Pour citer cet article : Fellahi J-L, Schweizer R. La période peropératoire n'est pas une boîte noire.

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Journée monothématique de la Sfar

La période peropératoire n'est pas une
boîte noire§,§§

Jean-Luc Fellahi 1,2, Rémi Schweizer 1,2

Disponible sur internet le : 1. Hospices civils de Lyon, hôpital cardiologique et pneumologique Louis-Pradel,
service d'anesthésie-réanimation, 69394 Lyon, France
2. Université Claude-Bernard Lyon 1, faculté de médecine Lyon Est, 8, avenue
Rockefeller, 69008 Lyon, France

Correspondance :
Jean-Luc Fellahi, Hospices civils de Lyon, hôpital cardiologique et pneumologique
Louis-Pradel, service d'anesthésie-réanimation, 59, boulevard Pinel, 69394 Lyon
cedex, France.
jean-luc.fellahi@chu-lyon.fr

Mots clés Résumé

Risque cardiaque
Balance énergétique du La période peropératoire n'est pas une boîte noire et la survenue d'évènements indésirables
myocarde pendant la chirurgie a un impact sur le pronostic postopératoire qui module en retour la
Score d'Apgar chirurgical stratification du risque établie pendant la consultation d'anesthésie. La clé de voûte de la prise
en charge peropératoire du coronarien repose sur le maintien de l'équilibre de la balance
énergétique du myocarde via le contrôle de ses principaux déterminants. Une approche multi-
modale simple a démontré sa capacité à réduire la libération postopératoire de troponine et
l'incidence des complications cardiaques graves postopératoires à distance. Le score d'Apgar
chirurgical pourrait être intéressant pour la quantification des évènements peropératoires et le
choix du chemin clinique postopératoire des patients à risque cardiaque.

Keywords Summary
High-risk cardiac patient
Myocardial oxygen balance The intraoperative period is not a black box
Surgical Apgar Score
The intraoperative period is not a black box and the occurrence of adverse events during surgery is
associated with a worse postoperative prognosis. The cornerstone of high-risk cardiac patient
intraoperative management is to maintain myocardial oxygen balance and its major determi-
nants within surgery. A simple multimodal approach can significantly reduce both postoperative
troponin release and long-term major adverse cardiac events. The surgical Apgar score might be
of great interest to accurately determine intraoperative adverse events and facilitate the choice
of postoperative clinical pathway in high-risk cardiac patients.

§
Texte présenté à la Journée monothématique de Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar) : Le patient coronarien en chirurgie non cardiaque. Paris, 17 mai 2017.
§§
Ce texte a été publié sous la seule responsabilité des auteurs et du Comité scientifique de la « Journée Monothématique de la Sfar ». Il n'a pas fait l'objet d'une évaluation par le
bureau éditorial de la revue Anesthésie & Réanimation.

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1

http://dx.doi.org/10.1016/j.anrea.2017.04.008
© 2017 Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

