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La question de la résistance à la tyrannie dans la pensée politique

de Juan de Mariana et son œuvre De rege et regis institutione

Pablo Fernández Garay


Double diplôme en droit franco-espagnol

Introduction
La croyance que les régimes politiques actuels sont immutables est plus récente que ce qu’il se
croit, encore au début du XXème siècle des discussions passionnantes avaient lieu sur le respect
ou non de l’autorité. Ce sont notamment les débats au sein du catholicisme politique espagnol
sousla Seconde République, régime considéré par certains comme incompatible avec la foi voire
tyrannique.
La problématique de l’obéissance est, néanmoins, une
constance dans toute l’histoire des idées politiques, se
remontant à l’exemple même de Jésus-Christ. Le
reverse de la médaille est la résistance à l’oppression,
qui est souvent présenter comme une théorie exclusive
et propre aux penseurs anglais ou protestants.
Cependant, au sein de la tradition catholique une
théorisation si importante comme celle de Juan de
Mariana a existé et eu une considérable influence dans
l’Europe de son époque, bien qu’aujourd’hui il soit
oublié.
Pour ceux qui se souvient encore, Mariana est parfois
considéré comme le responsable d’une justification
radicale du tyrannicide. Le présent travail cherche à
placer la question de la résistance à l’oppression du
tyran dans l’ensemble de la pensée de Juan de
Mariana, notamment sa théorie sur l’origine
de la communauté politique et l’organisation du
pouvoir. De la même façon, autre des objectifs est Mariamne quittant le siège du jugement d’Hérode,
remarquer les influences dans sa pensée du œuvre de Waterhouse, 1887
constitutionalisme médiéval, souvent dès une optique
contemporaine perçu comme plus moderne que
l’absolutisme qui va le succéder.
I. La question de la tyrannie dans la tradition catholique
Si la question de la tyrannie est extrêmement vaste dès lors qu’elle renvoie aux théories sur la constitution et l’origine
du pouvoir civil, il conviendrait de se focaliser sur la formulation du devoir d’obéissance, qui est au cœur du
christianisme primitif, ainsi qu’analyser les premières théorisations sur le droit de résistance à la tyrannie.
En effet, savoir si le bon chrétien est censé de se soumettre complètement au pouvoir civil a été objet d’une longue
controverse au sein de la doctrine ecclésiastique, étant une des premières réponses celle donnée par Saint Paul dans sa
lettre aux romains (Chapitre XIII, 1-7), que toute personne soit soumise aux autorités supérieures, car il n’y a point
d’autorité qui ne vienne de Dieu et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu, ainsi […] celui qui résiste à
l’autorité résiste à l’ordre que Dieu a établi. De cette manière, l’obéissance à l’autorité découle de l’origine divine de
celle-ci, mais loin de poser un simple principe, celui de nulla potestas nisi a Deo, Saint Paul ouvrira un grand débat.
D’un côté, si le pouvoir civil émane de Dieu, celui ne peut pas lui être indifférent, même s’il suppose nuancer la
distinction que le propre Christ avait établi entre la cité céleste et la cité terrestre lorsqu’il proclamait rendez à César ce
qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu (Marc 12 :17). D’autre côté, comment garantir que l’autorité respecte la loi
de Dieu, qui est à l’origine même de son existence, si les chrétiens participeront de ces possibles transgression du fait
