voir Droit Fiscal, CERP, 1989, p 89.

26 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

Néanmoins, la Constitution tunisienne adoptée après l’Indépendance, et plus précisément


le 1er juin 1959 - outre la confirmation du caractère irréversible du régime républicain
proclamé le 25 juillet 1957 - a expressément consacré une série de principes fiscaux parmi
lesquels le principe de la nécessité de l’impôt (devoir fiscal : article 16) conformément à un
principe général d’équité fiscale et d’égalité de tous devant la loi (y compris la loi fiscale :
article 6) ; au même titre que le principe de la légalité de l’impôt (conséquence concrète du
principe du consentement du peuple à l'impôt à travers ses représentants : article 34) ; étant
précisé que la reconnaissance de l’ensemble de ces principes est normalement censée
contribuer à une meilleure acceptation sociopolitique du prélèvement fiscal51.
La Constitution du 27 janvier 2014 a repris l’ensemble de ces principes52.
En fait, après une période marquée par une reprise intégrale du système fiscal hérité du
Protectorat au cours des premières années de l’Indépendance (sous réserve de la parenthèse
coopérativiste des années 1964 à 1969), le système fiscal tunisien s’est orienté vers
l’ouverture sur l’investissement étranger et l’attraction des capitaux privés grâce à différentes
techniques d’incitation, instituées parallèlement au maintien d’un système fiscal classique qui
a également évolué. Cette évolution, qui s’est inspirée des tendances fiscales à l’échelle
mondiale, peut se résumer de la manière suivante :
 introduction d'une imposition synthétique sur la dépense générale sous forme de taxe
sur la valeur ajoutée, adoptée par la loi n° 88-61 du 2 juin 1988 portant promulgation
du code de la TVA [en remplacement de l'ancien système des taxes sur le chiffre
d'affaires ou TCA, issu du décret du 29.12.1955, dont les inconvénients avaient fini
par alourdir les obligations des contribuables et constituer une gêne au
développement de l’économie] tel que modifié par les textes ultérieurs53 ;
 refonte des droits de consommation par la loi n° 88-62 du 2 juin 1988 ;

51
Voir Slim BESBÈS, Le Principe de la légalité de l'impôt en droit tunisien , thèse de doctorat d’État en droit public,
FDSP, Tunis, 2005.
52
Articles 10, 21, 65 et 66 notamment.

27 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
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 adoption d’un nouveau tarif des droits de douane à l’importation promulgué par la
loi n° 89-113 du 30 décembre 1989 tel que modifié et complété par les textes
subséquents (en particulier les LF annuelles)54 ;

53
Ndlr : En droit public, la promulgation est l'acte par lequel le chef de l'État constate qu'une loi a été régulièrement
adoptée par le Parlement. Le code de la TVA a notamment été modifié par les LF annuelles mais aussi par d’autres textes.
Voir par ex. la loi n° 2006-71 du 28.10.2006 modifiant le code de la TVA dans le sens d’un changement apporté au
Tableau «A» (exonérations) annexé au code de la TVA (transport des handicapés) (JORT n° 88 du 3.11.2006, p 3870) ou
encore la loi n° 2006-80 du 18.12.2006 relative à la réduction des taux de l’impôt et à l’allègement de la pression fiscale
sur les entreprises, qui a modifié les règles de restitution de l’indu en matière de TVA (modif. art. 15 code TVA),
supprimé le taux de 29% de la TVA, ramenant à 3 le nombre de taux en maintenant le taux réduit de 6%, le taux normal
de 18% et en faisant passer de 10 à 12% le taux intermédiaire (JORT n° 101, 19.12.06, p 4300). La LF pour 2007 a pour
sa part apporté d’autres modifications au code de la TVA, notamment dans le sens de l’encouragement de la transmission
des entreprises (ajouts au § IV-2 de l’art. 9 du code de la TVA) et de l’exonération de la TVA des opérations de réparation
et de maintenance des navires et des bateaux de pêche (ajout au n° 12 bis du tableau «A» annexé au code de la TVA « et
des navires et bateaux destinés à la pêche») ainsi que de l’assouplissement des obligations fiscales (modif. 2 ème tiret du
3ème al du § II de l’art. 18 du code de la TVA : «- de communiquer au bureau de contrôle des impôts compétent durant les
28 j. qui suivent chaque trimestre civil une liste détaillée des factures émises en suspension de la TVA selon un modèle
établi par l’administration comportant notamment le n° de la facture objet de l’avantage, sa date, le nom et prénom ou la
raison sociale du client, son adresse, son n° de carte d’identification fiscale, le prix hors taxe, le taux et le montant de la
TVA ayant fait l’objet de suspension et le n° de la date de la décision administrative relative à l’opération de vente en
suspension de taxe») (JORT n° 103, 26.12.2006, p 4380).
54
A ne pas confondre avec le « code des douanes », promulgué la première fois en 1955, abrogé et remplacé par un
nouveau code des douanes en 2008. Quant au « nouveau tarif des droits de douane » fixé par la loi n° 89-113 du
30.12.1989, il a également été modifié ultérieurement, notamment par l'art. 65 de la LF pour 1999 qui a procédé à
l'harmonisation de la nomenclature douanière tunisienne avec la nomenclature de l'UE utilisée dans les échanges
commerciaux entre la Tunisie et la communauté des pays de l'UE, telle que précédemment modifiée par la LF pour 1998,
en précisant que "la 2ème colonne est réservée au n° du tarif à 9 chiffres", ce qui a normalisé les termes de référence entre
les partenaires, dans la perspective de l'accroissement et de la simplification des échanges entre les deux rives de la
Méditerranée. Une table de concordance a par ailleurs été publiée pour aider les opérateurs en ce qui concerne
l'application de la nouvelle nomenclature. Ainsi, chaque produit était auparavant identifié au niveau de la douane par un
code qui, sur le plan international, comportait 6 chiffres, conformément au " Nouveau Système Harmonisé" ou NSH, soit 2
chiffres pour le chapitre (ex : véhicule terrestre : 87, engin aérien : 88, etc.) ; 2 chiffres pour la position (ex : tracteur :
8701, transport en commun : 8702, tourisme : 8703, transport de marchandises : 8704, etc.) et 2 chiffres pour la sous-
position (ex : véhicule de tourisme mazout : 870310, tourisme essence : 870320, etc.) ; auxquels on ajoutait au niveau
national 1 chiffre pour le tarif tunisien, 1 chiffre pour la Nomenclature Générale des Produits ou NGP utilisée pour les
statistiques du commerce extérieur, et 1 chiffre pour la Nomenclature Détaillée des Produits ou NDP utilisée par le
système SINDA. A l'ensemble de cette nomenclature, la LF pour 1999 a ajouté 2 chiffres d'harmonisation avec l'UE,
introduisant le tarif européen, intercalés entre les 6 premiers chiffres du code international NSH et le chiffre du tarif
tunisien, le reste demeurant sans changement. Le nouveau tarif des droits de douane a également été modifié par la LF
pour 2003, pour 2004, pour 2005, pour 2006 et pour 2007 (exonérations matières premières secteur artisanat, ciment).
Voir N. Baccouche : «Les implications de l’accord d’association sur le droit fiscal et douanier », Mélanges H. AYADI ;
CPU 2000, p 9 et suivantes ; ainsi que B. KARRAY, «Le nouveau cadre juridique en matière de l’évaluation en douane»,
In Etudes Juridiques n° 9, 2002, p 129 à 158.

28 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
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 mise en place d'un impôt général sur les revenus des personnes physiques et les
bénéfices des sociétés, à taux modérés, introduit par la loi n° 89-114 du 30 décembre
1989 portant promulgation du code de l'IRPP/IS et remplacement des anciens impôts
directs cédulaires qui existaient jusqu'alors, et de la contribution personnelle d’État
ou CPE qui s'y superposait, et dont les taux fortement progressifs apparaissaient
confiscatoires ;

 refonte des droits d'enregistrement, opérée par la loi n° 93-53 du 17 mai 1993
portant promulgation du code des droits d'enregistrement et de timbre (CDET), tel
que complété et modifié par les lois subséquentes55 ;

55
(JORT n° 39 du 25.05.1993, p 715). La loi n° 98-73 du 4.08.1998, portant simplification des procédures fiscales et
réduction des taux de l'impôt, a révisé certaines dispositions du CDET pour les mettre en harmonie avec le régime des
plus-values immobilières qu’elle a également modifié. Les LF apportent en outre régulièrement des modifications au
régime des droits d’enregistrement (voir les LF à partir de celle pour 1999). Ainsi, par ex. la LF pour 2005 a unifié les
tarifs du droit de souscription et de versement du capital en supprimant les 3 catégories de tarifs précédents (25 D, 50 D et
100 D) et en les remplaçant par un tarif unique de 100 D, quel que soit le montant du capital souscrit (modification de
l’art. 24 CDET). Le CDET a également été modifié par la loi n° 2006-69 du 28.10.2006 relative à l’exonération des
donations entre ascendants et descendants et entre époux du droit d’enregistrement proportionnel (JORT n° 88 du
3.11.2006, p 3869), ainsi que par la LF pour 2007 (encouragement de la transmission des entreprises  : modif. et ajouts
apportés au tarif prévu par l’art. 23 CDET et exonération des droits d’enregistrement sur les successions de la
transmission par décès de la totalité des immeuble et meubles corporels et incorporels exploités au sein d’une entreprise
qui constitue une unité économique indépendante et autonome à condition que les héritiers et légataires s’engagent à
continuer l’exploitation de l’entreprise pour une période de trois ans au minimum à compter du 1 er janvier de l’année qui
suit celle du décès, par l’ajout d’un art 52 bis et 52 ter au CDET ; réduction du droit d’enregistrement fixe au titre des
prêts agricoles par suppression d’une disposition à l’art. 23, n° 29  ; fixation de l’assiette du droit de timbre dû sur les
opérations de recharge électronique du téléphone en modifiant la formulation du n° 8 du § I du tarif prévu par l’art. 117 et
en ajoutant un n° 8 bis et 8 ter, ainsi qu’un paragraphe à l’art. 126 du CDET) (JORT n° 103, 26.12.2006, p 4380 et s.).
Concernant les effets et les objets mobiliers (à l’exception de certains biens tels que les véhicules, aéronefs etc.)
provenant de successions ouvertes à l’étranger, le décret n° 2007-745 du 2 avril 2007 a fixé certains avantages fiscaux
(franchise) concernant leur importation par les héritiers jusqu’au 4 ème degré inclus (JORT n° 28 du 6 avril 2007, p 1097).

