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Résumé
Apparitions et figurations de l’invisible
chez les Bwaba du Burkina Faso
I. De l’objet-fétiche au masque
Chez les Bwaba du Burkina Faso, les génies de brousse sont à la
source d’une multitude de cultes, couvrant un spectre particulière-
ment large. Se retrouvent ainsi regroupées dans une même catégorie
englobante des pratiques rituelles aussi diverses que la manipulation
d’objets puissants, le culte à un génie qui choisit de s’illustrer dans un
domaine étroitement circonscrit (par une aide qu’il apporte tantôt dans
une activité spécialisée, tantôt dans une forme déterminée d’enrichis-
sement), la sortie des masques et même la divination. La diversité des
formes de représentation produites pour une même catégorie d’entités
pose la question des principes au fondement des opérations de figura-
tion de l’invisible dans un contexte rituel.
Mots-clés : Bwaba, génies de brousse, visions,
figuration, objets-fétiches, masques.

Abstract
Apparitions and representations of the invisible
among the Bwaba of Burkina Faso
I. From fetish objects to masks
For the Bwaba of Burkina Faso, bush spirits are at the heart of a
myriad of religions, covering a particularly broad spectrum. This
single, unifying category groups together such varied ritual practices
as handling objects with special powers; worshipping spirits who
exert their influence within narrowly circumscribed domains (by
helping with specialised activities or specific forms of wealth
accumulation); creating masks; and even divination. The wide variety
of representations produced within this single category of beings raises
the question: what fundamental principles govern how the invisible is
depicted in a ritual context?
Keywords: Bwaba, bush spirits, visions,
representation, fetish objects, masks.
APPARITIONS ET FIGURATIONS DE L’INVISIBLE
CHEZ LES BWABA DU BURKINA FASO
I. DE L’OBJET-FÉTICHE AU MASQUE1

STÉPHAN DUGAST
INSTITUT DE RECHERCHER POUR LE DÉVELOPPEMENT,
MUSEUM NATIONAL D'HISTOIRE NATURELLE

Par-delà les disparités culturelles observables avec des degrés variables


entre les sociétés d’Afrique de l’Ouest, il est dans cette région une catégorie
d’êtres surnaturels qui se laisse circonscrire de manière relativement
précise : les génies de brousse. La diversité, d’une société à l’autre, de
certains des traits qu’on leur prête, notamment morphologiques, n’altère
en rien l’unité de cet ensemble, fondée sur la constance de principes
fondamentaux. Pour l’essentiel, les caractéristiques les plus distinctives
de cette classe d’êtres surnaturels dérivent de leur statut d’entités
intermédiaires entre les mondes visible et invisible. Par là, il faut entendre
moins leur position de médiateurs – ce qu’ils sont aussi, à certains égards,
mais à l’instar de bien d’autres entités – que leur caractère hybride avec,
notamment, des propriétés qui relèvent, pour les unes, du monde visible,
et, pour les autres, de l’invisible2.
Une telle convergence de fond n’empêche toutefois pas une pluralité
d’attitudes envers ces êtres. Ainsi, les Bassar du Togo ne leur accordent
qu’un intérêt marginal. Les pratiques rituelles que cette société leur
réserve sont rares, et quasiment toutes définies de manière négative.
Aucun culte ne leur est décerné en propre, l’essentiel des interventions
à leur sujet se ramenant à de multiples pratiques d’évitement : protection
des aires habitées pour maintenir ces êtres à distance, pratiques agraires
de « désarmement » visant à neutraliser leur propension aux déprédations
sur les cultures, gestes furtifs pour, lors de rites honorant d’autres entités,
désamorcer à l’avance toute intervention intempestive de ces êtres toujours
tentés de s’interposer, ou encore introduction tardive, suite au contact avec
les Kotokoli voisins, de pratiques rituelles permettant de garder en vie

1.  Pour des raisons de place, l’article sera divisé en deux parties : la plus complexe des
configurations (celle qui se prolonge par l’initiation de l’intéressé à la divination) sera traitée
dans une section séparée (Dugast à paraître).
2.  La profusion des discours et l’abondance de matériel ethnographique sur ces entités permet
différents angles d’approche. Dans un travail récent, qui est une synthèse remarquable des
connaissances sur le sujet, Klaus Hamberger (2012) s’est attaché à montrer que le rapport aux
génies, tel qu’il se manifeste à travers trois occurrences majeures (la chasse, la procréation et
la divination), est l’expression d’un rapport à l’autre qui, dans ces trois formes extrêmes, est en
même temps une expérience de l’espace : le franchissement de la limite entre le village et la
brousse, assorti chaque fois d’une transformation de la perspective, est « un modèle élémentaire
de l’opération mentale qui fait naître l’espace ».
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les jumeaux, dont on dit, comme en bien d’autres parties de l’Afrique de


l’Ouest, qu’ils sont les émanations des génies de brousse.
Par contraste avec cette marginalisation des génies dans la vie rituelle,
d’autres sociétés leur réservent une place de premier plan. Tel est le cas des
Bwaba du Burkina Faso, chez qui ces êtres sont omniprésents : masques,
divination, objets-fétiches, procédures magiques d’enrichissement,
maîtrise d’une compétence professionnelle – et, partant, émergence du
système de castes, l’un des piliers de la structure sociale de cette société –,
culte aux puissances du territoire, rites associés aux bois sacrés, aux aires
cérémonielles de feu de savane, etc., l’impression est que le rapport aux
génies sature le domaine des pratiques rituelles.
Conjuguée à la prédilection des Bwaba pour la production d’objets
figuratifs (que ne partagent pas, loin s’en faut, toutes les sociétés de cette
région), cette omniprésence des génies de brousse dans leur vie rituelle
offre ample matière à réflexion sur les multiples enjeux attachés à un acte
de figuration. Jusqu’à quel point la diversité des formes de la figuration
que l’on rencontre dans cette société peut-elle être rapportée à la nature,
variable elle aussi, de la relation entretenue avec un génie de brousse,
lui-même reconnu comme doté d’une apparence corporelle spécifique,
telle sera la principale question qui nous guidera dans cette exploration.
Question que viendront enrichir les plus complexes des formes de culte
entretenues avec des génies de brousse, dans cette société : celles appelées
à connaître une évolution notable dans le cours de leur existence, affectant
tant la morphologie de l’autel que la relation mise en place entre l’intéressé
et l’être à l’origine de la rencontre dans l’espace de brousse.

UNE INSERTION PAR L’IMAGE


En tant qu’entités intimement liées à leur espace – celui de la brousse –,
les génies qui entreprennent, sous quelque forme que ce soit, de se lier à
un humain, imposent à ce dernier d’opérer le transfert d’une part d’eux-
mêmes de l’espace de la brousse où ils se sont révélés à celui du village où
ils aspirent à être représentés. Or, si sur ce plan les modalités de rencontre
en brousse avec les génies sont tout aussi variées que les modes d’insertion
au village qui leur font suite dans quasiment tous les cas, un champ de
pratiques spécifique se distingue, au sein de cet ensemble, par sa singularité.
On dit en effet, dans une série de cas, que le génie en quête d’une relation
avec un humain choisit de se manifester par l’émission d’une image qui
s’imposera dans l’esprit du destinataire de façon répétitive et avec une
intensité croissante, jusqu’à ce que ce dernier consente à introduire chez
lui ce qui lui sera apparu en brousse. Cette introduction s’effectuera non,
comme dans un certain nombre d’autres cas, par le transfert chez soi
d’un objet trouvé sur place, qui matérialise en quelque sorte la relation en
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I. DE L’OBJET-FÉTICHE AU MASQUE

cours d’instauration, mais par la mise en œuvre d’un acte de figuration :


l’édification d’une figurine reproduisant l’image perçue en brousse. Les
Bwaba sont unanimes à déclarer que, dans cette série de cas, cette action
fait, à elle seule, « entrer au village » ce qui s’est manifesté en brousse.
L’idée mérite qu’on s’y arrête : qu’un acte de figuration vaille
introduction au village d’une manifestation apparue ailleurs montre déjà
que le changement d’espace à effectuer, qui est aussi un changement
de monde (l’espace de la brousse constitue en soi, pour ces sociétés, un
monde spécifique qui s’oppose à celui du village), est pensé simultanément
comme une insertion dans le monde visible (opération qui est la raison
d’être du procès de figuration). Les analyses très fines de Michel Cartry
sur les Gourmantché du Burkina Faso ont montré combien la brousse,
cet « autre du village » (formule que l’auteur emprunte à l’indianiste
Charles Malamoud), est moins un espace clairement séparé de celui
occupé par les humains qu’un état particulier de tout espace, présentant,
parfois de façon temporaire, des propriétés distinctes de celles en vigueur
dans l’espace du village. Les plus immédiates de ces propriétés sont le
brouillage des contours, ou encore l’« évanouissement des limites ».
Or, ces mêmes propriétés peuvent, à certains moments particuliers de la
journée, caractériser tout ou partie de l’aire habitée. Ainsi, aux heures les
plus chaudes, au moment où le soleil est à son zénith, quand la lumière
du jour est trop crue, l’espace du village est dit être « troué par des îlots
de brousse » ; la nuit, c’est même « tout espace, en dehors de celui de la
maison, [qui] tend à devenir “brousse” » (Cartry 1979 : 268).
Une telle lecture est généralisable à de nombreuses cultures de l’ouest
africain, et fournit de précieuses clés pour l’interprétation de toute une série
de discours qu’en ces sociétés on tient sur la brousse. Les Bwaba ne font
pas exception et apportent même des éléments qui complètent ceux mis
en évidence par Michel Cartry. Les habitants de la brousse, soulignent-ils,
toutes catégories confondues, c’est-à-dire qu’il s’agisse des génies ou non,
sont des êtres dont les contours ne se laissent pas facilement discerner. C’est
vrai des animaux qui la peuplent, dont la plupart savent admirablement
se fondre dans le paysage. L’art du camouflage est toutefois inégalement
maîtrisé, et aux espèces qui y excellent sont reconnues des pouvoirs
supérieurs. Dans ce domaine, le caméléon n’a naturellement pas d’égal,
et les Bwaba lui attribuent d’ailleurs un statut exceptionnel (voir Dugast
2009). Plus encore que les animaux, plus encore, même, que les plus habiles
d’entre eux à se camoufler, les principaux autres habitants de la brousse, les
génies, sont d’abord caractérisés par leur pouvoir d’échapper à la perception
visuelle (en tout cas, à celle des humains). Nous verrons en effet que leur
invisibilité n’est pas inhérente à leur nature, mais résulte simplement de
ce qu’ils sont soustraits à la vue des humains, trait qui les distingue de
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tout un ensemble d’autres entités surnaturelles, intrinsèquement invisibles


celles-là. C’est en ces termes que doit se comprendre la démarche de tout
génie désireux d’entrer en relation avec un humain : pour mettre en œuvre
son projet, il émettra en direction de son élu une image censée signaler
au moins sa présence. Ce faisant, d’une certaine manière, il consent à se
dévoiler partiellement là où sa nature profonde le pousse ordinairement à
occulter tout ce qui serait susceptible de trahir son existence.
Émise depuis la brousse, par un être entièrement partie prenante de
ce monde de l’indistinction, une telle image résulte donc d’une action
délibérée de la part du génie, tout à coup décidé à s’extraire, ne serait-ce que
furtivement, de l’opacité où d’ordinaire il se retranche. Pour les humains,
procéder, en réponse à cette sollicitation, à l’acte de figuration exigé par
le génie est donc d’abord une démarche qui se situe dans le prolongement
de cette initiative de l’être de brousse : parachever l’extraction d’une
image précise de son univers d’indistinction en l’insérant dans le monde
du visible, « dans le monde des sensations, […] dans le monde du voir »
(Vernant 2004 : 18-19). L’apparition initiale de l’image en brousse n’a de
sens que si elle est suivie de l’édification de sa représentation dans l’espace
du village. Mais ce parachèvement est simultanément une pérennisation
de l’image, de sorte qu’on peut concevoir l’acte de figuration comme
demande, de la part du génie, de l’inscription durable dans le visible d’une
image d’abord fugace et éphémère.
Les enjeux de ce processus multiforme feront l’objet d’un examen
attentif. Mais toutes les initiatives prises par les génies pour se mettre en
relation avec des humains n’empruntent pas cette forme singulière. Afin de
ne pas isoler celle-ci arbitrairement de son contexte, il conviendra de faire
une place aux différentes formes de figuration réalisées chez les Bwaba en
réponse aux sollicitations, diverses elles aussi, des génies de brousse. Cette
présentation élargie nous permettra par la même occasion d’appréhender
dans son ensemble l’unité du système en présence et de mettre au jour
certains des principes de catégorisation qui l’organisent. D’indispensables
éléments de repérage sur ces êtres surnaturels à l’origine de ces diverses
manifestations nous retiendront au préalable.

LES GÉNIES DE BROUSSE,


DES ÊTRES EMBLÉMATIQUES
DE L’ESPACE QU’ILS OCCUPENT
On l’a dit, un principe simple permet de cerner immédiatement un aspect
crucial de la nature des génies : bien que déclarés invisibles et porteurs
de pouvoirs surnaturels, ces êtres ne sont pas à placer au même rang que
la plupart des autres instances de l’au-delà. Il s’agit en effet d’entités
occupant une position intermédiaire, dans la mesure où elles conservent
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I. DE L’OBJET-FÉTICHE AU MASQUE

une proximité de nature avec les humains. Une série de caractéristiques


témoigne de cette nature en quelque sorte hybride.
Là où l’origine de ces êtres a fait l’objet de mythes, ceux-ci racontent
invariablement que génies et humains cohabitaient autrefois et que
leur séparation fut la conséquence de violents conflits entre eux. Mis
en difficulté, les génies obtinrent de Dieu qu’il les rendît invisibles aux
humains qui menaçaient de les anéantir3. Chez les Bobo du Burkina
(des voisins immédiats des Bwaba), Guy Le Moal a recueilli des mythes
particulièrement riches qui, tout en se conformant à ce schéma général,
mettent en évidence que les génies sont, au même titre que les hommes,
des créatures de Dieu (Le Moal 1999 : 73-77). Ce trait, ajoute l’auteur, en
fait des entités éminemment distinctes des « puissances incréées, dieux
ou esprits » : les génies se singularisent comme « êtres ayant – ou étant
supposés avoir – une réalité tangible » (ibid. : 98).
Une réalité tangible : là se situe en effet l’un des critères les plus sûrs qui
permet de distinguer les génies de brousse des autres entités surnaturelles.
Avant tout, ces êtres sont dotés d’un corps, aux contours bien discernables
pour qui est en mesure de les voir. C’est à ce titre d’ailleurs que leur apparence
fait l’objet d’abondants commentaires, et parfois de descriptions détaillées.
Les traits corporels déclarés caractéristiques des génies renvoient toujours
à ce qui apparaît comme des « anomalies » au regard de la conformation
du corps humain : petite taille, membres grêles, tête disproportionnée par
rapport au reste du corps, traits disgracieux, cheveux longs et lisses (on est
en Afrique, où la norme est d’avoir les cheveux crépus), mais surtout pieds
tournés vers l’arrière et membres aux articulations inversées4.
Si les hommes ont connaissance de cette morphologie, c’est qu’il leur
arrive d’apercevoir les génies, autre preuve de l’invisibilité seulement
relative de ces petits êtres. Ou plus exactement, preuve que cette invisibilité
n’est que l’effet d’une certaine déficience visuelle du genre humain
ordinaire : les clairvoyants, ces personnes dotées du pouvoir de double vue,
sont dits capables de discerner ces êtres (alors que, par contraste, toutes les

