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Mutations de l'hindouisme aux Mascareignes et aux Antilles

Gerry L’Etang
Hindouisme, hindouismes
Les abolitions de l’esclavage dans la première moitié du XIXe siècle, aux colonies
britanniques d’abord, aux colonies françaises ensuite, entraînèrent la venue plus ou moins
massive selon les lieux, d’immigrants indiens. Ces arrivants qui rejoignirent des populations
hindoues installées dès l’époque esclavagiste (Réunion, Maurice), ou qui constituèrent les
premiers hindous de ces régions (Antilles), allaient contribuer à complexifier les contextes
sociaux et culturels dans lesquels ils s’insérèrent. Ces migrants allaient en retour être
influencés par ces contextes.

Les immigrants étaient porteurs de traditions diverses de l’hindouisme. L’hindouisme, qui


réunit des écoles philosophiques et mystiques très variées, des divinités fort nombreuses, se
caractérise par un grand nombre de courants. Ces courants sont cependant unifiés par
quelques principes :

- L’idée qu’il existe une loi générale, immuable, qui régit l’univers et l’ordre des choses, qui
conditionne la conduite de l’individu et de la société.
- La croyance en un principe vital de l’homme et la croyance en son équivalent au plan
général, macrocosmique : le Brahman.
- Le principe de la réincarnation de l’âme dans une série indéfinie d’existences dont la
qualité sera fonction des actes exécutés dans les vies antérieures, et dont le terme est la
délivrance, c’est-à-dire la fin des réincarnations et la fusion dans l’absolu, le Brahman (cette
croyance cependant loin d’être générale dans les milieux intouchables et tribaux).
- La nécessité d’une morale de vie que l’individu doit observer au long de son existence, et
qui comprend la pratique des vertus que sont la recherche de la pureté, la maîtrise des
pulsions, le détachement, la quête de la vérité.
- La loi de la rétribution des actes, selon laquelle les actions accomplies lors des vies
antérieures expliquent l’incarnation présente, et les actions actuelles déterminent
l’incarnation à venir.
- Un système de castes hiérarchisées
- Les notions de pur et d’impur, autour desquelles s’organise la hiérarchie des castes et les
pratiques rituelles.
- Une mythologique, singulièrement les épopées du Ramayana et du Mahabharata.

Les courants constitutifs de l’hindouisme s’opposent cependant sur de nombreux points. On


peut schématiquement, scinder cet ensemble en deux grandes catégories : la catégorie
populaire et la catégorie élitaire.

L’hindouisme populaire est caractérisé par l’utilisation des langues régionales comme
langues cultuelles, la prééminence de la liturgie sur la spéculation métaphysique, l’office de
prêtres non brahmanes, la pratique d’immolation d’animaux, la pratique de rites de
possession à finalité divinatoire, la vénération de divinités villageoises.

Il diffère en cela de l’hindouisme élitaire, caractérisé, lui, par l’utilisation du sanskrit comme
idiome cérémoniel, l’importance de la spéculation philosophique, l’office de prêtres
brahmanes, la pratique d’oblations non carnées, l’absence de transes oraculaires, la
vénération d’un panthéon pan-indien, védique ou brahmanisé.

1
Sanskritisation
Cette dichotomie au sein de l’hindouisme est cependant atténuée par un autre phénomène : la
sanskritisation. La sanskritisation est un processus de mobilité collective au travers duquel
les castes inférieures, afin de rehausser leur statut social, changent leur mode de vie pour
adopter celui des castes supérieures. Ce processus dont la finalité est l’ascension
socioculturelle, se traduit au plan religieux par l’adoption des usages liturgiques et du
panthéon des castes supérieures.

