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FACULTE DE PHILOSOPHIE
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0. INTRODUCTION
Seulement, l’éthique se distingue de la morale pour des raisons obvies. D’une part, en
effet, la morale est dogmatique et prescriptive puisqu’elle se présente comme un code ou un
ensemble des règles (nomenclature des devoirs exposés dans la morale pratique ou appliquée
qu’on enseigne souvent à l’école primaire). Et, d’autre part, l’éthique ou philosophie morale
est critique puisque, fait observer Foulquié (Dictionnaire de la langue philosophique), cette
discipline philosophique cherche à déterminer la fin de la vie humaine et les moyens
d’atteindre cette fin ; et c’est pour cette raison que l’éthique pose des questions du genre ci-
après : « Est- ce bien de faire ceci ou cela» ? « Est- ce bien cela que nous voulons » ?
« Sommes- nous prêts à assumer telle ou telle décision en rapport avec nos semblables » ?
Comme l’on peut s’en apercevoir, la réflexion éthique conduit l’homme à s’interroger sur
ses jugements moraux, sur les différentes manières de vivre qu’il estime souhaitables, etc. Et,
au regard de notre fonctionnement social qui est entre autres confronté au problème de la
« fissuration relationnelle » entre les hommes, cette démarche réflexive milite en fait pour
une « crisologie concrète ». Car, dans le langage populaire, l’homme d’école est
péjorativement symbolisé par le concept de perdrix (poule de la forêt) en raison, notamment,
de son extraversion culturelle aveugle, peu soucieuse de sa propre authenticité. Et cette
‘phagocytose idéologique’ se manifeste notamment dans la ‘culture aveugle de la rue’ : le
phénomène « bipage » ou « bilamba mabe » (habillements indécents).
Pour mieux comprendre les enjeux éthiques de ce questionnement, il sied aussi de relever
que le phénomène de l’extraversion culturelle incite parfois l’homme de la ville (kinois,
lushois, boyomais, kanangais, mayumbois, etc.) à taxer l’homme du peuple (village) de
« mbokatier » (en Lingala, le mot ‘mboka’ veut dire village). Et c’est avec un certain mépris
que le néologisme de « mbokatier » (villageois) tente ainsi de dépeindre l’état vrai ou
supposé d’un homme sans « culture moderne » ; parce que, croit-on, à tort ou à raison, le
‘mbokatier’ serait imperméable à la culture technologique dont se nargue, naïvement ou sans
preuve, l’homme de la ville. Car, observons- nous, cette ville de prédilection se présente, à
bien d’égards, comme un repère des « délinquants juvéniles et séniles », qui foulent
pratiquement au pied les règles élémentaires de la vie morale. D’où le deuxième
questionnement : La beauté de la ville (modernité fluctuante), n’est- elle pas d’une
apparence trompeuse ?
Par ailleurs, l’homme du village (mbokatier) estime aussi que tout homme de la ville est
ou serait d’une grande intelligence en raison, notamment, de son environnement
technologique (modernité apparente); mais ce qui lui manque, croit-on, à tort ou à raison,
c’est la sagesse existentielle. Mieux, l’homme de la ville ne maîtrise (rait) ni la modernité
fluctuante de la ville, ni la tradition traditionnelle du village. D’où le troisième
questionnement : « Peut-on lancer la flèche en avant (modernité) sans devoir la tirer
d’abord en arrière (tradition) ?
Toutes ces questions démontrent à suffisance que notre fonctionnement social connait
une fissuration relationnelle ; car le visage de l’autre homme (mbokatier ou citadin), est entre
autres perçu avec un certain mépris. C’est le règne du « vide éthique » (Mayola Mavunza
Lwanga, Pour une protection sociale congolaise, Considérations thérapeutiques du « mal »
zaïrois). D’où la nécessité de faire comprendre aux étudiants que ce « vide anthropologique »
n’est en fait que l’expression d’une certaine « pauvreté d’esprit » qui, dans le langage
populaire congolais, se traduit notamment en termes de « buzoba ». Ce qui veut dire : idiotie,
manque d’intelligence ou de sagesse existentielle. Et cette « buzobatude » (état de la moindre
sagesse existentielle) concerne (rait) en fait tout homme qui, quel que soit son niveau
d’instruction ou d’éducation, oserait renier sa propre tradition (morale) au profit d’une culture
étrangère aliénante.
C’est la raison pour laquelle ce cours tente d’initier les étudiants à la sagesse africaine du
proverbe selon laquelle « l’archer tire la flèche en arrière, pour la lancer en avant », ou que
« la flèche va en haut, mais sa demeure est en bas ». Autrement dit, avant d’effectuer un
quelconque saut vers l’avenir (se lancer en avant), l’homme ouvert à la modernité (la
flèche qui s’en va en haut), doit d’abord prendre conscience (tirer la flèche en arrière ») de sa
tradition culturelle (sa demeure (qui) est en bas).
Dans cette perspective, l’importance de ce cours se justifie dès lors que le but de
l’université est de former des cadres de conception qui, quelle que soit leur domaine de
spécialisation, doivent faire preuve d’un esprit rationnel (parce que le problème éthique est
incontournable dans le fonctionnement sociétal) ; critique (nécessité d’examiner ou de faire
une auto- évaluation aux fins d’éviter les erreurs (préjugés) et d’avoir le souci de la vérité et
de l’efficacité de l’action à entreprendre); méthodique et systématique (ne rien négliger dans
le processus de la recherche); bref, dialogique et pragmatique (nécessité d’éclairer la société
en s’inspirant notamment de toutes les donnes positives de la tradition et de la modernité).
0.3 Méthodologie
C’est la raison pour laquelle ce cours sera à la fois « académique » et « populaire ». Car,
fait observer Jean Marie Van Parys, non seulement que « le problème éthique est
incontournable » dans le fonctionnement social, mais la philosophie populaire se veut surtout
« philosophie de tous, par tous et pour tous » (Dignité et Droits de l’Homme. Recherches en
Afrique. Kinshasa, Ed. Loyola, 1996). D’où le recours à l’exposé magistral (par le professeur)
et à la discussion avec les étudiants sur les enjeux éthiques de la discursivité africaine.
0.4 Dialogiques exploratoires du cours
A titre indicatif, pour mieux aider l’étudiant à soulever des questions d’ordre éthique ou
moral, l’on s’appuiera notamment sur les dialogiques exploratoires ci- après :
0.4.1 Peut-on tousser s’il n’y a rien au cœur de son cœur ? (nécessité de la désinfection
sociale puisque « les chutes d’eau ne font pas du bruit pour rien » ou que « la grande
marmite a toujours du gratin au fond »;
0.4.2 Peut-on bruler la case de son père alors que l’on y passe, soi- même, la nuit ?
(critique du mensonge politique à travers la palabre sur l’odeur du poisson salé
(promesses fallacieuses) et le chant du martin-pêcheur (mercenariat politique) ;
0.4.3 Peut-on faire bonne chasse avec des hameçons ? (Palabre sur la perdrix (noblesse
du travail) et l'antilope pourrie (dérives sociales de la pêche ou de la chasse);
0.4.4 Peut-on cacher la nudité à la rivière ? (Palabre autour de la graine d’arachide
orpheline qui meurt toute nue (éthique du mariage coutumier) ;
0.4.5 « Si tu veux devenir fou, maries-toi » ! (Dialogique exploratoire de l’éthique de la
responsabilité parentale à travers « la palabre relative à un bâton solitaire
‘transportant deux calebasses vides » (stérilité masculine) ;
0.4.6 Manger avec une femme revient-il nécessairement à manger avec une sorcière ?
(Questionnement sur les enjeux éthiques de la gourméthique à travers « la palabre sur
une ‘femme aux maris multiples’ (rats, poissons, etc);
0.4.7 N’a-t-on jamais vu un coq pondre à l’âge adulte ? (Le « sophisme palabrique » d’un
voleur de chèvres qui aurait prétendu que « son gros bouc barbu qui avait ‘ainsi mis
bas’) ;
0.4.8 « Un morceau de bois dans l’eau ne se transforme jamais en crocodile »
(Contradiction dialogique dans la palabre relative à un chien dont les pattes ne gardent
pas la boue) ;
0.4.9 « A force de remuer les talus au croisement des chemins, l’on finit par y déterrer le
caca du chef » ! (Pollution morale ou paroles mal parlées dans la palabre autour d’un
conflit foncier)
0.4.10 « Mamona mbwa » (ce que le chien expérience) … ou « la palabre des muet-
parleurs » (manque d’arguments convaincants)
0.4.11 « L’adultère n’est pas un trésor, mais un châtiment pour plus tard » ! (Faiblesse de
la défense (chèvre idiote) en matière de divorce coutumier);
0.4.12 Epouse de Jésus-Christ : qui es ta belle-mère ? (Palabre sur la guerre des religions
autour de la dévotion mariale ou de la reconnaissance officielle du titre de « Marie
Mère du Désarmement) ;
0.4.13 « La chauve-souris n’aime pas la lumière du soleil » ! (Palabre sur la problématique
de l’hyper religiosité (forêt des vipères) qui diabolise les liens familiaux) ;
0.4.14 Peut-on introduire son doigt dans la bouche du cadavre d’une vipère non encore
décapitée ? (Danger de l’occultisme, fétichisme et kindokïté ou sorcellerie) ;
0.4.15 Moques-toi de celui qui est mort (puisque tu ne mourras jamais) » ! (Enjeux
éthiques ou thanatologiques de la palabre sur la perdrix et la poule), etc.
0.5 Evaluation
Chaque étudiant traitera d’une question spéciale (au choix) sous forme d’une crisologie
concrète (recherches sur terrain) ou théorique (textes des philosophes). L’étudiant fera
d’abord un bref exposé de son texte en classe, avant de le présenter publiquement à l’examen
oral, dans une salle aménagée sous forme d’un arbre à palabre du village philosophique
africain.
1. PRÉLIMINAIRES SUR L’ÉTHIQUE AFRICAINE DE LA DISCURSIVITE
Pour mieux saisir le fonctionnement social de la discursivité africaine, il est utile d’initier
d’abord une petite herméneutique exploratoire de la parémie : « la terre devient froide au
premier chant de coq ». Car, dans la société africaine, le jeu relationnel commence
généralement au premier chant du coq. Et c'est en ce moment précis que l'homme doit se
réveiller de son sommeil puisque le premier chant de coq est avant tout le moment idéal de la
réflexion ou de l’éveil-réveil. Mieux, c’est le moment idéal pour convoquer la palabre. Et
l’espace palabrique est le lieu idéal de dialogue avec les autres, entre autres, sur les autres,
dans la perspective d'une réconciliation inter humaine. D’où la nécessité de saisir la tradition
ancestrale de la palabre comme cette stratégie de désinfection sociale, qui est du reste
immanente au vouloir vivre -ensemble d'une population. Car le refus de vivre avec l’autre
homme revient à faire de l'individu un être égoïste et/ou séparé.
Dans cet enveloppement dialogique, le premier chant de coq a aussi une portée
thanatologique. Car les sages du village profitent de ce moment de la nuit pour procèder à
l’inhumation secrète des morts (chefs coutumiers) qui, dans la société et la culture Soonde-
Lûnda, sont généralement enterrés le visage tourné vers l’Est ou le levant (Ku mees). Et cette
disposition (thanatologique) tient à tout un credo existentiel : « Nous sommes partis de
Koola ». Autrement dit, les sages Soonde reconnaissent que leur expansion ou flux migratoire
est parti d’est (foyer originel de « Koola ») vers l’ouest.
C’est pour cette raison que les tombes des chefs coutumiers (défunts) demeurent, si
souvent, enfouies sous eau ou, parfois, à la source des cours d’eau que la population fréquente
journalièrement. Dans l’entretemps, l’on plante un arbre spécifique « muyombu » (arbre à
palabre) au bord du village aux fins de simuler, aux yeux de la population, la tombe du chef
coutumier. Et c’est cet arbre qui servira notamment de point de référence dialogique dans la
praxis palabrique puisque, d’une part, « l’on ne tranche la palabre que conformément aux
vérités des ancêtres » et que, d’autre part, la référence dialogique aux vérités ancestrales est
une donne sociale de la tradition, qui actualise notamment le message desdits ancêtres, garants
de la vérité dialogique et ce, à partir du premier chant de coq.
En effet, l’enveloppement dialogique des « morts- vivants » (ancêtres) et des « vivants-
vivants » se justifie dès lors que le meilleur honneur qu'on puisse faire aux ancêtres, c'est de
leur rendre un culte digne de ce nom (culte des morts) et de respecter la tradition qui est, en
elle-même, le reflet de l’éco-humanisme ancestral. Car ce sont les ancêtres qui accordent ou
refusent, précisément, certaines faveurs (bénédictions) à leur descendance : naissance des
jumeaux, bonnes ou mauvaises récoltes, chasses fructueuses ou infructueuses, etc. Mieux, les
ancêtres sont, précisément, ceux qui vivent ou opèrent dans la nature. Ce sont eux aussi qui,
en raison de leur transcendance ou participation à la force vitale de Nzambi- Mpungu (Dieu),
ont notamment appris aux hommes la praxis dialogique du travail aux fins d’assurer
subsistance à leur descendance. Et pour pérenniser cette tradition, il est notamment prévu
l’organisation solennelle, à partir du premier de coq, de l’initiation mukhanda (circoncision)
aux fins d’assurer la formation intégrale de l’individu, qui est instamment appelé à s’affirmer
dans le groupe social.
En effet, la vie de l’enfance est caractérisée par sa moindre sagesse existentielle. C’est
pour cette raison que l’initiateur recourait d’abord aux locutions sentencieuses de type
énigmatique aux fins de réveiller ou d’éveiller l'intellect de l'enfant. Et l’on dénombre deux
formes de locutions sentencieuses de type énigmatique dont la première, descriptive, cherche
à peindre un objet à découvrir en un langage voilé sciemment ; et la seconde forme d'énigmes
pose des problèmes concrets devant être résolus par l'homme en rapport avec les
préoccupations du moment.
Concrètement, les problèmes sont souvent posés aux enfants le soir, et autour du feu, aux
fins de développer leur sagesse du jour (photosophie) et leur sagesse de la nuit (nyctosophie).
A titre illustratif, les jeunes gens sont appelés à expliquer ou à donner une
interpretation judicieuse des dialogiques exploratoires ci- après :
(a) Notre maison n'a pas de portes, (qui sui-je ?) ;
(b) Notre maison n'a qu'un pilier pour la soutenir;
(c) La femme de notre chef a le ventre derrière le dos;
(d) Chez nous, tous les chefs sont barbus,
(e) Là où nous allons, tout le monde est en train de pleurer; etc.
Dans l’enveloppement dialogique Soonde, en effet, l'oeuf est le symbole d'une maison
sans porte. Et dans le concret du vécu humain (éthique alimentaire), l'oeuf est certes connu
pour sa fragilité (symbole du début de la vie); mais au niveau de l’éthique palabrique, la
fragilité de l’œuf n’est qu’une apparence trompeuse. Car tout en symbolisant la vie, cette
« maison sans porte » (l’œuf) est aussi le symbole de la mort. Et les jeunes sont ainsi appelés
à faire attention aux œufs cachés sous les touffes d’herbe. Car l’oeuf pondu par un coq adulte,
sous la citronnelle, est précisément le symbole de la foudre (danger de mort).
En outre, le champignon est aussi une maison sans porte; mais, à la différence de l'oeuf,
le champignon est "un pilier" qui supporte l'édifice". Et curieusement, le champignon ne
pousse que sur les excréments, milieu de travail du scarabée sacré. Il n'est donc pas exclu que
du monde de la " saleté" puisse) naître quelque chose d'admirable. C'est le cas du miel que
tout le monde adore. Seulement, conseillera-t-on aux friands de cette sève sucrée de la nature
transformée par l'abeille (thème de la gourméthique) : « Suce ton miel, mais ne demande pas à
l'abeille de te révéler ce qui est à la base de sa fabrication » (urines et excréments).
Par ailleurs, le mollet est symboliquement saisi comme « une femme qui a le ventre
derrière le dos » ; le maïs est un « chef barbu » et les « vacarmes des chutes d’eau » donnent à
penser aux conflits sociaux (palabre)
Et comme l’on peut s’en apercevoir, cette méthodologie dialogique d’initiation aux
valeurs ancestrales donne à penser aux philosophes cyniques de l’antiquité grecque. En effet,
l’on demandait à Diogène : « à quel âge il faut prendre femme, il répondait : « Quand on est
jeune, il est trop tôt, quand on est vieux il est trop tard » 1. Autrement dit, la praxis dialogique
1
DIOGENE Laêrce, Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres (II) ; Traduction de Robert Genaille,
Paris, Garnier- Flammarion, 1965, p. 26. Au sujet de Diogène, Robert Genaille fait observer qu’il y eut cinq
Diogène :
- un physicien d’Apollonie (ville située dans l’île de Crète), ce Diogène fut disciple d’Anaximène et il
« écrivit un livre commençant ainsi : « Quiconque entreprend un ouvrage doit, ce me semble,
commencer par poser des principes indiscutables » ;
- un historien de Sicyone auteur d’un livre sur le Péloponèse ;
- notre philosophe ;
- un Stoïcien de la race de Séleucos, et qui fut appelé le Babylonien, parce qu’il était né près de ce pays,
de l'homme Soonde nous place en face d'une multitude d'expériences pertinentes dont
l’interprétation relève en fait de la décision personnelle de l’individu en rapport, bien entendu,
avec la signification symbolique traditionnelle des éléments de la nature.
