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Revue de droit comparé du travail et de la

sécurité sociale 

2 | 2020
La vie personnelle du salarié

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/rdctss/1045
DOI : 10.4000/rdctss.1045
ISSN : 2262-9815

Éditeur
Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale

Édition imprimée
Date de publication : 1 juin 2020
ISSN : 2117-4350

Référence électronique
Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, 2 | 2020, « La vie personnelle du salarié » [En
ligne], mis en ligne le 01 novembre 2021, consulté le 11 novembre 2021. URL : https://
journals.openedition.org/rdctss/1045 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rdctss.1045

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International.
Revue
2020/2 de Droit Comparé
du Travail
et de la Sécurité Sociale
R E V U E SOUTENUE PAR L’INSTITUT DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES DU CNRS

JURISPRUDENCE SOCIALE
COMPARÉE
La vie personnelle du salarié
Coordonnée par Allison Fiorentino
Avec les contributions de :
Allison Fiorentino (Introduction), Urwana Coiquaud (Québec), Gabrielle
Golding (Australie), Peter Upson (Nouvelle-Zélande), Gabriela Mendizábal
BermÚdez (Mexique), Melda Sur (Turquie), Marie-Cécile Escande-Varniol
et Gerhard Binkert (Allemagne), Elena Serebrykova et Elena Sychenko
(Fédération de Russie), Mercedes LÓpez Balaguer et Emma Rodríguez
Rodríguez (Espagne), Sébastien Ranc (France), Matthew W. Finkin (États-Unis)

JURISPRUDENCE SOCIALE
INTERNATIONALE
Commentaire
Andrea Allamprese et Raphael Dalmasso - Comité Européen des Droits Sociaux -
La décision du Comité de Strasbourg sur la Réclamation n°158/2017 CGIL c/ Italie :
la terre tremble !
Actualités
Organisation Internationale du Travail
Organisation des Nations Unies
Union Européenne

CHRONIQUE
BIBLIOGRAPHIQUE
Sylvaine Laulom
Tamás Gyulavári, Emanuele Menegatti (eds), The Sources of Labour Law,
Wolters Kluwer, 2020, 404 p., Alphen aan den Rijn.

COMPTRASEC - UMR 5114 - CNRS - UNIVERSITÉ DE BORDEAUX


Revue de Droit Comparé du Travail et de la Sécurité Sociale

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REVUE
2020/2

revue soutenue par l’institut des sciences humaines et sociales du cnrs

COMPTRASEC - UMR 5114 - CNRS - UNIVERSITÉ DE BORDEAUX


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La Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale est membre du
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Diritti lavori mercati (Italie)
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SOMMAIRE 2020/2

JURISPRUDENCE SOCIALE COMPARÉE


La vie personnelle du salarié
Coordonnée par Allison Fiorentino

p. 6 Allison Fiorentino
Introduction - La vie privée du salarié dans la jurisprudence comparée

p. 14 Urwana Coiquaud
Tatouages sur les corps et corps à l’ouvrage : état de la jurisprudence
au Québec

p. 24 Gabrielle Golding
L’utilisation des réseaux sociaux par les salariés en Australie

p. 36 Peter Upson
La réglementation en matière de dépistage des drogues sur le lieu de
travail en Nouvelle-Zélande

p. 48 Gabriela Mendizábal Bermúdez


La protection de la vie privée des travailleurs, un défi pour la législation
mexicaine

p. 56 Melda Sur
Vie personnelle et relation de travail dans la jurisprudence en Turquie

p. 66 Marie-Cécile Escande-Varniol et Gerhard Binkert


Le licenciement du salarié pour une activité personnelle à l’origine d’un
préjudice ou d’une gêne pour l’entreprise

p. 76 Elena Serebryakova et Elena Sychenko


Les droits de l’employeur sur la vie privée du salarié : étude du droit
russe

p. 86 Mercedes López Balaguer et Emma Rodríguez Rodríguez


Le droit à un équilibre entre vie professionnelle et vie privée
en Espagne

p. 94 Sébastien Ranc
Le respect de la vie personnelle sur le temps et lieu de travail :
l’inspection des dossiers informatiques du salarié

p. 102 Matthew W. Finkin


Le contrôle de la vie privée par les employeurs: la topographie
karstique du droit américain
SOMMAIRE 2020/2

JURISPRUDENCE SOCIALE INTERNATIONALE

COMMENTAIRE
p. 114 Andrea Allamprese et Raphael Dalmasso
Comité Européen des Droits Sociaux - La décision du Comité de
Strasbourg sur la Réclamation n°158/2017 CGIL c/ Italie  : la terre
tremble !

ACTUALITÉS
p. 124 Alexandre Charbonneau - OIT - L’avenir du travail en suspens
p. 130 Elena Sychenko - ONU - Les activités des organes des Nations Unies
chargés des droits de l’homme en 2019
p. 134 Hélène Payancé - Union Européenne - Complément de pension
contributive espagnol et discrimination directe au détriment des
pères - CJUE, 12 décembre 2019, Aff. n°C-450/18, WA c./Instituto
Nacional de la Seguridad Social
p. 138 Iolanda Lupu - Union Européenne - Discrimination en raison du
sexe et réduction rétroactive des droits acquis à la pension
professionnelle - Arrêt de la CJUE du 7 octobre 2019, Aff. n°C-171/18

CHRONIQUE BIBLIOGRAPHIQUE
p. 142 Sylvaine Laulom

Tamás Gyulavári, Emanuele Menegatti (eds), The Sources of Labour


Law, Wolters Kluwer, 2020, 404 p., Alphen aan den Rijn.
JURISPRUDENCE
SOCIALE COMPARÉE

La vie personnelle du salarié

Coordonnée par Allison Fiorentino


LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

Allison Fiorentino
Maître de conférences à l’Université de Rouen, Membre du Centre Universitaire
Rouennais d’Etudes Juridiques (CUREJ, EA 4703)

RÉSUMÉ
Le présent article ouvre le dossier en comparant les jurisprudences françaises,
américaines, chinoises et canadiennes sur deux thèmes: les liaisons entre salariés et
l’utilisation par ces derniers des réseaux sociaux. Le législateur est parfois intervenu
en la matière mais incontestablement c’est le juge qui reste maître du l’application du
régime juridique, ne serait-ce qu’en raison de la subjectivité du thème. Qu’est-ce que
la vie privée ? Dans quelle mesure doit-elle être protégée par rapport aux attentes
légitimes d’un employeur ? L’analyse de la jurisprudence met en lumière de grandes
divergences suivant les pays. Cependant il est intéressant de constater que certaines
solutions sont comparables et reposent parfois sur le bons sens plutôt que sur des
constructions jurisprudentielles : c’est le cas des sanctions qui frappent les salariés trop
indiscrets qui utilisent les réseaux sociaux.

Mots clés : Réseaux sociaux, liaison, intimité, diffamation, liberté d’expression

ABSTRACT
This article opens the chronicle by comparing French, American, Chinese and Canadian
case law on two themes: affairs between employees and their use of social networks.
The legislator has sometimes intervened in this matter, but it is unquestionably the
judge who remains in control of the application of the legal system, if only because of
the subjectivity of the subject. What is privacy? To what extent must it be protected in
relation to an employer›s legitimate expectations? An analysis of the case law reveals
wide divergences between countries. However, it is interesting to note that some
solutions are comparable and are sometimes based on common sense rather than
on jurisprudential constructions: this is the case of sanctions against overly indiscreet
employees who use social networks.

Keywords: Social Networks, Liaison, Intimacy, Defamation, Freedom of Expression

6 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


JURISPRUDENCE SOCIALE COMPARÉE

D
ans quelle mesure la vie privée du salarié peut-elle être protégée?
Vie privée et vie professionnelle sont appelées à s’emmêler parfois
inextricablement pour finalement s’opposer. En effet, le salarié,
comme tout individu, peut revendiquer le droit à une certaine intimité,
mais la délimitation de celle-ci implique de déterminer les frontières
que l’employeur ne peut franchir. Cela n’est pas chose aisée ne serait-ce que parce que
les cas de tensions sont très nombreux. La question de la vie privée du salarié impacte
nécessairement les tests que peut faire subir l’employeur : tests de dépistage de drogues,
obtention des antécédents de crédit des employés, tests de dépistage du HIV, tests
génétiques, la vérification du passé pénal, tests psychologiques… La question de la
surveillance du salarié est également cruciale : surveillance de l’utilisation des ordinateurs,
téléphones et appareils électroniques pour localiser les salariés, fouille des bureaux et lieux
de travail, ou encore usage de dispositifs de vidéosurveillance. Enfin, d’autres situations
problématiques pour l’entreprise peuvent être liées à la revendication par le salarié de sa
vie privée : liberté vestimentaire, relations affectives avec un autre salarié…

Ces divers exemples mettent inévitablement en exergue la tension existant entre deux
ensembles de principes contradictoires. D’une part, il y a le principe de l’inviolabilité du
droit à la vie privée du salarié. D’autre part, il y a le droit de l’employeur de jouir de ses biens
et d’exercer ses pouvoirs de direction pour protéger ses biens contre les abus potentiels
de ses salariés. La légitimité de ces prétentions respectives est indéniable, mais la question
de l’équilibre est délicate et requiert toute la délicatesse d’un travail prétorien. En effet, seul
le juge est confronté aux situations pragmatiques qui l’amèneront à mettre en balance vie
privée et droit de propriété. L’objet du présent dossier est de souligner l’importance de la
jurisprudence dans la recherche de cet équilibre.
La multitude des situations dans lesquelles une confrontation entre ces deux principes
est inévitable rend difficile l’élaboration d’un panorama exhaustif sur la question de la vie
privée du salarié en droit comparé. Il semble donc pertinent de débuter l’analyse de ce
dossier par deux exemples : la liaison consensuelle entre salariés (jurisprudence française
et américaine) (I) et l’usage par les salariés des réseaux sociaux (décisions chinoises et
italiennes) (II).

I- LES LIAISONS DANGEREUSES EN DROIT DU TRAVAIL FRANÇAIS


ET AMÉRICAIN
La situation évoquée ici est celle de rapports purement consensuels entre deux salariés.
Cela exclut donc les cas de harcèlement, qui constitueraient une faute et justifieraient à ce
titre un licenciement. La liaison amoureuse sur le lieu de travail, pour discrète qu’elle soit,
n’est pas sans risque pour le salarié. Deux positions prétoriennes antagonistes peuvent être
utilisées : celle du juge français et celle de son homologue américain.
En France le salarié bénéficie indubitablement d’un avantage qui s’appuie sur deux
textes. D’une part, l’article 9 du Code Civil dispose que « Chacun a droit au respect de sa

RDCTSS - 2020/2 7
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

vie privée », excluant d’emblée l’immixtion d’un employeur dans une relation amoureuse
qui ne génère aucun trouble dans l’entreprise. D’autre part, le Code du travail prohibe, à
l’article L. 1132-1, toute discrimination directe ou indirecte « en raison de ses mœurs ou de
son orientation sexuelle (…) ou de sa situation de famille (…) ». La relation amoureuse n’est
pas expressément visée mais cet article pourrait étendre son champ de protection à la vie
sentimentale de manière générale.
En 20061 la Cour de cassation avait jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse le
licenciement d’une caissière de supermarché en raison d’une liaison avec un collègue de
travail. Sans avoir recours à la notion de discrimination, le juge avait noté que l’employeur
ne pouvait se prévaloir d’un trouble suffisant pour porter atteinte à la vie privée de la
salariée. Ainsi le soulignait le professeur Radé : « Parce qu’ils relèvent de l’intimité de la vie
privée, les sentiments doivent être protégés et demeurer dans la sphère privée »2.
Toutefois, cette protection dont bénéficie le salarié n’est pas absolue. Si la liaison
impacte négativement l’entreprise, l’employeur est en droit d’intervenir. Tout d’abord, le
juge français a élaboré depuis les années 1990 une jurisprudence sur la notion de trouble
objectif apporté au fonctionnement de l’entreprise3. Cette notion de «  trouble objectif »
s’évalue au regard de l’activité de l’entreprise et de la nature des fonctions du salarié, de la
notoriété de l’acte du salarié ou de ses répercussions sur l’entreprise. Usant de la technique
du faisceau d’indices, le juge décide, au cas par cas, si l’action d’un salarié relevant de sa vie
privée peut être constitutive d’une cause de licenciement, ce dernier étant alors non-fautif.
Cette jurisprudence trouve application en matière de relation amoureuse du salarié.
Ainsi il a été jugé que le licenciement d’un salarié était justifié dès lors que ce dernier
avait frappé sa concubine, également salariée4. L’altercation avait eu lieu en dehors du lieu
de travail mais la police était intervenue dans l’entreprise pour procéder à l’arrestation du
concubin violent. Le trouble objectif était caractérisé.
Outre le trouble objectif, une autre situation peut justifier un licenciement, cette fois
disciplinaire : lorsque la liaison traduit un manquement de la part de l’un des salariés à ses
obligations professionnelles. L’arrêt du 25 septembre 20195 en est une illustration. Les faits
étaient cocasses. Un supérieur hiérarchique entretient une relation avec une subordonnée
et échange avec celle-ci des SMS. Cependant, la romance se gâte lorsque la salariée
n’obtient pas les avantages qu’elle souhaite et se plaint à la direction d’un harcèlement
sexuel. La Chambre sociale, s’appuyant sur la nature consensuelle de la relation (établie par
les SMS), écarte le harcèlement et donc la faute grave du salarié, mais valide néanmoins le
licenciement disciplinaire au motif que cette relation lui avait fait  « perdre toute autorité
et toute crédibilité dans l’exercice de sa fonction de direction […] incompatible avec ses
responsabilités », de sorte que « ces faits se rattachaient à la vie de l’entreprise et pouvaient
justifier un licenciement disciplinaire ».