de leur obéissance ? Il serait impossible de résumer les successives réponses que la doctrine de l’Église a donné à la
relation du bon chrétien avec le pouvoir civil, mais il peut se mentionner l’encyclique Sapientiae Christianae (1890) du
pape Léon XIII1, qui fait un appel à l’indifférence des formes de gouvernement et promulgue l’action politique des
catholiques dans le respect de l’autorité existante, ce qui finira en une condamnation de l’Action catholique et l’adoption
du ralliement par les catholiques français lors de son encyclique Au milieu des sollicitudes (1892), ainsi qu’il sera objet
de dispute entre les catholiques espagnols sous la Seconde République2.
C’est précisément à cette problématique qui va s’intéresser Saint Augustin d’Hippone, même en restant son œuvre plus
préoccupé par les aspects anthropologiques que pour ceux politiques, il pouvait difficilement s’abstraire de la profonde
crise qui traversait l’empire romain le dernier siècle précédant la chute définitive de l’empire occidental. Ayant une
notable influence sur la pensée du Siècle d’Or, il faut préciser que ses postulats restent plus nuancés que la radicalité de
l’augustinisme politique qui sera construit plus tard et arrivera jusqu’aux scolastiques espagnols 3. Sa conception de
l’impact du péché originelle dans l’humanité met celui-ci au centre de la genèse de la société civile. Ainsi, la cité
terrestre est toute méchanceté et corruption, mais c’est pourquoi il existe le message de Christ et sa mission de salvation.
Le péché est donc à la fois à l’origine de la société politique et de la vertu chrétienne, cette vision anthropologiquement
pessimiste de la communauté politique restant essentielle pour comprendre la comptabilité entre obéissance et rectitude
morale. Saint Augustin proclame aussi l’origine divine de l’autorité civile, cependant, il exclut l’existence directe d’un
mandat du ciel sur chaque acte concret découlant de celle-ci, sinon que les actions du gouvernant moralement non
vertueuses s’encadreraient dans la providence de Dieu, étant ses décision insondables et ses chemins impénétrables
(lettre de Saint Paul aux romains, XI, 33). Ce faisant, ses conclusions font preuve d’un étonnant réalisme, si le tyran
existe et viole les lois divines, lui qui tire son pouvoir de Dieu répond à son plan et donc le bon chrétien peut garder
obéissance au tyran sans en devenir responsable, parce qu’il lui correspond d’accomplir les mandats de Dieu et non de
juger à sa place. Il semble, néanmoins, plutôt une justification de l’existence même de la tyrannie qu’une vrai réponse
à la friction entre obéissance au pouvoir civil et respect des préceptes chrétiens.
C’est, néanmoins, Jean de Salisbury qui est considéré par Sabine comme un des premiers auteurs médiévaux à aborder
le sujet de la résistance à la tyrannie d’une façon plus systématique. Dans son œuvre Policraticus défend qu’arracher
la vie du tyran non seulement est licite, mais aussi équitable et juste, parce que celui qui prend l’épée mérite de périr
par l’épée ; se référant à celui qui l’a prise par sa propre audace, non celui qui la reçoit de la volonté de Dieu pour
l’empoigner4. Il proclame encore que le pouvoir du souverain découle de Dieu, mais en tant que choisi par lui, sa mission
est de faire accomplir les lois naturelles qui obligent tous les hommes, le prince doit être donc un reflet de Dieu dans la
cité terrestre. La loi naturelle devient ainsi le critère de légitimité du souverain, qui deviendrait un tyran usurpant le