29 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

 réaménagement des incitations fiscales à l'investissement dans le cadre du code d'incitations


aux investissement (CII) promulgué par la loi n° 93-120 du 27.12.1993 et révisé 29 fois
depuis cette date, jusqu’à son abrogation et son remplacement par la loi n° 2016-71 du 30
septembre 2016 portant «loi de l’investissement», composée de 36 articles (dont 10 articles
de dispositions transitoires et finales)  56; elle-même complétée par la loi n° 2017-8 du 14
février 2017 portant refonte des avantages fiscaux (JORT n°15 du 21 février 2017, p. 771) ;
 codification des impôts et prélèvements locaux dans le cadre d’un code de la fiscalité
locale (CFL) promulgué par la loi n° 97-11 du 3 février 1997 ; tel que modifié et
complété par les lois de finances ultérieures (ex : LF 2003, LF 2005, LF 2006, LF
2007, LF 2009), la loi n° 2007-53 du 8 août 2007, complétant les dispositions du
CFL pour l’amélioration des modalités de perception des taxes revenant aux
collectivités locales57 ;

56
(JORT n° 82 du 7 octobre 2016, p. 3082).
57
La LF pour 2003 a modifié le CFL dans le sens : 1. d’une suppression du dégrèvement partiel de la Taxe sur les
Immeubles Bâtis (TIB) en abrogeant les dispositions du §I de l’art. 6 du CFL et en modifiant les dispositions du § III du
même art. 6 ; 2. d’une rationalisation des règles de fixation de la contribution à la réalisation de parkings collectifs pour
les moyens de transport et sa mise à jour (art. 90 CFL) ; 3. et d’une harmonisation des dispositions relatives à la
prescription en matière du minimum de la taxe sur les établissements à caractère industriel, commercial ou professionnel
avec la législation fiscale en vigueur, du fait d’une modification du § II de l’art 40 du CFL. La LF pour 2005 a modifié
certaines dispositions du CFL dans le sens : 1. d’une harmonisation du CFL avec les dispositions du code de l’IRPP/IS à
travers l’exonération des personnes physiques et morales non résidentes et non établies en Tunisie [selon la définition du
code de l’IRPP/IS] du paiement de la taxe en faveur des collectivités locales (modification du 1 er tiret de l’art. 36 du CFL)
; 2. d’une rationalisation de la répartition de la taxe sur les établissements à caractère industriel, commercial ou
professionnel entre les collectivités locales (ajout d’un sous-§ au § V de l’art. 38 du CFL)  ; 3. d’une rationalisation de
l’exonération des jardins de la taxe sur les terrains non bâtis  (modification du 1 er tiret de l’art. 32 du CFL) ; 4. et d’une
affectation du produit des amendes dues au titre des contraventions aux règlements municipaux en matière d’urbanisme au
profit du budget des CPL (article 83 de la LF pour 2005). Les articles 53 et 56 de la LF pour 2006 ont pour leur part
modifié le CFL dans le sens d’une amélioration du recouvrement de la TIB et de la TNB et de la détermination du titre
exécutoire pour le recouvrement des recettes revenant aux CL (inscription individuelle sur un rôle)  ; étant précisé que les
agents et contrôleurs chargés du recensement décennal des immeubles bâtis et des terrains non bâtis dans les communes et
gouvernorats bénéficient depuis 1973 d’une indemnité forfaitaire spéciale fixée par arrêté de chaque président de
collectivité locale concernée sur la base des critères posés par le décret n° 73-369 du 30.07.1973 l’ayant créée, tel que
modifié par le décret n° 80-1169 du 15.09.1980 ; texte abrogé et remplacé par le décret n° 2006-3051 du 20 novembre
2006 (JORT n° 94 du 24.11.2006, p 4079). Le décret n° 2006-3360 du 25 décembre 2006 relatif à la détermination du
montant maximum annuel de la taxe sur les établissements à caractère industriel, commercial ou professionnel a ensuite
fixé à 100 000,000 D (cent mille) dinars le montant maximum annuel de la TECICF, prévu au § III de l’art. 38 du CFL,
abrogeant ainsi les dispositions précédentes du décret n° 2003-1345 du 16 juin 2003 (JORT n° 2 du 5 janvier 2007, p 29).
La LF pour 2007 a réduit le taux de la pénalité de retard au titre des créances constatées, modifiant dans ce sens l’art. 19,
§ I, al. 1 du CFL : «I. Les sommes constatées auprès des receveurs des finances au titre de la TIB donnent lieu à une
pénalité égale à 0,75% par mois ou fraction de mois de retard calculée à partir du 1 er janvier de l’année qui suit l’année
au titre de laquelle la taxe est exigible » et abrogeant l’al. 2 de cet article (JORT n° 103, 26.12.2006, p 4389). La loi n°
2007-53 du 8.08.2007 visant l’amélioration des modalités de perception des taxes revenant aux collectivités locales a
ajouté un article 17 bis au CFL (obligations de dépôt d’une déclaration mises à la charge des propriétaires mais aussi des
locataires) ainsi que les paragraphes III, IV et V à l’article 19 (sanctions au défaut de dépôt de la déclaration précédente)
imposant des obligations strictes à la charge des propriétaires d’immeubles, même inachevés, procédant à des opérations
de location de ces immeubles, et étendant ces obligations aux locataires et occupants desdits immeubles (JORT n° 64 du
10 août 2007, p 2733 ; le même JORT comportant deux avis du Conseil Constitutionnel à ce sujet, le 1 er sur le projet de
loi lui-même et le 2nd sur les amendements audit projet, aucune inconstitutionnalité n’ayant été relevée dans l’un et l’autre
cas). Le CFL a été modifié par la LF pour 2009 dans le sens d’une amélioration du recouvrement de la taxe sur les
immeubles bâtis et la taxe sur les terrains non bâtis opérée par l’article 33 de la LF pour 2009 (art. 13 CFL).

30 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

 promulgation du code des droits et procédures fiscaux ou CDPF par la loi n° 2000-
82 du 9 août 2000 58 ; dont l’entrée en vigueur a été reportée au 1 er janvier 2002 afin
de laisser le temps aux contribuables ainsi qu'à l'administration fiscale et à la justice
de s'y adapter (Or, dès le mois de janvier 2002, ce texte a été modifié par la loi n°
2002-1 du 8 janvier 2002 dans un sens plus sévère pour les contribuables -
modification de l’article 17 - tout en portant amnistie sur certains points) 59 ;
 et adoption d’un nouveau « code des douanes » remplaçant celui de 1955,
promulgué par la loi n° 2008-34 du 2 juin 2008 ; et dont l’entrée en vigueur a été
reportée au 1er janvier 2009, pour laisser le temps aux opérateurs du secteur de s’y
adapter 60.