Le cas échéant, le champ symbolique de la praxis dialogique Soonde peut être cerné de la
manière ci- après :
- La présence d'un hibou au village annonce le règne de l'intersubjectivité négative
du ndoki (sorcier) ;
- La présence d’un coq blanc au village est prise pour un danger ;
- Le chant des oiseaux, sautillant sur les troncs d’arbre, annonce généralement la
présence d'un fauve ou d'un serpent dangereux comme la vipère (kiwuta) ;
- Le crapaud-visiteur du soir annonce la naissance d'une fille dans la famille ;
- Lorsqu’il s'agit du garçon, souvent l'on remarque la présence d'un petit serpent
(difficile à tuer) aux alentours de la case.
En sus, qu'il s'agisse d'une plante, d'un animal, d'un serpent, ou d'un insecte, la
signification de chaque élément de la nature dépend d’abord du type de relations entretenues :
relations positives ou négatives. Et le sens de chaque élément de dialogue peut aussi changer
selon les expériences dialogiques : mariage, pouvoir, maladie, socialité, éduction, mort et
survie, palabre, etc. 2.
Et c’est pour cette raison dialogique que l’on évoque notamment les donnes ci- après :
- la jalousie des mille- pattes (yambalala) dans la parémie : « les vieux du village
Kishikama aiment remuer les mille pattes » 3);
- La ruse du renard (mukiengi) ;
- la force du lion (ntambu), qui meurt toujours de vieillesse à l’âge adulte4 ;
- La force et le manque de discernement du léopard (kisupa) ;
- La ruse, l’intelligence et la rapidité de la gazelle (kabuluku) ;
- La malice du lièvre flatteur et trompeur (shimbidiki) ;
- un écrivain de tarse qui s’est efforcé de résoudre des problèmes poétiques. De ce dernier Athénodore dit
(Promenades, liv. VIII) qu’il était philosophe et paraissait toujours luisant parce qu’il se frottait
d’huile » (DIOGENE Laêrce, Op. Cit., p. 36).
2
A ce sujet, lire aussi MATANGILA, M., Op.Cit., p.232
3
Symbolisant la recrudescence des confltits sociaux, le mille- patte est aussi le symbole du poison social.
4
Quand il est jeune en effet, le lion s’impose sur les femelles qui lui font la chasse aux antilopes. Devenu adulte,
le vieux lion est chassé du domaine par les plus forts. Il est alors obligé de se refuger dans un coin où aucune
lionne ne lui apporte la viande. Isolé (fissuration relationnelle), « le vieux lion meurt alors de faim ».
- la lenteur et l’intelligence du caméléon (kaniongina) ;
- le volume et la rancune de l’éléphant (ndjoku) ;
- l’idiotie (‘buzobatude’) du singe babouin (phongi), qui se moque des autres
babouins alors qu’il n’a pas lui-même de queue ;
- la gloutonnerie du porc gourmand (ngulu) (« le couteau est doux dans la cuisse du
cochon »;
- la malice du singe (nkima) mais qui manque toujours ses fins ;
- l’innocence du bouc sacrificiel (nkombu) dont le cou supporte tous les supplices
lui infligés 5;
- la grossièreté et la lourdeur du crapeau (zundu) ;
- l’attention quasi permanente de la ‘mère poule’ (nzolu) qui assure la sécurité à ses
petits ;
- la fragilité trompeuse de l’œuf (diya), symbolise la vie et de la foudre ;
- l’interventionisme du coq (kolombolu) en cas du danger au niveau du poulailler;
- la vigilance de la perdrix (ngwadi) comme symbole du travail noble ;
- la patience et l’intransigeance de la vipère (kiwuta) ;
- la beauté et l’idiotie du martin- pêcheur (isumbu ngiengi) ;
- la mesquinerie du poisson silure (safu) dont la peau reste toujours collée à la
braise chaude;
- la chaleur de la braise incandescente comme symbole d’un conflit latent ; etc.
Le Nord traduit le lieu d’où proviennent les plaintes ici symbolisées par la parémie selon
laquelle les chutes d’eau ne font pas du bruit pour rien 6! Les groupes en conflit se
5
« Kota nkombu » (littéralement le cou du bouc) est une expression dialogique qui stigmatise le poids de la
responsabilité sociale du locuteur. Dans le fonctionnement politique congolais, Mungul Diak aimait s’appeler par
ce surnom aux fins d’apostropher son opposition oppositionnelle à la dictature de Mobutu Sese Seko.
6
Ici, l’eau symbolise l’existence sociale ; les pierres sont les hommes et le bruit traduit la crise du vécu
quotidien.
rassemblent au nord ; c’est aussi en cet endroit que se cachent certains sages espions. Leur
mission secrète a une double finalité : enregistrer la réaction du public et corriger, au besoin,
les erreurs de la cour palabrique.
La partie Sud de cour palabrique est strictement réservée aux notables et aux sages-
conseillers du Sénat et du Parlement. Car, si la plainte provient du nord (en amont), l’enquête
de la cour ne doit pas négliger ce qui se passe au sud. C’est, en effet, à partir de ce point
cardinal que l’on peut avoir de la lumière sur l’identité des vrais coupables. C’est la raison
pour laquelle les sages du sud ont le droit de demander aux juges de suspendre éventuellement
le débat aux fins d’une concertation loin du public : la tenue de la palabre sous la palabre.
Leurs motions peuvent aussi être motivées par le constat d’une erreur de procédure : le non
respect des lois coutumières. C’est aussi parmi ces notables qu’on retrouve les divers
officiants des rituels de réconciliation7.
7
KAMWIZIKU, W.A., Dialogique de la nature et rituel de réconciliation,
8
Pour mieux comprendre les enjeux dialogiques du ‘toussotement’, il sied d’abord de
relever que le toussotement ou parfois l’éternuement est d’un usage polysémique. Car, dans la
praxis dialogique africaine, cette stratégie de présentification est à la fois un bruit conscient
(provoqué volontairement) ou un bruit immotivé. Et dans les deux cas, le sens de son
interprétation dépendra du contexte de son effectuation, à savoir : l’éventualité d’un coup de
vent ; l’humectation (individuelle ou collective) de la poudre de tabac avant ou au cours d’une
palabre ; la technique de la pause ou de la réserve langagière’, le regard interpellateur du sage,
etc. D’où la formulation des expressions ci- après :
- Le toussotement « ohooon » : toussotement bref ou prolongé dont l’efficacité
dialogique dépend soit de circonstances soit de l’attitude de l’agent qui a la parole
ou qui veut prendre la parole;
- Le toussotement « atshiiin » : il s’agit ici d’un éternuement circonstanciel de
l’homme soucieux de démontrer soit son innocence, soit sa culpabilité;
- Le toussotement « kubioka » (renvoi forcé lié à la « gourméthique ») ;
- La pause dialogique de la formule palabrique « avalez votre salivez » : formule
polie d’une demande de parole pendant quand l’autre partenaire est entrain de
parler ;
- La pause dialogique : « mettez votre cœur dans l’eau » (une manière polie de
demander la parole ou d’apaiser son partenaire dialogique) ; etc.
La prise de la parole est d’abord réservée au chef de village. Après la petite introduction
(kasau- sau) du chef coutumier, l’on passe alors au lumenu lo tulu. Ce qui se
traduit littéralement : ‘comment a-t-on passé la nuit’ ? Dans un second moment, le Kahuma
(sage annonciateur de la palabre) expose d’abord le mobile de la palabre et, sous le regard
vigilant et perturbateur du sage menteur, le Kahuma invite tous les protagonistes à tousser
devant l’arbre des ancêtres. Et, à ce niveau, le toussotement revêt le sens d’une confession
publique puisque la nudité, on ne la cache pas à la rivière dans laquelle on se lave. Le
plaignant est donc le premier à prendre la parole. Il passe devant le chef du village et se met à
genoux. Il se courbe profondément et touche le sol. Ce geste apparemment banal a pour rôle
de rétablir le dialogue avec les ancêtres ; car ce sont les ancêtres qui, à tout moment, guident
et éclairent les esprits des gens en conflit. Le plaignant retrace la situation litigieuse qui
l’oppose à son vis-à-vis et termine souvent son exposé par une petite chanson proverbiale. A
son tour, l’accusé se soumet aux mêmes exigences dialogiques. Et, après une longue pause, le
maître des débats et les défenseurs judiciaires reprennent sous forme de redites (milabu) les
grandes lignes de la palabre et développent ainsi un dialogue, entremêlé des chants et des
danses, devant conduire le public au dévoilement de la vérité et au rituel de réconciliation.
La tête et le membre antérieur droit de l'animal sont remis à l'oncle paternel ou à la tante
paternelle. Les autres membres du clan se partagent le second membre antérieur. La raison qui
justifie cet esprit de partage est que le Ndoki s'adresse au Père ou à l'Oncle paternel avant
d'envoûter le corps de l'enfant à éliminer. Si le chasseur est marié, son épouse a droit à la tête,
aux poumons et au coeur de l'animal, foyer des sentiments et d'amour. Si le chasseur est
célibataire, le tout " intérieur" de l'animal est remis à sa mère. Or, l'existence de la chasse
prouve suffisance que « les muets ne parlent pas » et que tout animal est potentiellement "
problématique". C’est la raison pour laquelle, la croupe de l'animal fait partie du legs des
sages parémiologues qui tranchent les palabres. La sorcière la plus influente du clan a un
grand pouvoir de décision dans la vie des gens. Aussi, aura-t-elle droit aux rognons. Le
transporteur a droit au cou de l'animal et les intestins sont distribués aux autres notables qui
n'ont pas droit au poitrail ( dibambu). Quant au chien, il se contentera essentiellement du sang
de l'animal répandu sur les feuilles mortes et attendra qu'on lui jette un os pendant ou après le
repas de son maître. Et c'est en vain que le chien cherchera à manger les excréments d'antilope
(wutupi) puisque l'épouse de son maître-chasseur devra s'en servir, en période de vaches
maigres, pour assaisonner les feuilles de manioc (saka-saka). Et cette pratique culinaire du
« wutupi » vise en fait à répondre aux besoins pratiques de la « gourméthique » dont
l’exemple nous est donné dans la palabre autour d’une femme aux maris multiples.
Voulant imiter l’exemple de son ami Kabenda qui venait de se marier aux lendemains de
son initiation mukhanda (circoncision), le jeune Kinahwila du village Kikapa se décida aussi
d’épouser une très jolie fille du village Kanungu, sur la route menant à Feshi. Mais, après
deux ans de vie conjugale, le jeune couple n’avait toujours pas d’enfants. Cette situation
commença à agacer les membres de famille du jeune Kinahwila. Car les mauvaises langues
traitaient ce dernier de bâton solitaire transportant deux calebasses vides (stérilité
masculine), et les sœurs de Kinahuila incriminaient, à leur tour, leur belle sœur en la taxant,
à tort et/ou à raison, de « papaye belle mais vide » (stérilité féminine). La jeune dame
« supposée stérile » s’en alla alors pleurnicher auprès de sa grand-mère Mungeya dont
l’hérédité clanique est imperméable aux idéologies de la stérilité féminine. Blessée ainsi dans
son amour propre, la vieille Mungeya fit alors déclencher une palabre autour de la virilité
masculine de l’époux et de la fécondité fécondante de son épouse. Le dossier sera traité par
les juges ci-après : Ngemi (tireur de vin) Nakashila
2.1 L’amour est comme la toux : il n’y a donc pas de mariage sans palabre !
Mwath Kinahwila
Ma chère épouse Kafeta, nous avons une « vraie- fausse » palabre à trancher dans ce
village qui n’aime pas les enfants qui étudient. En effet, l’amour est comme la toux. Notre
enfant Kinahuila Melko vient de réussir aux examens d’Etat et il tient à se marier à une fille
du village Kanungu. Seulement, il y a un problème. Notre enfant veut nous réunir avec les
membres du clan de Mudingungu qui ne nous aiment pas après qu’ils aient usurpé notre
pouvoir traditionnel. Qu’allons-nous faire puisque notre enfant commence à faire des crises
d’amour ?
Mwath Kinahwila
Tout est dit, épouse-mère de mes enfants, et je suis de ton avis. C’est aussi l’avis de tous
les autres membres de famille qui veulent précisément profiter de ce projet de mariage aux
fins de réconcilier nos deux clans désunis. Samedi prochain, c’est le jour du rendez-vous chez
le père de la fille, mwath Mudingungu, du village Kasoma. Je vais demander au tireur de vin
Nakashila de nous accompagner. Car le vin de Nakashila est cette donne sociale qui arrange
les cérémonies de mariage et apaise les conflits sociax. Et comme la femme qui allaite les
jumeaux a deux gros seins9, je vais prévoir deux verres.
Mwath Mudingungu
Soyez les bienvenus à la case de Mudingungu, mwath Kinakwila, car nous nous portons
tous bien, ici à Kasoma. Et vous, comment allez-vous ?
Mwath Kinahwila
Nous allons très bien, frère de clan Mudingungu. Mais ce qui nous amène ici, c’est le
dossier de votre neveu Kinahuila qui aimerait suivre votre exemple de fermier. En effet, mon
fils avait aperçu un beau poussin dans la basse cour de votre ferme ici à Kasoma, le village
réputé pour la beauté de sa flore et de sa faune. Aussi nous a-t-il exprimé son ardent désir
d’élever des poussins comme vous le faites, du reste, à la manière du grand fermeir belge
9
Le mariage est avant tout l’affaire de deux clans qui s’unissent par le biais du jeune homme et de la jeune fille.
Maistriau à Kabunda village. Comme l’on n’oint point la noix de palme avec sa propre
huile10, je vous informe sans vous informer que mon village est Kikapa, qui est à quelques pas
d’ici. C’est le village du grand chef Kanungu, sur la route de Feshi, notre territoire. Comme
nous nous baignons tous dans la même rivière Kalolu, je pense que nous ne devrions rien
cacher à cette rivière. Car, si nos ancêtres ont eu quelques petits problèmes de coexistence
pacifique à cause de leurs interdits alimentaires, leurs descendants doivent cependant laver les
linges sales en famille. Et l’occasion nous est justement donnée de le faire en cette période. Je
suis allé tout droit au but et voici un petit sachet de noix de cola (makasu) 11.
Mwath Mudingungu
Mama kadi e12 mwath Kinahwila : votre discours me trouble quelque peu. En effet, je ne
suis ni fermier ni propriétaire d’un poussin pouvant attirer votre fils. Je crois que vous vous
êtes trompé d’adresse.
Mwath Kinahwila
Suis-je à Kinshasa pour me tromper d’adresse à cause de la grandeur de la ville? Non
mwath Mudingungu, je suis au village. Je connais bien les sentiers qui mènent à la forêt. C’est
la raison pour laquelle je vous ai apporté ces deux calebasses de vin aux fins d’amorcer le
dialogue sur le dossier du jour. Prenez-les et ne me tuez pas sur votre lit13.
Mwath Mudingungu
J’accepte votre geste aimable, mwath Kinahwila. , car la noix de cola est le symbole de la
bonté du cœur aimant de l’homme. Mais comme vous venez de le constater, quelqu’un vient
de subtiliser les deux calebasses de vin que vous veniez de déposer chez moi. Cet homme du
village a sans doute cru que vous êtes un aventurier. Si cela n’est pas le cas, veuillez vous
manifester autrement, mwath Kinakwila puisque les singes de la forêt ont aussi l’habitude de
subtiliser ou vider nos calebasses de vin.
Mwath Kinahwila
10
Il serait superflux de rappeler le village du voisin à son voisin.
11
La noix de cola (dikasu) est un petit fruit rond vert dont la saveur réelle ou supposée est dans la bouche du
vieux. Les jeunes gens envient souvent les vieux qui broutent cette noix mais ils ignorent que cette noix n’est pas
sucrée. Tel est le paradoxe de la responsabilité humaine dans un fonctionnement social où les apparences sont
parfois trompeuses. A titre exemplatif : les jeunes célibataires envient souvent les mariés oubliant que le mariage
ressemble à une ville assiégée par les rebelles (responsabilité): ceux qui y vivent (mariés) veulent en sortir
(divorce) tandis que ceux qui n’y sont pas (célibataires) veulent y entrer (mariage). D’où l’interpellation des
jeunes par les sages du village palabrique : si tu veux devenir fou, marie-toi ! Autrement dit, élever les enfants
n’est pas une tâche facile.
12
Cette parémie exprime une fausse modestie ou un semblant d’étonnement sans étonnement.