1
CRACOGNA, D. (1984). “Revolución y resistencia a la opresión en la doctrina de la Iglesia”. Revista Facultad de Derecho y
Ciencias Políticas, 64, 165-190.
2
Pour plus d’information sur les débats politico-théologiques concernant l’obéissance ou non aux autorités républicaines au sein de
la droite espagnole durant la période 1933-1936, voir ROBINSON, R. (1977). Los orígenes de la España de Franco. Derecha,
República y Revolución, 1931-1936. Barcelone : Ediciones Éxito.
3
TOUCHARD, J. (1959). Saint Augustin. Histoire des idées politiques. Tome 1. Des origines au XVIIIe siècle (pp. 108-115). Paris :
Presses Universitaires de France.
4
Policraticus, III, 15, p. 303: “Y es que quitar la vida al tirano no sólo es lícito, sino equitativo y justo, porque el que toma la
espada merece perecer por la espada. Entiéndase «tomarla» del que la ha tomado por su propia osadía, no del que recibe potestad
de Dios para empuñarla” [les traductions sont miennes].
pouvoir dès lors qu’il s’éloigne du chemin de la vertu chrétienne. Cela s’encadre dans la conception de Jean de Salisbury
du royaume comme une responsabilité au prince donnée de garder la communauté civile dans le but de garantir le bien
commun à travers le respect des lois divines, étant ainsi la loi un cadeau de Dieu, un modèle d’équité, norme de justice,
image de la volonté divine, gardienne du bien public, unité et cohésion pour les peuples, régulatrice des devoirs, bastion
dans la lutte contre les vices, châtiment de la violence et de toute injustice5. De la même façon que le patron qui licencie
l’employé qui échoue dans son travail, ainsi Dieu permettrait que la vie du prince soit attentée dès lors qu’il est devenu
un tyran, puisqu’étant comme il l’est une image de la Divinité, le prince mérite d’être aimé, vénéré et assisté ; le tyran,
comme image de la dépravation, mérite, la plupart du temps, la mort6. Si bien la réflexion de Jean de Salisbury sur la
tyrannie est beaucoup plus complexe, il résulte impossible ici d’aborder tous ses aspects, suffisant de clarifier qu’il ne
se trouve pas dans son Policraticus un raisonnement qui permette de caractériser la tyrannie ou encore de déterminer
les moyens de réalisation du tyrannicide.
Plus importante sera la réflexion menée par Thomas d’Aquin, qui va s’intéresser aux formes de gouvernement, suivant
la classification d’Aristote, où la tyrannie est une dégradation de la monarchie, dont le bien commun comme moteur de
l’action du gouvernant a été substitué par son intérêt particulier. Dans sa défense de la modération au cœur de
l’organisation politique et influencé par l’idée aristotélicienne de la justice comme relation entre deux parties, il soutient
que si l’inférieur doit être obéissant au supérieur, dès lors que le gouvernant s’éloigne des fonctions attribuées par Dieu,
la possibilité de se résister est ouverte sans nier l’obéissance comme vertu chrétienne. Lié à sa préoccupation pour
l’ordre et l’unité, il développe tout un corps systématique dans lequel une telle résistance serait autorisée, en précisant
les cas où une action privée est justifiée -seulement dans les hypothèses le plus extrêmes afin d’éviter l’anarchie et
