Il était une fois, un chômeur désespéré. Éric, qui ne
demandait qu’à travailler, vivait malheureux. Il était titulaire d’un Master II en Droit des affaires; ses chances semblaient pourtant si réduites. Comme il était sans emploi, il s’occupait à coiffer chez lui. Et ses clients, c’étaient généralement ses anciens camarades. Mais au bout d’un moment, il coiffait tout le monde. On était apparemment satisfait de son travail. Faute de moyens, Éric n’avait pas de salon de coiffure. C’est d’ailleurs pour cela qu’il coiffait à moindre coût. Parfois même, ses anciens amis se faisaient coiffer gratuitement. Il vivait modestement dans une chambre d’étudiant. Et le comble, il n’y vivait pas seul. À cette misère, s’associaient Hassan et Ali. C’étaient deux employés d’un homme riche. Ils travaillaient pour le compte et dans la boutique de cet entrepreneur. En fait, c’est cet homme qui payait leur loyer; mais Éric y contribuait, lui. M. Abdou Hamann ne payait le loyer que pour ses employés. Or, Éric n’en faisait pas partie. Par conséquent, ce dernier n’était pas couvert par lui. Et même ses outils de travail, Éric se les procurait lui-même. On souffrait de voir Éric souffrir. À partir de sa chambre, Éric entendait les gens à son sujet. Il secouait tristement la tête. Une fois, un client lui a demandé ce qui n’allait pas. Éric lui a répondu que ses parents sont décédés; et qu’il a dû s’interrompre dans ses études. Mais une question demeurait. Celle de savoir pourquoi, avec un tel niveau, il ne travaillait pas. Éric n’y répondait jamais clairement. Du reste, Éric avait bon caractère. Par la grâce d’un de ses clients, Éric obtînt finalement un emploi. En effet, son Curriculum Vitae était tombé entre les mains d’un recruteur. Ce dernier vint, une fois, se coiffer chez lui. Et comme Éric l’avait bien coiffé, ce recruteur lui eut demandé comment il pouvait l’aider. C’est ainsi qu’Éric exprima son besoin d’emploi. «C’est, lui dit Éric, le meilleur cadeau qu’on puisse m’offrir en ce moment». Éric travaillait désormais dans une entreprise. Il y était Chef adjoint de la Cellule juridique. Et son salaire lui permettait de refaire sa vie. Il contribua à l’optimisation de l’entreprise. Et après quelques petites années, il devînt Chef principal. De toute évidence, Éric s’était acheté une grande maison. Mais il s’y sentait tellement seul. Il avait besoin d’une femme. Cette préoccupation le taraudait continuellement. Et de fil en aiguille, il fit la rencontre de Sara. Sara était une femme gentille et rieuse. C’est elle qui facilita l’intégration d’Éric au sein de l’entreprise. Elle l’avait pratiquement sorti de sa torpeur. Elle le taquinait souvent en public. Et c’est grâce à cela qu’on connut un peu Éric. Comme elle était son adjointe, Éric en profita. Il la convoquait systématiquement. Il la félicitait pour tout et pour rien. Il l’invitait partout. Un jour il l’avait invitée à son domicile. -C’est là, ma modeste demeure, dit-il ironiquement. -Je trouve que l’adjectif est plutôt mal choisi, répondit Sara avec le même humour. Après un petit sourire, Éric la pria de s’asseoir. -En voilà un qui invite une femme pour lui montrer sa maison, fit Sara dans le même esprit. -Vous m’avez plutôt l’air intelligente, dit Éric. En effet, ce n’est pas la raison. Je vous admire beaucoup, vous savez. Avec vous, je me sens très épanoui. -Merciii! Répondit Sara. C’est gentil! -Je vous en prie. Je vous sers quelque chose? Du jus? Du café? De l’eau? -Ne vous dérangez pas. Je me refuse à boire chez les gens. -Même quand ils ins… -Surtout quand ils insistent, répondit-elle en l’interrompant. Après cette réplique insidieuse, Éric se découragea. -Viens-en plutôt au fait, lui dit Sara. Excuse-moi, j’allais finir par te tutoyer. -Ne t’en fais pas, moi aussi. -Alors… -Je te trouve un peu intimidante, mais bon. Elle fit un petit sourire. Il continua : -Je voudrais vraiment qu’on apprenne à mieux se connaître. -Pour que cela aboutisse à quoi concrètement? Éric ne comprenait rien à l’attitude de Sara. Ils étaient bien ensemble; pourtant ce jour, elle ne manifestait aucun intérêt. Il lui répondit quand-même : -Si possible, à une relation