Vous êtes sur la page 1sur 24

Coralie Toumi, Lara Boehringer, Aya Linda Youssef vendredi 28 avril 2023

Le soufisme

Plan
Introduction

I. Qu’est-ce que le soufisme ? (Coralie Tourmi)


a. Soufisme : étymologie et signification
- Création du terme soufisme et étymologie du mot
- Tentative de définition
b. Émergence et contextualisation
c. Évolution de sa place et de son importance dans la société
- Relations avec les autres grands courants de l’islam
- Critiques du soufisme

II. Essence et substance du soufisme (Lara Boehringer)


a. Bases, croyances et philosophies
b. Rites et pratiques
c. Al « tariqa » le chemin initiatique des confréries

III. Les maîtres soufis (Aya Linda Youssef)


a. Al Hallaj : le christ de l’islam
b. L’océan Akbarien
- La particularité d’Ibn Arabi
- Fusus Al Hikam : la synthèse de la doctrine akbarienne
c. L’Emir Abdelkader : la résurrection moderne d’Ibn Arabi

Conclusion

1
Loin d’être un phénomène marginal, le soufisme, qui imprègne toutes les sociétés islamiques.
Souvent méconnu ou incompris, il est considéré par les mouvances salafistes comme une secte à
l’instar des chiites ou des kharidjites. Or, les soufis prétendent que tradition remonte à l’époque du
prophète Mohammed. Les adeptes cherchent à se rapprocher intimement de Dieu, à fusionner avec
l’Unique, selon l’enseignement qu’ils tirent de ce hadith : « Et lorsque Je l'aime, Je suis l'ouïe par
laquelle il entend, la vue par laquelle il voit, la main par laquelle il saisit … » (Hadith qudsî
rapporté par Al-Boukharî). Le soufisme se manifeste soit sous la forme de dévotion populaire, soit par
l’adhésion à une confrérie, soit par la croyance en des théories mystiques. De plus, il séduit des fidèles
de tout âge appartenant à l’ensemble des classes sociales : oulémas, étudiants, artisans ou
commerçants. Nous témoignerons à travers notre présentation de l’infime richesse des enseignements
soufis. Nous commencerons par définir ce courant ésotérique et initiatique puis nous évoquerons
l’émergence du soufisme, son évolution et son importance au sein des sociétés. Nous étudierons les
croyances, les dogmes et nous traiterons des tariqas. Enfin, nous vous présenterons quelques maîtres
soufis éminemment brillants qui ont marqué leur époque.

I. Qu’est-ce que le soufisme ?

L’ésotérisme peut être défini comme l'ensemble des enseignements secrets réservés à des
initiés. L’exotérisme, quant à lui, concerne ce qui est profane, par opposition à ce qui est initiatique.
Les soufis constituent un mouvement ésotérique de l’islam car ils ne se contentent pas de lire le Coran
littéralement mais ils cherchent le sens profond et caché des versets.

Voici la définition du soufisme que nous trouvons dans les dictionnaires Larousse et le Robert :

« Règles et pratiques ascétiques et mystiques d'un ensemble d'écoles, de sectes et de confréries


musulmanes. » (Larousse)

« Courant ascétique et mystique de l'islam, qui vise au pur amour de Dieu. » (Le Robert)

Chacune des trois grandes religions monothéistes a sa propre tradition ésotérique : les juifs la
nomment Kabbale ; les chrétiens gnose chrétienne ; les musulmans, eux, l’appellent soufisme. À
l’instar des traditions ésotériques mentionnées, le soufisme permettrait à l’adepte de réaliser une quête
intérieure afin de se reconnecter avec le Divin. Ce courant reflète la dimension intérieure, spirituelle
de l’islam. Dans le point II nous expliquerons les nombreuses pratiques spécifiques à cette tradition.

2
a. Soufisme : étymologie et significations

Le mot al soûfi fut utilisé pour la 1ère fois par un ascète irakien en 776. Un ascète (nāsik) est un
croyant qui pratique un ensemble d’exercices moraux et physiques comme le retrait de la société
afin d’atteindre un niveau de perfectionnement spirituel. Un siècle plus tard, le terme de sôufiyah
fut repris pour désigner des groupes d’ascètes et de mystiques réputés pour leur austérité à Koufah
et à Bagdad, en Iraq.

Le mot soufisme, d’origine arabe se réfère à la voie mystique de l’islam. On recense différentes
étymologies mais seule une d’entre elles semble avérée.

Le mot tasawwûf (radical arabe sûf) désigne la « laine » : le soufi se vêtit d’un manteau en laine,
signe de grande pauvreté, de détachement et de modestie. De plus, cet habit fut pendant longtemps
celui des prophètes tels que Jésus ou Moise. Cette toge en laine manifeste un haut degré de
réalisation spirituelle.

Le soufisme est souvent conçu comme une quête spirituelle intérieure qui requiert la purification
de l’esprit, la contemplation et l’invocation de Dieu. Les adeptes réalisent de nombreuses pratiques
afin de dompter leur ego, de découvrir la connaissance cachée et de se reconnecter au Divin. Ainsi,
ce courant, tradition de l’éveil et « science des cœurs », conduirait l’individu à une illumination
intérieure.

b. Émergence et contextualisation
Selon les soufis, leur tradition remonterait au prophète Mohammed qui prenait en compte
l’aspect exotérique et ésotérique de l’islam. Les compagnons se réunissaient autour de leur cheikh,
Mohammed qui faisait figure d’autorité spirituelle (Wilāya / Walāya). Il s’agirait du tout premier
exemple de confrérie, structurée autour d’un maître : le Prophète serait le premier maillon de la
chaîne initiatique. Dans le soufisme, la chaîne initiatique relie le soufi au maître, le maître à Ali ou
Abu Bakr qui est directement relié au Prophète.

À la mort de Mohammed, l’islam se répandit de manière fulgurante, s’étendant de l’Afrique du


Nord à l’Afghanistan. Les premières grandes figures du soufisme émergèrent à Koufah au VIII e
siècle et à Bassora au IXe siècle (Iraq).

