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Valeur des documents paléobiogéographiques

Exemple traité sur la répartition géographique de quelques foraminifères benthiques


africains et européens du Crétacé terminal (d’après article G. Bignot, 1984)

I) Introduction et but d’étude :

Le temps où la paléobiogéographie s’appuyait complètement sur les cartes


paléogéographiques est révolu car on trouve actuellement de plus en plus de travaux qui se
fondent sur l’étude des répartitions de microfossiles pour établir des cartes qui décrivent les
anciens paysages du globe sans l’aide des outils tectoniques, stratigraphiques et
paléomagnétiques.
A partir de quelques formes benthiques africaines et européennes du Crétacé terminale
(Maastrichtien -70-65 Ma) nous allons rappeler l’intérêt des cartes paléobiogéographiques et
montrer les problèmes qu’ils soulèvent.

II) Etablissement des cartes paléobiogéographiques :

L’intérêt pour les cartes paléobiogéographiques a découlé des travaux de nombreux


paléontologues ainsi que des besoins croissants des tectoniciens en stratigraphie, ces derniers
ayant travaillé sur des associations benthiques périméditerranéennes ont beaucoup contribué à
faire connaître les zones de distribution de certains fossiles. Depuis, il a été primordial de
faire, dans la masse d’informations accumulées, la part des choses entre les données valides
facilement vérifiables et celles de valeur douteuse et donc inutilisables pour l’établissement
des cartes paléobiogéographiques.
Nous allons donc essayer de détailler la méthode utilisée par l’auteur pour établir un bon
document paléobiogéographique :

a) Choix des formes benthiques valides : Pour évier toute erreur l’auteur de ce travail a
utilisé les formes les plus décrites et illustrées dans la littérature, donc facilement
reconnaissables. Il a ensuite éliminé toute donnée incertaine et essayé de replacer dans
leur position d’origine certains autres gisements considérés allochtones.

b) Report des gisements sur des cartes géographiques de l’époque de vie des
foraminifères étudiés (Crétacé terminal), l’auteur s’est basé sur un modèle
géographique proposé par Biju-Duval & al., 1977 et Ziegler, 1982. Ce modèle
distingue dans la région étudiée (Téthys-Mésogée) quatre grandes provinces en
fonction du régime sédimentaire :
Province Sédimentation Situation Remarque
- Dépression Tchado-
Détritique (sable,
D argile, charbon)
Nigerienne
- Ceinture craton W-africain
- Sillon flyschs (suture craton Zone tectonique
F Turbidites (Flyschs)
européen/Apulie) active
- Sahara NE Plate-formes de
C Carbonates
- Apulie, Anatolie type bahamien
- Marge N Egypte Fort gradient
M Marnes
- Bassin intra-craton Europe d’océanité
D = Détritique, F = Flysch, C = Carbonaté, M = Marneux

Fig.1 - Tableau récapitulatif des provinces paléogéographiques au Crétacé supérieur


(répartition des sédiments et situation géographique) selon le modèle de Biju-Duval & al.
1977 et Ziegler 1982.

Fig.2 – Distribution
relative des océans,
continents et des grandes
provinces sédimentaires
épicontinentales au
Crétacé terminal (70-65
Ma) d’après Biju-Duval &
al., 1977 et Ziegler, 1982.
Modifiée
Forme Province
Navarella joaquini Ciry & Rat Fc
Loftusia Brady C
Fallotia Douvillé C
Murciella Fourc. CF
Rhapydionina liburnica (Stache) C
Afrobolivina afra Reyment D
Bolivinoides Cushman M FC
Siphogerinoides Cushman Dc
Gabonita de Klasz & van Hinte Dc
Laffitteina mengaudi (Astre) CF
Orbitoïdidés du Maastrichtien supérieur CF

Fig.3 - Formes utilisées pour l’établissement du document paléobiogéographiques et leurs


provinces respectives.

