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Du même auteur

AUX MÊMES ÉDITIONS


La Vie et Demie
Roman
1979
ISBN 978-2-02-118409-9
© ÉDITIONS DU SEUIL, 1981

Cet ouvrage a été numérisé en partenariat avec le Centre National du Livre.

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


à Ame La Yao,
H. Lopès
et U. Tam’si.
Nous nous battrons pour que
la liberté ne soit plus
un mot beurré à la sardine.
S.L.T .
TABLE DES MATIÈRES

Du même auteur
Copyright
Dédicace
Avertissement
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Avertissement

Le roman est paraît-il une œuvre d’imagination. Il faut pourtant que cette
imagination trouve sa place quelque part dans quelque réalité. J’écris, ou je
crie, un peu pour forcer le monde à venir au monde. Je n’aurai donc jamais
votre honte d’appeler les choses par leur nom. J’estime que le monde dit
moderne est un scandale et une honte, je ne dis que cette chose-là en
plusieurs «  maux  ». Il n’y a que Dieu qui décide si un livre sera petit ou
grand : mais mon livre à moi je me bats pour qu’il saute aux yeux. La vie
n’est un secret pour personne. L’Etat honteux c’est le résumé en quelques
« maux » de la situation honteuse où l’humanité s’est engagée.
Sony Labou Tansi
Voici l’histoire de mon-colonel Martillimi Lopez fils de Maman
Nationale, venu au monde en se tenant la hernie, parti de ce monde toujours
en se la tenant, Lopez national, frère cadet de mon-lieutenant-colonel
Gasparde Mansi, ah  ! pauvre Gasparde Mansi, chef suprême des Armées,
ex-président à vie, ex-fondateur du Rassemblement pour la démocratie, ex-
commandant en chef de la Liberté des peuples, feu Gasparde Mansi, hélas
comme Lopez de maman, venu au monde en se la tenant, parti du monde de
la même sale manière, quel malheur.
Nous le conduisîmes du village de Maman Nationale à la capitale où il
n’était jamais venu avant, jamais de sa vie. Nous le conduisîmes au milieu
des chants, des salves de canons, des vivats et des cris ; lui chantait l’hymne
national, assis sur le dos de Moupourtanka son cheval blanc. Parce que le
blanc est le symbole de la franchise, il était franc comme nous allons le voir
mes frères et chers compatriotes. Derrière lui galopait fièrement Oupaka
national mon frère, même père pas même mère, sur le même cheval que
maman qui risque de tomber si vous la laissez seule sur cette bête. A sa
gauche c’était Carvanso, à sa droite Vauban. Le peuple allait à pied. Nous
étions tous sûrs que cette fois rien à faire nous aurions un bon président.
Nous portions ses ustensiles de cuisine, ses vieux filets de pêche, ses
machettes, ses hameçons, ses oiseaux de basse-cour, ses soixante et onze
moutons, ses quinze lapins, son seau hygiénique, sa selle anglaise, ses trois
caisses de moutarde Bénédicta, ses onze sloughis, son quinquet, sa
bicyclette, ses quinze arrosoirs, ses trois matelas, son arquebuse, ses
claies… Et quand notre frère Carvanso lui dit : « Ne vous donnez pas tant
de peine monsieur le Président », il répondit : « Je n’ai pas confiance ; je ne
supporterai pas qu’on dise que j’ai détourné l’argent de mon peuple.  » Il
nous montra ses belles dents de père de la nation dans un sourire
magnanime.
On se serait dit au temps des caravanes, parce qu’il avait refusé de
prendre l’avion, nous marchions, ployant sous le poids de ses biens et ne
cassez rien je vous en prie… Nous chantions ses louanges. Nous étendions
nos pagnes sur son passage. Il eut pour son entrée dans la capitale treize
kilomètres de haies d’honneur, huit cent onze mètres de bérets rouges,
trente de bérets verts ; au vu de nos soldats, il se pencha à l’oreille de notre
frère Carvanso et demanda : « Qu’est-ce que c’est ? — Des tirailleurs mon
colonel — Ah d’accord ! »
Nous arrivâmes au cœur de la ville par la nationale quinze, ayant traversé
le pont Alberto-Icuezo, nous atteignîmes le quartier Quarante-Cinq. Chez
Delpanso les gens dansaient, il voulut regarder ces danses qui ne
ressemblent pas à celles des gens de ma tribu. Mais le colonel Vasconni
Moundiata s’approcha de la piste  ; il tonna comme une arme à feu  :
« Arrêtez vos conneries, vous ne voyez donc pas que c’est le président ? »
Le colonel Vasconni Moundiata se fâcha et se mit à distribuer des coups de
pied aux danseurs, cinq tirailleurs vinrent à son aide qui donnaient de
grands coups de crosse au hasard dans la mêlée. Nous vîmes alors son front
de père de la nation se fermer. Il fit un signe à Carvanso national. Carvanso
dirigea son cheval vers le cheval blanc et se mit à écouter : « Fusillez-moi
ces cons, ils dérangent le peuple.  » Nous applaudîmes très fort  : pour la
première fois qu’un président faisait une chose pareille au vrai nom du
peuple. Nous marchâmes sur les cadavres. Quelqu’un vint se donner la mort
à ses pieds en criant : ah monsieur le Président, que c’est beau votre geste !
Il embrassa ses jambes nationales avant de piquer du nez. «  Donnez-lui
deux jours de deuil national », dit Lopez à mon-colonel Carvanso.
Nous lui fîmes visiter la capitale  : rue Valtaza, rue Dorbanso, rue
Corbanzo, rond-point Graci, l’Opéra… Nous l’emmenâmes à Vatney, la cité
du pouvoir. La mairie, le musée de la Nation, les camps militaires, le port
présidentiel, la place du 8-Juin ; à la tombée de la nuit nous arrivâmes au
palais. Nous le conduisîmes dans toutes les pièces  : le salon d’armes, la
galerie des diamants, le hall des Compagnons de la Révolution, le caveau
présidentiel où un seul de nos onze présidents reposait en paix parce que les
dix autres étaient à la fosse commune pour haute trahison.
— Qu’est-ce que c’est ?
— C’est la carte de la patrie monsieur le Président.
— Ah ! d’accord ! Et qu’est-ce que c’est que ces serpents bleus ?
— Les rivières monsieur le Président.
— Ah ! d’accord. Et ces serpenteaux ?
— Les routes nationales monsieur le Président.
— Et ces serpentements-ci ?
— Les frontières monsieur le Président.
Pour la première fois il poussa son grand rire de père, se tint les côtes et
qu’est-ce que vous êtes bêtes : vous avez laissé les choses de la patrie dans
l’état honteux où les «  Flamants  » les ont laissées, vous avez laissé les
choses de la nation comme si le pouvoir pâle était encore là, quelle honte
maman et qu’est-ce que vous êtes tous cons  ! cherchez-moi de l’encre
rouge. Et il traça à main levée les nouvelles dimensions de la patrie : mettez
les tirailleurs au boulot, il traça quatre lignes droites qui se rejoignaient
deux à deux, laissant des parties du territoire national chez nos voisins et
prenant à nos voisins des parties de leur territoire parce que mes frères et
chers compatriotes c’est la décision de ma hernie  : la patrie sera carrée.
Nous ne pouvons pas vivre dans un entonnoir tracé par les colons, quand
même  ! quel peuple sommes-nous si nous n’avons même pas le loisir de
fabriquer nos frontières ? il associa les médias à cette décision de ma hernie
et pas de connerie mettez les tirailleurs en marche, au lieu qu’ils passent
leur vie à grimper les filles, nourris et vêtus par la patrie, au lieu qu’ils
foutent la merde de prendre le pouvoir pour un oui ou pour un non… il
signa à l’encre rouge la décision de ma palilalie qui qui qui met tous les
tirailleurs aux frontières, pas un ici, tout le monde à la frontière, parce
qu’un tirailleur c’est fait pour tirer mon vieux !
Après ce premier message à la nation, devant vos ustensiles de télévision
qui me chauffent la hernie, il fit signe à Carvanso d’approcher, il lui prit les
épaules, lui donna deux tapes amicales : tu seras mon bras droit, tu seras le
bras droit de Maman Nationale puis il baissa un peu la voix pour lui
demander si tu ne peux pas ah ma mère c’est dur la vie d’un célibataire  :
j’ai soif, cherche-moi une putain.
— Attention à la presse monsieur le Président.
—  Tant pis pour elle, moi j’ai soif. Pas une gamine. Parce que les
gamines ont du sel dans les jambes.
Il mangea très vite, ne but presque rien. Il fit venir le maître d’hôtel pour
lui demander pourquoi sa viande saignait encore. Tu crois que je suis un
chat ou quoi ?
— Non monsieur le Presidente : c’est la cuisine de la civilisation.
— Alors qu’est-ce qui te fait penser que je suis civilisé, hein ?
— … Ah monsieur le Presidente…
—  D’accord, fous-moi la paix si tu ne peux pas cuire comme nous
cuisons ici.
Nous applaudîmes tous quand il nomma sa mère cuisinière de la nation.
— Hôtelière Nationale monsieur le Président, dit Carvanso.
— Ah, pourquoi donc ?
— C’est plus beau monsieur le Président.
Il répéta le mot et d’accord c’est plus beau. Ensuite vint ce jour où devant
le parlement, devant la Chambre des sages, devant les diplomates et le haut
commandement, devant le nonce apostolique, il avait juré au nom de
maman et à mon nom, au nom de la patrie, vous pouvez me faire confiance,
je serai un bon président. Il descendit de tribune, vêtu des couleurs de la
nation, souriant et fredonnant l’hymne national, les bras au ciel, les mains
jointes, sans autre escorte que sa mère, Carvanso et Vauban, il traversa la
foule en délire, au milieu des danses, inondé de fleurs de la patrie, avec nos
enfants qui veulent toucher sa hernie, nos mères qui étendent leurs pagnes
sur son passage, les vieux qui pleurent des larmes de joie : on va avoir un
bon président vivat Lopez fils de Maman Nationale, vivat Carvanso ! Toute
la capitale sentait la poudre de chasse, la sueur des danses et les rameaux :
rue Zapalo, rue de Muerte, Grabanizar, Machinier, place de la Passion. Il
s’arrêtait pour manger et boire comme mange et boit mon peuple, il dansa
les vraies danses de mon peuple, pas comme vos conards qui faisaient tout
venir du pays de mon collègue, moi je suis d’ici et je resterai d’ici, je
mangerai ce qu’on mange ici, je boirai ce qu’on boit ici. Il réunit cent trente
nationaux et quinze présidents en exil chez nous et vous allez voir comment
on fait la politique  ; il dicta à notre frère Carvanso les soixante-quinze
articles de « l’Acte de commandement » : article 1 : la patrie sera carrée ;
article 2 : à bas la démagogie ; article 3 : Maman Nationale est notre mère à
tous ; article 4 : pas de grève et pas de connerie ; article 5 : à bas la peine de
mort ; article 6 : je suis le président mais vous me foutrez en l’air quand il
vous plaira… il forma le gouvernement à main levée  : soyons francs, qui
veut être ministre du Pognon ? qui veut être ministre des Timbres ? qui veut
être ministre des Routes qui veut être ministre des Cailloux qui veut être
ministre des Médicaments chargé de la condition des femmes d’accord ! il
nomma le ministre des Frontières, le ministre des Coutumes, le ministre des
Transactions, le ministre des Dettes, le ministre des Semences chargé de la
forêt, le ministre de la Pêche chargé des animaux sauvages, le ministre des
Pourparlers… moi je reste ministre des Tirailleurs chargé de la liberté du
peuple. Mes frères et chers compatriotes au boulot. Et pendant qu’ils
chantaient l’hymne national il se pencha à l’oreille de Carvanso  : Je t’en
prie j’ai encore soif j’ai toujours soif : cherche-moi une poule.
— Oui monsieur le Président.
— Une vraie poule pas une qui… une poule blanche, tiens, que je goûte
les Blanches.
— Oui monsieur le Président.
Pendant cinq ans il dirigea la nation et les frontières avec les Mihilis qui
se sont soulevés à l’Ouest, ah  ! Carvanso va leur donner la leçon de ma
hernie ; les Bhas refusent de payer les impôts de sacrifice, va leur distribuer
ma palilalie, les Bozhos se soulèvent au Sud, Carvanso, va donc les
maudire ! A vos ordres mon colonel. Et pour se calmer il fait venir son griot
Thanassi national qui raconte la vieille histoire de notre frère Louhaza qui
aima sa mère à la folie et qui lui donna douze enfants dont Talanso Manuel,
arrière-grand-père de Maman Nationale, descendant de Lakansi national,
fondateur de la patrie, il lui raconte l’histoire de Lukenso Douma, fondateur
d’un royaume qui englobait l’actuel Congo, l’actuel Zaïre et l’actuel
Angola, il lui raconte comment Manuelo Otha avait fondé le Tamalassi… il
lui raconte l’histoire de l’ex-mon-colonel Youhakina Konga, c’est long son
histoire, mais je voudrais qu’elle se raconte de père en fils pour l’éternité
des éternités, exactement comme je l’ai entendue de ma grand-mère, feue
Gasparde Luna. Et lui écoute en sortant les yeux  : mon Dieu, ils étaient
grands nos ancêtres.
— Oui monsieur le Président.
— Ils étaient venus au monde pour foutre le paquet.
— Oui monsieur le Président.
—  Non, il n’y a pas mille manières d’être humain. Nous nous foutons
vaille que vaille. Vingt pour cent de sang « flamant » dans les veines, pas
assez noir pour être nègre, pas assez blanc pour choisir le blanc, je me
foutrai vaille que vaille… il n’y a pas mille manières d’être au monde.
— Oui monsieur le Président.
Les choses avaient commencé un soir de mai au stade Alberto-
Sanamatouff. Mardi soir, quand le soleil se couche en laissant des rayons de
sang dans les mains de la Nature, que commence le chant nocturne de mille
insectes qui font vibrer leurs ailes pour annoncer l’Afrique aux touristes du
pays de mon collègue. A l’heure où vous le savez, nous le savons tous, le
lieutenant Proserdo Manuelio avait tué son beau-frère Jolanso Amelia sur
un lit d’hôpital : « Toi que j’ai mis lieutenant avec la sueur de mon front !
on m’a dit que tu veux le pouvoir ? voici donc : le pouvoir est au bout du
plomb. »
Lopez de maman ! Il avait appelé tous mes frères et chers compatriotes à
ce premier meeting nocturne (parce qu’on n’a pas de temps à perdre  : les
choses de la nation pressent), et je vais commencer par vous expliquer ah
oui il faut que je vous fasse l’historique et vous explique les raisons
profondes qui avaient poussé ma hernie à se mêler de pouvoir. Non non et
non  : ce n’était pas un coup d’Etat. Je me suis rebellé contre le pouvoir
central parce qu’on ne pouvait quand même pas laisser qui vous savez
uriner sur les affaires de la patrie, on ne pouvait pas le laisser confondre la
nation avec les jambes de sa mère mal trouée, un zéro, un inculte, un lascar
comme lui. Ce n’était pas un coup d’Etat et il montra cette blessure-ci faite
par qui vous savez, il ouvrit sa braguette pour nous montrer cette autre
blessure-ci à l’entrée des cuisses et toutes ces blessures-ci, il nous montre
mes fesses trouées et raconte comment, mes frères et chers compatriotes,
l’abbé Perrionni fils de sa mère m’a blessé ici, le jour où il me trouva avec
l’ex-vierge Gléza Dononso  : «  C’est honteux mon capitaine (j’étais
capitaine à l’époque), c’est honteux que vous ne puissiez pas trouver une
vraie femme où jeter votre eau de merde, vous venez chercher les filles du
Seigneur alors que les rues en sont bourrées.  » Il nous montre aussi cette
blessure faite à ma hernie par qui vous savez le jour où il me trouva dans la
chambre de sa fille et, qu’est-ce que vous voulez, on n’est pas moins
humain que les autres. Mais il faut que je vous montre tout pour vous faire
comprendre que ce n’était pas une ambition personnelle qui a poussé ma
hernie au pouvoir. Ah mes frères et chers compatriotes, je ne vous ai pas
montré la vraie blessure faite par Loutoulla national le jour où il me trouva
avec sa femme… Il nous sort toute sa carrière de mâle, avec tous les galons
que la vérole m’a laissés, je vous en prie, ne pensez pas que je suis débile :
c’est la nation qui commence ici.
— Con de ta mère Outranso national qui croit qu’on se marre : j’éduque
mon peuple et toi tu te marres derrière le béret de Foni Sènso. Tu dois me
prendre pour l’ex-président Jlanso Zenno qui se jetait aux pieds des filles,
les mains et la hernie jointes et : tu es métisse, j’adore les métisses : elles
ont l’Afrique en sel de table dans les cuisses. Mais revenons à nos moutons
et il nous prie de constater comme le monde est méchant : les hommes ah
les hommes  ! ils ont toujours tenté de prendre le monde avec leur queue.
Mais c’est Dieu qui commande, ah oui mes frères et chers compatriotes,
Dieu est avec nous si nous pouvons encore respirer ce soir comme nous
respirons ce soir. Parce que, l’enquête est formelle, cette nuit, à deux heures
du matin, qui vous savez a tenté de prendre le pouvoir, avec une dizaine de
petits mécaniciens et quelques petits démons qui travaillent aux ustensiles
de télévision, quelle connerie, croyez-vous mes frères et chers compatriotes,
qu’on puisse prendre le pouvoir avec des gros plans ? Mais dans la bande il
y a une femme ah  ! maman  ! paraît qu’elle est belle comme la reine de
Saba. Et il roule sa hernie de manière délicieuse, tendrement pendant que
nous applaudissons, pendant qu’au ciel montent nos cris  : vivat Lopez  !
vivat Maman Nationale  ! Il la roule de manière préméditée, «  mais avant
que je ne vous les montre, avant que je ne les mette là devant votre colère,
mes frères et chers compatriotes, enfants de ma palilalie, nous allons faire le
point de la situation  : je ne suis pas Gasparde Mansi à qui une gamine a
coupé la hernie parce qu’il se livrait à des audiences sexuelles dans son
bureau, je ne suis pas Oustanno Ludia qui tuait les gens du peuple comme
on tue ses poules, je ne suis pas votre filia da puta Orenso Gemma que vous
avez foutu héros de la nation parce qu’il vous a laissé trois cent douze
métisses et septante-cinq Noirs comme lui  ; moi je suis Lopez, fils de
Maman Nationale, cinq ans de pouvoir et dites-moi qui j’ai tué  ? Nous
avons tous crié : « Personne ! vivat Lopez, vivat Maman Nationale, à bas
les crocodiles. »
Alors, lui est dans son vrai jour de hernie eh oui mes frères : c’est jour de
hernie chez moi, je vais vous raconter  : l’histoire de ma hernie est liée à
celle de la patrie mais ce n’est pas triste. Je suis le fils spirituel d’Alberto
Sanamatouff… il raconte l’histoire de mon frère Sanamatouff jusqu’à trois
heures du matin et mes frères et chers compatriotes revenez demain à onze
heures : nous parlerons des rebelles, nous leur trouverons les sanctions qui
s’imposent  ; en attendant, rentrons  : ma hernie a sommeil. Mais avant de
partir, nous l’avons entendu dire à l’oreille de notre frère Carvanso : « J’ai
soif, ah c’est dur la vie d’un célibataire », et Carvanso de dire :
— Monsieur le Président, attention à la presse.
— D’accord.
Il part à pied, suivi de Vauban mon-colonel de sécurité, rue Felicio-
Danaransi, avenue Panglos, marché Touré-Diakaté, rue de la Pompe, allée
des Oreillidos, il raconte l’histoire de l’ex-Vadio colonel de hernie qui a
quand même fait ce qu’il a fait et à qui vous n’avez rien foutu, l’ex-
Loujango national qui est allé loin dans la science de fermer les yeux et
qu’est-ce que vous lui avez fait ? Pont Corbanni-Suaze : il reste dix minutes
à contempler les flots  : je ne suis quand même pas Alvaro Diosso qui a
préparé ses treize diplômes à la présidence, nom de Dieu : le peuple est con
il restera con.
— Oui monsieur le Président. Mais l’eau chaude ne brûle pas le linge.
Son cœur s’emplit d’ombres, cœur de prophète, cœur de père, dans cette
majesté du rêve humain, où tu contemples feu mon-général Also de Nonso,
en tenue de chasseur de tigres, forêt de panaches et de galons, cordons
dorés, médailles exotiques, magiques, lourdes comme des portes, trois kilos
de médailles sur le torse parce que mon peuple veut qu’on lui saute aux
yeux, ah Vauban ici c’est le pays des gens qui sautent aux yeux. Il raconte à
Vauban l’histoire tragique de feu notre frère Grabanizar sous le régime
honteux de Labinto que mon peuple a foutu héros de la patrie, nous sommes
dans un pays méchant et on devrait l’écrire en lettres d’or à l’entrée du port
de Zouhando-Norta, on devrait l’écrire aux sept portes de la capitale : pays
méchant. Mais oui Vauban, puisqu’il n’y a pas de guerre, les tirailleurs
foutent la merde. Qu’ils foutent puisque nous sommes le centre de la
lâcheté mondiale, puisque nous sommes la capitale mondiale de la honte et
du péché, puisque maman nous sommes les maîtres du mensonge et de la
méchanceté… Et lui Vauban écoute, le courage pâle, qui a tenté de sauver le
monde, et on le voit aimer cette terre à haute voix tandis que Lopez
national, géant kaki, vêtu du drame de la nation, porte le pays en
bandoulière et pas de connerie, rue Nolavinto, rue Fantar, café Les Rate-
Bonheurs, il traverse la place de la Patrie, pendant que se vide sur mon
peuple cette musique de Plazzinni Delaroux, un homme qu’on croirait
français ce Delaroux, mais c’est l’homme du mélange des races  : gueule
française, manières des Etats-Unis, démarche d’Arabe, figure de chez nous ;
aujourd’hui il chante au jardin Oulanso-Mondia, dans un français très
accentué :
Ouvre ton corps
A cette peur
Du monde
 
La terre est un bien public
Mais toi ton jour c’est déjà
N’viens pas trop tard
 
Dans la vie
Ferme ta part
Dans cette chair entre ciel et terre
 
Pour nous l’avenir c’est déjà
Chante tes nerfs et danse ton cœur
Il n’y a pas mille manières
 
