Vous êtes sur la page 1sur 252

DU

MÊME AUTEUR
CHEZ LE MÊME ÉDITEUR
EN VERSION NUMÉRIQUE
The Blackstone Affair, tome I,
The Blackstone Affair, tome II, Ne juge pas
The Blackstone Affair, tome III, Ne t’enfuis pas
Raine Miller

NE RÉSISTE PAS

The Blackstone Affair TOME 1

Roman

Traduit de l’anglais
par Joséphine Antoine

« Franziska
Ma chère amie, ceci est pour toi…
La Vérité ! La vraie vérité toute nue,
voilà le mot. »
John C LELAND , 1749
Prologue
Londres
Mai 2012

Je connais que dalle à la vie politique américaine. Quel intérêt d’ailleurs ? Je suis citoyen
britannique et nous avons déjà fort à faire avec notre propre vie parlementaire. De toute
façon, la politique ne me passionne pas. Cependant je suis confronté en permanence à ses
retombées. Et pour cause, je bosse dans la sécurité, à la fois pour des clients privés et pour le
gouvernement. Du reste, je suis doué pour ça, je m’y implique à fond. Dans ce business, si on
n’est pas au top, il y a des morts.
Quand un membre du Congrès américain disparaît dans un crash d’avion, c’est forcément
du pain bénit pour les journaux. Mais quand le malheureux était probablement pressenti
comme le futur vice-président du parti de l’opposition, et qu’on est à quelques mois seulement
de l’élection… En un rien de temps, la nouvelle met le feu aux poudres à tous les médias de la
planète. D’autant plus que les candidats au pouvoir suprême sont prêts à tout pour empêcher
le président sortant d’accomplir un second mandat. Luttant pour sa survie, le célèbre GOP – le
Grand Old Party, autrement dit, le Parti républicain – devait coûte que coûte trouver un
remplaçant. Et c’est comme ça que je la rencontrai.
Tout a commencé par un e-mail de son père. Une voix du passé qui m’envoyait ses
amitiés et prenait acte de ce que nous étions devenus lui et moi. C’était bien comme ça. On va
dire que j’avais un passé haut en couleur. Avec des bons côtés et des moins bons. Lui, il était
entré dans ma vie lors d’une période faste.
Peu de temps après, il me passa un coup de fil pour m’informer qu’il avait une fille à
Londres. Il prétendait s’inquiéter pour sa sécurité, mais ses explications n’étaient pas très
claires. Je me montrai poli mais ferme : ce n’était pas de mon ressort. Mon job m’accaparait
déjà entièrement. J’étais chargé de la sécurité des VIP aux Jeux olympiques dont la trentième
édition allait se dérouler à Londres en 2012. Je n’avais déjà plus une minute à moi, alors
veiller de surcroît sur la fille de quelqu’un que j’avais croisé lors d’un tournoi de poker plus de
six ans auparavant…
Je déclinai donc. Pour me montrer bon prince, j’étais prêt à lui communiquer à titre
exceptionnel les coordonnées d’un concurrent. C’est alors qu’il abattit sa dernière carte. Les
joueurs de poker flairent le moment précis où abattre leur dernière carte.
Je reçus un deuxième e-mail avec sa photo.
Une photo qui changea tout. Après l’avoir vue, je n’étais plus le même et plus jamais je ne
pourrais redevenir l’homme que j’avais été. Encore moins à la suite de notre rencontre dans la
rue, ce soir-là. Une image avait complètement bouleversé mon univers. La photographie de
ma sublime Américaine.
1

Fort heureusement, ma mère ne peut pas la voir. La crise qu’elle piquerait !


Je suis passée ce soir à l’expo de Benny parce que je le lui avais promis, sachant
l’importance qu’il attache à ma présence. Pour moi aussi cela compte beaucoup. Benny est
mon ami et je ferai toujours tout pour lui, comme lui pour moi. Ces trois dernières années, il
a toujours été là pour me consoler, prendre un verre et me témoigner sa sympathie. Il lui est
même arrivé de me donner du travail pour m’aider à payer mon loyer. Oui, il a fait tout ça
pour moi, comme cette photo qu’il a shootée et que je suis en train de contempler à l’instant.
Une photo de moi nue.
Je n’ai jamais rêvé de poser nue, ni d’en faire un métier ou autre chose, mais c’est un bon
moyen pour arrondir mes fins de mois entre deux prêts étudiant. J’ai récemment reçu des
offres d’autres photographes et Benny m’a affirmé que je devais m’attendre à être sollicitée
encore plus après l’expo de ce soir. Les gens vont se renseigner sur le modèle. C’est un fait,
Brynne. Ça, c’est mon Benny tout craché, toujours optimiste !
Je sirotai mon champagne en regardant l’image immense accrochée au mur de la galerie.
Mon portrait. Agrandi et imprimé sur une toile pour la circonstance. L’effet était un peu
surprenant mais tout de même, quel talent, ce Benny ! Pour un fils de réfugiés somaliens
débarqués au Royaume-Uni avec moins que rien, il savait cadrer une image. Il m’avait fait
poser sur le dos, ma tête tournée de côté, un bras couvrant mes seins et mes doigts écartés
glissés entre mes cuisses. Il avait voulu que mes cheveux soient étalés et que je garde les
jambes droites. On ne devait pas voir mon minou. Je portais un string invisible sur la photo.
Rien ne pouvait qualifier cette photo de pornographique. Nu artistique était le terme adéquat.
J’avais tenu à ce que le résultat soit classe sinon je n’aurais pas accepté. Évidemment je ne
souhaitais pas que les clichés atterrissent sur des sites pornos, mais comment en être sûr de
nos jours ? Je ne faisais pas de porno. C’est à peine s’il m’arrivait de baiser !
— Et voilà ma copine !
Les longs bras de Benny m’enveloppèrent, il appuya son menton sur ma tête.
— C’est génial, non ? En plus, tu as le plus beau pied féminin de toute la planète.
— Tu peux photographier n’importe quoi, Ben, et ce sera toujours beau… même mes
pieds.
Je me tournai face à lui.
— Alors ? T’en as déjà vendu ? Attends, laisse-moi formuler autrement, tu en as vendu
combien ?
— Trois jusqu’ici. Et je pense que celle-là ne va pas tarder à partir, dit-il avec un clin
d’œil. Sois discrète, tu vois le grand type brun en costard gris qui discute avec Carole
Andersen ? Il se renseigne. Il a l’air assez emballé par la nudité resplendissante de ton moi. Il
va sûrement se taper une bonne branlette dès qu’il aura le tableau pour lui tout seul. Quel
effet ça te fait, mon cœur, qu’un gros rupin se mette au garde-à-vous à la vue de ta beauté
surnaturelle ?
— Tais-toi, dis-je en lui faisant les gros yeux. T’es trop débile. Continue à dire des trucs
comme ça et j’arrête de bosser pour toi.
Je secouai la tête.
— Tu as du bol que je t’aime autant, Benny Clarkson.
Il avait le don de sortir les pires grossièretés tout en se débrouillant pour qu’elles
paraissent convenables, voire raffinées. C’était sûrement à cause de son accent british. La
preuve ? Même le chanteur métal Ozzy Osbourne arrive de temps à autre à passer pour
quelqu’un de bien élevé. Toujours et encore l’accent !
— Pourtant, c’est la vérité, reprit Ben en m’embrassant sur la joue. Et tu le sais très bien.
Ce type n’a pas arrêté de te reluquer depuis que tu roules des hanches dans les parages. Et il
n’est pas gay.
J’en restai bouche bée.
— C’est toujours bon à savoir, Ben. Merci de me mettre au parfum. Et je roule pas des
hanches !
Il me jeta son sourire de sale gosse.
— Crois-moi que s’il l’était, je lui aurais déjà proposé d’aller le pomper dans la réserve.
Trop bandant, le mec.
— Toi, tu finiras en enfer. Tu le sais, hein ?
L’air de rien, je tentai d’avoir un aperçu du fameux acheteur. Benny n’avait pas tort, le
type exhalait la sensualité de la pointe de ses Ferragamo à celle de ses cheveux sombres et
ondulés. Environ un mètre quatre-vingt-dix, musclé, sûr de lui et riche. Je ne voyais pas ses
yeux car il discutait avec la propriétaire de la galerie. Parlaient-ils de mon portrait ? Difficile
à dire, mais quelle importance de toute façon ? Même s’il l’achetait, je ne reverrais jamais cet
homme.
— Alors, je n’ai pas raison ? dit Ben en me poussant du coude.
— Pour la branlette ? Enfin, Benny, c’est impossible !
Je secouai la tête lentement.
— Allons donc, il est bien trop beau pour ne jouir que d’une main !
Au même moment, l’homme bien trop beau se retourna et me regarda. Ses yeux me
brûlèrent à travers la salle comme s’il avait entendu ce que je venais de dire. Mais comment
aurait-il pu ? Il me fixait si profondément que je finis par détourner le regard. Je ne faisais pas
le poids face à un tel degré d’intensité et à tout ce que ce mec irradiait jusqu’à moi. Je fus
prise d’une envie soudaine de m’enfuir. La sécurité avant tout.
J’avalai une gorgée de champagne puis je vidai la coupe entièrement.
— Il faut que j’y aille. Bravo pour l’expo.
J’étreignis mon ami.
— Tu seras célèbre dans le monde entier, lui dis-je avec un large sourire. D’ici une
cinquantaine d’années !
Il riait encore dans mon dos quand je me dirigeai vers la sortie.
— Appelle-moi, mon cœur !
Je lui fis au revoir de la main sans me retourner.
La rue était animée pour un soir de semaine. L’approche des Jeux olympiques attirait à
Londres l’humanité entière. Cela allait être l’enfer pour trouver un taxi. Est-ce que j’allais me
taper tout le chemin jusqu’au prochain métro ? Je jetai un coup d’œil à mes hauts talons
génialement assortis à ma robe certes, mais question confort de marche, ce n’était pas du tout
ça. Même si je prenais le métro, j’aurais encore deux rues sombres à remonter avant
d’atteindre mon appart. Sûr que maman dirait non. Mais bon, maman n’était pas à Londres.
Elle était à la maison, à San Francisco, précisément là où je ne voulais plus être. Et puis merde
tiens. Je me mis en route.
— C’est une très mauvaise idée, Brynne. Ne faites pas cette bêtise. Laissez-moi vous
raccompagner en voiture.
Je me pétrifiai sur place. Je savais que c’était lui, même si je n’avais jamais entendu le
son de sa voix. Je pivotai lentement pour me retrouver face à ces mêmes yeux qui m’avaient
incendiée tout à l’heure dans la galerie.
— Je ne vous connais pas, dis-je.
Sa bouche, que pimentait une barbe de trois jours, sourit en coin. Il me montra sa voiture
garée le long du trottoir, une élégante Range Rover HSE noire. Le genre de voiture que seuls
peuvent s’offrir les Anglais fortunés. Déjà tout à l’heure, il avait l’air du type plein aux as mais
là, il jouait carrément dans une autre division.
J’eus quelque peine à avaler ma salive. Ses yeux étaient d’un bleu clair très profond.
— Voilà que vous m’appelez déjà par mon prénom. Et vous croyez vraiment que je vais
monter dans votre voiture ? Vous êtes dingue ou quoi ?
Il fit un pas vers moi et me tendit la main.
— Ethan Blackstone.
Sa belle main raffinée dépassait d’une manchette blanche qui frangeait une veste grise de
créateur.
— Comment se fait-il que vous sachiez mon nom ?
— Il y a un quart d’heure à peine, j’ai acheté pour une coquette somme une œuvre
intitulée Brynne au repos, à la galerie Andersen. Je ne crois pas être déficient
intellectuellement. Ça paraît plus politiquement correct que dingue, vous ne trouvez pas ?
Il me tendait toujours la main. Je la touchai ou bien lui, je ne sais plus. Bon sang, je
devais être en train de perdre la tête pour échanger une poignée de main avec un étranger qui
venait de s’offrir une toile immense représentant mon corps nu. Ethan avait la poigne
vigoureuse. Et chaude aussi. Est-ce imagination de ma part ou m’avait-il légèrement attirée
vers lui ? La dingue, ça devait être moi car mes pieds n’avaient pas bougé d’un centimètre. En
tout cas, son regard était maintenant tout près de moi, si bleu… Je pouvais même respirer
son parfum. Un arôme, mon Dieu ! Terriblement exquis. C’était un vrai péché que de
seulement le renifler.
— Brynne Bennett, dis-je.
Il lâcha ma main.
— Eh bien, voilà ! La glace est rompue, dit-il en pointant l’index sur moi, puis sur lui.
Brynne, Ethan.
Il fit un mouvement de la tête en direction de la Rover.
— Vous voulez bien que je vous raccompagne maintenant ?
Je déglutis à nouveau.
— Pourquoi tant de prévenance ?
— Parce que je n’ai pas envie qu’il vous arrive quelque chose ? Parce que ces chaussures
qui soulignent vos jambes merveilleuses doivent être un enfer pour marcher ? Parce que c’est
dangereux pour une femme d’être seule en ville, la nuit ?
Ses yeux se posèrent sur moi.
— Surtout une femme telle que vous.
Le coin de sa bouche se releva une fois de plus.
— Ça fait pas mal de raisons, mademoiselle Bennett.
— Et si c’était dangereux aussi de monter avec vous ?
Il arqua un sourcil.
— Je ne sais pas qui vous êtes. Rien. Je ne sais même pas si vous vous appelez vraiment
Ethan Blackstone.
C’était quoi, là, ce regard qu’il m’avait jeté à l’instant ?
— Ce n’est pas faux, dit-il. Ni difficile à réparer.
Il tira de sa poche un permis de conduire parfaitement établi au nom d’Ethan James
Blackstone. Il me tendit aussi une carte de visite couleur crème imprimée en un léger relief.
C’était le même nom suivi de la mention : Blackstone Security International.
— Gardez-la.
Un large sourire éclairait son visage.
— Mon boulot m’accapare beaucoup, mademoiselle Bennett. Croyez-moi, je n’ai pas de
temps à perdre pour des hobbies du style tueur en série. Je vous donne ma parole.
Moi aussi je riais maintenant.
— Bien joué, monsieur Blackstone, dis-je en glissant sa carte dans mon sac. D’accord,
vous pouvez me prendre dans votre voiture.
Il plissa le front. J’eus encore droit au sourire asymétrique. Je grimaçai intérieurement
d’avoir laissé échapper une expression avec un tel double sens : me prendre… J’essayai de me
concentrer sur ma paire d’escarpins qui étaient tout sauf confortables et certainement pas faits
pour marcher jusqu’au métro. Quelle idée excellente il avait eue de me raccompagner.
Sa main calée sur mes reins me poussa légèrement vers le bord du trottoir.
— Montez.
Quand je fus installée, il contourna la Rover pour aller s’asseoir au volant, souple comme
une panthère. Il pencha la tête vers moi.
— Et où mademoiselle Bennett habite-t-elle donc ?
— Nelson Square à Southwark.
Il fronça les sourcils puis se détourna et s’engagea dans la circulation.
— Vous êtes américaine.
Quoi, il n’aimait pas les Américains maintenant ?
— J’ai obtenu une bourse pour étudier à la fac à Londres au niveau master.
Je me tus, me demandant pourquoi j’éprouvais le besoin de lui raconter ma vie.
— Et vous posez en tant que mannequin ?
À peine formulée, la question fit monter la tension d’un cran. Je ne répondis pas tout de
suite, je savais très bien ce qu’il était en train de faire – il me visualisait sur la photo. Nue. Ça
peut paraître étrange mais j’ouvris la bouche pour répondre :
— Heu… je… j’ai posé pour mon ami, le photographe, Benny Clarkson. C’est lui qui me
l’a demandé. Ça m’arrondit les fins de mois, vous voyez ?
— Non, pas vraiment. Mais j’adore ce portrait de vous, mademoiselle Bennett.
Il ne quittait pas la route des yeux. Cette remarque m’avait contrariée. Qui était-il,
merde, pour me juger ? Chacun se débrouille comme il peut pour s’en sortir.
— Eh bien, il faut croire que ma firme internationale n’a pas réussi aussi bien que la
vôtre, monsieur Blackstone. Il est vrai que j’ai eu recours à cet expédient. J’aime bien dormir
dans un lit plutôt que sur un banc et au chaud de préférence. Les hivers ici, c’est fou comme
ça vous pompe !
Même à mes propres oreilles, le ton de ma voix résonnait de manière franchement
sarcastique.
— Ça vous pompe… D’expérience, je pourrais dire ça de beaucoup de choses.
Il se tourna vers moi et me lança son regard azur plein de sous-entendus.
Sa façon de prononcer les mots : « Ça vous pompe » m’avait fait frissonner d’excitation,
preuve que je suis dotée d’un certain talent imaginatif. Je ne peux peut-être pas me prévaloir
d’une immense expérience au lit, mais pour ce qui est des fantasmes, je suis imbattable.
— On est au moins d’accord là-dessus.
Je me frottai le front du bout des doigts. L’image du sexe d’Ethan et le « Ça vous
pompe », les deux dans le petit espace de mon cerveau… C’était tout à coup trop pour moi.
— Mal à la tête ?
— Ouais. Comment vous le savez ?
Il ralentit au feu rouge, ses yeux se baladèrent sur mes genoux, mes cuisses, mon ventre
avant de remonter vers mon visage en un mouvement lent et mesuré.
— Laissez-moi deviner. Vous n’avez pas dîné, vous n’avez avalé que cette coupe à la
galerie, or il est tard et votre corps proteste.
Son sourcil se souleva encore.
— Comment je sais ça ?
J’eus quelque peine à déglutir. J’avais horriblement soif. Bingo ! monsieur Blackstone.
Vous lisez dans mes pensées comme dans un livre ouvert. Qui que vous soyez, vous êtes doué.
— Deux aspirines, un peu d’eau et tout ira bien.
Il secouait la tête.
— Votre dernier repas, Brynne, c’était quand ?
— Ça y est, on recommence à s’appeler par nos prénoms alors ?
Il me jeta un regard indulgent mais il était énervé, c’était clair.
— J’ai pris un petit déjeuner tardif, d’accord ? Je me ferai un truc en rentrant.
Je regardai au-dehors. Le feu avait dû passer au vert car la voiture roulait. Il n’y avait
d’autre bruit que son corps se mouvant au gré de la conduite. C’était si excitant que je ne pus
m’empêcher plus longtemps de lui jeter un coup d’œil. De profil, Ethan avait un nez assez
proéminent, mais cela lui allait bien, il était si beau !
Il semblait m’ignorer maintenant et se comportait comme si je n’étais pas assise tout à
côté de lui. Ethan pilotait avec adresse. Il connaissait bien Londres, pas une seule fois il ne me
demanda la route. Je continuais de respirer son odeur, et cet arôme unique me déclenchait
des trucs dans la tête. Il était temps que je descende de cette voiture.
Il grommela quelque chose et se gara sur le parking d’un centre commercial.
— Attendez-moi. J’en ai pour une minute.
La voix était un rien tendue. Pas mal tendue en fait. Tout était toujours tendu avec lui.
Sans discussion. Il vous disait ce que vous aviez à faire et ça ne souffrait pas de réplique.
Sous ma jupe légère, la chaleur ambiante et le confort du siège en cuir provoquaient des
sensations nullement désagréables. Sur un point au moins, Ethan avait vu juste : je n’aurais
jamais survécu si j’avais dû marcher jusqu’au métro. Je me retrouvais donc assise dans la
voiture d’un quasi-étranger qui m’avait contemplée nue, qui m’avait forcée à accepter d’être
raccompagnée et qui, l’air morose, ressortait maintenant du commerce avec un sac. Ça ne
commençait pas à être bizarre de chez bizarre, tout ça ?
— Un achat urgent ?
Il me fourra une bouteille d’eau entre les mains et ouvrit une boîte de Nurofen, un
équivalent de l’Advil au Royaume-Uni. Je pris les cachets sans un mot, et sans me soucier du
fait qu’il me regardait avaler ma flotte. La bouteille fut vidée en un instant. Ethan déposa sur
mes genoux une barre de protéines.
— Vous avalez ça maintenant.
Toujours ce ton, du style obéis et fais pas chier. Il ajouta tout de même :
— S’il vous plaît.
Je soupirai. Je déchirai l’emballage de la barre de chocolat blanc. On n’entendait plus que
le crissement du papier dans le silence de l’habitacle. Je mordis une bouchée que je mâchai
lentement. Dieu que c’était bon. Il m’avait trouvé ce dont j’avais absolument besoin.
— Merci, murmurai-je.
L’émotion me submergea tout à coup. Une terrible envie de pleurer m’étreignit. Je
ravalai mes larmes comme je pouvais et restai tête baissée.
— Le plaisir est pour moi, dit-il doucement. Tout le monde a droit au minimum, Brynne.
De la nourriture, de l’eau… un lit.
Un lit ! L’onde sensuelle resurgissait ou peut-être ne nous avait-elle jamais quittés. Ethan
semblait posséder une grâce particulière : sorti de ses lèvres, le mot le plus innocent
paraissait ardent, moite et chargé d’une si hallucinante volupté qu’il vous hantait pendant
longtemps, très longtemps. Il attendit pour démarrer que j’aie fini ma barre protéinée.
— C’est quoi, votre adresse exacte ? demanda-t-il.
— 41, Franklin Crossing.
Il sortit du parking et s’engagea dans la circulation. Chaque tour de roues me rapprochait
un peu plus de chez moi. Je m’enfonçai dans le siège en cuir et fermai les yeux. Dans mon sac,
mon téléphone vibra. Je le sortis, c’était un SMS de Benny : T chez toi ? T OK ? Oui, tapai-je
rapidement avant de fermer les yeux à nouveau. Mon mal de tête disparaissait, cela faisait des
heures que je ne m’étais pas sentie aussi détendue. L’épuisement l’emporta, j’imagine, sinon
comment aurais-je pu me laisser aller ainsi au point de m’endormir dans la voiture d’Ethan
Blackstone ?
2

Quelqu’un me touchait. Quelqu’un dont la main pesait sur mon épaule et qui sentait très
bon. Un parfum épicé. Pourtant, la peur me submergea, le sentiment de terreur était à
nouveau au rendez-vous, celui qui me poussait à crier jusqu’à reprendre conscience. J’avais
beau savoir de quoi il retournait, la panique me dictait sa loi. Depuis des années maintenant
je vivais avec ces accès.
— Brynne, réveillez-vous.
Cette voix… À qui appartenait-elle ? J’ouvris les yeux et me retrouvai face à Ethan qui
me pénétrait de son regard bleu. Il n’était pas à plus de vingt centimètres de moi. Je reculai
dans mon siège pour m’éloigner de ce si beau visage. La mémoire me revenait, maintenant. Il
avait acheté la photo ce soir et il me raccompagnait maintenant chez moi.
— Merde ! Pardon, je… Je me suis endormie ?
Je cherchai à tâtons la poignée de la portière d’une voiture que je ne connaissais pas.
J’essayais d’en sortir à l’aveuglette – avant de filer à toute vitesse.
Ethan tendit la main et la posa résolument sur la mienne qui cessa aussitôt de s’agiter.
— Du calme. Il n’y a aucun danger. Tout va bien. Vous vous êtes assoupie, c’est tout.
— D’accord… Désolée.
Je haletais en prenant de grandes inspirations. Je regardai par la fenêtre puis me tournai
vers lui qui surveillait le moindre de mes gestes.
— Pourquoi n’arrêtez-vous pas de vous excuser comme ça ?
— Je ne sais pas, répondis-je à voix basse.
Bien sûr que je le savais mais ce n’était pas du tout le bon moment.
— Vous allez bien ?
Il eut un léger sourire comme il penchait la tête. Je suis sûre qu’il se délectait de me faire
perdre les pédales. Je m’en délectais d’ailleurs aussi. Raison de plus pour sortir au plus vite de
cette situation avant que je dise oui à tout. Par exemple, à un ordre du genre : Déshabillez-
vous, Brynne, et mettez-vous à l’aise sur la spacieuse banquette arrière de ma Range Rover. Cet
homme avait une façon de tout contrôler qui me mettait les nerfs à vif.
— Merci de m’avoir raccompagnée. Et pour l’eau aussi. Et pour le…
— Prenez soin de vous, Brynne Bennett.
Il pressa le bouton qui déverrouillait la portière.
— Vous avez vos clés ? Je vais attendre jusqu’à ce que vous soyez chez vous. C’est quel
étage ?
Je tirai les clés de mon sac et fourrai à la place mon téléphone qui était resté sur mes
genoux.
— Un studio sous les combles. Au cinquième.
— Il y a une coloc ?
— Euh… oui. Mais elle ne doit pas être là.
Je continuais à me demander pourquoi je n’arrivais pas à tenir ma langue, pourquoi je
refilais comme ça des infos sur ma vie privée à un quasi-inconnu.
— Alors, j’attendrai qu’il y ait de la lumière.
Son expression était indéchiffrable. Je n’avais aucune idée de ce qu’il pensait.
J’ouvris la portière et je descendis.
— Bonne soirée, Ethan Blackstone.
Je m’éloignai de la voiture et gagnai l’escalier de l’immeuble. Je sentais qu’il ne me
quittait pas des yeux. Tout en glissant la clé dans la serrure, je jetai par-dessus mon épaule un
coup d’œil à la Rover. Les vitres étaient si foncées qu’on ne discernait pas l’intérieur. Mais il
était bel et bien là à attendre que je sois rentrée pour démarrer.
Dans le hall, je me retrouvai face aux cinq volées de marches. Je me déchaussai pour
monter pieds nus. À la seconde où je pénétrai dans l’appart, j’allumai et mis aussitôt le verrou.
Je m’effondrai, cherchant un appui contre la porte en bois, mes escarpins claquèrent sur le
sol. Je lâchai alors un profond soupir. Qu’est-ce qui s’est passé là, merde ?
Je me décollai enfin de cette foutue porte et allai à la fenêtre. J’écartai le rideau du bout
du doigt. Sa voiture avait disparu. Ethan Blackstone était parti.

Sept ou huit kilomètres de running, voilà ce dont j’avais besoin pour dissiper les brumes
de la soirée et m’éclaircir les idées. Quel trip ! Alice au Pays des merveilles tombée dans un
foutu trou à lapin. J’avais vraiment l’impression d’avoir joué à fond la carte du « Mangez-Moi
et Buvez-Moi ». Merde ! Il y avait de la drogue ou quoi dans ce champagne ? Vu mon
comportement, ce n’était pas impossible. Je m’étais laissé embarquer dans la voiture d’un
étranger pour qu’il me dépose devant chez moi alors qu’entre-temps il m’avait fait avaler ce
qu’il voulait ! Trop débile ! Je me promis de tout oublier et lui avec. La vie était déjà assez
compliquée comme ça, pas la peine d’en rajouter.
C’est ce que répétait toujours tante Marie. Je riais encore en revoyant sa réaction quand
elle avait appris que je posais. Le fait est que les photos dénudées tourmentaient bien moins
ma grand-tante que ma mère. Tante Marie n’était pas une femme coincée. Je mis mon iPod en
mode aléatoire et je sortis.
Cette rencontre bizarre fut bientôt pilonnée par la cadence de mes pas sur le trottoir de
Waterloo Bridge. L’effort physique me faisait du bien, courir tout simplement. Les
endorphines, sûrement. Tout en maudissant intérieurement mes fantasmes sexuels, je me
demandai si ce n’était pas là mon problème. N’était-ce pas la raison pour laquelle j’avais laissé
à Ethan une telle marge de manœuvre ? Avais-je à ce point besoin d’un orgasme ? Tu es
tellement obsédée ! Un besoin, ouais, à prendre au sens littéral comme figuré.
Courant toujours, je passai sur l’autre rive en suivant le chemin le long de la Tamise. Mon
iPod n’y était pas pour rien. La musique avait ce pouvoir de me remettre les idées en place.
Avec Eminem et Rihanna, vissés sur mes oreilles, qui mentaient à qui mieux mieux au nom de
l’amour, j’adoptai un rythme régulier, admirant au passage l’architecture de Londres.
L’équilibre était parfait entre la vieille cité chargée d’histoire et l’agitation moderne. Ce qu’on
appelle la dualité. J’aimais vivre ici.

Je ne faisais pas que poser nue. Tous les étudiants inscrits en master de conservation et
restauration des œuvres d’art devaient accomplir des stages pratiques à la Rothvale Gallery,
un manoir des ducs de Winchester qui hébergeait ce département de l’université depuis une
cinquantaine d’années. Selon moi, il ne pouvait exister au monde de plus bel endroit pour ce
genre d’études.
Ayant franchi l’entrée de service, je présentai mon badge à la borne de sécurité puis, une
seconde fois, pour accéder aux ateliers de conservation-restauration.
— Miss Brynne, bonjour à vous !
Rory et ses manières polies. Le gardien m’accueillait toujours de la même façon. Si
seulement il pouvait changer de musique un de ces quatre ! Me lancer par exemple : « Alors,
miss Brynne ? Vous avez fait quoi hier soir ? Baisé avec un maniaque plein aux as ? »
— Salut, Rory.
En passant devant lui, je lui adressai mon plus beau sourire.
Je me concentrai à fond sur mon travail. Le tableau était sidérant. C’était une œuvre de
Mallerton, première période, intitulée tout simplement : Lady Percival. Une femme fascinante
aux cheveux foncés presque noirs, drapée d’une robe assortie à son regard bleu, et tenant un
livre à la main. La plus magnifique silhouette que toute femme rêverait de voir reproduite sur
une toile. Elle était encore plus expressive qu’elle n’était belle. J’aurais tant voulu connaître
son histoire ! Le tableau avait été détérioré par la chaleur lors d’un incendie dans les années
soixante, et personne n’y avait touché depuis. Lady Percival avait besoin d’une bonne dose de
tendresse et d’attention, or j’avais cette chance de pouvoir la lui apporter.
Je m’apprêtais à faire une pause quand mon téléphone se manifesta. Correspondant
inconnu ? Bizarre. Je ne donnais mon numéro à personne et l’agence Lorenzo, qui me
représentait, respectait strictement les règles de confidentialité.
— Allô ?
— Brynne Bennett.
Les intonations sensuelles d’une voix britannique déferlèrent sur moi.
C’était lui. Ethan Blackstone. Comment avait-il fait ? Je n’en avais pas la moindre idée.
Pourquoi d’ailleurs ? Mais c’était bien lui, son accent sexy en live à l’autre bout du fil. Cette
voix impérieuse reconnaissable entre toutes.
— Comment avez-vous eu mon numéro ?
— Vous me l’avez donné hier soir.
Sa voix brûlait en moi. Quel menteur !
— Non, dis-je doucement, en essayant de garder le contrôle de mes émotions. Je ne vous
ai pas donné mon numéro hier soir.
Qu’est-ce qu’il avait en tête ?
— Peut-être vous ai-je emprunté votre téléphone par distraction… Peut-être ai-je appelé
le mien avec… Pendant que vous sommeilliez. Je n’ai pas dû faire attention, vous étiez si
déshydratée et affamée…
J’entendais des voix étouffées en arrière-fond, comme s’il m’appelait depuis un bureau.
— Tous les téléphones se ressemblent. Ce n’est pas difficile de se tromper.
— Alors comme ça, vous avez pris mon téléphone et composé mon numéro afin qu’il
s’affiche dans votre historique ? C’est ignoble, monsieur Blackstone !
Monsieur Beau Ténébreux aux Superbes Yeux Bleus commençait sérieusement à me taper
sur le système.
— Appelez-moi Ethan, je vous en prie, Brynne. Je veux que vous m’appeliez Ethan.
— Et moi, j’exige que vous respectiez ma vie privée, Ethan.
— Vraiment, Brynne ? Je crois que vous m’êtes très reconnaissante de vous avoir
raccompagnée hier soir, dit-il un ton plus bas. Il me semble que vous avez également apprécié
votre dîner, si je puis dire.
Il se tut un instant.
— Vous m’avez remercié.
Encore un silence.
— Dans l’état où vous étiez, vous n’auriez pas pu rentrer chez vous sans encombre.
Il parlait sérieusement ? Ses paroles me précipitèrent à nouveau dans le flot d’émotions
qui m’avait submergée la nuit dernière quand il m’avait rapporté l’eau et le Nurofen. Le fait
est qu’il n’avait pas tort, même si je ne l’aurais admis pour rien au monde.
— Très bien… Écoutez, Ethan. Je vous suis redevable de m’avoir rendu ce service hier
soir. Vous avez très bien fait et je vous remercie pour votre aide, mais…
— Alors dînons ensemble. Un vrai dîner. Pas un truc tout prêt sorti de son emballage, et
certainement pas dans ma voiture.
— Oh ! non… Je regrette, mais je ne crois pas que ce soit une bonne idée…
— Vous venez de dire que vous m’étiez redevable. Alors, ce que je veux maintenant c’est
que vous veniez dîner avec moi ce soir.
Mon cœur cognait toujours plus fort. Il n’en était pas question. Il me faisait un tel effet ! Je
me connaissais assez pour savoir qu’Ethan Blackstone était un danger pour une fille comme
moi – nageuse solitaire égarée sur le territoire du Grand Requin Blanc…
— Ce soir, je ne suis pas libre.
Un gros mensonge.
— Alors demain.
— Demain, je ne peux pas. Je vais travailler tard et les shootings m’épuisent…
— Parfait. Je passe vous chercher après votre shooting, je vous fais dîner et je vous mets
au lit de bonne heure…
— Vous m’interrompez tout le temps ! Comment voulez-vous que je m’y retrouve si vous
ne cessez pas d’aboyer des ordres, Ethan ? Vous êtes comme ça avec tout le monde ou c’est
moi qui provoque cela ?
La discussion avait tourné trop vite à son avantage et ça ne me plaisait pas du tout. Ça
me rendait dingue, même. En plus, je ne savais pas ce qu’il entendait exactement par vouloir
me mettre au lit de bonne heure. Je m’imaginais déjà plein de trucs…
— Oui… C’est un fait, Brynne, que c’est vous qui me provoquez.
Je sentais le désir ruisseler de sa voix. J’en étais morte de trouille. Et quelle idiote j’étais
de formuler les choses comme ça. Bravo, Brynne ! Ethan a dit que c’est toi qui le provoquais.
— Je dois retourner à mon travail.
Ma voix était à peine audible et je m’en rendais compte. Il me faisait perdre tous mes
moyens, bordel ! Je fis une nouvelle tentative :
— Merci pour la proposition, Ethan, mais je ne peux pas…
Il me coupa encore la parole :
— C’est parce que vous me dites non que je vais passer vous chercher demain à votre
shooting, et vous emmener dîner. Comme vous le savez, vous avez une dette envers moi.
Alors je réclame mon dû. C’est comme ça, Brynne.
Le salaud, il remettait ça ! Je soupirai bruyamment dans le téléphone avant de laisser
passer un long silence. S’il croyait que j’allais lui céder aussi facilement.
— Vous êtes toujours là, Brynne ?
— Vous avez envie de discuter avec moi, maintenant ? Vous avez vite fait de changer
d’avis. Chaque fois que j’ouvre la bouche, vous m’interrompez. Votre mère ne vous a-t-elle pas
appris les bonnes manières, Ethan ?
— Elle n’a pas pu. Elle est morte quand j’avais quatre ans.
Merde.
— Ah ! Bon, ça explique tout. Je suis vraiment désolée… Écoutez, Ethan. Il faut
absolument que je retourne bosser, là. Au revoir.
Je raccrochai sans attendre mon reste.
Je me reposai pendant un certain temps, la joue collée à ma table de travail. Ethan
m’épuisait. Je ne sais pas comment il s’y prenait, mais c’était une réalité. Je finis par me lever
de ma chaise pour gagner la salle de repos. Je choisis la plus grande tasse que je pus y trouver
et l’emplis d’une saloperie de mixture moitié sucre moitié café. De la caféine et une bonne
dose de glucides, voilà ce qui allait me requinquer ou m’expédier dans le coma.
Là-bas, dans mon coin d’atelier, Lady Percival était toujours aussi captivante. Elle était
prête, élégante et calme, m’attendant ainsi depuis plus d’un siècle. Mon café à la main, je la
rejoignis et j’entrepris de décrasser le livre qu’elle pressait si amoureusement contre son cœur.
3

La belle peau sombre de Benny contrastait à merveille avec la chemise jaune pâle dont il
avait paré son corps musclé. Quoi qu’il entreprenne, Ben y allait les yeux fermés tant il était
sûr de lui. Il était l’incarnation de l’optimisme. Si seulement je pouvais lui ressembler un peu
plus sur ce plan ! Je faisais de mon mieux pour y arriver, mais le résultat n’en était pas moins
lamentable.
— Alors, cet Ethan Blackstone a décidé qu’il aurait tout ce qu’il veut, c’est ça ? J’ai vu
comment il t’observait, Brynne. C’est simple, il n’a pas arrêté un seul instant de te mater.
Il ajouta à voix basse :
— Je le comprends, note bien.
Benny est toujours comme ça, adorable. Il est là quand j’ai besoin d’une épaule où
m’appuyer. Bon, il est vrai aussi qu’il n’est pas des plus discrets. J’avais essayé toute la soirée
de faire en sorte que l’on ne discute que de ses photos et de l’expo, mais il remettait
constamment Ethan sur le tapis.
— Le problème, tu vois, c’est qu’il a cette manie de vouloir tout contrôler. Je n’aime pas
ça du tout.
Je picorais des frites trempées dans une sauce barbecue.
— Merci, Ben car grâce à toi, ce soir, je ne vais pas passer pour une menteuse. J’ai dit à
Ethan que j’étais prise, du n’importe quoi, tu comprends. Heureusement que tu m’as appelée.
Ben choisit une frite et sourit en coin.
— C’est pour ça que tu as rappliqué en courant !
J’avalai une gorgée de cidre. Je n’avais plus assez faim pour le burger et le reste de frites.
— Merci pour l’invitation, en tout cas.
Mais le cœur n’y était pas.
— Écoute, reprit Ben, pourquoi ne pas sortir avec lui ? Il est sexy et il te désire à mort. Il
a les moyens de te faire passer un super-moment, c’est sûr.
Benny me prit la main et y posa tendrement les lèvres.
— Tu as besoin de t’amuser, mon cœur. Ou de baiser un bon coup. Tout le monde en a
besoin de temps en temps. Depuis quand n’as-tu pas…
Je retirai vivement ma main et avalai une autre gorgée de cidre.
— Stop, Ben, tu ne sauras rien de quand je me suis envoyée en l’air la dernière fois. Il y a
des limites, non ?
Il me jeta un regard indulgent.
— Un orgasme ne te ferait pas de mal, ma chérie, c’est clair.
Je préférai ne pas relever.
— C’est juste qu’il est… Je ne sais pas, moi… Il est… tellement ardent ! Ce qu’il dit, ce
qu’il fait dans la vie, sa façon de plisser le front, ses yeux bleus…
L’index pointé sur ma tempe, je fis le geste de me tirer une balle.
— Je ne sais pas à quel moment il a commencé à prendre le contrôle de la situation…
Ben aussi avait repoussé son assiette.
— Tu es prêt à partir, là, c’est ça ?
— Ouais. Allez, on ramène ta petite chatte frustrée à la maison. Ton vibro doit
t’attendre. Ça te fera du bien.
Je lui expédiai un coup de pied sous la table.
Dans le taxi du retour, je repensai à la virée de la veille dans la voiture d’Ethan. Je m’y
étais sentie tellement détendue que je m’étais endormie. L’abomination des abominations !
Jamais je n’avais fait ça. Jamais. Vu mon histoire, ce n’était pas dans mes habitudes de baisser
la garde devant des étrangers. Encore moins de m’endormir. Alors comment expliquer que
j’avais pu me laisser aller ainsi avec Ethan ? À cause de son physique si séduisant ? Je n’avais
vraiment prêté attention qu’à son visage, mais j’étais sûre qu’il était bâti comme un dieu sous
son costard en soie. Ce type avait tout pour lui. Il devait pouvoir s’offrir toutes les femmes
qu’il voulait. Alors pourquoi moi ?
— Demain soir, tu as un shooting en studio chez Lorenzo ?
— Ouais.
Je pris Ben dans mes bras.
— Merci, chéri, pour tes conseils et pour le dîner. Tu es trop top.
Je l’embrassai sur la joue.
— Et top sexy en plus. Vaya con Dios.
— J’adore quand tu me parles en espagnol, mon cœur ! dit-il en portant la main à son
torse. Alors continue ! Ça me fait un entraînement, j’ai trop envie d’impressionner Ricardo la
prochaine fois qu’il vient à Londres.
Je sortis du taxi et soufflai un baiser à Ben qui avait l’air aux anges. Je grimpai jusqu’à
mon petit studio adoré. Cinq minutes après, j’étais sous la douche et en pyjama au bout de
dix. Je venais d’accrocher ma brosse à dents à son support quand le téléphone sonna. Je
regardai l’écran. Merde. Ethan.
Je pris l’appel en rassemblant mon courage.
— Ethan…
— J’aime quand vous prononcez mon prénom donc je suis prêt à vous pardonner de
m’avoir raccroché au nez tout à l’heure.
Sa voix lente et d’une élégance toute britannique m’enveloppait, j’étais aux aguets, plus
réceptive que jamais aux riches promesses de sa virilité.
— Encore désolée.
J’attendis qu’il ajoute quelque chose mais rien ne vint. Je n’avais toujours pas accepté de
sortir avec lui, et nous le savions fort bien tous les deux. Il finit par demander :
— Votre soirée s’est bien passée ?
Je devinais ce tracé particulier de sa bouche qui signalait son agacement.
— Oui. C’était bien. En fait, je viens de rentrer… J’ai dîné dehors…
— Et qu’est-ce que vous avez mangé, Brynne ?
— Ça vous intéresse tellement, Ethan ?
— Ça me renseignerait sur vos goûts.
Et voilà comment il y allait encore ! Avec quelques mots, des allusions sexuelles comme
toujours, il faisait tomber toutes mes défenses. Un rien et je me retrouvais en chaleur.
— J’ai mangé un burger végétarien accompagné de frites et j’ai bu du cidre.
Je devais me détendre car j’avais baissé d’un ton.
— Vous êtes végétarienne, vous ?
— Pas du tout, j’adore la viande… Enfin, je veux dire… J’en mange… heu… Tout le
temps.
Mon Dieu… Cette brève sensation de détente s’était dissipée comme elle était venue. De
nouveau je bafouillais comme une ado.
Et lui, il rigolait à l’autre bout du fil.
— Donc, un bon choix de viandes au menu et du cidre, c’est ce qui vous ferait plaisir ?
— Minute ! Je n’ai jamais dit que j’étais d’accord pour dîner avec vous.
Je fermai les yeux.
— C’est pourtant ce que vous allez faire, Brynne.
Sa voix me faisait trop d’effet. Même au téléphone, je me sentais forcée de consentir à le
revoir. À le regarder et à respirer à nouveau son parfum. Je gémis :
— Vous me tuez, là, Ethan.
— Mais non, ricana-t-il doucement. On s’est déjà mis d’accord sur le fait que je ne suis
pas un tueur en série. Vous vous rappelez ?
— Ça, c’est ce que vous dites, monsieur Blackstone. Mais sachez que si vous m’assassinez,
vous serez le premier sur la liste des suspects.
Cette réaction le fit bien rire. À l’entendre, je ne pus m’empêcher de sourire.
— Alors comme ça, vous avez parlé de moi à vos amis ?
— Je tiens peut-être un journal intime et peut-être même que j’écris sur vous… Les flics
le trouveront quand ils viendront chez moi chercher des indices.
— Mademoiselle Bennett a le sens de la dramatisation. A-t-elle pris des cours de théâtre
au lycée ?
— Non. Elle a juste regardé beaucoup d’épisodes des Experts.
— D’accord. Maintenant, j’ai une vue d’ensemble : de la viande, du cidre et des séries
criminelles. Voilà un charmant éventail fort éclectique… Et je ne parle pas du reste.
Ces derniers mots prononcés à voix très basse m’atteignirent directement au creux de
l’entrecuisse.
— Alors, où dois-je venir vous chercher demain après votre séance photo ?
— Le shooting se déroule en studio. Agence Lorenzo. Au dixième étage du Shires
Building.
— Je vous y retrouverai, Brynne. Envoyez-moi un SMS quand vous aurez fini et j’y serai.
Bonne nuit.
Sa voix avait changé. Elle était plus sèche.
Il y eut un clic, et puis plus rien. Cette fois, c’est lui qui avait raccroché. Était-ce une
façon de me rendre la monnaie de ma pièce pour tout à l’heure ? Peut-être bien. Mais quand
j’allai me coucher et repensai dans le noir à notre conversation, je m’aperçus que cette fois
encore, il avait eu gain de cause. J’avais rendez-vous avec Ethan demain soir sans l’avoir
vraiment décidé.

J’envoyai un texto à Ethan alors que Marco examinait les photos. J’aimais beaucoup
Marco avec qui j’avais déjà travaillé une fois. Établi à Milan, son truc, c’était la pose classique
du style années trente, quarante.
— Tu es superbe sur ces clichés, bella, fredonna-t-il avec son magnifique accent italien.
— C’était super. Merci, Marco.
J’allai me changer au vestiaire. J’avais décidé de ne pas trop forcer sur mon look, mais
Ethan était tellement séduisant. Et, je n’étais que… moi. Je savais que j’avais une silhouette
pas trop mal et je tenais à la conserver. Mon corps étant mon gagne-pain, j’avais tout intérêt à
en prendre soin. Ado, j’avais eu pas mal de succès avec les garçons. Beaucoup trop. Mais on ne
pouvait pas dire que j’étais belle. J’avais de longs cheveux raides châtain clair, rien de
particulier en somme. Ce que je devais avoir d’un peu unique, c’étaient mes yeux. Ils avaient
une couleur étrange – un mélange de marron, de gris, de bleu et de vert. Aux États-Unis, je
n’avais jamais vraiment su quelle couleur mentionner sur mon permis de conduire. J’avais
finalement tranché pour marron.
J’ouvris mon sac et me débarrassai de mon peignoir. L’été approchant, j’avais opté pour
le style soirée décontractée après une journée de travail. Une tenue qui ne se chiffonnerait pas
dans un sac de sport – top sans manches en soie noire, pantalon de lin fermé par une
cordelette, ballerines en cuir noir. Je jetai sur mes épaules mon cardigan vert préféré et
m’occupai du reste. Je me brossai les cheveux et les attachai en queue-de-cheval, une mèche
enroulée autour de l’élastique. Le maquillage allait être vite expédié. Je me contentais
généralement d’une touche de mascara et de blush. Un peu de rouge sur les lèvres, un nuage
de parfum, et le tour était joué. Te voilà parée, Brynne.
J’appelai l’ascenseur et attendis. Ethan n’avait pas dit précisément où nous devions nous
retrouver. J’imaginais donc que c’était en bas, à l’entrée. Il avait l’air de connaître Londres
comme sa poche.
Marco me rejoignit et me dit au revoir en me prenant dans ses bras. Il était très
démonstratif, toujours à vous étreindre et à vous embrasser sur les deux joues comme seuls
les Européens savent le faire – ce qui me fait passer, moi l’Américaine, pour une brêle totale.
En même temps, j’apprécie beaucoup ce sens de la courtoisie malheureusement si rare dans
mon pays.
À mon tour je le pris dans mes bras et lui tendis ma joue. Marco m’embrassait justement
la joue droite quand les portes de l’ascenseur s’ouvrirent sur Ethan qui sortit le regard fixe,
son visage magnifique figé dans une expression impénétrable.
Je me détachai de Marco et sentis les mains d’Ethan qui entouraient ma taille :
— Brynne, te voilà enfin, ma chérie.
Ethan lâcha ma taille et m’enlaça les épaules, m’arrachant à Marco pour me placer
résolument devant lui, devant son corps tout en acier et en muscles. Son regard restait rivé
sur Marco, et je compris que je devais intervenir très vite avant que la situation ne devienne
encore plus embarrassante.
— Présente-nous, Brynne, tu veux ? glissa-t-il à mon oreille en me piquant légèrement la
joue de son bouc.
Je sentais mes genoux défaillir.
— Ethan Blackstone, Marco Carvaletti, mon… C’est lui qui m’a photographiée
aujourd’hui…
Merde ! Avais-je vraiment l’air à ce point faiblarde et si peu sûre de moi ? Cet homme, je
le jure, me mettait dans tous mes états ! Sa présence ne laissait pas de me troubler et de
m’exciter en même temps, un vrai supplice mais si attirant en dépit de la voix qui criait dans
ma tête : Danger !
Ethan tendit la main au grand Italien que la situation avait rendu perplexe, et lâcha de sa
voix traînante et raffinée :
— Comment a été mon amie aujourd’hui, monsieur Carvaletti ?
Marco esquissa un semblant de sourire.
— Brynne accomplit toujours sa tâche à la perfection, monsieur Blackstone.
La sonnerie de l’ascenseur retentit, Marco tendit le bras pour bloquer les portes.
— Vous descendez ? demanda-t-il en entrant dans la cabine.
— Tôt ou tard, mais pas maintenant, répondit Ethan.
Il me tenait fermement par les épaules. Les portes allaient se refermer. Tôt ou tard ?
J’avais bien capté le sous-entendu. J’imaginais ses cheveux ébène plongés entre mes
cuisses, sa tête allant et venant doucement… Ah ! C’était plus que ma libido ne pouvait en
supporter à la minute présente.
— Bye, Marco, et merci pour la séance, bafouillai-je en agitant la main vers lui.
— Merci, bella. Les photos sont splendides, comme d’habitude.
Il me souffla un baiser avec deux doigts au moment où les portes de l’ascenseur se
refermaient sur lui, me laissant sous la totale emprise d’Ethan, autrement dit à la merci d’un
homme qui pressait sa verge en érection contre mon cul et qui saurait mieux que personne
comment s’en servir.
— Qu’est-ce qui vous prend ? éructai-je en me tortillant pour me libérer. Et c’est quoi, ce
« mon amie » ? Vous essayez de marquer votre territoire, Ethan ?
Je me tournai vers son beau visage, tout à fait consciente que j’étais en train de haleter
tout en inhalant à chaque inspiration une nouvelle bouffée de son parfum exquis.
Il m’attrapa et me força à m’adosser au mur du couloir. Il me surplombait de toute sa
hauteur quand il se baissa et trouva ma bouche. Ethan avait les lèvres douces, ce qui
contrastait avec son bouc. Sa langue de velours rencontra ma langue et s’enroula autour en
effleurant chaque parcelle de ma bouche. Il aspirait ma lèvre inférieure avant de s’enfoncer
profondément en moi. Comme il pressait contre moi son corps puissant, je sentis son sexe
proéminent cogner contre mon ventre. Ethan Blackstone me dominait et je le laissais faire.
Gémissant sous ses baisers, j’enfouis mes mains dans ses cheveux. Je voulais qu’il aille
encore plus loin. Le bout de mes seins durcis effleurait son torse musclé, si solide, si mâle que
cela ne pouvait pas être vrai. Sauf que tout était très réel ! Ethan m’embrassait avec passion
en public, dans un couloir du dixième étage du Shires Building, juste devant les locaux de
l’agence Lorenzo. Il était venu pour me trouver, moi.
Il tenait mon visage à deux mains, de sorte que je ne pouvais plus m’arracher aux assauts
de sa langue. Je m’offrais à lui et consentais à tout ce qui lui plaisait. J’avais baissé la garde.
Je savais depuis le début qu’il en serait ainsi, déjà dans mon imagination, il en allait ainsi. Or
la réalité se révélait autrement plus hallucinante.
Il écarta sa main de mon visage et la posa sur mon cou. Ses baisers moururent en douces
morsures jusqu’à ce qu’il éloigne ses lèvres, laissant un air froid passer sur ma peau humide.
— Ouvrez les yeux, dit-il.
J’obéis. Le visage d’Ethan était à quelques centimètres à peine. Ses yeux bleus brûlaient
de désir.
— Je ne suis pas votre petite amie, Ethan.
— Vous l’étiez entièrement pendant ce baiser, Brynne.
Ses yeux papillonnèrent, il pouvait lire en moi, il prit alors une inspiration. J’avais
l’intérieur des cuisses complètement trempé. Pouvait-il sentir mon odeur intime ?
— Vous sentez merveilleusement bon… Putain, que c’est excitant.
Seigneur ! Sa main toujours posée sur mon cou, il me frottait la clavicule avec son pouce
et je ne faisais toujours rien pour arrêter ça. J’appréciais trop ce qui s’offrait à ma vue. À force
de lui caresser les cheveux, il était tout ébouriffé mais toujours aussi sexy… ce qui devait
d’ailleurs être le cas même le matin au saut du lit. Lit. Y avait-il un lit quelque part pour
nous ? Un rien nous y pousserait très vite. Mais pas besoin d’être grand clerc pour comprendre
que c’était ce qu’il avait en tête ! La vraie question était de savoir si moi aussi j’en avais envie.
— Ethan.
J’essayai en vain de repousser la masse d’acier qui lui tenait lieu de corps.
— Pourquoi faites-vous ça ? Pourquoi la jouez-vous ainsi avec moi ?
— Je ne sais pas. Je ne peux pas m’en empêcher. Je ne la joue pas, comme vous dites.
J’ai essayé de vous laisser tranquille mais la réalité c’est que je n’y arrive pas.
Il me caressa légèrement les cheveux de son autre main avant de la poser sur mon cou.
— Je n’ai pas envie d’être loin de vous.
Ses pouces dessinaient de lents cercles sensuels sur ma gorge.
— Vous avez envie aussi, Brynne. Je le sais.
— Qu’est-ce que vous en savez ?
Ma voix n’était qu’un murmure. Il posa ses lèvres sur les miennes et m’embrassa avec
douceur.
— Je le vois dans vos yeux. Je le sens à vos réactions quand je vous touche.
J’avais de plus en plus de mal à tenir debout alors qu’il m’assaillait de baisers ardents. À
quoi bon épiloguer puisque je n’avais même plus besoin de mes jambes ! Il m’avait plaquée
contre le mur et me tenait coincée entre ses hanches. Comme l’ascenseur arrivait, Ethan
recula d’un pas, je m’effondrai aussitôt contre sa poitrine. Il me soutint le temps qu’un couple
sorte de la cabine et s’engage dans le couloir.
— On ne peut pas… Il y a du monde. Ce n’est pas dans mes habitudes, de faire ça… Je ne
suis tout de même pas une de ces…
Vite, il me ferma la bouche avec ses doigts. Il prit ma main pour la porter à ses lèvres.
— Je sais, dit-il doucement. Tout va bien. Pas de panique.
Il pressait ses lèvres si douces sur le dos de ma main et je ne pouvais rien faire d’autre
que me laisser envoûter. Les poils autour de sa bouche m’irritaient encore un peu, mais ce
n’était rien comparé à la brûlure du premier assaut.
Le regard embrasé de désir, il prit dans sa main la main qu’il venait d’embrasser. De
l’autre, il ramassa mon sac tombé à terre et m’entraîna vers l’ascenseur.
— D’abord, allons dîner. On parlera après.
Ça commençait à devenir une habitude : il s’occupait de tout et je me laissais faire. Il
avait entièrement pris le contrôle et m’emmenait exactement où il voulait.
4

Vauxmoor’s Bar & Grill : l’endroit était branché mais pas bruyant au point qu’il fallût crier
pour se faire entendre. De toute façon, je n’avais plus qu’à me délecter du spectacle. Ethan
devant son steak, c’était l’incarnation de la courtoisie anglaise. Un gentleman suprêmement
sensuel. Mais adieu les promesses de sexe torride partagées dans l’ascenseur ! Il avait calmé le
jeu aussi vite qu’il avait su m’exciter.
— Une étudiante américaine si loin de son pays ! Comment est-ce possible ?
Plutôt que d’attaquer ma salade composée, je bus une gorgée de cidre.
— Je… Après le lycée, j’ai un peu ramé.
Mes yeux se fermèrent un instant.
— Je faisais n’importe quoi, en fait. Pour plein de raisons.
Je pris une inspiration, histoire de calmer la nervosité qui s’emparait de moi dès que ce
sujet venait sur le tapis.
— Mais on m’a aidée à trouver ma voie et je me suis découvert un intérêt pour l’art. J’ai
déposé une candidature à l’université de Londres. Miracle ! Ils m’ont acceptée. Mes parents
étaient si heureux de me voir enfin motivée qu’ils m’ont poussée à partir et avec leur
bénédiction en plus ! J’ai une grand-tante qui vit ici – à Waltham Forest. C’est ma tante Marie.
Hormis elle, je suis toute seule.
— Et maintenant, vous préparez un diplôme d’études supérieures ?
Ethan avait l’air sincèrement intéressé par ce que je faisais. Cela m’a encouragée.
— Eh bien… Après mon premier cycle en histoire de l’art, j’ai décidé de continuer. J’ai
postulé en restauration des œuvres. Là encore, ils m’ont acceptée.
Je plantai ma fourchette dans un morceau de steak.
— Des regrets ? Vous aviez l’air un peu triste d’en parler.
Quand il le voulait, Ethan avait une voix si douce…
Sa bouche m’attirait. Je l’imaginais s’écrasant contre la mienne. Cela me ferait quoi s’il
m’embrassait de force ?
— D’être venue étudier à Londres, vous voulez dire ?
Je secouai la tête.
— Aucun regret. J’aime vivre dans cette ville. Je me sentirais très mal si je n’arrivais pas
à obtenir de visa pour travailler à Londres après mon diplôme. J’y suis comme chez moi
maintenant.
Il me souriait.
Tu es vraiment trop beau pour ne pas t’attirer des ennuis, Ethan Blackstone.
— Vous vous adaptez… vraiment bien. Tellement bien, en fait, que je n’aurais jamais
deviné que vous étiez une étrangère avant de vous avoir entendue parler. Mais même si vous
avez gardé une pointe d’accent nasillard, on sent que vous êtes dans votre élément.
— Vous trouvez que j’ai un accent nasillard ?
— Un petit accent tout à fait charmant, mademoiselle Bennett.
Il me souriait largement, son regard bleu pétillait.
— Bon, et vous ? Comment Ethan Blackstone est-il devenu P-DG de Blackstone Security
International ?
Sa tenue de travail, un superbe complet gris foncé, valait plus cher que mon loyer. Il
avala une gorgée de bière, avant de se passer la langue sur les lèvres.
— Quelle est votre histoire, Ethan ? Vous avez une voix traînante, à propos. Tout le
contraire d’un accent nasillard.
Je le regardais d’un petit air narquois.
Il arqua un sourcil. Qu’il était sexy !
— On était deux enfants. Je suis le cadet. C’est mon père qui nous a élevés, ma sœur et
moi. Il était chauffeur de taxi à Londres et, quand je n’avais pas école, il me prenait avec lui.
— C’est pour ça que vous avez trouvé mon adresse si facilement. Il paraît qu’à Londres,
l’examen pour être taxi porte sur toutes les rues. C’est dément !
Il me souriait à nouveau.
— La science infuse, j’imagine. Bravo, mademoiselle Bennett. Pour une Américaine, vous
en connaissez un rayon côté culture britannique.
Je haussai les épaules.
— J’ai vu une émission là-dessus. Très amusant, à vrai dire… Pardon, je vous ai coupé.
Après le lycée, vous avez fait quoi ?
— L’armée. Six ans. J’ai démissionné et j’ai créé ma boîte grâce aux contacts que je
m’étais faits pendant cette période.
Il me regardait à nouveau avec insistance, c’était clair qu’il n’avait aucune envie
d’approfondir ce sujet.
— Quel corps ?
— Les forces spéciales britanniques. Des missions de reconnaissance, la plupart du
temps…
Il s’arrêta net.
— Vous n’êtes pas très bavard, monsieur Blackstone.
— Si je vous en dis plus, je serai obligé de vous tuer et du même coup de trahir mon
serment.
— Quel serment ? demandai-je en toute innocence.
— Ne vous ai-je pas juré que je n’étais pas un tueur en série ?…
Il fourra un morceau de steak dans sa bouche magnifique et se mit à mâcher.
— Dieu merci ! La simple pensée de partager une bonne viande en compagnie d’un serial
killer m’aurait complètement flingué la soirée.
Il avala sa bouchée, tout sourire.
— Très amusant, mademoiselle Bennett. Vous avez de l’esprit.
— Je vous remercie, monsieur Blackstone. J’essaye simplement d’être à la hauteur.
Son charme me désarmait avec une telle facilité que je devais faire un effort immense
pour ne pas que notre conversation déraille. En un clin d’œil, Ethan pouvait retourner la
situation à son avantage.
— Et vous faites quoi dans votre société ?
— Principalement de la sécurité. Pour le gouvernement britannique et pour quelques
clients internationaux. En ce moment, on est submergés par les Jeux olympiques. Avec tous
ces gens qui débarquent à Londres des quatre coins de la planète, c’est un défi. Surtout après
le 11-Septembre.
— Je n’en doute pas.
Il pointa son couteau sur ma salade.
— Je vous invite à déguster un steak à Mayfair, une des meilleures adresses de Londres,
et vous, qu’est-ce que vous faites…
Il secouait la tête.
— … vous commandez une salade.
J’éclatai de rire.
— Garnie de quelques morceaux de viande tout de même. Avec moi de toute façon, on
ne peut jamais rien prévoir. C’est comme ça.
— Eh bien ! Vous excellez à vous montrer imprévisible, mademoiselle Bennett.
Il m’adressa un clin d’œil avant de prendre une nouvelle bouchée.
— Puis-je vous poser une question personnelle, Ethan ?
— Mon petit doigt me dit que vous allez le faire, que je réponde oui ou non, répliqua-t-il,
ironique.
— Si j’ai bien compris, vous collectionnez les nus, c’est ça ?
J’avais vraiment envie de savoir. La question me trottait dans la tête depuis plusieurs
jours maintenant.
J’avais les yeux rivés à mon assiette. La réponse ne se fit pas attendre :
— Non. Ce soir-là, j’assurais la sécurité de la galerie Andersen. Il y avait quelques
personnalités mais je ne faisais que passer, j’ai des employés qui assurent le travail sur place.
Et je ne regrette vraiment pas d’y être allé puisque j’y ai découvert votre portrait. Je le
voulais, alors je l’ai acheté…
Il y avait de la gaieté dans sa voix. Je sentais l’intensité de son regard qui me força à
lever les yeux vers lui. C’était ce qu’il voulait.
— … et là, vous êtes arrivée.
— Ah.
— À propos… J’ai entendu votre discussion avec Clarkson au sujet de ma main.
Il se tapota l’oreille.
— Les gadgets de sécurité high-tech, c’est ma marque de fabrique.
Ma fourchette tomba avec fracas et je crois bien avoir bondi de ma chaise. Il avait l’air si
arrogant et content de lui, et aussi tellement sexy, que c’était à se demander ce qu’il faisait là
en ma compagnie. J’étais morte de honte. Je n’avais qu’une envie : prendre mes jambes à mon
cou.
— Je suis vraiment désolée que vous ayez entendu…
— Ne vous excusez pas, Brynne. J’arrive à m’en sortir sans utiliser ma main, surtout
quand il y a d’autres possibilités bien plus agréables.
Il me prit le menton. Je le laissai relever mon visage alors que mon corps s’embrasait.
Là, là… Respire, Brynne, respire.
— Tout comme vous…
Il continuait à voix basse :
— … je veux du vrai. Je veux sentir votre corps sous le mien. J’ai envie de jouir avec
vous.
Ses yeux bleus ne me lâchaient pas, pas plus que lui, Ethan, ne me lâchait le menton. Il
voulait que je comprenne bien chaque mot qu’il prononçait.
— Pourquoi, Ethan ?
Il relâcha la pression et me caressa la joue du pouce.
— Pourquoi on a envie de quelque chose ? C’est ce que vous m’inspirez, voilà tout.
Il m’enveloppait à nouveau de ce regard trouble.
— Ce soir, vous me suivez. Passez la nuit avec moi, Brynne. Laissez-moi faire.
— D’accord.
Mon cœur cognait si fort qu’il devait l’entendre. Et c’est comme ça que j’ai acquiescé en
sachant très bien que ce d’accord allait tout changer. Pour moi en tout cas.
À l’instant où le mot s’échappa de mes lèvres, je vis Ethan fermer les yeux le temps d’un
battement de cils. La suite fut frénétique, il fallait s’en aller au plus vite. Le bavardage sensuel
céda la place à l’efficacité. En un éclair, l’addition était réglée et Ethan m’entraînait vers sa
voiture. Il me poussa de sa main fermement posée au creux de mes reins. Il m’emmenait
quelque part où j’allais être à sa merci. Rien que pour lui. Entièrement.


Il nous conduisit jusqu’à un superbe immeuble de verre dominant des siècles
d’architecture, un immeuble moderne doté d’une élégante touche d’avant guerre.
— Bonsoir, monsieur Blackstone.
Le concierge en uniforme me salua ensuite d’un hochement de tête poli.
— Bonsoir, Claude, répondit Ethan d’une voix douce.
Sa main continuait d’exercer une pression sur mon dos et me propulsa dans l’ascenseur.
Aussitôt les portes refermées, il me fit pivoter et ses lèvres s’écrasèrent sur les miennes.
Comme la dernière fois, je sentis l’excitation monter entre mes cuisses. Je commençais aussi à
me faire une idée plus précise de mon partenaire. En public, Ethan était réservé, tout en
retenue, discrétion et courtoisie. Mais une fois à l’abri des regards…
Ses mains étaient partout à la fois. Je ne lui opposai aucune résistance quand il m’accula
à la paroi. À son contact, je m’enflammai et je m’envolai aussitôt. Sa moustache me piquait le
cou. Sa main glissa sous mon top et se referma sur mon sein. J’eus le souffle coupé en sentant
ses doigts brûlants explorer méthodiquement ma poitrine. Je me cambrai contre lui et écrasai
mon sein dans sa main. Ayant trouvé mon téton, il l’excita à travers le tissu.
— Tu es trop bandante, Brynne. J’en crève.
Il me parlait dans le cou et son souffle me faisait frissonner.
L’ascenseur s’arrêta. Les portes s’ouvrirent sur un couple de personnes âgées. Ils nous
regardèrent sans bouger et renoncèrent à entrer dans la cabine. Vite, j’essayai de m’écarter
d’Ethan, de mettre de l’espace entre son corps et le mien. Pour la deuxième fois de la journée,
je me retrouvais en train de haleter contre Ethan comme une chienne en chaleur, et ce devant
un public, en plus !
— Pas ici. Je t’en prie, Ethan.
Il lâcha mon sein. Sa main ressortit de sous mon petiti haut. Il la posa sur mon cou. Son
pouce se mit à dessiner lentement un cercle sous mon menton, il me sourit.
Il avait l’air aux anges. Il porta ma main à ses lèvres. Bordel, j’adorais ça !
— Tu as raison. Excuse-moi. Me pardonnerez-vous, mademoiselle Bennett ? Avec vous, je
ne me contrôle plus.
Mon bas-ventre se crispa douloureusement. Je répondis d’un hochement de tête, je ne
pouvais rien faire d’autre. Et je soupirai :
— Ça va.
Béni soit le cœur mécanique de cet ascenseur qui continuait de nous rapprocher de chez
lui. Je me demandais ce qu’Ethan allait faire à la minute où j’aurais franchi le seuil de son
appart. Il me tenait sous sa coupe et j’étais sûre qu’il n’en doutait pas une seconde.
L’ascenseur s’arrêta tranquillement au dernier étage et mon sang ne fit qu’un tour quand
Ethan posa sa main sur moi. C’était un homme tactile – dès qu’il pouvait toucher, il ne s’en
privait pas.
Il déverrouilla la porte en chêne sculpté et m’invita à entrer. L’appartement était
magnifique. La pièce principale était peinte dans des nuances de gris et de crème. Je ne me
serais pas attendue à une telle palette chez un célibataire. Outre les objets décoratifs, il y
avait des boiseries partout, ainsi que des moulures, ce qui était audacieux pour un espace
aussi moderne.
— C’est magnifique, Ethan. Ton appartement me plaît beaucoup.
Il jeta sa veste sur un divan, me prit les mains et m’emmena devant une baie vitrée. La
terrasse offrait une vue à couper le souffle sur les lumières de Londres. Mais il me détourna
vite du spectacle et me fit pivoter vers lui qui reculait d’un ou deux pas. Il me contempla.
— Mais rien n’est aussi magnifique que toi face à moi en ce moment précis.
Il secoua la tête avec un air quasi désespéré.
— Tu es incomparable.
Pour une raison que je ne m’explique pas, j’avais tout à coup envie de pleurer. Ethan était
si passionné ! Je n’arrivais pas à tout remettre en place dans ma tête alors qu’il s’avançait vers
moi à pas lents tel un prédateur. Je l’avais déjà vu agir ainsi. Il pouvait se montrer rapide ou
lent, dur ou tendre – il se permettait tout et tout chez lui s’accomplissait sans effort.
Il se rapprocha encore et mon cœur s’emballa. Il s’arrêta à quelques centimètres
seulement et attendit. Je dus relever la tête pour croiser son regard. Il était tellement grand !
Sa poitrine se soulevait rapidement au rythme de son souffle. Comme c’était grisant de sentir
que je l’attirais et que cette attirance le bouleversait également.
— Je ne suis pas si belle… C’est l’objectif…
Il tendit la main vers mon cardigan vert, le déboutonna et le fit glisser sur mon dos. Le
vêtement s’affala sur le sol.
— Tu te trompes, Brynne. Tu es sublime tout le temps.
Il saisit mon top de soie noire par l’ourlet, et le fit passer par-dessus ma tête. Je levai les
bras pour l’aider.
Je me trouvais là, en soutien-gorge de dentelle noire pointé vers lui. Ethan me dévorait
passionnément de son regard azur si intense. Il effleura mes épaules puis, du bout des doigts,
dessina la courbe bombée de mes seins. Ce contact plein de ferveur m’acheva, je n’en pouvais
plus.
— Ethan…
Je me pressai contre ses mains caressantes.
— Quoi, mon cœur ? Qu’est-ce que tu veux ?
Il inclina doucement ma tête sur le côté, exposant mon cou pour y déposer un baiser. Sa
barbe de trois jours et ses lèvres tendres sur ma chair, toutes ces sensations m’électrisaient.
J’étais emportée par le plaisir qui montait et dépassait toutes les autres sensations. J’avais
franchi le point de non-retour. J’avais envie de lui. À mort.
— Je veux… J’ai envie de te toucher…
Je plaquai les mains sur son torse. Il me laissa faire. Je desserrai sa cravate violet foncé.
Il m’observait me débrouiller avec le nœud serré à l’extrême. J’en vins finalement à bout et,
en un instant, la cravate rejoignit le cardigan. Je déboutonnai sa chemise blanche.
Il émit un sifflement tandis que je frôlais sa peau nue.
— Putain, oui ! Touche-moi !
La chemise alla grossir le tas de vêtements sur le plancher. Pour la première fois, j’avais
sous les yeux son torse nu. Aux muscles solides. Aux abdos de rêve. D’un érotisme total !
Je me penchai sur sa poitrine et l’effleurai de mes lèvres. Il prit ma tête entre ses mains
et l’attira contre lui comme s’il allait m’emprisonner pour toujours. Sa puissance et sa force ne
faisaient aucun doute, il était dominateur. Pour le sexe, il tenait à être aux commandes.
Étrangement, je trouvais apaisant de le savoir. Avec cet homme, j’étais en sécurité.
Il s’agenouilla. Ses mains glissèrent sur mes hanches puis sur mes cuisses. Arrivé à mes
pieds, il m’ôta délicatement une ballerine, puis l’autre. Ses mains remontèrent jusqu’à la taille
de mon pantalon en lin et le baissèrent jusqu’aux pieds. Il me soutint le temps que je m’en
débarrasse. Il m’embrassa au creux du nombril. J’avais toujours plus de palpitations dans le
ventre. La tension dans mon entrecuisse était à son paroxysme. Ethan glissa les doigts sous
l’élastique de mon slip en dentelle noire qui tomba bientôt.
Plus rien ne dissimulait mon sexe à ses yeux. Il émit un bruit rauque, primitif et
impérieux. Toujours à genoux, il leva de nouveau les yeux vers moi.
— Brynne… Tu es tellement belle que je… Putain, je ne peux plus attendre…
Ses doigts telles des plumes frôlaient mon ventre et mes hanches. Il m’attira contre son
visage. Ses lèvres trouvèrent mon pubis. Je frissonnai tant j’étais captive de ce contact intime.
Il était peu de dire que, torturée par le désir, je n’en pouvais plus.
Il se releva et plaça mes mains sur sa taille. Le message me parvint cinq sur cinq. Je
débouclai la ceinture et déboutonnai le pantalon. La turgescence qui gonflait son boxer était
impressionnante. Ethan lâcha un grognement quand ma main caressa sa queue tendue à
travers la soie noire. Je me baissai pour le débarrasser de ses derniers vêtements et il en
profita pour dégrafer mon soutien-gorge. J’étais complètement nue.
— Je ne passerai pas la nuit chez toi, Ethan. Tu promets de me raccompagner, après ?
Il me releva et me porta dans ses bras.
— Je veux que tu restes. Une fois, ce ne sera pas assez – pas avec toi.
Il poussa d’un coup de pied la porte de sa chambre. Il avait l’air sauvage et désespéré.
— Je veux te baiser là, maintenant, tout de suite, et après, on prendra du temps. Reste.
Laisse-moi te faire l’amour toute la nuit, ma beauté, ma Brynne.
Son visage penché au-dessus du mien me dominait.
— S’il te plaît.
— Mais je ne peux pas…
Sa bouche engloutit mes protestations. Il m’allongea sur son lit, un havre de luxe et de
douceur soyeuse. Il se mit à caresser mon corps. À embrasser mon corps. À l’enflammer
jusqu’à ce que toute pensée consciente s’échappe de mon cerveau pour aller loin, très loin…
J’étais en train d’enfreindre mes règles et je ne le savais que trop. La langue d’Ethan tournait
autour de mes mamelons dressés qu’il mordillait de temps en temps avant de se faire
pardonner cette violence par une caresse aussi aérienne qu’une plume. Le contraste entre les
poils drus de son bouc et la tendre douceur de ses lèvres me transportait. J’aurais pu avoir un
orgasme instantanément. J’en criais de plaisir, je me cambrais. Je frottais mes jambes l’une
contre l’autre frénétiquement tandis qu’il continuait à me dévorer les seins… Non, impossible
de rester immobile, j’en perdais la tête. J’étais à sa merci. Et il semblait si heureux que je
n’avais rien à regretter. Toutes mes réticences avaient fondu avec le supplice exquis qu’il
m’infligeait, je n’avais plus une seule pensée.
Être nue ne me dérange pas. J’ai beaucoup posé en tant que modèle et je sais que les
hommes apprécient mes formes. Le plus dur, pour moi, c’est le rapport intime. Déjà, tout à
l’heure, en entendant Ethan me dire : « Laisse-moi te faire l’amour toute la nuit, ma Brynne »,
j’avais compris que je ne saurais pas gérer.
— Ethan ?
Abandonnée à lui, je criai son nom sans raison particulière, juste pour sentir que j’étais
bien en train de vivre cet instant avec lui, et non pas la proie d’un rêve érotique.
— Je sais, mon cœur. Laisse-moi m’occuper de toi.
Il s’éloigna de mes seins et glissa ses mains entre mes cuisses qu’il écarta. Je me retrouvai
les jambes complètement ouvertes en train de lui offrir mon sexe à contempler pour la
deuxième fois de la soirée.
— Dieu, tu es si belle, si appétissante… J’ai envie de te goûter.
Il posa sa bouche sur mon sexe. Cette langue caressante qui enveloppait tendrement mon
clitoris et pénétrait chacun de mes plis ! Son menton chatouillait ma chair aux endroits
sensibles et je ne pouvais plus arrêter de me tortiller contre sa langue et ses lèvres. J’étais sur
le point de jouir, incapable de me retenir plus longtemps. Rien ne retenait Ethan non plus. Ce
qu’il voulait, il le prenait.
— Je vais jouir…
— Ce ne sera pas la dernière fois, mon cœur, dit-il d’entre mes cuisses.
Il se fraya un passage dans mon intimité avec deux longs doigts qui se mirent à me
masturber.
— Tu es étroite, disait Ethan d’une voix rauque, mais quand tu auras ma queue bien
enfoncée en toi, tu serreras encore plus, pas vrai, Brynne ?
Il continuait de me masturber tout en suçant mon clitoris.
— D’accord, Brynne ?
Sa voix se faisait plus pressante. L’orgasme montait au plus profond de mon bas-ventre
crispé.
— Oui !
Ce mot fut crié dans un souffle, sachant qu’Ethan exigeait une réponse.
— Alors, jouis. Jouis pour moi, Brynne !
C’était tout ce que je pouvais faire : jouir. Ethan disposait de moi. J’atteignis le sommet
de la vague clouée sur le lit par ses doigts profondément enfoncés dans ma chatte. Jamais je
n’avais eu un orgasme d’une telle intensité. C’était éclatant, brillant. Impossible de refuser ce
qu’Ethan m’offrait.
Il retira ses doigts de mon sexe. J’entendis aussitôt le bruit d’un emballage que l’on
déchire. Encore frissonnante, je regardai Ethan dérouler le préservatif sur son beau membre
dur et épais. C’est lui qui allait maintenant me pénétrer, là, tout de suite. Et en cet instant, je
n’attendais plus rien d’autre de la vie.
Il leva vers moi son regard bleu et murmura :
— Maintenant, Brynne. Maintenant je vais te posséder.
Mon cœur battait à tout rompre. Je l’imaginais déjà en train de m’enfourcher…
J’anticipais tellement la suite que j’en perdais la tête.
Ethan se dressa au-dessus de moi. Le bout de son pénis brûlant me pénétrait déjà. Il me
força d’un coup de hanches en plongeant sa verge aussi loin que possible. Il m’embrassa en
enfonçant sa langue dans ma bouche, allant et venant au diapason du mouvement de ses reins.
Sa langue avait un goût salé, celui de mon intimité. Ethan Blackstone me possédait.
Totalement. De manière irrévocable.
Je surfais sur la vague tandis qu’Ethan surfait sur mon corps. Durement au début,
expédiant des coups de boutoir dans mon vagin ruisselant. Tout mon être affamé exigeait un
autre orgasme.
Les veines de son cou se gonflèrent comme il se redressait pour me prendre
différemment.
Je serrai ma vulve autour de sa queue qui allait et venait. Il grognait et me murmurait
des grossièretés sur combien c’était bon, putain, de me baiser. Ce qui m’excitait encore plus.
— Ethan !
Je jouis une deuxième fois en criant son nom. Mon corps rendit les armes sous son corps
plus grand, plus fort. Je me convulsai et lâchai prise.
Il ne s’arrêta pas et continua à me tringler. Le cou tendu, le regard presque fou, il me
baisa frénétiquement. J’étais totalement moulée à son corps que je sanglais de mes cuisses.
Son étreinte s’accentua. Je compris qu’il allait jouir.
Je contractai plus fortement mon vagin autour de son sexe, plus que je ne l’avais jamais
fait. Ce qui le fit bander davantage. Avec une espèce de cri de guerre guttural auquel se mêlait
mon nom, Ethan se mit à trembler. Son regard bleu étincelait dans la pénombre de la
chambre. Depuis qu’il était en moi, ses yeux étaient restés rivés aux miens.
5