13
Ne pas refuser le dialogue.
Ne me faites pas rire, mwath, parce les ancêtres nous ont raconté une petite drôle
d’histoire autour de ces singes de la forêt. « Un jour, en effet, un tireur de vin constata que ses
calebasses de vin venaient d’être vidées par des intrus. Il porta alors plainte contre les singes
de la forêt qui avaient l’habitude de monter sur les palmiers. Les singes se défendirent en
arguant que c’était le caméléon qui venait de vider les calebasses de vin. Pour départager les
accusés, la cour de la palabre animale procéda par le test d’ivrognerie. Et, à cause de sa
démarche qui ressemble à celle d’un ivrogne, le caméléon fut déclaré coupable alors que les
singes de la forêt étaient les vrais coupables ». — Pause.
Vous me dites que quelqu’un vient de subtiliser les deux calebasses de vin que je vous ai
apportées. Ce n’est pas grave puisque je le connais bien. C’est le tireur de vin Nakashila qui
vient de suivre l’exemple des singes de la forêt. Je ne vais pas lui intenter un procès pour cela.
C’est un pauvre innocent du village. Comme mon fils tient absolument à devenir un fermier
indépendant, je vous prie d’accepter ces deux autres calebasses de vin et quelques noix de
cola. Car, chez nous, le vin de palme sans noix de cola est une joie sans joie ou une fête sans
fête. Je suspends donc ma parole tout en rappelant que la noix de cola est le symbole du cœur
aimant de l'homme.
Mwath Mudingungu
Nous aimons ce type de discours, mwana pangi (enfant de mon frère) Kinahwila. Si
votre mère Mambokula avait pris part à cette rencontre, elle n'allait vraiment pas me
contredire. Mais je dois me rassurer que tous mes poussins sont là, dans la basse cour. Mon
épouse, mwatha mwadi Mbukika, fais-moi sortir tous les enfants de la maison, filles et
garçons, pour que mwath Kinahwila me disent ce qu’il a au cœur de son cœur.
Mwath Mudingungu
Mwana pangi (enfant de mon frère) Kinahwila, tous mes poussins sont là devant vous.
Demandez à votre fils de vérifier si, par hasard, le tireur de vin (ngemi) Nakashila qui venait
de ‘ramasser’ vos deux premières calebasses de vin, n’a pas aussi pris un de mes poussins aux
fins de vous décourager.
Mwath Kinahwila
Avalez votre salive, puisque mon fils me dit que le poussin tant recherché par votre fils
n’est pas encore là. Que mwath Nakashila veuille bien consommer ces deux calebasses de
vin ; mais en ce qui concerne le poussin, je lui promets un petit cadeau s’il arrive à le
retrouver.
15
Ce vieux tireur de vin de palme est, en fait, un agent secret de la cour palabrique du village. Sa présence au
cours de ce mariage coutumier n’est pas un fait du hasard puisque le vin de palme (information) vient de lui. In
vino veritas : le tireur de vin est le mieux placé pour dévoiler les secrets de tous ces soulards qui viennent boire
du vin devant sa case de campagne. Pour ce faire, le tireur de vin feint d’être ivre et tous ses visiteurs
occasionnels profitent de son inattention pour s’enivrer davantage. C’est alors que le tireur de vin leur raconte
des histoires invraisemblables afin de connaître leurs pensées profondes.
(Oralité Première) (Ce qui se traduit)
Ami epi, ena dimbu dietu: Moi aussi, gens de mon village
Nungusey'oku natal :
Ngunza niekhedi, enu Ne vous moquez pas de moi;
angunza; Jeune, je le fus, vous les jeunes ;
Khasi lelu, Mais aujourd’hui,
Nieyindula ngaka diemi. Je regrette mon aptitude à la
Kinitale kiniejinganga, danse.
Mutshima ongusuma ku Si je revois ma vie passée,
mutshima. Le cœur me fait mal au cœur.
Mbaku Peshi
Avalez votre salive, ancien viveur du village Kikhau non loin de Kataya, le village du
chef de secteur Diata Malumbu. Oui, mwath Kwahwatu, vous êtes réellement un ancien
ancien viveur du secteur Feshi-Maziamu dont la musique est cette donne dialogique qui
retrempe effectivement les gens dans leur passé présent. Oui, mwath, vous n’avez pas tort de
regretter votre passé présent. Car, à l’instar de la musique qui vous rappelle votre passé,
l’histoire de ce passé devrait aussi faire réfléchir leMbaku (wo makusu) Mupukila Kasapula
Kaj qui semble minimiser le fait que le mariage est une folle aventure. Car, au lieu de suivre
attentivement toutes les « paroles mal parlées » au sujet de son petit-fils Kinahwila, le sage
Mupukila préfère dormir comme un gros bébé aux ‘gencives sans dents’comme lui-même,
l’arrière-grand père. N’a-t-il pas appris que le jeune couple « Kinahwila- Madiya » n’a pas
encore d’enfants et que cela fait l’objet de raillerie au niveau du tout social ?
Mbaku Peshi
Comment aurai-je noté cette histoire d’amour du moment où je ne sais ni lire ni écrire.
Posez plutôt cette question à votre petit-fils Kinahwila qui sait lire et écrire. Posez- lui cette
question puisque les jeunes amoureux disent que sa femme ressemble à une belle papaye.
Ohoon !
2.4 L’eau chaude (folie d’amour) finit par se refroidir (crise du mariage) !
Mbaku Peshi
Comment peut-il en être autrement du moment où les nuages sont signe de pluie. A la
suite de ce que mwath Kwahwatu vient de relever, je voudrai d’abord souligner que le
changement brusque du comportement d'un bébé dormeur est aussi le début de la folie de ses
parents. Car, en engendrant à la hâte, le chien mit un aveugle au monde ! En d’autres termes,
même si la hâte n'apporte pas le bonheur, mieux vaut devenir aveugle que de perdre
courage. En effet, au bout de quelques mois de leur bipolarité amoureuse, nos jeunes
amoureux se rendirent finalement compte que l'homme patient du village est, précisément,
celui qui mange les fruits mûrs ! Car trop d'empressement n'a certes pas de succès; mais il
vaudrait mieux de prendre le temps d'arriver que d'être une personne indésirable !
2.5 Le chien qui aboie fort (jalousie), ne mord pas (refus d’amour) !
Mbaku Peshi
16
Cette symbologie concerne le cas de décès au sein de l’existence sociale. En effet, tout homme est un être
social (chèvre communautaire) dont les intestins pourrissent (corps périssable). Il sied donc de procéder à
l’inhumation car la décomposition du cadavre est un danger public.
17
En matière palbrique, il sied d’éviter toute précipitation.
Au lieu de faire allusion aux ‘nuits de rêves’, sage du village, retenez simplement que,
contrairement à ce que venait de déclarer le jeune boxeur Atutshina à savoir « , c'était plutôt
sa paisible épouse qui le tenait fermement à la gorge. Oui, l’orgeuilleux boxeur était cloué au
sol par sa femme dont le bras gauche avait failli l’étouffer à la manière d’un boa. Et
l’infortuné roulait au sol comme un serpent pris dans un piège à rat. Vous connaissez vous-
même le gabarit de mwatha-mwadi Kamesa. Cette femme est une vraie femme. Elle a le
prototype des grosses femmes Mbala de Pay Kongila. Au regard de sa grande taille et de sa
peau brune, Kamesa ressemble aussi aux légendaires belles femmes phende du territoire de
Gungu. Et par son calme, mwatha-mwadi Kamesa ressemble à l'eau qui dort en dormant !
Oui, cette dame n’a pas l’habitude de trop parler. Certaines mauvaises langues racontent
même que son gros bassin surélevé (par derrière) peut servir de siège à bébé. Si la grosse
dame Kamesa avait donc épousé un ‘je le connais’ (intellectuel), cet homme (supposé fortuné)
allait sans doute avoir de sérieux problèmes pour se promener avec son épouse en voiture.
Mbaku Peshi
Vous avez parfaitement raison de nous inviter à bien surveiller nos paroles. Mais comme
la chasse au boa se fait en suivant ses traces, revenons un peu au cri d'alarme du chasseur
Atutshina pour souligner que les batailles nocturnes entre l’homme et la femme sont à
craindre. Que n'avons-nous pas en effet remarqué chez lui ? Nous avons en effet remarqué
que le jeune mari était cloué au sol. Et sa femme nous dit d'une voix grave : « Laissez-moi
corriger mon mari, car ses provocations dépassent les limites du raisonnable ». Et si vous
étiez avec nous, ancien tireur de vin de palme, vous alliez vous rendre compte de beaucoup
de choses. Retenez simplement que, face au gabarit de son épouse, mwath Atutshina n'avait
d'autre choix que de recourir à notre intervention salutaire. En effet, son prétexte était bien
trouvé : « venez vite gens du village, car je risque de tuer ma femme ». Et pourtant, les faits
nous ont prouvé le contraire. Car son cri interpellateur n’était en fait qu’un cri de détresse
mal dissimulé.
Mbaku Peshi
Laissez-moi plutôt terminer mon histoire, ancien petit coq du village Kishikama. Car,
sauf erreur de ma part, votre petit- fils Atutshina avait des yeux rouges comme ceux d’un bébé
pleureur. En effet, ses dents taillées ressortaient de sa bouche et cela me fit penser aux dents
pointues d'un rat-pisseur pris dans un piège. C'était tragi-comique, sage menteur Kwahwatu.
Par où fallait-il commencer ? Dans un premier moment, la pudeur nous avait dissuadés de
jeter un coup d’œil fugitif sur le fameux derrière surélevé de notre petite- fille Kamesa ! Car
cela aurait pu provoquer une palabre imprévue sur …
Mbaku Peshi
Ensuite, sage tousseur du village, il sied de reconnaitre que la beauté naturelle de notre
petite- fille devenue, par surcroît, mère de grande famille, nous était exposée dans son intimité
naturelle.
Sage menteur Kwahwatu
Avalez un peu la salive, Mbaku Peshi !
Mbaku Peshi
Enfin, sage menteur du village où les gens éprouvent de la peine à avaler leur salive,
retenez que la colère de Kamesa contre son provocateur d’époux devint tellemnt colérique que
l’on craignît le pire ! Mais comme notre Dieu ne dort jamais, le bon sens a fini par l'emporter.
C’est ainsi que, par respect pour nous, mwatha- mwadi Kamesa quitta les lieux de la bataille
nocturne. Et, à notre grande surprise, sonfarceur d’époux, n'osait même pas relever la tête. Car
il croyait sans doute que sa femme était encore là ou qu’elle s'était emparée d'un pilon pour lui
écraser la tête. Du coup, le jeune époux provocateur se mit à crier : « tenez-la, sages du
village; écartez-la de moi, car elle risque de me tuer ».
Sage menteur Kwahwatu
Ha, ha, ha, ha ! Cette drôle de batailles nocturnes donne vraiment à rire.
Mbaku Peshi
Au lieu de rigoler, sage menteur Kwahwatu, je m’étais plutôt mis à essuyer les larmes du
jeune prétendu boxeur du village. C'était tragi-comique. Car, croyant rencontrer un lion blessé
dans son amour propre, le public sécouriste du village s’est plûtot retrouvé en face d’un
canard sans force physique conséquente. Oui, le jeune Atutshina n’avait plus de force pour
relever sa tête.
Sage menteur Kwahwatu
Avalez un peu votre salive, sage sécouriste des foyers en conflit d’amour. Vous dites que
le public s’est donc retrouvé devant la colère d’un canard fatigué ou en colère apaisée.
Pourquoi était- il si fatigué à cette heure tardive de la nuit ? Ne voyez- vous pas que cette
palabre conjugale relève de la farce ?
Mbaku Peshi
Effectivement, sage enivreur des jeunes gens au village, je constate que cette palabre
conjugale relève effectivement de la farce. Hier, en effet, mwath Atutshina soutenait
l’idéologie des naissances désirables. Et c’est pour cette raison que certaines mauvaises
langues n’ont pas hésité à le traiter de baton solitaire transportant deux calebasses vides.
Aujourd’hui, par contre, mwath Atutshina soutient l’idéologie des naissances rapprochées. Il
aime tellement sa femme Kamesa qu’il n’hésite pas à la retourner à la maternité.
Mbaku Peshi
Mettez votre cœur dans l’eau, sage du village, car mwath Atutshina venait de se procurer
quelques bibérons au centre commercial du territoire de Feshi. En fait, leur vrai problème est
le suivant : les batailles nocturnes entre époux sont à craindre.
18
Ce toussotement laconique est une manière rusée d’introduire une autre palabre sur un thème similaire. Le
public est donc convié à bien regarder le mouvement des yeux des sages de la cour palabrique.
19
Alusion faite à un rat pouvant être consommé avec une diversité de mets (bananes, chikwanges ou fufu).
3.1 Les fourmis rouges ne s’assemblent jamais pour rien20.
20
Comme susdit dans la palabre sur « la perdrix et l’antilope pourrie », les fourmis rouges (hommes)
s’assemblent toujours (palabre ou travail collectif) à cause d’une cause (survie sociale) et aux fins d’un but
(désinfection sociale).
21
Ce que Dieu donne, personne ne peut l’enlever.
Wolowo yaya (grande sœur) Kamesa : retenez que, pour nous qui n’avons pas de maris
spécialistes de la chasse aux rats des marécages, notre seule conviction est la suivante : la
chèvre a certes un gros ventre, mais elle se contente de l’herbe que les gens piétinent. Ne
minimisons donc pas la valeur nutritive des feuilles de manioc puisque le ventre n’a pas de
jour férié.
Mwatha mwadi Kamesa
Kalengi (jeune sœur) Mwiza, vous avez bien fait de me rappeler cette sagesse
traditionnelle. Seulement, il menace de pleuvoir et les crapauds ne coassent que quand il
pleut22. Regagnons donc vite le village puisque notre pâte de manioc risque de s’abimer.
Mwath Yitaza
Ne me suis-je pas par hasard trompé de lieu ? C’est pourtant en ce lieu que j’avais tendu
un piège aux rats qui adorent le manioc pourri. Mais, je ne vois plus mon piège. Qui s’est
donc permis de l’arracher alors que les fourmis rouges continuent à envahir les marécages ?
Peut être qu’un homme de bien m’a rendu service en enlevant le rat qui, sans doute, a failli
être consommé par les fourmis rouges. Peut être que les sangliers sont encore passés par ici.
Pour en savoir plus, je vais un peu interpeller les hommes du village Kingongu parce que
leurs pauvres femmes qui ne savent pas tendre les pièges aux rats : Gens du village
Kingongu : ça fait trois jours que j’ai un petit problème. N’auriez-vous pas aperçu les traces
de ces sangliers qui ont pris l’habitude de détruire nos pièges ? Comme vous refusez de
traquer les sangliers, je ne vais plus tendre les pièges. Désormais, je me contenterai de la
pêche aux anguilles et, de ce pas, je vais voir si les anguilles de la rivière sont devenues
indifférentes aux noix de palme que j’ai enfouies dans mes nasses.
Mwatha mwadi Mwiza
22
Les gens ne fêtent que lors d’un événement heureux.
Mais qui vois-je revenir de la rivière à cette heure de la journée ? Ah, c’est le grand-père
Yitaza. Bonjour grand-père Yitaza. C’est moi ta petite nièce Mwiza. Je suis venue retirer les
racines de manioc que j’avais enfouies dans l’eau. Comme il menace encore de pleuvoir, je
suis obligée de rentrer au village. Je te vois avec un gros sac en raphia. Heureux celui qui, le
premier, rencontre le chasseur23.
Mwath Yitaza
Petite nièce du village, c’est pour rien que tu envies ce gros sac de noix de palme. Il ne
contient qu’un petit paquet de poissons. Je ne peux rien te cacher, petite fille (nkhaka), car
notre dialogique vitale me l’interdit. Même si les rats ont eu la mauvaise habitude de
contourner mes pièges, les anguilles, elles, n’ont pas du tout fui mes nasses des noix de
palme.
23
Dans la culture Soonde-Lunda, celui qui, le premier, rencontre un chasseur venant de la chasse, a droit au
partage de l’animal que ce dernier transporte dans son sac.
(pâte de manioc) avec des légumes. Mais avant que je ne te révèle un secret, rassure-moi que
tu ne me trahiras pas au village.
Mwath Yitaza
Regarde-moi dans les yeux et observe bien la couleur de mes cheveux. Ai-je encore ton
âge pour imiter la sagesse –idiotie des jeunes gens ? Retiens ceci : je n’attends plus que la
mort. Prends vite ces deux petits poissons pour que tes enfants gourmands ne meurent pas de
faim. Je ne suis pas une tortue24. Je maudis simplement les sangliers qui viennent de détruire
mes pièges ; sinon tes enfants allaient recevoir un gros colis de ...
24
Quand on demande quelque chose à la tortue, elle répond :’ma patte est trop courte’ ; mais si on lui dit de
prendre quelque chose : ‘ sa patte devient trop longue’. Ce qui revient à dire que certaines personnes préfèrent
recevoir que donner.
