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Mohammed Lahlou

Zaouïa et développement
culturel au Maroc

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A la mémoire de ma mère,
Mes mots, éloge de ma femme.

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Je remercie vivement les cœurs bienveillants qui
m’ont aidé tout au long de ce voyage au cœur des
zaouïas : Le moquadem de la zaouïa de Sidi Bel-Abbes,
Monsieur Kamal Tebbaâ ; le délégué de la Ligue des
Chorfas de la zaouïa de Tamesloht, Monsieur Moulay
Jaâfar, et les Chorfas de la zaouïa de Sidi Zouine, et en
particulier Monsieur Moulay Hafiz.
Je remercie également M. Khireddine Mourad, et
le staff de l’unité de recherche « les métiers de la
culture » de l’université Kaddi Ayyad de Marrakech.

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Introduction

Se dressant comme l’une des structures


historiques marquant le tissu socioculturel marocain,
l’institution de la zaouïa jouit d’une valeur et place
vénérables. Les rôles qu’elle joue auprès de sa
population font d’elle un établissement alliant
pratique religieuse et œuvre sociale. L’Histoire du
Maroc a connu depuis l’ère des almoravides
l’avènement de cette institution qui s’est implantée et
s’est développée avec une profusion fulgurante. Elle a,
dès lors, marqué sa culture et son identité et est
devenue un centre d’attraction crucial de son
entourage ; un centre qui ponctue la vie de toute une
région et dont l’écho retentit sans arrêt et souvent
dans des recoins plus lointains de son milieu
environnant. La multitude des coupoles et mausolées
qui sillonnent le pays et des lieux parfois difficilement
accessibles atteste, par la conformité de leur forme et
de leur couleur blanchâtre, de l’enracinement d’une
tradition ayant serpenté l’espace et le temps et n’ayant
jamais cessé de transmettre son rayonnement

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religieux, politique et socioculturel.
Une institution religieuse, cultuelle,
socioéconomique, politique, militaire, un espace
confrérique de soufisme et de spiritualité, un centre
administratif et financier, une école, un lieu de
concertation, un sanctuaire de culte… une pluralité de
fonctions et de traits qui relèvent de l’activité de la
zaouïa et qui font son identité. Un patrimoine vivant
de la culture marocaine dont l’enveloppe matérielle
rappelle et sauvegarde un héritage immatériel ancestral.
Fonder une zaouïa était une nécessité pour les
tribus car elle leur était tout d’abord une cristallisation
de l’identité locale, un lien tribal source de force et de
communion. On pourrait même affirmer que ces liens
qui se tissaient entre la tribu et sa zaouïa sont d’une
importance réciproque : la zaouïa ne pourrait prendre
forme et se faire une vie en dehors de la tribu ; cette
dernière acquiert force et sécurité de ce lieu saint.
L’appartenance à une zaouïa est autant indispensable
qu’appartenir à une famille noble. Le lieu installe une
sorte de ligament entre les membres du groupe social
qui se sentent partager le même cadre de vie, le même
sort et la même souche des valeurs. Ils peuvent donc
vivre en communion.
Au-delà de ses fonctions et ses œuvres, la
présence d’un saint est une source de spiritualité et de
sérénité pour la population. L’appartenance à un wali
(saint) exacerbe le sentiment de piété par
l’attachement à la mémoire du saint dont la baraka ne

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cesse de couvrir le lieu et les personnes. C’est ainsi
que la zaouïa possède un soubassement spirituel qui
donne lieu et légitimité à ses pratiques matérielles.
Ce livre, intitulé « zaouïa et développement
culturel au Maroc » se veut essentiellement, une
description de l’aspect socioculturel de l’institution de
la zaouïa au sein de son environnement le plus
immédiat tout d’abord, lointain ensuite, une remise
d’hommage à un lieu à caractère polyvalent et à
fonctions interdépendantes dans la société marocaine.
Il est apparent qu’il s’agit d’un domaine
pluridisciplinaire. Du coup, le sujet de la zaouïa dans
son rapport avec son environnement social inviterait
à puiser tout d’abord dans le sociologique, et
l’ethnologique en poursuivant une approche historique
afin de mieux rendre compte de la polyvalence
fonctionnelle que cette institution s’est appropriée au
fil du temps.
La perspective de ce livre est penchée vers l’étude
du phénomène dans ses interactions socioculturelles.
Dans ses interactions socioculturelles. Il ne serait
nullement question de discuter l’aspect religieux et
spirituel des confréries, ni d’esquisser l’historique des
fondations des zaouïas. En effet, cette investigation
aura comme objectif d’étudier les rapports sociaux
qui lient la zaouïa à son groupe social. Ces rapports,
nous aimerions les identifier, classer et analyser. Nous
en relèverons ensuite les retombées sur l’entourage
immédiat.

