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Le leadership kasaïen

MAJAMBU MBIKAY

Conférence sur invitation


de l’Alliance Culturelle Kasaïenne du Canada
(ACKC)

Ottawa, le 10 décembre 2016


Le leadership kasaïen

Introduction

Je me sens honoré de l’invitation et je vous en remercie. Toutefois, je dois recon-


naître que la proximité de mon illustre co-conférencier m’intimide quelque peu. Le sujet sur
lequel il nous est demandé de converser est du ressort de sa formation et de sa profession
de philosophe et d’homme de Lettres. Il possède déjà dans son curriculum vitae de doctes
réflexions sur le thème qui nous concerne. Que pouvais-je moi, biologiste que je suis, con-
tribuer à cette réflexion ?
C’est donc un peu en dilettante que je m’aventure à émettre des opinions sur le sujet
que nous intéresse ce soir, opinions inspirées par mes nombreuses lectures historiques et
philosophiques et ma propre perspective de biologiste. Car, qu’on n’y veuille ou pas, qu’on
y songe ou pas, l’être humain fait partie de la biologie ; les êtres humains vivant en société
font partie de l’écologie. Ils sont gérés par les mêmes lois de la survie que tout autre être
vivant ou groupe d’êtres vivants, lois de la compétition entre individus ou entres groupes
d’individus, loi de la solidarité de groupe dans la compétition entre groupes. C’est sous
cette perspective sociobiologique que j’entends discuter du leadership et plus particulière-
ment du leadership kasaïen.
En 2012, j’ai publié un essai sur ce sujet intitulé « Demain le Congo », 1 dans lequel je
m’étale longuement sur la logique de cette perspective, et élabore sur les inférences pra-
tiques qui peuvent en être déduites. Cet essai est un développement plus extensif d’un ar-
ticle apparu dans un livre collectif publié sous la direction de la professeure MAKOLO
NTUMBA Philomène2. Dans sa propre contribution à l’ouvrage, professeure MAKOLO a ex-
ploré le thème de leadership, la perception du leader dans nos cultures bantoues et la per-
tinence de cette perception pour la construction du Congo. Elle y recommande un lea-
dership visionnaire et transformationnel. Sa pensée a été une inspiration dans la prépara-
tion de cette dissertation.
Un volet qui m’a toujours intrigué, c’est la relation entre l’intellectuel et le leadership.
J’ai parcouru à ce sujet la collection de réflexions rassemblées sous la direction du profes-
seur MBAYA KANKUENDA Justin sous le titre « Les intellectuels congolais face leurs respon-
sabilités devant la nation » 3. Je dois avouer que je suis demeuré ambivalent face à cette

1
MBIKAY, M., Demain, le Congo. La République démocratique du Congo est-elle un artefact ? Essai de sociobio-
logie, Lulu Press, 2012.
2
MAKOLO N.P. (Dir), Reconstruire la République démocratique du Congo : quel leadership, pour quelle société ?
Éditions Muhoka, Ottawa, 2012
3
KAKWENDA MBAYA J (Dir), Les intellectuels congolais face leurs responsabilités devant la nation. ICREDES,
Rockville, MD, 2007

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équation. Je pense que les devoirs, les analyses, les dissertations, les envolées et les plaisirs
de l’intellect ne confèrent ni le droit ni le talent du leadership. C’est dans l’action (éclairée
par l’intellect, il est vrai) que le leadership se manifeste.
Tout leadership implique un espace où il se déploie et un groupe sur lequel il
s’exerce, un temps sur lequel il perdure. J’ai fouillé donc quelques archives du passé préco-
lonial, colonial et postcolonial pour en ressortir des illustrations historiques du leadership.
Le thème, le leadership kasaïen, m’intéresse vivement et à deux titres : primo, je suis
originaire d’un pays, la République démocratique du Congo (RDC), qui a longtemps souffert
d’un vide de leadership durable, effectif et bénéfique pour le pays et ses habitants ; secun-
do, je suis originaire d’une région de la RDC dénommée Kasaï qui, à cause de sa place et
son Histoire au sein de ce pays, a un besoin criant d’un leadership régional, durable, effectif,
et bénéfique qui œuvre, en toute particularité et partisannerie même, à la poursuite du
bien-être social et économique des habitants de la région.
Puisque l’ACKC m’a invité moi, un biologiste, à parler d’un problème social, ne pou-
vant me défaire de ce manteau professionnel de ma seconde nature, je verrai le Kasaï,
comme un écosystème habité par des individus regroupés en clans, chefferies, en tribus
s’efforçant d’assurer leur survie par la coopération et la compétition, selon les lois univer-
selles de l’Évolution biologique.
C’est sous cet angle émotionnellement détaché de sociobiologiste que je
m’efforcerai de définir les deux mots du titre de cet atelier : le leadership kasaïen.
J’essayerai de répondre aux questions suivantes : Qu’est-ce le leadership ? D’où vient le lea-
dership ? Comment le leadership sur mesure-t-il ? Qu’est-ce le Kasaï, une entité géogra-
phique, culturelle ou historique ? Le Kasaï est-il une fiction de l’imaginaire ? Leader du Kasaï
ou leader kasaïen ?