Le concept de Sanskritisation a été théorisé par l’anthropologue indien M. N. Srinivas, suite


à des observations de terrain faites par des chercheurs (dont Srinivas lui-même) dans des
villages hindous à compter des années 1940. Il est donc une découverte de l’investigation
anthropologique du XXe siècle. Le phénomène que recouvre ce concept est cependant attesté
à des périodes antérieures. Ainsi au XIXe siècle, la basse caste des Iravar en pays malayalam
(Kerala), sous la conduite de son chef, Sri Narayana Guru, entreprit un processus d’élévation
sociale qui passait par la sanskritisation. Sri Narayana enjoignit à sa caste « de ne plus boire
d’alcool, popularisa le culte de Shiva, prêcha une plus grande moralité sexuelle ; lui-même
connaissait les Veda et il désacralisa les temples irava dédiés aux sanguinaires divinités de
village pour les consacrer à de grands dieux du panthéon hindou. Il encouragea les Irava à
arrêter de collecter le toddy servant à la fabrication de l’alcool et promut donc un
changement radical de profession » (Deliège : 1993 : 105). Ailleurs, au pays tamoul avec les
Nadar, ou dans le nord de l’Inde, se produisirent au XIXe siècle des mutations sociales,
culturelles et religieuses similaires. Elles représentaient une déclinaison particulière du
processus commun suivant lequel la promotion des couches inférieures passe par l’adoption
mimétique des conduites des couches supérieures.

La sanskritisation se heurta dans l’Inde du XIXe, à l’opposition des castes supérieures qui y
virent une remise en cause de leur domination. Car ce projet mimétique, en portant en germe
la disparition des fondements religieux et culturels de la distinction hindoue, contestait en
définitive la hiérarchie des castes. Le refus des castes inférieures, à l’issue de leur mutation
culturelle, de leurs professions traditionnelles et les contraintes serviles qui y étaient
attachées, marquait bien le caractère contestataire, politique, de ce processus.

Le phénomène de sanskritisation étant significatif dans l’Inde du XIXe, il y a lieu de penser


qu’il était aussi à l’œuvre chez les hindous qui débarquèrent aux Mascareignes et aux
Antilles à cette époque.

Créolisation
Aux Mascareignes et aux Antilles, l’hindouisme allait être confronté à un autre phénomène :
la créolisation. La créolisation, que l’on peut caractériser, au moins historiquement, comme le
processus d’interaction et d’hybridation de traits culturels déterritorialisés, adoptés/adaptés,
hérités et inventés dans le contexte de la plantation coloniale, fut, à l’époque de l’insertion
indienne dans ces sociétés (c’est-à-dire à celle de la toute puissance de l’économie cannière),
marquée par le poids socioculturel de la plantation. Ce moteur de la créolisation imposa un
processus de sélection et de reconfiguration qui n’allait retenir que les éléments compatibles
avec la plantation ou pouvant être reformatés par elle.

La créolisation s’oppose à la sanskritisation sur un point essentiel. Alors que la sanskritisation


est un processus élitaire, un mouvement vertical du bas vers le haut, la créolisation est un
mouvement horizontal qui ne permet pas, surtout à l’époque coloniale, l’ascension sociale. Le
modèle culturel élitaire dans les sociétés créoles n’est pas le produit de la créolisation, en

2
l’occurrence la culture créole. Cette dernière, générée par la contrainte coloniale, ne constitue
pas le modèle de référence, quand bien même elle intègre des traits de culture élitaire
(vêtement, musique, religion, etc.) plus ou moins réinterprétés. Le modèle culturel de
référence dans les sociétés coloniales créoles, c’est le modèle culturel du colonisateur. La
dévalorisation, le déni dans lesquels furent tenues les productions culturelles créoles par ceux
avaient le pouvoir de définir la culture officielle des colonies (voire par les dominés créoles
eux-mêmes), en atteste. Les modalités de cette dévalorisation par le pouvoir plantocratique
furent cependant différentes selon les choix ségrégationnistes ou assimilationnistes des
différents colonisateurs.