3
De petits groupes de musulmans pieux se formèrent dès le premier siècle de l’Hégire et
s’implantèrent au Proche-Orient dans les villes de Kûfa, Basra, Damas, Merv et Balkh dans le
Khurâsân. Les premiers soufis furent des ascètes nommés « dévots » (nâsik) ou « pauvres en Dieu »
(fuqarâ’ilâ Allâh). Sous le règne des Omeyyades, les adeptes prônèrent un retour à l’essence même
de la religion à travers la contemplation, la méditation, l’ascétisme et le renoncement (Zuhud) en
réponse à la décadence des mœurs et la négligence des pratiques islamiques : « La présente vie
n’est que jeu et amusement. La demeure dans l’au-delà sera meilleure pour ceux qui sont
pieux. Eh bien, ne comprenez-vous pas ? » (Sourate 6, verset 32). « Quant à celui qui aura
dépassé les limites et aura préféré la vie présente, alors, l’Enfer sera son refuge. Et pour celui
qui aura redouté de comparaître devant son Seigneur, et préservé son âme de la passion, le
Paradis sera alors son refuge. » (Sourate 79 verset 37-41)

Puis, les soufis d’Iraq délaissèrent petit à petit l’ascétisme (al-zuhd) et s’intéressèrent à la
mystique, à la beauté de Dieu qui se reflétait dans la beauté du monde. Les premières écoles soufies
apparurent au IXe siècle et s’organisèrent autour de quelques maîtres réputés. Au Xe siècle, l’on
trouvait plusieurs tendances très diverses regroupées sous le terme « soufisme ». Les fidèles se
référaient au Coran, récité et médité, au modèle prophétique et à l’ascension du Prophète (mi’râj)
perçue comme l’exemple-même de l’expérience spirituelle, du cheminement vers Dieu. Entre le
XIIe et le XIII e siècle, des confréries, sunnites principalement, se formèrent progressivement.

Au XIIIe siècle, le soufisme qui s’était répandu dans les cercles des oulémas, commença à se
propager et à se vulgariser.

c. Évolution de sa place et importance dans les sociétés

Ce courant souffre d’une mauvaise réputation au sein de l’islam car certaines mouvances le
considèrent comme une hérésie. Aux XIXe et XXe siècle, les wahhabites et les salafistes
persécutèrent les confréries soufies. De nos jours, nous assistons au retour du soufisme dans de
nombreux pays musulmans comme l’Algérie, l’Égypte ou le Maroc où les confréries, éprouvées par
l’expansion du wahhabisme, sont réhabilitées.

Voici certaines critiques formulées à l’égard du soufisme par ses opposants :

4
1. Il s’agirait d’une innovation (bida), d’un courant créé après la mort de Mohammed.

2. Les pratiques soufies qui se déroulent le plus souvent au sein des confréries sont jugées
contraires à l’islam.

3. Le maitre spirituel soufi, doté de pouvoirs surhumains comme le fait de guérir ou prédire
l’avenir, serait un marabout.

4. Les soufis vénéraient les saints (Walī, pl. awliyāʾ), ce que les mouvances salafistes et
wahhabites considèrent comme un péché grave.

Les soufis justifient leurs croyances et pratiques en citant certains compagnons du Prophète qui
s’illustrèrent par leur profonde piété et leur pratique de l’ascétisme. Or, leurs adversaires pensent
qu’ils se sont égarés en s’éloignant de l’islam des pieux prédécesseurs. Toutefois, tous les adeptes
n’ont pas la même vision ou conception du soufisme. En effet, cela varie en fonction des régions ou
des périodes historiques.

Présenté comme l’ennemi juré du soufisme Ibn Tamiyya, un théologien et jurisconsulte


musulman traditionaliste du XIIIe siècle, appartenant au courant hanbalite, émit des critiques
acerbes au sujet de certaines confréries, pratiques et doctrines soufies. Or, si nous analysons ses
propos, nous constatons qu’il présenta le soufisme comme un sujet extrêmement complexe qui ne
faisait pas l’unanimité parmi les savants. Selon lui, certains exagèrent en le considérant comme la
voie de l’excellence, d’autres perçoivent les soufis comme des innovateurs, sortis de la religion. Ibn
Tamiyya pense qu’il s’agit d’un groupe de musulmans ayant fait un effort d’interprétation afin
d’atteindre la vérité. Les adeptes qui se tiennent sur la voie du milieu, effectuent de bonnes œuvres.
Certains prennent même de l’avance sur leurs bonnes œuvres mais d’autres se sont égarés en allant
trop loin dans leurs pratiques. Il poursuit en indiquant qu’un groupe hérétique prétend faire partie du
Tahqiq (le vrai soufisme) et cause du tort à l’islam. Il cite l’exemple d’El Hallaj ou des adeptes qui
croient au Hulul (incarnation) et l’Ittihed (union).

Depuis le début du XXe siècle le soufisme séduit de plus en plus d’adeptes en Europe et aux
États-Unis. En 1910, un soufi indien nommé Inayat Khan arriva en Occident où il se fit une
renommée grâce à la musique spirituelle. Il arriva d’abord aux États-Unis puis voyagea en Europe
et en Russie où il prôna un soufisme universel qui s’adressait à un public de toutes confessions. En

5
1916, il instaura le premier Ordre Soufi à Londres où il dispensa des cours et écrivit des ouvrages
en anglais. À sa mort, son fils Pir Vilayat Khan prit le relais fonda l’Ordre Soufi Universel.
Dans les années 1920, le soufisme se répandit en France, en Angleterre et en Hollande en raison
de l’émigration de certains membres de la tariqa Alawiyya.
Citons aussi René Guénon, un franc-maçon qui se convertit à l’islam en 1912 et qui adopta le
nom d’Abd al-Wâhid Yahyâ. Il s’installa par la suite en Égypte, au Caire, d’où il conseilla les Européens
intéressés par la tariqa Shâdhiliyya. À partir des années 1970, le soufisme se développa très
rapidement en Occident. Issues des grandes voies soufies comme la Shâdhiliyya, la Tijâniyya, la
Qâdiriyya ou la Burhâniyya, de nombreuses confréries soufies émergèrent.

II. Essence et substance du soufisme

a. Bases, croyances, et philosophies

L’amour du Divin : Al Hallaj définit l’amour comme « un renoncement à soi, un effacement


du sujet en Dieu ». Le mysticisme désigne une croyance ou une doctrine philosophique fondée
essentiellement sur l’intuition. Afin d’accéder à la connaissance de l’Unique, le soufi apprend à se
connaître, à s’éloigner de la jalousie, de l’intérêt, de l’intolérance et de la haine. Son cœur semblable à
un miroir, doit être constamment poli, nettoyé, entretenu afin d’espérer y percevoir le reflet du Divin.
Les soufis lisent le coran avec leur cœur, ils tirent des enseignements des versets qui les amènent à
méditer et à contempler l’univers. Selon eux, Allah n’a créé le monde que par amour mais la majorité
des hommes préfèrent se détourner de cet amour absolu, en vivant dans un état de conscience
ordinaire. L’ascète doit renoncer aux plaisirs, il s’adonne à l’accomplissement des actes de piété
spécifiques tels que la prière, le jeûne, la lecture du Coran afin de se détourner de ce qui est
superficiel. Il délaisse les biens de ce monde afin de purifier son cœur de tout ce qui le détourne
d’Allah. Ainsi, il s’élève spirituellement étape par étape. La religion musulmane se répartit en trois
degrés : l’islam désigne la pratique de la religion, l’accomplissement des cinq piliers, l’iman
représente la foi, les convictions religieuses et l’ishan peut se définir comme l’excellence du
comportement qui revient à adorer Allah comme si on le voyait. Le soufisme accompagne le croyant
dans cette voie afin qu’il adopte un comportement exemplaire grâce auquel il atteindra un très haut
degré spirituel. Rabia Al Adawiyya également nommée Rabia Basri, première femme soufie, incarne
cet amour absolu de Dieu. On raconte qu’un jour elle fut aperçue en train de courir dans les rues de
Bassora avec une torche dans une main et un seau d’eau dans l’autre. Quand on l’interrogea sur ce

