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CONSTRUIRE LA BIBLIOTHÈQUE

La lumière
dans les bibliothèques
D ans son Cours d’architecture (1771 -1777), Jacques-François Blondel écrit :
« Il conviendrait que les bibliothèques soient éclairées par le haut. Cette lumière,
plus convenable à l’étude, contribuerait à la symétrie, au recueillement et multiplierait
les surfaces pour placer les armoires. » La réussite architecturale des bibliothèques
tient beaucoup à la maîtrise des lumières. Les bibliothèques finlandaises ou la
nouvelle bibliothèque d’Alexandrie en offrent des exemples réussis. Le débat entre
lumière naturelle et lumière artificielle est essentiel, pour des raisons de confort, d’économie,
mais aussi de conservation. L’arrivée massive de l’audiovisuel et des écrans pose enfin un
problème qui n’est jamais parfaitement résolu.
La littérature sur l’architecture des sont contradictoires : lumière d’am-
bibliothèques ne consacre pourtant biance et lumière d’appoint par exem-
qu’une faible place au traitement des ple. La diversité est une des spécifici-
Philippe Cantié lumières, lacune étonnante compte tés de la lumière en bibliothèque. De
tenu de son importance dans la con- l’obscurité des magasins à la lumière
Bibliothèque nationale de France ception même de la bibliothèque et des espaces d’accueil, on connaît peu
philippe.cantie@bnf.fr de son fonctionnement et sa mainte- de constructions qui ont recours à un
nance 1. La lumière dans l’architecture registre de lumières aussi étendu et
des bibliothèques pose de multiples contraignant.
François Lebertois questions, dont les réponses dépen-
dent de notre capacité à dépasser
Bibliothèque municipale de Nîmes certains antagonismes : homogénéité La politique de la lumière
francois.lebertois@ville-nimes.fr contre diversité, lumière naturelle
contre lumière artificielle, lumière laté- La lumière n’est pas un phéno-
rale contre lumière zénithale, lumière mène physique neutre mais résulte
Luc Lupone ambiante contre lumière ponctuelle. d’une construction à la fois percep-
Toutes les fonctions du bâtiment sont tive et culturelle. La tolérance par
Bibliothèque Sainte-Geneviève concernées : espaces (magasins, ate- rapport au contraste entre ombre et
Luc.Lupone@univ-paris1.fr liers, bureaux, salles de lecture), circu- lumière varie autant d’un individu à
lation, sécurité, et même conception l’autre que d’une aire géographique
du mobilier. et culturelle à une autre.
Cécile Röthlin L’habilité de l’architecte sera ainsi L’héliotropisme qui caractérise
jugée sur sa capacité à concilier des les régions septentrionales est loin
Bibliothèque de l’Université types de lumières dont les fonctions d’être universellement partagé.
du Maine L’expérience de la lumière dépend
Cecile.Rothlin@univ-lemans.fr 1. Le présent article est né d’un mémoire de notamment de l’habitus culturel 2.
recherche mené en 2004 par les auteurs dans le
cadre de l’École nationale supérieure des sciences
de l’information et des bibliothèques sous la 2. «The perception of light intensity and quality
direction de Michel Melot. Le texte complet varies among people of varying ages and cultural
du mémoire est accessible à la bibliothèque de regions. » Message électronique de Jeffrey
l’Enssib. Scherer et Carla Gallina (14 avril 2004).