ANREA-218
 Pour citer cet article : Fellahi J-L, Schweizer R. La période peropératoire n'est pas une boîte noire. Anesth Reanim. (2017), http://
dx.doi.org/10.1016/j.anrea.2017.04.008
J-L Fellahi, R. Schweizer
Journée monothématique de la Sfar
Introduction
La période peropératoire n'est évidemment pas une boîte noire
et certains évènements survenant pendant la chirurgie sont sus-
ceptibles de conditionner le pronostic postopératoire du patient et
de moduler dans un sens ou dans l'autre la stratification du risque
établie avant l'intervention. Ils peuvent également conditionner le
chemin clinique postopératoire proposé au patient coronarien.
La balance énergétique du myocarde
On sait aujourd'hui que la majorité des infarctus du myocarde
postopératoires (IDMPO) sont des infarctus de type 2, secondaires
à un déséquilibre prolongé de la balance énergétique du myocarde
[1]. C'est pourquoi le maintien de l'équilibre de la balance éner-
gétique du myocarde tout au long de l'intervention chirurgicale est
une priorité absolue chez le patient coronarien (figure 1). En effet,
tout élément augmentant la consommation myocardique en oxy-
gène (MVO2) et/ou tout élément diminuant les apports myocar-
diques en oxygène (MDO2) est à même de provoquer un
déséquilibre de la balance générateur d'ischémie aiguë myocar-
dique, de dommage myocardique et finalement d'IDMPO.
Rôle de la fréquence cardiaque
Le contrôle de la fréquence cardiaque joue un rôle fondamental
dans l'équilibre de la balance énergétique du myocarde. La
tachycardie est particulièrement délétère, pesant défavorable-
ment sur les deux plateaux de la balance : elle augmente la
MVO2 par augmentation du travail cardiaque et de la contractilité
myocardique et diminue la MDO2 par raccourcissement du
temps diastolique pendant lequel est assuré l'essentiel de la
perfusion ventriculaire gauche. Une analyse secondaire de
l'étude VISION a clairement montré dans une population de
patients non coronariens âgés de plus de 45 ans et adressés
pour une intervention de chirurgie non cardiaque, une relation
linéaire entre la fréquence cardiaque de repos à l'arrivée au bloc
opératoire et la survenue d'un dommage myocardique
MVO2 MDO2
Conditions de charge PPCo = PAD - PTDVG
Inotropisme Hémoglobine/SaO2
Fréquence cardiaque Fréquence cardiaque
Figure 1
Principaux déterminants de la balance énergétique du myocarde.
L'accélération de la fréquence cardiaque pèse défavorablement
sur les deux plateaux de la balance
MDO2 : apports myocardiques en oxygène ; MVO2 : consommation myocardique en
oxygène ; PAD : pression artérielle diastolique ; PPCo : pression de perfusion
coronaire ; PTDVG : pression télédiastolique ventriculaire gauche.
2
postopératoire mesuré par une augmentation de la troponine
plasmatique [2]. Chez le patient coronarien, une relation simi-
laire existe en dehors de tout contexte chirurgical entre la
fréquence cardiaque de repos et la mortalité globale et de cause
cardiovasculaire [3]. En outre, le ralentissement de la fréquence
cardiaque est associé à un allongement du délai d'apparition de
l'ischémie myocardique et à une réduction significative de la
mortalité [3]. Il existe donc un rationnel théorique fort plaidant
en faveur d'un contrôle ciblé de la fréquence cardiaque périopé-
ratoire chez le patient coronarien. Différentes classes pharmaco-
logiques peuvent être utilisées au bloc opératoire (bêtabloquants,
inhibiteurs calciques chronotropes négatifs, ivabradine). L'esmolol,
bêtabloquant cardiosélectif dépourvu d'activité sympathomimé-
tique intrinsèque et à demi-vie courte, semble particulièrement
indiqué au cours de la période opératoire où la situation hémo-
dynamique est susceptible de varier rapidement. Une littérature
abondante compilée dans une méta-analyse récente démontre la
capacité de l'esmolol à contrôler aisément et de manière dose
dépendante la fréquence cardiaque peropératoire et à réduire par
un facteur 5 l'incidence des épisodes d'ischémie myocardique
périopératoires [4].
Rôle de la pression artérielle
La dérégulation de la pression artérielle est également un
déterminant essentiel du déséquilibre de la balance énergé-
tique du myocarde. En effet, l'hypertension artérielle augmente
significativement la MVO2 par augmentation de la postcharge
ventriculaire gauche tandis que l'hypotension artérielle, en
particulier diastolique, diminue la pression de perfusion coro-
naire (figure 2). Une ancienne étude avait parfaitement démon-
tré l'impact d'un contrôle tensionnel peropératoire strict sur
l'incidence des IDMPO au sein d'une population de patients
coronariens à haut risque [5]. Depuis, une littérature récente
et abondante sur ce sujet a confirmé de manière indiscutable
l'association statistique forte qui existe entre pression artérielle,
morbidité cardiovasculaire et mortalité périopératoire [6]. Il est
clair aujourd'hui que l'hypotension artérielle, même de courte
HYPERTENSION HYPOTENSION
PPCo
POSTCHARGE
MDO2
MVO2
Figure 2
Impact de la dérégulation de la pression artérielle sur l'équilibre
de la balance énergétique du myocarde
MDO2 : apports myocardiques en oxygène ; MVO2 : consommation myocardique en
oxygène ; PPCo : pression de perfusion coronaire.
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 Pour citer cet article : Fellahi J-L, Schweizer R. La période peropératoire n'est pas une boîte noire. Anesth Reanim. (2017), http://
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durée, ne doit plus être tolérée au bloc opératoire chez les
patients à risque cardiaque.
Rôle de la contractilité myocardique et des agents
inotropes positifs
L'utilisation intempestive des agents inotropes positifs exerce
des effets néfastes sur l'équilibre de la balance énergétique du
myocarde, en particulier chez le patient coronarien ou en situ-
ation d'ischémie aiguë myocardique. La plupart des agents
disponibles sont en effet chronotropes positifs. En outre, les
inoconstricteurs augmentent la postcharge ventriculaire gauche
tandis que les inodilatateurs sont susceptibles d'entraîner une
baisse significative de la pression de perfusion coronaire
(figure 3) [7]. En chirurgie cardiaque, il est acquis qu'une utilisa-
tion des agents inotropes positifs fondée sur la seule conviction
de l'anesthésiste-réanimateur est associée à une surmorbidité
cardiaque grave [8] et à une surmortalité globale à un an [9].
Leur utilisation doit donc être plus que jamais rationnelle et
rationnée, reposant sur une stricte analyse individuelle bénéfi-
ces/risques et un monitorage hémodynamique adéquat.
Rôle de l'hémoglobine et de l'oxygénation
artérielle
Les seuils transfusionnels élevés (aux alentours de 10 g/dL)
préconisés chez le patient coronarien par les recommandations
formalisées d'experts conjointes Sfar/SFC publiées en 2011 [10]
ont été récemment remis en cause à la lumière de plusieurs
études importantes. Il semble raisonnable en 2017 de s'en tenir
à des valeurs seuils probablement plus basses, de l'ordre de 8 g/
dL chez ce type de patient, en dehors du syndrome coronaire
aigu évidemment. Dans ce dernier cas, le maintien de valeurs
plus élevées reste légitime [11].
S'il semble logique de lutter d'une manière générale contre
l'hypoxémie peropératoire, il est intéressant de noter cependant
que les effets délétères de l'administration systématique d'oxy-
gène et de l'hyperoxie récemment rapportés dans l'infarctus du
myocarde en milieu médical pourraient être extrapolés au
contexte périopératoire et plaideraient pour une utilisation plus
restrictive en pratique de ce traitement ubiquitaire [12].
Score d'Apgar chirurgical
Le score d'Apgar chirurgical a été proposé et validé en chirurgie
non cardiaque dans différentes catégories de population sur la
planète [13]. Par analogie avec le score d'Apgar obstétrical, il
propose de noter sur 10 les patients chirurgicaux à la sortie du
bloc opératoire à partir de trois paramètres cliniques simples : le
saignement estimé peropératoire, la valeur la plus basse de
pression artérielle moyenne et la valeur la plus basse de fré-
quence cardiaque (tableau I). Pour une valeur de référence
cotée à 7 dans la cohorte de validation, un score élevé était
associé à une réduction significative de la morbimortalité tandis
qu'un score bas, inférieur à 4, prédisait une augmentation
importante du risque global. Encore peu diffusé en pratique
clinique, ce score présente l'avantage d'être à la fois simple et
objectif pour l'ajustement du risque à la sortie du bloc opératoire
et le choix de la stratégie et du lieu de surveillance du patient
après l'intervention. Il est intéressant de noter qu'il repose sur
les principaux déterminants de l'équilibre de la balance éner-
gétique du myocarde décrits plus haut, en particulier la fré-
quence cardiaque et la pression artérielle.
Place d'une stratégie de prise en charge
multimodale
Une prise en charge peropératoire multimodale ayant pour
objectif le contrôle dans une fourchette de valeurs normales
de la pression artérielle, de la fréquence cardiaque, de l'oxy-
génation artérielle, de l'anémie et de la glycémie a démontré sa