Ethan ne me quittait toujours pas des yeux, quand bien même nous nous étions assagis
après cette tornade sexuelle et qu’il s’était retiré de moi. Il avait eu vite fait de se débarrasser
du préservatif et, de retour de la salle de bains, il m’enveloppait à nouveau de son regard,
cherchant à deviner mes pensées.
— Tu te sens comment ? demanda-t-il plus tendre que jamais, en suivant avec son pouce
le dessin de mes lèvres.
— Mmmm, répondis-je à voix basse, avec un petit sourire.
— C’était seulement un début.
Sa main parcourut mon cou, puis glissa sur mes seins et mes hanches avant de s’arrêter
sur mon ventre.
— C’était… tellement extraordinaire. Je ne veux pas… Je refuse que ça s’arrête.
Sa main reposant à plat sur ma peau, il se pencha et prit tout son temps pour me donner
un vrai baiser plein de ferveur et de respect. Cependant, je sentais qu’il avait une question à
me poser.
— Est-ce que… est-ce que tu utilises un contraceptif, Brynne ?
— Oui, murmurai-je, collée à ses lèvres.
J’avais donc raison. Il aurait été surpris d’apprendre pourquoi, mais je ne tenais pas à le
lui révéler ce soir.
— Je veux… Je veux jouir en toi. Je veux être en toi sans que rien nous sépare.
Il enfonça ses doigts dans la douceur humide de mes plis intimes, en les faisant aller et
venir.
— Tout de suite.
C’est moi qui étais surprise. Rares sont les hommes qui prennent ce genre de risque. À
son contact, mon corps réagit malgré moi, se cambrant sous la caresse de ses doigts. Un
gémissement de plaisir s’échappa de ma gorge.
— Dans ma société, dit-il, tout le monde passe régulièrement une visite médicale. Bonne
santé obligatoire. C’est valable pour moi aussi. Je te jure que je suis clean, Brynne. Je peux te
montrer le certificat.
Caressant mon cou avec son nez, ses longs doigts glissaient inexorablement vers mon
clitoris surexcité.
— Et si moi, je ne l’étais pas ? haletai-je.
Il se rembrunit, sa main ne bougeait plus.
— C’était quand la dernière fois que… tu as été avec quelqu’un ?
Je haussai les épaules.
— Je ne sais pas. Longtemps.
Il plissa les yeux une fraction de seconde.
— Longtemps comme une semaine ou longtemps comme des mois ?
Une semaine, ce n’est pas bien long… Pourquoi lui avais-je répondu de la sorte ? Je n’en
savais rien. Peut-être parce que c’était comme ça, avec Ethan. Ses questions précises
exigeaient des réponses. Même quand il s’aventurait dans mon territoire réservé, je ne pouvais
faire autrement que de lui complaire.
— Des mois, dis-je.
Il n’en saurait pas davantage pour ce soir.
Ses traits se détendirent.
— Alors… Ça veut dire oui ?
Il s’étendit de tout son long sur moi, m’attrapa les mains et entrecroisa nos doigts. Ses
genoux écartèrent vigoureusement mes cuisses.
— Parce que j’ai toujours envie de toi. Je veux être encore en toi. Je veux te faire jouir
avec ma queue et te la mettre si profond que tu ne pourras plus l’oublier. Je veux te pénétrer,
Brynne, et je veux ressentir ça avec toi.
Il bandait comme un fou. C’était dur, chaud. Il entrait en moi, prêt à s’engloutir. Et toute
vulnérable que j’étais ainsi clouée sous lui, je n’avais jamais ressenti un tel sentiment de
sécurité.
Il me donna un long baiser, enfonçant sa langue comme il l’avait fait tout à l’heure.
C’était sa façon de me prévenir de ce qu’il avait l’intention de faire avec son sexe. Ethan savait
se faire comprendre. Il n’y allait jamais par quatre chemins.
— J’ai confiance en toi, dis-je.
Il gémissait, et son membre raide glissait entre les parois encore à vif de mon sexe.
— Oh ! chérie… C’est si bon de te baiser. Je… Putain, je n’en peux plus.
Voici comment les choses se passèrent la deuxième fois. Il y allait plus lentement, en se
maîtrisant davantage comme s’il voulait savourer son plaisir plus longtemps. Mais je n’en fus
pas moins assouvie car il me fit jouir jusqu’à ce que je ne sois plus qu’un vaisseau abandonné
au commandement de sa chair.
Il bandait avec plus de puissance encore. Ses couilles, à chaque mouvement, frappaient
ma fente mouillée. Soudain il se pétrifia, son échine s’incurva en un arc superbe unissant nos
deux corps si intensément qu’Ethan devint une partie de moi-même.
Il balbutia mon nom et resta enfoui comme il l’avait souhaité. Après les derniers
soubresauts d’une ultime éjaculation, il cessa de bouger. Il respirait fort, immobile entre mes
cuisses.
Il me suçait le cou. Je lui caressais le dos. Ses muscles étaient doux, brûlants, trempés de
sueur. L’air était imprégné de senteurs sexuelles mêlées à sa fragrance exquise – il allait
vraiment falloir que je me renseigne sur le nom de son parfum. Sous mes doigts, je sentis des
aspérités, beaucoup en fait. Étaient-ce des cicatrices ? Il glissa sur le côté et mes mains
retombèrent. Mieux valait ne pas poser de questions.
Ethan se redressa sur le flanc et recommença à me regarder.
— Merci, murmura-t-il en laissant courir son doigt sur mon visage. Et merci de me faire
confiance.
Il souriait.
— J’adore t’avoir là dans mon lit.
— La dernière fois que tu as eu quelqu’un dans ton lit, Ethan, c’était quand ?
Après tout, il m’avait demandé la même chose.
Il eut un rictus hautain tout à coup.
— La dernière fois, c’était… C’était jamais, chérie. Je n’amène pas de femmes ici.
— Aux dernières nouvelles, j’en suis une.
Avant de répondre, il promena sur mon corps un regard éloquent.
— C’est clair. Mais je n’amène aucune autre femme chez moi.
— Ah ?
Je m’adossai à la tête de lit en ramenant les draps sur mes seins. Si ça, ce n’est pas un
mensonge…
— Ça m’étonne, repris-je. J’aurais cru que tu recevais plus de propositions que tu ne
pouvais en satisfaire.
Il rabattit les draps, dévoilant mes seins.
— Ne me cache pas la vue, s’il te plaît. Satisfaire, c’est le terme adéquat, ma chérie. Je
n’apprécie pas qu’on use et abuse de moi. Or les femmes se servent souvent des hommes et les
hommes font de même.
Il se blottit près de moi contre la tête de lit et suivit du bout du doigt la courbe de mon
sein.
— Cela dit, reprit-il, tu peux faire de moi ce que bon te semble. Ça ne me dérange pas.
Toi, tu as un permis spécial.
J’eus un petit rire et écartai sa main.
— Tu es trop beau pour ne pas t’attirer des ennuis, Ethan – et tu le sais. Mais même avec
ton charme british, tu n’auras jamais tous les droits en ce qui me concerne.
Il émit un sifflement sarcastique.
— La Yankee pure et dure, alors. L’autre soir, j’ai bien cru que j’allais être obligé de
t’enlever et de te jeter dans ma voiture.
— Tu as bien fait de te retenir, sinon on n’aurait jamais eu le plaisir de baiser ensemble.
J’avais un sourire en coin et secouais doucement la tête.
Il m’arracha un cri en me chatouillant les côtes.
— Alors pour toi, ça, c’était juste baiser ?
— Ethan !
Je repoussai ses mains d’une tape et me réfugiai au bord du lit.
Il me tira en arrière et m’immobilisa sous lui en affichant un grand sourire.
— Brynne, dit-il de sa voix traînante.
Il m’embrassa. C’était un baiser doux et tendre baigné d’une sensation intime et unique.
Puis il m’installa à côté de lui, ramena le drap sur nos corps et m’entoura de son bras puissant,
si sécurisant. Blottie contre lui dans ce lit chaud, je sentis le sommeil me gagner. Je savais que
m’endormir n’était pas une bonne idée. Les règles sont les règles, et j’étais en train de les
enfreindre.
— Je ferais mieux de ne pas rester, Ethan. Je vais vraiment devoir m’en aller…
— Non, non, non, dit-il dans mes cheveux. Je veux que tu restes.
Il insistait.
— Il vaudrait mieux pas…
— Chut.
Toujours cette habitude de m’interrompre ! Il m’embrassa pour me faire taire. Il me
caressa la tête, passant ses doigts dans mes cheveux. Comment lutter ? Surtout après une telle
soirée. Ce sentiment de sécurité était trop agréable et les orgasmes à répétition avaient
lessivé mon corps… De plus, la force que m’opposait Ethan était bien trop puissante. Je finis
par capituler et je m’endormis.
Les terreurs sont réelles. Elles surgissent la nuit pendant mon sommeil. J’essaie de leur résister
mais ce sont presque toujours elles qui gagnent. Tout est noir puisque j’ai les yeux fermés.
Cependant des sons me parviennent. Une personne est traitée de tous les noms, accablée d’insultes
écœurantes. Et ce rire terrifiant… Ils trouvent ça amusant de la dégrader ainsi. Mon corps est
lourd et sans force. Je ne cesse de les entendre rire et reprendre leur jeu diabolique.
Je me réveillai dans un cri, seule dans le lit. Je me rendis compte du lieu où j’étais quand
Ethan se précipita dans la chambre, les yeux écarquillés. Dès que je le vis, je fondis en larmes.
Les sanglots ne firent qu’empirer lorsqu’il vint s’asseoir au bord du lit et me prit dans ses bras.
— Ça va aller… Je suis là.
Il me berçait contre sa poitrine. Il était habillé et j’étais nue.
— Juste un cauchemar, dit-il.
Je parvins à demander entre deux hoquets :
— Tu partais ?
— J’étais dans mon bureau – toujours ces saloperies de Jeux olympiques. Je bosse la nuit,
en ce moment…
Il pressa les lèvres contre ma tête.
— Mais je suis resté là tout le temps, jusqu’à ce que tu t’endormes.
— Tu aurais dû me ramener chez moi ! Je t’ai dit que je ne voulais pas passer la nuit ici !
Je me débattais, je voulais me détacher de lui.
— Brynne ! Où est le problème ? Il est deux heures du mat’. Tu es crevée. Pourquoi ne
pas… Tu ne veux pas dormir ici ?
— Non. C’est trop ! Je ne peux pas, Ethan !
Je le repoussai à deux mains.
— Merde, Brynne ! Tu me laisses t’emmener chez moi et te baiser comme un malade,
après quoi tu refuses de dormir quelques heures dans mon lit ?
Il rapprocha son visage du mien.
— Parle. De quoi as-tu peur ici, avec moi ?
Il avait l’air blessé. Offensé, même, et pas qu’un peu. Quant à moi, j’avais l’impression
d’être une vraie salope, en plus d’une fouteuse de merde hyper émotive. Ethan était beau dans
son jean délavé et son tee-shirt gris clair. Il avait les cheveux ébouriffés, son bouc réclamait un
coup de rasoir, mais il était toujours démentiellement beau, et peut-être même encore plus
que d’habitude, car c’était l’Ethan intime que je découvrais là, celui qui ne se montrait à
personne.
Je recommençai à pleurer et à m’excuser. C’était sincère. J’étais vraiment désolée d’être
aussi abîmée et brisée, mais c’était comme ça, on ne pouvait rien y faire.
— Je n’ai pas peur de toi. C’est plus compliqué que ça, Ethan. Je… Excuse-moi.
Je me frottai la figure.
— Je veux rentrer chez moi.
— Allons… Tu n’as à t’excuser de rien. Tu as fait un mauvais rêve, c’est tout, mais je ne
peux pas te laisser rentrer dans cet état. Tu es bien trop bouleversée.
Il prit à côté du lit une boîte de mouchoirs et me la tendit.
— Tu veux qu’on en parle ?
— Non, bredouillai-je entre trois épaisseurs de mouchoir.
— Comme tu voudras, Brynne. On parlera quand tu te sentiras mieux, si tu en as envie.
C’était merveilleux de sentir sa main masser mon dos en mouvements circulaires. Je me
retenais de fermer les yeux de peur de me rendormir. Il m’allongea sur le lit auprès de lui.
— Tu veux bien que je reste un moment avec toi ?
Je fis oui de la tête.
— Jusqu’à ce que tu te rendormes, dit-il. Si tu ne me vois pas en te réveillant, c’est que je
suis dans mon bureau, au fond du séjour. C’est toujours éclairé. De toute façon, je ne te
laisserais jamais seule ainsi. Tu es en sécurité chez moi. Je suis le mec qui bosse dans la
sécurité, tu te souviens ?
Je n’arrêtais pas de me moucher. Cette situation était un désastre, j’en étais mortifiée.
Mais bon, je fis de mon mieux pour assurer comme je pouvais. Je savais ce que j’allais faire de
toute façon. Je ris doucement à sa plaisanterie et le laissai me remettre dans son lit. J’avais de
nouveau son torse devant les yeux, je respirais ce parfum que j’aimais à la folie et qui me
replongeait dans nos moments d’extase. Je me concentrais sur le sentiment de sécurité
qu’Ethan m’inspirait, ainsi que sur son corps puissant et chaleureux. Je m’efforçais d’assembler
tout cela dans ma tête car c’était une expérience qui ne se représenterait plus.
Je fis semblant de m’endormir.
Je feignis la respiration régulière. Au bout d’un moment, je sentis qu’il quittait le lit et se
glissait hors de la chambre. Je perçus le bruit de ses pieds nus sur le plancher, je consultai
alors la pendule et attendis encore cinq minutes avant de me lever.
Je gagnai le séjour à poil. Je ramassai mes vêtements. Je retirai la cravate violette du tas
d’habits. Je la lissai avant de la plier en deux et de la déposer soigneusement sur le bras du
sofa. J’aurais voulu pouvoir la conserver en souvenir.
Je m’habillai à la hâte devant la grande baie vitrée et décidai de garder mes ballerines à
la main. Je pris mon sac et me dirigeai vers la porte. Son sperme coulait entre mes cuisses et
cette sensation me donna envie de pleurer. C’était fichu. J’avais tout gâché.
Sur le palier, je me dépêchai d’aller presser le bouton de l’ascenseur. Je me chaussai. Je
fouillai mon sac, en quête d’une brosse. À grands coups nerveux, je peignai mes cheveux style
je-viens-de-baiser. C’était peine perdue tellement ils étaient emmêlés, mais c’était toujours
mieux que rien. L’ascenseur arrivait. J’y entrai, fourrant ma brosse dans mon sac, et vérifiai
alors que j’avais de quoi prendre un taxi.
Dans le hall, le portier me salua.
— Puis-je vous aider, madame ?
— Euh… Oui. Claude ? C’est ça ? Je dois rentrer chez moi. Vous m’appelleriez un taxi ?
Même à mes propres oreilles, j’avais l’air en détresse. Alors j’aimais mieux ne pas savoir
ce que Claude pensait.
Il s’abstint de la moindre réaction, cela dit. Il se contenta de décrocher le téléphone.
— Ah… Nous en avons justement un qui arrive.
Il raccrocha, fit le tour de son bureau pour venir m’ouvrir la porte. Il m’accompagna
jusqu’à la voiture dont il referma lui-même la portière. Je le remerciai. Je donnai mon adresse
au chauffeur. Je regardai par la fenêtre.
Le hall restait éclairé la nuit, de sorte que je pus voir Ethan sortir précipitamment de
l’ascenseur et discuter avec Claude. Il franchit la porte de l’immeuble en courant au moment
où mon taxi s’éloignait. Il leva les bras en l’air en un geste de colère. Il secouait la tête. Je vis
qu’il était toujours pieds nus. Je vis aussi, quand nos regards se croisèrent, combien il était
troublé et blessé – moi dans cette voiture, lui dans la rue. Ethan. Je le voyais pour la dernière
fois, sans doute.
6

Je fus réveillée par une merveilleuse odeur de café. D’après l’heure affichée au réveil, il
était trop tard pour mon jogging à Waterloo Bridge. Je gagnai la cuisine en me couvrant les
yeux de mon bras.
— Exactement comme tu l’aimes, Bry. Sucré et crémeux.
Gabrielle, ma coloc par intermittence et mon amie très chère, me tendait mon mug. Je
lisais sur son visage comme dans un livre ouvert : Tu peux cracher le morceau, petite sœur. Je ne
te ferai aucun mal.
Gaby : je l’adore. Mais ce truc avec Ethan m’avait trop fait perdre les pédales et tout ce
que je souhaitais maintenant, c’était l’enterrer, faire comme si cela n’avait jamais eu lieu.
Je pris le mug fumant, j’en humai le délicieux parfum. Je ne sais pourquoi cela me fit
penser à Ethan et, aussitôt, l’émotion me terrassa puis éclata. Je transportai mon café vers le
comptoir en le couvant comme une mère poule son poussin. Quand je me hissai sur le
tabouret, une douce sensation se produisit dans mon entrejambe, et là encore je songeai à
Ethan – son corps ardent, ses regards, son sexe… –, mais je me remémorai aussi l’hystérie qui
s’était emparée de moi en me réveillant dans son lit. Inutile de jouer les braves, je capitulai et
fondis en larmes.
Je n’ouvris pas mon cœur tout de suite. Je dus avaler d’abord deux tasses de café et me
transporter sur le divan. Mais Gaby est douée pour ça : elle ne lâche jamais avant d’être
arrivée à ses fins.
— J’ai éteint ton téléphone il y a deux heures. Ce boucan, dans ton sac, ce n’était pas
supportable. J’ai failli l’écraser à coups de talon.
J’avais la tête sur son épaule, elle me caressait les cheveux.
— Tu as une tonne de messages et de SMS. J’ai cru que ce pauvre appareil allait
exploser. Je lui ai épargné un cataclysme en lui fermant sa gueule.
— Merci, Gab. Je suis si heureuse que tu sois là ce matin.
Je le pensais vraiment. Elle me ressemblait à beaucoup d’égards. Une Californienne à
Londres qui étudiait aussi la restauration des œuvres d’art et fuyait comme la peste l’idée de
rentrer dans ce pays qui ne cessait de la hanter. La seule différence avec moi, c’est que son
père habitait Londres. Du coup, elle n’était pas complètement livrée à elle-même. On s’était
trouvées dès la première semaine de cours, il y a à peu près quatre ans de cela, et depuis on
ne s’était jamais quittées. Elle était au courant de mes secrets les plus lourds et je connaissais
les siens.
— Moi aussi, dit-elle en me tapotant le genou. Bon, tu vas commencer par prendre
rendez-vous avec le docteur Roswell. Ensuite, on va se faire une sortie en boîte avec Benny,
sans oublier une virée chez Charbonnel et Walker, histoire de se gaver de leur divin chocolat.
Elle pencha la tête.
— Qu’est-ce que t’en penses ?
— J’en pense que c’est génial.
J’eus un sourire forcé, je faisais tout pour tenter de me ressaisir.
— Et ce mec, Bree, tu ne crois pas que tu devrais lui laisser une chance ? Il est génial au
pieu et il te veut à mort.
Mon faux sourire se métamorphosa en un authentique froncement de sourcils.
— Toi, tu as eu droit aux ragots de Ben.
Elle me fit les gros yeux.
— Rappelle-le, au moins.
Gaby baissa la voix jusqu’à ce qu’elle ne soit plus qu’un souffle :
— Il ignore tout de ton passé.
— Je sais bien.
Elle avait raison. Ethan n’était au courant de rien.
Gaby me caressait le bras.
— En fait, je n’étais pas fâchée après lui, hier soir. Il ne m’a rien fait de mal. Il fallait
juste que je m’en aille, c’est tout. Je me suis réveillée dans son lit en criant et…
J’avais à nouveau envie de pleurer, c’était plus fort que moi mais j’essayais encore de me
retenir autant que je le pouvais.
— J’ai l’impression qu’il cherchait à te réconforter, Bree. Il n’avait aucune intention de te
mettre dehors.
— Tu aurais dû voir sa tête quand il a accouru dans sa chambre alors que je hurlais
comme une dingue. Sa façon de me regarder…
Je me frottai les tempes.
— Il est si passionné. Comment t’expliquer, Gab ? Je n’ai jamais rencontré un être tel que
lui. Je ne sais pas si j’arriverai jamais à m’en remettre. À en croire ce qui s’est passé hier, j’en
doute.
Gaby souriait, confiante, en fixant sur moi ses magnifiques yeux verts.
— Tu es bien plus forte que tu ne l’imagines. Je le sais.
Elle hocha fermement la tête.
— Tu vas te préparer et aller bosser. Après une bonne journée de travail fructueuse au
service des chefs-d’œuvre de l’université anglaise, tu repasseras par la maison pour te préparer
à notre folle soirée de plaisirs décadents. Benny est déjà partant.
Elle enfonça son index dans mon épaule.
— Et maintenant, petite sœur, on se bouge.
— Je savais que Ben ne tiendrait pas sa langue.
Je souris à Gabrielle. C’était mon premier vrai sourire depuis hier. Il ne me restait plus
qu’à lever mon cul de ce divan.
— C’est bon, Gab, dis-je en me frottant l’épaule là où elle avait enfoncé son doigt. Je
rends les armes.


J’étais à mon travail depuis deux ou trois heures quand Rory, tout sourire, m’apporta un
vase chargé de splendides dahlias d’un violet soutenu.
— On a livré ça pour vous, miss Brynne. On dirait que vous avez un admirateur.
Merde alors ! Je n’en croyais pas mes yeux. Le ruban qui entourait le vase n’était pas
vraiment un ruban. C’était la cravate en soie d’hier – cadeau d’Ethan.
— Merci de me les avoir livrés, Rory. Ils sont somptueux.
Je tendis une main tremblante vers le carton pincé au bouquet. Il m’échappa deux fois
des mains avant que je puisse le lire.

Brynne
Cette soirée fut un cadeau.
Je t’en prie, pardonne-moi
Si je n’ai pas entendu
Ce que tu cherchais à me dire.
Je suis vraiment désolé.
À toi.
E

Je parcourus ces lignes plusieurs dizaines de fois. Je ne savais que faire.


Comment se débrouillait-il pour me mettre en un rien de temps dans un état pareil ? Un
instant, j’étais sûre que le mieux était de fuir cet homme, et l’instant d’après, je brûlais de le
retrouver. Je contemplais mes dahlias violets, je savais que j’étais obligée de prendre acte du
présent et du mot d’excuse. Il eût été cruel de les ignorer.
Mais comment répondre ? Par SMS ? un appel ? Je n’arrivais pas à me décider. D’un côté,
j’avais très envie d’entendre la voix d’Ethan, et de l’autre, je redoutais de ne pas assurer quand
il faudrait répondre à ses questions. Je finis par choisir le SMS – une vraie mauviette. Mon
téléphone avait d’abord besoin d’être rechargé. Quand je l’allumai, je fus accablée par des
rafales de notifications pour appels manqués et messages reçus. J’en avais la nausée et les
ignorai tous, j’ouvris directement une page vierge : Ethan, les fleurs st suprb. Merci. J’♥ le
violet. Brynne.
Dès que le message fut parti, je songeai à éteindre mon téléphone mais bien sûr je n’en fis
rien. Si la curiosité est en général un vilain défaut, dans mon cas, elle pousse aussi à des
comportements stupides.
Je revins à mon bouquet. Je retirai la cravate du vase et j’en respirai le parfum. Son
odeur à lui. Cette odeur sensuelle qui avait le don de me transporter. Il n’était pas près de la
revoir, sa cravate ! Qu’importe ce qui était arrivé ou non, cette cravate était à moi désormais.
Mon téléphone s’alluma et se mit à bourdonner. Mon premier réflexe fut de le couper
mais je savais qu’il rappellerait. Mon petit moi égoïste n’avait qu’une envie, celle de l’entendre
à nouveau. Je posai donc le téléphone contre mon oreille.
— Salut.
— C’est vrai que tu aimes le violet ?
La question me fit sourire.
— Beaucoup. Les fleurs sont splendides. Et la cravate, je vais la garder.
— J’ai merdé à fond, n’est-ce pas ?
Il parlait à voix basse. Un froissement me parvint suivi d’un soupir.
— Tu fumes, Ethan ?
— Encore plus que d’habitude.
— Un vice… Tu en as au moins un…
Je passai le doigt sur la cravate posée à plat sur ma table.
— Je crains d’en avoir plusieurs.
Il y eut un silence, je me demandai s’il me comptait parmi l’un de ses vices.
— J’ai failli venir chez toi, cette nuit, reprit-il.
— Heureusement que tu ne l’as pas fait, Ethan. J’avais besoin de réfléchir et c’est quelque
chose qui m’est très difficile quand tu es là. Ce n’est pas que tu aies fait ceci ou cela. Ce n’est
pas ta faute. Je… j’ai eu besoin de temps rien que pour moi après… après tout ça. C’est
juste… que je suis comme ça. C’est moi qui ai merdé.
— Ne dis pas ça, Brynne. Je sais que je ne t’ai pas écoutée hier soir. Tu t’es exprimée et je
n’ai pas voulu entendre. J’étais trop empressé, c’était trop rapide pour toi. J’ai entamé la
confiance que tu me portais et c’est ce que je regrette le plus. Je suis profondément désolé –
tu n’imagines pas à quel point. Si cela ruine mes chances d’être avec toi, alors c’est que je le
mérite.
— Tu ne le mérites pas.
Ma voix n’était plus qu’un souffle. J’avais tant de choses à dire mais je ne trouvais pas les
mots pour les exprimer.
— Tu ne souhaites pas être avec moi, Ethan.
— Bien sûr que si. Je ne le sais que trop bien, ma toute belle Brynne.
Je l’entendais exhaler la fumée de sa cigarette.
— La seule question, maintenant, c’est de savoir si tu le souhaites aussi. As-tu envie
d’être encore avec moi, Brynne Bennett ?
Je craquai. Ses paroles m’arrachèrent des larmes. Mon salut, ma grâce, c’était qu’il ne
pouvait pas me voir pleurer, sauf qu’il devait certainement tout entendre…
— En plus, je te fais pleurer. Est-ce une bonne chose ou pas ? Dis-le-moi, s’il te plaît, ma
chérie, car je n’en ai aucune idée.
Sa demande passionnée eut raison de mes résistances.
— Ça veut dire oui, répondis-je avec un rire gêné. Mais je ne sais pas quand. Ce soir, j’ai
prévu de sortir avec Gaby et Benny.
— Je comprends.
Étais-je en train d’accepter ? Je connaissais la réponse et lui aussi. Le problème, c’est qu’il
obtenait tout ce qu’il voulait. Depuis le premier soir, depuis le premier contact, il me tenait
telle sa captive. Oui, nous nous étions vite retrouvés au lit : ça n’avait pas traîné. Oui, il
m’avait un peu forcée, mais c’était pour me transporter dans un endroit si exceptionnel ! Un
endroit où je pouvais oublier mon passé. Ethan me faisait éprouver un sentiment de sécurité
absolue. Cela me surprenait et me poussait à essayer d’en comprendre les raisons. Je doutais
que l’on aille très loin ensemble, mais je savais que j’étais en train de vivre une liaison
inoubliable.
— Est-ce qu’on pourrait y aller pas à pas, Ethan Blackstone ?
— Je comprends donc que c’est oui. Bien sûr que nous le pouvons : un pas après l’autre.
J’entendis de nouveau le doux bruissement d’une nouvelle expiration. Il y eut un temps,
comme s’il rassemblait son courage.
— Brynne ?
— Oui ?
— Si tu voyais comme je suis heureux là tout de suite !
— Moi aussi, Ethan.
7

Les boîtes de Londres sont vraiment dingues. On n’avait pas tellement l’habitude de les
fréquenter mais là, c’était exactement ce qu’il me fallait : aller nous éclater de boîte en boîte.
Mon pauvre psychisme était sursaturé d’émotions, de peur et de culpabilité. J’avais besoin de
danser, boire et rire, mais surtout je voulais oublier tout ce merdier. La vie était trop courte
pour stagner sur ses versants les plus sombres, en tout cas c’est ce que me disait ma
thérapeute, le docteur Roswell. J’avais rendez-vous avec elle le lendemain à seize heures et
après, j’allais dîner avec Ethan. La première étape du fameux « pas à pas » dont nous étions
convenus au téléphone. Il avait dit vouloir jouer cartes sur table et je dois avouer que ce
n’était pas pour me déplaire. La vérité, c’est ce qu’il y a de mieux à mon avis. Non que j’aie
rien de spécial à cacher, j’étais simplement circonspecte quant à ce que je souhaitais partager.
Je ne savais pas non plus jusqu’où je voulais aller avec Ethan. Il n’y avait pas de mode
d’emploi. J’allais devoir surfer sur la vague en priant pour ne pas me fracasser contre les
récifs, et me noyer.
— Goûte ça, c’est à tomber, dit Benny en me tendant un grand cocktail orange dans un
verre évasé hurricane. La Flamme Olympique, ça s’appelle.
J’y trempai les lèvres.
— Cool.
Nous regardions Gaby se déhancher sur la piste avec un mec qui, le malheureux, n’aurait
vraiment aucune chance ce soir avec elle. Nous en étions déjà à notre troisième boîte et mes
pieds commençaient à crier pitié. Mes bottes violet foncé allaient à merveille avec la robe à
fleurs qui me dénudait une épaule, mais après trois boîtes, je ne rêvais plus que d’enfiler de
grosses chaussettes en laine.
— Je crois que je recommence à être obsédée par les bottes de cow-boy, c’est mon
fétiche !
Je soulevai une jambe et esquissai un sourire en coin à l’adresse de Benny.
— Tu en as déjà au moins dix paires, dit-il en haussant les épaules. C’est vrai que celles-ci
sont ultra-sexy.
Il ajouta après avoir réfléchi un instant :
— Nue simplement chaussée d’une paire de bottes, cela ferait des portraits d’enfer.
Il hocha vivement la tête.
— Ce n’est pas une idée géniale, ça ? C’est à tenter. Je veux un éclairage très tamisé qui
fera ressortir la couleur des bottes. Tu en as de toutes les teintes – jaune, rose, vert, bleu,
rouge. Ça va flasher. De l’art et rien d’autre !
Il me regardait.
— On le fait, Bree ?
— Et comment ! Si tu penses que ça peut faire de bons clichés, alors oui, bien sûr. Je te
fournirai une autorisation écrite pour les bottes.
Je lui tirai la langue.
— Ma mère en fera un infarctus.
M’attendant à une remarque caustique, je ne fus pas déçue :
— Ta maman a besoin de tirer un coup, c’est tout.
J’éclatai de rire en imaginant cette scène absurde : Clarice Huntington Bennett Exley en
train de se faire sauter.
— Bordel ! Personne n’a jamais soutenu qu’il fallait jouir pour tomber enceinte ! Et je suis
tout à fait sûre que c’est la seule fois où maman a baisé avec mon père.
— Je pense que tu n’as pas tort, mon cœur, dit Benny.
Il savait de quoi il parlait, il avait rencontré maman une ou deux fois. Il continua de
broder sur la même plaisanterie :
— Au moins, ce fut un coup de maître puisque te voilà.
Je ris de plus belle.
Mes parents ont divorcé quand j’avais quatorze ans – certainement par manque de baise,
et aussi parce qu’ils s’étaient vite rendu compte qu’ils n’avaient rien en commun. Je dois
toutefois ajouter qu’ils ont décidé de rester dans les mêmes parages jusqu’à mon bac. Quand
ça lui prenait, il est arrivé à ma mère de franchir l’océan pour venir me voir à Londres. Je me
suis toujours fait un malin plaisir de la choquer – mes amis, mon style de vie et mon attitude
franchement exécrable. Ceci jusqu’à ce qu’elle en ait marre et lève le camp. Frank, son
nouveau mari, beaucoup plus âgé qu’elle, beaucoup plus riche aussi que mon père, devait
adorer quand elle quittait San Francisco. À mon avis, elle ne baisait pas trop avec Frank non
plus. Il profitait peut-être des absences de ma mère pour se rattraper. Qui sait ? De toute
façon, ma mère et moi, on est le jour et la nuit, opposées sur tout.
Papa, c’est différent. Il a toujours été mon parent préféré. Lui, il m’appelle régulièrement,
me soutient dans mes choix. Il m’aime telle que je suis. Dans les moments si durs que j’ai
traversés, il a été ma seule raison d’être et ce pour quoi je suis encore en vie à l’heure qu’il
est. Je me demande ce qu’il penserait d’Ethan.
Ben s’éloigna pour aller discuter avec une blonde top sexy. Je continuai de siroter ma
Flamme Olympique.
— Hé, vous, jolie dame ! Ce sont de bien jolies bottes violettes que vous avez là.
Un grand rouquin dans un jean bouclé par un ceinturon de la forme du Texas, chaussé de
bottes de cow-boy lui aussi, se penchait sur la table. Un Américain à tous les coups. Les Jeux
attiraient les foules à Londres. Sûr que ce type-là débarquait pour la première fois sur le vieux
continent.
— Merci, répondis-je en souriant. Je collectionne les bottes de cow-boy.
— Vous collectionnez les cow-boys, hein ?
Il me déshabillait des yeux.
— Autrement dit, j’tombe à pic.
Il s’affala à côté de moi, son grand corps emplit tout l’espace. Il empestait l’alcool.
— Je serai ton cow-boy, si le cœur t’en dit. Tu auras le droit de me monter.
Je m’éloignai sur le siège en me détournant.
— Ton petit nom, trésor, c’est comment ?
— Mon petit nom, c’est Pas-Intéressée.
Je lui jetai un regard de marbre.
— Et mon nom en entier, c’est Tu-te-prends-pour-qui-gros-porc-plein-de-bière.
— C’est comme ça qu’on traite les invités, ici ? Des Américains qui ont fait tout le voyage
depuis le Texas !
Il se rapprocha et posa le bras sur le dossier de la banquette, est se collant à moi, il
plaqua sa jambe contre la mienne. Grand Rouquin me soufflait son haleine dans la figure.
— Tu ne sais pas c’que tu perds.
— Je crois que je le sais très bien, au contraire.
Je me déplaçai sur le siège aussi loin qu’il m’était possible de tenir.
— On ne vous apprend pas les bonnes manières, au Texas ? Ne me dis pas que les filles
de là-bas apprécient les poivrots dégoûtants qui les draguent en public !
Il ne releva pas. Ou bien il était trop débile pour comprendre le message. Il me prit la
main, se remit sur ses jambes en titubant, et tenta de m’entraîner.
— Allez, viens danser, poupée.
Je résistai mais le costaud me tenait ferme et c’était peu dire que je ne faisais pas le
poids. Ce rouquin avait tout de l’homme des cavernes hirsute et abruti par l’alcool.
Maintenant, il me secouait, me serrait contre lui en évoluant sur la piste. Il me colla la main
aux fesses, mais quand il essaya de remonter ma jupe, je levai le pied et lui écrasai les orteils
d’un solide coup de talon.
— Retire ta main de mon cul ou je t’arrache les couilles et j’en fais des pompons pour
mes bottes. Ça tombe bien : tu en as deux et moi, j’ai deux bottes.
Je grimaçai un sourire.
Il grogna et plissa les yeux. Il était clair qu’il se demandait si je parlais sérieusement. Il
ricana et finit par me lâcher.
— Saloperie d’Anglaise frigide, marmonna-t-il.
Il alla se mêler à la foule en quête d’une autre malheureuse à harceler, j’imagine.
— Je suis américaine, connard ! criai-je. Et du bon côté du pays !
En me retournant, je heurtai un torse mâle. Un torse que j’avais déjà eu l’occasion de
rencontrer. Et dont émanait un parfum qui était pour moi une drogue dure. Ethan.
Il n’avait pas l’air content. Il foudroya du regard le grand rouquin qui battait en retraite
puis me regarda. Il posa la main sur mon dos et me poussa vers une table. Il était vraiment
furieux. Mais même ainsi, il était superbe moulé dans un tee-shirt noir assorti à un jean foncé
et une veste grise. Il affichait ce regard dur, sérieux et implacable.
— Qu’est-ce que tu fais là, Ethan ?
— C’est plutôt une sacrée bonne chose que je sois là, non ? Cette bête ne te lâchait plus !
Il posait déjà ses grosses pattes sur ton cul ! C’était quoi, la phase suivante ?
Quand nous fûmes assis, il me lança un regard noir. Il serrait les mâchoires et ses lèvres
étaient fines comme une entaille.
— Je m’en suis très bien sortie toute seule, il me semble…
Ethan prit mon visage entre ses mains et m’embrassa. Sa bouche me retenait prisonnière,
sa langue cherchait à entrer, exigeant mon consentement. Je gémis et lui rendis son baiser. Je
perçus seulement un goût de menthe et un léger parfum de bière. Ce n’était pas du tout la
bouche d’un fumeur. Il ne sentait jamais le tabac. Même si j’avais voulu me refuser à ce baiser,
dire non à Ethan m’était quasi impossible. J’avais constamment envie de lui, et lui savait
exactement comment me prendre, c’est pourquoi il était si dangereux.
Il baissa les yeux vers ma tenue, avant de les poser à nouveau sur mon visage.
— Regarde-toi, dit-il. C’est un miracle que tu n’aies pas après toi cinquante queutards en
rut.
— Mais non. Il n’y en a que deux – Grand Rouquin et toi.
— Qui ? dit-il en plissant les yeux.
C’était mon tour de froncer les sourcils.
— Benny était encore avec moi il y a cinq minutes, lui, je vais le laisser tomber de toute
façon. En plus, je ne sais pas trop ce qu’il veut faire.
Je croisai les bras.
— Tu n’étais pas censé être là, Ethan. Et d’abord, comment tu as su que j’étais justement
dans cette boîte ? Tu as décidé de me suivre partout maintenant ?
Il se passa la main dans les cheveux et se détourna. Une serveuse aux cheveux blonds
oxygénés accourut rougissante, elle se tortillait en prenant la commande d’Ethan. Une vraie
bombe sexuelle genre bar de la Plage. Il lui aurait demandé de venir sur ses genoux, elle
aurait obéi sans ciller. Cela dit, comment était-il possible qu’un type de son allure se pointe
dans un endroit pareil sans que toutes les femmes tombent à ses pieds ? Quand il me
demanda si je voulais boire quelque chose, je fis signe que non en levant le verre que Benny
m’avait apporté. La serveuse me regarda de travers puis s’en alla en roulant des hanches.
— Qu’est-ce que je fais comme métier, Brynne ?
La voix était dure comme l’acier. Je dois lui rendre cette justice : il n’avait pas eu un
regard pour le cul de la serveuse, bien qu’elle lui eût envoyé des signaux dignes d’un porte-
drapeau aux Jeux olympiques. Le fait est qu’il parlait en balayant des yeux la piste de danse et
ses alentours.
— Tu es le patron de Blackstone Security International, et tu disposes de tous les outils
nécessaires pour surveiller tes conquêtes. C’est ça ?
J’avais posé la question d’un ton sarcastique, je penchai la tête vers lui.
Il se retourna et posa sur mon corps un regard soutenu.
— Oh ! dit-il, nous avons largement dépassé le stade de la simple conquête, ma beauté.
Il se rapprocha et me glissa à l’oreille :
— Depuis qu’on a couché ensemble dans mon lit, tu as pénétré en territoire inconnu, tu
peux me faire confiance sur ce point.
L’expression de son visage et ce qu’il me disait me firent chavirer le cœur. Je me mis tout
de suite à mouiller, tout en m’efforçant d’orienter la discussion vers un autre sujet que le sexe.
Cela dit, je ne vois pas pourquoi je me donnais cette peine-là car assis côte à côte, il devait
bien savoir que j’avais envie de lui.
— Comment as-tu su que j’étais ici ?
— Ta carte de crédit. Banque Clarkson. Ça ne m’a pas pris longtemps pour la faire parler.
Il me prit la main et la caressa avec son pouce.
— Ne m’en veux pas. Je ne me serais pas montré si tu avais passé tranquillement la
soirée avec tes amis. Mais quand j’ai vu ce connard de cow-boy te toucher…
Il porta ma main à ses lèvres. Je commençais à adorer le contact de son bouc.
— Je voulais te voir heureuse. Tu avais l’air si triste l’autre soir, dans ce taxi.
Il sourit. Il avait complètement changé de tête.
— J’aime quand tu fais ça, dis-je.
— Quand je fais quoi ?
— Quand tu m’embrasses la main.
Il la regarda. Il l’enferma dans les siennes.
— C’est une main adorable, dit-il. Je ne supporterais pas qu’on l’abîme.
Ses yeux me scrutaient à nouveau mais il semblait apaisé. Au gré de son désir, il traçait
avec son pouce des cercles sur ma peau et portait mes doigts à ses lèvres. Ethan avait besoin
de toucher. J’avais compris ça. Bizarrement, c’était quelque chose qui me rassurait. Je n’aurais
pas su l’expliquer, mais je savais ce que je ressentais quand il me touchait. C’était sûrement un
point à aborder demain avec le docteur Roswell.
Cela dit, les termes choisis par Ethan me frappaient par leur singularité. Il était hyper
protecteur. Comme s’il redoutait qu’il ne m’arrive un malheur. Mais ce train-là, Ethan, celui du
malheur, était déjà entré en gare six ans plus tôt.
Benny et Gaby apparurent et saluèrent Ethan puis s’éclipsèrent discrètement. Ils
s’efforçaient de la jouer cool mais j’étais sûre qu’ils allaient passer la moitié de la nuit à
spéculer sur Ethan et moi.
Il tendit la main gauche pour prendre son verre, gardant son autre main sur moi. Il ne
devait plus me lâcher jusqu’au moment de me faire monter dans sa voiture pour me ramener à
la maison.
En route, il continua de m’observer en ne cessant pas d’accrocher mon regard. Ça
m’excitait tellement que j’en venais à me tortiller pour apaiser la tension qui montait entre
mes cuisses.
— Pourquoi tu me regardes toujours comme ça ? finis-je par demander.
— Je crois que tu le sais.
Sa voix était douce, avec une pointe de dureté cependant.
— En fait, je veux que toi tu me le dises, car je n’en ai aucune idée.
— Brynne ! Je te regarde parce que je ne peux pas faire autrement. Je veux être en toi.
J’ai tellement envie de te baiser que c’est à peine si j’arrive à conduire cette putain de voiture.
Je veux venir en toi, recommencer, merde ! Je veux sentir ta petite chatte envelopper ma
queue et t’entendre jouir en criant mon nom. Je veux te garder avec moi toute la nuit, putain.
Je veux te posséder encore et encore, jusqu’à ce que tu ne puisses plus penser à autre chose
qu’à moi.
Je frissonnai, cramponnée à l’accoudoir en proie aux prémices d’un mini-orgasme qui
envahissait mon corps. Ma culotte était si trempée que si je n’avais pas eu les talons
fermement plantés dans le tapis de sol, j’en aurais glissé du siège en cuir.
Quand Ethan se gara, je tremblais. Il descendit et fit le tour pour m’ouvrir la portière. Il
ne dit pas un mot et moi non plus. Devant la porte cochère, je fouillai mon sac pour trouver la
clé, qui s’échappa de mes doigts. Ethan la ramassa. Il la mit lui-même dans la serrure. Il me
poussa dans l’entrée. Il me tint fermement la main en montant les cinq volées de marches.
Nous ne parlions toujours pas.
J’ouvris la porte de mon appart. Ethan me suivit à l’intérieur. Comme les fois
précédentes, un autre homme se révéla dans l’espace clos de notre intimité. Un homme à
peine capable de contenir sa faim. Je savais que je ne pourrais lui opposer aucune résistance.
En l’affaire d’un instant, je me retrouvai soulevée du sol et adossée au mur. La bouche
d’Ethan écrasait la mienne. Déjà il me fouillait et m’explorait.
— Enroule tes jambes autour de moi, dit-il en assurant sa prise sur mon cul.
Je fis ce qu’il me demandait. J’étais clouée au mur, membres écartés ; mes bottes
violettes pendaient comme les pattes d’une grenouille prête à être disséquée. Je cédai à tout
ce qu’il avait en tête. Je laissai Ethan gouverner cet aspect de notre relation – le sexe. Il était
aux commandes. Il assouvissait toutes les exigences que je lui inspirais. Et j’avais trop envie de
lui pour avoir seulement le temps de réfléchir.
— Ouvre ma braguette et sors ma queue.
Je m’exécutai aussitôt alors qu’il reculait légèrement pour m’aider. Sa bouche me
dévorait, sa langue me malmenait. J’ouvris la braguette de son jean, la chair dure de son
membre surgit de la soie. Je le caressai comme je pus, arrachant à Ethan un sifflement
guttural.
Ses mains retroussèrent ma jupe, ses doigts s’introduisirent sous mon string. Il le déchira
et en cassa l’élastique avant de m’empaler sur son érection. Alors qu’il me fourrait totalement
en m’écartant toujours de plus belle, je criai et me convulsai. Il me garda un moment
suspendue, nos corps enfin mêlés.
— Regarde-moi et ne t’arrête pas.
Ses mains accentuèrent leur pression sur mon cul et il commença à me labourer –
durement, à fond. C’était une punition mais je m’en fichais pas mal. C’est ce que j’attendais de
lui. Je plongeai mon regard dans le bleu ardent de ses yeux.
— Ethan ! criai-je dans une plainte, en me tordant contre le mur.
Il me baisait dans mon appart. Il me possédait entièrement avec sa queue. Je continuai à
le fixer des yeux, même quand je sentis mon bas-ventre se contracter, même quand la tête de
son pénis s’enfonça aussi loin qu’il lui était possible d’aller. Il avait franchi toutes les frontières
de mon intimité et je n’aurais pu détourner mon regard, même si je l’avais voulu. J’avais
besoin de garder les yeux grands ouverts.
— Pourquoi je fais ça, Brynne ? demanda-t-il.
— Je ne sais pas, Ethan, arrivai-je tout juste à articuler.
— Si, tu le sais. Dis-le, Brynne !
Je me crispai alors qu’un orgasme s’emparait de moi. Ethan ralentit aussitôt son allure et
descendit d’un cran. À petits coups de boutoir, il entrait et sortait maintenant de mon sexe
ouvert.
— Dire quoi ? criai-je, au supplice.
— Prononce le mot que je dois entendre. Dis la vérité, et tu auras le droit de jouir.
Il me transperça plus lentement en mordillant mon épaule nue.
— Quelle vérité ?
À présent, j’étais prise de sanglots, entièrement à sa merci.
— La vérité…
Il acheva sa phrase en grondant, et en soulignant les mots de quatre coups de reins :
— Tu. Es. À. Moi !
Au dernier coup, j’aspirai une bouffée d’air avant de lâcher un cri.
Il accéléra, me baisant avec furie.
— Dis-le, grondait-il.
— Je suis à toi !
À la seconde où la phrase fut prononcée, son pouce trouva mon clitoris et la jouissance
m’emporta. Elle roula et se fracassa avec la force d’une vague énorme explosant sur la grève.
C’était ma récompense pour avoir obéi. Je l’accueillis dans un hurlement, tandis qu’Ethan me
cisaillait de plaisir.
Un rugissement monta des profondeurs de sa poitrine. Ethan allait bientôt jouir. La fixité
de son regard avait quelque chose d’effrayant. Pour le coup de grâce, il s’enfonça jusqu’à la
garde et m’inonda de sa chaude semence. Il écrasa ses lèvres sur les miennes en m’embrassant
et nous berça pour finir en douceur. Ses bras puissants me tenaient toujours et, j’ignore
comment une telle chose est possible, mais il se débrouilla pour me couvrir de tendres
baisers, en un contraste saisissant avec la bête sauvage qu’il était encore un instant plus tôt.
— Tu es à moi ! suffoqua-t-il.
Il me laissa glisser le long du mur en me retenant jusqu’à ce que je repose sur mes pieds,
puis se retira en respirant fort. Je m’appuyai au mur et le regardai refermer son jean débraillé.
Ma robe retomba sur mes cuisses. À quelqu’un qui fût entré dans la pièce à cet instant, rien
n’aurait indiqué que nous venions de baiser comme des malades contre ce mur. L’illusion était
parfaite.
Ethan posa la main sur ma joue, me gardant à sa merci et m’intimant avec douceur
l’ordre de le regarder en face.
— Bonne nuit, ma splendide chérie américaine. Dors bien et à demain.
Il laissa glisser sa main sur mon visage, caressant au passage mes lèvres, mon menton et
ma gorge. Je voyais bien qu’il me désirait encore et qu’il n’avait aucune envie de partir, mais
je savais qu’il s’en irait quand même. Ethan me donna un tendre baiser sur le front. Il prit une
inspiration, comme pour s’imprégner de moi, et quitta l’appartement.
La porte se referma et je ne bougeai pas. Mon corps vibrait toujours sous l’effet de
l’orgasme, mes sous-vêtements déchirés étaient remontés autour de ma taille, et le sperme
chaud commençait à ruisseler entre mes cuisses. Je tendis l’oreille au bruit de ses pas qui
s’éloignaient. Un bruit qui n’était pas à mon goût. Mais alors pas du tout.
8

Le docteur Roswell prend toujours des notes pendant les séances. Personnellement, je la
trouve très vieille école mais on est en Angleterre. Son cabinet est d’ailleurs installé dans un
immeuble qui existait déjà quand Thomas Jefferson a rédigé la Déclaration d’Indépendance à
Philadelphie. Elle se sert même d’un stylo-plume, ce qui m’impressionne terriblement.
J’observais ce très beau stylo or et turquoise, justement. Il courait sur son carnet. Elle
m’écoutait parler d’Ethan. Le docteur Roswell écoute merveilleusement bien. En fait, c’est à
peu près l’essentiel de son activité. Je me demande en quoi consisteraient nos séances si je ne
lui fournissais pas toute cette matière.
Derrière son élégant bureau français, elle incarne la figure même du professionnalisme et
de l’empathie sincère. Je lui donne une petite cinquantaine avec son teint magnifique, sa
chevelure blanche qui ne la vieillit pas le moins du monde. Elle porte des bijoux et des tenues
bohèmes à caractère unique qui lui donnent une allure à la fois cultivée et décontractée. Mon
papa m’avait aidée à la trouver à mon arrivée à Londres. Elle m’est aussi nécessaire que la
nourriture, les vêtements et un toit.
— Pourquoi pensez-vous avoir réagi ainsi avec Ethan, en le quittant au beau milieu de la
nuit ?
— J’avais peur qu’il me voie dans cet état.
— Mais il vous a vue dans cet état.
Elle nota quelque chose.
— Et si je vous entends bien, il cherchait à vous réconforter et aussi à ce que vous
restiez.
— Je sais. Ça m’a effrayée. Je ne voulais pas qu’il commence à m’interroger sur mes
cauchemars…
Nous touchions du doigt le cœur du problème. Nous en avions très, très souvent parlé.
Qu’est-ce qu’un homme pourrait bien penser de moi s’il venait à apprendre la vérité ?
— Il m’a demandé si j’avais envie d’en discuter. J’ai répondu non. Il est si… si passionné !
Je sais bien que, dans quelques jours, il remettra ça sur le tapis.
— Cela se passe ainsi, une relation amoureuse, Brynne. On partage et on aide l’autre à
mieux vous connaître et même, à découvrir vos côtés les plus sombres.
— Ethan n’est pas comme ça. Il est si exigeant tout le temps ! Il veut… il veut que je lui
donne tout.
— Et que ressentez-vous quand il exige des choses, ou quand il veut que vous lui donniez
tout ?
— Je suis tétanisée à l’idée de ce qu’il adviendra de moi – moi Brynne.
Je pris une profonde inspiration avant de continuer.
— Mais quand je suis avec lui, quand il me touche ou quand on… Enfin, dans l’intimité…
Je me sens tellement en sécurité et tellement aimée que j’ai l’impression que rien de mal ne
peut m’arriver tant qu’il est là. Quelle qu’en soit la vraie raison, j’ai confiance en lui, docteur.
— Vous pensez qu’à cause de cette relation sexuelle avec Ethan, les cauchemars refont
surface ?
— Oui.
Je détestais le son de ma voix, tremblotant tout à coup.
— Brynne, c’est quelque chose de tout à fait normal chez les victimes d’agression
sexuelle. De par la nature de l’acte, les femmes sont dans une position vulnérable. La femme
accepte que l’homme la pénètre. Il est plus fort qu’elle et fondamentalement plus dominateur.
Une femme doit faire confiance à son partenaire, sinon, j’imagine qu’on serait un tout petit
nombre seulement à en avoir, des rapports sexuels. Ce fait ajouté à votre histoire nous donne
un inconscient qui brasse un mélange particulièrement chargé d’émotions.
— Même quand on ne se souvient de rien ?
— Le cerveau se souvient, Brynne. La peur de voir resurgir la trahison demeure présente.
Elle nota rapidement quelque chose.
— Voulez-vous essayer un médicament pour dormir ? Nous verrons si ça supprime les
terreurs nocturnes.
— Ça peut marcher ?
Sûr que l’idée éveillait mon intérêt. Une simple pilule ! La suggestion m’arracha un petit
rire nerveux. L’idée de passer une nuit entière avec lui me… me redonnait espoir. À condition
bien sûr qu’Ethan ait encore envie de dormir avec moi. Je le revoyais hier soir, quittant mon
appartement après m’avoir sauvagement baisée contre le mur, et comme je n’avais pas du tout
aimé le voir partir comme ça. J’étais en pleine confusion émotionnelle. Un côté de moi avait
envie de lui, quand l’autre en avait horriblement peur. Je ne voyais absolument pas ce qu’il
pouvait advenir de nous. Il t’a obligée à lui dire que tu étais à lui.
Le docteur Roswell me souriait.
— On ne peut rien savoir tant qu’on n’a pas essayé, ma chère. Être courageuse, c’est un
premier pas, et le somnifère, c’est juste un outil pour vous aider à faire les pas suivants jusqu’à
ce que vous trouviez votre propre voie. Une solution n’a pas toujours besoin d’être
compliquée.
Elle tendit la main vers son ordonnancier.
— Merci beaucoup…
Mon téléphone vibra dans mon sac. Je le consultai et vis un message d’Ethan.
— Ethan est là, à la réception. Nous sommes convenus qu’il viendrait me chercher après
ma séance pour aller dîner. Il m’a dit qu’il voulait qu’on parle… de nous.
— C’est toujours une bonne chose quand deux personnes discutent de leur relation. En
jouant la confiance et cartes sur table maintenant, vous vous facilitez le travail pour plus tard,
quand viendra l’heure d’exprimer vos différences…
Elle me tendit l’ordonnance.
— J’aimerais beaucoup le rencontrer, Brynne.
— Maintenant ?
Je sentis les prémices d’un spasme nerveux me parcourir le ventre.
— Pourquoi pas ? Je vais descendre avec vous et rencontrerai ainsi votre Ethan. Ça
m’aide énormément, lors des séances, de pouvoir mettre un visage sur un nom.
— Ah… D’accord, dis-je en quittant son confortable fauteuil en chintz à motif floral. Mais
ce n’est pas vraiment mon Ethan, vous savez, docteur.
— Nous verrons, dit-elle en me donnant une petite tape sur l’épaule.
J’eus le souffle coupé de le trouver en train de regarder un tableau en m’attendant. Son
maintien me rappelait le soir où il avait admiré mon portrait à l’expo de Benny, lorsqu’il avait
décidé qu’il le voulait pour lui, qu’il le voulait assez fort pour l’acheter.
Il se tourna. Nous traversions le hall. Ses yeux bleus illuminèrent son visage où s’épanouit
un tendre sourire comme il avançait vers moi. Je sentis une bouffée de soulagement
m’envahir. Ethan paraissait vraiment heureux de me voir.
— Ethan, voici ma thérapeute, le docteur Roswell. Docteur Roswell, Ethan Blackstone,
mon…
Il me coupa, une fois de plus :
— Le petit ami de Brynne.
Il tendit la main au docteur Roswell. Vu le sourire qu’il lui adressa, elle dut sentir sa
culotte lui fondre entre les jambes. Pendant qu’ils échangeaient des amabilités, j’observai la
réaction qu’il lui inspirait et je dois avouer, à ma plus grande satisfaction, que la mâle beauté
d’Ethan enivrait les femmes de n’importe quel âge. Je ne manquerais pas d’y faire allusion lors
d’une prochaine séance. Alors, docteur Roswell, vous ne trouvez pas qu’Ethan a un sex-appeal
hors norme ?
— Mon petit ami ? demandai-je à Ethan en allant à sa voiture tandis qu’il me tenait
fermement la main.
— Restons positifs, chérie.
Affichant un large sourire, il porta à ses lèvres nos mains entrelacées et me fit monter
dans sa Rover.
— Je vois, dis-je. Puis-je savoir où tu m’emmènes ? Et ce qui te met d’aussi bonne
humeur ?
Il se pencha pour approcher ses lèvres des miennes, sans les toucher toutefois.
— Je suis toujours de bonne humeur, comme tu dis, quand j’obtiens ce que je veux.
J’eus droit à un chaste baiser.
— Parce que ça t’arrive de ne pas obtenir ce que tu veux ? Tu es la personne la plus
obstinée que j’aie jamais rencontrée.
Je pondérai cette remarque d’un petit sourire à ma façon.
— Attends un peu, chérie. Tu n’imagines pas les abysses dans lesquels j’ai l’intention de
t’entraîner.
Son regard s’intensifia.
Je laissai cette voluptueuse menace flotter entre nous, tout en m’efforçant de garder une
respiration régulière.
— Tu me fais un peu peur, quand tu dis des trucs comme ça, Ethan.
— Je sais.
Du bout du doigt, il attira mon menton contre sa bouche, et me donna un nouveau
baiser. Il me chatouillait la lèvre inférieure en la mordillant.
— C’est pour ça qu’on y va pas à pas. Je ne veux pas t’effrayer. En aucun cas.
Ses yeux ne cessaient de me scruter comme pour essayer de percer mes pensées, quand
ses lèvres, tout près des miennes, ne m’effleuraient même pas.
— Tu te rends compte que c’est la première fois qu’on sort ensemble sans que j’aie été
obligé de te forcer à venir avec moi ? Tous les espoirs sont permis, non ?
Après m’avoir embrassée une dernière fois, il se redressa et mit le contact.
— Et voilà ce qui me met de bonne humeur, mademoiselle Bennett.
Des éclats de plaisir dansaient dans ses yeux bleus.
— Ça me convient tout à fait, monsieur Blackstone.
Il m’aida à boucler ma ceinture, puis sortit du parking. Enfoncée dans le siège en cuir, je
respirais le parfum d’Ethan. Qu’il m’emmène où il voudra, pensais-je. J’avais confiance. Tout
se passerait bien.

— Elle m’a l’air douée, ce docteur Roswell, dit-il d’un ton léger en me resservant du vin.
Tu la vois depuis longtemps ?
Nos regards se rencontrèrent et je me préparai. Nous y voilà. Cette fois, il va falloir gérer.
Je me concentrai sur ma respiration.
— Depuis presque quatre ans. Depuis que je suis londonienne.
— Et tu l’as consultée aujourd’hui à cause de ce qui s’est passé avec moi ?
— Le fait d’avoir suivi un parfait inconnu, tu veux dire ? Et de le laisser me baiser à
chaque rencontre ? Mouais… Ça a joué.
Je bus une gorgée de vin. Sa joue fut parcourue d’un tic mais il demanda, impassible :
— Et le fait de me planter au beau milieu de la nuit, ça a joué aussi ?
Je baissai la tête et fis signe que oui. Je ne pouvais pas faire autrement.
— Qu’est-ce qui te fait du mal, Brynne ?
Il avait posé la question si gentiment que l’espace d’une seconde, j’envisageai de tout lui
dire. Sauf que j’étais encore loin d’être prête.
Je reposai ma fourchette, je ne pourrais pas finir mes fettucini aux crevettes. Parler de
mon passé en mangeant : il n’en était pas question.
— Un sale truc, dis-je en relevant la tête.
— Je m’en doute. À voir ta tête quand tu t’es réveillée de ce cauchemar.
Il considéra l’assiette que j’avais repoussée, puis me regarda.
— Je suis désolé pour l’autre nuit. J’aurais dû t’écouter.
Il prit ma main et la caressa avec son pouce.
— Je veux que tu saches que tu peux me faire confiance. J’espère que tu le sais. Je veux
être avec toi, Brynne.
— Tu veux qu’on soit ensemble, c’est ça ?
Je baissai les yeux. Il passait son pouce sur mes jointures.
— Tu t’es présenté au docteur Roswell comme mon petit ami.
— C’est vrai, oui. C’est parce que je te veux, Brynne. Je veux que l’on soit ensemble, toi
et moi.
Sa voix se fit plus autoritaire.
— Regarde-moi.
Je relevai les yeux immédiatement. Sa beauté saisissante se découpait sur l’océan de
nappes blanches des tables environnantes.
— Tu m’accepterais comme je suis, Ethan ?
— Telle que tu es, tu es parfaite pour moi.
Je libérai ma main de son étreinte. Je dus forcer un peu pour qu’il consente à me lâcher.
C’était tout lui, ça, voulant toujours que tout se déroule selon ses désirs. Pourtant il me laissa
retourner sa main et la garder dans les miennes. Je suivis du doigt sa ligne de vie, puis sa
ligne de cœur. Et ma ligne de vie à moi ? Et ma ligne de cœur ?
— Je ne suis pas parfaite. Moi et parfaite, ça ne tient pas dans la même phrase.
Je parlais toujours penchée sur sa main.
— La bonne formulation, dit-il en prenant un air entendu, c’est : Parfaite et moi. De toute
façon, je ne suis pas du tout d’accord avec ma belle Américaine à l’accent sensuel.
Je le regardai.
— Tu aimes tellement avoir le contrôle… Mais tu le fais d’une façon qui, bizarrement,
me rassure.
— Je sais cela aussi. Et ça me rend dingue de toi. Voilà pourquoi tu devrais me faire
confiance et me laisser m’occuper de toi. Je sais de quoi tu as besoin, Brynne, et je peux te
l’apporter. Je veux juste savoir… Il faut juste que je sache que tu le veux aussi, que tu veux
être avec moi.
Le serveur s’approchait.
— Avez-vous fini, madame ?
Je le priai de débarrasser mon assiette et de m’apporter un café. Ethan parut contrarié.
— Tu n’as presque rien mangé.
Il n’avait vraiment pas l’air content.
— Ça me suffit. Je n’ai pas très faim.
Je bus une gorgée de vin.
— Alors tu veux qu’on soit ensemble, que je m’abandonne à toi, et que je te fasse
confiance car tu ne me feras pas de mal. C’est vraiment ce que tu veux, Ethan ?
— Oui, Brynne. C’est exactement ce que je veux.
— Pourtant, tu es bien loin de tout savoir à mon sujet. Comme je ne sais pas tout de toi.
— Quand tu seras prête, tu te confieras et je serai là pour t’écouter. Je veux tout savoir
de toi et, si toi aussi, tu veux en savoir plus, tu n’as qu’à demander.
— Et si je n’avais pas envie de m’en remettre entièrement à toi, Ethan ? Ou si ça m’était
impossible ?
— Alors dis-le-moi. C’est une négociation. Il y a des limites à respecter, des deux côtés.
— Très bien.
Il pencha la tête et reprit doucement :
— Je veux être avec toi. Je le veux à mort. Je veux t’emmener chez moi, te coucher dans
mon lit, passer des heures et des heures avec toi, avoir ton corps serré contre le mien, et en
user à ma guise. Je veux que tu sois là le matin pour pouvoir te faire jouir et t’entendre crier
mon nom au réveil. Je veux t’emmener à ton travail et venir te chercher après ta journée. Je
veux aller faire les courses avec toi et acheter de quoi cuisiner un bon dîner. Je veux qu’on
regarde des conneries à la télé jusqu’à ce que tu t’endormes sur le divan et que je puisse te
regarder dormir, t’écouter respirer.
— Oh ! Ethan…
Mon café arrivait et j’aurais pu gifler le serveur d’avoir interrompu cette magnifique
déclaration. Je sucrai mon breuvage, le tournai et ajoutai du lait. Je bus une gorgée. J’essayais
de trouver les mots. Mais pour être franche, Ethan m’avait déjà ferrée – j’avais tout avalé,
l’hameçon et la ligne avec. Tout ce qu’il voulait, je le voulais aussi. La seule question, c’était
de savoir si j’arriverais à tenir le choc.
— C’est trop ? Je te fais peur à ce point ?
Je secouai la tête.
— Non. C’est très bien, en fait. Mais il faut que tu saches que je n’ai jamais vécu ça. Je
n’ai jamais vécu une relation de ce genre, Ethan.
Il riait.
— Ça me convient, chérie. Je veux ça : être le premier.
Il souleva un sourcil et prit une expression pleine de sous-entendus qui me donna envie
de le suivre chez lui pour concrétiser l’accord.
— Je veux que tu y réfléchisses ce soir. Tu me diras ta décision après. Mais tu dois être
consciente que je suis extrêmement possessif.
— Vraiment ? Je n’aurais pas cru…
Je ne pouvais retenir mon ironie.
— Inimaginable vraiment, après ce qui s’est passé chez moi hier soir.
— Ton cul superbe mériterait une bonne fessée pour cette insolence.
Il m’adressa un clin d’œil.
— Je n’y peux rien. C’est ce que je ressens pour toi, Brynne. Dans ma tête, tu
m’appartiens depuis l’instant où je t’ai rencontrée.
Il soupira.
— Mais bon. Je vais me dominer pour cette fois, je vais te raccompagner, je t’embrasserai
en bas de chez toi en te souhaitant bonne nuit et en attendant que tu me proposes autre
chose.
D’un signe, il demanda la note.
— Prête ?
La vision qui me passa par la tête me fit pouffer.
— Qu’est-ce qui vous fait marrer, mademoiselle Bennett ? Je peux savoir ?
— Je vous imagine voulant me donner une fessée, monsieur Blackstone, alors que vous
jouez au gentleman tout en retenue qui va bientôt me gratifier d’un unique baiser au pied de
mon immeuble…
Il grogna et décroisa les jambes, gêné à l’évidence par une méchante érection.
— Si j’arrive à te ramener chez toi ce soir, dit-il, alors tu auras été témoin d’un miracle.