La sociobiologie en bref

La sociobiologie stipule que tout un être vivant est une entité composée d’organes
et de cellules de fonctions différentiées, mais coopérant toute à la survie de l’entité. Elle
stipule aussi que tout regroupement d’êtres vivants plus ou moins défini, stable et
durable, — en deux mots, toute société — forme une entité dont les diverses compo-
santes doivent coopérer pour sa survie dans l’espace et le temps.
La notion d’entité (individu ou société) suppose une délimitation et une différencia-
tion existentielles. Une entité ne peut exister sans distinctions. C’est en ce qu’elle a de diffé-
rent des alentours qu’une entité prend existence. Pour exister une entité doit être animée

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par un sens infus de sa propre différence. Le Kasaï est-il une entité définissable en ces
termes ? Nous essayerons de l’examiner.
Rien dans la vie (des individus ou des sociétés) n’a de sens en dehors de l’Évolution.
Cet aphorisme adapté de celui du généticien Ukrainien-Américain Theodosius Dobzhansky
sera le leitmotiv de notre dissertation. Le Congo y est soumis dans le concert des pays ; le
Kasaï, dans la mesure où il est une entité définie, y est soumis dans le concert des régions
du Congo.
L’Évolution a ses lois établies. Elle n’en invente pas de nouvelles ; elle les récapitule
ou les adapte, selon les niveaux et les contextes. La survie par la compétition est l’une de
ses lois irrémédiables. Pour exister et survivre, une entité complexe (individu ou société)
doit répondre à un d’exigences essentielles :
1. une conscience profonde de sa propre identité ;
2. la renonciation de ses composantes à l’autonomie ;
3. la subordination des intérêts des composantes aux intérêts de l’entité ;
4. la vision coordinatrice des rôles et fonctions de toutes les compo-
santes.
C’est à travers le prisme de cette dernière exigence, la vision coordonnatrice, que le
leadership se manifeste. Nous y reviendrons.

L’identité kasaïenne : mythe ou réalité ?

Pour exister comme entité, une société doit marier deux gamètes : une Histoire
commune et une Culture commune. Dans quelle mesure le Kasaï répond-il à ces critères ?
Le Kasaï comme structure (politique et administrative) est une création de la Bel-
gique. Dans son livre autour des refoulements des Kasaïens de 1992, l’historien BAKAJIKA
BANJIKILA Charles relève que les frontières du Kasaï comme province ont été modifiées
quelques fois durant la colonisation. 4 Nous avons donc été définis comme Kasaïens par
un trait sur une carte géographique. Comme il arrive aux personnes enfermées dans des
enclaves (et des cages), ce périmètre tracé sur la carte est devenu dans une certaine mesure
notre univers psychologique. Nous nous pensons Kasaïens ‘sur la carte’ du Congo.
Avant qu’ils ne soient amalgamés sous l’appellation de Kasaïens, les occupants de ce
territoire se pensaient peuples distincts, apparentés certes, mais distincts : peuple Bena Lu-