58
JORT n° du 64 du 11 août 2000, p 1874 et suivantes.
59
En effet, dès le mois de son entrée en vigueur, le CDPF a été modifié par la loi n° 2002-1 du 8 janvier 2002 qui a révisé
l’art. 17 relatif au droit de communication ; prévu certaines tolérances en faveur des contribuables ne l’ayant pas encore
fait et qui auraient déposé spontanément leurs déclarations avant la fin du mois de juin 2002 afin de les inciter à
accomplir leur devoir fiscal (mesure d’amnistie fiscale) ; et abrogé les dispositions de l’art. 15 du CDPF, ce qui a levé en
principe d’office et dans tous les domaines l’obligation du secret professionnel à l’égard des fonctionnaires des
administrations financières (JORT n° 3 du 8.1.2002, p 59). Le CDPF a également été modifié par la loi n° 2006-11 du 6
mars 2006 instituant un ministère d’avocat obligatoire lorsque le montant de la taxation d’office ou celui relatif à la
demande en restitution est supérieur à 25 000,00 D ; étant précisé que cette obligation ne concerne que les contribuables
dans la mesure où l’administration fiscale continue à pouvoir être représentée à l’instance par ses propres agents (y
compris en appel), sans besoin de pouvoir spécial à cet effet [art. 57 et 67 (nvx)]  ; (JORT n° 20 du 10 mars 2006, p 532).
La loi n° 2006-80 du 18.12.06 relative à la réduction des taux de l’impôt et à l’allègement de la pression fiscale sur les
entreprises a pour sa part modifié le § 1 de l’art. 32 du CDPF (restitution de l’indu en matière de TVA ; JORT n° 101,
19.12.06, p 4300) ; tandis que la LF pour 2007 a également apporté des changements à ce code (réduction de la pénalité
de retard exigible en cas de déclaration spontanée de l’impôt et de la pénalité de l’intérêt de restitution  : remplacement du
taux de 0,75% prévu par le § 2 de l’art. 32, par l’art. 34 et par l’art. 81 par le taux de 0,50%  ; modif. art. 82, art. 84 ;
réduction du taux de la pénalité de retard au titre des créances constatées  : remplacement du taux de 1% prévu par l’art.
88 CDPF et par l’art. 72 bis CCP par le taux de 0,75%) (JORT n° 103, 26.12.2006, p 4380 et suivantes). Pour sa part, la
LF pour 2008 a subordonné le transfert des revenus imposables par les étrangers à la régularisation de leur situation
fiscale (art. 112), tout en apportant des précisions relatives au domaine de compétence du juge fiscal (art. 54 et 68) et en
clarifiant les règles de la taxation d'office en cas de défaut de dépôt des déclarations fiscales (art. 48). En application de
ces modifications, le décret n° 2008-1858 du 13 mai 2008 a notamment fixé les modalités d’application de l’article 112 du
CDPF relatif à la subordination du transfert des revenus imposables par les étrangers à la régularisation de leur situation
fiscale (JORT n° 41 du 20 mai 2008 ; p 1535). Quant à la LF pour 2009, elle a procédé au regroupement des textes relatifs
aux procédures de notification en matière fiscale au sein du CDPF (art. 69) et a assorti d’une sanction l’irrespect des
obligations relatives à la dématérialisation de certaines obligations fiscales (art. 89 bis). La LF pour 2010 a pour sa part
modifié les articles 3 (domicile du contribuable), 10 (cas de décès du contribuable), 28 (délai de la demande en restitution
de trop-perçu), 32 (crédit de TVA), 37 (domaine de la vérification), 39 (non application du délai de 15 jours au crédit de
TVA), 62 (recours à l’expertise) et 88 (réduction de la pénalité à 0,5%) du CDPF. Pour un commentaire (quoique un peu
ancien) consulter Rym BEJAOUI, Les apports du code des droits et procédures fiscaux en matière des procédures de
contrôle et d’imposition, mémoire, DEA en droit des affaires, FSJPS, Tunis, 2000-2001.

31 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

Tableau récapitulatif des textes fiscaux les plus importants (1988-2017)

60
Le code des douanes antérieurement promulgué par le décret du 29 décembre 1955 avait été complété et modifié par au
moins une dizaine de lois conjoncturelles parmi lesquelles – par exemple - la loi n° 2001-92 du 7.08.2001 qui a modifié et
complété l’art. 26 du code (disposition relative au système d’évaluation des marchandises en douane, entrée en vigueur le
29.09.2001 conformément à l’art. 3 de la loi 2001-92 ; JORT n° 63 du 07/08/2001) tel que mis en œuvre par l’arrêté du
ministre des finances du 19.10. 2001 (JORT n° 85 du 23/10/2001) et explicité par une note commune 06/11/2001 (BODI
n° 716/01-11, p 731). NB : Une révision du code des douanes était en outre à l’étude depuis avril 2007, axée autour de
mesures visant d’une part à renforcer la compétitivité de l’économie tunisienne ainsi que les garanties au profit des
opérateurs et usagers de la douane ; et d’autre part à adapter la législation douanière aux engagements internationaux et à
l’environnement juridique national ; et ce, à travers une restructuration des régimes douaniers suspensifs dans le sens d’un
assouplissement et d’une simplification des procédures ; un renforcement des garanties au profit des usagers de
l’administration vers plus de transparence dans la relation douane/usagers et un renforcement du rôle du juge dans le
règlement des affaires contentieuses. Voir à ce sujet les commentaires du Directeur Général des Douanes (M. Sliman
Ourak) relatés dans le Bulletin Interne de la Chambre de Discipline des Commissionnaires en Douane, juillet/août/sept.
2007, p 3 à 10. Suite à cela, le code des douanes de 1955 a finalement été abrogé et remplacé par un nouveau code des
douanes, promulgué par la loi n° 2008-34 du 2 juin 2008 (JORT n° 47 du 10.06.2008, p 1748 à 1804 + avis du Conseil
Constitutionnel n° 2-2007 ; n° 33-2007 et n° 32-2008), tel que mis en œuvre par de nombreux textes d’application et
notamment par 10 arrêtés du MF en date du 28 janvier 2009 fixant la mise en œuvre des aspects suivants: (1) les
modalités de remboursement des frais résultant de la caution fournie pour la mainlevée des marchandises objet de litige
devant la commission de conciliation et d’expertise douanière ; (2) les modalités de la répartition du montant de la remise
spéciale entre le comptable et le trésor ; (3) les modalités d’octroi et d’utilisation des obligations administratives  : « Les
droits et taxes de douane dus sur les marchandises importées directement par les services de l’État et devant être payés
sur le budget général de l’État et les FST, peuvent être payés par obligations administratives de paiement des droits et
taxes des douanes dans les conditions fixées par le présent arrêté  » ; (4) les modalités suivant lesquelles les opérateurs
sont autorisés à dédouaner leurs marchandises au sein de leurs établissements industriels ou commerciaux, (5) les
procédures simplifiées pour le transit interne, (6) les procédures simplifiées prévues par l’article 118 du code des douanes,
(7) les modalités de rectification et d’annulation de la déclaration en détail des marchandises, (8) les horaires et les
conditions de déchargement et de transbordement, (9) les modalités de détermination du poids des marchandises et le
régime des contenants et emballages importés, (10) les modalités d’application des articles 22 à 35 du code des douanes
(JORT n° 10 du 3 février 2009, p 382-389). Voir aussi (11) le décret n° 2009-401 du 16 février 2009 fixant les règles à
suivre pour déterminer l’origine des marchandises conformément au critère de la transformation substantielle, adopté en
application de l’article 21 du Code des Douanes (JORT n° 15 du 20 février 2009, p 552) et complété par (12) l’arrêté du
MF du 25 fév. 2009 fixant les modalités de présentations des preuves d’origine (JORT n° 18, 3 mars 2009, p 652). Pour sa
part (12 + 1) l’arrêté du MF du 25 fév. 2009 fixant la liste des manipulations usuelles dont peuvent faire l’objet les
produits placés en entrepôts douaniers ainsi que les conditions d’obtention de la franchise des droits et taxes sur le déficit
résultat de ces opérations, a été adopté en application des art 94, 183 et 184 du nouveau code des douanes, abrogeant et
remplaçant l’ancien arrêté du MF du 29. déc. 1955 fixant les modalités de fonctionnement des entrepôts (JORT n° 18, 3
mars 2009, p 651). (14) L’arrêté du MF du 2 mars 2009 a fixé les procédures d’octroi du régime et les modalités
d’aménagement et d’exploitation de l’entrepôt privé et (15) un autre arrêté du même jour a fixé les modalités
d’aménagement et de fonctionnement des procédures d’exploitation de l’entrepôt public (JORT n° 21 du 13 mars 2009, p
755). (16) L’arrêté du MF du 10 mars 2009 a fixé les modalités de prélèvement des échantillons ainsi que les cas où les
échantillons peuvent être remplacées par certains documents ; et (17) l’arrêté du MF du même jour a fixé les conditions
de fonctionnement de la commission de conciliation et d’expertise douanière ainsi que les frais susceptibles d’être alloués
aux experts (JORT n° 22 du 17 mars 2009, p 792-794). (18) Le décret n° 2009-710 du 11 mars 2009 a fixé les cas
susceptibles de bénéficier du régime de la transformation sous douane pour le marché local  ; (19) le décret n° 2009-711
du 11 mars 2009 a fixé les cas et les conditions d’octroi du régime de l’admission temporaire en exonération totale des
droits et taxes à l’importation ainsi que les cas d’admission temporaire en exonération partielle desdits droits et taxes  ;
(20) le décret n° 2009-712 du 11 mars 2009 a fixé les conditions et modalités du remboursement à l’exportation des droits
de douane perçus à l’exportation (JORT n° 24 du 24 mars 2009, p 843)  ; (21) le décret n° 2009-1326 du 28 avril 2009 a
fixé les critères et les cas de dispense de la garantie ainsi que le taux de la garantie partielle forfaitaire en ce qui concerne
les régimes douaniers suspensifs qui a abrogé les dispositions du décret n° 94-422 du 14 février 1994 fixant le

32 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
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Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