Il tint parole. Il me dit bonsoir à ma porte. Bon, d’accord, il laissa ses mains se balader
un peu et j’eus parfaitement conscience de ce qui se passait dans son pantalon, mais après
plusieurs longs baisers, il tint promesse et me laissa.
Je me préparai à aller au lit après une douche bien chaude et enfilai mon plus douillet
tee-shirt de nuit. Sur le devant, il y avait la photo de Jimi Hendrix – celle où il s’apprête à
prendre le thé dans un jardin, la dernière qui ait été prise de lui, à ce qu’il paraît. J’aimais ce
genre de trucs et comme j’adorais Hendrix, je le portais sans arrêt.
Mais il était temps de procéder à une enquête succincte sur mon petit ami. Je transportai
l’ordinateur portable dans mon lit, l’allumai et tapai dans Google le nom qui figurait sur son
permis de conduire : Ethan James Blackstone.
Il n’y avait pas grand-chose : une page Wikipedia et des liens vers le site de sa société.
Cela dit, la page Wikipedia contenait des infos intéressantes. Ethan était connu comme joueur
de poker. Il pratiquait au plus haut niveau et misait des sommes faramineuses. Voilà six ans, il
avait gagné un tournoi mondial à Las Vegas, alors qu’il n’avait que vingt-six ans. Autant dire
une fortune ! Assez pour lancer une affaire en tout cas. Ajouté à son passé dans les forces
spéciales britanniques, cela lui avait permis de se tailler une place à sa mesure. J’en conclus
qu’il devait avoir maintenant trente-deux ans. Presque huit de plus que moi.
Google Images proposait des photos dont la plupart présentaient le vainqueur du tournoi
de poker. Il fallait que je demande à papa s’il n’avait pas entendu parler de lui. Papa adorait
les tournois de poker, et s’adonnait encore au jeu de temps en temps.
Je parcourus les pages, m’arrêtant sur les photos. L’une d’elles montrait Ethan en
compagnie du Premier ministre et de la Reine… Waouh ! Le Président du Conseil italien… Le
Président français… J’en avais des picotements dans le dos. Ethan était un genre de James
Bond ou quoi ? Que foutait-il, au juste ? Si c’étaient là les gens dont il assurait la sécurité,
alors en effet il avait une clientèle extrêmement haut placée. Je tombais des nues. Je me
promis d’interroger aussi le père de Gabrielle, Rob Hargreave. Il était dans la police de
Londres. Si quelqu’un était bien renseigné, c’était lui.
Aucune photo ne montrait Ethan en public avec une femme. Je me demandai s’il avait les
moyens de les bloquer. Il ne pouvait tout de même pas mener une vie de célibataire spartiate,
vu qu’il était l’incarnation de la sensualité ! S’il me disait bien la vérité en soutenant qu’il ne
ramenait jamais de femmes chez lui, alors où pouvait-il bien les baiser ? Beurk… Je n’avais
pas envie de m’attarder là-dessus.
J’éteignis l’ordinateur, puis la lampe, et me glissai sous les draps. La cravate violette était
sous l’oreiller. Je la pris et la reniflai, immédiatement envahie par son odeur si rassurante. Je
me sentais encore plus petite maintenant dans la marche du monde. Je me demandais
toujours comment un tel homme avait bien pu me repérer. Était-ce juste à cause de mon
portrait accroché à la galerie ? C’était difficile à croire.
J’essayai de dominer mes peurs et de réfléchir à sa proposition de ce soir. Je m’étais
sentie si bien en sa compagnie, et mon corps, pendant l’amour, ne cessait de brûler de désir
pour lui. Avec Ethan, je n’avais rien à craindre et il n’était certes pas un tricheur. Tout au
contraire, il était foncièrement honnête. Dominateur, bien sûr ! Mais justement, c’est ce que
j’aimais. Il m’aidait à me détendre quand je manquais de confiance en moi. Je voulais cet
homme. Mais lui, voudrait-il encore de moi quand il saurait la vérité ?
9

Le lendemain matin, quand je rentrai épuisée de mon jogging, une délicieuse odeur de
café fraîchement préparé par ma coloc régnait dans l’appartement. Une demi-heure plus tard,
alors que je partais pour la fac, je croisai Gaby qui me demanda :
— Tu vas à la soirée de gala Mallerton le 10 ?
— J’en ai bien envie. Comme tu sais, je travaille sur un de ses tableaux : Lady Percival.
J’aimerais en savoir davantage sur son origine. Le feu a dégradé l’œuvre et le glacis a fondu
juste sur le titre du livre qu’elle serre contre son cœur. Je voudrais vraiment savoir de quel
ouvrage il s’agit, comme un secret qu’il me revient de percer.
— Super !
Elle frappait dans ses mains.
— C’est son expo anniversaire.
Gabrielle était à fond dans un mémoire sur le peintre romantique Tristan Mallerton, aussi
dès qu’il s’agissait de lui, elle était la première sur les rangs.
— Voyons, dis-je, en faisant semblant de compter sur mes doigts… Sir Tristan aurait
combien ? Deux cent vingt-huit ans ?
— Deux cent vingt-sept.
— Je ne suis pas tombée loin…
Gaby était tout sourire, ses dents d’une blancheur éclatante et ses lèvres étaient si
charnues que je me demandais pourquoi ce n’était pas elle le modèle. Elle avait quelque chose
de tellement exotique, avec sa peau café-au-lait et ses cheveux foncés aux reflets roux ! Les
hommes tripaient à fond sur elle mais elle ne voulait rien avoir à faire avec eux. Exactement
comme moi, pensais-je. Enfin… comme moi jusqu’à ce qu’Ethan vienne bousculer ma petite
vie pépère…
— Si on y allait ensemble ? On passerait une super-soirée. Il me faut une nouvelle robe,
cela dit. On commence par une expédition shopping ?
Ce projet avait l’air de l’enthousiasmer tellement qu’il me fut difficile de dire non.
— Excellente idée, Gab. Cela me distraira de ma vie si compliquée tout à coup.
Inclinant la tête, je prononçai à voix basse :
— Ethan.
Gab me coula un regard et croisa les bras.
— Qu’est-ce qui vous arrive ?
— Il veut une vraie relation. Genre dormir ensemble, faire la cuisine, regarder la télé,
tout ça.
— Et plein de brûlants orgasmes à la clé, j’imagine ?
Elle me tendit les bras.
— Viens là. Tu m’as l’air d’avoir besoin d’un câlin.
Abandonnée à l’étreinte de mon amie, je lui chuchotai à l’oreille :
— J’ai peur, Gab.
— Je sais, mon cœur. Mais je vous ai vus ensemble. J’ai vu comment il te regarde. Tu as
peut-être tiré le gros lot et il n’y a qu’un seul moyen de le savoir : essayer.
Elle me caressa le visage.
— Je suis heureuse pour toi. À mon avis, il faut que tu te jettes à l’eau. Essaie de
commencer par y croire un peu ! Jusqu’ici, il a dix partout, ce monsieur Blackstone. Si ça
venait à changer et s’il touchait à un seul cheveu de ta charmante tête, alors on transformerait
ses jolies couilles en castagnettes. Dis-lui ça de ma part, s’il te plaît.
— Mon Dieu ! Tu sais que je t’adore, toi ?
J’éclatai de rire et partis pour mes cours en me demandant comment faire passer le
message à Ethan.
Un SMS arriva trois heures plus tard. Brynne, tu me manques. Quand te reverrai-je ?
Le message me fit sourire. Je lui manquais et il n’avait pas peur de le dire. Ce projet de
« vraie relation » me mettait les nerfs à l’épreuve mais je dois avouer qu’avec son côté direct,
il avait l’art de calmer mes craintes. Je rassemblai mon courage et répondis. Suis :-) Très vite
si t’es pas trop dbord. Peux passer à ton buro ?
Mon téléphone se ralluma presque tout de suite, affichant un OUI bien appuyé. Suivaient
les instructions : adresse, ascenseur, invitation à déjeuner – un modus operandi typique de
mon Ethan. Là encore, je souris. Avais-je bien pensé : mon Ethan ? Oui, me dis-je en
descendant l’escalier après m’être engouffrée dans le métro.
Comme je voulais acheter le médicament prescrit par le docteur Roswell, je sortis au
bout de deux stations pour faire une halte dans une pharmacie. Je pris un panier et tendis
l’ordonnance au pharmacien. Pendant qu’il s’en occupait, j’explorai les rayons. Une idée
creusait sa route en moi au fur et à mesure que je choisissais mes produits et que je les laissais
tomber dans mon panier.
Je faisais la queue à la caisse quand je remarquai un grand type qui attendait derrière
moi avec une bouteille d’eau pour seul article. En fait, c’est son tatouage qui attira mon
attention. Une petite merveille à l’intérieur de l’avant-bras – une imitation parfaite de la
signature de Jimi Hendrix, avec le J qui formait une grande boucle. On aurait juré qu’elle était
de la main de Hendrix en personne.
— Joli tatouage, dis-je.
Ce type était vraiment très grand. Dans les deux mètres. Une musculature solide, une
chevelure blond clair en épis, un visage qui incarnait la confiance en soi – le genre de gars
qu’il ne fallait pas énerver.
— Merci.
Son regard très sombre s’adoucit à peine quand il demanda :
— Vous êtes fan ?
Pour une raison ou pour une autre, sa prononciation anglaise, bien que contrastant
totalement avec son apparence physique, eut un effet apaisant.
— Fan de chez fan, répondis-je en souriant avant de reprendre la direction du métro.
En route, je mis les écouteurs de mon iPod. Autant écouter un peu de Hendrix et songer à
ce que j’allais dire à Ethan.
Blackstone Security était à Bishopsgate, dans ce vieux Londres où se dressent aussi des
gratte-ciel modernes. Cela ne me surprenait pas tant que cela en fait, alors que j’essayais de
m’imaginer Ethan assis derrière un bureau – vêtu d’un séduisant costume, et exhalant son
délicieux parfum. Je descendis à Liverpool Street. Dans l’escalier, je trébuchai sur une marche
irrégulière et dus me cramponner à la rampe. Je réussis à ne pas me cogner les genoux, mais
mon sac se vida de son contenu. Je grommelai un juron en me baissant pour ramasser mes
affaires, et me retrouvai nez à nez avec le même type de la pharmacie, celui au tatouage.
Il me donna un coup de main efficace et me tendit mon sac.
— Attention aux marches, dit-il doucement et continua de monter l’escalier.
— Merci ! lançai-je.
Les muscles de son dos ondulaient sous sa chemise noire. Je n’étais même pas arrivée au
trottoir que mon téléphone vibrait déjà. Suis inquiet. T où ?
C’était drôle, ce souci du détail – les temps de parcours, par exemple. J’arrive.
Patience !!!
Dans le hall, Blackstone Security International était indiquée aux étages quarante à
quarante-quatre, mais Ethan m’avait dit d’aller directement au quarante-quatrième. Je donnai
mon nom au vigile qui eut un léger sourire, puis me prêta un stylo pour signer.
— M. Blackstone vous attend, mademoiselle Bennett. C’est par là. Je vais vous éditer un
badge. Ainsi, la prochaine fois, vous n’aurez qu’à le scanner.
— Très bien, merci.
Je le laissai faire son boulot. Quelques instants plus tard, je m’élevais en douceur vers le
quarante-quatrième étage, arborant mon badge de Blackstone Security. Mon cœur battait de
plus en plus vite à mesure que je me rapprochais de ma destination. J’avalai plusieurs fois ma
salive et réarrangeai mon blouson de cuir noir. Il allait bien avec ma jupe noire et mes bottes
rouges. Je n’étais pas habillée de manière provocante, mais ce n’était pas non plus une tenue
de circonstance pour un bureau. J’étais gênée tout à coup et espérais juste que personne ne
fasse attention à moi. J’ai horreur de ça…
Mon sac à l’épaule, mes achats de la pharmacie à la main, je sortis de l’ascenseur pour
pénétrer dans un élégant espace design. Au mur, des photos encadrées noir et blanc
représentaient des merveilles architecturales du monde entier. La ville s’étendait derrière les
immenses baies vitrées. Je m’adressai à la très jolie rousse assise à l’accueil :
— Brynne Bennett. J’ai rendez-vous avec M. Blackstone.
Elle m’étudia consciencieusement avant de se lever.
— Ah ! Il vous attend, mademoiselle Bennett. Je vous conduis à son bureau.
Elle me tint la porte avec un large sourire.
— J’espère que vous aimez la cuisine chinoise.
Je lui emboîtai le pas sans relever, non pas parce que je n’avais pas envie de répondre
mais parce que tous les yeux étaient fixés sur nous. À chaque poste de travail, des têtes se
tournaient dans notre direction. J’aurais voulu disparaître immédiatement dans une fissure.
Ethan, je vais te tuer ! Merde ! Qu’est-ce qu’il avait encore inventé ? Il avait fait circuler dans
toute la maison un mail annonçant que son amie allait venir lui tailler une pipe dans son
bureau ? Le visage en feu, je suivais la charmante réceptionniste, laquelle avait une bague de
fiançailles à la main gauche. Détail que j’étais à même de repérer puisque je n’osais même
plus relever les yeux.
— Eh bien ! murmurai-je. J’ai un sacré comité d’accueil.
— Ne vous inquiétez pas, ils sont juste curieux de savoir à qui le boss s’intéresse. Je suis
Elaina, au fait.
— Brynne, dis-je.
Elle frappa à une magnifique double porte en ébène, puis entra.
— Je vous présente Frances, l’assistante de M. Blackstone. Frances, Mlle Bennett est là.
— Merci, Elaina, dit Frances en m’adressant un sourire. Ravie de vous rencontrer,
mademoiselle Bennett.
J’eus droit à une vigoureuse poignée de main. Je me demandai s’il était normal d’être
aussi contente de constater que l’assistante d’Ethan était manifestement plus vieille que ma
mère et qu’elle avait un faible pour les tailleurs en synthétique. Mon baromètre intérieur
redescendit de quelques degrés, comme je retournais son sourire à Frances. Aimable,
parfaitement sûre d’elle et de son territoire, elle m’indiqua la seconde double porte.
— Entrez, je vous en prie. Il vous attend.
La porte glissait si bien sur ses gonds que j’aurais pu l’ouvrir avec le petit doigt. Je me
réfugiai aussitôt dans le bureau d’Ethan et m’affalai contre la porte qui s’était refermée. Les
yeux clos, je le cherchai en reniflant. Je humai bientôt son parfum.
— C’est bien. Continue comme ça. Oui, bien sûr, je veux un rapport toutes les heures
quand tu seras sur place. Le protocole habituel.
Il était au téléphone. Je rouvris les yeux. Je l’observai depuis la porte. Il était si maître de
lui, si resplendissant dans son costume à rayures gris foncé. Surprise ! Il avait encore mis une
cravate violette ! Si sombre, celle-là, qu’elle en était presque noire, mais Dieu que cela lui
allait bien ! Il mit un terme à sa communication et ses yeux se posèrent sur moi. Il sourit en
levant un sourcil. Je lui retournai son regard.
— Ethan ! Tous ces gens qui me mataient ! Qu’est-ce que tu as foutu ? Toute la boîte
était au courant de ma visite ou quoi ?
— Viens donc là t’asseoir sur mes genoux.
Il éloigna son siège du bureau pour me faire de la place. Il ne sembla pas prêter la
moindre attention à ma question. Sa bouche magnifique et impérieuse n’avait rien d’autre à
formuler que cette exigence : je devais le rejoindre immédiatement.
Bien, j’obéis. Je marchai jusqu’à lui dans mes bottes rouges et posai mes fesses sur ses
genoux, comme il me l’ordonnait. Il m’enlaça et m’attira contre lui pour m’embrasser. Je me
sentais tellement mieux tout à coup.
— J’ai pu laisser entendre à deux ou trois personnes que tu allais venir.
Sa main remonta le long de ma cuisse et se glissa sous ma jupe. La température remonta
de plusieurs degrés.
— Ne m’en veux pas. Tu as mis des heures à venir et je n’arrêtais pas d’aller demander à
Elaina si tu n’étais pas arrivée.
— Ethan, qu’est-ce que tu fais ? murmurai-je tout près de ses lèvres comme ses longs
doigts continuaient de courir vers leur destination.
Il m’obligea à écarter les cuisses pour pouvoir les introduire dans ma chatte.
— Je veux juste toucher ce qui m’appartient, chérie.
Il chercha mes plis intérieurs à travers la dentelle de ma culotte rouge puis repoussa le
tissu.
Je contractai mes muscles dans l’anticipation du plaisir et haletai de plus belle.
— Tu es allé voir combien de fois si j’étais arrivée ?
— Pas beaucoup… Quatre ou cinq fois.
Il trouva mon clitoris et commença à tracer des cercles sur un faisceau de nerfs excités.
Comme d’habitude, il me faisait perdre tous mes moyens.
— C’est beaucoup, Ethan…
J’arrivais à peine à prononcer les mots, tant j’étais captive du plaisir que me procuraient
ses doigts magiques. J’ouvris encore un peu plus les cuisses pour mieux chevaucher sa main.
— La porte…
— … elle est fermée, mon cœur. Pense à moi et à ce que je suis en train de faire. Le
reste, tu oublies.
D’une main, il me caressait, et de l’autre il me tenait fermement. La seule chose à faire
était de me concentrer sur l’endroit de mon corps qu’il caressait. Il se servait maintenant de
son pouce et exerça une pression plus forte. Deux doigts s’introduirent dans la fente inondée
et commencèrent à me masturber.
— Putain, comme je te fais mouiller.
Il écrasa sa bouche sur la mienne, il voulait un baiser aussi.
Je poussai un cri en remontant sur ses genoux, ses doigts dans mon sexe et sa langue
dans ma bouche, j’étais totalement dominée et anéantie. Et parfaitement comblée. Il me tenait
d’une main de fer comme s’il avait peur que j’essaie de me dégager. Mais il n’avait rien à
craindre…
Je pris de profondes inspirations. Le plaisir pulsait dans mes veines et j’essayais de
comprendre l’effet qu’Ethan produisait sur moi. Mais c’était peine perdue, avec lui, je ne
maîtrisais plus rien. Rien du tout.
Dès que ce fut possible, je le regardai et ses yeux d’un bleu incroyable m’excitèrent
encore plus.
— Tu dois avoir la main trempée, dis-je en pensant qu’il avait bien raison, j’étais
dégoulinante.
Avec un rire de sale gosse, il continua de fouiller mon sexe avec ses doigts.
— C’est exactement l’endroit où je veux que ma main soit enfoncée. Mais j’aimerais
encore mieux que ce soit ça…
Il colla sa queue contre mon cul. Je voulais bien le croire sur parole. Il bandait si dur que
j’en tremblais.
— Mais… Ici ? Dans ton bureau ?…
— Personne n’entre ici. On est tranquilles…
Il caressait mon cou avec son nez.
— Rien que toi et moi, murmura-t-il.
Je voulus me dégager mais il me retint, une lueur de mécontentement traversa son
regard. J’essayai encore et, cette fois, il me laissa m’écarter de lui. Je me mis à genoux sur le
sol, j’avais le visage à hauteur de sa ceinture. Mon corps disparaissait presque entièrement
sous le bureau. Je pris entre mes doigts son membre en érection et le pressai. Je levai les
yeux vers Ethan. Il affichait une expression de violent désir. Je savais ce qu’il me restait à
faire.
— Ethan, j’ai envie de te sucer…
— Oui !
Je n’en attendais pas plus. Je débouclai sa ceinture, et dézippai aussitôt la braguette pour
libérer ma récompense. Dieu, quel pénis ! Ethan lâcha un soupir quand je pris son sexe et
commençai d’en lécher le bout en me délectant de sa chair au goût salé. Je reculai pour
regarder encore. Ce truc m’avait pénétrée – plusieurs fois – et je n’avais jamais pris le temps
de l’observer. C’était un membre imposant et dur mais doux comme le velours. Je le caressai
sur toute sa longueur en souriant à Ethan. Il se mordait la lèvre en me regardant comme s’il
allait exploser à la moindre pression.
— Tu es parfait, murmurai-je.
Puis ma bouche se referma sur le beau sexe rose que j’attirai en moi. Ethan, cramponné
au fauteuil, se poussa jusqu’au fond de ma gorge. Je le branlai à merveille, le caressant d’une
main et l’aspirant en le suçant. Du bout de ma langue, j’excitais la grosse veine qui alimentait
son érection. Ethan gémissait. Je ne ralentis pas le rythme et gardai mon cap. J’entendais aller
jusqu’au bout, jusqu’à l’instant ultime : j’y arriverais coûte que coûte.
Ethan devait lire le langage de mon corps car il posa les mains sur ma tête et me tint
bon, sa queue dans ma bouche. Il m’emplit complètement sans que je m’étouffe une seule fois.
Quand ses couilles durcirent, je compris qu’il était sur le point de décharger et j’agrippai ses
hanches à deux mains pour l’empêcher de se retirer.
— Putain ! Je vais jouir à fond !
Inflexible comme l’acier, il répandit sa brûlante semence dans ma gorge, sans lâcher ma
tête.
— Bordel, Brynne !
À bout de souffle, il haletait violemment.
Il sortit de ma bouche et je relevai les yeux tout en avalant lentement. Il me regardait
aussi et sa lèvre inférieure tremblait. Il m’attira contre lui en me relevant, ses mains
encadraient toujours mon visage. Il prit son temps pour m’embrasser, lentement,
profondément, et de manière si tendre que je montai en flèche. Je me délectais de lui avoir
donné du plaisir. Son bonheur me rendait heureuse.
Nous avions remis de l’ordre dans nos vêtements, et j’étais à nouveau lovée sur ses
genoux, dans ce confortable fauteuil que nous partagions. Il passa ses doigts dans mes cheveux
et me mordilla la nuque. Je jouais avec son épingle à cravate en argent gravé, un bijou
vintage, apparemment.
— Que c’est beau, dis-je.
— C’est toi qui es sublime, chuchota-t-il à mon oreille.
— J’aime ton bureau. Les photos à la réception sont splendides.
— J’aime quand tu viens me voir ici.
— Je m’en étais aperçue, Ethan. Tu es… Très accueillant.
Je pouffai. Il me chatouilla et me laissa me tortiller un peu trop longtemps, je trouve. Je
chassai sa main de mes côtes.
— Qu’est-ce que tu m’as acheté ? demanda-t-il en tendant la main vers le sac en papier.
Des bonbons ? J’adore ça, parfumés à la cerise surtout…
J’attrapai le sac sans lui laisser le temps de l’ouvrir.
— Hé ! On ne fouille pas le sac des dames. Cela pourrait être très gênant.
Il pinça les lèvres et soupira.
— Tu as raison, j’imagine, dit-il, l’air de lâcher l’affaire un peu trop facilement.
Puis, avec un sourire démoniaque, il m’arracha le sac des mains.
— Mais je veux quand même regarder !
Il mit le sac hors de portée et entreprit d’en sortir les articles. Il se calma en y trouvant
une brosse à dents violette, un tube de dentifrice… Il les déposa sur le bureau et fouilla
encore. Une brosse à cheveux toute neuve, une crème hydratante, mon rouge à lèvres
habituel. Ethan sortait tous mes achats. Le shampooing, le gel épilatoire, et même, pour finir,
un petit flacon de parfum Tommy Hilfiger. Il aligna le tout en une rangée bien régulière.
Calme, sérieux, il m’observa.
— Je ne pensais pas que tu y arriverais, Brynne.
— Moi non plus.
Je pris la seule chose qu’il avait laissée dans le sac : le médicament.
— Le docteur Roswell m’a conseillé ça. Il paraît que des fois, ça marche.
Je lui caressai les cheveux.
— Des cachets pour dormir. Comme ça, la prochaine fois, je ne me réveillerai pas au
milieu de la nuit. Je veux dire, si je suis ta petite amie, alors il faut bien que je… que je puisse
passer la nuit avec toi de temps en temps…
Il me fit taire d’un baiser.
— Oh ! chérie. Tu m’as rendu si heureux.
Il continuait de m’embrasser.
— Cette nuit… cette nuit, tu restes ? S’il te plaît, dis oui.
Son expression disait tout ce que j’avais véritablement besoin de savoir. Il voulait que je
reste avec lui, qu’on baise, qu’on prenne l’habitude de dormir ensemble et tout ça.
— Tu as envie d’essayer et moi aussi, répondis-je en parlant de nouveau à son épingle à
cravate. Alors pourquoi je dirais non ?
— Regarde-moi, Brynne.
J’obéis. Sous sa barbe de trois jours, il serrait la mâchoire. Lui aussi était la proie de ses
émotions. Il ne me les cachait jamais. En public, il passait pour un homme réservé mais en
privé avec moi, il ouvrait facilement son cœur. On lisait ses sentiments comme dans un livre.
Il me disait ce qu’il attendait de moi et ne s’excusait jamais de l’exprimer sans détour.
— Je veux que tu voies la vérité dans mes yeux quand je te dis que j’ai tellement envie de
tenter l’expérience avec toi et que je suis si heureux que tu le veuilles aussi.
Il m’embrassa les cheveux.
— Je veux que tu choisisses un mot. Un mot à prononcer quand tu as besoin de temps
pour toi parce que tu as peur ou encore, quand je fais un truc qui ne te plaît pas.
Il m’obligeait à le regarder.
— Tu dis le mot et j’arrête ou je te raccompagne chez toi. Mais par pitié, ne t’en va plus
toute seule comme l’autre fois !
— Comme un mot de passe, c’est ça ?
Il approuvait de la tête.
— C’est exactement ça. J’ai besoin que tu me fasses confiance. Il le faut, Brynne. Mais j’ai
besoin de pouvoir te faire confiance aussi. Je ne pourrai pas… Je ne veux pas revivre ça. Je ne
veux plus que tu me laisses au beau milieu de la nuit…
Il avalait sa salive avec peine. Les veines de son cou frémissaient et je compris alors qu’il
en était encore très affecté.
— Je refuse de revivre ça à nouveau : toi absente et moi incapable de te retrouver.
— Je regrette d’être partie comme ça. Mais j’étais submergée. Tu me submerges, Ethan. Il
faut absolument que tu le saches car c’est la vérité.
Il pressa les lèvres contre mon front.
— D’accord mais préviens-moi alors. Tu dis le mot de passe et j’arrête. Mais ne pars plus
sans rien dire…
— Waterloo.
Il souriait.
— Waterloo ? C’est le mot de passe ?
Je fis oui de la tête.
— C’est ça.
Le plateau du déjeuner attendait sur la table. Ça sentait bon. Des plats chinois. Elaina
m’avait prévenue et mes narines en apportaient la confirmation.
— Bon, tu m’invites ou pas ? Je croyais que le déjeuner était compris dans l’accord.
Je lui enfonçai un doigt dans les côtes.
— Il n’y a pas que les orgasmes dans la vie.
Ethan renversa la tête en arrière, éclata de rire et me donna une bonne claque sur les
fesses.
— Alors vas-y. Mange, ma belle Américaine. Il faut que tu gardes des forces. J’ai de
grands projets pour ce soir.
Il cligna de l’œil en prenant un air mauvais. J’étais perdue et je le savais.
10

Je finissais de préparer mon sac quand le téléphone sonna. Ethan. Je consultai la


pendule. Il devait passer me prendre à sept heures et il était moins le quart.
— Tu as changé d’avis ? lui dis-je. Tu décommandes notre soirée pyjama ?
— Aucun risque, dit-il en riant. J’espère que tes affaires sont prêtes, chérie…
— Alors pourquoi n’es-tu pas déjà là pour m’enlever ?
— En fait, j’ai été obligé de t’envoyer une voiture. Une urgence de merde au boulot.
Désolé. Le chauffeur s’appelle Neil. Il bosse pour moi. Il va te conduire à mon appart. Une fois
sur place, je veux que tu fasses comme chez toi jusqu’à mon arrivée. Tu veux bien, trésor ?
— Mouais…
Me retrouver seule chez lui… Ça voulait dire quoi au juste ? Je n’avais pas peur mais je
n’étais pas aux anges non plus.
— Tu es sûr, Ethan ? Je veux dire… On peut le faire une autre fois si tu es débordé…
— Je dors avec toi cette nuit, Brynne. Dans mon lit. Le débat est clos.
— Oh là là ! dis-je en souriant. Tu veux que je prépare le dîner, alors ? Il y a quelque
chose ou je demande à ton chauffeur de m’arrêter au supermarché ?
— Pas la peine de vous arrêter. Il y a tout ce qu’il faut. Et des trucs dans le congélateur
aussi. La femme de ménage me cuisine des plats et les met à congeler. Tu choisis ce que tu
veux – excuse-moi…
Des voix étouffées me parvinrent puis celle d’Ethan à nouveau :
— Il faut que je te laisse, chérie. J’arrive dès que possible.
Je lui dis au revoir mais il avait déjà raccroché. Je contemplai mon téléphone avant de le
reposer, je me sentais perdue dans un monde irréel, Alice au Pays des merveilles encore une
fois. Ma vie s’emballait et je n’en maîtrisais plus les commandes. En l’espace d’une semaine,
j’avais cessé d’être célibataire. J’avais maintenant un petit ami et je ne voyais pas, mais alors
pas du tout, ce qui pourrait ralentir le cours des événements.
Mon téléphone s’éclaira. Aucun nom de correspondant n’apparaissait à l’écran.
— Allô ?
— Madame, je m’appelle Neil McManus. M. Blackstone m’a demandé de venir vous
chercher. Je suis en bas de chez vous. Une Rover noire.
La douceur de l’accent anglais, cette diction parfaite…
Neil. Ethan m’avait prévenue.
— Je descends.
J’accrochai le sac à mon épaule et l’instant d’après j’étais dehors. La voiture était
exactement la même que la Range Rover d’Ethan, mais je fus clouée sur place : Neil, le
chauffeur, était un grand type musclé aux cheveux blonds en épis, aux yeux très noirs…
— Vous ? !
Le mec au tatouage de Jimi Hendrix. J’étais complètement scotchée.
— Oui, madame, dit-il en m’ouvrant la portière avec une expression impavide.
— Vous m’avez suivie toute la journée ? !
Ce n’était pas une question et je suis sûre qu’il le savait très bien. Je laissai tomber mon
sac par terre et je croisai les bras, prête à en découdre.
— Donnez-moi une bonne raison de monter dans cette voiture avec vous, Neil.
Il eut un bref sourire, puis il regarda mon sac posé sur le trottoir.
— Parce que je travaille pour M. Blackstone ?
Je restai de marbre. Il fit une autre tentative :
— Parce qu’il va me virer à coups de pied dans le cul si je ne vous dépose pas à son
appart, conformément à ses ordres ?
Il me fixait de son regard sombre et sincère.
— J’aime beaucoup mon boulot, madame.
Les questions tournoyaient dans ma tête à n’en plus finir. Qu’est-ce que j’étais en train de
faire ? Et Ethan, qu’est-ce qu’il faisait ? Combien de personnes étaient déjà au courant ? La
liste allait-elle s’allonger encore ? Merde ! Il allait falloir qu’on parle de tout ça ! Bon, cela dit,
faire payer à Neil le prix de mon désarroi aurait été injuste, d’autant plus qu’il ne faisait que
son job apparemment.
— D’accord, Neil.
Je ramassai mon sac et m’installai sur la banquette arrière.
— Mais on arrête tout si vous continuez de m’appeler madame, compris ? Je m’appelle
Brynne. Et si monsieur Blackstone n’aime pas ça, dites-lui qu’il aille se faire foutre. Il devrait
pourtant savoir que les Américaines détestent qu’on leur donne du madame !
Neil pencha la tête et se fendit d’un sourire en refermant la portière.
Quand il démarra, je fulminais toujours dans mon coin. Mais garder le silence m’était
tellement insupportable que je décidai de tout déballer :
— Alors comme ça, Neil, Ethan vous a engagé pour me coller aux fesses dans toute la
ville de Londres ?
— Protection rapprochée, madame… Euh, Brynne. Je ne vous colle pas aux fesses.
— Protection ? Pour quelle raison ? Vous êtes déjà là le matin quand je fais mon
jogging ?
Neil m’observa dans le rétroviseur.
— La ville n’est pas toujours sûre, dit-il.
Il regardait la route à nouveau. La pluie s’était mise à tomber, le grincement des essuie-
glaces rythmait mes pensées. Neil ajouta tranquillement :
— Il préfère se montrer prudent, c’est tout.
— Ouais. Je sais.
Ethan était prudent, il entendait tout diriger et il était souvent un rien trop arrogant à
mon goût… Il est vrai qu’avec moi ce n’était pas simple.
— Alors, Neil. Depuis combien de temps travaillez-vous pour lui ? Ethan ne me dit jamais
rien. Vous ne voudriez pas éclairer un peu ma lanterne ?
Je le gratifiai dans le rétroviseur d’un sourire narquois.
— Cela fait six ans maintenant. On était ensemble dans les forces spéciales.
— Vraiment ? Vous êtes des espèces de James Bond ou quoi ? Vous bossez pour le
gouvernement britannique ?
Il rigolait en secouant la tête.
— Je comprends pourquoi M. Blackstone est si prudent avec vous, Brynne. Vous m’avez
l’air d’avoir de l’imagination.
— Ça va, répliquai-je d’un ton sec. Ça aussi, il me l’a déjà dit.
Les suppositions d’Ethan avaient beau me gêner – et même dépasser les bornes –, Neil n’y
était pour rien. Il avait l’air d’un type honnête, sans parler de ses goûts musicaux, en bref, je
l’appréciais. Il se contentait de faire son travail, et peu importe en quoi consistait son rôle.
Il gara la voiture. Il me conduisit à l’ascenseur du parking. En un rien de temps, je me
retrouvai à nouveau dans le splendide appartement d’Ethan – sauf qu’Ethan n’était pas là.
Neil me communiqua son numéro en me prévenant qu’il restait dans les parages, si j’avais
besoin de quoi que ce soit.
— Dans les parages ? Ça veut dire quoi ? Je suis surveillée ? Ne me dites pas que vous
pouvez voir tout ce que je fais dans la maison…
Je le scrutais à l’affût du moindre signe qui le trahirait.
— N’essayez même pas de mentir, Neil. Vous avez envie que je vous fausse compagnie, et
que je ne sois plus qu’un courant d’air pour Ethan qui se trouve Dieu sait où ?
Neil grimaça.
— Ici, à l’intérieur, vous n’êtes absolument pas surveillée. Il n’y a pas de caméras dans
l’appartement. Mais dès que vous sortez sur le palier, il y en a. Je le saurai si vous mettez le
nez dehors. Je suis dans un autre appartement, en face. Pas très loin. M. Blackstone veut juste
que vous vous sentiez chez vous.
Il fit le geste de téléphoner.
— En cas de besoin, vous m’appelez, Brynne.
La serrure de la porte émit un claquement. Mon protecteur était parti.
Vraiment, c’était trop bizarre. Seule dans l’appartement d’Ethan, avec mes affaires et un
méli-mélo plein la tête, j’en venais à me demander si j’avais la moindre chance d’éprouver
encore des sensations normales…
Mais chaque chose en son temps. D’abord, le réfrigérateur. J’y pris une bouteille d’eau
fraîche que je vidai à moitié. C’était un frigo bien rempli avec tout ce qu’il fallait en produits
frais, il n’y aurait aucun problème pour préparer le dîner. Quant à sa machine à café, elle était
top. Vraiment top. Je la fis marcher. J’explorai le congélo. La femme de ménage avait l’air
parfaitement organisée puisqu’elle se donnait même la peine d’étiqueter la date sur chaque
préparation qu’elle avait cuisinée et enfermée dans des Tupperware. Je laissai tomber. De
toute façon, je n’étais pas affamée, vu le plantureux déjeuner chinois que nous avions dévoré
dans son bureau.
Je gagnai la chambre. Les souvenirs de ce qui s’y était passé l’autre soir revinrent en
force. Je fermai les yeux, je respirai son parfum. Même absent, Ethan était partout. Je
pénétrai dans la salle de bains. La douche en marbre travertin était déjà splendide mais la
baignoire, non moins magnifique, rendait réel le rêve de toute nana qui ne peut pas prendre
de bain chez elle. Je savais maintenant ce que j’allais faire en premier.
Une heure après, l’eau chaude et les bulles m’avaient fait une peau toute douce et rose.
Je mis mon tee-shirt Jimi Hendrix. J’enfilai un boxer en soie piqué à Ethan, c’était
complètement craquant sur moi ! J’avais rangé tous mes achats de la pharmacie dans un tiroir
de la salle de bains. J’avais pris soin de m’épiler les jambes puis j’avais enduit mon corps d’une
crème de primevère.
Je retournai à la machine à café et m’emplis un mug avant de parcourir les autres pièces
de l’appartement. La salle de gym était équipée d’un tapis de course dernier cri installé face à
l’immense baie vitrée. La vue était à couper le souffle. J’aime les villes la nuit, mais le
panorama ne devait pas être moins spectaculaire de jour.
Je trouvai la pièce où il travaillait. Un bureau en chêne massif faisait face à un mur
couvert d’écrans et de divers équipements high-tech. Mais c’est l’autre mur surtout qui retint
mon attention, celui qui se trouvait derrière le bureau : un aquarium d’eau salée, frémissante,
où étincelaient des couleurs et des bulles. Des poissons arc-en-ciel filaient entre les coraux. Le
poisson-lion, lui, ne filait pas. Il s’approcha de la vitre et m’accueillit en déployant un éventail
de nageoires multicolores.
— Salut, beau gosse, dis-je en sirotant mon café. Il t’a baptisé comment ? J’aimerais bien
le savoir.
Après avoir mangé un yaourt à la cerise au comptoir de la cuisine, je me servis un
deuxième café. Une bibliothèque occupait tout un mur du séjour. Je parcourus ses livres.
C’était pour le moins éclectique. Du classique, du roman noir, des ouvrages d’intérêt général
et beaucoup de fictions historiques. Il y avait des ouvrages sur l’histoire militaire et sur la
photographie. Quantité de livres sur les statistiques et les jeux de hasard et de stratégie. Il y
avait enfin des romans à succès et même quelques recueils de poésie, ce qui me fit sourire.
J’aimais qu’Ethan apprécie les livres.
Ayant tiré du rayon un recueil de lettres de Keats à Fanny Brawne, j’allai le lire sur le
sofa. J’avais tout ce qu’il me fallait : un café, les lettres fébriles d’un poète à sa belle et
Londres qui déployait ses clartés dans la nuit.
Au bout d’une heure, je reposai mon livre et contemplai la ville. C’était ici même
qu’Ethan m’avait déshabillée : devant cette fenêtre. Puis il avait reculé d’un pas en disant que
le spectacle n’était rien, comparé à ce que je lui offrais en me trouvant là chez lui. Ethan…
Je décidai de lui envoyer un SMS. Tu fais chier avec ton Neil. T dingue ou quoi ???
Il réagit aussitôt. Dingue de toi. On en parlera. Tu me manques trop.
L’euphémisme du siècle ! T piqué un caleçon, mec. Je ne te dis pas l’effet.
La réponse me fit marrer. Je bande rien qu’en t’imaginant dans 1 de mes boxers. Tu le
laisseras sur l’oreiller & je ne le laverai jamais plus.
Moi : Toujours en rogne. Mais tu as une superbe machine à café.
Lui : J’ai surtout une superbe petite amie. Mangé un truc ?
Moi : Oui. T’as un poisson-lion domestique :-)
Lui : Simba. Le dorlote & lui me tolère. Vous 2 avez des points communs.
Là encore, je souris. Ethan avait manifestement un faible pour les animaux.
Moi : Te sucerai plus la queue puisque c’est ça : P
Lui : Envie de te fesser, de t’embrasser et de te baiser. Tu me tues, mon cœur !
Moi : Sommeil. Vais prendre cachet et aller dans ton lit. Arrête de m’exciter.
Lui : Jamais ! Va dormir, ma belle. Je te rejoins.
J’allai dans la cuisine laver la tasse. Je nettoyai aussi la machine et préparai du café pour
le lendemain. Comme ça, je n’aurais plus qu’à appuyer sur le bouton. Puis j’étrennai ma
nouvelle brosse à dents et je pris mon cachet. Les draps super doux d’Ethan étaient imprégnés
de son parfum ; ils me réconfortèrent et m’apaisèrent dans ma solitude. Je m’emplis de son
odeur et m’assoupis.
Des bras solides autour de moi, le parfum adoré, des baisers… J’ouvris les yeux dans la
nuit. Il n’y avait que des ombres mais je savais que c’était lui. Je me réveillai tout en douceur,
paisiblement. Que c’était bon, c’était une expérience toute nouvelle.
— Tu es là, murmurai-je contre ses lèvres.
— Tu es là aussi, dit-il dans un souffle. Putain, j’adore te trouver dans mon lit.
Ses mains n’avaient pas perdu de temps pendant que je dormais. J’étais nue en bas : il
m’avait ôté le boxer en soie. Lui aussi était nu. Je sentais la puissance de ses muscles. Sa chair
dure essayait de pénétrer ma chair. Il avait retroussé mon tee-shirt et me dévorait les seins de
ses lèvres râpeuses. Les poils de sa barbe excitaient ma peau si sensible, il aspirait le bout de
mes seins par petites succions. Je n’étais plus qu’une créature gémissante qui se convulsait
sous lui.
J’enfouis mes mains dans ses cheveux suivant le mouvement de sa tête tandis que ses
mains emprisonnaient mes seins et que sa langue rendait hommage à mes tétons. Il s’arrêta le
temps de me débarrasser de mon tee-shirt. Il baissa vers moi son regard affamé et magnifique.
Il y avait assez de lumière provenant de la grande salle de bains pour me permettre de le voir,
et cette vision me rendait heureuse. J’aime avoir la possibilité de voir Ethan quand il
s’approche de moi. C’est l’assurance qu’avec lui, je suis en sécurité.
— Ton lit garde ton odeur, dis-je.
— C’est toi et toi seule que je veux sentir. Et tout de suite. Il me faut ton goût dans ma
bouche.
M’ayant complètement écarté les jambes, il descendit.
— Mon Dieu, Ethan !
Sa langue s’activait dans ma fente. Elle tourbillonnait en douceur dans la chair brûlante
et offerte. J’étais passée en moins d’une seconde du sommeil à la passion. Il avait beau me
tenir fermement, cuisses ouvertes, j’étais incapable de rester tranquille. L’orgasme monta si
vite, et avec une telle violence, que je m’entendis crier au milieu des spasmes, alors que je
chevauchais sa langue comme une nana en chaleur, les muscles tour à tour contractés jusqu’à
la douleur et palpitant sous la brûlure du plaisir.
Ethan grogna contre les lèvres de ma chatte puis s’écarta. Il devait contempler ce dont sa
queue avait envie. Il ne demanda pas la permission. Il me prit.
Ayant fait passer mes jambes par-dessus ses épaules, il me transperça durement,
profondément. Toutes sortes de sons sortaient de sa bouche alors qu’il m’emplissait de sa
queue. Il m’avait clouée sous lui alors que j’étais encore ivre de plaisir et je n’avais pas d’autre
choix que de le laisser me fourrer. Il était impétueux et exigeant, il ne cessait de me répéter
que c’était bon de me baiser, qu’il avait tellement eu envie de m’avoir moi, ici dans son lit, et
Dieu, que j’étais belle. Tous ces mots étaient destinés à me rapprocher encore davantage de
lui. À me rendre encore plus dépendante. Attachée à son univers par des liens encore plus
forts. Je le savais bien.
Ethan me fit jouir une fois de plus. Au début, c’était presque une punition, une exigence,
et le plaisir venait après. Mais ce plaisir fut un délice quand il surgit à l’instant même où
Ethan explosa en moi, m’embarquant dans son orgasme. Je sentis mes larmes couler jusque
sur les draps comme j’acceptais cette jouissance qu’il m’offrait. Mon nom s’étranglait dans sa
gorge, ses yeux s’étaient rivés aux miens comme les fois précédentes. Et je savais qu’il voyait
mes larmes.
Il retira mes jambes de ses épaules et se cala contre moi. Il me caressait le visage. Il me
fouillait du regard. Il continuait de creuser lentement sa route au fond de mon corps, en usant
avec talent de sa queue comme d’une source de plaisir.
— Tu es à moi, murmura-t-il.
— Je sais, répondis-je à voix basse.
Il m’embrassa respectueusement, sans briser l’union de nos corps. Il explorait mes lèvres
avec tendresse. Il les effleurait, les excitait du bout des dents. Il finit par me donner un long
baiser, avant de se retirer.
Baiser avec Ethan n’était rien d’autre pour moi qu’un acte de pure beauté. Je sais qu’on
peut y voir de la pornographie, mais à mes yeux, c’était simplement une magnifique union. Le
rapport intime avec cet homme qui me désirait si intensément était une drogue, une
addiction. C’était plus puissant que tout ce que j’avais jamais expérimenté. Il me semblait que
je pourrais pardonner à Ethan tout le mal qu’il pourrait me faire. Et ce fut là ma plus grande
erreur.
11

Il m’apporta mon café. Adossée à la tête de lit, j’avais relevé le drap sur mon corps. Il
haussa un sourcil, s’assit à son tour et me tendit ma tasse avec précaution.
— Je pense que ça devrait aller, mais goûte et dis-moi.
Je bus une gorgée et fis la grimace. Il se défendit :
— J’ai mis du lait et trois petites cuillères de sucre. Le café, c’est toi-même qui l’as
préparé. Je n’ai fait que presser le bouton.
Je le laissai mijoter encore une minute avant de lui adresser un sourire, et de boire une
autre gorgée de mon délicieux café.
— Qu’est-ce qu’il y a ? J’avais peur que tu ne saches pas faire un bon café, c’est tout. J’ai
mes critères.
Je lui fis un clin d’œil.
— Il faudra vous y faire, monsieur Blackstone.
— C’est vilain, de se moquer de moi comme ça.
Il se pencha pour m’embrasser en faisant attention de ne pas renverser le café brûlant.
— Bonne idée, dit-il, de préparer la machine la veille. Je me demande pourquoi je n’y
avais jamais pensé.
Tout près de mon visage, il me fixait intensément. Même ébouriffé par le sommeil et des
heures de sexe, il avait toujours l’air d’un dieu.
— Moi, je crois que tu devrais venir chez moi tous les soirs pour le préparer juste avant
de te coucher dans mon lit.
Il posa les lèvres sur mon cou et me mordilla la peau.
— Comme ça, le matin, je t’apporte ton café après une bonne nuit de baise, alors que tu
es toute nue, adorable, tout enveloppée de mon odeur.
À ces mots et au vu des images qui en émanaient, je me sentis frissonner mais il fallait
que l’on parle. Or c’était un problème entre Ethan et moi. On n’échangeait pas suffisamment
sur comment gérer ce qui nous arrivait. Dès qu’il m’approchait, le moindre vêtement tombait,
mon corps était sous la coupe du sien et après, bien après, il n’y avait plus de place pour la
discussion.
— Ethan, dis-je avec douceur en lui caressant la joue pour tenter de le retenir. Il faut
qu’on parle de ce qui se passe. Cette histoire de garde du corps avec Neil, c’est quoi ?
Pourquoi avoir fait ça sans me prévenir ?
— J’avais l’intention de te le dire hier soir une fois arrivé ici, mais les choses ont tourné
autrement.
Il s’écarta de moi en baissant les yeux.
— Chérie ! Cette ville est pleine d’étrangers en ce moment. Tu es une très belle femme,
et je ne crois pas que ce soit prudent de prendre le métro et de marcher seule dans la rue. Tu
te rappelles ce connard au night-club ?
— Je prenais le métro et je marchais dans les rues avant de te rencontrer, Ethan. Et tout
se passait bien.
— Je sais. Mais tu n’étais pas ma petite amie.
J’eus droit au regard spécial Ethan – ce regard sous lequel je me crispais comme sous la
menace d’un coup de vent arctique.
— Je dirige une entreprise de sécurité, Brynne. C’est mon job. Je connais les dangers de
Londres. Comment veux-tu que je te laisse t’y balader comme ça ?
Il posa la main sur mon visage et commença son petit jeu avec le pouce.
— Tu ne veux pas accepter ça pour moi ?
Il pressa son front contre le mien.
— Je ne supporterais pas qu’il t’arrive quelque chose.
Je fourrai les doigts dans ses cheveux.
— Oh ! Ethan. Tu attends tellement de moi ! Par moments, j’ai l’impression d’être
écrasée. Il y a tant de choses que tu ignores.
Il allait parler mais je lui fermai les lèvres avec mon doigt.
— Des choses que je ne suis pas encore prête à te dire. Tu l’as proposé toi-même : allons-
y pas à pas.
Il embrassa mes doigts pressés sur sa bouche et les retira.
— Je sais, chérie. Et je ne veux rien faire qui risquerait de nous mettre en péril.
Il me donna un baiser dans le cou et me mordilla le lobe de l’oreille.
— Si on envisageait un compromis ? murmura-t-il.
Je tirai sur ses cheveux pour qu’il me regarde bien en face au lieu de m’embobiner.
— D’abord, il faudrait que tu me parles. Vraiment. Il n’y a pas que le sexe. Je sais que tu
es hyperdoué pour m’emmener où tu veux, Ethan, mais si tu commençais par me dire tes
intentions ? Ainsi, je pourrais te dire si je peux accepter ou pas.
— Tu accepterais un chauffeur ?
Il passa les doigts sur mes seins que le drap en glissant avait dévoilés.
— Plus de métro. Plus de taxi le soir. Tu auras une voiture pour te déplacer à ta guise…
Il se tut un instant, m’épinglant avec ce regard dont l’intensité me disait combien était
grand son besoin de me protéger.
— Et moi, j’aurai l’esprit tranquille.
Je bus une gorgée de café et me décidai à poser la question la plus importante :
— Et pourquoi as-tu tellement besoin d’avoir l’esprit tranquille ?
— Parce que tu es quelqu’un de très spécial, Brynne.
— En quel sens, Ethan ? dis-je à voix basse car j’avais un peu peur de l’entendre.
J’avais peur des sentiments qu’il m’inspirait déjà. Il avait pris possession de moi en si peu
de temps.
— Tu es aussi spéciale qu’on peut l’être, mon cœur.
Il affichait ce sourire asymétrique qui semblait signer sa personnalité. Mon ventre se
noua. Il n’avait pas dit qu’il m’aimait. Mais moi non plus, je ne lui avais pas dit que je l’aimais.
Je savais pourtant que je comptais pour lui.
De nouveau il baissa les yeux. Il prit ma main et la retourna, révélant ma cicatrice au
poignet, cette marque dont j’ai honte et que je m’efforce de cacher, mais qui se voit forcément
à la lumière du jour quand je suis nue. Ethan effleura du doigt la trace de cette entaille.
C’était doux comme une caresse. Il ne posa pas de questions et je ne proposai pas d’en parler.
Les souvenirs douloureux et la honte me paralysaient, m’empêchant de dire quoi que ce soit.
J’avais des sentiments pour cet homme, mais il m’était encore impossible de partager ça
avec lui. Ce que j’avais fait était moche, indigne. Trop moche et trop indigne pour lui être
révélé. Pour le moment, je voulais juste être désirée, rien de plus. Or, Ethan me désirait. Ça
me suffisait pour accepter. Autant progresser pas à pas, comme un petit enfant. J’allais
accepter ses conditions, y compris le chauffeur. De son côté, il accepterait que je ne puisse pas
lui parler de mon passé. Oui : un pas après l’autre.
— D’accord.
Je me penchai pour lui donner un baiser dans le cou, au-dessus de l’encolure de son tee-
shirt. Ses poils me piquèrent la bouche. Son odeur virile comptait déjà parmi mes besoins
essentiels, comme l’air, l’eau ou la nourriture.
— J’accepte le chauffeur et tu me dis ce que tu vas faire. J’ai besoin d’une totale franchise
entre nous. J’apprécie que tu sois aussi direct avec moi. Dis-moi ce que tu veux et tu l’auras…
— Merci.
Il recommençait à m’embrasser. J’avais reposé mon café et les draps avaient
complètement glissé. Ethan se débarrassa de son tee-shirt, puis de son pantalon de jogging et
s’étira de tout son long. Enfin un bon aperçu de son corps ! Complètement nu. À la lumière du
jour.
Mon Dieu !
C’était hypnotique – de son torse sculpté où perçaient deux tétons bien durs jusqu’à sa
belle queue si impressionnante… Il était sans défauts, si bien découpé, juste superbe et
totalement masculin.
Il ne bougeait plus. Il pencha la tête.
— Quoi ?
Je le poussai, l’obligeant à rester assis sur ses talons.
— Laisse-moi te regarder.
Je laissai courir mes mains sur sa peau, sur son torse, sur ses abdominaux si bien formés
qu’ils étaient un véritable péché en plus d’une injustice infligée au reste de la gent masculine.
Je touchai ses cuisses musclées, semées de poils noirs. Il me laissait prendre l’initiative.
— Tu es beau, Ethan.
Un son s’échappa de sa gorge, son corps frissonna. Nos yeux se croisèrent et quelque
chose passa entre nous comme une transmission de nos sentiments et de nos sensations. Nous
savions tous deux où cela allait nous conduire.
Je baissai les yeux vers son membre qui bandait, parcouru de pulsations. Une goutte
jaillit, il était prêt. Moi aussi, j’avais même tellement envie que c’en était douloureux. Je
désirais lui donner du plaisir, le faire jouir comme j’avais joui, l’exploser en des milliers de
fragments. Je m’inclinai vers son magnifique pénis que j’aspirai dans ma bouche. En quelques
instants, j’obtins ce que je voulais.
Nouvelle jouissance sous la douche, pour moi en tout cas, quand il me poussa dans un
angle et tomba à genoux pour me retourner la politesse. La baise ne cessait jamais avec cet
homme. J’étais montée à bord d’un train de jouissances continues avec lui. Je n’avais pas
autant baisé depuis…
Oublie. Ne gâche pas l’instant présent.
Ethan avait sur les épaules un tatouage qui s’étendait jusqu’aux omoplates : des ailes en
extension horizontale, un mélange gothique et gréco-romain tracé dans une épaisse encre
noire. J’adorais la légende qui figurait en dessous : Rien d’autre qu’un songe. Je l’avais
remarquée dans la douche quand il s’était tourné pour attraper le savon.
— C’est du Shakespeare, non ?
C’est en caressant ce tatouage que je découvris les cicatrices. D’innombrables aspérités et
des lignes blanches. Je retins brusquement mon souffle. Qu’il puisse avoir si terriblement
souffert me mettait au désespoir. J’avais envie de le questionner mais je tins ma langue. Je ne
souhaitais pas qu’on en arrive à mes propres blessures…
Il pivota sur lui-même et, sans me laisser le temps de dire un mot, m’embrassa sur les
lèvres. Ethan ne voulait pas parler de ses cicatrices, pas plus que moi je n’avais voulu évoquer
la mienne.

*
Après avoir dormi plus d’une semaine chez Ethan, j’eus besoin de rentrer chez moi pour
autre chose que prendre des vêtements propres en coup de vent. J’avais envie de rester un peu
au calme dans mon chez-moi. Histoire de recharger mes batteries. Ethan accepta de venir y
passer la nuit. Dormir dans un taudis, lui dis-je, ça pouvait faire du bien à l’âme. Il attrapa la
plaisanterie au vol : tant qu’il y avait de quoi bouffer et un plumard, de toute façon on
dormirait à poil. Mais si Gaby se pointait, il devrait se mettre quelque chose, ce n’était
certainement pas moi qui laisserais à ma coloc la moindre chance de se délecter du spectacle !
Ethan était mon petit ami. Et il avait un corps de rêve… Il rigolait. Il adorait ma voix quand
j’étais jalouse. Je conclus en l’invitant à venir à l’heure du dîner. Affamé, si possible et habillé.
Il riait encore en raccrochant.
De retour la maison, je mis un pantalon de yoga et un tee-shirt léger.
Neil était venu me chercher à la Rothvale Gallery et m’avait raccompagnée chez moi en
faisant un crochet par le supermarché où j’avais acheté de quoi mitonner un repas mexicain.
Ethan savait que c’était ma cuisine préférée et j’étais bien décidée à en faire un adepte. Le
menu ? Tortillas au poulet, salade de maïs et avocat. S’il n’aimait pas, je pourrais toujours lui
préparer un burrito. Aucun mec ne résiste à un bon burrito à la viande, avec plein de haricots,
de fromage et de guacamole. On pouvait du moins l’espérer. Les Anglais étaient tellement
bizarres en matière de bouffe.
Dès que le repas fut lancé dans la cuisine, je me lavai les mains et j’appelai mon père.
Chez lui, c’était le matin et il serait certainement au boulot. Et s’il n’était pas trop débordé, on
pourrait discuter cinq minutes. Je composai le numéro et mis le haut-parleur.
— Tom Bennett.
— Salut, papa.
— Ma princesse ! Ta douce voix me manquait. Quelle bonne surprise que de t’entendre !
Je souris à ce petit nom qu’il me donnait. Ma princesse : aussi loin qu’il m’en souvienne, il
m’appelait comme ça. Manifestement, cela ne le dérangeait pas de continuer alors que j’avais
presque vingt-cinq ans.
— Je me suis dit que c’est moi qui allais t’appeler, pour une fois. Tu me manques.
— Tout va bien, à Londres ? Ces Jeux olympiques, c’est excitant ? Et l’expo de Benny ?
Tu as aimé la façon dont tes portraits en jetaient sur une toile immense ?
Je riais.
— Ça fait beaucoup de questions, tout ça, papa ! Tu me laisses le temps de respirer, s’il
te plaît ?
— Désolé, princesse. Ça me fait tellement plaisir de t’entendre. Tu es si loin, si occupée.
Les tirages que tu m’as envoyés sont superbes. Alors, cette expo ?
— Un succès. Ben a bien travaillé et les photos se vendent. J’ai eu d’autres propositions
mais je ne me précipite pas. J’y vais pas à pas. On verra bien où ça me mène.
J’étais heureuse de pouvoir discuter franchement avec mon père et qu’il me soutienne car
poser nue n’a rien d’évident. Mais il estimait que j’avais fait le bon choix, contrairement à ma
mère qui, elle, était si gênée que sa fille pose déshabillée.
— Tu vas devenir célèbre dans le monde entier, reprit-il. Je suis fier de toi, princesse. Je
pense que ça va t’aider, de poser comme modèle. J’espère que tu le penses aussi.
Je le trouvais lointain, voire un peu triste.
— Qu’est-ce que tu fais, là ?
— Je prépare le dîner. Des tortillas. J’ai un ami qui va arriver. Papa, tout va bien ?
Il eut une hésitation avant de répondre. Je le sentais préoccupé.
— Brynne, tu as entendu parler de cet avion qui s’est écrasé, non ? Woodson, un membre
du Congrès, est mort dans l’accident.
— Oui. Il n’était pas pressenti pour la vice-présidence ? Ici aussi, ça a fait la une.
Pourquoi tu me parles de lui, papa ?
— Tu sais qui devrait le remplacer comme candidat à la vice-présidence ?
Il prononça un nom auquel je ne m’attendais pas du tout. Immédiatement, le passé
remonta, ses mâchoires se refermaient encore sur moi…
— Oh ! non… Ne me dis pas que c’est lui ! Pas le sénateur Oakley ! C’est une plaisanterie
ou quoi ? Tu n’es pas en train de me dire que ce… que cet homme pourrait devenir le
prochain vice-président des États-Unis ? Comment peuvent-ils seulement penser à lui ? Papa…
— Je sais, mon cœur. Il a tracé sa route, ces dernières années. D’abord, sénateur d’État.
Et maintenant, le Congrès…
— Ouais. Eh bien, j’espère qu’ils finiront tous dans les flammes !
— Brynne, ma chérie, c’est sérieux. L’opposition va fouiller le passé d’Oakley pour
essayer de lui trouver des casseroles. Sa famille, tout. Je veux que tu fasses bien attention. Si
jamais on cherche à t’aborder, si tu reçois un message suspect… Tu me préviens
immédiatement. Ces gens ont les moyens de creuser très profond. Ce sont des requins. Dès
qu’ils flairent une petite goutte de sang, ils se préparent à attaquer.
— Le sénateur Oakley, c’est lui le mec dont le fils est démoniaque. Je dirais qu’il a un très
gros problème…
— Je sais, ma chérie. Et l’équipe d’Oakley va se démener pour que les secrets de famille
restent bien enterrés. Ce n’est pas une situation facile, et je regrette vraiment que tu sois aussi
loin. Mais vu le contexte, c’est finalement une bonne chose que tu vives à Londres. Je ne veux
pas qu’on te fasse du mal. Plus tu es loin, mieux c’est. Les sales histoires risquent moins de
ressortir sous forme d’article ou autre…
Sous forme de vidéo, par exemple. C’est à ça qu’il pensait. Cette vidéo qui tournait toujours
quelque part dans le cyberespace…
— Tu t’en sors tellement bien, princesse. Je l’entends dans ta voix. Et ça réjouit ton vieux
père. Alors qui c’est, cet ami qui vient dîner ? Un homme peut-être ?
Je souris en tournant la salade de maïs.
— J’ai rencontré quelqu’un, papa. Quelqu’un de vraiment particulier à bien des égards. Il
a acheté mon portrait à l’expo de Ben. C’est comme ça qu’on s’est connus.
— Vraiment ?
— Ouais.
C’était bizarre de parler d’Ethan comme ça avec mon père. Peut-être parce que je ne lui
avais jamais trop parlé de mes petits copains. Cela n’avait pas vraiment d’importance alors. Et
il y avait bien longtemps que je n’avais plus personne dans ma vie.
— Dis-m’en un peu plus. Il est dans quoi ? Il a quel âge ? Oh ! Tiens, donne-moi son
numéro, tant qu’on y est. Que je l’appelle et lui dise les règles à respecter avec ma princesse.
J’eus un rire nerveux.
— Ma foi… C’est un peu tard, papa. Ethan est vraiment particulier, comme je t’ai dit. On
ne se quitte plus. Il sait écouter et je me sens pleinement… heureuse avec lui. Il me
comprend.
Papa se taisait. Je crois qu’il était choqué de m’entendre dire qu’un homme comptait à ce
point pour moi. D’ailleurs ça n’aurait pas dû m’étonner. Ethan était le premier d’une longue
série de premiers…
— Et quel est son nom de famille, à cet Ethan ? Il fait quoi, tu m’as dit ?
— Blackstone : c’est son nom. Trente-deux ans. Il a une entreprise de sécurité. Il est
tellement parano qu’il m’a imposé un chauffeur pour que j’arrête de prendre le métro et
d’aller toute seule à pied. Il est sur les dents en ce moment à cause des Jeux qui attirent tant
de monde. Alors, tu vois, tu n’as pas du tout à t’en faire pour ma sécurité, Ethan est un pro !
— Eh bien ! Ça m’a l’air sérieux. Et vous… vous couchez ensemble ? Vous avez une
relation ?
Je ris à nouveau. Cette fois, j’étais désolée pour papa. Ça le mettait mal à l’aise, c’était
évident.
— Oui, papa. On a une relation. Je t’ai dit, c’est quelqu’un de particulier.
Il y eut un silence à l’autre bout de la ligne. J’attendis tout en commençant à réchauffer
mes tortillas.
— En fait, il a gagné de grands tournois de poker aux États-Unis. C’était il y a six ans, à
peu près. Je me disais que tu avais peut-être entendu parler de lui.
— Mmm… C’est possible. Je vais vérifier.
J’entendis une voix étouffée derrière lui.
— Je te laisse, papa. Tu es au travail. Je voulais juste te faire un petit coucou et te dire
ce qui se passe dans ma vie. Je vais bien. Tout va bien.
— Okay, princesse. Content que tu aies appelé. Si ma fille chérie est heureuse, je suis
heureux aussi. Fais attention et dis à ton nouveau copain que s’il te fait du mal, il est mort.
N’oublie pas. Donne-lui mon numéro, aussi. Dis-lui que ton papa veut une conversation
d’homme à homme avec lui, un de ces quatre. On causera poker.
Je riais.
— Très bien. On fait comme ça, papa. Je t’aime !
Ethan apparut à l’instant où je raccrochais. Il arrivait avec un pack de bières Dos Equis et
son sourire de prédateur. J’avais laissé mes clés à Neil qui les avait remises à Ethan pour qu’il
puisse entrer directement dans l’immeuble. Il les posa sur le comptoir ainsi que la bière.
— Qu’est-ce que j’entends ? Tu dis à quelqu’un que tu l’aimes à la seconde où je
débarque ?
Je répondis d’un large sourire en hochant doucement la tête.
— C’était un homme, en plus.
Il vint derrière moi, posa les mains sur mes épaules et commença à les masser. Je
m’abandonnai contre son corps puissant et me laissai faire.
— Ce mec a de la chance. Qu’est-ce qu’il t’a fait de si spécial ?
Il jeta un coup d’œil à ce que j’avais préparé et piqua un morceau de poulet.
— Mmmm…
Il se délectait, la bouche tout près de mon cou.
— Il m’a lu des histoires au moment de m’endormir. Il m’a peigné les cheveux quand ils
étaient mouillés, sans les tirer ni me faire mal. Il m’a appris à monter à vélo. À nager aussi. Il
faisait toujours un bisou sur mes bobos quand je m’écorchais les genoux. Mais le plus
important : il me filait de l’argent de poche. Ça, c’était plus tard.
Ethan émit un grognement.
— Moi aussi, je peux faire tout ça. Et bien plus.
Il chipa un autre morceau de poulet.
— Surtout le bien plus.
Je lui donnai une tape sur la main.
— Voleur !
— Tu cuisines bien, me glissa-t-il à l’oreille. Je crois que je vais te garder.
— Alors, tu aimes mon dîner mexicain. Tu es dans la note avec tes Dos Equis. Bien joué,
Blackstone, vous avez du potentiel.
Je pris les saladiers et les mis sur la table.
— Dos Equis, c’est mexicain ? dit-il en haussant les épaules. J’ai pris ça parce que j’aime
bien leur pub… L’Homme le plus intéressant du monde !
Il me fit une grimace diabolique et m’aida à dresser la table.
— Non seulement voleur, mais menteur en plus, dis-je avec une mine attristée. Vous
venez de ruiner votre potentiel, Blackstone.
— Je suis sûr que vous changerez bientôt d’avis, Bennett.
Il sourit encore par-dessus son épaule, il se lavait les mains rapidement à l’évier pour
nous ouvrir deux bières.
— Du potentiel, j’en ai à revendre, dit-il en sourcillant.
Il me donna ma Dos Equis, considéra les saladiers sur la table et se pencha, l’air absorbé.
— Mais éclaire-moi. Comment ça se mange, ces tacos de poulet ? Ça sent super bon
d’ailleurs.
Je ne pus m’empêcher d’éclater de rire. Cette façon qu’il avait de prononcer le mot tacos
avec l’accent anglais ! C’était trop craquant. Sa façon de dire les choses était toujours
irrésistible.
— J’ai dit un truc drôle ? Alors maintenant, vous me trouvez comique, mademoiselle
Bennett ?
— Regarde, on fait comme ça.
Je lui fis une démonstration. Du poulet, de la salade de maïs, une bonne dose de crème,
une pincée de fromage râpé et deux ou trois fines tranches d’avocat. Le tout roulé dans la
tortilla.
— Je vous trouve adorable, monsieur Blackstone, voilà tout. Cet accent – parfois, ça me
fait rire.
Je lui tendis une assiette avec son tacos.
— Ah ! Alors en un rien de temps, de celui qui perd son potentiel, je deviens le type
adorable ! Et juste en parlant, en plus.
Il prit son assiette et attendit que je me serve à mon tour.
— Il faudra que je m’en souvienne, chérie.
J’eus droit à un de ces sourires à en tomber raide dingue. Puis il avala une gorgée de
bière.
— Vas-y, goûte. J’attends ton verdict. Et sache que si tu mens, je le saurai.
Je pointai l’index sur ma tête.
— J’ai de super-pouvoirs de déduction.
Je mordis dans ma tortilla en lâchant des soupirs de satisfaction terriblement exagérés, et
me renversai en arrière, extatique.
— Quel délice, j’en brûle de partout, ronronnai-je.
Ethan me regarda comme si des cornes de diable venaient de me pousser sur le crâne. Il
déglutit avec peine. Je savais qu’il me ferait payer plus tard de l’avoir allumé ainsi mais je
m’en moquais. Ethan était amusant. On s’amusait bien tous les deux et c’est aussi pour ça que
je l’aimais… Que je l’aimais ? Étais-je amoureuse, vraiment ?
Il mordit dans son tacos. Tout en mâchant, il m’observait. Il prit une serviette, s’essuya
les lèvres. Il eut une expression contemplative en faisant semblant de compter sur ses doigts.
Il avala une nouvelle gorgée de bière.
— Voyons, dit-il. Chef Bennett, je t’accorde un cinq en exécution. Mais comme tu t’es
moquée de moi, tu as une pénalité de cinq points. Pour la présentation, je donnerai un six –
tous ces bruits et toute cette agitation à la table du dîner, c’était un peu déplacé, non ?
Niveau goût : neuf et demi.
Il but une autre gorgée et sourit.
— C’est honnête, tu ne trouves pas ?
Il était si beau, attablé en face de moi, à manger des tacos préparés par mes soins et me
disant tendrement qu’il aimait ma cuisine. C’était Ethan, tout simplement. En un instant, je
sus la réponse à ma question. Étais-je amoureuse ? Oui. Je l’aimais. J’aimais Ethan.
12

Débarquer par surprise à son bureau me semblait une bonne idée, mais je ne me sentais
pas de le faire sans un petit coup de main. C’est pourquoi je demandai à Elaina d’être mon
alliée. Je l’aimais vraiment bien. Elle avait l’air honnête et franche, qualités que j’apprécie
chez les gens. En plus, elle était fiancée à Neil. Je m’en étais aperçue quand j’avais commencé
à aller dormir chez Ethan. Un matin que nous attendions l’ascenseur pour partir au travail,
Neil et Elaina étaient passés main dans la main. Ils sortaient d’un appartement situé dans
l’autre aile de l’immeuble. Ethan, voyant ma surprise, m’avait dit que le mariage était prévu à
l’automne.
Elaina savait que son promis me baladait dans tout Londres mais, à mon grand
soulagement, elle n’en était pas jalouse. Elle devait être heureuse, en fait, qu’Ethan ait une
petite amie. J’avais remarqué que ses employés se souciaient beaucoup de lui, et cela me
rendait heureuse.
— Salut, Elaina. C’est Brynne.
— Hello, Brynne. Pourquoi ne l’avez-vous pas appelé directement sur son portable ?
Elaina était une fille intelligente toujours préoccupée par l’aspect logistique des choses.
— J’aimerais lui faire une visite-surprise pour le déjeuner. Vous ne voudriez pas jeter un
œil sur ses rendez-vous aujourd’hui ?
Je l’entendis tourner les pages. Elle me mit en attente, puis revint :
— Aujourd’hui, il reste au bureau. Des conférences téléphoniques et autres. Mais aucun
rendez-vous à l’extérieur n’est inscrit dans son agenda.
— Merci, Elaina. J’aurais bien demandé à Frances, mais il l’a sur haut-parleur et il aurait
tout entendu. Du coup, adieu la surprise. Je vais faire un saut chez King’s Delicatessen, puis-je
apporter des sandwiches pour tout le monde ? Ou mieux, si vous pouviez vous débrouiller
pour qu’il croie que ça vient de Frances, il ne se douterait de rien…
Elaina riait et me remit en attente le temps de demander aux autres ce qu’ils voulaient
manger.
— Frances me prie de vous dire qu’elle aime votre style, Brynne. C’est bon pour le boss,
que quelqu’un veille sur lui.
— C’est bien mon avis, dis-je en prenant note des desiderata. Merci pour votre aide, je
devrais être là dans l’heure.
Je passai ma commande, puis appelai Neil pour qu’il m’emmène au bureau. Le temps
qu’il arrive, je mis de l’ordre dans l’atelier et rangeai le matériel. J’avais fini ma journée. Je ne
remettrais pas les pieds à la Rothvale Gallery avant une semaine. Les examens approchaient et
il fallait que je bosse. Mon idée était de m’enterrer chez Ethan et de me plonger dans mes
livres pendant qu’il était au travail. De profiter de sa salle de gym aussi, et de sa merveilleuse
machine à café. En gros, j’allais disparaître des radars et prendre le temps nécessaire pour me
préparer aux épreuves.
Je jetai un dernier coup d’œil à Lady Percival, non sans fierté. La restauration lui avait
rendu toute sa beauté, et le meilleur, c’était que maintenant je savais le titre du livre qu’elle
tenait entre ses mains. Ethan m’avait aidée à le déchiffrer un matin qu’il m’avait accompagnée
et que je l’avais invité à venir voir mon travail.
Le livre de ma mystérieuse dame était si particulier, si rare, que la société Mallerton
voulait absolument que le tableau figure dans l’exposition, même s’il était loin d’être
entièrement restauré. Ils souhaitaient le présenter comme une œuvre exemplaire d’une bonne
restauration qui permettait de révéler des détails parfois équivoques. L’ouvrage que le modèle
avait entre les mains avait contribué à renouveler l’intérêt que suscitait cet artiste. Bien
longtemps après sa mort, sir Tristan Mallerton bénéficiait soudain d’une renaissance. On
s’intéressait davantage à lui…
Un SMS arriva : Neil. Il était là. Je rassemblai mes affaires et sortis en faisant au revoir à
Rory.
Neil m’aida avec la commande de sandwiches. Je lui lançai un regard de reproche quand
il utilisa la carte de la société pour régler.
— Il pense que c’est Frances qui a tout commandé, dit-il plus tard, une fois dans la
voiture. Donc, on fait comme d’habitude. Si c’est vous qui payez, ça va l’énerver quand il s’en
rendra compte.
— Il est toujours comme ça ? Il faut toujours qu’il ait l’œil sur tout ?
La voiture roulait vers le bureau. Désormais, nous nous sentions à l’aise, Neil et moi.
Chacun à sa place et respect mutuel : c’est la clé d’une bonne relation.
— Non, dit-il en secouant la tête. Il s’est fixé une règle de conduite rigoureuse après
l’armée. Il faut dire que la guerre, quand on la voit de près, ça vous change un homme. Ethan
l’a vue d’aussi près qu’il était possible. Et il en est revenu. C’est un prodige qu’il soit encore en
vie. Ethan est un miraculé, Brynne.
— J’ai vu ses cicatrices.
— Il vous a parlé de l’Afghanistan ?
Neil me regarda dans le rétroviseur.
— Non, répondis-je honnêtement, sachant que Neil, du coup, n’en dirait pas plus.
Je n’en apprendrais pas davantage sur le passé d’Ethan que lui n’en avait appris sur le
mien.
Elaina nous aida à distribuer les déjeuners, puis Frances me précéda jusqu’au sanctuaire
et referma la porte après m’avoir jeté un regard suffisant. Mon magnifique amant était au
téléphone, débordé, mais cela ne l’empêcha pas de me faire signe. Je posai les sandwiches sur
le bureau et le rejoignis. Tout en poursuivant sa discussion, il m’enlaça d’un bras et m’attira
sur ses genoux.
— Très bien, je sais. Mais tu vas quand même expliquer à ces demeurés que Blackstone
représente la famille royale et que quand Sa Majesté se pointe à la cérémonie d’ouverture
pour saluer la foule, toutes les sorties sans exception doivent être surveillées. Point barre. Ce
n’est pas négociable.
Pendant que l’échange se poursuivait, je déballai son déjeuner. Il se mit à me masser la
nuque – c’était si bon, cette caresse, même si le dernier des imbéciles aurait pu se rendre
compte qu’il était terriblement préoccupé.
Je déposai son sandwich sur une assiette et déballai le mien. Je mordis dans le poulet
salade au pain complet. Il me massait toujours. Quel piège pour une femme ! Ethan était si
tendre, j’adorais qu’il ait tout le temps envie de me toucher. Mon mec si cajoleur. Quand il
mit fin à sa communication, j’avais pratiquement mangé la moitié du sandwich.
Il m’attrapa des deux mains et me tourna vers lui. J’étais toujours sur ses genoux. Il me
donna un vrai baiser et grogna.
— Ouf, murmura-t-il. Des fois, tu as vraiment l’impression de parler à un mur.
Il eut un sourire et jeta un coup d’œil à l’assiette.
— Alors tu m’as apporté un déjeuner ! Et ta délicieuse personne…
Je lui rendis son sourire.
— Exactement.
— Je commence par quoi ? Le sandwich, ou toi d’abord ?
Il souleva un sourcil. Ses mains se baladaient déjà sur mon cardigan.
— À mon avis, tu ferais mieux d’attaquer ton sandwich avant d’avoir un autre appel…
Son téléphone sonna.
Il se renfrogna et, résigné, prit la communication qui ne fut pas trop longue, cela dit. Il se
débrouilla pour attaquer son pain de seigle au rosbif avant l’appel suivant. Quand l’appareil
sonna, il mit le haut-parleur pour pouvoir discuter tout en mangeant. Ce n’était pas ce qu’il y
avait de plus élégant mais cela marchait.
J’étais bien en sa compagnie. Je l’écoutais s’occuper de ses affaires alors qu’il ne cessait
pas de me caresser les reins. Ethan me confirmait que j’avais bien eu raison de venir même si
ce n’était pas un déjeuner dans les formes mais un casse-croûte sur le pouce. Notre emploi du
temps à tout deux était dingue. C’est vrai qu’il avait un boulot de folie avec ces Jeux qui
arrivaient. Il aurait eu mieux fait de m’envoyer un carton disant : « Je viens d’acheter votre
portrait et j’aimerais beaucoup faire votre connaissance. Vous auriez un moment vers la mi-
août ? » Le téléphone était toujours sur haut-parleur. On arrivait de temps en temps à
échanger quelques baisers entre deux bouchées et les appels qui s’enchaînaient. Ça n’avait
plus rien à voir avec un repas…
— Je ferais mieux d’y aller, Ethan.
Je l’embrassai et me levai pour partir.
— Non, dit-il en me forçant à rester sur ses genoux. Je ne veux pas, ne t’en va pas encore.
J’aime t’avoir auprès de moi. Tu m’apaises, chérie.
Il appuya la tête contre la mienne.
— Tu es mon rayon de lumière dans ce brouillard d’ignorance et de frustration.
— Vraiment ? Tu aimes que je débarque comme ça et que je t’oblige à manger ? Comme
si ta journée n’était déjà pas assez chargée !
Je jouai avec son épingle et lissai sa cravate.
— Déjà que tu es débordé ! Il faut en plus que je te dérange.
— Pas du tout, dit-il en laissant courir ses lèvres sur mon cou. Comme ça, je sais que tu
penses à moi, ajouta-t-il doucement.
— C’est vrai, Ethan, murmurai-je.
— Alors tu restes encore un peu ?
Comment pouvais-je lui dire non quand il était si adorable !
— D’accord. Mais pas plus d’une heure alors, après quoi je devrai vraiment partir. Il faut
que je passe chez moi chercher des affaires. Je veux faire une séance de révisions pour mes
exams. Tu n’es pas le seul à avoir du boulot…
Je lui pinçai le menton pour lui arracher un sourire.
— J’ai envie de faire des choses là, sur ce bureau…
Il me souleva, puis me fit asseoir sur sa grande table directoriale. Je poussai un cri
comme il m’écartait les cuisses et me pressait de ses hanches.
— Ethan ! Pas ici dans ton bureau ! On ne peut pas…
Il tâtonna brièvement sous la table et un claquement retentit : il avait verrouillé la porte.
— J’ai envie de toi à mort. Je te veux tout de suite. J’ai besoin de toi, Brynne. Alors, tu
veux bien ?
Il était sur moi, ses mains s’emparaient de moi, il me repoussa sur le bureau et
s’introduisit brutalement entre mes jambes. Il me fit glisser jusqu’à l’autre bord. Mon corps
s’amollissait et brûlait déjà à son contact. Ses longs doigts trouvèrent le chemin de ma culotte
qu’il se dépêcha de faire descendre le long de mes jambes, puis par-dessus mes bottes. Il la
jeta au loin. J’étais en jupe et il savait en profiter : pas de surprise sur ce point.
— Tu es dingue, murmurai-je.
Nous étions sur le point de baiser sur son bureau, dans les locaux de sa société, et je n’en
étais même plus gênée.
— Dingue de toi, dit-il en me titillant le clitoris, ce qui me fit immédiatement mouiller.
Je l’entendis déboucler sa ceinture, dézipper sa braguette. L’instant d’après, sa délicieuse
chaleur pénétrait en moi, lentement et profondément.
Il s’étendit sur mon corps et prit mon visage à deux mains. Il me donna un violent baiser
comme il aimait le faire, enfonçant la langue tout au fond de ma bouche. Ethan aimait
dominer quand nous faisions l’amour. Il voulait m’avoir tout entière en m’empalant de ses
doigts, de sa langue et de sa queue en même temps. On aurait dit qu’il exigeait intégralement
son dû. Pourquoi en était-il ainsi ? Je l’ignore, c’était sa façon de faire et j’adorais ça. Ethan y
allait franchement et sans détour. Je savais maintenant comment cela se passait avec lui, et
cela se finissait toujours par un orgasme qui me laissait vaincue et tremblante.
Dès qu’Ethan commença à aller et venir, je basculai mon bassin de concert. On était fous
de plaisir, immergés dans notre bonheur, complètement et voluptueusement moulés l’un à
l’autre, on s’envoyait en l’air comme des malades sur son bureau quand le téléphone se remit
à sonner. Ethan avait laissé le haut-parleur. Je haletai :
— Ne réponds pas.
J’étais au bord de jouir. Il grogna :
— Sûrement pas.
Il accéléra ses coups de boutoir. Sa queue dure se raidit encore, prête à éjaculer.
Quand il fit glisser ses doigts magiques sur mon clitoris, je perdis pied, extatique, je me
mordis la lèvre pour ne pas hurler. Ethan était sur le point de jouir, il m’embrassa la bouche
pour nous réduire au silence tous les deux et fit éclater son orgasme en moi.
Comme personne n’avait décroché, le message du répondeur se fit entendre : « Ethan
Blackstone n’est pas disponible pour le moment. Merci de laisser un message et le numéro
auquel il pourra vous rappeler. »
Le bip retentit. Nous nous regardions en haletant, nos visages tout près l’un de l’autre. Je
lui souris. Il me caressa tendrement les cheveux et m’embrassa amoureusement. Je me sentais
unique et c’était grâce à lui.
— Vous êtes un putain d’enfoiré, Blackstone. Je vous ai engagé pour protéger ma fille,
pas pour la baiser ! Elle a vécu un enfer ! Vous croyez qu’elle a besoin de se faire laminer en
endurant une nouvelle trahison ? À l’entendre, j’ai comme l’impression qu’elle est tombée
amoureuse de vous…
Ethan batailla avec le téléphone pour le faire taire, mais trop tard. J’avais tout entendu.
La vérité sur notre relation venait d’éclater au grand jour. Je le repoussai violemment de
toutes mes forces.
— Brynne, non ! S’il te plaît ! Laisse-moi t’expliquer…
Il était blanc comme un linge, pétrifié, terrifié, il me tenait toujours et nos corps étaient
encore unis.
— Dégage de moi ! Dégage avec ta queue et laisse-moi partir… Sale enfoiré de menteur !
Il me serrait contre lui, son regard dans le mien.
— Chérie, écoute-moi. J’allais tout te dire… Cela fait un bon moment que je voulais le
faire mais j’avais peur de ta réaction, peur que les mauvais souvenirs resurgissent. Je ne veux
pas te faire de mal…
— Dégage ! Dégage de moi ! Tout de suite !
— S’il te plaît, ne pars pas… Brynne, je… je n’avais aucune intention de te faire du mal,
j’essayais juste de te protéger de tes souvenirs. Tu es en danger ici à Londres. Là-dessus, je fais
ta connaissance… et dès cet instant, je n’ai pas pu m’empêcher de te désirer. Je ne pouvais pas
supporter d’être loin de toi…
Il essaya de m’embrasser, je me détournai aussitôt et fermai les yeux. Toute la confiance
que cet homme m’avait inspirée avait disparu. À la place, une douleur atroce m’étreignait le
cœur. Il savait ! Il savait ce qui m’était arrivé. Si ça se trouve, il avait même vu la vidéo. Et en
plus, il y avait des gens qui me voulaient du mal ? Pour quelle raison ? Mon père l’avait
engagé ! Pendant tout ce temps, il savait et moi pas ! Comment avait-il pu me faire ça ?
L’Ethan dont j’étais tombée amoureuse ne pouvait pas m’avoir trahie ainsi !
— Waterloo, dis-je.
Je rouvris les yeux et les plongeai dans les siens. Il répétait :
— Non… Non… Non… S’il te plaît, Brynne…
Il secouait la tête d’avant en arrière, le regard en détresse.
— WA-TER-LOO ! Putain de merde ! Si tu ne me lâches pas, Ethan, je hurle à transpercer
les murs.
Je parlais doucement, distinctement. Mon cœur cognait et saignait du sang noir. Le sang
de Blackstone. Il se retira. Il m’aida à m’asseoir. Je sautai de son bureau. Je tendis la main vers
mon sac. Il remonta sa braguette et fit une nouvelle tentative :
— Brynne, chérie… Je… je t’aime. Je t’aime tellement… Je ne pourrais pas te faire du
mal. Pardon ! Pardon ! Je te demande pardon du fond du cœur.
Je me précipitai vers la porte mais elle était verrouillée.
— Ouvre, ordonnai-je.
— As-tu entendu ce que je viens de te dire ?
Je le regardai et hochai la tête.
— Ouvre cette porte. Je veux sortir.
Je m’exprimais avec un calme absolu, surprise de n’être pas effondrée, réduite à l’état
d’épave. Tout ce que je voulais, c’était m’en aller d’ici et rentrer chez moi. Mon seul but,
c’était de courir me réfugier en lieu sûr.
Il se frotta la tête, baissa les yeux. Puis il se dirigea vers son bureau et tendit la main vers
le bouton ou autre mécanisme qui me tenait enfermée ici. Le clic retentit, je me barrai
aussitôt.
— Merci pour le déjeuner ! me lança Frances. C’était exquis.
Je pus seulement lui faire un signe de la main. Parler m’était impossible. Je filai. J’avais
pris mon sac à main mais pas mon slip, tant pis, il était hors de question d’y retourner. Fuir !
M’en aller d’ici, rentrer chez moi… Fuir… Fuir… Fuir…
Mon Dieu. J’étais en train de rompre avec Ethan. C’était fini. Il m’avait menti, je ne
pourrais plus jamais lui faire confiance. Il m’avait dit qu’il m’aimait. Est-ce cela aimer ?
Mentir ?
Je ne dis pas un mot non plus à Elaina quand je passai devant elle pour gagner
l’ascenseur. Je pressai le bouton appel. Je me rendis compte alors qu’il était là, derrière moi.
Il s’était lancé à mes trousses dans le couloir. Il ne voulait pas me lâcher.
— Brynne… Chérie ! S’il te plaît, ne pars pas comme ça. Mon Dieu ! J’ai… j’ai merdé. Je
t’aime. Je t’en prie…
Il me toucha l’épaule, ce qui me fit tressaillir.
— Non, tu ne m’aimes pas.
C’est tout ce que je pus répondre.
— Si ! cria-t-il d’une voix qui enflait de colère. Quitte-moi, si tu veux mais je continuerai
de te protéger ! Je veillerai sur ta sécurité, je m’assurerai que personne ne te fait du mal !
— Et le mal que toi, tu m’as fait ? lui criai-je en retour. Tu es viré, Ethan. N’essaie plus
jamais de m’approcher !
La sonnette de l’ascenseur retentit. Les portes s’ouvrirent. J’entrai et je pivotai pour
regarder Ethan en face.
Il secoua la tête et ouvrit la bouche, comme pour m’implorer. Il était blessé. Pas autant
que moi, certes, mais il avait vraiment l’air hagard, désespéré.
— Brynne… Ne fais pas ça…, me supplia-t-il comme les portes se refermaient sur moi.
Un énorme coup retentit suivi d’un cri de fureur assorti d’injures. Mais l’ascenseur
descendait et m’emportait vers la rue où un taxi me ramènerait chez moi. Chez moi où je
m’effondrerais dès la porte refermée. Où je me jetterais sur mon lit pour m’y recroqueviller et
tâcher d’oublier Ethan. Ethan Blackstone. Oublier Ethan… Oublier Ethan ? Oublier Ethan
était voué à l’échec. Je le savais. Je savais je n’y arriverais jamais. Jamais.
Prologue
Londres

Juin 2012

Je quittai Ethan aux ascenseurs alors qu’il me suppliait de ne pas partir. Cela faisait bien longtemps que
je n’avais pas fait une chose aussi difficile. Mais c’était fait, je l’avais quitté. J’avais ouvert mon cœur à
cet homme, et je me retrouvais broyée. J’avais parfaitement entendu quand Ethan m’avait dit qu’il
m’aimait et qu’il essayait seulement de me protéger de mon passé. Le message m’était parvenu cinq sur
cinq. Mais ça ne changeait rien au fait que je devais me séparer de lui.
Il n’y a plus qu’une seule pensée qui tourne dans ma tête, à la fois obsédante et terrifiante.
Ethan sait.
Mais il ne faut pas toujours se fier aux apparences. Les impressions ont une face cachée. Nos idées
naissent de nos émotions, jamais des faits eux-mêmes. Ce fut le cas entre Ethan et moi. Je devais m’en
rendre compte plus tard, bien sûr. Quand j’eus la possibilité de prendre le recul nécessaire sur les
événements qui avaient fait de moi celle que j’étais devenue, je pus voir les choses sous une perspective
un peu différente.
Avec Ethan, tout n’était que vitesse et passion – un feu dévorant. Dès le départ, j’avais été prévenue. Il
me voulait : c’est ce qu’il disait. Et aussi, oui, qu’il m’aimait. Dire ce qu’il attendait de moi ne lui posait
aucun problème. Exprimer ses émotions non plus. Et je ne parle pas seulement de l’amour physique. Le
sexe tenait une grande place dans notre relation, c’est vrai, mais il n’y avait pas que ça. Ethan est un
homme qui aime partager ses sentiments. C’est sa façon d’être – ce n’est pas forcément la mienne.
J’avais parfois l’impression qu’il voulait m’engloutir. Dès le premier instant, j’avais été submergée par
cet amant qui s’était révélé si exigeant. Mais ce qui est sûr, c’est que je désirais tout ce qu’il pouvait me
donner.
Cela, je l’ai discerné après l’avoir quitté.
Il m’avait offert une paix et une sécurité que jamais je n’avais ressenties en tant qu’adulte, et certainement
pas dans ma vie sexuelle. Ethan est comme ça, et maintenant, je crois que je le comprends. S’il était
exigeant, s’il voulait tout contrôler, ce n’était pas pour me dominer, non, il me traitait ainsi parce qu’il
avait compris que j’en avais besoin. Il avait essayé de m’apporter ce que je cherchais. Pourquoi ? Pour
que ça marche entre nous.
Après la rupture, ma vie devint atroce. La solitude était insupportable. Le feu de la passion nous avait
chauffés à blanc et ce feu était toujours là – cet incendie qui se propageait si facilement entre nous. Je sais
qu’il faut du temps pour cicatriser, mais que c’était douloureux !
Je revenais sans cesse à cette pensée, toujours la même, celle qui s’était imposée à moi lorsque j’avais
découvert son jeu.
Ethan sait ce qui m’est arrivé, il n’y a aucune chance qu’il puisse m’aimer encore.
13

Mon poing palpitait au rythme de mon cœur. Il n’y avait plus rien à faire que respirer, me calmer devant
les portes de l’ascenseur qui s’étaient refermées sur Brynne.