D’être vivant
Vive toi donc vive moi
— C’est beau mon peuple quand il danse mes poèmes !
— Oui monsieur le Président.
Rue Fortio, rue Amela, rue Fontaine, cette ville ah cette ville, rue
Foreman, ex-boulevard Duchaillu… il arrive au bord de la «  Rouviera
Verta » putain comme la ville est belle à cette heure. Il raconte comment un
cochon comme Oxbanso, le jour où je l’ai fait ministre des Importations eh
bien il voulait dormir avec Maman Nationale, mais je ne l’ai pas tué pour
autant. Tu comprends Vauban ? ici c’est le village de Satan, ne peut te trahir
que celui que tu aimes… La fange lui colle aux pantoufles. Un chien mort
sur la voie, ah personne ne travaille ici  : il enlève le chien mort. Zamba-
Town, ville du Sud, plus chaude à minuit qu’à midi, avec ses eaux pourries,
ses nids de moustiques, ceux qui ont fui la chaleur dans les cases font
l’amour dehors c’est ainsi que les pénombres gémissent, sanglotent,
toussent. Zamba-Town, placée sous le signe du salut et de la paix, rue Gaza,
avec les traces du dernier couvre-feu (seize mois de couvre-feu). Et sur
l’autre rive du lac Oufa : la Cité-du-Pouvoir, belle comme un rêve d’amour,
à quelque chose ma hernie est bonne  : je leur ai construit ce monument  :
trente-cinq millions de dollars transformés en bien de l’Etat, ils les ont
aujourd’hui, ils les auront là devant eux, quand ma hernie se sera éteinte.
Bravo la nation !
Nous ne sommes pas à l’heure où les haut-parleurs laissés par feu mon-
colonel Pouranta Ponto versent les discours de ma hernie dans les oreilles
de mon peuple, cette innovation est vieille, celle de Laountia national,
Manuelo Sanka l’a respectée. Des quartiers entiers qui gueulent puisque les
gens ont pris la honteuse habitude de tourner le bouton pendant que je parle,
je demande à mon-colonel ministre des Frontières de faire mettre des haut-
parleurs dans tous les quartiers, de veiller à ce qu’ils fonctionnent pendant
que ma hernie fonctionne, parce qu’il est totalement honteux qu’un peuple
n’écoute pas les discours du président, tu les feras mettre Carvanso, et que
ça tonne fort, qu’ils m’entendent dans leur sommeil d’animaux honteux,
qu’ils m’entendent, pendant qu’ils montent leurs femmes, pendant qu’ils me
maudissent et complotent contre moi, pendant qu’ils m’insultent, au moins
qu’ils m’entendent et que ma voix les dévierge, faute d’être aimé qu’au
moins je sois craint, connu, senti.
— Oui monsieur le Président.
Rue des Toudonides, rue Whitman, rue Delaronzo : Eckerd Drugs, open
till Midnight… son visage osseux prend des allures de momie, il bat les
quartiers, sa hernie lui fait guili-guili, attends Vauban que je te montre ce
pays, nom d’un bordel : on est bien ici. Une fine pluie se met à tomber qui
mouille son blue-jean, il hausse les épaules  : depuis que j’ai goûté cette
Blanche ça me donne toujours envie les Blanches, mais dis-moi Vauban-
queue-moisie : pour quelle raison tu préfères les hommes ? et il lui raconte
l’anecdote de ma guerre contre la Russie : onze mois dans la forêt pourrie,
sans amour, sans âme et je te jure Vauban, la roupette c’est notre prochain
cœur.
Nous étions mercredi. Le meeting commença de bonne heure. Vous allez
rire, oui, vous allez rire, parce que mon-colonel Martillimi Lopez a fait rire
l’Afrique et le monde entier. Non non et non  : je n’aurais pas pris votre
pouvoir de merde si mon prédécesseur ne s’était pas mis à pisser sur les
affaires de la patrie, s’il vous avait laissés mourir de faim au lieu de vous
tuer comme des rats, s’il n’avait pas jeté septante pour cent du budget à
l’achat des ferrailles russes. Ici, c’est comme cela, dans toutes les maisons
où vous allez le soir, on raconte l’histoire de feu mon-colonel Martillimi
Lopez, commandant en chef de l’amour et de la fraternité, et chacun y met
son ton, sa salive, ses dates, ses lieux, chacun la fait briller à sa guise au ciel
de notre imagination, mais voici la vraie histoire de Martillimi Lopez fils de
Maman Nationale, telle que la racontent ceux de ma tribu, avec leur goût du
mythe, au milieu des éclats de rire, Lopez de maman qui maintenant dort au
musée de la Nation dans un cercueil de pierre, avec son œil droit qui n’a pas
pu se fermer, mais laissons-le regarder la patrie pour les siècles des siècles,
qu’il veille sur nous dans son sommeil de Père pourrissant, laissons-le nous
protéger des tyrans, ce regard de mort germera dans la mémoire des enfants
de nos enfants, c’est le symbole même de notre passé, Dieu est grand ! et
cet œil mort qui regarde c’est la nation en miniature. Pas de connerie mes
frères et chers compatriotes  : aimons Lopez il a été cent fois mieux que
l’actuel Dolsano Maniania.
— Ma hernie est triste.
Il prit les bords de sa grosse culotte kaki, les tira vers le nombril pour
bien ajuster sa hernie dans cette musette qui puait la bière de mais et la
moutarde.
— Eh oui mes frères et chers compatriotes : « elle nationale » est triste.
Nous applaudîmes sans trop savoir pourquoi. Mais je crois que c’est comme
cela la foule : un commence et tous les autres l’imitent. Vivat Lopez, vivat
Maman Nationale. Et lui répète : « ma palilalie est triste. » Je crois que nous
vîmes son beau visage prendre un coup de vieux.
— Ah maman ! ma hernie est triste. Parce que, Cataeno Pablo, honteux
national, vendu et revendu, mais comment, un insecte comme Cataeno
Pablo, comment mais comment ? il a vendu la nation au prix d’une boîte de
sardines, quelle honte pour nous…
Pendant qu’il parle à la nation, il est flanqué de mon-colonel de sécurité
Vauban, et sa hernie se voûte, elle pue les doses à l’aubergine, elle pue le
piment, elle proteste de toutes ses écailles contre la chaleur, investie de
sucre et d’absinthe, coupée d’urine et des vapeurs de son eau de nuit, elle
dégage cette odeur kaki, miasme immonde. Il parle à tue-tête, mon-colonel
tricolore, barricadé de ses nuits d’amant national, souffleur de vierges ! que
mon peuple chante et danse : je l’aime d’un amour de mammifère, Lopez
venu au monde pas par quatre chemins, un mardi soir, au vu et au su du
pape en poussant des cris mystiques, grandi dans la misère et le dénuement,
Maman Nationale lui a essuyé l’anus avec des feuilles de chanvre, Lopez
régional du temps de Sanamatouff, devenu Lopez de ma tribu sous
Faramento, aujourd’hui Lopez que mon peuple chante et danse, Lopez du
peuple qui ne veut pas que je démissionne à cause du prestige que j’incarne,
Lopez de la paix, j’ai quand même rendu mon peuple à mon peuple, j’ai
rendu le monde au monde, Lopez dirigé contre des ordures comme Cataeno
Pablo, malheureux national qui qui qui est allé dans le maquis avec Laure et
sa maman, Cataeno Pablo dont on devait donner la viande à vous tous qui
êtes venus à ce meeting, vous national, pas vous des expatriés qui soutenez
honteusement la rébellion en donnant dix-sept Mausers 52 et onze Sten aux
rebelles  ; d’ailleurs monsieur le diplomate en chef de l’ambassade de
Belgique et toute sa «  flamanterie  » sont-ils là  ? allez me fermer votre
diplomatie, allez me la fermer sans délai et prenez le premier avion dans la
première direction, si vous ne voulez pas, nom de Lopez, que je vous
expédie à Sa Majesté de la honte des «  Flamants  » qui nous ont toujours
becquetés, allez me la fermer, tout comme je demanderai à la colonie
flamande installée sur toute l’étendue de ma hernie de quitter le territoire
national pour regagner leur Flamandchourie natale, au nom de la
Révolution, au nom de Maman Nationale et à mon nom personnel, la même
décision de ma palilalie tombe sur l’Italie, oui mes frères et chers
compatriotes, l’Italie aussi a trempé dans les élucubrations nationalitaires de
Cataeno Pablo, l’Italie plus Cuba  : même crime, même sanction, et dans
deux jours, mes frères et chers compatriotes, si vous attrapez un
« Flamant », un Italien ou un Cubain : vous avez ma chaude p…, vous avez
ma chaude permission de le bouffer. Pour terminer, mes frères et chers
compatriotes, je vais vous présenter cinq «  pablosards  » capturés par les
tirailleurs de la nation, et je vais les appeler là, à ce micro, pour qu’il n’y ait
pas que ma hernie qui décide, je vais les interroger, vous jugerez de la
gravité des actes qu’ils ont posés et vous déciderez en conséquence. (Un
temps.) Ah mes frères et chers compatriotes, on me signale qu’il y en a six
au lieu de cinq, qu’on les emmène. Et Dieu de Maman Nationale qu’est-ce
que je vois  ? Cette gamine aussi  ? Non non et non  : une si délicieuse
créature, mais pour quelle raison maman  ? Non non et non  ! Cette colère
qui, nous l’avons tous vu, gonflait sa hernie tomba très vite et approche ça
voir, ma fille, comment mais comment une fille de vingt ans même pas,
avec un corps comme vous l’avez là, juteux comme tout, avec des hanches
Dieu de ma mère nationale ah je ne réalise pas, des seins charnus à ce point,
une gamine qui devrait enfermer tous les hommes au fond de son rêve,
emprisonner tous les hommes dans le vertige de ses formes et la magie de
ses reins, allez donc comprendre mes frères et chers compatriotes, à moins
qu’on n’ait été mal trouée, comme c’est souvent le cas pour la grande
majorité des filles des alentours du lac. Comment mais comment Flora et la
Joconde réunies de cette manière, comment une beauté venue au monde par
tous les chemins… Un coin de la foule cria : « Comme ça ! » On les fit taire
pour les siècles des siècles, et ça vous apprendra d’avoir des gueules et de
vous en servir comme instruments de haine : enlevez les corps et dites avec
vos ustensiles de télévision que le discours du Président a fait des morts.
Sous ce soleil sorti de ses gonds, dans ce toujours même stade Alberto-
Sanamatouff, Alberto Sanamatouff national que les «  Flamants  » avaient
becqueté Dieu ait son âme  ! becqueté à mort par le biais de la
«  Flamanterie  » locale, pauvre Alberto, l’ancien tombeur de régimes,
l’ancien beau-père de Martillimi Lopez, ancien commissaire de sa toute
grasse hernie, membre du bureau national des herniés, ancien représentant
de sa hernie personnelle aux Nations unies, regretté feu Alberto
Sanamatouff, héros national sans autre forme d’héroïsme que son débit
« hérotique » qui paraît-il frisait l’inondation, et ses toutes herniées cuisses
où le bruit avait couru et recouru  : quel chaud lapin  ! avec son infernale
capacité d’aspersion, feu Alberto Sanamatouff, matou national connu de
toutes les chiennes du pays et comme vous savez, comme nous le savons
tous : amant honteux de Maman Nationale…
Le refrain revient : comment mais comment, un corps si simple, un corps
si complet, dosé comme celui des anges, voulu, un corps finalement
apeurant parce que mes frères et chers compatriotes on ne sait même pas où
il commence et où il finit. Il berce son lièvre qui allait se réveiller : oh toi
tiens-toi tranquille, nous faisons la politique  : on ne peut pas courir après
deux hernies à la fois. Et regardez mais regardez donc comme c’est beau sa
poupe, c’est beau comme un feu de camp. Cette beauté énerve mes cuisses,
ah mes frères. Il plonge sa large main dans sa braguette pour calmer sa
musette kaki  : tiens-toi tranquille, nous faisons la politique. Mais «  elle
nationale » n’entend pas le conseil de son maître, elle couleuvre, elle coule,
elle pue à cause de cette nudité qu’on me présente toute faite. Et voici
jusqu’où Cataeno Pablo a poussé la nation : il veut que nos filles deviennent
des objets de guerre, mais cela mes frères et chers compatriotes, jamais de
ma hernie  ! nous sommes une terre d’amour et de paix, nous sommes un
peuple tiré de l’amour : qu’ils ne vendent pas la peau de nos hernies avant
de les avoir tuées et il la berce comme il la berça le jour où il avait demandé
aux Cubains d’Europe que sont les Britanniques de rentrer dans leur îlot de
malheur parce que vous êtes devenus la plus grosse honte de l’humanité,
plus honteux que les Juifs et les Arméniens : vous jetez de l’huile au feu de
mon peuple. Il plongea de nouveau la main dans sa musette la respira
instinctivement au vu de toute la foule, et ma fille approche : au nom de la
Révolution, au nom de la patrie, au nom de nos mères à tous, ah
mademoiselle de mon cœur aveugle, vous allez demander pardon à la
nation. Pardon à cette Terre qui vous a tout donné, pardon à tous les martyrs
et à leurs parents, pardon à la Constitution et que je ne me mette pas à
oublier le pardon spécial à la France qui nous a aidés à vous capturer,
pardon aussi à l’Amérindie et à la Pologne, approchez-vous du micro parce
que vous allez demander pardon à la manière des ancêtres, les bras croisés
sur la poitrine, le front contre la terre, je vous écoute, parlez très haut pour
permettre à la presse internationale de maman qui a toujours déformé les
affaires de ma hernie…
— Mais mon colonel elle ne peut pas parler.
— Ah ? et pourquoi donc ?
— On lui a coupé la langue parce que les rebelles la coupent aux nôtres.
— Ma hernie va chauffer…
— Ils l’ont coupée à mon-colonel Touvanso Dieu, ils l’ont coupée à l’ex-
capitaine Honse, ils l’ont coupée à la mère de l’ex-colonel Fouga, ils l’ont
coupée à tout le bataillon de mon-colonel Letanso : un jour ils la couperont
à Maman Nationale.
— Ma hernie va s’enflammer…
— Ils l’ont coupée à…
— Ferme ta gueule Outranso…
Il entre dans une colère infernale, comme le 14  Juillet dernier quand la
France est venue fêter dans ma hernie maman m’est témoin ce sont les
Français qui m’ont poussé à pendre l’ex-camarade Armando Mundi  ! la
même colère qu’un certain 11  Novembre quand les Allemands ont dormi
avec Maman Nationale pour ma honte.
— Je ne comprends pas les gens de chez moi : tout le monde croit qu’il
est le président  ! je vous le rappelle  : le président c’est moi. Non non et
non : tout le monde agit comme si tout le monde était moi, comment mais
comment  ? vous ne pouvez même pas prendre la peine de me consulter
avant ?
Et il vient à elle : « Ne t’en fais pas ma fille, cette terre est cannibale », il
lui prête son veston kaki pour cacher ta nudité qu’ils ont gâchée mais moi je
me vengerai. Il déchire les prétendues dépositions de vos mamans mais moi
je me vengerai. Il déchire les procès-verbaux de vos mamans et l’emblème
de la nation de vos mamans, il fout en l’air le soutien de vos mamans que
vous m’envoyez par la fenêtre mais moi je me vengerai. Il déchire le béret
de vos mamans et je retourne civil, il déchire les galons, panaches et
consorts et Outranso colonel de ma honte où es-tu : présent.
— C’est toi qui as donné l’ordre de couper la langue, je vais te la couper
à toi aussi.
— C’est pas moi c’est Darcanio.
— Ah ! où est Darcanio ?
— Ce n’est pas moi c’est Lafondia.
— Où est Lafondia ?
— Ce n’est pas moi c’est ce n’est pas moi ce n’est pas moi ah ah ah !
Il l’étrangle. Les yeux sortent sortent sortent. La voix tombe. Depuis
qu’au sein du Haut Commandement tout le monde croit qu’il est devenu le
président… et maintenant qu’est-ce que vous allez dire à la presse
internationale, qu’est-ce que vous allez dire au pape et aux diplomates  ?
qu’est-ce que vous allez leur dire  ? vous allez ah quelle connerie. Il saute
encore sur lui, avec cette colère qui me demande de rendre le pouvoir aux
civils, il lui marche sur les testicules parce que tu n’es quand même pas le
président pour décider d’une chose aussi grave sans mon avis et n’est-ce
pas ces sales bêtes qui te donnent des idées pareilles, avec vos entreprises
de ma honte mais tu vas voir, il faut qu’il y ait sur cette terre des gens qui
sachent qu’un président ça se fâche… nom de Dieu tu devrais au moins
savoir le prix de tes ustensiles de mâle, au moins cela, attends que je te les
coupe. Mais mon-colonel Carvanso s’approche et calmez-vous monsieur le
Président.
—  D’accord je vais me calmer mais pas avant que je ne lui aie montré
comment…
Il lui caresse la hernie. Il souffle sur son cœur. Il lui tend des dragées
qu’il broute. Il lui donne deux cuillerées de moutarde calmez-vous
monsieur le Président.
— D’accord Carvanso, je vais me calmer.
On fait venir son chinchilla qu’il met sur son épaule droite et qui balaie
avec la queue l’endroit exact où Lafondia a laissé sa bave. On fait venir
Narka son perroquet qui peut traduire la suite du discours dans la langue des
oiseaux : « i oyo o io yo ! » laissant dans la langue de maman le mot hernie.
En ce stade Alberto-Sanamatouff national que les «  Flamants  » avaient
becqueté, stade toujours comble, sous ce toujours même soleil, avec ce
toujours même coin de la foule qui bouge et la police qui devrait faire son
boulot au lieu de vendre la peau de ma hernie avant de l’avoir tuée, avec
tous les ustensiles de la télévision braqués sur sa littérature amère, il
réchauffe sa hernie au soleil de mes frères et chers compatriotes, présentant
à la pitié de mon peuple ce corps que les tirailleurs ont gâché. Les larmes
lui coulent. Et nous pleurons avec lui puisque nous comprenons ces larmes-
là.
— Cette chair qu’ils ont rendue aveugle.
— Oui monsieur le Président.
— Ce corps fait avec de la viande de première classe.
— Oui monsieur le Président.
— Il faut dire que le monde est méchant.
— Oui monsieur le Président.
— Mais moi je te refonderai monument… mademoiselle tendre, mise au
monde du monde, mademoiselle alcoolisée qui réveille mes eaux kaki. Je te
refonde femme, lieu de culte, chair d’ensoleillement  : voici la décision de
ma palilalie, tu seras ma femme. Terminée la vie de célibataire ! Le stade
tout entier applaudit très fort, mais elle pleure.
— Je l’épouse, vous avez entendu ?
— Oui monsieur le Président.
Il fut tiré onze coups de canon aux quatre coins de la capitale et comme
un seul homme la ville cria : Oui monsieur le Président. Puis le silence se
fit. « Taisons-nous, Papa National est en train d’aimer sa femme. » Pas de
musique. Pas de voitures. Personne dans la rue. Pendant deux jours.
—  Pourquoi tu pleures mon ange  ? Mange cette mangue, bois cette
boisson. Tu es au palais. Porte cette robe. Tu ne veux pas danser ?… Il la
couvre de bijoux et de joie, il lui fait voir dans les moindres détails tous les
aspects de ma hernie : dansant devant elle, lui chantant les chansons de chez
moi, et je te jure que je t’aimerai comme je t’aurais aimée si tu avais ta
langue, mange donc ce fruit, bois cette boisson. Mais elle pleure toujours.
Il la décrit : bouche avant tout, bouche barbare, douloureuse, je te referai
monument, maman de la patrie. Il se jette à ses pieds et marche sur moi si tu
veux. Je suis le président mais tout mon sang monte à toi : tu vois ? Il lui
raconte comment sur cette terre de merde ils n’auront jamais un président
meilleur que moi, je ne suis pas Trimitti Lopez qui les pendait comme de la
volaille, je ne suis pas Luigui Lafundia qui les écorchait, je ne suis pas
Manuelio Samba qui les donnait à ses léopards. Il lui parle du jour honteux
où Adamonso Liguas est passé pharaon mais ça jamais de ma hernie. Il lui
sort mon corps que tu vois, avec toutes les plaies de ma guerre contre la
Russie, il ferme à double tour pour que mon-colonel Vauban ne vienne pas
troubler notre sieste. Les barreaux. Les poutres. Les murs de pierre
imprenables. Canons, chars, lance-hernies. Tous ces «  ustensiles  » que tu
vois… il lui sort sa fallacieuse hernie coupée de sel et de la bave de ses
nuits de célibataire mais cette fois plus question. Il va prendre son bain
plein d’aubergines, de piment, de racines et de feuilles, paraît que ça soigne
les hernies. Il lui fait cadeau de son eau de père de la nation, son eau pourrie
qui ne veut pas me donner un fils  : je ne comprends pas. Il lui parle de
Jacqueline Daras que les Français ont envoyée pour me couper la hernie
mais moi j’ai pardonné. Il lui explique comment et avec l’appui de qui l’ex-
mon-bras-droit Yallama national a essayé de faire un coup d’Etat, mais c’est
bien fait pour son compte : il s’est heurté au peuple. Pendant qu’il lui met
son eau de ma mère il explique comment les Amérindiens ont voulu jeter le
pouvoir dans les bras de feu mon-colonel Vanzio Pablo et ma fille sois
bonne sois boooonnnneee. Mais elle pleure toujours. Trois jours et trois
nuits qu’il essaye de la consoler avec ses crins et son eau.
— Attends-moi une seconde, je vais voir Maman Nationale qui risque de
s’alarmer si je n’apparais pas.
Et maman voici ton enfant. Il l’embrasse et elle pleure. Mais ne pleure
pas maman : je suis en sécurité. Ils ne me feront rien.
— Ils ne complotent pas pour rien.
— Ah tu sais maman. Je suis un bon président. J’ai été voté par les morts
et par les vivants. 99,99  % des suffrages. Pas de larmes je t’en supplie
maman. Et je suis pressé, Carvanso, viens la consoler.
— Oui monsieur le Président.
Il revient vers elle, en courant, lui parle de mon-colonel historique
Fetranso national, enfant de la nation, héros du peuple, mais les Allemands
en ont fait un bordel, l’ex-mon-colonel Fetranso a failli devenir ma femme,
mais tu dois connaître le proverbe de Vauban : qui se sert de la hernie périra
par la hernie. Et je t’en prie montre-moi tes dents. Ah c’est beau comme un
feu de camp. Montre-moi tes jambes. Montre-moi ton cœur. Mon Dieu que
tu es belle. Il lui parle de ma première femme qui me trahissait avec tout le
monde et je l’ai envoyée au diable ah oui : je pardonne tout sauf les erreurs
de hernie. Un soir je rentre du bureau et je la trouve avec Barbara Janco.
Qu’est-ce que tu fais là Barbara Janco  ? Il se retourne et je lui mets six
plombs dans la hernie. Il tousse son sang de traître à la patrie. Mais elle
qu’est-ce que je vais faire d’elle  ? je n’ai plus de plomb. Je lui saute à la
gorge  : c’est dégueulasse, mais je serre je serre et elle tousse sa vie de
chienne. Son cadavre a chié une vrai merde toute chaude. Mais toi tu es
bonne  : parlons de ton corps, parlons de tes dents, parlons de cette gorge
passionnée qui défait le monde. Il court à la radio nationale et annonce la
décision — je vais l’épouser —, il prépare lui-même les lettres d’invitation :
la France, les îles Britanniques, le président des Russes, la Flamandchourie,
le pape. Il invite trente-sept chefs de pays pendant que mon peuple construit
le village de ma hernie, je ne peux pas me marier dans ce palais de ma
honte où Tatarasho a trahi la nation en égorgeant tous ceux de la tribu des
Ghozis. Il verse septante millions aux journaux et qu’on en parle de manière
historique. Il signe une ordonnance pour que le 7  juillet jour de mon
mariage reste dans les archives, puis il revient vers toi mon paradis, toi ma
terre et mon ciel.
— Tu étais là, personne ne t’a désirée. Mais comme je t’ai choisie ils te
voudront tous.
Il lui parle de Bamba Outificanso qui m’a trahi avec un guitariste. Et Léo
Levourto qui m’a trahi avec mon cuisinier. Qu’est-ce que vous cherchez,
vous les femmes ? Il lui dit comment l’ex-mon-capitaine Canza a engrossé
celle que j’aimais comme je t’aime. Et tu sais comment j’ai découvert la
chose ? un soir je voulais la consoler : montre-moi tes seins. Je presse et il
en sort une eau blanche. Ah ah ! Comment tu vas appeler l’enfant ? Mais
quel enfant ? Son of a bitch, elle me prend pour le dernier des cons. Mais
comment, comment : treize mois que je ne t’ai pas vue et tu es grosse. Je
rentrais de ma guerre contre les communistes. Explique-moi cette grossesse.
— Mais quelle grossesse ?
La colère me prend : j’ouvre le ventre et je lui montre le lombric.
—  Vous les femmes, c’est la vérité, vous ne voulez pas qu’on vous
prenne pour des hommes. Tu connais l’ex-mon-colonel Miguel Tourbanso ?
Ah qu’est-ce que tu as, Carvanso : maintenant tu entres chez moi sans crier
gare ?
— Mon colonel, la nation est en danger : Ayelé Ayoko Tite s’est soulevé.
Il vient sur la capitale.
— Combien d’hommes sont avec lui ?
— Qui le sait mon colonel ?
—  Qu’ils viennent, ma hernie les attend. Que peut faire une bande
d’arrivistes sortis d’un bordel comme Galzarra  ? Qu’ils viennent. Nous le
vîmes alors sur son cheval blanc traverser la capitale, vêtu comme Vauban,
le front haut, la main fière. Nous avons prié Dieu pour qu’il meure dans
cette campagne et que sa hernie laisse la paix à nos vierges. On ne trouvait
plus une seule bougie dans Zamba-Town : le peuple avait tout acheté. Nous
avons enrichi le cardinal Dorzibanso avec tant de messes achetées. Je me
rappelle : nous avons brûlé des huamani le soir à tous les carrefours, pauvre
plante ! Nous nous sommes privés de viande le vendredi : « Qu’il meure. »
Mais lui ne voulait pas mourir à si bon marché.
Il convoque l’ex-mon-colonel Lamizo pour lui faire comprendre que la
voie ferrée Zamba-Town-Maha sera à la disposition de ma palilalie pendant
la semaine de mes noces, il téléphone au cardinal Dorzibanso pour lui dire
de vive voix que c’est toi qui me maries, il convoque mon frère même père
même mère qui doit informer les usages que les nationales une, deux, trois
et quatre seront à la disposition de ma hernie, informe donc les Italiens que
l’hôtel Continent-Trois sera à la disposition de ma hernie, et à la disposition
de ma hernie la plage Valtaza-Diego  ; il intime au ministre du Pognon
l’ordre de donner à Maman Nationale trois cent douze millions pour la
cuisine et autant pour les costumes et consorts.
Maintenant faites vite avec vos préparatifs. Il la roule dans tout le palais
pour se rendre compte que tout le monde s’y met de bon cœur. Faites vite
nom de Dieu faites vite ! ah si j’étais Darbanso qui vous fusillait pour un
oui ou pour un non ! si j’étais Manuel Lansio qui en faisait cuire deux pour
être sûr que le troisième va s’y mettre  ! mais je suis un bon président et
vous en profitez pour entrer dans mes culottes. Razo Fansa où es-tu ?
— Me voici monsieur le Président.
— Je n’ai jamais compris comment ton parc auto n’a jamais eu le nombre
prévu de voitures à mettre à la disposition de ma palilalie, mais cette fois je
te boufferai si tu bronches.
Il parle à mon cousin Martillimi Lavouza qui ne comprendra jamais qu’il
n’est pas encore le président mais cette fois je te ferai avaler mon P.A. si tu
bronches. Il parle au ministre de l’Audio-visuel et à Maman Nationale parce
que je t’en prie maman pas de connerie de mamanger avec les mains à
l’invitation officielle, la fourchette se tient comme ceci et comme ceci le
couteau, comme ceci le verre à boire, comme ceci la serviette et je t’en prie
maman pas de connerie de te servir comme une chienne, pas de connerie de
brouter ta bouffe comme font les vaches  : tu es quand même la mère du
président.
Il va voir Simone des Bruyères ma petite du pays de Vauban pour lui
expliquer comment je me marie mais mon cœur te reste acquis je vais
continuer à t’aimer d’un amour impeccable, tu es belle comme le soleil et le
cuivre.
— Trouve-moi plus belle.
— Tu es belle comme les papayes de mon jardin.
— Encore plus belle.
— Tu es belle comme le jour où je suis né.
Maman du pays de Vauban. Venue au monde on ne sait comment. Aime-
moi à la manière de chez vous. Il lui tient la gorge et boit l’eau qui
commence à se former dans ses seins. Prouve-moi que partout le monde est
encore au monde. Sois bonne. Et il lui fait cadeau de sa fallacieuse hernie.
— Ah doucement monsieur le Président.
— L’amour ce n’est pas beau quand on y va doucement. Sois forte. Ne
sois pas fragile comme le pays de mon collègue. Je te gère comme ici nous
les gérons. Tu vois, tu vois ?
Il passe dire deux mots à mon-colonel Isidro de maman qui dépense le
pognon de la nation comme il dépense son eau de merde. Il fait son
almanach : nuit du jeudi à vendredi : rue de la Buomba ; nuit du samedi à
dimanche : Payadiso ; nuit du dimanche à lundi : les Arcades… Il passe dire
bonsoir à ma petite Indienne ah si tu l’avais goûtée Isidro de ma mère, sobre
comme je te connais, tu ne chercherais plus d’autres femmes : elle te la gère
comme aucune autre ne te la gérera jamais. La Sénégalaise Sey aussi est
bonne, si tu l’avais goûtée… Il boit sa dose de sowassi pour refaire ses
forces. Qu’à l’occasion de ce mariage je me la saoule comme se la saoule
mon peuple. Il mange et vomit. Carvanso national, dis-moi un mot, un seul
mot de mon peuple.
— Vous êtes un bon président. Vous épousez celle qui devait vous tuer.
— Oui Carvanso : elle est belle comme aucune femme ne l’a jamais été.
C’est la reine de Saba. Tu as vu ses hanches ?
— Oui monsieur le Président.
— Tu as vu son nez et ses lèvres ?
— Oui monsieur le Président.
— Je prendrai ses reins.
Il tourne le dos à Carvanso national et pisse un grand coup dans le vase à
fleurs comme fait mon peuple, éclaboussant d’urine ses jambes kaki, urine
fermentée.
—  Non Carvanso, je ne vois pas comment la consommation du vagin
peut nuire à la bonne marche des affaires de l’Etat.
— Non monsieur le Président.
— Tu dois connaître Louis XIV, tu dois connaître Vauban, eh bien ils ont
eu une maîtresse à tous les coins de leur sexe, et je te jure Carvanso, la
roupette c’est le prochain cœur de l’humanité.
— Oui monsieur…
Ah dans ce pays à cons où le président est obligé de tout faire lui-même :
il passe voir Thoulouse national dit Vauban, colonel de ma sécurité :
— Est-ce que tout va bien ?
— Oui monsieur le Président.
Comme personne ne se livre à des occupations antinationales, je vais voir
mon peuple dans les quartiers. Pas d’escorte : Vauban, tu me suis de loin,
sans te faire voir. Et il se déguise en paysan pour écouter ce que le peuple
dit de moi. Il se mêle à ce groupe d’hommes qui apprêtent le pisé. Il
descend dans la boue et piétine avec eux. Personne ne se doute de sa
présence. Ils chicanent, chantent et disent du mal de sa hernie, ils insultent
Maman Nationale qui nous a donné un fils aussi honteux, Maman Nationale
qui fornique au lieu de considérer son âge, ils parlent de mon-colonel
Carvanso chien couchant de sa hernie, ils parlent de son frère qui a foutu les
Finances nationales en Suisse comme si nous on n’avait pas besoin
d’argent, ils disent du mal des tirailleurs qui pissent sur la patrie sans honte
et sans modestie… mais lui, bien confondu dans cette masse qui piétine,
chante avec eux. Con de sa maman : il s’est entouré d’une bande de bandits.
Mais lui chante :
Si j’étais une petite petite souris
j’irais creuser dans sa grasse hernie
si j’étais un petit petit chat
j’irais chasser dans sa hernie
si j’étais une petite petite chique
je choisirais sa hernie…
Il chante le refrain avec eux. Son jean est tout boueux, sa lourde machine
se balance dans sa musette au rythme de cette cadence ; ceux qui viennent
chercher la boue pour l’amener à la future case reprennent la chanson.
— Mon peuple est beau au milieu des chansons.
Et il se met à chanter plus haut que les autres, y mettant les paroles de
notre hymne national. Quelqu’un l’engueule parce que merde qui t’a dit
qu’on apprête le mortier avec des brodequins. Mais lui chante et marche sur
cet autre qui lui peint le visage de boue. Il en a plein les narines et les
oreilles, il en a plein les cheveux.
— Qui mais qui t’a dit qu’on fait le mortier avec des bottes ?
Un gaillard bien musclé le renverse dans la glaise. Et tous rient de lui.
— Qu’est-ce que c’est que ce type plus bête qu’un derrière de femme ?
Alors seulement ils voient sa hernie et ils sont tous morts de peur.
— Mais… mais c’est le président !
Ils voient déjà la potence. Ils voient le peloton d’exécution. Ils voient les
tirailleurs à genoux qui attendent l’ordre.
— Mais… mais c’est le président !
Et chacun détale dans sa direction en criant mais c’est le président. Ceux
qui ne peuvent pas s’enfuir se jettent devant lui, à genoux, tremblants,
léchant sa hernie ; ils pleurent et crient pitié.
— Nous ne recommencerons plus. C’est Larso Laura qui nous a induits
en erreur, c’est sa chanson pitié pitié pitié nous avons des enfants c’est
Larso Laura qui est contre vous…
—  Ne vous inquiétez pas, je pardonne. Parce que je suis un bon
président. Je ne serai jamais Alto Maniania qui vous pendait comme des
singes. Et puis cette chanson est belle. Et puis on ne peut pas faire un coup
d’Etat avec de la glaise. On ne peut pas prendre le pouvoir avec des
chansons.
Et il la roule.
— Je ne suis pas Sadrosso Banda qui en mettait un dans ses aubergines.
Pas Manuelo de Salamatar qui buvait votre sang pour se sentir au monde.
Trois litres de sang tous les soirs.
Ils chantent, cette fois en son honneur. Il piétine avec eux jusqu’à midi.
Puis il retourne à sa jeep avec la boue de mon peuple pas question de me
laver, je me marierai comme vous me voyez là. C’est le cadeau de mon
peuple. Où es-tu mon-colonel Thoulouze, bronze achevé, yeux gris,
cheveux blonds, un mètre soixante-quinze, symbole fini de ma longue et
tumultueuse coopération avec l’Europe, quatre-vingt-quinze kilos de
muscles et de cervelle à ma disposition, témoin de mes nuits kaki, pédé
(mais chaque peuple à ses monuments), il rentre embrasser Maman
Nationale et tu vois maman comme mon peuple m’aime. Il lui apprend la
belle chanson qu’ils chantent en mon honneur. Le ciel a été méchant avec
lui : mais il lui a laissé sa belle voix de mâle national, ses beaux yeux de
fauve national, il lui a laissé ses dents blanches et sa barbiche. Puis il vient
se jeter tout habillé sur son lit présidentiel, dort son sommeil de lion, tout
chaussé, tout boueux, il dort sur les soixante-quinze médailles de ma guerre
contre les communistes, les poings fermés, la braguette ouverte, comme un
vrai caïman de boue, les dents dehors, la main droite sur son arme, puant la
bière à l’aubergine, il ronfle.
 