La conséquence la plus générale de la délocalisation de l’hindouisme, fut l’affaiblissement


voire la disparition du système des castes1. Le nivellement socioprofessionnel imposé à des
arrivants réduits à la fonction de coupeurs de cannes, rendit obsolète une hiérarchisation, un
inégalitarisme structurel conçu par et pour une autre société. La caste allait même disparaître
totalement chez les descendances indiennes de Réunion, Guadeloupe, Martinique. Elle allait
se maintenir sous une forme atténuée à Maurice et à Trinidad, où elle reste opératoire au plan
religieux, les Brahmanes restant préférentiellement (mais non exclusivement) les prêtres des
hindouismes de ces pays. La caste conserve par ailleurs dans ces dernières îles, une pertinence
relative dans les alliances matrimoniales, surtout chez les individus issus de castes
supérieures, le souvenir de caste ayant, à l’inverse, tendance à être oublié chez les personnes
issues d’autres catégories. Enfin, il convient, pour le cas particulier de Maurice, de signaler
l’importance de l’affiliation indo-régionale (marathe, tamoule, télougoue, etc.) qui tend à
supplanter l’origine castique, et, toujours pour Maurice, le poids des membres de la caste
Vaish, parmi lesquels se recrutent aujourd’hui nombre de leaders politiques.

D’autres phénomènes, comme la contraction du panthéon et la sélection des rites, peuvent être
constatés dans toutes les îles, avec, dans le cas spécifique de la Réunion, de la Guadeloupe et
de la Martinique qui accueillirent principalement des populations tamoules, un emprunt à
l’Islam tamoul, à savoir l’intégration du saint Nagour Mira dans le panthéon et la liturgie
hindous. En raison de l’interdiction hindoue de quitter la terre sacrée de l’Inde (malédiction
du Kalapani), cette figure musulmane connue pour la protection qu’elle accordait aux bateaux
guettés par la tempête, fut sollicitée par les hindous tamouls pour sécuriser leurs convois.

Nonobstant le cadre créole général dans lequel les arrivants hindous se trouvèrent placés,
l’hindouisme allait, selon les pays, suivre des évolutions contrastées. Des variations
numériques très importantes (480 000 immigrants indiens pour Maurice, 150 000 pour
Trinidad, 92 000 pour la Réunion, 42 000 pour la Guadeloupe, 25 000 pour la Martinique2) ;
les variations des proportions d’hindous dans les populations globales, induites pour partie par
les variations précédemment exposées (à terme, une majorité absolue d’hindous à Maurice,
une minorité très forte à Trinidad, une minorité significative à la Réunion, une minorité plus
faible à la Guadeloupe, une minorité infime à la Martinique) ; les options culturelles
différentes des colonisateurs (ségrégationnistes pour les britanniques, assimilationnistes pour
les Français) ; les différences de durée des immigrations et donc de relation avec l’Inde3 ; les
1
L’effritement de la caste, qui peut être constaté dans toutes les régions de diaspora hindoue, n’est pas une
conséquence directe de la créolisation. Cette dernière a pu cependant, dans certains lieux, amplifier le
phénomène.
2
Ces immigrants indiens, hindous dans leur très grande majorité, incluaient cependant une petite proportion de
musulmans.
3
Les immigrations indiennes de Réunion, Guadeloupe, Martinique s’arrêtèrent respectivement en 1883, 1889,
1883 alors qu’elles continuèrent jusqu’en 1907 à Maurice et jusqu’en 1917 à Trinidad. Mais à la Réunion,
l’immigration avait commencé dès la fin du XVIIIe.

3
variations dans la qualité du contact avec l’Inde à l’issue de la période d’immigration ; les
variations d’origine géographiques des immigrants ; les variations sociales et donc religieuses
au sein des différents groupes ; tout cela allait, au final, produire des hindouismes créoles très
différents.