6
qu’elle faisait, elle répondit : « Je vais éteindre les feux de l’enfer, et brûler les bienfaits du
paradis. Mon Dieu, si je T’adore par crainte de Ton Enfer, brûle-moi dans ses flammes, et si je
T’adore par crainte de Ton Paradis, prive m’en. Je ne T’adore, Seigneur, que pour Toi. Car Tu
mérites l’adoration. Alors ne me refuse pas la contemplation de Ta Face majestueuse. »

L’amour d’autrui : le philosophe andalou, Ibn Arabi affirme que Dieu se manifeste dans tout ce
qu’il a créé et que son amour qui s’incarne entre les hommes manifeste la présence de Dieu. De ce
fait, selon le soufisme, la beauté reflète le Divin, elle oriente le croyant dans sa quête de vérité
absolue, à savoir la rencontre de Dieu et l’union entre l’adepte et le Tout-Miséricordieux.

L’amélioration de soi : le soufi doit purifier son âme et dépasser son ego primaire, illusoire et
primitif qui le conduit à commettre des péchés. Il doit renouer avec un ego pacifié, d’origine divine
primordiale. En d’autres termes, l’adepte doit atteindre un équilibre entre sa nature humaine qui se
manifeste dans la vie présente et la quête de Dieu. Le soufi prend part à la vie sociale mais refuse
de se laisser tenter par les biens matériels. « Manipuler la vie matérielle avec les mains sans
jamais la laisser rentrer dans les cœurs. Les mains se lavent, mais pas les cœurs »,
déclare cheikh Khaled Bentounès, le guide spirituel de la confrérie soufie Alawiya.

Le soufisme accorde une place centrale au prophète Mohammed qui incarne la « lumière »
divine : « Chemine vers Allâh en passant par la porte du Messager d’Allâh et si tu t’y refuses,
tu es et demeureras voilé et exclu (des gens de la Voie) ». [1]

Le terme « Noûr Muhammadiy » fait référence à la réalité lumineuse cachée derrière l’apparence
du Prophète. Un Hadîth qudsî dit : « Oh Jâber, la première chose qu’Allah a créé, c’est la
Lumière de ton Prophète ». [al-Bayhaqiy].

Abu Hurayra a déclaré : « Je n’ai jamais rien vu de plus beau que le Messager d’Allah ; c’est
comme si le soleil se reflétait sur son visage ; lorsqu’il souriait, la lumière se reflétait sur les
murs alentour ». Aussi, une femme des Bani Hamdân a-t-elle ajouté : « J’ai fait le Hajj en
compagnie du Messager d’Allâh. On lui dit alors : « Décris- le moi ! » Elle répondit : « Il est
telle la lune lorsqu’elle est pleine et dégagée. Je n’ai jamais vu personne de semblable, ni avant
ni après lui. ». Enfin, la bien- aimée du Prophète, Aïcha a tenu les propos suivants : « Il avait le
plus joli des visages ; sa couleur était la lumière. », « On dirait qu’il a sur son front net et
dégagé comme une lampe illuminée ».

7
Un verset du Coran reprend explicitement cette caractéristique du Prophète : « Ô Prophète !
Nous t’avons envoyé [pour être] témoin, annonciateur, avertisseur, appelant (les gens) à Allah,
par Sa permission ; et une lampe éclairante. » [Sourate al-Ahzâb, v 45-46].

Nous pouvons en déduire que la lumière qui émane du Prophète peut être perçue au sens propre
(son apparence) comme au sens figuré (son âme). Mohammed peut être considéré soit comme un
humain pourvu d’une enveloppe charnelle, soit comme un esprit, une réalisation spirituelle absolue.

b. Rites et pratiques

Le mouvement soufi est aussi connu comme « la voie du cœur ». Ici, le « cœur » désigne la
faculté de ressentir la présence divine dans tout l’univers et de fusionner avec l’Unique. Les ascètes
choisissent cette voie afin de cheminer vers Dieu. Les rites initiatiques pratiqués dans les confréries
visent la purification du cœur par la lutte contre la domination. L’ego déséquilibré qui pousse le
croyant à ressentir de la colère, à faire preuve de cupidité, de lâcheté ou à mentir.

Le soufisme valorise la danse mystique, la musique et la poésie dans l’optique de connaître


Dieu intimement, par l’esprit et le cœur. Ce courant de pensée imprègne aussi la musique et les
danses sacrées telles celles des melevives (derviches tourneurs). De plus, il se manifeste dans
l’architecture et la calligraphie.

Afin d’accéder à l’amour infini de Dieu, le soufi pratique l’ascèse, il médite ou part en retraite
spirituelle sur ordre de son cheikh. Toutes ses pensées et ses gestes sont dirigés vers Dieu, sa vie se
transforme en acte d’adoration permanent. L’élève absorbe le moins de nourriture et de boissons
possible, il revêt des vêtements simples et modestes et se préoccupe peu de son apparence physique.
L’adepte pratique le dhikr, la psalmodie du nom de Dieu, la commémoration du Bien-aimé, afin
d’entretenir une relation de complicité avec le Créateur : « Évoquez-moi et je vous évoquerais »
(Coran : Sourate 40, Verset 60). Chaque confrérie possède son propre dhikr que les croyants
peuvent pratiquer seul ou en groupe, assis ou debout, à voix haute ou basse. Le fidèle oscille sa tête
de gauche à droite, son corps se meut d’avant en arrière, son souffle s’accélère, il est en osmose
avec le Divin.

8
Voici quelques exemples d’évocations :

Le tasbih : dire « SoubhanAllah » (‫ ﷲ ﺳﺒﺤﺎن‬en arabe).

Le tahmid : dire « el hamdouLilah » (‫ ﷲ اﻟﺤﻤﺪ‬en arabe).

Le takbir : dire « Allahou akbar » (‫ أﻛﺒﺮ ﷲ‬en arabe).