Réfléchis une minute !

Me lancer à ses trousses n’était pas envisageable. Je quittai le palier et allai dans l’espace détente.
Elaina était en train de faire du café. Elle garda les yeux baissés et feignit de ne pas m’avoir entendu
entrer. Bonne réaction. Les autres avaient intérêt à faire comme elle, s’ils ne voulaient pas avoir à se
chercher un autre boulot.

Je jetai de la glace dans un sac en plastique et y fourrai ma main. Merde ! ça faisait mal. J’avais les
phalanges en sang. Il devait y en avoir aussi sur le mur près de l’ascenseur. Je regagnai mon bureau en
gardant la main dans la glace. Je demandai à Frances d’appeler la maintenance afin qu’ils montent
nettoyer.

Frances hocha la tête mais ne broncha pas. Puis elle coula un regard vers le sac de glace au bout de mon
bras.

— Vous aurez besoin d’une radio ? demanda-t-elle.

On aurait dit une mère. En tout cas, ce que j’imaginais être une mère. La mienne ne m’avait laissé qu’un
pâle souvenir. Alors je devais projeter…

— Non.

La seule chose dont j’ai besoin, c’est ma petite amie. Rien à foutre de votre radio !

Je m’enfermai dans mon bureau. Je tirai du frigo une bouteille de vodka Van Gogh et la débouchai. Je pris
dans le tiroir mon paquet de Djarum Blacks et mon briquet. J’allais devoir penser à renouveler mon stock
de cigarettes.

Un verre de vodka : voilà ce qu’il me fallait. Pas besoin de verre, d’ailleurs. J’avalai une lampée en
serrant la bouteille dans ma main blessée, et tant mieux si ça faisait mal.

Rien à foutre de ma main, c’est mon cœur qui est brisé.

Je regardai le portrait de Brynne. Celui que j’avais pris moi-même avec mon smartphone, dans son
atelier, le jour où elle m’avait montré le tableau de Lady Percival tenant un livre. Le résultat m’avait
surpris : c’était une bonne photo. Si bonne que je l’avais téléchargée, et que j’en avais commandé un
tirage pour mon bureau. Une photo prise avec un téléphone ! Peu importe l’objectif d’ailleurs, Brynne
était toujours belle. Et l’objectif de mes yeux était encore ce qu’il y avait de mieux. Parfois, le simple fait
de la regarder m’était presque douloureux.

Je me rappelais cette visite à son atelier. Je me remémorais Brynne, si heureuse, ce matin-là, et tout
sourire devant le précieux tableau…

J’avais trouvé une place sur le parking de la Rothvale Gallery, et avais coupé le moteur. Dehors, le temps
était froid et bruineux mais dans ma voiture, il faisait bon. Brynne était assise à côté de moi, habillée pour
aller bosser, si belle, si sensuelle, et elle me souriait. Qu’elle était excitante ! Ce que nous venions de
vivre m’avait fait l’effet d’une putain de bombe. Et je ne pensais pas seulement à la baise. Me rappeler la
séquence dans la douche, et tout ce que nous y avions fait, allait m’aider à passer la journée – enfin, tout
juste. Cela dit, je savais que nous nous retrouverions ce soir, qu’elle était à moi, et que je la porterais
dans mon lit pour lui faire l’amour tout mon saoul. Et puis aussi, nous avions parlé. Elle m’en avait dit un
peu plus. Que je comptais pour elle comme elle comptait pour moi. Et que l’heure était venue de
commencer à envisager l’avenir ensemble. Je voulais vivre tant de choses avec elle.

— Est-ce que je t’ai déjà dit à quel point j’aime ça, Ethan, quand tu me souris ?

— Non, répondis-je en cessant de sourire. Dis-moi.

Déjouant mon stratagème, elle se détourna pour regarder la pluie.

— Ça me fait quelque chose quand tu souris, parce que je n’ai pas l’impression que cela t’arrive souvent
en temps normal. Je dirais que tu es quelqu’un de réservé. Alors quand tu me souris, à moi, c’est comme
si… Ça me bouleverse complètement.

— Regarde-moi.

J’attendais, sachant qu’elle allait m’obéir. Ça aussi, c’était un point à discuter, même s’il était évident
que, depuis le début, Brynne se soumettait naturellement à mes désirs. Elle acceptait ce que je voulais lui
donner – le mâle dominateur en moi avait trouvé sa muse, et ce n’était qu’une raison de plus à notre
entente si parfaite.

Ça te bouleverse, hein ?

Elle leva vers moi ses yeux bruns/verts/gris. Elle attendait. Et moi, je bandais dans mon pantalon.
J’aurais pu la prendre là, tout de suite, dans la voiture, et avoir encore envie d’elle aussitôt après. J’étais
totalement accro.

— Merde, tu es si belle quand tu fais ça.

— Quand je fais quoi, Ethan ?

Je ramenai derrière son oreille une mèche de ses cheveux doux comme la soie, et lui souris.
— Rien, tu me rends heureux, c’est tout. J’adore t’accompagner à ton boulot, après t’avoir eue rien que
pour moi toute la nuit.

Elle rougit. J’avais envie de la baiser et de la rebaiser.

En fait, non… Ce que je voulais, c’était lui faire l’amour – lentement. Je me représentais son corps
merveilleux exposant pour moi sa nudité et m’offrant tous les plaisirs possibles. Toute à moi. Rien qu’à
moi. Brynne avait ce pouvoir de me plonger dans des jouissances sans fin…

— Ça te dit, d’entrer ? De voir mon travail ? Tu as cinq minutes ?

Portant sa main à mes lèvres, je respirai sa peau.

— Je me demandais si, un jour, tu me le proposerais. Je vous suis, professeur Bennett.

Elle éclata de rire.

— Un jour, qui sait ? J’enfilerai la toge noire ! J’aurai des lunettes et je me ferai un chignon. Je donnerai
des cours sur les méthodes de conservation. Toi, tu seras assis au fond de la classe, tu t’amuseras à me
faire perdre les pédales avec tes commentaires déplacés et tes œillades.

— Ah ! Et vous me convoquerez dans votre bureau pour ma punition, n’est-ce pas ? Vous me mettrez aux
fers, professeur Bennett ? Je suis sûr que nous pourrions négocier une entente… un châtiment pour me
faire passer l’envie de vous manquer de respect…

Je posai la tête sur ses genoux.

— Tu es fou.

Elle pouffait en me repoussant.

— Viens. Allons-y.

Il pleuvait et il fallut courir en nous abritant sous mon parapluie. Brynne serrait contre moi son corps
mince d’où émanaient des parfums de fleurs et de soleil. Moi, j’étais l’homme le plus heureux de la terre.

Elle me présenta au vieux vigile, amoureux d’elle bien entendu. Puis elle me conduisit dans un vaste
atelier. De bonnes lampes éclairaient de longues tables et des chevalets. Il y avait toute la place
nécessaire pour travailler. Elle m’emmena devant une grande peinture à l’huile représentant une femme
altière aux cheveux noirs et aux yeux d’un bleu stupéfiant, qui tenait un livre à la main.

— Ethan, voici Lady Percival. Lady Percival, je vous présente mon petit ami, Ethan Blackstone.

Elle souriait au personnage. On aurait dit les meilleures amies du monde. Je m’inclinai.

— Madame.

— Elle n’est pas incroyable ?


Je considérai le tableau d’un œil pratique.

— Eh bien… C’est un personnage saisissant, sans aucun doute. Je me demande quelle histoire peut bien
se cacher derrière ce regard si bleu.

Je m’approchai davantage pour essayer de voir la couverture du livre. Les mots étaient difficiles à
déchiffrer de prime abord, mais quand je compris que c’était du français, ce fut un peu plus simple.

— C’est sur le segment comprenant le livre que j’ai surtout travaillé, disait Brynne. Le tableau a été brûlé
il y a des dizaines d’années. Ça n’a pas été simple d’ôter le vernis abîmé par le feu. C’est un livre
spécial, ça je le sais.

J’essayais toujours de déchiffrer le titre. Je distinguais le mot Chrétien.

— C’est en français, dis-je à Brynne, le doigt pointé sur la couverture du bouquin.

Ses yeux s’agrandirent.

— Vraiment ? répondit-elle, tout excitée.

— Oui, et je suis même sûr qu’il s’agit du Conte du Graal. Il s’agissait de la quête du Graal ?

Je regardai Brynne et haussai les épaules.

— Elle s’appelle bien Lady Percival, non ? Percival, ou Perceval… Ce n’est pas le nom du chevalier qui
a trouvé le Saint Graal dans la légende du roi Arthur ?

— Mon Dieu, Ethan ! s’exclama-t-elle enthousiaste en m’agrippant le bras. Bien sûr ! Perceval ! C’est
son histoire, l’histoire de cette femme… Tu as trouvé ! Elle tient un livre très rare, vraiment. Je savais
bien que c’était quelque chose de spécial. Une des premières histoires du roi Arthur jamais écrite ! Ce
qui nous ramène au douzième siècle. Ce livre est le roman de Chrétien de Troyes : Perceval ou le Conte
du Graal.

Elle contemplait le tableau, irradiée d’une joie immense. Je sortis mon smartphone et la photographiai.
Un magnifique profil de Brynne souriant à sa Lady Percival.

— Ravi d’avoir pu t’être utile, chérie.

Elle se jeta sur moi et m’embrassa sur les lèvres en me serrant fort dans ses bras. C’était une des
sensations les plus extraordinaires au monde.

— Et comment ! Tu m’as grandement aidée ! Je vais appeler tout de suite l’association Mallerton pour
leur dire ce que tu as trouvé. Ça va les intéresser, j’en suis sûre. Il y a une expo anniversaire le mois
prochain… Ce tableau pourrait peut-être en faire partie…

Surexcitée, Brynne sautait du coq à l’âne en me racontant tout ce que je devais savoir sur les livres rares
et les tableaux où figuraient des livres rares, ou encore sur la conservation de ces tableaux et ainsi de
suite. Son visage était embrasé tant l’émotion était forte d’avoir percé cette énigme à jour ! Mais c’étaient
surtout ses baisers et son sourire qui comptaient pour moi : à mes yeux, ils valaient de l’or.
*

Je rouvris les yeux. J’essayai de retrouver mes marques. J’avais l’impression d’avoir été passé à tabac.
Une bouteille de Van Gogh à moitié vide se dressait devant moi. J’étais littéralement affalé, la joue collée
à mon bureau jonché de mégots, une odeur de tabac froid et de clou de girofle m’emplissait les narines. Je
m’accoudai et me pris le crâne à deux mains.

Je l’avais possédée sur ce même bureau, il y avait à peine quelques heures. Ici même, je l’avais sautée !
On avait baisé à fond et sans remords. C’était tellement bon que mes yeux me brûlaient rien que d’y
repenser. Mon téléphone flashait. Je le retournai pour ne pas être dérangé. De toute façon, ça ne pouvait
pas être elle.

Brynne n’appellerait pas. Aucune illusion à se faire. La question, c’était de savoir combien de temps
j’allais pouvoir tenir, moi, avant d’essayer de la joindre.

Il faisait nuit maintenant. Dehors, tout était noir. Où était-elle ? Était-elle affreusement meurtrie ? Dans
tous ses états ? En train de pleurer ? Avait-elle autour d’elle des amis pour la réconforter ? Me haïssait-
elle ? Ouais, un peu de tout ça, certainement. Et je ne pouvais rien faire pour arranger les choses. Elle ne
veut pas de toi.

Alors, c’est ça, être amoureux. Le moment n’était-il pas venu de regarder la vérité en face et de réfléchir
à ce que je lui avais infligé ? C’est ce que je fis, je restai au bureau pour affronter la situation. Je ne
pouvais pas envisager de rentrer chez moi. Elle y était trop présente. Rien que de revoir ses affaires me
rendrait complètement dingue. Plutôt rester ici. Dormir dans des draps qui ne seraient pas imprégnés de
son parfum. Dans lesquels elle ne serait pas. Une vague de panique me cisailla, m’obligeant à bouger.

Je quittai mon fauteuil. Un tissu rose, chiffonné, gisait sur le sol à mes pieds. Évidemment. La culotte en
dentelle que je lui avais arrachée pendant que nous nous déchaînions sur ce bureau.

Putain de merde ! Il avait fallu que son père laisse un message à ce moment précis ! Alors que j’étais
enfoui en elle. Toucher quelque chose qui avait été en contact avec sa peau m’était un supplice. Du bout
des doigts, je ramassai la dentelle et la fourrai dans ma poche. Une douche, j’avais besoin d’une douche.

Derrière la porte dérobée, j’avais une suite avec un lit, une douche, une télé et une kitchenette – un
aménagement haut de gamme. La vraie piaule de célibataire destinée au bourreau de travail qui bosse trop
tard pour avoir seulement l’idée de rentrer chez lui.

Ou le plumard pour tirer un coup. C’est là que j’emmenais les femmes quand je voulais baiser. Toujours
après le boulot, bien sûr. Et pas question qu’elles y passent la nuit. Mes conquêtes, j’avais l’habitude de
les renvoyer bien avant l’aube. Mais tout ça, c’était avant de rencontrer Brynne. Elle, je n’avais pas voulu
l’amener ici. Avec elle, cela avait été une tout autre histoire dès le premier instant. Ma sublime
Américaine.

Elle ne connaissait même pas l’existence de cette suite. Si je l’y avais emmenée, elle aurait compris tout
de suite et m’en aurait voulu à mort. Je me frottai la poitrine pour tenter de calmer la douleur. Je fis
couler la douche puis je me déshabillai.
Sous le jet d’eau chaude, je me laissai aller contre les faïences et la situation m’apparut alors clairement.
Tu n’es pas avec elle ! Tu as tout fait foirer et elle ne veut plus de toi.

Pour la seconde fois, Brynne m’avait quitté. D’abord, elle était partie à la sauvette au beau milieu de la
nuit parce qu’un cauchemar l’avait terrorisée. Et là, elle avait rompu en moins de deux, sans un regard en
arrière. C’était visible sur son visage : ce n’était pas la peur qui l’avait poussée à partir. C’était le
désespoir d’avoir été trahie quand elle avait compris que je lui avais caché la vérité. J’avais brisé sa
confiance. J’avais joué gros et tout perdu.

Je voulais tellement la retenir, et l’obliger à rester que, de rage, j’avais donné des coups de poing dans ce
mur pour m’empêcher de la rattraper. Je m’étais sûrement pété quelque chose. Elle m’a interdit d’essayer
de la contacter.

J’arrêtai la douche. J’écoutai le bruit désolant de l’eau fuyant par la bonde. Ce vide me fit encore plus
mal à la poitrine. Je me fourrai la tête dans une serviette. Je m’essuyai et me regardai dans le miroir. Nu,
trempé, affreusement triste. Seul. C’est en considérant ma sale gueule de connard qu’une autre vérité me
sauta aux yeux.

Jamais, c’est très long. Lui laisser un ou deux jours à la limite, ça je pourrais, mais ne jamais la revoir,
c’était hors de question.

Elle restait sous le coup d’une menace qui pouvait se révéler très dangereuse : cette réalité-là n’avait pas
changé. Il n’était pas pensable qu’il arrive quoi que ce soit à la femme que j’aimais. En aucun cas.
Jamais.

Je souris à mon image dans le miroir. Même dans l’état piteux où je me trouvais, je m’amusais de mon
ingéniosité. Je n’étais pas fâché d’avoir trouvé une bonne acception du mot jamais.
14

Au deuxième jour de mon exil loin de Brynne, j’en avais plus que ma claque. Je brassais de l’air, je
m’activais, mais sans arriver à rien. Cette situation allait se prolonger combien de temps ? Devais-je
l’appeler ? Quand je commençais à y réfléchir, l’effroi s’insinuait en moi, alors je laissais tomber. Je
décidai de foutre la paix à Brynne. L’espace vide à l’intérieur de moi avait beau exiger de l’action, je
savais qu’il était encore trop tôt. Il fallait lui laisser du temps. J’avais déjà commis l’erreur de me
précipiter. De lui mettre la pression, de me montrer trop exigeant. De me comporter comme un gros
connard égoïste.

Je me garai près de la maison où j’avais grandi : pelouse bien entretenue, portillon en bon état, massifs
soigneusement taillés. Comme toujours. Papa ne partirait jamais d’ici. Sous ce toit, il avait vécu avec ma
mère, sous ce toit il finirait ses jours. Vieille tête de mule : il donnait un sens nouveau à l’expression.

Je pris le pack de bière fraîche sur le siège passager, et allai pousser le portillon. Un chat noir surgit
devant moi et s’arrêta. Ce n’était pas un chaton, ni d’ailleurs un chat adulte. Un chat ado, on va dire. Il
s’assit pile devant l’entrée puis se tourna pour me regarder. Ses yeux verts étincelants clignèrent comme
s’il me demandait de me grouiller, de me bouger le cul parce que lui, il voulait rentrer. Bon sang ! Papa
avait un chat, maintenant ?

Je sonnai, j’ouvris la porte et glissai ma tête à l’intérieur.

— Papa ?

Plus rapide que la lumière, le chat s’élança dans la maison.

— Depuis quand tu as un chat ? lançai-je en prenant la direction de la cuisine.

Je rangeai la bière dans le frigo et allai me vautrer sur le canapé. La télécommande pointée sur la box, je
pressai le bouton. Le championnat d’Europe. Putain. Génial. J’allais pouvoir me concentrer sur le foot
pendant deux ou trois heures. Descendre quatre des six bières que j’avais apportées et oublier ma petite
amie un moment. Et aussi, pleurer dans le giron de papa.

Je renversai la tête en arrière en fermant les yeux. Une boule de fourrure me sauta sur les genoux. Le chat
était de retour.

— Ah… Tu es là. Je vois que tu as fait connaissance avec Soot.

Papa.

— Pourquoi tu as pris un chat ?

J’avais hâte d’avoir une réponse. Enfants, on n’avait pas eu droit à un chat. Papa renifla et s’installa dans
son fauteuil.
— Je n’ai rien pris du tout. C’est plutôt lui qui m’a adopté.

— Ben voyons.

Je caressai le corps mince de Soot.

— Quand j’ai ouvert la porte, il est entré comme s’il était chez lui.

— Ma voisine m’a demandé de le nourrir en son absence. Elle est partie s’occuper de sa vieille maman
très malade. Du coup, j’ai hérité du chat. J’ai dans l’idée qu’on se comprend.

— Toi et ta voisine ou toi et le chat ?

Papa darda sur moi un regard vif, en plissant les yeux. Jonathan Blackstone était perspicace. C’était dans
sa nature. Depuis toujours. Impossible de lui cacher quoi que ce soit. Si je rentrais ivre, il le savait.
Quand je me mis à fumer, il le sut aussi. Pareil encore quand, jeune homme, j’avais des embrouilles. À
mon avis, il avait développé cette faculté en tant que parent unique. Ma sœur Hannah et moi n’avons
jamais manqué de rien, même après que maman n’était plus là. Papa avait redoublé d’attention, voilà tout.
Il était devenu capable de flairer nos problèmes comme un vrai limier. Et c’est exactement ce qu’il était
en train de faire à l’instant.

— Qu’est-ce qui se passe donc, mon garçon ?

Brynne ! Voilà ce qui se passe.

— Ça se voit tant que ça ?

Le chat se mit à ronronner sur mes genoux.

— Je connais mon fils et je sais quand ça ne tourne pas rond.

Il quitta la pièce et revint presque aussitôt avec deux bières décapsulées. Il m’en tendit une.

— De la bière mexicaine ? dit-il en soulevant un sourcil.

Avions-nous la même expression, tous les deux ? Combien de fois Brynne m’avait-elle fait remarquer que
j’avais une façon spéciale de lever le sourcil !

— Ouais. C’est bon avec une fine rondelle de citron vert glissée dans le col.

J’avalai une gorgée et caressai mon nouveau copain couleur ébène.

— C’est une femme. Brynne. Je suis tombé amoureux d’elle. Et elle m’a quitté.

Simple et concis. Que dire d’autre ? Je parlais à mon père. J’avais dit l’essentiel. Le fond de ma pensée.
Elle était partie et ça faisait mal.

— Ah ! Bon, je commence à comprendre.


Il se tut une minute, comme pour se pénétrer de la nouvelle. Il était surpris, aucun doute.

— Mon petit gars, je suis sûr de t’avoir déjà prévenu. Ça n’a rien de bien nouveau. Question belle gueule,
tu as hérité de ta mère – paix à son âme. Moi, ce que je t’ai apporté, c’est mon nom. Et ma carrure,
disons. Vu que tu es béni des dieux question beauté, c’est facile de tomber des femmes.

— Je n’ai jamais couru après les femmes, papa.

— Je n’ai pas dit ça. Je dis que tu n’as pas eu besoin de le faire. C’est elles qui te couraient après.

Il secoua la tête, aux prises avec un souvenir.

— Dieu sait que les femmes en avaient après toi ! J’ai toujours pensé que tu te ferais faire un bébé dans le
dos et que je me retrouverais grand-père avant l’heure.

À en croire son expression, il ne s’était déjà fait que trop de souci à ce sujet.

— Mais ce n’est pas arrivé, dit-il.

Il se tut et son œil brilla d’un éclat triste. À peine sorti de l’école, j’étais parti m’engager dans l’armée et
j’avais quitté la maison. Pour n’y plus revenir, pratiquement…

Il me donna une petite tape sur le genou et but une gorgée de bière.

— Je la veux comme je n’ai jamais voulu personne.

Je me tus. Je considérai ma bière avec le plus grand sérieux. Quelqu’un marqua un but. Je m’efforçai de
regarder le match tout en caressant le chat.

Papa se montra patient. Mais il finit par poser la question qui le turlupinait :

— Qu’est-ce que tu as fait pour qu’elle te quitte ?

Rien que la question me faisait souffrir.

— J’ai menti. Mensonge par omission. Je ne lui avais pas dit la vérité, et elle l’a apprise.

Ayant retiré avec précaution le chat de mes genoux, j’allai me chercher une autre bière. J’en rapportai
deux en fait.

— Pourquoi lui as-tu menti, mon fils ?

Les yeux dans les yeux noirs de papa, je dis quelque chose que je n’avais encore jamais dit :

— Parce que je l’aime. Je l’aime et je craignais de lui faire peur en réveillant ses mauvais souvenirs.

— Alors tu es tombé amoureux, dit-il en hochant la tête d’un air entendu. Ça se voit comme le nez au
milieu de la figure. J’aurais dû m’en douter en te voyant débarquer l’air d’avoir couché sous un pont.

— Elle m’a quitté, papa.


J’ouvris ma bière et repris le chat sur mes genoux.

— Tu l’as déjà dit.

Le ton était sec. Papa continuait de m’observer comme s’il avait devant lui non pas son fils mais quelque
imposteur tombé de la lune.

— Bon, pourquoi tu lui as menti, à cette femme que tu aimes ? Crache le morceau, Ethan.

C’est mon père. Je lui fais une confiance totale. Je suis sûr qu’il n’y a personne d’autre à qui je pourrais
me confier. À part ma sœur, peut-être. Je pris une profonde inspiration et je déballai tout :

— Tom Bennett, le père de Brynne, je l’ai rencontré il y a des années, dans un tournoi de poker à Las
Vegas. On a sympathisé et il jouait bien. Pas aussi bien que moi, certes, mais on s’est liés d’amitié. Il m’a
contacté il y a peu de temps en me demandant un service. Je n’avais aucune intention de lui rendre ce
service. Je veux dire, pas avec la charge de boulot que j’ai en ce moment, tu vois. Je n’ai pas le temps de
protéger une étudiante américaine en art qui pose en tant que modèle, alors que je dois assurer la sécurité
des VIP pendant les Jeux olympiques ! Merde !

Le chat tressaillit. C’est à peine si papa souleva un sourcil, il se recala dans son fauteuil.

— Et pourtant, tu l’as fait.

— Ouais. Je l’ai fait. Il m’avait envoyé une photo. L’image a piqué ma curiosité. Brynne pose pour
arrondir ses fins de mois et elle est… Elle est tellement belle.

J’aurais voulu avoir déjà le tableau chez moi mais il devait rester exposé six mois à la galerie Andersen,
c’était stipulé dans l’acte de vente… Bref, papa attendait la suite, alors j’enchaînai :

— Bon, je me pointe à la galerie et dans la minute, j’achète ce satané portrait. Le vrai amoureux transi
quoi. Dès que je l’ai rencontrée, j’ai décidé que s’il lui fallait un garde du corps, elle l’aurait.

Je secouai la tête.

— Qu’est-ce qui m’arrive, papa ? Merde.

— Ta mère adorait les poètes. Keats, Shelley, Byron.

Il eut un fin sourire.

— Ça se passe comme ça parfois. Tu rencontres la bonne personne, et il n’y a plus qu’elle qui compte.
Les hommes tombent amoureux depuis la nuit des temps, mon garçon. Tu es juste un des derniers à qui
c’est arrivé.

Il but une gorgée de bière.

— Et pourquoi Brynne a-t-elle besoin d’être… protégée ?

— À cause de ce membre du Congrès américain. Tu sais, celui qui est mort dans l’accident d’avion et
qu’il a fallu remplacer. Le remplaçant, c’est Oakley, le sénateur de Californie. Et il a un fils, Lance
Oakley qui sortait avec Brynne. Il y a eu des embrouilles… et une sextape…

Je marquai une pause et me rendis compte que cela devait être terrible pour papa d’entendre ce genre de
trucs.

— Elle était très jeune, tu comprends – dix-sept ans – et profondément meurtrie par cette trahison. Oakley
s’est comporté comme le dernier des salopards avec elle. Elle voit une psychothérapeute…

Je me tus, me demandant comment papa prenait tout ça. Je bus encore de la bière avant d’attaquer le
morceau final.

— Le fils Oakley a été expédié en Irak et Brynne est venue à Londres faire des études artistiques. La
conservation des œuvres. Elle est très douée.

J’étais surpris que papa ait écouté ces abominations sans réagir.

— J’imagine que le sénateur n’a pas trop envie d’une mauvaise publicité. Il ne faudrait pas que la
conduite de son fils fuite dans les médias.

Mais il avait l’air contrarié. Les politiciens, d’où qu’ils viennent, il les déteste.

— Le sénateur et le puissant parti qui le soutient. Ça pourrait leur faire perdre l’élection.

— Et le parti d’opposition ? reprit papa. Ils vont vouloir exhumer l’affaire avec autant d’âpreté que les
autres essayeront de l’enterrer, non ?

Je secouai la tête d’un air interrogatif.

— Pourquoi ne travailles-tu pas pour moi, papa ? Tu piges les trucs. Tu as tout de suite la vue d’ensemble
d’une situation donnée.

J’ajoutai, ironique :

— Cela dit, il m’en faudrait dix comme toi.

— Oh ! je serais ravi de t’aider. Mais je ne cherche pas à me faire payer.

— Je sais, je sais, dis-je en levant la main.

C’était loin d’être la première fois que j’essayais de l’embaucher, au point que c’en était devenu une
plaisanterie entre nous. Cette vieille tête de mule n’accepterait jamais le moindre sou.

— Qu’est-ce qui te fait penser que ta Brynne pourrait avoir besoin d’une protection ? Ça ne te semble pas
un peu alarmiste ? Pourquoi son père s’est-il adressé à toi, au juste ?

— Apparemment, le fils du sénateur s’est encore foutu dans des ennuis. Alors qu’il était en permission,
un de ses potes s’est fait descendre dans un bar. Ça a fait du bruit et les politiciens détestent ça. Ils
n’aiment pas qu’on fouine dans leurs affaires. Si ça se trouve, c’est juste un incident isolé, mais le pote
qui a été tué était au courant pour la vidéo. Depuis, le père Brynne est à cran. Il m’a dit : « Si ceux qui
connaissent l’existence de cette vidéo commencent à mourir, alors il faut que je protège ma fille. »

Je haussai les épaules.

— Il m’a demandé de l’aider. D’abord, j’ai dit non. Je lui ai fourni les coordonnées d’un confrère. Mais
il m’a envoyé la photo par mail…

— Et après avoir vu la photo, tu ne pouvais plus dire non.

Ça tombait comme une sentence, papa comprenait parfaitement ce que je ressentais.

— Non. Je ne pouvais plus. J’étais hypnotisé. Je suis allé à la galerie voir l’expo et j’ai acheté le
portrait. Là-dessus, elle est arrivée, papa, je ne pouvais plus détacher les yeux de cette femme. Il faisait
nuit, elle avait prévu de marcher jusqu’au métro, alors je me suis présenté et j’ai réussi à la convaincre
de se laisser raccompagner chez elle en voiture. Ensuite, j’ai essayé de laisser tomber. Je voulais
vraiment…

Papa souriait.

— Tu as toujours été un gars très protecteur.

— Sauf que c’est devenu pour moi bien plus qu’un simple boulot. Je veux être avec Brynne…

Mon père écoutait tranquillement, grand et tranquille dans son fauteuil. Il était bien conservé pour un
homme de soixante-trois ans. Il me comprenait parfaitement. Il n’y avait rien de plus à expliquer et tant
mieux.

— Mais elle a découvert que son père t’avait engagé pour la surveiller ?

— Oui. Elle a surpris un appel dans mon bureau. Son père avait dû apprendre qu’on se voyait et il a
appelé pour me gueuler dessus.

Mon père avait le droit d’être au courant de tout ce foutu bordel.

— Elle s’est sentie trahie et percée à jour, j’imagine. Elle a compris que tu savais ce qui s’était passé
avec le fils du sénateur ou autre, et que tu le lui avais caché.

Il secoua la tête.

— Qu’est-ce qui t’a pris ? Et aussi, tu devrais lui dire que l’autre type s’est fait descendre et qu’une
menace pèse peut-être sur elle. Et que tu l’aimes. Et que tu as l’intention de continuer à veiller sur elle.
Les femmes ont besoin de connaître la vérité, mon garçon. Tu vas être obligé de tout lui dire, si tu veux
qu’elle te fasse confiance à nouveau.

— Je lui ai déjà parlé.

Je lâchai un grand soupir et renversai la tête sur le dossier du canapé. Je regardai le plafond. Soot s’étira
et changea de position sur mes genoux.
— Dis-le-lui encore. Commence par la vérité : tout part de là. Elle acceptera de reprendre avec toi ou
pas. Mais il ne faut pas renoncer. Essaie encore.

Je sortis mon portable pour montrer à papa la photo de Brynne regardant le tableau. Il prit le temps de
l’observer, il souriait derrière ses lunettes. Quelque chose me dit qu’il pensait à ma mère. Il me rendit
l’appareil.

— Une très belle fille. J’espère avoir l’occasion de faire sa connaissance.

Il me fixa droit dans les yeux et ajouta sans détour ni empathie particulière, comme on exprime la pure et
simple vérité :

— Il va falloir écouter ton cœur, mon garçon… Personne ne pourra le faire à ta place.

Je le quittai en fin d’après-midi pour rentrer chez moi où je passai trois heures dans la salle de gym. Je
m’exerçai jusqu’à n’être plus qu’une masse de muscles douloureux, tremblant et puant la sueur. Mais
après, je me trempai dans un bain moussant qui me fit du bien. Fumer aussi me fit du bien. Je fumais
beaucoup trop à présent. Ce n’était pas bon pour moi, j’allais devoir diminuer. Mais putain, l’envie était
trop forte. Être avec Brynne m’avait tant apaisé que j’en avais diminué ma consommation, mais
maintenant qu’elle était partie, c’était à la chaîne que je fumais – le vrai tueur en série, pour reprendre
notre toute première discussion.

Je décollai la Djarum de mes lèvres, le regard fixé sur les bulles.

Brynne aimait prendre des bains. Elle n’avait pas de baignoire dans son appart et ça lui manquait, elle me
l’avait dit. J’adorais penser à elle nue dans ma baignoire. Elle nue… C’était une idée qui ne me faisait
aucun bien, pourtant, j’y avais consacré tellement de temps. À bien y réfléchir, elle était à la base de tout
ce qui nous était arrivé. Elle nue… La photo que Tom Bennett m’avait envoyée était celle-là même que
j’avais achetée lors de l’expo. Objectivement, c’était juste un beau nu susceptible d’être apprécié de tout
le monde, homme ou femme. Mais même avec le peu d’informations qu’il m’avait donné au départ et
surtout en voyant la photo de Brynne saisie dans sa pleine beauté et vulnérabilité, j’avais immédiatement
pensé à elle comme à une femme en danger. L’idée que quelqu’un pût lui faire du mal m’avait poussé à
sortir de la galerie et à l’inviter à se mettre en lieu sûr dans ma voiture. Question de conscience :
impossible de la laisser partir comme si de rien n’était. Et quand nous avions fait connaissance, toutes
sortes de fantasmes m’avaient assailli. Tandis qu’elle me parlait, je ne voyais qu’une seule chose : elle
nue…

Mon bain refroidissait, c’était moyen. Je sortis de l’eau, m’habillai et me mis en quête d’un livre : Lettres
à Fanny de John Keats…

Une allusion de papa m’y avait fait penser. Ma mère aimait lire les grands poètes. Brynne adorait Keats,
je le savais. J’avais retrouvé un bouquin de lui sur le divan. Elle m’avait dit aimer beaucoup cet auteur.
Elle se demandait pourquoi j’avais cet ouvrage dans ma bibliothèque. J’avais répondu que mon père me
donnait toujours les livres que les clients oubliaient dans son taxi. Il ne pouvait pas se résoudre à les
jeter. Alors, quand ça semblait être un bon livre, il le rapportait à la maison. Lorsque j’avais acheté mon
appartement, il était venu avec quelques cartons de livres, assez pour remplir les étagères de ma
bibliothèque. Le Keats devait faire partie du lot. En toute honnêteté, j’avais dit à Brynne que je n’avais
jamais rien lu de cet écrivain.

Maintenant, je le lisais.

Je découvrais le style de Keats. Pour un homme mort si jeune, à l’âge de vingt-cinq ans, il avait su faire
passer son émotion dans les lettres écrites à sa petite amie quand ils étaient séparés. Et sa douleur, je
l’éprouvais comme si c’était la mienne. Sa souffrance était ma souffrance.

Je décidai d’écrire à Brynne – une vraie lettre rédigée à la plume. Je trouvai dans mon bureau un
nécessaire de correspondance en papier coton. Je pris le livre aussi. Dans l’aquarium, Simba remua ses
nageoires pour réclamer une friandise. Je me fais toujours avoir quand un animal crie famine. Je lui
balançai donc du krill surgelé et le regardai dévorer.

— Elle t’aime, Simba. Tu crois qu’elle reviendra si je lui dis que tu ne manges plus ?

Bon, je parlais aux poissons, maintenant. Merde ! comment avais-je pu tomber si bas ? Ignorant l’envie
de fumer, je me lavai les mains et m’assis pour écrire.

Brynne,

« J’ignore jusqu’à quel point mon esprit est élastique, quel plaisir je pourrais trouver à vivre dans cette
maison si je ne pensais aussi fort à vous. Dites, mon amour, n’est-il pas très cruel de m’avoir ainsi pris
dans vos filets, d’avoir détruit ma liberté ?

« … Toutes mes pensées, toutes ces journées et toutes ces nuits à souffrir, loin de m’avoir guéri de mon
aspiration à la Beauté, au contraire l’ont rendue si intense que je me désespère de ne plus vous avoir
auprès de moi… Je ne saurais concevoir de revivre jamais un tel amour, si ce n’est pour la Beauté… »
Juillet 1819.

Je sais que tu as reconnu ces phrases de Keats. J’ai commencé à lire ce livre que tu aimes et il me semble
avoir une idée maintenant de ce que cet homme essayait d’exprimer dans ses lettres à Mlle Brawne :
comment elle avait conquis son cœur.

Comme tu as conquis mon cœur, Brynne.

Tu me manques. Je ne cesse de penser à toi, et si je puis te le répéter encore afin que tu en sois
convaincue, alors j’imagine qu’il y a là, peut-être, une source de consolation possible. Je ne peux rien
faire, à part te dire ce que j’éprouve.

Je regrette infiniment de ne pas t’avoir dit que je connaissais ton passé, et comment je l’avais appris.
Mais il faut que tu saches quelque chose, parce que c’est la pure vérité. Je n’avais aucune intention
d’accepter ce boulot. Mon intention était de donner à ton père le nom d’une autre agence de sécurité. Pour
moi, c’était non. Jusqu’à ce que je te rencontre. Ce soir-là, alors que nous marchions dans la rue, j’ai
voulu te dire que ton père essayait d’organiser ta protection. Puis j’ai vu ton regard, Brynne, et j’ai perçu
quelque chose – une connexion entre nous. Ça bougeait en moi, c’était comme une révélation. Avais-je
trouvé la pièce manquante de mon puzzle ? Je ne sais pas de quoi il en retournait exactement, mais je sais
que c’est arrivé le soir de notre rencontre. J’ai bien essayé de rester à distance, de te laisser retourner à
ta vie, mais rien à faire. Dès l’instant où j’ai vu ton portrait, j’ai été attiré vers toi. Il fallait que je te
connaisse. Et qu’on soit ensemble. Il fallait que tu me regardes, et que tu me voies vraiment. Je sais
maintenant que j’étais tombé amoureux. Je suis tombé amoureux d’une splendide Américaine : toi,
Brynne.

Souvent, j’ai voulu te raconter comment j’avais été amené à venir à la galerie ce soir-là pour te voir.
Mais à chaque fois, je me suis retenu tant j’avais peur de te faire du mal. J’ai compris à quel point cette
histoire te hantait quand tu t’es réveillée de ce cauchemar. J’en étais réduit à des suppositions, mais
j’étais prêt à tout pour empêcher qu’on s’en prenne à toi. Devais-je t’informer que ton père avait fait
appel à une société de sécurité pour te protéger contre les menées de puissants ennemis politiques ? Ça
n’aurait fait que t’épouvanter. Comme je suis moi-même épouvanté à l’idée que quelqu’un cherche à
t’atteindre, émotionnellement ou autre. Je sais : je suis viré. Tu me l’as dit. Mais s’il arrive quelque
chose, quoi que ce soit, si quelqu’un te fait peur, je veux que tu m’appelles. Je serai là dans l’instant. Je
parle on ne peut plus sérieusement. Appelle-moi.

Tu es une personne très spéciale, Brynne. Il se passe quelque chose avec toi – des émotions, des idées,
des rêves. J’ai le sentiment profond d’être arrivé là où jamais je n’aurais cru me retrouver avec
quelqu’un. Mais j’ai aussi mes démons. Et les affronter sans t’avoir auprès de moi me terrifie. Je ne sais
pas toujours ce que je fais, mais je suis sûr de savoir ce que je ressens pour toi. Et quand bien même tu
me haïrais pour ma conduite, moi je continuerai de t’aimer. Si tu ne veux plus me voir, je continuerai de
t’aimer. Je continuerai de t’aimer parce que tu m’appartiens. Tu es à moi, Brynne. Tu es dans mon cœur et
personne ne peut m’enlever ça. Pas même toi.

J’attendis une semaine avant de poster ma lettre. Une putain de semaine, la plus longue de ma vie.

Je fumai presque assez de Djarum pour me foutre en faillite ou pour me choper un cancer. Des fleurs
violettes, dis-je au fleuriste, et que la lettre soit glissée dans le bouquet. Je les commandai un dimanche
après-midi, le fleuriste me répondit que ce serait livré le lundi. J’avais donné l’adresse de son atelier
plutôt que celle de son appartement. Sachant qu’elle était en période d’examens, j’avais attendu que les
épreuves soient finies.

Car Brynne et moi, ce n’est pas fini. Tel est le mantra que je ne me lassais pas de me répéter pendant
toute cette période puisque, pour moi, il n’existait aucune autre possibilité.
15

Ils vous font croire à des trucs faux. Et ils vous les répètent si souvent que vous finissez par penser que ce
ne sont pas des mensonges mais la vérité. Vous en souffrez comme si c’était vrai. La torture la plus
efficace n’est pas physique – elle est mentale, bien sûr. Notre esprit peut imaginer des supplices bien plus
cruels que ce que l’on est capable de supporter physiquement et, de même, l’esprit fera la sourde oreille
aux agressions physiques quand la douleur dépasse ce que le corps peut supporter.

Les nerfs de mon dos hurlaient comme si l’on avait répandu de l’acide sur mes chairs écorchées. La
douleur était si vive qu’elle me coupa la respiration. Combien de temps allais-je tenir avant de perdre
connaissance ? Et après, allais-je me réveiller dans cette vie ? Je doutais de pouvoir marcher plus de
quelques mètres. Je n’y voyais rien : j’avais du sang plein les yeux. Plus tous ces coups reçus à la tête.
J’allais crever ici, dans cet enfer, ça n’allait sûrement pas tarder. Le plus vite serait le mieux. Au moins,
papa et Hannah ne me verraient pas dans cet état. J’espérais qu’ils ne sauraient jamais comment j’étais
mort. Je priais pour qu’ils ne tournent pas une vidéo de mon exécution. Mon Dieu, s’il Te plaît, pas de
vidéo…

La chance… Elle m’avait manqué quand ils nous avaient tendu cette embuscade. Puis mon arme s’était
enrayée : pas de chance non plus. Pas de chance encore, de ne pas avoir été tué en essayant de
m’échapper. Ces salauds tenaient leurs méthodes des Russes. Ils adoraient capturer des prisonniers
occidentaux. Et un Anglais des forces spéciales, c’était le joyau de leur putain de couronne. Un élément
que mon pays pouvait se permettre de sacrifier. La malchance. Sacrifié pour un bien supérieur, pour la
démocratie, pour le libre arbitre.

J’emmerde le libre arbitre. Je n’en avais pas.

Mon persécuteur, ce jour-là, avait une grosse envie de parler. Il n’arrêtait plus de parler d’elle. Si
seulement il avait pu fermer sa gueule immonde. Ils ne savent pas où elle est… Ils ne savent pas comment
la retrouver… Ils ne connaissent même pas son nom. Je me répétais ces vérités car c’était tout ce à quoi il
était possible de me raccrocher.

Une claque du dos de la main me tira de ma torpeur. Une autre me réveilla complètement.

« On te montrera quand on va se la faire. Elle va gueuler comme la pute qu’elle est. Une pute américaine
qui pose nue pour des photos. » Il me cracha au visage, m’attrapa par les cheveux et me renversa la tête
en arrière. « Vos femmes sont tellement répugnantes… ce qui leur arrive, elles le méritent. Elles méritent
d’être traitées comme de sales putains. » Il me riait au nez.

Je le fixais, je mémorisais sa tête, je ne l’oublierais plus. Et si l’occasion se présentait, je lui couperais


la langue avant de le tuer. Même si je n’avais fait qu’imaginer cette exécution, il n’aima pas ma réaction.
Intérieurement, j’étais pétrifié de peur. Comment pouvais-je les empêcher de la violer ? J’avais envie de
le supplier mais je ne le fis pas. Je me contentai de le scruter pendant que mon cœur cognait dans ma
poitrine, preuve que j’étais toujours en vie. Pour combien de temps ?

« Tous les gardes lui passeront dessus chacun son tour. Après, quand ils seront bien rassasiés, on la fera
assister à ta décapitation. Tu sais que c’est comme ça que tu vas finir, n’est-ce pas ? » Il me tenait par le
cou, il promenait ses doigts sur ma gorge. « Tu imploreras pitié, comme le porc que tu es… Tu nous
supplieras de ne pas être abattu. Tu ne feras pas le fier, alors. » Il recommença à me rire au nez. Toutes
dents jaunes dehors. « Après, on tuera ta pute américaine de la même façon… »

Je me dressai d’un bond dans mon lit. J’étouffais. J’avais la main sur mon sexe. J’étais trempé de sueur.
Je restai appuyé contre le dos de lit, le temps de comprendre où j’étais… Et, Dieu merci, où je n’étais
pas. Tu n’es plus là-bas. C’était juste un rêve. C’était il y a longtemps.

Ce genre de cauchemar brasse toutes les saloperies qui vous sont tombées dessus durant votre vie. Il en
fait une décoction infecte et il vous jette dedans. Soulagé, je fermai les yeux. Brynne ne faisait pas partie
des horreurs que j’avais vécues en Afghanistan. Elle appartenait au moment présent. Elle vivait à
Londres, elle travaillait, elle préparait son diplôme. C’était juste ton inconscient mélangeant tout ce qui
est vil et funeste. Brynne est en ville, saine et sauve.

Mais elle n’était plus avec moi.

Je baissai les yeux vers mon sexe dur et brûlant. Je le serrai dans mon poing. Les paupières fermées, je
commençai à le caresser. En gardant les yeux clos, j’arriverais à me remémorer ce qui s’était passé
l’autre jour dans mon bureau. J’avais besoin de me libérer de cette tension, et tout de suite. Il fallait que
je jouisse. Pour stopper les maudits tremblements nés de ce putain de cauchemar. N’importe quoi pourvu
que ça marche – un soulagement provisoire mais nécessaire.

Je me rappelai la première fois qu’elle était passée à mon bureau. Elle portait des bottes rouges et une
jupe noire. Je l’avais fait asseoir sur mes genoux et l’avais fait jouir en lui masturbant la chatte. C’était
tellement bandant, de la voir débarquer comme ça au bureau. Et elle était si belle quand elle perdait la
tête grâce à mes caresses, grâce aux sensations que je lui procurais.

Brynne avait essayé de se dégager mais je l’avais retenue. Je me souviens qu’elle était descendue et
s’était laissée tomber sur ses genoux. Elle m’avait alors touché à travers mon pantalon. J’avais pigé. Elle
avait envie de me sucer, me dit-elle. C’est à ce moment-là que j’ai su que j’étais fou d’elle. Je le compris
tant elle est franche et généreuse. Avec elle, pas de faux-semblants ! Elle est authentique, parfaite et elle
est à moi.

Plus maintenant, elle ne l’est plus. Elle t’a quitté.

Je gardai les yeux clos. Je revoyais ses belles lèvres en train de se refermer sur mon gland, et l’attirer en
elle. La chaleur de cette bouche humide et délicieuse. Puis l’instant exquis quand elle avala mon foutre en
levant vers moi ce regard sensuel et mystérieux qui n’appartenait qu’à elle. Je n’arrive jamais à savoir ce
qu’elle pense. Bon, c’est une femme après tout.

Tout me revenait en mémoire – les bruits qu’elle faisait, ses longs cheveux tombant sur son visage, ses
lèvres brûlantes glissant sur ma hampe qu’elle tenait en main pour la fourrer plus profondément dans sa
bouche pulpeuse.
Je me rappelais ce moment si particulier avec Brynne, et je me branlais pour atteindre l’orgasme dans la
solitude d’un présent pathétique. Comment jouir sans le secours de la mémoire ? Je poussai un cri. Le
foutre jaillit de ma queue en une éruption presque douloureuse. Il répandit des éclats blancs sur les draps
noirs. Pourquoi n’était-elle pas là ? Je haletais contre la tête de lit. Tout mon corps se relâchait. Mais
j’enrageais de m’être branlé sur son image, comme un pauvre type frappé de désespoir.

C’était le bordel mais je m’en foutais. Les draps, ça se lave. L’esprit, c’est autre chose.

Je me rappelle toutes les fois où je l’ai pénétrée.

Le sentiment de vacuité qui m’envahit est presque cruel : cet orgasme-là ne remplacera jamais l’amour
vrai. C’est vide et complètement vain.

Enfin, Benny, c’est impossible ! Allons donc, il est bien trop beau pour ne jouir que d’une main !

Ouais. C’est ça. Je me levai pour aller prendre une douche. C’était elle ou rien. À jamais.

Elle me téléphona sur mon portable cet après-midi-là. Je manquai son appel à cause d’une réunion à la
con. Je leur aurais pété la gueule, à tous ces abrutis qui me bouffaient mon temps. À défaut de l’avoir
directement, j’écoutai son message.

— Ethan, je… J’ai reçu ta lettre.

Un filet de voix… J’avais tellement envie de courir la rejoindre ! Je me demande encore comment je
réussis à écouter jusqu’au bout.

— Merci de m’avoir écrit. Les fleurs aussi sont belles. Je… je voulais juste te dire que j’ai discuté avec
papa. Il m’a dit des trucs…

Elle craquait. J’entendais bien qu’elle essayait d’étouffer ses larmes. Elle pleurait et ça me brisait le
cœur.

— Je dois y aller… On se reparlera plus tard, peut-être.

Les derniers mots étaient à peine un murmure :

— Salut, Ethan.

Je faillis casser l’écran du smartphone en pressant le rappel. Pourvu qu’elle décroche ! Pourvu qu’elle
accepte de me parler. La ligne mit un temps infini à se connecter. Une sonnerie, deux sonneries, trois
sonneries… Mon cœur cognait et l’air me manquait de plus en plus…

— Salut.

Un simple petit mot. Mais c’était bien sa voix. Et c’est à moi qu’elle s’adressait. Il y avait du bruit
derrière elle. Genre bruit de circulation.

— Brynne, comment vas-tu ? Tu avais l’air bouleversée dans ton message. J’étais en réunion…

Je me tus. Je commençais à dire n’importe quoi. Je m’obligeai à me taire. J’avais désespérément envie
d’une clope au clou de girofle.

Elle respirait fort dans son téléphone.

— Ethan, tu m’as dit d’appeler s’il se passait un truc bizarre…

— Qu’est-ce qui s’est passé ? Tu vas bien ? Tu es où, là, maintenant ?

Ses quelques mots et la tonalité de sa voix m’avaient glacé le sang.

— Tu es dehors ?

— Je suis en train de courir. J’avais besoin de me vider la tête et de faire une pause.

— Je te rejoins. Dis-moi où tu es.

Elle s’apaisa. J’entendais les voitures autour d’elle. C’était insupportable, de l’imaginer seule dans la
rue, vulnérable, sans personne pour la protéger.

— S’il te plaît, dis-moi. Il faut que je te voie. Il faut qu’on parle. Et je veux savoir ce qui t’inquiète
tellement pour m’avoir appelé ainsi et laissé un message.

De nouveau, le silence.

— Chérie ! Je ne pourrai rien faire si tu n’acceptes pas mon aide.

— Tu l’as vue ? reprit-elle d’une voix changée, plus dure.

— De quoi tu parles ?

Je jure que je ne voulais qu’une chose : la rejoindre et la prendre dans mes bras. D’abord, sa question
n’imprima pas. Puis très vite, ce silence glacial à l’autre bout de la ligne me dessilla.

— Tu l’as visionnée, Ethan ? Réponds.

— La sextape ? Toi et Oakley ?

Elle eut un gémissement.

— Bien sûr que non, Brynne ! Merde !

Comment pouvait-elle seulement imaginer un truc pareil ? Ça me foutait hors de moi.

— Pourquoi j’aurais fait ça ?


— Ça n’a rien à voir avec une sextape ! cria-t-elle.

Je ressentis une douleur à la poitrine, comme si on y plongeait une lame. Je criai à mon tour :

— Écoute, c’est ton père qui m’a parlé d’une sextape !

Voilà que je me mettais à lui crier dessus, n’y comprenant plus rien, j’étais complètement paumé dans
cette discussion de dingues. Si seulement je pouvais lui parler en tête à tête, être tout près d’elle, la forcer
à me regarder dans les yeux et à m’écouter… j’aurais une chance alors ! Au lieu de quoi, cette engueulade
sans queue ni tête nous menait tout droit dans le mur. Je repris en employant un ton plus bas :

— Brynne, s’il te plaît, laisse-moi venir.

Elle pleurait à nouveau, doucement, sur un léger fond de trafic. Ça ne me plaisait pas du tout qu’elle aille
courir ainsi toute seule. Des voitures la dépassant à toute allure. Des mecs la matant. Des mendiants
l’importunant pour avoir leur aumône…

— Bon Dieu, Ethan ! Qu’est-ce qu’il t’a raconté ? Qu’est-ce que mon père t’a dit à mon sujet ?

— Je ne veux pas régler ça au téléphone…

— Parle. Dis-moi.

Sur ces mots, le silence.

J’en fermai les yeux d’effroi sachant qu’elle n’accepterait rien d’autre que la vérité brute. Je haïssais plus
que tout l’idée de lui répondre mais je n’avais pas le choix. Par où commencer ? Je n’avais plus qu’à me
jeter à l’eau. Dans une prière silencieuse, je demandai à ma mère de m’envoyer du courage.

— Il m’a dit que tu étais sortie avec Oakley au lycée. Quand tu avais dix-sept ans, il a tourné une sextape
à ton insu et l’a mise en ligne. Tu as quitté le lycée et tu as eu des ennuis. Le sénateur a expédié son fils en
Irak. Toi, tu es venue ici étudier et repartir de zéro. Maintenant, le sénateur est candidat à la vice-
présidence et il veut s’assurer que personne ne verra jamais cette vidéo… ou n’en entendra parler. Ton
père m’a dit qu’un pote d’Oakley venait de mourir dans des circonstances inhabituelles, et il redoute que
les gens en rapport avec la vidéo ne soient devenus des cibles… toi y compris. Cela l’inquiétait tant qu’il
m’a appelé pour me demander un service – il voulait que j’assure ta sécurité et que je surveille ton
entourage.

Qu’est-ce que je n’aurais pas donné pour une cigarette ! Le mutisme de Brynne était insupportable, mais
après une interminable série de battements de cœur, elle prononça enfin les mots que je voulais entendre.
Des mots utiles. Des mots compréhensibles dont je pouvais faire quelque chose :

— Ça me fait peur.

Cette phrase me soulagea. Non parce que Brynne avait peur, mais parce qu’elle avait besoin de moi.
Apparemment, elle acceptait que je revienne dans le jeu.

— Je ne laisserai rien ni personne te faire du mal, mon cœur.


— J’ai reçu un drôle de message, il y a deux jours. Un homme. Genre journaliste. Je ne savais pas quoi
faire… Et aujourd’hui, ta lettre, je… Tu me dis de t’appeler si quelqu’un essaie de m’embêter…

Le soulagement s’évanouit aussitôt.

— Arrête tes conneries, Brynne ! Dis-moi où tu es ! Je viens te chercher tout de suite !

Pourquoi les lois de la physique ne m’autorisaient-elles pas à m’introduire dans ce téléphone de merde ?
J’aurais pu ramper jusqu’à elle ! Je voulais être auprès d’elle, point barre ! J’en avais par-dessus la tête
de brailler comme un con ! Je voulais avoir Brynne en chair et en os à mes côtés et pouvoir la toucher de
mes mains…

— Waterloo Bridge, dit-elle. Côté sud.

Évidemment ! Je levai les yeux au ciel. Rien que d’entendre le mot Waterloo me mettait les nerfs à vif.

— J’arrive. Tu peux aller m’attendre à Victoria Embankment ? Je te retrouverai plus facilement.

— D’accord. Je serai au Sphinx.

J’eus l’impression qu’elle se sentait mieux. Elle avait moins peur. Cette constatation fit merveille sur mon
niveau de stress. J’allais pouvoir récupérer ma petite amie. Elle ne le savait peut-être pas encore, mais
c’était exactement ce qui allait se passer.

— On fait comme ça, dis-je. Si quelqu’un t’aborde, reste dans un endroit où il y a du monde.

Je la gardai en ligne le temps qu’elle fasse le chemin jusqu’à l’Aiguille de Cléopâtre. Je roulai comme un
malade en évitant le centre.

— Je suis arrivée, dit-elle.

— Il y a du monde autour de toi ?

— Oui. Un groupe de touristes. Des couples et des gens qui promènent leur chien.

— Parfait. Je vais me garer et je te rejoins.

Fin de la communication. Mon cœur battait à toute allure, je trouvai une place et descendis vers la
Tamise. Comment les choses allaient-elles se passer ? Me ferait-elle des histoires ? Je n’avais pas
l’intention de réveiller nos blessures, mais merde ! pas question de laisser ce bordel se prolonger une
journée de plus ! Il fallait en finir. Aujourd’hui même. Il fallait tout de suite et à tout prix remettre les
pendules à l’heure.

Je la repérai à l’instant où le soleil commençait à décliner. Son short de running épousait ses hanches
comme une seconde peau. Elle me tournait le dos, penchée au-dessus du fleuve, les mains gracieusement
posées sur le garde-fou. Le vent poussait sa queue-de-cheval sur le côté. Sa jambe était en appui contre la
barrière.

Je ralentis le pas pour m’imprégner de cette image. Enfin ! Après une semaine de privation. Elle était
bien là : Brynne.

J’avais besoin de la toucher. Les mains me démangeaient de l’attraper et de la serrer contre moi. Mais
elle avait changé – elle était plus mince. Plus je m’approchais, plus c’était évident. Elle n’avait rien
bouffé de la semaine ou quoi ? Elle semblait avoir perdu des kilos. Je m’arrêtai, les yeux fixés sur elle, à
la fois irrité et préoccupé. J’étais surtout en train de me rendre compte que tout ce merdier avec son passé
était beaucoup plus grave que je ne l’avais cru jusqu’alors. Quelle chance, on est dans le même bateau.

Elle se tourna, nos regards se rencontrèrent et une puissante connexion s’établit entre nous, comme portée
par le vent. Elle savait ce que je ressentais. En tout cas, elle aurait dû le savoir puisque je n’avais cessé
de le lui répéter. Elle, c’était autre chose : j’attendais toujours de l’entendre prononcer ces mots : Je
t’aime.

C’est mon nom qu’elle prononça. Je le lus sur ses lèvres car le vent m’empêchait d’entendre sa voix. Elle
semblait presque aussi soulagée que moi. Elle était là, à quelques pas, je ne pouvais m’arrêter de la
contempler. Elle était d’une beauté totale – comme toujours et à jamais.

Mais je n’allai pas plus loin. Si elle me voulait, il allait falloir qu’elle vienne à moi et qu’elle exprime ce
qu’elle ressentait. Ou bien, j’étais mort. Papa avait vu juste : chacun doit suivre son cœur. J’avais suivi le
mien. À elle, maintenant, de faire pareil.

Elle s’éloigna du garde-fou, un bruit sourd retentit en moi quand elle s’arrêta. Comme si elle attendait un
geste de ma part ou bien que ce soit moi qui aille la chercher. Non, chérie. Je ne souriais pas. Elle non
plus. Mais le contact était établi.

Elle portait un haut turquoise qui épousait ses seins. Je pensai à son corps nu étendu sous mon corps, à
mes mains, à ma langue s’emparant d’elle. J’avais tellement envie d’elle que ça me faisait mal. J’imagine
que c’est une définition de l’amour : une douleur pour laquelle il n’existe qu’un seul remède. Et mon
remède, c’était Brynne. Je l’attendais, l’esprit traversé par des images d’elle et moi faisant l’amour ; mes
fantasmes me hantaient sans merci, me brûlant d’un feu dévorant. Je me consumais pour Brynne. Keats
savait parfaitement de quoi il parlait dans ses poèmes.

Je levai la main, j’accrochai mon regard à ses yeux mais ne bougeai pas. C’est alors qu’il se passa
quelque chose. Une lueur dans ses yeux adorables. Elle avait compris ce que j’attendais d’elle. Et elle le
fit. Je vis une fois de plus quelle harmonie nous unissait au niveau le plus profond. Brynne m’avait
compris, et ce simple constat décupla encore la puissance de mon désir.

Elle s’approcha et leva le bras vers moi jusqu’à ce que nos doigts se touchent. Sa main délicate se posa
dans le mienne, bien plus grande. Mes doigts s’enroulèrent fermement autour de son poignet et je l’attirai
à moi. Tout contre mon torse, corps contre corps. Je la pris dans mes bras, enfouissant ma tête dans ses
cheveux. À nouveau, ce parfum qui me chavirait les sens et l’esprit, si familier et tant désiré. Brynne était
revenue.

Je reculai et pris son visage entre mes mains. Je la maintins ainsi pour pouvoir la regarder vraiment. Elle
n’esquiva pas mon regard. Celle que j’aimais avait du courage. La vie pouvait vraiment être moche
parfois, mais Brynne s’accrochait, elle ne se dérobait pas. J’observai ses lèvres et sus aussitôt que
j’allais lui donner un baiser, qu’elle le veuille ou non. J’espérais qu’elle le veuille.
Ses lèvres merveilleuses étaient toujours aussi douces, aussi tendres. D’autant plus douces et tendres
qu’elles m’avaient trop longtemps manqué. Avoir ma bouche contre la sienne, c’était le rêve. J’oubliai
tout en cet instant et le monde autour. Totalement emporté de sentir Brynne au diapason de mon désir.

Elle me rendit mon baiser, or la sensation de sa langue s’entremêlant avec la mienne était si intense que
j’en gémis. Je savais ce dont j’avais envie. Ce n’était pas compliqué : un endroit à l’abri des regards et
Brynne nue. Si seulement les choses pouvaient être aussi simples. Mais nous étions dans cette foule à
Victoria Embankment, loin de toute intimité possible.

J’arrêtai mes baisers et caressai sa lèvre inférieure avec mon pouce.

— Tu viens avec moi. Tout de suite.

Elle hocha la tête entre mes mains et je l’embrassai encore – un baiser de remerciement cette fois-ci.

L’instant d’après, nous allions vers la Rover, nous n’échangions pas de paroles mais nous nous donnions
la main. Je ne la lâchai qu’une fois arrivés à la voiture. Quand les portières furent verrouillées, je me
tournai vers Brynne pour la regarder vraiment. Elle avait l’air affamée, ce qui eut le don de m’irriter. Je
me rappelai le soir de notre rencontre, quand je lui avais donné une barre protéinée et de l’eau.

— Où allons-nous ? demanda-t-elle.

— Avant toute chose, t’acheter de quoi te nourrir.

Le ton était un peu plus dur que je ne l’aurais souhaité.

Elle fit oui de la tête, puis se tourna vers la vitre.

— Quand tu auras mangé, on te procurera un nouveau téléphone avec un autre numéro. Moi je garderai le
vieux de façon à retrouver la trace de ceux qui essaieront de te contacter. D’accord ?

Elle baissa les yeux vers ses genoux et hocha la tête encore une fois. J’aurais voulu la prendre à nouveau
dans mes bras, lui dire que tout allait bien se passer, mais je me retins.

— Puis je te ramènerai à la maison. Chez moi – à la maison.

— Ethan, ce n’est pas une bonne idée, dit-elle à voix basse.

Elle gardait les yeux baissés. J’explosai :

— Merde avec tes bonnes idées ! Tu ne voudrais pas au moins me regarder ?

Elle s’enfonça un peu plus dans le siège, tournant vers moi ses yeux brûlants, très sombres, où palpitait
l’éclat d’une flamme. J’avais envie de l’attirer contre moi, de la secouer et de la forcer à comprendre que
cette connerie de rupture, c’était déjà de l’histoire ancienne. Elle rentrait à la maison avec moi, point
barre. Je démarrai le moteur.

— Qu’est-ce que tu attends de moi, Ethan ?


— Facile, dis-je avec rudesse. Je veux qu’on revienne dix jours en arrière. Retourner à mon bureau !
Baiser sur ma table. Je veux que tu t’enroules autour de moi, sentir ton corps sous le mien. Je veux que tu
me regardes avec une autre expression que la tête que tu faisais quand tu m’as planté aux ascenseurs !

Je pressai mon front contre le volant et pris une inspiration.

— D’accord… Ethan.

Sa voix tremblante était celle d’une femme vaincue. Je me moquai d’elle :

— D’accord, Ethan ? Ça veut dire quoi, ça ? D’accord pour rentrer à la maison ? D’accord pour qu’on
reste ensemble ? D’accord, je veux bien que tu assures ma protection ? Quoi ? J’en attends bien
davantage, Brynne.

Je parlais au pare-brise tant je redoutais de lui faire face. Qu’allait-il se passer si j’échouais à la
convaincre ?…

Elle se pencha vers moi, sa main se posa sur ma jambe.

— Ethan, je… J’ai besoin… j’ai besoin que tu me dises la vérité. Je veux savoir ce qui se passe autour
de moi…

Je couvris aussitôt sa main de la mienne.

— Je sais, chérie. J’ai eu tort de garder ces informations pour moi…

Elle secouait la tête.

— Non, dit-elle. Tu ne sais pas. Tu permets que je finisse ma phrase ?

Elle me ferma les lèvres avec ses doigts.

— Tu me coupes tout le temps la parole.

— Je ne dis plus rien.

Je pris ses doigts pour les maintenir sur ma bouche. Je les retenais avec des baisers. Bon Dieu ! je
n’allais pas laisser filer la moindre opportunité.

— Tu es honnête, tu es direct. C’est ce que j’aime chez toi, Ethan. Tu dis toujours ce que tu veux, ce que
tu as l’intention de faire, ce que tu ressens. C’est parce que tu l’as joué cash avec moi que je me suis
sentie en sécurité.

Elle pencha la tête.

— Tu n’imagines pas à quel point j’en avais besoin. Si je n’ai pas eu peur de l’inconnu, c’est parce que tu
faisais merveille quand il s’agissait de me dire ta façon de voir les choses pour nous. C’était précisément
ce dont j’avais besoin. Je t’ai fait complètement confiance et tu as tout détruit en n’étant pas honnête. Tu
aurais dû me dire que tu avais été engagé pour ma protection. Ça me fout déjà en l’air de devoir être
protégée, alors tu ne crois pas que je mérite au moins d’en être informée, putain de merde ?

Mon Dieu, qu’elle était excitante, quand elle voyait rouge et lâchait des gros mots ! Je la laissai
triompher, vu qu’elle avait entièrement raison.

Quand elle retira ses doigts de mes lèvres, me donnant la permission de parler, je parvins tout juste à
marmonner :

— Je suis vraiment désolé.

Et j’étais profondément, sincèrement, désolé. J’avais commis une faute. Brynne avait droit à la pleine et
entière vérité. Elle avait toutes les raisons du monde d’être aussi exigeante. Et moi, j’avais tout gâché.
Mais attends… Ne venait-elle pas de mentionner aussi ce qu’elle aimait chez moi ?

— Écoute… j’ai discuté avec mon père, en fait. Et il m’a dit des trucs nouveaux. Je me rends compte que
tout n’est pas ta faute. Papa t’a mis dans cette situation alors que tu n’avais rien demandé… J’ai essayé de
me placer de ton point de vue. Ta lettre m’a aidée à y voir plus clair.

— Alors, tu me pardonnes ? On peut laisser tout ce bordel derrière nous ?

J’espérais sans être sûr de rien. Je voulais qu’elle réponde franchement, pour pouvoir construire la suite.
Si on me donnait ma chance, alors j’y allais.

— Ethan, il y a tellement de choses que tu ignores à mon sujet. Tu n’es pas vraiment au courant de ce qui
m’est arrivé, si ?

Cette angoisse dans ses yeux qui faisait soudainement mentir sa jeunesse ! J’aurais voulu être capable de
chasser cette détresse. J’aurais voulu lui dire que, pour moi, ça n’avait aucune importance d’être au
courant ou non. Si c’était à ce point atroce pour elle, si c’était un supplice d’en parler, alors qu’elle ne
me dise rien. Mais Brynne n’était pas comme ça. Elle avait besoin de jouer cartes sur table pour être en
mesure d’avancer.

— Non, je ne crois pas être vraiment au courant. Je n’avais pas compris que ton passé avait laissé de
pareilles cicatrices. Je pensais que cette protection concernait un danger d’espionnage politique. Pour
moi, la question était de savoir qui t’avait prise pour cible. Et puis, quand j’ai compris que tu avais aussi
tes démons, je voulais encore moins t’effrayer ou te blesser. Mon seul but était de te protéger et que, nous
deux, on reste ensemble.

Je parlais tout près de son visage, m’imprégnant d’elle à chaque inspiration.

— Je sais, Ethan. Je comprends, maintenant.

Elle recula et se cala dans son siège.

— Mais le fait est que tu ne sais pas tout.

De nouveau, elle regardait à travers la vitre.

— Ça ne va pas te plaire. Quand tu sauras, tu n’auras peut-être plus… envie de rester avec moi.
— Ne dis pas ça. Je sais exactement ce que je veux.

Je lui pris le menton et l’obligeai à se tourner vers moi.

— Tu vas manger quelque chose, dis-je. Après, tu me diras ce que tu as envie de me dire. D’acc ?

Elle acquiesça d’un imperceptible hochement de tête, comme elle faisait toujours – et le regard docile
qu’elle me jeta en même temps me rendit tellement dingue que ma propre possessivité me surprit.

Je savais qu’elle souffrait et qu’elle avait peur, mais je savais aussi qu’elle était forte, capable de tracer
sa route en dépit de ses hantises. Ça ne changerait rien à mes sentiments. Elle était ma sublime
Américaine et elle le resterait à jamais.

— Je suis avec toi, Brynne, et toi, tu es avec moi maintenant. Autant t’y habituer.

Je lui donnai un baiser sur les lèvres et lâchai son menton.

J’eus droit à un semblant de sourire au moment de passer la marche arrière.

— Tu m’as tellement manqué, Ethan.

— Et moi donc. Tu n’imagines pas.

Je lui caressai la joue encore une fois. Impossible de me retenir. Si je pouvais la toucher, c’est que je
l’avais bien auprès de moi. Sentir le contact de sa peau, percevoir la chaleur de son corps : ce n’était pas
un rêve.

— D’abord, manger. Il faut que tu avales quelque chose de substantiel. Moi, je vais me régaler à regarder
ta jolie bouche seconde après seconde… Qu’est-ce qui te ferait plaisir ?

— Je ne sais pas. Une pizza ? Je ne suis pas vraiment habillée pour aller au restau… Toi, oui.

— Je me fiche de savoir comment tu es habillée, mon cœur.

Je portai sa main à mes lèvres, sa peau était si douce.

— Pour moi, tu es belle dans n’importe quelle tenue… Et même quand tu n’as rien sur toi. Surtout quand
tu n’as rien.

Cette allusion la fit rougir légèrement, ce qui provoqua une pulsation dans mon sexe. J’avais une envie
folle de l’avoir chez moi. De la mettre dans mon lit. Ainsi je pourrais sentir sa présence toute la nuit,
savoir qu’elle était là, près de moi. Pas question de la laisser filer encore.

Elle m’avait dit une fois qu’elle aimait ça, quand je lui baisais la main. Je ne pouvais m’empêcher de le
faire. C’était trop dur de ne pas la toucher ou l’embrasser à chaque instant. Je n’étais pas du genre à me
refuser ce dont j’avais envie. Et c’est d’elle que j’avais envie.

Elle prononça un merci silencieux. Mais le chagrin ne la quittait pas. Elle redoutait la discussion à venir,
sans doute, tout en sachant qu’il fallait y passer. C’était pour son bien : elle avait un aveu difficile à me
faire et j’allais devoir écouter ce qu’elle avait à dire. Si telle était la condition pour que nous puissions
continuer, alors j’écouterais, quoi qu’il fallût entendre.

— Va pour la pizza, dis-je.

Je parvins – non sans mal – à lâcher sa main pour tenir le volant.

J’avais ma petite amie avec moi. Je respirais son parfum, je la voyais, elle était si près de moi qu’il me
suffisait de tendre la main pour la toucher. Et pour la première fois, depuis tant de jours, cette douleur
qui, sans relâche, me torturait la poitrine, avait disparu.
16

La pizza aux chandelles, c’est super quand on est avec la bonne personne. Or, la bonne personne, je
l’avais en face de moi, et peu importe où nous étions tant que nous y étions ensemble. Brynne avait besoin
de manger quelque chose et moi, je voulais entendre son récit. Alors le Bellissima ou n’importe quel
autre restaurant faisait l’affaire.

On nous donna une table dans un coin discret aux lumières tamisées. Une bouteille de vin rouge arriva,
suivie d’une champignon-chorizo géante pour deux. De crainte de mettre Brynne mal à l’aise, j’évitais de
trop la fixer, mais c’était sacrément dur car moi, je ne me rassasiais pas de la regarder. J’étais
littéralement affamé d’elle.

Je déployai tous mes efforts pour me mettre à l’écoute et rester prévenant. Brynne avait du mal à trouver
par où commencer. Je souris et fis quelques commentaires sur cette excellente pizza. J’aurais bien voulu
qu’elle mange un peu plus, mais je m’abstins de m’appesantir sur ce sujet. Je ne suis pas débile. J’ai
grandi avec une sœur aînée et, s’il y a un message que Hannah a réussi à faire passer, c’est que les
femmes n’aiment pas qu’on leur dise ce qu’elles doivent manger ou ne pas manger. Le mieux était de lui
ficher la paix, en espérant que tout irait pour le mieux.

Elle paraissait être partie très loin quand elle commença à me parler de sa vie. Je n’aimais pas la
tristesse qui émanait d’elle ni sa voix au timbre défait, mais là n’était pas la question.

— Mes parents se sont séparés quand j’avais quatorze ans. Je crois que j’ai eu du mal à gérer. J’étais
enfant unique, j’ai peut-être cherché à me faire remarquer ou encore à me venger. Qui sait, au bout du
compte ? Mais bon, le résultat était là : au lycée, j’étais une garce.

Elle leva vers moi un regard gris acier, résolu, elle avait décidé de tout dire.

— C’est vrai. C’est ce que j’étais. Je sortais avec n’importe qui et je me foutais de ma réputation. J’étais
une enfant capricieuse, immature. J’étais stupide. Une vraie écervelée.

Vraiment ! Première nouvelle. Imaginer Brynne ainsi m’était impossible et, de toute façon, je ne le
voulais pas. Mais j’ai un côté pragmatique, et je comprends qu’on a tous un passé, ma petite amie
n’échappait pas à la règle. Elle prit son verre de vin, elle le fixait en le tournant lentement comme si elle
remuait ses souvenirs. Je ne pipai mot. J’écoutais, me pénétrant de cette réalité : Brynne était là, tout près.

— À ce moment-là, en Californie, il y a eu ce scandale qui a fait la une. Le fils d’un shérif avait tourné
une vidéo pendant une fête : une nana ivre morte, lui et ses potes en train de la baiser salement sur une
table de billard.

Mes cheveux se dressèrent sur la nuque. Non, pas ça.


— Je me souviens de cette affaire, dis-je en essayant de ne rien montrer. Le shérif a essayé de faire
disparaître les preuves qui accablaient son fils, non ? Sauf qu’il y a eu des fuites et que ces salopards ont
été condamnés…

— Ouais… Dans cette affaire-là, ils ont été condamnés.

Elle regarda sa pizza, puis elle me regarda, moi, à nouveau.

— Mais pas dans mon cas.

Ses yeux devinrent vitreux ; moi non plus, je n’avais plus faim, subitement.

— Je suis allée à une fête avec ma copine Jessica. On s’est saoulées, bien évidemment. On était tellement
bourrées que j’ai oublié tout ce qui avait pu se passer. Quand je me suis réveillée, je les ai entendus qui
rigolaient et parlaient de moi.

Elle but une longue gorgée de vin avant de reprendre :

— Lance Oakley, c’était – c’est – une vraie ordure, le pervers friqué à qui tout est dû. Son père était alors
sénateur de Californie. Je ne sais pas pourquoi je suis sortie avec lui. Parce qu’il me l’a demandé, voilà
tout. Enfin, je suppose. Comme je t’ai dit, je faisais n’importe quoi. Je me mettais en danger. On aurait dit
que je ne me souciais pas du tout de moi.

J’en ai plus que ma dose.

— Il était déjà à la fac et moi, j’étais en terminale. Quand il rentrait le week-end, il estimait peut-être que
je devais me libérer pour lui, mais il n’y avait absolument rien d’officiel entre nous. Je savais qu’il avait
d’autres conquêtes. Je me demande ce qu’il voulait, peut-être que je me languisse de lui et n’attende que
son retour pour me mettre à sa disposition. J’ai su qu’il a très mal pris que je sorte avec un garçon que
j’avais rencontré lors d’un tournoi d’athlétisme. Cependant, jamais je n’aurais pu imaginer qu’il réagirait
avec une telle cruauté.

— Tu aimais l’athlétisme au lycée ?

— Ouais… la course.

Elle hocha la tête et plongea le regard dans son verre.

— Bon, quand je me suis réveillée, c’était le brouillard complet. Je n’arrivais plus à remuer un membre.
Apparemment, il avait versé quelque chose dans mon verre.