Brahmanisation
Les divergences entre les hindouismes créoles tiennent aussi aux évolutions contradictoires du
phénomène de brahmanisation, que l’on comprendra comme l’incidence religieuse de la
sanskritisation. La présence significative de brahmanes et de hautes castes dans les
immigrations de Maurice et de Trinidad, et, à l’inverse, la faiblesse des ressortissants de ces
dernières en Réunion, Guadeloupe, Martinique, allait permettre la continuation du processus à
Maurice et à Trinidad, alors que ce dernier devait, dans un premier temps, s’enrayer en
Réunion, Guadeloupe, martinique. Les différences de répartition castique au sein des groupes
indiens des îles, s’expliquent entre autres par la faible représentation des hautes castes
aryennes (et donc brahmane) en pays tamoul, alors qu’elles sont davantage représentées dans
le nord de l’Inde. Les immigrations trinidadienne et mauricienne étaient essentiellement
nord-indiennes, les autres étaient majoritairement tamoules.

A Maurice et à Trinidad, les brahmanes et ceux qui leur étaient associés, maintiendront leur
pouvoir sacerdotal et imposeront à la variété populaire la continuation du processus de
brahmanisation amorcé en l’Inde. Le parcours du grand-père maternel de VS Naipaul en
témoigne. Brahmane d’un village de l’Uttar Pradesh ayant étudié dans la ville sainte de
Bénarès, recruté en théorie comme pandit pour l’encadrement d’immigrants de Trinidad, il fut
en fait affecté à un emploi d’ouvrier dans une manufacture de sucre. Mais il allait arrondir son
pécule « en remplissant le soir son rôle de pandit » (Naipaul, 1989 : 332). Cette activité de
pandit allait être le point de départ d’une certaine aisance, qui lui permit d’ériger trois petits
sanctuaires dans son village natal.

La brahmanisation à Maurice et à Trinidad allait cependant prendre un tour particulier. Elle


consistera d’abord en un mouvement du haut vers le bas, des hautes castes vers les basses
castes, ensuite en un mouvement du bas vers le haut, les hautes castes tirant l’hindouisme des
secondes vers la variété élitaire. La participation active à Maurice et à Trinidad des hautes
castes à la brahmanisation, contrairement au cas de l’Inde, s’explique par le contexte imposé
par la plantation. Dans une situation de nivellement professionnel général, dans une
conjoncture de non-reconnaissance de la hiérarchie des castes par la plantocratie coloniale, les
religieux brahmanes, socialement dévalués, ne pouvaient tenter de maintenir leur prestige au
sein du groupe immigré qu’en encadrant culturellement et religieusement le plus grand
nombre possible d’immigrants. La réduction de la sanskritisation à sa seule dimension
religieuse, s’explique aussi par cette circonstance particulière. En pareille situation, les
configurations non religieuses du phénomène ne pouvaient se maintenir. A Maurice comme à
Trinidad, la créolisation imposa donc à la brahmanisation un profil particulier. L’hindouisme
populaire n’en allait pas moins s’en trouver affaibli. Ses formes les plus hétérogènes : transes
oraculaires, immolations animales, etc., se raréfièrent, sans disparaître pour autant.

Un autre phénomène favorisa la poursuite à Maurice et à Trinidad de la brahmanisation : la


continuation des rapports avec l’Inde. A Trinidad et plus encore à Maurice, l’arrêt (par
ailleurs tardif) de l’immigration, n’induisit pas de rupture radicale d’avec l’Inde. Des va-et-
vient divers furent possibles et favorisèrent le maintien de la variété religieuse élitaire comme
modèle de référence. A preuve, le grand-père de Naipaul retourna en Inde, y acheta une terre,
repartit à Trinidad, revint encore en Inde et y mourut sur la route du retour à Trinidad. La

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reprise du contact étroit avec l’Inde, particulièrement à Maurice à compter de l’indépendance,
mais aussi, dans une moindre mesure, à Trinidad un peu plus tard, amplifiera le phénomène.
Le poids de l’Inde dans la définition de la culture Mauricienne va d’ailleurs croissant.
L’activation des relations avec l’Inde depuis l’indépendance, la réactivation d’éléments
culturels latents qu’induit cette liaison, provoque une réelle indianisation de la société de ce
pays.