Le tahlil : dire « La illaha illa Allah » (s’écrit ‫ ﷲ إﻻ إﻟﮫ ﻻ‬en arabe).

La hawqala : dire « Lâ hawla wa lâ quwwata illâ billâh »

(Il n’y a de force ni de puissance qu’en Allah).

La hasbala : dire « Hasbiy Allah » (Allah me suffit) (‫)ﷲ ﺣﺴﺒﻲ‬.

L’istirja : dire « Innâ lillâhi wa innâ ilayhi râji’ûn »

(A Allah nous appartenons et à Lui nous retournerons).

Pendant, le mois béni de Ramadan, le soufi jeûne de l’aube au coucher du soleil, il s’abstient de
tout plaisir matériel, il s’isole, prie et médite. Les adeptes de la confrérie se réunissent aussi lors des
veillées spirituelles.

Les fidèles vouent un culte au saint fondateur de la confrérie qu’ils respectent au plus haut point.
À l’occasion de l’anniversaire du saint, ils visitent son tombeau et observent les mêmes rites que
ceux du pèlerinage à la Mecque. Les adeptes gravitent autour du tombeau comme les pèlerins
gravitent autour de la Ka’ba. Par ailleurs, certaines confréries permettent aux soufis de substituer le
Hajj par la visite du mausolée des saints.

c. « Al tariqa », le chemin initiatique et les confréries

Le croyant adhère à une confrérie qui est encadrée par un maître spirituel, le cheikh. Ce dernier
se charge de son évolution au sein de tariqa : une école ou un ordre soufi. Elle désigne la voie qui
conduira le disciple de la charî’a au Divin. Chaque fondateur donne son nom à la confrérie qu’il

9
dirige. Le soufi reçoit d’une part le « flux sacré » par son maître dont le « lignage initiatique »
remonte au Prophète, d’autre part, il doit passer par des rites initiatiques et ésotériques, encadré par
son maître. Son initiation prend fin lors d’une cérémonie qui comprend différents rites dont
l’imposition du manteau (khirqa), le sermon d’allégeance (bay’a) ou la prise de pacte (ahd). Le
manteau aurait été transmis du prophète Abraham à Mohammed, puis à Ali et à tous les maîtres
soufis successifs. Le cheikh informe ses disciples des règles et usages de la communauté ainsi que
des obligations cultuelles. De plus, il leur apprend le wird qu’il faudra répéter tous les jours en plus
des prières. Propre à chaque tariqa, il se divise en prières, en sourates coraniques, en formules
liturgiques ou en incantations. Bien que fort différentes, les confréries possèdent des traits communs
: les adeptes sont amenés à purifier leur âme et à se perfectionner. Al-jihâd al-akbar, « la lutte la
plus grande » est composée de sept maqâm (stations de l’âme) : le repentir (tawba), le respect de la
charî’a (wara), le renoncement (zuhud), la pauvreté (faqr), la patience (sabr), l’abandon en Dieu
(tawakkul) et la satisfaction (ridâ). Ces stations symbolisent l’échelle sacrée qui mena Mohammed
aux sept cieux lors du voyage nocturne de la Mecque à Jérusalem. Avant de parvenir à la toute
dernière étape nommée le fanâ, l’anéantissement en Dieu, le disciple doit combattre son nafs : son
ego. Le maître soufi l’accompagne dans ce cheminement. Les adeptes se réunissent lors de séances
collectives, le jeudi soir ou la veille des fêtes religieuses. Elles se déroulent dans les mosquées, au
sein des zaouïas ou directement chez les fidèles.

La tariqa des Melevis ou « derviches tourneurs » qui fut fondée par le fils du grand poète et
mystique persan Jala al-Din Rûmî, en Turquie actuelle, au XIIIe siècle, est l’une des confréries les
plus connues du grand public. Afin de se rapprocher le plus intimement possible de Dieu, les fidèles
dansent lors d’une cérémonie individuelle ou collective, appelée le sama. Elle s’effectue sous la
direction du cheikh qui veille à son bon déroulement. Elle commence après la prière et débute par la
lecture d’un poème de Rûmî. Tous les gestes et salutations rituels effectués par les disciples sont
dotés d’un caractère spirituel et sacré. Lorsque les mystiques dansent, ils tournoient comme un
astre. La paume de leur main droite désigne le ciel et représente la connexion entre le danseur et
Dieu, leur paume gauche orientée vers le sol symbolise la restitution au peuple du don reçu par
Dieu.

Jalāl ad-Dīn Rûmî (m.1273), dit Mawlânâ « notre maître » a profondément marqué le soufisme.
Il étudia le droit et la théologie dogmatique qu’il enseigna par la suite et écrivit de nombreux
poèmes. On le décrivit comme « le poète de l’amour divin qui brûle et fait danser le monde au-
delà de toutes les normes ».

10
En 1228, Rûmî partit à Konya, en Anatolie, où il rencontra Shams el Dîn Tabrîzî, un mystique et
soufi iranien qui devint son maître spirituel. En l’hommage de son cheikh, il écrivit le recueil de
poèmes intitulé Dîvân-e Shams-e Tabrîzî (en français : Les travaux de Shams de Tabriz, en persan :
‫)دیوان شمس تبریزی‬. Son œuvre majeure intitulée le Masnavi-I Ma'navi (en français : Couplets rimés
d'une profonde signification spirituelle) se divise en six ouvrages. Elle comprend en tout 424
histoires allégoriques traitant de la condition humaine et de la tristesse provoquée par la séparation
entre le soufi et Dieu. Rûmî s’est inspiré des versets du Coran, des fables d’Ésope et des croyances
populaires en vigueur à cette époque. Le Masnavi est souvent considéré comme l’un des plus
illustres commentaires ésotériques du Coran et des hadiths. Rûmî ne contesta jamais la dimension
juridique de la religion musulmane ni l’importance des pratiques cultuelles. À sa mort, son fils se
chargea d’établir les rituels propres à la voie instaurée par Rûmî qui devint la tariqa des
Mawlâwiyya (« derviches tourneurs »).

Voici un extrait du Masnavi :

"Le chasseur et l'oiseau"

« Il te manque la fidélité du cœur ! dit l’oiseau. Si tu es amical, nombreux seront tes amis.
Si la brebis s’éloigne du troupeau, c’est une occasion pour le loup. Même si tu t’es gardé du
loup, ne te crois pas en sécurité si tu n’es pas entouré d’amis. Si les murs n’étaient pas amis les
uns des autres, aucune maison n’aurait de toit. Si la plume n’était pas l’amie du papier,
aucune parole ne serait transmise. »

Apprécié des Turcs, des Iraniens et des Afghans, Rûmî vécut entouré de fidèles qui
l’honorèrent et l’adulèrent. Il séduisit les instances religieuses et politiques et il trouva grâce auprès
des sultans. Il côtoya autant les chrétiens et les juifs que les musulmans, ce qui lui valut son surnom
(le chrétien). Nous pouvons aussi établir un parallèle entre la doctrine de Rûmî et celle de son
contemporain Ibn Arabi. (Partie III).