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La lumière est diversement perçue sentiment d’intimité mais aussi de somme bon marché du processus
comme facteur d’agression ou source clôture. Dans l’autre, c’est le livre cognitif sans lequel il n’est pas de
de bien-être, d’où l’expression de cer- qui est environné par les lecteurs transmission. Avec la transparence,
taines préférences qui ne coïncident sous la lumière plus abondante et la culture cesse, de l’avis de certains,
pas avec les conditions d’une percep- naturelle des parois ouvertes sur d’être le chemin qui mène à l’altérité :
tion visuelle optimale 3. le monde 4. » Pierre Riboulet prend la bibliothèque se réduit alors à un
Il arrive que le traitement de la la métaphore de la lumière au pied miroir où se reflètent des attentes ou
lumière par un architecte soit placé de la lettre. Pluraliser les formes de des usages largement surdéterminés.
délibérément sous le signe d’une tra- lumière (zénithale, frontale, oblique, L’écueil à éviter lors de la concep-
dition culturelle particulière : Peter frisante, rasante, etc.) revient à com- tion d’une façade entièrement vitrée
Wilson revendique ainsi pour la nou- battre le dogmatisme et repousser les est de tomber dans la banalité d’une
velle bibliothèque de Milan un éclai- ténèbres de tous les intégrismes. boîte translucide qui pourrait conte-
rage à la japonaise. Preuve supplémentaire du lien nir une bibliothèque ou n’importe
Se pose alors la question de l’ap- entre lumière et politique, le triomphe quel bâtiment administratif.
plication de ce modèle d’éclairage à de la transparence a coïncidé histori- La critique de la transparence se
un contexte qui possède ses propres quement avec le mouvement de dé- manifeste également au travers du
coordonnées géographiques et cultu- mocratisation culturelle qui a débuté subtil glissement lexical entre le vi-
relles, à l’heure où la composition des à la fin des années 1950. L’architecte trage, idéologiquement neutre, et la
équipes chargées de la maîtrise d’œu- évoque parfois une lumière écrivant vitrine qui précède régulièrement la
vre s’internationalise. sur l’ombre un « signe sublime qui condamnation du racolage consumé-
D’inspiration scandinave, la biblio- ne signifie rien » (Paul Andreu). La lu- riste ou de la logique capitaliste. La
thèque municipale à vocation régio- mière est en règle générale accaparée transparence aurait des effets équivo-
nale (BMVR) de Châlons-en-Cham- par des discours de toute nature. ques (« On ne sait jamais en fin de
pagne est contrainte en été de fermer compte si tel bâtiment transparent
une salle d’étude à cause de l’excès de a d’abord été construit au profit de
chaleur provoqué par des ouvertures La question ceux qui se trouvent à l’intérieur
surdimensionnées, plus adaptées aux de la transparence ou bien de ceux qui sont à l’exté-
ciels finnois qu’aux ciels champenois. rieur 5 ») ou paradoxaux puisque la
Par sa forme, ses couleurs et le La querelle autour de la transpa- vision, détachée des autres sens, ne
choix des matériaux, la BMVR de rence cristallise les enjeux politiques fait soi-disant que renforcer le senti-
Troyes affiche quant à elle sa dette liés à la lumière. ment d’inaccessibilité. Dans l’archi-
envers un modèle d’architecture Les partisans perçoivent la trans- tecture des bibliothèques, force est
ouvertement californien. Or celui-ci parence comme un moyen de favo- de constater que la transparence fait
véhicule une lumière « inhérente » riser l’accès du public aux ressour- désormais partie de la doxa.
sans rapport manifeste avec la lu- ces documentaires, d’égaliser les Ce débat ne peut se résoudre que
mière du lieu. Au lieu de procéder pratiques culturelles, d’inciter à la par l’exploration de voies médianes.
par emprunt ou citation, l’architecte fréquentation de la bibliothèque en Signalons d’abord que le translucide
doit traiter le travail sur la lumière faisant jouer le ressort du mimétisme n’est pas forcément transparent,
comme une opération de traduction, (voire de la culpabilité), de désacrali- comme en témoignent les épais car-
une quête de singularité. ser le rapport à la culture en rendant reaux de verre de certaines cloisons
La métaphore de la lumière moins intimidant ce lieu institution- (médiathèque Cathédrale de Reims
comme savoir participe d’une vi- nel qu’est la bibliothèque. ou BU du Mans). La transparence
sion politique du monde. À travers Les détracteurs, qui voient dans la peut aussi n’être que partielle : hom-
la problématique de l’ouvert et du transparence un outil de marketing, mage soit rendu à Pierre Riboulet qui
fermé, l’organisation des espaces en dénoncent au contraire le nivelle- limite la transparence à l’avant-corps
fonction des arrivées de lumière re- ment culturel, la perte d’autorité, la vitré de la bibliothèque de Limoges,
flète de même un rapport particulier déliquescence de la culture légitime. c’est-à-dire à la partie qui est le moins
au savoir : « Dans le premier cas, les Ils soulignent le caractère fallacieux en rapport avec le livre.
livres entourent le lecteur, encerclé d’une transparence qui renforce Le jeu sur la transparence permet
et comme protégé par eux sous une l’utopie communicationnelle et en- enfin de contourner le dogme du
lumière zénithale qui souligne le tretient l’illusion d’une connaissance tout-transparent, comme à la biblio-
instantanée. La transparence ferait en
3. « There are cultural differences in lighting
preferences. People in hot climates prefer cool 5. Ciaran Guilfoyle, « Inside Out », 3 octobre 2003,
light sources to warm ; while people in cold 4. Michel Melot, La sagesse du bibliothécaire, disponible sur : http://www.spiked-online.com
climates prefer warm light sources to cool », ibid. L’Œil neuf, 2004, p. 58. [consulté le 7 février 2004]