Elle déglutit difficilement, et reprit vaillamment le cours de son récit :

— Ils parlaient de moi mais, au début, je ne savais pas que c’était de moi qu’il s’agissait. Ni ce qu’ils
m’avaient fait. Ils étaient trois, tous en vacances pour Thanksgiving. Je ne connaissais même pas les deux
autres étudiants, ils n’étaient pas de mon lycée.

Elle but une gorgée de vin.


— Ils riaient de quelqu’un. Ils disaient qu’ils lui avaient enfoncé une queue de billard et une bouteille
et… et qu’ils l’avaient baisée, elle n’était qu’une pute qui les avait suppliés de lui faire tout ça.

Brynne ferma les yeux et respira à fond. J’avais mal pour elle. J’aurais voulu les tuer, cet Oakley et sa
bande. J’aurais voulu que son pote n’ait pas été assassiné, tellement j’avais envie de lui régler son
compte moi-même. J’avais eu tout faux. J’avais supposé que des jeunes avaient décidé de tourner une
vidéo indiscrète – je ne m’attendais pas à une véritable agression sexuelle sur une fille de dix-sept ans. Je
lui pris la main et la couvris de la mienne. Elle resta un instant sans bouger et serra les paupières sans
faillir. Une fois de plus, son courage m’impressionnait. J’attendis la suite.

— Je ne me doutais pas que c’était de moi qu’il était question. J’étais tellement partie ! Quand j’ai pu
remuer les jambes et les bras, j’ai voulu essayer de me lever. Ils ont rigolé et m’ont laissée là, sur la
table. Je savais que j’avais eu un rapport, mais j’ignorais avec qui et comment. J’avais la nausée, la
gueule de bois. Tout ce que je voulais, c’était quitter cette maison. Alors j’ai réajusté mes vêtements. J’ai
retrouvé Jessica et on est rentrées en voiture.

Un grognement s’échappa de ma gorge. Je n’avais pas pu le retenir. On aurait dit celui d’un chien. Brynne
sursauta et leva les yeux vers moi, avant de considérer ma main posée sur la sienne. Je me concentrai à
nouveau sur elle et repris le contrôle de mes émotions. Ce n’était pas en perdant mon sang-froid que
j’allais pouvoir l’aider. Lentement, je frottai sa peau avec mon pouce en espérant de toutes mes forces
qu’elle comprenait à quel point ça me faisait mal, qu’elle ait été maltraitée de la sorte ! Son récit se
dévidait dans ma tête. Les agresseurs étaient adultes au moment du crime et elle n’était qu’une mineure.
C’était une info importante. Je me demandais bien pour quelle raison Tom Bennett avait omis de me la
fournir quand il m’avait engagé. Son principal souci était peut-être de protéger la réputation de sa fille.
Pas étonnant qu’il ait pété les plombs en apprenant qu’on couchait ensemble.

— J’aurais tout oublié s’il n’y avait pas eu la vidéo. Je n’avais aucune idée de ce qu’ils m’avaient fait et
encore moins qu’ils avaient filmé la scène. Le lundi, je me pointe au lycée. Et là, le scoop ! Tout le
monde m’avait vue à poil, ivre morte… le jeu avec la queue de billard, la bouteille, la baise, moi
transformée en objet sexuel…

Les larmes roulaient sur ses joues mais elle ne craquait pas. Elle continuait de parler, je lui tenais
toujours la main.

— Tout le monde savait qu’il s’agissait de moi. La vidéo avait circulé tout le week-end. On me voyait
distinctement, les mecs, eux, étaient hors champ, une chanson couvrait le son pour qu’on ne puisse pas
reconnaître leurs voix et les identifier.

Sa voix à elle n’était plus qu’un souffle.

— Une chanson des Nine Inch Nails : Closer. De la vidéo, ils avaient fait un clip. Les paroles défilaient à
l’écran en grosses lettres – Tu m’as laissé te violer/Tu m’as laissé te pénétrer…

Maintenant, elle flanchait. Qu’elle ait pu endurer ça me brisait le cœur. Mais je voulais absolument que
ça remarche entre nous. Alors je l’arrêtai. Il le fallait. Je ne me sentais pas d’en entendre davantage dans
un lieu public. La chose exigeait de l’intimité. On allait rentrer, maintenant. Je la prendrais dans mes bras.
La suite pouvait attendre.
Je serrai sa main, je voulais qu’elle me regarde. Elle plongea dans mes yeux ses grands yeux lumineux
dont les larmes brouillaient la couleur – ces larmes que j’avais tant envie de lécher.

— S’il te plaît, laisse-moi te ramener à la maison.

Je hochais la tête pour qu’elle comprenne que c’était vraiment ce dont nous avions besoin.

— Je veux être seul avec toi, Brynne. C’est tout ce qui compte pour le moment.

Le son qui sortit de ses lèvres me fit une peine immense. Un son à peine audible mais si douloureux… Je
me levai brusquement, l’entraînant avec moi. Dieu merci, elle obéit sans protester. Je jetai des billets sur
la table et emmenai Brynne à la voiture, et là, je la bouclai dans son siège.

— Tu es bien sûr de le vouloir, Ethan ?

Les pleurs lui rougissaient les yeux. Je plantai mon regard dans le sien.

— Je n’ai jamais été aussi sûr de vouloir quelque chose, dis-je.

Penché vers elle, je lui pris la nuque pour l’embrasser. Je lui donnai un vrai baiser sur les lèvres. Je
pressai même ma langue contre ses dents pour qu’elle me laisse entrer. Il fallait qu’elle sache que j’avais
toujours envie d’elle. Je savais qu’elle bataillait avec l’image qu’elle avait d’elle-même et avec celle
que, désormais, j’aurais d’elle. Elle doutait que je puisse continuer de la désirer après avoir appris ce
qui lui était arrivé.

Elle se trompait complètement.

— Tes affaires sont encore là-bas, dis-je. Elles t’attendent. Il faut juste que tu saches une chose…

Je parlais à quelques centimètres de son visage, en perçant son regard jusqu’à l’âme.

— Je n’ai aucune intention de te laisser partir.

Je déglutis avec peine.

— Si tu viens avec moi, tu signes pour le pack complet. Je ne vois pas d’autre façon d’être ensemble.
Moi, je mise le tout pour le tout. Et je veux que tu mises pareil…

— Le tout pour le tout ?

Elle pressa sa paume contre ma joue. Sa question était tellement sincère ! Je couvris sa main de baisers.

— Comme au poker quand on mise tout sur le jeu qu’on a en main. Et mon jeu, c’est toi.

Elle ferma de nouveau les yeux, sa lèvre tremblait légèrement.

— Je ne t’ai pas encore tout dit. Il y a autre chose.

Elle écarta sa main.


— Ouvre les yeux et regarde-moi, dis-je, doucement mais fermement.

Elle obéit tout de suite, j’étouffai un gémissement tant sa réaction m’excitait.

— Peu importe ce que tu ne m’as pas encore dit. Et peu importe ce que tu m’as déjà révélé.

Je secouai légèrement la tête pour me faire comprendre.

— Mes sentiments ne changeront pas. Je sais qu’on va encore parler. La suite, tu me la diras quand tu te
sentiras de le faire… ou quand tu en auras besoin. Je t’écouterai. Quoi qu’il en soit, j’ai besoin de tout
savoir, si je veux pouvoir assurer ta sécurité. Car j’y tiens, Brynne. C’est la promesse que je t’ai faite.

— Oh ! Ethan.

Sa lèvre inférieure frémissait quand elle me regarda à nouveau. Elle n’était pas moins belle dans le
chagrin que dans le bonheur.

Beaucoup de choses la tourmentaient – ces révélations sur son passé, mes réactions et mes sentiments, les
menaces qui pesaient peut-être sur sa sécurité à Londres. Et moi, je voulais à tout prix effacer cette
expression d’angoisse sur son visage. Je voulais qu’elle puisse se libérer de son fardeau et vivre sa vie –
avec moi dans le tableau, si possible. Jamais serment n’avait eu pareille signification à mes yeux. Je
ferais tout pour la protéger. Mais je voulais aussi qu’elle mesure entièrement ce que signifiait le fait de
venir chez moi.

— Ne t’en va plus comme tu l’as fait, Brynne. Si tu as besoin de faire un break, aucun problème. Je le
respecterai et tu auras ton espace à toi. Mais il faut que je sache où tu es et que je puisse venir te voir.
Assure-moi que tu ne disparaîtras pas à nouveau… ou que tu ne m’excluras plus de ta vie.

J’effleurai ses lèvres avec mon pouce.

— J’ai besoin d’en être sûr, chérie. On est d’accord ?

Brynne se mit à respirer plus difficilement. Ses seins se soulevaient sous le top turquoise au rythme de
son souffle. Ses yeux brillaient d’un éclat tremblant. Je voyais bien qu’elle était terrifiée mais il fallait
qu’elle apprenne à me faire confiance si nous devions continuer ensemble. Je misais sur l’espoir qu’elle
accepterait mon offre. En même temps, j’ignorais comment réagir si elle la refusait. Allais-je m’effondrer
? La harceler ? Commencer une psychothérapie ?

— Mais… Je trouve ça tellement difficile d’avoir confiance en l’autre dans une relation amoureuse. Tu es
le premier homme avec lequel je sois allée si loin. Pour la première fois, j’ai dû choisir entre une
relation complexe et effrayante, et une vie tranquille, sans complications… mais solitaire.

Je gémis, la serrant un peu plus fort.

— Je sais que tu as peur, mais je veux quand même que tu nous donnes une chance. Tu n’es pas vouée à la
solitude. Tu es faite pour être avec moi.

Les mots sortirent abruptement mais il était trop tard pour les rattraper.
Brynne m’étonna en souriant légèrement, elle hocha la tête.

— Tu es vraiment différent, Ethan Blackstone. Tu as toujours été comme ça ?

— C’est-à-dire, comme ça ?

— Si exigeant, brusque et direct.

— Je suppose, dis-je en haussant les épaules. Je ne sais pas. Je sais comment je suis avec toi, c’est tout.
J’ai envie de trucs auxquels je n’avais jamais pensé avant. Je te veux, c’est tout ce que je sais. À la
minute présente, je veux que tu viennes chez moi et qu’on reste ensemble. J’aimerais juste que tu me
promettes de ne pas battre en retraite dès que tu te sens mal. Donne-moi ma chance. Ne m’exclus pas.

Je la tenais par les épaules.

— Je suis capable de comprendre si tu me dis ce que tu attends de moi. Et j’ai envie de combler tous tes
besoins, Brynne.

Je lui caressai la base du cou avec mon pouce. Sa peau était tendre, magnétique sous mes doigts. Dès que
je la touchais, je n’arrivais plus à m’en détacher.

Elle renversa la tête et ferma les yeux un instant, s’abandonnant à notre attirance mutuelle, ce qui me
donna de l’espoir. Elle prononça un seul mot. Mon nom :

— Ethan.

— Je crois savoir ce dont tu as besoin. Tu dois juste avoir confiance en moi. Choisis-moi. Choisis-nous.

Elle frissonna. C’était en train d’arriver, je le sentais. Elle hocha la tête et prononça :

— D’accord. Je promets de ne plus m’en aller comme ça.

Je l’embrassai lentement, en prenant son visage dans mes mains. Je glissai la langue entre ses lèvres
douces. Loués soient tous les anges du ciel ! Elle me laissa pénétrer en elle. Oui ! Elle m’ouvrit le
passage et me retourna mon baiser en enroulant sa langue chaude et soyeuse autour de la mienne. Bingo !
J’avais gagné cette manche – je n’avais plus qu’à lever les deux pouces et à remercier ma mère qui est
aux cieux.

Au lieu de quoi, je continuai de dévorer la bouche de Brynne. Mon baiser disait tout : je prenais ses
lèvres, je heurtais ses dents, je cherchais à m’introduire. Plus j’allais loin, plus il lui serait difficile de
me quitter à nouveau. C’est comme cela que je fonctionnais avec elle. L’art de la guerre : je pouvais le
pratiquer sans relâche. Pas de quartier, Brynne ne me quitterait plus de la sorte et ne me cacherait plus
rien. Elle m’appartiendrait et me permettrait de l’aimer.

Elle fondait sous mes lèvres, à chaque instant plus amollie, plus soumise ; c’est ainsi qu’elle se sentait
bien auprès de moi, comme moi je trouvais ma place en prenant le contrôle de la situation. Ça marchait
bien pour nous – ça marchait même très, très bien. Je me détachai d’elle et respirai profondément.

— Rentrons, maintenant.
— Et on fait quoi de notre pas à pas ?

— Le tout pour le tout, chérie. Pour nous, il n’y a pas de meilleure solution.

Je ne prenais pas le risque de lui communiquer les pensées qui me venaient concernant notre avenir, de
peur qu’elle ne cède encore à la nervosité. On aurait bien assez de temps pour en discuter plus tard.

— Il y a encore beaucoup de choses dont il faut que nous parlions, dit-elle.

— On parlera autant que tu le souhaiteras.

On ne fera pas que parler d’ailleurs.

Elle s’abandonna dans son siège, prenant ses aises, et ne se tourna vers moi que quand je sortis du
parking. Dès lors, elle ne me quitta plus des yeux. J’aimais ça, quand elle me regardait ainsi. Putain, oui,
j’adorais ça ! C’était merveilleux de l’avoir à mes côtés, et de sentir qu’elle éprouvait autant de désir
qu’elle m’en inspirait elle-même. Je la regardai aussi dès que je pus détourner le regard de la route.

— Le tout pour le tout, hein ? Tu crois que je devrais apprendre à jouer au poker ?

Je ris.

— Oh ! je pense bien. J’ai comme l’impression que tu serais un as, mon cœur.

J’ajoutai en haussant les sourcils :

— On commence par un strip poker ?

— J’espérais que tu dirais ça, murmura-t-elle en faisant les yeux doux. Bravo de ne pas me décevoir.

Je ris encore. Je l’imaginais en train de s’effeuiller au fil de la partie : c’étaient de fort belles visions et
j’étais sûr de gagner toutes les manches. Une image très tentante que j’invoquais avec grand plaisir.

Elle voulut faire un crochet par son appart pour récupérer, dit-elle, ses cachets. Parlait-elle de ses pilules
contraceptives ou du médicament pour dormir ? Je n’en savais rien et je n’avais pas envie de poser la
question. Sûr qu’il fallait les deux. Je montai avec elle et attendis qu’elle fasse son sac. Je lui
recommandai de prendre des affaires pour plusieurs jours. Mon souhait, c’était qu’elle s’installe chez
moi pour de bon, mais ce n’était pas vraiment le moment de la brancher là-dessus – puisque je n’étais pas
un crétin.

Franchir le seuil de cet appartement éveilla un flot de souvenirs. Le mur à côté de l’entrée était à jamais
gravé dans mon lobe frontal. Le souvenir de Brynne dans sa petite robe à fleurs et ses bottes de cow-boy
ne me lâchait plus. Mon Dieu ! comme elle m’avait fait jouir contre ce sacré mur, ce soir-là. Putain de
mur, je t’adore ! Amusant, non ? Je souriais.

— Qu’est-ce qui te fait sourire ? demanda-t-elle en sortant de la chambre avec son sac.

Elle avait l’air beaucoup mieux qu’en début de soirée. Son tempérament enjoué reprenait le dessus.
— Heu… Je me disais juste que j’aime beaucoup ton mur.

Je la gratifiai de mon plus beau froncement de sourcils et la débarrassai de son sac. Ses lèvres exquises
se séparèrent en une expression de surprise qui tourna aussitôt à la gaieté.

— Tu arrives encore à te débrouiller pour me faire rire, Ethan ! Tu es doué pour ça, décidément.

— Merci. J’aime te faire profiter de mes talents.

L’allusion était transparente. Je l’enlaçai en sortant de l’appartement. Elle aussi jeta un coup d’œil au mur
en passant.

— Je t’ai vue, dis-je.

— Quoi ?

Elle faisait l’innocente. Oh ! elle avait une expression parfaite pour le poker, pas de doute. J’avais hâte
qu’on fasse une partie ensemble.

— Tu as regardé le mur, repris-je, et tu t’es revue en train de me baiser ici même !

Elle m’enfonça son coude dans les côtes.

— Je n’ai jamais fait ça ! Et c’est toi qui m’as baisée, pas le contraire !

— C’est ça.

Je la chatouillais tant qu’elle se tortillait contre moi. C’était merveilleux de l’avoir à nouveau entre mes
bras.

— Avoue-le, chérie : on a baisé comme des dieux.

Le temps que Brynne soit à l’abri chez moi, la nuit d’été était tombée sur la ville.

En route, nous avions fait une dernière halte pour lui acheter un nouveau portable avec un autre numéro.
L’affaire avait presque pris une heure mais c’était nécessaire. Quant à son ancien téléphone, il était
désormais dans ma poche. Toute personne qui chercherait à entrer en contact avec Brynne Bennett aurait
affaire à moi.

Ce soir, j’essaierais peut-être d’enquêter sur le correspondant qui avait tenté de la joindre. Et de parler à
Tom Bennett, aussi. Je n’avais certes pas une envie folle de discuter avec lui, mais je ne voulais pas non
plus me dérober. Hourra, Tom ! Je rebaise ta fille, figure-toi. Au fait, avant que j’oublie, sache que sa
sécurité est entièrement sous mon contrôle, désormais. Je ne sais pas si je t’ai dit qu’elle était à moi. À
moi, Tom. Et ce qui est à moi, j’ai l’œil dessus. Pas touche.
D’abord, je me demandai comment il allait prendre la chose, puis je me rendis compte que je n’en avais
rien à foutre. C’est lui qui m’avait mis Brynne dans les jambes. Et ma priorité, maintenant, c’était elle.
C’est d’elle que je me souciais. J’avais bien l’intention de la protéger et d’empêcher qu’on lui fasse du
mal. À lui de se débrouiller avec ça, comme je m’en débrouillais moi-même.

Je la rejoignis à la fenêtre où elle contemplait les lumières de la ville. La première fois que je l’avais
amenée ici, elle m’avait dit aimer cette vue. Et j’avais répondu que ce que j’aimais, moi, c’était le plaisir
incomparable de la contempler chez moi et que rien ne pouvait être aussi magnifique qu’elle. Je n’avais
pas changé d’avis.

Je posai doucement les mains sur ses épaules. J’avais les lèvres tout près de son oreille.

— Qu’est-ce que tu regardes ?

Elle n’avait pas sursauté, elle avait vu mon reflet dans la vitre.

— La ville. J’aime ces lumières, la nuit.

— J’aime te voir admirer les lumières, la nuit.

Je ramenai ses cheveux sur le côté et lui donnai un baiser dans le cou. Elle pencha la tête pour m’ouvrir
un passage. Je respirais le parfum de sa peau – cette drogue qui me rendait fou.

— C’est si bon de t’avoir ici, murmurai-je.

Je ne pouvais m’approcher d’elle sans devoir me battre pour dominer mes désirs. C’était un problème
nouveau pour moi. Il ne s’était jamais présenté, dans aucune relation antérieure. J’adorais baiser – il se
trouve que je suis un homme, donc doté d’une queue. Je n’avais jamais eu de mal à faire des rencontres.
Les femmes appréciaient mon physique et, comme disait mon père, ça facilitait les choses. Sauf que ça ne
les rendait pas forcément meilleures. Quand les femmes vous courent après parce qu’elles vous trouvent
sexy, et que vous avez un peu d’argent, l’affaire ne tarde pas à se réduire à un rapport des plus basiques.
Un dîner, du cul, parfois suivis d’un second rendez-vous avec partie de jambes en l’air, et puis adieu…
La conclusion de tout ça, c’est que je n’aime pas qu’on se serve de moi. Ça s’était passé ainsi pendant
des années, et j’avais fini par en avoir marre.

Brynne éveillait en moi des réactions différentes, et ce, depuis la première rencontre. Déjà, elle ne
m’avait jamais couru après. Le premier soir, à la galerie, si je ne l’avais pas entendue dans mon oreillette
dire qu’elle me trouvait beau, je n’aurais même pas su qu’elle m’avait repéré. Elle avait juste pressé le
bon bouton ; pour la première fois, je me souciais de la femme elle-même bien plus que du sexe.

Oh ! le sexe comptait toujours mais d’une tout autre façon. Brynne avait fait s’épanouir en moi des
besoins fondamentaux. Elle avait joué le rôle de catalyseur. Elle était ce catalyseur, en fait. J’avais envie
de vivre des choses avec elle et, en même temps, j’étais effrayé par la possibilité de la perdre,
perspective qui m’était insupportable.

Son récit de ce soir m’avait épouvanté. Il expliquait aussi son comportement mystérieux du début. Au
moins, je comprenais un peu mieux pourquoi elle s’enfuyait.

— Je suis heureuse aussi, dit-elle.


Elle poussa un profond soupir.

— Tu m’as beaucoup manqué, Ethan.

Elle se laissa aller contre moi et l’arrondi de ses fesses rencontra mes hanches. Avec juste un short en
lycra me séparant de cette partie merveilleuse de son corps, mon membre se réveilla aussitôt, prêt à
l’action. Il se portait volontaire, résolu à faire son devoir.

Doux Jésus ! Il n’en fallait pas plus pour me déclencher ! Elle allait se rendre compte que je bandais.
Bon, et après ? Je ne pouvais pas me jeter sur elle comme ça, maintenant ! Elle était encore fragile. Elle
n’avait pas fini son récit. Si seulement j’avais pu expliquer ça à ma queue… Je pris la tête de Brynne et
la tournai vers moi, je m’emparai de sa bouche pour un profond baiser, et toute rationalité s’évanouit. Je
lui mordillai les lèvres, je les suçai. J’essayai d’attirer sa langue en moi. Elle avait si bon goût. Brynne
consentit à ce que je voulais et je sus dès lors que je ne pourrais plus faire marche arrière. J’avais trop
envie de reprendre possession de ma femme.

Il fallait vraiment être un beau salaud pour décider de l’emmener au lit sans plus de cérémonie. Alors très
bien, j’étais un sacré salopard.

Il allait falloir faire avec.

Brynne ne cessait de me répéter qu’elle aimait mon côté direct. Elle préférait quand j’exprimais mes
désirs. Comme ça, elle savait à quoi s’attendre. Elle avait besoin que je me comporte ainsi. Alors je pris
une grande inspiration et lui dis ce que je voulais :

— Je veux t’emmener dans mon lit, là, tout de suite. Je veux te prendre dans mes bras et je veux… Je te
veux.

Je fouillais des yeux son visage que je serrais entre mes mains, pour y trouver une réponse.
17

— Moi aussi, je te veux.

Elle hocha la tête et se pencha pour avoir un baiser.

— Emmène-moi dans ton lit, Ethan.

La plus belle phrase jamais entendue depuis des jours ! Je pris les lèvres tendres et offertes. Je soulevai
Brynne et la serrai contre mon torse. Elle enroula ses jambes autour de mes hanches et fourra son visage
dans mon cou. Je poussai un fort grognement et l’emportai. Une fois dans la chambre, la vue du lit aux
draps propres et bien tirés ne m’avait jamais fait autant plaisir. On était lundi ! Annabelle était venue.
Dieu soit loué ! Les draps étaient changés. Adieu, les preuves éclatantes de ma pitoyable masturbation
matinale. Je ne sais pas ce que j’aurais fait. Je pris mentalement note de donner à Annabelle un bon
pourboire en remerciement de sa discrétion.

Je couchai Brynne sur le dos et pris alors le temps de l’admirer. Cette fois, il était important de ne pas se
précipiter. J’avais envie de la chérir, d’accepter ce cadeau qu’elle m’offrait. J’avais besoin de me
délecter d’elle.

Ses cheveux lui couvraient les épaules. Ses yeux se révélaient plus verts avec ce top turquoise qu’elle
portait toujours. Elle n’allait plus le garder longtemps.

Je commençai par lui ôter ses chaussures de sport. Puis je fis glisser les socquettes. Je massai ses pieds
et remontai le long de sa jambe, jusqu’aux hanches et à la ceinture de son short. Mes doigts s’insinuèrent
sous le tissu. Le short descendit sur la peau – révélant le nombril, les os des hanches, le ventre, la chatte
et les longues jambes qui s’enrouleraient autour de moi tout à l’heure, quand je serais profondément
enfoncé dans son intimité. Doux Jésus.

Si ma chérie posait comme modèle, ce n’était pas par hasard. Elle posait nue. Son corps avait le pouvoir
de me réduire au silence. Mais le moment n’était pas encore venu de sortir mon propre joyau. Je tendis
les mains vers le top turquoise. Lui aussi s’enlevait d’un coup : elle ne portait rien dessous. Je faillis
lâcher un Oui ! triomphal. À peine le top enlevé, ses seins prirent plus d’espace.

— Brynne… Ma belle…

J’entendais mes lèvres prononcer son nom comme malgré moi. Il fallait que je la voie nue encore et
encore. Je voulais me la remettre en mémoire. Je voulais m’assurer que j’avais le droit de la toucher et
qu’elle m’acceptait. Je voulais désespérément enregistrer une petite partie d’elle-même avant de pouvoir
aller plus loin.

Doucement, je la léchai de son nombril à un sein parfait. J’aspirai entièrement le téton et le suçai à fond.
J’attirai Brynne en moi, tout en la caressant avec mes doigts. C’était si doux ! Le téton s’épanouit et se
durcit sous ma langue. Mais son jumeau attendait son tour et je devais me montrer équitable : la justice
exigeait que ces deux merveilles reçoivent le même traitement.

Elle succombait, offerte et si sensuelle à mes regards avides qu’elle comblait. Un vrai portrait. Mais un
portrait réservé à moi seul. Non, c’est faux. Cette idée énervante ne dura pas. Je la repoussai bien vite –
ainsi que celle d’autres la voyant nue – dans les oubliettes de mon esprit. À la minute présente, c’est moi
qui étais à la fête. Le moment était venu de célébrer.

J’avais besoin de sentir cette chair sous ma langue et mes lèvres. Le désir était si fort ! C’est en tremblant
que je retirai mes souliers et débouclai ma ceinture. Je me déshabillai à la hâte, conscient que Brynne
observait chacun de mes gestes en promenant partout ses regards. De la voir m’admirer ainsi, j’en avais
des douleurs dans les couilles et ma queue brûlait. Rien que pour elle.

Je m’agenouillai sur le lit. Je ne savais absolument pas par où commencer. Brynne était un authentique
banquet offert à mon désir. Elle pliait légèrement les jambes, mais sans révéler ce que j’avais envie de
voir. L’urgence s’imposa et les mots s’échappèrent tout seuls de mes lèvres :

— Écarte les cuisses et montre-moi. Je veux voir ce qui m’appartient, chérie.

Doucement, elle plia les jambes. Ses pieds remontèrent et reposèrent bientôt à plat sur le drap. Je retenais
mon souffle. Je sentais mon cœur cogner. Elle écarta une jambe, puis l’autre. Aussi simple que cela. Elle
faisait ce que j’attendais d’elle. Ce mouvement parfait, qui exprimait une soumission si exquise, fit courir
une secousse de volupté le long de ma queue. Mais j’étais loin d’être satisfait. Ce que je voulais, c’était
prendre mon temps et m’en mettre plein la vue, avant d’obtenir ce qui m’avait été refusé depuis tant de
jours.

— Lève les mains par-dessus la tête et accroche-toi au lit, lui dis-je.

Son regard vacilla puis se concentra sur ma bouche.

— Fais-moi confiance. Ça va être tellement bon, ma chérie, tu verras. Laisse-moi faire.

— Ethan, murmura-t-elle.

Mais elle obéit. Elle leva lentement les bras, croisa les poignets au-dessus de sa tête et saisit le bord du
matelas. La perfection de ces seins avec leurs tétons couleur framboise ! Ils imploraient ma langue pour
d’autres caresses encore. Je me repenchai sur eux. Je suçai leur chair tendre et sensible, modifiant leur
consistance et admirant leur métamorphose. Brynne se moula à moi de ses mouvements rythmés.

J’éloignai mes lèvres de son corps. Je tendis la main vers ses seins. Je fis rouler un téton entre mes
doigts, et le pinçai légèrement en tirant dessus. Elle gémit et se cambra tout en gardant les bras relevés. Je
pinçai son deuxième téton et la regardai tendre ses hanches vers moi, ses jambes s’écartèrent pour
exposer encore plus cette partie d’elle-même que j’avais tellement envie de contempler à nouveau.

— Tu es si belle, comme ça, dis-je tout près de son ventre.

Je déposai des baisers sur son corps tout en glissant vers là où je voulais poser ma bouche. Je
l’embrassai, la réaction de Brynne fut un ravissement. Elle frissonna sous la caresse. Ma langue parcourut
ses plis intimes en la pressant de s’ouvrir comme une fleur. Ma fleur. Elle fléchissait ses muscles et
poussait des plaintes – de délicates petites plaintes de plaisir et de désir. Elle avait envie de ce que je
pouvais lui faire. Elle avait envie de moi.

— Putain ! Tu es… tu es tellement belle, Brynne, murmurai-je tout contre sa chair.

— C’est toi qui me rends belle, bredouilla-t-elle dans un souffle, en s’ouvrant davantage.

— Voilà… Donne-toi à moi, chérie.

J’embrassai les lèvres de sa vulve comme j’aurais embrassé sa bouche.

— Je vais te faire jouir à fond, et tu ne pourras penser à rien d’autre qu’à moi…

— Fais-le, je t’en supplie…

Je poussai un grognement.

— Te faire jouir avec ma langue, c’est ce qu’il y a de plus excitant au monde. Ta façon de bouger. Tes
saveurs intimes. Tes gémissements…

— Ahh…

Elle gémissait justement, et remuait sous ma bouche. Cette plainte exquise. J’y allai à fond tandis qu’elle
criait en se cambrant pour m’offrir son sexe. Je la maintenais ouverte et dévorais sa chair tendre et
tremblante. Je ne pouvais plus m’arrêter ni même ralentir le rythme. Sa chatte pressée contre mes lèvres,
je n’avais plus qu’une obsession, me frayer encore et encore un chemin avec ma langue dans son univers
intime. Je ne cessai pas de la ramoner tout en frottant son clitoris jusqu’à ce qu’elle jouisse.

— Oh ! mon Dieu, Ethan ! cria-t-elle en se convulsant comme l’orgasme s’emparait d’elle.

Je répondis par un grognement. J’étais presque incapable de parler. Je parvins à lancer néanmoins :

— Et maintenant, tu vas remettre ça !

Je me redressai pour que mon sexe se rapproche du sien. Quand ils se touchèrent, je tressaillis comme
sous une décharge électrique. Nos yeux se croisèrent. Les siens étaient grands ouverts. J’étais sur le point
de la posséder.

Ma queue glissa d’un coup en elle. Impossible d’attendre une seconde de plus. Quand je la pénétrai, elle
laissa échapper une plainte, le chant le plus excitant qui pût exister. Putain, qu’elle était bonne – serrée,
ardente. Elle m’engloutissait. Ses muscles intérieurs se refermaient sur ma chair avec toute la puissance
de son orgasme. C’était si voluptueux que c’en était effrayant : je prenais conscience du pouvoir qu’elle
exerçait sur moi. Elle me retenait captif. C’était ainsi depuis le début. Sexe ou pas sexe, elle me tenait
dans ses liens.

Elle épousa mon rythme. Elle recevait chacun de mes coups de boutoir comme s’il en allait de sa vie.

— Je vais te baiser jusqu’à te faire jouir encore !


C’est ce qui arriva.

Brynne eut droit à tout : les assauts de ma queue dans sa tendre alcôve, nos corps qui claquaient l’un
contre l’autre et nous rapprochaient toujours davantage. Mon visage était suspendu au-dessus d’elle. Mes
yeux plongés dans les siens. Mon corps s’emparait de son corps. Et je ne voyais qu’elle. C’est elle que
j’éprouvais. Elle, que j’entendais. Elle.

Une tension intérieure la gagna, son regard s’agrandit encore, elle ouvrit la bouche. Je la voulais aussi :
j’y posai les lèvres et y fourrai ma langue. J’étouffai ses cris quand elle eut son orgasme. Je lui offris le
mien dès que le plaisir se rua dans mes couilles. Une violente jouissance s’annonçait : une explosion
indescriptible, une volupté que les mots échouent à dire jaillit de ma queue. Emporté par Brynne, je la
chevauchai jusqu’à basculer dans l’oubli.

Mon corps ralentit puis s’arrêta, restant enfoui dans celui de Brynne qui était encore pris de convulsions.
Je n’avais aucune envie d’en sortir jamais. Comment aurais-je pu ?

Le temps s’apaisa. On reprenait notre respiration. Le simple besoin d’emmagasiner de l’oxygène nous
pompait toute notre énergie. Le cœur de Brynne battait sous ma poitrine. Les derniers spasmes de plaisir
s’échappaient de ma queue prise entre les parois serrées de son sexe. Putain, que c’était bon.

Je finis par trouver la force de détacher mes lèvres de sa peau. Suspendu au-dessus de son visage, je
cherchai une approbation dans ses yeux tout en redoutant ce qu’ils allaient me renvoyer. La dernière fois
que nous nous étions trouvés dans cette position, il s’en était suivi une affreuse séquence. Elle t’a
demandé de la laisser et elle a pris la porte.

— Je t’aime.

Phrase murmurée, à peine audible, tout près de son visage. Ses yeux brillèrent et des larmes perlèrent de
ses cils. Elle se mit à pleurer.

Ce n’était pas vraiment la réaction que j’avais espérée. Je me retirai d’elle et sentis nos humeurs
s’écouler entre nous. Mais Brynne devait me surprendre une fois de plus. Au lieu de s’écarter, elle se
blottit contre ma poitrine et s’y cramponna en sanglotant doucement. Certes, elle pleurait mais elle
n’essayait pas de s’enfuir. Au contraire, elle cherchait du réconfort. Décidément, l’esprit féminin était à
jamais un mystère pour moi.

— Dis-moi que tout va bien se passer, dit-elle entre deux sanglots… Même si ce n’est pas vrai.

— Tout va bien se passer, chérie. Je ferai en sorte qu’il en soit ainsi.

J’avais tellement envie d’une de mes cigarettes Djarum que déjà le goût m’en piquait la gorge. Mais je
continuai de serrer Brynne contre moi en lui caressant les cheveux. J’enfonçai les doigts dans ce monde
soyeux, encore et encore, jusqu’à ce qu’elle ne pleure plus.

— Pourquoi ? demanda-t-elle au bout d’un moment.

— Pourquoi quoi ?

Je lui donnai un baiser sur le front.


— Pourquoi tu m’aimes ?

Elle chuchotait, mais la question m’était parvenue claire et distincte.

— Je n’ai pas le pouvoir de modifier ce que je ressens, Brynne, ni ce que je sais. Je sais que tu es mienne
et que je dois suivre ce que mon cœur me dicte.

Elle ne pouvait pas encore me dire la même chose. Je savais que je comptais pour elle mais elle avait la
conviction, je crois, de ne pas mériter d’être aimée. Elle pensait qu’elle ne méritait rien. Ni de recevoir
ni de donner.

— Je n’avais pas fini mon récit, Ethan.

Bingo.

— De quoi tu as peur ? demandai-je.

Elle se raidit entre mes bras.

— Dis-moi ce qui te fait peur, chérie.

— J’ai peur que tu arrêtes.

— Que j’arrête de t’aimer ? Non. Cela ne peut pas m’arriver.

— Même quand tu sauras tout ? Je suis un vrai bordel, Ethan.

Elle leva vers moi ses yeux qui brillaient à nouveau de couleurs différentes. Je lui embrassai le bout du
nez.

— Mmm… J’en ai suffisamment appris déjà et ça ne change rien à mes sentiments. Tu ne peux pas être
pire que moi. J’exige que tu cesses de te tourmenter. Et en effet, tu es un vrai bordel, là, ici. Mais c’est
entièrement de ma faute.

Ma main se faufila entre ses cuisses. Je remontai les doigts vers le centre de son corps, où je trouvai ce
que j’y avais laissé. L’homme des cavernes en moi se réjouissait d’avoir déposé là tout ce foutre, mais
elle ne partageait sans doute pas ce sentiment.

— Allons prendre un bain tous les deux, et parler.

Elle avait écarquillé les yeux à ce contact. Mais elle fit oui de la tête.

— Bonne idée.

Je roulai hors du lit pour aller faire couler le bain. Elle me suivit des yeux, regardant mon dos. Je savais
qu’elle fixait mes cicatrices. Je devinais qu’elle ne tarderait plus à m’interroger là-dessus. Moi aussi,
j’allais devoir lui parler de ce putain de maudit désastre qu’avait été mon passé. Je n’en avais aucune
envie. Mon instinct se rebellait à l’idée d’emmener Brynne dans ce bourbier, mais jamais plus je ne lui
cacherais la vérité. Avec elle, ce n’était pas une option : j’avais compris la leçon.
Je versai du bain moussant et réglai la température de l’eau. Je relevai la tête quand elle me rejoignit
dans la salle de bains. Belle et nue. Même amaigrie, sa splendeur me coupait le souffle. Je me surpris à
fantasmer sur une nouvelle partie de baise façon préhistorique, mais siphonnai ma pulsion pour laisser
opérer à nouveau le côté rationnel de mon cerveau. Il fallait vraiment qu’on ait une discussion, et le sexe
avait pour effet de toujours tout renvoyer aux calendes grecques. Vil et lubrique salopard, va !

C’est pourquoi je préférai lui prendre la main et la faire entrer dans le bain avec moi. Je m’assis et la fis
asseoir, de sorte que son derrière glissant se retrouve collé à mon sexe, lequel se ranima aussitôt. Je priai
ma queue de se calmer, bon sang !, et lui proposai de troquer le cul de Brynne contre celui de Muriel, la
marchande de journaux affublée d’une moustache. Le résultat ne se fit pas attendre. Muriel était très laide.
Était-ce seulement une femme ? Un être humain ? Je la voyais plutôt comme un alien expédié chez nous
par des extraterrestres pour apprendre la langue du pays sous couvert de nous vendre des journaux. Je
crois que j’avais très envie d’une Djarum, à nouveau. Et même de plusieurs.

Brynne renifla.

— Tu fumes dans la salle de bains ?

— Ça m’arrive.

Cette fois, j’allais devoir arrêter pour de bon.

— Maintenant que tu es là, fini de fumer dans l’appart.

— Ça ne me dérange pas, Ethan. C’est agréable, ce parfum d’épices et de clou de girofle. Mais ce n’est
pas bon pour toi. C’est ça qui m’embête.

— J’essaie d’arrêter.

Je glissai les mains sur ses bras, puis sur un sein qui avait l’air de flotter à la surface de l’eau.

— Grâce à toi, je devrais y arriver. Tu me motiveras. D’accord ?

Elle prit une grande inspiration et hocha la tête. Puis elle commença à parler.

— Je n’ai jamais remis les pieds au lycée. J’ai arrêté à six mois du bac. Mes parents étaient bouleversés,
tellement j’avais changé. Ils n’ont pas mis longtemps à entendre parler de la vidéo, de toute façon. Ils se
sont disputés sur ce qu’il fallait faire. Ils n’étaient pas du même avis. Je m’en fichais. Dans ma tête,
j’étais ailleurs. Et j’allais très, très mal. C’est dur à admettre, mais c’est la vérité. Émotionnellement,
j’étais détruite. Je n’avais aucun moyen d’échapper à mes démons.

Je lui fis un baiser sur la nuque. Je la serrai plus fort. Les démons : je connaissais. Ces fumiers
sataniques.

— Je peux te demander pourquoi tes parents n’ont pas porté plainte pour agression contre ces trois
ordures ? Je ne peux pas croire qu’il aurait été difficile de les faire arrêter. Des adultes ! Alors que toi, tu
étais mineure… Et il y avait la vidéo comme preuve.

— Papa les voulait derrière les barreaux. Mais maman avait peur que ça fasse trop de bruit. Selon elle,
ma réputation de salope risquait de nous contaminer tous, notre nom serait traîné dans la boue et ça allait
troubler le bel ordre social. Elle avait sûrement raison. Mais je répète, je m’en fichais de ce qu’ils
allaient faire. J’étais perdue.

— Oh, ma chérie.

— C’est là que je me suis aperçue qu’ils m’avaient mise enceinte.

Je m’immobilisai en entendant ça. Oh, putain…

— J’étais à bout. Je… J’étais incapable de gérer un truc pareil ! Papa ne savait pas comment procéder en
pareil cas. Il s’est adressé au sénateur. Maman a pris rendez-vous pour un avortement. Moi, je n’arrivais
plus du tout à faire face. Je ne voulais pas d’un enfant. Mais je ne voulais pas non plus tuer ce qu’il y
avait en moi. En fait, je ne voulais qu’une seule chose : tout oublier, mais chaque personne, chaque chose
concourait à me remettre ça en mémoire ! J’imagine que j’aurais pu me reprendre et agir si je n’avais pas
été aussi mal. D’un autre côté, si je ne m’étais pas autant dépréciée, je ne serais jamais allée à cette fête
et je n’aurais jamais fini sur cette table de billard.

— Je suis vraiment désolé, dis-je doucement mais d’un ton ferme, pour qu’elle sache ce que j’éprouvais
vraiment. Écoute, chérie, tu n’es pas coupable de ce qui t’est arrivé.

Je parlais tout près de son oreille.

— Tu as été victime d’un crime. On t’a abominablement maltraitée. Ce n’était pas ta faute, Brynne,
j’espère que tu l’as compris maintenant.

Je lui frottai les bras et répandis de l’eau chaude sur sa peau.

Ayant trouvé contre mon corps une position plus confortable, elle respira profondément.

— Je pense, oui, dit-elle. En grande partie, du moins. Le docteur Roswell m’a aidée. Et j’ai trouvé ma
place dans ce monde : ça m’a aidée aussi. Mais à l’époque, j’étais foutue. Ma vie était foutue. Je ne
voyais pas d’issue.

Toute chaleur était en train de me quitter. Je me préparai à entendre la suite. C’était comme un naufrage
qui se déroule sous vos yeux et que rien ne peut empêcher d’arriver. Il fallait que je sache mais, en même
temps, je ne voulais rien savoir. Je n’avais pas envie d’accompagner Brynne dans ses gouffres obscurs.

Elle remua dans l’eau. Elle fit tournoyer ses doigts dans la mousse.

— Ce jour-là, j’étais calme. Je ne m’étais jamais sentie aussi calme. En me réveillant, je savais ce que
j’avais à faire. J’ai attendu que mon père parte au travail. Je m’en voulais de faire ça chez lui, mais je
savais que ma mère, elle, ne m’aurait jamais pardonné si je l’avais fait chez elle. Je leur ai écrit des
lettres d’adieu, et je les ai posées sur mon lit. Après, j’ai pris une poignée de somnifères volés dans la
réserve de maman. Je suis entrée dans la baignoire, et je me suis ouvert les veines.

— Non…

Une tenaille me broyait le cœur. Que faire, à part garder Brynne dans mes bras, éprouver la chaleur de
son corps, lui faire sentir ma gratitude de l’avoir vivante, auprès de moi, à la minute présente ? Je
l’imaginais en train de mettre fin à ses jours. Si jeune. Quelle douleur de penser qu’elle n’avait pas eu
d’alternative. Je connaissais mes sentiments pour elle. Mais maintenant j’étais saisi d’épouvante.

— Sauf que là aussi, j’ai merdé. Je me suis endormie. Je n’avais pas entaillé assez profondément, pas
assez pour saigner. En tout cas, c’est ce qu’on m’a raconté après. Le vrai danger, de loin, c’étaient les
somnifères. Papa m’a trouvée à temps. Il est rentré à l’heure du déjeuner car il s’inquiétait pour moi. Il
m’a dit qu’il avait eu un mauvais pressentiment, une ombre qui avait plané sur lui toute la matinée. Alors
il est rentré. Et il m’a sauvé la vie.

Brynne frémit légèrement, elle se tourna un peu plus et appuya sa joue contre ma poitrine.

Merci, Tom Bennett.

— Je suis tellement heureux que tu aies merdé, dis-je à voix basse. Ma petite amie ne saurait exceller en
toute chose.

J’essayais de mettre un peu de légèreté mais ce n’était pas à moi de parler. Mon rôle était d’écouter. Je
lui embrassai les cheveux et posai ma main sur son cœur.

— Je remercierai ton père, murmurai-je.

— Je me suis réveillée dans un service psychiatrique. Les premiers mots de ma mère ont été pour me dire
que j’avais fait une fausse couche, et que j’avais aussi fait quelque chose de vraiment stupide et égoïste.
Les médecins avaient dû me mettre sous surveillance pour risque suicidaire. Elle ne savait pas gérer. Je
sais que je la gênais. Maintenant que j’ai grandi, je me rends compte de ce que j’ai fait vivre à mes
parents. Mais elle, à l’époque, elle n’avait pas l’air capable de regarder la vérité en face. Elle n’arrêtait
pas de répéter que c’était une bénédiction, que je ne sois plus enceinte. Comme si c’était le problème
principal ! Bon, on n’a pas une relation facile. Elle n’approuve quasiment rien de ce que je fais.

Brynne soupira de nouveau contre ma poitrine. Je continuais de la toucher pour m’assurer qu’elle était
bien là près de moi. Oui, elle était bien là, nue dans un bain chaud, blottie entre mes bras, en train de me
révéler ses plus lourds secrets après que nous avions baisé à nous en faire exploser les sens. Je n’avais
donc pas de raison de me plaindre. Quoique. Une ou deux, peut-être. Mais pas question de les formuler.
Je continuai de verser de l’eau sur ses bras et ses seins, tout en songeant que je n’étais pas du tout
d’accord avec sa mère. Quelle mère irait dire de telles choses à sa fille qui venait de réchapper à une
tentative de suicide ?

— Après tout ça, mes parents m’ont envoyé dans un bel endroit au Nouveau-Mexique, en plein désert. Ça
a pris du temps, mais j’ai récupéré. J’ai appris à vivre avec mon passé. Ce n’était pas merveilleux, mais
disons que cela allait un peu mieux. J’ai découvert que je m’intéressais à l’art. J’ai grandi.

Elle marqua de nouveau une pause dans son récit, l’air de vouloir mesurer comment je prenais tout ça, si
j’étais choqué par elle, voire horrifié. Elle avait grand tort de se tourmenter. Je pris ses poignets dont
j’embrassai les cicatrices. Petites marques blanches sur sa peau parfaite, aux éclats translucides, qui
laissait deviner les veines bleutées. Penser qu’elle avait entaillé cette peau et enduré ça… Ça m’attristait
profondément.
J’eus une soudaine illumination – Brynne avait essayé de se donner la mort à peu près à l’époque où
j’étais prisonnier en Afghanistan et sur le point d’être…

Elle unit ses doigts aux miens et ce geste m’arracha à mes pensées. Elle éleva nos deux mains jusqu’à ses
lèvres. C’est elle, à présent, qui m’embrassait les mains. Une onde de chaleur me traversa le corps,
sensation extraordinaire que je m’efforçai de retenir le plus longtemps possible. J’étais trop ému pour
pouvoir parler.

— Je n’ai jamais su que papa était allé voir le sénateur Oakley pour le faire chanter – autant appeler les
choses par leur nom. Il était fou de rage ! Il avait failli perdre sa fille et pour lui, tout était la faute de
Lance Oakley. Il aurait bien engagé des poursuites, mais il s’est rendu compte que je n’étais pas en
mesure d’affronter un procès et que je ne le serais certainement jamais. En plus, ma mère insistait pour
qu’il laisse tomber. Elle voulait que je guérisse tranquillement. Il a fini par se convaincre qu’il valait
mieux renoncer à une action légale. Mais il voulait quand même une compensation. Le sénateur Oakley,
lui, tout ce qu’il voulait, c’était enterrer au plus vite cette horreur et, que surtout, elle ne vienne jamais
entacher sa carrière politique. Alors il a obligé son fils à s’engager dans l’armée. Il avait donc réglé son
plus gros problème quand Lance est parti pour l’Irak. Après, il s’est débrouillé pour que je sois prise à
l’université de Londres. J’allais assez bien désormais pour quitter le Nouveau-Mexique et me lancer dans
des études. Londres avait été choisi principalement parce que c’était loin et aussi, parce que l’art était
ici. Je parlais la langue, tante Marie y vivait, donc je ne serais pas complètement livrée à moi-même dans
un pays étranger. J’aurais au moins un peu d’attaches familiales.

— Donc, pendant toutes ces années, le sénateur savait exactement où tu étais ?

C’était vraiment la merde. La situation était bien plus grave que je ne l’avais envisagé. Brynne courait
potentiellement de très grands dangers.

— Ça, murmura-t-elle, je ne l’ai su que la semaine dernière. Je croyais être arrivée ici sur la foi de mes
seuls mérites.

— Je comprends que tu l’acceptes difficilement, mais ton diplôme récompense tes qualités qui sont
exemplaires dans ton domaine. J’ai vu ton travail et je sais que tu excelles dans ce que tu entreprends.

Je l’embrassai, puis j’ajoutai sur un ton moqueur :

— Mon adorable intello professeur Bennett, toquée d’art.

Elle riait.

— Ma belle artiste.

Je l’obligeai à se tourner vers moi. Nos lèvres se rencontrèrent. Je savais que nous pensions tous les deux
à ces plaisanteries que nous avions échangées un matin dans la voiture : le professeur châtiant l’élève
indiscipliné. Le professeur, c’était elle. Moi, j’étais le vilain élève.

— Tu es dingue, dit-elle contre mes lèvres.

— Dingue de toi, répondis-je en la serrant plus fort. Mais la vérité, c’est que le sénateur Oakley te doit
mille fois plus que ce qu’il a fait pour toi, bien que cela ne me plaise pas du tout d’apprendre qu’il sait
exactement où tu es et ce que tu fais…

— Ça me fait peur à moi aussi. Papa m’a dit qu’Éric Montrose était mort dans un bar malfamé pendant
une permission de Lance. Et il… il était sur la vidéo. Je n’ai jamais revu aucun d’eux après cette nuit-là.
Même Lance Oakley, je ne l’ai pas revu.

Le son de sa voix ne me disait rien qui vaille, ni le fait qu’elle se remémore ce qu’elle avait eu à subir
entre les pattes de ces dégénérés. L’un d’eux était mort : tant mieux. Ça ne me dérangeait pas du tout. Je
priais seulement pour que sa disparition n’ait rien à voir avec cette vidéo et l’enquête préalable à
l’investiture du sénateur.

J’aidai Brynne à sortir de la baignoire.

— Je veillerai à ce qu’il ne t’arrive rien, tu n’as pas besoin d’avoir peur. Tout est sous contrôle.

Je lui souris en lui séchant les jambes avec une serviette.

— Demain, je parlerai à ton père afin d’en apprendre le plus possible sur le sénateur Oakley.

Je lui essuyai aussi les bras, le dos, les seins – une activité à laquelle je ne demandais qu’à m’habituer.

— Laisse-moi m’occuper du sénateur, dis-je. Je vais envoyer des hommes tâter le terrain et je verrai les
infos qui me reviennent. Personne ne s’approchera de ma belle sans passer par moi d’abord.

Elle sourit et me croqua la lèvre inférieure d’un petit baiser. J’avais toutes les peines du monde à me
retenir de ne pas la renverser sur le bord du lavabo et de la prendre à nouveau.

La peau de Brynne, naturellement ambrée, était devenue rose sous l’effet du bain chaud. Elle était si belle
qu’il était impossible de la regarder sans éprouver du désir. N’y pense pas. Je me calmai et continuai de
sécher ses courbes sublimes, adorables même si elles avaient perdu un peu de leur rondeur. Elles étaient
à moi. Brynne se tenait avec grâce face à moi, sans paraître le moins du monde affectée par notre nudité
dans une telle proximité. Comment faisait-elle, bon Dieu ? J’en avais une petite idée, à vrai dire. Elle
était modèle. Elle posait nue. Elle avait l’habitude. Arrête de penser à ça !

Je n’avais pas le souvenir d’avoir jamais été gouverné par les exigences de mon sexe comme je l’étais
aujourd’hui. Au début, peut-être. Mais jamais à ce niveau d’intensité. Littéralement, je me consumais.
J’avais besoin de baiser Brynne comme j’avais besoin de manger et d’avoir un toit au-dessus de la tête.

Tout le monde a droit au minimum, Brynne. De la nourriture, de l’eau… un lit.

Elle éveillait en moi des émotions dont j’avais ignoré même l’existence jusqu’à ce fameux soir, à la
galerie Andersen, où je l’avais entendue raconter des absurdités sur mon compte, et sur la façon dont je
me servais de ma main.

Avec un sourire envoûtant, elle me vola la serviette. Elle s’en servit pour cacher cette divine nudité dans
une enveloppe de coton crémeuse et soyeuse. Quelle pitié. Elle entra dans la chambre où je l’entendis
ouvrir et refermer des tiroirs. J’aimais les bruits que suscitait sa présence, j’aimais quand elle s’affairait
et se préparait pour aller se coucher. J’attrapai une serviette et me séchai à mon tour. J’étais comblé de
gratitude à l’idée de dormir cette nuit avec Brynne dans mes bras.
18

J’ouvris les yeux dans le noir en respirant l’odeur de Brynne, je compris alors où nous étions et j’en fus
heureux. Elle est là, dans ton lit. Je me gardai de la réveiller. Elle était tournée de mon côté, mais la tête
inclinée vers le bas et entourée de son bras. J’étais ravi, chose qui ne m’était pas arrivée depuis des
jours. Je restai plusieurs minutes à la regarder respirer. J’avais envie de la toucher mais je la laissai
dormir. Mon Dieu ! elle en avait grandement besoin.

Besoin. Moi aussi, désormais, j’avais des besoins. Et beaucoup. Des besoins que Brynne seule pouvait
satisfaire. C’en était effrayant. Un mois plus tôt, je n’aurais pu imaginer qu’il fût possible d’aimer une
femme ainsi, et maintenant, je n’imaginais même plus ma vie sans Brynne. À croire qu’être séparé d’elle
m’avait bel et bien changé, et à jamais.

Je pris une profonde inspiration et retins l’air en moi. Des draps, émanait une légère odeur de sexe, mais
c’était surtout le parfum de Brynne qui m’intoxiquait – une senteur de propre et de fleurs. Il m’avait
intoxiqué dès notre première rencontre. Elle sentait tellement bon que la laisser seule était un crève-cœur.
Je me levai tout de même, avec précaution, pour enfiler un pantalon et un tee-shirt.

Je traversai le séjour et gagnai mon bureau en laissant la porte de la chambre entrouverte, au cas où
Brynne se réveillerait en plein cauchemar. J’avais grand besoin d’une cigarette, grand besoin aussi de
parler à son père.

— Tom Bennett.

Cet accent purement américain, à l’autre bout de la ligne, me rappela que Brynne était bien loin de sa
famille. Cependant, j’étais heureux qu’elle se sente chez elle à Londres.

— C’est Ethan.

Je tirai une longue bouffée de ma cigarette. Il y eut un temps de silence puis un flot de questions.

— Brynne est en sécurité ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Où est-elle ?

— Il ne s’est rien passé, Tom. Elle dort. Elle est parfaitement en sécurité.

J’aspirai une autre bouffée.

— Vous êtes avec elle ? Attendez… Elle est chez vous, là ?

Le silence s’épaissit encore. Il devint même problématique. Tom Bennett était en train de comprendre ce
que je venais de faire avec sa fille.

— Alors vous deux, dit-il, ça s’est arrangé. Écoutez, je suis désolé pour cet appel…
Je l’interrompis :

— Vraiment ? Oui, Brynne est chez moi maintenant. Et j’ai bien l’intention de la surveiller de très près,
Tom.

J’écrasai ma Djarum en me promettant d’en allumer une autre quand cette conversation aurait pris fin.

— Pour info, repris-je, je n’ai pas non plus l’intention de m’excuser d’être avec elle. C’est vous qui avez
créé cette situation. Moi, je suis juste le type qui est tombé amoureux d’une belle, d’une merveilleuse
jeune femme. On n’y peut rien, pas vrai ?

Tom émit un bruit qui trahissait, me sembla-t-il, quelque frustration. Il n’avait pas explosé de fureur et
c’était à mettre à son crédit – mais peut-être gardait-il sa colère pour lui.

— Écoutez, Ethan… Tout ce que je veux, c’est qu’elle soit en sécurité. Brynne est grande, elle sort avec
qui elle veut. Pourvu que ces salauds ne l’approchent pas et ne viennent pas lui rappeler tout ce bourbier.
Vous n’imaginez pas ce qu’elle a enduré. Elle a bien failli y laisser sa peau.

— Je sais. Elle m’a tout raconté ce soir. J’aurai moi-même deux ou trois trucs à vous dire.

— Allez-y, dit Tom, impatient.

— En premier lieu, j’aimerais vous remercier d’avoir suivi votre instinct et d’être revenu chez vous, à
l’heure du déjeuner ce jour-là, pour vous assurer qu’elle allait bien. Ensuite, j’aimerais vous poser une
question.

Je marquai un temps, histoire de ménager mon effet.

— Qu’est-ce qui vous a pris, putain de bordel, de ne pas me dire ce qui était vraiment arrivé à votre fille
? Le savoir, c’est le pouvoir, Tom. Comment vouliez-vous que j’assure sa protection, sans être informé de
ce qu’ils lui avaient fait ? Merde ! Ce que Brynne m’a décrit n’a rien à voir avec une quelconque vidéo
cachée comme vous y aviez fait allusion, c’était une agression criminelle perpétrée sur une gamine de
dix-sept ans par trois adultes majeurs !

— Je sais, dit-il d’une voix accablée. Je ne voulais pas perdre sa confiance en donnant des détails, ni à
vous ni à personne. C’est son histoire. C’est à elle d’en parler.

Quel con. J’allumai une clope.

— Vous oubliez que le sénateur s’est occupé de la faire inscrire à l’université. Il sait exactement où elle
se trouve. Ça fait des années qu’il le sait.

— J’en suis conscient, répliqua-t-il d’un ton grinçant. Il fallait l’éloigner autant que possible de ces gens !
Je sais que la situation est potentiellement désastreuse. Pour elle, en fait, ça ne pourrait pas être pire !
Vous comprenez maintenant pourquoi j’ai fait appel à vous ? Toute l’affaire aurait sombré dans l’oubli si
cet avion ne s’était pas crashé. Qui pouvait imaginer qu’Oakley serait pressenti comme prochain vice-
président ?

Je poussai un profond soupir.


— Je suis en train d’étudier son cas, dis-je. Jusqu’ici, je ne lui ai trouvé aucune casserole. Je sais que son
fils a des ennuis, mais le passé du sénateur Oakley est propre et sans tache.

— Je ne lui fais pas confiance. Voilà en plus qu’un de ces connards dégénérés a été liquidé ! Cette
histoire représente tout ce que le sénateur voulait voir enterrer. Et à la minute où nous parlons, ma fille se
retrouve au beau milieu de cet immense merdier ! Je ne peux pas accepter cela.

— Vous avez raison et croyez-moi, je surveille tout ça de près. J’ai deux ou trois contacts dans les forces
spéciales : ils sont en train d’éplucher le dossier militaire du fils. S’il y a quelque chose, je le saurai. Une
question : Brynne dit que la seule personne susceptible d’être identifiée sur la vidéo, c’est elle. Il paraît
que les autres sont hors champ et qu’il y a de la musique sur leurs voix…

— Je… J’ai vu la vidéo. J’ai vu ce qu’ils ont fait à ma gosse.

L’homme s’effondra au bout du fil.

Je fermai les yeux. Je voulais que ces images se dissipent. Je n’aurais pas voulu être à la place de Tom :
avoir visionné cette horreur et n’avoir rien tenté pour éliminer les coupables. Selon moi, Tom Bennett
méritait d’être loué de ne pas avoir cherché à faire justice lui-même

Je m’éclaircis la gorge.

— Il y a aussi quelque chose que vous devez savoir à mon sujet.

— Allez-y.

— Elle est sous ma responsabilité désormais. C’est moi qui suis aux commandes. Le moment venu, et le
cas échéant, je prendrai contact avec les gens d’Oakley. Brynne est adulte et nous sommes ensemble. Ne
vous inquiétez pas, Tom. Si je vous dis tout ça, c’est parce que je l’aime. Je ferai tout ce qu’il faut pour
assurer sa sécurité et protéger son bonheur.

Je tirai une dernière bouffée de ma cigarette, et laissai le temps à Tom d’encaisser ces paroles. Il lâcha un
soupir et répondit :

— Deux choses à ce propos. En tant que client ayant besoin de vous, j’approuve à cent pour cent. Je sais
que vous êtes l’homme de la situation. Si quelqu’un est capable de sortir Brynne de ce chaos, c’est vous.

Il marqua un temps. Je savais déjà ce qui allait suivre.

— Mais je suis aussi un père qui aime sa fille – et ça, vous ne pouvez pas le comprendre avant que cela
vous arrive. Alors si vous lui faites du mal, si vous lui brisez le cœur, sachez que vous aurez affaire à
moi, Blackstone, et qu’à ce moment-là, j’aurai oublié que nous avons été amis.

Je souriais, ravi que cette discussion arrive à sa conclusion.

— Ce n’est que justice, Tom Bennett. Ça me convient.

L’échange se poursuivit quelques instants encore, le temps pour moi d’apprendre tout ce qu’il était
nécessaire de savoir sur les Oakley de San Francisco. Puis il fut convenu que nous nous reparlerions sous
peu. Je lui dis que je ne manquerais pas de le tenir au courant du déroulement des opérations, puis je mis
fin à la communication.

Je restai un moment à mon bureau. Je pris des notes, j’expédiai deux ou trois mails et refermai mon
ordinateur portable. Quand j’éteignis la lumière, Simba agita furieusement ses nageoires dans la clarté de
l’aquarium. Je lui jetai une friandise avant d’aller m’installer sur le balcon.

Je passai par la chambre où tout n’était que silence. Je voulais que Brynne récupère. Elle n’avait fait que
trop de cauchemars – assez pour remplir une vie entière.

Ce soir, le ciel se constellait de millions d’étoiles. Il était rare qu’elles brillent avec une telle intensité.
Voilà longtemps que je n’étais venu m’asseoir ici. J’allumai discrètement une autre cigarette au clou de
girofle. Si je fumais dehors, personne n’en saurait rien. De toute façon, avec Brynne ici maintenant, je ne
fumerais plus à l’intérieur. Je m’étendis sur la chaise longue et croisai les pieds sur l’ottomane.

Je me repassai le fil de la journée. La tragédie de Brynne. La façon dont tout était changé à présent. Pour
elle comme pour moi. Ouais… Nous avions eu chacun notre sale période – pratiquement des univers
parallèles. Elle avait dix-sept ans alors, et moi vingt-cinq. Tous les deux, nous avions connu l’enfer. Je
me sentais plus que jamais relié à elle, assis dehors sur le balcon, en train d’inhaler mon tabac épicé.

Autrefois, je fumais des Dunhill. C’était ma marque préférée, ce qu’il y avait de mieux. Rien d’étonnant,
puisque j’aime les bonnes choses. Mais ça, c’était avant l’Afghanistan. Plein de choses avaient changé
depuis que j’étais passé par là. Ayant absorbé toute la nicotine que mon corps réclamait, je levai les yeux
vers les myriades d’étoiles qui brillaient là-haut.

… Tous les gardiens fumaient des cigarettes au clou de girofle. Tous ces enfoiré de rebelles en avaient
une qui leur pendait au bec, une clope merveilleuse, roulée à la main tant bien et que mal, quand ils
venaient faire leur sale boulot : nous battre, nous niquer la tête. L’odeur ? Un pur délice. J’avais rêvé
d’une cigarette depuis mon premier jour de captivité. Cette douce senteur, mélange de clou de girofle et
de tabac. J’en avais rêvé tout en ayant la certitude que je mourrais avant d’y avoir jamais goûté. Les
coups et les interrogatoires ne commencèrent pas immédiatement. Je ne pense pas qu’ils avaient compris
de prime abord ce qu’ils avaient capturé. Mais, au bout d’un certain temps, ils finirent par s’en rendre
compte. Les Afghans voulaient se servir de moi comme d’une monnaie d’échange pour négocier la
libération des leurs. Je l’avais deviné à travers leurs vociférations insensées. Mais c’était complètement
hors de mon ressort. La politique du gouvernement, c’était pas de négociation avec les terroristes. Je
savais qu’ils allaient être déçus. Je savais aussi que, de frustration, ils se vengeraient sur moi. Ça n’a pas
manqué. Je me suis souvent demandé s’ils avaient deviné que j’avais presque failli craquer au début.
Savoir la vérité était terriblement culpabilisant pour moi, et j’éprouvai un grand soulagement de n’avoir
pas à choisir, mais il y eut des interrogatoires (si on peut les appeler ainsi) au cours desquels je me serais
mis à table sans problème s’ils m’avaient offert une de leurs merveilleuses clopes roulées à la main.
C’est une des premières choses que je réclamai en sortant du tas de gravats. Le marine américain qui
m’administra les premiers secours dit que j’étais en état de choc. C’était vrai et faux en même temps.
C’est lui qui était choqué de voir qu’on pouvait sortir vivant de cette prison après qu’il l’eut bombardée à
mort (ce dont je lui rendis grâce). Mais j’étais effectivement choqué car je venais de comprendre que
mon destin avait changé de cours. J’avais enfin de la chance. Ou la chance m’avait trouvé. Ethan
Blackstone était un type chanceux, très chanceux…

Mon attention fut attirée par une ombre qui passait dans la faible clarté derrière moi. Je tournai la tête.
Mon cœur vacilla dans ma poitrine quand je vis Brynne de l’autre côté de la vitre. Elle m’observait. On
se regarda un petit moment. Puis elle fit glisser la porte-fenêtre et vint sur le balcon.

— Tu es levée, dis-je.

— Tu sors pour fumer.

J’écrasai ma cigarette dans le cendrier et ouvris grands les bras à Brynne.

— Me voilà pris, dis-je.

Elle s’abandonna, ensommeillée et ébouriffée, vêtue d’un tee-shirt bleu et d’un de mes caleçons en soie.
Et sans rien en dessous. Je l’attirai contre moi, elle eut un petit sourire et s’assit à califourchon sur mes
genoux. Ses deux mains s’emparèrent de mon visage.

— En flagrant délit, Blackstone.

Ses yeux cillaient à peine, essayant de lire en moi. Je le savais et j’aurais tant donné pour connaître le
fond de sa pensée. J’étais émerveillé qu’elle se blottisse ainsi sur mes genoux et qu’elle tienne mon
visage entre ses mains, mais ce qui me ravissait par-dessus tout, c’était qu’elle puisse se réveiller au
milieu de la nuit pleinement heureuse et détendue.

— Mmmm… Je sais quelle punition je mérite, dis-je.

Elle me fit un câlin et je refermai les bras sur elle.

— À quoi tu pensais ? Tu avais l’air si loin en train de fumer à la sauvette, comme ça dans le noir.

Tout en parlant le visage enfoncé dans ses cheveux, je caressai son dos de bas en haut.

— Je pensais à… à la chance. Au fait d’avoir de la chance.

C’était la vérité et la raison pour laquelle j’avais encore la faculté de respirer, mais il était trop tôt pour
que je puisse partager cet épisode de ma vie avec elle. J’aurais bien voulu, cependant je n’avais pas la
moindre idée de comment je pourrais embarquer Brynne sur ce terrain. Elle n’avait pas besoin qu’on lui
déverse dessus plus de monstruosités qu’elle n’en avait déjà à supporter.

— Tu trouves que tu en as ? de la chance ?

— Avant, je n’en avais pas. Jusqu’au jour où elle a tourné en ma faveur. J’ai pris le cadeau qui m’était
offert et je me suis mis à jouer aux cartes.

Elle laissait ses doigts courir sur ma poitrine avec une tendresse infinie, sans se rendre compte sans doute
du bien qu’elle me faisait.

— Tu as gagné plein de tournois. Mon père m’a dit que c’est comme ça que vous avez fait connaissance.

Je hochai la tête, la bouche toujours dans ses cheveux.


— J’ai beaucoup apprécié ton père dès notre première rencontre. Et ça n’a pas changé. On s’est parlé tout
à l’heure.

Sa main s’immobilisa un instant sur ma poitrine, avant de recommencer à me caresser.

— Ça s’est passé comment ?

— Comme prévu. On s’est dit ce qu’on avait à se dire. Sérieusement. Il sait, pour nous. Je le lui ai dit. Il
veut la même chose que moi – que tu sois heureuse et en sécurité.

— Je me sens en sécurité avec toi… Depuis toujours. Et je sais que mon père te respecte énormément. Il
m’a dit qu’il avait dû insister pour que tu acceptes.

Elle poussa un petit gémissement, une plainte tendre et charmante qui me fit bander instantanément.

— Si seulement il m’avait prévenue qu’il t’avait engagé.

Elle se tut un instant, avant de murmurer avec ferveur :

— J’ai besoin d’être informée de ce qui se passe, Ethan. Je ne veux plus être la victime qui n’y comprend
rien. Les secrets, ça me détruit – je n’en veux plus. À partir de maintenant, il faudra toujours tout me dire.
M’être réveillée de la sorte, sur ce billard, sans savoir qui et quoi… Je ne veux plus…

— Chut. Je sais.

Je préférais l’arrêter, avant qu’elle ne s’emballe.

— J’ai compris maintenant.

Je tendis la main vers son visage. Je voulais l’affronter droit dans les yeux pour ce que j’avais à lui dire
maintenant. Serrée contre mon torse et le regard levé vers moi, elle était d’une beauté absolue sur le fond
de la nuit étoilée. Ses lèvres réclamaient des baisers, et je désirais m’enfouir en elle à nouveau, mais je
me fis violence pour lui parler :

— Je suis désolé d’avoir gardé le secret sur tout ça. Je comprends pourquoi tu as tellement besoin que les
choses soient limpides. J’ai pigé et je te promets de tout te dire désormais, même si je pense que tu
risques de ne pas apprécier. Je sais aussi combien c’était dur de me raconter ton histoire ce soir, mais je
veux que tu saches que je suis incroyablement fier de toi. Tu es si combative, si adorable et si
extraordinaire, Brynne Bennett. Ma superbe Américaine.

Je lui caressai les lèvres avec mon pouce. Elle eut un sourire en coin, et prononça silencieusement :

— Merci.

— Et tu sais ce qu’il y a de meilleur encore ?

— Tu vas me le dire.

— C’est que tu sois là, avec moi. Ici même. Et que je puisse faire ça.
Je plongeai la main sous son tee-shirt et la refermai sur son sein si doux, il emplissait ma paume de son
tendre poids. Je souris à Brynne. De ce genre de sourire dont je sentais qu’il ne pouvait me venir qu’avec
elle et un nombre très restreint de personnes.

— Je suis là, dit-elle. Et je suis heureuse d’être là avec toi, Ethan. Tu es le premier qui arrive à me
faire… oublier.

Sa voix se fit plus ténue mais plus claire aussi, étrangement.

— Je ne sais pas pourquoi ça marche avec toi, mais ça marche. Je… Pendant longtemps, je ne suis plus
arrivée à avoir de relations durables… Et quand j’ai essayé, c’était difficile…

Je la coupai :

— Ça n’a plus aucune importance, chérie.

Cela me hérissait d’imaginer Brynne avec quelqu’un d’autre. Un homme qui puisse la voir nue, la toucher,
la faire jouir. Ces visions me rendaient fou de jalousie. En même temps, ce qu’elle venait de me dire me
comblait de joie. J’étais le premier grâce à qui elle pouvait oublier. Putain, ça c’était génial ! Et j’allais
faire en sorte d’être le dernier.

— Je t’ai, maintenant, je te tiens, et je ne te laisserai plus jamais partir.

Elle ronronnait contre moi. Ses yeux se dilatèrent quand je pris l’autre sein et trouvai son téton raidi. Elle
avait les mamelons très sensibles et je me délectais de les dévorer, excitant ainsi son désir pour moi.
Pour être honnête, c’est ce qui me motivait. C’était même une obsession : être désiré par Brynne.

J’écartai ses cheveux et posai mes lèvres dans son cou. J’aimais le goût de sa peau et ses réactions quand
je la touchais. Une alchimie opérait entre nous, je l’avais su immédiatement. Elle se cambrait maintenant
contre ma poitrine, poussant son sein contre ma main. Je pinçai son téton et me régalai du cri qu’elle
poussa. Je savais où tout cela nous mènerait, où j’avais envie que tout cela nous mène, disons. Aller et
venir en elle, la faire jouir, faire naître dans ses yeux ce tendre et splendide éclat qu’elle avait toujours
après l’orgasme. Cet éclat me poussait à des comportements que je n’aurais jamais imaginé avoir avec
une femme.

Elle commença à remuer sur mes genoux. Ses hanches allant et venant sur mon membre à présent excité
sous le pantalon de jogging me provoquaient toutes sortes de visions – plus érotiques les unes que les
autres – et qui méritaient sacrément d’être concrétisées. C’était peu dire que j’avais envie de faire
quelques trucs pervers avec elle.

Ma main glissa sous le caleçon de soie et atteignit la fente. Entrée libre. Putain, comme elle mouillait
pour moi ! Il ne me restait plus qu’à aller de l’avant. Elle gémit quand j’atteignis sa chatte et que je
dessinai des cercles autour de son clitoris, lequel avait durci et ne demandait qu’à se frotter à ma queue.
Elle me désirait. Je l’avais chauffée pour moi. Si c’était là le mieux que je puisse faire avec elle, alors
autant prendre ce qui m’était offert. Même s’il est vrai que j’en attendais bien davantage de ma Brynne –
ô combien !

J’écartai ma bouche de son cou et ma main de sa chatte. Je fis descendre Brynne de mes genoux pour
l’avoir debout devant moi. Sans quitter la chaise longue, je l’enveloppai du regard.

— Déshabille-toi.

Elle chancela légèrement et baissa les yeux vers moi. Impossible de déchiffrer une pareille expression.
Comment allait-elle réagir devant cette exigence ? Peu importe. Je ne tarderais pas à le savoir et ce défi
m’excitait tellement que j’étais dur comme l’acier.

— Là, sur le balcon ?

Elle se détourna pour regarder autour de nous.

— Mets-toi toute nue et grimpe sur moi.

Elle respira plus difficilement et je ne savais toujours pas ce qu’elle ferait. Moi, je lui avais dit ce que je
voulais et Brynne, elle, aimait ça, ce côté direct.

— Personne ne peut nous voir, repris-je. Et j’ai envie de te baiser tout de suite, ici, sous les étoiles.

Ayant posé sur moi ce regard si particulier et à la couleur indéfinissable, elle saisit à deux mains le bas
de son tee-shirt qui fut soulevé et retiré en un clin d’œil. Brynne attendit un instant avant de le laisser
tomber sur le sol. Cette attente et le regard qu’elle me jeta n’étaient que pure sensualité. Ma belle savait
comment jouer à ce jeu-là. Et elle avait les seins les plus splendides de la terre.

Elle passa ses pouces sous l’élastique du caleçon. Elle le fit glisser. J’en avais des décharges de salive
dans la bouche. Elle se pencha gracieusement pour sortir du léger vêtement de soie. Elle se tint devant
moi, parfaitement nue, les jambes légèrement écartées. Ses cheveux étaient encore ébouriffés par le
sommeil. Elle attendait mes ordres.

— Mon Dieu, dis-je. Regarde-toi. Tu peux dire ce que tu veux, mais rien ne pourra modifier ce que je
ressens pour toi ni m’empêcher de te désirer…

Mon membre tressaillait au rythme de ses propres battements. Il crevait d’envie d’inonder Brynne de son
foutre.

— Je jure que c’est vrai, dis-je d’une voix légèrement altérée.

Quelque chose dans l’expression de son visage me suggéra qu’elle était soulagée. Toutefois, Brynne
craignait encore que ses aveux concernant son passé ne transforment mes sentiments à son égard. À moi
de lui montrer qu’il n’en est rien.

— Approche, beauté.

Elle vint se blottir de nouveau sur mes genoux, jambes repliées, et s’installa contre ma verge dont elle
n’était plus séparée que par une simple épaisseur de coton. Je commençai par ses seins : j’en pris un dans
chaque main et je serrai. Ils emplissaient ma paume à merveille, leur poids léger excitait mon désir et me
donnait envie d’exiger une autre partie de son corps. Elle est la perfection même.

Elle se cambra quand je lui mordillai un téton. Doucement, mais assez fort toutefois pour lui procurer une
petite souffrance que j’apaisai aussitôt avec ma langue. Elle gémit. Je me demandai comment elle
réagirait si je lui attachais des pinces. Je sentais que je pourrais l’amener à l’orgasme rien qu’en faisant
ça. En fait, j’en étais quasiment sûr. Ce serait alors quelque chose de superbe à contempler. Je m’occupai
de l’autre sein et Brynne se raidit entre mes bras, ouverte, offerte, splendide…

Il fallait que je la pénètre. C’était une sensation irrésistible que de la sentir jouir autour de mes doigts, de
ma langue ou de ma queue. J’en étais devenu complètement accro. Je fis glisser ma main sur son dos
jusqu’aux fesses, puis je descendis encore pour atteindre par-derrière sa fente mouillée. Elle laissa
échapper une petite plainte au contact de mes doigts. Elle gémit quand je la pénétrai et m’emparai de son
intérieur brûlant.

— Tu m’appartiens, dis-je à voix basse, tout près de son visage. Cette chatte m’appartient. Tout le temps.
Que je la possède avec ma main, avec ma langue ou avec ma queue.

Une vibration passa dans ses yeux quand mes doigts commencèrent à s’affairer en elle. Je pris sa bouche,
y enfonçant ma langue aussi profondément que possible, et en un mouvement identique à celui de ma main
entre ses cuisses. Ces cuisses sublimes que Brynne tenait écartées sur mes genoux parce que je le lui
avais ordonné.

Si puissant était mon désir que j’en devenais certainement trop brutal à son égard, mais je n’arrivais pas à
le brider. Elle ne se plaignit pas, et eût-elle protesté que j’aurais arrêté à l’instant. Chaque réaction de sa
part, chaque soupir, chaque gémissement, chaque ondulation sur ma queue me confirmait qu’elle acceptait
de jouer ce jeu-là. Brynne aimait que je la domine quand nous baisions, et moi, j’adorais qu’elle soit
exactement telle qu’elle se comportait avec moi, soumise en tout.