11
Nous souhaitions partager ce poème avec vous :

Enfin, la tariqa Alawiya, fondée en 1909 par le maître spirituel cheikh Ahmed al-Alawi
(1869-1934) à Mostaganem, connut un essor dans les années 1920 au Maghreb, en Europe et au
Proche-Orient. À cette période, le cheikh Ahmed al-Alawi voyagea en Europe où les tous premiers
foyers soufis nommés zaouïas, à savoir des établissements religieux, se développèrent. À la mort du
cheikh Ahmed al-Alawi en 1934, la confrérie réunissait 200 000 disciples dans le monde. Adda
Bentounès (1898-1952), qui fut nommé par le cheikh al-Alawi comme son successeur, reprit le

12
relais. Lorsque ce dernier mourut en 1952, son fils cheikh Khaled Bentounès occupa le rôle de
maître spirituel. Il rénova la zaouïa de Mostaganem où une nouvelle mosquée fut bâtie. Il effectua
de nombreux séjours en Europe où il transmit l’enseignement traditionnel soufi.

III. Les maîtres soufis

a. Al Hallaj : le christ de l’islam

Mansour Al Hallaj, né en 857 à Fars l’actuelle Iran et mort le 26 mars 922 à Bagdad, sous le
Califat Abbasside, est connu comme « le christ de l’Islam ». Il fait partie des quelques mystiques et
martyrs les plus célèbres de tous les temps.

Il s’est plongé dans la méditation de Dieu permettant au soufi d’établir un contact entre l’âme de
l’homme et Dieu l’ittisâl. Enfin, l’Esprit de Dieu habite l’âme purifiée du mystique sans confusion
de nature hulûl. Al-Hallaj déclara « Ana al haqq » (je suis la Vérité, je suis Dieu ou je suis le réel)
et déclama dans ses poèmes : « Je suis devenu celui que j’aime (Dieu) et celui que j’aime est
devenu moi ». Ces propos choquèrent les autorités musulmanes qui le firent crucifié sur la place
publique de Bagdad. Il fut aussi accusé d’usurpation du pouvoir suprême de Dieu, d’hérésie,
d’hétéropraxie, d’hétérodoxie et on le suspecta d’appartenir au mouvement qarmate (courant
dissident du chiisme ismaélien). Ses croyances et ses pratiques cultuelles différaient de celles
communément admises par les autorités. Il affirma que « l’on pouvait accomplir le pèlerinage
sans quitter sa demeure, en nourrissant simplement les orphelins ». Aussi, il préférait le
pèlerinage du cœur à celui accompli à la Mecque et prescrit par le Coran. Al Hallaj distinguait la foi
des rites : celui qui veut se consacrer à l’amour de Dieu va développer au plus profond de lui sa foi
intérieure, les rites et les dogmes sont alors secondaires : « J’ai abandonné aux gens leur usage et
leur religion pour me dédier à ton amour, toi ma religion et mon usage ».

C’est lui qui a mis les prémices de la théorie de « l’homme parfait » d’Ibn Arbi, il était le premier à
avoir remarqué le sens philosophique derrière le principe juif qui dit que Dieu a créé Adam à son
image, sur laquelle il a bsé sa théorie distinguant entre la nature divine et humaine de l’humain, deux
natures qui ne réunissent jamais, mais qui se mélange comme se mélange le vin avec l’eau. Et c’est
ainsi que Hallaj a reconnu pour la première fois de l’histoire de l’islam l’idée de la divinité de

13
l’humain en le considérant comme un genre spécial de la création incomparable dans sa divinité avec
les autres genres.

Juste avant son exécution il récita : « Tuez-moi donc, mes féaux camarades, c’est dans mon
meurtre qu’est ma vie, ma mort, c’est de survivre, et ma vie, c’est de mourir. »

Penchons-nous maintenant sur sa vie. Jusqu’à ses 12 ans, il apprit le Coran par cœur et reçut un
enseignement traditionnel religieux complet. Dès l’adolescence, il fut attiré par la vie ascétique et à
l’âge de 20 ans, il partit à Basra pour rejoindre une communauté soufie. Il souhaitait recevoir l’habit
monastique afin de devenir cheikh afin d’enseigner à son tour. Attiré par le rayonnement de
Bagdad, il fréquenta le cercle mystique d’une figure importante du soufisme Abu Al-Qasim Junayd,
l’un des pères fondateurs du soufisme classique (VII-Xe siècles). Ce grand maitre spirituel, connu
comme « le seigneur de la tribu spirituelle » fut le disciple d’al-Muhâsibî. Il prôna la doctrine de
l’anéantissement en Dieu (al-fanâ) qui précède le maintien dans la présence divine (baqâ). Loin de
tout état d’ivresse, il fut toujours lucide, prôna le tawhîd et se référa toujours au Coran et à la Sunna.

Nous comptons parmi les grands développements d’Al Hallaj : la science des cœurs, l’aspiration
à l’union divine par l’amour et le souhait de synthétiser le fondement propre à toutes les religions :

« Sache que judaïsme, christianisme et islam, comme les autres religions, ne sont que
dénomination et appellation, le but recherché à travers elles jamais ne varie, ni ne change. »
Ces propos d’Al-Hallaj peuvent être mis en relation avec ceux du poète Rûmî : « La vérité est un
miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que
toute la vérité s'y trouve ».

Selon Al-Hallaj, le disciple doit passer par trois phases avant d’atteindre Dieu :

1. L’ascèse des sens.

2. L’ascèse de purification intérieure et le détachement de son moi subjectif qui instaure


une réciprocité de l’amour entre Dieu et sa créature.

14
3. L’ascèse de l’esprit qui débouche sur l’union avec l’Unique et qui permet alors au soufi
d’exprimer le « je » qui l’unit à la source même de la parole divine : « Tu m’as
rapproché de toi et j’en suis venu à croire que tu es moi ». Pour lui, l’amour
primordial représente l’amour de l’essence divine elle-même ; l’amour se consomme et
s’assouvit, lors de la connaissance parfaite « ma`rifah ».

b. L’océan Akbarien

Muhyeddine Ibn Arabi, né en 1165 à Murcie en Andalousie et mort en 1240 à Damas, fut nommé
Al Cheikh Al Akbar, le plus grand des maîtres, en raison de son œuvre abondante et florissante. Son
recueil majeur Al Futahat Al Macquiya « les illuminations de la Mecque » est considéré comme
l’encyclopédie du soufisme car il fait office d’ouvrage de référence. Ibn Arabi y explique son
cheminement spirituel, sa théologie, sa métaphysique et sa mystique. Selon Abdrahmen Jami, l’un des
poètes persans les plus réputés du XV e siècle, Ibn Arabi aurait rédigé environ 500 livres et lettres.