dérivé aussi des problèmes d’identifier le tyran- et ceux où la déposition du tyran doit se produire à travers l’autorité
publique, la plupart des cas. Il serait impossible ici de résumer toutes les spécificités contemplées par Thomas d’Aquin,
il suffit de mentionner qu’il fait une première distinction selon la légitimité ou non d’origine et celle d’exercice, ainsi
que rappeler qu’il réalise de constants avertissements sur les possibles périls du tyrannicide et la virtuosité de
l’obéissance. Toute sa construction doctrinale sur les formes de gouvernement, la tyrannie et sa résistance sera le point
de départ de toute la scolastique espagnole du XVIème siècle.
II. La pensée de Juan de Mariana face à l’actualité des régicides au XVIème siècle
La meilleure exposition de la pensée politique de Mariana va se trouver dans son célèbre ouvrage De rege et regis
institutione (1599), si bien était pensée comme un traité sur l’éducation du prince et a été écrit sous demande du
précepteur du futur roi Philippe III d’Espagne, García Loaysa, très rapidement a gagné une connaissance croissante tout
au long de l’Europe comme la justification la plus radical du tyrannicide. Considéré souvent comme le traité moderne
le plus important sur la question de la tyrannie, il semble que le jésuite espagnol aurait consciemment profité la mission
qui lui avait été confiée pour présenter ses théories sur l’origine de la communauté politique et de la résistance à la
tyrannie, ce qui n’empêche pas que le caractère pédagogique soit présent dans toute son exposition, dès lors que
l’éducation du prince est un modèle d’instruction pour tout citoyen.
Suivant la méthodologie expositive des auteurs classiques des traités, les expositions de Mariana sont accompagnées de
riches exemplifications tirées de l’histoire et mythologie gréco-latine ainsi que de la tradition biblique, sans que cela lui
sert d’obstacle pour aborder l’actualité des guerres politiques en Europe, dont lui-même avait été le témoin lors de son
séjour à Paris. Ainsi, le chapitre V sur la licéité de tuer le tyran commence avec l’exemple très récent en France […]
d’Henri III, roi français, [qui]a été tué par un moine en lui traversant les entrailles avec un poignard empoissonné
[…], qui permet aux princes de comprendre que leurs impies méchancetés ne peuvent pas rester impunies7. En effet, il
faisait référence au régicide de Henri III par le moine dominicain Jacques Clément en 1589, comme réponse à
l’assassinat sur ordre royal du duc et du cardinal de Guise, appartenant à la Ligue catholique. Sans rentrer en plus de
détails sur les faits historiques qui sont, d’ailleurs aux XVIème et XVIIème siècles, d’une extrême complexité, il est
nécessaire de souligner que cette honnêteté de présenter ses postulats sans se désintéresser de la situation politique de
son époque a condamné son œuvre à une lecture partielle réduite à une simple justification radicale du tyrannicide, en
oubliant la théorie sur l’origine de la communauté et son organisation, de laquelle la question de la résistance au tyran
découle et sans laquelle comprendre la pensée de Juan de Mariana semble une tâche irréalisable.