1988 1989 1992 1993 1997 2000 2008 201 201


6 7
Impôts Code
directs de l’IRPP/IS
(loi n°89-114
du
30.12.1989)
Impôts Code de la
Indirects TVA (loi
n° 88-61 du
2.06.1988)
et droits de
consommat
ion (loi n°
88-62 du
2.06.1988)
Droits de nouveau tarif Nouveau code
des droits de des douanes
douane
douane à (loi n° 2008-
l’importation 34 du 2 juin
(loi n° 89- 2008)
113
30.12.1989)
Droits CDET
(loi n°
d’enregistr
93-53
ement du
17.05.
1993)
Fiscalité CII Loi n° Loi n°
(loi n° 2016-71 du 2017-8 du
dérogatoir
93-120 30 sept. 14 février
e/ du 2016 2017
27.12. portant loi portant
Avantages
1993) de refonte des
fiscaux l’investisse avantages
ment, fiscaux
remplaçant
le CII à
compter du
1er.4.2017
Impôts CFL (loi
n°97-11
locaux
du
3.02.1997
)
Contrôle et CDPF (loi
Contentieux n°2000-
fiscal 82 du 9
août

cautionnement forfaitaire garantissant les droits et taxes des importations sous les régimes de l’admission temporaire ou
de l’entrepôt industriel (JORT n° 37 du 8 mai 2009, p 1240) ; (22) le décret n° 2009-1327 du 28 avril 2009 a fixé les cas
et les conditions d’application des dispositions de l’article 273 du code des douanes relatives aux marchandises en retour
et a abrogé l’arrêté du MF du 29.12.1955 fixant les conditions d’application des art. 159 et 170 de l’ancien code des
douanes (JORT n° 37 du 8 mai 2009, p 1243). Voir aussi (23) l’arrêté du MF du 24 déc. 2009 fixant les modalités
d’application des articles 143 à 152 du code des douanes relatives au régime général des acquits-à-caution (JORT n° 1, 1 er
janv. 2010, p 20).

33 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
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2000)

34 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
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Toutes ces réformes se poursuivent au fil du temps, et l'on assiste fréquemment à des
ajouts et à des modifications de ces codes, soit au sein des lois de finances annuelles, soit dans
le cadre de lois ordinaires, car la fiscalité, loin d'être figée, est en perpétuel mouvement, afin
de s'adapter au mieux à la réalité à laquelle elle s’applique et plus largement à la société ainsi
qu’au système économique dans le cadre desquels elle est appelée à évoluer61.
C’est d’ailleurs pour tenir compte des réalités socio-économiques du moment que le
législateur décide parfois l’adoption de mesures d’amnistie fiscale, qui consistent à
«pardonner» les manquements des contribuables n’ayant pas accompli à temps leur devoir
fiscal et à leur garantir l’impunité contre toutes poursuites ou pénalités, en les dispensant
également de toute vérification (contrôle) pour les périodes non prescrites, et ce, à la «simple»
condition qu’ils régularisent leur situation auprès du fisc dans un délai déterminé. De telles
mesures sont censées créer un climat de confiance entre le fisc et le contribuable, tout en
permettant de remplir les caisses publiques dans une courte période de temps62.
Elles sont cependant discutables dans la mesure où il est possible de les considérer
comme un encouragement à la fraude et un constat d’échec de l’administration fiscale. En
effet, un bon système fiscal, c’est-à-dire consenti, juste et léger, ne devrait pas donner lieu à
la fraude – ou au moins les possibilités de fraude devraient être réduites et sévèrement
réprimées - et devrait rapporter des recettes régulières à l’État. Par conséquent, les lois
d’amnistie seraient inutiles.
Néanmoins, les enseignements de la pratique sont différents et l’on peut compter en
Tunisie l’adoption de presque une vingtaine de textes comportant des mesures de ce type de
l’Indépendance à nos jours ; en rappelant qu’une mesure d’amnistie fiscale avait été adoptée
auparavant par décret, à savoir le décret du 10 novembre 1955 (24 Rabii I, an 1375 de
l’Hégire) portant amnistie fiscale, publié au Journal Officiel du 11 novembre 1955 (p 1702) 63.

61
Voir par exemple, au titre de l’année 2006 les lois  : n° 2006-11 du 6 mars 2006 modifiant le CDPF et instituant un
ministère d’avocat obligatoire lorsque le montant de la taxation d’office ou celui relatif à la demande en restitution est
supérieur à 25 000,00 D [(art. 57 et 67 (nouveaux)] ; (JORT n° 20 du 10 mars 2006, p 532) ; n° 2006-69 du 28 octobre
2006 relative à l’exonération des donations entre ascendants et descendants et entre époux du droit d’enregistrement
proportionnel (JORT n° 88 du 3.11.2006, p 3869) ; n° 2006-71 du 28.10.2006 modifiant le code de la TVA (exonération
des moyens de transport pour handicapés, même JORT p 3870) ou encore n° 2006-80 relative à la réduction des taux de
l’impôt et à l’allègement de la pression fiscale sur les entreprises, qui a fait passer de 35 à 30% le taux de l’IS pour toutes
les entreprises et décidé de soumettre les entreprises auparavant exonérées à un taux unique de 10%, mesure cependant
reportée par la LF pour 2008 à l’exercice 2011 (JORT n° 101 du 19.12.2006, p 4300).
62
En ce qui concerne les relations entre le contribuable et le fisc, voir Conseil des Impôts (France)  : «Les relations entre
les contribuables et l’administration fiscale», XXème Rapport, 2003 ; dont un résumé est paru à la revue de Droit Fiscal, n°
4, 2003, p 115 à 120.

35 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
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Toutefois, loin de créer un climat de confiance et de relance économique ou de pousser


les contribuables à s’acquitter volontairement de leurs obligations fiscales, ceci semble plutôt
les entretenir dans l’attente d’une renonciation périodique de l’État à ses ressources fiscales
(habitude à la clémence / tolérance fiscale), et donc, paradoxalement, cela encourage la fraude
et ne redonne pas forcément la vigueur espérée au civisme fiscal.

63
Depuis l’Indépendance, on peut citer les textes suivants  : (1) - loi n° 71-28 du 14.06.71 portant abandon de certaines
créances et remise entière et automatique des pénalités (JORT n° 46 des 11-15.06.71, p 741) ; (2) - loi n° 73-44 du
23.07.73 portant abandon de certaines créances (JORT n° 38 des 20-27.07.73, p 1134)  ; (3) - art. 6 et 7 de la loi n° 73-81
du 31.12.73 portant promulgation du CCP ; (4) - art. 69 à 72 de la LF pour 1983 ; (5) - art. 7 à 9 de la LF rectificative
pour l’année 1986 (JORT n° 48 des 2-5.09.86, p 927)  ; (6) - art. 43 de la F pour 1987 ; (7) - loi n° 87-45 du 2.08.87
relative à l’accélération du recouvrement des créances fiscales par l’abandon des pénalités (JORT n° 55 du 11.08.87, p
952) ; (8) - loi n° 87-71 du 26.11.87 portant amnistie fiscale (JORT n° 83 des 24-27.11.87, p 1463) et décret n° 88-726 du
5.04.87 relatif à l’application de l’art. 16 de ce texte (JORT n° 22 des 1 er-5.04.88) ; (9) - loi n° 87-72 du 26.11.87 portant
amnistie en matière de change (JORT n° 83 des 24-27.11.87, p 1464) ; (10) - art. 101 de la LF pour 1988 ; (11) - art. 14 de
la loi n° 89-114 du 30.12.89 portant promulgation du code de l’IRPP/IS  ; (12) - art. 12 de la loi n° 98-73 du 4.08.98
portant simplification des procédures fiscales et réduction des taux de l’impôt (JORT n° 64 du 11.08.98, p 1736)  ; (13) -
art. 25 à 29 de la LF pour 2001 et décret n° 2001-786 du 29.3.2001 relatif à la fixation de la liste des secteurs productifs
prévus par l’art. 25 de la LF pour 2001 (JORT n° 28 du 6.04.2001, p 768)  ; (14) - art. 39 de la LF pour 200 ; (15) - art. 5et
6 de la loi n° 2002-1 du 8.01.2002 portant assouplissement des procédures fiscale (JORT n° 3 du 8.01.2002, p 59)  ; (16) -
art 1 à 3 de la loi n° 2002-76 du 23.07.2002 relative à l’institution de mesures d’allègement de la charge fiscale et
d’amélioration des ressources des collectivités locales (JORT n° 61 du 26.07.2002, p 1715)  ; (17) - art. 24 à 29 de la LF
pour 2004 ; (18) - loi n° 2006-25 du 15.05.2006 portant amnistie fiscale (JORT n° 39 du 16.05.2006, p 1307-1308) ainsi
que l’Avis n° 15-2006 du Conseil Constitutionnel y relatif (même JORT, p 1309-1311) et l’arrêté du MF du 26 mai 2006
fixant les calendriers de paiement des créances fiscales revenant à l’État et aux CL et des amendes et condamnations
pécuniaires, douanières et de change prévus par ladite loi (JORT n° 44 du 2 juin 2006, p 1454). Face au peu
d’enthousiasme des contribuables à répondre positivement à cette mesure, le décret-loi n° 2006-01 du 31 juillet 2006
(JORT n° 62 du 4 août 2006, p 2101) approuvé par la loi n° 2006-74 du 14 novembre 2006,p 3941) a fixé de nouveaux
délais pour bénéficier de l’amnistie fiscale, décalant le dernier délai de 2 mois (on passe du 31 août au 31 octobre 2006);
les calendriers détaillés de paiement étant pour leur part précisés (sur la base dudit décret-loi) par l’arrêté du MF du 14
août 2006 (JORT n° 65 du 15 août 2006, p 2345). Assouplissant encore le dispositif, l’art. 52 de la LF pour 2007 a réduit
de 1% à 0,75% le taux prévu par le 3 ème § de l’art. 11 de la loi n° 2006-25 du 15.05.2006 portant amnistie fiscale (JORT n°
103, 23.12.06, p 4389). (19) Quelques mois plus tard, la loi n° 2007-41 du 25.06.2007 portant «amnistie d’infractions de
change et fiscales» a amnistié diverses infractions de change commises avant la date d’entrée en vigueur du texte, ainsi
que les sanctions correspondantes, sous réserve du dépôt auprès de la BCT d’une déclaration des avoirs en devises, dans
un délai ne dépassant pas 1 an (JORT n° 51, 26.06.07, p 2197). (20) Suite aux problèmes économiques liés aux
conséquences de la révolution du 14 janvier 2011, le décret-loi n° 2011-28 du 18 avril 2011 portant mesures fiscales et
financières pour la relance de l’économie nationale, tel que modifié par le décret-loi n° 2011-102 du 22 octobre 2011, a
prévu divers avantages fiscaux et financiers en faveur des entreprises (modifiant notamment le CII, le CIRRP/IS et le code
des douanes) ainsi que certaines mesures amnistiantes à l’échelon national et local (JORT n° 27 du 19 avril 2011, p 487)  ;
et l’art. 48 de la LF pour 2012 a prorogé jusqu'au 30 juin 2012 le délai initial du 31 déc. 2011 prévu par les articles 10, 11,
12 et 13 dudit décret-loi n° 2011-28 du 18 avril 2011 (JORT n° 1 du 3 janv. 2012)  ; (21) en outre, les articles 14 à 26 de la
LFC pour 2012 ont introduit une amnistie fiscale sous la forme de « Dispositions visant la réconciliation avec les
contribuables et l’assouplissement du paiement des dettes constatées à leur charge  » (JORT n° 39 du 18 mai 2012, p 923-
926), dont les délais détaillés (impôt par impôt, personne physiques et morales) ont été posés par l’arrêté du MF du 26
mai 2012, fixant les calendriers de paiement des créances fiscales revenant à l’État, des créances revenant aux
collectivités locales et des amendes et condamnations pécuniaires prévues par la loi n° 2012-1 du 16 mai 2012 portant
LFC pour l’année 2012 (JORT n° 42 du 29 mai 2012, p 1277). Pour une étude, voir Imène MOALLA, Les mesures
fiscales amnistiantes, mémoire, Mastère en droit public et financier, FSJPS, Tunis, 2004  ; ainsi que Olfa BELHADJ,
L’amnistie fiscale, mémoire, Mastère en droit public et commerce international, FDS, Sfax, 2010.