1 Cass. Soc. 21 décembre 2006 n°05-41140


2 C. Rade, « Amour et travail : retour sur un drôle de ménage », Dr. soc., 2010, p. 35, spéc., p. 39.
3 P. Waquet, «  Le “trouble objectif dans l’entreprise“ : une notion à redéfinir  », RDT Dalloz, 2006,
p. 304 ; P.-H. Antonmattei, « Le licenciement pour trouble objectif », Dr. Soc., 2012, p. 10.
4 Cass. Soc. 9 juill. 2002, n°00-45.068 ; B. Bossu, « Une altercation avec sa concubine peut justifier le
licenciement d’un salarié », RJPF, 2003, n°2, p. 9.
5 Cass. Soc. 25 sept. 2019, n°17-31.171, Gaz. Pal, 3 déc. 2019, n°42, note S. Harir ; Bulletin Trav., 2019,
n°11, p. 22, note J. Icard.

8 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


JURISPRUDENCE SOCIALE COMPARÉE

On constate que la protection de la vie privée du salarié fait obstacle à toute rétorsion
de l’employeur (sauf exception). La situation du droit américain est inverse. Le professeur
Matthew W. Finkin, grand spécialiste de cette question (et dont nous publions le travail
dans cette chronique) avait écrit  : «  En ce qui concerne la vie privée des employés, les
États-Unis sont, juridiquement, un pays sous-développé par rapport à une grande partie de
l’Europe »6. Si l’époque où Henry Ford inspectait les domiciles des travailleurs est révolue7,
les employeurs n’ont jamais rencontré un obstacle comparable à l’article 9 du Code civil
français car il n’existe aucun équivalent en droit américain.
Aux États-Unis les travailleurs bénéficient de très peu de protections juridiques en
matière de vie privée. Peu nombreuses sont les situations où un salarié a le droit, dans le
cadre d’une procédure régulière, d’accéder, d’inspecter ou de contester les informations
collectées ou détenues par l’employeur. Il existe une mosaïque de lois fédérales et d’État
qui accordent aux salariés des droits limité8. A titre d’exemple, l’Electronic Communications
Privacy Act de 1986 (ECPA) est la seule loi fédérale qui offre aux travailleurs des protections en
matière de confidentialité des communications. L’ECPA interdit l’interception intentionnelle
des communications électroniques9.
Ces exceptions ne constituent nullement un moyen de protection efficace de la vie
privée des salariés et fort logiquement il en résulte que l’employeur peut s’immiscer dans
la vie intime de ses subordonnés. Il lui est possible d’interdire toute relation amoureuse sur
le lieu de travail. Une telle interdiction rencontrerait deux obstacles en France : d’une part,
le principe de protection de la vie privée et, d’autre part, le droit du juge français de décider
si un motif de licenciement est réel et sérieux. Or, en droit américain, un salarié peut être
licencié pour n’importe quel motif dès lors qu’une loi spécifique n’interdit pas ce motif. Il
s’agit du principe de l’employment at will10. Cette liberté managériale rend donc possible
le licenciement de deux salariés qui auraient entretenu une relation affective même
consensuelle. L’un des exemples fréquemment cités est celui de l’affaire opposant UPS à
l’un de ses salariés, renvoyé pour ce motif 11. L’aventure amoureuse entre deux salariés de
cette entreprise était restée secrète durant quatre ans et n’avait pu impacter négativement
l’entreprise. En outre, elle s’était conclue par un mariage. Elle avait toutefois débuté en
violation de l’interdiction générale faite aux salariés d’UPS d’entretenir ce genre de liaison, et

6 M. W. Finkin, « Some further thoughts on the usefulness of comparativism in the law of employee
privacy », Employee Rts. & Emp. Pol’y J., 2010, vol. 14, n°1, spéc., p. 11.
7 J. Cunningham Wood et M. C. Wood, Henry Ford: Critical Evaluations in Business and Management,
Vol. 1, Taylor & Francis, 2003, p. 163.
8 M. W. Finkin, Privacy in Employment Law, Bloomberg Law, 5ème éd., 2018.
9 Cependant, l’ECPA contient des lacunes qui facilitent le contrôle des salariés. Tout d’abord, les
employeurs sont autorisés à surveiller les réseaux à des fins commerciales. Cela leur permet
d’écouter les appels téléphoniques des salariés ou de consulter leurs e-mails. Les employeurs ne
peuvent pas surveiller les appels purement personnels. Toutefois, pour déterminer si un appel
est personnel, les employeurs doivent généralement écouter certaines parties de la conversation
du salarié. Deuxièmement, un employeur peut intercepter des communications lorsqu’il existe un
consentement - réel ou implicite - du salarié. Il y a consentement lorsque l’employeur se contente
de donner un préavis de la surveillance.
10 A. Fiorentino, « Le licenciement en droit américain : le principe fondamental de l’employement-
at-will et sa portée contemporaine », Revue de la recherche juridique. Droit prospectif , 2012, n°1,
p. 463.
11 Ellis v. United Parcel Serv., Inc., 523 F.3d 823 (7th Cir. 2008).

RDCTSS - 2020/2 9
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

c’est pour cette seule raison que l’un des salariés avait été licencié. En dépit du recours qu’il
intenta, aucune compensation ne lui fut accordée. En effet, le juge statua que l’employeur
n’avait enfreint aucun texte. Il en serait allé autrement si le salarié avait pu arguer d’une loi
qui interdise les discriminations en raison de la vie personnelle. Or un tel texte n’existe pas
aux Etats-Unis et tout au plus quelques Etats interdisent-ils les discriminations en raison du
statut marital12. Au demeurant, le requérant n’aurait pu en bénéficier puisque ce n’est pas
son mariage qui avait causé le licenciement.

II - RÉSEAUX SOCIAUX ET DROIT DU TRAVAIL DANS LES JURISPRUDENCES


CHINOISES ET CANADIENNES
En l’espèce, les oppositions entre jurisprudences sont moins franches13. Il semble que
la notion de vie privée (qu’elle ait été ou non explicitement reconnue au bénéfice des
salariés) soit écartée dès lors que le salarié commet l’imprudence de rendre publiques
certaines informations.
En Chine, il n’y a guère eu de loi ou de règlement qui concerne spécifiquement les
questions de protection de la vie privée des employés sur Internet dans le contexte du
travail. Un patchwork de règles et de principes quelque peu pertinents s’est développé
de manière fragmentaire, au coup par coup, avec pour résultats des obligations peu
importantes pour les employeurs et des lacunes considérables en matière de protection
des salariés14. La Constitution chinoise ne fait pas spécifiquement référence à un droit à la
vie privée. L’article 34 prévoit que la dignité personnelle du citoyen est protégée en tant
que droit fondamental. L’article 40 protège le caractère privé de la correspondance des
citoyens, ce qui couvrirait sans doute celle sur les médias sociaux. Toutefois, les dispositions
constitutionnelles ne sont pas d’application directe et ne peuvent être utilisées dans un
procès impliquant deux personnes privées.
Il a fallu attendre la loi sur la responsabilité civile, introduite en 2009, pour que le droit
à la vie privée soit reconnu comme l’un des droits dont jouit un individu et dont la violation
constitue un délit civil passible de poursuites15. Les nouvelles dispositions générales du
droit civil de 2017 élargissent encore la protection du droit à la vie privée en l’inscrivant
aux côtés d’autres droits de la personne. L’article 110 stipule ce qui suit : « Une personne
physique jouit des droits à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de la personne, à la santé, au
nom, à l’image, à la réputation, à l’honneur, à la vie privée et à l’autonomie maritale, entre
autres ».
A ce jour, la jurisprudence travailliste ne s’appuie principalement que sur une autre
disposition  : l’article 39 de la loi sur les contrats de travail, en vertu duquel la faute du
salarié doit être grave pour que l’employeur puisse justifier le licenciement immédiat et
sans indemnité. Ces circonstances incluent les cas où le salarié a gravement enfreint les
règles et procédures établies par l’employeur, a causé un préjudice important à l’employeur

12 Il en va ainsi de la Californie (California Fair Employment and Housing Act), de l’Alaska (Alaska
Human Rights Law) ou encore du Delaware (Delaware Discrimination in Employment Act).
13 A ce propos, voir le numéro spécial sur la jurisprudence en la matière : Revue de droit comparé du
travail et de la sécurité sociale, 2014/2, p. 88.
14 M. Zou, « Social Media and Privacy in the Chinese Workplace: Why One Should Not Friend Their
Employer on WeChat », Comparative labor law and policy journal 2018, vol. 39, n°2, p. 389.
15 Op. cit.

10 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


JURISPRUDENCE SOCIALE COMPARÉE

en raison d’une négligence grave de ses devoirs ou de la recherche d’avantages privés,


a simultanément conclu une relation de travail avec un autre employeur qui affecte
sérieusement son emploi actuel, ou fait l’objet d’une enquête pénale.
Sur le fondement de ce seul texte, trois courants jurisprudentiels peuvent être identifiés :
- Le premier type de décision est relatif au licenciement du salarié pour avoir mis en ligne
certaines informations sur les réseaux sociaux. Ainsi, en 201316, un employeur a licencié son
salarié pour absence non autorisée du travail pendant plus de huit jours. Lors de l’instance,
l’employeur a produit des données publiées par le salarié sur sa page Weibo, le montrant
prenant des bains de soleil à une date où l’employeur ne lui avait pas donné d’autorisation
d’absence. Le juge a admis la recevabilité de ce moyen de preuve. Une autre catégorie
d’affaires est relative aux critiques formulées par les salariés à l’encontre de leurs collègues
ou de la direction.
- Dans une décision de 201517, un salarié avait signé un accord avec son employeur selon
lequel, en cas de dissolution de son contrat de travail, il recevrait une compensation s’il
s’abstenait de faire des commentaires susceptibles de nuire à la réputation de l’employeur.
Peu avant de quitter son emploi, le salarié a publié sur son compte Weibo un commentaire
indiquant que l’employeur faisait fréquemment des retenues de salaire. L’employeur a
prétendu que le commentaire du salarié avait gravement porté atteinte à sa réputation, ce
qui justifiait le refus de lui verser une quelconque somme après son licenciement. Le salarié
fit valoir l’absence d’intention malveillante, d’autant que cette information était avérée. Le
juge donna gain de cause au salarié, non pas en se fondant sur la véracité de l’information
donnée, mais sur l’illégalité d’une telle compensation. En effet, il n’appartenait pas aux
parties de décider de l’indemnité requise en cas de licenciement, puisque la loi protégeait
le droit du salarié à une telle indemnité. Il est regrettable que le juge n’ait pas saisi cette
occasion pour clarifier la jurisprudence en la matière, et affirmer - ou infirmer- le droit pour
un salarié de communiquer une information exacte sur son entreprise.
- En revanche, et il s’agit du troisième courant prétorien, lorsque les informations sont
fausses et procèdent, à l’évidence, d’une intention de nuire, le juge fait légitimement
preuve de sévérité envers le salarié qui diffame son employeur. Dans une affaire de 201618,
un enseignant licencié pour incompétence avait posté des commentaires désobligeants
sur l’école dans ses groupes WeChat. Ses commentaires consistaient en des accusations
selon lesquelles le plaignant n’offrait pas de qualifications appropriées, délivrait de faux
diplômes et s’octroyait une grande partie des salaires des étudiants en stage. Au tribunal,
le demandeur fit valoir que les affirmations du défendeur étaient fausses et avaient
conduit plusieurs étudiants à retirer leur inscription de l’école, beaucoup d’autres étudiants
envisageant des actions similaires. Le tribunal a ordonné au défendeur la publication
d’excuses publiques écrites et le paiement des dommages et intérêts.
Par ailleurs, au Canada, même si les solutions prétoriennes varient, elles mettent en
évidence l’absence de protection envers le salarié trop imprudent pour rester discret sur
certaines informations.
Ainsi au Québec, le salarié a un devoir de loyauté envers l’employeur - en vertu de l’article
2088 du Code civil du Québec- selon lequel il est tenu d’agir loyalement et honnêtement

16 Chen c. Di Nuo Wei Ya International Freight Forwarders (Shanghai) Co., Ltd.


17 Beijing Bonatongcheng Technology Co., Ltd. c. Li Chennan.
18 Xi’an Mou Gong Ye Xuexiao c. Tang.

RDCTSS - 2020/2 11
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

dans le cadre de son emploi, et même en dehors du temps de travail lorsqu’il s’agit de la
réputation et de la vie privée de l’employeur. Ainsi, l’employeur est-il en droit de s’attendre
à ce que le salarié s’abstienne de poster des commentaires nuisibles à la réputation de
l’entreprise. En outre, les salariés ont droit à la liberté d’expression en vertu de la Charte
des droits et libertés de la personne du Québec19. L’équilibre que le juge québécois a
établi entre ces deux principes illustre plutôt sa volonté de protéger l’entreprise en relevant
aisément une atteinte au devoir de loyauté. Toutefois si le juge admet l’existence d’une
faute, la sanction du licenciement est parfois censurée.
Trois exemples illustrent ce propos :
- Un agent administratif du service des ressources humaines de la Ville de Montréal a été
licencié pour avoir affiché des commentaires négatifs sur Facebook concernant la décision
du directeur d’arrondissement d’euthanasier un pit-bull après qu’il ait attaqué des citoyens.
Son licenciement a toutefois été réduit à une suspension de six mois20.
- Un agent municipal a été licencié pour avoir publié sur Facebook une vidéo d’une
chanson offensante qu’il avait lui-même composée, dont les paroles visaient subtilement le
directeur des services techniques et le maire. La vidéo se terminait par un geste dégradant.
Son licenciement a été réduit à une suspension de six mois21.
- Un commis de librairie a été suspendu pour avoir publié des commentaires diffamatoires,
portant atteinte à la réputation de l’employeur, sur son blog accessible via Facebook. Les
articles invitaient les lecteurs à déposer des plaintes en ligne contre son employeur et
critiquaient les valeurs de l’organisation. Sa suspension de trois jours a été confirmée22.
Dans l’Ontario, le juge établit également un équilibre en ayant recours au faisceau
d’indices, comme le démontre une décision de 201423. Un pompier de Toronto fut licencié
pour avoir posté des tweets offensants à partir de son compte personnel Twitter. Pour rendre
sa décision, le juge s’est largement concentré sur le contenu sexiste, raciste et homophobe
des tweets et sur la façon dont cela se répercutait négativement sur l’employeur. Cette
situation a été exacerbée par la nature du rôle du salarié, les pompiers occupant une place
de confiance au sein de la société et devant être tenus à une norme de conduite plus
élevée.
Outre le contenu des messages postés sur les médias sociaux et la nature du poste du
salarié, le juge a mis en évidence un faisceau d’indices prétoriens :
- Quel public était destinataire du message posté ?
- Quelle plateforme a été utilisée ?
- Quels étaient les détails de la plateforme (par exemple les paramètres de confidentialité) ?