5
Policraticus, VIII, 17, p. 715: “La ley es un regalo de Dios, un modelo de equidad, norma de justicia, imagen de la voluntad
divina, custodia del bien público, unidad y cohesión para los pueblos, reguladora de los deberes, baluarte en la lucha contra los
vicios, castigo de la violencia y de toda injusticia”.
6
Policraticus, VIII, 17, p. 715: “Siendo como es una imagen de la Divinidad, el príncipe merece ser amado, venerado y asistido;
el tirano, como imagen de la depravación, merece, la mayoría de las veces, la muerte”.
7
De rege, Livre I, V, p. 65 [les traductions sont miennes, à partir de l’édiction digitale en espagnol de Titivillus].
A- Les racines de la communauté politique : un modèle de constitutionalisme médiéval ?
Sur la naissance de la société civile, Juan de Mariana présente une conception historiciste ancrée d’une notable influence
des narratives de la tradition gréco-latine sur les différentes étapes de l’humanité, dont la corruption de l’homme marque
le chemin de la prudence et rectitude comme principe organisateur des sociétés, ainsi comme le péché serait source de
la vertu chrétienne. De cette manière et sous influence de l’augustinisme politique 8, la sociabilité pour Mariana ne
semble pas indifférente aux effets du péché originel, dès lors que les hommes auraient contrairement aux animaux une
faiblisse physique qui serai incompatible avec la vie paisible qui menaient auparavant, considérant que la loi naturelle
en ce stade de l’histoire de l’humanité est celle qui partagent l’homme et la bête. C’est donc la propre conscience de
l’homme de sa propre faiblisse qui est à l’origine même de la communauté politique, qui servirait -dans une claire
référence au mythe prométhéen- à compléter la nature humaine de ce qui était manquante : la justice. Ainsi, les premiers
groupements humains auraient été dirigés par des hommes avec des qualités presque divines -comme ils l’étaient les
fondateurs des cités de l’antiquité et présenté dans un sens pareil auquel Rousseau définirait le « Législateur »-, qui
ayant encore récent le souvenir du don de la justice, avaient besoin de très peu de lois. Mais encore les hommes étaient
susceptible de se corrompre et avec le temps la production des lois écrites est devenue nécessaire pour le maintien de
la paix, jusqu’arriver à l’instauration de la dignité royale, qui semble parallèle à la naissance des premières sociétés
urbaines.
Bien que Mariana présente dans son œuvre avant d’aborder la question de la tyrannie sa préférence pour la monarchie
héréditaire comme forme de gouvernement, à cause de sa conformité avec la loi naturelle et des carences pour l’unité
de la société d’autres systèmes comme l’électif, ce qui est intéressant pour comprendre la réaction face au tyran se
trouve dans la dernier partie du livre I, sur la relation du prince avec la communauté qui dirige et ses lois. Sur la question
de la potestas du prince, Mariana part à nouveau d’une perspective historique en rappelant que les premiers rois avaient
été élus par le consentement des citoyens et étant celui-ci la source de la dignité royale, la loi et les institutions sont
surgis pour maintenir le prince dans les limites de la fonction qui lui avait été attribuée, afin d’éviter qu’il dégénère,
comme dans le modèle aristotélique, en tyran. Il serait, néanmoins, prétentieux de considérer le jésuite espagnol comme
un théoricien de la souveraineté populaire, si bien le germe de cette idée est présent dans ses écrits, par exemple dès
lors que dans son Historia de rebus Hispaniae expose de la bouche d’un noble que les royaumes peuvent muter à travers
le consentement du peuple, donnée la nature de la regis potestas : ce qui est sorti de la volonté du peuple peut être
transféré à autrui si les circonstances l’exigent. Il semble plus précis d’encadrer sa pensée comme une continuation de
la tradition constitutionnaliste médiévale -qui aura une influence dans la façon dont il prétend identifier le tyran-, en
reconnaissant l’autorité supérieure du prince sur chaque citoyen et pour décider sur certains aspects, comme la guerre,
mais sans nier que cette autorité n’est pas au-dessus de la volonté de l’ensemble de la communauté dès qu’elle s’est
donnée des institutions pour décider sur d’autres affaires, notamment l’abrogation des lois et la levée d’impôts. Il décrit
ainsi une organisation du pouvoir basée sur des contrepoids entre le roi et son peuple, normalement avec
l’intermédiation de la noblesse, d’où son éloge au système du « Justicia de Aragón9 ».
En ce qui concerne le dernier aspect, celui de la relation entre le prince et la loi, il faut préciser que dans De rege il ne
se trouve aucun chapitre dédié aux lois en abstrait, mais il semble plutôt une question propre à la forme de
gouvernement. Ainsi, Mariana définit la loi, une fois expliqué le besoin des lois écrites, comme une règle stable dérivée
de l’intelligence divine qui prescrit ce qui est sain et juste et prohibe le contraire10. Bien que dans son exposition, la loi
apparait comme loi positive, le fort élément moral qui contient sa définition ne peut rester sas incidence, il apparaît
comme implicite la reprise de la conception de loi naturelle présente dans la tradition chrétienne et qu’il ne procède ici
analyser. Il suffit de noter que dans la pensé de Mariana celui qui est dans une position plus élevée [le prince], ne doit
pas estimer comme conséquence de cela qu’il n’est pas un homme et qu’il n’est pas membre d’une communauté
politique11, ainsi le prince est tenu aussi par les lois, qui seront seulement stables dès lors qu’elles sont sanctionnées
par lui-même à travers l’exemple.