3.  Une analyse comparée de récits de ce type reste à faire. Parmi quelques-uns qui, de toute
évidence, se font mutuellement écho, on signalera ceux recueillis par Antoine Dim Delobsom
(1934 : 48-51) pour les Mossi – « légendes » dont on trouve un résumé dans Bonnet 1988 : 22 –,
Jean Capron et Ambou Traoré (1986-1987) pour les Bwa-Pwesya et Guy Le Moal (1999 : 73-77)
pour les Bobo. Tous sont des groupes ethniques du Burkina Faso.
4.  On peut aussi mentionner cette description qui m’a été livrée au sud du pays bwa : « Il a les
pieds à deux faces. Certains ont une trompe à la place du nez. Pour ne pas marcher dessus, ils la
tiennent en main. D’autres ont de grandes oreilles. Des bras comme des racines. » La mention
de la trompe encombrante et des précautions qu’elle engendre rappelle ce portrait rapporté par
Jean-Claude Froelich de ses enquêtes chez les Konkomba du Nord-Togo : « Ils sont petits et ont
la peau claire, leurs cheveux sont lisses et très longs, leur membre viril est très long, ils le placent
sur l’épaule pour pouvoir marcher plus commodément » (1954 : 202 ; une autre description
similaire est fournie à la page suivante).
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autres entités surnaturelles échappent à leur regard). À l’inverse, certains


commentaires fort révélateurs se font parfois entendre au sujet de l’attitude
des génies à l’égard de ceux d’entre les humains qui sont incapables de les
percevoir. Ainsi, chez les Bassar, lorsqu’une personne, faute de les voir,
marche sur leurs affaires (on évoque généralement leurs pagnes, qu’ils
sont en train de faire sécher après les avoir lavés), ils lui enfoncent une
brindille dans l’œil en l’invectivant : « Aveugle5 ! » Peut-on mieux signifier
que l’invisibilité des génies est moins un trait inhérent à leur nature que la
conséquence des limites de la perception oculaire des humains ?
De cette invisibilité seulement relative, certains génies peuvent décider
de sortir, comme chaque fois que l’un d’eux prend l’initiative d’entrer en
relation avec un humain de son choix. C’est alors de façon tout à fait sélective
que le génie opère, puisque, nous le verrons, il réserve à une seule personne
la perception des signaux qu’il lui adresse. Là encore, de telles apparitions,
aussi ponctuelles et rares soient-elles, sont spécifiques aux génies : elles ne
sont jamais mentionnées au sujet d’autres entités surnaturelles6.
Que l’invisibilité des génies soit d’une certaine façon moins inhérente à
leur nature que le résultat d’une dissimulation réussie transparaît encore à
travers le fait que, là où ils passent, ils laissent parfois des traces. Les plus
fréquentes de ces empreintes sont, naturellement, celles de leurs pieds, ce
qui offre une nouvelle occasion de commentaire sur leur difformité. Les
indices que semblent livrer ces traces sont doublement trompeurs. Quant à
leur taille d’abord : bien que de dimension imposante, ces empreintes sont
bien celles d’êtres de petite taille7. Quant à l’orientation qu’elles semblent
indiquer ensuite : compte tenu de la morphologie particulière de ces êtres,
avec pour certains les pieds retournés vers l’arrière, l’intuition humaine
conduit à des déductions trompeuses ; au sujet des génies aux pieds « à
deux faces », c’est la perplexité qui domine. Mais ce type d’énigme est
rarement pertinent puisque, le plus souvent, de telles traces de pas sont
observées sur ce qu’on considère être les aires de danse des génies : le
tournoiement y est la règle, la logique d’un déplacement linéaire n’est donc
pas de mise8. Ces manifestations festives sont du reste l’occasion de la

5.  Parole inaudible pour le sujet (lequel ressent seulement une vive piqûre à l’œil), mais dont on
déduit l’existence de la situation qu’elle contribue à mieux caractériser.
6.  Il faudrait évoquer le cas de certains fantômes, apparitions associées à cette classe particulière
de défunts qui n’ont pu, pour une raison ou pour une autre, rejoindre les ancêtres. Mais ces
apparitions exceptionnelles sont dites totalement immatérielles : de tels fantômes sont dépourvus
de toute corporéité.
7.  Faisant de louables efforts pour traduire dans mes repères culturels les faits qu’il me rapportait,
l’un de mes informateurs me fit le commentaire suivant : « Il peut mesurer moins d’un mètre de
haut mais “chausser” du 47. »
8.  Il faut toutefois signaler que, même hors contexte festif, les déplacements des génies sont
pensés comme plutôt chaotiques : au lieu de la marche régulière et en général linéaire qui
caractérise les humains, la plupart de ces êtres ont adopté un mode de locomotion par bonds.
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I. DE L’OBJET-FÉTICHE AU MASQUE

production d’autres traces des génies, sonores celles-là : il arrive à certains


marcheurs nocturnes d’entendre dans le lointain de la musique, des chants
et des rires qui, souvent, seront reconnus comme provenant de ces êtres.
Mais, comme les précédentes, ces émanations des génies ne tardent pas à
désorienter celui à qui elles parviennent : « On entend la musique, on pense
que ça vient d’un côté, et quand on s’approche, on a l’impression que ça
vient de l’autre côté9. » Ce n’est que le lendemain que, le cas échéant, on
pourra observer sur une partie de terrain dénudée la présence de traces au
sol qui confirment que s’est bien tenue là une fête des génies.
La littérature africaniste contient quantité de mentions de tous ordres
témoignant de cette propriété d’invisibilité seulement relative. La plus
démonstrative est à ma connaissance celle fournie par le texte déjà cité de
Michel Cartry (1979 : 283) sur les Gourmantché de l’est du Burkina Faso :
les pola, l’une des nombreuses catégories de génies reconnues dans cette
société, ont la particularité d’être dissimulés dans une sorte de « filet-sac »,
enveloppe invisible et qui rend également invisible son occupant chaque
fois que celui-ci y est enfermé, mais qui devient visible et laisse apparaître
entièrement le génie dès que ce dernier s’en extrait. C’est ainsi qu’un
chasseur ne redoutant pas de s’aventurer profondément dans la brousse
peut surprendre un poli qui s’est défait de son filet-sac le temps d’une
baignade. Une telle scène apparaît comme une limpide métaphore du fait
que l’invisibilité des génies ne tient qu’à un filet : ce sac qui s’interpose
entre le regard des humains et le corps des pola.
Si mince est la frontière entre le monde visible dans lequel se meuvent
les humains et l’invisibilité spécifique des génies que des passerelles
existent d’un domaine à l’autre. Outre les occurrences d’apparition
des petits êtres de la brousse, volontaires ou non de leur part, on peut
mentionner les cas de rapts d’humains, emportés pour un temps dans
l’univers des génies duquel ils ressortent porteurs de nouveaux savoirs, de
nouveaux pouvoirs, mais aussi d’une nouvelle personnalité. Plus illustratif
encore de la porosité de la frontière entre les deux mondes est sans doute
l’exemple des substitutions d’enfants entre génies et humains (l’équivalent
du phénomène des changelings chers aux folkloristes européanistes) : une
femme partie en brousse avec son nourrisson pour y chercher du bois ou
des produits de cueillette risque, si elle se montre négligente, de courroucer

Ainsi, pour les Bwa-Pwesya (des Bwa situés au nord de ceux dont il est question ici, les Bwaba),
Jean Capron rapporte que l’un des termes par lesquels on désigne ces êtres de brousse est ba
dwâdwaria (le nom sous lequel ils apparaissent dans le mythe de création), terme que l’auteur
traduit par « les (êtres) sautillants » (Capron 1978 : 59, n. 9, souligné par l’auteur). Ce caractère
est aussi l’un de ceux qui sont prêtés aux génies de la catégorie pola chez les Gourmantché de
l’est du Burkina Faso (Cartry 1979 : 285).
9.  Sur les phénomènes de perte d’orientation au contact ou au voisinage des espaces occupés par
les génies, voir les stimulantes hypothèses proposées par Klaus Hamberger (2012 : 201, 206).
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les génies qui, pour la punir, s’empareront de son bébé et déposeront à sa


place l’un des leurs. L’échange d’enfants peut aussi être motivé, pour une
mère génie, par le simple désir d’élever un enfant jugé merveilleusement
beau (ce que sont les enfants humains pour les génies, souvent considérés
comme conscients de leur difformité et de leur laideur). Sa collecte
terminée, la malheureuse mère humaine aura immédiatement la sensation
que le bébé qu’elle reprend n’est pas le sien, et la croissance ultérieure de
l’enfant ne tardera pas à confirmer ses craintes : il se révélera porteur de
tares sans équivoque sur sa nature d’enfant de génies.
Que les génies élèvent des enfants nous introduit tout naturellement à
une autre dimension de ces êtres qui les rapproche encore des humains :
leur vie familiale et même, plus largement, sociale. Les génies sont, comme
les humains, sujets au cycle de vie, à la reproduction des générations et à
la mort. Ils naissent, grandissent, se marient, vivent en couple, procréent
et élèvent leur progéniture avant de vieillir, dépérir et mourir10. Toutes ces
étapes de la vie sont, chez eux comme chez les humains, sanctionnées par
des rites et des célébrations festives. Le goût de la fête et des réjouissances,
caractéristique majeure des génies11, n’est pas seul en cause : par leur
existence, ces manifestations témoignent de ce que la vie collective de ces
êtres est aussi une vie sociale, c’est-à-dire encadrée par des institutions
et des pratiques collectives12. Elle est même sujette à des variations
culturelles, leurs pratiques rituelles ou cérémonielles étant porteuses
d’autant de variations que celles qu’on observe entre les coutumes propres
à différents groupes humains. Autre trait essentiel aux yeux des Bwaba,
dont la structure sociale repose pour une large part sur un puissant système
de castes : les génies exercent des métiers, et sont à ce titre bien souvent
à l’origine de certaines spécialisations artisanales chez les humains à qui
ils ont transmis une partie de leurs savoirs et savoir-faire. De nombreuses
gloses relatant les circonstances de l’émergence du système de castes dans

10.  Leur rapport à la vie est toutefois d’une autre nature que celui des hommes, la durée de
cette vie étant sans commune mesure avec celle des humains : ils sont « dotés d’une longévité
exceptionnelle (deux ou trois siècles) », rapporte à leur sujet Jean Capron (1978 : 59, n. 9).
Par ce trait, ils se rapprochent des premiers hommes tels que les qualifient bien des discours
mythiques ouest-africains, mettant en scène la rupture fondamentale que constitue l’apparition
de la succession des générations et l’avènement du devenir historique de l’humanité. Ainsi, les
génies auraient conservé ces traits « archaïques » que les humains ont perdus.
11.  C’est pour cette raison que la seule évocation des traces qu’il leur arrive de laisser suggère
immédiatement dans l’esprit de leur découvreur, comme on l’a vu, un contexte festif. On raconte
aussi que les génies ressentent une forte attirance pour les festivités des humains et que certains,
cédant à la tentation, prennent à ces occasions une apparence humaine pour se mêler aux
chanteurs et aux danseurs (voir infra).
12.  Jean Capron (1978 : 59, n. 9) signale ainsi que les Bwa-Pwesya considèrent que les génies
« forment une société parallèle à la société humaine », propos que pourraient parfaitement
reprendre à leur compte les Bwaba établis plus au sud. Voir aussi, pour les Bobo, voisins situés
immédiatement à l’ouest des Bwa, Guy Le Moal (1986 : 81).
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APPARITIONS ET FIGURATIONS DE L’INVISIBLE CHEZ LES BWABA DU BURKINA FASO
I. DE L’OBJET-FÉTICHE AU MASQUE

la société bwa font référence à l’influence décisive du monde des génies en


la matière (par le truchement, notamment, du don des outils emblématiques
de certaines activités spécialisées13). Mais l’occupation principale des
génies est l’élevage : ces petits êtres sont dits propriétaires des animaux
de la brousse dont les déplacements et même les apparitions leur sont
imputés14. Cet aspect est essentiel pour les chasseurs, puisqu’on considère
que leur accès au gibier est, pour une large part, dépendant du bon vouloir
des génies qui livrent de temps à autre une partie de leur cheptel en laissant
voir les animaux dont ils ont décidé de se défaire15. Un dernier domaine – et
non des moindres – est étroitement associé aux génies : celui de la mise en
œuvre de pratiques magiques, aboutissant souvent à la confection d’objets
puissants, matière là aussi à des transferts, en direction des humains, de
savoirs et de savoir-faire. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

QUAND LES GÉNIES SORTENT DE L’OMBRE


Constituant une société de pseudo-humains parallèle mais distincte
en nature de celle des hommes, les génies se pensent en rapport à ces
derniers non moins que ceux-ci se réfèrent aux génies. Beaucoup de ces
êtres de brousse cultivent ainsi une certaine curiosité vis-à-vis de leur
contrepartie du monde humain, curiosité teintée de nostalgie de l’époque
où génies et humains se côtoyaient, mais aussi nourrie de la fascination
que les habitants de la brousse ressentent envers certains aspects de la vie
des humains. Pour une part non négligeable, à la base de cette intense
curiosité, se trouve un goût prononcé pour toutes les choses plaisantes
ou savoureuses que produisent les habitants du village, penchant qui se
décline notamment sous la forme d’une attirance forte pour les ambiances
festives de certains de leurs rassemblements, ou encore d’une gourmandise
insatiable envers leurs productions culinaires, perçues comme autant de
friandises. Les Bassar du Togo retiennent surtout ce dernier trait, autour
duquel se structure l’essentiel de leurs rapports aux génies (Dugast 2012).
Chez les Bwaba, on met davantage en avant le goût prononcé des génies
pour les divertissements de toute sorte, et particulièrement pour les danses
nocturnes qu’organisent les humains. Les génies y prennent volontiers
part, soit en demeurant dissimulés par leur invisibilité, soit en usant de
leurs pouvoirs de métamorphose pour emprunter temporairement les
traits d’une personne humaine. En général, ce sont ceux d’une très belle

13.  Ainsi, Jean Capron (1978 : 59, n. 9) va-t-il jusqu’à dire que, pour les Bwa-Pwesya, les génies
font office d’instructeurs auprès des humains. De là viendrait le parallélisme entre les deux sociétés.
14.  Ils sont à cet égard l’équivalent des maîtres des animaux si importants dans certaines
cosmogonies d’autres parties du monde (en Amazonie, notamment).
15.  Sur cette question particulière, on se référera une fois de plus à l’étude de Klaus Hamberger
(2012).
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 174-216 184

jeune fille16, ou d’une chanteuse à la voix merveilleuse, venue se mêler


aux festoyeurs mais qui s’en écarte pour s’évanouir dans la nuit dès que
quelques jeunes hommes trop entreprenants tentent de l’approcher.
De tels contacts avec les humains restent donc fugaces et, jusque-là, les
génies ne se départissent pas de leur tendance naturelle à la dissimulation.
Mais quand leur fascination pour le monde des hommes se focalise sur la
beauté du corps humain, les effets peuvent en être plus durables, comme
lorsqu’il en résulte, ainsi qu’on l’a vu, un échange de bébés. Il faut
cependant un faisceau de motivations plus complexes, où l’attirance se
mêle à des considérations sur le caractère de la personne, pour qu’un génie
soit pris du désir de nouer une alliance avec un individu humain.
Cette alliance peut être éphémère, comme cela ressort de nombreux
récits faits au sujet d’une rencontre épisodique en brousse avec un être
étrange, suivie, en cas de bon comportement de la part de l’humain, d’une
aubaine aussi soudaine que mystérieuse elle aussi. Ces récits appartiennent
au genre classique dit de l’épreuve d’hospitalité, qui prend ici plutôt la
forme d’un test du caractère. Dans ce paradigme, après s’être métamorphosé
– généralement en une personne d’apparence vulnérable –, le génie
apparaît devant le sujet et sollicite son aide ou sa générosité17. Lorsque
l’épreuve est passée avec succès, le génie, une fois retourné à l’invisibilité
propre à son univers, offrira à la personne testée une gratification (si c’est
un chasseur, ce sera une prise prochaine et facile), mais la relation restera
sans lendemain. Il n’y aura donc aucune installation d’autel, aucune mise
en place de culte ; il n’y aura même pas don d’un objet puissant, dont
la force doit être régulièrement alimentée par l’immolation répétée de
victimes animales (voir infra, section suivante).
Attirance vis-à-vis de la beauté du genre humain en général, et de
certaines personnes en particulier, impression favorable laissée par
l’exploration, ensuite, des traits dominants du tempérament de l’individu
sélectionné, de proche en proche le génie finit par nourrir le projet de s’allier
plus durablement à un ressortissant de la communauté des humains. Une
large panoplie de possibilités s’offre alors à lui, qui sont autant de profils
nettement différenciés.