36 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

Thème général du cours  : le lien entre le droit fiscal et la société dans laquelle il
s’applique
Ceci nous amène à poser la problématique générale de notre cours de droit fiscal général,
à savoir le lien étroit entre la fiscalité et la société dans laquelle elle est appelée à être
appliquée, aussi bien d’un point de vue économique et juridique que socio-politique.
A cet égard, il convient notamment de signaler les liens étroits entre les questions fiscales
et les phénomènes politiques, puisqu’il a pu être constaté qu’à l’origine des grands
changements politiques se trouvait souvent un événement de nature fiscale ou financière.
Les conséquences juridiques des interactions entre fiscalité et vie politique se sont ensuite
essentiellement traduites au niveau du droit constitutionnel ; à la fois à travers la soumission
des techniques fiscales aux règles constitutionnelles, et à travers l’influence qu’exercent les
phénomènes fiscaux sur l’équilibre constitutionnel64.
Plusieurs auteurs ont en alors conclu que l’impôt – tout en étant un devoir – était une
technique de libération et de liberté ; aussi bien pour les États que pour les individus65.

Problématique affinée (reformulation de la problématique) :


La liberté apparaît ainsi comme un thème dominant en matière de fiscalité et il s’agit là
d’une idée moins paradoxale qu’elle n’en a l’air de prime abord : en effet, si
l’accomplissement des formalités fiscales constitue un devoir dont l’irrespect est sanctionné
de différentes manières, il s’agit également d’une participation active à la vie de la
communauté nationale qui donne à celui qui l’accomplit un droit de regard sur les affaires
publiques 66.
De ce fait, il est possible d’aborder l’étude du droit fiscal en considérant l’impôt à la fois
comme un moyen de conquérir la liberté (I), mais également comme un élément permettant
de garantir dans le temps l’exercice de la liberté ainsi conquise au même titre que comme un
outil de transformation de la société en vue d'une plus grande égalité entre tous ses membres,
notamment à travers sa contribution à la croissance économique (II) 67.

64
Voir Loïc PHILIP, Les fondements constitutionnels des finances publiques, Paris, Economica, série poche, 1995 ;
Etienne DOMAT, « Droit constitutionnel financier  », in fascicule 1461, Jurisclasseur administratif, 1994 ; et Jean-Pierre
CAMBY, « Le Conseil constitutionnel et les principes du droit budgétaire », RFFP, n° 51, 1995, p 51 à 63.
65
En effet, pour la majorité de la doctrine occidentale, l'impôt apparaît comme " une technique libérale" ; voir Gabriel
ARDANT, Histoire de l'impôt, Editions Fayard, Paris, 1972, p 9 et suivantes.
66
Voir Michel VERPEAUX, « La liberté », AJDA, n° spécial, juillet-août 1998, p 144 à 151.
67
Voir Slim CHELLY, « Impôt, liberté et développement, le cas de la Tunisie », RTD, 1983, p 307 à 336.

37 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

I ) - L’IMPÔT EST UN FACTEUR DE LIBÉRATION


L'impôt constitue un facteur de libération à un double niveau, dans la mesure où il
permet non seulement une libération de l'individu (A), mais encore une libération de l'État des
contraintes d'ordre interne et/ou international de toutes sortes liées à l'existence de structures
fiscales archaïques (B).
A) - L'IMPÔT LIBÈRE L'INDIVIDU
Du point de vue de l’individu, l'impôt est considéré par la majorité de la doctrine comme
un facteur qui, au cours de l’histoire, a libéré l'homme du servage (de l’esclavage, de la
servitude) mais également de l’absolutisme.
Ainsi, l'histoire de l'impôt est liée à l'Histoire en général, puisqu'on le trouve à l'origine
des grands événements qui ont transformé la condition humaine, comme la libération des
serfs en Europe Occidentale à la fin du Moyen-âge (à partir du XII e et du XIIIe siècle) ou
encore les révoltes fiscales qui ont abouti à la mise en place des systèmes politiques
contemporains fondés sur le principe de la séparation des pouvoirs, aussi bien en Amérique
qu’en France (résultat des révolutions de la fin du XVIIIe siècle).
A l'origine, la plupart des révoltes politiques ayant conduit à une libération de l'homme
ont d'ailleurs souvent été motivées par un mécontentement fiscal, aussi bien en Occident que
dans les pays du Maghreb.
C'est encore grâce à l’impôt que, dans les premiers temps de l'expansion de l'Islam, les
non-musulmans ont pu choisir entre conserver leur foi en payant l'impôt foncier ou se
convertir et être exonérés68.
Ainsi, au IIème siècle de l'hégire, les auteurs ont souligné la sagesse du calife Omar, qui a
refusé à ses soldats le partage des terres conquises (Irak et Syrie actuels), et leur a au contraire
imposé le respect du droit de propriété et des libertés des populations conquises, soumises en
contrepartie à un impôt foncier : le kharadj69.
A un autre niveau, la résistance à l'impôt apparaît parfois comme un moyen efficace
permettant de faire aboutir des revendications de nature politique (à caractère extra-fiscal).
La résistance à l'impôt constituait un élément de la désobéissance civile dans la théorie de
la lutte non violente du Mahatma Ghandi contre la puissance coloniale70.

68
Mais acquitter l'impôt islamique a cependant un fondement religieux : la zakat, qui équivaut environ au 1/5 e environ des
produits d'une activité quelconque (commerciale ou agricole) constitue une obligation religieuse pour chaque croyant et
forme l'un des 5 piliers de l'Islam.
69
Yakoub ABOU YOUSSOUF, Livre de l'impôt foncier, traduit et annoté par E. Gagnan, Paris, 1921.
70
Voir à ce sujet Robert LUDWIG, « La grève de l'impôt », RSF, 1973, p. 671 et suivantes.