— Je veux me marier dans cette tenue.
Carvanso national essaye de l’en dissuader :
— Monsieur le Président les Blancs vont se moquer. Ils vont se moquer.
La presse va en profiter.
— Mais, Carvanso, les Blancs peuvent se moquer : ils ont eu Louis XIV
qui ne se lava que quelque six fois dans une vie comme celle de Louis XIV,
et Vauban, et Frédéric  II. Il entre dans son rire d’historien pour parler de
Catherine de Russie qui…
— Monsieur le Président vous en avez plein les narines, plein les oreilles
et je suis sûr qu’ils vont se moquer.
— C’est la boue de mon peuple : qu’ils se moquent. L’Afrique doit rester
l’Afrique. Oui, elle doit remettre le monde au monde.
Il marche tout boueux devant les délégations et leurs chefs. Tout le
monde applaudit. Il serre la main à Sa Majesté des Flamands qu’il embrasse
à la manière des ancêtres en lui laissant un peu de sa boue historique ; il la
serre à Sa Majesté princesse de Danemark qu’il embrasse à la manière des
ancêtres en laissant sur les revers de son habit royal un peu de cette boue
historique, il embrasse tous les amis de mon peuple à la manière de mon
peuple en leur faisant cadeau de sa boue historique. Ah ah c’est toi mon
collègue du pays voisin et il lui cède la boue de mon peuple. Les gens de
chez nous ont un petit sourire en voyant tous les grands de ce monde à qui il
vient de transmettre l’odeur de sa hernie et le mortier de mon peuple, en ce
jour historique où j’épouse la plus belle fille du monde. Puis les délégations
vont voir l’endroit exact où Maman Nationale a enterré mon placenta et pas
de connerie : ce lieu est un lieu de culte ; ils vont visiter la cathédrale que
ma hernie y a construite pour remercier le bon Dieu. Puis c’est en avion
qu’ils partent vers ce qui sera mon tombeau, sept cents kilomètres au nord
de ma hernie…
On emmène le cardinal Dorzibanso qui refuse de me marier. Détachez-le
et qu’il fasse son boulot.
— Monsieur le Président, Dorzibanso dit qu’il ne peut pas.
— Ah, et pour quelle raison dites-moi ?
Soutane déchiquetée, yeux injectés de sang, mains liées, mitre froissée,
ils le poussent devant sa hernie.
— Je te couperai ta braguette si tu bronches.
L’ex-cardinal Dorzibanso demande si pour le meilleur et pour le pire sa
roupette herniée veut se lier à cette fille.
— Mais Dorzibanso, le pire y est déjà puisque les tirailleurs lui ont coupé
l’ustensile de la parole, ils lui ont coupé l’engin des baisers.
Il dit mon oui à moi, mon oui historique et voici son oui à elle, oui pour
moi et oui pour elle.
— Mon colonel national je ne peux pas bénir une telle union.
— Fais gaffe Dorzibanso, ma hernie va bouillir.
Il le regarde avec étonnement. Mais lui répète : je ne peux pas.
—  Tu vas te heurter à ma palilalie. Et crois-moi ça ne va pas cogner
comme sur du beurre, fais gaffe  : tu vas réveiller mes boyaux. Tu vas
réveiller mes nerfs kaki et ma honte devant les Blancs qui vont se mettre à
penser que je ne suis pas maître chez moi. Bénis-moi sans me la compliquer
ou bien prépare-toi à crever de cette colère nationale qui me soulève les
côtes. Respecte au moins ma palilalie qui se prosterne devant ton Dieu.
— Monsieur le Président, je ne peux pas bénir une union pareille, avec
cette fille qui pleure au lieu de rire. L’Eglise en aurait honte, le Seigneur en
mourrait une autre fois de honte. Parce que monsieur le Président le Christ
me regarde et je ne peux pas enfoncer du caca dans les marques de ses
clous, je ne peux pas lui donner du pipi à la place de l’eau.
— Dorzibanso ne fais pas le Seigneur à ton image. Non non et non : on
ne badine pas avec les morsures d’une hernie.
Il se met à genoux comme pour demander au Seigneur, et il le supplie :
«  Dorzibanso de la joue tendue, l’amour du prochain, si tu ne veux pas
bouffer ma palilalie en sept volumes » puis il change de ton : « Tu ne peux
pas me faire ça à moi, pense comment tu es devenu cardinal avec l’appui de
ma palilalie, ah ma hernie est triste  ! On a toujours été ami, ami et frère,
comprends. »
Mais rien à faire, cette sangsue ne marchera pas, il imite la voix, il dit les
choses dans la langue de Maman Nationale et amen ! Tout le peuple répond
amen. Personne ne s’est pour ainsi dire douté de la supercherie. Il la roule
en faisant tinter les médailles de ma guerre contre la Russie qui est venue
vendre les idées de ma hernie au lieu de donner la bouffe à mon peuple. Ah
mon peuple : voici la preuve que la voix ne fait pas le moine.
Après l’église on enferme Dorzibanso pour qu’il ne divulgue pas le secret
de cette messe dite dans la langue de maman. Puis c’est la grande nuit de
gala où il danse avec la princesse Honglanni et lui laisse son odeur et sa
boue. Il danse avec l’ex-femme de mon-colonel Domingo Pinto à qui il
laisse la boue de mon peuple, il la cède à l’ex-femme de monsieur le maire
de Zamba-Town, il la cède à Sa Majesté reine des Flamands ; il danse avec
toutes celles que ma hernie a invitées et les marques toutes à la boue de
mon peuple.
— J’emmènerai cette terre jusqu’au tombeau.
Il l’offre à mon-général de Laborderie père de ma première femme.
Pendant ces danses des gens de chez moi, il la distribue aux hommes. Vers
trois heures du matin sa hernie se met à puer. Une odeur dure au nez. Une
odeur qui arrache le cœur. Qui vous soulève les tripes. L’odeur des écailles
de sa hernie. Odeur de mon eau pourrie. Pendant qu’il danse à la façon de
mon peuple, un pagne autour des reins, elle se met à puer de cette manière
historique, dégageant cet azote pourri. Sonnent ses brochettes de médailles.
Il chante en l’honneur de mon collègue dont le peuple est cadet de mon
peuple. Après les grandes bouffes et les grandes beuveries où il se saoule à
la manière de mon peuple il s’endort là, au milieu de la fête, dans un
fauteuil, les mains sur la roupette.
— Ne le dérangez pas.
En bras de chemise, les boutons inversés, les chaussettes à la main,
Carvanso national vient lui dire que monsieur le Président votre nouvelle
épouse s’est pendue.
— Mais comment pendue ?
— Oui monsieur le Président, elle s’est pendue.
— Je… je ne comprends pas. Carvanso, en quelle langue tu parles ?
— Elle s’est donné la mort.
— Ma hernie est tombée !
Il pense à haute voix comme c’était beau hier soir. Beau comme un vrai
feu de camp. Elle a dansé avec moi. J’ai écouté son cœur battre sur mon
cœur. Ah ce corps-ouragan de formes. Tendre et conçue comme une déesse.
Avec des lèvres qui incitent à la peur et à la folie. Elle, calculée, construite à
l’image de ma palilalie. Avec son haleine remplie de laitance, fille de mon
souffle noué : mais comment pendue ? C’est vrai ce que vous me dites là ou
quoi ? Il pleure des vraies larmes de chez nous, et nous avons compris qu’il
l’aimait. Six jours qu’il est dans la morve et les larmes, sans manger, les
yeux bandés parce que je touche mais je n’oserai jamais regarder son
cadavre. Trois fois qu’il a tenté de se tuer sur ton corps qui me punit. Mais
notre frère Carvanso est venu à temps. Mon colonel que j’aime appeler
Vauban le console. Maman Nationale le console.
— Je lui ai donné la meilleure copie de mon âme.
Pendant que les tirailleurs distribuent au peuple le brassard noir du deuil
vendu à trois cents coustrani, ah Maman Nationale je suis impossible à
consoler : il part en voyage de deuil en Italie, en France, à Gains-ville nom
de Dieu je suis impossible à consoler  ! Il va avec son cadavre dans un
cercueil de verre jusqu’au pied du Fuji-Yama… Ah ! Il va à Tahiti.
— Comment mais comment pendue. Je lui ai tout donné : ma hernie, la
nation, mon cœur, ma force… je lui ai tout mais alors tout donné. Je me suis
jeté à ses pieds comme une faute.
Au retour notre frère Carvanso lui présente Camizo Diaz qui s’est
soulevé avec trente-six tirailleurs quelle lâcheté : vouloir prendre le pouvoir
quand je ne suis pas là, vous voyez comment les souris dansent ici ? et qui
est à la tête de la souricière : un Camizo Diaz, que je suis allé chercher au
fin fond de la patrie, qui ne savait même pas manger un saucisson, je l’ai
fait sergent, je l’ai fait capitaine puis colonel comme tout le monde, et voilà
comment il me dit merci. Et regardez, mes frères et chers compatriotes, nu
comme vous le voyez là : qu’est-ce qu’il a de plus que ma hernie ?
Le coin de la foule qui a toujours cherché midi à quatorze heures a
répondu : « La hernie », et Lopez de maman éclate de rire : ça y est, je suis
consolé  : il donne l’ordre à Carvanso de couper l’engin de palabre du
colonel Camizo Diaz, de le mettre dans le formol et de le faire placer dans
ma chambre à côté du portrait de maman, juste au-dessous du portrait de
feu ma femme Atélu-Léa, morte pour la patrie, pendue par les cons de leurs
mamans qui ont voulu me faire croire qu’elle s’est pendue mais comment
pendue ? et je vous en prie, que l’enquête commence.
Qu’est-ce que vous auriez fait si j’avais été Yao Tananso qui convoquait
le Conseil de la nation pour des conneries de mon cousin Zozo Portes Luna
qui a « dormi » la femme de mon autre cousin Argento Comma ? Je ne suis
pas Dimitri Lamonso qui a emmené la capitale dans le village de sa mère.
Moi je suis Lopez, fils de maman, pas comme Lazo Lorenzo qui a fait
bouffer trois caisses de bulletins jaunes aux villageois de Yam-Yako parce
que je vais vous apprendre à voter jaune. Je vous donne le seul pays au
monde où la démocratie est restée la démocratie  : vous posez toutes les
questions, je donne toutes les réponses ; vous avez quand même eu un Lan
Domingo qui a placé le Trésor public sous le lit de sa mère, et votre Cornez
Caracho qui était pédé et qui avait donné la syphilis à tous ses ministres.
Barça Baldi a quand même instauré la délinquance financière dans le pays,
est-ce que vous ne l’avez pas foutu héros de la nation ? Je ne suis pas Valso
Paraison qui a mis quinze ans au pouvoir à prendre le pouvoir. Après le
discours il y a le match Juven National contre Anzcox parce que sans cela
les merdiers que vous êtes devenus ne viendraient pas au meeting. Vous
aimez le sport et je vous prends par le sport, pas de connerie nom de Dieu !
Puis retourne au palais, à pied, pour vous prouver que le peuple n’a rien
contre moi. Il rentre suivi de Vauban don personnel de mon collègue,
responsable de l’enquête sur l’assassinat de ma femme, colonel de sécurité.
Il rit de ce pauvre Vauban qui préfère les hommes pendant que la terre
grouille de femmes qui n’attendent que mon eau, Vauban à la poupe
périmée, il rit, et moi oui quant à moi : jamais comme Vauban. Il démontre
que si les Amérindiens sont devenus ce qu’ils sont devenus c’est
simplement parce qu’ils ont d’abord et avant tout su gérer la femme.
— Où en est-on avec l’enquête Carvanso ?
— Mon colonel nous cherchons encore. Il semble que c’est mon-général
Campalousca qui a organisé le coup. Nous avons arrêté Vermoz Diaz. Nous
sommes sûrs qu’il finira par avouer.
— D’accord.
— Nous avons arrêté un certain Laure et La Panthère.
— D’accord.
—  Mais il paraît monsieur le Président que votre vie court un grand
danger.
— Je veux voir les prisonniers.
— Oui monsieur le Président.
Il le regarde. « Je ne le reconnais pas. »
— Mais mon colonel national c’est lui.
Menottes aux os. Sans peau, sans yeux, sans lèvres, sans oreilles et sans
hernie. « Je ne le reconnais pas. »
— Pourquoi avez-vous fait une chose pareille ?
— Mon colonel il aurait fait la même chose s’il avait pris le pouvoir et
s’il nous avait eus à l’autre bout des choses.
— Ah d’accord ! Et comment vas-tu Campalousca ?
— Monsieur le Président je me porte bien.
— Ah d’accord. Tu as perdu la peau. Tu aurais pu savoir que le pouvoir
blesse.
— Monsieur le Président à vous de savoir qu’ici-bas tout finit par blesser.
— Ferme ta gueule Campalousca : tu n’as pas de leçons à me donner. Et
puis je ne t’ai pas demandé de forniquer avec les Amérindiens. Tu voulais
mourir, eh bien tu vas mourir.
A ce moment entre mon-colonel Jescani national avec des nouvelles très
graves monsieur le Président. « Parle Jescani. »
— Parle donc.
— Nous devons être seuls monsieur le Président.
— Ne compte pas Campalousca, c’est un mort.
— Même les morts ne doivent pas entendre monsieur le Président.
— D’accord.
Alors il chasse mon-colonel que j’aime appeler Vauban, il chasse Maman
Nationale et Carvanso. Il chasse Thanassi national mon griot et, Jescani tu
peux parler, nous sommes seuls.
— Monsieur le Président, le bon Dieu va faire un coup d’Etat : parce que
le cardinal Dorzibanso est allé dans le maquis avec tous les diables de
l’ancienne prison des Soixante-Cinq. Quel malheur monsieur le Président :
ils sont tous assis devant l’ancienne cathédrale Sáa Juano et ils chantent, ils
prétendent qu’ils feront la grève de la faim.
— Combien sont-ils ?
— Peut-être soixante mille.
— C’est des anti-peuple : foutez-les en l’air.
—  Oui monsieur le Président. Mais faites surveiller Carvanso  : nous
avons trouvé un brouillon de lettre chez lui. Le voici.
Jescani met dans ses mains le brouillon de la lettre. Il dit que ma hernie
est triste. Tout le monde veut le pouvoir. Et il se jette dans un fauteuil.
Comment sont faits les gens de chez moi ? Ah ah ! c’est bien l’écriture de
mon frère Carvanso, mais je le laisserai venir. Il n’a pas d’imagination : il
veut se foutre héros de la patrie, mais moi je dis qu’il n’en a pas pour dix
coustrani d’imagination. C’est comme cela tous les faiseurs de palilalie : ils
croient qu’on peut tout sauver avec de la salive.
Il se lève et va vers un miroir, se regarde longuement avant de relire le
brouillon de la lettre que ma hernie a saisie chez mon frère Carvanso. Non
non et non  : on ne badine pas avec la parole. Comme si son visage lui
donnait la nausée, il s’en détourne brusquement.
— Je ne comprends pas : même Carvanso veut le pouvoir. Il vient devant
un portrait de lui, caresse le bourgeon honteux que la nature m’a mis dans
les cuisses. Redingote. Haut-de-forme. Médailles. Cordons. Une main tient
la canne. L’autre est posée sur la tête d’un enfant. Dans son esprit cet enfant
incarne la nation.
— Imbécile.
Même quand je suis en tenue de mon peuple. Avec ce corps de mon
peuple. Ils peuvent me descendre. Ah quelle connerie. Bouffé par la nation
et bouffé par cette roupette imbécile qui me barre la viande. Mais moi
Lopez enfant de maman… En d’autres circonstances il aurait ordonné à
Vauban ou à Carvanso d’aller me le chercher pour qu’il vienne me dire ce
qui est écrit ici… qu’il vienne me le lire avec sa propre bave. Que je
l’entende avec mes propres oreilles et que je le voie de mes yeux vu. Un
voyou à qui je laisse jusqu’à la gestion de ma palilalie, je lui laisse quand
même la gestion de ma conscience. Et il veut le pouvoir.
— Imbécile.
Encore si je ne l’aimais pas. Si je ne le prenais pas pour le tranchant de
ma hernie. Non, je ne suis pas son collègue du pays d’en face qui envoie ses
opposants en hélicoptère avec des ordres précis au pilote. Je ne suis pas
l’autre collègue du pays voisin qui fornique avec les femmes de ses
ministres. Moi je suis humain. Je vous respecte tous. Et voilà comment vous
me remerciez. Vous avez tué ma tante nationale qu’est-ce que je vous ai
fait ? alors que j’aurais pu pendre tout le monde. Vous avez tué ma femme
nationale.
— Qu’est-ce que tu en penses Jescani ?
Notre frère Jescani agite la tête et dit que monsieur le Président vous êtes
un bon président.
—  D’accord, mais vous en profitez pour me flanquer vos ustensiles de
mâle à la figure. Maintenant je ferai tirer sur la pagaille et tant pis pour ceux
qui tomberont.
— Oui monsieur le Président.
Il ajuste sa musette et va dans la direction de Yambi-City où j’ai construit
une villa à ma petite Française, Blanche qui dans les affaires de ma hernie
est en train de valoir deux vraies Noires. Il part sans escorte de vos mamans
et tuez-moi quand il vous plaira, moi j’en ai marre marre marre  ! Nous
n’allons quand même pas gérer la patrie comme on gère une roupette.
Qu’est-ce que c’est que ce pays où les gens refusent de comprendre qu’ils
ne sont pas le président  ? Maintenant je vous prendrai pour ce que vous
êtes. Trois jours et trois nuits qu’il est chez Evelyne Ollayat, Française de
mes boyaux, pimentée comme tout, ah Jescani si tu l’avais goûtée. Si tu
l’avais goûtée Vauban de maman, Vauban rouillé qui préfère les hommes
quelle connerie ! Il leur raconte l’histoire connue de vous tous, longtemps
avant ma palilalie, quand un zéro comme Berthanio est passé pharaon, et
quand il décide au vu et au su de vous tous que le drapeau national serait
kaki. Ah maman de ma mère, ce pays vient de loin.
—  Monsieur le Président on a trouvé du caca dans votre lit, avec la
signature Laure et La Panthère.
Il court voir. Maman de ma mère. Il voit là, bien posé sur la photo de
cette fille, elle-même posée au beau milieu du lit, ce caca saignant, plein de
tiges de fruits sauvages mal mâchés, il voit ce caca odieux, plein de
cacahuètes et de piment.
— Je rêve ou quoi ?
— Mais non monsieur le Président, nous ne rêvons pas : c’est le caca de
Laure et La Panthère.
—  Et qu’est-ce qu’ils foutent les tirailleurs de garde  ? nom de Dieu
qu’est-ce qu’ils foutent  ? Ah cette fois-ci j’en ai marre. Et il nous fit tous
venir  : le gouvernement de ma hernie, les représentantes des unions
nationales des femmes, les représentants de la jeunesse, ceux du Haut
Commandement de ma palilalie Dieu vous maudisse, il nous fit tous venir
devant cette colère qui me bouffe, les diplomates, le nonce du pape, ceux de
la police et ceux de la gendarmerie, les écrivains, les musiciens, les peintres
pas question d’oublier qui que ce soit, il nous fit venir en quatrième devant
mon cœur kaki, les compagnons de l’Acte du peuple, ceux des pays amis,
avec tout le comité suprême de l’Union pour la démocratie nationale, il
demande :
— Qui n’est pas là ?
— Personne monsieur le Président.
— D’accord. Prenez votre pouvoir de merde. Moi je retourne au village
planter les macaronis.
Il ramasse ses onze pantalons kaki, ses onze paires de pantoufles, son
autre paire de brodequins et ses treize bonnets phrygiens, il ramasse ses
treize cents médailles de ma guerre contre les communistes, son coupe-
coupe don personnel de Mao Tsé-toung, il charge sa camionnette lui-même
parce que je ne vois pas ce que vous enviez au président il prend ses
lampes-tempête, ses deux matelas qu’on avait dû garder dans les rayons de
la bibliothèque du palais, je ne vois pas ce que vous enviez au président, il
ramasse les mortiers de Maman Nationale, les pilons, la pierre à moudre, la
gourde, le bidon d’huile, prenez votre pouvoir de merde  ! il attache ses
moutons, ses poulets, ses lapins, ses colibris, son perroquet, ses trois
canards, prenez votre pouvoir de merde, pendant qu’il descend les photos
de cette fille et celles de maman, il prend ses balais, il déchire le procès-
verbal de la prestation de serment ! il déchire le décret qui me mettait à la
tête du bordel des bordels, il déchire le portrait de vos mamans qui pendait à
tous les angles du palais, il arrache les pages de vos mamans sur le livre
d’or  : nous comprenons alors qu’il est sérieux, que ce n’est pas une farce
comme nous les avons connues sous Louvendo national, nous nous jetons
tous sur nos genoux, nous joignons les mains, nous nous mettons à le
supplier :
—  Monsieur le Président restez. Vous êtes un bon président. Vous êtes
l’honneur et la paix. Nous léchons sa grosse et grasse hernie investie
d’acétylène. Monsieur le Président restez. Restez mon colonel.
— Est-ce que vous pouvez me dire pourquoi ?
— Oui monsieur le Président : un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.
C’est ainsi qu’on le revit, suivi de Vauban, au petit matin, descendre la
colline dite de Maroupette, un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. Nous le
revîmes, suivi de Vauban malgré sa peau il aime l’Afrique, au pas de
course, la braguette ouverte, nous le revîmes recevoir les lettres de créance
du nouveau diplomate en chef du pays de mon collègue et tu vois Vauban
tes ancêtres ont compris qu’ils ne peuvent pas se passer de nous. Nous le
revîmes au stade Alberto, la braguette ouverte, électrocuter les masses et
faire la démonstration par la braguette  : «  La terre ne sera plus jamais la
terre, à nous de nous débrouiller à y vivre comme on y vit. » Il s’était remis
à danser les danses de mon peuple, à manger ce que mon peuple mange, pas
de connerie  : je boirai ce qu’ils boivent. Et suivi de mon frère Robondia
national, ministre des Braguettes, nous le revîmes descendre au quartier
Quarante-Cinq et casser ces baraques où les femmes vendent leurs jambes
sur la natte. Et vous devriez m’aider dans cette tâche, au lieu de vous
vendre au marché noir, vous devriez faire des efforts pour que les hommes
vous accordent sur terre une place moins déshonorante que les bordels.
Mais vous adorez la bêtise, à telle enseigne que nous avons tous vu ce que
nous avons vu quand ma hernie avait décidé pour la première fois de fermer
les maisons de ma honte où vous vendez vos derrières. Mais, de gré ou de
force, je vous mettrai à la place qui doit être la vôtre sur cette terre. Non
non et non : vous n’êtes pas des ustensiles de politesse, vous n’êtes pas des
objets de consommation  : le centre du monde est dans vos boyaux, alors,
sur toute l’étendue de ma palilalie, plus question de donner à la femme le
sens qu’elle donne à ses jambes.
Il prend l’exemple frappant de l’ex-mon-frère Carlos Vadio qui a donné à
sa vie le sens de ses couilles et vous savez comment il a fini. Et l’exemple
frappant de l’ex-cardinal Jullianno Moussa qui a donné à son ministère le
sens de ses jambes et qui en est arrivé où vous savez. Il y a aussi l’exemple
de mon collègue du pays voisin qui a donné la blennorragie à la reine du
pays que je tairai pour éviter les histoires, et vous savez comment les autres
se sont vengés…
A l’époque nous vîmes de grands camions se diriger vers la cité du
pouvoir. Nous pensions que c’étaient des armes amérindiennes, des
munitions. Rien de tout cela. Car ce n’étaient que des pots de moutarde. Il
nous fallut du temps et de la science pour le découvrir  : des pots de
moutarde avec mon portrait dessus, fabriqués par la famille personnelle de
ma nouvelle belle-maman en Haute-Savoie, parce qu’ils vont
m’empoisonner si je me mets à bouffer n’importe quoi : il venait de prendre
la décision de ma maman que je ne me nourrirai plus que de cette
moutarde-ci, terminé avec les plats de mon peuple, terminé avec les
boissons de vos mamans par lesquelles vous avez essayé de m’avoir.
J’ai commandé le peloton qui a exécuté notre frère Esperancio. Nous
devions sortir de la ville. Il a parlé. Je ne voulais pas entendre. Mais les
mots ont pris mes oreilles. Je les entends encore. Il a commencé par dire :
Dieu n’est pas sérieux. Trois fois qu’il a répété la chose. Comme pour m’en
persuader.
— L’homme ah quel insecte fragile. Armanda trouvera un autre homme.
Ils vivront heureux. Sans moi. Loin de moi. Je suis jaloux de ceux qui vont
continuer à vivre. Sans moi. Loin de moi. J’ai l’impression qu’ils me
prennent quelque chose. Est-ce que je saurais dire quoi ?
C’est le grand matin, quand vous avez un début de brouillard partout. Je
suis allé dans sa cellule. Je lui ai mis les menottes.
— Ah, c’est toi qu’ils ont choisi ?
En fait je m’étais choisi. Parce que je ne voulais pas qu’ils le mettent en
petits morceaux comme ils l’ont fait pour mon-colonel Diégo Dorso, je ne
voulais pas qu’ils le déchirent en deux comme ils ont déchiré Dorzibanso.
Je le regarde : visage triste, œil flou, il a un sourire idiot.
— Nous sommes arrivés.
— Ah c’est bien. Faites vite.
Il semble réfléchir. Puis il baisse la tête. Il dit qu’il est jaloux de ceux qui
vont vivre. Cette fois-ci il l’a dit à lui-même. Pendant que les copains
creusent la fosse où il devra tomber j’essaye de penser à autre chose.
— Pourquoi t’ont-ils choisi pour accomplir ce devoir ?
Il a dû répéter la question deux ou trois fois. Il a besoin de la réponse.
Que lui dire  ? Il s’acharne contre moi. Mais sans aucune mauvaise
intention : il doit savoir que les morts ont plus de chance que les vivants.
— Tu ne vas pas me dire que tu étais volontaire ?
— Si.
— Dis donc !
Je ne réponds pas. Après tout il meurt en position de force. Mais je crois
que j’aurais pu lui dire. Expliquer. Il serait mort en paix. Hélas ! comment
le lui dire maintenant  ? Je lui aurais permis de se sentir mon camarade
jusqu’au bout des choses. Il m’a demandé une cigarette. Je ne l’avais jamais
vu fumer auparavant. Jamais. Et puis en principe il n’en a pas le droit. Je
donne quand même. Il fume sans lever les yeux sur nous. Je lui rappelle que
nous avons amené un prêtre au cas où il aurait besoin d’un prêtre.
— Dieu est plus sérieux que vous : il ne peut pas se foutre d’un camarade
à ce point.
Il demande une autre cigarette, cette fois il la fume la tête haute. Il
savoure la fumée.
— Qu’attendons-nous ?
Est-ce une question ou bien une simple histoire de briser le silence ?
— Le trou n’est pas assez profond.
— Ah d’accord.
Il me semble qu’il a une nouvelle manière de gérer la parole. Pas comme
je l’avais connu. Il tend la main pour une autre cigarette : on n’en a plus.
—  Mon cher, c’est dur le job de condamné à mort. Dur comme on ne
peut pas l’imaginer. Vous ne pouvez même pas dire ce que je vous ai fait. Et
c’est toi qui te portes volontaire à la connerie : qu’est-ce que je t’ai fait au
juste ?
Les gars me signifient que le trou suffit déjà. Mon cœur se fend. Je n’ose
pas. Mais lui se place et attend.
— Courage, dit-il. Nous sommes tous les mêmes. Moi à ta place j’aurais
fait très vite. J’aurais bâclé ta mort. Tu m’en donnes une bien faite.
Courage !
Il est monté sur la petite butte. Je pensais qu’il allait nous tourner le dos
comme avait fait son oncle en criant « tirez dans le dos bande de lâches ». Il
regarde le peloton. Pas de bandeau ?
— Non messieurs.
— La bénédiction ?
— Pourquoi vous vous foutez de Dieu à ce point ?
Les gars sont prêts. Ils n’attendent que moi. Mais la voix me manque.
— Garde à vous ! Attention : en position !
Tout est prêt mon Dieu tout est prêt. Au revoir Esperancio. Je veux que
les choses se passent vite. Mais je n’arrive pas. Ma voix s’est éteinte.
Esperancio comprend mon émotion et sourit. Lui-même a crié « feu » et les
gars ont tiré. Il est tombé. Le sang. Nous avons tous déjà vu du sang. Mais
pas ce sang-ci. Toutes les balles ont frappé le cœur. Quel exercice. Le dos
s’est ouvert. Je lui ferme les yeux. Quelle honte. Quelle laideur. J’ai tué en
Algérie avec Leclerc, j’ai tué en Lorraine, j’ai tué au Viêt-nam : c’est cela
notre métier de merde : tuer, et encore tuer. Regarder le sang qui s’en va. Et
maintenant dans quelle guerre te bats-tu mon pote ? Un jour tu vieilliras. Ils
te renverront dans ton coin avec des médailles anachroniques. Tu seras
mangé par la goutte. A moins qu’ils ne te donnent une mort comme celle-
ci : en position, feu ! et tu tombes en mordant la poussière. Tu te prends les
tripes.
— C’est presque une lâcheté de venir au monde quand tous les jeux sont
faits. Vous étiez dans les jambes de vos mères quand les vraies choses se
passaient. Nous qui avons été vos aînés, nous avons demandé et obtenu les
Indépendances à des prix que vous ignorez, et pour nous remercier vous
nous fusillez : regardez l’histoire, je suis le tout dernier de la génération : le
pouvoir devait être interdit aux moins de cinquante ans. Ah ce matin de
septembre. Pendant que lui prenait sa dose matinale de moutarde Bénédicta,
assis sur les cuisses de ma Française Evelyne Ollayat, avec seulement
autour des reins sa musette kaki, velu comme nous l’avons connu, pendant
qu’il montre ses dents blanches que nous avons tous aimées. On annonce
mon-colonel Juano Jeriano Ombra.
— Qu’il attende un instant.
— Monsieur le Président il dit que c’est urgent.
— Ce n’est pas lui le président c’est moi.
Mais lui entre sans crier gare. Le voici : tout suant de haine et de colère,
le voici sorti de son uniforme éternel, les yeux rouges comme ceux de son
père quand il était vivant, mal coiffé, mal boutonné, colonel Ombra,
l’enfant terrible de la propreté, qui vient me voir avec des fils de couverture
dans les cheveux, avec des traces de ses nuits dans les poils de sa barbe, je
ne comprends pas, et, maman, la braguette béante mais qu’est-ce qui te
prend ? tu as même mis tes pantoufles à l’envers.
— Monsieur le Président voici ma démission.
— Qu’est-ce qui se passe Jeriano Ombra, pourquoi as-tu les yeux rouges,
mais monsieur le Président voici ma démission.
—  Mais quelle démission  ? Vous avez ma confiance, vous avez mon
estime et vous pouvez disposer de tout ici : argent, voitures, villas.
Mais pas question monsieur le Président, je vous apporte ma démission
parce que ce pays, un jour, nous devons le laisser aux enfants des enfants de
nos enfants.
Il la dépose là et s’en va. D’accord : j’en trouverai bien un qui voudra…
Ils annoncent mon-colonel Fonsio national ministre des Tirailleurs et je
vous apporte ma démission parce que ce pays nous devons le laisser aux
enfants des enfants de nos enfants. On annonce mon-colonel Tounga je vous
apporte ma démission qu’il dépose et il s’en va sans même se retourner
pour voir si ma hernie n’est pas en train de lui bondir dans le dos, entre
mon-lieutenant-colonel Vansio Fernandez qui apporte sa démission parce
que ce pays nous devons le laisser aux enfants des enfants de nos enfants
mais pas dans cet état honteux, et même toi mon fils Giovanno Lanza, suivi
de toi mon fils Fentas Manuello Couba, et toi mon fils que j’ai fait général
pas plus tard qu’avant-hier, et toi, et toi et toi ? Et tout le gouvernement est
venu devant ma palilalie laisser le pays aux enfants des enfants de ma honte
quelle mouchardise, et tous les grands chefs militaires qui veulent laisser le
pays aux enfants des enfants de leurs mamans, mes quatorze cartomanciens,
mes douze cuisiniers, ma tante Outézo Jelia, mes deux oncles, mes
soixante-sept bâtards. Son bureau ressemble à une poubelle, tous les
formats de papier, toutes les couleurs, froissés, raturés, mâchés, déchirés
nerveusement, crasseux, mais nous voulons laisser le pays aux enfants des
enfants de nos enfants. La colère gonfle sa gorge. Je ne comprends pas les
gens de chez moi. Et Maman Nationale est venue le consoler. Mais il voit
entrer Jescani : ils ferment les yeux.
— Tout le monde sauf toi Jescani.
—  Oui monsieur le Président  : tout le monde sauf moi. La nation nous
l’avons enfantée ensemble. Je suis avec vous.
Letanso national vient avec un bout de papier d’emballage plein de
sauce, qui sent le beurre et l’oignon, griffonné au crayon de beauté, et
monsieur le Président voici la démission collective des gardes qui ont
décidé de laisser le pays aux enfants de leurs enfants. Il redresse sa
braguette pour laisser passer ses douze maîtresses avec leurs mioches
solidement attachés au dos, Glézani est en tête, elle a le visage mort de
courroux, elle bave, ses cheveux défaits sont comme ceux d’une mère en
deuil depuis des années, ses mains tremblent de haine, elle durcit son œil,
puis les larmes coulent toutes seules.
— Qu’est-ce que tu as Glézani mon amour ?
— Monsieur le Président voici notre démission. La voici. Toute couverte
de morve, la voici bouffée par les rats qui infectent le palais, elle la lui tend
avec la main qui lui sert à laver son sexe. Change de main si tu peux. Mais
pas question. Cela veut dire ce que ça veut dire. Et comme cela, toute la
journée il reçoit les démissions, et Jérica nationale qui vient me la jeter à la
figure, mais je me vengerai  : vous avez beau faire je suis en position de
force. S’il faut faire fusiller quinze mille mecs pour que quinze millions
vivent je le ferai. Jérica toi que j’ai trouvée au coin de la rue. Hélas, sur
cette terre personne ne possède personne. Tu serais morte de gale et de faim
là-bas dans ta brousse. Toutansio lui apporte la démission de ceux de la
mairie. Et Savouansi Luigi Portes qui vient avec la démission qui nous
empêche d’avoir de l’électricité ce soir. C’est pourtant à ce moment que
vint Carvanso avec une poignée de tirailleurs joints à ceux de Vauban.
—  Mon colonel nous te sommes restés fidèles et nous materons les
traîtres.
— D’accord.
Nous avons repris la radio d’accord nous avons repris la prison d’accord
nous avons repris le magasin d’armes d’accord nous avons repris le camp
du 11-Juin.
— Dieu est avec nous.
Nous avons repris le pont Gatansi nous avons repris la gare et le
Capitole.
Sa main va à son cœur. Elle descend vers « elle nationale » qui soulève la
musette. Mais c’est l’heure d’aller chez les miens, et nous le vîmes prendre
la route du quartier Quarante-Cinq, guidé par les roulements de tam-tams. Il
va sauter leurs filles pour fêter cette victoire de ma palilalie sur les forces
du mal. Il marque au fer de son eau arrière la fiancée de notre pauvre frère
Yohassi Loma. Et sur son passage le peuple demande :
— Monsieur le Président je n’ai pas mangé depuis trois jours.
— Ah Vauban, donne-lui trois cents coustrani.
— Monsieur le Président je veux acheter une parcelle.
— Vauban, donne sept mille coustrani au monsieur.
— Mon colonel ma femme m’a quitté.
— Vauban, change-lui de femme.
— Mon colonel il y a de l’eau chez moi quand il a plu.
— D’accord, nous mettrons le goudron.
— Mon colonel les tirailleurs ont violé ma fille.
—  Hélas, nous ne pouvons rien  : dans tous les pays du monde les
tirailleurs sont là pour foutre le con. Qu’elle se lave et qu’elle oublie. C’est
la seule solution.
— Mais monsieur le Président elle veut se suicider.
— Et comment ? pour une petite affaire de hernie ? Qu’elle se lave mon
vieux. A l’eau chaude si elle veut.
—  Elle s’est mariée hier seulement et ils l’ont violée. Un malheureux
comme moi. Où trouver l’argent pour rembourser la dot.
— Vauban, règle cette question.
Non non et non : je ne suis pas l’ex-votre bâtard Sarnio Lampourta qui
buvait le muelocco à longueur de hernie, qui fumait le chanvre pour avoir le
courage de parler au peuple ; je ne suis pas Houtanansa qui construisait des
stades comme si le peuple pouvait manger les ballons de sa maman, je ne
suis pas Dartanio Maniania qui vous a laissé un pays sans tête ni hernie et
que vous avez foutu héros du peuple, il a quand même fabriqué nonante-
neuf milliards de dette extérieure, mais vous l’avez foutu héros de la nation
pour avoir jeté son eau de merde dans les entrailles de vos femmes quelle
honte, je ne suis pas Caranto Muhete qui a mis tout son clan dans l’armée
pour conserver le pouvoir de tuer, moi je suis Lopez de mon peuple et il n’y
a pas soixante manières d’être président, une seule nom de Dieu une seule
et il nous montre sa braguette. Nous applaudissons très fort. Mais jamais de
ma hernie je ne tuerai quelqu’un parce qu’il a raison vous pouvez me croire
sur parole la raison est sacrée ; la raison de la raison pas celle de la folie, car
allez comprendre mes frères et chers compatriotes, allez comprendre qu’un
Hugo de Lafundia que nous avons mis enfant de la nation, nous lui avons
donné son mois de deuil national, nous l’avons enterré trois fois pour
prouver aux cons de sa maman qui réclamaient sa dépouille que nous
l’avons enterré, oui, dans ce pays des conneries sur les conneries où l’on
n’est même plus sûr d’avoir son enterrement, nous l’avons enterré avec tous
ses galons, avec toutes ses médailles, nous avons chanté l’hymne national
c’était beau comme un vrai feu de camp  ; maintenant allez comprendre
qu’on vienne secouer ma palilalie au nom de sa mort : eh ben je vais vous le
dire, il s’est pendu au moment où ma hernie allait découvrir qui a tué la fille
de mon cœur. Et il pleure de vraies larmes sur cette fille que j’ai aimée mais
que les « Flamants » ont becquetée. Carvanso notre frère essuie la bave et la
morve qui coulent de sa bouche haut perchée.
— Monsieur le Président attention à la presse des Amérindiens.
C’est triste comme un bouillon de crabes. Triste comme une roupette
bouffée par la bilharzie. Il remplace la minute de silence par la minute de
ma hernie, parce qu’en souvenir de nos disparus il faut pleurer au lieu de se
marrer intérieurement, au lieu de se taire comme des cancres. Ah cet instant
national des pleurs, où les joues scintillent au soleil de midi, donnons à
l’eau des yeux le sens même que nous avons donné à l’eau nationale avec
laquelle nous engrossons nos sœurs. Et les yeux rougissent. Les morves
coulent. La nation doit coincer les tripes. Nous applaudissons. Vivat Lopez
de Maman Nationale. Il nous montre une fois de plus comment je pardonne
à ceux qui ont massacré ma tante. Il descend du podium et part en se
frottant les yeux. Il nettoie bruyamment ses larges narines, jette sa morve
sur mon-colonel Carvanso pardon mon frère il se prend les yeux il se prend
la hernie et les mauvaises langues prétendent que le cœur lui est descendu
dans les cuisses. Il arrive au palais à pied. Embrasse maman. Regarde cette
foule de fabricants de courbettes mais moi je ne suis pas dupe : si ma hernie
s’éteint vous allez rigoler sur moi comme vous rigolez sur Salamanso
national, quand je sais qu’hier vous êtes les mêmes qui avez léché sa
braguette. C’est écrit dans vos yeux, c’est écrit sur vos fronts, c’est écrit sur
votre sang  : ici on n’aime pas les dirigeants. Toute la journée il pleure sa
tante dans son lit. Avec Vauban et Maman Nationale qui essaient de faire
des pieds et des mains pour le consoler.
— Je l’aimais vous savez ?
— Oui monsieur le Président.
— Alors ne perdez pas votre souffle.
Et il pleure sa tante comme les gens de chez moi pleurent leurs tantes.
Sur cette terre si tu n’es pas Satan tu ne trouves même pas un coin où lancer
ton pipi sans qu’il te revienne à la figure. Je les aime. Ce n’est pas drôle :
pour me dire merci ils tuent les miens. Tant pis pour eux : la prochaine fois
le feu. Et il la roule, il roule sa hernie de honte et de colère mais la
prochaine fois le feu.
— Lafonsia est venu me dire en rêve que je mourrai un lundi.
— Faites brûler sa tombe mon colonel.