16.  En dépit de sa laideur congénitale, « quand le génie se change en être humain, il se fait plus
beau que la beauté », commente l’un de mes informateurs.
17.  Souvent, quand c’est la générosité de l’individu qui est éprouvée, la demande du génie porte
sur du tabac. À l’inverse du miel, pur produit de la brousse (et qui intervient dans l’initiation des
devins, voir la seconde partie de cet article, Dugast à paraître), le tabac, tout aussi apprécié des
génies, est considéré par eux comme un produit de bien meilleure qualité quand il provient des
humains. Les génies ont leur propre tabac, le tabac de brousse (tiré de l’arbuste surundawiire
[Guiera senegalensis], dont les génies, dit-on, chiquent les feuilles), mais au regard de celui des
humains, il fait figure de piètre substitut.
185 STÉPHAN DUGAST
APPARITIONS ET FIGURATIONS DE L’INVISIBLE CHEZ LES BWABA DU BURKINA FASO
I. DE L’OBJET-FÉTICHE AU MASQUE

Tous ont néanmoins en commun de déclencher la même procédure


générale, au canevas immuable. En première approximation, on peut en
résumer le principe sous-jacent en termes simples : il s’agit pour les Bwaba
de penser la question de la figuration de l’invisible, appliquée à cette fraction
si particulière qu’occupent les génies de brousse. Quelques temps forts
scandent cette procédure commune. La personne est d’abord sujette à une
vision en un lieu particulier de la brousse. Si elle est accompagnée, elle est la
seule du groupe à percevoir cette apparition  : interpellés pour qu’ils constatent
à leur tour l’étrangeté du phénomène, ses compagnons déclarent ne rien voir
du tout18. Ce caractère d’exclusivité révèle la vision comme manifestation
émanant des génies : comme eux, elle se fait tantôt visible, tantôt invisible,
visible pour les uns, invisible pour les autres. Malgré l’absence à peu près
totale de doute quant à la nature de l’expérience, l’usage est de ne pas réagir
immédiatement en pareille circonstance. Le phénomène aura donc tendance
à se réitérer, toujours assorti des mêmes caractéristiques. Insensiblement,
la vision se reproduira à intervalles de plus en plus rapprochés, provoquant
même des rêves et des envies irrépressibles de revivre sur place l’expérience
de l’apparition, jusqu’à faire se lever le sujet en pleine nuit et le faire retourner
dans la brousse au lieu de la manifestation première du phénomène. Tant de
désordres dans le comportement de la personne alerteront ses proches et les
pousseront à consulter un devin. C’est là une étape charnière. La réalité de
la situation sera ainsi officiellement dévoilée et établie : tous ces troubles
sont dus à l’élection de la personne par un génie qui exige d’être « introduit
au village », dans la maison de son allié humain. En d’autres termes, il
réclame la mise en place d’un culte à son bénéfice (nous verrons toutefois
que cet aspect est sujet à d’importantes variations). Aussitôt, la situation de
l’intéressé change de nature : son comportement obsessionnel laisse place
à une attitude plus apaisée, plus raisonnée aussi, par laquelle il accepte de
se soumettre à la volonté du génie qui l’a élu. Ce qui signifie qu’il consent
à l’introduire chez lui pour, dans les cas les plus complexes, lui édifier un
autel et lui rendre un culte. Il perd dans le même temps l’exclusivité de
la vision qui lui était jusque-là réservée : dès la consultation effectuée,
quiconque l’accompagne à nouveau sur les lieux sera désormais sujet aux
mêmes perceptions que lui. Dès lors, pour les cas où la vision ne résultait pas
de la production d’une simple image mentale envoyée dans l’esprit de son
destinataire mais correspondait à un objet réel, matériel, cet objet devient
réceptif aux manipulations humaines. En particulier, il peut (et doit) être
emporté pour être introduit dans la maison de l’intéressé.

18.  Plus au nord, dans la partie centrale du Bwamu (nom donné au pays bwa), les informateurs
de Jean Cremer ont décrit ce moment caractéristique du processus d’ensemble en des termes
similaires (Cremer 1927 : 87).
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 174-216 186

La consultation du devin a permis de lever le voile sur la nature du


phénomène et, ce faisant, elle a participé à l’extraction du génie de sa
gangue d’invisibilité. Non seulement cet effet de dévoilement s’étend à
la vision de la scène, désormais perceptible par tous, mais surtout cette
consultation livre toute une série de prescriptions sur les opérations à
accomplir pour installer chez l’intéressé les éléments de base du culte qui
s’instaure. Un sacrifice aux ancêtres est d’abord requis pour s’assurer de
leur accord quant à l’introduction, chez eux (l’espace de la maisonnée est
placé sous leur contrôle étroit), de cette chose nouvelle, venue de brousse
(espace antithétique au leur). Un autre sacrifice suivra : celui au Nyinde,
l’autel de la brousse, pour le remercier de son don (tout ce qui provient de
la brousse est placé sous sa juridiction).
Contrairement à ce que notre intuition pourrait nous laisser croire, ce
schéma général n’est que très marginalement affecté par la distinction
entre objets matériels et images. Deux types de discours sont tenus à cet
égard. D’une part, même quand ce que produit le génie afin de se mettre
en relation avec une personne est un ou des objets bien réels, ceux-ci ne
seront perçus que par l’intéressé tant que n’a pas été franchie l’étape de
la consultation du devin. D’autre part, on dit encore que le respect de ce
protocole est tout aussi impérieux que dans le cas d’une image. Certes,
s’agissant cette fois d’un objet matériel, la procédure d’introduction
pourrait sembler simplifiée : il suffirait de transporter aussitôt l’objet chez
soi. Pourtant, les commentaires sont unanimes à ce sujet : procéder ainsi,
c’est « zéro ». Même si l’intéressé parvient à introduire l’objet au village,
celui-ci aura perdu tout le pouvoir qui y était attaché. Plus précisément, le
génie qui en a été le pourvoyeur s’en sera aussitôt détaché, le réduisant à
l’état de simple objet inerte.
Si la distinction entre image et objet n’affecte donc pas le principe du
transfert de la brousse au village, il peut exister à l’inverse des différences
notables, au sein de la catégorie des seuls objets, selon la nature de la
relation voulue par le génie. La procédure d’installation (au sens strict)
varie alors, en effet, selon le destin de l’objet. Quand celui-ci est considéré
comme se suffisant à lui-même – il relève alors de la catégorie des objets-
fétiches –, il subit un traitement significativement différent du cas où,
élément de médiation vis-à-vis du génie, il est destiné à être inséré dans
la structure d’un autel (que, pour l’ensemble des cas qui nous intéressent
ici, les Bwaba nomment nanwamu). L’analyse de ces différences nous
retiendra avant que le vaste ensemble des autels de nanwamu ne devienne
le centre de notre attention.
187 STÉPHAN DUGAST
APPARITIONS ET FIGURATIONS DE L’INVISIBLE CHEZ LES BWABA DU BURKINA FASO
I. DE L’OBJET-FÉTICHE AU MASQUE

LES OBJETS-FÉTICHES
Un génie peut avoir deux motivations assez différentes pour se mettre
en contact avec un humain à travers un objet matériel. Entre les deux, le
statut de l’objet diffère du tout au tout. Lorsque cet objet correspond à un
signe par lequel il révèle son existence (ce cas s’apparente alors à celui où
le génie choisit de se manifester par l’émission d’une image), c’est que le
génie entend entretenir avec la personne élue une relation durable. Il exige
pour cela que ledit objet soit inséré dans une structure de type autel (de la
même façon que, dans l’autre configuration relevant du même ensemble,
il exige qu’une figurine soit réalisée pour reproduire l’image perçue en
brousse, figurine qui sera la pièce maîtresse de l’autel). Par ce truchement,
un culte sera rendu au génie instigateur de la relation. C’est la procédure que
les Bwaba désignent du nom de nanwamu. Lorsque, au contraire, l’objet
correspond à un don strict du génie, cet objet se désolidarise de l’être qui en
a fait don et devient en lui-même destinataire des pratiques rituelles mises en
œuvre (immolations répétées de victimes animales). Il n’est alors le support
d’aucun culte envers le génie, même s’il bénéficie en lui-même de certains
traitements rituels. C’est que, dans ce cas, le génie n’entend pas instaurer de
relation pérenne avec l’élu19, mais le gratifier d’un don qui prend la forme
d’un objet puissant – on pourrait dire d’un objet magique. Par ce trait, ce cas
se rapproche de celui du don ponctuel (comme celui d’une belle pièce de
gibier) après une entrevue ayant produit sur le génie une impression favorable
(voir supra, p. 184). À cette différence essentielle près que la gratification
du génie prend ici la forme d’un objet chargé de puissance, donc destiné
à un usage répété, et qui pour cette raison exigera des pratiques rituelles

19.  En réalité, ce type de situation peut se produire, mais le cadre est alors différent de celui des
alliances entre individus (i.e. correspondant aux cas où un individu génie se lie à un individu
humain). Les cas de don d’un objet-fétiche peuvent en effet entrer dans le cadre d’une alliance
plus large, qu’une puissance du territoire (en général, un lieu remarquable du paysage) souhaite
engager avec un groupe de filiation (clan ou lignage). C’est alors par l’apparition d’un tel objet
devant le doyen du groupe considéré (ou le personnage appelé à le devenir) que l’alliance se
noue. Chez les Bwaba, ce type de puissance territorialisée est presque toujours associé à une
colonie de génies, qu’il héberge en quelque sorte. Le doyen de cette colonie de génies agit
alors comme messager de la puissance du territoire, entrant en relation avec le doyen du groupe
humain élu afin de lui faire connaître les modalités de cette alliance. C’est dans ce cadre que la
remise d’un ou de plusieurs objets-fétiches peut intervenir pour sceller l’alliance. Les enquêtes
effectuées par Jean Cremer dans la partie centrale du pays bwa laissent apparaître plusieurs
situations semblant relever peu ou prou (il faut tenir compte des variantes internes au Bwamu)
de ce schéma (Cremer 1927 : 87-92). Chez les Bwaba, un exemple parfaitement caractérisé de
ce type d’alliance est fourni par un site de feu rituel de savane (Tini). La puissance associée à ce
site s’est alliée, dans un passé relativement reculé, à un lignage du village (depuis lors en charge
des rites afférents), à l’occasion d’une rencontre mémorable entre un chasseur, futur doyen de ce
lignage, et un génie apparu pour proposer au chasseur le pacte le liant au site. Ce pacte a pris la
forme de la remise d’un objet-fétiche de première importance dans cette affaire : un nazin (voir
plus bas) à l’aide duquel les descendants du chasseur seront tenus de procéder chaque année à
la mise à feu du site, peu après le début de la saison sèche (sur les feux rituels chez les Bwaba,
voir Dugast 2006, 2008).
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 174-216 188

d’entretien régulières. C’est pourquoi, à la différence du don ponctuel qui


reste sans lendemain, le transfert au village d’un tel objet puissant requiert
la procédure d’introduction commune à un large éventail de situations (avec
notamment le passage par l’étape pivot de la consultation de devin).
Il arrive toutefois que cette procédure ne soit pas appliquée. Cela
se produit dans des cas très exceptionnels, lorsque le génie apparaît en
personne et remet directement l’objet à l’intéressé. Il accompagne alors
son geste des instructions à suivre pour le bon « fonctionnement » du culte.
Dans ce cas, on le comprend, l’étape de la consultation du devin est en
quelque sorte « court-circuitée » puisque la révélation et les prescriptions
émanent de la bouche de l’entité elle-même (le génie), rendant inutile
ce passage par le devin. En particulier, l’objet introduit (car il sera alors
emporté sans délai) sera aussitôt visible de tous. Mais de telles exceptions
sont vite devenues très rares et passent pour n’avoir plus cours de nos jours :
seuls les anciens hommes, plus puissants que leurs piètres descendants,
avaient la carrure nécessaire pour résister au choc d’une telle rencontre.
Les génies s’abstiennent désormais de retenir une telle option.
Dans à peu près la totalité des cas, l’objet est donc introduit au village en
suivant la procédure ordinaire qui a la consultation de devin pour pivot : tant
que l’étrangeté du phénomène n’a pas fait l’objet d’un dévoilement du devin
quant à son origine, le processus piétine au stade de la révélation initiale,
avec une intensification des troubles qui affectent le sujet ; une fois cette
consultation effectuée, la situation se débloque et débouche sur l’introduction
effective dans l’espace du village. Là s’arrêtent toutefois les similitudes avec
les autres cas d’introduction – ceux sanctionnés par l’édification d’un autel
(qui est alors toujours de la catégorie que les Bwaba appellent nanwamu).
Ici, l’objet introduit se suffit à lui-même, et les pratiques rituelles qui lui
sont destinées ne requièrent l’interposition d’aucun élément médiateur.
Qu’aucune structure de type autel ne soit nécessaire pour que l’élément
introduit depuis la brousse trouve sa place chez la personne élue révèle à
quel point le génie n’est plus impliqué dans la relation une fois son don
effectué. L’objet qu’il a offert se suffit à lui-même, il est désormais autonome
en tant qu’objet puissant. On est dans un cas où la notion de vie des objets
convient particulièrement bien : l’objet vit par lui-même et concentre à lui
seul l’essentiel de ce qui en fait un objet puissant. La présence d’un autel,
quand elle est constatée, renvoie quant à elle toujours à un au-delà de l’objet
(ou de la figurine) : le génie demeuré invisible mais rendu présent, et pour
qui l’objet ou la figurine sont avant tout, sinon exclusivement, des éléments
de médiation20. Ici, donc, un tel autel est absent.

20.  Jean Capron, fait référence à ce type d’objets dans un passage où, curieusement, il les
qualifie d’« autels », ajoutant que pour la plupart ils seraient « consacrés à des divinités
189 STÉPHAN DUGAST
APPARITIONS ET FIGURATIONS DE L’INVISIBLE CHEZ LES BWABA DU BURKINA FASO
I. DE L’OBJET-FÉTICHE AU MASQUE

Ph. 1 : Un nazin


déposé sur un lombo
qui lui sert en même
temps de support.

Ph. 2 : Même montage


dans le contexte d’une
opération rituelle.