Mes bras entourant ses hanches, je la forçai à se rapprocher encore. J’avais envie de procéder ainsi. Il le
fallait. Elle devait absolument comprendre que je ne la laisserais plus partir. Pas question.

J’imagine que j’avais en moi ce besoin de la posséder. En ce qui concerne le sexe, j’avais toujours eu
besoin de prendre les commandes mais jamais à ce point. Brynne faisait surgir en moi quelque chose qui
me dépassait. Je n’avais encore jamais rien ressenti de tel. C’était avec elle et seulement avec elle.

Je la soulevai de mes hanches. Elle comprit et se suspendit au-dessus de moi pour que je puisse faire
glisser mon pantalon. L’opération n’était pas des plus simples mais elle était indispensable si je voulais
pénétrer Brynne, ce qu’elle désirait tout autant que moi. J’empoignai ma queue et la redressai en
murmurant d’une voix dure :

— Vas-y. Et fais-moi bien jouir.

En fait, je crois que j’en eus les larmes aux yeux quand elle vint sur moi, glissa sur ma verge et commença
à bouger. C’était ce que je voulais. Les yeux me piquèrent quand je sentis sa chatte mouillée envelopper
mon membre d’une chaleur si intense et quand vint la chevauchée sauvage qui m’emporta vers l’oubli.
Enfin, j’explosai en elle, libérant tout. Pour qu’elle ait un autre orgasme, je la masturbai avec mon pouce
en me régalant de chacun de ses soupirs et gémissements quand elle atteignit le sommet de son plaisir.
Elle jouit, serrant mon sexe de plus belle. Et le meilleur, c’est qu’au summum de la volupté, elle prononça
mon nom. Ethan…

Quand elle s’effondra, ma queue enfouie en elle avait encore des spasmes. Elle allait et venait au gré des
convulsions de sa chatte qui serrait ma verge par à-coups. J’aurais pu rester là à jamais : j’en étais
absolument sûr.

Je nous maintenais dans cette position, ne souhaitant pas que nous nous séparions. Nous sommes restés
dehors pendant un long moment. Je la tenais contre moi tout en lui caressant l’épine dorsale du bout des
doigts. Elle pressait son nez sur mon cou et ma poitrine. Elle était tendre, son corps était chaud, même la
nuit dehors, même entièrement nue. Je pris la couverture sur l’autre chaise longue et l’en enveloppai.

Pour la première fois de ma vie, je compris ce que voulait dire pleurer de bonheur.
19

— Vas-y, dis-je, choisis-en une qui te plaise, pour aujourd’hui.

Brynne sortit la tête du dressing, sourit, puis retourna s’y cacher.

— Bon, les violettes, j’aime beaucoup. Mais aujourd’hui, ce sera celle-ci.

Elle me présenta une cravate en soie bleue. Elle sortit d’un pas nonchalant et la passa autour de mon cou.

— Ça va avec tes yeux, dit-elle, et je les adore.

J’aime quand tu adores quelque chose en rapport avec moi.

Elle se concentra pour faire mon nœud de cravate en mordillant la pulpe de sa lèvre inférieure. J’aimais
qu’elle ait pour moi des attentions, mais j’aimais nettement moins qu’elle ait déjà accompli ce geste pour
un autre. Or, c’était manifestement le cas. Un jour, un matin, elle s’était tenue comme ça en face d’un mec
pour lui nouer sa cravate. C’était clair. Elle avait fait cette petite faveur à un connard, à qui elle avait
sucé la queue… Je m’efforçai de chasser ces images de mon esprit. J’étais devenu si jaloux. Chose qui ne
m’était arrivée avec aucune de mes conquêtes. Mais Brynne, c’était autre chose qu’une conquête. Brynne,
c’était la femme de mes rêves. Ma femme.

— Ça me plaît, dis-je, que tu sois là en train de faire ça.

— Moi aussi.

Elle me fit un bref sourire, avant de continuer.

J’avais tant de choses à lui dire ! Pourtant, je me tus. Je ne voulais pas la brusquer. Ce n’était pas la
bonne méthode avec elle. J’avais retenu la leçon. Sauf qu’il n’était pas facile d’avancer pas à pas. Je
n’avais aucune envie d’y aller doucement avec Brynne. Au contraire, je voulais que ce soit intense et tout
le temps. Dieu soit loué ! Cela ne m’avait pas échappé.

Je demandai plutôt :

— Qu’avez-vous de prévu, aujourd’hui, mademoiselle Bennett ?

— Un déjeuner avec des collègues de la fac. Croise les doigts pour moi. Il faut que je commence à me
préoccuper de ce permis de travail et justement, il y a peut-être un boulot qui m’attend. Un poste de
conservateur dans un des grands musées de Londres.

Elle finit le nœud de ma cravate et passa la main dessus.

— Vous êtes très chic avec cette cravate bleue, monsieur Blackstone.
Elle ferma les yeux et me tendit ses lèvres.

Je déposai un très léger baiser sur sa bouche en cœur. Elle rouvrit les paupières et plissa les yeux. Elle
avait l’air un tantinet déçue.

— Tu t’attendais à mieux, pas vrai ?

J’adorais la taquiner et la faire rire. Elle feignit l’indifférence et répliqua en haussant les épaules :

— Bof. Tes baisers sont agréables, sans plus… Je devrais pouvoir m’en passer.

Son expression me fit éclater de rire. Je lui chatouillai les côtes.

— Jamais vu une menteuse aussi nulle.

Elle se recroquevilla pour fuir mes chatouilles mais je la retins prisonnière.

— Tu ne pourras pas t’échapper, murmurai-je contre ses lèvres.

— Et si je n’avais pas envie de m’échapper ?

— Ça marche aussi.

Elle eut droit à un vrai baiser. Un baiser dans les règles de l’art, lent et profond. C’était merveilleux, ce
début de journée ensemble. Elle s’abandonna si bien que je dus me faire violence, nous devions tous deux
partir au travail, et ce n’était certes pas le moment de retourner au lit. Le bon côté de la chose, c’est que
nous nous retrouverions à la fin de cette même journée, ce qui me laissait le temps de donner libre cours à
mon imagination débordante.

Je l’embrassai je ne sais combien de fois avant de pouvoir me séparer d’elle, aux ascenseurs, dans le
parking contre la Rover et quand je la déposai devant la Rothvale Gallery. C’est l’avantage d’avoir
auprès de soi la personne avec laquelle vous avez follement envie de vivre. Oui, c’est vrai, je suis un
homme chanceux. Et j’ai au moins assez d’esprit pour m’en rendre compte.

Je ne montai pas directement au bureau après avoir mis la voiture au parking. Je voulais acheter la presse
américaine et la lire en détail. L’élection était encore loin mais les pages politiques devaient déjà être
pleines de commentaires nauséabonds. Aux États-Unis, la présidentielle se joue début novembre. Les
candidats avaient cinq mois pour faire parler d’eux. L’inquiétude me mordit le cœur, mais je ne
m’attardai pas là-dessus. En ce qui concernait la protection de Brynne, j’étais sûr de moi. L’échec, sur ce
point, n’était pas une option.

Quand je la payai, Muriel me sourit et j’essayai de ne pas avoir l’air dégoûté à la vue de ses dents.

— Voilà pour toi, mon cœur, dit-elle en me rendant la monnaie d’une main crasseuse.
Mais elle en avait davantage besoin que moi, de cette monnaie, et je n’avais nulle envie d’attraper ses
microbes.

— Gardez tout.

Plongeant les yeux dans son regard vert d’une étrange beauté, je hochai la tête en disant :

— Je prendrai les journaux américains tous les jours à partir de maintenant, si vous voulez bien me les
mettre de côté.

— Oh ! c’est très gentil. Je te les mettrai de côté. Bonne journée, beau gosse.

Elle m’adressa un clin d’œil qui dévoila encore son horrible dentition. J’essayai de ne pas la scruter de
trop près mais j’étais à peu près certain que la pauvre Muriel avait autant de barbe que moi.

Au bureau, je m’attaquai sérieusement à ma quête d’infos. J’écoutai le message de l’inconnu qui avait
téléphoné à Brynne. Je le fis repasser à plusieurs reprises. Un Américain, pragmatique, distant, sans trace
d’agressivité, non, rien dans sa requête pour indiquer qu’il sache quoi que ce soit. « Salut. Greg Denton à
l’appareil, du Washington Review. J’essaie d’entrer en contact avec une Brynne Bennett qui était au lycée
d’Union Bay, à San Francisco. »

Un message bref, efficace, suivi de ses coordonnées téléphoniques. L’historique des appels indiquait
qu’il n’avait tenté sa chance qu’une seule fois. Autrement dit, il ne devait pas être au courant de grand-
chose, et rien ne disait non plus que Brynne était bien la personne qu’il recherchait.

Je mis Frances au courant mais sans entrer dans les détails. Je voulais qu’elle se renseigne sur ce Greg
Denton du Washington Review et qu’elle épluche aussi les journaux du matin, pour voir s’il n’y avait pas
autre chose d’intéressant à en extraire.

Je venais de me rasseoir à mon bureau, les yeux fixés sur le tiroir où je planquais mes cigarettes, quand
Neil entra.

— Tu m’as l’air d’avoir… disons, figure humaine ce matin, mec…

Il prit un fauteuil et me considéra encore, un semblant de sourire narquois accroché à sa mâchoire carrée.
Je l’arrêtai tout de suite :

— N’en dis pas plus.

— D’acc, dit-il en sortant son portable pour s’affairer dessus. Alors je ne te dirai pas que je sais qui était
là, la nuit dernière. Et pas question non plus de te dire que je vous ai vus vous rouler des pelles tout à
l’heure en attendant l’ascenseur. C’est pratique, les caméras de sécurité…

— Fais pas chier.

Neil se foutait de moi.

— Mec ! dit-il. Tout le bureau est excité ! On peut enfin respirer librement sans avoir peur de se faire
étriper. Le boss a récupéré sa meuf !
Il leva les bras au ciel :

— Gloire à tous les dieux ! ajouta-t-il les yeux tournés vers le plafond. Après ces deux sacrées semaines
de merde…

— Je voudrais t’y voir, ducon, si Elaina décidait subitement qu’elle ne pouvait plus te voir en peinture.

Je l’empêchai de répliquer en lui jetant un sourire factice et attendis qu’il mette un bémol à son attitude.

— Ce qui pourrait toujours t’arriver, comme tu le sais fort bien, et moi aussi qui connais tes petits secrets
honteux.

La remarque fit merveille. En un rien de temps, Neil arrêtait de jouer au con.

— On est vraiment heureux pour toi, Ethan, dit-il calmement.

Et je savais qu’il était sincère. Je laissai tomber.

— Où en est l’enquête militaire au sujet du lieutenant Oakley ? repris-je en ouvrant mon tiroir pour y
prendre mon briquet et un paquet de Djarum.

— Les Irakiens en ont bavé avec lui et il a réussi à s’en tirer jusque-là, mais je ne saurais dire combien
de temps encore ses exactions resteront enterrées. Je pense que le sénateur doit être soulagé que son fils
aille semer la pagaille en Irak plutôt qu’aux États-Unis et surtout, bien loin de la campagne électorale.

J’approuvai d’un grognement et tirai avec délices une première bouffée. Le clou de girofle me donnait un
bon coup de fouet, comme d’habitude. Je n’avais plus qu’à laisser la nicotine faire son effet et à
culpabiliser d’introduire ce poison dans mon corps.

— Il est parti pour une carrière militaire, tu penses ? dis-je en exhalant la fumée dans sa direction.

Il secoua la tête.

— Je ne pense pas, dit-il.

— Pourquoi ?

Personne, à ma connaissance, n’avait un instinct aussi aiguisé que lui. Neil était loin d’être seulement un
de mes employés. Il était plus, beaucoup plus que ça. On avait été copains d’enfance, on était partis à la
guerre ensemble et on avait traversé cet enfer ensemble. Là-dessus, retour en Angleterre. Ayant mûri, nous
nous sommes lancés dans une affaire florissante. Je lui aurais confié ma propre vie. Ce qui voulait dire
que je lui confiais Brynne les yeux fermés. Elle l’appréciait et c’était tant mieux car quelque chose me
disait que nous allions devoir assurer sa protection chaque fois qu’elle mettrait le nez dehors. Certes,
Brynne n’allait pas du tout apprécier. Mais elle avait beau avoir horreur de toute contrainte sécuritaire,
elle ne s’en prendrait pas à Neil, elle était bien trop sympa pour ça.

En même temps, j’étais lucide – ami ou pas ami, je n’étais pas fâché que Neil soit en couple car s’il avait
été célibataire, je ne l’aurais pas inscrit en haut de la liste pour cette tâche. C’était un trop beau mec.
— Bon, ça, c’est la partie intéressante. Le lieutenant Lance Oakley a été renvoyé en Irak quelques jours
après le crash de l’avion. D’après ce que j’ai pu apprendre, les États-Unis ont arrêté de renvoyer des
soldats en Irak il y a plus d’un an déjà. Ils ne sont plus qu’une petite poignée sur zone.

— Tu penses la même chose que moi, mec ?

Il hochait la tête.

— Apprenant qu’il avait un espoir de devenir le prochain vice-président, le sénateur s’est dépêché de
réexpédier son fils là-bas.

Je fis claquer ma langue.

— On dirait que le sénateur connaît son rejeton. Il sait qu’il a intérêt à éloigner le fiston s’il veut
augmenter ses chances d’être élu.

Je me renversai dans mon fauteuil et tirai sur ma cigarette.

— Un homme politique est mieux placé que quiconque pour obtenir une affectation militaire à l’étranger.
Je commence à me demander si le sénateur ne caresse pas l’espoir de ne jamais voir son fils revenir au
pays. Le héros de guerre et tout ce qui va avec… Ce serait excellent, côté patriotisme.

Je soulignai ma phrase d’un geste.

— C’est bien là où je voulais en venir, dit Neil.

Il lorgnait ma cigarette.

— Je croyais que tu avais arrêté.

— Je… je ne fume pas chez moi, dis-je en écrasant le mégot dans le cendrier. Je ne fume pas quand elle
est là.

Je suis sûr que Neil avait assez de jugeote pour comprendre mes raisons. C’est comme ça, entre amis, on
se comprend sans avoir à s’expliquer indéfiniment sur son lot de chagrins et d’emmerdes qu’on voudrait
tant pouvoir oublier et qui, pourtant, est à jamais présent, inscrit dans la moelle des os.

Le téléphone de Brynne m’arracha à mon travail. Je regardai qui appelait. Maman. Trop drôle ! Je
décrochai.

— Allô ?

Il y eut un temps de silence, puis une voix altière se fit entendre :

— J’essaie de joindre ma fille. C’est son numéro, que je sache. À qui ai-je l’honneur ?
— Ethan Blackstone, madame.

— Et pourquoi répondez-vous à la place de ma fille, monsieur Blackstone ?

— Parce que je surveille ses anciens correspondants, madame… Excusez-moi, je n’ai pas compris votre
nom.

Je n’allais quand même pas lui servir ce qu’elle cherchait sur un plateau d’argent. La maman de Brynne
allait devoir demander. Et gentiment encore. Jusqu’ici, elle ne m’impressionnait pas.

— Exley, dit-elle.

Elle attendit une réaction qui ne vint pas. Je joue au poker. Je sais quand il faut parler ou pas.

— Pourquoi surveillez-vous son téléphone ?

Je ne pus retenir un sourire. Nous savions tous les deux qui avait gagné cette manche.

— Eh bien, je suis dans la sécurité, madame Exley. C’est mon travail. Le papa de Brynne m’a engagé
pour assurer sa sécurité après que le sénateur Oakley s’est retrouvé en piste pour la vice-présidence. Je
ne vais pas vous faire des cachotteries, madame. Je sais qu’il y a péril en la demeure et vous aussi. Je
suis au courant de tout.

Nouvelle pause, toujours dans le même but.

— Elle m’a dit tout ce que le fils Oakley lui a fait.

Je l’entendis qui prenait une grande inspiration. J’aurais donné cher pour voir sa tête, mais je ne pouvais
compter que sur mon imagination.

— C’est vous qui avez acheté le portrait, n’est-ce pas ? Elle m’a dit que vous aviez fait l’acquisition de
ce nu, avant de la raccompagner chez elle. Il y a une chose qu’il faut que vous sachiez, monsieur
Blackstone : Brynne adore me choquer.

— Vraiment ? Je l’ignorais, madame Exley. Brynne ne m’avait jamais parlé de vous jusqu’à hier soir. Je
n’ai pas d’élément de comparaison.

Elle parut ignorer cette insulte voilée. Elle se prépara pour l’estocade.

— Alors, vous avez une liaison avec ma fille, monsieur Blasckstone ? Je sais lire entre les lignes aussi
bien que n’importe qui. Brynne est ma fille unique. Et contrairement à ce qu’elle vous a dit, je l’aime et je
veux pour elle le meilleur…

— Appelez-moi Ethan, je vous en prie – et oui, je puis dire sans équivoque possible que j’ai une liaison
avec Brynne.

J’attrapai une autre cigarette. J’ouvris mon briquet. Était-il possible que cette femme ignore avec qui elle
jouait ? Nous pouvions continuer comme ça toute la journée, ce serait toujours moi qui gagnerais la
partie.
— Donc moi aussi, ajoutai-je.

Elle demanda après un temps :

— Vous aussi quoi, monsieur Blackstone ?

— Moi aussi, j’aime votre fille et ne veux que le meilleur pour elle. J’ai l’intention de la protéger de tout
danger. Elle est sous ma responsabilité, désormais.

Encore une fois, je ne pouvais que l’imaginer en train de lever les yeux au ciel. Comment Brynne avait-
elle pu supporter les réprobations de cette mégère ? Je notai qu’elle ne souscrivait pas à mon offre
d’utiliser mon prénom. Ce qui m’attrista pour Brynne. Surtout que ma mère m’avait manqué toute ma vie,
et là, il y avait cette mère qui s’employait à censurer chacune des décisions de sa fille. Mieux valait
chérir le souvenir d’une maman disparue que souffrir toute son existence un pareil dragon !

— Bien, dans ce cas, puis-je avoir son nouveau numéro, puisqu’elle n’a pas jugé utile de me le
communiquer elle-même ?

Elle faisait sa victime maintenant, essayant de se débarrasser de moi le plus rapidement possible.

Mais moi, je me marrais bien. J’adore avoir un beau jeu.

— Surtout ne le prenez pas mal, madame Exley. Ça date d’hier soir. Brynne m’a dit quelque chose et j’ai
décidé qu’elle avait besoin d’un nouveau numéro. C’est aussi simple que ça. Elle n’aura pas encore eu le
temps de vous appeler, voilà tout. J’en suis certain.

Pas difficile de se montrer magnanime quand on a toutes les cartes en main.

— C’est vous qui avez pris la décision, monsieur Blackstone ?

— Absolument.

J’avoue que cette cigarette avait un goût divin.

— Et pourquoi est-ce vous qui prenez ce genre de décisions à la place de Brynne, je vous prie ?

Maman était capable de montrer les crocs, semblait-il.

— Parce que, comme je vous l’ai dit, madame Exley, j’ai l’intention de la protéger contre toute personne
qui pourrait essayer de lui faire du mal. Je dis bien : toute personne.

J’inhalai une longue et délectable bouffée de clou de girofle. Elle se tenait tranquille, maintenant.
J’attendis. Elle finit par céder.

— Et le nouveau numéro de Brynne, monsieur Blackstone ?

— Certainement, madame Exley. Voulez-vous que je vous l’envoie par SMS ? Comme ça, vous aurez
aussi le mien. Si vous avez le moindre souci concernant Brynne ou si les médias, ou autres, cherchaient à
enquêter sur son passé, soyez aimable de me prévenir. Appelez-moi quand vous voulez.
La conversation prit fin sur ces mots. Et je n’étais pas qu’un peu épuisé après que nous eûmes raccroché.
Mon Dieu ! Ce n’était pas quelqu’un de facile. Pauvre Brynne. Pauvre Tom Bennett. Penser qu’il avait pu
se laisser harponner par une femme pareille ! Je ne voyais pas comment une telle relation avait eu la
moindre chance de jamais décoller. À quoi ressemblait-elle d’abord ? Elle devait être belle sûrement.
Froide mais belle.

Je lui textai le numéro accompagné d’un bref message : Un plaisir de bavarder avec vous, Mme E. Signé
EB. Je n’avais pu m’empêcher de sourire en le tapant.

Une heure plus tard, je recevais un SMS de Brynne : Parlé avec ma mère ? ! :O

Allons bon. La maman n’avait pas perdu de temps. Pourvu que ça ne fasse pas trop d’histoires. Je
répondis : Dsolé, chérie. Elle a app sur ton ancien num. Pas trop ravie que je dcroche :/

Et Brynne de répondre à son tour : Dsolée que tu aies dû te la farcir. Je rattraperai ça ♥ ♥

Je ne pouvais pas ne pas lui dire ma joie : Tu m’envoies 2 ♥ ♥ !! J’accepte ton offre, chérie… Et ce
n’était pas si dur. Un pieux mensonge, ça ne mange pas de pain. Après tout, il s’agissait de la maman de
ma petite amie – pas du tout quelqu’un de bien.

Brynne prit son temps avant de me répondre, mais ça valait la peine d’avoir attendu : Tu lui as fait une
forte impression. Te raconterai ce soir. J’ai ce déjeuner, là. Tu me manques… mon chou xxx ♥

Je caressai l’écran. Je n’avais aucune envie de refermer le message. Elle m’appelait mon chou. Je lui
manquais. Elle m’envoyait des cœurs et des baisers. J’essayai de ne pas trop interpréter, mais c’était dur
de ne pas y céder. Je voulais ce que je voulais, et je n’avais pas envie d’attendre une minute de plus.

C’est Frances qui interrompit cette méditation en me rappelant opportunément que j’avais une société à
faire tourner.

— J’ai Ivan Everley en ligne, dit-elle dans le haut-parleur. Puis-je vous le passer ?

Je pris la communication.

— Encore des ennuis, n’est-ce pas ? dis-je sur un ton sarcastique.

— Encore une menace de mort, oui, Ethan. Adressée cette fois à la fédération mondiale de tir à l’arc. Je
n’en ai rien à foutre en ce qui me concerne, sauf que ces crétins de la Commission olympique refusent de
m’attribuer une salle pour annoncer les compétitions sans une garantie de ta part. Crois-moi, ces Jeux sont
dirigés par des dingues, et je n’ai pas de temps à consacrer à leurs conneries.

— Tu m’étonnes. Je vais les appeler mais il faut qu’on se voie, je pense, pour qu’on étudie ensemble ce
planning. Histoire de bétonner au niveau sécurité.

— Qu’est-ce que tu as en tête ?

— On déjeune ? Je demande à Frances de nous réserver une table quelque part, un jour où tu es libre ?

— Pourquoi pas ? Je te suis très reconnaissant, Ethan. Je crois que sans toi, je ne m’en sortirais pas avec
ces annonces. Ta société a une grande influence sur les abrutis qui sont aux commandes.

— À propos d’abrutis aux commandes, Ivan… Ça me fait penser à un truc. Tu n’es pas au conseil
d’administration de la National Gallery ?

Il émit un grognement.

— Ouais, on peut dire ça. Pourquoi ? Tu veux que j’oublie que tu viens juste de m’insulter sous prétexte
que je suis un mec magnanime et qu’on est de la même famille ?

— Très bien, cousin, dis-je en levant les yeux au ciel. Ma petite amie étudie la conservation des œuvres
d’art à Londres. Elle est américaine. Elle a besoin d’un permis de travail pour pouvoir s’installer ici
dans la durée…

— Attends. Putain, j’ai bien entendu, là ? Ta petite amie, c’est bien les mots que tu as prononcés ? Alors,
si je comprends bien, l’insaisissable Blackstone a disparu du marché ? Comment est-ce possible, mec ?

J’aurais dû savoir qu’il se mettrait à m’asticoter dès que j’aurais lâché le morceau. J’eus un rire gêné.

— Je n’en sais rien, mais ouais, c’est une fille très douée en restauration de tableaux et qui adore
vraiment son boulot. Et moi, je n’ai vraiment aucune envie que son visa expire…

— J’ai bien compris, Ethan. Je vais me renseigner. Au fait, il y a bientôt cette manifestation à la National
Gallery, organisée par l’association Mallerton…

— Ah ! oui, elle m’en a parlé. On va y aller ensemble. Justement, elle a travaillé sur un tableau de
Mallerton. Brynne pourra t’expliquer tout ça beaucoup mieux que moi. Je te la présenterai, tu
comprendras tout de suite.

— J’ai hâte de faire la connaissance de cette beauté américaine qui a réussi à détourner ta bite du circuit
baise d’un soir.

— Sois gentil de lui épargner ce genre de commentaires quand tu la rencontreras sinon je me verrai dans
l’obligation d’ignorer ces charmantes menaces de mort que tu reçois si régulièrement de tes fidèles fans.

Ma remarque le fit bien rigoler.

— Tu sais, si tu as vraiment envie qu’elle s’installe à Londres pour une durée indéterminée, la seule
chose à faire, c’est de l’épouser. Pas besoin de permis de travail.

Mon cerveau entra en ébullition dès que je l’entendis parler de mariage. Je m’agitais déjà pour attraper
une autre cigarette dans le tiroir.

— J’ai bien entendu ? C’est toi qui viens me dire ça ! Bon, je ne devrais pas être surpris, vu que tu es un
tel ignare. Toi, entre tous, à me vanter la cause matrimoniale – Je n’ai jamais rien entendu d’aussi hilarant
sortir de ton gosier.

Mon cousin éclata de rire. Ce crétin continuait de se payer ma tête.


— Ce n’est pas parce que mon mariage a complètement foiré qu’il t’arrivera la même chose, Ethan.

— Cette conversation est arrivée à son terme, Ivan. Maintenant, je raccroche.

Son rire résonnait encore dans le combiné quand je l’éloignai de mon oreille.
20

J’avais toujours hâte d’aller la chercher à son travail, et ce jour-là ne faisait pas exception. Tout allait
bien jusqu’au moment où ce SMS arriva sur son portable. Je n’eus alors plus qu’une seule obsession :
avoir Brynne dans mon champ de vision.

Je me garai sur le parking de la Rothvale Gallery et scrutai l’entrée de l’immeuble. Ce que mon cousin
m’avait dit au téléphone continuait de m’agacer. Ses conneries m’avaient infecté l’imagination. Le
mariage ! Franchement… Et pourquoi ne pas commencer par une union sérieuse ?

La simple idée du mariage n’avait jamais figuré dans mon plan de vie. Je n’avais tout simplement jamais
eu ces cartes-là dans mon jeu. L’institution en tant que telle m’inspirait le plus grand respect, mais vu mon
style de vie et mon passé, essayer de devenir un époux, c’était courir à un échec retentissant. Je n’avais
aucun doute là-dessus. Il y avait trop de cadavres dans mes placards ; c’est à peine si je me rappelais
l’époque où je passais pour un mec normal.

Ma sœur, elle, était mariée et heureuse en ménage. Hannah et Freddy avaient trois beaux enfants.
J’imagine qu’ils incarnaient un idéal – chose qui ne m’était jamais venue à l’esprit. Hannah avait pris le
parti conjugal et offert à notre père le bonheur d’avoir des petits-enfants. Au fond, ça me dispensait de lui
faire concurrence. Je veux dire : Hannah s’y prenait tellement bien que je n’avais aucune raison de me
sentir obligé d’en passer par là.

Je décidai de l’appeler, en attendant que Brynne sorte de la Rothvale Gallery. Elle décrocha à la
deuxième sonnerie, ce qui me fit plaisir.

— Comment va mon petit frère ?

— Ce boulot me fera perdre la tête.

— Il n’y a pas que le boulot, à ce que j’ai entendu dire.

Qu’est-ce qu’Hannah pouvait se montrer suffisante et pénible, quand elle le voulait.

— Alors papa n’a pas pu tenir sa langue, c’est ça ?

— Il s’inquiète pour toi. Il m’a dit qu’il ne t’avait jamais vu dans cet état. Même quand tu es revenu de la
guerre.

— Mmm. Je n’aurais pas dû aller lui parler de tout ça. Je suis trop con. Je vais essayer de rattraper le
coup. Bon. Et ma grande sœur, comment va-t-elle ?

— Bien essayé, Ethan, mais tu ne vas pas t’en tirer aussi facilement. Mon frère est enfin amoureux et tu
t’imagines que je vais laisser tomber un sujet aussi juteux ? Tu me prends pour qui ? Tu oublies qui est le
plus intelligent des deux – je devrais dire : la plus intelligente ?

Je lâchai un soupir.

— Pas envie de me disputer là-dessus avec toi, sœurette.

— Ouaouh ! C’est vrai que tu as changé, dis donc.

— Ouais, c’est dans l’ordre des possibles. En bien, j’espère. Et papa, il faut qu’il arrête de s’inquiéter
car on est de nouveau ensemble, elle et moi. Je ne suis plus la misérable créature en détresse qu’il a vue
l’autre jour.

— Tu fréquentes les poètes, Ethan ? Tu ne parles pas comme d’habitude.

— Je préfère ne pas commenter, répliquai-je pour couper court à la raillerie. Écoute, je me demandais si
je ne pourrais pas venir chez vous avec elle en week-end. Je pense que Brynne adorerait Hallborough, et
ce serait bien, en plus, qu’elle quitte Londres pendant quelques jours. Vous nous feriez une petite place,
Freddy et toi ?

— Rencontrer l’Américaine qui a métamorphosé mon frère, jusqu’alors sans attaches et si réservé, en un
sympathique sentimental qui boit de la bière mexicaine ? Quelle chance ! C’est sans problème.

J’éclatai de rire.

— Parfait. Tu me diras quand on peut débarquer, sœurette. J’ai envie que vous fassiez sa connaissance. Et
votre adorable maison est l’endroit rêvé pour une telle rencontre. En plus, les gosses me manquent.

— Leur oncle Ethan leur manque aussi. Très bien… Je regarde le planning et je te rappelle. On
commence à avoir du monde avec ces Jeux qui arrivent.

— Ne m’en parle pas. La ville devient un enfer et on est seulement en juin !

On raccrocha, je regardai par la fenêtre, attendant Brynne. Je sortis de ma poche son portable et fis
apparaître le message qui avait gâché cette belle journée. Il venait d’un certain Alex Craven, attaché au
Victoria & Albert Museum – je l’aurais volontiers transformé en eunuque, celui-là. Brynne, c’était bien
de vous revoir aujourd’hui. Et bravo pour le Mallerton. J’adorerais vous inviter à dîner pour prolonger
cette discussion et chercher un moyen de vous intégrer à l’équipe. Je ne savais pas que vous posiez en
tant que modèle, mais j’ai vu les photos et j’ai très envie d’en apprendre davantage ! Alex.

Je dus sûrement m’entailler la langue à force de grincer des dents. J’avais tellement envie de lui faire une
réponse de mon cru que j’en avais déjà un avant-goût, sans parler du sang dans ma bouche : Va te faire
foutre, gros connard ! Elle est déjà maquée et son mec va venir te couper les couilles si tu continues de
penser à elle toute nue. Ethan la Longue Lame.

Je n’en fis rien, bien sûr. Mais c’était à deux doigts.

Mon Dieu. Allais-je pouvoir me dominer ? Ce n’était pas mon fort. J’étais horriblement jaloux. Et Brynne
n’allait sûrement pas me guérir de cette maladie à la con – c’était le prix à payer vu qu’elle était vraiment
trop belle et que ça sautait aux yeux. J’avais besoin qu’elle me rassure, et j’étais presque certain qu’elle
n’était pas du tout prête à s’engager plus qu’elle ne l’était déjà.

La portière passager s’ouvrit et Brynne se laissa tomber sur le siège. Elle était toute rouge d’avoir couru
sous la bruine qui s’était mise à tomber après mon arrivée. Elle sourit et se pencha vers moi pour un
baiser.

— Enfin, dis-je en l’attirant contre moi.

Elle avait la peau un peu froide, mais elle m’offrait des lèvres chaudes et tendres.

Putain, oui, elle m’offrait ses lèvres, à moi…

Je m’emparai de cette bouche et, gardant son visage pressé contre le mien, la fouillai de ma langue en
profondeur pour qu’elle sente combien je la désirais. D’abord, elle me laissa l’envahir, mais comme je
n’arrivais plus à m’arrêter, elle finit par pousser un petit cri me signifiant de me retirer. Ce que je fis,
avant de me pencher pour bien la regarder.

— Désolé. Je suis un peu bestial, non ?

Je lui lançai mon regard le plus contrit.

Elle changea de tête et je vis briller dans ses yeux cet éclat de curiosité qui la rendait si diablement belle.
Un connard prénommé Alex pouvait toujours espérer la voir à poil, c’est moi qui l’aurais nue entre mes
bras. Et tout de suite, bordel ! Elle avait laissé ses cheveux libres aujourd’hui. Elle portait une veste vert
sombre et un foulard. Cette couleur lui allait merveilleusement bien : elle faisait ressortir son regard vert
et brun. De fines gouttes de pluie s’accrochaient à ses cheveux.

— Qu’est-ce qui ne va pas, Ethan ?

— Tu as l’impression que quelque chose ne va pas ?

— Une idée comme ça, dit-elle avec un petit sourire suffisant. Confirmée par ce gros patin que tu viens
de me rouler.

Je secouai la tête.

— Tu m’as manqué, c’est tout. Comment s’est passé ce déjeuner, c’était bien avec ces collègues que tu
voulais tellement impressionner ?

— Formidable. J’ai pu parler de Lady Percival, de la restauration du tableau. Ils ont bien accroché. Ils se
souviendront de moi. J’espère que ça donnera quelque chose. Peut-être bien que oui.

Elle souriait.

— Tout ça, dit-elle, c’est grâce à toi.

Elle déposa un baiser sur mes lèvres et me prit le menton.


J’essayai de lui rendre son sourire. Sans grand succès. Apparemment, je n’arrivais pas à cacher mes
sentiments – pas plus que je n’arrivais à dominer ma jalousie. Oh ! ça va donner quelque chose, chérie.
Sûr qu’il a accroché, Alex Craven se souviendra de toi en bandant sur tes photos à poil et non pas en
admirant l’émouvante Lady Percival tenant délicatement son précieux livre ! Les tableaux de Mallerton
peuvent pourrir, il s’en tape ! Ce qu’il veut, lui, c’est Brynne Bennett à cheval sur sa queue !

Elle soupira.

— Tu ne veux vraiment pas me dire ce qui te tracasse ? Tu as l’air grognon. Depuis quand c’est un signe
de bonheur et d’harmonie ?

Elle avait vraiment l’air contrariée.

— Ça. C’est arrivé tout à l’heure.

Je posai le portable sur ses genoux, avec le message à l’écran. Elle le lut, avala sa salive, puis coula un
regard vers moi.

— C’est ça qui te rend jaloux.

Ce n’était pas une question. Je fis oui de la tête. Autant vider l’affaire puisqu’elle était sur le tapis.

— Il veut te baiser.

Comme tous les mecs qui tombent sur tes photos. Je n’étais pas assez débile pour aller lui dire ça ! Mais
bon Dieu, c’était bel et bien ce que je pensais. C’était la vérité toute nue !

— J’en doute fort, Ethan.

— Il est gay ?

Elle haussa les épaules.

— Je ne pense pas qu’Alex soit gay. En fait, je n’en sais rien.

— Alors c’est clair, il te veut.

Je jetai un regard sombre vers la vitre à présent couverte de bruine, elle offrait une vision en parfaite
concordance avec mes sentiments.

— Ethan, regarde-moi.

Le ton était sans réplique. J’en fus secoué. Et saisi d’une érection.

Je regardai ma petite amie qui avait réussi à prendre une telle place dans ma vie et en si peu de temps !
Qu’allait-elle me dire ? Je ne savais comment faire pour ne pas me montrer possessif, pour devenir le
partenaire charmant d’une femme qui posait nue et faisait baver les mecs en excitant leurs fantasmes.
Comment m’y prendre pour être cet homme-là ? Je n’en avais aucune idée.
— Pas il, dit-elle. Elle. Alex, c’est une femme.

Elle pinçait les lèvres pour ne pas éclater de rire. Mais peu importe. Elle pouvait se moquer, j’étais
tellement soulagé à présent.

— Oh ! arrivai-je à articuler, me sentant complètement ridicule. Eh bien, alors, il faut que tu dînes avec
Alex Craven au plus vite et j’espère que ça se passera super bien, ma chérie. Elle m’a vraiment l’air
décidée à t’embaucher.

Je hochai vigoureusement la tête. Elle rit encore, puis dit :

— Tu te fais beaucoup trop de souci, mon chou.

Je me penchai vers ses lèvres mais sans les toucher.

— Je ne peux pas m’en empêcher. Et j’adore quand tu m’appelles mon chou.

Je l’embrassai encore, pas comme un homme de Néandertal cette fois, mais comme j’aurais dû le faire
d’abord. J’entourai sa tête de mes mains, essayant d’exprimer ce qu’elle représentait pour moi. Je reculai
lentement, non sans avoir mordillé légèrement sa lèvre inférieure, alors que ma main redescendait sur sa
joue puis sur son cou.

— J’ai envie de t’emmener à la maison tout de suite. Chez moi… J’ai une envie dingue de ça.

C’était ma façon de la réclamer. Le comprenait-elle ? Je lui avais demandé de prendre assez d’affaires
pour plusieurs jours, sans être sûr qu’elle l’avait vraiment fait. Je voulais l’avoir tout le temps auprès de
moi. Il n’y avait pas d’explication à cela. Je le voulais profondément, c’est tout… J’exigeais qu’elle soit
là et que je puisse lui parler, la toucher à ma convenance. La baiser aussi. Je passais pour le type en
manque, complètement accro, mais je n’en avais plus rien à faire et me retenir de la solliciter représentait
un effort trop difficile.

— D’accord. Chez toi cette nuit.

Elle passa les doigts dans mes cheveux. Ses yeux perspicaces ne cessaient de fouiller mon regard. Je jure
qu’elle lisait en moi comme dans un livre. Comment pouvait-elle seulement me supporter ? Commençait-
elle à m’aimer, elle aussi ? Je l’espérais. Mais j’avais horreur de trop y réfléchir car je finissais toujours
par revenir à… Et si ce n’est pas le cas ?

— Merci.

Je lui pris la main et la portai à mes lèvres tout en observant sa réaction. Elle souriait. Ce dont je fus
sacrément heureux. Je lui souris aussi. Et je démarrai. Il n’était que temps de ramener ma chérie à la
maison, de l’avoir rien que pour moi et de lui faire tout ce que je voulais.

Ce poulet au parmesan était une merveille : une viande succulente, une sauce et des épices savoureuses.
Mais ce qui était encore meilleur, c’était la personne assise en face de moi.

Je l’avais observée tandis qu’elle cuisinait et que j’étais sur mon ordinateur portable, en train de bosser
plus ou moins. C’était un régal de l’entendre s’affairer aux fourneaux. J’en éprouvais un sentiment exquis
combiné à des senteurs délicieuses émanant d’une pièce où je ne mettais pas souvent les pieds. Je
respirais le parfum du dîner que Brynne nous préparait de ses mains adorables.

Putain, que c’était sexy, si vous voulez tout savoir.

Elle ne cuisinait pas comme Annabelle – la femme qui faisait le ménage et me préparait des repas sur
lesquels elle collait une étiquette avant de les congeler. Avec Brynne, ce n’était pas du réchauffé, c’était
de la vraie cuisine. Le genre de préparation qu’on fait par amour et non parce qu’on est payé pour ça.

Avoir à la maison une femme qui me préparait un repas, c’était une expérience nouvelle. Mais j’allais
m’y habituer sans problème. Et comment ! Brynne m’avait mis le grappin dessus. Elle était intelligente,
sensuelle, magnifique, et c’était une sacrée cuisinière – en plus d’être merveilleuse au lit. J’ai bien
précisé : sensuelle et magnifique ? J’avais déjà en tête le repos du guerrier pour un peu plus tard.

Je pris une nouvelle bouchée que je savourai. Elle avait ramené ses cheveux en hauteur avec une pince.
Elle portait un top de couleur pourpre dont la profonde échancrure attirait mes regards vers ses seins
ensorcelants qui pointaient, avides d’être sucés par ma bouche. Plusieurs mèches de ses longs cheveux,
échappées de la pince, retombaient sur les courbes de son décolleté. Mmm… Exquis, vraiment.

— Ravie que ça te plaise, dit-elle. C’est un petit plat facile à préparer.

Elle but une gorgée de vin. J’observai sa bouche, ses lèvres. Je m’en voulais à mort d’avoir pensé tout
haut. Heureusement, elle avait cru que je parlais de ce que j’avais dans mon assiette.

— Où as-tu appris à baiser aussi bien ? bredouillai-je soudain. Pardon, à cuisiner…

Elle leva les yeux au ciel et secoua la tête. Je souris, lui adressant un clin d’œil.

— Tu es douée pour les deux, mon cœur. L’amour et la cuisine.

— Que tu es bête, dit-elle sur le ton du reproche. J’ai regardé des émissions culinaires. Voilà comment
j’ai appris. Mon papa a bien voulu me servir de cobaye après le divorce. Tu lui demanderas de te
raconter mes débuts.

Elle rit en piquant sa fourchette dans un morceau qu’elle porta à sa bouche.

— Mais ce n’est pas moi qui irais lui parler de quand on a commencé à mettre le couvert, toi et moi !

Je ris et regardai mon assiette.

— Ce n’était pas aussi bon que ce que tu as fait ce soir, alors ?

— Non, c’en était même très loin. Mes premiers plats étaient littéralement immangeables. Mon pauvre
papa. Mais pas une plainte, rien.
— Il n’est pas idiot. Et il t’adore.

— Je suis contente que vous vous soyez parlé. Il t’apprécie, Ethan. Vraiment. Il a beaucoup de respect
pour toi.

Elle me souriait.

— Ah ! c’est très bien, parce que moi aussi.

J’hésitais à aborder le sujet de sa mère, puis je songeai qu’il le fallait.

— Je ne crois pas avoir fait bonne impression sur ta maman, en revanche. Désolé. J’ai pensé que c’était
une bonne chose de me présenter et lui dire ce que je faisais dans ta vie – mais j’aurais peut-être dû y
mettre davantage de tact.

Elle fit non de la tête.

— Pas de problème. En fait, elle m’a dit qu’elle est contente que tu veilles sur moi. Et aussi, que tu avais
l’air décidé à tout faire pour qu’il ne m’arrive rien…

Sa voix avait légèrement fléchi et j’eus aussitôt très envie de la rassurer, mais je préférai attendre qu’elle
ait fini.

— Cela dit, reprit-elle en chipotant son poulet, elle a l’impression que tu es obsédé par moi.

Je haussai les épaules.

— C’est sûr que je ne lui ai rien caché. Je lui ai dit ce que j’éprouve pour toi.

— Oui, je sais, dit Brynne avec un sourire. C’est courageux de ta part, Ethan.

— Dire la vérité, ce n’est pas du courage. C’est naturel. On attend ça. C’est important pour moi que tes
parents sachent que je ne me contente pas d’assurer la sécurité de leur fille.

Je lui tendis la main.

— C’est important aussi que toi, tu le saches, Brynne. Je tiens tellement à toi.

Elle mit sa main dans la mienne et je la serrai avec force en fermant les yeux, mes doigts autour de ses
délicates jointures. Cette main adorable qui accomplissait tant de gestes délicieux : mon nœud de cravate
ce matin, mon dîner ce soir, et tout à l’heure, très bientôt, quand nous serions au lit, cette même main
parcourrait mon corps…

— Moi aussi, Ethan, je tiens à toi.

Une fois de plus, je fus envahi par un sentiment de possessivité. C’était comme presser un interrupteur !
L’instant précédent, tout allait pour le mieux ou, du moins, je le croyais, puis une phrase, une allusion
peut-être, et vlan ! je n’avais plus qu’une chose en tête : la baiser sur-le-champ.
Cette phrase avait suffi. Je quittai ma chaise et soulevai Brynne dans mes bras. Ses longues jambes
s’enroulèrent autour de ma taille afin que je puisse la transporter jusqu’à la chambre alors qu’elle tenait
mon visage entre ses mains et m’embrassait éperdument. Ce dont je ne me plaignais pas, j’adorais quand
elle était chaudement allumée. Et Brynne savait l’être.

Merci, oh putain !

Je la débarrassai de son top et de ce qu’elle avait en bas. Tant pis pour les préliminaires. J’avais besoin
de contempler son corps avant de m’y perdre entièrement. Elle portait un soutien-gorge violet et un string
noir. Je grognai.

— Qu’est-ce que tu cherches au juste, la belle ? Tu veux m’achever ?

Elle répondit d’un sourire, puis secoua doucement la tête.

— Jamais, murmura-t-elle.

Je me penchai, l’embrassant lentement, avec douceur, pour la remercier de cette réponse, mais j’avais le
cœur qui battait à toute allure. Dieu que j’aimais sa façon d’être avec moi ! Si tendre, si attirante – et si
soumise…

J’aimais tant de choses chez elle.

Je la fis s’incliner en avant et dégrafai ce joli soutien-gorge. Je retirai le string. Ce que je vis était à
tomber. Mes mains parcoururent son dos, ses hanches, ses adorables fesses, puis remontèrent.

Elle était nue maintenant. Je m’apaisai un peu. Je ralentis. Sans me déshabiller, je me couchai à côté
d’elle. Elle tourna la tête vers moi. Nous nous observions.

Je tendis la main vers la pince et l’enlevai. Ses cheveux se répandirent sur son dos et ses épaules. Brynne
avait de longs cheveux soyeux. J’adorais les caresser et y faire courir mes doigts. J’adorais aussi quand
ils me fouettaient la poitrine pendant que Brynne, à califourchon sur moi, s’employait à chevaucher mon
membre. J’adorais en agripper une belle poignée et la tenir ainsi, pendant que je la foutais jusqu’à ce
qu’elle explose de plaisir en criant mon nom.

Mais rien de tel ne se produisit ce soir-là. Au contraire, je procédai avec elle doucement, prudemment. Je
me rendis partout où je voulais aller en me servant de ma langue et de mes doigts. Je la fis jouir et jouir
encore avant de me déshabiller moi-même et de la pénétrer avec ma queue.

C’était beau, nous allions bien ensemble. Faire l’amour avec elle m’ébranlait à tous les niveaux,
atteignant mes dédales les plus profonds. Brynne n’en était peut-être pas consciente, mais moi je l’étais.
Je ne me rappelle même plus ce que je lui dis au plus fort de l’action. Je lui dis toutes sortes de choses
pour la bonne raison qu’elle aimait entendre ces cochonneries sortir de ma bouche. C’est elle-même qui
me l’avait avoué. Et c’était une excellente nouvelle puisque justement je ne pouvais pas m’empêcher de
le faire. En pratique, il n’y a pas de filtre entre mon cerveau et mes lèvres.

Je ne savais pas non plus quels mots je prononçai après cet orgasme si puissant qu’il me laissa à bout de
force. Je commençai à glisser vers le sommeil alors même que j’étais encore enfoui en elle, tout à
l’espoir qu’elle me permettrait d’y rester.
Mais je l’entendis me dire, « Moi aussi je t’aime ».

Mes yeux se rouvrirent dans l’obscurité. Je ne la lâchais plus. Je me rappelais ses mots encore et encore.

Merde. Ils allaient le faire pour de bon. Mon cœur se mit à me pomper le sang à toute vitesse. Jamais mon
corps n’avait envoyé autant d’adrénaline dans mes veines. J’avais attendu que ça arrive. Tout au fond de
moi, je savais que ça devait arriver, mais j’avais chassé cette pensée pour préserver mon équilibre
mental. Le déni, cela avait fonctionné un certain temps. Et ce temps avait expiré.

— Tu es prêt ? me demanda-t-il.

L’individu qui avait posé la question était ce même type que je brûlais d’étriper avant de le laisser perdre
son sang bien lentement. Celui-là même qui avait osé faire allusion à ELLE. Celui qui n’arrêtait pas de
me provoquer en promettant de s’en prendre à elle.

Putain ! NOOON !

Je secouai la tête comme il avançait dans ma direction, son visage était tout près maintenant. La fumée de
sa clope roulée envahissait l’air d’un délicieux parfum de clou de girofle, au point de me faire saliver.
C’est curieux, d’avoir envie d’une cigarette dans un moment pareil. C’était le cas. Si seulement j’avais pu
arracher cette putain de clope de sa gueule et la fourrer dans la mienne !

Un autre me forçait à garder les bras dans le dos. Ils me bouchèrent le nez. J’essayais de ne pas respirer,
de tenir bon, mais mon corps finit par me trahir. À la seconde où j’ouvris la bouche pour respirer, il me
versa quelque chose d’ignoble dans la gorge. Je m’efforçai de ne pas avaler, mais là encore, mon corps
prit le relais en un réflexe pour me permettre de respirer. L’ironie de la chose. Ils me droguaient dans le
but de m’exécuter… Comme ça, je ne résisterais pas… Ils allaient pouvoir filmer ma mort et diffuser la
vidéo dans le monde entier.

Non. Non ! NON !

Je me débattis de toutes mes forces, mais mes efforts le firent rigoler. Les larmes me brûlaient les yeux.
Pourtant, j’étais sûr que je ne pleurais pas. Je ne pleurais jamais.

Il aboya un ordre et je vis la chose. Une caméra. Un subordonné était en train de l’installer sur son
trépied. Je fixais l’opération des yeux en laissant couler mes larmes : l’opium commençait à opérer.

Si, je pleurais bel et bien. Je m’en rendis compte.

Mais pas pour les raisons auxquelles ils voulaient croire. Je pleurais pour mon père et pour ma sœur.
Pour la femme que j’aimais. Ils allaient tous assister à ça… Les voir me faire ça… Le monde entier
verrait. Elle verrait.

— Présente-toi ! ordonna-t-il.

Je secouai la tête et indiquai la caméra.


— Pas de vidéo ! Pas de VIDÉO, espère de gros connard ! Je ne veux pas de CETTE PUTAIN DE
VIDÉO…

Il me balança un tel revers sur la bouche que le choc me fit taire. Il aboya de nouveau un ordre en
direction du cameraman qui dit dans son pauvre anglais en lisant mon écriteau :

— Blackstone, E. Capitaine des SAS. Deux, neuf, un, cinq, zéro, un.

Il revint vers moi en tirant un kukri de son fourreau. La lame du sabre était courbe, bien aiguisée. Même
drogué, même affaibli, même empêché de réagir à ce qui m’arrivait, je pouvais me rendre compte que
cette arme avait été soigneusement préparée pour remplir son office.

Je pensai à ma mère. J’avais eu besoin d’elle toute ma vie, et maintenant plus que jamais. Je n’étais pas
courageux. J’avais peur de mourir. Qu’allait-il advenir de Brynne ? Qui la protégerait contre eux quand je
ne serais plus là ?

Oh ! mon Dieu…

— Pas de vidéo. Pas de vidéo. Pas de vidéo. Pas de vidéo.

Je n’arrivais pas à bredouiller autre chose. Et si ces paroles n’étaient plus intelligibles dans ma bouche,
elles exprimeraient du moins mes toutes dernières pensées, ainsi que :

— Pardon, papa. Hannah. Brynne… Putain, je suis tellement désolé !

— Ethan ! Chéri ! Réveille-toi. Tu es en train de rêver…

La plus douce des voix caressait mon oreille, la plus tendre des mains me touchait.

Je sursautai, je haletai, je repris conscience. J’avais tous mes sens en alerte. J’envoyai un coup de poing
dans la tête de lit. Je cherchais de l’oxygène. La pauvre Brynne, qui s’était écartée, écarquillait les yeux
d’un air horrifié.

— Oh putain ! haletai-je, commençant tout juste à comprendre où je me trouvais.

Respire, connard !

C’était arrivé je ne sais combien de fois. Tout se passait dans ma tête. Ça n’avait rien de réel. Sauf que
là, c’était devant ma petite amie que je venais de perdre totalement le contrôle. Je lui avais sûrement
foutu une trouille bleue, et j’en étais profondément bouleversé. J’avais l’impression que j’allais me sentir
mal.

Elle se rapprocha de nouveau. Je redescendis sur terre grâce au contact frais de sa main sur ma poitrine.
Je retrouvais l’ici et le maintenant. Brynne était bel et bien là, dans mon lit, et pas dans cette saloperie de
rêve récurrent. Pourquoi fallait-il que je l’entraîne dans mes cauchemars ?

Elle vint plus près. Je me cramponnai à sa main comme à une bouée de sauvetage.

— Qu’est-ce qui s’est passé, Ethan ? Tu t’agitais en criant des trucs. Je n’arrivais pas à te réveiller…
— Qu’est-ce que j’ai dit ? la coupai-je aussitôt.

— Ethan, reprit-elle d’un ton apaisant.

La main tendue vers mon visage, elle me frôla la mâchoire du bout des doigts.

— Qu’est-ce que j’ai dit ? criai-je en la repoussant.

J’en avais des haut-le-cœur à l’idée de ce qui avait pu sortir de ma bouche. Brynne recula, épouvantée.
Ça me brisait l’âme mais il fallait que je sache. Je la fixai dans le noir tout en essayant de me remplir les
poumons d’oxygène. Mais c’était peine perdue. Tout l’air de Londres n’y aurait pas suffi.

— Tu répétais sans arrêt : « Pas de vidéo. » Qu’est-ce que ça veut dire, Ethan ?

Le drap, en retombant, avait dévoilé ses seins merveilleux sous la lune qui perçait à travers la fenêtre.
Mais un éclat de méfiance avait passé dans les yeux de Brynne comme elle repoussait ma main. Je
détestai ce geste mais je la laissai faire.

— Je suis désolé. Je… je fais de vilains rêves parfois. Pardon de t’avoir crié après.

Je sautai du lit pour gagner la salle de bains. Penché au-dessus du lavabo, je me mis la tête sous le filet
d’eau. Je me rinçai la bouche et bus directement au robinet. Bordel ! il allait vraiment falloir que je
reprenne le dessus. Ça n’allait pas du tout ! Elle avait besoin que je sois fort. Tout ça, c’était de l’histoire
ancienne, c’était enterré dans l’enfer de mon passé, ça n’avait rien à foutre dans ma vie présente et encore
moins dans mon avenir avec Brynne.

Elle me prit dans ses bras par-derrière, sa peau nue contre mon dos. Ce qui eut pour effet de réveiller
mon membre. Elle pressa les lèvres sur mes cicatrices et les embrassa.

— Parle-moi. Dis-moi ce qui s’est passé là-bas.

Sa voix était empreinte d’une résolution d’acier, mais je ne voulais en aucun cas l’entraîner dans ce chaos
dément.

Pas question qu’elle m’accompagne dans cet enfer, putain ! Pas elle. Je ne veux pas souiller la femme que
j’aime.

— Non, dis-je. Je ne veux pas.

Je me regardai dans la glace. L’eau dégouttait de mes cheveux. Brynne m’entourait de ses bras. Ses mains
reposaient sur ma poitrine, au niveau de mon cœur qui continuait de battre impitoyablement comme s’il
était toujours aux prises avec ce cauchemar, avec ce bordel immense et sans nom. Brynne me soutenait.
Elle avait pris mon cœur entre ses belles mains. Elle était venue dans la salle de bains me réconforter.

— Cette vidéo, Ethan, qu’est-ce que c’est ? Tu n’avais que ce mot à la bouche : vidéo.

— Je ne veux pas en parler !

Je fermai les yeux en m’entendant lui gueuler dessus ! Je détestais cette fureur en moi. Je détestais qu’elle
me voie dans cet état.

— C’est à cause de moi ? C’est la vidéo dans laquelle je suis ?

Elle écarta les mains et recula.

— Tu m’as dit que tu ne l’avais jamais visionnée.

Elle était blessée. Sa voix le disait. Je voyais déjà où ce scénario l’emmenait. Elle ne pouvait pas être
plus éloignée de la vérité.

Alors je craquai. Complètement. Je redoutais trop de la perdre. J’étais terrifié à l’idée de la voir partir
encore. Je pivotai et l’attirai brutalement contre moi.

— Non, chérie. Ce n’est pas ça. Pas ça du tout. C’est moi – mon passé. J’ai vécu de sales moments dans
cette guerre.

— Et tu ne veux pas en parler. Pourquoi ? Qu’est-ce qui t’est arrivé, Ethan ? Ces cicatrices…

Elle essayait de se libérer de mon étreinte, de mettre de la distance, mais je ne voulais pas la lâcher,
merde !

— Non, Brynne, j’ai besoin de toi. Ne t’éloigne pas de moi.

— Je ne m’éloigne pas…

Je lui coupai la parole en écrasant sa bouche sous mes lèvres. J’enfonçai si profondément ma langue
qu’elle n’eut d’autre choix que d’accepter. Je la pris dans mes bras, je la soulevai et la transportai vers le
lit. Il fallait que je la possède entièrement. Je voulais m’assurer qu’elle était bien là, en sécurité avec
moi, et que je n’étais pas mort. Elle était là… en lieu sûr… et moi, j’étais toujours en vie…

— Chérie, tu es si belle et si parfaite à mes yeux. Tu es tout pour moi, merde ! Tu comprends ça ? Dis-
moi que tu me désires.

Je bredouillais ces mots tout en lui écartant les cuisses avec mes genoux, je plongeai deux doigts dans son
intérieur humide et ardent. Je commençai à la caresser en mouillant mes doigts de mon foutre encore
chaud et massai son clitoris, comme elle aimait tant que je le fasse.

— Je te veux, Ethan, haleta-t-elle.

Son sexe torride s’offrait à moi pour que je le fourre. Bon Dieu ! j’étais sur le point de perdre tout
contrôle quand elle devenait si soumise – c’était l’excitation ultime, quelque chose que je n’avais connu
avec aucune autre femme.

— Dis-moi que tu vas t’offrir totalement à moi. Chaque parcelle de ton corps. Je veux tout de toi, Brynne
!

— Prends tout ! cria-t-elle. Prends-moi !


Je plongeai à nouveau dans sa bouche. Ma langue fouillait en profondeur et en détail. Mes doigts
s’activaient dans sa chatte toujours plus inondée.

— Ta bouche m’appartient quand tu enveloppes ma queue de tes lèvres framboise et quand tu me suces à
fond…

Je la sentis bouger sous mon corps. Je quittai ses lèvres pour m’attaquer à un mamelon. Je le mordis
suffisamment fort pour arracher une plainte à Brynne et le suçai vigoureusement, histoire de le faire
gonfler à nouveau. J’infligeai le même traitement à l’autre sein.

— Tes magnifiques tétons aussi m’appartiennent. Quand je les mords et quand je les suce à te rendre
dingue…

— Mon Dieu…

Je glissai le long de son corps. Mes doigts, en elle, excitaient son petit bouton de rose pour la pousser
vers l’orgasme.

— Cette tendre chatte pleine de miel ! Elle est à moi quand j’y fourre ma queue et que j’y décharge un flot
de foutre…

Je lui chuchotai quantité de grossièretés qui l’allumèrent plus encore. Elle se tortillait. Elle secouait la
tête. Elle devenait folle et j’adorais ça. Je frappai son clitoris à coups de langue, et même je le mordillai,
j’en dévorai la chair jusqu’à entendre Brynne crier. Alors seulement je me radoucis et passai à de tendres
caresses sans cesse plus profondes.

— Encore ! Plus ! Baise-moi, Ethan !

Oh oui, qu’elle était chaude, toujours plus chaude.

Doux Jésus. Ma nana était enfin dans l’état où je souhaitais qu’elle soit. J’avais la langue pleine de
saveurs qui me rendaient fou. Elles se mélangeaient aux miennes, à son odeur, à sa chaleur, à ce divin
nectar que déchargeait sa chatte.

— Je vais y aller plus fort, bébé. On va monter en puissance.

Je retirai les doigts de sa vulve et les glissai vers l’autre orifice. Mon index trempé circula autour de
cette porte. Brynne étouffa un cri puis s’immobilisa. Je relevai la tête et déplaçai son corps. Appuyé sur
un bras, je me servais de l’autre pour mes explorations. Je poussai le bout de mon doigt à l’intérieur. À ce
moment, nos regards se croisèrent. Le sien était sauvage, enflammé.

— Je veux entrer par là, Brynne. Tu permets que je baise ton cul sublime ?

Je parlais tout près de sa bouche tremblante. Je lui mordillais la lèvre inférieure. Et je continuais de
l’agacer avec mon doigt, attendant sa réponse.

— Oui ! acquiesça-t-elle en un murmure rauque.

Je reculai et la tournai sur le ventre. Je lui soulevai les hanches et lui écartai les jambes de sorte à
pouvoir la prendre en restant à genoux. Elle était stupéfiante. Complètement offerte, elle anticipait et
consentait à mes désirs au-delà de toute attente.

Ma queue en main, j’en fourrai le gland dans son sexe trempé pour me lubrifier et pour lui caresser le
clitoris encore en encore, jusqu’à l’amener au bord de la jouissance.

— Mmmm…, grognai-je en rapprochant mon sexe de l’étroit passage. Putain, tu es tellement parfaite…

Je poussai, la pénétrant avec la tête de ma queue, j’essayai alors de l’ouvrir un peu plus, mais j’étais si
allumé que j’aurais pu décharger avant d’être entré vraiment.

Elle se tendit et se cambra sous l’invasion. Pour l’aider à se relaxer, je posai la main sur le bas de son
dos.

— Doucement, détends-toi, ma belle.

Elle se calma et respira à fond, elle m’attendait, elle se pliait à mes désirs. Elle était parfaite dans sa
façon de me laisser la prendre, ses muscles merveilleusement serrés autour de ma queue prête à exploser.
Je ne voulais pas lui faire mal, mais bon Dieu ! quelle excitation que d’être comme ça tout au bord de
prendre possession du lieu ultime où fusionner avec elle !

Elle tremblait sous moi.

— Tu vas me faire jouir, mon cœur. J’en ai envie à mort. Mais toi, d’abord. Ça va être bon, tu vas voir !

— Ethan, s’il te plaît, fais-moi jouir !

Elle se courba contre ma queue à peine engagée pour que je vienne à fond. Je sus alors qu’elle était prête
à me laisser la pénétrer même au prix de la douleur, tant elle était une amante généreuse.

Par tous les saints, au secours !

Je rassemblai toutes mes forces pour ne pas m’enfoncer dans ces profondeurs jamais encore atteintes
avec elle. C’est ce que je voulais. Ce dont j’avais besoin. Mais je voulais lui offrir encore davantage de
tendresse. Je savais que j’allais lui faire mal et qu’elle n’y était pas prête le moins du monde. Le moment
n’était pas encore venu. Nous allions devoir nous y préparer – une belle perspective à envisager. Comme
tout ce que nous entreprenions de nouveau. J’étais encore bien trop secoué, ce n’était vraiment pas le bon
moment pour lui infliger une première pénétration anale.

— Brynne ! je t’aime tant, murmurai-je contre sa nuque en glissant ma queue vers sa chatte.

La chair était si chaude qu’elle me brûla. Mon propre cri me parvint aux oreilles quand je m’enfonçai
profondément et me mis aussitôt à la pilonner. Les mains cramponnées à ses hanches, je donnais des
coups de boutoir encore et encore. Nos corps claquaient l’un contre l’autre au milieu des grognements
comme un plaisir absolu nous envahissait.

Ce fut long. J’avais grand besoin de chasser de mon cerveau les traces de ce cauchemar, et baiser était
encore la meilleure façon d’y parvenir. Si tu peux baiser, c’est que tu es vivant – une logique brute et
incontestable.
Du reste, on baisait plutôt brutalement, même pour nous. Et Brynne acceptait cette forme de brutalité
venant de moi. Comme ça l’avait déjà été et comme ça le serait encore, car je n’avais aucune intention de
la laisser repartir. Jamais. Il m’était impossible d’envisager de faire avec une autre femme ce que je
venais de lui faire. Je savais que je n’en serais pas capable.

Je le compris plus tard, dans le noir, après cette partie de baise démente dans laquelle je l’avais
entraînée, et après qu’elle se fut abandonnée près de moi à un profond sommeil. Elle avait joui tant de
fois qu’elle s’était aussitôt effondrée de fatigue quand je fus enfin en mesure de me calmer. À aucun
moment elle ne m’avait demandé d’arrêter, cela dit. Ma chérie se donnait à moi et n’exigeait pas
d’explications. J’en étais heureux, vu que je n’avais aucun désir de remettre ça sur le tapis pour le
moment. J’étais encore bien trop à vif après un tel cauchemar.

J’avais envie d’une cigarette mais me retins. Je me sentais fautif vis-à-vis d’elle. Je ne voulais pas lui
imposer cette habitude si peu saine, non je ne fumerais plus en sa présence.

Je la regardai dormir, j’écoutai sa respiration régulière. Ses longues mèches retombaient sur ses
clavicules et sa chevelure en désordre se répandait sur l’oreiller. J’en avais le souffle coupé. Je savais
que j’avais enfin trouvé mon ange, et que je ferais tout pour le garder.

Rien d’autre qu’un songe…

Grâce à elle, j’avais échappé à la folie de mon supplice. Grâce à elle, je désirais des choses que je
n’avais encore jamais désirées. J’étais désormais capable de tuer pour lui sauver la vie. Plutôt mourir
que de voir un malheur lui arriver.

Si je réussis enfin à m’endormir, ce fut uniquement grâce à sa présence.


21

Quand je me réveillai, le lit était vide et le reste de l’appartement l’était tout autant. Le cauchemar total.
Après la nuit que nous avions passée, je m’attendais à tout, sauf à ce que Brynne disparaisse.

J’eus mon premier indice alors que je roulais dans le lit vers son côté sans la trouver. Aucun corps chaud
et doux aux senteurs de fleurs et de foutre aussi, que je pourrais attraper et envelopper de mes bras. Il y
avait seulement des draps et des oreillers. Elle n’était plus là. Je l’appelai sans obtenir d’autre réponse
qu’un silence de mauvais augure. La peur m’envahit – une peur de malade.

C’était trop pour elle la nuit dernière ?

Je commençai par la salle de bains. Elle avait pris une douche. Son vanity-case et son maquillage étaient
là, mais pas elle. Elle n’était pas non plus en train de faire du café dans la cuisine ni installée dans mon
bureau à lire ses mails. Pas non plus dans la salle de gym à faire ses exercices. Elle n’était nulle part
dans l’appart.

Je décidai de visionner la caméra qui surveillait l’entrée et le palier. Toute personne qui passait par là
était filmée. Mon cœur cognait tellement que ça devait se voir. En examinant la dernière heure, je vis
Brynne se diriger vers les ascenseurs en jogging et baskets, les écouteurs aux oreilles.

— Putain ! m’écriai-je en abattant le poing sur mon bureau.

Sortie courir de bon matin ? Putain, je n’arrivais pas à le croire. Je fixai la scène, tout en frottant une
main contre ma barbe de trois jours. Puis je hurlai dans la ligne directe qui me reliait à Neil :

— Dis-moi que tu es avec elle en ce moment précis !

— Quoi ?

À sa voix, il était couché. Je me sentais de plus en plus mal.

— Mauvaise réponse, mec. Brynne a quitté l’appart. Pour aller courir !

— Je dormais, Ethan. Pourquoi je lui collerais aux basques alors qu’elle est avec toi dans ton appart…

Je raccrochai et appelai aussitôt Brynne. Bien sûr, je tombai sur la messagerie. Je dus me retenir pour ne
pas balancer mon téléphone contre le mur. Je réussis à taper : T où bordel de M ?

Je me précipitai vers ma penderie. J’enfilai rapidement quelque chose. Je me chaussai. J’attrapai les clés
de la voiture, mon portefeuille, mon téléphone et me précipitai au parking. Je m’engageai à toute allure
dans la rue, les pneus crissaient. J’essayai de calculer la distance qu’elle avait pu couvrir après avoir été
repérée par la vidéosurveillance. J’avais la tête farcie de scénarios catastrophe, à cette heure de la
journée, il était si facile pour un professionnel de la tuer sous couvert d’un accident de la circulation !

Il était tôt. À peine plus de sept heures et la ville s’éveillait. Un petit matin couvert typique de Londres.
Les vans de livraison. Les vendeurs ambulants. Les cafés du quartier s’animaient. Quelques personnes
couraient. Mais pas celle que je cherchais. Elle pouvait être n’importe où.

J’essayais de réfléchir, de comprendre pourquoi elle était partie sans me prévenir. J’avais une trouille
bleue que ce soit de ma faute. Ce qu’elle avait découvert de moi hier soir, peut-être ? Ou ce qui s’était
passé après… J’étais tellement dépassé avec Brynne que c’en était risible. Dieu sait que nous avions
chacun nos problèmes, mais le chaos émotionnel que nous avions traversé cette nuit dépassait peut-être ce
qu’elle était prête à supporter. Je me frottai la poitrine, en tenant le volant d’une main.

Mon portable sonnait. Neil. Je le mis sur le haut-parleur.

— Je ne l’ai pas encore repérée, dis-je. Je suis dans Cromwell Road, direction sud. Mais je pense que je
suis allé trop loin par rapport au moment où elle a été filmée.

— Écoute, Ethan, je suis désolé…

— Tu me diras ça quand je l’aurai retrouvée.

J’étais en rogne, mais ce n’était pas la faute de Neil. Brynne était avec moi, donc il n’était pas de service.
Donc, c’était ma faute. Quel putain de bordel.

— Je prends vers l’est, alors. Plein de joggers vont courir à Heath Downs, le long du parc.

— Fais ça, mec.

Je continuais d’explorer les rues en priant pour la voir enfin, quand un SMS arriva : T debout. Dscendue
boire un kfé. Tu veux ke je te ramène koi ?

Et si tu ramenais plutôt ton petit cul à la maison, la belle ?

J’étais si soulagé que j’en serais tombé à genoux de reconnaissance. Mais j’étais fou de rage aussi. Me
faire un coup pareil ! Dscendue boire un kfé, putain ! Merde. Je m’arrêtai et appuyai la tête contre le
volant. Il fallait vraiment que je lui explique deux ou trois trucs à propos des changements dans son mode
de vie, au cours des prochains mois. Et pour ce qui était des petits joggings aux aurores, il fallait oublier.

Et comment !

Mes doigts tremblaient sur le clavier : Kel kfé ?

Après un bref instant : Hot Java. T fâché ???

Ben voyons.

Le Hot Java était à moins de deux rues de chez moi. On y était même allés plusieurs fois après avoir
passé la nuit ensemble. J’avais cherché Brynne partout et elle était à deux pas de la maison ! Bouge pas !
Je viens te chercher !

Je dus passer au moins dix minutes dans la circulation avant de retrouver mon quartier. Je m’en voulais –
pour plusieurs raisons dont la principale était de ne pas m’être réveillé quand elle était partie. Ensuite, je
m’étais lancé si vite à ses trousses que j’étais passé devant le café sans la voir. Et cela, c’était
inacceptable. J’étais en train de déraper.

Pourquoi avais-je dormi aussi profondément ? On verrait ça plus tard.

À cause de notre marathon sexuel, peut-être ? Dû à ce cauchemar…

Oh ! je savais que ça reviendrait dans la conversation à un moment ou à un autre, dans pas très longtemps
sans doute. Brynne ne manquerait pas de m’interroger. Mais à la minute précise, j’étais trop à cran pour
me pencher sur ce qui bouillonnait dans mon inconscient. Le déni semblait une option nettement plus
séduisante.

Courir, mon cul ! Si ça, ce n’était pas jouer sur les mots !

Putain de merde, elle n’était pas à l’intérieur, là où je lui avais dit de m’attendre, mais sur le trottoir, avec
deux cafés dans les mains ! Et elle n’était pas seule, non plus. Il y avait un mec tout contre elle, en train de
lui faire la causette. C’était qui, lui, cet abruti ? Une connaissance ? Ou quelqu’un qui tâtait le terrain
avec Dieu sait quelle intention ? Elle allait l’avoir, sa correction, quand on se retrouverait en tête à tête.

Je me garai en face et traversai la rue à pied. Elle me repéra tout de suite et dit quelque chose au type qui
regarda de mon côté. Ses yeux brillèrent un peu et il se rapprocha d’elle.

Très mauvaise réaction, enfoiré.

— Ethan ! dit-elle.

Elle souriait, comme si cette façon de commencer la journée était tout ce qu’il y avait de plus normal.

Oh ! mon cœur. Il va vraiment falloir qu’on ait une petite discussion, toi et moi.

— Brynne, dis-je sèchement en la prenant par la taille pour la ramener vers moi.

Je jetai un regard appuyé à son ami qui aurait dû avoir vidé les lieux depuis un bon moment déjà. Le mec
était un peu trop chauve à mon goût, planté là comme s’il était habilité à lui parler, donnant l’impression
que ce n’était pas la première fois, et qu’il y avait même déjà eu quelque chose entre eux. Merde ! Il la
connaissait. Ce type connaissait Brynne.

— Ethan, voici Paul Langley. Un… Hum… Un ami du département d’art. Il enseigne… Il est arrivé pile
au moment où je sortais.

Elle était nerveuse, mal à l’aise. Je sais lire les gens et je percevais la gêne qui se dégageait d’elle. Quant
à ce mec, c’était une autre histoire. Il avait l’air beaucoup trop sûr de lui et de son bon droit, selon moi.

Brynne parut se reprendre. Elle continua :


— Paul, voici Ethan… Blackstone, mon petit ami.

Elle me tendit mon café.

— Je t’ai pris un café au lait.

Elle me regarda et approcha son propre gobelet de ses lèvres. Aucun doute : elle était mal à l’aise.

L’abruti me tendit la main le premier.

Toi, je te hais.

J’avais une main autour de la taille de Brynne et dans l’autre, mon café. Impossible de répondre poliment
sans la lâcher. Je n’avais que mépris pour lui avec son beau costume bien propre, bien coupé et qui puait
le fric. Lâchant Brynne, je consentis à lui serrer la main. Je lui écrasai les phalanges en essayant
d’oublier que je devais avoir une tête en pétard, comme si je venais juste de sortir du pieu, ce qui était
précisément le cas.

— Ravi de vous connaître, dit Langley sans en penser un mot.

Je répondis d’un hochement imperceptible. Pas moyen d’en faire davantage. Et si c’était malpoli, qu’il
aille se faire foutre. Ce type était trop au mauvais endroit et au mauvais moment pour jamais devenir un
ami. Je l’avais vomi au premier coup d’œil.

Il me dévisagea rapidement. Je décidai qu’il me revenait de mettre fin à cette poignée de main. Qui n’était
d’ailleurs qu’un affrontement à la con.

Sans cesser de le fixer, je lâchai donc sa main et posai les lèvres sur les cheveux de Brynne.

— Je me suis réveillé et tu n’étais plus là.

J’entourai sa taille à nouveau. Elle eut un rire nerveux.

— J’avais envie d’un café mocha au chocolat blanc.

— Je vois que tu as toujours besoin de ton café le matin. Certaines choses ne changent jamais, pas vrai,
chère Brynne, hein ?

Langley lui souriait d’un air complice. Désormais c’était clair. Il avait couché avec elle. Ou fait son
possible pour y arriver. Il y avait eu quelque chose entre eux. Je vis rouge sous les morsures de la
jalousie. Putain de bordel de merde, en quelques secondes j’étais terrassé par la violence de mes
émotions. Le poing me démangeait d’expédier ce Langley sur le trottoir face contre terre, mais il me
fallait d’abord éloigner complètement Brynne de lui.

— On va devoir y aller, mon cœur, dis-je en pressant ma main sur son dos.

Elle se raidit mais elle céda.

— C’était vraiment sympa de te revoir, Paul.


— Oui, très sympa. J’ai ton nouveau numéro et tu as le mien. Alors tu sais où me joindre, d’accord ?

Ce bouffon tourna vers moi un regard qui n’était rien d’autre qu’un défi. Il devait s’imaginer qu’il avait
affaire à une espèce de demeuré. Il osait me défier en laissant entendre que si Brynne avait besoin d’aide,
elle n’avait qu’à faire appel au prince charmant qui débarquerait aussi sec.

Connard. Dégage. T’es pathétique, enfoiré.

Brynne hocha la tête et lui répondit d’un sourire.

— Au revoir, Paul.

C’est ça, va te faire voir, Paul.

Sauf qu’à l’évidence, l’Amant Paul n’avait aucune envie de la quitter. Il avait envie de lui faire la bise ou
de la prendre dans ses bras avec force démonstrations d’affection, or il eut la présence d’esprit de
s’abstenir. Je n’ai jamais dit qu’il était con, c’était mon ennemi tout simplement.

— Je t’appelle. Tu me raconteras le Mallerton, dit-il en faisant le geste de téléphoner. Salut, chérie.

Il me regarda et je le regardai aussi. J’espérais sincèrement qu’il était capable de lire dans mes pensées
et d’entendre ce que je tenais vraiment à lui faire savoir.

Tête de cul ! Sac à merde ! Il est absolument HORS DE QUESTION que tu l’appelles pour parler du
Mallerton. Tu vas arrêter de la reluquer et même de penser à elle ! Pigé ? Ma petite amie n’est PAS ta
chérie. Et elle ne le sera jamais. Alors débarrasse le plancher avant de m’obliger à faire quelque chose
qui risquerait de m’attirer plein d’emmerdes avec MA petite amie.

Nous traversions la rue, mon cœur cognait et je débordais de fureur quand elle ouvrit la bouche :

— Bon sang, mais qu’est-ce qui t’a pris, Ethan ? C’était très impoli.

— Ne t’arrête pas, répondis-je entre mes dents. On discutera à la maison.

Elle me foudroya du regard et s’immobilisa sur le trottoir.

— Je t’ai posé une question. Ne me parle pas comme si j’étais une gamine qui a fait une bêtise !

— Monte dans cette voiture, répliquai-je.

Elle ne semblait pas comprendre que je me retenais de la soulever de terre pour l’asseoir de force sur le
siège passager.

— Excuse-moi mais j’en ai marre de ces conneries, dit-elle en s’éloignant de moi. Je rentre à pied.

J’allais exploser. J’étais à bout. Je lui attrapai la main pour la retenir.