25
Pauvre de moi : le jeune dame se réserve de trop parler.
Mwath Yitaza
Je comprends votre réserve langagière, ma petite fille ; car le sanglier, si maigre soit-il,
porte toujours ses défenses26. Et comme la vérité se dévoile au grand jour, sois assurée de ma
discrétion. Devance-moi et je sais comment je vais corriger notre porc épic qui ne peut jamais
faire rentrer ses aiguilles27.
Mwatha mwadi Mwiza
Il vous appartient d’agir sagement grand- père, parce que ma grande sœur risque de me
traiter de tous les maux. Comme je n’aime pas m’ingérer dans les histoires d’autrui, j’ai
simplement profité de cette occasion pour vous en parler, loin du village..
Mwath Yitaza
Wolowo hommes de mon village, la palabre demeure toujours une palabre. Je reviens
présentement de la rivière où je viens de faire un constat malheureux. En effet, ce n’est pas un
sanglier qui avait détruit mon piège et emporté son contenu, mais c’est bien plutôt un habitant
du village. Comme cet individu m’a laissé parler inutilement, je vais le maudire. Eh toi,
destructeur de mes pièges, que me veux-tu au juste ? Dis-moi : où est mon rat de marécage ?
Tu l’as volé en prétextant sans doute que je n’ai plus des dents pointues comme toi. Tu te
trompes, voleur du village, car la viande de ce rat est très tendre. Voleur des rats d’autrui, tout
le monde sait que tu passes ton temps dans les nganda de vin de palme. Tu aimes boire le vin
de palme alors que moi, j’aime boire l’eau de la rivière. Oui, je suis un pêcheur d’anguilles et,
de temps en temps, je tends des pièges aux rats des marécages. Je sais à présent que ton
ivresse ne te permet pas de tendre les pièges à rats. Au lieu de tirer les conséquences de ton
ivrognerie, tu préfères visualiser les prisonniers occasionnels des pièges d’autrui. Es-tu
devenu juge de tribunal pour libérer en catimini les prisonniers occasionnels de mes pièges?
Comme il est établi que les sangliers n’ont jamais détruit mon piège, je vais alors te ramener à
la raison. Je vais te maudire publiquement. Instrument de malheur (nzundu), sévis (kwata) le
26
Chaque homme a ses défauts et ces défauts enchaînent tous les membres du clan en l’occurence, le sage Yitaza
et sa petite- fille Mwiza qui, pour des besoins alimentaires, a quand même eu le courage de dénoncer sa sœur
Wodisola.
27
Le sage Yitaza reconnaît implicitement les défauts héréditaires de sa petite- fille, mwatha- mwadi Wodisola,
et il tient les dénoncer malgré tout.
receleur de mon rat. Fais gonfler le ventre et les pieds de tous ceux qui ont mangé mon rat.
Wuant à vous, ivrognes de ce village, ne faites pas semblant d’être ivres. Retenez que je
reviens de la ferme Mbulungoma, mon lieu habituel de travail. Je reviens de ma ferme. Si
vous reconnaissez avoir mangé quelque chose d’autrui, ne faites pas semblant de n’en rien
savoir. Si quelqu’un reconnaît avoir mangé mon rat, qu’il retienne que les choses à manger
ressemblent aux matières fécales. Le Petit chanteur Mukashi (alias ‘Jour’) (alias ‘Jour’) (alias
‘Jour’) nous renseigne que les aliments que l’homme mange sont finalement destinés au
ravin.Oui, le caca pique, mais il n’a pas d’épines. Si vous avez mangé quelque chose d’autrui,
retenez que l’adultère n’est pas un trésor mais un châtiment pour plus tard ! Ma plainte va
porter ses fruits. Sous peu, un malheur va s’abattre sur vos familles. C’est en vain que vous
rechercherez les sorciers (ndoki) dans vos clans. Le ndoki qui va manger vos enfants, c’est
votre propre bêtise. L’avenir nous le dira. Il est temps de vous repentir, sinon ça sera trop tard.
Mwath Palata
Mama, mama, mama ! Ca fait trois jours que le beau- père Yitaza se plaint d’un inconnu
qui aurait détruit son piège dans les marécages de la rivière Kalolu. Ca fait trois jours que
mwath Yitaza passe devant ma maison et fait allusion à un buveur de vin de palme. A ce que
je sache, je suis le seul tireur de vin de palme au milieu du village. Le vieux Yitaza vient de
maudire tous ceux qui auraient goûté la sauce de son rat. Il a promis malheur sur malheur à
tous les enfants qui auraient mangé le rat vole. Il a même dit que leurs ventres vont se mettre à
gonfler. Et chose curieuse, mes enfants ne sont plus en bonne santé : leurs pieds sont gonflés
et leurs yeux sont devenus jaunes. Un vieux du village m’avait soufflé quelque chose à
l’oreille : ‘alouette réveille-toi ! Que dois-je alors faire ? E toi, ma jeune femme, on dirait que
la maladie de mes enfants ne te dit rien du tout. Qu’est-ce qui justifie les va et vient de mwath
Yitaza devant notre case ? Ce geste me paraît très suspect.
Mwatha mwadi Wodisola
Je suis aussi surprise de voir ce maudisseur d’enfants passer tout le temps devant notre
maison. Et pourtant, il n’a pas l‘habitude d’emprunter cette ruelle. Nous devons nous méfier
de tous ces sorciers du village. Est-il vraiment vrai qu’il a été victime d’un vol de rats?
Mwath Palata
Avale ta salive, mon épouse, car la bouche du vieux sent mauvais mais elle ne débite pas
des mensonges. Le vieux du village ne se plaint jamais en public alors qu’il n’y a pas de cause
réelle pouvant motiver cet acte. Et chose curieuse : nos enfants sont malades et mwath Yitaza
continue à maudire les enfants d’un tireur de vin de palme. A ce que je sache, je suis le seul
tireur de vin sur cette rue plusieurs fois fréquentée par mwath Yitaza.Il me semble que cette
dialogique de malheur nous est directement adressée. Allons consulter le devin du village,
sinon nous ne nous en sortirons pas.
Mwatha mwadi Palata
Mon cher époux, je réalise que tu ne pries pas en vérité. Comment oses- tu m’inviter à
aller consulter le devin féticheur du moment où tout devin est par essence un sorcier ou
ndoki ? Mon église de réveil m’interdit de toucher au monde des fétiches. C’est de la
sorcellerie. En outre, mon pasteur m’a dit que le chrétien cohérent doit couper tous les liens
de famille. Je vais briser tout ce qui te lie au clan de ce sorcier qui s’évertue à maudire les
enfants d’autrui. Au lieu de consulter le devin sorcier, rendons nous plutôt chez mes parents
afin que je leur fasse connaître ma position. Le salut est individuel. Il vaut mieux obéir à Dieu
qu’aux hommes. Je ne veux plus suivre notre tradition aux origines diaboliques. D’ailleurs,
une prophétie m’a révélé que tu n’es pas le mari que j’aurais dû épouser.
Mwath Palata
Je ne suis pas un enfant pour que tu m’effraies avec ce type de discours soporifique.
D’abord, retiens que mwath Yitaza est de ton clan. Et tu m’as toujours dit qu’il n’est pas un
sorcier. Ensuite, retiens que ta prophétie n’en est pas une. Si tu crois que je ne suis pas ton
vrai mari, retiens que notre grande progéniture prouve à suffisance que je le suis quand même.
Si ce sont tes oncles maternels (lemba) qui s’amusent à ensorceler mes enfants, ils s’en
prendront à eux-mêmes car je n’ai plus de dot à leur verser. Que ta religion ne nous fasse
donc pas vivre dans une sorte de paix négative. Mes enfants ont besoin de vivre en paix.
Cesse de radoter.
28
La femme insinue implicitement que les enfants peuvent être à l’origine du malheur qui accable le couple.
N’as-tu pas par hasard courtisé une femme d’autrui ? A quel genre de mari ai-je à faire ? Tu
es un sorcier, Palata. J’en ai marre. Je vais t’accuser chez mes parents.
Mwath Palata
Je ne sais pas exactement ce que tu veux dire. N’es-tu pas par hasard devenue folle ? Les
enfants sont malades. Au lieu de trouver une solution à leur problème, tu parles pour parler
seulement. Tantôt, je ne suis pas le vrai mari de la prophétie, tantôt je suis un petit croyant des
fétiches. Qui te dit que tous les devins du village sont des féticheurs ? Tu refuses qu’on aille
consulter le devin (nganga-ngombo) Kitwadi à Kadiombu alors que ton pasteur a l’habitude
de le consulter. Je tiens à la santé de mes enfants. Et comme tu me traites publiquement de
ndoki (sorcier) à cause d emes cheveux blancs, je vais t’aider à bien confirmer ces propos
grossiers. Nous allons voir le devin sorcier du village Kadiombu. Quand tu seras assurée que
je suis ndoki, tu pourras alors briser le lien de notre mariage coutumier. Tu seras pleinement
libre d’épouser le ‘frère en Christ’ de ta prophétie sans prophétie. Je ne puis tolérer de vivre
avec une femme qui, sous le prétexte de la religion, renie tout ce qui relève de la tradition.
Quel est ce Jésus- Christ qui serait venu au monde pour demander aux chrétiens de bien
compter le nombre de sorciers à haïr ? Ne demande-t-il pas aux chrétiens d’aimer leurs
ennemis ? Oui, ma femme me hait parce que j’aime la tradition. Cela me fait rire puisque
consulter le devin ne signifie pas nécessairement que l’on est soi-même féticheur. Le vrai
devin n’est pas un ndoki. Ma femme est la seule ‘sœur en Christ’ qui ignore que son pasteur
est le plus grand consulteur de notre devin du village. Mon épouse Wodisola, retiens d’abord
que que je n’ai aucun litige de dot avec tes parents qui, du reste, ne sont pas les parents de
mes enfants. Retiens ensuite que ma conscience ne me reproche rien et que je n’irai plus poser
mon problème à tes parents. Retiens enfin que celui qui ne répond pas à la bouche (parole)
répondra bien, un jour, au bâton.
29
L’expression huaaa (rien) traduit le glissement du stipule des courges au sol. Cela signifie que mwath Palata
est innocent dans cette palabre familiale.
manière d’un serpent qui fuit le feu de la brousse en feu pendant la saison sèche. Retentons un
peu l’expérience parce que les sorciers sont très rusés. Hwaaa… — Pause
Waaaa : comme il en est ainsi, tournons-nous rapidement du côté des oncles maternels
(malemba), ces sorciers traditionnels qui ont l’habitude d’exterminer leurs progénitures
oubliant que l’arbre est grand par sa ramure. Les malemba de la femme de mwath Palata,
seraient-ils les auteurs du mal qui terrasse la famille de notre tireur de vin ? (hwaaaa) ! Les
pauvres oncles n’ont donc rien à voir dans cette affaire. — Pause
Waaaa : tournons-nous alors du côté des enfants puisque le sanglier, si maigre soit-il,
porte toujours ses défenses. Ancêtres du kalunga, vous nous avez enseigné que la mère-poule
(avec des poussins) craint toujours l’épervier. Et si le chasseur s’amuse à jouer avec son
chien, ce dernier finira par le lécher la figure. C’est la raison pour laquelle les parents doivent
toujours garder distance vis-à-vis de leurs enfants qui aiment souvent jouer avec les couteaux.
Stipule des ancêtres, ce qui se passe au village, celui qui est dans la forêt n’en sait rien !
Dites-moi alors si par hasard les enfants malades n’ont pas caché quelque chose à leurs
parents qui les aiment bien. Pweeee…30. — Pause
Sacré stipule sans pouvoir efficace en matière d’exorcisme : au lieu de t’arrêter à l’endroit
du sorcier de malheur, tu ne fais que glisser sur le sol blanchi par le kaolin de la rivière
Kwenge. Même si les enfants ont l’habitude de faire caca sur la main de leur maman, nos
donnes sociales prouvent à suffisance qu’ils ont tous grandi et qu’ils ne font plus pipi au lit.
Oui, les enfants de palata ne font plus caca sur la main de leurs parents. Oui, les enfants de
Wodisola ont compris que le ravin est la meilleure toilette du monde. Les enfants sont donc
innocents. Ils sont innocents. Où se trouverait donc la cause de leur mal social ? Jetons un peu
notre regard vers la pauvre dame de la maison. Ancêtres du kalunga, un oiseau ne vole pas
avec une (seule) aile. Eduquer est le devoir commun du père et de la mère. Si le père et la
mère se disputent pour un œuf, l’enfant ne pourra jamais avoir de poule à élever (à son tour).
La sagesse ancestrale conseille aux parents de toujours s’entendre afin de garantir une bonne
éducation à leurs enfants. Seulement, l’éléphant ne se fatigue pas de porter des défenses. A
l’instar du cou qui ne se lasse pas de la tête, mwatha mwadi Wodisola ne décline pas ses
responsabilités de mère de famille. Oui, la mère qui allaite les jumeaux a deux gros seins.
Mwatha mwadi Wodisola est donc venue nous voir avec son mari, parce qu’elle est
convaincue que l’oncle (lemba) n’est pas le papa, et que la tante n’est pas leur maman.
Mwath Palata et sa femme Wodisola sont venus nous voir parce qu’ils ne se fient pas trop aux
pensées sordides des membres de leurs clans respectifs.Oui, le tam-tam ‘parle’ au moyen des
30
Le glissement facile du stipule des courges au sol prouve à suffisance que les enfants sont aussi innocents.
tambourineurs, l’homme parle au moyen de sa bouche. C’est autant dire que chaque parent ou
éducateur vit, entre autres, grâce à son maître. Ancêtres du kalunga, aidez-moi à rétablir la
paix sociale dans la famille de mwath Palata. Stipule des ancêtres, vas-tu encore glisser
comme tu l’as fait jusque la ? Nwiiii… (net).31 — Pause
Ce n’est pas vrai. Le stipule des courges s’est brusquement arrêté devant la pauvre dame.
Ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai ! Je crois que mon bras est fatigué. Retentons l’expérience,
car une fois la palabre tranchée, on n’y revient plus. Oui, les ancêtres ont dit que le manioc
dans le ventre ne revient pas. Comme la justice est la même pour tout le monde, retentons
l’expérience. Stipule des courges, est-il vrai que mwatha mwadi Wodisola est responsable de
la maladie de ses enfants? Nwiii… Nwiii… Nwiii… 32
3.6 Manger avec une femme ne revient pas nécessairement à manger avec une sorcière
Mwath Palata
Quelle ‘sœur en Christ’ ai-je épousée ? Les ancêtres ont raison de dire que manger avec
une femme revient à manger avec une sorcière. Ma femme avait prétendu que la cause de
notre malheur provenait de moi. Elle a même osé me traiter de délinquant sénile aimant la vie
des nganda dans la forêt. Suis-je polygame, moi ? Dans mon clan, les ancêtres n’ont jamais
épousé plus d’une femme. Le fil suit l’aiguille. Je ne suis pas polygame et je n’ai pas envie de
le devenir. Et comme cette femme sorcière m’a traité de tous les péchés du monde, je vais
l’aider à épouser le mari de sa prophétie. Je vais la remettre chez ses parents.
Mwath Palata
C’est le déplumer vite, nganga ngombo Yitwadi du village Kadiombu.
Mwath Yitaza
Ohooon ! Je vois des visiteurs devant ma case qui ne sent plus l’odeur des rats. Que
viennent-ils chercher chez moi ? Que dis-je ? C’est mwath Palata qui vient me rendre visite.
Quelle chance pour moi, car mwath Palata est un homme de bien. Je ne le voyais plus ce
dernier temps. Les gens racontent qu’il se serait rendu en ville. Comme le village ne ressent
plus l’odeur du poisson salé, j’ose espérer que la présence de cet homme devant ma case m’en
fera renifler l’odeur. Ohooon ! Bonjour mwath Palata ; comment allez-vous ?
Mwath Palata
Nous nous portons bien, grand père Yitaza. Et vous, comment allez-vous ?
Mwath Yitaza
Ah, petit fils ! Tiens d’abord cette noix de cola (kezu) pour que ton cœur se rafraîchisse
quelque peu. Qu’est-ce qui t’amène chez moi à pareille heure mwath Palata ? Je te vois en
habit de fête et ton épouse porte aussi un nouveau pagne sur lequel on peut lire les effigies du
nouveau franc congolais. Es-tu brusquement devenu Mzee Kabila Laurent qui vient de mettre
en circulation le franc congolais38?
38
Allusion faite aux politiciens qui, en période électorale, achètent leurs voix en distribuant de l’argent aux
électeurs.