B- Une théorie systématique du tyrannicide


Avant de se poser la question de comment agir contre la tyrannie, il faut bien la caractériser et pour cela Mariana reprend
le modèle aristotélique, selon lequel la tyrannie est la dernière et pire forme de gouvernement, à la fois qu’antithétique

8
Pour approfondir sur l’influence de l’augustinisme politique sur Juan de Mariana, voir BRAUN, H. (2013). “Juan de Mariana, la
antropología política del agustinismo católico y la razón de Estado”. Criticón, 118, 99-112.
9
Apparu pour la première fois en 1115, il était un privilège, puis une institution chargée de la médiation des conflits entre le roi et
la noblesse, ainsi qu’il veillait du respect royal des fueros aragonaises.
10
De rege, Livre I, II, p. 43.
11
De rege, Livre I, IX, p. 82.
de la monarchie12, dont elle est une dégénération, ainsi le prince peut à tout moment par la voie des faits devenir un
tyran, ce qui souligne encore plus le caractère pédagogique voire préventif du traité. Dans cette contraposition est que
Mariana énumère les qualités du prince et du tyran, tandis que l’un réprime la méchanceté, défende l’innocence et
protège le bien-être de son peuple et il n’a peur que de ce qui nuit le royaume ; l’autre ne connaît que la corruption et la
violence sans s’intéresser à l’intérêt public et il a si peur du peuple qu’il cherche à affaiblir la communauté et à rendre
les hommes libres en esclaves. Nonobstant, le problème de l’identification du tyran ne reste pas résolu, surtout tenant
en compte ses formulations plutôt catégoriques, savoir qui peut déterminer qu’un prince est devenu tyran est une
question centrale afin de ne justifier le simple régicide.
Il est donc pertinent de s’intéresser au problème du tyran qui le devient lors de l’exercice d’un mandat légitime, étant
le cas de l’usurpateur amplement abordé par la tradition qui a déjà été commentée. C’est en ce sujet que Mariana va
donner une première théorie systématisée sur la réponse à la tyrannie. Jusqu’à la publication de De rege, le consensus
semblait être, suivant les postulats thomistes, que l’action violente contre le tyran restait un dernier recours seulement
réalisable dans les cadres de la propre autorité publique, l’action privée étant écartée puisqu’il serait, d’après Francisco
de Vitoria, contraire au droit naturel le fait que la personne soit, au même temps, accusatrice, juge et bourreau de la
sentence. Si bien dans son ouvrage le recours au tyrannicide effectué par une personne privée est restreint aux cas où le
pouvoir tyrannique serait parvenu à un point tel que les réunions publiques seraient interdites et donc la voie publique
serait de fait rendue irréalisable ; néanmoins quand cela demeure possible, la communauté a encore le devoir d’appeler
le prince à l’ordre en lui rappelant son obligation de respecter les lois. Mais Mariana ne reste ancré dans l’ingénuité de
penser que cela soit toujours possible, non plus que ces avertissements produisent un changement sur le comportement
du prince, ainsi celui qui ait attenté contre la vie de son prince, s’appuyant sur les désirs publics, n’aurait pu agir mal13.
Il faut bien souligner que l’action privée d’arracher la vie au tyran doit toujours est licite en tant qu’elle réponde à la
volonté de la communauté, mais faudrait encore se demander qui établit ces « désirs publics », parce qu’il sera à lui de
caractériser l’existence ou non de la tyrannie. C’est à ce stade de son argumentation qu’il se montre l’importance du
constitutionnalisme médiéval, puisqu’il semble que la désignation du tyran reposerait sur les grands du royaume voire
sur les représentants des différentes classes de la société, ce qui semble découler de l’attribution qui fait de cette tâche
aux viri eruditi et graves consilium adhibeantur.
Ce faisant, la formulation de Mariana sur la tyrannie présentée comme étant d’une extrême radicalité ne résulte qu’une
conséquence cohérente de sa conception de la dignité royale, qui trouve sa source dans le consentement du peuple
auquel doit servir en étant le reflet de la vertu et la justice. Ainsi, celui qui tuerait le tyran ne ferai que couper le membre
pourri afin qu’il n’infecte pas le reste du corps avec sa corruption. Cependant, il ne réside dans l’individu la faculté de
juger la condition tyrannique du prince, mais aux prudents sages du royaume, ce qui lui permettrai de contourner les
critiques de Francisco de Vitoria. Si la prudence a une place centrale dans De rege, non seulement comme élément
caractéristique de ceux qui peuvent identifier la tyrannie, mais aussi comme principe directeur de la politique du prince ;
cela se complète avec une conception morale du pouvoir, qui est soumis à l’obtention de la félicité pour l’ensemble de
la communauté et au respect, tout de même, des droits des citoyens qui sont protégés par la loi de l’action du prince,
qui ne peut pas intervenir sans la menace de devenir tyran, étant en ce sens très intéressant son traité sur la monnaie où
Mariana considère illicite pour le prince d’altérer la valeur de la monnaie en provoquant des effets inflationnistes. En
tout cas, cette conception du pouvoir apparaît comme une réponse à l’influence croissante de la notion de ragion di
Stato et la conception d’un pouvoir royal séparé de toute appréciation morale qui découlent de l’œuvre de Machiavel.
Le modèle de Juan de Mariana est radicalement contraire, le pouvoir ne se conçoit qu’en étant au service du bien
commun ainsi que le prince chrétien ne peut qu’être vertueux ; c’est ainsi qu’il ne doit être point étonnant qu’il considère
qu’il n’est pas licite d’empoisonner [le prince], car cela est contraire aux lois de la nature, qui interdi sent d’attenter
contre la propre vie14. Cela montre qu’une bonne compréhension de la question de la tyrannie dans la pensée de Mariana
précise que celle-ci ne soit pas arrachée du système plus complexe des sources et fonctions de la dignité royale.
III. Juan de Mariana à Paris : l’influence du jésuite espagnol en France
Mariana part étudier théologie à la Sorbonne, où il ne sera seulement formé, mais il obtiendra aussi une chaire qui
occupera jusqu’en 1574, date à laquelle il repart à Toledo15. Bien qu’il y ait constance de son excellente opinion de
Paris, de laquelle écrit qu’aucune autre ville d’Europe peut se comparer à cause de ses richesses, ses études et sa