— Qu’est-ce que c’est que cette terre où les morts énervent les vivants ?
Je l’ai enterré comme on ne m’enterrera peut-être pas. J’ai donné du fric à
ses soixante et onze maîtresses…
— Monsieur le Président ne sortez pas les secrets de la nation.
— Non, ici la meilleure façon de cacher les choses c’est de les montrer.
Et mon peuple je vais te dire  : tous ces mecs sauf moi-même et Maman
Nationale ont du fric en Suisse, des milliards de coustrani qu’ils ont mis là-
bas pour faire tourner l’Europe. Je vais donc remanier ma hernie, là, devant
nous tous : qui veut être ministre des Pourparlers ? d’accord, qui veut être
ministre des Tirailleurs… c’est la démocratie, et soyons francs  : qui veut
prendre la Jeunesse et les Jeux ?… qui veut être ministre des Diplômes ?
Le soir il se jette sur sa chaise de fonction et ils viennent : monsieur le
Président, lui explique Vauban, les Français veulent creuser l’uranium à
Valanta.
— Combien ils nous donnent ?
— 11 %.
— Qu’ils donnent 29 %.
— Les Italiens veulent pêcher au large de Watangotta.
— Combien pour cent ?
— 21…
— Non, qu’ils nous donnent un poisson pour trois.
— Les Russes cherchent le pétrole à Moudan.
— Pas question : ils sont trop bêtes.
— Mais monsieur le Président…
— J’ai dit pas question.
Il montre le tranchant de sa braguette à Jouvanso qui agite les tribus du
Sud pour chercher le pouvoir mais je viens te le dire de vive voix pour que
tu saches que ma hernie est en colère. Notre frère Jouvanso se gratte la tête.
Mais lui répète  : ma hernie est en colère parce que tu n’as pas cessé de
confondre la patrie avec ta façon de pisser.
— Où est mon frère cadet Ravou del Cosso ?
Pendant qu’il arpente les chambres du palais, maman le regarde avec un
sourire : qu’il est beau mon enfant. Il serait plus beau sans cette musette qui
gonfle sa braguette, sans cette odeur d’aubergine, sans cette boue de mon
peuple. Il croise Yoha national qui lui prédit l’avenir avec ses cauris : tout
va bien monsieur le Président d’accord. Tout va bien mais ce sera un lundi
matin, sur des feuilles de fromager, et par une femme. Une très très belle
femme.
— Qu’elles disent la vérité tes cartes.
—  Elles n’ont jamais menti. Une très jeune femme qui vous ouvrira le
ventre pendant le sommeil, du plexus à l’aine, entre neuf heures et dix
heures. Elle partira avec un morceau du gros intestin.
— Si j’étais Dananso Lopez, je les tuerais toutes.
Et Yoha national pleure avec lui, solidarité de mâle, cœur kaki, cette eau
également kaki qu’ils versent, mais qu’elles disent la vérité tes cartes, moi
l’ange gardien des femmes, et il lui raconte tout ce que j’ai fait pour elles,
qui mais qui prendra ma hernie, qui sera au pouvoir après moi  ? Et mon-
colonel national les cartes disent que c’est une femme, alors il aboie comme
un vrai chien ah quelle honte, maman quelle honte, depuis que le monde est
le monde, ah maman, ma hernie est confondue, mais je ne ferai pas comme
Tistano Rama qui a donné le pouvoir à une vache, je ne ferai pas comme
Larabinto honteux, qui l’a donné sans pourboire, sans même un petit
simulacre électoral, il lui a mis le pouvoir entre les dents à un muet, un sot,
un nullard comme Zibanto de ma hernie, il le lui a mis entre les dents et
ceci est mon corps ceci est ma hernie prends et mange, il lui parle de ce
moment où les couilles étaient le plat de la nation sur toute l’étendue de ma
palilalie, mais j’ai dit halte la connerie moi Lopez fils national de maman,
jamais de ma hernie je ne ferai comme l’ex-celui que vous connaissez tous,
jamais comme l’ex-Levando national qui vendait les femmes en
nationalisant les bordels, et il raconte l’histoire de l’ex-Levando honteux, il
la raconte d’un bout à l’autre, mais moi les rues me chantent, les stades me
chantent, les maisons, les quartiers, les faubourgs, les campagnes, les forêts,
pour la première fois que Dieu nous envoie un bon président les églises sont
bondées, et nous allons vers lui, en masse, les uns pour voir de plus près sa
hernie nationale coupée de sucre et de piment, les autres pour admirer les
léopardements de sa tenue trempée dans la boue de mon peuple, nous
étendons les pagnes sur son chemin, nous étendons les palmes, nous
l’inondons de fleurs et de chants et les pauvres s’étendent sur le sol pour
qu’il marche sur eux, mais lève-toi mon peuple, on le lèche, on boit sa sueur
et le jus de sa hernie, et lui dit que c’est beau comme le feu de camp, c’est
beau comme le jour où maman s’était déchiré la braguette pour me sortir de
ses entrailles, on le porte à dos d’homme, à dos de femme, à dos d’enfant, il
s’arrête devant cette case comme celles où je suis né, il demande à boire
l’eau de mon peuple, à manger le manger de mon peuple, cette soupe trop
pimentée, pleine de cancrelats parce qu’on l’a mal fermée, il suce les
cancrelats avant de les jeter comme fait mon peuple, il boit leurs bières,
déchire sa musette pour uriner comme mon peuple, tousse et crache à la
façon de mon peuple et c’est beau nom de Dieu, c’est beau comme un feu
de camp, c’est beau pour toujours, il danse leurs danses, tout Zamba-Town
est avec lui pendant qu’il la roule de cette ancienne manière, il saute sur
cette fille ah c’est Vauban qui l’a dit : la Noire fait de son derrière un avant
véritable, et comme toujours il lui chante la chanson de mon enfance : sois
bonne, sois bonne… sois bonne pour mon petit tacot, avec « elle nationale »
qui braille du sang, ça c’est le résultat de quinze ans de pouvoir d’un zéro
comme Almazo qui croyait qu’il suffit d’avoir des tirailleurs du côté de sa
hernie pour être en mesure de commander, et « fais dodo mon petit tacot,
fais dodo m’amie  » les multitudes chantent le chant de ma grandeur, les
usines le chantent, les casernes, les hôpitaux, pendant qu’on le porte fais
dodo, fais dodo… mais halte la connerie ! il saute du dos qui le portait, mon
peuple la fête est finie, au boulot, nous avons un grand retard sur les autres
hernies de la terre, nous devons respirer au galop, parler au galop, dormir,
manger, nos poètes doivent écrire et penser au galop, et ministre de la
Monnaie où es-tu, me voici mon colonel national, au galop ! terminé avec la
connerie de mettre la moitié du budget dans l’achat des « ustensiles de tir »,
ministre des Tirailleurs où es-tu, me voici mon colonel national, retiens  :
l’arme nationale sur toute l’étendue de ma braguette c’est le coupe-coupe,
qu’on ne déconne plus à vouloir vendre la peau de l’Europe avant de l’avoir
tuée  ; ministre des Routes  ! présent  ! au galop, ministre des Achats  !
présent  ! ministre des Cailloux, présent, au galop ministre des
Médicaments ! présent ! ministre de la Société ! absent, ah en voilà un qui
croit que… tant pis pour lui : je donne son poste à Maman Nationale, elle
connaît bien des plantes qui guérissent, elle connaît la propreté et le prix des
médicaments, les absents ont tort, je donne le ministère des Ecoles
primaires à Carvanso national, le ministère des Timbres à Lanza national,
mon confrère Narso national sera ministre de la Campagne chargé des eaux
et chasses, et mes frères au galop, creusez, bêchez, fouillez, ne laissez nulle
place où ma hernie ne passe et ne repasse ; Carlos Pedros même père même
hernie qui vient tout en larmes, tout couvert de morve, ébouriffé, la bave
aux lèvres, et qu’y a-t-il Carlos Pedro de maman ? Ses yeux rougissent, son
front devient dur, parle mon frère, je ne t’ai jamais rien refusé, rien de ma
hernie, je suis pour toi, tu es mon petit frère et monsieur le Président c’est
honteux  : ma femme couche avec un certain tirailleur nommé Tannanso
Hussoto, mon colonel national faites quelque chose pour me sortir de cette
honte ! La poupe la poupe c’est ce qu’il y a de plus compliqué à gérer, mais
que veux-tu que je fasse Carlos Pedro, c’est le pays qui est devenu comme
cela, notre vilain snobisme : tout le monde veut désirer ce que le prochain
désire. Il lui sort les listes de ces couples honteux qui se sont formés au
fond de ma palilalie, ces couples amers  : mon capitaine Garcia Lorenso
national qui couche avec la femme de mon cousin national Gabrielo Folo,
mon cousin Darmansi national qui couche avec la femme de mon autre
cousin Isidro Martillimi Zola, l’ex-lieutenant Sarvanso Tiya qui couche
avec la femme du ministre des Tirs, et tu vois toi-même Carlos Pedro, la
liste est longue, septante pages de femmes de quelqu’un qui couchent avec
quelqu’un d’autre dans la seule ville de Zamba-Town, et il y a cette liste de
Yourta-Nansi, et cette liste de Colobra, et tout ce que tu vois là, mais mon
colonel national je vais me suicider si vous ne me sortez pas de cette honte,
je vais me tuer si vous ne faites rien pour me sortir de cette honte. Sa voix a
un timbre qui ébranle ma hernie, il a pitié, très pitié, mais je ne peux pas
commander aux femmes de prendre leurs jambes au sérieux, vous ne
pouvez pas commander qu’on vous aime, ah quel gâchis la braguette ! Et le
soir on lui téléphone : mon colonel national votre frère Carlos Pedro s’est
pendu, ah c’est trop fort. Il va voir son cadavre. Le cadavre continue à lui
dire  : faites quelque chose pour me sortir de cette honte, avec les yeux
dehors qui pleurent du sang frais, dehors la langue aussi, dehors tout le
sang, dehors sa hernie puisqu’il s’était pendu nu, et tout son caca qui
regarde comme personne ne m’a jamais regardé. Bon, je fais fusiller son
rival, c’est laid, laid, mais si tu veux vivre ici, il faut être fort dans l’art de
fermer les yeux, et je dis  : Damanso national je te fais ministre, il le
regarde, oui toi, ministre des Testicules, c’est laid mais on ne peut plus s’en
passer, ferme les yeux et forme ton cabinet, que les amendes pour adultères
soient fortes et versées à l’Etat, il lui donne l’exemple personnel de ma
hernie qui n’a jamais sécrété que de l’eau pourrie mais à qui l’on attribue
grossesses sur grossesses, et elles m’en sortent des gosses qui n’ont ni poil
ni hernie, mais cette fois halte  ! il lui parle de la dernière grossesse que
Laura de ma honte a plantée dans ma hernie et quand l’enfant est né c’était
un petit « Flamant », non il n’était pas kaki comme moi, et tu vois comme
ils m’ont fait acheter les biberons et consorts pour rien.
Il sourit en laissant voir ses grosses dents parce que nous sommes arrivés,
Vauban à ton poste  ! il roule une salive appétissante, il crie vive la patrie
avant de sonner à la porte de ma petite Française que Dieu a mis des années
à confectionner, la porte s’ouvre, il crie vive toi vive moi, cache-moi dans
ton corps, toi nationale qui vrombis dans mes tripes, là-bas c’est la foutaise
des foutaises cache-moi dans ton ventre, tu es prête ? oui je suis prête, vive
toi, oui vive toi, il lui sort cette chaude version de mon eau, et au moment
de la jeter il crie vive la patrie, Vauban n’entend plus que ses aboiements de
mâle national, son souffle de père kaki sois bonne sois bonne, toute la nuit il
entend son croassement limpide de crapaud national vêtu de ma fonction de
mammifère de la nation, sois bonne sois bonne, on entend son hoquet et son
hennissement dans le bruit des chairs tendues, il miaule, il beugle, il chante
pendant, il lui demande comment tu fais pour être si farouche et mienne
dans ce bordel, fermée à double tour, ton ventre ah ton ventre me punit me
sabote m’annule  ; appelle-moi casse-braguette, oui mon colonel, appelle-
moi casse-nuits, oui mon colonel  ; ma fille j’ai la vie en poupe, oui mon
colonel, gère-moi comme tu gères tes lèvres, d’acord mon colonel, fais-moi
peur disperse-moi, à vos ordres, non non et non, jamais de ma hernie je ne
ferai comme Zalo qui donnait les ordres par le cul, je t’en prie retire cette
parole, je la retire mon colonel, oui sois bonne que je ne retrouve pas leur
monde foutu au tournant de ton corps, que je ne retrouve pas leur merde
dans tes boyaux, ah le soleil va se lever, les nuits c’est pour ma hernie mais
le soleil appartient à la nation, et il s’habille en vitesse, Vauban où es-tu, on
part. Ils redescendent la colline, il lui prend la main, ah Vauban cette fille
est terrific, elle saoule, elle t’ajoute un grain de chair dans la chair, elle te
met vraiment au monde, au monde pour de bon, quel art, quelle technique,
elle incendie tes boyaux, elle dissout ton cœur en un clin d’œil, c’est cela
les couilles mon vieux, les couilles qui deviennent un autre cœur, ah Vauban
pas comme ta connerie de préférer les hommes, elle marque ta chair au fer
de son odeur, pour l’éternité des éternités, cachons-nous, je ne veux pas
montrer à mon peuple le revers de ma hernie. Ils se cachent pour laisser
passer le Révérend Père Jean Garbani qui va dire la messe aux malades de
l’hôpital Martillimi-Tezo ma sœur nationale même père même mère, ils
arrivent dans mon village de fonction, lui a la braguette ouverte, mais la
patrie nous attend et il hâte son pas, il marche sur une peau de banane et
tombe sur son ventre rempli de plaisir, il se relève marche plus vite jusqu’à
son bureau la patrie m’attend, il reçoit l’envoyé de mon collègue la
braguette ouverte, il reçoit le cardinal Ourvanso la braguette ouverte, il
reçoit jusqu’à onze, puis Carvanso national vient lui dire que monsieur le
Président vous avez oublié de la fermer ah maman et il la ferme sur cette
musette, de ma honte marquée, léopardée à la boue de mon peuple, et ma
musette qui pue l’acétylène et l’aubergine, ma musette don personnel de
mon collègue. Mon frère même hernie Tino Garage Martillimi vient lui
dire  : monsieur le Président vous avez oublié de vous peigner, mais lui
montre le brassard du deuil que je porte à la mémoire de celui qui s’est
pendu et que ma hernie n’arrive pas à sortir de la honte d’être mort comme
une femme, Dieu ait son âme il était moins lâche que nous, et il raconte
mon histoire que tu dois écrire sans omettre le moindre iota il commence
par cette époque kaki cette époque nationale où le ministre des Testicules
avait versé au Trésor public vingt et un milliards de coustrani parce que les
bordels ça paye, et la patente sur la prostitution sur toute l’étendue de ma
palilalie, décision de ma hernie ! il y aura des impôts sur la polygamie il y
aura des impôts sur la pédérastie Vauban tu entends des impôts sur le
découchement des impôts etc., parce que non non et non le sexe n’est pas
un objet de courtoisie : c’est un matériel de l’Etat.
Vieux, nous sommes des hommes comme tous les hommes de la terre,
pourquoi serions-nous spécialisés dans la consommation honteuse de la
femme, et il la roule contre tous ceux qui vont essayer de contrevenir aux
présentes dispositions de ma hernie, il la roule pour dire aux femmes que
c’est pour vous que je travaille parce que vous êtes des femmes au même
titre que Maman Nationale, et que par conséquent ma hernie ne peut pas
supporter que les mâles vous gardent dans cet état ; oui c’est pour vous que
je me bats, aidez-moi dans cette guerre que même Dieu appuie, il les réunit
à la Case de la Femme, et les jambes c’est la priorité des priorités, il les
réunit nom d’un bordel aidez-moi il leur lit les poèmes de mon poète
officiel :
Sois belle sois belle
mais c’est forte qu’on te veut
aussi forte que tu peux
forte du cœur et forte des yeux
belle mais forte de tout ton sang.
Il leur demande de chanter l’hymne à la femme qui jusqu’ici n’a été
qu’une âme conne dans un corps con, mais chantons l’hymne à la femme
dans sa vraie version pas dans la version instaurée par les ennemis de notre
peuple.
Pour mettre le monde
au monde
sois femme bien fendue…
Merde, qu’on arrête de dire comme mon-colonel de notre honte qui a
trahi les armes en disant que la place sociale de la femme sa place politique
c’est la braguette et le matelas. Elles applaudissent, elles chantent ses
louanges, elles lui font oublier cette époque kaki où il disait : sur cette terre
je n’ai que deux amies : ma mère et ma hernie, tout le monde me déteste,
tout le monde me trahit. Elles étendent leurs pagnes sur son passage, mon
colonel national fils de Maman Nationale, fils unique qu’elles disent malgré
le bruit qui court et re-court dans les jambes de la pauvre femme, malgré les
mauvaises langues qui l’appellent putain nationale, maman de vingt-sept
bâtards herniés  ; elles partent avec lui pour casser les bordels parce que à
bas la honte, vive la femme chauffée à blanc. Puis la saison était venue où
l’enfant de Maman Nationale allait, suivi de mon-colonel Estanso, ministre
des Testicules, d’un quartier à l’autre, d’un bidonville à l’autre, et à casser !
mais mon colonel vous ne savez donc pas que le sexe c’est le ciel du
pauvre, qui a parlé de la sorte  ? Fusillez-le, à casser, à casser  ! Il était
couvert de cendres, de morve et de bave. A casser, à casser  ! toutes les
piaules de ma honte où les femmes se vendent au marché noir, de porte en
porte, il peignait l’avis lui-même : à casser ! et les tirailleurs venaient après
lui pour casser les cases. Il prêchait l’évangile suivant sa braguette : tu ne
vendras point tes jambes, il leur faisait cette démonstration  : le monde
deviendra une grosse connerie, mais la roupette c’est notre prochain cœur.
*
*     *
Pauvre mon-colonel Martillimi Lopez  : il les fait tous venir et leur
montre le caca que j’ai trouvé dans mon gobelet, il le leur fait humer à
tous ; voilà comment sent la patrie, humez, humez-moi ça !
— Mon colonel moi aussi j’ai trouvé du caca dans un gobelet chez moi,
dit Torezo national ministre des Matières premières.
— Et moi aussi.
— Et moi aussi.
— Taisez-vous.
Lojeyo national dit : monsieur le Président moi j’ai trouvé du caca dans
mon lit.
— Et moi aussi.
— Et moi aussi.
Lajao a trouvé du caca dans son plat de caviar.
— Et moi aussi.
— Et moi aussi.
— Taisez-vous au lieu de casser les oreilles avec votre niaiserie. Qu’on
les pince mais qu’on les pince donc. Vouna national a trouvé du caca dans
ses nouilles quelle horreur. Qu’on les pince mais qu’on les pince. Vangadio
a trouvé du caca dans les poches de sa veste qu’on les pince, Mahoungou a
trouvé du caca au milieu du plat que son cuisinier allait servir à ses invités
qu’on les pince au lieu de me casser les tympans. Il demande à Vauban de
me jouer sa flûte pour que je me calme. Et Vauban national, excellent
charmeur de hernie, joue des airs du pays brumeux. Les membres du
gouvernement se retirent un à un, en silence. Reste ce pauvre Glemabar,
jeune homme timide qui n’ose pas offenser monsieur le président,
Glemabar ministre des Pierres, mon pauvre enfant tu peux rentrer comme
tous les autres. Mais Vauban saute sur lui pour satisfaire sa roupette tordue
qui préfère les hommes.
— Au secours monsieur le Président.
—  Qu’est-ce que tu fais Vauban  ? Fous le camp et va lui faire la cour
dans ta piaule.
Mais Vauban n’entend plus. Il est déjà en rut. Qu’est-ce que tu fais ? Il le
tire par la tignasse. Et notre frère Glemabar se plaint dans un jargon
empierré : arrête Vauban arrête.
— Chaque peuple a ses monuments.
— D’accord mais pas ici.
Glemabar se relève mordu par votre chien qui n’a pas honte de mordre
mais je vous jure monsieur le Président qu’un jour moi Glemabar fils de ma
mère je lui ferai maudire sa maman. Lopez rit son rire de père. Qu’est-ce
qu’on peut faire à Vauban mon vieux. Pas comme nous qui n’avons pas
d’autre monument que le caca. Vauban c’est Vauban. Il a la science des
armes dans le sang. Te risque pas Glemabar : il te tuera. Mais monsieur le
Président je lui ferai maudire l’eau de son père. D’accord : si tu le tues, je
sais que mon collègue ne viendra pas me demander des comptes pour un
accident de roupette.
— C’est maintenant que tu arrives Zabouni national ?
— Oui monsieur le Président.
Il lui tire les oreilles à la manière des anciens. Et je crois que c’est ton
racisme qui te fait faire des trucs pareils, mais moi je te dis que vingt pour
cent de sang portugais ne peuvent pas faire de toi un Blanc tout cuit. Et mon
Dieu qu’est-ce qui m’empêche d’être raciste moi aussi : j’ai onze pour cent
de « flamantation » dans les veines.
Il trouve une termitière de matières fécales sur son lit, il la trouve dans sa
baignoire et dans toutes les pièces du palais. Qu’on les pince nom de Dieu
qu’on les pince. Pendant six mois la ville est envahie par ce caca de vos
mamans mais moi je me vengerai. Avec toujours la même signature de
Laure et sa maman mais moi je me vengerai. Monseigneur Zino.
— Présent.
—  Passe devant ma hernie, et regarde le boulot de ton Eglise. Pour un
pays où nous avons quatre-vingts pour cent de catholiques ? Qu’on fasse de
la merde notre temple. Comment mais comment ?
Or, pendant neuf mois, tous les matins et tous les soirs il a sa ration de
merde dans toutes les pièces du palais. Qu’on les pince mais qu’on les
pince. Un beau matin Jescani se pointe avec un marmot : quinze ans, maigre
comme un balai, en tenue d’Adam.
— Qu’est-ce qu’il veut ?
— Monsieur le Président, c’est lui !
— Mais c’est lui, qui ?
— Laure et La Panthère : le faiseur de merde.
— Non !
Il frappe des mains et des pieds pour essayer d’effrayer le marmot.
L’enfant tremble comme une feuille. Il a peur, très peur. Le président lui
sourit pour le rassurer. Il lui donne des bonbons, des biscuits, il le laisse
toucher sa hernie. Maman qu’il est beau ce gosse  ! il lui donne de la
confiture. L’enfant se régale.
— Merci monsieur le Président.
— Ainsi tu sais que le président c’est moi ?
— Oui monsieur le Président.
— Maintenant dis-moi : où est-ce que tu trouves la matière première ?
— Mais quelle matière première ?
— Où est-ce que tu trouves le caca ?
— Mais quel caca monsieur le Président ?
— Celui que tu nous envoies.
— Je ne comprends pas monsieur le Président : c’est la première fois que
j’arrive en ville.
— Au moins tu t’appelles Laure ?
— Laure et La Panthère, j’ai pris ce sobriquet parce que ça sonne bien.
— Qu’est-ce qu’on fait, demande notre frère Jescani. Tuez l’enfant : vous
verrez que Laure sera toujours là.
On pendit le gosse, mais le lendemain il y eut plus de caca dans la ville
que jamais auparavant.
— Je vous le disais : arrêtez donc de tuer les gens pour rien.
— Monsieur le Président nous ferons des pieds et des mains…
— Mais depuis ce temps où est-ce qu’ils étaient vos pieds et vos mains ?
C’est trop tard nom d’un bordel.
Il convoque le cardinal Nola pour qu’il voie et dise à son Dieu que
maintenant c’est trop tard. Et toi mon collègue du pays voisin cousu de
médailles gagnées dans les jupes des filles, il fait venir monsieur La Huenta
délégué mondial de la Paix et le cardinal Rabougla. Que cette fois soit la
dernière. Vous m’avez dit que c’était l’ex-mon frère même hernie  : je l’ai
fait fusiller sous vos yeux, puis l’ex-commandant Mourtani Diaz que j’ai
pendu sous vos yeux. J’ai coupé la gorge à Darsano national paraît que
c’était lui Laure et La Panthère, maintenant vous me parlez de faire des
pieds et des mains : c’est trop tard vous avez laissé la merde m’envahir et
voici ma réponse. Il tire le rideau et l’on voit douze cent seize couverts
remplis de merde avec des serviettes peintes aux couleurs de la patrie. Il
leur montre les cuillères le pain et les fourchettes en criant vive la patrie.
—  Ministre de l’Energie  : commence. Faisons l’amour, parce que la
haine coûte cher.
Le téléphone sonne. Allô ma hernie écoute. Eh monsieur le Président
Laure et La Panthère vient de faire sauter l’ambassade du pays de votre
collègue. Il reste un moment sans mot dire. Sa hernie tremble de colère et
de honte. Il fume un cigare complet avant de réagir. Merde  ! Il concentre
ses forces. Ah maman !
— Au moins vous avez trouvé le corps du diplomate en chef ?
— Mais monsieur le Président le diplomate en chef est vivant.
— Ah c’est mieux vivant. Envoyez-le-moi à l’instant.
Quand Jean du Pays de mon Collègue arrive, lui se lève en signe de
compassion. Mes condoléances. Mais sachez que vous y êtes pour quelque
chose  : quand je demande du fric pour consolider la sécurité, vous êtes
pingres. A ce moment le téléphone sonne de nouveau  : monsieur le
Président, Laure et La Panthère vient de zigouiller toute la famille de
maman votre tante nationale.
— Mais qu’est-ce qu’ils foutent les tirailleurs ? Nom de Dieu qu’est-ce
qu’ils foutent ? Mais je comprends : au lieu de garder la patrie, ils montent
les femmes. Maintenant vous me consommerez comme vous m’avez foutu,
parce qu’à la cuisine il a trouvé mon chien Daorfa avec une balle dans
l’oreille. Il entre dans une de ces colères. Cette fois c’est le feu. Tant pis
pour vous  : je ne serai plus Lopez chanté, dansé, aimé. Mais Lopez à la
sauce grecque qui part au pays de mon collègue pour apprendre à piloter,
Lopez fumé qui rentre au pays et fait venir le ministre des Munitions : je te
fais sergent au lieu de colonel, il prend la décision que le drapeau de la
patrie sera kaki comme ma musette, il organise les obsèques de mon chien
bien-aimé, mort pour la patrie, l’arme à la patte. Icuezo national quelle
hernie t’a piqué : tu me parles comme tu parles à tes femmes.
— Mon colonel rappelez-vous la prophétie.
— Ah quelle prophétie ?
—  Rappelez-vous la prophétie qui disait que vous mourriez un lundi
après le chien… Merline Amarco a prophétisé la même chose.
— Et pourquoi tu ne me le dis que maintenant ?
— Parce que monsieur le Président dans ce pays ne disent la vérité que
ceux qui n’ont plus rien à perdre.
—  D’accord, il faut que tu perdes jusqu’au bout  : je te fais deuxième
classe : qui a tué le chien ?
— C’est le colonel Danielli Doutranso national.
— Et pour quoi faire ?
—  Rappelez-vous la première prophétie de Merline  : quand vous étiez
gosse comme tous les gosses, quand vous vous promeniez le sexe dehors
comme tous les enfants de notre village, le nombril plein de boue ; Merline
avait regardé dans ses cauris et avait dit que vous seriez président mais que
vous mourriez : après un chien.
A ce moment le téléphone sonne  : et mon colonel national, l’ex-notre
frère Jean de la Patio a pris les armes contre la patrie. Il marche sur la
capitale. Il a fait sauter le pont Golbazdi et la gare de Fosio. Il recrute des
civils en masse. Il a pris la radio régionale de Novaya Cierta.
— Donnez-lui la leçon de ma hernie.
Puis c’était Merline. Il guérit les malades. Il soigne les fous. Il ressuscite
les morts. Ah monsieur le Président  : il est fort. Sur une imposition des
mains, il donne la vue aux aveugles et rend l’utilisation de leurs jambes aux
paralytiques. Le maître d’un petit quartier de Zamba-Town, devenu Merline
de toute la ville. Merline des Blancs et des Noirs. Avec le magasin des dons
et l’autre magasin des plantes révélées. Il a sauvé de vrais cancéreux
figurez-vous monsieur le Président. Il dit l’avenir. Et d’accord, allez me le
chercher.
Mon colonel Jescani où est Merline ? Le voici monsieur le Président. Il
impose les mains sur l’épileptique venu avec notre frère Corbanso, neveu
direct de Martillimi Lopez : cesse d’être malade Quatro Terozo. Il impose
les mains sur le fils de mon-colonel Cabio Fourazo, et sur les trois nièces de
monsieur le commissaire urbain de Zama. D’accord : tu es fort. Il roule sa
hernie historique devant le prophète, secouant les écailles de sa boue
historique qu’il lui présente comme étant ma plus belle médaille, c’est un
don de mon peuple. Elle berce mon cœur de maillechort. En ce lundi soir, il
la roule délicieusement ; pendant qu’elle dégage cette senteur d’acétylène, il
l’emmène voir le village présidentiel jusqu’au bord du lac Oufa. Il lui
présente la version mère de cette viande qui me mange. Il lui raconte
l’histoire de notre frère Anafonso Louma mort à l’improviste, et l’histoire
de notre frère Rodimos Sama mort à l’improviste et son cadavre, ils lui
avaient mis la roupette à la bouche avant d’appeler sa mère et ses enfants,
les méchants hommes  ! Je ne comprends pas les gens de chez moi. Il lui
raconte l’autre histoire que tu dois connaître, l’histoire de feu notre frère
Yuda Wassamba mort à l’improviste. Et Sanamatouff national. Et Darbanto
que nous avons mis héros national, mort à l’improviste. C’est totalement
honteux de partir de cette manière  : Merline, moi je veux savoir. Ah
Merline de maman  : tu dois être plus heureux que le président. Tu as tes
autres. Tes vrais autres  : moi je n’ai que ma mère et ma hernie. Et il lui
montre ses cuisses de marcheur national. Vous avez envie qu’on vous aime,
mais tout le monde vous jalouse. Vous voulez un rien de pitié, au moins la
pitié : mais ils sont tous durs comme des pierres. Il lui parle de mon eau mal
jetée, entre nous pas de secret, mais comment elles me traitent  ! Mon
colonel pas de cette forte manière pendant que ma hernie leur crie sois
bonne sois bonne. Mais mon colonel vous n’allez quand même pas me
souffler les entrailles et moi j’ai honte, mon colonel vous pesez ne me
sortez pas les côtes. Il lui parle de la petite que je viens d’avoir au quartier
des pauvres et qui dit que je lui donne envie de rire. Il lui montre mes sept
kilos de testicules mais ce n’est pas pour cette raison que je t’ai fait venir,
dis-moi plutôt comment les choses vont finir. Tu as ressuscité le capitaine
Lapourta, tu as guéri le colonel Juani de son épilepsie, et Damouta le fou
n’est plus fou, Oufanso le sourd-muet a cessé d’être sourd-muet, Kamato
l’aveugle n’est plus aveugle. Tu auras ta case de fonction, ta voiture de
fonction, tu auras un corps de fonction, et ta mère sera une maman de
fonction. Mais dis-moi comment, quand et qui… ma hernie je ne veux pas
qu’on m’en guérisse, je n’ai qu’elle au monde. Je me sentirais trop seul, elle
et moi on s’aime, on se comprend : elle me donne des conseils. Pas comme
vos filii da puta qui ne m’aiment que pour mieux me sucer. Il lui parle de
maman qui risque de se tuer s’ils lui tuent son enfant comme ils ont tué ma
tante nationale, elle m’aime plus que sa vie. Il lui parle de mes soixante-
trois bâtards qu’ils risquent de charcuter comme ils ont charcuté les enfants
de feu notre frère Lola Dosmento, et mon gendre Gomez qui se donnera la
mort s’ils me tuent.
— Vaut mieux prévenir que guérir.
Ils ont ouvert la hernie que notre frère Zola avait attrapée en marchant sur
le pipi de mon-colonel Martinez Lahounto, et si tu avais vu comment ils
l’ont disséqué, tu ne mangerais plus la viande.
— Mon colonel national donnez-moi une pièce de dix coustrani.
Merde. Le proverbe va avoir raison : le riche va manquer d’une aiguille.
Il envoie notre frère Jescani chercher dans tout le palais. Mais personne n’a
cette pièce ici. Il l’envoie aux magasins mais personne n’a la pièce dans
cette ville. Il l’envoie dans les marchés. Puis vous êtes tous des cons, laissez
passer, il va la chercher lui-même dans toute la ville  ; mais personne n’a
cette pièce et la nouvelle court : le pays est foutu, le président cherche une
pièce de dix sous. Tout le monde cache ses pièces parce que sa hernie
n’avait qu’à en fabriquer plusieurs à la fois. Il va la faire frapper à la banque
centrale. Et Merline la voici.
—  Merci monsieur le Président, maintenant dites cinq cent onze fois la
parole du prophète : « Coulchi coulcha poumikanata », ensuite vous direz
autant de fois la réponse des dieux : « Kalmitana mahanomanchi lusata. »
Il répète mais c’est trop difficile, il répète encore mais c’est impossible.
Et d’accord monsieur le Président, mettez la pièce dans ma bouche, et
maintenant dans votre bouche, dites la parole de Dieu, pensez au visage de
Papa National, mais Merline je ne l’ai pas connu çui-là. Pensez au visage de
maman, d’accord, je connais maman, et avalez la pièce. Vous la chercherez
dans vos excréments et vous me la porterez afin que je lise l’avenir sur la
pièce.
— Maman quelle honte.
Il avale la pièce en déchirant sa gorge. Mais la pièce se bloque à l’entrée
du larynx et lui s’écroule dans le coma. Sa hernie dégage une odeur amère.
On appelle à son chevet la haute technique du pays de mon collègue. Mais
le peuple va à l’église, tous les matins et tous les soirs, une seule prière  :
Grand Dieu fais qu’il meure. Le colonel Jescani trinque en cachette. Il a
formé son gouvernement au brouillon, il a fait un brouillon de discours
d’intronisation et un brouillon de serment, il donne l’ordre à notre frère
Darso Lamondia pour un brouillon de constitution. Bref, il met son pouvoir
au brouillon… Trois semaines qu’il est dans le coma. Six semaines, deux
mois de coma. Alors Jescani décide de l’enterrement. Il le fait mettre dans
une bière de marbre, chef-d’œuvre de notre frère français Jean de
Rochegonde. Il le fait envelopper dans un suaire en or et le couvre de
diamants. Il dépose son corps dans la cathédrale Maman-Nationale, au
village de Maman Nationale en lui donnant sa ration de tirailleurs, bonne
mort mon colonel.
— Il n’est pas mort dit Merline.
Mais personne ne veut croire. Parce que Dieu de maman il n’y a quand
même pas mille manières de mourir. Malgré son deuxième œil qui ne veut
pas se fermer, malgré sa hernie qui se voûte par moments, il n’y a pas onze
manières de mourir. Et notre frère Jescani divulgue la nouvelle
Constitution, il commence la construction du palais, je ne serai pas comme
Lopez national qui est resté colonel : je passe pharaon. Il gracie les trente-
neuf mille six cent douze prisonniers, il remet à l’école les étudiants qu’ils
ont foutus tirailleurs. Il donne Lopez Belinda à son cousin Sabrossa qui l’a
toujours désirée, il rend sa femme à Oustano parce que Lopez l’avait prise
de manière honteuse et inhumaine ; il les distribue toutes parce qu’il n’est
plus là pour vous aimer comme des bêtes de somme. Il débaptise les rues,
les marchés, l’université, l’hôpital Maman-Nationale, le rond-point de ma
hernie.
— Mes frères, on a assez joué : soyons sérieux.
Tandis que dans son sommeil de plomb, Lopez de maman continue à la
rouler. Maman Nationale jetée dans un coin de la cathédrale pleure
amèrement son fils puzzle, dirigeant de sa hernie, responsable de ses
braguettes, sauveur de ses jambes. Qu’il la roule devant Dieu le Père, Dieu
qui devrait avoir pitié d’une pauvre vieille comme moi, à qui ils ont arraché
chauffeurs et voitures, ils m’ont jetée dans cette campagne. Pauvre Maman
Nationale, elle est devenue sale et amère. Puante, pouilleuse, aveugle.
Mangée par la teigne et la gale. Jusqu’à ce jour où le linceul se mit à
bouger. Les deux yeux se remirent à regarder la patrie et, maman pourquoi
tu pleures ?
Elle cria de joie dans tout le village et en devint folle pour le reste de ses
jours.
Il se dirige à pied vers l’aéroport. Le monde fuit devant lui.
— Ne fuyez pas je suis votre président.
— Ne fuyez pas c’est le président.
Il leur montre sa hernie. Je suis bien moi, regardez. Mais ils fuient
toujours. Il entre dans un bimoteur qu’il pilote lui-même jusqu’à Zama, y
tient un meeting de deux heures : je ne suis pas mort je suis vivant. Puis il
s’envole pour Zamba-Town avec notre frère Lobito qui lui brosse la
situation et lui parle de cette marmaille de fripouilles qui ont pris le pouvoir.
—  Jescani a fait pleurer Maman Nationale, il a pendu ton fils et tué
soixante gardes.
— Je lui donnerai à bouffer quarante-cinq versions de ma hernie.
— Sarvanso a épousé votre fiancée.
— Je vais lui faire bouffer septante versions de ma hernie.
— Outranso a dansé le jour de votre enterrement.
— Seize versions.
— Carvanso national a pris votre lit.
— Il mangera onze exemplaires de ma palilalie.
Il lui parle de Son Excellence monsieur l’ambassadeur d’Italie qui a fêté
ses fiançailles ce jour-là. Et d’accord je lui prépare vingt exemplaires de ma
roupette. Il les distribue à tout le monde. Le bimoteur se pose au stade
Alberto-Sanamatouff en soulevant des nuages de poussière sur mes frères et
chers compatriotes venus m’attendre. Il sort de l’appareil, lève les mains, et
la foule délire. Ils chantent et crient : vivat Lopez, vivat Maman Nationale.
—  Nous allons d’abord régler leur compte aux traîtres, nous parlerons
plus tard. Nous chanterons plus tard, nous danserons plus tard, qu’on me les
emmène. Pas de peine de mort. Combien sont-ils, ramassez-les.
Et lui va voir Jescani qui surveille les travaux de son palais en
construction : tu n’écoutes même pas les informations quel con ! tu ne sais
même pas que je suis de retour. Jescani n’en revient pas. Il marche jusqu’à
lui, à genoux, vient poser sa tête tout contre sa hernie ; il croit rêver. Mais
cette boue historique. Mais cette senteur et ce miasme et l’acide qui brûle
cette musette kaki. C’est bien lui. Qu’est-ce que je vais devenir  ? Au
secours mon peuple au secours les prisonniers. Il entend ce silence et
pleurniche : pitié mon colonel ! épargne-moi, je te serai plus fidèle. Il lèche
sa hernie et ses bottes, il grelotte de peur. Il lèche le haut de sa hernie.
— Montre-moi tes ustensiles de mâle.
Il descend son pantalon et les montre. Les voici mon colonel. Je ne veux
pas mourir.
Il lèche ses médailles.
— Laisse-moi la vie mon colonel.
— D’accord, mais je te prends tes engins de mâle : c’est pour eux que tu
as pris le pouvoir.
Il lui tranche l’arbre et les deux noix. Ouvre ta gueule : et il lui ordonne
de les bouffer crus si tu ne veux pas que je sorte mon P.A. Bouffe mon
vieux. Et dis-moi quel goût ils ont.
— Sucré mon colonel.
Merci Merline. Grâce à toi je sais qui est mon ami et qui ne l’est pas.
Cent fois merci. Il fouille la pièce dans sa merde puante. Il barbote, souffle,
cherche, hume : où est-elle ? Il faut qu’elle soit allée dans ma hernie. Et il
se purge. Mais toujours rien. Il appelle Merline, où est la pièce ?
— C’est bon signe mon colonel : si elle dure c’est que votre histoire est
sans précédent.
Trois ans qu’il fouille sa merde historique. Délicieusement. Avec sa tête
de savant. Monsieur le ministre qu’il reçoit, Son Excellence, monsieur le
diplomate en chef, repartent avec cette senteur d’acétylène. Ils pensent que
c’est là l’aura de « celle qui dort dans la musette ». Non messieurs : c’est le
parfum de sa bouse historique, mais n’en dites rien : c’est un secret d’Etat.
— Maintenant Merline, je veux savoir le temps qui me reste au fond de
ma palilalie.
— D’accord monsieur le Président. Je rappelle la pièce ?
— Bon, attendons encore quelque temps.
 