38 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

À l'époque de la guerre d'Algérie, certains contribuables français ont refusé de verser un


pourcentage de leurs impôts correspondant, selon eux, à la part du budget de l'État supposée
affectée aux opérations militaires concernées.
Aux États-Unis, la chanteuse Joan Baez a adopté la même attitude au moment de la
guerre du Viêtnam71.
De même, la grève de l'impôt était encouragée par l'ayatollah Khomeïny dans les années
1970 (jusqu’à son accession au pouvoir en 1979) afin de lutter contre le régime du Shah
d'Iran.
C'est d’ailleurs à ce titre que le facteur fiscal peut constituer un outil de revendication
politique et qu’on le considère comme une technique de libération par la revendication.
On peut aussi rappeler la résistance des professions libérales tunisiennes (médecins en
1976-77, puis avocats en 1982-83) face à l'introduction de certains procédés visant à réduire
la fraude dans ces secteurs et à assurer un meilleur recouvrement des impôts grâce à une série
de mesures introduites respectivement par la LF pour 1977 puis par la LF pour 1983 ; qui ont
été vidées de leur sens quelques mois après leur adoption, suite à la pression de ces
professionnels qui ont massivement refusé de s’y conformer 72.
Dans un contexte plus violent, la suppression de la compensation budgétaire sur les
produits céréaliers, décidée dans le cadre de la LF pour 1984, avait engendré le 26 janvier
1984 un soulèvement populaire massif connu sur le nom des «émeutes du pain», suite au
quasi-doublement du prix du pain ; ce qui a conduit les pouvoirs publics à y renoncer et à
remplacer cette mesure impopulaire par une série d’autres dispositions, parmi lesquelles
notamment l’institution d’une taxe sur les voyages à l’étranger (ou «timbre de voyage»
acquitté par tout tunisien résident en Tunisie et se rendant à l’étranger pour faire du tourisme)
dans le cadre de la loi de finances complémentaire adoptée le 21 mars 1984 73.
71
Sur la résistance à l'impôt comme moyen de faire aboutir des revendications extra-fiscales, voir Gaston JEZE, «  Le
refus concerté de payer l'impôt », RSLF, 1933, p 257 et suivantes.
72
En effet, alors que la LF pour 1977 avait institué un système de contrôle particulier aux professions médicales, fondé
sur l'obligation pour les médecins de délivrer uniquement des ordonnances numérotées d'un modèle déterminé, et sur
l'obligation mise à la charge des imprimeurs, pharmaciens, caisses de retraite et d'assurance maladie, de collaborer à la
mise en oeuvre de ce contrôle en déclarant les ordonnances imprimées (pour les premiers) et en refusant les ordonnances
qui ne satisfont pas aux exigences légales pour les seconds ; une loi n° 77-60 a été adoptée sous la pression des
professions médicales le 3 août 1977. Sous couvert du maintien du système des ordonnances numérotées, ce texte a en fait
supprimé les obligations imposées aux intermédiaires, ce qui a eu pour conséquence d'enlever tout effet utile aux mesures
précédemment instituées par la LF pour 1977. Une loi n° 83-81 du 31 juillet 1983 a par ailleurs enlevé tout effet utile au
renforcement des pénalités de retard pour défaut ou retard de déclaration, à l'obligation de facturation et de paiement par
chèque en ce qui concerne les transactions portant sur un montant supérieur ou égal à 5000 D, toutes mesures
préalablement décidées par la LF pour 1983 pour mieux contrôler les revenus des avocats.
73
En plus de l'institution d'une taxe sur les voyages à l'étranger, les mesures mises en place par la loi n° 84-2 du
21.03.1984 portant LFC pour 1983, ont concerné l’augmentation des taxes sur les bières, vins et autres boissons
alcoolisées, ainsi que la mise en place d’une taxe sur les produits de luxe. A l’origine, le montant de la taxe sur les
voyages avait été fixé à 45,00 D par voyage, et ce, jusqu’à son relèvement à 60,00 D par la LF pour 2007.

39 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

Selon certains observateurs, l’étincelle (sans mauvais jeu de mots) des événements des 17
décembre 2010 au 15 janvier 2011, ultérieurement qualifiés de « révolution du jasmin »,
aurait notamment eu pour déclencheur un sentiment d’injustice fiscale, l’immolation du
vendeur ambulant Mohamed Bouazizzi tenant à l’absence de « patente » qui lui aurait permis
d’exercer son activité conformément à la loi fiscale
Or, si de tels événements se produisent périodiquement en quelque endroit du globe, cela
tient à la sensibilité des individus pour tout ce qui concerne leurs propres finances, et plus
particulièrement la part qui est prélevée par l'État et qui tend, au mieux, à être subie, au pire à
être refusée violemment ; mais ceci permet au moins de redynamiser la conscience politique
des citoyens, ce qui explique l’aspect «libérateur» de l’instrument fiscal.
En tout état de cause, le débat pacifique ou passionné (voire violent) en matière fiscale
permet une réouverture du débat politique au sens grec de "polis", de cité, de chose publique
intéressant l'ensemble des citoyens.
Toutefois, il convient de préciser que ce n'est pas n'importe quel impôt qui présente
l’avantage d'être un instrument de libération pour les individus, car il peut également être
synonyme d'arbitraire, d'injustices et d'inégalités, lorsqu'il sert les intérêts d'une classe
dominante qui en abuse pour faire supporter aux autres tout le poids de la fiscalité : c'était par
exemple le cas au cours de l'Ancien Régime français où la Noblesse et le Clergé faisaient
subir la charge fiscale au Tiers-État. Ainsi, avant d'être une technique libérale considérée
comme un moyen permettant à l’État de réaliser ses objectifs d’intérêt général tout en laissant
à l'individu le maximum de liberté, l'impôt a été pendant des siècles un instrument
d'oppression (de contrainte) aux mains des détenteurs du pouvoir ; et c’est seulement la
signification contemporaine de la notion d'impôt (fondée sur le principe du consentement du
peuple à l’impôt et la prise en compte des facultés contributives) – postérieure à la révolution
de 1789 - qui permet de lui attacher un contenu positif en termes de liberté.
Selon ce sens contemporain, c’est à travers et grâce à la participation politique que les
citoyens-contribuables deviennent des individus libres et actifs au lieu de demeurer des sujets
asservis et passifs. De plus, outre sa contribution à la libération de l'homme, l'impôt permet
également de cristalliser la conscience nationale et de développer le sentiment d'appartenance
à une communauté solidaire, ce qui aboutit à donner corps à la notion même d'État de droit,
fondée sur l'exercice de leurs libertés par des citoyens responsables (et donc si l'impôt libère
les individus au sein de l'État, ce dernier bénéficie également de cet aspect libérateur).

40 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

B ) - L'IMPÔT LIBÈRE L'ÉTAT


La souveraineté fiscale a permis de consacrer l’exercice de la souveraineté politique,
garantissant de ce fait l'existence de l'État moderne 74.
En effet, la souveraineté politique est complétée par la souveraineté fiscale, puisque sans
ressources (librement décidées et souverainement recouvrées) aucun État ne pourrait
maintenir un fonctionnement satisfaisant de ses institutions ni mener une politique cohérente.

74
C'est en effet à partir du moment où l'État a pu compter sur des ressources stables et sûres qu'il a pu entretenir une
armée de métier pour assurer la défense de ses frontières (ou ses conquêtes militaires) sans faire appel aux seigneurs, qui
possédaient auparavant à la fois les hommes et la richesse, d’où le passage de la féodalité à l’État-Nation contemporain.
Grâce à l'impôt, l'État peut aussi recruter des fonctionnaires, choisis en raison de leurs capacités (et non selon leur
naissance), les déplacer suivant les besoins de l'intérêt général, et éviter de recourir à ceux qui détiennent déjà la richesse
pour exercer les charges publiques.

41 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

C’est ainsi que l’impôt permet à l’État de se libérer à la fois des contraintes intérieures et
extérieures, et de garantir son indépendance sur le plan interne et international.

En effet « l'histoire aussi bien ancienne que contemporaine enseigne qu'il n'y a de
véritable État souverain que celui qui tire l'essentiel de ses ressources de l'impôt, et que seul
celui-ci est accoucheur d'une véritable conscience nationale » 75.
C'est d’ailleurs dans le sens d’une libération de l'État de certaines contraintes que l'impôt
est envisagé, et notamment préféré à l'emprunt dans un contexte de crainte de
"néocolonialisme" économique par l'octroi de prêts conditionnels76.
En effet, parmi les trois types de ressources qui alimentent les caisses publiques (Impôt –
Emprunt – Revenus du domaine) l’impôt présente objectivement le moins d’inconvénients.
 En effet, l’impôt fournit à l’État des recettes stables, définitives et régulières, qui lui
permettent de financer ses dépenses d’intérêt général (en contrepartie du contrôle législatif) ;
 en revanche, les revenus tirés de l’exploitation du domaine (agriculture, pétrole,
phosphate, etc.) impliquent une soumission aux fluctuations des marchés et à des
contraintes économiques conjoncturelles;
 tandis que les emprunts engagent les générations futures et entraînent, lorsqu'ils sont
extérieurs, une certaine forme de dépendance, sinon politique (comme dans le passé), du
moins économique (on a d’ailleurs parlé à ce propos de «néo-impérialisme économique»).

75
Voir Slim Chelly, précité, p 314.
76
En fait, il y a aussi une dimension politique liée au financement du budget de l'État par l'emprunt extérieur, et c’est ce
que l’on peut remarquer en Tn. à la lecture des discours politiques des 1ères années de l'indépendance dans lesquels le
Président H. Bourguiba, leader et héros de la lutte pour l’indépendance du pays, développait une option claire en faveur de
l'emprunt externe, largement «dédiabolisé» dans toute la mesure où il est censé être provisoire et qu’il est contenu dans
des limites strictes, et qu’en outre il n’est pas incompatible avec la nécessité d'un renforcement de l'effort fiscal - au
contraire - et ce, pour réduire à l’avenir le recours à l'emprunt.