12
De rege, Livre I, III, p. 60.
13
De rege, Livre I, IV, p. 70.
14
De rege, Livre I, VII, p. 74.
15
MARTÍNEZ FALERO, J. (1997). Vida y obra de Juan de Mariana. Conférence prononcée le 9 avril 1997.
science, il n’est moins vrai que les conflits, notamment religieux entre catholiques et huguenots, qui dévastent la France
vont lui causer une grande impression.
Nonobstant, Mariana sera bien connu en France après son départ de Paris, à l’occasion de la publication de De rege.
Non seulement parce qu’il rejette sans le donner une grande considération la théorie de la souveraineté de Bodin,
lorsqu’il se demande si une communauté pourrait vouloir transférer au prince une souveraineté pleine, sans limitations
et répond que cette question ne mérite pas d’être disputée car le peuple qui ferait ainsi agirait de façon extrêmement
imprudente, comme le prince qui y accepterait16; mais principalement pour l’utilisation de l’exemple du régicide de
Henri III dans sa justification du tyrannicide. Mariana sera encore accusé, avec l’ensemble des jésuites -même si les
opinions dans le sein de la compagnie étaient divergentes-, d’être l’auteur moral de l’assassinat d’Henri IV en 1610. Ce
n’est point étonnant que le parlement de Paris a condamné et brulé De rege moyennant un décret qui qualifiait l’œuvre
de séditieux, ce qui était considéré par l’écrivain Cirot comme une autre épisode de la lutte interminable du parlement
et l’université contre les jésuite. Il ne faut pas oublier que tout au longue du XVIIème siècle, dans la cour française vont
cohabiter les intérêts d’une politique étrangère antiespagnole en faveur des protestants et les défenseurs du parti
catholique, ce derniers n’empêchant pas une politique hostile à l’égard des jésuites, dont la protection aurait été sans
succès demandée par Marie de Gournay à la reine-mère Marie de Médicis, du parti catholique.
Mais l’influence de Mariana touchera aussi la production intellectuelle et culturelle de l’époque ; si bien Bodin ne
pouvait plus le répondre, il sera un autre théoricien absolutiste, Michel Roussel, qui essayera de réfuter De rege avec
un traité dont le titre ne permet pas de confusion : l’Antimariana (1610). Dans l’ouvrage critique spécialement
l’exposition de Mariana appuyée sur des exemples qui, d’après Roussel, empêchaient une formulation claire du
comportement moral, qui n’était autre que celui qui découlait de la loi du souverain, auquel -il rappelle- les citoyens
doivent une obéissance aveugle, même s’ils précisent de devenir martyres. Ces positions vont être rejetées en part par
le jésuite français Nicolas Caussin, lorsqu’il écrira son traité La Cour saincte (1638), qui était destiné au roi Louis XIII
et, à imitation de l’œuvre de Mariana, abordé les questions propres de la tyrannie à travers l’exemple tiré de l’histoire
classique d’Hérode et son épouse Mariamne. Si bien il semble que Caussin s’oppose complètement aux affirmations de
Mariana, dès lors qu’il présente dans une allégorie comment la punition d’Hérode pour son comportement tyrannique
provient de la main de Dieu et avec une certaine passivité de Mariamne ; le jésuite français ne condamne expressément
le tyrannicide dans son ouvrage et quand finalement il publiera la deuxième partie de son œuvre, une fois Louis XIII et
Richelieu décédés, son positionnement anti-absolutiste ainsi que son opposition à la politique contre les princes
catholiques deviendront plus explicites. Il mérite encore de mentionner que cette allégorie de la tyrannie présentée par
le père Caussin suivant la polémique que l’ouvre de Mariana avait suscité en France, deviendra une tragédie théâtrale
de la plume de Tristan L’Hermite. Dans son pièce La Mariane (1637), où Mariane est présentée avec toute sa dignité
royale en contraste avec un tyrannique Hérode, certains ont voulu voir une défense de la cause de son fidèle ami Gaston
d’Orléans, d’autres un parallélisme avec la relation entre Richelieu et la reine-mère, même certains ont considéré qu’il
pouvait s’agir d’une tentative de restaurer la bonne réputation de Juan de Mariana. Quel qu’il ait été l’intention de
Tristan, il faut constater que le tyrannicide sera à cette époque très largement rejeté par l’intellectualité française ou au
moins ne sera pas défendu ouvertement, comme exemple ces belles et puissantes paroles que L’Hermite fait sortir de
la bouche de Mariane lors de sa période en prison attendant la mort édictée par son époux d’un crime qu’elle ne
pensait pas commettre :
Et que la cruauté du tyran qui m’opprime,
ne me suppose un crime
que pour avoir sujet d’en commettre un nouveau.