19 http://www.cdpdj.qc.ca/fr/formation/situations/Documents/fr/CharteResumeSimplifiee.pdf
20 Montréal (Ville) et Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (SCFP-429) (Levasseur),
Re, 2014 CarswellQue 14102 (T.A. Qué.).
21 (Municipalité) et Syndicat des travailleuses et travailleurs de la municipalité de Weedon (CSN)
(2015-03),Re, 2016 CarswellQue 3584 (T.A. Qué.).
22 Librairie Renaud-Bray inc. et Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau,
section locale 574 (SEPB-CTC-FTQ)(Beauregard),Re, 2017 CarswellQue 3294 (T.A. Qué.).
23 Toronto (CIty) v Toronto Professional Fire Fighters Association, Local 3888, 2014 CanLII 76886
(ON LA).

12 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


JURISPRUDENCE SOCIALE COMPARÉE

- Depuis combien de temps le salarié était-il employé ?


- Quelle a été la réaction du salarié à la découverte des messages (repentant ou non)?
Ces quelques exemples mettent en lumière toute la diversité prétorienne sur la question
de la vie privée du salarié. Parfois les solutions s’opposent, parfois elles se rejoignent même
si les bases juridiques divergent. Afin de présenter de manière plus complète certains
droits, le présent dossier regroupe les travaux de chercheurs provenant d’horizons très
différents.
Le droit anglo-saxon sera abordé au travers de :
- l’étude en droit canadien du professeur Urwana Coiquaud consacrée à la question du
tatouage du salarié ;
- l’analyse par le professeur Gabrielle Golding de la jurisprudence australienne sur
l’utilisation des réseaux sociaux par les salariés ;
- l’article par le professeur Peter Upson relatif au dépistage de drogue sur le lieu de travail
en droit néo-zélandais ;
- du panorama élaboré par le professeur Matthew W. Finkin sur la vie privée des salariés
aux Etats-Unis.
Le dossier se poursuivra par l’étude d’un pays d’Amérique du Sud, le Mexique, à propos
duquel le professeur Gabriela Mendizábal Bermúdez présentera la jurisprudence relative à
l’aménagement du temps de travail afin de le rendre compatible avec la vie familiale.
Le Moyen-Orient sera envisagé au travers du travail du professeur Melda Sur qui
présentera la vie personnelle du salarié dans la jurisprudence turque.
Enfin le droit européen clôturera ce dossier, puisque seront abordés :
- le droit prétorien allemand sous l’angle de la question du licenciement du salarié pour
une activité personnelle qui cause un préjudice ou une gêne à l’entreprise. Ce sont les
professeurs Marie-Cécile Escande-Varniol et Gerhard Binkert qui ont réalisé ce travail ;
- la jurisprudence russe à l’aune des standarts internationaux concernant la vie privée du
salarié par les professeurs Elena Serebryakova et Elena Sychenko;
- la réforme espagnole de 2019 affectant la conciliation entre le travail et la vie familiale par
les professeurs Mercedes López Balaguer et Emma Rodríguez Rodríguez ;
- un rappel de la jurisprudence française sur le respect de la vie personnelle sur le lieu
et au temps de travail à travers l’inspection des dossiers informatiques du salarié par
Sébastien Ranc.

RDCTSS - 2020/2 13
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

TATOUAGES SUR LES CORPS ET CORPS


À L’OUVRAGE : ÉTAT DE LA JURISPRUDENCE
AU QUÉBEC

Urwana Coiquaud
Professeure, HEC Montréal, membre du CRIMT

RÉSUMÉ
Le tatouage a franchi les frontières du monde interlope pour se hisser dans toutes les
sphères de la société et permet à chacun d’exprimer son individualité. Si ce phénomène
est devenu relativement banal et accepté dans nos sociétés et en particulier au
Canada, qu’en est-il en contexte de travail ? Quelles sont les garanties réglementaires
accordées à l’employé tatoué ? L’employeur peut-il imposer des règles entourant le
port de tatouages ? Le cas échéant, jusqu’où peut-il contraindre le salarié? Après avoir
exposé le cadre réglementaire protecteur, de l’une de ses provinces, le Québec, nous
examinerons le traitement jurisprudentiel qui est réservé à cette problématique.

Mots-clés : Liberté d’expression, vie privée, apparence physique, tatouage, droit


du travail québécois

ABSTRACT
Tattooing has crossed the borders of the underworld to reach into all spheres of society
and allows everyone to express their individuality. If this phenomenon has become
relatively commonplace and accepted in our societies, particularly in Canada, what
about in the work context? What are the regulatory guarantees granted to the tattooed
employee? Can the employer impose rules surrounding the wearing of tattoos? If
so, to what extent can he or she compel the employee to do so? After outlining the
protective regulatory framework of one of its provinces, Quebec, we will examine their
treatment by the courts.

Key words: Freedom of Expression, a Right to Privacy, Physical Appearance,


Tattoo, Quebec Employment Law

14 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


QUÉBEC

À
l’heure des médias sociaux, l’apparence physique n’a jamais eu autant
d’importance qu’à ce jour. En témoigne le nombre infini de photos
«  léchées  » et retouchées, publiées sans pudeur sur les réseaux sociaux.
Dialogue constant entre la sphère de l’intime et du public, fruit d’un héritage
biologique et social, l’apparence physique est un puissant véhicule de
communication et de pouvoir.

Parmi ces véhicules, certains s’imposent à la vie, comme la couleur de peau ou la taille,
car ils sont intrinsèques à l’individu1. D’autres sont pleinement contrôlés par l’individu
comme la tenue vestimentaire, l’hygiène ou encore les bijoux, tandis que certains éléments
le sont difficilement, car «  [c]es caractéristiques sont difficiles à changer ou ne sont
modifiables qu’à un prix personnel inacceptable »2. Il peut s’agir du port d’un vêtement
dont la signification religieuse est forte, comme le kirpan, ou encore du tatouage.
Le tatouage est réalisé au moyen d’un appareil : le dermographe. Composé de fines
aiguilles, il martèle la peau en insérant de l’encre entre le derme et l’épiderme, marquant
ainsi définitivement l’individu3. Longtemps perçu comme l’attribut des marginaux et
désignant - encore souvent aujourd’hui - ceux qui veulent s’affranchir des interdits, le
tatouage est surtout devenu l’expression d’un art, d’une mémoire, d’un pacte, de croyances,
d’une histoire personnelle, d’une mode. Il a traversé les frontières du sexe en s’imposant
chez les femmes, et il a franchi les frontières du monde interlope pour se hisser dans les
plus hautes sphères sociales. Au final, le tatouage est devenu un art de vivre permettant
d’exprimer son individualité4. Au Canada, environ 20% de la population serait tatouée5.
Si ce phénomène est devenu relativement banal et accepté dans nos sociétés, qu’en
est-il dans le contexte du travail ? Quelles sont les garanties règlementaires accordées au
salarié tatoué ? L’employeur peut-il imposer des règles entourant le port de tatouages ? Le
cas échéant, jusqu’où peut-il contraindre le salarié?

1 A-M. Delagrave, Le contrôle de l’apparence physique du salarié, Cowansville, Québec, Éd. Y. Blais,
2010, p. 14.
2 Id., p. 16.
3 C. Rioult, «  Le tatouage  : un certain regard sur le corps », Journal français de psychiatrie, 2006,
vol. 24, n°1, p. 44.
4 D. Le Breton, « Le monde à fleur de peau : sur le tatouage contemporain », Hermès, La Revue, 2016,
vol. 74, n°1, p. 132.
5 I. Morin, « La culture pop : planète tatouage », La Presse, 10 juillet 2015.

RDCTSS - 2020/2 15
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

Ce cadre est fermement délimité par la liberté d’expression et le respect de la vie


privée garantis par la Constitution canadienne6 et la Charte des droits et libertés de la
personne7 (I). Une analyse jurisprudentielle des arrêts de la Cour suprême du Canada et
des décisions des niveaux inférieurs du Québec révèlera ensuite la mise en œuvre de ces
normes et leurs interprétations par les tribunaux (II).

I - LE SALARIÉ TATOUÉ : PROTECTION ET LIMITES RÈGLEMENTAIRES


André Courchaine est chauffeur de bus syndiqué depuis 18 ans pour une société de
transport. Il porte un uniforme durant ses heures de travail. Le 5 janvier 2008, il s’est fait
tatouer le côté droit de son visage, de façon très apparente. D’après lui, il s’agit là de son
meilleur profil, mais aussi de celui qu’il présente à la clientèle lorsqu’elle monte à bord du
bus. Selon son employeur, ce tatouage donne une image défavorable et contraire à ce
que la société cherche à projeter auprès de sa clientèle. L’employeur suggère donc que
ce tatouage soit retiré et, en attendant une solution idoine, prend la décision de muter
le chauffeur. Ce dernier estime, quant à lui, qu’aucune directive n’existait à ce propos et
qu’il s’agit d’un choix personnel. À ses yeux, ce geste ne concerne pas l’employeur et l’ôter
laisserait des marques cutanées pires que le tatouage lui-même.
Ce cas8 illustre clairement le conflit possible entre l’expression des droits et libertés
fondamentaux d’un salarié tatoué et les droits de l’employeur. La suite de cette analyse
se concentrera sur la protection des droits et libertés fondamentaux du salarié tatoué,
reconnus par la Charte des droits et libertés de la personne (A) et les atteintes possibles
de l’employeur (B).

A - Le port du tatouage au travail, une expression protégée par la Charte


des droits et libertés de la personne
Le contrôle de l’apparence physique exercé par l’employeur porte atteinte aux droits
et libertés fondamentaux des travailleurs. Deux droits sont particulièrement visés, le droit
à la vie privée et à la liberté d’expression : « Le droit à la liberté d’expression repose sur la
conviction que la libre circulation des idées et des images est la meilleure voie vers la vérité,
l’épanouissement personnel et la coexistence pacifique dans une société hétérogène
composée de personnes dont les croyances divergent et s’opposent. Si nous n’aimons pas
une idée ou une image, nous sommes libres de nous y opposer ou simplement de nous

6 Charte canadienne des droits et libertés, Loi de 1982 sur le Canada, Annexe B, 1982 (R.-U.), ch. 11
(ci-après citée : « Charte canadienne »). Le régime fédératif institué par la Constitution canadienne
répartit la compétence législative entre le Parlement du Canada et les législatures des provinces
ou des territoires. Les lois sur les droits de la personne ont été promulguées aux deux paliers
(fédéral et provinciaux). Au Québec, il s’agit de la Charte des droits et libertés de la personne
(RLRQ, c. C-12) (ci-après citée : « Charte québécoise »), un texte de valeur quasi constitutionnelle.
7 Ce texte, contrairement à la Charte canadienne, s’applique aux relations de nature privée.
8 Syndicat des chauffeurs de la S.T.L. et Société de Transport de Laval, DTE 2009T-92 [2009] RJDT 290
[ci-après « STL »].

16 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


QUÉBEC

en détourner» 9. La liberté d’expression figure au nombre des droits les plus fondamentaux
des Canadiens et le tatouage, en raison de sa portée expressive, est visé « par l’article 3 de
la Charte québécoise »10. Tel est ce qui est affirmé par les tribunaux spécialisés. Le tatouage
est considéré comme « un piège à regard »11, qui exprime une certaine ambivalence - celle
de « montrer tout en cachant, mais aussi de cacher tout en montrant »12 - et constitue un
moyen d’envoyer un message à l’autre, « de lancer une bouteille à la mer que l’écoute et le
regard analytique permettent de déchiffrer »13.
Outre la liberté d’expression, le tatouage est aussi protégé par le droit au respect
de la vie privée. L’article 5 de la Charte québécoise protège le droit de prendre des
décisions fondamentalement personnelles, sans pression externe indue. Le tatouage
fait donc partie de cette sphère d’autonomie individuelle14, car « à n’en pas douter, le
choix d’une personne […] de porter sur son corps une marque indélébile fait partie de
ces décisions relevant de la sphère d’autonomie protégée par le droit à la vie privée »15.
Dans l’affaire, Fraternité des policiers et policières de Saint-Jean-sur-Richelieu et St-Jean-
sur-Richelieu (Ville de)16, le juge conclut : « les tribunaux ont reconnu que le droit à l’image
est une composante du droit à la vie privée (…) [et qu’il] fait partie du droit à l’image. Il
s’insère dans cette sphère d’autonomie individuelle relativement à l’ensemble des décisions
qui se rapportent à des « choix de nature fondamentalement privée ou intrinsèquement
personnelle » [réf. omise].
Ainsi, lorsque l’employeur décide de contrôler l’apparence physique du salarié via
l’adoption d’un règlement interne, d’une disposition contractuelle, d’une directive ou
encore d’une conduite, il contraint l’exercice de ses droits et libertés fondamentaux17. La
démonstration par le salarié d’une atteinte prima facie à une liberté ou un droit fondamental
imposera à l’employeur de la justifier.