4
BAKAJIKA BANJIKILA C. Les épurations ethniques en Afrique, L’Harmattan, Paris 1998.

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lua, Baluba-Lubilanji, Batetela, Bena Kanyoka, Basongye, Bakuba, Batshokwe, Bashilele…,


identifiables par leur habitat, leurs langues, et leur art, et leurs coutumes. Ces peuples
commerçaient entre eux au sens large du terme : par des échanges des biens, par les ma-
riages, par des escarmouches ou par des guerres, mais ils ne se confondaient pas en seul et
même peuple. Les affinités existaient certes, mais elles ne masquaient pas les différences.
Ces différences identitaires existent encore aujourd’hui. Elles n’empêchent la cohabitation et
la coopération ; mais pour contribuer à la réalisation d’une entité dite Kasaï, ces diffé-
rences identitaires doivent être subordonnées (pour leur survie et leur succès) à une
identité plus englobante, l’identité kasaïenne. Le sont-elles ? Le seront-elles un jour ?
Existe-t-il une identité kasaïenne ? Je répondrais par un oui hésitant. Hésitant parce
que je considère que les paramètres de cette identité sont, dans l’état actuel des choses,
peu profonds et très fragiles ; oui parce que ces paramètres peuvent constituer les bases
d’une identité plus ancrée et plus durable.
Souvenez-vous que de ce que j’ai dit tout à l’heure : les gamètes d’une entité, c’est
son Histoire et sa culture. Le Kasaï a été créé durant l’Histoire coloniale et a bénéficié dans
le contexte de cette Histoire d’une culture commune symbolisée par une langue commune :
le tshiluba. Cette histoire et cette langue ont été imposées par les Belges aux divers peuples
de ce territoire. Les résistances à cette imposition n’ont pas manqué. Malgré tout,
l’imposition lubaphonique a aidé à bâtir tant soit peu un début d’identité kasaïenne.
Quand j’entends un Mukuba comme le pasteur KAHUMBU Charles ou un Mutetela
comme le feu docteur MPANIA Jean parler avec grâce le tshiluba, je ne peux moi, un Mu-
luba-Lubilanji, que me sentir unis à l’un et à l’autre par un lien viscéral, une émotion parta-
gée issue de la communauté d’assomptions et de sous-entendus culturels.
D’autre part, l’Histoire postcoloniale des souffrances endurées comme originaires du
Kasaï a contribué à consolider davantage ce sentiment d’une commune destinée. Je pense
aux deux refoulements des Kasaïens de la province du Katanga/Shaba, celui de 1962 et ce-
lui de 1992, aux discriminations de toutes sortes dont les originaires du Kasaï ont été vic-
times de la part des régimes politiques qui se sont succédés à Kinshasa, de l’indifférence
volontaire du pouvoir central quant au développement de la région. Tous les peuples du
Kasaï en ont souffert sans distinction. Cette mémoire douloureuse, comme la langue, a gé-
néré un certain regroupement des esprits. Combien nombreux ne sont-ils les enfants des
Kasaïens nés au Katanga, les surnommés « Katangaleux », qui, à la suite de ces douleurs, se
sont découvert une identité kasaïenne et s’en réclament avec insistance.
Toutefois, comme je l’ai dit ci-haut, les fondements de cette identité sont très fra-
giles, en partie en raison de sa courte durée dans le temps (un siècle tout au plus) et des

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forces centrifuges qui s’évertuent à démanteler cette identité. Le fractionnement du Kasaï


territorial récemment mis en œuvre au Congo, vise, à mon avis, à réaliser ce dessein.
De ce qui précède, il dérive que les autres exigences sociobiologiques dans le façon-
nement de l’entité kasaïenne auront bien du mal à se concrétiser. Le renoncement à
l’autonomie en faveur d’une survie dans le Grand Kasaï et la subordination des intérêts par-
ticuliers à ceux du Grand Kasaï perdent leur pertinence.
Le Grand Kasaï ne sera-t-il désormais qu’un mythe inachevé, un rêve nostalgique en-
tretenu par les chansons de TSHALA MUANA, des BAYUDA, de PAPA WEMBA et d’autres
artistes kasaïens? Et par des associations comme l’ACKC qui nous réunit ce soir ? Un espace
de célébration d’un passé évanescent, de récréation de solidarités dans les frontières dif-
fuses, poreuses ou éclatées ?
À défaut de circonstances favorisantes (une nouvelle persécution, peut-être) et d’un
leadership propice (qui motiverait toutes les tribus du Kasaï à s’unir sous un projet unique
qui garantirait leur survie et leur succès collectif), je crains que ce ne soit le cas. La vraie
question demeure : avons-nous, comme Kasaïens, besoin d’une identité plus consolidée et
pourquoi ?