Il semble que les idées de Mariana ont été plus présentes en France, spécialement dans la mesure qu’elles permettaient
de poser des questions épineuses sur l’organisation du pouvoir royal et la politique religieuse, de ce qu’il pouvait se
penser, jusqu’au point qu’il a été formulé la possibilité que l’identification de la République française comme Marianne
pourrait faire référence à une appellation péjorative des partisans des théories de Juan de Mariana sur l’origine populaire
du pouvoir17.

16
De rege, Livre I, VIII, p. 79.
17
GAUTHIER, F. (2007). De Juan de Mariana à la Marianne de la République française ou le scandale du droit de résister à
l’oppression. Disponible dans Révolution Française.net : l’Esprit des Lumières et de la Révolution.
Bibliographie
DUARTE SILVA, L. (2017). O direito de resistência e o tiranicídio no pensamento político de Juan de Mariana:
contextualização, apresentação e a justificação do direito de resistência. Tese de Pós-graduação. Pontifícia
Universidade Católica do Rio Grande do Sul, Brasil.
RUBIO CARRECEDO, J. (2007). “Ciudadanos y príncipes. El concepto de ciudadanía activa en Juan de Mariana”.
Revista de Estudios Políticos (nueva época), 138, 129-156.
ZELLER, L. (2018). “Mettre en scène l’alternative politique réduite au silence : de Juan de Mariana aux Marianes de
Caussin et de Tristan L’Hermite”. Early Modern French Studies, 40 (2), 133-145.
Table des matières
I. La question de la tyrannie dans la tradition catholique ........................................................................................................ 1
II. La pensée de Juan de Mariana face à l’actualité des régicides au XVIème siècle ............................................................... 2

A- Les racines de la communauté politique : un modèle de constitutionalisme médiéval ? ....................................... 3

B- Une théorie systématique du tyrannicide ................................................................................................................ 3

III. Juan de Mariana à Paris : l’influence du jésuite espagnol en France ................................................................................ 4

Bibliographie............................................................................................................................................................................. 6

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