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ISABELLE KROSS Hors-thème

De l’oral à l’écrit : l’approche


phonographique
PAR ISABELLE KROSS, UNIVERSITÉ DE HILDESHEIM, ALLEMAGNE

Remarques préliminaires
C’est dans l’esprit du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL)
que les nouvelles méthodes et manuels de langue initient aux quatre principales
activités langagières (compréhension orale, compréhension écrite, production
orale, production écrite) dès les premières leçons. Ces méthodes exigent beaucoup
de l’apprenant. Elles offrent un apprentissage très diversifié, introduisant simulta-
nément une masse d’informations, du domaine de la phonétique, du lexique, de la
syntaxe et de la grammaire, qui diffèrent selon le canal réceptif (auditif et visuel).
Si le but officiel des cours de FLE de nos jours est d’amener les apprenants à un
niveau commun européen, le Cadre européen, non prescriptif, ne recommande
en aucun cas le développement simultané des compétences pour l’ensemble des
activités langagières. Par ailleurs, si selon le CECRL, au niveau A2, l’apprenant :
« Peut écrire avec une relative exactitude phonétique (mais pas orthographique)
des mots courts qui appartiennent à son vocabulaire oral » (Descripteurs de la
production écrite, p. 96), quel rôle joue alors l’orthographe dans l’apprentissage ?
Si l’exactitude orthographique n’est plus un des buts primaires de l’apprentissage
initial, l’apprenant court le risque de visualiser et de mémoriser une fausse ortho-
graphe qui, par la suite, sera difficile à rayer de la mémoire (Kross, 2011).

La méthode phonographique présentée dans cet article prend en compte aussi


bien le déficit au niveau de l’orthographe que la surcharge au niveau des infor-
mations. Le public concerné par l’expérience est un groupe d’étudiants débutant
dans l’apprentissage du FLE.

Approche théorique
L’image visuelle ne correspondant pas à l’image acoustique, les débutants en FLE
sont souvent dans une situation d’erreur aussi bien au niveau de la prononciation
qu’au niveau de l’écriture. Sans connaissances préalables de la langue française,
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les débutants s’aident de leur langue maternelle pour décoder l’image acoustique
ou l’image visuelle qu’ils mémorisent. Comment donc pallier ce phénomène
de « surdité phonologique », tel que le dénomme Michel Billières (2005, p. 2),

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et contrecarrer le modèle de la langue maternelle ? De plus, « il est difficile de


redresser de mauvaises habitudes de prononciation qui peuvent même entraver
les connaissances en grammaire et en vocabulaire » comme le déclare Isabelle
Mordellet-Roggenbuck, (2005, p. 17). Donc, quels peuvent être les supports pour
perfectionner la prononciation dès le début de l’apprentissage et aider les appre-
nants à mieux faire la transition entre la langue orale et la langue écrite ?

La nouvelle méthode présentée dans cet article propose des outils pour résoudre
ces problèmes. Elle se base dans un premier temps, sur une approche phonétique
et acoustique en renonçant à l’image visuelle (documents écrits de toutes sortes, à
l’exception des notations au tableau) et dans un second temps, sur une approche
phonographique qui se servira de la phonologie pour faire un pont entre la langue
orale et la langue écrite.

Langue orale Langue écrite


Prosodie Phonologie Orthographe
Phonétique

Figure 1 : La phonologie : transition entre phonétique et orthographe

L’apprenant ne peut générer les modèles langagiers uniquement grâce à l’écoute


et à la répétition, si la durée d’apprentissage est limitée ; il a besoin de plus de
supports et d’informations pour pouvoir bien ancrer et mémoriser ses nouvelles
connaissances. Pour les étudiants qui apprennent la langue française à l’univer-
sité, c’est en général leur troisième langue, ce qui signifie qu’ils possèdent déjà
un certain acquis linguistique – potentiel dont ils ne sont souvent pas conscients
(Kross, 2011). Avec cette méthode, ils vont apprendre à reconnaître cet acquis
(moment psychologiquement positif ) et à l’appliquer. Ainsi, ce sera par le biais
d’observations analytiques qu’ils vont déceler les caractéristiques du système pho-
nologique de la langue française, pour être capable d’établir les règles par induction
et pouvoir ensuite les appliquer à d’autres cas. En tant qu’enseignant, il ne s’agira
donc pas de donner les règles, ou seulement des exemples, en espérant que tous les
apprenants feront les mêmes déductions exactes, sinon d’encourager les apprenants
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à verbaliser leurs réflexions et, après un travail synergétique de groupe, à définir


les règles. Certes, cette méthode ne s’appliquera pas à toutes formes de public
mais, dans ce cas, le public cible se comporte d’étudiants demandeurs et aptes à

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catalyser leurs expériences cognitives pour trouver, par un travail synergétique de
groupe, la solution.