De quoi les objets puissants en eux-mêmes sont-ils constitués, quelles formes


présentent-ils ? En général composés de fragments végétaux et animaux21,

secondaires de la brousse et du village ». C’est à mon sens ne pas saisir l’une des caractéristiques
distinctives essentielles de ces objets qui est de fonctionner pour ainsi dire en circuit fermé, de
façon autonome, sans lien avec le génie donateur. Pour le reste, les autres traits rapportés par
l’auteur correspondent tout à fait à certains de ceux que l’on peut retenir comme décisifs parmi
les propriétés de ces objets (voir Capron 1957 : 83).
21.  Selon Jean Capron, parmi ces éléments pourraient figurer « des ossements – ou autres
dépouilles – des animaux sauvages élevés par des dwâdwaria [génies] », des ossements de
certains génies associés au génie donateur « à l’intérieur d’un territoire de brousse rigoureusement
délimité » (1978 : 59), ou même des ossements de la « personne de la brousse » (ainsi sont
parfois désignés les génies) qui a remis l’objet (ibid. : 58).
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 174-216 190

parfois minéraux, dont ils sont des montages, ils sont en somme des
préparations médicinales22, chacun étant censé agir dans un domaine précis.
Ces assemblages sont emballés dans des peaux, le plus souvent cousues, qui
prennent diverses formes dont les plus courantes sont une forme oblongue (il
s’agit alors presque toujours à la base d’une queue d’animal ; on parle dans
ce cas de nazin), ou circulaire (empruntant la forme d’un bracelet, voire d’une
bague  ; on parle alors de lombo)23. Ces peaux sont celles des quadrupèdes (chien,
chèvre, etc.)24 immolés sur ces objets lors de certaines grandes occasions (dans
les situations plus communes – celles de demandes ponctuelles –, de simples
volatiles – poulets le plus souvent – suffisent). La première de ces grandes
occasions intervient d’ailleurs dès le commencement, puisque le transfert de
l’objet de l’espace de brousse à celui du village doit être sanctionné par une
telle immolation. De la peau du quadrupède, on dit qu’elle sert d’« habit »
à l’objet, habit dont la remise témoigne du respect qu’on lui porte. Cette
opération devra ensuite être renouvelée au rythme des aides apportées par
l’objet-fétiche à son détenteur. À ce dernier de se montrer suffisamment avisé
pour sentir avec quelle fréquence une telle opération doit être effectuée. Sur ce
point, les commentaires sont sans ambiguïté : ces ajouts successifs de peaux,
qui ont pour effet de faire grossir l’objet, accroissent simultanément sa force
(voir photo 4). Plus l’objet « mange », entend-on souvent, plus il emmagasine
de puissance et plus il est en mesure de donner en retour.

22.  En étendant l’acception de ce terme au-delà des préparations destinées à être absorbées,
pour y inclure toutes celles dont le pouvoir est dit reposer essentiellement sur l’assemblage de
matières prélevées dans les règnes minéral, végétal et animal en vue de composer une mixture
agissante par elle-même.
23.  Dans certains contextes, les deux types d’objets sont associés (pour un exemple chez les
Bwa centraux, voir Cremer 1927 : 91), le nazin se voyant attribuer une valence masculine, le
lombo une valence féminine (c’est en particulier le cas – point de départ d’une élaboration assez
complexe – de l’usage qui est fait de ces objets, livrés par les génies, pour la mise en œuvre des
rites de feu de savane sur le Tini, voir supra n. 19). Il arrive également que le lombo soit considéré
comme le support du nazin, ce dernier étant souvent frappé de l’interdit de tout contact direct avec
le sol (voir photos 1 et 2 ; dans d’autres cas, notamment quand le nazin a été livré seul, il peut être
déposé dans un récipient ; pour les Bwa centraux, Jean Cremer rapporte des énoncés qui font état
d’un cas où nazin et lombo ont été fournis conjointement, mais où l’interdit de tout contact du
nazin avec le sol est respecté par sa suspension sur une fourche à trois branches [Cremer 1927 :
92] ; enfin, Jean Capron [1978 : 58] affirme que cet objet « n’est jamais posé à même le sol mais
allongé sur une pierre plate », appelée le « siège » de l’objet). On retrouve ces deux types d’objets
(parmi d’autres là aussi) dans la brève mention qu’en livre Jean Capron pour le nord du pays
bwa, avec des dénominations différentes mais reconnaissables : respectivement nazumbwe et lopo
(Capron 1957 : 96, en particulier note 2). Dans un texte plus tardif, le même auteur accorde de
longs développements aux objets du premier type, appelés cette fois nadû (Capron 1978 : 57-
63). On peut également signaler l’étude de Michèle Coquet (1987), entièrement consacrée à un
cas particulier d’objets de ce type, dans une perspective essentiellement formelle privilégiant les
aspects stylistiques et esthétiques.
24.  Il peut arriver qu’un tel objet-fétiche réclame des peaux de quadrupèdes sauvages (il s’agit
alors en général de lombo de chasseurs, voir photo 3). Dans ce cas, comme la capture de l’animal
ne peut simplement résulter d’un prélèvement parmi le bétail qu’élèvent les humains, on dit que
c’est l’objet qui, par sa puissance, attire la victime dont il a besoin afin de faciliter au détenteur
de l’objet l’obtention de la peau exigée.
191 STÉPHAN DUGAST
APPARITIONS ET FIGURATIONS DE L’INVISIBLE CHEZ LES BWABA DU BURKINA FASO
I. DE L’OBJET-FÉTICHE AU MASQUE

Ph. 3 : Lombo


recouvert d’une
peau de hwan
(varan).

Ph. 4 : Nazin


devenu massif
par accumulation
de matières
sacrificielles et
d’une succession
de couvertures de
peau de quadrupède
(ici, de chien).

Un mot sur ces opérations consistant à immoler sur l’objet-fétiche un


animal dont certaines parties du corps seront transférées à l’objet. Bien
que s’apparentant, par de nombreux traits, à un sacrifice, elles relèvent
d’un registre assez différent, plus proche de la simple offrande. Toute une
dimension essentielle des authentiques sacrifices y est en effet estompée,
voire évacuée : l’acte de trancher le fil d’une vie est ici moins fondamental
que le prélèvement de matière pour nourrir le corps de l’objet. L’acte
central de l’opération consiste à nourrir directement le corps même de
l’objet en effectuant soi-même le transfert de matière depuis le corps de
l’animal. On n’est pas dans le schéma d’une action qui reviendrait à nourrir
métaphoriquement un dieu au cours d’un rite dont l’essentiel revient à
sacrifier la vie de certains individus du troupeau ou de la basse-cour de
l’intéressé. En forçant à peine le trait, on pourrait dire que l’action est
plutôt d’ordre métonymique : l’ajout, renouvelé à chaque immolation, de
matière animale contribue à la croissance et au renforcement de l’objet.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 174-216 192

Il ne faut pas perdre de vue que, dans sa constitution même, lors de sa


création, l’objet a résulté de l’assemblage de diverses matières. Par la
suite, la vie de cet objet sera celle d’une croissance scandée par les apports
successifs de matière animale sur ce qui constitue son corps.
Le caractère autonome de l’objet-fétiche, détaché du génie qui, à
l’origine, en a été le pourvoyeur, transparaît aussi à travers une autre de
ses propriétés : la possibilité, offerte à son détenteur, de le dupliquer pour
en faire bénéficier d’autres personnes, généralement contre rétribution25.
Cette duplication est une forme de reproduction, et même de reproduction
par clonage. Or, c’est encore l’accroissement de la masse de l’objet, au
moyen d’immolations répétées de quadrupèdes, qui rend possibles de tels
clonages : il faut que l’objet soit devenu suffisamment massif pour autoriser,
sans réduction de force excessive pour son détenteur, un prélèvement de
matière destinée à servir de base à la confection d’un nouvel « individu ».
On a donc affaire à des objets fabriqués de part en part. Fabriqués par
les génies d’abord, sur la base de leur connaissance intime du monde de
la brousse qui leur a permis de procéder à un assemblage de matières
judicieusement choisies de façon à produire un effet. Fabriqués par les
humains ensuite, à travers leur contribution sous forme d’immolations
régulières et massives, se traduisant par l’ajout d’une nouvelle enveloppe
à chaque fois, dont l’accumulation permet l’accroissement de la force
initiale de l’objet et même, un jour, sa duplication.
Une tout autre logique préside à la vaste catégorie des autels dits de
nanwamu, correspondant aux cas où le génie fait le choix d’une relation
durable avec la personne élue.

LES CAS DE NANWAMU : DE L’OBJET À L’IMAGE


Un autel de nanwamu, qu’il soit centré autour de l’objet délivré par le
génie (mais avec un statut tout différent du cas précédent, lequel se
suffisait à lui-même, hors de tout cadre de type autel) ou qu’il soit établi
autour de la figurine reproduisant la scène apparue en brousse, est un lieu
aménagé dans la maison de l’intéressé pour y inscrire à tout moment la
présence du génie. Tout le sens du culte qui lui est décerné tient à cette
propriété : il faut sa présence (au moins à travers un référent) pour que
ce culte ait une efficacité. C’est en effet le génie lui-même – et non un
objet autonome, intrinsèquement doté de pouvoirs –, qui est alors censé
réagir aux demandes qu’on lui adresse. Celles-ci sont formulées face à
la structure de l’autel, et ce dispositif fait fonction d’élément médiateur
renvoyant à un être tiers (en l’occurrence, le génie) : à la différence du cas
de l’objet-fétiche, il ne constitue pas en lui-même sa propre totalité.

25.  Pratique que signale également Jean Capron (1978 : 60, n. 11).
193 STÉPHAN DUGAST
APPARITIONS ET FIGURATIONS DE L’INVISIBLE CHEZ LES BWABA DU BURKINA FASO
I. DE L’OBJET-FÉTICHE AU MASQUE

Un élément matériel est très révélateur de cette différence, et lui ajoute


même une dimension : les autels de nanwamu (ainsi que ceux de divination
– mais ceux-ci sont toujours précédés, nous le verrons, d’autels de nanwamu
dont ils sont en quelque sorte des dérivés) sont pourvus d’un petit pot qu’on
prend soin de maintenir constamment rempli d’eau (voir photos 5 et 6). Le
génie est dit s’y désaltérer à chacune de ses visites. Sa présence peut donc
prendre la forme d’un tel déplacement effectif. Qu’il faille veiller à ce que
ce pot ne soit jamais vide indique toutefois que ces visites ne coïncident pas
avec les occasions, plus espacées, où des sacrifices sont effectués sur l’autel.
C’est qu’en réalité, ces autels de nanwamu combinent deux caractéristiques
distinctes (sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir plus amplement
à la fin de la seconde partie de cette étude), mais qui convergent quant au
caractère pérenne de la relation établie avec le génie. Pour autant, ce dernier
n’est pas supposé demeurer en permanence sur place : on explique qu’il
continue à résider en brousse, mais qu’il vient de temps à autre en visite chez
la personne à qui il s’est lié. À cet égard, l’autel de nanwamu, dans certaines
de ses parties du moins (celles comportant ce pot), est comme un secteur
de la maison agencé à son intention afin qu’il s’y trouve à son aise lorsqu’il
effectue l’une de ses visites. On pourrait dire : une sorte de pied-à-terre (dans
le monde des humains). L’eau versée quotidiennement dans le petit pot n’est
donc pas à proprement parler une offrande : plutôt une marque d’attention et
un élément de confort mis à la disposition du génie au cas où il se présenterait
à l’improviste. D’ailleurs, aucune parole ou prière n’accompagne l’opération.
À ce sujet, une autre différence mérite d’être signalée par rapport à
l’offrande  : si l’eau du petit pot est ainsi déposée dans ce récipient, c’est qu’on
considère que l’être de brousse est censé venir de lui-même s’y désaltérer.
Il intervient par conséquent en personne pour ainsi dire, indépendamment
de la matérialité de la figurine censée le représenter, qui se tient à côté : ce
n’est pas à cette figurine que l’eau est offerte. De telles libations sur l’effigie
sont pourtant effectuées, mais uniquement à l’occasion d’un sacrifice offert
dans le cadre du culte rendu au génie. Là, il s’agit de se mettre en contact
avec le génie qui, sans nécessairement quitter son lieu éloigné de brousse,
est connecté à la demande que lui formule son partenaire humain.
Cette présence du génie, à la fois virtuelle et susceptible de s’actualiser
à tout moment, est donc le trait distinctif majeur de tous les autels
de nanwamu par rapport aux autres manifestations de cette catégorie
d’entités ayant pour objectif de faire introduire au village une chose
venant d’elles. Critère de distinction (principalement par rapport au cas
des objets-fétiches), cet élément est également, à un autre niveau, principe
de regroupement catégoriel : ce sont en effet de multiples configurations
qui, présentant cette caractéristique d’une présence virtuelle de tous les
instants, se rassemblent sous la dénomination de nanwamu.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 174-216 194

Ph. 5 : Autel de


nanwamu avec son
petit pot toujours
rempli d’eau.

Ph. 6 : Autel de


nanwamu dédoublé
avec deux figurines
grossières en argile
et, au-devant, deux
petit pots contenant
en permanence
de l’eau.

Panorama des différents types d’autels de nanwamu


La diversité des autels de nanwamu se laisse ordonner par une série de
critères. Le premier d’entre eux est celui qui distingue les nanwamu
spécialisés dans un domaine particulier de ceux qui ne le sont pas (nous les
appellerons alors « nanwamu généralisés »). Les premiers se manifestent
toujours sous la forme d’un objet matériel, les seconds (à l’exception
de certains cas de nanwamu de masques, nous y reviendrons), le plus
souvent sous la forme d’une image qui, sans matérialité aucune, parvient
directement à l’esprit du protagoniste humain.
195 STÉPHAN DUGAST
APPARITIONS ET FIGURATIONS DE L’INVISIBLE CHEZ LES BWABA DU BURKINA FASO
I. DE L’OBJET-FÉTICHE AU MASQUE

Les nanwamu spécialisés sont de deux ordres : ceux qu’on pourrait dire
de richesse et ceux qu’on pourrait dire de métier. Les premiers correspondent
aux cas où le génie souhaite s’allier à la personne de son choix en lui
assurant son concours dans le domaine de l’accès à la richesse. La relation
débute dans ce cas par la découverte en brousse d’un amas de cauris26
ou, cas plus spécifique, d’œufs de caméléon27. La question de savoir si ce
dernier cas est, au même titre que les autres, la manifestation d’un génie est
controversée chez les Bwaba. En gros, selon les cultivateurs (qui occupent
la position la plus élevée dans le système de castes, et démographiquement
la plus importante), c’est le cas ; en revanche, les forgerons, qui ont un
rapport privilégié avec le caméléon en tant qu’animal quasi divin (voir
Dugast 2009), considèrent que les génies ne sont pour rien dans une telle
découverte dont la paternité revient sans conteste au caméléon lui-même.
Cela ne change rien à la procédure d’ensemble, qui reste celle de nanwamu,
à ceci près que la relation établie par ce truchement le sera, dans l’optique
des forgerons, avec un caméléon et non avec un génie. Le culte rendu à un
autel de nanwamu de ce type est censé permettre la sollicitation du génie
(ou du caméléon), afin de l’inviter à apporter son aide au desservant rituel
dans toutes les démarches que ce dernier est susceptible d’entreprendre
dans un but précis, celui de s’enrichir.
Les nanwamu de métier correspondent quant à eux au cas où
l’association voulue par le génie tourne autour de la maîtrise d’une activité
spécialisée. Dans un tel cas, le génie se manifeste en faisant apparaître
devant les yeux de la personne choisie un instrument miniature, qui
peut être un outil mais parfois aussi un instrument de musique (un cas
particulièrement emblématique et récurrent est celui de l’apparition d’un
xylophone en modèle réduit). Cet outil ou instrument sera ensuite inséré
dans la structure d’un autel de nanwamu où il fera l’objet d’un culte
régulier. Plus précisément, le culte sera décerné au génie donateur (véritable
destinataire des prestations rituelles) par le truchement de l’objet offert en
brousse à l’origine. Le génie apportera alors son concours à l’intéressé,
sous la forme d’une inspiration qui fera exceller ce dernier dans le domaine
d’activité correspondant à l’objet remis. Ainsi, de nombreux récits à teneur
mythique visant à expliquer, au moins partiellement, les circonstances de
l’émergence du système de castes le font en relatant l’épisode d’une telle
rencontre qui prit place dans un passé lointain et qui justifia par la suite une
transmission à caractère héréditaire : l’autel de nanwamu (centré sur un

26.  Les cauris sont de petits coquillages marins ayant servi de monnaie pendant la période
précoloniale, avant la généralisation de l’usage de monnaies d’origine européenne.
27.  La découverte d’œufs de caméléon est communément considérée en Afrique de l’Ouest
comme la manifestation d’une forme de « chance » étroitement associée à la richesse (pour les
Bassar du Togo, voir Dugast 2013).
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 174-216 196

outil correspondant au métier concerné) ayant été légué par le bénéficiaire


à ses descendants qui ne faillirent jamais dans l’entretien de son culte, la
maîtrise de cette compétence se pérennisa au sein du groupe de filiation,
contribuant par là même à l’édification du système de castes.
Qu’il s’agisse des nanwamu de richesse ou des nanwamu de métier, on
comprend que l’on a affaire à une catégorie à certains égards intermédiaire
entre le don d’un objet-fétiche et la relation plus personnalisée qui se
met en place autour d’un nanwamu non spécialisé – quand le génie
décide de se lier plus étroitement à la personne en élargissant le spectre
de sa collaboration à laquelle il donne alors une dimension généralisée.
Par rapport au don d’un objet-fétiche, cette situation intermédiaire se
différencie en ce que le génie ne se retire pas une fois son don effectué,
mais reste actif aux côtés de la personne qu’il a élue. Par rapport aux cas
de relation plus personnalisée qui nous occuperont dans la suite de cette
étude, les nanwamu de richesse ou de métier ont ceci de spécifique qu’ils
restent centrés sur un domaine étroitement circonscrit (à l’instar du champ
de compétence d’un objet-fétiche particulier).