Les traits du leadership

Ici, je reprendrais simplement les réflexions que j’ai coulées dans mon essai de so-
ciobiologie dans lequel j’ai comparé le leader au cerveau comme centre de symbolisation et
personnification d’un être humain 5. J’ai écrit :
Le vrai leader doit être un visionnaire. Il doit répondre à un appel intérieur et être
habité par une mission, celle d’assurer la survie, le mieux-être et la permanence de son
peuple. Il vit au pouls de ce peuple et au diapason de ses plus profondes aspirations. Il ne
gouverne pas ; il dirige. Il ne commande pas ; il inspire. Il n’ordonne pas, il interpelle. Il
n’exécute pas ; il délègue. Il ne punit pas ; il corrige. La capacité de violence ne fait pas un
leader ; elle fait un chef de guerre ou un despote (…)
Le vrai leader doit être doué de volonté et de courage. Il connaît les besoins de son
peuple, demeure stoïque devant eux, mais se préoccupe d’y trouver des solutions. Il reste
mêmement impassible devant toute injure à sa personne. Il ne se plaint pas ; il prend acte et
agit. Il vit pour réaliser son destin, et est disposé à mourir ce faisant. Ce sens du devoir et du
sacrifice le distingue et l’élève au sommet de la société.

5
MBIKAY, M. Ibid. pp. 83-92,

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Le vrai leader doit posséder une intelligence de son rôle de guide et de représen-
tant de son peuple. Son intelligence n’a pas besoin d’être encyclopédique, érudite ou ex-
perte. Elle doit être intégratrice. Elle suppose la capacité d’écouter et de comprendre les
messages de ses différentes composantes, de les assimiler et de les intégrer de façon utile
dans sa vision directrice. Une bonne éducation est nécessaire à cette fin, mais elle n’est pas
suffisante, comme l’illustre amplement l’impotence historique de l’Élite intellectuelle du
Congo postcolonial.
Ces traits du leadership se retrouvent à divers degrés et en combinaisons diverses
chez le commun des mortels. Toutefois, leur pleine épiphanie survient à l’occasion chez
quelques individus, ceux-là qu’on appelle bâtisseurs de nations. Ils sont généralement des
produits de la douleur, du passage initiatique à travers des épreuves physiques (luttes,
bannissements, emprisonnements, tortures) ou spirituelles (dévergondages, déviances mo-
rales et doutes existentiels), avant la pleine assomption vers leur destin. Emportés par ce
destin, ils ne vivent plus pour eux-mêmes, ayant donné cette vie en offrande à leur mission.

J’ai ajouté :
Si la loterie des gènes peut, à l’occasion, donner lieu à l’avènement d’un leader pro-
videntiel dans une société, dans la majorité des cas, les leaders sont des produits de l des
circonstances, d’une culture et d’une éducation. L’encouragement au leadership doit être
un aspect important de l’éducation, de l’école familiale, à la garderie, la maternelle, la pri-
maire, la secondaire jusqu’à la supérieure. Chaque enfant congolais est un leader potentiel,
si on l’entoure de circonstances, d’une culture et d’une éducation favorables à l’éclosion de
ses tendances innées à ce rôle. Une culture de la corruption, de la peur et de la médiocrité
engendre des portées de débauchés, de poltrons et de vauriens ; une culture de la noblesse,
du courage et de l’excellence engendre des êtres racés, des âmes nobles, valeureuses et
créatives.
Le leadership a ses espaces, ses hiérarchies et ses intensités. Il peut être individuel
ou collégial. En aucun cas, il ne doit être, ni renfermé, ni anarchique. Il doit, sous toutes ses
formes, être tourné vers la réussite et la survie de l’entité.
Nous l’avons dit : une entité est une union de sous-entités qui sont elles-mêmes des
unions d’entités moins élaborées. À chaque palier de regroupement d’entités, il existerait un
‘programme intégrateur’ qui a tous les traits d’un cerveau. (…) Ainsi, chaque espace de
l’organisation d’un État constitue une zone de manifestation du leadership. C’est le cas de la
famille, du quartier, du village, de la ville, du district, du territoire, de la province. C’est le cas
aussi de l’école, de la congrégation, de l’usine, de la compagnie, de la corporation, de la
multinationale. Ce leadership de proximité doit posséder les mêmes traits que le lea-
dership suprême de l’État : l’intelligence, la vision et le courage. Quand il manque l’un
ou l’autre de ces traits, il doit être remplacé. Ainsi l’exige la démocratie, cette forme poli-
tique de sélection naturelle.