B - La justification de l’atteinte aux libertés et droits fondamentaux


du salarié
Une fois la preuve apportée par le salarié de la violation d’un droit ou d’une liberté,
il revient à l’employeur de démontrer que celle-ci est justifiée en vertu de l’article 9.1 de
la Charte québécoise. À cet égard, il est important de rappeler que l’exercice du droit de

9 Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, §. 21 [ci-après « Ford »].


10 Parent c. 9000-5489 Québec inc., DTE 97T-665 (CQ), p. 6 [ci-après « Parent »].
11 C. Rioult, ibid., p. 44.
12 Id.
13 Id.
14 Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 R.C.S. 844, p. 913; Aubry c. Éditions Vice-Versa inc., [1998] 1
R.C.S. 591, p. 614.
15 Syndicat des travailleuses des centres de la petite enfance du Saguenay-Lac-St-Jean - FSSS-CSN c.
Girard, C.S., 2009-05-27, § 28 (Requête en révision judiciaire accueillie, appel rejeté 2011 QCCA
1620), [ci-après « Girard »].
16 2016 QCTA 715 [ci-après « St-Jean-sur-Richelieu »].
17 C. Brunelle et M. Samson, «  Les droits et libertés dans le civil  », Droit public et administratif,
Collection droit, 2019-2020, Vol. 8, 2019, Cowansville, éd. Yvon Blais, p. 4.

RDCTSS - 2020/2 17
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

direction de l’employeur18 n’est pas absolu et reste assujetti à la primauté de la Charte, dont
la valeur est quasi constitutionnelle:
9.1. Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs
démocratiques, de la laïcité de l’État, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens
du Québec. La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l’exercice.
La Cour suprême du Canada19, dans les affaires R. c. Oakes20 et RJR-MacDonald Inc.
c. Canada (Procureur général)21,  a établi deux critères :
1) Lorsqu’il y a atteinte à un droit ou une liberté fondamentaux, il faut en premier lieu se
demander si l’exigence ou la restriction formulée par l’employeur à l’égard de l’apparence
physique du salarié répond à un objectif légitime et important. Cet objectif doit être
suffisamment important car les juges précisent que la norme doit être sévère22 et qu’il
faut « à tout le moins qu’un objectif se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles
dans une société libre et démocratique, pour qu’on puisse le qualifier de suffisamment
important »23. À cet égard, il a été admis que « le tatouage, d’une façon générale, dans la
société actuelle (…) ne constitue pas une valeur morale ou une culture si discutable qu’il
peut être restreint pour le respect des valeurs démocratiques, pour l’ordre public et le
bien-être des citoyens » 24.
2) Deuxièmement, la partie qui réclame cette restriction doit démontrer que la mesure
contestée a un lien rationnel avec l’objectif poursuivi, c’est-à-dire que « les moyens choisis
sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer. Cela nécessite l’application
du critère de proportionnalité. Les tribunaux devront, dans chaque cas, soupeser les
intérêts en présence. Ce critère de proportionnalité doit être évalué selon les critères
suivants : « même à supposer qu’il y ait un tel lien rationnel, le moyen choisi doit être de
nature à porter “le moins possible” atteinte au droit ou à la liberté en question (…) il doit
y avoir proportionnalité entre les effets des mesures restreignant un droit ou une liberté
garantis par la Charte et l’objectif reconnu comme “suffisamment important” »25.
C’est à la lumière de ces principes, que les tribunaux rendent leurs décisions.

18 La question du fondement juridique du pouvoir de l’employeur fait l’objet d’importants débats qui
dépassent ici le cadre de cette analyse jurisprudentielle.
19 Ces critères ont été élaborés dans l’arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 RCS 103 [ci-après «  Oakes  »], en
regard de l’article 1 de la Charte canadienne et, dans la mesure où la disposition justificative de
l’article 9.1 al. 2 de la Charte québécoise s’apparente à cet article, il est admis que ce test s’applique
aussi à la Charte québécoise : Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 769.
20 Ibid., Oakes, note 19.
21 [1995] 3 RCS 199 [ci-après « RJR »].
22 Ibid., Oakes, § 69.
23 Id.
24 Ibid., Parent, p. 12.
25 Ibid., Oakes, note 19, § 70.

18 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


QUÉBEC

I - LE TATOUAGE DU SALARIÉ À L’ÉPREUVE DES EXIGENCES DE


L’EMPLOYEUR
Les juges doivent dans le cadre des affaires soumises vérifier si les objectifs poursuivis
par l’employeur sont légitimes (A) et si les solutions proposées sont raisonnables et
justifiées (B).

A - Les objectifs légitimes de l’employeur


Dans le cadre de rapports individuels ou collectifs de travail, la jurisprudence admet
qu’en vertu de son droit de direction, l’employeur peut émettre des restrictions - convention
collective, code de conduite, directive orale ou écrite - concernant l’apparence personnelle
des salariés. Ces restrictions doivent poursuivre des objectifs légitimes et importants, à
savoir «  une raison d’affaire légitime  »26 ou une «  expression commerciale  »27. En outre,
l’employeur peut justifier de telles atteintes pour protéger la santé et de la sécurité des
salariés, celle du public ou celle de l’entreprise28, même si le test paraît plus rigoureux
lorsque la justification repose sur cette dernière justification29. Or, c’est précisément sur ce
dernier élément que s’appuient les employeurs pour restreindre le port du tatouage qui
heurte, dans la quasi-totalité des cas, l’image de l’entreprise.
Ainsi, un Centre de jeunesse30, garantissant la protection de jeunes dont la sécurité
ou le développement est compromis, peut restreindre certains attributs de l’apparence
personnelle des salariés, afin de projeter une image professionnelle cohérente avec
les valeurs et la mission de l’établissement  : «  s’assurer que la clientèle vulnérable ne se
retrouve pas dans une position où les enseignements de l’institution seraient contredits par
l’image véhiculée par ses propres employés »31.
De la même façon, un Centre de la petite enfance (CPE), qui fournit des services
éducatifs aux enfants de 0 à 5 ans, peut être amené à contraindre l’apparence physique
des éducateurs et éducatrices de manière à protéger les enfants contre des signes sexistes,
racistes, incitant à la violence ou faisant la promotion de l’alcool ou de la drogue32. Par
exemple, la mission d’un tel organisme pourrait être heurtée par une éducatrice arborant sur
l’avant-bras un tatouage représentant un doigt d’honneur devant une bouche entrouverte.

26 Commission des Droits de la Personne, Les exigences des employeurs et des établissements de
service sur la tenue vestimentaire et l’apparence personnelle, M. Drapeau, (Cat. 2.113- 3.6), 1993,
p. 8 : http://www.cdpdj.qc.ca/Publications/uniforme.pdf
27 Ibid., Ford, note 9, § 50  : selon cet arrêt, «  L’expression commerciale  » mérite une protection
constitutionnelle «  en raison du rôle important qu’elle joue en facilitant les choix économiques
éclairés ».
28 Id., p. 9.
29 Id., p. 10.
30 Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 4268 et Centre jeunesse de Montréal -
institut universitaire, 2012 CanLII 99872 (QC SAT) [ci-après « Centre jeunesse de Montréal »].
31 Id., p. 33.
32 Ibid., Girard, note 15, § 33.

RDCTSS - 2020/2 19
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

Le caractère offensant et connoté sexuellement dudit tatouage pourrait contrevenir à la


mission éducative du CPE33.
Un service de police souhaite protéger son image afin de maintenir la confiance et le
respect des citoyens envers lui, conformément au Code de déontologie. Il faut « éviter que
les policiers aient l’air marginaux, ou briser le lien de confiance de la population envers les
policiers par la présence d’un tatouage qui serait trop visible, d’où la restriction associée
à la taille des tatouages, à leur nombre et à leur emplacement  » 34. Cet objectif s’avère
suffisamment important pour restreindre la visibilité des tatouages du policier35.
Un service public de transport qui s’adresse à une population de tous âges et de
toutes les cultures peut imposer des normes d’apparence physique en raison du contact
quotidien des chauffeurs avec la clientèle, car l’image de l’entreprise passe beaucoup par
l’impression que donnent les chauffeurs36.
Cette étape 1 du test franchie, l’employeur doit démontrer à l’étape 2 que la contrainte
qu’il impose a un lien rationnel avec l’objectif poursuivi et que la limitation au droit, ou
à la liberté, est minimale (c’est-à-dire que les moyens choisis sont raisonnables) et
proportionnelle à l’objectif.
Dans le cadre d’un service de police, l’employeur devra démontrer que le tatouage
va à l’encontre des obligations et devoirs du policier visant à « maintenir la paix, l’ordre, la
sécurité publique, prévenir et réprimer le crime »37. Ainsi interdire un tatouage à connotation
blasphématoire est une limitation rationnelle puisque le Code de déontologie prévoit que
le policier ne peut faire usage de langage obscène, blasphématoire ou injurieux. De la
même façon, l’interdiction d’arborer un tatouage comportant une image ou un symbole
associé, ou faisant la promotion de la criminalité, comporte lui aussi un lien rationnel.
Mais quelle qualité de preuve doit-il fournir ? S’agira-t-il d’une preuve scientifique
comme un sondage d’opinion rigoureux ? Si l’arrêt Oakes avait parlé de preuve «  forte
et persuasive » (paragraphe 68), la Cour suprême a, depuis lors, assoupli ce critère38. La
preuve doit être objective et ne peut reposer sur une simple appréhension ou croyance de

33 Lupien et Centre de la petite enfance Grande-Rivière, 2019 QCTAT 610 (CanLII)  :  le recours
entrepris n’a pas permis au tribunal de déterminer l’atteinte aux droits et libertés de la salariée.
34 Saint-Jean-sur-Richelieu, Ibid., note 16, § 81-82.
35 Fraternité des policiers et policières de Longueuil et Ville de Longueuil, EYB2019-3049049, § 64
[ci-après « Longueuil »].
36 Ibid., STL, note 8, § 116.
37 Ibid., Longueuil, note 35, § 68.
38 Ibid., RJR, § 138 : « Pour satisfaire à la norme de preuve en matière civile, on n’a pas à faire une
démonstration scientifique ; la prépondérance des probabilités s’établit par application du bon
sens à ce qui est connu, même si ce qui est connu peut comporter des lacunes du point de vue
scientifique ».

20 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


QUÉBEC

l’employeur. Elle doit néanmoins être précise et rigoureuse39, et prendre en considération


l’évolution sociétale40. Il ne s’agit pas d’une preuve scientifique, mais logique et rationnelle
(paragraphe 72)41.
Il convient aussi d’examiner la portée de l’interdiction formulée par l’employeur.
Par exemple, si l’interdiction porte sur tous les tatouages sans discernement, l’employeur
échoue à cette étape. Ainsi, un Centre de la petite enfance42 qui accueille des enfants
n’est pas justifié à licencier tout salarié tatoué, sans égards à l’endroit ou à la nature du
tatouage.
Pour que l’atteinte soit minimale, il est important qu’en présence de politiques
d’entreprise, les salariés comprennent ce qui est permis, ou ne l’est pas. Par exemple,
un juge a estimé qu’une politique d’entreprise interdisant un tatouage comportant
une «  caractéristique qui va à l’encontre de l’une des valeurs du service de police, à
savoir le service à la population, le professionnalisme, le respect, l’intégrité et la
oyauté  » ou à «  connotation violente  » sont des termes trop vagues43 et offrent trop de
discrétion à l’employeur44. De ce fait, les tribunaux rappellent l’importance d’émettre des
politiques d’entreprise claires, conformes au cadre règlementaire, connues de tous, dont
l’application reste constante et les conséquences identiques en cas de non-respect45, à
défaut de quoi l’employeur ne pourra que sanctionner46.
À la rigueur des tests imposés, le tribunal ajoute qu’il lui revient de soupeser les effets
négatifs de la mesure par rapport aux avantages liés à l’objectif de l’employeur.

B - Recouvrir, faire disparaitre un tatouage, ou changer d’affectation,


une exigence raisonnable?
Si dissimuler tout tatouage, quel qu’en soit le contenu et la localisation sur le corps,
constitue une atteinte injustifiée, car disproportionnée par rapport à l’objectif sérieux et
important de restreindre la liberté ou le droit fondamental du salarié47, qu’en est-il de la

39 Ne répond pas à ces critères un sondage concernant « les perceptions et attitudes de la clientèle
des supermarchés à l’égard du body piercing »  : affaire Travailleuses et travailleurs unis de
l’alimentation et du commerce, section locale 486 et Provigo Distribution inc. (Division Maxi & Cie
Gatineau), 2001, CanLII 59310 (QC SAT). Postérieurement à cette affaire, un juge note en obiter
dictum qu’un sondage effectué selon les règles « aurait donné une indication très sérieuse sur la
décision à prendre en l’espèce, mais il serait très dangereux de s’y fier à 100%. Ce serait lui donner
un pouvoir énorme qui pourrait aboutir à des injustices importantes », STL, note 8, § 116 (ibid.).
40 Ibid., Saint-Jean-sur-Richelieu, note 16, § 90. Bien qu’à cet égard, il faille nuancer selon l’endroit,
l’ampleur et la nature expressive du tatouage; par exemple, une tête de mort tatouée sur le visage
n’aura pas le même impact qu’une étoile encrée sur la face interne de la cheville.
41 Ibid., Longueuil, note 35, § 72.
42 Ibid., Parent, note 13, p. 13.
43 Ibid., Longueuil, note 35, § 86-87.
44 Id.
45 Re Lumber & Sawmill Workers’ Union, Local 2537 and KVP Co. Ltd., (1965) 16 L.A.C. 73 (J.B.
Robinson).
46 Ibid., STL, note 8, § 123.
47 Ibid., Girard, note 15.