Ibn Arabi fut un ouléma, juriste, soufi, poète, philosophe andalou qui fonda une nouvelle école
philosophique. Il délaissa la méthode mentale cognitive et analytique au profit d’une méthode
illustrative, émotive et symbolique qu’il expoise dans Fusus Al Hikam : « La vue est le spectateur
de la raison (al aql), et la perspicacité (al basira) est le spectateur du cœur, et le plus haut
degré de connaissance est la sagesse, et la sagesse est la maitrise ultime de la connaissance. Et
la sagesse à des degrés, dont le plus élevé est la perspicacité, et la perspicacité est la lumière de
la raison dérivée de la lumière (al quds) du sacré, et le plus haut degré de la raison (al aql) est
la vue, car la connaissance c’est percevoir la chose telle qu’elle est en soi. »

Sa doctrine ne peut être qualifiée comme étant exclusivement soufie ou philosophique car elle
marie ces deux aspects avec perfection. Elle réunit l’unicité de la réflexion et la force du ressenti
tout en trouvant un équilibre entre les questions relatives à la raison et le dévoilement spirituel.

-
Fusus Al Hikam : la synthèse de la doctrine akbarienne

Cette œuvre dédiée aux prophètes mentionnés dans le Coran, de Adam au Christ, résume à elle-
seule la doctrine d’Ibn Arabi. Il la rédigea quand il fut à l’apogée de sa maturité mentale et
spirituelle. À travers cet ouvrage, il approfondit et finalisa sa théorie de l’unicité de l’existence, en

15
se basant entre autres sur le Coran, les Hadiths, la science du Kalam (philologie), la philosophie
d’Aristote, de Platon, le Gnosticisme chrétien, la philosophie juive, shiites, et les maitres soufis qui
le précédaient.

Le fusus est un livre dans la philosophie divine traduite par le soufisme, Ibn Arabi cherche dans
ses pages à comprendre la nature de l’existence, et la relation de l’existence possible avec
l’existence obligatoire (Allah), mais surtout chercher la vérité divine qui se manifeste dans sa forme
la plus parfaite dans les images des prophètes. Dans al fusus, chacune des sagesse concerne une
vérité d’un des prophète qu’il appelle « un mot mohammadien, yacobien, youssefien..) qui
représente un attribut divin.

Au début de ce livre, Ibn Arabi rapporte « j’ai vu le Prophète Mohammed dans un reve que j’ai
fait les 10 dernier jours du mois Muharram en 627 à Damas, dans les mains un livre, il m’a dit,
c’est le livre Fusus Al Hikam, prend le et partage le avec les gens qu’ils en bénéficient, j’ai dit,
obéissance à Allah et son prophète, et j’ai réalisé le vœu de bonne foi et rédigé ce livre comme l’a
délimité le Prophète sans plus ni moins. »

1. L’unicité de l’existence : une sagesse divine dans un mot adamien

La vérité existentielle est une dans son essence et son être, et multiple à travers ses caractères et
ses noms, elle est ancienne, éternelle, et ne change pas même si les images avec lesquelles elle se
manifeste changent. Ainsi si on ragrée l’existence dans son être on dirait que c’est « al haq » ou la
vérité, et si on regarde ses attributs et noms, ou à travers sa manifestation dans l’essence de ce qui
est possible, (a’yen al momkinat), on dirait que c’est la créature (al khalq) ou le monde.

L’existence est donc la vérité (al haq) et la création (al khalq), l’unicité et la multiplicité, le début
et la fin, l’apparent (al dhaher) et le caché (al batin).

Cette doctrine de l’unicité de l’existence était incomplète en Islam avant lui, c’est Ibn Arabi qui a
fondé cette école et qui a détaillé ses significations en dessinant son image finale, et dont tous ceux
qui avaient parlé par la suite se sont inspirés.

On estime en effet que le soufisme a pris un nouveau tournant au 13éme siècle, par rapport au
soufisme de Al Bastami, Junayed, Al Hallaj, et même son contemporain Ibn Al Faredh, en devnant
un courant religieux imprégné de l’unicité de l’exitance qui est devenue l’une de ses fondement.
Avant, ces maitres se sont anéanti dans leurs amour de dieu en s’oubliant, ils n’ont vu et témoigné

16
dans l’existence que lui, et ceci représente une unicité de témoignage (wahdat chouhoud) et non
l’unicité de l’existence (wahdet al woujoud).

Ibn Arabi parle clairement et sans ambiguïté, non de son anéantissement dans l’être divin, ni son
union avec, mais de l’unicité de Al Haq et al Khalq.

Ana Al Haq de Al Hallaj représente justement une théorie de la binarité de la nature humaine
entre un coté divin (al rouh, l’esprit) et le coté humain (le corps). Pour lui la nature divine et
humaine de l’humain sont deux facettes d’une même vérité, et non deux natures. Une vérité qu’on
appelle humaine si on regarde son extérieur, et divine si on regardait son intérieur et son fond. Ainsi
ces deux facettes ne concernent pas que l’humain, mais toutes les autres créatures vivantes.

Cette doctrine place Allah au premier rang et au tout début de l’existence, (al awal), et considère
Allah comme la vérité éternelle et l’existence illimité obligatoire qu’est l’origine de tout ce qu’il
y’avait, il y’a, et il y’aura. L’existence qu’il attribue au monde est semblable à l’existence de
l’ombre par rapport aux personnes, et le reflet dans le miroir des choses reflétés, mais le monde en
soi n’est qu’imaginaire, un rêve qu’il faut interpréter pour comprendre sa vérité, et l’existence
véridique est l’existence de dieu uniquement.

Ainsi l’existence de Dieu ne nécessite pas de preuves, et comment a-t-on abbesoin de preuve
pour prouver l’existence de dieu alors que c’est son être la preuve ultime, la seule preuve étant
Dieu lui-même, il est la preuve et le prouvé. Chercher à le prouver est semblable à vouloir prouver
la lumière alors que c’est avec elle qu’apparait tout ce qui existe et qu’on perçoit avec nos sens.
Ainsi, Al Haq (Dieu) se cache tout comme le soleil se cache de celui qui le regarde par la force de
son rayonnement éblouissant.