Là-bas, cette nappe d’argent, c’est le lac Oufa. Il dort son sommeil des
tropiques. Dieu est grand. Voici Vauban  : il préfère les hommes. Vos
femmes pas question. Il écoute la flûte mal accordée des crapauds dans
cette nuit de juillet. On voit les lumières du village de maman sur cette
herbe drue où elles marchandent la nuit. Maman folle nationale chante les
chansons de chez nous. Elle imite les bêtes. Elle jette ses pagnes à la face de
son fils : que je te montre d’où tu es venu. Maman ! Elle se calme. Et plus
personne ne se souvient qu’elle est folle. Sauf à cette heure du dîner où elle
met sa patte dans son plat. Et le peuple pense que de cette manière-là Dieu
est grand. La télévision distribue d’autres versions du visage de maman
folle, où Lopez met le jaune de sa salive boueuse, contre les journaux du
pays de mon collègue qui prétendent que ceci que cela.
— Attends-moi maman, je vais faire une causette avec Liz Traomar, fille
de l’ex-capitaine de méchanceté Farfaro Mundi. Il lui montre la blessure
que tu vois ah un chat m’avait griffé quand j’étais enfant. C’est la raison
pour laquelle je tue tous les chats sur mon chemin, la même raison pour
laquelle, j’ai accidentellement tué l’ex-capitaine Vacha Gonzalès qui me
dérobait son chat. Et des parlotes et des parlotes et des parlotes, avant qu’il
ne lui présente son eau de père de la patrie. Il s’en va toujours suivi de
Vauban, rue Loumaza, rue Ourtani-Gento, place Jescani effacez-moi ça en
vitesse. Vauban ah quelle idée ta mocherie de préférer les hommes  :
l’homme piétiné par son sexe. Tu crois pouvoir inventer le troisième sexe ?
 