Le tableau de la figure 3 résume aussi l’appartenance des formes décrites aux différentes
provinces citées (une grande lettre définit l’habitat préféré de l’organisme, une lettre plus
petite indique sa présence dans la province).
Ce tableau a été effectué après observation des cartes paléogéographiques illustrées dans les
planches photos disponibles dans les pages qui suivent.
Pour une période donnée
[Crétacé terminal]

Choix de formes fiables (autochtones, bien déterminées + écologie)


Eliminer les données incertaines

Choix modèle géographique Report des gisements sur carte


[Modèle sédimentologique Biju-Duval, 1977] géographique [du Crétacé terminal]

1/ Délimitation des provinces faunistiques


[= Provinces sédimentaires]
Regroupement des formes de même
province

2/ Extension :
Pourquoi => Barrières (trouver leur
a) Distinguer formes nature)
Cosmopolites & Endémiques [Thermique, océanique, chimique]

b) Trouver les formes qui n’exploitent pas Pourquoi => Ecologie propre des organismes –
tous les milieux qui leurs sont favorables Eury, Sténo- (cerner les paramètres écologiques)

c) Une fois une barrière définie, expliquer Comment => [Ex : Océanique
comment certaines autres formes la franchissent - Mécanismes internes (capacité biologique,
facultés adaptatives, stades jeunes
planctonique, éthologie)
- Mécanismes externes (courants, supports
insubmersibles, biotopes relais)

+ -
Connaître certains paramètres écologiques Même si elle fournit des renseignements
(courant, éthologie) supplémentaires sur bio, éthologie cette méthode
reste toujours liée à ces derniers paramètres qu’il
est préférable de bien connaître au préalable pour
des résultats plus pertinents
Affiner les limites des cartes paléogéographiques Ce n’est pas toutes les formes qui fournissent des
et porter des corrections (mieux cerner frontières paléolimites précises (les endémique sont utiles)
et barrières)
Par l’évolution du provincialisme on suit le Les cartes représentent un intervalle de temps
mouvement des plaques. limité par la résolution de la stratigraphie (5 Ma),
le point patrie est difficile à définir ainsi que le
déplacement qui lui est relativement instantané.
Information sur la biodiversité (formes Liée aux changements de la systématique =>
benthiques diversifiées autour 20-30° lat) ? mode de vie et éthologie à appliquer.

Organigramme résumant la méthodologie pour l’établissement d’un document


paléobiogéographique et sa lecture (le tableau fait ressortir les intérêts et les
inconvénients de cette méthode) – en couleur : points pris dans l’exemple pratique -
III) Lecture des cartes paléobiogéographiques :

Les points qui ressortent de la consultation des documents paléobiogéographiques sont les
suivants :

1) La distribution des foraminifères benthiques est intimement liée à la nature du substrat, les
provinces faunistiques se superposent donc aux provinces sédimentaires.

Tels que montré dans le tableau de la figure 3 on note que :


* Loftusia, Fallotia, Murciella, Rhapydionina, Laffitteina et Orbitoïdidés Calcaire
* Afrobolivina, Siphogerinoides et Gabonita Détritique (argiles)
* Navarella Flysch
* Bolivinoides Marnes et craies

2) On observe une extension irrégulière et discontinue des organismes. Certains sont


endémiques et sont cantonnés dans des zones biens définie alors qu’ils peuvent occuper
d’autres milieux favorables et d’autres sont cosmopolites et biens dispersés, occupant autant
de biotopes que le régime sédimentaire le permettait.

L’inféodation des foraminifères benthiques aux différents faciès sédimentaires est une donnée
connue qui trouve ici sa juste confirmation (le mode de vie des organismes benthiques les
rend sensibles à tous les changements qui affectent le substrat dans sa nature chimique, sa
taille et ses éléments constitutifs). La deuxième observation trouve en partie son explication
dans cette particularité, mais la relation des organismes avec le substrat n’explique pas le fait
que certaines formes n’occupent pas pleinement tous les milieux qui leur semblent pourtant
favorables.

C’est pour cela qu’on envisage l’existence de barrières de différents types qui ont joué un rôle
dans la distribution réel des foraminifères benthiques :

- Barrières thermiques qui contrôlent la zonation latitudinale et permettent de distinguer des


organismes eurythermes à grande extension du nord au sud [ex : Orbitoïdidés] et des formes
sténothermes [Laffitteina, Loftusia et Afrobolivina] qui ne dépassent pas certaines latitudes
limites qui leurs sont propres.