La doctrine d’Ibn Arabi se base alors sur la reconnaissance de l’existence de dieu, mais c’est le
Dieu qui réunit toute chose dans son être, l’englobant de toute existence.

Enfin, cette doctrine soutient que al haq et al khalq (la vérité et la création) sont une seule et
même vérité qui ne se distinguent que par la nécessité et l’obligation de l’existence rattaché à al
haq, et non à al khalq, qui en dépend.

« Al haq (dieu) a voulu, par ses noms sacrés qui ne peuvent être limités, voir leurs essences,
et .. voir sa propre essence, dans un univers englobant les résumant.. et de se montrer à travers lui

17
son secret : car se voir en soi à travers soi n’est pas semblable à se voir soi-même dans autre chose
qui lui est semblable à un miroir.. »

Pour lui ceci n’est pas accessible pour la raison à travers une perception intellectuelle, mais c’est
un art de perception qui ne peut venir que d’un dévoilement divin qui définit l’origine du monde.

2. L’Amour et la femme : une sagesse unique dans un mot mohammadien

Pour Ibn Arabi, l’amour est l’origine de tout ce qui existe, il mentionne le hadith « Allah est beau
et aime la beauté » pour expliquer la création de l’univers. Dieu a créé l’univers à la perfection et à
l’optimum de la beauté, et il n’y a de beau que lui, il s’est donc aimé et a aimé voir son être dans
autre que lui. il a alors crée l’univers à l’image de sa beauté, et il l’a regardé, et l’a aimé. Ainsi la
création de la beauté de ce monde est le fruit de cette graine d’amour qui est la base de la création
de toute chose, et on ne peut atteindre Dieu ou sa beauté que par cet amour à travers duquel il nous
a créé et qui est ainée en nous.

Et cet amour se manifeste le plus selon lui dans l’amour que réunit deux amoureux. Pour
l’illustrer, il se réfère au prophète Mohammed qui dit : « On m’a fait aimer trois choses de votre
monde : les femmes, le parfum et la prière qui est mon plaisir suprême. » Il se concentre sur le
changement grammatical utilisé en arabe (Hobiba) indiquant clairement que cet amour pour les
femmes a une source divine et métaphysique ; cela signifie donc : « Dieu m’a fait aimer les
femmes ». Ibn Arabi explique que que le Prophète a ressenti cet amour pour les femmes parce
qu’elles sont la manifestation de la beauté la plus actualisée de Dieu sur terre, et puisque la
contemplation de Dieu exige des soutiens visibles, on dit que les femmes sont le « lieu de
manifestation » (Madh’har) le plus parfait de Dieu.

Par ailleurs, Ibn Arabi utilise des métaphores largement genrées pour décrire tous les principes
de la réalité, y compris les domaines de la cosmologie, la nature et l’humanité. Il nous dit par
exemple que le ciel comme père agit sur la terre comme mère, par conséquent toutes les choses sur
la terre sont créées, et dans cette poétique de la création, il y a une absence notable d’une valeur
hiérarchique.

18
Tout ce qui est créé est alors le fruit de l’union des deux pôles : « activité » masculine (fa ‘iliyya)
et « réceptivité » féminine (infi’al, qabiliyya), imprégnant (nakih) et imprégné (mankuh), principe
masculin et féminin. Il affirme que ces principes toutes les sphères de l’être de manière
complémentaire et relationnelle, et que toute l’existence naît de l’union ou du « mariage » de ces
deux principes puisqu’il parle de l’amour entre « homme », de « femme » qui demande l’« union
sexuelle » (Al wasla wal nikah) «  et c’est pour cela que le prophète aimait les femmes, pour la
perfection du témoignage de Al Haq (Dieu) en elles, car le témoignage de Al haq ne peut se faire
sans la matière..  » il considère l’amour des femmes comme un moyen d’atteindre l’amour de Dieu
puisque le témoignage de la vérité (Dieu) chez les femmes est plus complete et manifeste chez les
femmes que chez les hommes. Les femmes sont en effet pleines de bonté et de vérité, comme si l’on
pouvait voir en elles la grâce, la miséricorde et la beauté de Dieu

Les hommes et les femmes sont alors constitués par des combinaisons de ces deux principes
puisque le genre fait partie d’une matrice de physique et de possibilités affectives et spirituelles
émanant de l’Un (Dieu) et reflétant diverses manifestations de qualités divines.

Les 99 noms divins sont en effet des instances intermédiaires entre l’essence divine pure et la
création, et le divin a en quelque sorte besoin du féminin pour se révéler dans ses manifestations,
pas dans son essence.

Dans le même sens, engendrer (al-takwin) est le lieu indispensable où l’être humain est formé, et
c’est l’un des attributs de Dieu qui est celui qui engendre les choses, les amener à l’existence avec
nom de Créateur (al-Khaleq), ainsi, après Dieu, c’est la femme qui se tient à l’origine de la vie au
niveau de la création et révèle son nom le Créateur.

Autrement, Ibn Arabi se concentre beaucoup sur le nom divin « Al-Rahman » (Le
miséricordieux) désignant la bonté, la miséricorde et la compassion, fortement liées à l’amour et
liées à « Bissmillah Al-Rahman Al-Rahim » (au nom de Dieu le Tout miséricordieux et le Très
miséricordieux), l’expression qui ouvre toutes les sourates coraniques sauf une. (Shaikh, 2022). En
outre, il existe selon lui un argument étymologique reliant le terme « utérus » (Rahim) à « Al-
Rahman » et lié à ce qui est généralement considéré comme le chapitre le plus puissant du Coran :
al-fatihah.

19
Le Maître soutient donc que les hommes et les femmes sont des partenaires dans l’humanité et
que toute l’existence dépend de « l’amour » puisque l’amour du prophète pour les femmes, par
exemple, était en réalité l’amour de Dieu, et donc aimer les femmes est une façon de lier Dieu à
l’humanité. Il a souligné que ce hadith (mentionné précédemment) commence avec les femmes et se
termine par la prière, les deux sont féminins (en arabe), et place un mot masculin (parfum) entre eux
de la même manière que les hommes sont placés entre deux féminités dans la vie, le sein maternel
d’où naît l’homme et la femme qu’il aime Ainsi, notre condition sexuelle, masculine ou féminine,
est transitoire et secondaire une fois réintégrée dans l’Unité (tawḥīd) qui transcende ces polarités
comme le Coran déclare d’une manière très claire l’origine non sexuelle de l’âme humaine « Ô
humanité ! Méfiez-vous de votre Seigneur qui vous a créés à partir d’une seule âme (nafs), et a créé
son compagnon (zawj) d’elle...», le verset d’ouverture de Sourate les femmes (al-nisa), qui ne peut
pas être considérée comme une coïncidence.