Merline Amarco, ma hernie va te sauter à la gorge si ta pièce ne veut pas
sortir. Mais Merline n’écoute pas. Il dit sa prière où il n’y a ni Notre Père ni
nom du Fils et du Saint-Esprit. Mais des noms. Dieu Améliana, Dieu
Bourkanazar, Cabornica Donso, Vatourios Alimatès, Bonilo de la Cuenta,
Mourdiba Fananso… Ma hernie va te sauter à la gorge. Mais lui entre en
transe.
— Merline, fais pas l’imbécile. Fais pas l’enfant : il lui saute à la gorge.
Il pleut ce matin. Il n’avait jamais plu de cette sale manière en avril. Et
Merline crie  : tout bouge, tout bouge  : Lopez se lève et va sous la flotte.
Plus question. Non non et non. Plus question de tuer un homme. A trente-
neuf ans de pouvoir. Il marche. Les gouttes de pluie forment des boulettes
d’argent dans les poils de ses moustaches. Plus question. C’est ainsi qu’il
arriva chez nous. Il tira la chaise et s’assit auprès du feu. Il demanda de
l’eau chaude. En buvant il parlait tout seul : plus question. Il leva les yeux
et vit Krachna. Maman de ma mère : à qui est cette belle chose ? Il toucha
ses jambes et se mit à lui chanter cette belle chanson :
S’il veut ton corps
on ira tout d’abord
au palais prendre mes poules
on ira courir les foules.
Mais s’il veut encore
pour cette mise en corps de nous
nous irons chanter les choses profondes
en chœur qui mine la carte du monde…
Il lui raconta l’histoire de Voldani national qui a été président à vie
pendant quatorze semaines. Elle est belle maman elle est belle. Il touche ses
lèvres. Il touche ses seins  : tu es sacrée. Je pars, mais je reviendrai. Il lui
laisse l’argent de ma hernie qui n’a jamais pu me donner un vrai amour
mais je reviendrai. Il touche son menton. Ne bouge pas d’ici  : je vais te
chercher des cadeaux. Mon Dieu comme elle est belle. Elle me chauffe les
entrailles. Elle allume mon sang. Il range sa hernie et part en courant.
Le lendemain nous le revîmes venir, ployant sous une folle moutête de
fleurs, suivi de Moupourtanka qui tirait un grand chariot de cadeaux et de
Vauban, sourire aux lèvres :
— Où est-elle ?
— En prison monsieur le Président.
— Non !
— Elle était venue se cacher ici : mais les tirailleurs l’ont découverte.
— Non.
Il se prend la roupette comme toutes les fois qu’il tombait en colère. Et
maman de ma mère pas question. Il jette les fleurs et dites-moi, il n’y a pas
de téléphone dans cette baraque ?
— Non monsieur le Président.
— Ils vont encore me la gâcher, cette pauvre fille qui me chauffe. Ils vont
me la gâcher. Il part en courant. Maman de ma mère, s’ils la gâchent j’en
pendrai la nation. Il fait sonner l’alerte. Allez me chercher les « ustensiles »
de télévision que je parle à la patrie.
— Monsieur le Président : c’est elle qui avait pendu votre fille-épouse à
la langue coupée. C’est elle qui envoyait le caca. Monsieur le Président,
c’est elle Laure et La Panthère que nous avons cherchée partout.
— Pas question. Elle chauffe mon cœur à blanc. Où est-elle ?
Ils lui montrent l’ordonnance loi numéro  425/71/LMZ du 21  novembre
1971. Foutez-moi cette connerie en l’air et il déchire le papier. Que des
cons : vous êtes tous des cons : les militaires, les civils, tous. Dans ce pays
il n’y a que ma hernie qui raisonne. Et Carvanso de maman vient avec la
bonne nouvelle :
— Monsieur le Président, nous avons téléphoné au champ de tir : elle est
encore vivante.
Il se jette sur ses genoux et se met à prier : Dieu est grand, Dieu est Dieu.
Il a des larmes de joie. Dieu est Dieu. Pendant que sa grosse hernie se voûte
dans cette musette kaki. Et notre frère Carvanso qui avait tout arrangé lui
présente l’autre fille de Vermoz Diaz, après tout elles se ressemblent
comme deux gouttes d’eau, et puis, devant les femmes sa hernie est
aveugle. Il la présente toute couverte d’or pour qu’elle brille, la poitrine
lourde de diamants : la voici mon colonel. Mais lui la regarde une seule fois
et sourit : vous me prenez pour les jambes de vos femmes ou quoi ?
— Non monsieur le Président.
—  Alors où est-elle  ? Où est la vraie fille de mes boyaux chauffés à
blanc ? Vous voulez la garder pour vous ?
— Non monsieur le Président.
— Vous l’avez tuée ?
—  Non monsieur le Président. Mais elle est devenue «  une âme conne
dans un corps con ».
— Ah qu’est-ce que cela signifie ?
— Les tirailleurs ne sont pas des gens monsieur le Président.
— Je veux la voir.
Il n’en crut pas ses yeux. Maman de ma mère : l’homme est devenu un
charcutier. C’est elle, c’est bien elle mais qu’est-ce que vous avez fait ? Il
vit des os à la place des poupes, où est la viande ? Il vit des os à la place des
seins, où donc est la viande  ? A la place du sexe il vit un grand trou tout
bleu. Sans lèvres, sans yeux, ils ont pelé la tête et le dos. Pendant trois jours
il est dans sa chambre à regarder et à pleurer ces os qui respirent par la
seule force de Dieu. Pendant qu’un bataillon de médecins et consorts
tentent de la rafistoler, ils tentent de la reconstituer femme :
— Je ne comprends pas les gens de chez moi.
Ils lui mettent les muscles de Loutanso national colonel de hernie qui a
ordonné cette torture. S’il en manque vous prendrez ceux de sa femme, et
s’il en manque encore vous prendrez ceux de sa maîtresse Adinonso.
— Oui monsieur le Président.
— Faites-la belle, aussi belle que je l’ai connue.
— Oui monsieur le Président.
—  Son corps m’est un temple. Faites-la belle comme le soleil du soir.
Faites-la belle pour toujours. Mettez-lui des yeux bleus comme la mer à
midi. Des cheveux noirs, gros, longs, comme un feu de camp. Mettez-lui les
seins de la plus belle fille de cette ville.
— Oui monsieur le Président.
—  Mettez-lui les dents les plus grosses, les plus blanches, et les plus
rondes du monde.
Pendant sept jours lui est à son chevet. Et comme elle commence à
fonctionner, lui part : la nation a besoin de moi. Il l’embrasse et part, suivi
de Vauban.
Il fait venir Juano Maturias colonel de honte pour lui demander combien
tu gagnais quand tu étais moniteur de honte et combien tu gagnes
maintenant que ma palilalie t’a mis colonel, je t’ai quand même cloué un
salaire de seize mille coustrani au lieu des quarante cailloux que tu touchais
quand tu étais moniteur. Tu es venu au monde pour être moniteur, tu allais
mourir moniteur sans la pitié de Maman Nationale. Et qu’est-ce que tu crois
faire avec le syndicat du con de ta mère que tu réunis tous les soirs chez
Darlanso  ? Il fait venir Henri Dalapour mon cousin qui devrait réfléchir
avant de m’écrire la démission qui sent le jus de sa femme : mais je te garde
à ton poste pas de connerie. Et la prochaine fois que tu oseras je t’enlèverai
tes culottes pour te donner des fessées comme je t’en donnais à douze ans.
— Oui tonton.
— Va et ne trahis plus la tribu. Mais sache que la prochaine fois le feu.
Puis l’on voit mon-colonel Dani Jango que sa hernie a gommé de ses
fonctions de ministre du Pognon, on le voit avec son paquet de diplômes :
« Je les ai eus à Paris III, plus ceux que j’ai eus en Californie. » On le voit
tout couvert de larmes et de morve pitié monsieur le Président : parce que
j’ai une femme blanche, comment je vais la nourrir si vous m’écartez de
votre amour. Monsieur le Président, vous avez eu des Blanches et vous
savez comme elles bouffent. Mais ne pleure pas Dani Jango, il déchire ses
diplômes parce que c’est avec ces engins de con que vous gâchez la patrie,
et va ne pleure pas : je te prends ta Blanche, je la donne à ton cousin Yosua
national qui peut la faire bouffer en tout cas parce qu’il ne faut pas qu’elles
pensent qu’on est pauvres. Il lui raconte la belle histoire de feu mon
confrère Marco qui est venu à Dilolo quand j’étais encore Lopez régional :
il me donne cinq mille coustrani et cherche-moi une femme Lopez cherche-
moi une femme pour mes cinq nuits dans votre ville de chien où l’on ne
trouve pas d’autre distraction que la femme. Je cherche donc et je trouve
Lola Pinto, je lui donne cinq cents coustrani et je lui dis que le président te
veut. Elle lui a donné cinq nuits de blennorragie et c’est moi qui suis allé en
prison. Il rit aux éclats. Il ajuste sa boue historique. Mais c’est à ce moment
qu’on fait entrer le colonel Darso Lopez tout en larmes, la braguette béante,
les cheveux ébouriffés.
— Pourquoi tu pleures mon frère même mère ?
Il essuie ses larmes. Il essuie sa morve et ferme sa braguette. Pourquoi tu
pleures ? Et lui répond dans une voix qui tremble :
— Les rebelles ont enlevé Maman Nationale.
— Merde !
Il se jette dans un fauteuil et Carvanso donne-moi mes calmants. Il les
broute en grinçant des dents. Donnez-moi ma moutarde. Il en mange douze
pots.
—  Seigneur Jésus, qu’est-ce que j’ai fait pour qu’ils me remercient de
cette honteuse manière ? Je ne suis quand même pas Toutanso qui a mis tout
le pognon de la patrie en Suisse. Je ne suis pas Carlos Dantès qui a tué la
moitié de la tribu des Khas en deux ans de hernie.
— Calmez-vous monsieur le Président, nous la retrouverons.
— Ils vont la violer. Et quelle honte pour moi.
Il grince des dents et pleure parce que je suis sûr qu’ils vont la violer. Et
cette honte deviendra ma nature. Il convoque l’ambassadeur du pays de
mon collègue et lui fait part de cette honte ils vont la violer. Il convoque le
diplomate en chef du pays qui me garde là : vous devez savoir que je suis
dans la honte et à vous de jouer. Il convoque le nonce du pape pour que tu
dises au père de la nation de Jésus-Christ que c’est maintenant le feu. Il fait
venir Vauban avec tes trois mille Cubains d’Europe et pour la première fois
de ma hernie il porte son armure, demande au trésorier général de venir
avec moi parce que, en cas de coup d’Etat, que les gens se mettent à bouffer
la merde. Je pars dans la jungle. Mais avant tout il ferme lui-même tous les
portails du palais parce que dans ce pays plus personne ne mérite ma
confiance. Les portails seront fermés sur le gouvernement et sur ceux du
Haut Commandement pendant tout le temps que durera ma guerre contre les
rebelles. Il emporte les clés. Et si ça bronche Lavotou national tu fais sauter
la baraque. Oui monsieur le Président.
Les femmes des généraux crient ouf. Elles sont toutes là : Armando Liz
Agonashi, Sobra Ikesse, Laura Paltès, Lavinia, Flaura Nantès, Mryama…
elles pissent le jus de sa hernie dans les pots de fleurs pour se venger de tant
d’opprobre jeté dans leurs jambes. Elles sortent maman folle de la cachette
où elles l’ont mise et lui mettent les habits de ton foutu fils qui nous fait
souffrir. Elles lui mettent les plumes de Narka dans les cheveux et lui font
danser les danses de ton foutu fils. Glénazar lui fait laver ses périodiques
parce que c’est l’eau de ton fils. Elles jacassent. Elles parlent de sa hernie
devant elle. Elles lui demandent de chanter pendant qu’elles éclatent de rire.
Elles la cachent dans leur linge, la sortent, la mettent au placard, vêtue
comme son fils et fais-nous peur Maman Nationale, danse-nous les vieilles
danses, elles la mettent nue et regardent le chemin qui a donné un fils aussi
honteux. Elles la peignent en rouge et lui mettent la boue de chez nous pour
que toi aussi tu sois historique à point. Fais-nous peur Maman Nationale
fais-nous peur. Elles attachent des poupées autour de ses reins. Et lui font
raconter l’histoire honteuse de son fils. Elle lui font porter les médailles de
sa guerre contre la Russie et lui font dire les discours de ton fils comme si
nous étions au stade Alberto. Mais vint ce jour où nous le vîmes rentrer en
trombe, suivi de Vauban et de Carvanso, parce que Narka mon perroquet ne
cesse de répéter dans sa langue d’oiseau : « Ma tante Léonidas qu’elles ont
cachée au palais dans une armoire dans une armoire dans une
aaaarrrmmmoooiiirrreee  !  » Monté sur cette colère barbare il ouvre les
portails du palais et vient les trouver là, avec maman qui lave les assiettes et
les périodiques de vos mamans. Mais vous allez voir de quelle hernie je me
chauffe. Ah cette colère qui annule mon cœur de père. Il hurle comme une
vraie bête des forêts. Plus boueux que jamais tout couvert d’herbes, de
racines, d’écorces, de sèves, sentant les eaux pourries des marigots,
l’armure pleine de crabes, de fretins et de sangsues, les cheveux pleins de
toiles d’araignée, de fiente multicolore, il décore Vauban parce que tu as été
historique dans cette campagne mais vous, vous allez voir. Il décore
Carvanso mon bras droit mais vous, vous allez voir. Il envoie un chèque de
huit millions de coustrani à mon collègue qui vient de perdre sa mère mais
vous, vous allez voir. Toussia la Française vient lui dire que ce n’est pas
moi qui ai caché Maman Nationale dans l’armoire. D’accord mais vous
allez voir. Il déchire leur linge jusqu’aux périodiques il déchire les soutiens
gorge et leur dit de se coucher sur le dos, là, à même la moquette. Il fait
venir six cents tirailleurs et six cents d’entre nous les travailleurs du palais
et pour laver ma honte je vous en prie, là, devant moi, dormez-moi ces
chiennes. Chauffez-les à blanc : je vous donne une semaine. C’est ainsi que
le palais s’emplit d’eau de joie, de cris de bonheur, de sois bonne sois bonne
pendant qu’elles crient de douleur et de honte. Il convoque ma petite Russe
Donia Lissounaia je ne sais même pas comme on doit prononcer ton nom
mais sache que j’ai six mois d’eau dans les veines. Il convoque
l’ambassadeur du pays de Vauban et celui du pays de mon collègue.
— Votre pays a bien soutenu ma palilalie, dites ma reconnaissance à vos
peuples et à vos présidents.
Et il leur suggère l’idée qui depuis des années déjà trotte dans ma hernie :
les chefs d’Etat devraient songer à avoir un syndicat au niveau mondial
comme c’est le cas de l’OUA, parce que maman Dieu sait si nous sommes
lésés par nos populations. Enfin il prend la décision de ma hernie : à partir
de ce jour maman sera ministre de la Coutume, elle rendra les hommages et
les jugements.
C’est à cette époque qu’on vint lui dire que monsieur le Président un
Blanc a inventé la machine à dire l’avenir et allez me le chercher au lieu
que je continue à fouiller la pièce de Merline dans mes chiottes. Allez me le
chercher nom de Dieu. Comment s’appelle-t-il donc ?
— Jean Aknin de Rochegonde.
— Un Flamand ?
— Non monsieur le Président. Il est du pays de notre collègue.
—  Proposez-lui la nationalité de ma hernie, avec ces gens-là on ne sait
jamais. Ah pendant que j’y pense : qu’est devenue la fille de mes boyaux ?
— Monsieur le Président elle est morte.
— Je n’ai pas de chance : je mourrai célibataire. Parce que toutes celles
que je veux épouser crèvent. Dites à mon griot de reconstituer son histoire,
je l’écouterai dimanche devant le gouvernement.
Il se jette sur ce lit venu d’Amérique, tout habillé et tout boueux. Dans le
bas de son armure les sangsues travaillent mais lui dort, les poings fermés.
Au pied du lit, assis sur le plancher, Vauban veille. Lui ronfle et rêve de ces
régions barbares où j’ai mis six mois à chercher maman. Il dort comme
toujours les yeux ouverts, ouverte la bouche, la hernie à ciel ouvert, et sans
ce ronflement sinistre et cette coulée de bave qui mijotent dans sa gueule,
on le croirait perdu dans quelque sérieuse méditation. Au-dessus de sa
hernie se forme un petit nuage de vapeur, auréole de ses jambes frappées de
bave. On voit ses doigts brûlés par onze ans de fouille mais je ne trouverai
jamais cette pièce ah Merline de maman. On voit ses livres de chevet : les
Jeux du salut, Onze Ans de pouvoir parlé, les Libertés artificielles, l’Arrière
Coup de grâce, Sous couvert de Dieu…, Il n’y a pas de fumée sans feu.
— Aknin de Rochegonde est venu.
—  Faites-le entrer. Mais je veux le recevoir devant le ministre de
l’Avenir et le ministre de la Pornographie. Avertissez aussi le ministre des
Tirailleurs.
— Oui monsieur le Président.
Nous vîmes arriver les neuf cent soixante-sept pièces de la machine à
dire l’avenir, les trois cent douze de la salle de lecture et les quatre-vingt-
treize de la chambre des lumières, nous vîmes arriver les chambres d’écoute
et nous nous sommes mis à regarder l’avenir de sa hernie à la parole près.
Et voici l’avenir de Martillimi Lopez fils de Maman Nationale, tel que nous
le lûmes dans les chambres de notre frère Jean Aknin de Rochegonde. Je
vous le retrace sans omettre la moindre virgule. Nous le vîmes sur le grand
écran. Mais je ne peux pas expliquer les séquences, je n’en suis pas
capable  : je vous en donne les seules images. Sans trop me soucier de
mettre les couleurs parce que c’est en couleurs que nous vîmes son avenir.
Mais je crois que seules les grandes scènes de ce que nous allions vivre par
la suite étaient claires, puisque nous voyions dans le fond des perspectives
quelques manifestations très floues de son existence. Je dois vous dire aussi
que la machine de notre frère Jean Aknin de Rochegonde n’était pas
parlante. Mais le présent est en train de montrer à mes frères et chers
compatriotes que la machine avait vu juste, du moins pour l’essentiel.
 