42 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure agrégée en droit public / FSJPS, Tunis
Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

L'impôt constitue de ce fait une source de liberté pour l'État puisqu’il lui permet de se
dégager des contraintes liées aux revenus du domaine (notamment ceux liés à l’exploitation
de certaines ressources naturelles telles que les hydrocarbures 77) et aux emprunts.
Pour l'État, la fiscalité constitue donc un moyen de libération des contraintes liées à
d'autres ressources, ainsi qu'un instrument de réalisation de ses missions.
L'impôt complète donc l'édifice de la souveraineté étatique, en donnant à l'État l’entière
maîtrise des moyens de sa politique, aussi bien par rapport aux contraintes internes qu'à celles
internationales.
En sens inverse, l'absence de fiscalité risque de provoquer la disparition de l'État, ou au
moins d'entraîner des crises importantes.
En effet, envisagés sous cet angle, les « paradis fiscaux apparaissent bien plutôt comme
des sociétés financières que comme de véritables États »78, dans la mesure où la renonciation
à la perception des impôts et donc à l'exercice de la souveraineté fiscale, constitue en même
temps une renonciation par l’État à l'exercice d'une partie importante de la souveraineté
politique.

77
La Tunisie a connu au cours des années 1960 (même jusqu'à la fin des années 1970) une période d'aisance liée au boom
pétrolier, ce qui a eu comme effet néfaste un relâchement de la discipline financière. Les hydrocarbures ont en outre
dégagé annuellement au cours du V ème Plan (1981-1986) un excédent net de l'ordre de 200 millions de dinars versés au
budget de l'État. Or, l'évolution défavorable des cours, ainsi que la perspective d'un épuisement à moyen terme des
réserves disponibles, ont fait apparaître comme inéluctables certains réajustements financiers dont les pouvoirs publics
ont craint les retombées sociopolitiques, du fait des habitudes de facilité précédemment acquises. Parmi les revenus du
domaine, le Budget de l’État est notamment alimenté par la redevance au titre du gaz naturel en provenance d’Algérie
transporté à travers le territoire tunisien (vers l’Italie), et ce, en vertu d’une convention approuvée par décret, signée par le
ministre de l’Energie (au nom de l’État tunisien) et le propriétaire des quantités transportées, sur la base des règles de
calcul posées par la loi n° 2005-102 du 8 nov. 2005 relative au transport, sur le territoire tunisien, de gaz naturel de
provenance algérienne et à la fixation du prélèvement y afférent et revenant à l’État tunisien, modifiant les accords
antérieurs en la matière [accord conclu le 25 oct. 1977 entre l’État et l’Ente Nationale Idrocarburi (ENI) concernant la
réalisation et l’exploitation d’un gazoduc sur le territoire tunisien, ratifié par la loi n° 77-76 du 7.12.1977  ; et accord
conclu le 6.03.1991 entre l’État, l’ENI et la SNAM S.P.a, concernant la réalisation et l’exploitation d’un 2 nd gazoduc sur le
territoire tunisien, ratifié par la loi n° 91-36 du 8 juin 1991]. L’article 2 de cette loi dispose notamment que : «Une
redevance au titre du gaz transporté est due à l’État tunisien et calculée sur la base d’une quantité de base et d’une
quantité additionnelle fixée par la convention…» (JORT n° 90 du 11.11.2005, p 2980). Sur la base de ce texte, le décret n°
2006-458 du 15 février 2006 a approuvé la convention-type relative au transport sur le territoire tunisien de gaz naturel de
provenance algérienne et la fixation du prélèvement fiscal y afférent et revenant à l’État tunisien (JORT n° 14 du 17
février 2006, p 385). En foi de quoi, le 6 avril 2006, l’État a signé 2 conventions relative au transport sur le territoire
tunisien de gaz naturel de provenance algérienne et à la fixation du prélèvement fiscal y afférent  ; la première avec la
société «Bridas Energy International S.p.a», approuvée par le décret n° 2006-1823 du 26.06.2006 (JORT n° 53 du
4.07.06, p 1768) et la 2nde avec la société «Compania Italiana del Gas s.r.l», approuvée par le décret n° 2006-1824 du
même jour ; étant précisé que ces accords constituent la mise en œuvre des engagements antérieurs de 1977 et 1991. Dans
le même ordre d’idée, l’État tunisien a signé le 11 décembre 2006 deux autres conventions, respectivement avec la société
«Worldenary S.A» et «Edison Spa», relatives au transport sur le territoire tunisien de gaz naturel de provenance algérienne
et à la fixation du prélèvement fiscal y afférent, approuvées par les décrets n° 2007-2378 et 2007-2379 du 24 sept. 2007
(JORT n° 79 du 2.10.07, p 3360) et le 20 avril 2007, une convention avec la société «Sonatrading Amsterdam B.V»,
approuvée par le décret n° 2007-2194 du 3 septembre 2007 (JORT n° 72 du 7.09.2007, p 3226).
78
Voir Slim Chelly, article précité, p 317.

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Droit Fiscal / 3e année LMD Droit public

Ainsi, dans le passé, la Régence de Tunis s'est effondrée à cause d'un désordre dans ses
finances, qui l'a contrainte à recourir à l'emprunt étranger. L'impossibilité de remboursement
a provoqué la banqueroute de l'État (on ne dit pas faillite pour l’État), puis l'ingérence des
puissances étrangères afin d'assainir les finances publiques, ce qui a finalement abouti à la
perte de l'autonomie interne et à la mise en place du Protectorat en 1881-1883 79.

Transition : De ce fait, l'impôt constitue non seulement un facteur de libération de


l'individu mais aussi de l'État. C’est également un outil constant de civisme, et un garant de
l’exercice de cette liberté au fil du temps.

II ) - L’IMPÔT GARANTIT L’EXERCICE DE LA LIBERTÉ


L'impôt permet de garantir l'exercice quotidien de la liberté, d'une part à travers le
développement du civisme en tant que sentiment d'appartenance à la communauté nationale
qui donne un sens à l'exercice de cette liberté (A), et d'autre part du fait de la contribution à la
croissance économique, autre condition d'un exercice satisfaisant de cette même liberté (B).
A ) - L'IMPÔT FAVORISE LE DÉVELOPPEMENT DU CIVISME
Le paiement de l'impôt est un facteur de civisme et une condition d'exercice de la liberté,
notamment à travers la participation aux institutions politiques80.
D’ailleurs, au XIXe siècle en France, le paiement de l’impôt constituait même une
condition de vote. En effet, conformément à la logique du suffrage censitaire, seuls les
citoyens qui payaient la contribution appelée «cens» avaient le droit de voter, c’est-à-dire
d’élire leurs représentants et de participer ainsi à la vie politique et à la détermination des
projets de société communs.
En revanche, l’absence de contribution fiscale est un facteur de démobilisation politique,
car tout privilège fiscal, de quelque nature qu'il soit, tout en privant l'État de ressources
fiscales, prive en même temps son bénéficiaire, conscient de la fragilité de sa situation, de
toute participation à la vie politique – et donc de l'exercice de ses libertés – de peur de perdre
ses avantages.
Cette hypothèse est vérifiable en Tunisie, où toutes les catégories socio-professionnelles
qui bénéficient de privilèges fiscaux sont politiquement démobilisées (ex : agriculteurs,
professionnels du tourisme) et la contestation sociale se limite aux catégories socio-

79
Voir Jean GANIAGE, Les origines du protectorat français en Tunisie (1861-1881), Paris, P.U.F, 1959.
80
Voir Jean-Claude DUCROS, «  Le modèle fiscal du civisme  », RFFP n°56, 1996, p.129.

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professionnelles qui acquittent effectivement l'impôt, et notamment les salariés (à travers la


retenue à la source), ainsi que les fonctionnaires de l'État81.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si dans tous les pays en développement, la bureaucratie
est aussi puissante, car son statut juridique et fiscal lui donne la possibilité de résister en toute
sérénité au pouvoir politique.
La participation fiscale est donc source de liberté pour le contribuable, tandis que
l’absence de participation pour quelque raison que ce soit (fraude, évasion, tolérance
administrative, avantages fiscaux), est génératrice de soumission, et de renonciation implicite
(ou tacite) à l'exercice des droits et libertés consacrés par la Constitution.
On constate ainsi le lien entre l’impôt – la fiscalité - et la garantie effective des libertés,
notamment à travers la mise en place des conditions d'exercice réel de cette liberté ; et c’est
de cette participation à la vie politique que naît le civisme en tant qu’implication effective au
fonctionnement des institutions.
Toutefois, cette alliance entre l’impôt et le citoyen était valable à une époque où les
systèmes fiscaux fonctionnaient à l’intérieur d’espaces stables et circonscrits, au sein desquels
des règles communes étaient acceptées et partagées. Dans un tel contexte, le civisme par
l’impôt, qui impliquait une acceptation éclairée du « sacrifice fiscal » au nom d’un idéal
partage de solidarité des membres de la communauté nationale, prenait tout son sens.
Mais, à l’heure actuelle, différentes menaces pèsent sur la relation entre l’impôt et la
citoyenneté, du fait de la mondialisation et des nouvelles technologies, qui font craindre à la
fois une baisse du produit fiscal (mobilité de la matière imposable, des contribuables,
recherche de «  l’optimum fiscal », etc.) et un changement dans la perception même de l’impôt
par les contribuables (nouvelles stratégies de gestion de l’impôt pour en réduire le poids)82.
Il convient cependant de ne pas oublier que le paiement de l’impôt permet de garantir
l’indépendance et l’autonomie des États ; et qu’il représente également, à des degrés divers,
une condition essentielle de la croissance et du développement économiques, seul contexte
permettant réellement un épanouissement effectif de la liberté proclamée dans les textes.