Agents inotropes posifs inoconstricteurs ou inodilatateurs

MDO2
MVO2
PPCo
Postcharge
Fréquence cardiaque
Inotropisme
Fréquence cardiaque

Figure 3
Impact des agents inotropes positifs sur l'équilibre de la balance énergétique du myocarde. La tachycardie, les variations tensionnelles
et l'augmentation de la contractilité sont autant de facteurs déséquilibrant la balance par augmentation de la MVO2 et diminution de
la MDO2
MDO2 : apports myocardiques en oxygène ; MVO2 : consommation myocardique en oxygène ; PPCo : pression de perfusion coronaire.
3

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TABLEAU I
Le score d'Apgar chirurgical à 10 points. D'après [13]

0 point 1 point 2 points 3 points 4 points

Estimated blood loss (mL) > 1000 601–1000 101–600  100

Lowest mean arterial pressure (mmHg) < 40 40–54 55–69  70
1
Lowest heart rate (beats per min) > 85 76–85 66–75 56–65  551

1
Occurrence of pathologic bradyarrhythmia, including sinus arrest, atrioventricular block or dissociation, junctional or ventricular escape rhythms, and asystole, also receive 0 point
for lowest heart rate. The Surgical Apgar Score is calculated at the end of any operation, from the estimated blood loss, lowest mean arterial pressure and lowest heart rate
entered in the anesthesia record during the operation. The score is the sum of the points from each category.

capacité à réduire significativement la libération postopératoire
de troponine et l'incidence de la morbidité cardiaque grave
à long terme chez des patients à risque adressés pour une
chirurgie orthopédique lourde programmée [14].
Conclusion
La prise en charge du patient coronarien est un excellent modèle
de ce que doit être de nos jours la médecine périopératoire.
Après une évaluation préopératoire soigneuse et la gestion
appropriée des traitements préopératoires, la prise en charge
au bloc opératoire vise avant tout au maintien de l'équilibre de
la balance énergétique du myocarde via une stratégie de prise
en charge multimodale adaptée. L'utilisation plus systématique
du score d'Apgar chirurgical pourrait permettre une plus juste
évaluation des évènements peropératoires pour l'ajustement du
risque et l'organisation du chemin clinique postopératoire du
patient à risque cardiaque.
Déclaration d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens
d'intérêts.

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