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thèque de Vénissieux de Dominique La lumière instaure un certain rap- de Limoges inscrivent la grande salle
Perrault. À certaines heures de la port au monde puisqu’elle permet de lecture dans une dimension cos-
journée, les lecteurs ont tout loisir de « changer perpétuellement d’es- mique : le passage du temps est rendu
d’observer les passants, tandis qu’à pace tout en restant dans le même sensible par le déplacement au sol
d’autres, c’est le contraire. Doublée espace, revoir un endroit déjà vu de plusieurs cercles lumineux. Cette
de plaques métalliques perforées, la tout à l’heure mais tout autrement » fonction d’ancrage est ce par quoi
façade change d’aspect au cours de la (Pierre Riboulet). Les puits tronqués cette lumière publique et profon-
journée : la transparence est modifiée
par la lumière. Pendant la journée, la
bibliothèque, vue de l’extérieur, appa-
raît opaque, alors que le lecteur situé Fonctions de la lumière en bibliothèque
à l’intérieur a une vue dégagée sur
la rue. Ce phénomène s’inverse à la Fonctions de repérage ture et la réflexion maîtrisées de la lu-
tombée de la nuit. La nuit, la lumière artificielle, à l’exté- mière naturelle ont défini la principale
rieur et à l’intérieur du bâtiment, fait ligne de conduite dans la conception
Le retour de la monumentalité apparaître la bibliothèque comme une de la salle de lecture 2 ». Toutefois, une
qui, dans les années 1980, a scellé un grosse lampe éclairant la ville. De l’ex- lumière mal domestiquée peut générer
nouveau contrat entre le pouvoir po- térieur, la lumière révèle le bâtiment. La des problèmes d’éblouissement, de cha-
lumière capte le regard du passant. Les leur et d’inconfort. Le hall de la média-
litique et l’architecture des bâtiments
parois de verre rendent lisibles les espa- thèque de Reims est recouvert de carrés
publics s’est parfois effectué au détri- ces publics alors que les parois opaques de résille noire qui créent un filtre dense,
ment de la lumière. La Maison du livre, traduisent la présence de magasins, à provoquant un déficit d’éclairage natu-
de l’image et du son (MLIS), dont l’ob- l’exemple de la BMVR de Montpellier. rel et une ambiance évoluant dans des
L’architecte Pierre Riboulet souligne que tons verdâtres. L’adjonction d’un éclai-
jectif premier était de redorer l’image cette visibilité ne résulte pas uniquement rage artificiel permanent produit des
de Villeurbanne et d’offrir à la collec- du choix de parois de verre. Elle peut effets thermiques indésirables.
tivité un édifice de prestige, constitue aussi résulter d’un vide sur plusieurs éta-
ges et de la lisibilité des circulations de- Facilitation de la lecture
un cas exemplaire. Si l’intégration de puis une rue extérieure, une galerie ou Le travail sur table se fait sur des surfa-
la bibliothèque au tissu urbain est une l’escalier principal. ces lisses. Les forts contrastes entre deux
réussite, l’articulation des espaces in- L’éclairage de chaque rayon et de sa si- plans rapprochés provoquent une fati-
térieurs autour d’une ziggourat relève gnalétique est aussi un élément déter- gue visuelle. Il faut toujours chercher à
minant du repérage des lecteurs dans la produire des contrastes gradués sur les
chez Mario Botta de l’idiosyncrasie. bibliothèque. L’éclairage des rayonnages plans de lecture, les tables ou les écrans.
Le puits de lumière en forme de cône peut se faire par des spots situés en hau- L’éclairage individuel sur table ne contre-
inversé est moins conçu pour répar- teur, mais celui du bas des rayonnages dit pas un bon éclairage d’ambiance par
présente une difficulté récurrente. Trois des plafonniers ou des appliques murales
tir la lumière à travers les étages que possibilités peuvent être panachées : un avec réglage de l’intensité. À la biblio-
pour créer, à partir de l’artothèque éclairage intégré au mobilier des rayon- thèque de Limoges, dans la salle du pa-
(niveau – 1), une perspective « admi- nages, un éclairage indépendant au- trimoine, les lampes descendent du pla-
rable » sur le bâtiment tout entier. Ce dessus de chaque allée ou un éclairage fond. La lumière est adaptée à la taille
général. des grands documents consultables.
point de vue qui honore avant tout le
talent de l’architecte et la munificence Contribution à l’ambiance du lieu Sécurité et sûreté
du politique est sans rapport avec les La lumière contribue à « la fabrication de La lumière permet, d’une part, de voir,
l’espace ». Elle lui délivre son ambiance. afin de prévenir les accidents et les chu-
besoins réels du lecteur. Outre qu’il ne « À l’intérieur du bâtiment, ce qu’il y a tes. Elle permet aussi, d’autre part, d’être
remplit pas sa fonction, le puits de lu- de merveilleux, ce sont les atmosphères vu. La lumière peut jouer un rôle dans la
mière favorise la propagation du bruit que la lumière confère à l’espace 1. » La prévention des vols et des agressions. À
bibliothèque francophone multimédia la Bibliothèque publique d’information
d’un étage à l’autre.Au fil du temps, la
de Limoges conçue par Pierre Riboulet à Paris, une lumière vive sert de force
Maison du livre, de l’image et du son dispose de trois puits de lumière qui dissuasive dans des endroits en retrait
s’est transformée, de l’aveu même du éclairent la salle de lecture. Chaque puits guère surveillés. À l’opposé, l’absence
personnel, en Maison du bruit et de la est pourvu de spots assez puissants et de lumière permanente garantit la con-
couvert de lattes métalliques tronquées servation des documents en magasins,
pénombre… selon des angles différents. La lumière d’où la nécessité de disposer de systèmes
projetée à l’intérieur de la bibliothèque alternatifs contrôlés qui permettent la
suit ainsi un cycle de rotation circadien. circulation et le repérage des personnes
La domestication de la lumière peut être en magasin sans compromettre les bon-
Sociologie de la lumière conjuguée soit par des éclairages de type nes conditions de conservation à long
en bibliothèque zénithal ou pariétal, soit le plus souvent terme.
en les croisant, à l’instar de la nouvelle
Avant d’être matière signifiante, la bibliothèque d’Alexandrie où « la cap- 2. Christophe Kapeller, « L’architecture de
la nouvelle bibliothèque d’Alexandrie », in
lumière relève du sensible. L’appro- 1. Louis J. Kahn, Silence et lumière, La nouvelle bibliothèque d’Alexandrie, dir.
che phénoménologique est moins ris- Le Linteau, 1996, p. 216. Fabrice Pataut, Buchet-Chastel, 2003, p. 80.
quée que l’approche sémiologique.