— Non ! tu ne rentres pas à pied, dis-je à voix basse. Tu montes dans la voiture. Je te ramène à la maison.
J’étais tout près de son visage, et ses yeux projetaient sur moi des éclats de colère. Une colère qui la
rendait si belle ! Elle me donnait envie de la traîner au lit et de lui faire plein de vilaines choses et ce,
pendant très longtemps.

— Je n’ai pas d’ordres à recevoir de toi. C’est quoi, ce comportement ?

Je fermai les yeux et m’armai de patience.

— Ce n’est pas un comportement !

On nous regardait. Les gens entendaient tout, si ça se trouve. Bordel de merde !

— Est-ce que tu veux bien monter dans cette voiture, Brynne, s’il te plaît ? la priai-je avec un sourire
forcé.

— Qu’est-ce que t’es con, Ethan. J’ai une vie ! J’ai le droit d’aller courir le matin et de m’arrêter dans un
café si ça me chante !

— Non. Pas sans moi. Ou sans Neil. Et maintenant, tu vas poser ton joli cul de Yankee dans cette putain
de voiture !

Elle me fixa un moment, avant de secouer la tête. Ses yeux étaient comme des lames. Elle eut un
mouvement de menton impérieux et monta dans la Rover en tapant du pied. J’ignorai cette réaction, je me
trouvais sacrément indulgent compte tenu des circonstances ! J’envoyai à Neil un SMS pour lui dire que
je l’avais retrouvée. C’était la faire attendre, puisqu’elle était enfermée dans la voiture, sans possibilité
d’aller nulle part – en tout cas, pour le moment.

Je la regardai. Elle me regarda. Elle était en colère contre moi. Et moi, j’étais fou furieux.

— Ne fais plus jamais ça.

Mon ton était sans réplique.

— Quoi ? Marcher ? Prendre un café ?

Elle faisait la tête, tournée vers la vitre. Son portable s’alluma et vibra. Après un coup d’œil dans ma
direction, elle prit l’appel.

— Oui, Paul, tout va bien. Je m’excuse pour tout à l’heure, mais ne t’inquiète pas. Juste une petite
querelle entre amoureux.

Elle eut un petit sourire narquois à mon intention tandis qu’elle disait à ce connard prétentieux que ce
n’était pas mon jour. J’avais envie de lui arracher le portable des mains et de le balancer par la fenêtre.
Je l’aurais fait d’ailleurs, si elle n’avait pas coupé d’elle-même la communication, avant de fourrer le
téléphone dans sa poche.

— Tu sais très bien de quoi je parle, Brynne. Et ne te moque pas de moi avec lui !

— Tu m’as mise mal à l’aise, Ethan ! Paul pense que tu es…


— Je m’en branle absolument de ce que peut penser ce connard ! Au fait, qu’est-ce qu’il est pour toi ?

— Un type bien. Un ami.

Elle n’aurait pas pu dire ça en me regardant dans les yeux. Oh ! putain, si je savais !

— Tu l’as laissé te baiser, Brynne ? Il sait comment tu te sers de ton petit cul fait rien que pour la baise ?
Il a foutu ses pattes sur ton corps ? Fourré sa bite dans ta chatte ? Mmmm… J’ai une envie dingue de le
savoir. Dis-moi tout sur toi et Paul, ce chic type ?

— Tu sais que tu es un vrai connard, là ? dit-elle en croisant les bras et en regardant au loin à travers le
pare-brise. Je ne te dirai rien.

— Vous avez baisé ?

Elle remua sur son siège et le regard qu’elle me balança me fit mal jusque dans la queue.

— Qui est la dernière nana que tu as sautée avant de poser les yeux sur moi, Ethan ? C’était qui, cette
petite veinarde ? Je suis sûre que ça ne datait même pas d’une semaine, quand on s’est rencontrés !

Elle parlait en agitant les mains.

— C’était toi le type qui pense qu’une semaine sans baiser, c’est long !

Bordel de merde !

Tout ça n’était pas joli joli, mais elle avait raison. C’était terrible à dire mais j’avais oublié le nom de la
dernière nana qui avait réussi à se retrouver au pieu avec moi. Pamela ? Penelope ? Ça commençait par
un P en tout cas. Ivan devait le savoir. Ivan et sa liste interminable d’amies. C’est lui qui me l’avait
présentée, celle-là aussi. Je me renfrognai en me rendant compte que je ne me souvenais pas de grand-
chose, et qu’elle – plus le fait d’avoir couché avec elle – n’avait laissé en moi d’autre souvenir qu’une
simple lettre.

Paul aussi, ça commençait par un P. Et ce prénom-là, en revanche, j’étais sûr de ne pas l’oublier.

— Quoi ? reprit Brynne. Tu as du mal à te rappeler son prénom, c’est ça ?

Oui, c’est ça.

— Elle avait les cheveux comment ? Mmmm ?

Blond vénitien. C’est tout ce dont je me souviens.

— Tu aurais continué à la sauter, Ethan, si tu ne m’avais pas rencontrée ?

Elle ne lâchait pas l’affaire. Je ne répondis rien. Je démarrai la voiture et m’engageai dans la circulation.
Je voulais rentrer au plus vite et nous retrouver au point où nous en étions quelques heures plus tôt.
J’avais horreur de me disputer avec elle. Je finis par lui demander :
— Pourquoi es-tu partie ? Après une nuit pareille, tu me laisses tomber au petit matin ?

— Je ne t’ai pas laissé tomber, Ethan. Je me suis levée, j’ai couru sur ton tapis, j’ai pris une douche et
j’ai eu envie d’un mocha. Ce café, on y va tout le temps, et je savais que tu étais fatigué à cause de…
bon… tu sais.

Elle aussi pensait à notre nuit. Aucune idée si c’était à mon avantage ou non mais je l’espérais très fort.
Je garai la Rover dans le parking de l’immeuble. Brynne gesticulait sur son siège en soufflant
bruyamment. Manifestement, elle ruminait encore.

— Cela fait partie de mes habitudes matinales. Il ne pleuvait pas, l’idéal pour une petite balade de
quartier.

Elle parlait en agitant les mains.

— J’avais couru sur ton tapis. J’avais envie d’un mocha au chocolat blanc, c’est un crime, peut-être ? Je
n’ai pas braqué la Tour de Londres, ni volé les joyaux de la Couronne, que je sache !

Je levai les yeux au ciel.

— Chérie, est-ce que tu imagines un seul instant ce que j’ai ressenti quand je ne t’ai pas trouvée tout à
l’heure ? Pas de message, pas un mot, rien !

Elle renversa la tête contre le dossier du siège et regarda en l’air.

— Mon Dieu, aidez-moi ! Je t’ai laissé un mot ! Oui. Sur mon oreiller, bien en évidence. Je descends
boire au café au Java. Je reviens tout de suite. Je suis allée dans ta salle de gym, j’ai pris une douche et je
suis sortie. Ce n’était pas clair ça ? Où est le mystère ? Juste un petit matin normal, Ethan !

Des matins normaux comme celui-là, merci bien !

— Mais je ne l’ai pas vu, moi, ce foutu mot ! Je t’ai appelée et je suis tombé sur la messagerie ! Tu
n’avais qu’à décrocher si tu étais juste en train de faire la queue pour un café !

J’avais la rage, je descendis et fis le tour pour lui ouvrir la portière. Je la voulais à la maison et en tête à
tête. Ras le bol de cette dispute en public. Elle secoua la tête et sortit de la voiture.

— J’étais en ligne avec tante Marie.

J’écrasai le bouton de l’ascenseur.

— D’aussi bonne heure ?

Je la fis entrer dans la cabine et la poussai dans un angle, formant de mes bras une prison pour reprendre
mon ascendant sur elle. C’était un vrai électron libre. Le bruit des portes se refermant sur notre intimité
était ce que j’avais entendu de plus agréable de toute la matinée.

— Tante Marie est une lève-tôt et elle sait très bien que je pars courir de bonne heure.
Brynne regardait mes lèvres, ses yeux plongeaient en moi comme dans un livre ouvert. Et moi, j’aurais
tellement voulu savoir ce qu’elle pensait, ce qu’il y avait dans son cœur. Je me rapprochai encore sans la
toucher, cependant. Tout ce que je voulais, c’était me pénétrer de l’idée qu’elle était là, avec moi, saine et
sauve.

— Ne recommence plus, Brynne. Je parle sérieusement. C’est fini de t’en aller comme ça.

Les portes se rouvrirent. Brynne me contourna pour sortir. Je la suivis sur le palier. J’ouvris la porte de
l’appart. Dès que nous fûmes chez moi, elle laissa exploser sa fureur. Ses yeux étincelaient et lançaient
des flammes. Elle était vraiment folle de rage, et si belle en même temps que je bandais dur comme fer.

— Alors je n’ai même pas le droit de descendre boire un café au Java !

— Ce n’est pas exactement ça. Tu n’as pas le droit de descendre seule. Et encore moins sans prévenir
personne !

Je secouai la tête, exaspéré. Je jetai mes clés et me passai la main dans les cheveux.

— C’est si difficile à piger, comme principe ?

Elle me dévisageait d’un air bizarre, comme si elle essayait de me percer à jour.

— Pourquoi es-tu tellement fâché en fait, Ethan ? Je n’ai pas pris un risque énorme en allant prendre un
café en plein jour, avec des gens partout autour.

Elle croisa les bras.

— Pour moi, dis-je, tu étais partie. Tu étais rentrée chez toi.

La vérité est diabolique parfois. Avais-je véritablement prononcé ces mots à haute voix ?

— Ethan ! Je n’aurais pas fait ça !

Elle avait les yeux braqués sur moi.

— Pourquoi as-tu eu cette pensée ?

— Parce que tu l’as déjà fait ! hurlai-je.

Encore cette saloperie de vérité qui s’en donnait à cœur joie en se frayant un chemin au travers de mes
angoisses.

— Va te faire foutre ! siffla Brynne.

Elle pivota en faisant tournoyer ses cheveux et disparut dans la chambre en claquant la porte.

Putain de merde. Quel bordel. Se faire mettre ! Voilà ce qu’il lui fallait ! J’avais deux ou trois idées sur
comment l’obliger à la boucler. Après la nuit qu’on avait passée, on était en droit d’imaginer qu’elle se
serait réveillée toute douce et obéissante comme une gentille petite chatte. Manque de bol, je me
récupérais une tigresse.

Je me rendis compte que j’avais oublié, dans la voiture, le café qu’elle m’avait acheté. Rien à branler de
ce putain de café à la con, c’était d’une bouteille de Van Gogh et d’une dizaine de cigarettes que j’avais
besoin !

D’une douche, aussi. Et de mettre les choses au point avec cette mégère. Bon Dieu ! Qu’elle était pénible
quand elle se foutait dans ces états ! Mais d’abord, une douche. Ensuite, l’obliger à se poser pour
réfléchir rationnellement. J’allai directement dans la salle de bains, sans passer par la chambre où je
pensais qu’elle devait être en train de s’habiller pour aller au travail. Un peu d’intimité, ce n’était pas du
luxe vu qu’elle venait de m’envoyer me faire foutre. Je retirai mes chaussures, ma chemise et entrai.

Les yeux me jaillirent des orbites. Brynne était dans la salle de bains, à moitié nue, dans des sous-
vêtements hyper sexy. Elle se maquillait ou se coiffait, ou Dieu sait quoi.

Elle me jeta un regard qui en disait long sur la fureur qui continuait de l’habiter.

— J’ai retrouvé le mot que je t’avais laissé.

Elle tira un bout de papier du vanity-case.

— Il était sous les draps. Là où tu l’avais fourré.

Elle le laissa tomber et se tourna vers le miroir, exhibant ses fesses splendides, à peine recouvertes d’une
coquine petite culotte de dentelle noire, vision qui me brouilla les nerfs optiques.

Je pensai à son cul. Je pensai à notre nuit. À ce que nous avions fait. À ce que nous n’avions pas fait…

Son regard accrocha le mien dans la glace puis elle baissa les yeux, la courbe de ses seins rosit au-dessus
de la dentelle noire de son soutien-gorge qui m’inspira aussitôt une jalousie maladive.

Elle est à moi.

Elle se souvenait, elle aussi. Des choses avaient peut-être merdé entre nous, mais côté sexe, c’était du
béton.

— On est loin d’en avoir fini avec cette discussion à propos de ta sécurité et de la marche à suivre.

Je vins derrière elle et empoignai ses cheveux. Elle prit une grande inspiration et ses yeux dans la glace
lancèrent des éclairs.

— Et tu as tant de problèmes à affronter en ce moment.

Je l’obligeai à incliner la tête pour dégager sa nuque et l’embrasser.

— Ahh…

Sa respiration se fit plus difficile.


— Qu’est-ce que tu fais ?

Je descendis le long de son cou lui mordillant la peau. J’enfonçai mes dents juste ce qu’il fallait pour
l’entendre gémir. Son parfum m’envoûtait tant que je ne pourrais plus garder longtemps la maîtrise de
moi-même.

— Ce n’est pas à moi de le dire mais à toi. Tu vas me dire ce que je dois te faire, chérie. Je commence
par quoi ?

Je la tenais toujours par les cheveux, mon autre main glissa sur son ventre plat, doigts écartés. Je pressai
plus fort à mesure que je me rapprochais de la dentelle délicate. Brynne se tortilla mais je la tenais
fermement. Mon majeur s’introduisit entre ses lèvres et trouva le clitoris.

— Par ça ?

J’allais et venais avec mon doigt pour la faire mouiller, pour la préparer. Mais sans la pénétrer. Ça, il
allait falloir qu’elle le mérite.

— Oh ! mon Dieu, gémit-elle.

Je lui tirai un peu les cheveux.

— Mauvaise réponse, beauté. Tu ne m’as toujours pas dit par quoi je vais commencer. Vas-y. Dis-le.

— Ethan, je veux que tu…

Je retirai ma main d’entre ses cuisses. Le doigt qui venait de caresser sa chatte, je le fourrai dans ma
bouche. Je le suçai à fond et avec force démonstrations.

— Mmmm… un miel divin.

Je lui mordillai encore la nuque.

Elle était frustrée. Elle était allumée. Elle avait envie. Et je me délectais de la punir pour son
comportement. Elle se laissa aller contre moi. Elle frotta son cul contre ma queue. Je reculai. Ses
protestations me firent rire doucement.

— Ethan…

Je me moquai d’elle et lui tirai encore les cheveux.

— Alors comme ça, on est insolente. J’attends toujours, chérie. Dis-moi ce que tu veux que je fasse.

Je glissai une main sur ses fesses et empoignai brutalement la chair.

— C’est toi qui as commencé ce petit jeu, et tu le sais. Alors dis-moi ce que je vais te faire.

Elle poussa un cri quand j’introduisis mes doigts à l’intérieur, tout en continuant de lui refuser ma queue.
— Tu n’auras rien tant que tu ne l’auras pas demandé comme il faut.

Je retirai ma main et lui donnai une claque sur les fesses. Elle poussa un petit cri et se dressa sur la pointe
des pieds en se cambrant comme la magnifique déesse qu’elle était.

— Ethan, je veux que tu…

Elle s’alanguissait, elle essaya de tourner la tête vers ma poitrine.

— Mmmm… On dirait que tu aimes ça, la fessée sur ton petit cul exquis. Non ? Tu en veux une autre ?

Je chuchotais dans le creux de l’oreille.

— Tu la mérites, cette fessée, mon cœur. Tu sais que tu la mérites. Et tu n’as toujours pas fait ce que je
t’ai demandé, petite vilaine. Dis-moi ce que je vais te faire, là, contre ce lavabo.

Elle laissa échapper un merveilleux petit cri de soumission qui m’emballa le cœur et menaça de faire
exploser ma queue.

— Dis-le !

Je lui donnai une autre claque sur les fesses. Je retenais mon souffle, attendant sa réponse.

— Ahhh…

Elle se souleva, dessinant avec son corps une courbe élégante, et laissa échapper un halètement de sa
bouche entrouverte. Je savais que j’avais gagné. Je savais qu’elle allait le dire. Jamais je n’avais connu
une pareille excitation.

— Ethan ! je veux que tu me baises contre ce lavabo !

— Penche-toi en avant et accroche-toi, lui ordonnai-je en reculant.

J’attendais son consentement. Elle tremblait un peu. Mais elle se mit en position, exactement comme
ordonné. Elle dégageait une telle sensualité que je ne pouvais plus me détacher du délire sexuel qui nous
emportait – mais bon Dieu, c’était trop fort, impossible d’arrêter.

Je passai les doigts sous l’élastique de cette minuscule culotte noire, et la fis descendre brusquement en
lui écartant les jambes. Je respirais le parfum de son désir. Elle avait envie de moi. Elle voulait ce que
j’avais le pouvoir de lui donner. Je fis bâiller mon pantalon de jogging et j’empoignai ma queue. Je la fis
glisser sur sa fente humide et m’en servis pour frotter son clitoris, mais sans la pénétrer.

— C’est ça que tu voulais, mon amour ?

Brynne se tortillait pour essayer d’atteindre le gland et de s’enfiler sur mon membre. Louables efforts.
Mais c’était moi le patron, pas elle. Et elle n’en avait pas encore fait assez. Ma nana allait devoir
s’activer un peu plus, si elle voulait sa récompense.

Je la pris à nouveau par les cheveux, la forçant à ployer la nuque en arrière en un mouvement élégant.
— Réponds à la question, chérie, dis-je doucement.

Une petite boule passa dans son joli cou comme elle déglutit, nous nous regardâmes dans la glace. Lui
tirer les cheveux avait un pouvoir déclencheur sur sa libido. Je ne lui faisais jamais vraiment mal, juste
assez cependant pour exercer une domination sur son corps. Ce qui la rendait folle, apparemment, et c’est
bien pour cela que je continuais à le faire. Je ne voulais que son plaisir, à ma belle.

— Oui, Ethan. Je veux ta queue. Je veux que tu me baises avec ta queue. Fais-moi jouir ! S’il te plaît !

Elle tremblait contre moi. Elle frémissait tant elle était chaudement allumée.

Je ris et léchai sa nuque offerte.

— Parfait. Et la vérité, mon cœur ? C’est quoi, la vérité ?

Je frottai encore le clitoris surexcité et j’attendis. J’adorais le goût de sa peau et le parfum de désir qui se
dégageait d’elle.

— La vérité, c’est… C’est que je suis à toi, Ethan ! Maintenant, je t’en supplie !

Elle m’implorait. Ses paroles m’emplissaient le cœur au risque de le faire éclater. C’était la perfection
absolue.

— Oui, tu es à moi. Et c’est ce que je veux, chérie. Ton plaisir, c’est mon bon plaisir.

Je me positionnai et l’empalai aussi profondément que possible. Le contact de nos sexes nous fit hurler de
plaisir. Tout en la baisant, je continuais de la tenir par les cheveux, afin de pouvoir admirer dans la glace
ses yeux magnifiques. C’était mon truc. Je ne saurais dire pourquoi, mais j’avais besoin du regard de
Brynne quand on faisait l’amour. Je voulais voir en elle, saisir chacune de ses sensations. Il fallait que je
sache l’effet produit par chaque coup de boutoir, par chaque pulsion de nos sexes se frottant l’un à l’autre
dans notre course vers l’extase jusqu’à ce que nous basculions ensemble dans un abîme de voluptés bien
à nous.

Ce n’est pas par hasard que l’on aime plonger dans les yeux de l’autre quand on est en train de jouir, et
me perdre dans le regard de Brynne quand on jouissait nous unissait puissamment l’un à l’autre. Ce qui
nous arrivait alors était même si intense que c’en était effrayant. J’étais devenu extrêmement vulnérable,
mais c’était trop tard : la chute était irréversible.

Ses muscles se refermaient sur moi. Brynne se contracta. L’orgasme arrivait. Elle cria mon nom en
tremblant de tout son corps. Je continuais d’aller et venir, de l’emplir au plus profond avec ma queue et
d’éprouver à chaque mouvement la tenaille de sa chatte sur ma chair. C’était si bon, de la sentir se
convulser sur mon membre, que j’en avais les yeux qui brûlaient.

Brynne avait un corps fait pour le sexe, mais c’était elle, en tant que personne, qui comptait. Ce que
j’aimais, c’était elle. Une seconde avant de jouir, je m’enfonçai aussi profondément qu’il m’était possible
en lui mordant l’épaule. Elle cria. Cri de douleur ou de plaisir ? Je n’avais eu aucune intention de lui
faire mal mais je ne me contrôlais plus. Je m’accrochais à elle, je voulais la garder avec moi aussi
longtemps que possible en la comblant de mon foutre. Je voulais la faire mienne.
Je déchargeai en répétant :

— Je… t’aime… je t’aime…

Je disais ces mots en fixant ses yeux dans le miroir.

Nous ne sommes pas arrivés au travail à l’heure, mais quelle importance ? Il y avait d’autres priorités.
L’amour nous avait exténués, c’est à peine si nous tenions debout. Je la pris dans mes bras et l’emmenai
sous la douche. Je la lavai soigneusement, et la laissai me laver. Nous ne parlions pas. On se regardait,
on s’embrassait, chacun dans ses pensées. Je l’enveloppai dans une serviette et la ramenai au lit. Elle, à
nouveau étendue à mes côtés, tout apaisée et contente, c’est alors seulement que nous commençâmes à
parler de la situation.

— Si tu sors toute seule, tu cesses d’être en sécurité. Il ne faut plus recommencer. On ne sait pas où ils en
sont et je ne veux pas courir le risque de te mettre en danger.

Je m’exprimais doucement mais fermement. Je ne changerais pas d’avis et il fallait que ce soit clair.

— C’est comme ça.

— Vraiment ? C’est à ce point ?

Elle semblait étonnée, c’est alors qu’elle eut de nouveau cette expression d’effroi que je lui avais déjà
vue.

— Ce qui se passe dans le camp Oakley et chez leurs adversaires, on l’ignore. Nous devons présumer
qu’Oakley te fait surveiller, Brynne. Il sait où tu étais ces dernières années. Où tu bosses. Où tu vis. Il doit
même avoir la liste de tes amis. Je vais bientôt être obligé de parler à Gabrielle et Clarkson. Il faut les
informer au cas où on chercherait à les approcher, du simple fait que ce sont tes amis. Ils sont au courant
de tout, n’est-ce pas ?

Elle approuva tristement.

— Je ne vois pas pourquoi des gens s’en prendraient à moi, dit-elle. Je n’ai rien fait et je n’ai aucune
intention de remuer le passé. Moi, je n’ai qu’une envie : tout oublier. Qu’est-ce que j’ai fait de mal ?

Je l’embrassai sur le front et lui frottai le menton avec mon pouce.

— Tu n’as rien fait de mal. On essaie juste de te protéger. Il faut être très, très prudent.

Je lui donnai trois séries de baisers sur les lèvres.

— Je ne veux rien avoir à faire avec le sénateur Oakley, murmura-t-elle.

— C’est parce que tu n’es pas opportuniste. Beaucoup d’autres essaieraient de lui extorquer de l’argent
en échange de leur silence. Comme tu ne l’as pas fait, ils te surveillent, histoire de découvrir ce que tu as
en tête. Je suis sûr qu’ils essaient aussi de savoir si les ennemis d’Oakley tentent de t’approcher. Et pour
être franc, ce sont eux, les ennemis du sénateur Oakley, qui m’inquiètent le plus. En dernière instance,
cette vidéo et ce qu’il sait font de lui un coupable. Son fils et les copains de son fils, tous majeurs à
l’époque, ont commis un crime qu’il a couvert. Pour ses adversaires, cette info est un vrai trésor,
politiquement parlant. Médiatiquement aussi. Cette histoire sordide ne demande qu’à être exploitée.

— Mon Dieu.

Elle se mit sur le dos et se couvrit les yeux.

— Hé, toi…

Je l’obligeai à me regarder à nouveau.

— Pas de panique, d’accord ? Je vais faire en sorte qu’ils te laissent tranquille. D’abord, parce que c’est
mon boulot et aussi parce que tu es ma petite amie.

Je gardais son visage tout près de moi.

— C’est toujours vrai, n’est-ce pas ?

Je ne la lâchais pas. J’avais besoin d’être rassuré sur ce point. Je voulais savoir.

— Cette nuit, c’était… un tel bordel…

Elle me coupa :

— Mes sentiments n’ont pas changé. Je suis toujours ta petite amie, Ethan. Ce qui s’est passé cette nuit
n’a rien modifié en ce qui me concerne. Tu as tes côtés sombres et j’ai les miens. Je comprends ça.

Je l’enroulai dans les couvertures. Je l’embrassai très tendrement pour qu’elle sache combien j’avais
besoin d’entendre ces mots-là. Mais j’en voulais plus encore. Toujours plus. Comment pourrais-je jamais
être comblé ? Elle était si douce, si belle, si adorable !

— Je m’excuse pour ce matin, dit-elle en faisant courir son doigt sur ma lèvre inférieure. Je ne partirai
plus comme ça, promis juré. C’est triste que tu aies pensé que j’allais recommencer. Ça m’a terrifiée
quand tu t’es réveillé de ce cauchemar, Ethan. C’est horrible de te voir souffrir comme ça.

Je lui embrassai le doigt.

— L’égoïste en moi n’était pas fâché que tu sois là. C’était un tel soulagement de te trouver auprès de
moi. Je ne serais même pas capable de dire l’émotion que j’ai ressentie quand j’ai compris que tu étais
là, saine et sauve à mes côtés. Mais c’est terrible pour moi de penser que tu as pu me voir dans un tel état.

Je secouai la tête.

— C’est terrible que tu m’aies vue ainsi, Brynne.


— Toi aussi, tu m’as vue sortir d’un cauchemar, et ça n’a rien changé à tes sentiments.

— C’est vrai.

— Alors pourquoi ne serait-ce pas la même chose, Ethan ? Tu ne veux pas qu’on partage ça… Tu ne veux
pas me laisser entrer.

Elle avait l’air blessée, encore une fois.

— Je… je ne sais pas… Je vais essayer, d’accord ? Je n’ai pas raconté à grand monde ce qui est arrivé.
Je ne sais pas si je peux… Je ne sais pas si j’ai envie de t’emmener dans cet enfer. Ce n’est vraiment pas
un endroit où j’ai envie de t’entraîner, Brynne.

— Oh ! chéri.

Elle posa les doigts sur ma tempe et plongea son regard dans le mien.

— Mais moi, je veux y aller. Pour toi.

Elle fouillait mes pensées.

— Je voudrais savoir si je compte assez à tes yeux pour que tu partages tes secrets avec moi, pour que tu
me laisses enfin pénétrer en toi. Je sais écouter. C’était quoi, ce rêve ?

Pour elle, je voulais bien essayer d’être normal, mais en étais-je capable ? Il allait bien falloir que
j’affronte enfin la question si je ne voulais pas risquer de la perdre. Brynne était têtue et quelque chose
me disait qu’elle ne laisserait pas tomber aussi facilement juste parce que je lui avais dit que je ne
voulais pas en parler.

— Tu comptes vraiment pour moi, Brynne. Il n’y a que toi qui comptes, d’ailleurs.

Je parcourus avec mon doigt la naissance de ses cheveux. Je l’embrassai encore profondément en me
délectant des saveurs de sa bouche. J’adorais sa si tendre façon de se plier à mes envies. Mais un baiser
a une fin, et il me fallait encore affronter mes démons.

Je trouvai la force de rassembler mon courage et, prenant une grande inspiration, je roulai sur le dos,
gardant les yeux fixés sur la fenêtre haute. La journée s’était assombrie, tout comme mes pensées, et la
pluie n’allait pas tarder – un temps brouillasseux en harmonie avec mon humeur. Brynne ne bougeait pas,
elle attendait la suite.

— Excuse-moi pour cette nuit, dis-je doucement. Et pour mon comportement, après, à ton égard. Je me
suis montré tyrannique. C’était trop. Tu me pardonnes ?

— Bien sûr, Ethan. Mais je voudrais aussi comprendre.

Elle posa la main sur mon cœur.

— Le cauchemar est lié à la période où j’étais dans les forces spéciales. On est tombés dans une
embuscade. Presque tout le monde a été tué. J’étais l’officier supérieur et mon arme s’est enrayée. Ils
m’ont capturé… Les Afghans m’ont fait subir vingt-deux jours d’interrogatoire.

Elle inspira fortement.

— C’est de là que viennent tes cicatrices dans le dos ? Ils t’ont fait ça ?

Elle parlait doucement mais l’angoisse perçait dans sa voix.

— Ouais. Ils m’ont lacéré le dos à coups de câble, entre autres.

Elle m’étreignit plus fort. J’avais du mal à déglutir, l’angoisse montait. Mais je continuai, me sentant en
porte-à-faux de ne pas arriver à lui expliquer vraiment que les pires cicatrices n’étaient pas celles que
j’avais dans le dos.

— J’ai rêvé d’un truc qui… qui s’est vraiment passé… C’était un moment où j’étais sûr qu’ils allaient
me…

Je me tus. Je n’arrivais plus à respirer. Je ne pouvais tout simplement pas raconter ça. Pas à elle.

— Tu as le cœur qui bat fort.

Elle fit glisser ses lèvres vers l’endroit où le muscle cardiaque œuvrait à me pomper le sang. Je mis la
main sur sa tête. Je ne pouvais plus m’arrêter de la caresser.

— D’accord, Ethan. Tu n’es pas obligé, si tu n’es pas prêt. Quand ce sera le cas, je serai là.

Sa voix était à nouveau remplie de tristesse.

— Je ne veux pas que tu aies plus mal à cause de moi.

Je lui caressai la joue avec le dos de mon doigt.

— Es-tu réelle ? murmurai-je.

Ses yeux brillaient. Elle hocha la tête.

— Ce matin, quand je me suis réveillé et que tu n’étais plus là, j’ai pensé que tu étais partie à cause de
tout ce bordel, cette nuit. Alors j’ai perdu les pédales. Brynne… Je ne peux plus me passer de toi. Tu le
comprends ou pas ? Je ne peux plus.

J’effleurai son épaule, la morsure laissée tout à l’heure par mes dents, pendant notre orgasme volcanique
contre le lavabo.

— Je t’ai fait une marque. Pardon pour ça aussi.

Je léchai la trace sur sa peau. Elle frissonna sous ma bouche.

— Écoute, dit-elle en prenant mon visage à deux mains. Je t’aime et je veux être avec toi. Je sais que je
ne suis pas tout le temps en train de te le répéter, mais ça ne veut pas dire que je le pense moins pour
autant. Ethan ! si je ne voulais pas être avec toi ou si je ne pouvais pas, alors je ne… tu le saurais.

Mon soulagement était si fort qu’il me fallut un moment pour récupérer ma voix.

— Dis-le encore.

— Je t’aime, Ethan Blackstone.


22

Un déjeuner au Gladstone et Ivan était en retard ! C’est à se demander pourquoi je m’obstinais à me


montrer ponctuel puisque mon cousin, lui, s’en foutait. Je consultai ma montre et promenai un regard dans
la salle. Cet ancien club pour gentlemen avait été rafraîchi. Avec ses tables recouvertes de nappes
blanches et ses lambris de couleur claire ornés de grands miroirs, il n’avait plus grand-chose à voir avec
l’enclave qu’il avait été pendant des siècles, dominée par une société exclusivement masculine de
Londoniens triés sur le volet.

Ivan y aurait certainement fait bonne figure. Il était pair du royaume, même s’il n’appréciait pas du tout
qu’on le lui rappelle, et même s’il était loin d’en respecter l’étiquette. On ne choisit pas sa naissance et
Ivan n’était pas responsable du fait que son père avait été le dernier baron Rothvale, pas plus que moi je
ne l’étais du mien, chauffeur de taxi à Londres. De toute façon, nous étions liés par des affinités beaucoup
plus profondes que celles fondées sur l’argent.

Mais quelle importance tout cela ? Ivan pouvait bien s’être jeté du haut d’une falaise, si l’idée lui
chantait, moi, j’avais à ma table deux femmes superbes et heureuses – ma chérie et sa meilleure amie.

— On dirait que ces dames ont dévalisé les boutiques, dis-je en leur servant du Riesling.

Radieuses, Brynne et Gabrielle échangeaient des regards de connivence. Elles partageaient leurs petits
secrets de nanas, un mystère dont je pouvais seulement avoir une vague idée. Elles étaient parties
s’acheter des robes, quand un SMS de Brynne arriva me demandant quels étaient mes projets pour le
déjeuner. Puisqu’elles n’étaient qu’à deux ou trois rues du Gladstone, j’avais répondu en les invitant à se
joindre à nous. J’avais envie de présenter Brynne à Ivan, de toute façon, car j’espérais bien qu’il pourrait
la pistonner à la National Gallery. Je ne suis pas fier au point de ne pas demander un service. De toute
façon, ça ne devrait pas lui poser de problème… Il pouvait bien siéger au conseil d’administration d’un
des musées les plus prestigieux du monde, en réalité, le bonhomme n’en avait absolument rien à faire. Je
suis même sûr qu’Ivan aurait démissionné de cette fonction s’il avait pu.

— En effet, Ethan. Brynne s’est acheté une fabuleuse robe vintage pour le gala Mallerton.

Gabrielle me prévint d’avance :

— Je ne te dis que ça.

Je fis la grimace.

— Si je comprends bien, elle n’en sera que plus merveilleuse encore.

Brynne rougit. Je revins à Gabrielle :


— Exactement ce qu’il me faut : toujours plus d’admirateurs à ses trousses. Et moi qui pensais pouvoir
me fier à toi, Gabrielle. Tu ne devais pas me filer un petit coup de main ?

Je pris un air implorant :

— En la traînant dans une boutique de trucs moches, par exemple.

Ça avait l’air d’une plaisanterie mais au fond, je parlais tout à fait sérieusement. Je détestais voir des
mecs déshabiller Brynne du regard. Gabrielle haussa les épaules :

— C’est tante Marie qui nous a envoyées dans cette boutique. Elle est hyper douée pour repérer tout ce
qui est rare et unique. Le magasin est un vrai petit bijou planqué dans un coin de Knightsbridge. Je sais
que j’y retournerai.

Elle me sourit d’un air narquois.

— Tu as besoin d’un peu de concurrence, Ethan, de toute façon. C’est bon pour ton ego

Elle but une gorgée de vin et se détourna pour consulter ses messages.

— Pas du tout, dis-je. Je me bagarre assez comme ça ! Merci bien.

Je pris la main de Brynne pour l’effleurer de mes lèvres.

— Je suis content que tu sois venue déjeuner.

Elle se tut et sourit en prenant cet air mystérieux qui lui est si particulier. Comme j’aurais aimé être seul
avec elle !

Gabrielle se montrait une amie dévouée, dirai-je, et farouchement protectrice à l’égard de Brynne. Notre
relation pouvait fonctionner tant qu’elle me considérait comme un ami et non comme un ennemi –
jusqu’ici, j’avais passé les tests avec succès. Elle était magnifique, elle aussi, mais simplement pas mon
style de femme. Ses longs cheveux bruns traversés d’éclats cuivrés s’harmonisaient à merveille avec ses
yeux d’un vert soutenu. Une belle ligne aussi, même si elle ne correspondait pas à mes goûts, je n’étais
pas aveugle et j’étais un homme !

Ses yeux me rappelaient ceux d’Ivan, d’ailleurs. C’était le même vert. Comment allait-il la trouver ? Lui,
le dragueur invétéré ! J’étais prêt à parier qu’elle lui plairait beaucoup. Y penser me donnait envie de
rire. Gabrielle allait sûrement l’envoyer balader, ce qui ne l’empêcherait pas de continuer à lui faire du
plat, bien au contraire. Arriverait-il même à se la faire ? En tout cas, on allait bien s’amuser.

Elle aussi était américaine. Elle aussi étudiait l’art à l’université. Et elle aussi traçait sa route loin de la
terre natale… Le papa était sujet de Sa Majesté, cela dit. Un certain Robert Hargreave, inspecteur en chef
à New Scotland Yard. Je m’étais renseigné : c’était un flic de confiance, un homme respecté. Ce ne serait
peut-être pas une mauvaise idée de le rencontrer un de ces quatre. Même si tout était calme sur le front
Oakley. Pas de nouvelles, bonne nouvelle… Enfin, on pouvait l’espérer.

— Alors ? demandai-je à Brynne. Elle est de quelle couleur, cette robe stupéfiante qui fera baver les
mecs et me rendra dingue de jalousie ?
— Pervenche, répondit-elle en souriant à nouveau. Tante Marie nous a rejointes dans la boutique. On
s’est amusées comme des folles avec elle. Elle s’y connaît en matière de mode.

— Tu aurais dû l’inviter à déjeuner avec nous.

— J’aurais adoré mais elle était déjà prise avec les dames de son club de lecture. Elle m’a dit de te
transmettre combien elle a hâte de faire ta connaissance.

Brynne rougissait encore, comme intimidée à l’idée que nos familles puissent se rencontrer.

Son côté réservé était adorable en société mais heureusement qu’avec moi, elle le laissait à la porte de la
chambre à coucher. Non, ma petite amie n’était pas farouche au lit, et c’était une excellente chose. Je
calculai les heures qui nous séparaient encore du moment où je la ramènerais ce soir dans la chambre, et
où elle aurait l’occasion de me montrer combien elle était peu réservée. Jusque-là, on avait trempé les
draps, on avait baisé dans la douche, sur mon bureau, sur le tapis devant la cheminée, sur la chaise longue
du balcon et même dans ma salle de gym. Je remuai sur la chaise au souvenir de notre petit entraînement
de ce matin. Incroyable, le plaisir qu’on peut tirer d’une machine à muscu – moi sur le banc et Brynne
toute nue allant et venant sur mon…

— Tu vas adorer tante Marie, Ethan.

Gabrielle interrompit ma rêverie érotique tout en continuant de passer distraitement ses messages en
revue. J’avais grand besoin de remettre ma queue en place mais je me contentai de leur grimacer un
sourire, à toutes les deux.

Tante Marie si révérée, oui, elle aussi, j’allais bientôt devoir la rencontrer. Nous étions convenus avec
Brynne qu’il était temps d’organiser un dîner à la maison. La liste des invités comprenait mon père, la
tante, Gabrielle, Clarkson, Neil et Elaina. On en avait discuté. L’heure était venue de mettre tout le monde
au parfum à notre sujet et de leur parler aussi des menaces qui pesaient sur Brynne. Chacun était concerné
et devait être informé du danger potentiel. Il n’était pas question de courir le moindre risque avec ma
Brynne. De toute façon, ils étaient déjà tous au courant de son passé.

— J’ai très hâte de faire sa connaissance, dis-je à Brynne. J’ai l’impression qu’elle t’aime beaucoup.

Je jetai un coup d’œil à ma montre.

— Incroyable, qu’on puisse être aussi en retard. Quel malpoli, cet Ivan.

— Appelle-le, suggéra Brynne.

— Pas la peine, dis-je sèchement. Il ne décroche jamais son portable. Si ça se trouve, il ne l’allume
même pas.

— Oh non ! dit Gabrielle en levant le nez de ses messages. Je vais devoir passer à la fac. Des problèmes
avec un tableau. Un accident. Un produit solvant a été renversé sur une œuvre rare… Brynne ! écoute ça !
Sur un Abigail Wainwright !

Elle avait l’air horrifiée. Elle se leva d’un bond et attrapa son sac.
— Très mauvais scénario.

— Oui c’est très mauvais, appuya Brynne en secouant la tête. Le solvant va traverser la toile si ce n’est
pas neutralisé à temps…

J’essayai de suivre leur discussion de spécialistes mais cela ne m’était pas facile. Je n’ai pas la fibre
artistique même si je peux apprécier des œuvres. Le portrait de Brynne, si on me demande mon avis, c’est
le sommet de l’art.

— Besoin d’une voiture ? proposai-je. Neil peut t’emmener.

— Non, ça ira. Je vais prendre un taxi – c’est plus rapide. Je suis vraiment obligée de filer, mais merci.
De toute façon, à demain chez toi, Ethan. Profitez de votre déjeuner, vous deux.

— Tiens-moi au courant, dit Brynne. Si quelqu’un peut régler le problème, c’est bien toi, Gaby !

Gabrielle embrassa son amie, me fit au revoir de la main et sortit du Gladstone sous les yeux éblouis
d’une flopée de mâles tournés comme un seul homme vers ses formes longilignes.

Je souris à Brynne. Je lui pris les mains.

— Comme ça, je t’ai pour moi tout seul.

J’ajoutai en baissant la voix :

— Dommage qu’il y ait du monde autour.

— Oui, on ne déjeune jamais, dit-elle en me pressant légèrement les doigts. Tu as eu tellement de travail,
ces derniers jours. Alors avec ces Jeux qui arrivent ! Mon Dieu, c’est énorme, Ethan. Tous ces gens…

Elle sourit :

— William et Kate !

Je hochai la tête.

— Oui, ils seront là aux cérémonies. Le prince Harry aussi. Un joyeux drille.

— Tu le connais ? dit-elle, incrédule.

J’opinai de nouveau.

— Tu veux que je te le présente ? Bon, à condition que tu n’aies pas un faible pour les princes aux
cheveux roux…

— Certainement pas. J’ai un faible pour les bruns qui bossent dans la sécurité.

Qui donc avait fait grimper la température à plein régime ? Je passai en revue les possibilités. Une porte
marquée privé, par exemple. Je jure que j’y aurais entraîné Brynne, et que je l’aurais déshabillée derrière
en deux temps trois mouvements.

— Vous êtes tellement cruelle, mademoiselle Bennett.

Elle semblait absolument ravie d’elle-même, ainsi assise face à moi, dans ce restaurant. Tellement ravie
qu’un agréable souvenir me revint : cette fessée contre le lavabo. Bon Dieu ! la sensualité de cette scène,
elle penchée en avant… À me rendre fou.

— Revenons à ton boulot. Pendant ces foutus Jeux, la sécurité des grands de ce monde repose sur toi,
Ethan !

Son enthousiasme me ramena sur terre. Certainement une sacrée bonne chose, en l’état.

— Je ne me plains pas, ces Jeux, c’est bon pour les affaires. Le plus dur, c’est le stress. Je veux que ça
baigne, c’est tout. Tant qu’il n’y a pas de machination, pas de dingue surgissant avec une hache au nom de
sa cause à la con, pas d’attentat, pas d’emmerdements, je respire… Je veux que mes clients soient
heureux et en lieu sûr, c’est tout.

Je tendis la main vers mon verre.

— On va commander. Ivan ne viendra plus… Toujours en retard pour tout, grommelai-je en ouvrant le
menu.

Brynne me dit ce qu’elle souhaitait manger, puis se leva pour aller aux toilettes. Je la regardai s’éloigner.
Les autres aussi la regardaient. Je soupirai. Elle avait beau être discrète, on se retournait sur elle. Voilà
une qualité dont je me serais bien passé, tout en sachant que ça faisait partie du jeu. Les hommes la
déshabilleront toujours du regard. Ils la désireront toujours. Toujours, ils essaieront de me l’enlever.

Au boulot, c’était la folie complète. Plus j’étais débordé, plus j’étais forcé de me concentrer sur ce qu’il
y avait à faire, et moins j’étais disponible pour sa sécurité à elle. Les deux dernières semaines s’étaient
bien passées pour nous et pour notre relation, mais pas sans inquiétude. La crainte ne disparaîtrait jamais.
J’avais assez de métier pour le savoir : quand tout a l’air calme, ce n’est pas le moment de baisser la
garde. Brynne demeurait excessivement vulnérable. Et cette simple pensée me rendait fou.

— Désolé, Ethan. Pas vu l’heure passer et tout le reste.

Ivan se laissa tomber sur la chaise en face de moi.

— Sympa d’être venu. À un rendez-vous fixé par toi, qui plus est. Et ça, c’est la place de Brynne. Elle va
revenir.

Ivan changea de chaise.

— Un truc m’a détourné de mon chemin, dit-il.

— Ben voyons, grognai-je. Ta bite t’a entraîné dans une autre direction, c’est ça ? Tu as sauté quelle nana
?

— Fais pas chier. Ce n’est pas ça du tout. C’est les journalistes, ils me cassent les couilles – écoute,
j’aurais besoin de quelque chose de plus substantiel que ça…

Il parlait du vin. Il fit signe au serveur et sa figure accablée se transforma en un visage implorant.

Je le laissai faire. Mon cousin avait ses défauts mais qui n’en a pas ? Il n’avait pas mérité ce qui lui
arrivait, du reste. Au final, il était autant dans la merde que quiconque.

Au bout de quelques instants, Brynne regagnait notre table. Son expression était indéchiffrable, mais
j’aurais parié que quelque chose la turlupinait. Et je me demandais bien quoi.

Je me levai et lui pris la main en repoussant d’un coup de pied la chaise d’Ivan, pour qu’il se lève aussi.
Il bondit et écarquilla les yeux en voyant Brynne. Je regrettai de ne pas lui avoir refilé un coup de pied à
lui, plutôt qu’à la chaise.

— Brynne, voici mon cousin, Ivan Everley. Ivan, Brynne Bennett, ma merveilleuse petite amie, la plus
belle. Elle n’est absolument pas disponible, je précise.

— Enchanté, Brynne, dit-il en français.

Il lui fit un baisemain que je jugeai très nettement appuyé, mais venant de lui, qu’attendre d’autre ?

Question rhétorique à la con.

Brynne affichait son sourire sublime en saluant Ivan dans les règles de l’art. Je la fis asseoir, puis je
m’assis moi-même. Ivan restait debout, l’air complètement abruti.

— Tu peux t’asseoir, maintenant. Et tu nous fais grâce de tes conneries, d’accord ?

— Ma foi, Brynne, dit-il, je voulais vous demander comment vous vous êtes débrouillée pour mettre le
grappin sur Ethan, mais maintenant que je vous vois, je me dis que c’est à lui qu’il faut poser la question.

Il en faisait des tonnes tout en me dévisageant.

— Alors, Ethan ? Comment tu t’y es pris pour capturer une aussi exquise créature ? Je veux dire… Mais
regarde-la ! Et regarde-toi. Un vrai bonnet de nuit !

Il revint à Brynne.

— Qu’est-ce que vous lui trouvez, ma chère ?

Le menton sur la main, il feignit d’attendre la réponse avec un immense intérêt.

— Bon Dieu ! Ivan ! Arrête tes conneries !

Brynne riait. Elle raconta mes efforts répétés pour obtenir un rendez-vous.

— Il a beaucoup insisté, Ivan. Il n’a jamais lâché l’affaire. J’ai fini par dire oui.

Elle but une gorgée de vin et me lança un clin d’œil.


— Vous deux, vous êtes si différents, dit-elle. Vous avez toujours été aussi proches ?

— Oui.

Nous avions répondu tous les deux en même temps. Ivan me regarda et on se comprit sur-le-champ. Mais
la seconde d’après, il se détourna. Cette conversation-là, ce serait pour plus tard. Dans l’immédiat, autant
s’en tenir aux mondanités.

— Proches, oui, dis-je avec un sourire en coin à Brynne. Assez pour le tuer. Non, sérieusement, je préfère
le garder vivant et supporter toutes les nuisances qu’il génère, ce dont il m’est grandement reconnaissant,
pas vrai, Ivan ?

— J’imagine… C’est toujours plus appréciable que de me préférer mort.

Brynne riait à nouveau.

— Mais qui pourrait bien souhaiter votre mort, Ivan ?

— Plein de gens !

Encore une fois, nous avions répondu en même temps.

Le rire nous gagna sous le regard désemparé de Brynne. Là-dessus, le serveur vint prendre la commande,
de sorte que je dus attendre encore quelques instants avant de pouvoir présenter ce cousin si éclectique.

— Mmm, voyons. Par où commencer…

Je marquai un temps, histoire de ménager mon effet.

— Nos mamans étaient sœurs. On se fréquente depuis… Allez, depuis toujours. Bon, si nous n’étions pas
liés par le sang, nous ne nous serions jamais rencontrés, à mon avis. Ivan est un aristocrate, tu vois. Par
hérédité, et aux yeux de la fédération mondiale de tir à l’arc.

Il me regarda de travers.

— Brynne, l’homme que tu as devant toi est le baron Rothvale, treizième du nom, un truc du genre. Dans
le milieu sportif, ses compatriotes lui donnent du Lord Ivan.

Je soulignai mon propos de grands gestes.

— C’est dans son sang, dis-je.

C’était au tour de Brynne de tomber des nues.

— Rothvale, dit-elle… Comme la Rothvale Gallery où je travaille ?

— Ouais, c’est ça, confirma Ivan. Mon arrière-arrière-arrière-grand-père a donné son nom à cet endroit.
Mais je n’ai pas de liens avec la Rothvale Gallery.
— Tu en as avec la National Gallery, lui rappelai-je.

Brynne me regardait incrédule puis se tourna de nouveau vers Ivan.

— Vous êtes au conseil d’administration de la National Gallery, Ivan ?

Il laissa échapper un profond soupir.

— Oui, oui, ma chère. Non que je l’aie voulu ! J’ai hérité de cette charge dont il ne semble pas que je
puisse me débarrasser. Je n’y connais à peu près rien, malheureusement. Contrairement à vous. Ethan m’a
dit que vous étiez experte en restauration de tableaux.

— J’adore mon métier. En ce moment, je travaille sur le plus beau des Mallerton.

Elle me regarda et me prit la main.

— Ethan m’a d’ailleurs aidée à résoudre un mystère : le titre du livre que le modèle tient entre ses mains.

— Elle est vraiment très douée, Ivan, approuvai-je en frottant avec mon pouce cette main que je ne
voulais plus lâcher. Moi, je n’ai fait que traduire deux ou trois mots du français.

Cette histoire semblait amuser Ivan.

— Ouaouh, vous deux, ça m’a tout l’air d’être du sérieux. Vous préférez peut-être que je vous laisse
déjeuner tranquillement, et que tu lui traduises un peu plus de français ?

Brynne retira sa main. Je foudroyai Ivan du regard. Il eut un petit sourire.

— J’aurais peut-être du boulot pour quelqu’un, en fait. Voire pour toute une équipe, dit Ivan en haussant
les épaules. Dans ma propriété en Irlande, à Donadea. J’ai là-bas des salles entières remplies de tableaux
du dix-neuvième. Une putain de cargaison de Mallerton aussi.

Il prit une mine honteuse.

— Désolé, je devrais surveiller mon langage. J’aurais besoin de quelqu’un pour en dresser le catalogue.
Personne n’y a touché depuis un siècle, à mon avis.

Il secoua la tête et leva les mains.

— Je ne sais même pas ce qu’il y a, exactement, comme tableaux. Je sais juste qu’il y en a une tonne, et
qu’il faudrait un professionnel pour s’en occuper. C’est sur ma liste des trucs à faire.

Il pencha la tête vers Brynne, et lui adressa un regard chargé de séduction. C’était beaucoup trop insistant,
il oubliait qu’elle était ma petite amie, ou quoi ?

— Alors, intéressée ? dit-il.

Non. Ça ne l’intéresse absolument pas, d’aller dans ta propriété en Irlande. Ni de dresser le catalogue de
tes croûtes pendant que tu cherches à toute force un moyen pour l’attirer dans ton lit !
— Oui ! répondit Brynne.

— Berk ! grommelai-je. Alors je viens aussi. Comme chaperon. Autrement, pas question. Et mon agenda
est plein jusqu’à la fin août.

D’un regard, je fis savoir à Ivan que Brynne ne mettrait pas les pieds là-bas tant que je ne serais pas mort
et en voie de décomposition.

— Quoi ! tu n’as pas confiance en moi, Ethan ?

Ivan hocha la tête.

— Alors que nous sommes du même sang. Comme c’est attristant.

— Avec elle ? Pas question !

Je repris la main de Brynne. L’envie de la toucher était plus forte que la jalousie – j’étais peut-être un
connard mais je ne supportais pas que quiconque, fût-ce mon propre cousin, essaie de draguer ma petite
amie.

— Vous savez, je devrais vous présenter ma coloc, Gabrielle. Elle fait sa thèse sur Mallerton. C’est elle
qu’il vous faut pour ce boulot, Ivan. Elle était là, elle est partie il y a cinq minutes. Quel dommage que
vous ne vous soyez pas rencontrés.

Manifestement ravie de sa suggestion, Brynne avait le visage éclairé de son délicieux sourire. Elle
dégagea sa main en me donnant une petite tape accompagnée d’un regard sévère.

— Oui ! m’écriai-je vivement. Gabrielle, c’est la personne idéale pour ce boulot, Ivan.

J’imaginais déjà les étincelles que produirait une telle rencontre, un spectacle que je ne voudrais manquer
pour rien au monde. Et bon Dieu ! c’était l’idée de Brynne. J’étais sorti d’affaire. Tout ce qui était
susceptible d’attirer Ivan sur un autre terrain était pour moi pain béni. J’en remis une couche :

— Je te la présenterai à la soirée Mallerton. Essaie de ne pas trop parler et tout se passera bien, lui
conseillai-je sur un ton doctoral. Montre-lui simplement les tableaux.

Mais ce fut comme si je n’avais rien dit. Ivan continuait de faire du charme à ma petite amie.

— Eh bien, merci, Brynne. Je serais ravi de faire la connaissance de votre amie et de lui proposer ce job.
C’est un fardeau que je traîne depuis des années, vous comprenez…

Ah ! attends un peu de te charger de Gabrielle ! Tu auras tout de suite envie d’en finir avec ce fardeau-là !

Les plats arrivaient. Pendant tout le repas, Ivan jacassa avec Brynne et se tournait vers moi pour évoquer
ses problèmes de sécurité. Soudain, le temps avait passé et il fallut partir.

Je me levai en disant que j’allais récupérer ma voiture. Ivan me rassura d’un coup d’œil : il veillait sur
Brynne, pas d’inquiétude. Je le remerciai pour le déjeuner tout en lui lançant un regard d’avertissement
qui en disait long sur les limites de ce que j’attendais de lui. Je savais bien que c’était un jeu, le pauvre
vieux ne s’en remettait pas, de me découvrir à ce point amoureux. Nul doute qu’il aurait plein de choses à
me dire au sujet de Brynne. Génial.

Ayant tendu mon ticket au voiturier, je balayai les lieux du regard. Question d’habitude. Je surveillais
toujours mes arrières quand j’étais dans un lieu public. Un type en veste brune était adossé à l’immeuble,
l’air d’attendre sa proie, un appareil photo autour du cou. Un paparazzi, aucun doute. C’était leur gagne-
pain : choper des célébrités à la porte d’établissements comme celui-là.

Ma voiture arriva. Je pris le volant. Je mis de la musique – Butterfly de Crazy Town. La chanson parfaite.
Je battais la mesure avec mon pouce. Brynne et Ivan prenaient sacrément leur temps…

Je n’étais pas trop heureux non plus de ce que Brynne allait faire maintenant : elle avait un shooting. S’il
y avait quelque chose que j’aurais voulu changer chez elle, c’était ça. J’avais en horreur l’idée qu’elle
aille se foutre à poil devant un photographe, et que des mecs puissent ensuite admirer son corps.
Évidemment, c’était de l’art. Mais peu importe. Personne n’avait à contempler ce qui était à moi.

Le fil de ces pensées fut coupé par Ivan ouvrant la portière à Brynne. Il lui fit la bise sur les deux joues. Il
n’en finissait plus de lui dire au revoir – un vrai cinéma.

Au même moment, ce connard de photographe commença à shooter ! Ivan et Brynne n’étaient pas des
célébrités mais ils en avaient l’air. En fait, Ivan en était une, techniquement. Dieu tout-puissant !

Brynne bavardant avec mon cousin faisait une image éblouissante. Comment allais-je pouvoir jamais m’y
faire ? Le besoin de fumer était si fort que j’en haletais presque. Mais j’allais devoir attendre pour
satisfaire mon vice…

— Au revoir, Ivan ! C’était super de vous rencontrer et ce sera encore mieux de se retrouver au gala
Mallerton.

Elle monta dans la voiture. Elle continuait de lui adresser des sourires.

— C’était très agréable de faire votre connaissance, Brynne Bennett.

Il était tout sourire aussi. Il se pencha pour s’adresser à moi :

— Fais-moi le plaisir de bien t’occuper de cette superbe fille, d’accord ? Pas de colère, pas de caprices,
compris ? Tu peux y arriver si tu veux.

Il rigolait et claqua la portière.

— Très amusant, dis-je d’un ton caustique en démarrant.

— J’adore ton cousin, Ethan. Quelle personnalité, c’est sûr. Je suis contente que tu me l’aies présenté. Tu
ne m’avais pas dit qu’il siégeait au conseil d’administration de la National Gallery !

Elle me donna un petit coup de poing à l’épaule, ce qui me donna un coup de chaud.

— C’est vrai, excuse-moi. Mais l’art, il n’en a rien à foutre. Il siège au conseil d’administration, c’est
tout.
Je me rappelai mon serment : tout lui dire. Aussi continuai-je :

— Je lui ai parlé de toi, en fait. Pour lui demander s’il n’y aurait pas quelque chose à la National Gallery.
Moi aussi, je souhaite que tu obtiennes ce permis de travail.

Je la regardai. Elle était si belle, si lumineuse, et je savais que j’étais prêt à tout pour qu’elle reste en
Angleterre avec moi. Même ce qu’Ivan t’a suggéré l’autre jour au téléphone, sous forme de boutade ?

— Oh, Ethan, dit Brynne en me touchant la jambe. C’est adorable de ta part. Mais je vais prendre rendez-
vous moi-même. C’est très important pour moi. Je veux l’obtenir toute seule, sans être pistonnée par ton
cousin. Peu importe qu’il ait de telles relations… et qu’il soit si dragueur. Mon Dieu oui, quel dragueur !

— Ne m’en parle pas. J’ai bien eu envie de l’étrangler, à plusieurs reprises, à table.

— Mais c’est un jeu, Ethan ! Tu devrais pourtant le connaître. Il te respecte et vous avez une très bonne
relation, tous les deux. Presque comme des frères.

— Ouais. Au fond, c’est un mec bien. C’est juste qu’il a encaissé des coups durs, ces derniers temps.
D’où son côté blasé.

Des coups durs, comme tout le monde, pensai-je.

— Des coups durs, comme tout le monde, dit-elle.

Ma réaction fut de lui attraper la main et de la poser sur mon genou. Je ne savais que lui répondre, en fait.
Et nous étions presque arrivés.

J’aurais pourtant voulu que cette course dure encore. Au fur et à mesure que nous approchions de notre
destination, mon humeur s’assombrissait. Quand je finis par me garer devant son appartement, j’étais dans
un état de rage. Je me sentais comme emporté de l’intérieur, c’était complètement irrationnel. Je n’étais
plus qu’un champ de bataille avec mon Mr Hyde attaquant mon docteur Jekyll. C’était des coups de pied
dans le cul du bon docteur et des volées de joyeux coups de poing.

— C’est quoi, ce shooting, aujourd’hui ? demandai-je.

Mon Dieu, faites qu’elle pose habillée.

Elle me fit les gros yeux :

— Ethan ! On en a déjà discuté. Tu ne m’accompagneras pas dans ce studio. Et il faut que tu arrêtes de te
tourmenter. Il y aura moi et le photographe, c’est tout. C’est des prises de vue. Des professionnels en train
de faire leur boulot.

Elle ajouta après un temps :

— Pour une marque de lingerie.

— Qui est le photographe ?


— Marco Carvaletti. Celui que tu as rencontré.

— Oh ! le charmant signor Carvaletti, si je m’en souviens ! Celui qui aime tant te faire la bise, ma chérie
!

— Arrête de jouer au crétin, Ethan, dit-elle d’un ton sans réplique. C’est mon travail. Toi aussi, tu as un
travail.

Je la fixai des yeux. Je brûlais de lui dire non, n’y va pas, ne va pas te foutre à poil dans ce studio. Ou
alors j’aurais voulu y aller aussi, rester là pour surveiller Carvaletti, le moindre de ses gestes, la moindre
indication. J’aurais voulu être là au cas où il s’aviserait de la toucher ou de la regarder de trop près.
J’avais envie de redémarrer, faire demi-tour et ramener Brynne à la maison. J’avais une envie dingue de
la baiser contre le mur à la minute où nous aurions franchi la porte. J’avais envie de l’entendre jouir et
haleter en criant mon nom. J’avais envie qu’elle me sente en elle – qu’elle sache que c’était moi et aucun
autre. Voilà ce que je voulais ! Et je le voulais à mort !

Mais c’était non. Je n’aurais rien de tout ça.

Il ne me restait plus qu’à lui faire la bise et à retourner à mon travail. Il ne me restait plus qu’à lui dire
d’envoyer un SMS à Neil quand elle aurait fini car j’avais une réunion et que je ne pourrais pas venir la
chercher… Il ne me restait plus qu’à la regarder s’éloigner et attendre que la porte se referme sur elle.
Puis je n’avais plus qu’à redémarrer en laissant ma petite amie à l’intérieur de cet immeuble.

Voilà ce qu’il me restait à faire.

Et c’était insupportable.

Mon humeur ne s’était pas améliorée le moins du monde quand je sortis de mon bureau. J’appelai Brynne
et tombai sur sa messagerie. Je lui dis que je m’occupais du dîner, sachant à quel point les séances de
photo la fatiguaient. Arrête de penser à ces putains de prises de vue !

Le fait qu’elle n’ait pas décroché ne m’angoissait pas car je savais qu’elle était chez elle. Neil me tenait
toujours au courant quand il la déposait. J’aurais voulu qu’elle vienne dormir à la maison mais elle avait
rechigné. Elle avait besoin de dormir dans son lit, paraît-il. En plus, elle voulait être en forme pour notre
fameux dîner familial demain soir. J’essayais de l’avoir avec moi tous les soirs, mais elle ne semblait
toujours pas prête à renoncer à son indépendance. Et si j’insistais trop, si j’essayais de l’influencer, elle
se fâchait.

C’est comme ce truc de poser nue… Arrête d’y penser, connard !

Merde. Les relations humaines, c’est vraiment un sacré bordel… Toujours et encore.

En bon connard que je suis, je n’avais d’autre choix que d’étudier mes options. Soit me retrouver chez
moi sans elle, soit aller me coltiner son minuscule appart, avec le risque que Gabrielle soit dans les
parages.
La décision était facile. Brynne gagnait à tous les coups.

Bon sang ! je fantasmais déjà une nouvelle partie de baise contre son mur, comme une bonne surprise à lui
faire. À condition que la voie soit libre une fois sur place, évidemment.

Où acheter à bouffer ? On aimait plein de choses. Des lasagnes de chez Bellissima ? Non ! Ça me faisait
trop penser à Carvaletti. Qu’il aille se faire foutre, l’Italien. Ce fumier avait eu aujourd’hui son corps nu
sous les yeux !

Brynne raffolait de cuisine mexicaine, sauf que c’était bien meilleur quand elle la préparait elle-même.
Elle pimentait toujours ses plats d’influences sud-américaines, et j’adorais ça. J’optai finalement pour
indien. J’entrai pour commander un chicken tandoori, du curry d’agneau et une salade. J’envoyai à Brynne
un SMS en quittant le restaurant : J’arrive, chérie. Avec des plats indiens. Elle répondit tout de suite :
Salut. Vraiment crevée, là. Juste envie d’aller me coucher. Ça t’ennuie si je saute le dîner ?

Quoi ? La tonalité de la réponse ne me plaisait pas du tout. Qu’est-ce que cela voulait dire ? J’étais mal,
tout soudain. Elle me disait de ne pas venir ou juste qu’elle n’avait pas faim ? Le message n’était pas
explicite. Même après dix lectures.

Moi aussi, j’étais crevé, mal luné et en manque de nicotine. Et je me demandais si mon propre esprit était
en état d’affronter une conversation avec une femme qui n’était pas dans son assiette. Tout ce que je
voulais, c’était manger quelque chose, prendre une douche et me glisser sous les draps avec elle. Au pire,
le sexe, je pouvais m’en passer. Mais dormir avec elle : ça, ce n’était pas négociable.

Nous avions conclu un genre d’accord, soit nous dormions chez elle, soit chez moi, l’avoir à mes côtés,
c’est ce que je voulais. C’était parfaitement clair depuis le début. J’appelai Brynne, tout en conduisant.

— Salut. Je n’ai pas faim, Ethan.

Elle avait l’air bizarre.

— Qu’est-ce qui ne va pas, chérie ? Tu ne te sens pas bien ?

Ce n’était pas dans ses habitudes. Elle n’était jamais malade, à part ce mal de tête, le soir où nous nous
étions rencontrés.

— Mal au ventre. Je me suis allongée.

— Tu es en train de tomber malade, c’est ça ? Tu veux que je m’arrête dans une pharmacie ?

Elle ne répondit pas tout de suite.

— Non. J’ai quelques crampes.

Ah. Les règles. Je connaissais cette malédiction puisque j’avais une sœur. Sauf que je n’avais encore
jamais eu à gérer ça avec une petite amie. Le fait est que je n’avais jamais eu de petite amie comme
Brynne. Quand on a uniquement des relations temporaires qui se limitent à des parties de jambes en l’air,
cela vous dispense de ces inconvénients. Mais j’entendais mes copains se plaindre de ça depuis des
lustres – Pas ce soir, chéri. Plus ma sœur. J’avais compris que le mieux, quand une femme avait son cycle
menstruel, c’était de la laisser tranquille et d’être patient. Vraiment ? Apparemment, la charmante partie
de baise contre le mur était aussi à l’eau. Merde.

— D’accord. Je te ferai un massage en arrivant. À part ça, tout va bien ? Le shooting s’est bien passé ?

Je me crispai, le temps que la réponse me parvienne.

— Hmmm. Oui, ça s’est bien passé. C’était bien.

Elle se tut. Je l’entendis renifler.

— J’ai eu maman au téléphone, dit-elle.

Elle avait une voix voilée de tristesse et je me demandai si elle avait pleuré. Pas impossible. Moi aussi,
sa mère m’avait donné envie de pleurer.

— Ce n’était pas terrible, comme discussion.

— Je suis désolé, mon cœur. J’arrive bientôt. On va en parler.

— Je n’ai pas envie de parler d’elle, répliqua-t-elle aussitôt en usant de ce ton agacé qui me faisait
presque bander – mais déclenchait aussi tous mes clignotants.

Je repris après une pause :

— Comme tu voudras. Je ne vais plus tarder.

— Pourquoi tu soupires comme ça ?

Merde. J’avais juste ouvert le bec, ne sachant plus trop que dire.

— Je ne soupire pas.

— Si, tu viens de soupirer ! dit-elle, mécontente. Si c’est pour me cuisiner sur le shooting et sur ma mère,
alors ce n’est pas la peine de venir. Je ne suis pas d’humeur pour ça, Ethan.

De malfaisantes hormones avaient-elles métamorphosé ma petite amie en effrayante méduse ?

— Pas d’humeur pour parler ou pas d’humeur pour me voir ? Parce que moi, j’ai envie de te parler.

Je m’efforçais de garder une voix égale, mais je n’étais pas trop sûr d’y être arrivé. Ce dont j’étais sûr, en
revanche, c’est que je n’arriverais pas à rester calme bien longtemps, putain. Ce dialogue à la con me
déplaisait fortement. Il me faisait même chier, carrément.

Silence.

— Ouhou ! Brynne ! Je viens maintenant ou pas ?

— Je ne sais pas.
Je comptai jusqu’à dix.

— « Je ne sais pas », c’est ta réponse ?

Bon Dieu ! Avait-elle oublié notre déjeuner romantique au Gladstone ? Qu’on me rende mon adorable
femme !

— Tu recommences à soupirer.

— Fais-moi coffrer pour la peine. Écoute, je conduis une voiture pleine de plats indiens sans savoir où
aller. Tu ne pourrais pas m’aider un peu, chérie ?

Putain, je ne tenais absolument pas à me disputer pour ça. Elle passait une journée de merde et ses
hormones la travaillaient – ce que je pouvais comprendre. C’était contrariant de penser qu’elle n’avait
pas envie de passer la nuit dans mes bras, mais au moins, nous n’étions pas en train de rompre. La
Méduse me foutait ma soirée en l’air mais dans quelques jours, elle aurait débarrassé le plancher. Enfin,
c’était à espérer.

— D’accord, dit-elle résolument. Viens me chercher.

Je n’en croyais pas mes oreilles.

— Que je vienne te chercher ? Je croyais que tu voulais dormir dans ton lit. Ce n’est pas ce que tu as
dit…

Elle m’interrompit d’une voix coupante comme un rasoir :

— J’ai changé d’avis. Je n’ai plus envie de dormir ici. Je fais mon sac. Je serai prête dans cinq minutes.
Appelle-moi quand tu seras en bas. Je descendrai.

— Entendu, chef !

J’étais complètement abasourdi, j’attendis qu’elle ait raccroché, puis je poussai un énorme soupir. Je
secouai la tête aussi, et me pris à siffler une ou deux notes. En amoureux perplexe et transi que j’étais, il
ne me restait plus qu’à aller chercher ma petite amie – un être à la chevelure de serpents, à la voix
tranchante et aux réactions imprévisibles.

Les femmes… ces créatures effrayantes.


23

— C’est sûrement tante Marie ! Ethan ! Tu lui ouvres ? Je suis débordée, là !

Brynne gesticulait dans la cuisine, en plein coup de feu dans la préparation de son dîner.

— J’y vais ! répondis-je en lui envoyant un baiser. Lever de rideau, hein ?

Elle me répondit d’un signe de tête, elle était magnifique, comme toujours, vêtue d’une longue jupe noire
et d’un haut violet. Une couleur qui lui allait à merveille. Je savais maintenant que c’était sa préférée.
Quelle chance j’avais eue de choisir un bouquet violet, la première fois que je lui avais envoyé des fleurs
!

Le tout pour le tout, chérie.

En ouvrant la porte, je ne m’attendais pas à me retrouver face à une très jolie femme : la grand-tante de
Brynne. La sœur de sa grand-mère maternelle. Elle se tenait tout sourire sur le seuil et n’avait rien d’une
femme en âge d’être grand-mère. Avec sa peau sans rides et ses cheveux roux foncé, elle avait l’air jeune,
pleine de classe et assez… assez canon, dirais-je, pour une femme de la cinquantaine.

— Vous devez être cet Ethan dont je ne cesse d’entendre parler.

Elle avait l’accent américain.

— Et vous, vous êtes tante Marie. N’est-ce pas ?

J’hésitais. J’avais peur de me tromper, mais vraiment, dans la famille de Brynne, la gent féminine était
éblouissante. Je me demandai une fois de plus à quel type de belle femme devait appartenir sa mère.

La tante eut un petit rire exquis :

— Vous avez l’air d’avoir des doutes.

Je la fis entrer et refermai la porte derrière elle.

— Pas du tout. C’est juste que j’attendais la grand-tante, pas la grande sœur, voyez-vous. Elle est dans la
cuisine, ne sachant plus où donner de la tête, c’est elle qui m’a envoyé vous ouvrir.

Je lui tendis la main.

— Ethan Blackstone. Je suis extrêmement ravi de faire votre connaissance, tante Marie. À force
d’entendre Brynne chanter vos louanges, j’avais hâte de vous rencontrer.
— Oh ! je vous en prie, appelez-moi Marie, répondit-elle en me serrant la main. Quel séducteur vous
faites, Ethan… Sa grande sœur, vraiment ?

Je haussai les épaules en riant.

— Vous trouvez ça trop flatteur ? Je ne le pense pas et je vous souhaite la bienvenue, Marie. J’apprécie
que vous preniez le temps de vous joindre à nous ce soir.

— Merci pour cette invitation dans votre si joli appartement. Je n’ai pas la chance de voir si souvent ma
nièce, alors autant en profiter. Et votre accueil est charmant, même s’il est beaucoup trop flatteur, en effet.
Je vote pour vous, Ethan.

Elle me fit un clin d’œil, et je crois bien que je tombai instantanément et à jamais amoureux d’elle.

Brynne sortit de la cuisine et embrassa sa tante. Elle me fit un large sourire par-dessus l’épaule de Marie,
elle était heureuse. Si elle avait des problèmes avec sa mère, sûr qu’elle n’en avait pas avec Marie. Cette
pensée me mettait en joie. N’avons-nous pas tous besoin de quelqu’un qui nous aime d’un amour
inconditionnel ?

Elles regagnèrent la cuisine et j’allai chercher les verres avant qu’on ne sonne de nouveau. Je souris
intérieurement en songeant à papa. Qu’allait-il penser de Marie ? Elle était veuve et sans enfants mais
belle comme elle l’était, les hommes devaient se bousculer au portillon. J’avais hâte que Brynne me
raconte son histoire.

Clarkson et Gabrielle arrivèrent bientôt. Comme ils connaissaient déjà Marie, je n’avais plus rien d’autre
à faire qu’à m’occuper de l’apéritif et servir à boire. Avec Clarkson, je n’avais eu aucun mal à déposer
les armes, comme cela avait été le cas avec Gabrielle. Nous nous souciions tous de Brynne et souhaitions
qu’elle soit heureuse. Certes, je n’étais pas ravi qu’il fasse des photos d’elle et, si nous avions pu devenir
amis, c’est uniquement parce qu’il était gay. J’ai un problème avec ça, je le sais. Hétéro, et prenant des
photos de Brynne nue, il n’aurait jamais mis les pieds chez moi.

Quand arrivèrent Neil et Elaina, je me sentis un peu plus détendu sous mon propre toit. Clarkson alla en
cuisine donner un coup de main à Brynne et Marie. Gabrielle et Elaina avaient l’air de bien s’entendre,
elles discutaient bouquins – un roman sur un très jeune milliardaire obsédé par une femme encore plus
jeune… et le sexe. Un truc très érotique avec des scènes de cul à chaque page.

Sans entrer dans la conversation, Neil et moi échangions des regards presque complices. Je veux dire, qui
lit ce genre de conneries ? Qui a du temps pour ça ? Pourquoi lire un roman de cul quand on peut le
pratiquer ? Je ne pige pas. Et le fameux milliardaire… Il a la vingtaine, c’est ça ? Mentalement, je
secouai la tête, tout en feignant de m’intéresser au sujet. En vrai salopard que je suis.

Je consultais ma montre quand on sonna de nouveau. Mon père, enfin. Je bondis de mon fauteuil,
abandonnant le pauvre Neil à son sort.

— Papa. Je commençais à m’inquiéter. Entre donc, je vais te présenter à ma petite amie.

— Mon garçon, dit-il en souriant.

Il me donna une tape dans le dos, c’était notre façon de nous saluer.
— Tu m’as l’air plus heureux que l’autre jour. Hannah me dit que tu as le projet d’aller les voir dans le
Somerset avec Brynne.

— Ouais. J’ai envie qu’ils fassent connaissance. À propos de faire connaissance, viens. C’est par là.

Je le précédai dans la cuisine. Quel bonheur de voir Brynne se tourner avec ce visage radieux pour
accueillir mon père ! Mon cœur faisait des bonds. Ça comptait énormément pour moi que nos familles se
rencontrent et que tout le monde s’entende bien.

— Voici donc la merveilleuse Brynne, dit papa. Et sa… sa grande sœur ? dit-il à Brynne et Marie.

— Hé ! Papa ! Tu me piques mon texte, là !

— C’est vrai, dit Marie. Votre fils a dit exactement la même chose.

— Tel père, tel fils, dit papa avec un large sourire, se tenant entre Brynne, Marie et Clarkson.

— Mon père, dis-je. Jonathan Blackstone.

Je me secouai de ma torpeur pour faire les présentations tout en caressant doucement le dos de Brynne de
bas en haut. Je me demandais ce qu’elle pensait de tout cela. On venait de si loin et tout allait si vite que
c’en était dingue, cependant, comme je l’avais déjà dit, il était trop tard pour changer de cap. Nous
dévalions la pente à très grande vitesse et rien ne nous arrêterait plus. Elle s’abandonna contre mon
épaule et je la serrai davantage.

Mon père prit la main de Brynne et la baisa comme je l’avais toujours vu faire avec les femmes. Il lui dit
combien il était heureux de connaître enfin celle qui avait réussi à conquérir son fils. Il lui dit aussi
qu’elle était très belle. Elle rougit et lui présenta Marie et Clarkson. Ce vieux séducteur ne manqua pas
d’offrir aussi un baisemain à Marie. Je secouai la tête. Sûr que ce soir, il allait leur faire le coup à toutes.
Si elles avaient une main, il y déposerait un baiser. Et quant à Marie, eh bien, oui, il la trouvait attirante.
Ça se voyait. Aucun doute là-dessus.

— Vous, pas de baiser, dit-il à Clarkson alors qu’ils se serraient la main.

— Mais si le cœur vous en dit, surtout ne vous gênez pas, répondit Clarkson.

La glace était définitivement rompue.

— Merci, mon pote, dis-je à Clarkson. Je crois bien que tu l’as estomaqué.

Brynne se tourna vers moi puis vers papa.

— Je sais maintenant où Ethan a appris à faire ce baisemain que j’aime tant, monsieur Blackstone. Il était
à bonne école.

Elle l’enveloppait de son superbe sourire – un sourire qui éclairait la pièce entière.

— Appelez-moi Jonathan, je vous en prie, ma chère. Et s’il est permis, je vais m’accorder une petite
liberté…

Il se pencha vers elle et lui donna un baiser sur la joue ! Elle rougit une fois de plus, un peu intimidée,
mais l’air aux anges malgré tout. Je lui caressais toujours le dos en espérant sincèrement que tout cela
n’était pas trop pour elle.

— Du calme, mon vieux, dis-je en secouant la tête. C’est ma petite amie. Elle m’appartient.

Je la serrai plus fort contre moi, au point de lui arracher un petit cri.

— Je pense qu’ils ont compris, Ethan, dit-elle en pressant la main contre ma poitrine.

— Des fois qu’ils viendraient à l’oublier…

— Ça ne risque pas, mon chou…

Elle m’appelait mon chou. Voilà qui était parfait. J’étais content de pouvoir rire de moi-même. Et le but
était atteint : nous étions tous réunis ce soir.

— Poulet marsala, mmm…, dit mon père entre deux bouchées. Ma chère Brynne, qu’est-ce que vous avez
mis là-dedans ? C’est vraiment exquis.

— C’est un sauté de poulet au vin doux.

— Intéressant. J’adore le goût que ça donne.

Il cligna de l’œil à Brynne.

— Alors vous êtes un cordon-bleu, si je comprends bien.