amoureuse. -Hum. Toi tu ne perds pas de temps hein. Contre toute attente, Sara accepta. Ils vécurent leur amour à l’attention de tous. «Tant que cela ne vous empêche pas de travailler, ça va». Disait, à chaque fois, le Directeur Général. Quelques jours après, Éric fut au cœur d’un scandale. On l’accusait, preuves à l’appui, d’avoir violé la Secrétaire Générale. Son patron, M. Patrick, songea à le virer; mais après mûre réflexion, il y renonça. Seulement, il le rétrograda abusivement. À sa grande surprise, Sara quitta Éric sur le même coup. Elle ne voulait rien entendre de lui. Surtout pas ses explications. Le salaire d’Éric régressa considérablement. Il ne subvenait plus à ses besoins que difficilement. Il eut alors souvenir de son ancienne galère. Une galère qu’il retrouvait comme un vieux copain. Sans se justifier, Éric souffrit sa passion. Il accepta bon gré sa douleur. Anthony, le nouveau copain de Sara, vint une fois lui dire : -Je sais qui est derrière ces manigances autour de toi. -Je ne vois pas de quoi vous parlez, lui répondit Éric. -Ne joue pas aux humbles. Je sais qu’on t’accuse à tort. Tu n’y es pour rien. Éric l’observa un moment. -Sortez d’ici, lui dit-il. Avec tout le respect que je vous dois. -En tout cas, c’est le boss qui est votre bourreau. Dit Anthony en sortant. Anthony était un fin séducteur. Il était grand et portait beau. Il était toujours bien habillé. Toutes les femmes de l’entreprise couraient après lui. Du reste, c’était lui le nouveau Chef de la Cellule juridique. Après moult enquêtes, Éric découvrit son vrai bourreau. Il savait son boss incapable de lui nuire. «Qu’est-ce qu’Anthony gagnerait bien à faire une chose pareille? S’interrogea-t-il. Certainement pas mon poste, il est le frère du boss. Il est le plus privilégié ici. Certainement pas ma…». Éric réfléchît un moment. Puis il reprit :«Il a pu, bon Dieu, arracher Sara au confort de mes bras!». Il courut chercher Sara pour l’en informer. Cette dernière le remercia amplement. Elle alla, à son tour, réprimander Anthony. Elle invita Anthony à prendre un pot. Et en toute gentillesse, il accepta. Il était content que les choses se passassent ainsi. Quand ils s’y retrouvèrent, ils discutaient. -Écoute, dit Sara, j’ai beaucoup apprécié ton geste la dernière fois. Et je suis vraiment navrée du tort qu’Anthony t’a causé. Je lui ai d’ailleurs fait de vives remontrances. Mais tu dois comprendre qu’on ne peut plus être ensemble. Je n’aspire à être qu’avec mes supérieurs. Ou, dans le pire des cas, avec mes égaux. La fonction que tu occupes maintenant t’a discrédité. Mon cœur est sélectif et capricieux. -J’ai vraiment mal orienté mon cœur cette fois. Cette faute de goût, je ne la commettrai plus. Éric alla son chemin. Le lendemain matin au bureau, le boss convoqua Éric. -Je suis vraiment désolé, lui dit-il en lui indiquant une lettre sur la table. -Quoi, je suis viré? Demanda Éric étonnamment. -En effet, répondit son patron. Personne ne veut plus de toi ici. -Déçu, Éric prit la lettre, et partit. Quand il fut aux rez-de-chaussée, la Secrétaire Générale le rattrapa en courant. -Monsieur Éric, prenez la peine de lire la lettre. Curieux, Éric décacheta la lettre. Et à sa grande surprise, il s’agissait d’une promotion. Il fut nommé Chef à nouveau. Pris de joie, il étreignit la Secrétaire. Elle lui fit savoir que tout le monde savait la vérité; et qu’Anthony fut viré. Si on l’avait laissée elle, ce fut pour avoir avoué. Celle-ci profita de l’occasion pour s’excuser d’avoir comploté avec Anthony pour le discréditer. «C’était, disait-elle, sous la force de son charme». Éric lui pardonna sans hésiter. En rentrant chez lui, il laissa un message à Sara :«L’amour est une grimace, on n’en fait pas aux aînées. Ravaler ma grimace m’a considérablement gêné. Ce que je retiens de toi, c’est que l’amour impose à l’Homme une supériorité financière par rapport à sa Femme. Mais je retiens surtout autre chose. Tu as pu pardonner à un infâme coureur de jupon; mais tu n’as pas su me pardonner d’avoir chuté financièrement. Je t’aime, tu ne m’aimes pas. Tu aimes quelqu’un qui ne t’aime pas. L’amour est un sacré paradoxe. Adieu, Sara.