Les nanwamu non spécialisés :


la place prépondérante de l’image
Avec les nanwamu que, par opposition à ceux de métier ou ceux de richesse,
on peut qualifier de non spécialisés (en référence à leur domaine d’action qui
ne connaît alors pas de restriction), on aborde les cas où le génie à la base du
culte est dit s’investir davantage dans la relation qu’il a voulu instaurer avec
son partenaire humain. Cette généralisation de son domaine d’intervention est
en effet indissociable de ce degré d’investissement : se rendant plus disponible
et se montrant plus assidu, ce petit être de brousse est simultanément prêt à
apporter son aide dans un plus large spectre de situations.
Une autre caractéristique de ces nanwamu non spécialisés témoigne
de cette tonalité particulière : le fait que le culte instauré soit susceptible,
après une période de quelques années durant laquelle il reste inchangé, de
connaître une évolution soudaine, aboutissant à un nouveau resserrement
des liens entre les deux protagonistes. Cette brusque évolution, nous le
verrons, ne sera en outre pas sans conséquence sur le dispositif figuratif en
place, surtout dans l’un des deux cas concernés (celui de la divination, dont
nous traiterons dans la deuxième partie de cet article).
Cette vaste catégorie de nanwamu présente une autre particularité
notable. Elle coïncide presque en totalité avec les cas où la relation
s’inaugure sous la forme singulière dont il a été question en introduction :
pour tous ces cas, à l’exception d’un seul (nous y reviendrons en détail par
la suite), la manifestation du génie prend la forme non d’un objet matériel,
à introduire physiquement au village, mais d’une image mentale qui
197 STÉPHAN DUGAST
APPARITIONS ET FIGURATIONS DE L’INVISIBLE CHEZ LES BWABA DU BURKINA FASO
I. DE L’OBJET-FÉTICHE AU MASQUE

parvient au destinataire élu et l’envahit jusqu’à l’obsession. On se souvient


que c’est sur la base de cette image, qui devra ensuite être reproduite au
moyen d’un acte de figuration, que se réalisera, dans cette série de cas, le
procès d’introduction au village de ce qui s’est révélé en brousse.
Contrairement peut-être à ce qu’on serait porté à croire compte
tenu de son caractère insolite, ce cas de l’image est, toutes catégories
confondues, considéré comme le plus fréquent et, partant, le plus courant,
le plus représentatif du phénomène de la rencontre en brousse et de sa
conséquence en termes d’introduction au village de quelque chose « offert »
par la brousse. C’est en tout cas, pour les Bwaba, le modèle de référence
en matière d’instauration d’un culte de nanwamu par lequel s’opère un
tel transfert de l’espace de brousse à celui du village. Le propre de tels
nanwamu d’image par rapport aux autres est qu’ils infligent à l’intéressé
une forme d’intériorisation de ce qui provient du génie (l’image émise),
intériorisation qui ira s’amplifiant jusqu’à produire un effet de saturation
dont la seule issue est la réalisation d’une expression plastique de cette
image28. Cette nécessaire libération, qui est déjà le signe que le sujet a
subi une emprise plus totale de la part du génie, n’est pourtant en partie
qu’illusoire : l’acte de figuration – la constitution de l’autel – n’aura que
déporté sur un objet de médiation la pression qui pesait sur la personne.
Celle-ci restera à jamais liée au génie qui l’a élue, et le culte qu’elle lui
rendra sera une extériorisation d’une relation d’abord intensément subie
de façon intériorisée29.
Pour autant, cette forme d’intériorisation et l’opération de figuration qui
permet d’en résorber finalement la pression ne portent généralement pas
sur l’image du génie lui-même telle qu’on la dit apparaître dans certaines
circonstances. À de très rares exceptions près, ces êtres de l’invisible – mais

28.  L’idée d’un acte de figuration qui libère le sujet d’une image envahissante voire oppressante
est évidemment une idée assez commune, dont on trouve des expressions dans tous les univers
culturels. Chez nous, certains romanciers ont su rendre la tension caractéristique de ce type
d’expérience dont l’exutoire est un acte de figuration. On pense à ce passage de Mademoiselle
de Maupin, roman de Théophile Gautier :
« Ce que j’adore le plus entre toutes les choses du monde, — c’est une belle main. — Si tu
voyais la sienne ! quelle perfection ! […] — La pensée de cette main me rend fou, et fait frémir
et brûler mes lèvres. — Je ferme les yeux pour ne plus la voir ; mais du bout de ses doigts délicats
elle me prend et m’ouvre les paupières, fait passer devant moi mille visions d’ivoire et de neige.
Ah ! sans doute, c’est la griffe de Satan qui s’est gantée de cette peau de satin ; — c’est quelque
démon railleur qui se joue de moi ; — il y a ici du sortilège. — C’est trop monstrueusement
impossible.
Cette main… Je m’en vais partir en Italie voir les tableaux des grands maîtres, étudier,
comparer, dessiner, devenir un peintre enfin, pour la pouvoir rendre comme elle est, comme
je la vois, comme je la sens ; ce sera peut-être un moyen de me débarrasser de cette espèce
d’obsession. »
29.  On comprend qu’un tel schéma corresponde à une plus grande implication du génie dans
la relation, plus grande que dans le cas des autres nanwamu et, à plus forte raison encore, plus
grande que dans le cas des objets-fétiches.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 174-216 198

d’un invisible relatif, on l’a vu – se gardent, à ces occasions, de se révéler


tels qu’ils sont (plus précisément, sous l’apparence qu’on s’accorde à leur
reconnaître) : les images dont ils se font les émetteurs sont plutôt puisées
dans le monde animal, et c’est, en général, derrière ces images qu’à la fois ils
se révèlent et se dissimulent30. Par conséquent, jusqu’à ce stade en tout cas,
le degré d’intimité que cette procédure d’intériorisation de l’image confère
à la relation n’est que relatif : l’image intériorisée puis figurée est celle d’un
emblème choisi par l’entité à l’origine de la révélation, non celle de l’entité
elle-même. Une certaine distance est donc maintenue. Nous verrons qu’avec
l’évolution du culte dans certains cas (ceux de l’initiation à la divination,
présentés dans la deuxième partie de cette étude), cette configuration
change puisque la représentation de l’emblème s’efface alors au profit
d’une figuration de l’entité elle-même (toutefois sous certaines formes
conventionnelles) : la distance initiale fait alors place à une forme de fusion.
Mais ce schéma de l’image puisée dans le registre animal, que les
Bwaba ont tendance à présenter comme étant le plus courant de ces
nanwamu généralisés, connaît une exception : les nanwamu de masques.
Tout en se rangeant sans ambiguïté dans la catégorie des nanwamu non
spécialisés, dont les principales caractéristiques viennent d’être exposées,
les nanwamu de masque présentent certaines spécificités. L’une d’elles,
nous y reviendrons, est précisément que, à côté du schéma de référence où
la manifestation à l’origine du processus est celle d’une image, on admet
l’existence, pour les nanwamu de masques, de situations où la révélation
se fait sous la forme d’un objet à la matérialité attestée : ce sera un masque
miniature déposé à même le sol31. Une autre particularité des nanwamu de
masques est que, dans la situation la plus courante – celle correspondant au
schéma du génie émetteur d’une image –, cette image est alors clairement
caractérisée comme celle d’un masque : le registre habituel, emprunté au
monde animal, n’a pas cours ici. Elle est en outre celle d’un masque en train
de danser. À cette spécificité du mouvement qui anime l’image s’ajoute une
dimension sonore : le découvreur entend une musique, celle précisément
qui accompagne les danses caractéristiques de cette catégorie de masques32.

30.  Cette question de l’étroite articulation entre l’occultation et la révélation a fait l’objet d’une
autre publication (Dugast 2015).
31.  C’est alors l’introduction physique de cet objet dans l’enceinte du village qui lancera le
processus d’insertion dans l’espace habité, ouvrant la voie à l’inauguration du culte proprement dit.
32.  C’est donc toute une atmosphère qui envahit l’esprit de la personne. On raconte d’ailleurs
que, dans la période d’intensification de la pression de la part du génie, l’intéressé est subitement
pris du besoin irrépressible de retourner sur les lieux de brousse où il s’est trouvé au contact
de la scène et que cette soudaine pulsion se manifeste d’abord par la perception des sons de la
musique du masque. On dit même que, pour mieux démontrer la force de son emprise, le génie
choisit de préférence les moments où la personne se trouve en plein cabaret pour, dans ces lieux
saturés sur le plan sonore (outre les conversations bruyantes, se fait entendre la musique des
xylophones, dont les vendeuses de bière de sorgho louent les services afin d’attirer davantage de
199 STÉPHAN DUGAST
APPARITIONS ET FIGURATIONS DE L’INVISIBLE CHEZ LES BWABA DU BURKINA FASO
I. DE L’OBJET-FÉTICHE AU MASQUE

Pour commenter une telle vision en des termes qu’ils veulent précis,
les Bwaba disent que le masque apparu n’est en aucune façon une
représentation de l’être de brousse à l’origine de la relation, comme on
l’entend parfois dire en d’autres sociétés33. D’emblée, ici, le masque est
un objet à part entière : celui par lequel le génie a choisi de se lier à la
personne, sans que ce qu’il figure ne renvoie d’une quelconque manière
à l’apparence du génie lui-même. Même quand le masque procède d’une
image qui envahit l’esprit du partenaire humain de la relation, celle-ci est
clairement identifiée comme celle d’un objet de type masque et non comme
celle de l’entité responsable de la vision : c’est la projection, en image,
d’un masque. On dit même, pour les cas où ce qui apparaît à la personne
élue n’est pas l’objet déposé mais la vision d’un petit masque en train de
danser, que cette apparition est celle du génie lui-même, certes, mais du
génie masqué, porteur de son masque34 et même entièrement recouvert par
lui. S’il est lui-même totalement occulté à la vue car dissimulé entièrement
sous l’objet masque, le génie est dit présent ; il est très explicitement perçu

clients), lui faire entendre sa musique spécifique, dont le charme opère aussitôt. Irrésistiblement
attiré, le sujet se lève pour, abandonnant ses compagnons de beuverie, retourner au plus vite au
lieu habituel de sa vision afin d’y revivre l’expérience qui aura sur lui un effet apaisant. Pour le
reste, la suite de la procédure suivra le schéma classique de l’introduction au village au moyen de
la figuration d’une copie de l’image vue en brousse – qui en l’occurrence sera celle du masque –
après la révélation apportée par la consultation du devin.
33.  Les déclarations selon lesquelles les masques représentent non pas les génies mais
l’appareillage derrière lequel ils se sont dissimulés pour apparaître aux humains semblent plutôt
rares. On en trouve une occurrence intéressante chez les Bedik du Sénégal oriental, qui, tout en
partageant ce principe général avec l’exemple des masques hombo des Bwaba, en diffère sur un
point significatif. À la différence de ces derniers, qui ne sont liés à aucun culte « à mystère » et
qui ignorent donc les complexes procédures d’exclusion entre initiés et non-initiés, les masques
des Bedik sont indissociables d’un tel dispositif. Pour la majeure partie de la population, par
conséquent, les apparitions des masques sont censées correspondre à une visite réelle des esprits
qu’ils incarnent. Mais, et c’est là où une similitude essentielle se dessine avec l’exemple bwa,
le discours officiel soutient que lors de ces visites, les êtres de brousse (il s’agit, chez les Bedik
aussi, de génies de brousse) apparaissent non tels qu’ils sont mais dissimulés sous des masques.
Aux premières récoltes, certains masques cessent d’apparaître durant six mois. Alors, « les
fragiles costumes végétaux restent accrochés à des branches d’arbres aux abords du village
pour que les femmes, en les apercevant pendant les mois qui suivent, se souviennent de leur
visite. Ces dépouilles […] sont seulement le costume périssable qu’ont revêtu les génies cette
année-là pour rendre visite et se rendre visibles aux humains » (Smith 1984 : 16). L’institution
initiatique s’efforce donc de forger dans l’esprit des non-initiés l’idée que les masques, dans
leur matérialité, sont des artifices mis en place par les génies afin d’apparaître aux non-humains.
Incidemment, on remarque que ces dépouilles, « poétiquement abandonnées » sur des branches
d’arbres, ne sont pas sans évoquer la scène gourmantché signalée en début de cet article : le filet-
sac de tout poli, qui le rend invisible chaque fois qu’il s’y introduit, et qui est parfois, au plus
profond de la brousse, suspendu à un arbuste le temps d’une baignade, rendant son occupant
vulnérable car potentiellement exposé à la vue d’un éventuel intrus, inverse jusqu’à un certain
point ces dépouilles accrochées aux arbres bordant le village pour rappeler aux femmes que leurs
occupants invisibles qui s’en étaient servis pour se rendre visibles sont retournés à la brousse
dont ils sont les occupants attitrés.
34.  Parmi les parallèles identifiables entre société des génies et société humaine, Jean Capron
signale que les génies « possèdent leurs propres masques » (1978 : 59, n. 9). Le transfert de
ceux-ci aux humains ne constituerait ainsi qu’un cas particulier du flux qui, dans des domaines
variés, alimente la société des humains en biens culturels cédés par les génies.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 174-216 200

comme l’entité vivante qui anime d’un mouvement un objet autrement


conçu comme parfaitement inerte. Le masque en lui-même n’est que le
produit de la fabrication du génie qui en est l’auteur, et c’est cette œuvre du
génie que le sculpteur humain sera invité à reproduire. Mais c’est une œuvre
conçue pour être portée et dansée lors des manifestations appropriées,
impliquant production de musique et de chants, et non un objet qui serait
en lui-même sa propre fin.
Par conséquent, en dépit de ces spécificités, le cas d’un nanwamu de
masque rejoint celui des nanwamu d’image (classe de nanwamu dont il
est par ailleurs très proche dans la catégorisation opérée par les Bwaba) :
pour l’un comme pour l’autre, ce qu’aperçoit l’intéressé n’est jamais
l’entité elle-même, mais une image derrière laquelle à la fois le génie se
révèle et se dissimule ; une image qui est choisie comme emblème et qui
fera office d’élément de médiation, destiné à occuper une place centrale
dans l’autel à édifier. Au demeurant, le principe est le même que celui en
vigueur pour tous les cas de nanwamu que nous avons passés en revue
jusqu’ici : même pour les nanwamu de richesse ou ceux de métier, l’objet
révélé n’est jamais qu’un terme assurant la médiation entre le génie et
son partenaire humain ; en aucune façon il n’est considéré comme une
représentation de l’entité surnaturelle à qui le culte est décerné. Ainsi que
le montrent très explicitement ces deux exemples, l’objet introduit au cœur
de l’autel renvoie sans ambiguïté au contenu de la relation instaurée entre
les protagonistes invisible et humain. C’est cette relation que figure l’objet,
non l’entité qui s’en trouve à l’origine. Et il en est de même du cas des
nanwamu d’image où l’objet placé au centre de l’autel est en même temps
la pièce maîtresse de l’opération de figuration : en particulier, dans le cas
des masques, la présence d’un tel objet indique aussi que la relation voulue
par le génie doit être faite de danses, de musique et de réjouissances (ce
que laissaient d’ailleurs déjà présager les manifestations initiales du génie,
avant l’instauration du culte).
Si les deux types de nanwamu d’image (masque et forme animale
ordinaire) se révèlent donc extrêmement proches dans les principes qui les
sous-tendent, les Bwaba ne laissent aucune place à la confusion entre l’un et
l’autre. Les masques que nous considérons ici (ceux de la catégorie hombo)35

