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MAJAMBU MBIKAY
Introduction
1
MBIKAY, M., Demain, le Congo. La République démocratique du Congo est-elle un artefact ? Essai de sociobio-
logie, Lulu Press, 2012.
2
MAKOLO N.P. (Dir), Reconstruire la République démocratique du Congo : quel leadership, pour quelle société ?
Éditions Muhoka, Ottawa, 2012
3
KAKWENDA MBAYA J (Dir), Les intellectuels congolais face leurs responsabilités devant la nation. ICREDES,
Rockville, MD, 2007
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équation. Je pense que les devoirs, les analyses, les dissertations, les envolées et les plaisirs
de l’intellect ne confèrent ni le droit ni le talent du leadership. C’est dans l’action (éclairée
par l’intellect, il est vrai) que le leadership se manifeste.
Tout leadership implique un espace où il se déploie et un groupe sur lequel il
s’exerce, un temps sur lequel il perdure. J’ai fouillé donc quelques archives du passé préco-
lonial, colonial et postcolonial pour en ressortir des illustrations historiques du leadership.
Le thème, le leadership kasaïen, m’intéresse vivement et à deux titres : primo, je suis
originaire d’un pays, la République démocratique du Congo (RDC), qui a longtemps souffert
d’un vide de leadership durable, effectif et bénéfique pour le pays et ses habitants ; secun-
do, je suis originaire d’une région de la RDC dénommée Kasaï qui, à cause de sa place et
son Histoire au sein de ce pays, a un besoin criant d’un leadership régional, durable, effectif,
et bénéfique qui œuvre, en toute particularité et partisannerie même, à la poursuite du
bien-être social et économique des habitants de la région.
Puisque l’ACKC m’a invité moi, un biologiste, à parler d’un problème social, ne pou-
vant me défaire de ce manteau professionnel de ma seconde nature, je verrai le Kasaï,
comme un écosystème habité par des individus regroupés en clans, chefferies, en tribus
s’efforçant d’assurer leur survie par la coopération et la compétition, selon les lois univer-
selles de l’Évolution biologique.
C’est sous cet angle émotionnellement détaché de sociobiologiste que je
m’efforcerai de définir les deux mots du titre de cet atelier : le leadership kasaïen.
J’essayerai de répondre aux questions suivantes : Qu’est-ce le leadership ? D’où vient le lea-
dership ? Comment le leadership sur mesure-t-il ? Qu’est-ce le Kasaï, une entité géogra-
phique, culturelle ou historique ? Le Kasaï est-il une fiction de l’imaginaire ? Leader du Kasaï
ou leader kasaïen ?
La sociobiologie en bref
La sociobiologie stipule que tout un être vivant est une entité composée d’organes
et de cellules de fonctions différentiées, mais coopérant toute à la survie de l’entité. Elle
stipule aussi que tout regroupement d’êtres vivants plus ou moins défini, stable et
durable, — en deux mots, toute société — forme une entité dont les diverses compo-
santes doivent coopérer pour sa survie dans l’espace et le temps.
La notion d’entité (individu ou société) suppose une délimitation et une différencia-
tion existentielles. Une entité ne peut exister sans distinctions. C’est en ce qu’elle a de diffé-
rent des alentours qu’une entité prend existence. Pour exister une entité doit être animée
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par un sens infus de sa propre différence. Le Kasaï est-il une entité définissable en ces
termes ? Nous essayerons de l’examiner.
Rien dans la vie (des individus ou des sociétés) n’a de sens en dehors de l’Évolution.
Cet aphorisme adapté de celui du généticien Ukrainien-Américain Theodosius Dobzhansky
sera le leitmotiv de notre dissertation. Le Congo y est soumis dans le concert des pays ; le
Kasaï, dans la mesure où il est une entité définie, y est soumis dans le concert des régions
du Congo.