Un théâtre de la ville de Yambi-City est venu jouer au palais pour le
quarante-neuvième anniversaire du jour où nous sommes allés le chercher
au village de Maman Nationale, faisant revivre l’entrée dans la capitale de
sa toute huileuse hernie. La troupe s’appelle El Commedia de la Outa. Mais
lui veut qu’on l’appelle El Commedia Lopez. Il regarde cette fille qui danse
comme une déesse et qui pose à ma hernie le plus grand problème qu’on lui
ait jamais mais alors jamais posé. Ne riez pas  : quand je dis jamais c’est
vraiment jamais. Et il la roule. Qu’est-ce qu’elle est belle nom de Dieu
qu’est-ce qu’elle est charnue. Mais monsieur le Président, Maria Leontina
Chi est la femme du maire de Yambi-City.
— Qu’il aille se faire foutre : nous n’allons pas mettre des frontières au
fond de nos hernies pour une question de braguette ah maman regarde donc,
Carvanso, comme cette chair est vivante, comme la poupe devient un cœur,
un cœur au lieu de la honte qu’elle a toujours été : je la veux, il me la faut,
ou bien qu’on me déchire la roupette. Mais monsieur le Président c’est la
femme de notre frère Yambo-Yambi. Il fait venir le ministre du Dialogue
des civilisations règle-moi cette affaire. Je ne dors plus. Je ne mange plus :
est-ce donc ma faute si l’amour me dit d’aimer cette danseuse  ? Ce n’est
plus une simple question de braguette je te jure Daninso c’est mon cœur qui
est tombé dans ses jambes.
— Oui monsieur le Président.
Il compose trois mille pages de poésie en l’honneur de ses lèvres. Je ne
dors plus, je ne dormirai plus jamais de ma vie. Je n’ai même plus besoin de
votre pouvoir de merde. Finis le cœur et l’âme de célibataire !
*
*     *
On est venu chercher le prisonnier. On lui demande de tout avouer. On le
donne à «  Maître Rognons  » pour lui montrer qu’on n’a pas de temps à
perdre. Maître Rognons lui presse ses ustensiles de mâle, il lui broie les
deux amandes. Une vraie gelée blanche éclabousse son visage : il crache et
crache ton sel de merde. Qu’est-ce que vous autres Bhas êtes sales. Il lui
déchire ces instruments de mâle qui vous poussent à fabriquer des
complots ; vous avez besoin d’être au pouvoir pour avoir accès à toutes les
jambes des femmes, pour satisfaire vos engins-là, mais moi je ne te les
laisserai pas. Il déchire la peau pour au moins être sûr que ça ne repoussera
pas. Lui crie  : je ne comprends pas. Ah non  ? Qu’est-ce que tu ne
comprends pas ? tu es bien le maître à penser du complot. On essaye toutes
les recettes sur son corps  : les Zourmana, les Jean Moulin, laissés par la
colonisation. Tu vas tout avouer oui ou non ? On essaie les Maître Rognons.
Et il crie trop fort. Mettez-lui les recettes cabines  : ça fait moins crier. Et
puis ça ne laisse pas physiquement de traces. Ça passe bien sur les
éléphants et sur les gringalets comme lui. Et maintenant vous allez vous
montrer plus coopératifs : qui a conçu le complot ? Pauvre lambeau humain,
déchiré dans sa chair et dans son âme : je ne comprends pas. C’est le seul
mot de la langue qui lui reste. Vous allez comprendre, et tout de suite. Ils lui
mettent une boule de plomb dans la gueule pour que tu n’arrives plus à nous
casser les oreilles comme tout à l’heure. Ils le travaillent. Si tu as un Dieu,
va pas lui demander de nous pardonner sous prétexte qu’on ne saurait pas
ce qu’on fait. Je le sais, moi : c’est à cause des cochons comme vous que
ma femme est obligée d’aller se faire monter ailleurs pendant que moi je
veille les coups d’Etat et les complots ; je sais ce que je dois à un cochon
qui est à l’origine d’une situation pareille. Et il frappe. J’aime ma femme
nom de Dieu ! à cette heure je devrais dormir à côté d’elle. Faire la chose-là
avec elle, toute la nuit. Mais je n’ai plus que le temps de cogner et quand je
dois cogner, je… je bande comme avec une femme. C’est de cette manière
que j’exerce ma fonction de mâle. Tant pis pour vous : c’est ainsi que vous
me voulez. Il enfonce ses griffes dans la gorge du prisonnier avec une force,
un plaisir qu’on dirait sexuels. Les complots tous les jours d’accord, mais
quand vous êtes au pouvoir nous savons ce que vous faites : les femmes, les
voitures, les villas, c’est la vraie civilisation du sexe, et moi je vous les
arrache. Je te parie qu’avec un instrument pareil tu as dû en souffler des
vierges, mais moi je te le prends. Pour la simple raison que tu n’en auras
pas besoin dans ton cercueil. Ouama na chrachi ! (mon Dieu). Maintenant
tu vas me dire les autres de votre bande. Tu es bhas et la réputation des
Bhas c’est d’être dans tous les coups. Vous comprenez donc pourquoi quand
j’ai un Bhas entre les doigts je « bhande ». Mais commençons par le P.V., et
tu parles en vitesse. Cinquante que je dois interroger  : qu’est-ce que vous
vouliez ? Tuer tous les membres du gouvernement c’est bien cela ? C’est un
peu méchant mon frère tu ne trouves pas ? Ils sont quand même soixante-
seize. Et qu’est-ce que vous alliez faire des trois Bhas qui sont au
gouvernement  ? Vous alliez les épargner ah c’est mortel le tribalisme des
Bhas. Qui était le maître du complot : c’est Yambo-Yambi n’est-ce pas ? Ah
celui-là, on devrait le tuer dix fois, en faire du savon, ou donner sa viande
aux chiens. Maintenant quels sont les tirailleurs qui devaient « tamponner »
le président ? Commençons par les officiers : l’ex-mon-colonel Pamo ? et
l’ex-colonel Domitri Diaz  ? Le lieutenant-colonel Suampo, le capitaine
Alonso Rodriguos Nandi  ? del Fuenzo, des ordures comme Sayonsa…
Ourni Toulazo, toute la « bhannaneraie », quoi ? Tu crois qu’il n’y avait pas
des traîtres mihilis comme le lascar Oursondo Manuel  ? et Proseido
Sanchi  ? avec quand même quelques merdes du Sud  ? Tazos Pueblo par
exemple ? Oui quand même ! et Nouany Eustacho, Zackario Foundou, Toko
Marino Mene Marino, eh bien tu ne m’as pas compliqué la hernie comme
dit Lopez, maintenant signe ici. C’est ta déclaration et tu ne veux pas
signer ?
— Je n’ai pas parlé…
—  Tu ne m’as pas arrêté  : qui ne dit mot consent. Tu vas me signer…
mais tu n’as pas l’air de comprendre que si tu bronches je te mets les
rognons dehors. Allons, sois sage : faut-il que je t’ouvre le ventre pour une
petite connerie de signature à mettre ici ?
— Je ne peux pas.
— Comme tu voudras. Tu as déjà vu tes rognons ? eh bien attends un peu
que je te les montre.
Il fouille et fouille et fouille. Il insulte ta mère mal trouée qui aurait pu
t’éduquer comme les vraies mères éduquent leurs enfants. Fais ton boulot
nom de Dieu fais ton boulot ! Ici le boulot consiste à se laisser éventrer. Et
lui se laisse éventrer. Je fais mon boulot, tu n’avais qu’à faire le tien.
— J’ai fait la guerre de libération.
— Que veux-tu que ça me foute ?
Il le tord comme un vieux chiffon. Il l’ouvre, le déchire, le referme. Ici
l’homme ne vaut pas la chandelle. Ça me rappelle ce jour où j’ai visité les
abattoirs de Californie, quelle horreur : j’ai arrêté de manger de la viande.
Mais il faut bien être sage ici  : parce que, quand tu les énerves, ils te
mettent un plomb dans le crâne et disent officiellement que tu as tenté de
fuir. C’est cette version que la radio nationale commentera, c’est elle que
tes amis aussi commenteront  : «  Quelle naïveté de chercher à fuir devant
ces monstres ! » Et chacun dans son coin ils tenteront de t’oublier : la mort
n’arrive qu’aux autres. Mais je crois que de telles morts condamnent le
monde à la résurrection ; car, s’il n’y a pas de résurrection, la création n’est
qu’un crime.
Rognons tourne comme un lion, repu de cette viande qui saigne, et
reposez-vous une seconde après j’essaierai des Pedro Moulinar sur vous, le
Noir a la peau dure, il faut y aller dur, le Noir c’est comme le crabe : on ne
peut pas dire où est sa tête, pour l’atteindre, il faut cogner dur dans tous les
sens ; il fume. Jetez de l’eau à ces cancres ! qu’ils soient plus frais pour la
prochaine séance, et tu penses comme écrivait Diaz dans l’Enfer à bout
portant : « La contradiction fondamentale devient la barbarie de l’homme à
l’endroit de l’homme, cette barbarie se manifeste par l’injustice,
l’exploitation, et toutes les formes de tortures physiques ou morales…  »
Quelqu’un a versé un seau d’eau sur les dormeurs, certains se sont réveillés,
des autres la radio nationale dira qu’ils ont tenté de fuir, en réalité, ils ont vu
leurs rognons simplement ; mais là-bas a-t-on seulement le droit de regarder
plus loin que la radio nationale  ? Ceux qui inventent d’autres versions,
viendront voir leurs rognons à moins qu’ils n’aient tenté de fuir depuis là-
bas, et Sarcomata, Karnansar, Laminondo, Famo Rodrigues, Damanta, le
monologue de l’univers, monologue de lumière, déjà, dans le monologue
épouvantable de toute la matière qui sauvagement vient au monde. A tour
de rôle ils vous déviergent, et tu vois Yambo-Yambi te sourire, tu ne devines
pas que bientôt il va en voir de tous les rognons tu lui souris « Tu sais qu’il
n’y a pas eu de complot » ? Oui je le sais, et il te sourit encore : c’est de
cette manière qu’on meurt chez nous, à contrecœur, mais le sourire aux
lèvres, c’est de cette honteuse façon-là qu’on rejoint les autres dans la cause
honteuse des descendus pour haute trahison, trahison des trahisons, mais
qui a-t-on trahi  ? Je revis Maître Rognons des années plus tard. «  Tu
connais l’affaire de la paille dans l’œil du voisin ? pour le reste mes chefs
avaient besoin d’un bon résultat, et en police pas de bon résultat sans bonne
imagination, pas de bon résultat avec un bon cœur, qui, au moins une fois
dans sa vie, n’a jamais eu besoin de belles filles, ni de bons vins, de belles
voitures, qui n’a jamais eu envie d’une belle vie ? je cherchais, et comme
les choses passaient par mes chefs, je faisais ce qu’ils aiment pour que ça
marche pour moi. Il faut être descendu loin pour avoir le droit de monter,
j’ai réfléchi, j’ai tout jeté par-dessus bord et je suis parti de là, parce que fils
il n’y a pas d’autre salut que le choix, et la barbarie ne peut créer que la fin,
la destruction, la misère…  » Il parlait mais j’étais parti. Yambo avait été
condamné à mort à titre posthume, parce que, grâce au rapport de Maître
Rognons, la radio nationale avait établi qu’il s’était suicidé dans sa cellule,
le docteur Nourmandi Santos avait fait le constat et le certificat médical  ;
Lopez de ma hernie passa au stade Alberto pour condamner l’homme de
notre haine mêlée de cette sourde colère qui me mange, Yambo de mes
entrailles amères, dont le complot visait à priver maman de son fils
national, Yambo des jambes de toutes les filles mal trouées, qui vient de se
tuer de honte dans sa prison, et je mets cette sélection d’injures à sa
disposition, je mets cette autre sélection à la disposition de sa maman, avec
cette quantité prévue pour les « Flamants » parce que encore une fois mes
frères et chers compatriotes, les « Flamants » taisent très mal leur intention
de me gommer pour donner le pouvoir à mon frère honteux Cataeno Pablo,
les Français aussi ont choisi leur homme, les Russes, les Latins de maman,
tout le monde veut ma ruine, mais si monsieur le diplomate en chef de
l’ambassade de France est parmi nous, qu’il sache que jamais de la vie le
pouvoir du peuple que j’incarne ne sortira de ma hernie pour aller se
balader au Quai d’Orsay et revenir chuter sur la tête d’un chien comme
Cataeno Pablo, et que personne au monde ne me refusera le droit de
disposer de ma hernie suivant l’esprit de la Constitution ; il la roule et met
cette dose de salive à la disposition de la figure de mon-colonel Vasco
Nomini qui sourit pendant que je parle. Et cette claque suivie de cette fessée
à la dispositon de l’ex-major Douma do Sabato qui regarde les filles du
lycée pendant que j’éduque mon peuple, il tire les oreilles à mon-général
Fatassio qui semble oublier que c’est ma hernie qui donne les galons, puis il
la roule avant de donner cet avertissement à la femme de mon frère même
père même mère à qui je risque de faire avaler seize exemplaires de ma
braguette si elle n’arrête pas de jaser pendant que mon discours passe, puis
il revient à Yambo le plus gros bâtard que la tribu des Bhas ait donné,
bâtard national, malheureux national, civette à perpétuité, traître depuis les
orteils jusqu’aux cheveux, et les adjectifs sont finis mes frères et chers
compatriotes, lui, nourri par ma hernie, logé par elle, engraissé, voilà
comment il voulait me remercier, mais il s’y est heurté, il a eu honte et il
s’est tué de cette honte, oh  ! je suis sûr que j’aurais pardonné, parce que
mes frères et chers compatriotes, je suis et je reste un bon président,
incompris, toujours incompris mais je le suis et je le reste, et pour le
prouver je pardonnerai à ceux des comploteurs qui m’adresseront une
demande manuscrite de grâce, et il la roule, une demande signée. On
l’ovationne, on acclame, parce que mes frères vous n’en aurez pas un
comme moi, vous n’aurez pas un autre papa père de la nation, et ils
applaudissent, le coin du stade qui a toujours énervé ma hernie commence à
remuer, ils n’ont jamais compris la bonne volonté de l’enfant de Maman
Nationale, il parle de la seule différence qui existe entre l’homme et la
bête : la bête ne sait pas apprécier, mais l’homme, si ! La bête est ignoble à
vie, mais l’homme, non. Et nous sommes là, en train de parler de la
demande de grâce, Darkans a dit qu’il n’ira pas s’agenouiller devant sa
hernie, parce que je veux mourir la tête haute, Léa aussi veut mourir la tête
haute, Pereira veut mourir la tête haute, et je n’irai pas brouter sa hernie
amère, jamais de la vie, le numéro quinze : vous n’allez pas me croire mais
je meurs la tête haute, le numéro douze : parlons pour qu’on ne pense pas
une seule seconde à cette connerie. Le numéro onze  : Lansa Marta,
comment tu as fait pour gagner la femme de Dorsonto national ? C’était le
véritable carré fermé, une ancienne religieuse de plus. Ah mon cher ! ça ne
valait d’ailleurs pas la peine : elle fait mal la chose, la vraie planche de lit.
Tu connais les filles qu’on appelle planche de lit  ? quand tu es obligé de
brutaliser un peu pour en sortir quelque chose. Il y a le numéro huit qui ne
parle pas, donnons une minute au numéro huit : mais les enfants donnez une
minute à vos âmes, et le numéro neuf éclate de rire : pensons plutôt à nos
corps qu’ils ne donneront pas à nos familles, ma mère va pleurer dans le
vide, ma femme, mes enfants, mes amis, deux ou trois jours que ça va durer,
des copains passeront jeter un coup d’œil, Floria va apporter quelque chose
à la maison, un truc pour maman avec des condoléances, peut-être un truc
pour les enfants aussi, mais rien pour Elsa, parce que Floria n’aime pas
Elsa, ma sœur n’aime pas ma femme  : c’est absurde, elle avait voulu que
j’épouse plutôt Drobando ; Guilliano passera aussi, il croisera les bras parce
que : « je lui disais de ne pas se mêler de ces choses-là », il ne sait pas le
pauvre, il croit que la radio ne peut pas mentir, il réfléchira avant de
repartir ; j’ai bu avec lui la veille de notre arrestation, on a beaucoup dansé,
on s’est quittés à quatre heures, les coqs chantaient déjà, « comment aurait-
il fait pour être… » il ne comprendra pas la position de la radio nationale ;
je dois mille coustrani à Morna, il devait passer les prendre et comme il
n’écoute jamais la radio nationale, il passera, on lui dira que je suis mort, il
ne croira pas, mais ils lui diront d’aller écouter la radio, il haussera les
épaules. Madra, comment tu imagines la mort ? Ferme ta gueule, je n’en ai
d’ailleurs aucune idée précise, je pense à quelque chose de vaste un point
c’est tout. Tu crois vraiment que c’est vaste ? Enfin je ne sais pas, vaste est
le premier mot qui me vient à la bouche, la vie d’un seul équivaut à celle du
monde entier  ; Cataeno, toi qui as été président, qu’est-ce qu’on ressent
dans les couilles quand on est là  ? Mais pour quoi faire, écoutons les
histoires de numéro treize, il n’y a rien de sérieux au monde que le cul ; les
hommes font cracher, parlons des femmes, elles ont mis toutes les cervelles
dans leurs jambes, la première avec laquelle je suis allée sentait les biscuits,
quand j’étais au collège, le dortoir… Laisse parler Cataeno, garde tes
histoires d’internat  ; un homme est passé donner des précisions sur les
demandes de pardon à la nation : vous dites toutes les raisons qui vous ont
poussés à travailler avec le traître Yambo-Yambi vous le dites franchement,
vous dites ce que vous pensez du président qui vous pardonne, vous le dites
franchement, et il fait un petit commentaire  : vous qui cherchez la
démocratie dans le con de vos mamans, elle est là devant vous, mais vous
devez apprendre à la gérer… le numéro onze a crié con de ta maman, et
l’homme a dit sèchement qu’on répond aux morts par le silence ; puis il est
parti, et Lansa Marta a dit  : la démocratie de ta maman… va lui dire à
Lopez de sa hernie décomposée que… mais ne parle pas de cette manière
Lansa Marta, il y a peut-être des camarades qui veulent rédiger la
demande ; et Agostano a crié comme un fou : qu’il nous zigouille, qu’il se
dépêche. Vers deux heures du matin, je n’en pouvais plus, je fis savoir à
Lansa Marta que je voulais écrire la demande, il me regarde longuement, et
il dit  : j’ai pitié, il me regarde encore, il me demande si c’est la peur de
mourir, et il tonne  : la peur ou quoi  ? Mais je ne réponds pas  : puis je le
regarde à mon tour, je lui dis : ce n’est pas la peur. Mais c’est quoi ? l’envie
de parler ! Bon l’envie de parler, parce que tu crois qu’il ignore qu’on est
innocents, non mon frère, ici tout le monde s’arrange pour être dans un
semblant de monde, en train de croire des semblants de trucs, et ils vivent
un semblant de vie, et puis tu sais qu’ils ne liront pas, non mon frère, il ne
faut pas qu’ils se mettent à penser qu’on a eu besoin d’eux pour mourir.
Non mon frère, tu nous mettras dans une situation honteuse, tu jetterais la
honte sur tous ceux qui savent qu’on est innocents, mais fais comme tu
l’entends : devant la mort chacun a le droit de disposer de ce que le temps
lui laisse  : on ne peut pas forcer les gens à être des héros. Tu réfléchis
encore : puis tu décides d’écrire : « Monsieur le Président, c’est un mort qui
vous parle, les morts ne savent pas quelle langue ils parlent et ils n’ont pas
d’autres formules de politesse que leur odeur de mort, et puis c’est horrible
de mourir parce que les gens vous le demandent, mais là n’est plus la
question, nous avons en très peu de temps bien appris notre métier de mort ;
vous qui n’êtes pas le président des morts mais celui des vivants, je vous
prie de lire mon souffle jusqu’au bout. Cela vous permettrait de réaliser
pourquoi vous devez non pas pardonner mais faire justice ; la mort ne nous
est pas douloureuse à nous autres ordures déjà classées, c’est à peine si l’on
perçoit sa touche, par ailleurs, j’ai tellement parlé dans mes livres, dans mes
conférences, pendant mon petit mandat et à cette heure je devrais me taire,
mais c’est ici une autre parole que je prends, oui, monsieur le Président,
vous vous apercevrez que c’est la parole des morts que je prends. J’ai
toujours parlé d’amour, de fraternité, de compréhension… aujourd’hui je
réalise que ces choses-là ne se parlent pas, qu’elles se pratiquent un point
c’est tout. Maintenant, monsieur le Président, il est question de nous, nous
et l’état honteux (entendez état condition) où nous sommes. C’est le pays, le
continent, la race et enfin l’homme noir qui parlent en moi. L’homme noir
et l’homme tout court, l’homme en lutte éternelle contre sa barbarie
naturelle, l’homme amoureux de sa dimension, il faut l’écouter sans idées
préconçues. Vous savez ce que les racistes ont mis à notre compte dans
l’affaire des gestions humanitaires : le Noir est paraît-il fait pour bouger pas
pour appréhender. Et cette accusation est historiquement grave. Nous avons
été précipités dans une situation historique totalement honteuse. Pour nous
il s’agit de relever le défi. Seule notre pratique de l’existence donnera tort
ou raison au préjugé. L’équivoque, monsieur le Président ! Notre devoir le
plus sacré est celui de lever l’équivoque avant que l’équivoque ne nous
bouffe. Nous sommes entrés dans l’histoire sur une sorte de mal jeté, je n’ai
plus le temps de demander quelle image nous avons de nos propres
minorités pendant que nous condamnons les minorités blanches, je n’ai plus
le temps de demander quelle image nous avons de nos propres casques
pendant que nous enterrons le casque colonial, je n’ai plus le temps de
regarder quelle curieuse gestion nous faisons de la liberté, même si la
définition est simple : est humain celui-là qui sait gérer sa liberté. Or en ce
moment il n’est plus besoin que je respire pour être vivant, je tiens à
rappeler que nous avons condamné la mort de Malcolm  X…, nous avons
condamné la mort de Lumumba et celle de Biko, pendant que nous
applaudissons l’assassinat de Yambo. Qui a appris la moindre vérité sur
cette mort, à part mes amis et un certain Maître Rognons, qui saura oui, qui
saura que Yambo a été assassiné  ? La torture, monsieur le Président, la
torture est-elle révolutionnaire  ? L’inhumanité serait-elle humanitaire  ?
Evidemment, la radio nationale qui prend notre peuple pour quarante
millions de bambins a simplement annoncé que Yambo s’est suicidé dans sa
cellule, mais moi qui ai vu, mes frères qui ont vu, nous avons horreur de la
radio nationale. La grande question est maintenant la suivante : si nous ne
pouvons rien contre la chute de l’humain, pendant combien de temps
tiendrons-nous encore humains  ? Pourquoi condamner l’Afrique qui tue
Steve pour libérer celle qui tue Yambo ? Dois-je conclure que la liberté ne
vaut plus la chandelle  ? que l’homme noir n’était qu’un faux problème  ?
auquel cas la traite devient un faux problème, et chapeau Hitler et Pizarro,
chapeau Auschwitz et Hiroshima. Mais Yambo en mourant m’a enseigné à
penser le contraire  : je crois en la liberté, en tant que sommet du rêve
humain, en tant que condition fondamentale du progrès, de la paix et du
bonheur. Ne faisons pas de la liberté un piège à cons, ne faisons pas du
respect de la viande humaine une farce, ce faisant, nous applaudirions
Pizarro et Hitler. Mais je sais monsieur le Président que vous n’êtes ni
Hitler ni Pizarro, je sais que vous êtes contre le sacrilège d’Hiroshima, je
sais que vous condamnez Auschwitz. Yambo a été assassiné  : je sais que
vous chercherez ses assassins et que vous les poursuivrez, je plaide ici la
cause de tous ceux qui sont morts torturés, convaincu que la barbarie ne
sera jamais humanitaire, convaincu que Pizarro n’était pas humain. Nous
les Noirs avons été historiquement baptisés à l’injure ; nous avons plus que
les autres des raisons d’être humains, nous devons non pas seulement
respirer mais fonctionner, fonctionner pour faire fonctionner cette race de
crocodiles venus dans l’Histoire avec des écailles de honte. La force des
choses, qui ne sait pas que nous sommes les enfants de la force des choses,
menés à la marque par le préjugé. Si d’autre part, vous ne vous résolvez pas
à mettre de la lumière sur l’assassinat de Yambo, les gens prendront la
honteuse coutume de tuer impunément. Et je n’ai pas voulu aborder,
monsieur le Président, mon frère, le problème clé du… » écoutez les amis,
Cataeno Pablo a demandé la grâce pour tout le monde ; déchirez-moi ça dit
Zenouca, mais non dit Lansa Marta, lisons voir, nous verrons si on peut pas
laisser ça comme cadeau à sa hernie. Junitas lit les quinze pages, les autres
écoutent attentivement. Certains ont aimé pas d’autres, et écoutez les
enfants nous allons passer la chose au vote pour jouir une dernière fois de
notre liberté, si le résultat est négatif, nous déchirons la foutaise, au cas
contraire nous la signons tous pour lui donner un certain poids, vous
comprenez, les morts ne se déchirent pas comme les vivants  ; et le vote
commence  : dix-neuf voix pour, onze abstentions, neuf contre, on peut
estimer que le pour gagne, et Lansa Marta fait signer la lettre à tout le
monde. Le numéro seize signe sans cacher son mécontentement ; ces gens
des environs du lac ont une si haute opinion de l’honneur, ils disent que la
promesse est un cœur. Et nous envoyons la lettre. Tu crois qu’on l’aura,
demande Junitas à son aîné Lansio, et Lansio explose  : je n’en ai plus
besoin, ils m’ont déjà tué, ils m’ont cassé les couilles. Et Agoranti, qu’est-
ce que tu feras s’ils nous la donnent ? J’irai dans le Nord, c’est plus calme,
je choisirai un endroit paisible pour planter le maïs, je déchirerai les
licences de leurs mamans, mais pourquoi tu ne choisirais pas la montagne,
le maïs pousse bien dans les montagnes ; je n’aime pas la montagne, c’est
trop ample pour mon petit corps. Le pasteur s’est abstenu du vote mais il
signe la lettre, il a dit en signant, je ne crois plus en la vie, cette vie ! Quelle
heure pensez-vous qu’il est  ? Quatre heures quarante  ; encore vingt
minutes, c’est pas long vingt minutes, et Junitas dit : restent vingt siècles,
nous ferons un trou sinistre dans la matière, vide imagé qui vrombit pour les
siècles des siècles, et il vomit des noms  : Oudramani Motès  ; Larbacho,
Louvoursak, Pedro Mandezo, Henri de Salmata, Patani, Goya  : c’est des
ancêtres à moi ; je m’en vais les revoir.
— Nous avons le président que nous méritons, disaient ceux de ma tribu.
C’était à l’époque où nous construisions le village du pouvoir à l’endroit
exact où Maman Nationale a enterré mon placenta. J’en ai marre avec l’air
pourri d’ici. J’en ai marre avec tous ces gens de maman qui commencent à
se tromper de président. Il avait fait avaler trois douzaines de savons de
toilette à notre frère Digomar parce que tu commences à te tromper de
président. Il avait craché une bonne dose de sa salive pimentée sur le Haut
Commandement de ma hernie qui ne semble plus penser que malgré tout, le
président c’est moi  ; et ma foi, il faut que je vous le dise par tous les
moyens. Il avait donné des fessées au ministre des Pourparlers parce que le
président c’est moi. Il avait demandé au ministre des Médias de se mettre à
genoux, là, devant mon peuple et ma hernie parce que tu n’as pas l’air de
savoir qui est le chef ici. Il avait flanqué un bouillon de crabes au ministre
du pays de mon collègue qui n’arrivera jamais à comprendre qu’après tout
nous sommes tous des présidents, au cours d’un dîner officiel il avait lancé
un pot de mayonnaise au directeur du protocole mais, le singe ayant
esquivé, la mayonnaise est allée à la figure de mon hôte quel malheur. La
pauvre face présidentielle de Nicolas Laroux Bissi, je vous demande
pardon, là, à la manière des ancêtres, pardon pour de bon  ! prends le
directeur de protocole et emporte-le chez toi comme prisonnier politique, en
tout cas tu en fais ce que tu veux, parce que mon frère, c’est le drame ici :
des emmerdeurs nous en avons à revendre. Il avait jeté son pot de chambre
avec tous les brouillons de mes fouilles où je cherche la pièce de Merline
prenez-moi ça à la figure prenez-le avec mes ascaris et consorts, colonel de
mon pipi et je te fais opérer pour voir si tu n’as pas avalé ce brouillon de
tract ; il avait fait opérer ses quatre-vingt-treize secrétaires pour la même et
unique raison, pour la même raison, toi, Toussia nationale viens que je te
fouille et il l’avait fouillée à fond, jusqu’à lui sortir un morceau d’intestin
par le vagin. Mais il se vantait toujours de ses trente-sept ans de pouvoir où
je n’ai pas tué une fourmi.
Il vint présenter à l’ex-femme de Yambo-Yambi les beaux poèmes que
ma hernie a écrits en ton honneur.
Laisse-moi devenir
la bête
qui sait succomber
dans le murmure des choses
laisse-moi devenir terre de rappel.
Laisse-moi t’aimer de cette manière kaki. Il lui parle de maman qui est
devenue folle par la faute de la patrie, mais cette terre donne sur mon cœur,
je l’aime ainsi que je me suis mis à t’aimer. Notre frère Issa Traba vient lui
dire : monsieur le Président, la Cornedia de la Outa va mourir si vous nous
prenez cette fille.
—  D’accord, vous serez maintenant la troupe nationale. Sachez que le
président est un mammifère comme tous les autres.
C’est à cette époque que Vauban et lui, vêtus en Arabes, vinrent dans le
quartier des pauvres, à pied, ils ont demandé dans tout le quartier : où est la
maison de Cataeno Pablo ? Nous ne savons pas monsieur. Ils la posent au
groupe de gosses qui jouent dans une mare formée par la pluie de ce matin :
« Nous ne savons pas messieurs. » Nous ne savons pas monsieur, répondent
les petites filles qui, assises dans le sable se montrent leur sexe. Et tu vois,
Vauban, même à cet âge-là elles retournent l’ustensile de procréation. Il leur
sourit mais les petites détalent  : leurs parents ont dû leur dire que les
marchands arabes vendent les filles. Elles s’éloignent en criant  : nous ne
savons pas monsieur, nous ne savons pas monsieur. Et lui se gratte la
hernie : qu’est-ce qu’elles sont belles. Ils posent la question aux femmes qui
lavent dans le torrent de Traorio Baba Issa mais nous on ne sait pas
monsieur. Il la pose à celle qui lave la vaisselle en amont mais je ne sais pas
monsieur. Ils la posent aux groupes d’hommes qui se baignent dans cette
eau pourrie, nous ne savons pas messieurs. Vauban roule des yeux
gourmands quelles belles poupes  ! Il avale une lourde salive quels corps
indicibles ! Ils la posent à la dame qui récolte les arachides plantées dans la
concession : je ne sais pas… Et pourtant on m’a bien dit que c’était dans ce
bidonville-ci. Le poids qu’ils portent les empêche d’aller plus loin, et
d’accord, nous reviendrons demain. Le lendemain ils reviennent la poser à
tout le quartier : je ne sais pas monsieur. Il donne trois mille coustrani : où
est cette maison  ? Vous tournez à droite, puis deux fois à gauche, vous
verrez un grand palmier au bord du lac, prenez à droite, gardez la droite
jusqu’au tas de fumier au milieu de la rue, vous verrez une mare, enlevez
vos pantalons parce que l’eau vous arrivera au nombril, vous prendrez à
gauche jusqu’à l’arbre à pain, vous verrez une case en construction, vous
trouverez bien quelqu’un pour vous indiquer l’endroit que vous cherchez,
mais qui êtes-vous ? que lui voulez-vous ?
— On est des amis.
Ils arrivent à la case en construction et posent la question à la jeune fille
qui prépare sa classe de chimie : où est la case de Cataeno Pablo ?
— Il n’y a pas de Cataeno Pablo dans notre quartier.
Il donne cinquante coustrani mais monsieur il n’y a pas un homme de ce
nom dans les environs. Ils marchent et la posent à un groupe de femmes qui
parlent de pagnes et de maris en se tressant les cheveux.
— Où est la maison de Cataeno Pablo ?
— En face de vous messieurs.
— Ouf !
Ils trouvent son cuisinier et lui posent la question  : où est Cataeno
Pablo ?
— Il fait la sieste monsieur. Si vous voulez attendre.
— Je ne peux pas attendre, réveillez-le.
— Il va hurler monsieur.
— Réveille-le : je suis le président.
Et on te réveille. Tu viens devant sa hernie. Tu te frottes les yeux. Et
Cataeno Pablo  : on m’a dit que tu aimes ma femme. Et elle prétend que
c’est toi qu’elle aime. Je ne comprends pas. Je l’ai quand même prise à
Yambo-Yambi devant toi. Et tu étais quand même là quand je suis allé
donner tous les vins à son père. Tu veux te mesurer à ma hernie ? d’accord :
comme tu voudras. Prends-le Vauban : nous serons mieux au palais. Alors
que moi pour ce faire je dois donner la voiture et la villa, tu oses te faire
aimer sans peine, qu’est-ce que tu as de plus que moi ? Mais je crois que tu
seras mieux au palais.
Narka mon perroquet chante l’hymne national. Pour rendre hommage à
cette bête, Moupourtanka sera sacré « Bête Nationale ». Notre frère Armane
Suaze a dit : « Monsieur le Président c’est un comble. » Mais comment, tu
oses critiquer la décision de ma hernie ? Il a écrit quarante-quatre pages de
documents pour montrer que votre hernie se trompe ah qu’on le pende, j’en
ai marre qu’on laisse son cadavre au bout de la corde jusqu’à sa
décomposition totale que mon peuple voit comment finissent ses ennemis.
Rodriguez Lopez Lavouza aussi sera pendu pour la même raison.
Monseigneur Mallavra aussi et vous enverrez son corps au père de la nation
de Jésus-Christ pour qu’il voie comment les siens sont nourris.
— Oui monsieur le Président.
Vous fermerez tous les couvents et consorts, vous me mettrez toutes les
bonnes sœurs dans l’armée au grade de caporal, dans l’armée toute la
curaille au grade de sergent. Qu’ils apprennent à manier ma palilalie au lieu
de dormir à longueur de journée. Plus de bla-bla-bla.
Il eut quatorze malles de messages de soutien, et voici la vraie littérature
nationale, plus question d’écrire des conneries.
— Oui monsieur le Président.
Il faut hurler avec les loups ah quelle honte. Mais notre frère Jolango qui
voulait laisser le pays aux enfants des enfants de nos enfants vient poser
mes félicitations monsieur le Président sur la table, en se pliant en deux. Il a
les yeux rouges de honte. Mais mes félicitations  ! La sueur mouille son
habit. Mais il faut hurler avec les loups. Mon ex-femme qui voulait laisser
le pays aux enfants des enfants de sa mère est venue, suivie de tous les