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Les études démographiques qui ré-
vèlent le vieillissement continu de la
population permettent de prévoir la
part croissante de « baby-boomers »
dont les performances visuelles sont
dégradées.
C’est dans les bibliothèques publi-
ques que les besoins des différents
segments du public sont le plus sus-
ceptibles d’entrer en conflit. Le pu-
blic des bibliothèques universitaires,
plus jeune et moins statique, possède
une meilleure vue, ce qui renforce sa
tolérance vis-à-vis des éclairages mé-
diocres. À chaque type de public ne
correspond pas cependant un besoin
d’éclairage spécifique et déterminé.
Certes, l’appareil visuel des enfants
tolère une lumière plus intense et
plus blanche, mais un tel choix ris-
que d’engendrer chez eux une plus
grande excitabilité, au détriment
d’autres catégories de lecteurs.
Il existe en fait des besoins con-
tradictoires qui s’expriment en fonc-
tion de l’activité pratiquée ou des
dispositions psychiques du moment.
Dans leur rapport tourmenté à la lu-
mière, les adolescents oscillent ainsi
entre des phases d’affirmation et des
phases de retrait qui leur font tantôt
rechercher tantôt fuir la trop grande
clarté.
Contrairement aux idées reçues,
le public des malvoyants est lui aussi
hypersensible aux agressions de la
lumière. Le degré et la nature du han-
dément humaniste se démarque de Il n’y a pas que des raisons sociales dicap sont très variables. La majorité
l’éclairage marchand. Peut-être ira- ou culturelles à la non-fréquentation des malvoyants a perdu progressive-
t-on même un jour jusqu’à explorer des bibliothèques. La lumière consti- ment la vue. Ce public qui affiche une
la relation entre la réception d’un tue un enjeu éthique et civique dont moyenne d’âge plus élevée que celle
texte et les conditions de luminosité les pays anglo-saxons ont pris cons- de l’ensemble des usagers est parfois
afin d’en tirer des applications en bi- cience bien avant la France. rétif au changement. Il est primordial
bliothèque. On pressent en tout cas La question de la lumière en que chaque malvoyant puisse régler
l’intérêt qu’il y aurait à raisonner en bibliothèque n’a de sens que par à sa guise la distance entre la lampe
termes d’« ambiances de lecture ». rapport à des usagers qui sont loin et la page.Toutes les précautions doi-
La lumière influe sur les pratiques, d’être tous égaux devant les choix vent être prises pour que le lecteur
comme par exemple le choix de l’usa- d’éclairage. Les besoins varient en ne soit en rien incommodé : la lampe
ger entre emprunt et consultation fonction de facteurs tels que l’âge ou doit être munie d’un cache protec-
sur place. Elle fait partie intégrante éventuellement le degré de handicap. teur et sa puissance en watts calculée
de l’accueil des malvoyants. Elle est L’éclairage n’est pas seulement affaire en fonction de la distance par rapport
aussi indissolublement liée à la no- de normalisation. Plutôt que d’obéir à la page. La frontière entre voyants et
tion d’accès. Un mauvais éclairage à des règles générales et abstraites, malvoyants est moins étanche qu’il
peut se révéler dissuasif et exclure mieux vaut élaborer une véritable po- n’y paraît. On observe en particulier
de fait tout un segment du public. litique à partir d’enquêtes préalables. que les services mis à disposition des

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malvoyants bénéficient à d’autres ca-


tégories de lecteurs.

De l’économie à l’écologie

À l’instar des entrepreneurs pri-


vés, les gestionnaires d’équipements
publics, constatant la part croissante
de l’éclairage artificiel dans le budget
énergétique, redécouvrent depuis
une trentaine d’années les vertus de
la lumière naturelle. Celle-ci réduit le
stress, combat la dépression saison-
nière, accroît la productivité du per-
sonnel en développant sa motivation
et sa vigilance, provoque la diminu-
tion de l’absentéisme.
La nécessité de réaliser des écono-
mies d’électricité est renforcée de plus
par les arguments écologistes en fa-
veur du développement durable ainsi
que de l’architecture « verte » : éclairer
mieux ne signifie pas éclairer plus.Au- ou acoustique. Mais le traitement ressante car la lumière est en effet
delà d’un seuil minimal, l’œil humain de la lumière relève aussi désormais mieux distribuée et engendre moins
n’est d’ailleurs sensible qu’aux écarts d’une démarche interdisciplinaire de reflets. Cela nécessite par ailleurs
entre niveaux d’éclairement. (physique de la lumière, psychologie, une hauteur de plafond minimale de
Au cours des cinquante dernières sciences de l’ingénieur, histoire cultu- 3,30 m (l’idéal étant de 3,90 m) pour
années, les producteurs de lampes relle). Il consiste à définir un certain une diffusion harmonieuse de la lu-
ont tellement incité au gaspillage par nombre de priorités et à faire face à mière. Si le plafond existant est trop
une surévaluation des normes, qu’on la complexité en négociant de subtils bas, imposant ainsi un éclairage tom-
peine encore à comprendre com- équilibres 6. bant, il faudra veiller à ce que celui-ci
ment la réduction du niveau d’éclai- Lorsque l’on y prête attention, les soit installé perpendiculairement aux
rement permet d’améliorer l’acuité fondements de la réussite concernant travées.
et le confort visuels. La stratégie dite la lumière en bibliothèque reposent Il convient par ailleurs de garantir
de relamping consiste à remplacer sur des principes moins complexes la plus grande flexibilité possible à
les lampes existantes par des lampes qu’en apparence. Lors de la phase de l’agencement du bâtiment : le meilleur
plus efficaces et moins gourmandes conception de la bibliothèque, il est moyen est d’assurer un éclairage uni-
en électricité, tandis que la stratégie important de se souvenir que la con- forme en veillant à éviter une couver-
de delamping vise à se rapprocher ception de l’éclairage fait partie inté- ture lumineuse trouée (penser notam-
du seuil minimal d’éclairement par grante du projet global du bâtiment : ment à ne pas laisser trop d’espace
la suppression coordonnée d’un cer- certains points essentiels, tels que entre le dernier luminaire et le mur).
tain nombre de lampes. la hauteur de plafond par exemple, Afin de limiter les reflets, il est impé-
Paradoxalement, la contrainte éco- ne peuvent être modifiés ultérieure- ratif de se soucier de l’orientation de la
nomique a entraîné une attention plus ment. Quelques recommandations lumière naturelle : il convient de régu-
grande aux enjeux ergonomiques. simples méritent d’être suivies. ler les flux lumineux directs, lorsque
L’éclairage constitue à présent l’une Privilégier un éclairage dirigé vers ceux-ci ne viennent pas du nord, par
des cibles des projets à haute qualité le plafond blanc est une option inté- des stores ou tout autre dispositif.
environnementale (HQE) comme à Sur un plan plus général, il est in-
la BU du Mans ou à celle de Reims. dispensable que la problématique de
La lumière participe pleinement de 6. « This includes light quality and light quantity, la lumière soit prise en compte très
daylight and electric light, light quality and
l’économie globale de la bibliothè- consumed energy, ergonomics and economics, en amont dans le projet de construc-
que. Une approche systémique est visual interest and visual distraction, gloom and tion. Il est souhaitable que la lumière
glare, first cost and life cycle cost. » Message
donc requise pour mesurer l’imbri- électronique de Jeffrey Scherer et Carla Gallina artificielle soit un élément réfléchi dès
cation des aspects visuel, thermique (14 avril 2004). l’origine du projet en articulation avec