A la Réunion et plus encore en Guadeloupe et en Martinique, la rupture d’avec l’Inde fut


autrement marquée et dura près d’un siècle. Pendant cette période, l’hindouisme évolua en
quasi vase clos. En l’absence de référent hindou élitaire significatif, en l’absence de
brahmanes et donc de brahmanisation, la variété populaire s’imposa en se créolisant. Une des
modalités de cette créolisation fut l’adoption par les hindous de la religion catholique. Il en
découla, marginalement, des phénomènes de syncrétisme et, plus significativement, une
répartition du champ symbolique laissant la gestion de l’au-delà au catholicisme,
l’hindouisme conservant la gestion des relations avec le surnaturel au quotidien et celle des
relations avec les ancêtres.

La sortie du système des plantations dans ces îles à compter des années 1960, allait cependant
induire un retour de la brahmanisation. La disparition de la plantation en tant qu’entité
structurante de la société, s’accompagna d’un enrichissement général de la population,
favorisé par l’accession de la Réunion, de la Guadeloupe et de la Martinique au rang de
départements français. Parallèlement, la diffusion dans ces sociétés du modèle élitaire hindou,
à la faveur de la globalisation culturelle, et de la place de l’Inde dans cette globalisation, a des
incidences notables. La fin de la plantation induisit par ailleurs la déliquescence du processus
de créolisation, désormais privé du ressort essentiel que la plantation avait représenté pour lui.
Cette décréolisation allait affaiblir une pratique religieuse que la créolisation avait fortement
reconfigurée.

Tous ces facteurs conduisirent des hindous de Réunion, Guadeloupe, Martinique à se


rapprocher du modèle élitaire, d’autant que l’élévation de leur niveau socioculturel a fait
naître chez eux un hiatus entre leur pratique religieuse et leurs nouvelles attentes en matière
de sacré (Benoist, 1998 : 263)

Il s’en suivit l’irruption, à la Réunion d’abord, à la Guadeloupe ensuite, à la Martinique enfin,


de formes hindoues élitaires qui n’avaient jamais été attestées ou qui avaient été présentes
mais qui avaient disparu. En l’absence de ressource sacerdotale élitaire interne, les
brahmanes, venus de Maurice pour la Réunion, de Trinidad pour la Guadeloupe et la
Martinique, ou directement de l’Inde4, développent sur place un hindouisme orthodoxe, puis
le relais est pris par des prêtres locaux brahmanisés. A côté de la variété populaire
traditionnelle, cohabite désormais dans ces pays une variété élitaire, avec ses usages
particuliers, notamment liturgiques.

Il convient pour terminer, de prendre en compte l’arrivée ici et là de ce qu’il est convenu
d’appeler avec la sociologue véronique Altglas, Le nouvel hindouisme (Altglas, 2005a). Sa
survenue explique aussi la réactivation du processus élitaire hindou en Réunion, Guadeloupe,
Martinique.

4
La ressource externe à laquelle il est fait appel n’est pas toujours constituée de brahmanes au sens strict du
terme, à savoir de prêtres de caste brahmane (c’est notamment le cas d’officiants en provenance de Trinidad).
Leur activité sacerdotale n’en est pas moins conforme aux configurations de l’hindouisme supérieur, par-delà sa
diversité.