démissionnaires de ma honte, dans l’ordre inverse cette fois. Non
messieurs, non mesdames  : on ne peut pas changer d’Afrique comme on
change de femme. Mon général Dordobanni, et Fentas Manu, Giovanno
Lansa, Vansio Fernadez… nos félicitations monsieur le Président. Ils ont
tous apporté des cadeaux à Moupourtanka national, Bête de la patrie, et à
maman.
Vêtu comme un prince, l’animal respirait lourdement, là, dans sa cage de
fonction, au milieu de l’or et des diamants. Nous pensions qu’il vivrait deux
siècles, tant il était sain, auguste, royal. En ce jour voulu, il devait se
rappeler les collines d’Espagne où il avait sa souche maternelle, ou peut-
être le village de Loupiac. Monsieur Jean Perrier qui fit son curriculum
vitae parla de Loupiac de l’Auvergne où la bête passa son enfance, ce pays
où l’Europe marchait comme l’Afrique. Il parla de Florence Mensah qui a
vu grandir la bête, qui m’a reçu comme on reçoit en Afrique, et nous avons
passé six jours ensemble comme on les passe en Afrique, dans la magie des
clochettes de vaches, des vieux m’ont parlé de leurs hémorroïdes comme on
en parle en Afrique. Nous n’attendions plus que l’ex-cardinal Marcinni je
ne comprends pas pour quelle raison il croit que je dois lui faire la cour, à
son âge, et je ne suis pas Vauban, moi.
— Monsieur le Président, il refuse.
Sa maman a bien couché avec Mussolini pour donner un cardinal et s’il
ne veut pas faire les frais de ma colère qu’il vienne me bénir la bête. Il
connaît la devise ou pas : qu’il vienne hurler avec nous, même s’il ne pense
pas comme ma hernie.
— Mais il refuse monsieur le Président.
— D’accord, qu’on m’apporte ses bourses.
Et voici le cardinal Marcinni. Fusillez-le. Et lui crie : « Seigneur je meurs
face à cette honte.  » Onze chargeurs dans l’aine et il tombe comme une
masse de plomb dans son propre sang. Yosuah national sacre la bête. Puis
viennent comme toujours les grandes bouffes, les grandes danses où ils
dansent les danses de mon peuple. Une violente pluie se met à tomber. Mais
on reste, la fête continue, on n’est pas du sel. Si Dieu nous provoque, on
tiendra. Pendant trois jours et trois nuits ils boivent et mangent et dansent
dans la flotte. Pas question de céder. Ils ont l’eau aux chevilles, puis ils l’ont
aux cuisses mais pas question de céder  : ils dansent dans ces mares, ceux
qui glissent et tombent prennent la boue de mon peuple. Il maudit et
remaudit cette pluie. Mais vous les regardez qui dansent  : des
ambassadeurs, des conseillers culturels, le Haut Commandement, mon
peuple. Ils dansent dans cette boue. Les Amérindiens à qui je refuserai le
pétrole de ma hernie s’ils bronchent, les Flamands que je mettrai hors du
parc s’ils bronchent… les Russes, les Japonais, les gens du pays de mon
collègue… ils dansent la danse du siècle, la danse du cheval… danse
nationale. Et vous du pays de mon collègue que j’ai fait parrain de
Moupourtanka. Ils mangent et dansent jusqu’à cette minute, maman je suis
mort, où le colonel Tuenso a tiré sur la bête et s’est enfui en criant vive la
patrie  ! Il est parti avec trois jeeps, ils ont tiré sur la foule et sur mes
tirailleurs en criant vive la patrie. Ils prennent la direction de la Rouviera
Ourta.
— Mon colonel ils ont enlevé Maman Nationale et cette fille.
Colonel Tuenso, tu me bouffes la braguette, mais ton jour viendra et tu
paieras. En attendant je la ferme à ton frère, à ta mère et à tous les tiens
parce que l’infraction est héréditaire chez nous. Et sur décision verticale de
ma hernie : je cesse d’être un bon président, tant pis pour vous.
Tu comprends Carvanso ? Quand tu vois des merdes humaines qui vont
forniquer avec ta mère, qui vont baiser son pauvre cœur de vieille, qui vont
baiser ses nerfs de folle, comment peux-tu ne pas penser que le monde est
méchant ? Et il pleurait mon cheval national ma pauvre bête morte pour la
nation, le monde est méchant Carvanso parce que tous oui tous sauf lui
mon-colonel Tuenzo que j’ai ramassé dans la rue, je l’ai lavé, parfumé,
séché au soleil de mon nom, je l’ai bien repassé, j’ai dû souffler dans ses
poumons pour les gonfler, il ne savait même pas mâcher la vie, j’ai tout mis
entre ses dents de mon malheur, j’ai donné le mouvement à ses mâchoires,
la bonne vitesse, et lui n’avait plus qu’à croquer mais tu vois comment il me
remercie, le monde est méchant Carvanso, tout le monde sauf lui quand
même, mais tu dois connaître le proverbe de maman  : le doigt que tu
soignes, c’est peut-être avec celui-là qu’on appuiera sur la détente pour te
tuer… Et il pleure sur le monde qui est méchant, il pleure parce que je
commence à croire en l’existence du péché… Dieu a raison : les hommes
c’est juste bon pour le feu, le feu en des siècles des siècles, il la roule ! Dieu
a raison : il faut le Jugement, parce que ma hernie ne comprend pas que tu
les mettes au monde et que maman ils se foutent à nommer le sexe de ta
mère, qu’ils se foutent à nommer les jambes de ton père ah je brûle ma
palilalie à vous aimer et voici quelle réponse de chien vous faites à mes
entrailles, quelle réponse de chien vous faites à mes intentions de père.
Quelle sale marque de viande nous sommes, sans moi qui ai obligé tous les
commerçants et consorts à acheter des exemplaires de mon portrait quel
argent vous auriez dans les caisses de la nation en ce moment, sans moi qui
les ai obligés à acheter le portrait de Maman Nationale au prix que vous
connaissez, sans ma hernie qui est forte dans l’art de fermer les yeux,
qu’est-ce que vous auriez dans les caisses du pays ?
*
*     *
Il sauta de son lit et où est ce télégramme que je le fasse voir à ma hernie,
le pape sous ma hernie ah quel bonheur, le pape, le père de la nation de
Jésus-Christ, qu’il vienne mais nom de Dieu qu’il vienne voir de ses
propres yeux, et il descendit dans la ville pour voir ceux de la voirie qui
bouchaient les trous, qui enlevaient les immondices au milieu des rues, qui
séchaient les marigots formés par les dernières tornades, et enterrez-moi ce
chien, parce qu’il ne faut pas que le père de la nation de Jésus-Christ nous
prenne pour des vauriens, enlevez ce poulet mort, enlevez cette ferraille,
enlevez ceci, creusez ici, bouchez par là, et ordre de ma hernie, pour que le
père de la maison des chrétiens ne nous prenne pas pour les derniers des
vauriens, il arpentait la capitale du nord au sud, de l’ouest à l’est toujours
suivi de mon confrère national Vauban de ma confiance, ordre de ma
hernie : peignez les cases en blanc, les toits rouges le reste blanc, montrons
que nous sommes un peuple fait, et pour préparer l’arrivée du père de la
nation du Paradis il commanda des chevaux tout blancs, cinq cents
Mercedes huit portières, cinq cents Tag trois portières, il faut sauver la face
même si ma hernie n’a plus d’argent, qu’est-ce que nous deviendrons si le
père de la nation des Chrétiens nous prend pour des zéros ? il fit venir les
journalistes à l’hôtel des Carillons, et mesdames et messieurs posez-moi
toutes les questions possibles sur le fonctionnement de ma hernie, sur le
fonctionnement des ministres et sur le fonctionnement de mon peuple, en ce
moment précis où nous préparons la venue du père de la nation des prieurs,
allez ouste, la parole est à vous… et monsieur le Président colonel national
que pensez-vous des droits de l’homme ? ah ah c’est une bonne question je
réponds : le premier droit de l’homme c’est sa hernie, parce que mesdames
et messieurs c’est une honte mais c’est la vérité, ce n’est pas pour rigoler
que mon emblème c’est la braguette, croyez-moi sur parole : c’est la hernie
qui fait l’homme, et ne tombez pas dans le piège : quand le Blanc parle de
l’homme c’est sa hernie qu’il regarde, ne vous y trompez donc pas… votre
pouvoir de merde que je viens de prendre, regardez comme il est cousu de
roupettes  ; et je crois avoir répondu à cette question, posez-en une autre
monsieur Lopez national… il l’interrompt pour lui dire, cher commis,
appelez-moi comme les vraies gens m’appellent ou bien foutez le camp de
mon pays, enlevez vos mains de vos poches ah vous avez l’air d’être fier
d’être blanc, mais ma hernie vous rit au visage, parce que le mérite du
Blanc c’est d’avoir foutu le monde par terre… et cette question n’est pas
très bonne, qu’on m’en pose une autre ; monsieur le Président ah ah que ça
ne soit pas les mêmes qui parlent, toi pose une question, monsieur le
Président pourquoi le pape  ? c’est une bonne question, je réponds  : parce
que lui au moins ne mange pas la main qu’on lui donne, le pape est un bon
président, il n’y a pas sur cette terre meilleur président que lui croyez-moi,
pensez donc que Tonso national s’était donné aux Russes et que les Russes
l’ont bouffé, et Matos national qui s’était confié aux Amérindiens et les
Amérindiens n’ont pas hésité une seule seconde à le bouffer, et Juarioni qui
s’est foutu ustensile des Français mais que les Français ont bouffé, moi je
suis instrument de mon peuple un point un trait, je ne suis pas Dartanio
Diaz qui a passé un morceau de sa calvitie aux citoyens de la
Flamandchourie et pauvre Dartanio Diaz Dieu ait son âme ! et il fait signe à
Vauban de ma mère, regarde cette fille, regarde donc si elle est belle, belle
comme quatre ; et Vauban prépare ses griffes d’officier de proie, je la veux
ce soir, à vos ordres, je la veux toute fraîche et sans égratignures, à vos
ordres ! pas de connerie et oui mon colonel national, ah tu vois Vauban, à
quelque chose malheur est bon, je n’aime pas leurs questions mais quand ils
sont là, il y en a toujours une belle comme quatre, qui attise mon sang qui
actionne ma palilalie, eh  ! Vauban national, cette bête (il montre sa
roupette) cette sale bête c’est notre prochain cœur figure-toi ! et il désigne
Edouardo Maunicka du journal Demain ma hernie pose ta question, oui
monsieur le Président comment voyez-vous la situation financière… ah je
me le disais, arrête, c’est une mauvaise question… l’économie est une
mixture préparée depuis la Flamandchourie, que voulez-vous que ma hernie
y fasse ? et monsieur le Président on dit que vous avez acheté des châteaux
en Europe  ? ah ça m’intéresse, question d’espace, les Flamands ont des
terres sous ma hernie, il faut bien des gens pour les avoir chez eux, et
monsieur le Président que pensez-vous de la peine de mort ? beaucoup de
bien mon vieux, vous ne lisez pas la Bible ? en tout cas la peine de mort fut
découverte par Dieu qui y condamna Adam et sa concubine comment on
l’appelait déjà  ? d’ailleurs la peine de mort c’est pour les femmes, nous
l’avons remplacée quant à nous par la peine du mâle ou peine de hernie,
plus raffinée, plus humaine, et qui fait du boucan, parce que notre
civilisation est une civilisation de boucan, le monde moderne c’est d’abord
et avant tout le boucan  ; posez toutes les questions, c’est la démocratie je
répondrai… et monsieur le Président qui a tué Tarsansio Ahendio ? ah ça je
ne sais pas très bien : la bilharzie ou la malnutrition, bref ne nous inquiétons
pas pour nos copains les morts : il y a encore assez de vivants. Monsieur le
Président que signifient les cadeaux que vous faites aux pays riches ?
— D’accord. J’attendais cette question. Je donne au pays de Vauban pour
montrer que moi aussi j’ai des mains. La main est un engin de politesse
contrairement au cœur et à la roupette qui sont des ustensiles de politique.
La main ne pense pas : elle bouge.
Il repartit boucher les trous dans les rues, vider les marigots, ramasser les
poules mortes, en attendant la venue du père de la nation de Jésus-Christ.
Mais le jour même de l’arrivée du pape dans notre capitale, à l’heure du
dîner, pendant que lui dansait avec le père de la nation des chrétiens et lui
montrait les pas de danse de chez nous pas comme ça monsieur
Monseigneur mais comme ceci la poupe haute et les cuisses intelligibles,
pendant qu’il riait son rire historique parce que monsieur Monseigneur vous
avez la tête dure et vous devriez être léger de la croupe, notre frère
Carvanso, au moment du service proposé à Sa Sainteté, avait enlevé le
drapeau national qui cachait un méchoui et nous nous levâmes tous en
criant : Diable !
Il y avait sur le grand plat les deux jambes et la tête de Maman Nationale.
Les jambes étaient croisées et dans les orbites vidées étaient enfoncés deux
gros poivres rouges et sur un morceau de carton écrit à l’encre rouge on
lisait : « Qui se sert de sa hernie périra par sa hernie. » Lopez regarda les
morceaux et pleura.
— C’est honteux la mort.
Alors commencèrent à venir de tous les coins de la nation de longues
sommes de larmes, en mètres cubes, si tu pouvais voir maman si tu pouvais
voir comment ton peuple t’aime mais c’est honteux la mort. La morve
mouillait son éternel complet de jean où est peinte la boue de mon peuple,
ses yeux étaient tout rouges. Foutez-moi la paix avec vos larmes de
crocodile. Il renversa les huit cent onze mètres cubes de larmes cotisés par
la patrie, les trente mètres cubes versés par les pays amis, les soixante-
quinze versés par les ambassadeurs et consorts, les quinze versés par mes
femmes foutez-moi la paix avec vos larmes de crocodile, il donna un grand
coup de pied à la sainte quantité versée par le pape, il renversa les seize
tonneaux don de ceux de ma tribu. Elle vous a tous aimés et voyez
comment vous la remerciez. Et vêtu de cette colère, comme au temps où
nous le vîmes traverser la rue Tarvanso, et disant à haute voix  : Votre
Cataeno Pablo, je le fais héros de la nation, votre Vermoz Diaz, je le fais
héros de la nation, votre Yambo-Yambi, je le fais ministre du Peuple,
comme votre Jango Sunn, monsieur le Président ajoutez-lui les Finances,
d’accord, ajoutez-lui la Justice, d’accord, ajoutez-lui la Défense, ça vous
pouvez courir ! la Défense appartient à Vauban. Il se coupe la main droite et
se crève l’œil gauche en signe de deuil. Et vous verrez quel monstre je serai
maintenant. Tant pis pour vous  : vous me boufferez comme vous m’avez
foutu.
Le soleil se couche sur mon village de fonction, il tombe une petite pluie,
qui mouille délicieusement l’imperméable de mes tirailleurs de garde, ce ne
sont pas des hommes de beurre mes gars, ils savent me protéger, ils
comprennent les besoins du pays, ils se sont souvent fait tuer pour moi, et je
te remercie feu Raondo Hugo ex-commandant de ma hernie, enfant de la
patrie, héros national, mort avec les quinze balles qu’ils m’avaient
destinées. Je te remercie feu Taranos Pourtanso, enfant de la nation,
commandeur de l’ordre de ma palilalie, mort avec les tessons de la bombe
qu’ils m’avaient destinée. Je te remercie feu mon oncle qui a encaissé la
charge de grenade lancée sur ma hernie, Dieu ait leurs âmes, Dieu ait l’âme
de ma petite Polonaise Potiask… Maman  ! Je ne sais pas comment ils
prononcent leur barbarie polonaise. Mais Carvanso vient lui rappeler que
monsieur le Président c’est aujourd’hui l’audition du traître Sarmazo
Yarmouna qui a jeté des tracts dans votre palilalie, aujourd’hui, à huis clos
dans la salle des audiences du palais, mais il dit non Carvanso, j’ai changé
de décision, à cause des journalistes de maman qui n’arrivent pas à
comprendre les aspirations de ma hernie, les choses ne se feront plus à huis
clos nous sommes au siècle du dépouillement, nous sommes la génération
du noir sur blanc, pas de huis clos dans ma hernie, nous l’entendrons
demain au vu et au su des journalistes, au vu et au su de la télévision, parce
que nous sommes au siècle de la lumière, et il roule délicieusement le
négatif de ma hernie, en la prenant par le fond, il en caresse la base, et
monte ce miasme immonde qu’elle a toujours exhalé, avec l’amour de mon
peuple qui la coince, qui me coince les tripes, Carvanso national dit  :
Monsieur le Président ce n’est pas prudent, Sarmazo est un effronté, il
cherchera à nous ridiculiser, il profitera de votre bonté pour vous jeter sa
viande à la figure, et il le fera, s’il a l’occasion de parler pendant cinq
minutes, il fera sauter la nation, il jettera les gens dans les rues, ne prenons
pas ce risque-là monsieur le Président ; mais Carvanso, mon fils, le pouvoir
se nourrit de risque, et qu’il parle, au nom de la démocratie, parce que mon
frère Carvanso tu ne peux pas faire un pays où les gens la ferment,
convoque le Conseil de la nation, convoque les ambassadeurs, convoque les
journalistes, pour demain à huit heures et bonne nuit Carvanso, laisse-moi
prendre ma ration de moutarde. Il mange sa moutarde avec beaucoup de
piments comme de coutume, il boit ses doses à l’aubergine, il fait sa courte
prière qui en définitive n’est qu’un soupir : « mon Dieu, est-ce toi qui m’as
fait kaki » et il se jette sur ma petite du pays de mon collègue, il l’embrasse
avec la seule vraie main qui me reste, regarde son corps « blanc de monde »
avec le seul vrai œil qui me reste, avant de lui servir le «  jaune de ma
hernie  » au milieu des battements de cette chair orageuse qui devient
tumulte, avec l’odeur de ma sueur présidentielle, mêlée aux odeurs de la
nuit de chez moi, il lui sert le jaune de mon cœur tropical au fond de cet
amour que tu connais ma fille, mon enfant, ma petite Blanche qui hélas
n’arrivera jamais à valoir deux Noires dans ces choses-là, parce qu’ici les
couilles on les fabrique depuis l’enfance, on les prévoit, et pendant que la
maman du Pays de mon Collègue les aplatit à sa fille, nos mamans les
arrondissent, les cernent, c’est ainsi ma fille que les Blanches sont plates
tandis que les Noires sont rondes. Son visage disparaît dans les cheveux de
ma fille sois bonne pour ton papa, sois tendre, molle, mousseuse, sois
« picassoesque », fais pas comme ces filia da puta qui viennent pêcher les
coustrani dans ma hernie, il lui raconte cette vieille histoire de ma palilalie,
il lui parle de l’ex-untel que tu dois connaître, l’ex-untel qui a cherché
toutes les Blanches de ce pays, il lui parle de feu Magloire de Lantana que
je trouve un jour au fond de ma hernie, je lui demande pourquoi il s’est
trompé de cette sale manière, il dit : monsieur le Président je vous demande
pardon. Mais il n’y a pas de pardon dans l’affaire des braguettes : à chacun
sa paire  ; il se revoit corps et hernie devant le Conseil de la nation au
complet  ; prend tous les exemples historiques qui dorment au fond de ma
palilalie, avant d’entendre cette fripouille qui ne comprend pas que je ne
suis pas Jancio Marti qui jetait la moitié du Trésor public dans les fêtes et
Carvanso je vais passer à la télévision pour expliquer à mon peuple pour
quelles raisons je ne peux laisser Darvanzo Manuel siffler la nation, mais
Carvanso national lui dit que monsieur le Président ce n’est pas prudent. Tu
as peut-être raison Carvanso, mais je suis un bon président et je dois faire ce
que mon peuple aime, c’est mon devoir, c’est ma vie, et il la roule de cette
délicieuse manière, mon frère Carvanso, nous devons donner une leçon à
nos ennemis, une leçon de liberté, une leçon de compréhension, on ne peut
pas faire ce qu’a fait Luis de Lamoundia qui prenait la nation pour les
jambes de sa mère, et, devant la presse nationale, devant la presse
internationale qui n’a jamais cessé de me sucer, il la roule sur mon désir de
donner au monde une leçon de démocratie, il la roule devant ces engins et
ces ustensiles de télévision, de cette manière, tandis qu’elle dégage ce
miasme amer et cette sève gluante ; mon frère national Carvanso vient lire
l’acte d’accusation parce qu’il faut me le juger comme on juge les traîtres
chez nous, il faut me le cuire comme on cuit les traîtres chez nous, et
Sarmazo passez devant la barre, jurez de dire la vérité, rien que la vérité.
Sarmazo sourit au lieu de jurer. En voici un qui va se heurter à ma hernie.
Mais Sarmazo sourit, digne, et lui le regarde, il murmure au représentant du
pays de mon collègue : Tu vois comme les gens sont moches chez moi ? il
fait un signe des yeux à l’avocat de la défense, il souffle à mon frère que
j’aime appeler Vauban que le drame ici c’est que les gens prennent le
président pour leur maman, parce que comment pourriez-vous expliquer,
cher ami, qu’un homme qui s’est mis à vous mâcher la hernie se mette à se
marrer quand vous lui demandez des comptes. Mais Sarmazo dit que
monsieur le Président il faut grandir, il se retourne vers les membres du
gouvernement et dit  : messieurs il faut grandir, il se retourne vers les
diplomates et messieurs il faut grandir, il dit aux journalistes que messieurs
il faut grandir, une grande explosion d’ovations envahit tous les quartiers,
des foules incontrôlables se sont formées et sont venues à l’assaut du Palais
de la nation où se tiennent les audiences, tout le monde chante : messieurs il
faut grandir, et lui croit que c’est la fin de ma hernie. Trois jours et trois
nuits qu’ils assiègent le Palais de la nation en chantant messieurs il faut
grandir, une grande aile de l’armée s’est jointe à ces nullards qui conspuent
les institutions et la légalité, qui font bouillir ma hernie, mais monsieur le
Président il faut grandir, il leur parle au micro, il appelle au calme et à la
sagesse, traditions séculaires de notre peuple, mais monsieur le Président il
faut grandir, il téléphone à mon collègue  : ma hernie est en danger, la
légalité est en danger, et mon collègue même hernie lui envoie des bérets
verts, qu’il nourrit des cadavres de ces charognards qui se sont foutus de la
légalité, une belle semaine de cadavres, puis le calme revient parmi mon
peuple qui doit comprendre pourquoi je pends Sarmazo, l’opinion
internationale ne comprend pas nos efforts pour sauvegarder l’unité, la
concorde et la paix, que peut-on faire d’un homme qui a pris la nation pour
sa mère, mes frères et chers compatriotes, Sarmazo est une bête féroce,
même sa mère nous a demandé de le pendre, ses enfants nous ont demandé
de le pendre, sa femme nous a demandé de le pendre, parce qu’il a jeté la
nation par terre, qu’auriez-vous voulu que nous fassions d’un homme
comme lui  ? Et tout le stade crie  : au poteau  ! oui mon peuple, tu sais
apprécier les choses, tu es un peuple de fer pas un peuple de plomb, et pour
établir que je ne suis pas Maria Lafundia qui s’est barré en Europe avec tout
le Trésor public, mais je suis Lopez national, Lopez aimé, chanté par mon
peuple tout entier, fils de Maman Nationale également aimée et chantée par
le peuple tout entier, nous sommes les enfants du pardon, mais on ne peut
pas pardonner à un Sarmazo, vagabond national qui a traversé ma hernie
dans tous les sens, un Sarmazo comme vous le voyez là, devant vous, singe
de l’Etat, nu comme vous le voyez, et le stade tout entier, sauf le coin qui a
toujours posé des questions, crie au poteau. Oui mon peuple, mais le poteau
c’est pour les barbares, j’ai horreur du sang, j’ai horreur de la mort, donc
pas de peine capitale sur toute l’étendue de la patrie, mais seulement «  la
peine de hernie ». Il descend de son podium, prend le couteau qu’une vierge
lui tend sur un plateau en or, il pose le couteau sur un autre plateau en or,
prend les gants, l’ex-monseigneur Lamizo bénit le couteau, puis lui
s’approche du prisonnier et dit qu’au nom de la révolution et à mon nom
personnel je te sectionne le zizi. Il le lui sectionne d’un seul petit coup sec,
à la base, il lui a coupé quelques crins avec, et le sang lui a jailli à la figure,
madre de dios, tu es une sale marque de mâle tu es un bordel, tu as un sang
pimenté, il se lave la figure dans une cuvette que tient une vierge comme les
autres vêtue de rouge. Il termine la cérémonie et la roule pour établir que la
peine de mort c’est pour les femmes, ce qu’il faut aux hommes c’est la
peine de ma hernie, parce que c’est leur honteuse fonction de mâle qui est à
l’origine de tout, c’est leur hernie qui les pousse à vendre la peau de la
nation. La peine capitale est supprimée aux hommes sur toute l’étendue de
ma palilalie, je la remplace par cette peine nationale. Et depuis, une fois
tous les mois, il vient en ce toujours comble stade Alberto national, donner
la peine de ma hernie à tous ces singes vêtus de crins, des fois ils sont dix,
vingt, trente, cent, et il la leur donne, devant les onze vierges qui suivent la
cérémonie en avalant la salive et les vieilles filles qui ont pitié de ces zizis
qu’on gaspille de cette honteuse manière, et quand tout le stade est parti
certaines femmes en ramassent deux ou trois qu’elles gardent en souvenir,
dans le formol, séchés ou fumés.
— Qu’est-ce que tu es belle !
Pendant trois jours et trois nuits il lui sert les plus belles versions de sa
palilalie et le jus national. Maman qu’est-ce que tu es belle ! Il l’ouvre et la
referme. Il se perd dans ses cheveux d’ici, se met sur ses genoux pour
contempler tes grands yeux d’ici et maman qu’est-ce que tu es belle ! Il lui
montre les sept cent douze plaies faites à ma hernie par les rebelles et les
gens de ma guerre contre le tsarisme d’aujourd’hui. Il la met sur ses épaules
et part dans les rues en lui chantant les chansons de chez nous et l’hymne
national. Il lui chante la Marseillaise et la Brabançonne airs de mon
enfance. Il lui cite les sobriquets que les gosses de chez moi ont donnés à
ma hernie  : Chardon bleu, Amande nationale, Louise-la-Grosse, Anselmo
national, Aubergette, Goulande-Puant-Bleu, Elle-Nationale… Il lui raconte
comment on avait tué mon perroquet national parce qu’il répétait le mot de
passe d’un complot. Il déclare à très haute voix que je me donne à toi corps
et hernie. Tu es belle, tu es chauffée à blanc, tu viendras dans mon pays et je
te ferai maman de la nation. Mais comment te dire mon cœur, tout mon
cœur en un seul mot ? Et ils partent dans les rues, elle sur ses épaules, lui
marchant et chantant la Marseillaise et les chansons de chez nous. Paris ah
Paris. Foch, Champs-Elysées, Clemenceau, Concorde, les Tuilerie, la Seine,
le douzième, Raspail, Montparnasse, Saint-Michel, Paris ah Paris ! Encore
la Seine, le quai des Orfèvres, Notre-Dame. Paris les étrangle. Mais il
marche toujours parce que tu es belle comme personne ne l’a jamais été, tu
es bonne aussi, et il entonne à haute voix la chanson de ma hernie où pour
la première fois, mais alors la vraie première fois, la Blanche peut se vanter
de valoir deux Noires. Et il contemple ce miracle de béton et de feux, Paris
la nuit, nombril insoupçonné du monde. Nuit de noms et d’enseignes,
sorcellerie de noms venus du monde entier, Vincennes, le huitième,
Masséna jusqu’à la porte d’Italie, et toutes ces grappes de noms fous,
juteux, qui lui montrent leur sexe de chose, Gentilly, mais le vrai Paris est
dans ma hernie  : il lui donne à boire l’eau de chez nous. Paris-Ceinture.
Adolphe Pinard. Porte de Versailles, la Seine de Roosevelt, Saint-Cloud,
Boulogne, Neuilly, les gens se retournent pour regarder ce monstre vêtu de
médailles et de boue qui chante et porte sur ses épaules cette très belle fille
aux grands yeux verts, cheveux blonds, peau de noisette, visage ovale,
certains murmurent que c’est le retour de Jeanne d’Arc, quelle belle
monture elle a choisie  ! Mais foutez-moi le camp avec vos ustensiles des
médias  : les vrais vivants d’ici sont les noms, et le sang normal de Paris
c’est la Seine. Foutez-moi la paix avec votre bêtise de tirer la vie par les
cheveux, moi je ne crois pas à votre troisième sexe. Il écarte ces noms
mâles et ces noms femelles  : Garibaldi, Sèvres-Babylone, Emile-Zola, ce
nom sent les hernies de chez moi, Volontaires, Passy, Trocadéro,
République, Nation, Bonne-Nouvelle, Michel-Ange-Molitor, Richelieu-
Drouot ma hernie a raison : les vrais vivants de Paris sont les noms, pendant
que tout le métro écarquille les yeux :
— Qu’est-ce que c’est que ce quart de Blanc qui porte cette blonde ?
— Euh, messieurs, j’ai les mêmes ustensiles de viol que vous.
Ils rentrent au Crillon mon hôtel habituel et trouvent ce message de
Carvanso : « Monsieur le Président le pays est en danger — Stop et fin. » Il
frappe du poing sur la table qui se fend en deux ; la gamine prend peur et
s’envole en caleçon. Mais où vas-tu mon cœur ? Elle descend l’escalier en
quatrième vitesse, toute rouge de peur et de honte mais où vas-tu mon lait ?
Il la poursuit en pyjama, avec son inséparable mallette de billets. Où vas-tu
mon liquide  ? Il se faufile entre les voitures et les insultes des gens qui
nomment le sexe de sa mère. Reviens. Reviens ! Ils arrivent au marché aux
fleurs et alors qu’il allait l’attraper il est tombé et cette vieille chipie lui
barre la route parce que monsieur vous allez me les payer  ! il ouvre sa
mallette et lui lance un gros billet entre tes dents gâtées. Il veut la rattraper
mais monsieur tu vas me les payer et encore et encore.
— Bon d’accord je vous achète votre marché et ne m’emmerdez plus, il
leur lance des billets partout, mais laissez-moi la rattraper. Lopez de maman
tout fleuri cette fois mais ma belle sois bonne après ce bouillon de billets au
marché de leurs mamans.
Toutes les nuits. Pas comme vos colonels sortis d’une nomination et il lui
épelle son corps : tu vois cette blessure-ci faite par les rebelles au couteau
chauffé, il lui explique la raison pour laquelle mon eau est forte comme elle
est forte, mais le téléphone sonne ah c’est le pays, parlez !
— Qui est au fil ?
— Le colonel national Carvanso.
— Quelles nouvelles Carvanso ?
— Un grand malheur : Vauban a pris le pouvoir.
— Mais quel Vauban ?
— Votre colonel de sécurité.
— Vauban a pris le pouvoir… mais quel pouvoir ?
— Votre pouvoir mon colonel.
Maman mais pourquoi Vauban  ? Il tonne  : un Portugais comme lui, un
analphabète, un zéro comment mais comment Vauban. Ne quitte pas,
j’arrive. Ah Vauban, avec sa braguette sans tête ni queue. Qu’est-ce qu’il va
en faire du pouvoir de mon peuple. Ah ah ! il fait ses valises en vitesse et
s’en va à pied jusqu’à l’aéroport, pourchassé par la meute des journalistes
qui lapident sa hernie avec leurs questions, mais foutez-moi le camp, vous
êtes tous le tabac de la même pipe. Il met l’aérogare en branle avec les
formalités de vos mamans, pas question  ! On a pris le pouvoir de mon
peuple et vous me parlez de formalités merde ! laissez-moi passer, il entre
dans l’appareil et se jette dans un fauteuil, l’avion décolle, une heure, deux
heures, le cœur lui manque, il se lève et va dans la cabine de pilotage et si tu
crois que c’est une bicyclette ton engin, il prend les commandes et tant pis
pour vous si vous n’avez pas mis le carburant, il va en vol direct sur mon
pays, les aérodromes sont fermés mais je dois atterrir cette nuit à Zamba-
Town. Dans le feu, au milieu des plombs il atterrit, où est le pouvoir nom de
Dieu, où est Carvanso national, il ameute un tas d’aventuriers qu’il a
recrutés parmi les passagers du DC 10 en avant les amis, j’ai le Trésor
public, à l’est de Zamba-Town Carvanso occupe une caserne, en avant les
enfants. Ils atteignent la caserne Juando-Delpata, on lui permet le téléphone,
ah quel pays !
— Allô !
— Qui est à l’appareil ?
— …
— Ah bon… Très bien… Et Vauban ?… En fuite ? Qu’on me l’attrape :
j’ai faim.
Puis vint ce jour honteux, matin de la nation où il invita mon collègue et
tous les Européens de maman, il invita les chefs des «  Flamants  », ah ce
jour, longtemps avant sa troisième mort, la vraie, pas les fausses  ;
longtemps avant la tentative des Russes qui en accord total avec les
Amérindiens ont failli jeter le pouvoir dans les bras de ma tante nationale
(c’est ainsi que j’appelle mon-colonel Loufao qui a une voix de femme), il
invita le pape et consorts, parce que ce jour vient de mes boyaux, il invita le
diplomate en chef des Nations unies, et ceux-ci burent, mangèrent et
dansèrent toute la nuit, il les servait lui-même, avec ses mains de père, il les
servait en murmurant cette chose qu’ils n’entendaient pas ou que certains
entendaient sans comprendre : « Prenez et mangez, ceci est Vauban. »
Je ne suis pas Haracho national qui touchait l’argent du pétrole en
cachette et qui le jetait dans ses comptes en Suisse, ce qui ne vous a pas
empêchés de le foutre père de la nation quelle honte  ! Et vous avez vu
comment Dascano national a dormi toutes vos femmes, vous avez vu
comment il passait ses nuits au collège de Lahossia, comment il est devenu
le père de seize cent onze bordels mais vous l’avez foutu père de la nation,
et maintenant dites à ma hernie combien vous allez donner de pères à cette
pauvre terre ? non non et non, moi, Lopez national fils de maman, je dis :
terminée la connerie d’inventer la merde, terminés vos jeux de hernies  :
plus de père de la nation, plus de marchands de mirages : vive la patrie ! à
bas les cons, à bas la connerie  ! Je rends le pouvoir aux civils  ! Que les
tirailleurs rentrent à la caserne avec ma hernie pour attendre la guerre.
—  Hourra  ! avait crié tout le stade et toute la ville comme on
applaudissait chez nous un but de championnat.
Il épousa cette fille. Nous reprîmes ses caisses de moutarde et son seau
hygiénique comme quarante ans auparavant, et le reconduisîmes à
Moumvouka le village de Maman-Folle-Nationale, et lui, sourire aux
lèvres, chantait l’hymne national : vivat Lopez, à bas Carvanso.
Sugar-Hill, le 1er Mai 1980.

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