35.  Formellement constitués d’un costume de fibres non teintes surmonté d’une tête en bois
(voir photo 7), les masques hombo sont considérés comme ayant été apportés par les forgerons
sous le contrôle desquels ils sont restés dans leur majorité. Par rapport aux masques plus connus
(et particulièrement appréciés des collectionneurs d’art africain) de la région bwa du Kademu
(partie située au sud-est du pays bwa, dont les localités principales sont les villages de Boni et
de Dossi), eux aussi masques de fibres à tête en bois (mais dont les fibres sont teintes, certaines
de couleurs très vives), les masques hombo se caractérisent par un nombre plus limité de formes
et, partant, par des effectifs nettement plus réduits lors de leurs exhibitions. Ils s’inscrivent en
outre dans le cadre d’un culte strictement individuel d’abord, familial ensuite (après héritage du
culte originel, à la suite du décès de son détenteur initial) et sont totalement indépendants (ce
201 STÉPHAN DUGAST
APPARITIONS ET FIGURATIONS DE L’INVISIBLE CHEZ LES BWABA DU BURKINA FASO
I. DE L’OBJET-FÉTICHE AU MASQUE

peuvent présenter des formes diverses. Parmi elles, certaines correspondent


à des figures animales : principalement les masques antilopes, ou buffles. Or,
quand le génie a choisi l’un de ces masques pour se révéler à la personne dont
il sollicite l’alliance, l’image qu’il émet se distingue sans erreur possible de
celle du cas où il aurait choisi de se montrer à travers l’image d’un animal de
la même espèce, mais cette fois hors du contexte des masques (ainsi que c’est
le cas pour la presque totalité des nanwamu d’image ordinaires). Si, dans ce
dernier cas, la personne aura l’illusion de voir un animal en chair et en os36,
dans le cas du masque, aucune équivoque ne plane sur le fait qu’il s’agit
seulement d’un artefact. Au-delà du fait que c’est seulement dans le second
cas que le sujet entend de la musique et reconnaît dans les mouvements
de l’apparition ceux d’une danse (se démarquant donc significativement
des mouvements naturels de l’espèce animale correspondante), la figure
animale aperçue se présente clairement sous les traits d’un masque : corps
couvert de fibres, personnage se tenant debout (en position bipède, donc),
masque lui-même (la tête en bois) ayant toute l’apparence d’une pièce
sculptée, aucun doute n’est possible sur sa nature d’objet fabriqué. Pour
dissiper toute ambiguïté, les commentateurs déclarent que ce que l’on voit
n’est pas la gueule d’un animal, mais bien une sculpture. Celle-ci est dite
être l’œuvre du génie, qui livre ainsi le produit de son activité créatrice : si
elle est bien souvent inspirée du monde animal, elle demeure par-dessus
tout une œuvre de création. C’est cette image stylisée que le génie exige
de voir reproduite dans l’autel de nanwamu dont il impose l’édification à
son élu, image stylisée assortie en outre des accessoires habituels de tout
masque (son costume de fibres, en particulier). Par conséquent, on ne se
trouve pas dans la configuration classique (courante en d’autres sociétés)
de l’apparition, toujours enveloppée de mystère, d’un être étrange dont
l’apparence a tout de celle d’un animal réel, et que les humains figureraient
sous la forme d’un masque afin de commémorer cette rencontre insolite.
On a affaire à une situation où c’est d’emblée le génie qui, parce que c’est à
travers un masque qu’il a décidé de se lier à un habitant du village, choisit
de « mettre en masque » une figure qui peut parfois être une figure animale
(mais qui ne l’est pas toujours) et qui demande, dans un second temps, à son
partenaire humain de reproduire à son tour cette œuvre de figuration dont il
est le concepteur originel.

qui est assez rare en Afrique pour mériter d’être signalé) de tout dispositif initiatique. Ce trait les
distingue des masques du Kademu proche, lesquels sont notoirement le résultat d’un emprunt
auprès des voisins orientaux des Bwaba (ils sont dits provenir des Nuna et des Winye). Bien
plus diversifiés dans leurs formes – comme le sont les masques de ces groupes voisins –, les
masques du Kademu présentent du coup un grand nombre de spécimens qui se réfèrent à une
espèce animale.
36.  Au point, quand il s’agit d’un chasseur, d’avoir le réflexe de vouloir l’abattre.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 174-216 202

En résumé, tous les nanwamu d’image, qu’ils soient de masque ou non,


se révèlent à travers une image qui n’est jamais une représentation, même
approximative, de l’être à l’origine de la révélation. Elle n’est que l’emblème
choisi par cet être de brousse pour se lier à la personne élue. Ce principe
une fois admis, deux voies s’offrent au génie, dès le stade de la rencontre
en brousse, dans son projet de se lier à la personne de son choix : il peut
dès ce moment opter soit pour la voie des masques, soit pour celle d’un
culte considéré comme plus commun (l’archétype des cultes de nanwamu
du point de vue des Bwaba, mais dont l’évolution soudaine, lorsqu’elle se
produit, conduit toujours à l’initiation à la pratique de la divination). De
l’une à l’autre, la nature de l’image émise diffère radicalement : elle porte
d’emblée la marque du choix de la voie dans laquelle le génie a choisi
d’engager la relation qu’il souhaite établir avec son partenaire humain37.

Les nanwamu de masque : particularités


La principale particularité des nanwamu de masque par rapport à tous les
autres est qu’ils sont, au moins théoriquement (nous verrons sous peu qu’il
existe certaines exceptions dans la pratique), voués, à terme, à se réaliser
sous forme de manifestations dansées, de la part des humains à qui échoit la
responsabilité du culte. En un sens, ils se font ainsi l’expression élargie de
cette même propension à danser qui trouvait à s’exprimer dès l’épisode de la
rencontre en brousse avec, dans la plupart des cas, une vision qui était celle
d’un masque en mouvement (danse assortie en outre de toute la dimension
sonore, musicale, qui accompagne une telle apparition). Ce rapport à la
danse, les Bwaba en font une transposition sur le plan rituel en affirmant que
la particularité des nanwamu de masque est qu’ils impliquent la présence
du Do : « Dans le cas du hombo [i.e. lorsque la rencontre en brousse, puis
le culte à honorer, sont placés sous le signe des masques], il faut savoir que
le nanwamu ne s’assoit pas tout seul. En particulier, il y a le Do qui suit. »
Le Do est un ensemble de croyances et de pratiques qui imprègne la société
bwa38 et dont la manifestation la plus immédiate prend corps à travers une
société des masques (voir Capron 1957). En l’occurrence, ceux-ci sont
fondamentalement des masques de feuilles : ces masques sont considérés
comme les plus anciens que connaissent les Bwaba, et par conséquent
comme correspondant à un substrat culturel authentiquement bwa39. Le
propre des masques de feuilles est de reposer exclusivement sur le culte

37.  Dans la suite de cette première partie, seul le cas des masques sera traité ; celui de la divination,
plus complexe, car engageant des procédures bien plus élaborées, sera réservé à la seconde partie.
38.  Et au-delà : il occupe également une place centrale dans la culture des Bobo voisins (voir
Le Moal 1980).
39.  À la différence des masques de fibres et de bois, généralement étroitement localisés là où ils
existent, et parfois le résultat d’emprunts auprès de groupes limitrophes, les masques de feuilles
sont omniprésents sur toute l’étendue du pays bwa.
203 STÉPHAN DUGAST
APPARITIONS ET FIGURATIONS DE L’INVISIBLE CHEZ LES BWABA DU BURKINA FASO
I. DE L’OBJET-FÉTICHE AU MASQUE

de Do : aucun autel de nanwamu ne leur est associé, signe qu’ils ne sont la
révélation d’aucun génie en particulier au culte duquel ils seraient associés.
Les masques hombo ont donc la particularité de combiner l’emprise du Do,
commune à tous les masques, et l’intervention d’un génie sous la forme de
l’installation d’un autel de nanwamu, à l’instar des multiples autres formes
de sollicitation des génies demandeurs de culte.
En réalité, il semble que ces influences croisées ne se situent l’une et
l’autre pas tout à fait sur le même plan. Dans l’expression des informateurs
rapportée ci-dessus, on perçoit déjà que l’une précède l’autre. Comme
pour tous les cas de rencontre en brousse à l’initiative d’un génie, c’est
d’abord le nanwamu qui « s’assoit ». Ensuite, dans ce cas spécifique des
nanwamu de masque, « il y a le Do qui suit ». Rappelons que, comme
l’autre voie pour laquelle peut opter le génie (celle de l’initiation à la
divination), celle des masques est susceptible de se décomposer en deux
révélations successives, distantes l’une de l’autre de quelques années :
après la phase initiale, regroupant l’apparition première et l’opération qui
l’a suivie de peu – l’introduction au village, dans le domicile de l’intéressé,
d’une représentation de ce qui a été révélé en brousse –, peut survenir une
deuxième phase marquée par l’exigence du génie de voir le culte qui lui
est rendu franchir un nouveau seuil. Dans le cas des nanwamu de masque,
cette évolution soudaine correspond au souhait, tout à coup exprimé par
le génie, de voir son masque « sortir parmi les gens ». Or, la « sortie des
masques » est précisément ce qui porte la marque du Do, toutes catégories
de masque confondues40 : tout ce qui est masque est dans son principe
voué à danser, et si danse il y a, c’est que le culte a partie liée avec le
Do41. Pour les masques hombo, on déclare que les exhibitions publiques
du masque associé à un autel de nanwamu doivent se plier aux contraintes
du calendrier fixé par le culte du Do. En particulier, avant de pouvoir faire
danser le masque, « il faut que le Do soit ouvert » ; inversement, une fois
« le Do fermé », il n’est plus possible d’envisager une sortie du masque42.
Cette mutation profonde de la relation n’est toutefois qu’une option :
même si elle est considérée comme constituant d’une certaine façon la
norme, et à ce titre la plus fréquente, elle ne s’impose pas dans absolument
tous les cas. Parfois, en effet, le nanwamu de masque est appelé à ne connaître

40.  À l’exception toutefois des masques d’origine étrangère, comme les masques de fibres du
Kademu, qui, eux, ne dépendent pas du Do.
41.  Pour cette raison, certains informateurs déclarent que l’entrée du culte rendu au génie dans
la deuxième phase du parcours propre aux masques correspond à une évolution sensible de son
statut, renvoyant au passage de l’état de nanwamu à celui de hombo do, ou do hombo, termes qui
indiquent que désormais le culte comprend un volet consacré aux exhibitions dansées.
42.  Les rites d’ouverture puis de fermeture du Do encadrent la temporalité spécifique du Do en
fixant la période de l’année (qui court sur plusieurs mois) durant laquelle les masques (quelle
que soit la catégorie à laquelle ils se rattachent) sont autorisés à sortir (voir, à ce sujet, Coquet
1994 : 303-307).
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 174-216 204

aucune évolution : il demeurera éternellement à son état initial, son culte ne


débordant aucunement le cadre de l’autel de nanwamu43. Deux types de
raison peuvent justifier une telle situation. Soit celle-ci procède de la volonté
du génie qui, dans sa démarche de se lier à une personne, ne souhaite pas
s’engager au-delà d’une relation confinée dans le cadre d’un simple culte de
nanwamu, c’est-à-dire à son stade initial44 Soit elle résulte de la présence d’un
interdit dans le lignage de l’intéressé (même dans ces affaires qui engagent
un rapport personnel avec une entité de brousse, dès lors qu’il est question de
l’introduire, sous quelque forme que ce soit, dans l’espace habité, il faut se
concilier l’accord des ancêtres) : certains lignages ont en effet pour interdit
le déploiement complet et abouti de tout nanwamu de masque, ce qui signifie
que la transition vers la seconde phase que recèle implicitement à peu près
tout culte de ce type est frappée d’interdit et ne peut se réaliser, impératif
auquel, semble-t-il, le génie est contraint de se soumettre en pareil cas45.
Selon que le culte est appelé ou non à connaître un jour cette mutation,
la matière en laquelle est, dès l’installation première, fabriquée la figurine
principale de l’autel de nanwamu peut différer de façon significative46.
Pour les cas où, dans un délai de quelques années, le masque exigera de
« sortir parmi les gens », cette évolution du culte est comme anticipée par
le fait que, au lieu d’être en argile à l’instar de presque tous les autels
de nanwamu (quand ils ne se limitent pas à des pendentifs en bronze), la
figurine est constituée d’un masque miniature à tête en bois sculpté et peint,
agrémenté d’un costume de fibres (voir photo 7). L’explication fournie
pour rendre compte de ces distinctions est que la réalisation d’une figurine
en bois et en fibres indique que le nanwamu a vocation à danser. Quand,
fait exceptionnel, un tel nanwamu a pour figurine un objet en argile, c’est
le signe que cette vocation sera contrariée pour l’une des deux raisons déjà
évoquées (soit par la volonté du génie lui-même, soit par la tradition de la
famille où il s’est fait introduire). Par conséquent, le matériau dans lequel
la figurine est fabriquée porte en lui-même une indication sur le destin
du culte correspondant. Comme le disent les Bwaba, l’argile ne peut pas

43.  De cette catégorie de nanwamu de masque hombo qui ne connaissent pas l’évolution usuelle,
les Bwaba disent que ce sont des nanwamu qui « ne veulent pas qu’on les sorte ; ils demandent
qu’on leur fasse leurs cérémonies dans la maison seulement. »
44.  Cette attitude de réserve est, relativement parlant, homologue de celle en vigueur dans le cas
du don d’un objet-fétiche, par rapport à tous les cas de nanwamu considérés en bloc.
45.  Nous verrons qu’une situation similaire existe dans le cas de l’initiation à la divination (qui,
dans l’autre voie pour laquelle peut opter un génie pour cette catégorie de nanwamu, constitue
la transition correspondante, voir deuxième partie de cet article), avec, dans certains lignages,
l’existence d’un interdit sur l’évolution du culte vers une telle initiation.
46.  C’est le devin consulté à l’occasion de la constitution de l’autel qui fournira toutes
les indications nécessaires. La matière retenue comme appropriée est ainsi le résultat d’un
compromis entre les aspirations du génie et les contraintes éventuellement attachées aux
traditions du lignage concerné.
205 STÉPHAN DUGAST
APPARITIONS ET FIGURATIONS DE L’INVISIBLE CHEZ LES BWABA DU BURKINA FASO
I. DE L’OBJET-FÉTICHE AU MASQUE

danser. En revanche, le bois et les fibres sont tout à fait adaptés à une telle
éventualité : quand la figurine est produite à l’aide de ces matériaux, c’est
que celle-ci porte déjà en germe son devenir de figure dansée.