RDCTSS - 2020/2 21
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

politique qui exige de couvrir certains tatouages en raison de leur localisation sur le corps
ou du message qu’ils véhiculent ?
Dans l’affaire Centre jeunesse de Montréal48, la politique de l’employeur tolère les
tatouages en précisant toutefois que « lorsqu’ils se situent dans certaines zones du corps
(c’est à dire sur le haut d’un sein ou au haut de l’arc fessier), ils ne doivent pas être exhibés
ou, autrement dit, on doit les couvrir»49. Ici, l’employeur exige la dissimulation du tatouage
qui apparaît à certains endroits dits intimes ou à connotation sexuelle. Cette restriction se
fonde essentiellement sur des motifs de décence et d’exemplarité à l’égard des jeunes, afin
d’éviter d’attirer l’attention tant sur le tatouage que sur la partie du corps concernée. Le juge
estime que l’objectif est sérieux et important, la restriction rationnellement liée à l’objectif et
minimale puisque seules certaines parties du corps sont visées. Finalement, l’inconvénient
de dissimuler n’est pas disproportionné par rapport à l’importance de l’objectif.
Dans une autre affaire, une policière arborait un nouveau tatouage. Situé sur l’ensemble
de la face externe de la main droite allant du poignet aux jointures des doigts, il représente
une tête de mort dont les orbites et la cavité nasale sont prédominantes. «  Cette image
portée de façon visible sur la main devient celle du service de police, et l’employeur est
en droit de vouloir préserver son image »50. Le visage et la main sont les premiers contacts
du policier avec le citoyen. Parce que la tête de mort est associée à la criminalité et à la
violence, ce tatouage contrevient à la directive de l’employeur et peut affecter la confiance,
la considération et le respect des citoyens. L’employeur exige donc de le couvrir avec
un gant de cycliste lorsqu’elle est en contact avec les citoyens, un inconvénient majeur
à ses yeux, car il instaure un climat de méfiance pour certains citoyens tandis que, pour
la population marginalisée, la vue de son tatouage crée au contraire une proximité qui
facilite le contact. Dès lors, le juge estime que la mesure imposée (port du gant) n’est
pas proportionnée. Il reviendra donc aux parties de trouver une solution pour couvrir
le tatouage sans les inconvénients relatés, car ils aboutissent tous deux à une perte de
confiance de la population envers le corps policier.
Outre le camouflage, d’autres mesures d’accommodement sont-elles envisageables?
Dans l’affaire STL51, le chauffeur a tatoué son visage et son geste quasi irréversible a
conduit l’employeur à proposer deux solutions : celle d’enlever le tatouage, ou d’assigner
le chauffeur à d’autres fonctions. En l’espèce, le juge n’envisage aucune des deux solutions
dans la mesure où la première présente trop d’inconvénients et la deuxième ne peut
s’imposer vu l’absence de diligence de l’entreprise. En effet, la mesure d’accommodement
ne peut le priver de son travail de chauffeur, alors même que l’entreprise aurait dû imposer
une politique en amont.

Conclusion
Aujourd’hui le tatouage est devenu un trait de l’apparence physique des plus communs.
Il s’invite sur la plage, dans les bars, mais aussi au travail. Dans un tel contexte, les analyses
règlementaire et jurisprudentielle révèlent les droits et libertés fondamentaux du salarié

48 Ibid., note 30.


49 Id., § 188.
50 Id., §116.
51 Ibid., STL, note 8, § 123.

22 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


QUÉBEC

susceptibles d’être atteints, et le test rigoureux auquel doit se soumettre l’employeur


lorsqu’il décide d’y porter atteinte. À l’issue de cette étude, trois constats peuvent être
dégagés.
La jurisprudence a accompagné l’évolution sociétale et révèle à ce titre l’exercice
« prudent d’un pouvoir créatif [celui des juges], considéré comme légitime et nécessaire
pour l’évolution de la société »52.
En dépit de ce premier constat positif, il faut relever le silence souvent gênant des
décideurs autour du fondement juridique du droit de l’employeur de contrôler l’apparence
physique des salariés, et ce même si plusieurs travaux doctrinaux s’y attaquent.
Finalement, l’entièreté des cas de jurisprudence analysés dans cette étude concerne
des travailleurs protégés par des conventions collectives, preuve qu’en contexte non
syndiqué, il peut être périlleux de faire valoir ses droits. Et que dire des candidats tatoués
éconduits et de la persistance des stéréotypes et des stigmas attestée par la littérature53?
La jurisprudence reste aussi silencieuse à leur propos, signe que le droit doit encore
apprivoiser et combattre ces silences.

52 L. Lebel, L’art de juger, B. Melkevik (dir.), Collection Dikè, Québec, PUL, 2019, p. 24.
53 A. R. Timming, «  Visible Tattoos in the Service Sector: A New Challenge to Recruitment and
Selection », 2015, vol. 29, n°1, Work, Employment and Society, p. 60.

RDCTSS - 2020/2 23
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

L’UTILISATION DES RÉSEAUX SOCIAUX


PAR LES SALARIÉS EN AUSTRALIE

Gabrielle Golding
Maître de conférences, Université d’Adélaïde, membre du groupe de recherche
sur la réglementation du travail et de l’emploi, et du groupe de recherche en
droit commercial de la faculté de droit d’Adélaïde

RÉSUMÉ
Cet article fait le point sur la récente jurisprudence australienne concernant le licenciement
d’employés en raison de leur comportement en dehors des heures d’ouverture sur les
réseaux sociaux. Il examine également la justification d’une éventuelle modification de la
loi régissant ces licenciements en Australie.

Mots-clés  : Comportement en dehors des heures d’ouverture, médias sociaux,


licenciement, action défavorable, Droit du travail australien

ABSTRACT
This article provides an update on recent Australian case law concerning the dismissal of
employees by reason of their out-of-hours conduct on social media. It also considers the
rationale for potential change to the law governing such dismissals in Australia.

Key words: Out-of-hours Conduct, Social Media, Dismissal, Adverse Action,


Australian employment law

24 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


AUSTRALIE

D
ans une société constamment connectée, où l’Internet joue un rôle de
premier plan, il n’est pas étonnant que l’utilisation des réseaux sociaux par
les salariés en Australie ait pu poser des problèmes à leurs employeurs,
d’autant plus lorsque cette activité peut motiver un licenciement. La présente
étude présente une analyse de la jurisprudence récente sur l’utilisation
des réseaux sociaux par les salariés, en dehors des heures de travail, et du licenciement
susceptible d’en découler. Cet article s’intéresse aussi aux arguments exprimés en faveur
d’une modification de la loi qui régit actuellement ces licenciements.

L’utilisation quotidienne des réseaux sociaux a pris une ampleur suffisante pour que
l’on s’interroge : un employeur en Australie a-t-il le droit de licencier un salarié au regard
de ses dires ou agissements sur les réseaux sociaux, même si ceux-ci ont eu lieu durant
son temps libre ? La réponse à cette question est tout simplement positive notamment
si l’employeur peut prouver que les actions de ce salarié nuisent à l’image de l’entreprise
(I)1. Les licenciements liés au comportement sur les réseaux sociaux en dehors des heures
de travail sont réglementés en Australie, à la fois par la loi comme par les politiques et les
Codes de conduite mis en place par les employeurs en la matière.
Malgré cette apparente simplicité, les récents développements judiciaires rendent la
réponse à cette question un peu plus complexe, selon la nature du contenu qu’un salarié
choisit de communiquer sur les réseaux sociaux (II). Ces décisions judiciaires et l’analyse
de la jurisprudence des 12 derniers mois montrent que les réseaux sociaux font désormais
partie intégrante de la vie quotidienne en Australie, les employeurs, la loi et les tribunaux
du travail essayant constamment de s’adapter à cette évolution.
Plus important encore peut-être, et alors que l’Australie ne dispose pas de Déclaration
des droits de l’homme, la Haute Cour australienne a récemment découvert que la liberté
de communication politique est implicite dans la Constitution australienne, mais ce n’est
pas un droit individuel. Si la Constitution protège la communication politique, c’est pour
défendre les intérêts de l’Etat, dans son ensemble2. La décision rendue dans l’affaire
Comcare v. Banerji en constitue un bon exemple3.
Plusieurs recommandations peuvent être formulées afin de modifier la loi australienne
concernant le licenciement motivé par l’utilisation des réseaux sociaux en dehors des
heures de travail. La principale recommandation consiste à établir des limites plus claires
quant au pouvoir de l’employeur, par exemple via une politique ou un Code de conduite
en matière de réseaux sociaux.

1 Voir, par exemple, Rose v Telstra Corporation [1998] AIRC 1592 (Rose), [30].
2 [2019] HCA 23, [20].
3 [2019] HCA 23 (Banerji).

RDCTSS - 2020/2 25
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

Certes, il existe déjà des études relatives au licenciement abusif et à la conduite des
salariés sur les réseaux sociaux en dehors des heures de travail4. Toutefois, il ne semble
pas y avoir d’analyse jurisprudentielle récente des décisions étudiées dans cet article,
alors que ces développements pourraient délimiter plus clairement le contrôle exercé par
l’employeur en matière de réseaux sociaux.

I - LA RÉGLEMENTATION DU COMPORTEMENT SUR LES RÉSEAUX


SOCIAUX EN DEHORS DES HEURES DE TRAVAIL
Il existe un certain nombre de voies permettant à un salarié en Australie de demander
réparation en cas de licenciement abusif lié à son comportement sur les réseaux sociaux en
dehors du travail en faisant appel au juge (A) ou en s’appuyant sur les politiques ou codes
de conduite des entreprises (B).

A - Les recours juridiques


Le droit du travail australien exige qu’un salarié coopère avec son employeur5 et ne se
livre à aucun comportement susceptible de nuire aux activités ou à l’image de son entreprise6.
Il s’agit là de conditions fondamentales de droit commun, comprises implicitement dans le
contrat de travail de tout salarié7. De plus en plus souvent, les tribunaux australiens du
travail en sont venus à interpréter ces principes de manière à permettre aux employeurs de
contrôler le comportement des salariés en dehors des heures de travail8.
Sur la base de ces conditions implicites, le licenciement d’un salarié pourrait être légal
s’il publiait sur Facebook des commentaires désobligeants concernant son employeur, à
condition que celui-ci puisse prouver qu’il existe un « lien suffisant » avec son emploi9. Ce
lien existerait même dans le cas où, par exemple, une publication apparemment « privée »
sur Facebook nuirait à la réputation de l’employeur10.
Ainsi, Fair Work Australia - désormais appelée Fair Work Commission (Commission
du travail équitable)11 - a validé le licenciement d’un salarié en raison de commentaires
publiés sur Facebook à propos de ses collègues, l’une de ses remarques pouvant même
être interprétée comme une menace12.

4 Voir L. Thornwaite, « Social Media and Dismissal: Towards a Reasonable Expectation of Privacy? »,


2018, n°60,  JIR, p. 119; L. Thornwaite, «  Social Media, Unfair Dismissal and the Regulation of
Employees », Conduct Outside Work’, 2013, n°26, AJL, p. 164.
5 Voir Commonwealth Bank of Australia v. Barker (2014) 253 CLR 169, [25]-[27].
6 Voir R W Jaksch & Associates Pty Ltd v. Hawks [2005] VSCA 307, [60]-[72].
7 Ces conditions sont implicites dans la classe des contrats de travail, tant qu’elles sont nécessaires :
voir G. Golding, « Terms Implied by Law Into Employment Contracts: Are they Necessary? », 2015,
n°28, AJLL, p. 113.
8 Voir A. Stewart, Stewart’s Guide to Employment Law, 5e éd., Federation Press, 2015, p. 261.
9 Voir par exemple Rose, [30].
10 Voir Fitzgerald v. Smith t/as Escape Hair Design [2010] FWA 7358, [50].
11 Voir Explanatory Memorandum, Fair Work Amendment Bill 2012 (Cth), p.1 et 9.
12 Voir O’Keefe v. Williams Muir’s Pty Limited T/A Troy Williams The Good Guys [2011] FWA 5311, [42]-
[43].