L’Évolution a ses lois établies. Elle n’en invente pas de nouvelles ; elle les récapitule
ou les adapte, selon les niveaux et les contextes. La survie par la compétition est l’une de
ses lois irrémédiables. Pour exister et survivre, une entité complexe (individu ou société)
doit répondre à un d’exigences essentielles :
1. une conscience profonde de sa propre identité ;
2. la renonciation de ses composantes à l’autonomie ;
3. la subordination des intérêts des composantes aux intérêts de l’entité ;
4. la vision coordinatrice des rôles et fonctions de toutes les compo-
santes.
C’est à travers le prisme de cette dernière exigence, la vision coordonnatrice, que le
leadership se manifeste. Nous y reviendrons.
Pour exister comme entité, une société doit marier deux gamètes : une Histoire
commune et une Culture commune. Dans quelle mesure le Kasaï répond-il à ces critères ?
Le Kasaï comme structure (politique et administrative) est une création de la Bel-
gique. Dans son livre autour des refoulements des Kasaïens de 1992, l’historien BAKAJIKA
BANJIKILA Charles relève que les frontières du Kasaï comme province ont été modifiées
quelques fois durant la colonisation. 4 Nous avons donc été définis comme Kasaïens par
un trait sur une carte géographique. Comme il arrive aux personnes enfermées dans des
enclaves (et des cages), ce périmètre tracé sur la carte est devenu dans une certaine mesure
notre univers psychologique. Nous nous pensons Kasaïens ‘sur la carte’ du Congo.
Avant qu’ils ne soient amalgamés sous l’appellation de Kasaïens, les occupants de ce
territoire se pensaient peuples distincts, apparentés certes, mais distincts : peuple Bena Lu-
4
BAKAJIKA BANJIKILA C. Les épurations ethniques en Afrique, L’Harmattan, Paris 1998.
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Ici, je reprendrais simplement les réflexions que j’ai coulées dans mon essai de so-
ciobiologie dans lequel j’ai comparé le leader au cerveau comme centre de symbolisation et
personnification d’un être humain 5. J’ai écrit :
Le vrai leader doit être un visionnaire. Il doit répondre à un appel intérieur et être
habité par une mission, celle d’assurer la survie, le mieux-être et la permanence de son
peuple. Il vit au pouls de ce peuple et au diapason de ses plus profondes aspirations. Il ne
gouverne pas ; il dirige. Il ne commande pas ; il inspire. Il n’ordonne pas, il interpelle. Il
n’exécute pas ; il délègue. Il ne punit pas ; il corrige. La capacité de violence ne fait pas un
leader ; elle fait un chef de guerre ou un despote (…)
Le vrai leader doit être doué de volonté et de courage. Il connaît les besoins de son
peuple, demeure stoïque devant eux, mais se préoccupe d’y trouver des solutions. Il reste
mêmement impassible devant toute injure à sa personne. Il ne se plaint pas ; il prend acte et
agit. Il vit pour réaliser son destin, et est disposé à mourir ce faisant. Ce sens du devoir et du
sacrifice le distingue et l’élève au sommet de la société.
5
MBIKAY, M. Ibid. pp. 83-92,
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Le vrai leader doit posséder une intelligence de son rôle de guide et de représen-
tant de son peuple. Son intelligence n’a pas besoin d’être encyclopédique, érudite ou ex-
perte. Elle doit être intégratrice. Elle suppose la capacité d’écouter et de comprendre les
messages de ses différentes composantes, de les assimiler et de les intégrer de façon utile
dans sa vision directrice. Une bonne éducation est nécessaire à cette fin, mais elle n’est pas
suffisante, comme l’illustre amplement l’impotence historique de l’Élite intellectuelle du
Congo postcolonial.
Ces traits du leadership se retrouvent à divers degrés et en combinaisons diverses
chez le commun des mortels. Toutefois, leur pleine épiphanie survient à l’occasion chez
quelques individus, ceux-là qu’on appelle bâtisseurs de nations. Ils sont généralement des
produits de la douleur, du passage initiatique à travers des épreuves physiques (luttes,
bannissements, emprisonnements, tortures) ou spirituelles (dévergondages, déviances mo-
rales et doutes existentiels), avant la pleine assomption vers leur destin. Emportés par ce
destin, ils ne vivent plus pour eux-mêmes, ayant donné cette vie en offrande à leur mission.