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la lumière naturelle. Les dispositions
relatives à l’éclairage doivent de ce fait
apparaître de manière détaillée dans le
cahier des charges et doivent être le
reflet de demandes précises : présence
de lampes individuelles, éclairage au
plafond non figé, par exemple.
On peut souligner que l’ouverture
du dialogue entre les différents par-
tenaires (bibliothécaires, ingénieurs,
architectes, tutelle administrative) est
un élément fondamental. Il est vrai
que souvent l’échange entre les par-
ties n’est pas facilité par le rythme du
projet qui connaît des phases d’inten-
sité différentes, d’où les risques liés à
des prises de décisions hâtives.
La formation des bibliothécaires
joue par ailleurs un rôle clef, d’autant
plus que chaque professionnel est
susceptible d’avoir à gérer un projet
de construction au cours de sa car-
rière. Elle permet une connaissance
plus approfondie du déroulement de l’École normale supérieure, de Autre procédé permettant d’appor-
d’un projet. Que ce soit en formation l’Institut national de recherche péda- ter la lumière du jour en même temps
initiale ou continue, l’École nationale gogique et la bibliothèque interuni- qu’une touche naturelle : les jardins
supérieure des sciences de l’infor- versitaire Lyon II/Lyon III) a réussi à d’hiver. Contrairement à un puits de
mation et des bibliothèques (Enssib) maintenir un subtil équilibre entre la lumière proposant une ouverture sur
remplit cette mission d’enseigne- lumière naturelle (lumière indirecte le béton urbain, le jardin d’hiver atte-
ment. Pourquoi ne pas imaginer au travers de fenêtres à claire-voie) nant au bâtiment de la bibliothèque
qu’elle développe des partenariats et la lumière artificielle diffusée par municipale de Limoges, conçu par
avec l’École nationale des travaux des suspensions lumineuses. Ces fe- Pierre Riboulet, représente une vérita-
publics (ENTP) et l’École nationale nêtres à claire-voie disposées tout le ble bouffée d’oxygène lumineuse.
d’architecture, également située à long du bâtiment présentent aussi Enfin, il est intéressant de mention-
Lyon, afin d’aborder les aspects plus un autre charme : celui de pouvoir ner une solution astucieuse adoptée
techniques dans le cadre des modu- suivre l’orientation de la lumière liée par l’architecte Paul Chemetov pour
les qu’elle propose ? à la course du soleil, ce qui apporte la construction de la bibliothèque
une ambiance agréable qui rythme la municipale à vocation régionale de
journée au sein de la bibliothèque. Châlons-en-Champagne. Des vitrines,
Vers une lumière réussie Afin d’améliorer l’étude de l’enso- éclairées artificiellement et conçues
leillement, un système appelé « hélio- pour l’exposition de livres, ont été in-
Certaines solutions semblent avoir don » a été mis au point et peut être tégrées dans un mur qui sépare une
été appliquées avec succès en ce qui utilisé durant la phase de conception salle de lecture d’un couloir : il en ré-
concerne la lumière. du bâtiment. Il est intéressant de men- sulte que la salle de lecture bénéficie,
Il semble que la combinaison de tionner ce dispositif car il permet par ce procédé, de lumière à la fois
la lumière naturelle et de différents de simuler la pénétration du soleil artificielle et naturelle.
types d’éclairage artificiel, étudiée de sur la maquette du bâtiment instal- Si les bâtiments de bibliothèque
manière complémentaire, se révèle lée sur une table orientable. Ce sys- présentent des caractères attrayants
plutôt heureuse. Au-delà de la nature tème permet de varier l’inclinaison (capacité d’accueil satisfaisante, at-
de la source lumineuse, la réussite du soleil (variations selon la saison), tractivité du bâtiment, facilité d’accès
résulte surtout d’une habile articu- la rotation de la terre (changements du bâtiment…), on peut regretter que
lation entre la lumière générale et selon l’heure) et l’emplacement du le traitement de la lumière ne soit pas
celle de proximité. Ainsi, le bâtiment bâtiment (variations selon la latitude). suffisamment pris en compte. Il en
de la bibliothèque Denis Diderot à Cependant, le coût d’un tel dispositif découle un certain nombre de dys-
Lyon (qui abrite les bibliothèques reste assez élevé. fonctionnements.