26 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


AUSTRALIE

Pourtant, la Commission a jugé, dans une autre affaire, qu’un employeur avait
injustement licencié un salarié ayant tenu des commentaires « grossiers et vulgaires » sur
Facebook, car lesdites remarques concernaient l’entreprise où travaillait sa mère, et non la
sienne13. Il n’y avait donc pas de « lien suffisant » avec son emploi.
Toute plainte pour licenciement abusif suppose que la Commission examine au cas par
cas les agissements du salarié et détermine si, dans l’ensemble, il a été traité équitablement
en termes de procédure et de règles substantielles14. Si ce salarié obtient gain de cause
dans une plainte pour licenciement abusif, il pourra recevoir jusqu’à 6 mois de salaire à titre
d’indemnisation15. La réintégration est théoriquement le mode de réparation « privilégié »16,
mais elle est rarement accordée puisque, le plus fréquemment, la relation entre l’employeur
et le salarié a été brisée de façon irrémédiable17.
Lorsqu’un salarié est licencié pour avoir exprimé une opinion politique sur les réseaux
sociaux, il peut par ailleurs intenter une action en justice en vertu de la loi sur le travail
équitable18. Néanmoins, une telle action ne peut être engagée simultanément avec une
plainte pour licenciement abusif, le salarié peut envisager l’une ou l’autre, mais pas les
deux19. S’il n’existe pas de limite au montant de l’indemnité pouvant être octroyée en
réparation des dommages subis, en revanche un salarié doit toujours prouver le préjudice
dont il a souffert20.
Par ailleurs, il doit apporter la preuve que son employeur a pris des mesures qui lui
étaient préjudiciables en mettant fin à son emploi, et que son licenciement était en réalité
motivé par ses opinions politiques21. S’il peut le démontrer, la charge de la preuve est
renversée et il incombe alors à l’employeur d’établir que les opinions politiques du salarié
n’ont joué aucun rôle dans la décision de le licencier22.
En cas de procédure pour licenciement abusif, un employeur peut essayer de contester
cette accusation en faisant valoir que le seul motif du licenciement était la violation d’une
politique de l’entreprise, et non le contenu d’une activité du salarié sur les réseaux sociaux23.
Dans ce contexte, on peut imaginer qu’il devrait y avoir une limite à l’étendue du
pouvoir de contrôle exercé par l’employeur ou par le biais d’une politique d’entreprise, sur

13 Voir Somogyi v LED Technologies Pty Ltd [2017] FWC 1966, [39].


14 Fair Work Act 2009 (Cth) (FW Act), p. 385. Sur les critères d’éligibilité d’une telle demande, voir
Stewart, n°8, p. 366. Il importe de noter qu’il existe toute une gamme de possibilités offertes aux
salariés pour contester leur licenciement en vertu de la législation nationale et fédérale et de la
Common Law. Voir par exemple Stewart, n°8, p. 360.
15 Ibid., p. 392(1).
16 Ibid., p. 391(1).
17 Voir E. Shi et F.N. Zhong, Rethinking the Reinstatement Remedy in Unfair Dismissal Law, 2018, 39,
Adel L R, p. 363.
18 FW Act s 351(1).
19 Ibid., p. 725.
20 Ibid., p. 550(1).
21 Ibid., p. 361(1).
22 Ibid., p. 351(1)
23 Voir Browne v. Coles Group Supply Chain Pty Ltd [2014] FWC 3670, [62]. Un salarié peut également
prétendre avoir été victime de discrimination en vertu d’une loi anti-discrimination d’un Etat/
Territoire.

RDCTSS - 2020/2 27
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

des contenus qui ne sont pas liés à l’entreprise. Comme analysé ci-avant, cette question
n’est pas précisément tranchée par le droit australien et il n’existe pas encore de décision
judiciaire définitive à ce sujet.

B - Politiques internes et codes de conduite


Les employeurs cherchent souvent à étendre les obligations des salariés en vertu
du droit commun. A cet effet, ils élaborent des politiques internes et/ou des codes de
conduite, qui réglementent généralement les comportements à adopter sur les réseaux
sociaux. L’employeur est alors en mesure de sanctionner ou de licencier un salarié pour
comportement inapproprié, même en dehors du lieu ou des heures de travail, en particulier
lorsque celui-ci a signé un contrat dans lequel il s’engage à respecter ces politiques24.
Ainsi, les employeurs sont autorisés à sanctionner un salarié en raison d’une utilisation
inappropriée des réseaux sociaux, à condition d’avoir expliqué la politique interne en
vigueur et d’avoir dispensé une formation à ce sujet, sous quelque forme que ce soit25.
Néanmoins, un certain nombre de salariés ont intenté avec succès des procédures pour
licenciement abusif devant la Commission, affirmant qu’ils n’avaient pas compris que leurs
publications pouvaient être vues par le public26 ou qu’il était possible de les associer à leur
entreprise27.
A plusieurs reprises, les tribunaux ont jugé qu’une violation d’une politique interne
relative aux réseaux sociaux pouvait justifier un licenciement, mais les employeurs ne sont
toutefois pas autorisés à appliquer une politique qui s’étende aux affaires privées, sans lien
avec le lieu de travail ou les affaires de l’employeur28.

II - LES DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS


Sont ici examinées quatre décisions sur des procédures de licenciement abusif datant
des douze derniers mois, dans lesquelles les salariés contestaient un licenciement motivé
par leur comportement sur les réseaux sociaux en dehors des heures de travail.
Dans tous les cas sauf un, le licenciement a été validé au motif que le comportement
de ces salariés présentait un lien suffisant avec leur emploi. Dans chaque cas, l’employeur
avait mis en place une politique interne et les salariés n’ont pas réussi à contester la portée
et les limites de cette politique. Néanmoins, et comme cela a été suggéré ci-dessus, il est
possible que cela se produise à l’avenir.

24 Voir Chittick v. Ackland (1984) 53 ALR 143.


25 Voir Romero v. Farstad Shipping (Indian Pacific) Pty Ltd (2014) 231 FCR 403, [60].
26 Voir Linfox Australia Pty Ltd v. Glen Stutsel [2012] FWAFB 7097.
27 Voir Dover-Ray v. Real Insurance Pty Ltd [2010] FWA 8544.
28 Voir Kolodjashnij v. Lion Nathan T/A J Boag and Son Brewing Pty Ltd [2009] AIRC 893, [52].

28 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


AUSTRALIE

A - L’affaire Tracey v. BP Refinery (Kwinana) Pty Ltd29


Dans l’affaire Tracey, un technicien a été renvoyé sans préavis en janvier 2019 après
avoir publié une vidéo intitulée « Hitler Parody EA Negotiations » (parodie d’Hitler dans la
négociation des accords d’entreprise), accessible par un groupe Facebook fermé réservé
aux salariés.
Cette vidéo consistait en un montage, réalisé à partir de « La Chute » - un film allemand
sorti en 2004 - consacré aux derniers jours de la vie d’Hitler, qui mettait en scène les
négociations entre les représentants de salariés et les dirigeants de l’entreprise.
En validant le licenciement du technicien, la vice-présidente Binet a rejeté l’argument
du salarié selon lequel la vidéo « humoristique » visait à « remonter le moral » des collègues
au moment où, après 16 mois de négociations d’entreprise, l’employeur demandait la
résiliation d’un accord ayant expiré.
La Vice-présidente Binet n’a pas jugé que la création et le partage de la vidéo avec
d’autres salariés puissent être considérés comme «  une plaisanterie  » ou comme «  une
façon de dédramatiser  » d’interminables négociations, relevant qu’il était difficile de
concevoir que le technicien puisse ne pas comprendre que cette vidéo était « insultante
et inappropriée ». La Vice-présidente a estimé que le simple fait de « cataloguer quelque
chose comme une parodie  n’excusait pas tout et n’importe quoi  » et ne signifiait pas
nécessairement que ce n’était « pas insultant »30.
Au cours des échanges, l’employeur a déclaré à la Commission que « la vidéo semblait
dépeindre un certain nombre de [ses] salariés comme des nazis et faisait référence à des
informations très précises concernant ce qui se passait (…) à l’époque et aux négociations
en cours (…) sur les accords d’entreprise  ». La vidéo contenait notamment des phrases
« utilisées par les salariés tout au long du processus de négociation » et faisait référence à
une « série de présentations » effectuées durant les négociations.
Le technicien a reconnu avoir partagé la vidéo sur Facebook avec un groupe
de collègues et avec d’autres collègues au sein de l’entreprise, affirmant néanmoins
que son contenu avait été «  créé par son épouse, de sa propre initiative ». Toutefois, la
Vice-présidente a rejeté le témoignage de l’épouse du salarié à l’appui de cette affirmation,
estimant « [qu’elle] n’était pas en mesure d’expliquer bon nombre des paroles et concepts
de la vidéo qu’elle prétendait avoir créée »31.
La Vice-présidente a exprimé son accord avec l’employeur sur le fait qu’en synchronisant
le discours d’Hitler avec les mots prononcés par ses cadres dirigeants, « la vidéo suggère
une similitude »32.

29 [2019] FWC 4113.


30 Ibid., [99].
31 Ibid., [13].
32 Ibid., [84].

RDCTSS - 2020/2 29
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

Par ailleurs, elle s’est appuyée sur des décisions antérieures dans lesquelles un
salarié avait «  fait référence, ou comparé son employeur, à Hitler ou au régime nazi »33,
ainsi convaincue que toute personne raisonnable jugerait la vidéo sur Hitler inappropriée,
insultante, et contraire aux politiques en vigueur dans l’entreprise34.
Concluant que le licenciement du technicien était dûment motivé, la vice-présidente
a estimé que sa conduite démontrait une « brèche affectant les fondements de sa relation
de confiance et de respect avec son employeur  »35. Bien que le technicien ait exprimé
des remords, « étant donné son manque de discernement », il était donc « probable qu’il
entrerait de nouveau en conflit avec son employeur ».
Finalement «  compte tenu du lourd impact émotionnel et financier du licenciement
sur [le technicien] et sa famille, et [eu égard au] paiement d’une indemnité tenant lieu de
préavis (…) son licenciement n’était ni trop sévère, ni injuste, ni déraisonnable »36.

B - L’affaire Murkitt v. Staysafe Security T/A Alarmnet Monitoring37


Contrairement à l’affaire Tracey, la Commission a jugé dans l’affaire Murkitt que
l’entreprise Alarmnet avait réagi de manière excessive en congédiant une salariée de
longue date pour une violation isolée de sa politique en matière de réseaux sociaux,
alors qu’elle avait publié des commentaires désobligeants sur Facebook concernant les
administrateurs de l’entreprise.
Selon les témoignages entendus par le Commissaire Platt, cette ancienne opératrice de
salle de contrôle travaillait pour Alarmnet depuis près de 15 ans lorsqu’elle s’est exprimée
sur Facebook, en février 2019, exprimant sa frustration à l’égard des nouveaux propriétaires
de l’entreprise. Dans sa publication, elle décrivait son poste comme « ingrat », regrettant
que les administrateurs « ne se soucient ni des clients, [ni] de leur personnel», exprimant
sa tristesse en ces termes  : «  Mes chers Adélaïdediens (sic), j’adore Adélaïde. Ces trois
Victoriens sont arrivés et ont tout changé »38.
La salariée, qui percevait des indemnités pour accident du travail lorsqu’elle a publié
ces commentaires, a témoigné qu’elle souffrait d’une blessure psychologique attribuée,
selon des certificats médicaux, à l’attitude de la direction de son entreprise. En outre, elle
a déclaré à la Commission qu’elle était bouleversée par la manière dont les nouveaux
administrateurs avaient géré le décès récent d’un salarié et par le fait qu’ils n’avaient pas
suffisamment soutenu les travailleurs après l’incident39.

33 Ibid., [101]-[104].
34 Ibid., [105].
35 Ibid., [200].
36 Ibid., [207]-[208].
37 [2019] FWC 5622.
38 Ibid., [25].
39 Ibid., [55].

30 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


AUSTRALIE

Pour sa part, Alarmnet a affirmé avoir tenu compte de l’état de santé de la salariée lors
de l’examen de sa faute, mais que dans la mesure où elle n’assumait pas la responsabilité de
ses actes, son licenciement sans préavis était le résultat approprié. La société a déclaré que
la salariée était informée de sa politique en matière de réseaux sociaux, que sa conduite
était délibérée et qu’elle n’exprimait aucun remord.
De plus, cette publication sur Facebook attaquait l’entreprise, ses directeurs et le
service qu’elle proposait. Enfin, la salariée avait perdu la faveur de son employeur dès
lors qu’elle a envoyé un message signifiant son intention de « régler les choses » avec le
membre du personnel ayant « divulgué » ses commentaires aux « patrons »40.
La Commission a également entendu des témoignages selon lesquels elle avait adressé
au chef d’entreprise d’Alarmnet, et à d’autres salariés, « un grand nombre » de courriels de
« harcèlement et d’intimidation » après son licenciement41. D’après la salariée en revanche,
sa publication sur Facebook n’avait pas affecté financièrement Alarmnet et elle considérait
avoir été licenciée en raison de sa demande d’indemnités pour accident du travail42.
Au final, le Commissaire Platt a conclu que le licenciement de la salariée était une
réponse disproportionnée au regard de son état de santé préexistant, estimant toutefois
que les preuves visant à étayer la thèse d’un licenciement pour éviter de verser les
indemnités d’accident du travail étaient insuffisantes, et que la conduite de la salariée
constituait effectivement un motif valable de licenciement43.
Cependant, l’employeur avait traité trop durement la faute de la salariée dans la mesure
où « la sanction du licenciement, à la lumière de [son] état de santé, de son ancienneté, de
l’absence de problème dans ses performances jusque-là, était hors de proportion avec
la faute »44. Le Commissaire a poursuivi en déclarant que si l’état de santé de la salariée
n’excusait pas sa conduite, il l’expliquait « dans une certaine mesure ». Il a ainsi tenu compte
du fait que cette publication était « un événement isolé » et « n’avait causé aucun préjudice
financier » à Alarmnet, mais il a admis que cela causait une « perturbation » sur le lieu de
travail45.
Lors de l’évaluation de l’indemnisation, la Commissaire Platt a estimé que le versement
d’une indemnisation ne s’imposait pas car, en tout état de cause, la salariée « n’aurait pas
continué à travailler pour Alarmnet si elle n’avait pas été licenciée ». Elle percevait également
des indemnités pour accident du travail et avait commis une faute46.