Et j’ai terminé :

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« Un peuple n’a que les chefs qu’il mérite », dit-on. Il y a du vrai dans l’adage. Le lea-
dership n’a de chance d’être effectif que si le terrain lui est propice ; si le peuple ‘a faim et
soif’ de ce leadership. Le leader articule les besoins de son peuple et offre une vision et des
pistes de solution. Les leaders prématurés font de grands martyrs pour la mémoire.

Le leadership kasaïen : qu’en dire ?

L’exposé que je viens de lire est ma théorisation de la notion de leadership. En


science, une théorie n’est pas une spéculation dans le vide. Elle doit être fondée sur des
précédents observés, des analogies raisonnables. Et surtout, surtout, elle doit mener à des
prédictions vérifiables.
Y-a-il des précédents de leadership kasaïen ?
Si l’on entend par leader(s) kasaïen(s) le, la ou les porte-étendards de l'identité
kasaïenne, œuvrant à la défense, la promotion et la permanence de cette identité
pour la survie d’une entité dénommée Kasaï, je dois reconnaître que je n’en vois pas ni
dans le passé, ni dans le présent ; pas dans le passé parce qu’avant la colonisation, l’idée du
Kasaï n’avait pas existé ; pas pendant la colonisation durant laquelle elle tentait seulement
de prendre corps ; pas dans la période postcoloniale au cours de laquelle elle s’efforce dé-
sespérément de ne pas mourir.
Si l’on entend par leader(s) kasaïen(s), le, la ou les porte-étendards de l’identité
des peuples distincts du Kasaï, ces sous-entités mieux enracinées, alors les exemples
abondent. Dans le passé plus ou moins lointain, on peut citer le leadership conquérant de
NGONGO LETETA des Batetela, et le leadership napoléonien de MUKENGE KALAMBA de
Bena Lulua. Dans le passé immédiat, on peut penser au leadership coutumier du roi LU-
KENGU des Bakuba. On peut penser au leadership ‘messianique’ de KALONJI MULOPWE
Albert des Baluba-Lubilanji 6 ou de MUKENGE SHABANTU Barthelémy 7 des Bena Lulua. On
peut penser au leadership ecclésiastique de Mgr BAKOLE wa ILUNGA Martin 8 au Kasaï Oc-

6
KALONJI DITUNGA MULOPWE Albert, Congo 1960: la sécession du sud-kasaï : la vérité du Mulopwe, Harmat-
tan, 2005.
7
MUKENGE SHABANTU Barthélémy, De la lutte de libération du peuple lulua, Institut Don Bosco, Tournai,
2006.
8
Un numéro de 2006 de la revue Semeur du Kasaï lui est entièrement dédié.

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cidental et celui de Mgr NKONGOLO KABWA ka NTANDA wa NGOY Joseph 9 au Kasaï


Oriental. Le leadership de ces illustres personnages, comme en attestent leurs biographies
respectives, s’est manifesté dans des cercles circonscrits au sein du périmètre du Grand Ka-
saï. Il avait pour objets de préoccupation les intérêts de survie de leurs sous-entités propres,
parfois même aux dépens de ou en conflit avec les intérêts des autres sous-entités du
même Grand Kasaï.
Si l’on entend par leader(s) kasaïen(s), le, la ou les porte-étendards d’une cause
quelconque d’envergure en faveur d’un groupe, d’un peuple quelconque, le, la ou les
porte-étendards qui tirent ses origines ancestrales du Grand Kasaï, alors les exemples
sont pléthore. Le plus illustre de ces leaders est sans conteste LUMUMBA Patrice Emery10. Il
était né Mutetela, mais il n’était un leader des Batetela ; il était un leader des Congolais. Son
souci n’était pas le destin de peuple mutetela, mais de celui des peuples du Congo unitaire.
Dans les jours qui courent, on peut en dire autant de TSHISEKEDI WA MULUMBA Étienne
qui, depuis son épiphanie politique il y a plus de 30 ans, se veut résolument (presque dé-
sespérément à mon avis) un leader national et non le Moïse d’une ethnie ou d’une région.
Parmi les autres références marquantes et durables de descendance kasaïenne, on peut ci-
ter : dans les arts, KALLÉ Jeff, KASSANDA Nico, KABASELE YAMPANYA, PAPA WEMBA ; dans
celui des sciences, professeur MALU WA KALENGA Félix ; dans le droit, KALONGO MBIKAYI ;
dans l’éducation, Mgr TSHIBANGU TSHISHIKU Tharcisse, dans le domaine ecclésiastique, le
Cardinal MALULA Joseph. Ces leaders de domaines circonscrits ne se distingués ni au Kasaï,
ni pour les Kasaïens, mais pour le peuple congolais et pour le monde. J’ose même dire de
certains qu’ils ne se réclamaient pas ou se réclamaient peu de l’identité kasaïenne.