Voici les principes centraux de la doctrine akbarienne :

1. L’unicité de l’existence : une sagesse divine dans un mot adamien.

2. L’homme parfait (al Insan al Kamel).

3. L’Amour et la femme : une sagesse unique dans un mot mohammadien.

c. L’Emir Abdelkader: la résurrection moderne d’Ibn Arabi

PARTIE QUE LINDA RAJOUTERA

En conclusion, le soufisme souvent considéré comme une simple école ou une doctrine
ésotérique désigne avant tout une philosophie de vie, une « voie » spirituelle, celle du cœur.
Certaines mouvances le perçoivent comme une hérésie, un danger pour les sociétés islamiques
provoquant la Fitna. De nos jours, nous trouvons une vaste gamme de livres traitant du soufisme

20
dans les libraires. Nombre de ces ouvrages présentent ce mouvement comme une méthode « bien-
être » à l’instar de la méditation ou du yoga. Or, loin de cette image superficielle, le soufisme
prône un mode de vie ascétique. L’ascète abandonne ses biens, fait vœu de pauvreté, s’isole et suit
les enseignements de son maître. En choisissant de vivre modestement, l’initié tente de se
rapprocher de Dieu. Al Hallaj voyait sa vie terrestre comme une prison, un fardeau alors qu’en
mourant, son âme quitterait enfin son enveloppe corporelle afin de rejoindre l’Unique.

Bibliographie

- Articles

(s. d.-b). Accueil - Archive ouverte HAL. Consulté le 23 avril 2023 de https://hal.science/hal-


01237152v1/document

21
Rédaction, L. (2015, 19 octobre). 10 clés pour comprendre le soufisme. Telquel.ma. Consulté le 23
avril 2023 sur https://telquel.ma/2015/10/19/10-cles-comprendre-soufisme_1466952

Pourquoi Les Derviches Tourneurs tournent-ils ? Vous avez dit arabe ? Un document web de
l’Institut du Monde Arabe. Consulté le 22 avril 2023 sur https://vous-avez-dit-
arabe.webdoc.imarabe.org/religion/sunnisme-chiisme-et-soufisme/pourquoi-les-derviches-
tourneurs-tournent-ils

Site Officiel Cheikh Bentounes: Les Soufis. Cheikhbentounes. Consulté le 23 avril, 2023 sur https://
www.cheikh-bentounes.com/les-soufis

Karkari. (2019, 14 avril). La primordialité de la lumière dans l'accès à la connaissance du


prophète. Voie Soufie Karkariya. Consulté le 23 avril 2023 sur https://karkariya.fr/la-primordialite-
de-la-lumiere-dans- lacces-a-la-connaissance-du-prophete-sallallahu-alayhi-wa-sallam/

La rédaction des Cahiers de l'Islam. Soufisme et Poésie (revue de la conscience soufie). Les cahiers
de l'Islam. Consulté le 23 avril 2023 sur https://www.lescahiersdelislam.fr/Soufisme-et-poesie-
Revue-de-la-Conscience-Soufie_a1793.html

Hazrat Inayat Khan transmis le soufisme sous une forme universelle. (2018, December 14). INAYATI
Order France. Consulté le 26 avril 2023 sur https://www.inayatiyya-france.org/hazrat-inayat-khan/

IBN TAYMIYYA (1263-1328) ». Dans Encyclopædia Universalis [en ligne]. Consulté le 28 avril
2023 sur https://www.universalis.fr/encyclopedie/ibn-taymiyya/

Théses-Algérie : Doctorat, Magister, Master. (s. d.). Consulté le 26 avril 2023 sur https://www.theses-
algerie.com/8810576586638613/articles-scientifiques-et-publications/universite-abdelhamid-ibn-
badis---mostaganem/le-soufisme-d-occident-dans-le-miroir-du-soufisme-d-orient

Lepesqueur, Y. (2021, 7 février). Rûmî : la tension vivante de la mystique et de l’amour. En attendant


Nadeau. Consulté le 28 avril 2023 sur https://www.en-attendant-nadeau.fr/2021/01/25/tension-
mystique-amour-rumi/

-
Livres

Bentounès Khaled, Solt, B., Solt, R., & Delorme, C. (1996). Le Soufisme, Coeur de l'islam ; Suivi
de extraits du Diwan. Table ronde. Berque, J. (2020). Le coran. Albin Michel.

Godefroy Aurélie. (2011). Le soufisme. Avant-Propos.

Geoffroy, E. (2019). Le soufisme : Histoire, fondements et pratiques de l’islam spirituel. Editions


Eyrolles.

22
Mervin, S. (2016). Histoire de l’islam : fondements et doctrines. Dans Flammarion eBooks. Groupe
Flammarion. https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-01862688

Rûmî, D., Erguner, K. A., & Maniez, P. (2013). Le Mesnevi : 150 contes soufis. Albin Michel.

Ibn Arabi, M. Afifi, A. (1987). ‫ تعليقات أبو العالء العفيفي‬،‫فصوص الحكم‬. Fusus Al Hikam, commentaires de
Abu Al Al’a Afifi. Azahra, Téhéran.

Ayouch, S. (2010). La passion de Husayn Mansûr Al-Hallaj. Topique, 113, 133-147.

-
Livres Saints :

Coran en ligne - Saint Coran en Arabe, Lire et Écouter. (s. d.). Le-Coran.com. https://www.le-
coran.com/arabe/

- Dictionnaires

Soufisme - Définitions, synonymes, conjugaison, exemples | Dico en ligne Le Robert. (s. d.).


https://dictionnaire.lerobert.com/definition/soufisme

Larousse, É. (s. d.). Définitions : soufisme - Dictionnaire de français Larousse.


https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/soufisme/73643

-
Vidéos

CLAIR BRUT. (2017, 19 mai). RÛMÎ – Une Vie, une Œuvre : Le saint des derviches-tourneurs
(France Culture, 1986) [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=Si26R5VonYI

ÉCLAIR BRUT. (2018, 16 mars). Mansur Al HALLAJ – Une Vie, une Œuvre : le christ de l'Islam
(France Culture, 1988) [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=G8EjZoERc60

23
ÉCLAIR BRUT. (2022, 9 septembre). RÂBI'AH al-'Adawiyyah – Une Vie, une Œuvre : l'amour
spirituel (France Culture, 2006) [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?
v=ENc5vCDq7fQ

-
Images

Abd el-Kader en arabe ‘Abd al-Qādir ibn Muḥyī al-Dīn - LAROUSSE [Image]. (s. d.). Larousse.fr :
encyclopédie et dictionnaires gratuits en ligne.
https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Abd_el-Kader/103760

24

Vous aimerez peut-être aussi