40 Ibid., [25].
41 Ibid., [26].
42 Ibid., [20].
43 Ibid., [44].
44 Ibid., [55].
45 Ibid.
46 Ibid., [80].

RDCTSS - 2020/2 31
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

C - L’affaire Banerji
Dans l’affaire Banerji, la Haute Cour a déclaré fondé un appel contre un jugement selon
lequel le ministère de l’immigration et de la citoyenneté avait abusivement licencié une
salariée qui avait publié plus de 9000 tweets via le compte Twitter « @LaLegale »47.
En 2013, le ministère avait licencié Mme Banerji pour des tweets anonymes critiquant le
gouvernement australien, les politiques d’immigration de l’opposition, les parlementaires,
ainsi que son supérieur hiérarchique direct, et dénonçant également son échec à l’obtention
d’un emploi extérieur en tant que psychanalyste.
Dans une décision de première instance rendue en août 2014, un agent de Comcare
a rejeté sa demande d’indemnisation motivée par un état psychologique susceptible
d’être aggravé par le licenciement, jugeant que le préjudice n’était pas constitué dans la
mesure où le ministère avait pris à son encontre des mesures administratives raisonnables,
appliquées de manière raisonnable48.
Mme Banerji a alors interjeté appel devant le Tribunal d’appel administratif (AAT) qui
a jugé que son licenciement empiétait sur ses droits constitutionnels implicites, qu’il ne
répondait pas au critère des «  mesures administratives raisonnables » et qu’il présentait
« une ressemblance désagréable avec le crime de pensée de George Orwell »49. L’AAT a
conclu que, la loi sur la fonction publique de 1999 (Cth) imposant une restriction injustifiée
à la liberté implicite de communication politique, son licenciement pour violation du code
de conduite de la fonction publique australienne (APS) n’était pas une action administrative
raisonnable, menée de manière raisonnable50.
Cependant, la décision de l’AAT a été infirmée par la Haute Cour qui a confirmé la
décision de 2014 du responsable de Comcare, jugeant que « les dispositions contestées
[de la loi] n’imposaient pas une restriction injustifiée à la liberté implicite de communication
politique » et que le licenciement de Mme Banerji était légitime51.
Dans leur jugement conjoint, le juge en chef Kiefel, les juges Bell, Keane et Nettle ont
estimé qu’il était «  hautement souhaitable, sinon essentiel au bon fonctionnement d’un
système de gouvernement représentatif et responsable  », que les gouvernements de
tous bords « aient confiance en la capacité de la fonction publique australienne de fournir
des conseils professionnels d’une qualité et d’une impartialité parfaites »52. En outre, ils
ont jugé que les gouvernements devaient également pouvoir compter sur une « fonction
publique australienne [mettant] fidèlement et professionnellement en œuvre la politique
gouvernementale, quelles que soient les convictions et les choix politiques personnels des
fonctionnaires »53.

47 Banerji, [2].
48 Ibid., [11].
49 Banerji and Comcare (Compensation) [2018] AATA 892, [116].
50 Ibid., [128].
51 Banerji, [1].
52 Ibid., [34].
53 Ibid.

32 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


AUSTRALIE

Par ailleurs, la liberté implicite de communication politique n’apparaissait pas comme


« un droit personnel à la liberté d’expression », mais plutôt comme une restriction du pouvoir
législatif susceptible de s’étendre uniquement « pour préserver et protéger un système de
gouvernement représentatif et responsable »54.
S’agissant de l’argument de Mme Banerji selon lequel ces dispositions ne devraient
pas concerner les communications « anonymes », les juges Kiefel, Bell, Keane et Nettle ont
estimé qu’il « devait être rejeté », étant donné le risque qu’elles « cessent d’être anonymes et
portent alors atteinte à l’intégrité et à la bonne réputation de l’APS en tant que service public
apolitique et professionnel »55. La majorité a également jugé qu’une telle communication
« peut nuire à la bonne réputation de l’APS même si elle reste anonyme »56.
En conclusion, la Haute Cour a infirmé la décision de l’AAT et confirmé la décision
de 2014 de Comcare, condamnant Mme Banerji aux dépens au profit de Comcare57. En
rendant ces ordonnances, le tribunal a été convaincu que les dispositions du code de
conduite de la fonction publique australienne étaient raisonnablement appropriées et
proportionnées, et n’imposaient pas une restriction injustifiée à la liberté implicite de
communication politique58.

D - L’affaire Fussell v. Transport for nsw t/a Transport for nsw59


L’affaire Fussell concernait la légitimité du licenciement d’un salarié qui affirmait avoir
accidentellement envoyé une photo de son pénis en érection à une collègue via, en
dehors des heures de travail. En effet, cet agent de sécurité ferroviaire a déclaré qu’il avait
l’intention d’envoyer à sa collègue l’image d’un nouveau tatouage sur son bras, mais avait
commis une « erreur de bonne foi » en lui envoyant l’image incriminée60.
Le salarié a déclaré au Vice-président Bull de la Commission qu’il s’était immédiatement
excusé d’avoir envoyé l’image en question, mais que sa collègue l’avait conservée en
prenant une «  capture d’écran  » et en la transmettant à d’autres salariés, exprimant son
dégoût devant son comportement.
Elle s’était également plainte auprès d’un supérieur, en déclarant ne l’avoir «  ni
demandé, ni souhaité  »61. La salariée a également fait part aux enquêteurs de son
inquiétude concernant les contacts à venir avec son collègue, lorsqu’elle reprendrait son
travail au terme de son congé de maternité62.

54 Ibid., [20].
55 Ibid., [36].
56 Ibid.
57 Ibid., [47].
58 Ibid., [41].
59 [2019] FWC 1182.
60 Ibid., [16].
61 Ibid., [61].
62 Ibid., [109].

RDCTSS - 2020/2 33
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

Après avoir pris connaissance de l’image, l’employeur a suspendu l’agent le temps qu’il
mène une enquête, puis l’a licencié pour avoir enfreint le code de conduite et la politique
interne de l’entreprise en matière d’intimidation, de harcèlement et de réseaux sociaux63.
L’agent de sécurité a expliqué en partie la présence de cette image sur son téléphone grâce
à une lettre de sa nouvelle partenaire, affirmant qu’ils « avaient une relation très visuelle et
partageaient souvent des images à caractère personnel et privé »64.
Néanmoins, le Vice-président Bull a conclu que l’agent avait délibérément envoyé
l’image et que ses tentatives pour prétendre le contraire « exigeraient une crédulité sortant
de l’ordinaire »65. L’envoi de cette image « avait peut-être été une erreur ponctuelle », mais
« d’une grossièreté aussi extrême qu’il est possible de l’être »66. Le Vice-président a jugé
que ce comportement en dehors des heures de travail était en rapport avec l’emploi de
l’agent puisqu’il enfreignait les politiques internes de l’employeur en matière de réseaux
sociaux, s’appliquant à toutes les interactions des salariés avec leurs collègues67. Il a déclaré
qu’il trouvait que le comportement de l’agent justifiait une rupture de la relation68 ; l’envoi
de l’image enfreignait les politiques de l’employeur et constituait un motif valable de
licenciement69.
Si le Vice-président Bull a admis que l’employeur avait «  malheureusement et de
manière surprenante  » utilisé une procédure inappropriée dans la présentation de ses
conclusions à l’agent de sécurité, celui-ci avait finalement eu la possibilité de présenter
l’intégralité de son dossier, à la fois au sein de l’organisation et devant la Commission70. Par
conséquent, son licenciement était légitime et n’était ni excessivement sévère, ni injuste, ni
déraisonnable71.

Conclusion
Ces affaires démontrent qu’il existe une tension continue entre le droit à au respect ce
la vie privée du salarié et l’utilisation des médias sociaux qui peut - ou non - être considérée
comme en lien avec son emploi.
Compte tenu de la tension illustrée dans ces affaires, il serait assurément indispensable
que des limites soient apportées au pouvoir de l’employeur de restreindre les droits
fondamentaux des salariés, dès lors que ceux-ci sont exercés sans aucun lien manifeste
avec les affaires de l’employeur ou avec l’entreprise.

63 Ibid., [78].
64 Ibid., [22].
65 Ibid., [101].
66 Ibid., [135].
67 Ibid., [108].
68 Ibid., [110].
69 Ibid.
70 Ibid., [120].
71 Ibid., [137].

34 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


AUSTRALIE

Il ressort en particulier des conclusions de la Haute Cour dans l’affaire Banerji, qu’un
employeur ne devrait pas être en mesure d’empêcher ses salariés de faire du lobbying, ou
de critiquer les politiques ou les lois gouvernementales sans rapport avec son travail.
Etant donné qu’en Australie, il n’existe pas de Déclaration des droits de la personne pour
protéger le droit individuel à la liberté d’expression, et qu’aucune disposition législative
spécifique ne protège le droit d’un individu d’exprimer ses opinions, il paraît nécessaire
de définir plus clairement les limites du pouvoir des employeurs, en tenant compte de ces
lacunes.
L’existence d’une politique interdisant certains comportements sur les réseaux sociaux
en dehors des heures de travail ne devrait pas suffire à justifier un licenciement lorsque ces
comportements se produisent.
La gravité des comportements en question devrait être systématiquement examinée et
il conviendrait de définir plus précisément l’étendue du pouvoir de contrôle de l’employeur
sur les communications sans rapport avec l’entreprise et en dehors des heures de travail.

RDCTSS - 2020/2 35
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

LA RÉGLEMENTATION EN MATIÈRE
DE DÉPISTAGE DES DROGUES SUR LE LIEU
DE TRAVAIL EN NOUVELLE-ZÉLANDE

Peter Upson
Membre du Comité de la New Zealand Labour Law Association

RÉSUMÉ
En Nouvelle-Zélande, la réglementation régissant le dépistage des drogues en milieu de
travail est trop intrusive et empiète sur la vie privée des travailleurs. Dans certains secteurs
spécifiques à haut risque, il est aujourd’hui possible de réaliser, de manière aléatoire,
des tests de dépistage préalables à l’emploi, à la condition toutefois qu’il existe un motif
raisonnable de soupçonner l’usage de drogues, ou à la suite d’un incident lié à la santé et à
la sécurité. La New Zealand Drug Foundation a suggéré une réforme de la réglementation
actuelle. Un examen de la jurisprudence en la matière semble étayer cette position.

Mots-clés : Dépistage des drogues sur le lieu de travail, vie privée, altération des
facultés, santé et sécurité, libertés civiles

ABSTRACT
The regulations governing workplace drug testing are overly intrusive into the personal
lives of workers. Currently drug testing can take place in pre-employment, at random in
specific high risk industries, if there is reasonable cause to suspect drug use and following
a health and safety incident. The New Zealand Drug Foundation has suggested that the
current regulations should be reformed. An examination of the relevant case law supports
this position.

Key words: Workplace Drug Testing, Privacy, Impairment, Health and Safety, Civil
Liberties

36 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


NOUVELLE-ZÉLANDE

L
a question du dépistage des drogues sur le lieu de travail est très controversée
dans la législation néo-zélandaise. En effet, il s’agit d’un conflit entre les droits et
les responsabilités des uns et des autres, en l’occurrence le droit d’une personne
de garder confidentielles ses décisions privées (y compris le droit d’utiliser
des drogues à usage récréatif) par rapport à la responsabilité de l’employeur
d’assurer un lieu de travail sûr.

Dans un article intitulé «  Le dépistage des drogues n’est pas toujours la réponse  »,
la New Zealand Drug Foundation estime que la réglementation actuelle concernant le
dépistage des drogues sur le lieu de travail est défectueuse : « Le dépistage des drogues
sur le lieu de travail n’améliore pas toujours la sécurité au travail, il peut être insuffisant
pour détecter l’altération des facultés et il est très invasif (...). La réduction des déficiences
sur le lieu de travail, plutôt que de la consommation de drogues, devrait être l’objectif
principal. Cela ne peut se faire qu’à travers une gestion de la qualité, une culture consistant
à signaler les risques en matière de santé et de sécurité, et un système encourageant les
gens à s’exprimer s’ils remarquent un problème ou constatent qu’une personne n’est pas
dans son état normal »1.
En droit néo-zélandais, les dispositions relatives aux tests de dépistage sur le lieu de
travail se trouvent dans les articles 30 à 46 du Health and Safety at Work Act (la loi sur la
santé et la sécurité au travail)2. Cette loi remplace le Health and Safety in Employment Act,
qui régissait auparavant les tests de dépistage sur le lieu de travail3.
S’il peut sembler étrange que ces réglementations ne soient pas incluses dans la
législation sur les relations de travail, cela est notamment dû au fait que la toxicomanie
au travail est considérée comme un risque professionnel et a donc été regroupée avec
d’autres risques en matière de santé et de sécurité4.
Après avoir analysé la jurisprudence néo-zélandaise (I) des propositions de réformes
légales seront présentées (II).

1 « Drug testing isn’t always the answer », New Zealand Drug Foundation: https://www.drugfoundation.
org.nz/info /at-work/drug-testing/
2 Health and Safety Act, 2015, p. 30.
3 Health and Safety in Employment Act, 1992.
4 A. Green, J. Green et J. Heron, Laws of New Zealand, Liquor Law (édition en ligne) [282].

RDCTSS - 2020/2 37
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

I - LA JURISPRUDENCE NÉO-ZÉLANDAISE
Chacune des affaires suivantes aborde un point de droit essentiel dans la réglementation
actuelle du dépistage des drogues sur le lieu de travail en Nouvelle-Zélande. Cependant,
deux questions principales sont récurrentes :
- d’une part, celle très controversée de la réglementation liée au lieu de travail,
- d’autre part, celle du des employeurs qui outrepassent fréquemment leurs pouvoirs en
réalisant des tests de dépistage des drogues au travail.