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Dysfonctionnements le personnel doit être vigilant lors de rares et devraient être anticipés
matériels la fermeture des salles de lecture afin autant que faire se peut. Nombreux
d’éviter un gaspillage d’énergie. sont les exemples de projets qui ont
En matière architecturale, les connu des restrictions budgétaires. Si
choix récents s’orientent souvent un grand nombre de constructions
vers le « tout-transparent », à mettre Erreurs de conception récentes sont dotées de grandes sur-
en relation avec la symbolique de la faces vitrées, moins du quart d’entre
transparence. Au niveau de la phase de concep- elles bénéficie d’une climatisation ef-
La grande proportion de surfaces tion du bâtiment, on peut regretter ficace. Le choix d’une surface vitrée
vitrées représente cependant un un certain manque de considération abondante est souvent assorti d’une
obstacle à de bonnes conditions de de l’éclairage artificiel, ceci étant dû obligation de climatisation mais, par
conservation des documents. La pro- à la multitude de partenaires partici- manque de crédits, le choix est fait de
tection des rayons solaires n’est pas pant au projet. Les différentes phases renoncer à cette dernière sans pour
suffisamment prise en compte, d’où autant renoncer à une « large transpa-
un risque de nuire à l’intégrité physi- rence ».
que des documents. On peut également regretter un
Dans les cas les moins graves, on Si un grand nombre manque fréquent de concertation
peut constater que la signalétique de constructions récentes entre partenaires travaillant sur le
pâlit (comme par exemple à la biblio- même projet, avec le constat que
thèque de l’université de technologie sont dotées de grandes le bibliothécaire apparaît comme
de Troyes) : les repères de couleur surfaces vitrées, le maillon faible dans la relation tri-
rouge sont devenus orange… Un peu partite entre commanditaire, archi-
plus grave : les espaces d’exposition moins du quart tecte et personnel de bibliothèque.
situés derrière de grandes surfaces Les raisons semblent être multiples :
vitrées (ce qui est le cas à la média-
d’entre elles crainte que les demandes du person-
thèque de Vénissieux) doivent inciter bénéficie d’une nel, usager du bâtiment (bibliothécai-
à la prudence et contraignent à une res), soient trop coûteuses, préoccu-
durée d’exposition inférieure à trois climatisation efficace pations esthétiques que l’architecte
semaines. La réflexion des rayons so- n’aimerait pas voir mises en cause…
laires peut devenir problématique si Il apparaît distinctement que les pro-
l’exposition se prolonge ou si les piè- sont confiées à des entrepreneurs dis- jets plébiscités sont ceux qui ont fait
ces exposées sont fragiles (coupures tincts qui effectuent leurs tâches par- l’objet d’un consensus entre architec-
de presse, manuscrits anciens, etc.). ticulières en communiquant très peu tes et bibliothécaires et sont le fruit
Il est rarement possible d’intervenir avec les autres corps de métier. d’un dialogue entre l’artiste-techni-
sur l’environnement des documents La bibliothèque se trouve ainsi cien du bâtiment (architecte) et le
pour pouvoir les protéger. avec un éclairage artificiel « plaqué » personnel utilisateur de l’édifice.
Dans le cas d’un bâtiment réha- qui n’entre pas en harmonie avec Il apparaît donc nécessaire que le
bilité, la présence d’une verrière est l’ensemble du bâtiment : éclairage personnel de la bibliothèque, en par-
souvent source de soucis matériels. situé derrière le bureau (la personne ticulier les conservateurs qui en ont
Outre le problème de la maîtrise de se retrouve donc à travailler dans sa la responsabilité, s’affirme comme
la chaleur (comme à la bibliothèque propre ombre), absence de considé- un partenaire de dialogue à part en-
de la Manufacture à Toulouse) se ration de la situation des plafonniers tière. Entre le maître d’ouvrage qui
pose également celui de l’imperméa- par rapport aux branchements infor- a passé la commande et qui sera le
bilité des jointures de la verrière. Sous matiques (reflets sur les écrans). propriétaire (en d’autres termes,
l’effet des variations de température, On peut souligner à ce propos que celui qui paie) et le maître d’œuvre
il n’est pas rare qu’elles se fissurent. Si la réalisation des bâtiments en deux (l’architecte en charge de la réalisa-
les verrières permettent un abondant ou plusieurs tranches constitue un élé- tion du bâtiment), le bibliothécaire
flux lumineux, l’abondance est diffi- ment de nature à déséquilibrer l’har- doit se présenter comme un « maître
cile à maîtriser. Sur le plan de l’éclai- monie d’ensemble de l’édifice (en par- d’usage », expression que Jacque-
rage artificiel, dans les cas moins fré- ticulier au niveau de la lumière). Des line Gascuel emploie déjà en 1993
quents où l’éclairage individuel sur modifications peuvent être décidées dans son ouvrage Un espace pour le
les tables a été prévu, on peut regret- entre les différentes tranches, ce qui af- livre 7. Elle souligne, par l’emploi de
ter l’absence d’interrupteur unique fecte les choix en matière d’éclairage.
permettant de couper l’alimentation Les dysfonctionnements liés à 7. Éd. du Cercle de la librairie, 1993,
en un seul point. Ce qui implique que la dynamique du projet ne sont pas coll. « Bibliothèques ».