Mwath Palata
Laissez-moi d’abord mâcher cette belle noix de cola, grand-père, car mon cœur est encore
chaud. L’on ne se voyait plus ce dernier temps. Les mauvaises langues avaient prétendu que
je m’étais rendu à Feshi pour adhérer à un parti politique alimentaire dont le mensonge est
une règle de vie. Et pourtant, je m’étais momentanément absenté du village pour des raisons
de travail à la ferme Kamalembalemba. Dès mon retour au village, j’ai trouvé tous mes
enfants malades. Ma femme ne comprenait plus rien du tout sur cet événement. Comme les
femmes sont des grands enfants, j’ai moi-même recouru aux produits traditionnels que vous
m’aviez montrés un jour dans la nature. Mais, je dois vous avouer que la situation demeure
toujours préoccupante. La santé des enfants va de mal en pire. Finalement, j’ai cru à un
mauvais sort. C’est alors que j’ai demandé à ma femme d’aller consulter le devin du village.
Seulement, à cause de sa nouvelle foi chrétienne, ta petite-fille ne voulait pas suivre cette
procédure. En effet, sa nouvelle église l’a tellement intoxiquée qu’elle ne veut plus rien
entendre de notre tradition qui, selon ses propos, relèverait de la pure sorcellerie. Les
mauvaises langues lui ont même raconté que mes nganda de vin de palme dans la forêt
servent de lieu de délinquance sénile. Vous me connaissez bien, grand père. Je ne suis pas
polygame comme vous. Et comme la nudité, on ne la cache pas à la rivière, nous avons
finalement consulté le devin Yitwadi à Kadiombu. Le ngombo (divination) est tombé sur
votre nièce Wodisola. (Ohooon) ! —Pause.
Grand père, l’histoire honteuse du vol de votre rat me fait mal au cœur de mon coeur.
Vous le savez mieux que moi, grand père, les femmes ne savent pas tendre les pièges aux rats.
C’est donc par simple inadvertance que mon épouse, votre petite fille ici présente, avait
confondu votre piège au mien non loin du lieu où elle va déposer les racines de manioc dans
l’eau. Grand père Yitaza, le goût amer des racines de manioc ne s’élimine que dans l’eau.
Mon épouse avait confondu mon piège au vôtre. Après qu’elle eût donné à manger à vos
arrières petits-fils, elle n’avait pas eu le courage de venir vous en parler. Pardonnez-nous de
cet acte ignoble car je me rappelle encore vos conseils lors de mon mariage coutumier : si
l’enfant fait caca sur la main, on ne la coupe pas mais on la lave. Je n’ai rien d’autre à vous
dire.
Mwath Yitaza
Les ancêtres ont raison de dire que la chenille qui ronge la noix de haricot se trouve en
son sein. Pauvre de moi, Yitaza : pourquoi suis-je victime de ma propre bonté au village ?
Comment puis-je être trahi par mes propres petites filles ? Comment cela est-il possible ?
Pourquoi m’a-t-on laissé prononcer des paroles mal parlées pendant des journées entières
alors que les plaintes répétées sont de nature à nuire à la santé d’un vieillard ? Pourquoi a-t-on
souhaité ma mort39?
Mwath Palata
Avalez votre salive, grand-père, car je ne vous ai jamais voulu du mal. Rappelez-vous les
meilleurs moments de notre vie au village. Je ne vous ai jamais oublié au retour de la forêt et
le vin de palme vous a toujours été réservé. Vous connaissez bien mon mode de vie depuis ma
tendre enfance. Et quand je suis rentré de la ferme Kamalembalemba, je suis venu vous voir
pour vous présenter mes civilités traditionnelles. Rappelez-vous que, avant hier, j’étais ici
chez vous. Vous m’aviez bien accueilli et je vous avais apporté les chenilles et les anguilles
desséchées au soleil. Je vous ai tout dit sur ma vie.
Mwath Yitaza
Avalez aussi votre salive mwath Palata, car tout le monde au village dit beaucoup de
bien de vous. Oui, vous êtes réellement un homme de bien et tout le monde le sait bien.
Seulement mwath, même si le travail de la ferme est noble, cette activité ne doit pas pousser
l’homme à renier la poule qui secrète de la fiente dans le poulailler. Oui, la récompense d’un
âne, ce sont ses pets. Je n’ai rien contre vous. Je suis seulement offusqué par le comportement
de ma nièce qui est votre épouse. Je reconnais aussi avoir mal parlé. Je me rends maintenant
compte que j’ai mal parlé contre moi-même, parce que le petit-fils est mon autre moi-même.
C’est donc ma parole mal parlée qui vient de provoquer la maladie de vos enfants, de mon
sang. Et pourtant, je ne suis ni sorcier ni féticheur. Ma seule parole devenue mauvaise, c’est
ma plainte répétée ce dernier temps au sujet du vol de mon rat de marécage. C’est donc le vol
de mon rat qui est à la base de la maladie de mes petist-fils. Quel mal ai-je donc fait en me
plaignant contre un inconnu connu de la forêt ? Si ma nièce n’avait pas gardé un silence de
mort, ce petit problème aurait pu être règlé en famille. Car, après tout, mes petits- fils ont le
plein droit de prendre mes rats, à condition bien entendu de me prévenir. Mwath Palata,
maintenant que votre propre femme vient d’avouer sa faute, nous devons laver les linges sales
en public parce que ma parole mal parlée était adressée à tout le village. Maintenant que mes
petits-fils sont frappés par les yisungu (interdits sociaux), je dois absolument me référer au
chef de village Kingongu. C’est lui, seul, qui est habileté à éteindre la braise incandescente
qui couve dans nos cases respectives.
39
La plainte contre ses propres petits enfants peut se retourner contre son auteur.
3.8 Tout foyer a ses palabres : il sied de faire sortir l’épine par où elle est entrée
Mbaku Mbangu
Avalez votre salive, chef de mon pouvoir régnant, car toutes les chansons du petit farceur
Mukashi ne font allusion qu’à l’odeur du poisson salé. Et pourtant, le poisson salé n’est pas
l’unique ‘femme- aux- maris- multiples’ du village. Dans ses chansons, en effet, le jeune
homme aime dire : ‘les choses à manger divisent souvent les clans.’ Je ne reviendrai plus sur
le passé présent de l’histoire du poisson salé du dispensaire de Kabunda. Je dirai simplement
ceci : après la levée des deuils (matanga), nous avons assisté à l’éclatement de nombreux
clans. Comme la braise se trouvant dans la case de mwath Palata est encore chaude, il y a lieu
de l’éteindre rapidement pour qu’elle ne nous fasse pas renifler l’odeur d’un rat d’autrui.
Mbaku Mbangu
Vous avez raison de souligner que la braise incandescente de notre case est étroitement
associée à la présence des femmes-aux–maris-multiples’ dans les cases de nos villages.
40
L’on ne traite pas de tous les dossiers palabriques au même moment. Avant de passer a la palabre du jour, il
importe d’abord d’en examiner les antécédents. Le cas échéant, mwath Yitaza appartient est aussi membre du
clan du défunt Baza dont la mémoire a été reprise dans la chanson du chanteur pleureur Mukash :’les vieux
baSoonde-Lunda de Kisikama aiment remuer les mille-pattes.’
Seulement, il ne faut pas perdre de vue que l'être humain n'aime pas la solitude. A titre
indicatif, je vous dirai qu'il est interdit de prendre pour femme, la femme d'autrui. Et quand
l'acte de tousser nous pousse à aimer ‘les femmes- aux maris multiples’, il y a là, me semble-t
–il, chef de mon village, une problématique assez complexe et ambiguë de la dialogique du
toussotement. Mais comme la case de mwath Palata dégage encore de la fumée, peut-on
s'empêcher de tousser présentement devant cette case qui est en même temps le lieu de vie de
mwatha -mwadi Wodisola ? (Atshiiinnn) ! —Pause.
Aaaah ! Qu’il est piquant le tumbaku de la femme de mwath Palata ! Oui, non seulement
que mwatha mwadi Wodisola aime trop ses enfants, mais il semble ses tatouages ‘semi-
érotiques’ sont à la base de la prophétie de son pasteur dieu. Peut-on en effet, au nom du
combat spirituel sectaire, abhorrer toute tradition africaine ? Peut-on, au nom du combat
spirituel sectaire, se montrer allergique aux médiations africaines du sacré au moment où
l’Eglise Catholique y puise, à juste titre, les éléments de son inculturation théologique ? Quel
crédit peut-on accorder à tous ces pasteurs dieux qui, au nom de leur combat spirituel, incitent
les fidèles à haïr les autres hommes ? Atshiiinnn… Il n’y a vraiment pas de crédit à leur
accorder, chef de mon village, car ces pasteurs dieux intoxiquent souvent leurs adeptes,
surtout les femmes d’autrui, afin d’en faire leurs maîtresses. Comme vous pouvez vous en
apercevoir chef de mon village, la base de toutes ces nouvelles sectes religieuses est d’origine
diabolique. Ohoon !
Mbaku Mbangu
Avalez votre salive, chef de mon village, car la beauté de la noix de palme, c'est en face
de la rivière Kwenge. Etre homme, disent les Soonde-Lunda, c’est ‘être deux’. Or, ‘être deux’
revient justement à être capable de procréer ! N’êtes-vous pas contents d’avoir des petits-fils
qui vous ressemblent ? Comment saura-t-on que le chef coutumier Kingongu avait vécu si vos
petites nièces ne font pas des excursions occasionnelles dans leurs lieux de prières. Votre
nièce porte le nom de Wodisolla. Ce nom signifie : celle qui se choisit elle-même’ pour être
sans doute l’épouse d’un polygame comme moi. Profitons donc de sa présence parmi nous
pour lui rappeler que dans son union avec mwath Palata, elle ne s’était pas choisie elle-même.
C’est grâce au concours de tous, oncles, parents et grands-parents, que son mariage avait été
rendu possible. Des lors, chef de mon village, ne pourrions-nous pas demander à mwath
Yitaza, qui est en même temps le grand père de Wodisola, de retirer publiquement ses paroles
mal parlées à l’endroit de sa propre femme-enfant ? Oui, chef de mon village, mwath Yitaza
est un vrai polygame du village parce que sa propre petite-fille Wodisola lui a déjà donné
plusieurs enfants. Qu’il retire publiquement toutes les mauvaises paroles prononçées par
inadvertance ; car la vie de ses propres petits-fils est en danger. Ces pauvres innocents sont en
effet malades parce que la nièce de mwath Yitaza leur avait fait renifler l’odeur d’un rat ‘pris
maladroitement’ et ‘rôti sournoisement’ dans la case d’un honnête homme, mwath Palata. Si
ce dernier devait porter plainte contre le clan de mwath Yitaza, le grand-père de sa femme, je
crois que la cour devrait lui réserver une suite favorable. Car, après tout, les défenseurs
palabriques allaient nous présenter cet argument : le petit du hérisson hérite ses aiguilles de sa
mère.41
41
Les défauts de Wodisola proviennent de son clan et non de son foyer. C’est pour cette raison que mwath
Yitaza devait vite retirer sa plainte contre sa propre nièce sous peine de se voir traduit en une sorte de ‘citation
directe’ devant les juges. Dans cette palabre, en effet, ce n’est pas la femme qui est le plus vue ; mais c’est bien
plutôt son mari, le responsable du foyer.
revenir sur tous les faits, car l’eau devant éteindre la braise incandescente est déjà la, au
milieu de notre village. Qu’en dites-vous mwath Yitaza ?
Mwath Yitaza
Je ne puis que souscrire à votre décision chef de mon village. Aussi vais-je commencer
par présenter toutes mes excuses à mon beau-fils Palata, car cet homme de bien n’est pas
directement impliqué dans cette affaire dont le ‘lumenu’ (compte rendu) vient d’être fait en
public. Je vous demande de plonger la braise dans l’eau pour que le mal de toutes les paroles
mal parlées se dissolve et que mes petits-fils retrouvent leur santé. Je vais moi-même leur
offrir un gros coq pour la reconstitution de leur santé.
Atata nia mama, le conflit qui déséquilibre nos deux familles réunies est la maladie des
enfants de mwath Palata. Cette maladie a pour cause les paroles mal parlées au milieu du
village par leur propre grand-père Yitaza. Et les paroles de Yitaza ont été motivées par le
silence de sa nièce Wodisola qui avait pris son rat de marécage après avoir confondu le piège
de Palata avec celui de son beau-père Yitaza. Tout le monde vient de se confesser
publiquement devant devant cette marmite qui est le symbole de l'unité clanique. Je prends en
mains cette braise incadescente que je vais plonger dans l’eau. Pause
Que toute cause du conflit se dissolve (Misanga yiyi) dans nos deux famolles réunies.
3.10 Deux enfants, deux problèmes : la ‘femme aux maris multiples’ n’est pas
nécessairement ‘une femme infidèle’
42
Cette formule situe l’homme dans la relation à apaiser. MUKAMBU ya’ Namwisi, Apport du phénomène
misanga Soonde-Lunda dans un culte africain (Un discours folklorique et théologique), Kinshasa, Faculté de
Théologie Protestante au Zaïre, 1989.
Chef coutumier Kingongu
Wolowooo, hommes et femmes de mon village, notre société ne connaît pas seulement les
problèmes alimentaires mais elle est surtout confrontée au problème des prophéties religieuses
qui diabolisent nos liens familiaux. Comme nous sommes en présence de deux enseignants,
mwath Mabi de la mission protestante Tonu et le pasteur Mukambu ya’ Namwisi, de la
mission protestante de Shamwana dans la collectivité de Mukoso, je demande à ce dernier qui
n’a pas encore parlé, et qui est aussi un père des jumeaux, de résumer pour l’attention de tous,
en général, et de ses élèves, en particulier, le sens de notre rituel de réconciliation misanga.
Car je ne voudrais pas que les mauvaises langues aillent nous accuser injustement de faire du
fétichisme alors que tous les ndoki de Feshi viennent récemment de se convertir au
christianisme.
Pasteur Mukambu ya’ Namwisi
« Mboti yienu ledi enu atata e » (recevez d’abord mes civilités, notables du village).
Comme mes élèves viennent de s’en apercevoir, le rituel de réconciliation ‘misanga’ que mon
collègue Mabi vient de faire a commencé par l'aveu de la faute individuelle et collective. Ce
rituel s’est ensuite développé en une sorte de dialogique de réconciliation axée sur l'éfficacité
symbolique de la nature porteuse de signification. Cette praxis dialogique a gravité autour
d'un symbole-clé, à savoir : une grosse marmite pleine au 3/4 d'eau. Cette marmite était placée
au centre d’un cercle formé par les membres des clans en conflit. L’on avait évoqué les motifs
du conflit qui déséquilibre les clans Palata et Yitaza. Et comme personne ne dort avec une
affaire sur le cœur, tous les membres du clan élargi en ont profité pour vider leurs sacs, en
public, devant cette marmite qui est le symbole de l'unité. Après les exposés des membres
concernés, le chef de chaque clan en conflit ccirconstanciel nous a fait la synthèse de toutes
leurs déclararions maléfiques. Et il s’en était suivi une petite prière d'exhortation adressée aux
ancêtres. Après cette prière d'absolution, le célébrant avait pris une braise incandescente qu’il
avait immédiatement plongée dans la marmite en signe d’extinction du conflit. Que dois-je
encore vous dire ?
Chef coutumier Kingongu
La calebasse de vin de palme est encore pleine, mwath Mukamb. Faites encore glisser la
langue entre vos dents blanchis par le pepsodent des missionnaires protestants blancs.
Et pour parler comme un seul homme, je tiens simplement à rappeler aux mes élèves que
dans la dialogique africaine de la palabre, la femme qui aime se réchauffer auprès de la braise
incandescente est certes une femme -aux -maris –multiples ; mais elle n’est pas
nécessairement une femme infidèle43.
43
L’expression ‘femme aux maris multiples’ concerne l’éthique alimentaire et non l’infidélité présumée de la
jeune dame Wodisola qui est, du reste, victime de prophéties fallacieuses (matraquage religieux).
44
Dans le fonctionnement social, le poids de la responsabilité clanique repose surtout sur l’homme (cou du bouc)
en sa qualité de père de famille.
4. LA PALABRE SUR UN BOUC BARBU QUI AVAIT ‘AINSI MIS BAS’
Mwath Mulangi
Qu’êtes-vous en train de dire, grand mère Mambokula ? Je vous assure que je n’ai pas
subtilise le foie de la chèvre du chasseur cokwe de Kahemba. Si je me retrouve ici, chez vous,
c’est pour une raison obvie : cet étranger me doit encore de l’argent, car je lui avais
effectivement vendu le foie de ma chèvre. Pourquoi voulez-vous me ridiculiser en présence de
mon hôte qui est lésé dans ses droits ? Remettez-lui le morceau de viande, grand mère
Mambokula, sinon les gens vont se moquer de vous.
Mwath Atutshina
Avalez votre salive, grand mère Mambokula car le cri de la vallée, il faut se retourner
pour en connaître la provenance. Je viens de suivre les plaintes répétées du chasseur cokwe
contre vous. A ce que je sache, ce chasseur est un receleur. Comment a-t-il pu acheter de la
viande d’une chèvre volée dans ma ferme alors que je me trouvais à Feshi. J’en ai assez. Je
vais le traduire en justice et, dans le cas contraire, je vais le boxer, hic et nunc (ici et
maintenant).