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Ce nouvel hindouisme trouve son origine dans les grands mouvements réformés hindous
apparus en Inde au XIXe siècle, comme le Brahmo Samaj fondé par Raja Ram Mohan Roy en
1828, ou le Arya Samaj fondé par Swami Dayanand Saraswati en 1875, qui se sont implantés
pour certains à Maurice et à Trinidad. Ces mouvements, formés par des brahmanes ou des
hindous de caste, participent d’un hindouisme élitaire influencé par l’occidentalisation de
l’Inde par la colonisation britannique. Les réformateurs, soucieux de purger l’hindouisme de
ses caractéristiques les plus hétérodoxes au regard occidental et d’y inclure les valeurs de
liberté et d’indépendance, vont se montrer favorables à l’amélioration du sort des
intouchables, au remariage des veuves, au droit des basses castes à l’éducation védique, etc.

Au siècle suivant, vont apparaître de nouveaux hindouismes réformés, à l’arrière plan tout
aussi élitaire mais qui iront plus loin dans l’occidentalisation, comme le Siddha Yoga de
Swami Muktananda (et aujourd’hui Gurumayi) ou la méditation transcendantale de Maharishi
Mahesh Yogi. Ces mouvements se développent davantage à l’étranger qu’en Inde. Leur
diffusion « participe à un double mouvement constitutif de la globalisation : d'une part, ils
s'adaptent à des configurations nationales différentes, et leurs enseignements prennent de
nouvelles significations – par là, ils s'occidentalisent. D'autre part, mouvements et disciples
rassemblés autour d'enseignements simplifiés et une approche subjective et individualiste
contribuent à la corrosion des contenus rituels et doctrinaux et nourrissent, ainsi, un nouveau
phénomène d'homogénéisation du religieux » (Altglas, 2005b : 1). Ces mouvements existent
sous différentes formes à la Réunion, à la Guadeloupe et à la Martinique. Leur
développement, qui contribue à la diffusion de la configuration élitaire hindoue, y est
cependant indépendant de l’origine ethnique de leurs dévots.

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Schéma de la brahmanisation/créolisation

Variété élitaire

Variété populaire

Brahmanisation Créolisation
(processus d’ascension verticale) (processus horizontal)

Variété élitaire Variété élitaire

Variété populaire Variété populaire

Brahmanisation à Brahmanisation en
Maurice et Trinidad Réunion, Guadeloupe, Martinique
(ressource interne) (ressource externe)

Dans ce schéma, la brahmanisation, processus d’ascension verticale, s’oppose à la


créolisation, processus horizontal. Mais les modalités de brahmanisation varient selon les
lieux. En Inde, il s’agit d’un mouvement où l’impulsion du bas vers le haut, de la variété
populaire vers la variété élitaire, est plutôt découragée par les représentants de la variété
supérieure. A Maurice, Trinidad, Réunion, Guadeloupe, Martinique, le processus est par
contre encouragé par les représentants de la variété élitaire. A Maurice et à Trinidad
cependant, la ressource, les spécialistes sacerdotaux de la variété supérieure (flèche parallèle),
est interne, tandis qu’en Réunion, Guadeloupe, Martinique, cette ressource (flèche oblique)
est externe.

Références bibliographiques
Altglas Véronique (a), Le nouvel hindouisme occidental, CNRS Éditions, Paris, 2005

7
Altglas Véronique, (b) « Trois questions à » (propos recueillis par Léa Monteverdi), Journal
du CNRS, 2005. Texte en ligne : http://www2.cnrs.fr/presse/journal/2486.htm

Benoist Jean, Hindouismes créoles, CTHS, Paris, 1998

Deliège Robert, Le système des castes, PUF, Paris, 1993

Naipaul V. S., L’illusion des ténèbres, 10-18, Paris, 1989

Srinivas M. N., Social Change in Modern India, University of California Press,


Berkeley, 1971

Article paru dans : Multiple Identities in Action : Mauritius and some Antillean Parallelisms
(Vinesh Y. Hookoomsingh, Ralph Ludwig, Burkhard Schnepel éds), Sprache-identität-Kultur
n° 5, Frankfurt am Main, Peter Lang, pp. 125-134, 2009.

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