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LA LUMIÈRE DANS LES BIBLIOTHÈQUES

DOSSIER
ce terme, le fait que le conservateur
La lumière sous tension est le représentant des usagers finals
(membres du personnel et lecteurs)
Contraintes des bâtiments une beauté froide digne d’une reine des et celui qui, présent depuis l’origine
à réhabiliter glaces issue d’un conte de notre enfance du projet, en assure la continuité.
La réhabilitation impose des contraintes ou renvoie aux ambiances fonctionnelles
spécifiques liées au bâtiment réinvesti par et aseptisées d’une clinique. À l’inverse,
la bibliothèque. Toutefois, les volumes le puits de lumière en forme d’entonnoir
souvent d’un seul tenant d’une usine, les inversé de la Maison du livre, de l’image Difficultés
quantités de lumière passant à travers les et du son à Villeurbanne capte peu et di- de fonctionnement
verrières, la présence de lourdes machi- rige mal la lumière zénithale. Le mobilier
nes-outils nécessitant une charge au sol noir, le revêtement sombre du sol absor-
élevée ont reçu hier une réponse techni- bent la lumière. Dans un registre plus Le manque d’échange entre la di-
que compatible aujourd’hui avec les exi- convaincant, la voûte de la bibliothèque rection de la bibliothèque, la société
gences d’une bibliothèque, à l’exemple du patrimoine de Toulouse (bibliothè- de service et l’institution de tutelle
de l’ancienne manufacture d’allumettes que Périgord) comporte des petites vi-
de la Seita d’Aix-en-Provence transfor- tres rondes et colorées qui permettent de la bibliothèque (université ou col-
mée en bibliothèque Méjanes, dont les un éclairage zénithal teinté réussi. lectivité territoriale) a souvent des
verrières ont été conservées. conséquences au niveau de la mainte-
Cependant, la vétusté, l’exiguïté et la Lumière et écrans
mauvaise implantation d’un bâtiment Le travail sur ordinateur nécessite de nance. Un bel éclairage artificiel peut
peuvent constituer des contraintes ré- proscrire l’éclairage fluorescent et d’uti- avoir à souffrir de la lenteur de rem-
dhibitoires. À cela se greffent parfois des liser des lampes incandescentes. Lorsque placement des lampes défectueuses.
surcoûts de fonctionnement liés à des la lumière naturelle est prépondérante,
hauteurs de plafond, à l’isolation, ainsi l’écran d’ordinateur se positionne per-
Par ailleurs, le coût de l’entretien
que des fonctionnalités inadéquates avec pendiculairement à la baie vitrée afin doit être pris en considération : cet
des circulations malaisées, des services d’éviter la réverbération et les reflets. aspect ne doit pas être négligé si le
fractionnés. La réhabilitation peut aussi Il convient ici aussi d’éviter les contrastes
bâtiment comprend d’abondantes
être le fait d’une rénovation de la biblio- trop forts en intensité. Un éclairage in-
thèque. À la médiathèque Cathédrale de direct équilibrera le ratio de luminance surfaces vitrées. La fonction esthéti-
Reims, le maintien de l’ancienne façade entre l’arrière-plan et l’écran. Le niveau que de ces grandes baies repose sur
côté ouest a obligé à couper les fenê- d’éclairage entre l’écran et la surface du un nettoyage régulier, donc onéreux.
tres préexistantes. Les ouvertures basses plan de travail devrait être égalisé afin
obtenues satisfont toutefois le secteur de ne pas susciter de fatigue oculaire en
Juniors (7-13 ans) du département jeu- passant de la feuille de papier à l’écran.
nesse. Préconisations
Éclairage et isolation phonique
Lumière et espace Le confort acoustique n’est pas syno-
Dans les choix architecturaux, il existe nyme de silence. Le silence peut être En tenant compte des différents
un dualisme entre une volonté de cap- inconfortable. L’acoustique est primor- écueils que nous avons évoqués et
ter le plus de lumière possible et la né- diale pour l’orientation et le repérage
cessité de se protéger contre la lumière. dans l’espace des malvoyants. Il convient
qu’il est souhaitable d’éviter en ma-
L’ambiance lumineuse résulte de la com- de penser conjointement, en amont du tière de traitement de la lumière, les
binatoire de la source lumineuse jusqu’à projet architectural, le traitement opti- points suivants mériteraient un soin
sa réflexion sur les sols, les plafonds, le mal de l’éclairage et de l’acoustique. À particulier.
mobilier, c’est-à-dire la luminance, appe- la médiathèque Cathédrale de Reims,
lée auparavant la brillance. Une lumière au-dessus des banques d’accueil où la lu-
indifférenciée écrasera tout relief. « Plus mière est insuffisante, les pièges à sons La prise en compte très en amont
la luminosité est claire, plus la lumière ont été jugés prioritaires par rapport à de la problématique de la lumière
révèle les objets *. » Un découpage des un éclairage supplémentaire. Dans ce
éclairages peut être agencé selon les cas, la lumière et le bruit n’ont pas été
zones géographiques de la bibliothèque assez traités en amont et la bibliothèque Toute modification ultérieure étant
à l’aide d’un allumage indépendant, en a dû choisir l’un au détriment de l’autre. coûteuse et présentant le risque de
cherchant à éviter une alternance trop La lumière peut aussi être une source
marquée de zones très éclairées ou trop indirecte de nuisances sonores à travers
déséquilibrer la cohérence d’ensem-
sombres, source de fatigue visuelle. le grésillement de certaines lampes ou ble, la question de l’éclairage artificiel
le système électrique bruyant d’abaisse- doit être prise très en amont dans le
Lumière et couleur ment des stores. Si les grands volumes
projet, au même titre que la lumière
La surface d’un matériau produit une augmentent les risques de nuisances so-
couleur qui caractérise la lumière. Les nores, la lumière et l’acoustique peuvent naturelle. Ainsi que l’évoque Marie-
teintes brillantes ou saturées peuvent se conjuguer harmonieusement. Dans la Françoise Bisbrouck dans l’ouvrage
refléter ou absorber la lumière, les fil- grande salle de la Bibliothèque franco- qu’elle a dirigé, intitulé Les bibliothè-
tres UV ou tout autre dispositif la condi- phone multimédia de Limoges, les trois
tionner. La couleur est le médium de la puits de lumière captent également les ques universitaires : évaluation des
lumière. La monochromie de la biblio- sons, les neutralisent et les renvoient vers nouveaux bâtiments (1992-2000) 8,
thèque municipale de La Haye sculpte l’atrium en contrebas de la salle de lec- il arrive que l’implantation des lumi-
ture. Malgré ses proportions, la salle de
lecture conserve une étonnante qualité
naires en plafond soit mal pensée. Il
* Hoëlle Corvest, [Entretien], Villeurbanne,
3 mars 2004. acoustique.
8. La Documentation française, 2000.