Les conditions d’un leadership au Grand Kasaï

Je l’avoue de prime abord : c’est sans grande conviction que j’aborde ce sujet. Ma
propre lecture de la réalité présente me pousse penser que le mythe de l’identité kasaïenne
s’effrite au jour le jour. Il reste un rêve dans les esprits romantiques ou nostalgiques. Toutes
les ambitions politiques qui se manifestent aujourd’hui au Kasaï concourent à le combattre
et à le démanteler.

9
KABONGO LUKUNDA Bertrand, Hommage à S.E. Mgr Joseph Nkongolo, Éditions Muhoka, 2003 ; ILUNGA KA-
LALA Mathieu, Mgr Nkongolo wa Ngoy, Père-fondateur du Diocèse de Mbuji-Mayi et bienfaiteur de la Province
du Kasaï-Oriental, Éditions Panubula, 2009.
10
Lire à ce sujet le récent livre de LOMOMBA EMONGO, Le paradigme Lumumba, libre ou mourir, Éditions CI-
DIHCA, 2016.

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Le leadership kasaïen

Ce mythe ne peut rejaillir et survivre que si la survie collective en dépendait. Il


prendra donc un danger existentiel collectif ou un bénéfice existentiel collectif, danger ou
bénéfice durable dans le temps pour que ce mythe puisse prendre racines et pour qu’il
puisse émerger du Kasaï un leadership pour le canaliser, le défendre et le promouvoir.
Par ailleurs, certains disent que le tempérament du Kasaïen se prête mal à
l’émergence d’une identité ressentie, que le Kasaïen est trop suffisant (un euphémisme pour
des qualificatifs plus dénigrants), trop suffisant pour concéder à un leadership quel qu’il
soit, qu’il excelle dans la poursuite du succès individuel aux dépens du succès collectif. Ce
‘vice de caractère’ a été décrit et décrié de façon magistrale par le professeur MBAYA
KANKWENDA dans une conférence devant les membres de l’ACKC en 2009.11 Vérité ou pré-
jugé ? À vous de juger.
Ce qui est une vérité évolutionnaire est qu’un regroupement sans une identité pro-
fonde, sans un sens infus de sa propre différence, sans une renonciation de ses compo-
santes à leur autonomie et une soumission des intérêts de composantes en faveur des inté-
rêts du regroupement, ce regroupement ne sera jamais une entité vivante ou viable au sens
biologique, mais un amalgame informe de composantes, sans vision commune, sans avenir
commun.
Même si cet idéal défaillait, le Kasaï peut demeurer un périmètre psychologique,
modérément dense et étendu, pluriethnique, un terrain de partages et de solidarités, de
mémoire historique collective, de leçons et d’apprentissages mutuels, de célébration des
similarités et des différences ; un périmètre intermédiaire et élastique, voué à s’ouvrir et à
s’élargir pour inclure d’autres régions du Congo. C’est là ma vision et mon souhait pour
l’ACKC et son leadership.
Je vous remercie.

11
MBAYA KANKWENDA, J. Regards sur nous-mêmes : le Grand Kasaï dans la dynamique et le devenir du Con-
go, Causerie donnée aux membres de l’Association Culturelle Kasaïenne du Canada, à Ottawa, le samedi 04
juillet 2009.

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