CONTENU
Exemples Règles Cas

cognition heuristique induction déduction métacognition


APPRENANT

Figure 2 : Schéma des différentes étapes neurologiques de l’apprenant


dans la méthode phonographique

La méthode cible au début deux activités langagières : l’écoute et la prononciation.


Travailler toutes les activités langagières en même temps donne à l’apprenant le
sentiment de ne rien maîtriser de ce qu’il apprend, ce qui peut être ressenti comme
démotivant et déstabilisant. Par contre, se concentrer seulement sur deux activités
met l’apprenant en sécurité. Les autres activités langagières sont traitées ensuite
l’une après l’autre. Par la suite, la maîtrise de la prosodie, de la phonétique et de
la phonologie donne à l’apprenant beaucoup plus d’aisance pour parler, lire et
écrire. Cette linéarité dans l’apprentissage ne signifie pas vouloir donner priorité
à la communication orale, il s’agit plutôt de mettre des instruments en place pour
que le nouvel acquis linguistique – entendu, prononcé, analysé, compris, mémo-
risé – facilite le passage à la langue écrite. Pour cela, la méthode renonce à toutes
sortes de documents visuels et auditifs (sauf pour l’introduction à la prosodie)
dans l’intention de minimiser les interférences1. Le but de l’approche minimaliste
est de ne pas surcharger continuellement la mémoire de travail de l’apprenant.

Dans l’apprentissage d’une langue étrangère, il est rare que sémantique et prosodie
fassent bon ménage. Il en est de même pour tous les autres domaines linguistiques,
la recherche de la signification étant, semblerait-il, prioritaire dans l’apprentis-
sage d’une langue. Donc, pour pouvoir mieux cerner les éléments prosodiques,
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il semble nécessaire d’exclure la sémantique. De ce fait, l’analyse prosodique et


1/. Selon les nouvelles recherches neurologiques, les informations reçues peuvent être faussées lorsque plusieurs sens sont
activés simultanément. Pour plus d’informations sur la dominance de la vue et sur les interférences entre la vue et l’ouïe,
voir Schönhammer, 2009, p. 226 ss.

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gestuelle sera mise en œuvre au tout début du cours. Vu que la recherche du


sens de ce qui va être entendu est susceptible de ne pas donner de résultat, la
devise sera : quand on ne comprend rien de ce que l’on entend, on commence par
écouter. Une fois la méthode acceptée, la recherche de la signification deviendra
secondaire. Sur la base de cette nouvelle conscience prosodique, l’apprenant aura
acquis une compétence qui lui simplifiera l’accès à l’expression orale, augmentera
sa motivation, et déclenchera par la suite un effet boule de neige.

Aussi, la méthode phonographique peut être résumée ainsi. Elle est :


– Minimaliste,
– Linéaire,
– Comparative,
– Analytique.

Application de la méthode en cours


L’expérience pratique a montré que la méthode s’adapte mieux à un cours intensif
qu’à un cours semestriel de deux heures par semaine. Si, au début, les objectifs
sont bien définis et la méthode bien expliquée, il s’avère que les 6 heures de cours
par jour n’altèrent en rien la concentration et que le cours, grâce au rôle actionnel
des participants, est très vivant. En général, ces derniers acceptent de bon gré de
prendre le chemin d’une « aventure d’apprentissage » en ne se fiant qu’à leur ouïe,
car ils se laissent facilement convaincre de faire de nouveau confiance à ce sens,
souvent refoulé de nos jours par le visuel. Le cours a un aspect interactif, l’en-
seignant prenant au début le rôle de facilitateur, ce qui signifie accompagner les
apprenants dans leur apprentissage en intégrant des exemples, si nécessaire, et en
les aidants au niveau de la synthèse. Une dernière remarque avant la présentation
du cours : une métalangue est indispensable pour cette méthode, étant donné que
l’analyse ne peut pas se faire en français. Quant aux explications phonétiques, deux
sortes de transcription pourront être utilisées :
– l’alphabet phonétique2
– l’équivalence avec les phonèmes et les graphèmes de la langue source.