Ph. 7 : Nanwamu de


masque hombo figurant
le masque que portait le
génie lors de la vision en
brousse dont a été sujet
le détenteur du culte.

Entre la figurine de l’autel et le masque de grand format appelé à voir le


jour dans un délai de quelques années, la concordance ne se limite pas à
la nature des matériaux. Il faut en outre une stricte correspondance quant
aux essences : le bois qui a servi à la confection de ce masque miniature,
en particulier, doit être exactement de la même essence que celle du bois
dans lequel sera sculpté le grand masque de danse (une consultation de
devin détermine le choix à faire en la matière47). On peut donc comprendre
que, jusqu’à un certain point tout au moins, entre le masque miniature de
l’autel de nanwamu et son double de grand format destiné à danser, la
relation s’apparente à celle qui unit un objet-fétiche et son clone prélevé
pour transmettre tout ou partie de ses pouvoirs à un acquéreur extérieur :
dans un cas comme dans l’autre, les deux individus sont liés par une même
matière constitutive.

47.  Les espèces les plus couramment impliquées sont (dans le parler de la région de Houndé), par
ordre de fréquence décroissant, le honhun (Afzelia africana), le yÆnhun (Pterocarpus erinaceus)
ou le donkoro (Bombax costatum).
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 174-216 206

Comme pour tempérer cette lecture, les Bwaba mentionnent une autre
contrainte qui pèse en faveur du choix des matériaux bois et fibres plutôt
qu’argile pour tous les cas où le culte est appelé à connaître l’évolution
qui le conduira à faire une place à son double tenu de produire les
exhibitions dansées requises. Lorsque le culte entre dans cette phase de
mutation, soulignent-ils, le responsable peut être amené à faire sortir la
figurine centrale de son autel (le masque miniature) afin que la prestation
du danseur masqué soit placée sous la protection du nanwamu. Parfois, on
se contente d’exposer cette figurine juste devant la porte de la chambre où
l’autel a été édifié, mais d’autres fois, on s’autorise à la transporter aussi
loin que nécessaire pour faire face à toutes les situations où le masque
et sa danse ont été réclamés dans un quartier ou même un village autre
que celui de son détenteur. Dans tous ces cas, la figurine est déposée à
même le sol, au pied du responsable du culte qui reste immobile dans son
rôle de superviseur de la manifestation. Nous reviendrons sur les raisons
d’une telle exhibition, lesquelles sont multiples et méritent qu’on s’y
arrête, car elles sont très instructives sur la nature d’un culte de masque
chez les Bwaba. Mais auparavant, il nous faut exposer les circonstances
dans lesquelles, pour la plupart des nanwamu de masque, se manifeste la
soudaine nécessité de faire évoluer le culte.

La soudaine évolution du culte : l’exigence de sortie du masque


Après plusieurs années de pratiques cultuelles limitées au strict appareil
de l’autel de nanwamu, vient donc le moment où, assez soudainement,
le génie fait connaître son souhait de ne plus voir son culte cantonné
aux limites de cette forme initiale : il réclame que son partenaire humain
passe à la phase suivante, qui consiste à faire sortir publiquement un
masque de grand format qu’un porteur humain fera danser devant tous.
Divers procédés sont mentionnés, par lesquels le génie fait connaître cette
nouvelle intention. Tous prennent la forme d’une crise, qui fait écho à celle
qu’a constituée la rencontre initiale en brousse. L’un des plus simples est le
rejet systématique, par le nanwamu, de toute nouvelle offrande sacrificielle
qui lui serait proposée dans le cadre de son culte48. Nous verrons que le
même procédé est évoqué en ce qui concerne l’autre voie (celle de la

48.  Comme dans de nombreuses populations de cette partie de l’Afrique, tout sacrifice est assorti
de signes envoyés par l’entité destinataire qui indique ainsi si elle agrée ou non l’opération. Dans
certains cas, la lecture du signe se fait par la position qu’adopte le volatile immolé (en général
un poulet) au terme de son agonie (il est lâché aussitôt après son égorgement) : s’il retombe sur
le dos, le signe est favorable ; dans le cas contraire, il faudra recommencer avec une nouvelle
victime (car, a minima, on considère que c’est la victime seule, et non l’opération entière, qui a
été refusée) ; si le refus se répète, il faut envisager de consulter un devin afin de connaître l’objet
du mécontentement, alors manifeste, de l’entité. Dans d’autres cas, on procède à l’ouverture de
l’abdomen du volatile afin d’en extraire un organe qui, lorsqu’il est blanc, signifie l’acceptation
de l’entité destinataire et, lorsqu’il est noir, son refus.
207 STÉPHAN DUGAST
APPARITIONS ET FIGURATIONS DE L’INVISIBLE CHEZ LES BWABA DU BURKINA FASO
I. DE L’OBJET-FÉTICHE AU MASQUE

divination), où il est alors dominant. Pour les masques, tel n’est pas le cas :
ce sont plutôt des troubles affectant l’intéressé qui feront office de signes.
En particulier, comme un prolongement très explicite des manifestations
ayant accompagné l’épisode de la révélation en brousse, on signale que
le sujet devient de plus en plus fréquemment la proie d’hallucinations
au cours desquelles il « entend des balafons [xylophones, instruments
soutenant la danse des masques] taper dans sa tête ». Après consultation
de plusieurs devins (par souci de recoupements), la sentence est établie :
il faut satisfaire aux nouvelles exigences du génie et faire entrer le culte
dans une seconde phase, plus aboutie, par laquelle notamment une certaine
publicité lui sera donnée parmi les humains.
Le parallèle avec la première crise qui avait été à l’origine de
l’instauration du culte est manifeste : un même effet de saturation se laisse
percevoir, prélude à une forme d’expression plastique (au sens très large)
en rapport direct avec la formule choisie, dès l’origine, par le génie pour
se lier à un protagoniste humain. À cette différence près que, cette fois,
ce n’est plus l’entreprise de figuration en tant que telle qui est au centre
du processus, mais une de ses variantes, sous la forme de l’expression
chorégraphique et musicale : le détenteur du culte est sujet à des sensations
de plus en plus envahissantes culminant dans une tension dont il ne peut se
libérer qu’en leur donnant une expression dans le champ du visible.
Déjà, la rencontre des premiers temps entre le génie et son partenaire
humain ne se limitait pas, dans la plupart des cas, à la dimension visuelle
– l’apparition d’une image insolite, ici celle du masque. Lui étaient
associés des sons (la musique accompagnant la danse du masque) et
une gestuelle (la danse elle-même). Un registre de sensations plus vaste
que pour les autres types de nanwamu était donc mobilisé, à la fois
plus complet sur le plan visuel (avec l’adjonction de toute la dimension
chorégraphique) et se déployant en outre sur un nouveau plan, le plan
sonore (avec la musique).
Pourtant, quand l’autel a été mis sur pied, ces dimensions
supplémentaires n’ont pas trouvé à s’exprimer : la simple reproduction
de l’apparition surgie en brousse, limitée à la confection d’une figurine,
était impuissante à les restituer. Dès lors, elles sont demeurées en quelque
sorte en réserve, on pourrait dire en réserve de représentation, jusqu’à ce
que l’évolution du culte, avec la sortie réclamée d’un vrai masque, d’un
format adapté au gabarit humain (réplique en plus grand de la figurine
installée dans l’autel, voir photo 8), leur offre enfin une expression. Avec
cette nouvelle phase, il y a donc d’abord un épanouissement de formes
d’expression jusque-là bridées.
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 174-216 208

Ph. 8 : Masque hombo


de grand format destiné à
« sortir parmi les gens ».

Pour le reste, la « sortie » du masque reproduit et prolonge, dans une


certaine mesure, l’opération imposée quelques années plus tôt au moment de
l’instauration du culte. Dans une certaine mesure seulement, car il ne s’agit
plus, par cet acte de figuration, d’insérer au sein de la demeure du protagoniste
humain une représentation d’une scène perçue en brousse, mais d’extraire
cette représentation de cet espace confiné de l’habitation pour l’exhiber au-
dehors, devant toute la communauté des humains. Cette fabrication du masque
de grand format est une opération hautement ritualisée qui sera confiée aux
forgerons. Bien qu’on ait affaire à une phase avancée de l’évolution du culte,
où le rapport à la brousse semble s’être distendu, le génie n’est pas absent. Sa
présence paraît même prendre une intensité nouvelle. De la même manière
qu’il inspire les humains dans le cas des nanwamu de métier, il imprimera
sa marque, voire son style, dans l’œuvre du sculpteur du masque, à qui il
apportera là aussi le souffle de son inspiration. Il ne faut pas perdre de vue
que, dans l’esprit des Bwaba, le masque n’est en rien une représentation d’un
être de brousse, mais le pur produit de l’élan créateur de celui-ci. Et c’est
cet élan créateur qu’il faut reproduire, pas une image qui serait le reflet de
l’apparence de son instigateur. Pour réaliser son œuvre, le génie a lui-même
été inspiré, et c’est cette inspiration qu’il va s’attacher à insuffler à son tour
au forgeron en charge de la fabrication du masque de danse de grand format.
Autre facette de cette nouvelle expression du culte, les exigences
supplémentaires du génie ont pour effet de parfaire l’imitation de
l’apparition première surgie en brousse, tout en la portant, ainsi complétée,
au-devant d’un plus large public au sein des humains. Les génies eux-
mêmes ne sont d’ailleurs pas absents : on dit qu’ils viennent eux aussi
nombreux se réjouir de la prestation des humains, dont la réussite et l’éclat
font la fierté du génie à l’origine de la relation, face à ses congénères.
209 STÉPHAN DUGAST
APPARITIONS ET FIGURATIONS DE L’INVISIBLE CHEZ LES BWABA DU BURKINA FASO
I. DE L’OBJET-FÉTICHE AU MASQUE

Parfaire l’imitation de l’image première perçue en brousse  : pas seulement


pour le public, mis en présence d’une expression particulièrement aboutie de
ce qui était au départ une vision limitée à un seul destinataire, puis confinée
à un espace clos – la chambre de ce dernier. Pour les détenteurs du culte,
et notamment pour chacun des danseurs qui se succèdent (il s’agit, pour
la plupart, de membres de la famille du découvreur), l’objectif est certes
que l’apparition initiale soit mieux rendue, et plus largement partagée. Mais
chacun pour son compte est aussi engagé à titre personnel : il lui faut se couler
dans les gestes mêmes du génie, et il n’est pas un porteur du masque qui n’y
mette le meilleur de lui-même. Assez paradoxalement, le fait d’appréhender
le masque, non pas comme une figure censée représenter l’entité au centre
du culte, mais comme un masque véritable, qui aurait été produit et porté, en
tant que tel précisément, par cette entité, conduit chacun des danseurs – mais
les spectateurs tout autant –, à ressentir le port du masque, avec sa gestuelle
propre, comme une forme de mimétisme beaucoup plus poussée que s’il
s’agissait de donner l’illusion d’animer un objet qui se voudrait l’image
de l’entité elle-même : la question de la ressemblance entre le masque et
l’entité est évacuée au profit d’une similitude de comportement bien plus
évocatrice. Du point de vue du génie aussi, la différence est d’importance :
cet être de brousse n’exige pas d’être honoré pour lui-même, mais à travers
ce que son élan créateur a produit ; surtout, il tient à l’être en tant qu’entité
se dissimulant derrière un masque (qui est aussi un substitut du voile qui
soustrait tout génie à la perception des humains) par lequel son existence
est certifiée, en même temps que son apparence réelle est dérobée à la vue.
Figurer une entité de l’invisible, cet exemple le confirme, constitue donc
moins une tentative de reproduire ses traits supposés qu’un effort pour
faire accéder au visible, en y prenant part soi-même, une caractéristique
(qui n’est pas nécessairement d’ordre visuel, circonscrite à l’apparence)
jugée essentielle. Essentielle parce qu’elle est particulièrement évocatrice
non pas tant de l’entité elle-même (car, rappelons-le, le large éventail des
exemples présentés ici se rapportent tous à la même catégorie d’entités
– les génies de brousse – sans pour autant se conformer, loin s’en faut, au
même modèle de figurine), que du type de relation que ladite entité a voulu
instaurer avec son partenaire humain. En ce sens, les nanwamu de métier
forment une variante intéressante de ceux de masque : les gestes accomplis
au quotidien par un travailleur spécialisé dans le domaine choisi pour lui
par le génie auquel il s’est trouvé lié sont, dans une certaine mesure, un
hommage quotidiennement réitéré à cette relation privilégiée, comparable
à l’hommage cérémoniel que constitue, pour un nanwamu de masque, le
jour de la sortie du masque, la prestation des danseurs masqués.
Revenons sur le travail de sculpture du grand masque. Dans cette société
divisée en corps spécialisés, le simple fait de confier la fabrication du
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 174-216 210

masque à l’un de ces corps – celui des forgerons – est déjà une démarche
hautement ritualisée. Le paiement dû à ces artisans sera ainsi soumis à
des scansions rituelles appuyées. Le jour précis de la « sortie » du masque
est un jour solennellement inscrit dans tout un protocole. Des parents
sont invités en grand nombre (les lohini, femmes nées dans le lignage
organisateur et mariées à l’extérieur – la société bwa pratique une forme
de mariage patrilocal – seront en particulier convoquées, leur présence en
nombre attestant le caractère festif et surtout grandiose de l’événement).
Une organisation complexe se met en place, une effervescence gagne les
participants : les festivités doivent être une réussite.
Fabrication du masque, invitation de tous les parents résidant ailleurs
auxquels se joindront si possible un grand nombre d’étrangers, tout cela
a un coût qui est principalement supporté par celui qui a découvert le
nanwamu. Pour l’aider à faire face à ces dépenses prévisibles, le concours
du nanwamu est essentiel dès le moment où ce dernier a manifesté son
désir de passer à cette nouvelle phase. On s’adresse à lui, lui disant :
« Si vraiment tu veux rester avec nous, tu n’as qu’à nous aider à faire
sortir ton “fils” pour les cérémonies. » Le « fils » du nanwamu, c’est le
masque grand format qui dérive du nanwamu lui-même. Quand la prière
est suivie d’effet, le nanwamu fait en sorte de faciliter l’accumulation de
biens nécessaire à la préparation de la cérémonie. Cette aide s’étend sur
toute la durée de la période de préparatifs, période de plusieurs mois voire
plusieurs années au cours de laquelle le génie à la base du culte se montre
très actif aux côtés de son partenaire humain afin de lui manifester son
soutien indéfectible en récompense de la docilité avec laquelle celui-ci
s’est soumis à ses exigences. Ce soutien est en même temps une étroite
collaboration, qui renforce les liens mutuels établis entre le génie et son
desservant rituel.
La fabrication d’une autre composante du masque requiert une
forme d’implication différente : non plus des dépenses en nature mais
la mobilisation, sur une période significative, d’une nombreuse force de
travail. À la différence de la tête en bois, dont la confection incombe à
un artisan spécialisé, qu’il faudra donc rétribuer, le costume de fibre
nécessite avant tout la mise en culture des végétaux requis dans un champ
dédié à cette production. Il s’agit alors de mobiliser une main-d’œuvre
suffisamment nombreuse pour cette activité agricole, et c’est pour
l’essentiel la famille du détenteur du culte qui la fournira. Nous verrons
qu’un parallèle se dessine ici entre cette dernière injonction et l’interdit
qui, dans le cadre de l’initiation à la divination, est fait au novice de se
couper les cheveux jusqu’à sa sortie en tant que nouvel initié. La période
pendant laquelle court cet interdit est exactement de même nature que celle
dont il vient d’être question au sujet des masques : c’est le temps durant
211 STÉPHAN DUGAST
APPARITIONS ET FIGURATIONS DE L’INVISIBLE CHEZ LES BWABA DU BURKINA FASO
I. DE L’OBJET-FÉTICHE AU MASQUE

lequel le génie à l’origine du culte concerné apporte tout son soutien à son
partenaire pour, là aussi, lui permettre de faire face à l’inévitable surcroît
de dépenses qu’entraîne l’entrée du culte dans sa nouvelle phase. Dans le
cas de l’initiation à la divination, les cheveux laissés ainsi libres de toute
coupe pendant la période entière seront rasés lors de l’initiation et serviront
à constituer la « barbe » de la figurine représentant le génie. Un rapport de
correspondance étroit s’établit ainsi entre les cheveux du novice destinés à
orner d’une « barbe » la nouvelle figurine de l’autel et les fibres cultivées
par les membres de la famille du détenteur du culte de masque en vue
de confectionner l’« habit » du masque de grand format qui constitue la
réalisation de la nouvelle figuration en rapport avec l’évolution du culte.