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CONSTRUIRE LA BIBLIOTHÈQUE

est souhaitable que la lumière artifi- La nécessité de formation La question de la lumière est gé-
cielle soit un élément réfléchi dès néralement abordée d’un point de
l’origine du projet et en articulation Le regret des bibliothécaires d’être vue utilitaire. Elle recouvre certes de
avec la lumière naturelle. souvent absents des concours d’ar- nombreux problèmes techniques et
chitecture a souvent été exprimé. bibliothéconomiques, mais elle con-
La rédaction du cahier François Stasse, ancien directeur gé- cerne aussi la représentation de la
des charges néral de la Bibliothèque nationale de bibliothèque et revêt une dimension
symbolique qu’il faut analyser. La mé-
La prise en compte de l’éclairage taphore des Lumières et de la lutte
artificiel doit donc apparaître de ma- contre l’obscurantisme est très volon-
nière très précise dans le cahier des La question tiers filée par les architectes. On ne
charges. La rédaction du cahier des peut laisser aux seuls architectes le
clauses techniques particulières doit de la lumière concerne soin de prendre en compte cet aspect
être le reflet de demandes précises :
présence de lampes individuelles,
aussi la représentation symbolique, source de nombreux
fantasmes. Si les bibliothécaires à leur
éclairage au plafond non figé (il doit de la bibliothèque tour veulent parler de la bibliothèque
en effet pouvoir être modulable en autrement que comme d’un coffre à
cas de modification de l’organisation et revêt une dimension livre, un trésor jalousement gardé, ils
intérieure de la bibliothèque, notam- symbolique doivent s’interroger sur les différents
ment de la position des rayonnages). moyens de l’ouvrir, et dire comment
Ce qui permet de respecter l’harmo- qu’il faut analyser la bibliothèque aujourd’hui ne peut
nie d’ensemble entre la lumière natu- prendre sens qu’à travers la mise en
relle et artificielle. lumières de la diffusion du savoir.

L’ouverture du dialogue France, le souligne dans son ouvrage Novembre 2006


entre partenaires La véritable histoire de la grande bi-
bliothèque 9. Si le regret est exprimé,
La multiplicité des partenaires,rare- il faut également mentionner la né-
ment en situation d’égalité, fait appa- cessité de la formation aux questions
raître la nécessité d’un dialogue fruc- de construction. Il semble que la clef
tueux. À ce titre, les rapports humains qui permettrait de mieux dialoguer 10. L’École nationale supérieure des sciences de
se nouant entre eux sont un élément réside dans une connaissance plus l’information et des bibliothèques devrait mettre
crucial dans la réalisation du projet. Le approfondie du déroulement d’un l’accent sur le traitement de la lumière dans les
modules de formation consacrés à la construction
manque de dialogue peut découler de projet de construction, des notions des bibliothèques. L’École nationale des travaux
la crainte du maître d’ouvrage de dé- de base de lecture de plans, sans tou- publics de l’État se présente comme un partenaire
intéressant. Dans le cadre d’une formation initiale
passer les délais. Les projets connais- tefois prétendre à une formation d’ar- diplômante, elle propose à ses étudiants suivant
sent des phases d’intensité différentes chitecture complète. Elle permettrait une spécialisation « bâtiment » un module dont
(périodes de pointe durant lesquelles d’améliorer la communication entre les objectifs s’approchent de nos préoccupations.
Cette formation vise à donner aux étudiants
des décisions doivent être prises dans architectes et bibliothécaires sur la les connaissances nécessaires pour maîtriser
de courts délais suivies de longues base de la connaissance des préoc- les techniques d’éclairage afin d’élaborer des
solutions cohérentes, en éclairage naturel et
périodes de « mise en sommeil »). Ce cupations du maître d’œuvre. Souhai- artificiel, pour des applications variées. Par une
phénomène est principalement dû tons par ailleurs que les architectes démarche de projet, ce module veut susciter les
à la procédure de marché public. La se soucient également des problèmes réflexions autour de l’équilibre entre éclairage
naturel et artificiel, la rédaction d’un cahier des
qualité d’écoute permettra de sur- qui se présentent au personnel des charges de qualité. Les conservateurs stagiaires
monter cette situation de tension dé- bibliothèques 10. devraient pouvoir suivre une formation de ce
type (certes moins spécialisée mais analogue), qui
coulant de l’obligation d’arrêter des leur fournirait les moyens d’être avertis dans ce
décisions dans un bref délai. 9. Éd. du Seuil, 2002. domaine.

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