Présentation du cours
Une introduction au début du cours est nécessaire pour en expliquer l’approche
et la progression. En raison de la structure non isomorphe de la langue française,
on demande aux participants qu’ils se concentrent, dans une première phase d’ap-
prentissage, sur la langue orale afin qu’ils puissent mémoriser l’image acoustique et
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l’image phonétique avant de travailler l’image graphique. Il semble très important


de sensibiliser les participants pour qu’ils comprennent que seule une bonne pro-

2/. La plupart des étudiants connaissent l’alphabet phonétique. Pour les autres, c’est un apport supplémentaire qu’ils
adoptent de bon gré.

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nonciation des phonèmes amène automatiquement à une bonne compréhension


et donc à une bonne communication. Sans avoir besoin d’expliquer la différence
entre le son et le phonème, on peut très bien s’aider d’exemples dans les deux
langues3.

Ainsi, ce seront les différences entre les langues et non les similitudes qui seront
au centre de l’observation. Croire que la similitude offre une base sécurisante à
l’apprenant est trompeur. Ce n’est rassurant que jusqu’au moment où il constate
de plus en plus de différences. Si, au contraire, on considère de prime abord la
différence comme générique, elle peut servir, elle aussi, comme base de référence.
De plus et surtout, cette approche facilite le fait que l’apprenant n’ait plus auto-
matiquement recours aux grilles de sa langue maternelle qui, si tout est différent,
n’offrent plus d’aide systématique. Cet automatisme reste, par contre, si les simi-
litudes sont mises en exergue. L’école enseigne aux apprenants que chaque langue
possède son propre lexique et sa propre syntaxe. Ainsi, il s’agira de leur présenter
les différences dans les systèmes (langue orale versus langue écrite), la prosodie
(prononciation syllabique versus prononciation morphologique), la phonétique
et la phonologie.

Phonétique/Phonologie
Pour introduire la phonétique, il est nécessaire dans un premier temps d’avoir une
liste de sons à disposition. Pour cela, il est judicieux de faire appel aux connais-
sances des apprenants ; tout un chacun connaît quelques mots en français. Ainsi,
il se crée rapidement une liste de mots au tableau qu’ils connaissent déjà et qu’ils
peuvent plus ou moins bien prononcer, comme par exemple :

bonjour salut baguette beau


bonbon merci rendez-vous vite
l’amour Paris pardon oui
non ça va un deux
trois élégant café au lait restaurant
voyage Jacqueline Brigitte Bardot Tour de France

Figure 3 : liste de vocabulaire déjà connu des apprenants

Ce répertoire de sons, phonèmes et graphèmes servira par la suite de base pour


l’analyse phonétique et phonologique qui pourra se faire par ordre alphabétique et/
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3/.Les pertinences grammaticale et sémantique doivent être mises en relief, comme par exemple les phonèmes [l ] et [le],
e
alors que l’allongement des voyelles, comme par exemple en allemand, n’a aucune pertinence en français.

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ou par l’analyse4 de chaque mot et/ou l’analyse des caractéristiques communes. Les
analyses se font en tandem dans un premier temps et ensuite avec tout le groupe.

Exemple pour l’analyse des caractéristiques communes


– La consonne finale n’est pas prononcée :
très – bien – deux – Paris – etc.
– La voyelle finale « e » n’est pas prononcée :
France – baguette – Jacqueline – etc.
– O + U => [u] :
amour – bonjour – vous – Tour – etc.

Propositions d’exercices
Les nouveaux sons et les mots sont répétés d’abord en chœur (les yeux fermés si
possible afin d’augmenter la concentration et la mémorisation), puis par chaque
élève. Chaque son est prononcé avec une mimique exagérée. Les apprenants qui
perçoivent les différences distinctives aident les autres en redonnant et expliquant
leurs observations. La répétition se fait jusqu’à ce que le groupe se soit bien familia-
risé avec le nouveau son. Un travail en tandem peut être mené en salle multimédia.
Il existe plusieurs plateformes Internet qui offrent une multitude d’exercices pho-
nétiques et phonologiques5.