Mwath Atutshina
Personne ne cherche à vous ridiculiser, chasseur cokwe de Kahemba. La chasse au boa se
fait en suivant ses traces. C’est tout à fait légitime que vous réclamiez le foie de votre chèvre
auprès de mwatha- mwadi Mambokula. Moi, aussi, je recherche ma chèvre qui a disparu il y a
quelques jours. En effet, c’est depuis avant-hier, soir, que j’ai perdu mon unique chèvre et ses
trois chevreaux. Et vous, c’est depuis hier soir que réclamez quelque chose auprès de ma
grand mère Mambokula. Vous faites allusion à mwath Mulangi qui, aussitôt sorti de la prison
de Feshi, est curieusement devenu votre ami. La femme mariée ne se promène pas avec les
femmes libres (prostituées). Je vous signale simplement que votre accompagnateur est très
connu pour ses vols répètés des chèvres d’autrui dans la province du Bandundu. Ne me parlez
pas de lui et je ne voudrais même pas le voir ici, sinon le sang va couler…
Mbaku (wo makusu) Mupukila
Maîtrise tes biceps, grand boxeur de Kishikama, car le pauvre Mulangi n’est pas en
mesure de supporter un seul coup de ton bras droit. Mets ton cœur dans l’eau, mwath
Atutshina ; car dans l’eau, il n’y a point de colère. Nous avons tout entendu. Je vais
maintenant demander à notre chef coutumier de convoquer rapidement sa cour palabrique.
Après tout, celui qui trouve un champignon ne manque pas de regarder tout autour (de lui)
aux fins d’en découvrir d’autres. Le cri de la vallée, hommes (menteurs) de Kishikama...
Public
… Il faut se retourner pour en connaître la provenance, sage menteur de la palabre des
menteurs !
Mwath Mulangi
J’ai aussi tout entendu, chef de mon village au Kwango- Kwilu. Mais avant toute chose,
permettez-moi d’abord de remercier les ancêtres qui nous ont tous gardés en bonne santé. Mes
frères les humains, on ne craint pas le tribunal, mais bien ceux qui accusent faussement les
autres. C’est ce qui, justement, m’arrive à la veille de la fête de notre indépendance nationale.
Le premier ministre Lumumba avait été trahi par ceux qui remuaient les milles pattes à
Léopoldville (Kinshasa). Le Dieu de nos ancêtres ne dort jamais. Oui, Dieu (Nzambi
Mpungu Maweji) les connaît tous, même du fond de leurs tombes sans tombe. Ces hommes
jaloux, disais-je, ont assassiné Lumumba et contraint, en conséquence, tout le peuple
congolais à vivre dans une sorte de paix négative avec Mobutu et ses complices de la
Deuxième République. Ces gens ressemblent curieusement aux insectes qui continuent à
ronger la graine d’haricot dans notre pays. Pour vous en rendre compte, suivez les nouvelles
en provenance de Kinshasa et vous comprendrez la vraie face cachée des tous nos
démagogues (politiciens). Ils ne viennent nous rendre visite à Feshi que pour des fins
électorales. Ce sont justement ces gens-là qui m’avaient fait arrêter, injustement du reste,
parce que j’avais refusé d’adhérer à leurs partis politiques alimentaires. Croyez- moi, sages de
notre cour palabrique : Mulangi est une bouteille qui garde toujours du bon vin pour la
société. Je sais que, de temps en temps, il m’arrive de faire du théâtre pour faire rire les gens
et briser ainsi la morosité de la vie du village. Seulement, voudrais-je dire, pour mieux
compter le nombre de plumes d’un oiseau, il faut l’avoir en mains. Autrement dit, avant de
juger quelqu’un, il faut connaître tous les faits lui reprochés. Tout ce que je demande aux
juges du village, c’est d’imiter la pluie qui ne se gêne pas, parce qu’elle mouille même sa
belle-mère46.
Mwath Atutshina
Wolowo mwath Mulangi : ne nous fatiguez pas avec de l’eau alors qu’il y a du vin de
palme (a boire) au village 47. Nous savons tous que le juge doit être impartial. Ce n’est donc
pas parce qu’on est fils du chef que l’on peut se permettre une dérogation à la loi du village.
Mwath Mulangi
Avalez votre salive, mwath Atutshina. Je suis heureux de constater que vous êtes revenu à
la raison de votre raison. Oui, la force de la parole vaut plus que la force des muscles. Tout à
l’heure, vous ne vouliez même pas de ma présence alors que l’œil peut se blesser quand il
regarde. Il est certes vrai que tout le monde peut se tromper au village. Mais, en ce qui
concerne la chèvre prétendument volée la nuit, dans votre ferme, c’est de la pure plaisanterie.
Du reste, cela constitue une matière à théâtre. Et comme la récompense de l’âne, ce sont ses
pets, ai-je mal fait de vous vendre ma viande à moitié prix ? Au lieu de me remercier pour cet
acte de charité, vous n’avez trouvé mieux que de me traiter de voleur d’une chèvre
imaginaire. L’on n’attrape pas le voleur à la vue de ses traces des pieds. Mwath Atutshina,
les sages de la cour ont besoin du repos. Ne les faisons pas danser inutilement sous notre gros
arbre à palabre.
Mwath Atutshina
46
Le tribunal parémiologique est appellé à être impartial
47
Inutile de distraire la cour palabrique puisque l’indice de la culpabilite est déjà établi.
La plaisanterie engendre la querelle, mwath Mulangi. Je suis arrivé chez vous il y a
quelques jours. Je vous avais vu seul, derrière la case. Vous teniez une corde bien tendue sur
le cou d’un gros bouc. Votre regard m’avait paru suspect puisque vous observiez les trois
chevreaux qui recherchaient désespérément leur mère derrière votre case. Où est donc la
‘maman chèvre’ qui aurait mis bas chez vous ?
Mwath Mulangi
Le fil suit l’aiguille. Avant hier, en effet, j’avais égorgé ma chèvre qui venait de se casser
le pied dans un piège à antilope. Je prends à témoin tous les gens du village, y compris vous-
même. La viande de cette chèvre infortunée du piège à antilope, je ne l’ai pas vendue en
cachette. Je l’ai fait en public. Et à moins d’une erreur de ma part, vous m’aviez prié de vous
réserver la croupe de la chèvre alors que le chasseur cokwe tenait jalousement au foie tendre
de la chèvre. Tout est donc clair, mwath Atutshina. Ne dit-on pas que c’est le cou de la
chèvre qui supporte le poids de tous les supplices lui infligés48. Tout est clair.
Mwath Atutshina
Tout n’est pas du tout clair, puisque ta ruse langagière ne date pas d’aujourd’hui, espèce
de vendeur des chèvres volées. En fait, tu utilises les fétiches pour voler les chèvres d’autrui.
Ton secret est à présent connu de tous. Oui, tu savais que mes beaux-parents étaient venus
nous rendre visite. Tu as profité de leur présence chez moi pour me présenter de la viande.
Humainement parlant, je ne pouvais plus leur offrir des feuilles de manioc à table. Contre
mon corps défendant, je fus obligé d’acheter la viande de chèvre tout en ne m’assurant pas de
sa provenance exacte. Dans tous les cas, mwath Mulangi, retiens que le propriétaire d’une
chose en est toujours le chef. Cesse donc de plaisanter, puisque la plaisanterie engendre la
querelle.
Mwath Mulangi
Comment vais-je cesser de plaisanter du moment où je ne prends jamais colère contre
quelqu’un ? Qui est en colère est inapte à cultiver (un champ d’arachides). Mwath Atutshina,
retiens que personne ne place son sel dans la joue de son ami. Si le chasseur cokwe n’a pas
retrouvé son foie de chèvre, ce n’est pas mon problème ; et ce n’est pas de ma faute, non plus.
Si toi, aussi, tu recherches une chèvre volée, retiens que ce n’est pas mon problème. Retiens
simplement que je ne suis pas ton bouvier. De plus, il n’y a pas de mauvais endroit pour
dépecer un animal.
48
Dans le tissu social, le poids de la responsabilité repose souvent sur une poignée d’individus.
4.4 La surface de l’eau ne se ride que si l’on y jette quelque chose
Mwath Mulangi
Cette histoire, chef de mon village, c’est une histoire vécue ; c’est l’histoire d'une (bonne)
foi trompée. En effet, il faisait nuit. Je me rappelle que j’étais ivre et j’avais très faim. Quand
le chasseur Kasupala Mwatangi m’avait invité à table, j’avais finalement réalisé qu’il croyait
avoir à faire au gros foie de la vache. Et pourtant, le foie de la chèvre n’est pas aussi gros que
celui de la vache. Lorsque j’avais lavé les mains, notre visiteur venait déjà d’ingurgiter plus
d’une dizaine de boules de fufu (pâte de manioc). Cela ne peut pas se faire avec de la simple
sauce. Comme il était ivre du vin de palme introuvable à Kahemba, il doit avoir certainement
avalé le foie de sa chèvre sans s’en rendre compte. J’avais lavé les mains avec grand retard et
ma mère Mambokula peut le témoigner. Vraiment, cette histoire du foie de la chèvre du
chasseur cokwe me fait mal au cœur. Cette histoire a vraiment attristé tous les gens du village
Kishikama. Je comprends parfaitement l’attitude réservée duMbaku (wo makusu) Mupukila
Kasapula Kaj. Il sait que je suis glouton et je le reconnais. Seulement, j’adore le fufu avec les
feuilles de manioc. Et le sage Mupukila m’avait déjà vu gronder ma femme parce que cete
drnière m’avait servi le foie d’une antilope sans feuilles de manioc. Je suis prêt à restituer à ce
chasseur cokwe le foie de sa chèvre, mais je n’ai jamais subtilsé le foie de sa chèvre. Je suis
végétarien et tout le monde le sait au village. Pourquoi veut-on compliquer ce qui n’est pas
compliqué. Au lieu d’engager une palabre stérile sur le foie d’une chèvre faméllique du
village, le Mbaku (wo makusu) Mupukila Kasapula Kaj aurait mieux fait de nourrir cet
homme ‘carnassier’ avec le foie d’une vache49.
49
L’accusé Mulangi reproche au chef du village de ne s’être pas occupé d’un hôte comme le recommande
l’éthique sociale. Si Mulangi a donc donné à manger au visiteur, c’est uniquement aux fins de pallier cette
lacune.
Mwath Kishikama Urund Makika
Mwath Mulangi, puisque tu fais allusion au sage Mupukila, qui devrait mieux agir en
nourrisssant notre homme ‘carnassier’ avec le foie d’une vache, je demande alors au sage
Mupukila de faire glisser sa langue entre les dents. Car, après tout, la vérité dialogique
ressemble au cri de la vallée qui n’a pas encore renvoyé son écho.
Mwath Mulangi
Avalez votre salive, sage de la palabre; car le chasseur Cokwe reconnaît lui-même que je
ne lui ai jamais vendu de la viande dure. Je ne lui avais vendu qu’un petit morceau du foie de
ma chèvre. Ou bien, il se trompe parce qu’il était ivre ; ou bien, il se trompe parce qu’il ment
sciemment comme vous, le sage qui aime mentir pour des raisons palabriques. Il n’y a rien de
plus à en dire.
Mbaku (wo makusu) Mupukila
Foi trompée du chasseur cokwe : ce visiteur occasionnel ne pouvait s'imaginer qu'une
vieille dame puisse oublier de lui réserver le foie d’une chèvre. Nous savons tous que le foie
d'un animal est exclusivement réservé aux bébés et aux vieillards dont les gencives édentées.
Ohooon.
Mwath Kishikama Urund Makika
Foie égaré dans une autre casserole : si Mambokula savait que le pauvre chasseur n'avait
plus beaucoup de dents dans la bouche, elle ne lui aurait pas remis de la viande dure. Elle ne
lui aurait pas servi la viande dure qu'on remet habituellement aux jeunes gens qui ont des
dents pointues comme les rats pisseurs.
53
Dans la tradition Soonde-Lunda, l’on invite son hôte à table ne lui disant d’aller regarder les feuilles de
manioc. C’est par un signe de modestie puisque, si souvent, le visiteur sera surpris de voir la table remplie de
mets succulents : perdrix ou viande d’antilope.
tam -tam sur un seul côté. Autrement dit, la sagesse palabrique nous recommande de
condenser tous les nuages avant de faire tomber la pluie54.
Mbaku Peshi
Effectivement, chef de mon village, avant de trancher une palabre, l’on doit écouter les
deux parties en présence. Seulement, je ne sais pas exactement ce que recherche mwath
Atutshina. Ne cherchait-il pas par hasard un autre gros morceau de viande auprès du
commerçant Mulangi ? Si je pose d’abord cette question aux éleveurs des chèvres de notre
village, c’est parce que l’on semble aimer le poisson tout en haïssant la boue de la rivière qui
fait vivre le poisson.
Mwath Atutshina
Wolowo sage spécialiste de la palabre animale, notre dialogique vitale démontre à
suffisance que la honte a tué l’oiseau ‘kambangu’. Dans notre société, personne ne peut
reprocher à la punaise qu’on écrase de sentir mauvais. Quand on a fait du tort à quelqu’un,
on peut s’attendre à une palabre. Je réclame donc ma chèvre dont les petits (chevreaux) ont
été retrouvés à côté d’un bouc derrière la case de mwath Mulangi. Comme vous le savez,
Mbaku Peshi, Mulangi n’est ni fermier ni agriculteur. Mulangi est un homme tout court. C’est
un grand voleur des chèvres et tous les habitants de la province du Bandundu le savent bien.
Quelle prison n’a-t-il pas visitée ?
Mwath Mulangi
Avalez votre salive mwath Atutshina, car chaque rivière a sa propre source d’eau. Faites
attention à la parole parlée puisque la blessure d’une parole ne guérit pas vite. Quand vous
me traitez d’homme tout court, vous semblez évacuer toute ma compétence dialogique au
niveau de l’élevage et de la ‘physiocratie’ traditionnelle. Et pourtant, vous savez bien que je
fais les champs mieux que votre épouse et c’est vous-même qui me l’aviez dit un jour. C’est
la raison pour laquelle votre mauvais jugement sur ma modeste personne me fait trop de peine
au cœur. Remémorons-nous un peu la critique critiquante du sage menteur Peshi à l’endroit de
tous ceux qui aiment critiquer les autres : ‘ les pattes de la mouche se posent sur qui que ce
soit. A la suite de ce qui vient d’être dit, sans critique, sur les critiqueurs critiques, je dirai
54
Avant de trancher une palabre, il sied aussi d’écouter l’autre partie en présence.
simplement que l’on oublie vite l’endroit où l’on s’est soulagé derrière le ravin, mais celui
qui marche sur son propre caca ne l’oublie pas facilement. Eh oui, le caca pique mais il n’a
pas d’épines. Contrairement aux médisances de mwath Atutshina, je ne suis pas un voleur des
chèvres imaginaires dans ce village. Comme dans chaque homme, il y a toujours quelque
chose de bien, il sied vraiment de ne médire de personne. Parce qu’il est très difficile de
réparer quand on a trop parlé du mal de quelqu’un. Mwath Atutshina, avant de dialoguer avec
quelqu’un, il sied de connaître la signification de son nom. Et moi, je vais t’expliquer la
signification de ton nom. Tu es une « personne qui fait fuir les autres » ou une « personne que
tout le monde ne voudrait vraiment pas fréquenter ». Cela dit, je te pose alors la
question suivante : pourquoi les gens n’aiment pas te fréquenter ? Et je m’empresse d’y
répondre : c’est parce que votre clan est un repère des voleurs de chrèvres d’autrui. Je tiens
cette vérité de la cour palabrique qui nous confronte aujourd’hui.
Mwath Mulangi
Je cherche simplement à me défendre, chef de mon village. Car, depuis le début de cette
palabre, vous aurez constaté que mwath Atutshina me veut du mal pour le mal. Que devrais-je
faire, moi, à la sortie de la prison de Feshi où j’avais été écroué injustement parce que j’avais
manqué de l’argent pour corrompre les juges ? Mwath Atutshina, ne sais-tu pas que la justice
moderne rend son jugement, non en fonction de la vérité, mais en raison de la corruption
(madesu ya bana) ? Que devrais-je faire à la suite du vol de tous mes habits en prison ?
Devrais-je me promener en costume d’Adam comme un ver de terre, alors que mon propre
sang (neveu) est à la tête d’une école des missionnaires catholiques qui ne haïssent jamais les
pauvres comme le font tous ces pasteurs dieux dont la télé- évangélisation véhicule le
message d’une religiosité haineuse de tous les prétendus ‘non frères en Christ’ comme toi ?
(Ohooon) ! —Pause.
Mwath Atutshina
Cesse de divaguer, mwath Mulangi. Dis-moi ce que tu as fait de ma chèvre derrière ta
case.
Mwath Mulangi
Pour en venir au dossier de ta chèvre, mwath Atutshina, je regrette sincèrement sa
disparition dans ce pays où les féticheurs se transforment facilement en léopards ou en lions.