— Merci, mais non, pas vraiment, j’apprécie les bons plats. J’ai appris à cuisiner pour mon père, après
la séparation de mes parents. Et j’ai dans ma tablette les super bouquins de cuisine de Rhonda Plumhoff.
Elle crée des recettes en s’inspirant de romans grand public. Elle est très connue chez nous. J’aime
beaucoup ce qu’elle fait.

Papa me regarda en penchant la tête.

— C’est un garçon avisé que j’ai élevé.

— Je ne suis pas idiot, papa. Et Brynne sait cuisiner. Mais je n’en avais aucune idée quand je l’ai
rencontrée. Le premier truc qu’elle ait mangé avec moi, c’était une barre protéinée. Alors imagine ma
surprise, quand je l’ai vue aux fourneaux dans ma cuisine. J’ai déguerpi en vitesse pour ne pas être dans
ses jambes !

— J’insiste : tu as toujours été un petit malin.


Le rire était général et tout le monde s’entendait bien, ce qui m’aidait évidemment. Cependant, j’étais
toujours nerveux à l’idée de ce que j’avais à leur dire. Ce n’était pas l’aspect sécurité qui me tracassait –
j’étais un expert dans le domaine –, c’était d’avoir à le faire en présence de Brynne. Elle était tout pour
moi ! Alors la présenter comme un cas qui relevait d’un travail de protection… Et puis, elle risquait de
se retrouver empêtrée dans un flot d’émotions qui allait la mettre dans tous ses états. Ce qui ne
manquerait pas de nous perturber tous les deux. Je tenais à nous protéger. Tout en étant là, oui, pour
garantir sa sécurité. Je n’avais pas à m’en excuser et cela ne changerait rien à mes sentiments. Mais je ne
supportais pas qu’elle ait à souffrir à nouveau de cette sale affaire, que ce soit par ma faute ou par celle
de quiconque.

Un accord fut passé. J’emmènerais Clarkson et Gabrielle dans mon bureau, afin de les mettre au courant,
pendant que Brynne s’occuperait de faire la conversation aux autres, puis je parlerais à papa et à Marie.
Ainsi, Brynne ne serait pas obligée d’être là, mal à l’aise, pendant que je présenterais le PowerPoint que
j’avais préparé, avec la chronologie des faits et les noms des protagonistes accompagnés de leur photo.
Les intimes de Brynne devaient connaître tous les détails sur qui était qui, les mobiles possibles, ce qui
pouvait arriver et où. Il n’existe pas de mobile politique plus puissant qu’une élection à la présidence des
États-Unis. Et ceux qui cherchaient à exploiter cette histoire feraient tout leur possible pour parvenir à
leurs fins. De même, ceux qui voulaient faire disparaître Brynne des radars. Je ne voyais pas d’autre
moyen d’assurer sa protection que de faire circuler l’info auprès des personnes concernées. Elaina et
Neil étaient déjà briefés. Brynne m’avait dit que cela ne lui posait aucun problème qu’ils soient au
courant ainsi que mon père. Quant aux autres, ils savaient déjà ce qui s’était passé, bien sûr.

Rendez-vous était déjà pris chez le docteur Roswell, pour passer certaines choses en revue dans notre
couple. La suggestion venait de Brynne et j’avais donné mon accord. Elle estimait que mes sentiments
envers elle n’étaient pas suffisants pour m’aider à dépasser le drame qu’elle avait vécu, quand ces types
l’avaient agressée et filmée. Comme si elle était condamnée à demeurer à jamais celle qu’on avait
stigmatisée comme étant une pute à dix-sept ans ! Cela m’attristait beaucoup qu’elle s’en veuille autant.
C’était clairement un problème pour elle mais pas pour moi. Et je voulais qu’elle comprenne que le fait
d’avoir été victime de cette ignoble agression ne la rendait pas moins digne d’amour à mes yeux. Nous
avions de quoi faire, alors même que nous avions à peine effleuré mes propres démons. Cependant, je
n’étais toujours pas sûr de vouloir en parler à quiconque. J’étais épouvanté à l’idée de refaire un
cauchemar, et que Brynne puisse me voir à nouveau dans cet état.

Je ne la quittai pas des yeux de toute la soirée. De l’extérieur, elle n’était que charme et beauté, mais je
devinais qu’intérieurement elle luttait contre elle-même à mesure que la soirée avançait. Dès que j’en eus
fini avec Marie et papa, j’allai la voir dans la cuisine où elle faisait du café et préparait le dessert. Elle
ne releva pas la tête lorsque j’entrai. Je la pris dans mes bras par-derrière, le menton sur sa tête. C’était
doux, de l’avoir contre moi. Ses cheveux exhalaient un parfum de fleurs.

— Qu’est-ce qu’on a comme dessert, mon cœur ?

— Des brownies accompagnés de glace à la vanille. Le meilleur dessert de la planète.

Sa voix était sans éclat.

— Ça m’a l’air exquis. Et toi aussi, tu es exquise, ce soir.

Elle laissa échapper une petite plainte et se tut. Je vis qu’elle essuyait une larme et je compris. Je la fis se
tourner et pris son visage à deux mains. Elle pleurait et j’avais horreur de ça – pas tant les larmes que la
tristesse qui les provoquait.

— Ton papa…

Elle ne put en dire davantage. Mais ce n’était pas nécessaire. Je l’attirai contre ma poitrine et l’entraînai
vers le fond de la cuisine, loin des regards. Je la gardai entre mes bras.

— Tu t’inquiètes de ce qu’il pense ?

Elle fit oui de la tête.

— Il t’adore. Tout le monde t’adore. Mon père n’est pas un type qui juge autrui. Ce n’est pas son genre. Il
est heureux de me voir heureux, c’est tout. Et il sait que si je suis heureux, c’est grâce à toi.

Je pris son visage entre mes mains.

— Tu me rends heureux, chérie.

Elle leva les yeux vers moi. Ses beaux yeux tristes étincelèrent et s’éclairèrent, me signifiant qu’elle avait
compris.

— Je t’aime, murmura-t-elle.

— Tu vois ? dis-je en pointant le doigt vers ma poitrine. Un type très heureux !

Elle me donna un baiser sur les lèvres, ce qui me fit battre le cœur à grands coups.

— Le dessert, dit-elle avec un geste vers le comptoir. La glace va fondre.

Heureusement qu’elle était là pour y penser. Moi, j’avais oublié.

— Je vais t’aider, dis-je. Plus vite on les aura servis, plus vite ils s’en iront. Pas vrai ?

Je commençai à prendre les assiettes pour les apporter à table. S’il y a bien quelque chose que
j’apprécie, c’est de passer à l’action.

Quand je me réveillai, il y avait du bruit et de l’agitation à côté de moi. Brynne était en train de rêver. Un
rêve, pas un cauchemar. C’est en tout cas ce dont je ne pouvais douter. Elle se tortillait. Elle croisait et
décroisait les jambes. Elle se cambrait, agrippée à son tee-shirt. Ça m’avait l’air d’un rêve sacrément
agréable ! Surtout si elle rêvait de moi en train de la baiser !

— Chérie, dis-je en lui secouant légèrement l’épaule. C’est un rêve… N’aie pas peur. C’est moi.

Ses paupières s’ouvrirent. Elle se dressa immédiatement dans le lit. Elle parcourut la pièce du regard,
avant de poser les yeux sur moi. Dieu qu’elle était belle et sauvage avec ses cheveux éparpillés sur les
épaules et ses seins soulevés de halètements !

— Ethan ?

Je pris la main qu’elle me tendait.

— Je suis là, mon cœur. Tu rêvais ?

— Ouais… c’était bizarre.

Elle alla aux toilettes. Elle fit couler de l’eau et je l’entendis poser un verre. J’attendis. Elle revint au
bout de quelques minutes.

Mon Dieu.

Elle réapparut furtive et nue, avec dans les yeux cet éclat familier. Un air qui proclamait : J’ai envie de
faire l’amour et j’en ai envie tout de suite.

— Brynne ? Qu’est-ce que tu as ?

— Tu sais ce que j’ai, dit-elle d’une voix sensuelle.

Elle vint sur moi en me regardant. Ses cheveux cascadaient comme ceux d’une déesse de la volupté prête
à faire de moi son festin.

Oh putain ! Et comment…

Mes mains se jetèrent toutes seules sur ses seins. Dieu du ciel ! Je saisis cette tendre chair et l’attirai
contre ma bouche. Brynne se cambra et commença à m’aiguiser la queue, laquelle était, à présent,
pleinement éveillée, tout comme mon cerveau. J’oubliai que Brynne n’était pas censée être en état de
baiser, puisque tout en elle prouvait le contraire.

Je lui suçai les seins à fond. Je me délectais du goût de sa peau. J’aurais pu m’amuser à lui exciter les
tétons pendant des heures. Je la mordillai. J’avais envie de l’emmener à ce point où une légère souffrance
ne faisait qu’accroître son plaisir. Elle poussa un cri et pressa plus fort son sein contre ma bouche.

Sa main s’introduisit dans mon caleçon, s’enroula autour de mon sexe.

— C’est ça ce que je veux, Ethan.

Elle se souleva brusquement de mes cuisses, arrachant à mes lèvres son sein qui s’échappa avec un bruit.
Je n’eus pas le temps de protester : Brynne s’occupait déjà de m’ôter ce putain de caleçon. L’instant
d’après, ses lèvres glissaient autour de mon gland.

— Ah ! Seigneur…

Je renversai la tête en arrière et laissai Brynne tout à son travail. C’était si bon que j’en avais des
douleurs dans les couilles. Brynne excellait à ça. Je la tenais par les cheveux alors qu’elle me suçait
jusqu’à m’amener au bord de l’orgasme. Mais ce n’était pas dans sa bouche que j’avais envie de
décharger, c’était dans son sexe. Je préférais jouir bien enfoncé en elle, le regard abîmé dans ses yeux.

Cependant ma belle me réservait d’autres surprises encore.

— Je veux que tu jouisses en moi.

D’où elle tenait ça, bordel ?

— Ça ira ? arrivai-je à dire.

Elle se relevait.

— Mmm, geignit-elle.

Elle poussa sur ses genoux pour me chevaucher puis, reculant légèrement, elle engloutit ma queue jusqu’à
la garde et les couilles avec.

Je me demande bien comment il était possible que cela ne lui fasse pas mal. Ou bien si c’était le cas, ce
n’était pas de mon fait, c’était elle qui s’était littéralement emparée de ce dont elle avait envie. Si tu
insistes !

— Ohhhh ! Puuuutain ! m’écriai-je, cramponné à ses hanches.

Brynne se fit lionne. Elle m’enfourchait avec rudesse, frottant contre moi son sexe pour lui procurer plus
de plaisir encore. Le rythme battait toujours plus vite, jusqu’à exploser, et je sus que ce qui allait déferler
serait énorme. Je sentis venir l’orgasme mais je voulais désespérément la rattraper et qu’on jouisse
ensemble. Pas question de basculer sans elle. Ce n’était pas mon style.

Son intérieur resserrait davantage encore sa brûlante étreinte tandis que Brynne me chevauchait de haut en
bas. Je glissai une main entre ses cuisses pour atteindre le point où s’unissaient nos corps, et trouver son
clitoris dans cet univers mouillé et glissant. J’aurais aimé que ce soit ma langue, mais mes doigts feraient
l’affaire. Je me mis à la caresser.

— Je vais jouir, dit-elle en haletant.

Elle disait ça comme toujours, de sa voix douce et délicate. Ces trois mots. Ça me rendait dingue, de les
entendre à nouveau. Ça me rendait dingue parce que c’était le moment précis où je la faisais décoller et
où elle se donnait entièrement à moi.

La caresse de ses mots m’envoya droit au point de non-retour.

— Jouis, chérie ! Oui. Vas-y. Maintenant. Jouis sur moi !

Je la regardai m’obéir. Elle serrait sa vulve. Elle cria, cramponnée à son plaisir, prise de tremblements.

— Ohhhh ! Ethannnnn ! Oui ! Oui ! Oui !

Jouir sur ordre. Ma petite amie était comme ça. Elle jouissait quand je lui en donnais l’ordre. La chance
qui était la mienne ! Il n’y avait pas sur terre salaud plus veinard que moi.

La regarder était une volupté de chaque seconde. Éprouver son plaisir aussi. Quand je sentis que j’allais
jouir à mon tour, je donnai un dernier coup de boutoir, m’enfonçant aussi profondément que possible et
explosai.

Le sperme chaud jaillit à flot et se précipita dans ses abîmes. Je jouis de chaque éjaculation, comme
emporté par des vagues d’hébétude. Merde. C’est à peine si j’avais conscience de là où j’avais les
mains, de ce que faisait mon corps, mais mon regard se perdait toujours dans ses yeux.

Plus tard – j’ignore au bout de combien de temps –, elle remua sur ma poitrine et releva la tête. Ses yeux
brillaient dans la pénombre. Elle me sourit.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? dis-je.

— Une hallucinante baise-de-nuit ? répondit-elle, malicieuse.

— Une putain de folie de baise-de-nuit, ricanai-je.

Je lui embrassai les lèvres et lui retins la tête aussi longtemps que possible. Je suis possessif quand on a
fait l’amour. Je n’aime pas qu’elle s’éloigne tout de suite après. Et puisqu’elle était sur moi, je ne
risquais pas de l’écraser, il n’y avait donc aucune raison de bouger.

Je m’enfonçai plus loin encore une fois, elle lâcha contre mes lèvres un cri de volupté.

— Tu en veux plus ? demanda-t-elle d’une voix mêlée de satisfaction et de surprise.

— Seulement si tu le veux aussi, répondis-je. Je n’ai rien à te refuser, et j’aime quand tu es sur moi. Mais
je croyais que tu avais tes règles…

— Non. Avec ces cachets, elles ont pratiquement disparu. Ou ça dure un jour. Et même, parfois, il n’y a
rien du tout.

Elle se mit à me couvrir la poitrine de baisers, elle attrapa un téton entre ses dents.

Dieu que c’était bon. Ses petites attentions m’électrisèrent et me donnèrent envie de repartir pour un tour.

— Toi, tu vas m’achever… et de la plus jolie façon, putain.

Nous ne devions plus parler avant un bon moment. Ma Méduse venait de se métamorphoser en Aphrodite
en adoration sur l’autel d’Éros. La chance, manifestement, n’était pas près de tourner.

— Les journaux américains, dit Frances en déposant sur mon bureau une pile de quotidiens. Il y a un
article intéressant dans le Los Angeles Times sur les membres du Congrès qui ont des enfants dans
l’armée. Vous savez qui est interviewé ?
— Il doit être un des seuls. Oakley va en tirer tout le parti possible…

Je donnai une petite tape sur la pile de journaux.

— Merci. Et l’autre chose ?

À voir son expression, elle était fière d’elle.

— Je passe le chercher à l’heure du déjeuner. D’après M. Morris, la restauration est parfaite, après toutes
ces années dans un coffre-fort.

— Merci de vous en être occupée.

Frances était précieuse. Elle gérait mon secrétariat comme un vrai commandant de frégate. La sécurité,
c’était mon rayon, mais l’organisation, c’était elle, et il ne me serait pas venu à l’esprit de sous-estimer
ses compétences.

— Elle va adorer…

Frances fit mine de sortir, puis hésita au seuil de la pièce.

— Souhaitez-vous toujours que j’annule vos rendez-vous de lundi ?

— Oui, s’il vous plaît. Ce soir, c’est le gala Mallerton, et demain matin, nous partons pour le Somerset.
On rentre lundi en fin de journée.

— Je vais m’en occuper. Il ne devrait pas y avoir de problème.

Je cherchai dans le Los Angeles Times le papier sur le sénateur. Écœurant. Quel être vicieux. Il oubliait
juste de mentionner le fait que son précieux rejeton avait été rappelé récemment. Je me demandai ce que
le fils pouvait bien penser du père. Une famille complètement dysfonctionnelle, cela ne devait pas être
joli à voir.

En remettant le journal sur la pile, quelque chose attira mon attention. Une enveloppe glissée entre les
quotidiens. C’était bizarre en soi, mais mon cœur se mit à cogner quand je lus ce qui y était inscrit : À
l’attention de – suivi de mon nom.

— Frances ! criai-je dans l’interphone, qui vous a remis les journaux, ce matin ?

— Muriel nous les met de côté depuis un mois. Ils m’attendaient, comme d’habitude…

Elle eut une hésitation.

— Tout va bien ?

— Ouais. Merci.

Mon cœur cognait toujours à grands coups comme je fixais l’enveloppe posée sur mon bureau. Avais-je
vraiment envie de l’ouvrir ? Je tirai d’un coup sec sur la languette rouge du rabat. Je plongeai la main
dans l’enveloppe. J’en sortis des photos. Des clichés en noir et blanc. Du 20 x 27. Ivan et Brynne en
discussion au restaurant Gladstone. Ivan lui faisant la bise pendant que j’attendais dans la voiture. Ivan se
penchant pour me parler et faisant au revoir de la main. Ivan seul dans la rue après le départ de la Rover.
Ivan attendant le voiturier.

Ce photographe que j’avais aperçu au sortir du restaurant, était-il là pour Ivan ? Ivan avait reçu des
menaces de mort, et voilà maintenant que circulaient des clichés où il apparaissait avec Brynne et avec
moi. Pas la meilleure des relations en ce qui la concernait. Lui et son foutoir ! Je ne savais pas qui avait
décidé de le harceler, mais il n’était pas question que Brynne soit entraînée dans ce chaos bordélique.
Putain !

J’étudiai le verso de toutes les photos. Rien. Sauf au dos de la dernière. Ne jamais essayer de tuer un
homme qui se suicide.

J’avais déjà vu ça dans ma carrière. Ce n’était pas à prendre à la légère. Mais la plupart du temps, c’était
l’œuvre d’un dingue qui s’estimait personnellement insulté par quelque célébrité qui lui voulait du mal.
Les stars du sport étaient souvent victimes de ce genre de conneries. Ivan avait vexé des milliers de gens
à l’époque, avec ses médailles d’or. En tant qu’ancien champion olympique du tir à l’arc, l’Angleterre le
considérait toujours comme un golden boy et les médias étaient tout le temps à ses trousses. Comme on
était de la même famille, il bénéficiait de ma protection, pas de problème. Mais ce n’était pas de tout
repos.

Ces clichés remontaient à deux semaines. Le photographe était-il là exprès pour Ivan ou avait-il eu la
chance de tomber sur lui ? Ivan Everley, champion olympique de tir à l’arc ! C’était l’occasion de se faire
un peu d’argent. Les paparazzis ont coutume de traîner dans les lieux où l’on croise des célébrités.
Difficile de savoir si ces prises de vue avaient été programmées ou si elles n’étaient que le fruit du
hasard…

À supposer qu’un déséquilibré ait décidé de tuer une star, pourquoi, bon sang, se donnerait-il la peine
d’en informer le service de sécurité de ladite star ? Cela n’avait pas de sens. Pourquoi m’envoyer ces
photos ? On voulait que je les voie. Quelqu’un avait pris la peine de les glisser dans le paquet de
journaux mis de côté chaque jour, à mon intention, par la vendeuse.

Muriel.

Je mis dans un coin de ma tête qu’il fallait lui toucher un mot en partant. J’avais prévu de quitter le bureau
de bonne heure à cause du gala Mallerton, je devais donc être en mesure de pouvoir lui parler avant
qu’elle ferme son kiosque.

Je pris dans le tiroir mes cigarettes et mon briquet. L’ancien portable de Brynne était là : je le pris aussi.
Il avait enregistré peu d’activité ces derniers temps, puisque tous ses contacts étaient reliés à l’autre
numéro désormais. Le type du Washington Review n’était pas revenu à la charge. Il devait se dire que ça
ne le mènerait nulle part, ce qui était parfait pour Brynne. Je mis le téléphone à charger, je l’emporterais
avec moi ce soir et ce week-end.

J’allumai ma première Djarum de la journée. J’inhalai. Sensation parfaite. J’arrivais à réduire ma


consommation. Brynne m’aidait à me motiver. Sauf que quand ça se compliquait entre nous, je me
remettais à fumer à la chaîne. Je devrais peut-être essayer les patchs à la nicotine.
Je décidai de profiter de cette unique cigarette, tout en pensant à notre week-end. Notre première
escapade. J’avais réussi à gratter trois journées pour emmener ma petite amie chez ma sœur dans le
Somerset. Leur maison abritait un bed and breakfast haut de gamme, et je me rendais compte que je
n’avais encore jamais demandé à Hannah la permission d’y venir avec quelqu’un.

Avec Brynne, il y avait quantité de raisons pour lesquelles cette relation était différente des autres, et
même si je n’étais pas encore tout à fait prêt à me déclarer officiellement, mes sentiments étaient bel et
bien là. J’avais l’intention de parler avenir avec elle, de lui demander comment elle voyait les choses. Si
je ne l’avais pas déjà fait, c’est parce que j’avais une trouille bleue de sa réponse. Et si elle n’avait pas
les mêmes envies que moi ? Et si, pour elle, je ne représentais que sa première liaison sérieuse, et qu’elle
avait envie de voir venir ? Et s’il lui arrivait de rencontrer quelqu’un d’autre ?

Les questions se multipliaient à l’infini. L’important, c’était de ne pas oublier que Brynne était une
personne très honnête. Quand elle exprimait ses sentiments, c’était sincère. Ma petite amie n’était pas une
menteuse. Elle t’a dit qu’elle t’aimait.

Le plan, c’était de quitter Londres le lendemain de bonne heure pour s’épargner les embouteillages.
J’avais hâte de partir avec Brynne. J’avais trop envie d’une escapade romantique et, aussi, j’avais besoin
de sortir de la ville, de respirer l’air de la campagne. J’aimais Londres, mais ça ne m’empêchait pas de
vouloir fuir de temps en temps la cohue urbaine, ne fût-ce que pour rester sain d’esprit.

Ce moment de relaxation fut interrompu par un appel qui me fit redescendre sur terre et me renvoya
immédiatement à l’urgence de mes responsabilités professionnelles. La journée s’écoula sans que je m’en
rende compte. Et soudain ce fut l’heure de partir.

En quittant le bureau, j’appelai Brynne pour la prévenir que j’étais en route. Je m’attendais à la trouver en
plein affolement, débordée par les préparatifs en vue du gala et de notre départ. Mais je tombai sur la
messagerie. Je lui envoyai un court SMS : J’arrive. Besoin de qque chose ? Pas de réponse.

Je n’aimais pas ça et je compris alors que je ne cesserais jamais de m’inquiéter pour elle. Cette anxiété
ne me quitterait jamais. J’avais entendu des gens dire ce genre de choses au sujet de leurs enfants. On
ignore ce que veut dire s’inquiéter pour quelqu’un, jusqu’au jour où on a quelqu’un de si important dans
sa vie qu’on mesure alors le sens profond du verbe aimer. Et cet amour ne va pas sans la peur de perdre
cette personne – pensée sur laquelle je préférais ne pas m’attarder.

Me rappelant cette enveloppe cachée dans la pile de journaux, je fis le détour par le kiosque de Muriel
avant de gagner ma voiture. Elle fixa sur moi ses yeux expressifs. Sûr que cette femme avait dû avoir une
vie âpre, ce qui n’enlevait rien, loin de là, au fait qu’elle était très intelligente. Rien ne lui échappait.

— Salut, Muriel.

— Salut, m’sieur. Je peux quoi pour toi ? Alors, tu les as eus comme tu voulais, tes torchons américains,
hein ?

— Oui, merci bien, répondis-je avec un sourire. Juste un truc, Muriel…

J’observais son langage corporel, histoire de détecter si elle savait ce que j’allais lui demander. Je sortis
l’enveloppe qui contenait les photos.
— Il y avait ça dans les journaux de ce matin. Ça vous dit quelque chose ?

— Rien du tout.

Elle ne détourna pas les yeux. Elle continua de me regarder. Ça pouvait indiquer qu’elle disait vrai. Je
n’avais que mon intuition pour me guider tout en sachant à qui j’avais affaire. Je posai un billet de dix
livres sur sa tablette.

— J’ai besoin de votre aide, Muriel. Si vous repérez quelqu’un ou quelque chose de suspect, dites-le-
moi, d’accord ? C’est important. Il y va peut-être de la vie de quelqu’un.

Je la fixai du regard en hochant la tête.

— Vous voulez bien ouvrir l’œil ?

Elle considéra l’argent puis releva la tête. Elle me regardait avec un sourire sincère qui dévoilait son
horrible dentition.

— Pour toi, beau gosse, je veux bien faire ça.

Elle s’empara du billet et le fourra dans sa poche.

— Ethan Blackstone, dis-je en pointant le doigt vers l’immeuble. Quarante-quatrième étage.

— Je sais ton nom et je l’oublierai pas.

C’était un bon accord, vu le genre de partenaire que j’avais en face de moi. Je pris la direction de ma
voiture, j’avais hâte de rentrer et de retrouver ma chérie.

Je composai son numéro une deuxième fois. De nouveau la boîte vocale. Je laissai un message disant que
j’étais en route. Qu’était-elle en train de faire, qui l’empêchait de répondre ?

J’essayai d’imaginer des trucs rassurants : elle prenait un bain, elle faisait de la gym avec ses écouteurs
dans les oreilles, elle avait mis son appareil en mode silencieux…

Mais j’étais anxieux. C’était un sentiment nouveau dont je ne pouvais me défaire, et que je ne comprenais
pas. Je m’inquiétais pour Brynne à tout instant. J’apprenais et cela n’était pas donné. J’étais un vrai
novice.

L’appartement était silencieux comme une tombe. J’avais des sensations désagréables, de plus en plus
exacerbées.

— Brynne ?

Toujours ce silence. Elle n’était pas dans la salle de gym. Elle n’était pas dans mon bureau. Ni dehors sur
le balcon. Il ne restait qu’un seul espoir : la salle de bains. Mon cœur cognait en poussant la porte et fit
un bond quand je vis que la pièce était vide.

Merde ! Brynne ! Où es-tu ?


Sa jolie robe était accrochée à un cintre, cela dit. Cette robe pervenche achetée avec Gabrielle le jour du
déjeuner au Gladstone. Elle avait commencé aussi à préparer ses affaires : ses produits de beauté étaient
sortis et une petite trousse de toilette à moitié remplie. Donc elle était venue ici, elle s’était préparée
pour ce soir et notre week-end.

Je ne demandais pas mieux que de lui accorder le bénéfice du doute, mais il lui était déjà arrivé de me
planter là. Et si elle avait recommencé ? Déjà qu’avec ces photos arrivées aujourd’hui, j’avais des nœuds
dans le bide, je voulais juste savoir maintenant où elle était, bordel de merde !

Tout en essayant d’appeler Neil, je gagnai la chambre en état de panique. Et là, je tombai sur le spectacle
le plus merveilleux du monde. Au milieu des vêtements éparpillés et des bagages encore ouverts, Brynne
dormait sur le lit, recroquevillée sur elle-même.

— Ouais ? répondit Neil.

J’étais pétrifié, le téléphone encore collé à l’oreille.

— Heu, excuse-moi. Fausse alerte. À tout à l’heure à la National Gallery.

Et je coupai aussitôt. Pauvre vieux, il devait me trouver sacrément perturbé.

Mais oui, tu perds complètement les pédales !

Je retirai ma veste et mes chaussures avec d’infinies précautions puis me glissai sur le lit, j’entourai de
mes bras le corps de Brynne endormie. À mesure que je respirais son délicieux parfum, mon cœur
s’apaisait, retrouvant son rythme habituel. J’avais un besoin fou de griller une cigarette, mais je me
concentrai plutôt sur la chaleur qui émanait de Brynne, en me disant que mon addiction au tabac finirait
bien par se tasser.

Brynne était profondément endormie. Je me demandais pourquoi elle était si fatiguée mais je ne voulais
surtout pas la réveiller. J’allais veiller sur elle, attendre bien sagement à ses côtés et réfléchir à la leçon
que je venais de recevoir. Brynne n’était manifestement pas la seule à avoir des problèmes de confiance.
J’allais devoir me pencher un peu plus sur la question. Quand elle promettait de ne pas me planter, alors
je devais la croire sur parole.

Lorsque je rouvris les yeux, elle me regardait avec attention. Elle sourit, heureuse, superbe, un tantinet
arrogante.

— J’aime te regarder dormir.

— Quelle heure est-il ?

Je levai les yeux vers la fenêtre : un peu de clarté s’y accrochait encore.

— J’ai dormi ? Je t’ai trouvée au lit en rentrant et je n’ai pas pu résister à l’envie de m’allonger près de
toi. J’ai dû glisser dans le sommeil comme une marmotte.

— Bientôt cinq heures et demie. Il va falloir bouger.


Elle s’étira comme un chat – éminemment voluptueuse dans sa gestuelle.

— Je ne sais pas pourquoi j’étais aussi fatiguée. J’ai voulu m’étendre une minute et, quand je rouvre les
yeux, tu es là.

Elle roula sur le côté, voulant sortir du lit, mais je la retins par l’épaule et la ramenai sous moi en
m’installant entre ses jambes.

— Pas si vite, beauté. J’ai besoin d’un petit moment tranquille. La soirée promet d’être longue et je vais
devoir te partager avec quantité d’imbéciles.

Elle prit mon visage entre ses mains et sourit.

— Qu’est-ce que tu appelles un petit moment tranquille au juste ?

Je pris tout mon temps pour l’embrasser en explorant avec ma langue chaque millimètre de sa bouche,
puis je répondis :

— Le moment où tu es toute nue en train de crier mon nom.

Je poussai un peu plus mes hanches sur son corps soyeux.

— Comme ça.

— Mmm… Vous ne manquez pas d’arguments, monsieur Blackstone, répliqua-t-elle, mon visage toujours
entre ses mains. Mais il serait peut-être temps de commencer à s’habiller pour ce soir. Vous êtes capable
de faire plusieurs choses en même temps, monsieur Blackstone ?

— Je suis capable de faire beaucoup de choses, répondis-je en l’embrassant encore. Par exemple ?

— Eh bien… Par exemple, j’apprécie ta cabine de douche autant que ta baignoire, avança-t-elle,
faussement timide.

— Ah, c’est donc pour ça que tu es là : pour ma salle de bains et mes équipements exceptionnels.

Avec un petit rire, elle plongea la main entre nous pour attraper ma queue en érection.

— Des équipements de pointe, autant que je puisse en juger.

Riant et grognant tout à la fois, je me détachai d’elle et allai à la salle de bains.

— Je fais d’abord couler l’eau chaude… et je t’attends.

Ce ne fut pas long, Brynne me rejoignit nue et, comme toujours, hallucinante de sensualité. J’étais
totalement fasciné et enragé de désir tant j’étais dévoré par cet irrépressible besoin de domination
sexuelle qui s’emparait de moi en sa présence. Brynne était tout à la fois mon cadeau divin et ma plus
terrible crainte. Je venais de plaisanter sur la soirée qui nous attendait et sur l’obligation de la partager
avec d’autres, mais il y avait plus de vérité dans cette phrase que je n’étais prêt à l’admettre. J’exécrais
l’idée de la partager avec ses admirateurs – leurs réactions m’étaient insupportables.
Mais j’étais bien forcé de faire avec et, puisque Brynne était ma petite amie, il ne me restait plus qu’à
apprendre à gérer comme un grand.

Cela dit, nous fîmes un excellent usage du temps sous cette eau chaude et savonneuse. Oui, j’étais bel et
bien capable de faire plein de choses en même temps, et je n’allais certainement pas laisser passer la
moindre occasion.

— Tu sais que tu es plus que splendide, toi ?

Elle rougit dans le miroir, jusqu’au cou et même jusqu’à la courbe de ses seins plongés dans cette robe
renversante. Très bien ajustée à sa taille, cette robe en dentelle finissait en une courte jupe à l’étoffe
vaporeuse dont j’ignorais le nom. Mais bon Dieu, quelle importance, le tissu ? Cette robe, c’était ma mort
garantie, ce soir. J’étais dans un putain de pétrin.

— Toi aussi, Ethan, tu as l’air magnifique. On va bien ensemble. Tu as choisi cette cravate-là pour
qu’elle aille avec ma robe ?

— Bien sûr. J’ai des tonnes de cravates.

Je la regardais se maquiller, elle ajoutait les dernières touches. Je lui étais reconnaissant de ne pas se
sentir gênée que je la reluque ainsi, mais la perspective de ce que je m’apprêtais à faire me rendit
nerveux.

— Tu vas mettre cette épingle à cravate en argent ? La vintage que j’aime tellement ?

Parfaite entrée en matière.

— Bien sûr.

Je me hissai pour atteindre le haut du dressing. Je fixai l’épingle à ma cravate.

— C’est un bijou de famille ?

— Oui, tout à fait. Il vient du côté de ma mère. Mes grands-parents étaient d’une vieille famille anglaise
fortunée, ils ont eu deux filles – ma mère et celle d’Ivan. À leur mort, tout est revenu aux petits-enfants :
Hannah, Ivan et moi.

— Quelle histoire ! J’adore ces bijoux anciens. Les objets vintage sont tellement bien faits et quand, en
plus, ils ont une valeur sentimentale, alors c’est encore mieux, pas vrai ?

— Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de maman. J’étais si petit quand elle est morte. Mais je me rappelle
ma grand-mère. Elle nous prenait pendant les vacances, elle nous racontait des tas d’histoires, et nous
montrait des photos. À travers ses récits, elle faisait tout son possible pour que nous connaissions un peu
mieux notre mère car, selon elle, c’était ce que ma mère aurait souhaité.

Brynne reposa son pinceau à maquillage et vint à moi. Elle passa la main sur ma manche puis rajusta un
tout petit peu mon nœud de cravate. Ses doigts glissèrent vers l’épingle en argent qu’elle caressa avec
respect.
— Ta grand-mère devait être une femme adorable, tout comme ta mère.

— Elles auraient aimé te connaître.

Je l’embrassai avec précaution pour ne pas étaler son rouge à lèvres et sortis de ma poche ce que ma
précieuse Frances était allée récupérer à l’heure du déjeuner.

— J’ai quelque chose pour toi. C’est spécial… Cela t’est destiné.

Elle ouvrit de grands yeux en fixant le boîtier en velours noir, puis me regarda, stupéfaite.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Simplement un cadeau pour la femme que j’aime. Pour toi.

Ses mains tremblaient quand elle souleva le couvercle. Elle étouffa un cri.

— Oh ! Ethan… C’est… c’est tellement beau…

— C’est un petit bijou vintage qui vient de ma mère. Ça t’ira à merveille, et ça correspond parfaitement à
ce que je ressens pour toi.

— Mais tu ne devrais pas me donner des bijoux de famille ! dit-elle en secouant la tête. Ce n’est pas bien
de… de t’en séparer comme ça…

— C’est à toi que je dois l’offrir et je te l’offre, affirmai-je d’un ton sans appel. Tu permets que je te
l’attache ?

Elle considéra le pendentif puis releva les yeux vers moi à plusieurs reprises.

— Je souhaite que tu acceptes mon cadeau et que tu le portes ce soir.

— Oh ! Ethan…

Sa lèvre inférieure frémissait.

— Mais pourquoi ?

Sincèrement ? Parce que ce pendentif en améthyste orné de perles et de diamants était un très joli petit
bijou, mais aussi, et surtout, parce qu’il ne pouvait appartenir qu’à Brynne. En me souvenant qu’il était là,
dans les affaires héritées de maman, j’étais descendu le chercher dans le coffre-fort. Il y avait encore
d’autres merveilles, mais nous allions attendre un peu avant d’explorer plus avant ces trésors et d’offrir
de nouveaux joyaux.

— C’est juste un collier, Brynne. Une très jolie chose qui me fait penser à toi. C’est vintage, c’est un
cœur et c’est ta couleur préférée.

Je repris le boîtier d’entre ses mains et en sortis le pendentif.


— J’espère que tu vas l’accepter, le porter et te souvenir que je t’aime. C’est tout.

Je penchai la tête en tenant les deux extrémités de la chaîne, j’attendais son consentement.

Elle pinça les lèvres, prit une grande inspiration et me regarda avec cet éclat si particulier.

— Tu vas me faire pleurer, Ethan. C’est tellement… tellement beau… Je l’adore et… et j’aime que tu
veuilles me l’offrir… Et je t’aime…

Elle se tourna face au miroir et souleva ses cheveux.

Ce goût extraordinaire de la victoire, putain ! Aucun doute, je devais rayonner de bonheur, cela faisait des
lustres que je n’avais pas été aussi heureux qu’à l’instant de bloquer le petit fermoir de cette chaîne
autour de son cou magnifique. Le bijou en forme de cœur reposait sur sa peau, il était enfin à sa place,
après des décennies passées dans le noir.

À l’image de mon propre cœur.


24

La National Gallery est le lieu idéal pour accueillir un événement. Je le connais bien. J’y suis venu
souvent, en tant que responsable de la sécurité ou pour honorer une invitation, et même une ou deux fois
avec une conquête.

Mais je ne m’y étais encore jamais rendu dans ces conditions-là.

Brynne donnait un sens entièrement nouveau à la notion de possessivité. En ce qui me concernait, du


moins. Je serais mort avant la fin de la soirée à tenter de la protéger contre tous ceux qui avaient envie de
se l’accaparer.

Elle était d’une beauté si parfaite dans cette robe en dentelle pervenche et chaussée d’escarpins argentés !
Sous l’apparence de la top-modèle, se révélait une âme artistique des plus brillantes, respectée pour sa
compétence dans le domaine qui était le sien. Ce soir, ma chérie était une star. Mon cadeau qu’elle portait
à son cou n’y était pas pour rien non plus. Vous, là, elle est à moi ! À moi seul ! Et vous n’avez pas intérêt
à l’oublier !

L’exposition de Lady Percival rencontrait un franc succès. On la présentait en exemple des procédés de
conservation alors que sa restauration n’était pas même achevée. Et tout le mérite en revenait à Brynne,
bien évidemment, puisqu’elle était la conservatrice affectée au projet. Comme nous gagnions nos places à
table pour le dîner, le discours de bienvenue mentionna la fameuse découverte : le livre tenu en main par
le modèle. Je ne crois pas que j’oublierai jamais la fierté qui se peignit alors sur le visage de Brynne. Le
gala visait à soutenir la fondation Rothvale pour la promotion des arts, et autant que je puisse en juger en
balayant la salle du regard, il y avait de l’argent et des noms aristocratiques parmi les invités. Mallerton
bénéficiait de ce qu’on pouvait appeler une renaissance. Par son travail, Brynne avait contribué à susciter
un nouvel engouement pour ce peintre, et du même coup, pour l’action de la fondation Rothvale.

— Brynne, dit Gabrielle, tu as redonné vie à Lady Percival. Je l’ai bien examinée en arrivant. J’aime
beaucoup comment, à travers elle, on met en valeur l’enseignement des méthodes de conservation qui sont
nécessaires à la restauration de pareils trésors. À propos, Ethan, j’ai cru comprendre que tu avais
grandement contribué à résoudre le fameux mystère…

— Grandement, c’est beaucoup dire. Merci quand même, Gabrielle. J’étais ravi de pouvoir rendre
service à ma chérie grâce à mes trois mots de français.

J’adressai un clin d’œil à Brynne.

— Ça lui a fait tellement plaisir, quand le mystère a été percé à jour !

— J’étais aux anges. Ce tableau représente un grand pas dans ma carrière. C’est grâce à toi, mon chou.
Elle me prit les mains.

Dieu que je les aimais, ces petites attentions, ces signes d’amour ! Je lui baisai les doigts sans me soucier
de savoir si on nous regardait. Je m’en fichais complètement.

— Je me demande ce que fabrique Ivan, dit Brynne. Il arrive bientôt, tu crois ?

Ma joie se métamorphosa instantanément en pure et simple jalousie. Je dus me renfrogner mais ce fut pour
me reprendre aussitôt et me rendre à l’évidence que ce n’était que politesse de sa part. Je me rappelai en
passant que je devais lui parler de ces photos arrivées aujourd’hui, mais merde ! Ivan allait se mettre à
baver quand il verrait combien Brynne était attirante ce soir.

Brynne se tourna vers son amie, tout excitée :

— Gab ! Pourvu qu’il vienne ! Il faut absolument que tu rencontres le cousin d’Ethan. Il a une maison
pleine de Mallerton et de Dieu sait quoi d’autre ! Il veut en dresser le catalogue. Tu dois le rencontrer.
Vraiment, je t’assure !

Gabrielle riait, elle avait l’air si heureuse et, à sa façon, très en beauté dans sa robe verte qui allait
merveilleusement bien avec son teint et ses yeux. Pourvu qu’Ivan fasse une fixation sur elle ! Tant qu’Ivan
s’occuperait de Gabrielle, il ficherait la paix à Brynne. Quelque chose me disait qu’elle allait lui plaire
au premier coup d’œil. J’étais même prêt à miser le paquet là-dessus – aucun risque.

— Difficile à dire, chérie. Ivan a une conception très personnelle du temps. Il a toujours été comme ça.
Quel casse-pieds…

Je me tus brusquement quand mon regard tomba sur elle. Merde. Elle était de l’autre côté de la table, sur
la droite. Blonde-Rousse, superbement harnachée et en chasse. Mauvais.

Vite, je détournai les yeux pour me concentrer sur ma chérie. Mais Brynne regarda dans la même
direction puis vers moi à nouveau. J’étais sûr qu’elle se faisait des tas d’idées. Elle n’était pas idiote.
J’essayai de la jouer cool, en priant pour que Pamela ou Penelope n’ait pas une meilleure mémoire que
moi, mais il y avait peu d’espoir. C’était une amie d’Ivan. Sûr qu’elle trouverait un moyen de
m’approcher avant la fin de la soirée. Quelle est la règle, quand on est confronté à une situation aussi
gênante ? N’est-ce pas du dernier mauvais goût de présenter la dernière fille que vous avez baisée à celle
que vous baisez en ce moment ? Ça craint.

— Tout va bien ? me demanda Brynne.

— Oui, répondis-je.

Je pris mon verre, je posai le bras sur le dossier de sa chaise et souris :

— Parfaitement bien.

— Oh ! regarde ! Voilà Paul !

Radieuse, elle fit signe à mon ennemi qui nous salua en levant son verre. Sa présence ici n’avait rien de
surprenant puisqu’il y avait fait allusion le matin où j’avais failli l’envoyer manger le trottoir.
— Sois gentil, murmura-t-elle. Ne recommence pas à piquer une crise devant lui, d’accord ?

— Pas de souci.

Je levai mon verre à mon tour en regrettant intérieurement de ne pas être expert en magie noire, histoire
de le transformer en crapaud. Minute… Ce mec était déjà un crapaud ! Non, il faudrait quelque chose de
différent… un cafard, peut-être ?

— À quoi penses-tu ?

— À certains insectes dont j’ai horreur.

Je bus une gorgée de vin. Elle leva les yeux au ciel.

— Vraiment ?

— Heu… Sans déconner… Le cafard, c’est une bête ignoble, non ? Toujours en train de rôder dans les
coins où il ne devrait rien avoir à foutre.

Brynne éclata de rire.

— Tu es adorable quand tu es jaloux.

Elle plissa les yeux et se rapprocha :

— Mais ne me mets pas mal à l’aise devant lui comme l’autre matin quand je suis allée chercher les
cafés, Blackstone, ou ça pourrait te coûter cher. Du genre douleurs atroces.

Elle avait prononcé ces derniers mots en baissant les yeux vers mon entrejambe. Je ris à mon tour. C’était
trop drôle, même si je ne doutais pas du sérieux de la menace, ni du fait que le Cafard ne cessait pas de
nous lorgner.

— Je me conduirai en parfait gentleman… tant qu’il ne sort pas ses pinces.

De nouveau, elle eut ce regard de reproche et je remarquai comme ses yeux, assortis à sa robe, étaient
bleus ce soir.

Après le dîner, j’eus le plaisir d’être présenté à Alex Craven du Victoria & Albert Museum – une femme,
indubitablement, et fort gracieuse. Je remerciai ma mère par-devers moi de n’avoir pas expédié à cette
femme l’horrible message signé Ethan la Longue Lame. Sûr que ma mère avait dû me protéger ce jour-là.
Je sais bien que la chance ne va pas de soi.

Brynne ne tarda pas à disparaître, entraînée par des mécènes qui réclamaient, à tour de rôle, ses lumières
sur la restauration de Lady Percival. Je me résignai à aller me chercher un autre verre. Je sentis qu’on me
regardait et me tournai pour me retrouver face à Blonde-Rousse qui fonçait sur moi. Merde. Il fallait s’y
attendre.

— Salut, Ethan. C’est super, de te retrouver ici ce soir. L’autre jour, je parlais justement de toi à Ivan.
— Vraiment ?

Je hochai la tête en essayant désespérément de me rappeler son prénom.

— Un… un verre… ?

Je baissai les yeux. J’avais l’impression d’être un gros connard. J’aurais donné n’importe quoi pour être
ailleurs.

— Priscilla !

Bon, au moins, je ne me suis pas planté sur l’initiale. Je claquai des doigts en l’air.

— Bien sûr ! Priscilla. Envie d’un verre ? J’allais retourner à la salle Victoria.

Dis non, s’il te plaît !

— Oui ! Volontiers ! Un cosmo, lâcha-t-elle.

Ses yeux pétillaient comme si elle soupçonnait un quelconque intérêt de ma part. Elle me jeta un regard
profond qui me mit terriblement mal à l’aise. Voilà des années que j’endurais cela de la part des femmes.
Pour le sexe, évidemment. Je veux dire, quelle femme consentira à coucher avec vous, si vous ne la
laissez pas au moins vous admirer et si vous n’avez pas l’air flatté de l’intérêt qu’elle vous porte ?
Sincèrement, je n’avais jamais apprécié et cela n’avait été qu’un jeu pour moi, rien d’autre. D’ailleurs,
presque tout avait été un jeu avant ma rencontre avec Brynne. Je m’étais conduit jusque-là comme un
moins que rien.

— Ivan ? Qu’est-ce qu’il t’a dit ?

— Il m’a dit que tu étais super occupé. Ton boulot, les Jeux… et ta nouvelle petite amie.

— Ah. Bien. Au moins, il n’a pas menti.

J’essayais de chercher un moyen de m’éclipser sans être impoli.

— Oui, j’ai une petite amie.

Et il faut que j’arrive à me débarrasser de toi au plus vite, bordel !

— Je l’ai aperçue au dîner, dit-elle. Une petite jeune, alors ?

Priscilla fit un pas vers moi et posa la main sur mon bras, sa voix était comme chargée de poison.

— Elle n’est pas si jeune, dis-je.

J’engloutis une lampée de vodka en priant pour qu’une intervention divine me tire de cette putain de
situation quand le Cafard s’approcha avec Brynne à son côté.

La voilà, connard, ton intervention divine.


— Mon cœur.

Je me décrochai de Priscilla pour aller à la rencontre de Brynne.

— J’étais en train de me prendre un verre quand je suis tombé sur… euh… Priscilla.

C’était quoi au fait, son nom de famille à la con ? Je l’avais oublié aussi. Là, ça faisait vraiment chier et,
franchement, je n’avais pas les compétences pour continuer à gérer plus longtemps ce genre de merdier.
D’ailleurs je ne les avais jamais eues. En tout cas, là, c’était trop.

— Blackstone, dit Paul Langley en braquant sur moi un œil accusateur. Brynne a eu un léger vertige et
besoin d’une pause.

Je pris la main de Brynne et y posai les lèvres.

— Tu vas bien ?

— Je crois qu’il me faudrait un verre d’eau, dit-elle. Je me suis mise à avoir chaud, tout à coup. Je me
sens toute bizarre.

— Bon, assieds-toi, dis-je. Je t’apporte un verre d’eau.

Mais je n’eus pas le temps de faire un geste que ce bon vieux Langley lui fourrait déjà un verre en cristal
entre les mains. Je m’essayai à la télépathie avec lui. Maintenant, tu peux nous laisser, Langley.

Aucun résultat.

— Merci, Paul, dit Brynne en lui lançant un sourire reconnaissant.

Elle but.

— Avec plaisir, ma très chère.

Le Cafard recommençait ses minauderies.

Bordel ! Et moi qui pensais que tu avais débarrassé le plancher ! Langley, manifestement le parangon des
bonnes manières, se présenta de lui-même à Priscilla en lui tendant la main.

— Paul Langley.

— Priscilla Banks. Enchantée.

Super. Maintenant, vous voulez bien dégager tous les deux et aller tirer un coup dans les toilettes, ou
parler dans notre dos et tout ce que vous voudrez d’autre ? Quoi que vous fassiez, ce sera putain de
parfait.

La chance était avec moi. Ils s’éloignèrent en attaquant une conversation.

— Tu te sens mieux ? demandai-je en me tournant vers Brynne.


— Beaucoup mieux.

Elle jeta un coup d’œil du côté de Paul et Priscilla, puis se tourna vers moi en murmurant :

— C’est qui, ça ?

— Une amie d’Ivan.

Ça ne marchait pas. À sa façon de me regarder, je compris que j’avais intérêt à la jouer cash si je ne
voulais pas encourir des représailles.

— D’Ivan ? Et de toi aussi ?

— Pas vraiment, tentai-je.

— Ça veut dire quoi, pas vraiment ?

D’abord, je me tus, ne sachant pas trop par quel bout attraper cette complication. Un gala de charité,
franchement, ce n’était pas le lieu. Mais comme je ne sais pas filtrer mes pensées avant qu’elles ne
franchissent mes lèvres, je répondis :

— Ça veut dire qu’on est sortis une fois ensemble, et que le terme d’amis ne s’applique pas à nous. En
tout cas pas au sens où toi et Langley êtes amis.

Je levai un sourcil à son intention.

— D’accord, dit-elle. Je vois.

Elle jeta un long regard songeur sur Priscilla puis se tourna vers moi et finit son verre d’eau.

Mmmm… Elle avait décidé, semblait-il, de laisser tomber pour le moment. Grâces soient rendues au ciel.
Maintenant, pour que tout baigne à nouveau, il n’y avait plus qu’à fuir le Cafard et Blonde-Rousse.

— On retourne à la salle Victoria ? Il doit y avoir là-bas plein de fans en train de t’attendre.

— C’est vrai.

Elle riait en secouant la tête.

— Ouais, allons-y. Il faut que Lady Percival obtienne sa juste part, ce soir. Elle n’est restée que trop
longtemps dans l’ombre.

Comme j’accompagnais Brynne à la salle Victoria, je ne pus m’empêcher de penser que c’est d’elle-
même qu’elle parlait, métaphoriquement : Elle n’est restée que trop longtemps dans l’ombre. Quelle
qu’en soit la raison, cela me rendit heureux.

Elle fut presque tout de suite accaparée pour un autre cycle de questions et je décidai de me fondre dans
le décor pour la laisser bosser. Elle était au tout début de sa carrière et j’avais de bonnes raisons de
vouloir qu’elle réussisse. Primo, c’était son rêve, et secundo, en trouvant un bon job dans son champ de
compétence, elle avait toutes les chances de rester à Londres avec moi. Au fond, j’étais aussi motivé
qu’elle.

— L’expo te plaît ? demanda Ivan par-dessus mon épaule.

— Content que tu aies pu te libérer ce soir. On se demandait justement quand tu consentirais à nous faire
l’honneur de ta présence. Brynne aimerait te présenter son amie.

Je cherchai la robe verte de Gabrielle, mais elle n’était nulle part. Ivan enveloppa ma chérie d’un regard
admiratif.

— Brynne a l’air débordée. On verra plus tard.

— Écoute, Ivan. Une prétendue menace est arrivée à mon bureau aujourd’hui. Je ne m’en fais pas plus que
ça, mais je veux que tu saches de quoi il retourne.

Je lui tendis l’enveloppe contenant les photos que j’avais apportées à dessein, me doutant qu’il viendrait.
J’avais la conviction que toute personne doit être tenue informée d’une menace à son encontre, aussi
anodine soit-elle. Un dingue, en général, ne s’arrange pas avec le temps, alors autant être informé de son
existence. Il n’y avait là rien de nouveau d’ailleurs, Ivan et moi étions passés par là très souvent. Il
grommela en parcourant les clichés qu’il me rendit après quelques instants.

— Merci, Ethan, de continuer à ouvrir l’œil. Mais je suis sûr que ça se tassera quand les Jeux ne seront
plus qu’un souvenir.

Il contemplait mon verre.

— Je peux du moins l’espérer, pas vrai ?

— Il n’y a rien d’autre à faire, mon pote, dis-je en approuvant du chef.

Je lui donnai une tape dans le dos.

— J’ai besoin d’un truc du genre de ce que tu sirotes.

Il me fit un signe de la main et prit la direction du bar.

Je dorlotai ma vodka un instant encore avant de décider que j’étais mûr pour une clope. Il n’était pas
question d’interrompre Brynne, toujours si occupée, alors je prévins Neil que je sortais. Je trouvai une
issue donnant sur la rue et bloquai la porte pour pouvoir rentrer par le même chemin. Je fis un pas dehors
dans la fraîcheur de la nuit.

Le parfum de clou de girofle était si agréable que j’eus un début d’érection. Plus que quelques heures
avant de quitter Londres et j’aurais Brynne rien que pour moi. Les lumières et les bruits de la ville
tourbillonnaient autour de moi au gré des volutes de la fumée aromatique. Je me délectais de mon poison.
Serais-je capable, un jour, de ne plus fumer du tout ? J’essayais de limiter ma consommation, mais quand
on est intoxiqué de longue date… Je ne voyais pas comment arriver à laisser tomber pour de bon. Le
corps et l’esprit avaient grand besoin de leur addiction. Dans mon cas, ces cigarettes n’étaient pas juste
une affaire de nicotine, loin de là. J’allais probablement devoir faire appel à un professionnel car il était
temps de regarder cette réalité en face – et quelques autres encore.

Une vibration contre ma poitrine me tira brusquement de mes pensées, or il me fallut plusieurs secondes
pour comprendre que c’était l’ancien portable de Brynne que j’avais glissé dans la poche de ma veste. Il
ne s’était pas manifesté depuis si longtemps que j’avais même failli oublier de le prendre ce soir. Par
habitude cependant, je le chargeais et le laissais allumé.

Un message multimédia. Une photo, autrement dit. Telle une lame, une peur glacée me traversa les tripes.
J’ouvris le fichier en essayant de maîtriser ma respiration.

ArmyOps17 a envoyé à Brynne un clip Spotify.

Oh, putain, non ! Pas ça ! Pas maintenant ! Contre toute raison, je pressai sur OK ; je me sentais forcé de
voir ce clip. Le professionnel en moi exigeait de voir précisément de quoi il retournait. Je reconnus
immédiatement la musique. C’était le groupe Nine Inch Nails. Le morceau intitulé Closer. Celui dont ils
s’étaient servis pour la bande-son de la sextape. Je l’écoutai jusqu’au bout parce qu’il le fallait, mais j’en
étais malade. Et encore, c’était seulement la version officielle de la chanson, pas celle utilisée dans le
cas de Brynne.

Merci. Putain de merde.

Les images montraient un singe crucifié, une tête de cochon tourbillonnant sur un pic, le chanteur Trent
Reznor portant un masque en cuir et qui se balançait attaché à des chaînes, un bâillon-boule fétichiste
entre les dents, et encore un graphique médical représentant le sexe féminin…

Quand ce fut fini, j’aspirai une bouffée d’oxygène les yeux toujours rivés à l’écran. ArmyOps17 ? Qui
pouvait bien avoir posté cette merde, putain ? Oakley ? Mes renseignements à son sujet étaient
absolument fiables. Lance Oakley était en Irak et il allait y rester pour un bon moment à moins qu’il rentre
à San Francisco dans un sac mortuaire. Mais pour ça, encore fallait-il que la chance tourne en ma faveur.
Ce qui était toujours possible, cela dit.

Le texte arriva un instant plus tard : Brynne, Aide-moi. Je suis tout déchiré de l’intérieur. Brynne, Aide-
moi. Je n’ai plus d’âme à vendre. Brynne, Aide-moi à échapper à moi-même. Brynne, Aide-moi à
anéantir ma raison. Brynne, Aide-moi à être quelqu’un d’autre. Brynne, AIDE-MOI !!

C’est d’une main tremblante que je répondis à ce terrifiant ramassis de mots. Ki es-tu et ke me veux-tu ?

La réponse me parvint instantanément : Pas toi, Blackstone. C’est Brynne que je veux. Jette ta clope,
retourne à l’intérieur et montre-lui mon message.

Je tournai brusquement la tête, j’explorai le périmètre et les toits. Cet enfoiré m’avait dans son viseur, là,
maintenant ! Je ne crois pas avoir filé plus vite de toute ma vie, avec un objectif et un seul – trouver
Brynne et la sortir d’ici à toute vitesse.

Je me précipitai à l’intérieur. J’avais Neil en ligne grâce à l’oreillette et lui lançai qu’on remballait.

— Ethan, on a une alerte à la bombe. La sécurité procède à une évacuation totale.

Quoi ? Mon cerveau multipliait les connexions, mais il n’y avait pas de temps pour jouer les Sherlock
Holmes.

— Reste avec Brynne ! aboyai-je. J’arrive.

Neil ne répondit pas tout de suite. Mauvais signe.

— Putain ! Ne me dis pas que tu n’es pas avec elle !

— Je pense qu’elle est allée aux toilettes au moment où un membre de la sécurité m’a abordé. Je pars tout
de suite la retrouver.

— Putain !

Je changeai de direction quand les sirènes se mirent à hurler. Sacrément fort ! Les signaux s’allumèrent à
toutes les sorties et les portes s’ouvrirent. Je vis Gabrielle émerger de derrière une porte et s’élancer
comme on attaque un sprint – chose remarquable, vu la hauteur des escarpins qu’elle portait ce soir. Elle
détala, les cheveux et la robe en désordre. Pas le temps de lui demander ce qu’il y avait cependant,
c’était ma petite amie que je voulais retrouver. Des pas retentirent derrière moi : Ivan. Dans le même état
que Gabrielle, tout aussi échevelé, avec la chemise qui s’échappait du pantalon. Je décidai d’étudier plus
tard la question de savoir s’ils s’étaient rendus ensemble derrière cette porte… Je n’avais vraiment pas
une seconde à perdre avec ça !

— Alerte à la bombe, lui dis-je avec un geste vers les signaux lumineux. Évacuation générale.

— Tu te fous de ma gueule ? explosa Ivan. Tout ça à cause de moi ?

— Je n’ai pas les détails. J’étais sorti en griller une quand les alarmes se sont déclenchées. Neil dit que
la sécurité a reçu une menace de bombe par téléphone. Ils bouclent tout. On démêlera ça plus tard. Pour le
moment, casse-toi !

Je laissai Ivan et gagnai la salle Victoria en courant. C’était la cohue, la folie complète. Les gens se
précipitaient vers les issues en hurlant. La panique. Et je paniquais moi aussi. À fond.

Brynne, où es-tu ?

Je cherchai un éclat de couleur pervenche dans la foule, en vain. J’avais l’impression de couler.

— Tu l’as trouvée ? demandai-je à Neil à nouveau connecté dans l’oreillette.

— Pas encore. J’ai inspecté deux toilettes à cet étage. Vides. J’ai demandé à Elaina de l’emmener dehors
si elle la trouvait en chemin. Ils sont en train de rassembler tout le monde dans la rue. Je continue de
chercher.

J’étais tellement désespéré que j’aurais pu signer avec le diable en personne, pourvu qu’il m’aide à
retrouver ma petite amie saine et sauve. Je revins sur mes pas, en direction de l’aile où était exposée
Lady Percival, j’espérais qu’elle pourrait peut-être me fournir un indice. Brynne avait mentionné un
accès, au fond de la salle, par lequel on avait fait entrer le tableau quand il était arrivé de la Rothvale
Gallery. Je cherchai une porte et l’aperçus à trois mètres de là, se confondant au mur. Il fallait détecter la
ligne du chambranle et la petite pancarte punaisée : Privé.
Bingo !

J’ouvris et pénétrai dans un vaste entrepôt où s’alignaient plusieurs portes. Sur l’une était marquée
Toilettes.

— Brynne ?

Je criai son nom et donnai un coup violent. Je tournai la poignée, mais elle était fermée à clé.

— Je suis là.

La voix était faible mais c’était sa voix ! Bénis soient les anges.

— Chérie ! Merci, mon Dieu ! dis-je en me bagarrant avec la poignée. Laisse-moi entrer. Il faut se barrer
d’ici !

Le verrou émit un claquement et je ne perdis pas un seul instant pour repousser ce dernier obstacle entre
ma petite amie et moi. J’aurais défoncé et arraché la porte si j’avais pu.

Elle se tenait là toute pâle dans sa belle robe pervenche, la main sur la bouche et le front perlé de sueur.
Pervenche, c’est la couleur la plus splendide sur cette putain de planète ! Maintenant et peut-être à
jamais. Je ne pensais pas oublier un jour ce que je ressentis en cet instant. L’immense soulagement de la
retrouver me fit presque tomber à genoux de gratitude.

— Qu’est-ce qui se passe avec l’alarme incendie ? demanda-t-elle.

— Tu vas bien ? répondis-je en l’entourant de mes bras.

Mais elle me repoussa d’une main.

— Je viens juste de vomir, Ethan. Ne t’approche pas de moi.

Elle gardait la main sur les lèvres.

— Je ne sais pas ce qui ne va pas. Dieu merci, je me suis souvenue qu’il y avait ces toilettes à proximité.
J’étais en train de vomir quand l’alarme s’est déclenchée…

— Oh, ma chérie…

Je lui couvris le front de baisers.

— Il faut partir maintenant ! Ce n’est pas un incendie, c’est une alerte à la bombe !

Je la pris par la main et l’attirai.

— Tu peux marcher ?

Elle était de plus en plus pâle, mais elle arriva à se reprendre.

— Oui !
Je prévins Neil comme nous nous dirigions en quatrième vitesse vers la sortie du musée.

L’adrénaline a de surprenants pouvoirs sur le corps humain. Il y a quantité de petites choses pour
lesquelles on peut être reconnaissant, mais la chose la plus importante de toutes était entre mes bras,
saine et sauve.

Quel putain de bordel ces dernières heures ! Nous roulions dans la nuit et je ruminais les événements.
Changement de programme, c’est ce que j’avais décidé dès notre retour à la maison. J’avais appelé
Hannah aussitôt pour l’informer que nous prenions la route de nuit. Elle se déclara surprise mais ravie de
nous avoir plus tôt chez eux. La maison serait ouverte, nous pouvions donc débarquer à n’importe quelle
heure et nous installer.

Brynne, c’était une autre paire de manches. Déjà, elle ne se sentait pas dans son assiette. Ensuite, elle se
tourmentait pour cette alerte à la bombe et pour tous les tableaux. Jusqu’ici, il n’y avait pas eu
d’explosion, mais on ne parlait que de cela sur toutes les stations en évoquant une attaque à caractère
terroriste. Beaucoup de gens de mon équipe enquêteraient sur l’alerte à la bombe, c’était une mesure
obligatoire, mais ce qui m’inquiétait beaucoup plus, c’étaient ces messages sur son ancien portable.
J’ignorais qui était l’expéditeur mais je savais une chose : il rôdait dans les parages. Si près d’ailleurs
qu’il m’avait vu fumer une clope derrière la National Gallery. Et s’il se tenait si près de moi, alors il
l’était beaucoup trop de Brynne. Putain. Je ne comprenais rien à son message, en plus. Il avait recopié les
paroles du morceau en y intégrant le nom de Brynne. Ça me donnait froid dans le dos, d’où ma décision
immédiate de l’emmener loin de tout ça.

Elle dormait sur le siège passager. Elle avait pris un oreiller à la maison, pour le mettre sous sa tête. Je
l’avais bousculée afin que nous partions le plus vite possible pour le Somerset et je savais que je lui
devrais une explication plus tard, mais Dieu merci, elle n’avait pas été d’humeur à me contrarier et avait
consenti à tout. On s’était changés, on avait pris nos sacs et on avait rejoint l’autoroute M-4 pour notre
périple de trois heures en direction de la côte.

Deux heures durant, elle dormit d’un sommeil agité, avant de se réveiller avec une question sans ambages
:

— Bon, alors, tu vas m’expliquer pourquoi on a décampé aussi vite alors qu’on avait décidé qu’on
partirait demain matin ?

— Je ne te le dirai pas car ça ne te ferait aucun bien. Déjà que tu n’es pas en forme…

Je lui pris la main.

— Ça peut attendre demain pour en parler ?

— Non, dit-elle en secouant la tête.

— Chérie, s’il te plaît. Tu es exténuée et…


— On a passé un accord, Ethan. Si je ne sais pas tout, je ne pourrai pas te faire confiance.

Ce ton sans réplique me foutait la trouille. Oh ! je savais très bien qu’on avait passé un accord, mais ce
que je savais n’était pas du joli. Je savais ce à quoi je m’étais engagé avec Brynne. Et si le fait de lui
cacher des informations nous conduisait à la rupture, alors très peu pour moi. Je sortis son portable de ma
poche.

— Ouais, je n’ai pas oublié notre accord. Un message est arrivé sur ton portable pendant que j’étais sorti
fumer une cigarette. C’est pour ça que je ne savais plus où tu étais passée. J’étais dehors quand l’alerte à
la bombe est arrivée – quasi en même temps que ce message.

Elle prit le téléphone d’une main tremblante.

— Ethan ? Qu’est-ce qu’il y a dans ce message ?

— C’est un clip. Après, il y a un texte de quelqu’un qui se fait appeler ArmyOps17.

Je posai la main sur son bras.

— Tu n’es pas obligée de l’écouter. Vraiment tu ne…

Elle était littéralement saisie d’effroi. Elle demanda néanmoins :

— C’est… c’est la vidéo dans laquelle je… je suis ?

— Non ! Juste le clip de la chanson de Nine Inch Nails. Je t’en prie, Brynne, rien ne t’oblige à…

— Si ! Ce message m’est adressé, non ?

Je hochai la tête.

— Et si on n’était pas ensemble, il m’aurait quand même été envoyé, n’est-ce pas ?

— J’imagine. Mais justement : on est ensemble. Et je veux tout faire pour que tu n’aies pas à t’inquiéter
de ce genre de merdes. Ça me tue, Brynne. Ça me tue, de te voir dans cet état !

Maintenant, elle pleurait. Elle pleurait sans bruit. Elle faisait toujours ça, or ses sanglots silencieux
traversaient l’espace entre nous comme des hurlements.

— C’est aussi pour ça que je t’aime, Ethan, dit-elle en reniflant. Tu veux me protéger parce que je compte
vraiment pour toi.

— Oui, mon cœur. Je t’aime tellement. Je ne veux pas que tu te forces à visionner cette mer…

Elle démarra la lecture. La musique retentit. Je surveillais Brynne en retenant mon souffle.

Elle tint bon pendant toute la durée du morceau, regardant le clip jusqu’au bout – toute cette daube de
saloperies fétichistes façon savant fou. Rien ne me permettait de savoir ce qu’elle ressentait, cela dit.
Elle ne l’exprimait pas. Impossible de deviner.
Ce que je savais, en revanche, c’est ce que j’éprouvais, moi, à la regarder. Un désarroi absolu.

Vint la partie texte.

— Il était là ? Il t’observait pendant que tu fumais ? Oh ! merde…

Elle mit la main sur sa bouche, comme elle avait fait au musée.

— Arrête-toi ! dit-elle d’une voix étouffée.

Putain ! Ce fut un défi aux lois de la physique et de la route, mais je me débrouillai je ne sais comment
pour me garer sur le bas-côté. À peine la voiture arrêtée, Brynne bondit au-dehors pour aller vomir dans
les buissons. Je m’approchai d’elle et écartai ses cheveux tout en lui caressant le dos. La nuit tournait au
cauchemar.

— Qu’est-ce que j’ai, bon Dieu ? dit-elle entre deux hoquets. Tu n’aurais pas une serviette, quelque chose
?

J’ouvris la boîte à gants et y pris des serviettes ainsi qu’une bouteille d’eau afin qu’elle puisse se rincer
la bouche. J’avais soin de fermer la mienne, de bouche, tant j’étais sûr d’être en train de vivre une
expérience quasi surnaturelle. Il était impossible que cela arrive là, maintenant.

— Ça va mieux, dit-elle en haletant. Je ne sais pas ce que j’ai eu ce soir, mais ça semble être passé.

Elle se redressa lentement et leva les yeux vers le ciel nocturne.

— Mon Dieu !

— Je suis vraiment désolé, mon cœur. Tu es malade, et je t’impose un voyage en bagnole. Tout a
royalement merdé…

— Mais toi, tu es là avec moi, lâcha-t-elle. Et tu vas m’aider à affronter ce bordel qui a atterri dans mon
téléphone, n’est-ce pas ?

Elle fixait sur moi ses yeux humides, sa poitrine se soulevait encore rapidement d’avoir été malade dans
les buissons. J’admirais son incroyable courage.

— Bien sûr, Brynne.

Je me rapprochai et la serrai contre moi. Elle se blottit dans mes bras, la joue collée contre mon torse.

— Je serai là à chaque pas que tu feras. Je te protégerai. Tu te rappelles ? Le tout pour tout.

Elle hochait la tête.

— Pareil pour moi, Ethan. Le tout pour tout.

— Alors tout va bien se passer, chérie.


Je continuai de lui caresser le dos et sentis qu’elle se détendait un peu.

— Ça va mieux, dit-elle à nouveau. Même si j’empeste le vomi. Désolée.

— Le principal, c’est que tu te sentes mieux. Et cela ne sent qu’un tout petit peu.

Je lui donnai un baiser sur le front et elle me pinça les côtes.

— On ne peut pas rester garés là. On n’est plus très loin et je veux te mettre dans un bon lit pour que tu
puisses te reposer. Freddy est médecin. Il t’examinera demain quand tu auras dormi.

— D’accord. Une soirée de dingue, hein ?

— C’est plutôt drôle de sortir avec vous, mademoiselle Bennett, dis-je en l’aidant à se rasseoir. Mais je
crois que je préfère quand on reste à la maison.

Je lui donnai un baiser sur le front et refermai la portière. Ma remarque l’amusa. Je n’étais pas fâché de
la voir sourire, après tout ce bordel.

Peu après, nous nous rapprochions de la côte.

— Tu sens ? dis-je. L’océan.

— Oui. Ça me rappelle chez moi. J’ai grandi en respirant l’odeur de la mer.

Elle ajouta, tournée vers la fenêtre :

— Parle-moi de Hannah et de sa famille.

Ces souvenirs réveillés de son enfance étaient-ils de tristes souvenirs ? Je préférai ne pas insister sur ce
sujet. On verrait ça plus tard, peut-être.

— Alors Hannah a cinq ans de plus que moi. Un vrai tyran mais elle aime son petit frère. On est très
proches… Sûrement parce qu’on a perdu notre maman très jeunes. On s’est serré les coudes. Papa,
Hannah et moi.

— C’est si bien, je trouve, Ethan, cette façon que vous avez de vous soucier les uns des autres.

— J’ai hâte que tu les connaisses. Freddy est un type bien. Je te l’ai dit, il est médecin et il a un cabinet
dans le village à Kilve. Leur maison s’appelle Hallborough. C’est un vieux domaine qui lui vient de sa
famille – les Greymont. Pas facile à entretenir, ces immenses demeures historiques. D’où l’idée d’en faire
un bed and breakfast haut de gamme que gère Hannah, en plus d’élever trois merveilleux enfants.

— Ils s’appellent comment ? Ils ont quel âge ?

— Colin aura treize ans en novembre. Jordan vient de fêter ses onze ans, et ma nièce Zara, ma petite
princesse de conte de fées, a cinq ans. Son arrivée a été une surprise pour tout le monde.

Je ne pouvais penser à Zara sans avoir le sourire. J’avais un faible pour les petites filles.
— Elle, c’est encore autre chose, je te préviens. Elle mène ses frères à la baguette.

— Alors, j’ai hâte de la connaître. C’est bien, les femmes qui arrivent à prendre le dessus sur les hommes
de leur vie. Surtout si jeune.

— Tu la verras pas plus tard que demain matin. On arrive.

L’allée de gravillon formant un demi-cercle rejoignait une demeure géorgienne en pierre blanche.
Diverses influences s’y étaient succédé au cours des siècles. Les fenêtres gothiques en ogive lui
donnaient une touche historique. C’était une très belle maison perchée sur la côte… Pas mal pour un
cottage de bord de mer. Elle m’avait toujours fait beaucoup d’effet. Il y a deux siècles, selon Freddy, elle
servait de résidence d’été à sa famille qui se réfugiait là quand elle voulait fuir la ville. Si ça c’était ce
qu’on appelait un cottage, on pouvait alors se demander à quoi ressemblait une vraie maison pour ces
gens ?

— Mon Dieu ! Ethan, c’est extraordinaire.

Elle parcourut des yeux la façade ; elle était impressionnée et il y avait de quoi.

— C’est splendide. J’ai hâte de la visiter.

— Demain.

Je pris les sacs dans le coffre puis je verrouillai la voiture.

— Pour le moment, au lit. Tu as besoin de dormir.

La maison n’était pas fermée, comme Hannah l’avait promis.

— J’ai surtout besoin d’une douche, murmura Brynne dans mon dos.

— Tu peux prendre un bain, si le cœur t’en dit. Il y a tout ce qu’il faut. C’est superbe.

Je parlais à voix basse, en la précédant sur les marches du grand escalier. Je savais déjà quelle suite
j’avais choisie pour Brynne et moi. Je l’avais dit à Hannah au téléphone. C’était la chambre bleue, située
dans l’aile ouest, avec vue sur l’océan jusqu’à la côte galloise de l’autre côté de la baie.

J’ouvris la porte de la chambre. À voir la tête de Brynne, elle était scotchée. Elle ne disait plus rien et
regardait tout autour d’elle.

— Ethan, c’est… c’est tout simplement stupéfiant.

J’eus droit à un large sourire. Elle avait l’air heureuse.

— Merci de m’avoir emmenée ici.

Puis, baissant les yeux et secouant la tête, désolée :

— Excuse-moi pour cette nuit. C’était un tel chaos…


— Viens, mon cœur.

Je lui ouvris les bras et elle s’y jeta presque. Je la soulevai du sol tandis qu’elle enroulait ses jambes
autour de moi – j’adorais quand elle faisait ça. J’essayai de l’embrasser sur les lèvres mais elle fuit ces
baisers et me présenta son cou.

— J’ai besoin de prendre une douche et de me brosser les dents avant que nous fassions quoi que ce soit.

Elle murmurait ces mots contre mon oreille.

— On ne va rien faire du tout. Tu vas te coucher et dormir après avoir pris une douche ou un bain, comme
tu voudras.

— Hé ! protesta-t-elle. Vous osez me refuser votre corps, monsieur Blackstone ?

Si je m’attendais à cette réaction !

— Hum… Heu… pas du tout, mademoiselle Bennett. Je ne ferais jamais une chose aussi aberrante que
celle de vous refuser mon corps quand vous me paraissez à ce point en manque…

— Tant mieux. Parce que je me sens beaucoup mieux, à présent. Beaucoup, beaucoup mieux…

Elle prit mon visage dans ses mains. Son sourire était merveilleux.

— Ah… je vois ça.

Elle se pressait contre mon sexe, en m’enfermant toujours davantage dans l’étreinte de ses jambes.

— En plus, je sens que vous êtes totalement partant, monsieur Blackstone.

Évidemment ! Avec tes jambes serrées comme ça autour de mon cul, et ma queue tendue vers ce que tu
possèdes de si exquis.

Je la transportai prudemment dans la salle de bains et la laissai retomber sur ses pieds. Je trouvai la
lumière et savourai sa nouvelle surprise lorsqu’elle découvrit la baignoire et les équipements.

— C’est l’océan, qu’on voit par la fenêtre ? Seigneur Dieu ! C’est si beau ici ! C’est à peine croyable.

Je riais.

— Je commence à me demander si tu ne préfères pas prendre un bain, finalement, plutôt que de me


violenter.

— Moi aussi, je suis capable de faire plusieurs choses en même temps, tu sais, mon chou.

Elle se débarrassa de son sweat à capuche, et le laissa tomber à terre.

— Je t’ai dit combien j’aime ça, quand tu m’appelles mon chou ?

Son strip-tease promettait d’être dément. J’en avais des vibrations dans tout le corps.
— Tu as dû me le dire une ou deux fois, oui.

Elle retirait son tee-shirt. C’est là que je le vis.

— Tu as mis le collier, dis-je.

Elle hocha la tête. Elle était là, en soutien-gorge bleu à dentelle, avec le pendentif en forme de cœur que
je lui avais offert au début de cette infernale soirée.

— Quand on est allés se changer, dit-elle, je n’ai pas voulu l’enlever.

Elle leva les yeux vers moi, le doigt pointé sur le bijou.

— Comment ça se fait ? dis-je.

— Parce que tu me l’as offert et que tu m’as dit que tu m’aimais et parce que…

— Ne l’enlève jamais…, l’interrompis-je.

— … et parce que tu m’as dit qu’avec toi, c’était le tout pour le tout.

— Je mise tout. Je mise tout sur toi, Brynne. Depuis le début.

Je croyais à chaque mot que je prononçais. Je savais ce que je voulais. C’était clair comme le cristal.
Désormais avec elle, il n’y avait pas de retour en arrière possible.

Le tout pour le tout, mon cœur, et pour toujours…

Je la pris dans mes bras, je voulais qu’elle sente combien j’avais besoin d’elle, je l’exprimai aussi avec
des mots et je compris alors que la plus belle partie de toute ma vie n’avait pas été une partie de cartes.
Non, la plus belle partie de ma vie, je l’avais jouée un soir dans une rue de Londres, quand une belle
Américaine avait décidé de rentrer chez elle à pied. Ce soir-là, j’avais sorti le grand jeu. Comme je ne
l’avais jamais fait auparavant. Pour miser tout sur elle.
Titre original : All In: The Blackstone Affair, book 2

Publiés par Astria, un département de Simon & Schuster, Inc., New York.

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2e et 3e a), d’une
part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à
une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple
et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de
l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4).

Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon,
sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Couverture : © conception graphique DPcom ; Photo © Lorado/E+/Getty Images ;

Howard Kingsnorth/Stone/Getty Images

© Raine Miller, 2012

© Presses de la Cité, 2017 pour la traduction française

EAN 978-2-258-14588-7

Vous aimerez peut-être aussi