B) - L'IMPÔT CONTRIBUE À LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE ET À LA PROMOTION

SOCIALE

81
Voir Slim Chelly, article précité, p 315.
82
Voir sur ce point Michel BOUVIER : «  Nouveau civisme fiscal et transformations de l’alliance citoyen-contribuable  » ;
Revue Tunisienne de Fiscalité, n°3; 2005, p. 7 à 27.

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L'impôt peut être considéré comme un outil au service de la croissance économique, dans
toute la mesure où il constitue un moyen de faire participer les individus aux dépenses de la
vie en société tout en leur laissant le maximum de choix en ce qui concerne leurs activités.
En effet, l'impôt laisse l'individu libre d'organiser son travail selon sa propre volonté et
de choisir les produits qu'il vendra ou les services qu'il rendra afin de pouvoir s'acquitter de sa
dette fiscale83.
En outre, à partir du moment où la liberté de l'individu lui permet de produire davantage,
le mécanisme de l'impôt permet de prélever plus de ressources sur une production plus
abondante et ensuite de réaliser plus d’actions en faveur du Bien Commun et de l’Intérêt
Général, ce qui, en fin de compte, permet à la liberté de s’épanouir.
A travers son utilisation, l’impôt permet à l’État de contribuer à la croissance
économique et même de réduire les inégalités sociales. Ainsi, grâce à ses ressources, l’État
peut construire des infrastructures, promouvoir la recherche technique et scientifique, réaliser
des programmes sociaux en organisant l'accès du plus grand nombre à la santé, à l'éducation,
etc., ce qui constitue en tout état de cause la condition fondamentale d'un libre
épanouissement de l'homme et d’un développement humain durable et harmonieux.
Via l'impôt, il semble donc possible de satisfaire en même temps l'aspiration de liberté et
la poursuite du développement économique. Grâce à l'impôt, l'État dispose en effet des
moyens financiers qui lui permettent d'assurer des fonctions non seulement politiques, mais
encore économiques et sociales.
D’ailleurs, la relation entre l’impôt et la croissance économique ne se limite pas à la
réalisation par les États d’actions concrètes en la matière, mais se manifeste également à
travers ce que l’on appelle «l’interventionnisme fiscal», c’est-à-dire l’utilisation de l’outil
fiscal en vue d’atteindre des objectifs de type économique et/ou social ; étant précisé que cet
outil peut être utilisé aussi bien en vue d’inciter les agents économiques à adopter un certain
comportement que pour les en dissuader - même si ce dernier cas de figure est plus rare – et
ce, en instituant une renonciation totale ou partielle à certains prélèvements obligatoires ou
bien en augmentant la fiscalité sur certaines activités ou produits (par exemple pour protéger
la santé publique : surtaxation du tabac en Europe) 84.

83
En effet, grâce à l'impôt, l'individu peut adopter la combinaison de moyens qui lui paraît la plus efficace, la plus
productive, et c'est en ce sens que l'on considère que l'impôt accroît la productivité de chacun, voir Gabriel ARDANT,
Théorie sociologique de l'impôt, SEVPEN, 1965, p 24.
84
Voir Gilbert ORSONI, L’interventionnisme fiscal, Paris, PUF, 1ère édition, 1995.

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En Tunisie, l'outil fiscal a été utilisé de manière limitée en vue d'intervenir dans le
domaine économique déjà sous le Protectorat, et ensuite à partir des années 1970, suite à la
fin de l’expérience collectiviste des années 1964-69. Cette option volontaire se concrétise de
nos jours dans le cadre du CII promulgué par la loi n° 93-120 du 27 décembre 1993,
désormais remplacé par la loi de l’investissement de 2016
Toutefois, la multiplication des avantages fiscaux constitue une perte de recettes pour le
trésor public et leur efficacité en vue d’atteindre les objectifs poursuivis n’est pas toujours
évidente ni facile à évaluer.
En fait, la notion d'avantage fiscal ne peut avoir une portée réelle que dans un contexte
où la fiscalité de droit commun est strictement appliquée, où la fraude est réduite et les
situations dérogatoires peu nombreuses.
De plus, il a été prouvé en droit comparé que le rôle des avantages fiscaux dans la prise
de décision économique était loin d'être décisif dans les choix d'investissement des agents
économiques, car le climat politique et social joue un rôle tout aussi important, voire plus
important en la matière.
Or, avec la multiplication des avantages fiscaux en Tunisie - ce qui avait d’ailleurs
permis valu au pays de figurer sur la liste noire des «paradis fiscaux» jusqu’en 201885 - on se
retrouve avec un système fiscal à deux (2) vitesses au sein duquel coexistent de nombreux
avantages fiscaux en faveur des acteurs économiques les plus divers (artisanat, tourisme, etc.)
à côté d’un système fiscal de droit commun qui concerne essentiellement les salariés et les
fonctionnaires soumis à la retenue à la source qui ne bénéficient d’aucun avantage et ne
peuvent pas non plus frauder, ce qui est susceptible d’engendrer un sentiment d’injustice,
finalement néfaste à l’harmonie du système  !
Pour que l’impôt contribue à la croissance, il convient par conséquent que
l’interventionnisme fiscal soit bien maîtrisé, et qu’il n’entre pas en contradiction avec l’un des
principes les plus élémentaires de la fiscalité, à savoir celui d’une répartition équitable de la
charge fiscale dans le respect de la justice fiscale.

85
Date à laquelle la Tunisie a été transférée de la « liste noire » des paradis fiscaux de l’Union européenne à la « liste
grise » des pays ayant pris des engagements en matière fiscale, en soumettant le système à davantage de visibilité. En
effet, suite à la révision, le 23 janvier 2018, de la « liste noire » (comptant 17 pays) établie par l’Union européenne, 8
pays, dont la Tunisie, l’ont quittée pour intégrer la « liste grise » qui compte depuis lors 55 pays, appelés à ce titre à tenir
leurs engagements afin de ne pas redescendre dans la liste noire et ne pas s’exposer au risque de se voir appliquer les
sanctions réclamées à leur encontre, le 12 février 2018, par le Commissaire européen aux affaires économiques (Pierre
Moscovici), qui proposait dans ce sens que « les fonds du budget de l’UE ou des banques publiques européennes (telles
que la BEI, Banque européenne d’investissements et la BERD, la Banque européenne de reconstruction et
d’investissement) ne transitent pas par les circuits financiers de pays ... considérés comme des paradis fiscaux ». Source :
African Manager, quotidien en ligne, 12 fév.2018

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De ce fait, la justice fiscale constitue une condition nécessaire du développement par


l'impôt, aussi bien à travers la poursuite d’une meilleure répartition de l'effort fiscal [car il
convient de ne faire peser sur chaque contribuable qu'une charge raisonnable aisément
supportable] ; que par une véritable répression de la fraude, pour éviter le sentiment
d’injustice des contribuables honnêtes et donner une véritable légitimité à l’impôt.
Ainsi, si l'impôt est ressenti comme juste, si son produit est mieux utilisé, le
consentement du contribuable sera spontanément acquis, et ne sera plus simplement exprimé
formellement par l’organe législatif ; ce consentement sera intériorisé par le contribuable lui-
même qui préférera s'acquitter d'un impôt juste et peu contraignant, plutôt que risquer
d'encourir des sanctions en cas de fraude.
Un tel système fiscal, à la fois juste et consenti, serait en tout état de cause profitable au
trésor dont il permettra de remplir les caisses, mais également au développement économique
et social dans un second temps, puisque le produit de l'impôt servirait alors à favoriser
l'amélioration générale des conditions de vie de l'homme au sein de l'État.
Transition/Conclusion : Ainsi, de quelque manière qu'il soit envisagé, l'impôt apparaît
comme un facteur de libération, et un garant de liberté :
 il permet en effet à l'État de fonder sa souveraineté politique et financière, et notamment
de baser sa contribution à l'effort de développement sur des ressources stables et peu
contraignantes qui ne remettent pas en cause sa souveraineté politique et économique ;
 il constitue par ailleurs le fondement de la participation des individus à la vie publique, et
le moyen d’une promotion de la croissance économique et sociale.
Conciliant les besoins financiers de l'État avec la liberté des individus, l'impôt constitue
donc un instrument de progrès des civilisations ; à condition de respecter les principes de la
justice fiscale et du consentement du peuple à l’impôt.
Ceci explique le maintien de l’outil fiscal à travers le temps et en tous lieux, dans la
mesure où tous les États sont confrontés à la nécessité de remplir leurs caisses pour exercer
leurs missions et qu’ils doivent tous compter davantage sur la bonne foi des contribuables
pour s’acquitter de leur devoir, plutôt que sur l’exercice de la contrainte pour les y obliger,
qui a toujours démontré ses limites dans le passé (révoltes fiscales notamment) 86.

86
Sur ce point, consulter Neïla CHAABANE-HAMOUDA, La protection du contribuable tunisien, d’une Constitution à
l’autre, Tunis, CPU, 2018 ; ainsi que Rania TRIMECH, La protection du contribuable de bonne foi , Mémoire,
Mastère en droit des affaires, FSJPS, Tunis, 2008.

48 Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
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