- Barrières océaniques qui freinent du fait de la profondeur qu’ils impliquent la dissémination


totale de certaines formes [Loftusia, Rhapydionina]. Ce type de barrière est souvent
facilement franchissable grâce au jeu des courants et à des systèmes de biotopes relais qui
permettent la survivance de l’espèce au cours de la migration [cas des Orbitoïdidés, des
Siphogerinoides et des Bolivinoides retrouvés de part et d’autre de l’océan Atlantique]. Le
cycle de vie de certaines formes méroplanctoniques (à stade jeune microsphérique
planctonique) permet aussi d’expliquer leur grande répartition géographique

- Barrières chimiques et essentiellement de salinité expliquent souvent l’endémisme de


certains organismes benthiques, comme c’est sans doute le cas pour les Rhapydionina qu’on
trouve associés à des algues dasycladacées et des gyrogonites de characée témoins d’une
salinité anormale.
IV) Résultats et implications :

Les résultats déduits de cette première lecture des documents paléobiogéographiques nous ont
conduit à une discussion sur les intérêts et les problèmes que soulève ce type de documents :

Paléobiologie :

Pour avoir une idée claire des implications paléobiologiques il est nécessaire de connaître les
modalités de dispersion des organismes considérés, cela peut s’expliquer par des facteurs
externes tels que les courants ou des possibilités de flottaison sur un support insubmersible ou
par les caractéristiques et les capacités biologiques des organismes comme la durée des stades
jeunes pour les organismes méroplanctoniques.

Par ailleurs, même si une espèce livre le secret de son mode de dissémination il reste certains
inconnus difficiles à cerner à cause des limites de résolution de la stratigraphie, car un étage
(± 5 Ma) ne permet pas d’apprécier le déplacement d’un groupe d’individus et encore moins
de connaître la patrie d’origine de l’espèce, la migration et l’occupation étant pratiquement
instantanés.

Difficile aussi d’expliquer la vaste répartition de certains organismes :


Cela pourrait être dû à leur très long stade jeune planctonique, on n’en sait rien.
Pour certaines formes, notre ignorance de leur éthologie vient compliquer les choses comme
c’est le cas pour les Gabonita classés tantôt parmi les Bolivinidés benthiques, tantôt parmi les
Hétérohélicidés planctoniques.

Un autre élément important vient s’ajouter à cette liste d’incertitudes, c’est l’imperfection des
reconstitutions paléogéographiques où l’on a pu négliger des îlot ou des atolls propices à la
migration des foraminifères benthiques en jouant le rôle de biotopes-relais.

Paléogéographie :

Pouvons-nous délimiter avec une certaine exactitude les paléomarges des continents et les
positions des anciens talus grâce aux microfossiles benthiques ?
Il est vrai que certains fossiles ont permis d’esquisser les littoraux et l’extension des mers,
mais une plus grande précision n’est pas envisageable. Il suffit de regarder les précédentes
cartes de répartitions pour se rendre compte que l’extension de nombreux foraminifères
benthiques ne coïncide pas avec les grands traits paléogéographiques sauf dans quelques rares
exceptions (Loftusia, Rhapydionina) endémiques qui se cantonnent à certaines éléments
lithosphériques et dessinent des contours paléogéographiques nets. C’est ce type de fossiles
qu’il faut rechercher et c’est sur eux qu’il faut concentrer les efforts pour établir une liste de
marqueurs épicontinentaux utiles pour affiner les reconstitutions paléogéographiques.

Un autre point peut être cité en faveur de ce type de cartes, celui de leur contribution dans la
connaissance des mouvements des plaques. Ainsi, les cartes obtenues pour le Crétacé terminal
Avec leurs formes endémiques et autres plus cosmopolites s’opposent à la répartition des
formes observée dans les cartes du Crétacé inférieur où il y une nette séparation entres des
formes européennes au Nord et des formes africaines au Sud ; alors qu’au Paléogène il se
produit une homogénéisation des distributions. Ce qui nous conduit à penser que le Crétacé
terminal et une période de transition qui traduit le rapprochement des plaques européenne et
africaine.

Enfin, l’analyse de ce type de document nous montre que la plus grande diversité se retrouve
dans des bandes au Nord de l’équateur (lat 20-30°) vastes mers épicontinentales à
sédimentation carbonatée. Ce qui cadre avec l’exemple actuel de l’atlantique dans les ragions
caraïbes (20° N) très riches en grands foraminifères contrairement à ce qui a été avancé par
Stehli & Helsey (1963) et Stehli (1966) à savoir un grand développement et diversité
à l’équateur.

V) Conclusion :

La discipline de paléobiogéographie même si elle ne s’accorde pas toujours aux résultats


obtenus avec d’autres méthodes reste un outil précieux à la connaissance de la
paléogéographie. C’est une approche qui nous pousse à considérer certains aspects jusque là
invisibles par les autres méthodes.
Toutes ces méthodes pourraient être utilisées conjointement et en complémentarité car c’est
dans ces différences que résident peut être la solution des problèmes auxquels nous sommes
confrontés.

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