Parallèlement aux analyses et aux exercices de prosodie, de phonétique et de pho-


nologie, des unités discursives, qui suivent la progression des premières leçons
des manuels de FLE, sont introduites au cours. À côté de l’apprentissage de l’ex-
pression orale, elles servent aussi à travailler la phonétique et surtout la prosodie.
Monologues et dialogues se font dans un premier temps sans analyse syntaxique
pour ne pas découper les enchaînements, sauf si les participants le demandent.
L’expérience a montré que la demande d’informations supplémentaires intervient
lorsque les nouvelles connaissances sont bien ancrées. Cette demande de progres-
sion dans l’apprentissage est donc un signe de non surcharge au niveau cognitif et
mnésique. Il est important au début de travailler avec seulement quelques syllabes
par unité discursive pour bien mémoriser l’image phonétique et ainsi, éviter le
besoin d’écrire ; c’est bien là l’avantage d’un cours intensif dans lequel la mémoire
à court terme joue un rôle capital.

Dans une seconde phase, après la moitié du cours, il s’agit de vérifier la bonne
transition entre la phonologie et l’orthographe par le biais de petits exercices de
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4/. L’analyse devrait toujours être faite par les apprenants, l’enseignant se contentant d’ajouter d’autres exemples ou des
exceptions.
5/. Comme par exemple : http://phonetique.free.fr. Les séances en salle multimédia devraient suivre la progression du
cours : premièrement le travail sur les voyelles, consonnes et glides, deuxièmement sur les enchaînements, pour ensuite
passer aux exercices de la production écrite.

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lecture et d’écriture tels que des mots et des phrases courtes jusqu’à écrire des
dictées et des textes. Tous les exercices écrits sont analysés en tandem et expliqués
avec tout le groupe.

Pour terminer, deux mots encore concernant la didactique adoptée. Un bon moyen
pour maintenir l’attention et la concentration des participants est d’introduire des
éléments de suggestopédie6. Le cours est structuré en quatre unités d’une heure et
demie, marquées notamment par des moments de relaxation et de reconcentration.
Lors de la relaxation qui se fait juste avant la pause de midi et juste avant la fin
du cours, l’enseignant répète ce qui a été appris, les participants ayant pris une
position relaxée, les yeux fermés. Les exercices de reconcentration, après les grandes
pauses, sont au contraire remplis de tâches et d’actions de groupe (simulation de
présentation, gymnastique avec les prépositions de lieu, jeux avec les chiffres7, etc.).
La symbiose entre l’atmosphère de détente et ludique et l’analyse linguistique se
reflète dans la motivation et la concentration soutenue des apprenants.

Dans la pratique, la méthode présentée dans cet article a pleinement rempli les
attentes et les buts d’apprentissage. À côté des compétences discursives, les étu-
diants ont appris à analyser et à reproduire formes et structures phonétiques,
phonologiques et graphiques de la langue française.

Références bibliographiques
Billières, Michel (2005). Codage phonologique et boucle articulatoire en mémoire de travail, publié en ligne le
16 février 2005, http://edel.univ-poitiers.fr/corela/document.php?id=187
Kross, Isabelle (2011). L’orthographe reste une compétence stratégique, Le Français dans le monde n° 373,
p. 28-29.
Mordellet-Roggenbuck, Isabelle (2005). Phonétique du français, Théorie et application didactiques, Beiträge zur
Fremdsprachenvermittlung, Sonderheft 8.
Renard, Raymond (Èd.) (2002). Apprentissage d’une langue étrangère/seconde 2. La phonétique verbo-tonale,
Bruxelles.
SchÖnhammer, Rainer (2009). Einfuehrung in die Wahrnehmungspsychologie, Sinne, Koerper, Bewegung,
facultas wuv.

6/. Pour plus d’informations sur les méthodes de suggestopédie et de superlearning, voir entre autres l’édition spéciale de le
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Français Dans le monde (1999), numéro spécial : Apprendre les langues étrangères autrement, janvier 1999, et le site http://
www.lonnygold.com/.
7/. Par exemple, « le massage » : les participants sont debout en cercle, l’un derrière l’autre, de façon qu’ils puissent toucher
le dos de leur voisin de devant. Après un petit massage des épaules (pendant lequel ils apprennent quelques parties du
corps), ils dessinent un chiffre avec un doigt ou avec les deux mains plates sur le dos de leur voisin qui doit deviner de quel
chiffre il s’agit.

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