J’ai ajouté :
Si la loterie des gènes peut, à l’occasion, donner lieu à l’avènement d’un leader pro-
videntiel dans une société, dans la majorité des cas, les leaders sont des produits de l des
circonstances, d’une culture et d’une éducation. L’encouragement au leadership doit être
un aspect important de l’éducation, de l’école familiale, à la garderie, la maternelle, la pri-
maire, la secondaire jusqu’à la supérieure. Chaque enfant congolais est un leader potentiel,
si on l’entoure de circonstances, d’une culture et d’une éducation favorables à l’éclosion de
ses tendances innées à ce rôle. Une culture de la corruption, de la peur et de la médiocrité
engendre des portées de débauchés, de poltrons et de vauriens ; une culture de la noblesse,
du courage et de l’excellence engendre des êtres racés, des âmes nobles, valeureuses et
créatives.
Le leadership a ses espaces, ses hiérarchies et ses intensités. Il peut être individuel
ou collégial. En aucun cas, il ne doit être, ni renfermé, ni anarchique. Il doit, sous toutes ses
formes, être tourné vers la réussite et la survie de l’entité.
Nous l’avons dit : une entité est une union de sous-entités qui sont elles-mêmes des
unions d’entités moins élaborées. À chaque palier de regroupement d’entités, il existerait un
‘programme intégrateur’ qui a tous les traits d’un cerveau. (…) Ainsi, chaque espace de
l’organisation d’un État constitue une zone de manifestation du leadership. C’est le cas de la
famille, du quartier, du village, de la ville, du district, du territoire, de la province. C’est le cas
aussi de l’école, de la congrégation, de l’usine, de la compagnie, de la corporation, de la
multinationale. Ce leadership de proximité doit posséder les mêmes traits que le lea-
dership suprême de l’État : l’intelligence, la vision et le courage. Quand il manque l’un
ou l’autre de ces traits, il doit être remplacé. Ainsi l’exige la démocratie, cette forme poli-
tique de sélection naturelle.
Et j’ai terminé :
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« Un peuple n’a que les chefs qu’il mérite », dit-on. Il y a du vrai dans l’adage. Le lea-
dership n’a de chance d’être effectif que si le terrain lui est propice ; si le peuple ‘a faim et
soif’ de ce leadership. Le leader articule les besoins de son peuple et offre une vision et des
pistes de solution. Les leaders prématurés font de grands martyrs pour la mémoire.
6
KALONJI DITUNGA MULOPWE Albert, Congo 1960: la sécession du sud-kasaï : la vérité du Mulopwe, Harmat-
tan, 2005.
7
MUKENGE SHABANTU Barthélémy, De la lutte de libération du peuple lulua, Institut Don Bosco, Tournai,
2006.
8
Un numéro de 2006 de la revue Semeur du Kasaï lui est entièrement dédié.
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Je l’avoue de prime abord : c’est sans grande conviction que j’aborde ce sujet. Ma
propre lecture de la réalité présente me pousse penser que le mythe de l’identité kasaïenne
s’effrite au jour le jour. Il reste un rêve dans les esprits romantiques ou nostalgiques. Toutes
les ambitions politiques qui se manifestent aujourd’hui au Kasaï concourent à le combattre
et à le démanteler.
9
KABONGO LUKUNDA Bertrand, Hommage à S.E. Mgr Joseph Nkongolo, Éditions Muhoka, 2003 ; ILUNGA KA-
LALA Mathieu, Mgr Nkongolo wa Ngoy, Père-fondateur du Diocèse de Mbuji-Mayi et bienfaiteur de la Province
du Kasaï-Oriental, Éditions Panubula, 2009.
10
Lire à ce sujet le récent livre de LOMOMBA EMONGO, Le paradigme Lumumba, libre ou mourir, Éditions CI-
DIHCA, 2016.
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MBAYA KANKWENDA, J. Regards sur nous-mêmes : le Grand Kasaï dans la dynamique et le devenir du Con-
go, Causerie donnée aux membres de l’Association Culturelle Kasaïenne du Canada, à Ottawa, le samedi 04
juillet 2009.
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