Mwath Atutshina, comment peux-tu faire croire aux gens que je t’ai vendu la viande de ta
propre chèvre ? Je te dirai simplement que cela relève de la pure imagination. Je sais que tu as
pris l’habitude de laisser tes chèvres en divagation. Cela est punissable par la loi de tous ces
intellectuels qui nous gouvernent sans connaissance de notre tradition. J’en ai fait l’expérience
lors d’un meeting d’un parti politique à Feshi. Qui nous dit qu’un léopard affamé n’aurait-il
pas dévoré ta chèvre dans la forêt ? De plus, retiens que le fou conseille parfois le sage. Ne
sais-tu pas que je suis l’ami fidèle des chèvres ? Au tribunal de Feshi, je l’ai prouvé devant
tout le monde. L’on m’avait faussement accusé d’avoir volé les chèvres d’autrui. J’ai dit aux
juges et à tous ces intellectuels qui nous gouvernent sans nous gouverner que c’était les
chèvres qui me suivaient d’elles-mêmes, parce que je suis l’ami des animaux. L’on m’avait
demandé d’en faire une démonstration. J’avais pris cette vieille corne de bouc et je l’avais
orientée vers un troupeau des chèvres, non loin du magasin Siefac de Feshi. Aussitôt fait, les
chèvres sont venues à ma rencontre et ce, devant les juges du tribunal de Feshi. Le Mbaku
Peshi était sur le lieu et il peut en témoigner. Voila en somme ce que j’ai suivi comme praxis
de domestication des chèvres à Kibwika, chez mon maître Lusamaki. Si vous en doutez, je
suis prêt à vous le démontrer, ici et maintenant ; car c’est de cette manière-là que je conduis
mes chèvres en pâturage. Je ne les laisse pas en divagation comme toi. Ca ne sert donc à rien
de me ridiculiser devant une assemblée qui ignore le droit écrit, car cela relèverait de la
sagesse idiotie. Nous devons tous nous imprégner de l’esprit de nos textes juridiques, même si
le droit qui nous régit, actuellement, n’est pas droit dans sa droiture.
Mbaku Peshi
Wolowo chef de mon village : je vous avais prévenu que l’on ne bat pas le tam-tam sur
un seul côté. L’expérience de mwath Mulangi prouve à suffisance qu’il est l’ami fidèle des
chèvres en divagation. Dès lors, pourquoi doit-on le qualifier abusivement de voleurs des
chèvres ?
Mbaku Peshi
Avalez votre salive, chef de mon village, puisque Mulangi est un fermier honnête et
intelligent. C’est la raison pour laquelle il évite toujours des palabres récurrentes autour de
choses à manger (ohoon) ! Pour dépecer un animal, dit-on, il n’y a pas de mauvais endroit.
Le cas échéant, on peut trancher une palabre n’importe où et à n’importe quel moment. Je vais
alors poser une toute petite question à notre deuxième fermier. Mwath Mulangi : où est la
mère chèvre dont les trois chevreaux avaient été attirés vers votre ferme en raison de votre
affinité animalo-humaine ?
4.6 Mieux vaut un adversaire rusé qu’un frère (ami) imbécile !
Mwath Mulangi
Mama eee ! Pourquoi me pose-t-on cette question du moment où mon bouc est en train de
bercer ses petits qu’il venait de mettre bas derrière ma case du village ?
Mbaku Peshi
Wolowo mwath Mulangi : a-t-on déjà vu un bouc mettre bas ?
Public
(Rire et étonnement)
Public
C’est du jamais vu ! C’est du jamais vu ! C’est du jamais vu !
Mwath Mulangi
Effectivement, hommes et femmes de mon village, c’est du jamais vu. Moi aussi, je n’en
croyais pas à mes yeux malades. En effet, pendant que je m’apprêtais à retourner à Feshi pour
consulter ma petite-fille, l’infirmière Irma Kamwiziku Misemu (alias Mbata- Kiwayi), j’avais
simplement vu mon bouc entrain de lécher ses petits. Devrais-je poser la question au bouc ou
aux gens du village ? J’avais préféré en parler à mes amis du village et ceux-ci m’ont
rétorqué : « A-t-on déjà vu un homme accoucher » ? Et je leur avais aussi rétorqué : N’a-t-on
jamais vu un coq pondre ? Ohoon !
Mwath Kishikama Urund Makika
Wolowo, gens du village : l’on peut enterrer un cadavre, mais pas une palabre. Car chez
nous, l’arbre pourrit, mais pas la palabre. Mwath Mulangi vient de nous dire que son bouc
aurait (ainsi) mis bas, juste au moment où il s’apprêtait à aller consulter sa petite-fille
infirmière Irma Kamwiziku Misemu (alias Mbata- Kiwayi) à Feshi. La réaction (en chœur) du
public ne se fit pas attendre : «A-t-on déjà vu un bouc mettre bas» ? Et la réplique de mwath
Mulangi ne se fit pas aussi attendre : «N’a-t-on jamais vu un coq pondre à l’age adulte» ? –
Pause
Oui, mwath Mulangi a certes raison de nous rappeler que le coq adulte du village pond
aussi. Et comme mwath Mulangi a encore mal aux yeux, réalisons simplement que la maladie
n’a pas de rendez-vous. Laissons-le aller consulter sa petite-fille infirmière Mbata- Kiwayi à
Feshi. Et quand celle-ci l’aura soigné, il pourra alors bien observer avec ses deux yeux si, un
jour de notre avenir qui est à venir, l’œuf d’un coq adulte auquel il fait allusion, peut faire
éclore un poussin. Pour le moment, réalisons simplement que les pattes du chien ne gardent
pas la boue. Retournons donc à nos cases du village, car la nuit apporte conseils.
Après son procès contre Atutshina, mwath Mulangi apprend que son ami de prison,
mwath Claude Layi du village Manzulu, est hospitalisé à Feshi. Avant d’aller lui rendre
visite, mwath Mulangi abat publiquement son unique son gros bouc (qui aurait ainsi mis bas)
et donne à manger aux malades et aux élèves de Feshi, sans distinction. Cet acte de charité
est applaudi par les gens de Feshi dont certains furent même tentés de devenir disciples de
Mulangi dans son école de domestication des chèvres à Zungu. D’autres élèves encore étaient
séduits par son calme et sa ruse dans la palabre du bouc qui avait mis bas. Craignant ainsi
de voir ses élèves imiter les mauvaises habitudes de ce grand voleur des chèvres, le directeur
Malambu Jovin intimida Mulangi en ces termes : « Le jour où Mulangi osera voler quelque
chose à l’école primaire, je vais le tuer » ! Mwath Mulangi prit acte de cette déclaration
(intimidation) et dit au directeur Malambu : « Mu ma kiedika, ngwashi » (vous le dites
vraiment, oncle ou neveu) ? Le directeur Malambu ne lui répondit même pas. Quelques jours
55
Allusion faite à un voleur rusé ou sophiste.
après, un incendie criminel ravage les classes de l’école primaire de Kabunda. Pendant que
le directeur Malambu et ses agents tentent d’éteindre le feu, un voleur s’introduisit dans sa
maison et emporta tous ses habits. Les agents de poste poursuivent le voleur sur ses traces
mais la rivière Kwenge brouille leur piste au niveau du beache de Kibata de la rivière
Kwenge à Kishikama. Le surlendemain, la police du territoire Feshi se mit à la trousse de
l’auteur de cet incendie criminel.
5.1 La maladie n’a pas de rendez-vous : mwath Mulangi va consulter l’infirmière Irma
Kamwiziku Misemu (alias Mbata- Kiwayi) à l’hôpital de Feshi
Mwath Mulangi
Bonjour ma petite-fille Irma Kamwiziku Misemu. De prime abord, j’aimerais te rassurer
que ton nom de famille est Kamwiziku : la personne qu’on ne connaît pas alors que tu aimes
les autres en toute discrétion. Oui, ton sobriquet de ‘Mbata- Kiwayi’ signifie : la femme qui
soigne les autres par pitié (compassion), sans leur demander de l’argent. C’est moi ton oncle
Mulangi du village de Zungu, juste en face de ton village Kishikama. Je suis simplement venu
te rendre visite.
Mwath Mulangi
Je vais très très bien, petite nièce du village Kishikama, mais il y a beaucoup de choses à
te dire. Chez nous, avant de dialoguer avec quelqu’un, il faut connaître la signification de son
nom. C’est moi, Mulangi : la bouteille qui garde du bon vin pour la société. Comme le
sanglier ne déterre pas du manioc pour ses camarades 56, je me suis décidé à rendre visite aux
malades de l’hôpital de Feshi. C’est la raison pour laquelle je leur ai simplement apporté un
peu viande.
56
Cette parémie se dit de quelqu’un qui n’aime pas partager.
Je vous félicite pour cet acte de charité, oncle Mulangi. Car les malades sont tellement
contents de votre acte de générosité qu’ils ne cessent d’en parler au personnel médical de
l’hôpital de Feshi.
Mwath Mulangi
Je ne puis empêcher tes malades à faire ma publicité. Seulement, je ne voudrais pas que
les mauvaises langues assimilent ma viande de chèvre au poisson salé de Feshi qui divise
inutilement les familles. Mwatha- mwadi Irma, j’aimerais te prévenir d’une chose : les
mauvaises langues de Feshi prétendent que je suis un vautour qui mange de la viande sans
attendre les autres57. Tu ne me connais pas mais je connais tous les membres de ta famille. En
tous cas, je suis très heureux de revoir mon sang puisque, jusque là, je ne te connaissais que
de nom. Ce sont surtout les mamans sortant de la maternité qui me parlaient de toi. Je te
remercie pour tant d’efforts déployés en vue de l'éducation sanitaire de notre population de
Feshi. Grand merci à Nzambi Mpungu, car le fil suit l'aiguille. Je te félicite pour avoir suivi
les traces de ton père Kajika, chasseur et ancien enseignant à Kapemba Kianga. Je regrette
seulement que les missionnaires l'aient contraint de démissionner de son poste pour des
raisons mineures.
Mwath Mulangi
Ah ! C’est une longue histoire. Je me rappelle que tu étais encore bébé. Un jour de la
saison sèche, ton père, mwath Kajika, constata que tous ses élèves étaient absents de l’école.
Ils avaient en effet suivi leurs parents à un feu de brousse. Ne pouvant rester oisif, ton père
décida de se rendre aussi à la chasse collective. Et pendant que mwath Kajika faisait la chasse
aux animaux enivrés par le feu brousse, les missionnaires du diocèse catholique de Kikwit
vinrent inspecter l’école primaire de Kapemba Kianga. A leur grande surprise, toutes les
classes étaient fermées. Ils décidèrent alors de transférer l'école primaire à un endroit. De deux
choses à choisir, prends l'une (le fruit) ! Voilà donc comment ton père avait perdu son poste
d’enseignant et nos enfants, fidèles à leur tradition, étaient exclus du système scolaire
moderne.
57
L’homme égoîste ne songe d’abord à lui-même.
Mwatha-mwadi Irma Kamwiziku Misemu (alias Mbata- Kiwayi)
Ma mère m’avait raconté ceci : à chaque visite des missionnaires à Kapemba Kianga,
mon père exhortait les chrétiens à leur apporter des œufs. Il semble qu’il fallait procurer des
œufs aux missionnaires parce que leurs bouches exhalaient tout le temps l’odeur de l’oignon.
Mwath Mulangi
Effectivement, la bouche du missionnaire ne sentait jamais mauvais comme celle de ton
grand-père Kiabwa. J’aimearis te dire que ton père Kajika Mazedi fut un homme aimable.
Avait-il vraiment mal fait de se rendre en brousse aux fins d'encadrer ses élèves non encore
déracinés de leur éducation traditionnelle ? Sinon, qu'allait-il offrir de spécial à ces visiteurs
occasionnels du diocèse de Kikwit ? Nous voilà devant une fausse palabre qui risque de nous
pousser à ne plus aimer les visiteurs occasionnels.
Mwath Mulangi
Oui, ma petite-fille, je suis venu rendre visite aux malades et je n’ai pas encore rencontré
mon ami Claude Layi du village Manzulu. J’ai appris qu’il avait piqué une crise d’épilepsie.
58
Allusion faite à la primitivité de la relation Je- Tu de l’homme avec l’homme, « enfant d’autrui ».
Mwath Mulangi
Avale ta salive, munganga (infirmière), et je te remercie pour toutes ces informations.
Avant de retrourner à mon village, voici un petit colis de makasu (noix de cola) pour ton
époux. La noix de cola est le symbole de la bonté du cœur aimant de l’homme. C’est la
preuve que nous, tes grands-parents, t’aimons beaucoup. Et si ta grand- mère Mungeya était
encore en vie, elle n'allait vraiment pas me contredire puisque, au village, le vin de palme sans
noix de cola est une joie sans joie ou une fête sans fête. Et pour ne pas abuser de ton temps,
j’aimerais seulement te rappeler que, dans ton enfance, ta grand-mère Mungeya t'aimait
tellement qu'elle te trompait tout le temps. En effet, cette grand-mère mâchait le foie
d'antilope destiné à toi, notre bébé ici devenu infirmière de la ville, et elle ne te faisait
ingurgiter du fufu plein de salive ! J'espère que devenue infirmière à l’hôpital de Feshi, tu ne
vas lui intenter une palabre à titre posthume.
Mwath Mulangi
Oui, votre famille est réellement chrétienne parce que ta sœur, la révérende sœur Marie
Louise Kuzamba, m’avait aussi dit la même chose. D’abord, elle avait beaucoup ri ; ensuite,
elle m’avait remis un chapelet puisque que je compte me faire baptiser comme l’ont fait, du
reste, tous les sorciers de la collectivité de Feshi-Maziamu. Monsieur l’abbé Kusambila va
bientôt sillonner nos villages. Je te quitte et te souhaite bon service. Car, la maladie n’a pas de
rendez-vous. Je reviendrai te voir un autre jour.
Mwath Mulangi
Sois sans crainte, petite nièce du village, je remettrai le vélo à votre oncle Maurice
Makwiza, infirmier au dispensaire de Kikombo. Ne t’inquiète pas aussi outre mesure de ma
sécurité, puisque je ne crains jamais la nuit. En fait, les ténèbres n’effraient pas par elles-
mêmes. Ce qui effraie, ce sont les dangers qui s’y cachent.
Sage Mupa
Avalez votre salive, chef de mon village, car les choses entreprises tard la nuit sont
souvent périlleuses pour tout homme. Je viens de rencontrer mwath Mulangi qui revient de
Feshi à vélo. Il m’a dit que tout le monde se porte bien à Feshi. Avant de poursuivre sa route
vers Zungu, Mulang a d’abord vendu trois wax hollandais aux gens du village avant de laisser
son vélo chez l’infirmier Maurice Makwiza qui, selon ses propos, devra le retourner à Feshi
chez mwatha-mwadi Irma Misemu. Mwath Mulangi avait aussi entendu le kilolu du chef
Kabunda de l’autre côté de la rivière Kwenge. Seulement, ohoon ! Mulangi aurait aussi vu un
suspect qui a pris la direction de la frontière angolaise. Comme seule la nuit apporte à
l’homme traqué un peu de sécurité, ce dernier doit avoir profité de l’obscurité pour se
dissimuler dans la nature. Ne serait-ce pas par hasard mwath Claude Layi qui a l’habitude de
se promèner la nuit avec des vaches chaussées aux fins de tromper la vigilance des bouviers ?
Mwath Mulangi
De quoi voudrait-on encore m’accuser, chef du village Kikombo ? Hier, c’était l’histoire
calomnieuse de ma chèvre que j’avais pourtant vendue en pleine journée, dans le village des
végétariens, à Kishikama. Aujourd’hui, c’est l’histoire d’une valise d’habits du village
Kabunda. Je crois qu’il ne m’appartient pas de répondre à votre question. Je n’ai aucun litige
avec le directeur d’école Malambu Jovin qui, du reste, est mon propre neveu. Comme ce
dernier est avec nous, accordez-lui d’abord la parole et nous saurons alors, aisément, l’objet
de la visite improvisée des policiers de Feshi dans ce village où l’on me jalouse inutilement à
cause de mes beaux habits. Oui, chef, les hommes de ce village pensent qu’un ancien
prisonnier n’a pas le droit de porter de beaux habits. Je demande à mon neveu Malambu de les
confondre. Ohooon !
Directeur Malambu
Chef du village Kikombo, je me vois obligé de parler parce que l’amour est comme la
toux. Comme mwath Mulangi vient de me citer nommément dans cette palabre, je vous avoue
que, bien avant sa palabre sur un bouc qui aurait mis bas, je l’avais effectivement reçu chez
moi. Il revenait en effet de Feshi où il a passé trois mois en prison. Mwath Mulangi m’avait
demandé quelques habits parce que ses anciens collègues prisonniers de Feshi l’avaient
effectivement dépouillé de tout. Je lui avais dit d’attendre la fin du mois. Vous connaissez
vous-même la situation des agents de la fonction qui sont clochardisés par les politiciens de
Kinshasa. Oui, les sangliers de la forêt et ceux de la brousse, ont les mêmes habitudes 59.