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Nous attarderons le pas sur l’ensemble des
manifestations de l’activité de la zaouïa dans son milieu
et les influences qui en résultent. Le travail serait ainsi
circonscrit par la thématique socioculturelle qui le
prédéterminera, balisera son parcours et domptera ses
éventuelles oscillations.
L’enquête focalisera l’attention sur quelques
zaouïas qui entourent la ville de Marrakech : la
zaouïa de Tameslouht, de Sidi Zouine, de Bouya
Omar et la zaouïa de Sidi Bel-Abbes. Le choix de ces
zaouïas est tout d’abord motivé par la raison de la
proximité à la même ville et l’appartenance à la
même région de Tensift Al Haouz. Bouya Omar se
situe au nord de la ville, la zaouïa de Tameslouht au
sud, la zaouïa de Sidi Zouine à l’ouest et la zaouïa
de Sidi Bel-Abbes est au centre de la ville ocre. Ce
corpus permettra également de rendre compte de
tendances différentes de la vie de zaouïa. Bouya
Omar, un centre réputé par son pouvoir
thérapeutique, la zaouïa maslouhia partage avec la
plupart des autres zaouïas la vénération d’un saint
au premier lieu avec des ambitions politiques, Sidi
Zouine est dédiée à la lecture du coran et Sidi Bel-
Abbes est une zaouïa citadine fortement liée à la
ville avec des traits sociaux plus saillants.

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Première partie

La zaouïa, un établissement
historique et charismatique

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Chapitre premier : Identification

I – Définitions de « zaouïa » :

Le terme de « zaouïa », transcrit en lettres latines,


garde la prononciation arabophone du mot. Il renvoie
en arabe, littéralement, à la notion d’espace, ou plus
précisément à l’idée de « coin » dans l’espace. Le coin
étant un point retiré se situant au bout d’un lieu,
touchant la frontière, et donc le plus éloigné du
centre, renferme en lui l’idée de marginalité, de
retraite, d’isolement, de réclusion et d’éloignement.
« Zaouïa » est, en ce sens, un point retiré d’un centre
de l’espace.
Le mot vient vraisemblablement aussi du mot
arabe « inzawa » qui signifie lui aussi se retirer tout
seul dans un recoin, se replier sur soi loin du monde
habité. « Zaouïa » renvoie donc littéralement, à la
notion de retraite, une retraite à la fois spatiale et
symbolique. Spatiale, connue sous le nom arabe de
khalwa : le mystique s’éloigne des gens afin de

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pouvoir accéder à un degré élevé de spiritualité ;
symbolique en empruntant des voies spirituelles
permettant à ce mystique d’accéder à un monde
intérieur purifié en se détachant de toute la
matérialité de la vie et de son être. Une double retraite
essentielle pour la méditation.
Effectivement, en passant en revue bon nombre
de définitions élaborées autour du terme de
« zaouïa », cette charge sémantique inhérente à la
source étymologique du mot, à savoir « se retirer » et
« se replier sur soi », est toujours présente et constitue
même le sens essentiel du mot. « Zaouïa » renvoie,
comme nous le verrons, à un lieu, certes, mais tout en
évoquant ce sens de retraite et d’isolement.
Le dictionnaire historique de l’isalm1 définit
« zaouïa » en la rattachant à ses origines et ses
contextes historiques :
« Zaouïa, en arabe zâwiya et en turc zaviye, type de
couvent musulman qui connut une particulière faveur
dans le maghreb médiéval à partir du 14ème siècle et dont le
nom, sous sa forme turque, s’illustra grâce à certaines des
plus belles fondations ottomanes dans l’Anatolie des 14ème
et 15ème siècles. Le terme arabe utilisé avait désigné, au
cours des premiers siècles de l’islam, soit un emplacement
réservé à l’intérieur d’un plus grand monument, soit la
cellule ou le petit local isolé dans lequel un mystique
pouvait se retirer pour la méditation en gardant autour de
lui quelques disciples. Cette acceptation correspondait au

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DOMINIQUE et S. JANINE, Dictionnaire historique de L’ISLAM,
PUF, 1996, p. 864

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sens de la racine attesté anciennement, dans l’Orient et
l’Occident du monde islamique, pour qualifier l’ascète qui
se retire du commerce des hommes […]. »

L’étude de cette définition permet de relever deux


idées essentielles à débattre. La première est le fait de
comparer la zaouïa au couvent. Il paraît que l’auteur
effectue un regard et une pensée sur cette structure
propre au monde musulman et maghrébin à partir de
ses références culturelles occidentales. Assimiler la
zaouïa au couvent revient peut être au fait qu’elle se
réfère autoritairement à un pouvoir religieux qui la
gère. Toutefois, l’écart est bien considérable. Le
couvent est une institution où des religieux vivent en
communauté selon des ordres qui sont parfois
monastiques comme celui du célibat pour les
religieuses. C’est une structure peu ouverte sur la
société quoiqu’elle soit plus communicative avec son
environnement que le monastère, alors que la zaouïa
est un établissement ouvert fondé généralement
autour d’une tariqa, mais pas forcément, et dont
l’impact et le rayonnement touchent l’extérieur
avoisinant au niveau socioculturel, économique,
religieux et scientifique. La zaouïa n’est pas
uniquement un lieu qui loge des religieux. La
deuxième est que le mot « zaouïa » désignait à
l’origine tout coin où un mystique pouvait se retirer
pour méditer et enseigner.
Nous relevons un autre rapprochement de la
zaouïa au couvent en la définissant comme : « Une

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