Les sorties de masque : la figurine de l’autel de nanwamu,


nécessaire protection de sa réplique de grand format
Quiconque a eu le privilège d’assister à une sortie de masque chez les Bwaba
a pu être frappé de la grande liberté qui entoure ces manifestations. Les
masques n’y sont pas associés à l’un de ces cultes à mystère que l’on trouve
en d’autres sociétés. On est loin de l’ambiance de terreur qui, chez certains
groupes mossi, par exemple (pour rester dans le cadre du Burkina Faso),
accompagne la sortie des masques, imposant à tous les non-initiés, femmes
et enfants au premier chef, de s’enfermer, de se cloîtrer même, afin d’éviter
que leur regard ne se pose sur un masque, interdit suprême. Chez les Bwaba,
femmes et enfants participent pleinement aux sorties de masques et ne se
privent même d’aucun contact direct, pouvant aller jusqu’à des accolades.
Au sujet des masques hombo (auxquels n’est associée aucune initiation, à la
différence des masques du Kademu, la zone des villages de Boni et de Dossi
[voir supra, n. 35]), l’interaction avec les femmes est même un élément de
première importance. C’est par ce biais que le nanwamu parvient à remplir
l’une de ses fonctions essentielles, qui est, aux dires des Bwaba, d’apporter de
nouvelles femmes et de faire venir les naissances : soit la forme de prospérité
la plus fondamentale, ici comme en toute autre société rurale africaine.
En soi, l’influence du nanwamu en la matière ne nécessite aucun
contact direct avec les femmes appelées à grossir les rangs des épouses du
lignage. Une sortie de masque bien conduite, qui fait honneur au hombo
objet du culte, a pour premier effet de susciter la gratitude du nanwamu.
En conséquence, celui-ci apportera son aide (comme il l’a fait pour la
période de préparation de sa sortie inaugurale) en faisant cette fois en sorte
d’attirer de jeunes femmes vers les membres du lignage. Toutefois, les cas
les plus probants de son action dans ce domaine sont dits se manifester
au moment même de la sortie du masque. Ainsi, il arrive que l’ambiance
de la fête, à elle seule, séduise une jeune femme, la décidant à prendre un
mari dans le groupe détenteur du nanwamu afin de bénéficier plus souvent
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 174-216 212

des occasions festives que génère ce culte. Dans ce cas, on dit que c’est le
nanwamu du masque qui l’a attirée (l’attirance visuelle, immédiate, même
assortie de son complément sonore, étant d’ailleurs jugée moins en cause,
dans ce domaine, que l’attirance plus mystérieuse déployée au moyen des
pouvoirs du génie bénéficiaire du culte – attirance elle aussi à l’œuvre, du
reste, dans la fascination initiale à laquelle a été sujet, lors de la rencontre
en brousse, le futur détenteur du culte). Sont aussi mentionnés des cas
où une femme, éblouie par sa prestation, tombe amoureuse de l’un des
porteurs du masque49.
Ces indications sont très significatives quant à la nature, aux yeux des
Bwaba, de la performance du masque en train de danser. On l’a vu, il ne
s’agit nullement d’une représentation, soigneusement mise en scène, de
l’être surnaturel auquel le culte est rendu, mais plutôt de la célébration
de son œuvre. Or, de même que celle-ci est distincte de son créateur (le
génie), de même elle ne se confond pas avec le porteur du masque dont
elle dissoudrait l’identité en tant que personne humaine. Dès lors que
l’apparition première du masque est conçue comme celle d’un objet sculpté
que porte et anime un être de brousse, dès lors, donc, que la distinction
entre l’objet, produit de l’activité créatrice du génie, et le génie lui-même
est pleinement établie, elle permet que soit également reconnue celle entre
le masque grand format et son porteur humain, qui ne perd jamais son
identité d’être humain, comme en témoigne la préférence exprimée par la
jeune femme pour l’un des danseurs masqués plutôt que pour tout autre (et
ce bien que, sauf cas exceptionnel, tous portent le même masque, qui passe
d’un danseur à l’autre au fil de la journée).
Pour autant, il serait erroné de penser que l’identité des porteurs du
masque n’est pas altérée lorsqu’ils endossent le costume et qu’ils se
mettent à danser en exhibant le masque. On considère qu’ils sont alors
placés sous l’influence du génie qui leur apporte, là encore, son inspiration
afin de donner de l’éclat à leur danse. Même un piètre danseur, dit-on, se
tirera d’affaire car le génie fera en sorte que sa prestation soit pour le moins
honorable. Il est d’ailleurs très vite admis que ce qui s’offre à l’appréciation
des spectateurs lors d’une telle manifestation est moins l’aptitude réelle
de chaque danseur que le degré d’inspiration que lui accorde le génie.
C’est lui, en définitive, qui, en fonction du jugement qu’il se fait des
qualités des uns et des autres, sélectionne celui auquel il apportera le plus
généreusement son concours. Une attitude qui, en somme, reproduit celle
qu’il avait adoptée au moment d’élire la personne dont il ferait bénéficier

49.  Au cours d’une même sortie de masque, plusieurs porteurs se succèdent. S’instaure entre
eux une rivalité, chacun s’efforçant de surpasser ses concurrents par la qualité esthétique de sa
danse. Et la femme sera séduite par celui qu’elle regardera comme le meilleur danseur.
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APPARITIONS ET FIGURATIONS DE L’INVISIBLE CHEZ LES BWABA DU BURKINA FASO
I. DE L’OBJET-FÉTICHE AU MASQUE

le culte de nanwamu qu’il s’était décidé à offrir : le choix d’un individu


particulier, parmi un ensemble de candidats possibles.
C’est donc, en dernière analyse, le mieux inspiré des danseurs, choisi
par le génie, qui parviendra à séduire une femme par la qualité de sa danse.
D’un tel bénéficiaire, on dit qu’il détient une « chance » qui lui vient du
nanwamu. Comme il sait qu’il doit sa fortune à l’œuvre de ce dernier, il lui
faut prévoir de le remercier en lui sacrifiant un poulet. Cette récompense
sera en même temps l’occasion de profiter d’un supplément d’aide de
la part du génie et, en particulier, de savoir si le mariage avec la femme
conquise peut être envisagé en toute quiétude : si le poulet est « bon » (s’il
est accepté par le nanwamu)50, c’est que l’examen minutieux auquel s’est
livré le génie n’a révélé aucun obstacle à la perspective de l’union. Les
préparatifs de la cérémonie de mariage peuvent être engagés.
Une telle réponse favorable était en réalité attendue. Car on considère
que le génie se livre à son examen le plus sévère au moment où il fait
converger vers le lieu de la danse les étrangers (dont les futures épouses
potentielles) attirés par les festivités. C’est l’une des raisons pour lesquelles
on fait sortir sa figurine de nanwamu (le masque miniature). De ce poste
d’observation, il surveille la scène, veillant à ce que seules parviennent
à la place de danse des personnes aux intentions louables (la présence
de fauteurs de troubles, surtout dans le domaine invisible – à travers la
sorcellerie – est toujours redoutée) ; ceux qui tenteraient de profiter de
l’occasion pour créer du désordre se trouveront incapables d’arriver sur
les lieux, le nanwamu s’appliquant à les égarer en chemin. Le tri effectué
au niveau des personnes n’est pas le seul qui lui soit imputé : on s’attend
à une action similaire de sa part sur le plan d’éléments moins palpables,
mais tout aussi cruciaux. Ainsi, qu’il fasse en sorte d’attirer, dans ce qu’il
a observé pendant les danses, tout ce qui lui paraît de bon augure pour la
prospérité de la famille de son détenteur : la venue de nouvelles femmes
ainsi que de nombreuses naissances51, certes, mais aussi l’afflux de simples
spectateurs. La présence de ces derniers est moins anodine qu’il n’y paraît.
Chaque personne apporte avec elle, dans tous les lieux qu’elle visite, une
« chance » qui lui est propre. Celle-ci varie d’un individu à l’autre : tantôt
bénéfique, tantôt maléfique, elle l’est aussi à des degrés variables. L’action
du nanwamu consistera donc à opérer un tri à ce niveau également : en
écartant les mauvaises personnes et en attirant un nombre important de
spectateurs porteurs d’une « chance » bienfaisante, il agit en sorte que
se réalise une accumulation de bienfaits en faveur du responsable de son

50.  En fonction des signes apparus au moment de l’immolation, voir supra, n. 48.
51.  Le même type d’attente prévaut, chez les Bwa septentrionaux, dans le cadre du culte du
Do, où elle est même explicitement énoncée dans « la longue chanson du do (dolenu) » (Capron
1957 : 107).
JOURNAL DES AFRICANISTES 85, 2015 : 174-216 214

culte52. Pour le remercier de tous ses bienfaits, on lui offre un sacrifice


de poulet dès la fin de la cérémonie, à chaque fois que celle-ci s’est
déroulée sans incident. Cette offrande sacrificielle est en même temps un
encouragement à poursuivre et amplifier son action.
Cette captation, assortie d’un tri visant à ne retenir que les éléments
favorables, est l’une des fonctions essentielles d’un tel culte de masque
chez les Bwaba. Et cette fonction est d’autant mieux assurée que le masque
miniature, celui dont la place habituelle est dans l’autel de nanwamu, peut
en être détaché pour l’occasion afin de superviser plus efficacement la
manifestation. C’est aussi pour cette raison que l’opposition bois/argile
tend à coïncider avec la distinction entre les nanwamu de masque qui se
destinent à réclamer à terme la sortie du masque et ceux qui se contentent
de demeurer à l’état de nanwamu : qui dit sortie de masque dit action du
nanwamu sur les spectateurs, et cette action est d’autant plus efficace que
la figurine de l’autel peut être transportée sur les lieux.

UNE DIVERSITÉ DE FORMES FIGURATIVES


POUR UNE MÊME CLASSE D’ENTITÉS
Les Bwaba ont développé une vaste construction au sein de laquelle prend
place une diversité de modes de figuration qui relèvent pourtant tous d’une
seule catégorie d’entités : les génies de brousse. Surtout, cette diversité
n’est en rien le reflet d’une hétérogénéité de cette catégorie : les modes de
figuration mis en place ne se différencient pas en fonction de classes de
génies que l’on pourrait dégager, mais en fonction du type de relation que
chaque génie, individuellement, décide de privilégier dans son désir de se
lier à un humain.
Des simples objets-fétiches, vite affranchis des liens qui les rattachaient
au génie donateur, jusqu’aux cultes plus complexes, dont certains
contiennent en germe, dès le moment où ils sont installés, une évolution
ultérieure susceptible d’affecter notablement le dispositif figuratif en place,
l’éventail des situations est large. Mais, pour en prendre toute la mesure, il
faut accorder un développement spécifique à une dernière configuration :
celle de l’itinéraire que suit un individu lorsqu’il est pris dans une relation
avec un génie qui a résolu de l’engager sur la voie de l’exercice régulier
de la divination. Cette dernière configuration est sans doute la plus
élaborée du point de vue du traitement de la figuration dans la mesure où,

52.  Plus il y a d’étrangers, et plus nombreux sont ceux qui viennent de loin, plus c’est le signe
que le nanwamu a été particulièrement actif. J’ai ainsi souvent noté l’empressement que les
responsables de certaines sorties de masque auxquelles il m’a été donné d’assister, parfois loin
de ma zone habituelle d’enquête, mettaient à me recevoir : pour ceux d’entre eux pour qui
j’étais un inconnu, la présence ce jour-là d’un étranger venu d’au-delà des mers témoignait de la
réussite de la manifestation.
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I. DE L’OBJET-FÉTICHE AU MASQUE

partageant avec l’option des masques la particularité de coïncider avec un


culte susceptible de se déployer en deux temps (après le temps initial de
la découverte et de l’installation, vient celui de l’évolution soudaine), elle
présente la caractéristique supplémentaire que ce second temps n’est plus
seulement marqué par une extension du dispositif de l’autel mais par une
métamorphose en profondeur. Cette refonte complète du dispositif figuratif,
qui se double d’une implication plus grande du détenteur du culte, jusque
dans son corps, fera l’objet de la deuxième partie de cet article.

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Tome 85 Fascicule 1-2

Sur les pas de Geneviève


Calame-Griaule
SUR LES PAS DE GENEVIÈVE CALAME-GRIAULE
Marie-Dominique MOUTON, Geneviève Calame-Griaule
Éric JOLLY et les archives
Christiane SEYDOU Le fulfulde, langue de nomades…
(Mali)
Sandra BORNAND, Des « paroles d’Afrique » dans un
Cécile LEGUY musée : de la valorisation à la
transmission
Marie-Rose Oralité et art de la communication
ABOMO-MAURIN chez les Búlù
Paulette ROULON-DOKO Le conte gbaya des échanges
successifs : une analyse
Anne-Marie ethnolinguistique
DAUPHIN-TINTURIER Femmes entre Ciel et Terre
Ursula BAUMGARDT « Koumbo qui fait tomber la pluie »
et d'autres figures féminines :
l’exemple de quelques contes peuls
du Nord Cameroun
Jean DERIVE À quoi rêvent les jeunes filles
dioula ? (Côte d’Ivoire)

ÉTUDES ET RECHERCHES
Stéphan DUGAST Apparitions et figurations de
l’invisible chez les Bwaba
du Burkina Faso.
I. De l’objet-fétiche au masque
Catherine BAROIN Un système d’âge dans une
chefferie tanzanienne :
les Rwa du mont Méru
Françoise À propos de l’initiation Masa
DUMAS-CHAMPION (Tchad/Cameroun)
Tilman MUSCH Six days towards the polar star:
orientation among Tubu Teda
Adama DJIGO Patrimoine culturel et identité
nationale : construction historique
d’une notion au Sénégal
Amalia DRAGANI Rêve, sang et maladie.
Biographies nocturnes
et diurnes de poètes touareg
MÉLANGES
Notes et documents
Marie-Paule FERRY Le temps des Tendas (Sénégal)
Denis DOUYON Merci pour hier! Merci pour l’eau!
Merci pour la parole, Femme de
parole. À Calame-Griaule
In Memoriam (G. Calame-Griaule, Y. Tata Cissé)
Comptes rendus
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