J‘avais demandé à Mulangi d’attendre la prochaine paie des salaires de misère et il m’avait
bien compris. C’est la raison pour laquelle mwath Mulangi était rentré chez lui à Zungu en
empruntant le chemin de Kasoma. Le soir, je devais préparer mes leçons. Tard dans la nuit, je
vis un grand feu au niveau de la ferme de Sampedro. Les agents de poste tentèrent de
maîtriser l’incendie, mais en vain. Le feu en provenance de la ferme de Sampedro avait
incinéré toutes les classes de mon école. Fatigué et découragé, je regagnai ma maison, tard
dans la nuit. Et quelle ne fut pas ma surprise ? Un intrus venait de voler tous mes habits. On a
essayé de suivre les traces de ses pieds. Tout le monde s’est dit : « Ca, c’est Mulangi » ! Nous
nous sommes mis à sa poursuite jusqu’au niveau de Kishikama. Là, nous avons rencontré le
directeur Kamanguna et l’enseignante Kinekonda. Cette dernière recherchait aussi ses habits
volés la même nuit par un inconnu. Le directeur Kamanguna prit son fusil et, la même nuit,
nous décidâmes de poursuivre le voleur au niveau de la plage de Kikombo. Et comme la
pirogue se trouvait sur l’autre rive (gauche) de la rivière Kwenge, nous décidâmes de
retourner au village Kishikama. (Ohooon) ! — Pause.
Ce matin, les policiers de Feshi sont venus mener leurs enquêtes. C’est pour cette raison
que nous nous retrouvons ici à Zungu, le village de Mulangi. Cette fois, nous avons utilisé la
pirogue du beach de Bumbangu. Dès que mwath Mulangi nous avait aperçus de loin, il s’est
précipité dans sa case et y est ressorti bien habillé. Il portait en effet un beau costume bleu.
Sourire aux lèvres, mwath Mulangi vint à notre rencontre. Le directeur Kamanguna chargea
son fusil et lui posa la question suivante : « Où sont les habits du directeur d’école Malambu
et de l’enseignante Kinekonda » ? Mwath Mulangi se mit d’abord à rire et répondit : « Mwath
directeur Kamanguna, même si vous êtes venus pour me tuer, mettez-vous d’abord assis, car
59
Les politiciens ont les mêmes habitudes : promesses fallacieuses, quand ils sont dans le rang de l’opposition
politique ; et discours mensonger ou soporifique, quand ils exercent effectivement le pouvoir. C’est en cela que
consiste la situation tragique d’une administration qui est complètement incapable de garantir la justice sociale et
de mettre le peuple au travail.
vous êtes chez vous ». Tout le monde s’assaya sur les chaises de fortune et mwath Mulangi
nous servit une grosse calebasse de vin de palme. Je me demande s’il ne l’avait pas volée
quelque part, parce que mwath Mulangi n’est pas un tireur de vin de palme. Peu importe.
Mwath Mulangi nous posera alors la question suivante : « Frères et sœurs ‘je le connais’
(intellectuels), comment allez-vous » ? Tout le monde se mit à rire, car Mulangi avait mal
serré les boutons de son costume. Le directeur Kamanguna rétorqua : «Avant de nous poser la
question sur notre santé, dis-nous là où tu as achèté ce beau costume». Mwath Mulangi
répondit simplement : « L’habit que je porte, c’est le directeur Malambu qui me l’avait donné
après ma sortie de la prison de Feshi. En effet, enchaîna-t-il, le directeur Malambu ne voulait
pas me voir mal habillé en compagnie d’un visiteur de marque : le chasseur cokwe de
Kahemba». A ces mots, tout le monde se mit à rire parce que mwath Mulangi parlait comme
un saint homme. Il entra dans sa case et fit sortir ma grosse valise. Tout y était, et je me
demandais d’où pouvait provenir le beau costume qu’il porte présentement.
Chef coutumier Kikombo
Deux enfants, deux problèmes : le directeur Malambu avoue avoir récupéré tous ses
habits. Une question demeure cependant : a-t-il aussi recupéré les pagnes de l’enseignante
Tabi Kinekonda ?
Directeur Malambu
C’est une autre histoire, chef de mon pouvoir traditionnel. Je crois que mwath Mulangi
est mieux placé pour vous en parler lui-même.
Mwath Mulangi
Wolowo chef du village Kikombo, le directeur Malambu Jovin a tout dit : l’on ne bat pas
le tam tam d’un seul côté. La valise du directeur Malambu -- que je viens de lui restituer--, n’a
rien à voir avec les habits de l’enseignante Tabi Kinekonda. Je note d’abord que le discours
du ‘je le connais’ (directeur) Malambu prouve à suffisance que je suis un homme sincère. En
effet, j’étais nu et je suis parti lui demander de m’habiller. C’est tout. Dois-je tenir des propos
mensongers à la cour palabrique du village ? Je refuse d’imiter la ruse palabrique du Mbaku
(wo makusu) Mupukila Kasapula Kaj. Que tout le monde retienne ceci : depuis mon
incarcération à Feshi, Mulangi d’hier n’est plus Mulangi d’aujourd’hui. En effet, je suis une
personne que monsieur l’Abbé Kusambila initie dans la foi chrétienne, pour me disposer à
mieux recevoir le baptême. Peut-on ignorer que monsieur l’Abbé Kusambila baptise tout le
monde, y compris les sorciers du territoire de Feshi ? Pourquoi veut-on banaliser une situation
qui n’est pas banale ? Convertissez-vous, hommes et femmes du village Zungu- Kangombi !
Faites-vous aussi baptiser, sorciers (ndoki) du village Kingungu ! Car sur la croix, le Seigneur
Jésus- Christ a des bras ouverts sur le monde entier, y compris les ndoki (sorciers) et les
nganga- nkisi (féticheurs) des peuples Soonde-Lunda au Kwango-Kwilu.
Mwath Mulangi
Sage Mupukila, je suis fatigué de palabrer tout le temps dans ce village. Comme la
gazelle ne dort jamais sous un arbre dont les feuilles s’agitent, je vais parler d’une manière
claire et sans détours. Je reconnais m’être servi de force chez mon neveu Malambu. J’ai
procédé de cette manière-là, parce que son épouse, qui est de surcroît la petite- fille du chef
Kangombi, n’aime pas voir les gens du clan de son mari chez elle. Oui, la femme de mon
neveu n’aime que les gens de son clan. Si cette cour palabrique estime que mon neveu est un
homme à exploiter, qu’on me le dise publiquement. Que les féticheurs du village Kangombi
retiennent que leurs fétiches de domination ont des limites. Sans effets, au nom de Jésus-
Christ61 !
Mwath Mulangi
Papa catéchète, Kamanguna, je retire immédiatement mes paroles mal parlées, parce que
l’ingratitude est un péché ou une idiotie. En effet, je reviens de Feshi où ta sœur, mwatha
mwadi Irma Kamwiziku Misemu, m’avait bien acceuilli à l’hôpital. Je ne puis tolérer
l’ingratitude parce que les gens aiment souvent rendre le mal pour le bien. Je le faisais aussi
dans le passé. Mais, depuis que je me prépare au baptème pour adultes, je ne peux plus le
faire. Si j’ai ainsi parlé, c’est parce que je voulais simplement me défendre dans cette histoire
du vol d’habits du directeur Malambu. J’avais peur de revivre la vie de la prison.
Mwath Mulangi
Directeur Kamanguna, je vais vous dire la pure vérité : je n’ai jamais incendié les classes
de l’école primaire de Kabunda. Je reconnais seulement avoir incendié les toilettes du
directeur Malambu parce qu’il m’avait intimidé à l’issue de ma fausse palabre sur le vol de la
chèvre de mwath Atutshina. En effet, mwath Malambu avait dit ceci : « Le jour où Mulangi
osera voler mes habits, je vais le tuer ». En brulant ses toilettes, que je vais du reste
reconstruire, j’ai simplement voulu lui prouver le contraire. Qu’il m’en excuse parce que
l’histoire est simple à comprendre : je m’étais rendu à Kabunda parce qu’il m’avait promis un
habit de fête. Quand j’étais arrivé là, mon neveu ne voulait pas me remettre un vieil habit
parce qu’il attendait le salaire occasionnel de l’Etat Congolais. Et comme ce qui est au père
est au fils, je m’étais finalement résolu à me servir, moi-même ; et c’est cet habit que je porte
en ce jour. C’est donc son habit qui, aux yeux des gens village, paraît neuf alors qu’il vieux.
Oui, c’est un vieux costume. Vous pouvez même poser la question à mon neveu Malambu.
Quant à la valise d’habits, je viens de la restituer. Elle est là devant vous. Je l’avais amenée ici
parce que je ne voulais vraiment pas l’ouvrir en pleine brousse. Je craignais de me faire
surprendre par les policiers de Feshi. Voilà tout. Pour l’heure, je suis simplement victime de
la jalousie de la part des gens de ce village qui aiment remuer les mille-pattes.
Directeur Kamanguna Mazedi
Oui, le jeune musicien-chanteur, Mukashi, venait de faire allusion à ces insectes (mille-
pattes) qui sont connus pour leur jalousie ou trahison sociale. Personne n’est jaloux de
inscription à la catéchèse de la paroisse de Kindundu. Avez-vous quelque chose à ajouter,
directeur Malambu ?
Directeur Malambu
Laissons tomber cette histoire puisque Mulangi semble finalement faire du théâtre.
Comme il est disposé à venir reconstruire mes toilettes, je voudrais simplement lui dire que le
costume qu’il porte n’est pas le mien. Ce costume ressemble au vôtre, directeur Kamanguna.
Mwath Mulangi
De grâce petite-nièce, ne pleurez pas sinon les gens croiront que je suis en deuil. Comme
vous le savez, je n’aime pas entendre des pleurs des femmes. Cela me rappelle le décès de
mon regretté père Kimema Mulangi. Quand mon père était mort, j’avais tellement pleuré que
les pleureurs moqueurs du village s’étaient moqués de moi en ces termes : « Mulangi pleure
comme une femme ». Depuis lors, je ne voudrais plus être traité de femme parce que je suis
un homme viril. Je ne pleurs plus lors de matanga (deuils). Je garde tout au cœur. Mais, à un
moment donné, je craque comme une femme. Parce que le souvenir des défunts me fait mal
au cœur de mon cœur. Parlons d’autres choses, directeur Kamanguna. Puisque, à force de
parler de défunts, je risque de craquer comme une femme.
Mwath Mulangi
Retiens tes larmes, ma petite-fille Kinekonda. Car je n’aime pas voir un innocent souffrir.
Ecoute-moi bien : c’est mwath Claude Layi du village de Manzulu qui avait volé tes pagnes et
la veste de ton époux, le directeur Kamanguna.
Mwath Mulangi
Excusez-moi, directeur. Kinekonda est simplement l’épouse de votre collègue Kifwani
l’école primaire de Kishikama. Comme je ne me suis pas encore remis de la fatigue de mon
voyage, je me sens très fatigué. Je voulais simplement dire que, en dehors de pagnes, mwath
Claude avait aussi volé un costume pour homme. Je vous rassure que c’est lui qui avait volé
vos habits et les deux bœufs ‘chaussés’ de Sampedro.
Mwath Mulangi
Non, directeur Kamanguna, mwath Claude Layi n’est pas un chasseur d’antilopes. C’est
un voleur de bœufs dans les fermes d’autrui. Mis aux arrêts pour avoir volé dix vaches
d’autrui, il avait trompé la vigilance de la police en faisant le ‘faux malade’. On l’avait
immédiatement conduit à l’hôpital de Feshi. Et quand je distribuais de la viande aux malades,
en compagnie de votre sœur Irma Misemu, le farceur de Claude n’était pas là. Il avait profité
de ce moment pour se volatiliser dans la nature. Et, après avoir fui son lit d’hôpital, il s’était
rendu nuitamment à la ferme de Sampedro à Kabunda. Là, les bouviers l’avaient surpris avec
deux bœufs chaussés. Et, comme seule la nuit apporte à l’homme traqué un peu de sécurité,
mwath Claude s’était alors enfui vers la brousse de Mungulu, aux alentours du village
Kasoma et de l’école primaire de Kishikama. A ce niveau, les enseignants et leurs élèves
dormaient comme des poules. C’est ainsi qu’il n’avait aucune peine à rassembler les habits
qui étaient étalés au séchoir de l’école. Pour parler comme un seul homme, je vous rassure
que Claude Layi n’est pas un chasseur d’antilopes. C’est un grand voleur de bœufs qu’il
chausse aux fins de brouiller les traces. Je prends à témoin les policiers ici présents. Ce sont
des amis de longue date. Je les remercie du reste parce qu’ils m’ont beaucoup assisté à la
prison de Feshi. Ohoon !
Mwath Mulangi
Je ne puis jamais rendre le mal pour le bien, directeur Kamanguna. Comme la chasse au
boa se fait en suivant ses traces, je vais vous raconter toute l’histoire.
Mwath Mulangi
62
Le directeur Kamanguna insinue le fait que Mulangi est un voleur qui a l’habitude d’escroquer d’autres
voleurs des chèvres. En effet, quand Mulangi croise un autre voleur des chèvres, il le menace en ces termes : « Je
vais t’accuser chez mes amis policiers de Feshi ou de Bandundu ». A ces mots, ledit voleur prend peur et lui
remet une partie de son butin qui vient ainsi grossir le cheptel de Mulangi. Ce dernier présente ce butin aux
gens du village en leur disant qu’il venait de l’acheter auprès d’un commercant qui se rendait à Kahungula, à la
frontière angolaise.
Mwath directeur Kamanguna, j’avais quitté Feshi peu avant la tombée de la nuit. Ta
sœur Irma Misemu m’avait même dit de presser les pas. Pour atteindre mon village Zungu qui
est à une trentaine de kilomètres de Feshi, j’ai du emprunter le chemin de Kikombo via
Kipumbu, le village de monsieur l’Abbé Kusambila, sur la rive gauche de rivière Kwenge. Si
je devais encore rendre visite à mon neveu Malambu à Kabunda, sur la rive droite de la même
rivière, il me fallait passer par le bac de Feshi. Or, la nuit, les passeurs du bac ne font traverser
personne. Me suis-je trompé, mwath kamanguna ?
Directeur Kamanguna Mazedi
Vous dites vrai, mwath Mulangi. Car le chemin de Kabunda est un grand détour pour
celui qui se rend à Zungu. Techniquement, ce n’est pas faisable à cette heure-là de la nuit ;
puisque le village Kabunda est à plus de quarante kilomètres de Feshi,
Mwath Mulangi
Avalez votre salive, directeur Kamanguna. Après deux heures de marche, je suis arrivé à
Kikombo, juste en face du village Kishikama, sur la rive gauche de la rivière Kwenge. Tard,
dans la nuit, j’avais surpris Clause Layi avec une valise pleine de wax hollandais. Il m’avait
dit qu’il avait tenté de voler les vaches de Sampedro à Kabunda, mais les bouviers ont été
vigilants. Se sentant traqué, Claude Layi avait alors mis du feu à la brousse de Wanda aux fins
de détourner l’attention des bouviers. Mais comme le vent était violent, le feu a fini par
incinérer les classes de l’école primaire. J’avais tellement tonné sur Claude Layi qu’il a fini
par avoir peur de moi. Car, effectivement, je voulais le ramener à l’hôpital de Feshi où il était
interné par ma nièce Irma Misemu. A un moment donné, mwath Claude Layi s’est mis à
pleurer. J’ai alors eu pitié de lui et je l’ai laissé en paix. En guise de remerciement, il m’avait
d’abord remis le costume qu’il avait sur lui. Je réalise à présent que c’est l’habit du directeur
Kamanguna et non celui de mon neveu Malambu. Il m’avait ensuite remis cette grosse valise.
Je réalise à présent que c’est la valise de l’enseignante Tabi Kinekonda. Je l’avais
immédiatemment ouverte parce que je croyais que c’était la valise d’une femme commerçante
de Feshi. Mais comme je n’avais vraiment rien à manger ce jour là, j’avais alors décidé de
vendre trois wax sur place : un pagne à mwath Bernard Kibanda de Kikombo dont la femme
devait sortir de la maternité, le surlendemain ; un pagne à mwath Valère Malembi du même
village parce que sa nièce devait se marier ; et un pagne à mwath Kisisa du village
Kimbungila parce que sa femme a eu des jumeaux.
Mwath Mulangi
Je demanderai à mes amis, les policiers de Feshi, d’aller récupérer tous ces pagnes auprès
de receleurs.
Directeur Kamanguna Mazedi
Tes trois clients occasionnels peuvent nier les faits, mwath Mulangi.
Mwath Mulangi
C’est un petit problème, directeur Kamanguna. Si les trois réceleurs précités refusent de
vous restituer les biens mal acquits, je vous demanderai alors de les traduire immédiatement
en justice à Feshi. Je suis prêt à comparaître comme votre témoin privilégié. Ohoon !
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