A - Refus d’un test de dépistage de drogue :


Parker v. Silver Fern Farms Ltd
Parker était un boucher, salarié dans une usine de traitement de la viande appartenant
à Silver Fern Farms. Alors que ses collègues et lui-même venaient d’arriver au travail, leur
employeur a demandé la permission de fouiller leurs voitures. Parker, comme les autres
salariés, ont consenti à cette perquisition.
Du cannabis a été retrouvé dans la voiture de Parker, ainsi que dans celles de plusieurs
autres de ses collègues. Invité à rester sur le site mais sans se mettre au travail, Parker s’est
plaint à son délégué syndical du stress qu’il ressentait et a quitté l’usine. Après consultation
de son médecin, il a obtenu un arrêt de travail d’un mois5.  Ses employeurs lui ont alors
indiqué qu’il ne serait pas licencié pour avoir conservé du cannabis dans sa voiture, mais
qu’il s’agissait là d’un dernier avertissement avant son renvoi.
En outre, ils ont également signifié à Parker qu’il l’obligerait à subir un test de dépistage
de drogue avant de pouvoir reprendre le travail, signifiant de la sorte qu’il était légitime
de lui faire passer le test de dépistage dans la mesure où le cannabis découvert dans sa
voiture constituait un motif raisonnable de soupçonner qu’il consommait des drogues.
Parker a refusé de subir le test de dépistage. Son employeur a alors mis fin à son contrat
avec Silver Fern Farms6.
Dans cette affaire, il a été jugé que le fait que Silver Fern Farms demande à Parker de
se soumettre à un test de dépistage était justifié, car cela protégeait la santé et la sécurité
du salarié lui-même et de ses collègues. Il a également été jugé que Parker n’avait pas
de raison valable de refuser de passer le test de dépistage. En vertu de son contrat de
travail, Parker s’était engagé à se conformer à la politique de Silver Fern Farm en matière de
drogue et d’alcool, qui prévoyait des tests de dépistage en cas de soupçons raisonnables
sur la consommation de drogue.
Par ailleurs, le refus de passer un test de dépistage était considéré comme une faute
grave dans le cadre de la politique de l’entreprise en matière de drogue et d’alcool.
Comme Parker en était déjà à son dernier avertissement en raison du cannabis trouvé dans
sa voiture, cet acte supplémentaire - constituant une faute grave - suffisait à justifier son
licenciement par Silver Fern Farms7.

5 Parker v. Silver Fern Farms Ltd [2009] ERNZ 301.


6 Ibid.
7 Ibid.

38 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


NOUVELLE-ZÉLANDE

L’arrêt du tribunal du travail contient le passage suivant, qui a eu une grande influence
sur les affaires ultérieures liées au dépistage des drogues. La Cour a ainsi déclaré : « Les
régimes de dépistage de drogue sur des salariés empiètent considérablement sur les
droits et libertés individuels. Non seulement les politiques, comme leur application, doivent
répondre aux critères juridiques et constituer des instructions licites et raisonnables données
aux salariés, mais lorsque celles-ci sont contenues dans des politiques promulguées par
l’employeur, elles doivent être interprétées et appliquées strictement »8.
Cette affaire a eu un impact important pour plusieurs raisons :
- d’une part, elle a confirmé que le dépistage des drogues doit figurer dans la politique de
l’employeur en matière de drogue et d’alcool si celui-ci souhaite avoir recours à des tests ;
- d’autre part, elle a démontré que la possession de drogue pouvait être un motif raisonnable
de soupçonner qu’un salarié en consomme lui-même. Plus important encore, elle a établi
que le refus de se soumettre, sans raison valable, à un test de dépistage pouvait constituer
une faute grave9.

B - Suffisance du motif : Sim v. Carter Holt Harvey Ltd et Hooper v.


Coca-Cola Amatil
1 - Sim v. Carter Holt Harvey Ltd
Carter Holt Harvey exploitait une scierie à Eves Valley. Suite à la découverte de
deux plants de cannabis poussant sur le site de la scierie, Carter Holt Harvey a demandé
aux 190 salariés du site de se soumettre à un test de dépistage de drogue. Le test de
dépistage effectué sur l’un de ces salariés, Sim, a donné un résultat négatif. En outre, il
n’existait aucune preuve indiquant que Sim avait planté le cannabis10.
Carter Holt Harvey a soutenu que la découverte des plantes lui donnait un motif
raisonnable de faire passer un test de dépistage à tous ses salariés. En l’occurrence, le
libellé exact de la clause relative au dépistage dans sa politique interne en matière d’alcool
et de drogues indiquait qu’il y aurait un motif raisonnable de faire un test de dépistage si
« l’apparence, les actions ou le comportement d’un salarié suggèrent qu’il peut être sous
l’influence de la drogue ou de l’alcool »11.
Or, l’Employment Relations Authority (ERA) a estimé qu’aucun des salariés du site n’avait
présenté les caractéristiques indiquant une consommation des drogues mentionnées dans
la politique interne de l’entreprise.
Par ailleurs, l’ERA a jugé que le critère du motif raisonnable ne pouvait être appliqué
qu’à un individu, et non à l’ensemble du personnel12. Le tribunal a déclaré : « Cela signifie
qu’avant qu’un test ne se produise, il doit y avoir un motif raisonnable pour que le défendeur
subisse ce test. Il doit y avoir un lien entre le motif raisonnable et le test, car le test est
considéré comme une manière de corroborer le motif raisonnable »13.

8 Parker v. Silver Fern Farms Ltd [2009] ERNZ 301, op. cit.
9 Ibid.
10 Sim v. Carter Holt Harvey Ltd [2014] NZERA 336.
11 Ibid.
12 Ibid.
13 Ibid.

RDCTSS - 2020/2 39
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

Cette affaire a établi les limites de ce qui constitue un motif raisonnable pour le
dépistage des drogues au travail, ce dernier ne pouvant être réalisé que si une personne
fait preuve d’un comportement qui suggère effectivement une consommation de drogue14.

2 - Hooper v. Coca-Cola Amatil


Hooper a été invité par son employeur à passer un test de dépistage de drogue au
travail. Le résultat indiquait une consommation de cannabis en grande quantité15. En vertu
de la convention collective dont dépendait Hooper, l’employeur pouvait effectuer un test de
dépistage s’il existait des motifs raisonnables de soupçonner les salariés de consommer de
la drogue. De ce fait, le dépistage aléatoire des drogues n’était pas prévu par la convention
collective16.
Lors de la réunion du conseil de discipline qui s’est tenue entre Hooper et l’entreprise,
l’intéressé a été informé qu’un enquêteur privé, engagé par l’entreprise, l’avait vu fumer
du cannabis et qu’un dénonciateur anonyme l’avait également accusé d’en consommer.
Cette information n’avait pas été préalablement communiquée à Hooper. Il fut finalement
licencié17.
Le tribunal du travail a jugé que l’employeur de Hopper n’avait pas de motif raisonnable
de le tester, ce que la société a elle-même reconnu par la suite. Fait important, le tribunal a
estimé que même si Hooper avait échoué au test de dépistage de drogues, cela ne signifiait
pas que l’entreprise avait le droit de lui faire subir un test sans soupçon raisonnable.
En outre, la Cour a jugé que la société avait commis une erreur en ne fournissant pas
à Hooper les éléments prouvant sa consommation de drogue préalablement à la réunion
du conseil de discipline18.

C - Les conditions du dépistage de drogues: NZ Amalgamated


Engineering Printing & Manufacturing Union Inc v. Air New
Zealand Ltd
Six syndicats ont enjoint Air New Zealand de ne pas effectuer des tests de dépistage
de drogue et d’alcool sur ses salariés. A l’époque, aucun des six syndicats n’avait conclu
avec Air New Zealand de convention collective prévoyant des dispositions sur les tests de
dépistage de drogues et d’alcool19.
Dans sa décision, le tribunal du travail a établi des prescriptions dans plusieurs domaines
clés du dépistage des drogues. Plus important encore, le tribunal a jugé que le dépistage
aléatoire des drogues ne pouvait être réalisé que dans des professions « sensibles sur le
plan de la sécurité », comme par exemple celles impliquant la conduite de gros véhicules,
l’industrie ou la récolte du bois. Ces tests doivent être effectués de manière spécifique

14 Ibid.
15 Hooper v. Coca-Cola Amatil (NZ) Ltd (2012) 9 NZELR 523.
16 Ibid.
17 Ibid.
18 Ibid.
19 NZ Amalgamated Engineering Printing & Manufacturing Union Inc v Air New Zealand Ltd [2004]
1 ERNZ 614.

40 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


NOUVELLE-ZÉLANDE

par une entité indépendante, telle qu’une société de dépistage de drogues. L’employeur
doit également consulter les experts scientifiques appropriés pour interpréter à nouveau
les résultats, ce qui peut être effectué par une entreprise spécialisée dans le dépistage de
drogues.
Cela impliquait pour Air NZ d’utiliser le dépistage aléatoire de drogues que pour les
salariés travaillant dans certains domaines, et non pas pour tout son personnel20.
La décision du tribunal d’autoriser le dépistage aléatoire des drogues n’a pas été prise à
la légère. Cette déclaration faisait référence au fait qu’une telle politique soulevait de graves
problèmes de confidentialité. La Cour a ainsi justifié sa décision de la manière suivante :
« La preuve que les tests aléatoires ont un effet dissuasif nous incite à considérer que dans
les secteurs sensibles sur le plan de la sécurité, dans lesquels les conséquences peuvent
être catastrophiques, l’objection à l’utilisation de méthodes intrusives de surveillance dans
le but d’éliminer un danger reconnu doit passer après les considérations de sécurité. Ces
facteurs ont priorité sur les problèmes de confidentialité » 21.
Le tribunal a également donné des indications détaillées sur l’élaboration des politiques
internes en matière de drogue et d’alcool, signalant la nécessité de consulter les salariés et
les syndicats. De ce fait, le consentement des salariés doit être sollicité avant le test et, dans
certains cas, le fait de refuser de passer un test de dépistage revient à un refus d’obéir à des
instructions légitimes et raisonnables, susceptible de constituer un motif de licenciement.
Cependant, chaque cas devrait être tranché individuellement22.
Dans son jugement, le tribunal a par ailleurs noté qu’à l’exception de l’alcool, un test
dont le résultat indique la présence de drogues ne signifie pas automatiquement que les
facultés du sujet étaient altérées au moment du contrôle. Il a également jugé que l’objectif
principal d’un programme de dépistage des drogues devait être la sensibilisation des
salariés et la prévention de la toxicomanie. De plus, la réadaptation des toxicomanes
devrait être la principale solution pour les salariés dont le test est positif. Ces points seront
pertinents lorsqu’il s’agira d’étudier la question des réformes de la réglementation sur le
dépistage des drogues23.
Cette affaire constitue l’élément central du droit applicable sur les drogues en
Nouvelle-Zélande, la conclusion la plus importante étant que le dépistage aléatoire des
drogues ne peut être utilisé que pour certaines professions ou industries jugées « sensibles
sur le plan de la sécurité »24.

20 Ibid.
21 NZ Amalgamated Engineering Printing & Manufacturing Union Inc v. Air New Zealand Ltd, op. cit.
22 Ibid.
23 Ibid.
24 Ibid.

RDCTSS - 2020/2 41
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

D - La définition de la notion « sensible sur le plan de la sécurité » :


Electrical Union 2001 Inc v. Mighty River Power Ltd

La notion -« sensible sur le plan de la sécurité »- a été clarifiée dans une action intentée
par un syndicat contre la société d’énergie Mighty River Power25. Cette société avait mis en
place une politique en matière de drogue et d’alcool exigeant que tout travailleur employé
dans un « domaine ou poste sensible sur le plan de la sécurité » soit soumis à des tests de
dépistage aléatoires26.
Dans sa politique relative aux drogues et à l’alcool, la société l’avait ainsi défini en ces
termes : « Tout domaine ou poste, dans lequel le fait de ne pas remplir correctement les
tâches concernées par ces fonctions exposerait la personne, ou d’autres personnes, à un
risque de blessure, préjudice, préjudice grave ou de dommages à la propriété, à l’entreprise
ou aux l’équipements »27.
Travailleur syndiqué, Cowell occupait un poste de technicien de production
géothermique dans une centrale géothermique exploitée par Mighty River Power. Ses
fonctions et son lieu de travail étaient définis comme « sensibles sur le plan de la sécurité »
selon la politique en matière de drogue et d’alcool de Mighty River Power. Il lui a été
demandé de passer un test de dépistage de drogues sur le lieu de travail. Refusant de le
faire, Cowell a été suspendu28.
Dans cette affaire NZ Amalgamated Engineering Printing & Manufacturing Union Inc v.
Air New Zealand Ltd, l’ERA a estimé que la décision octroyait le droit à Mighty River Power
de tester aléatoirement les salariés affectés à des postes ou dans des lieux « sensibles sur le
plan de la sécurité ». Elle a jugé que la décision de classer certains postes ou lieux comme
étant « sensibles » relevait des prérogatives de Mighty River Power, puisque c’est aussi à la
société qu’il incombait de s’assurer du respect des normes réglementaires en matière de
santé et de sécurité29.
Le droit de faire subir des tests de dépistage aléatoires aux salariés affectés à des
postes ou dans des sites « sensibles sur le plan de la sécurité » représente déjà un pouvoir
important pour les employeurs sur leurs salariés. En permettant aux employeurs de définir
également les postes et les sites « sensibles », cette décision élargit considérablement les
pouvoirs de l’employeur30.

25 Electrical Union 2001 Inc v Mighty River Power Ltd [2013] NZERA 117.
26 Ibid.
27 Ibid.
28 Electrical Union 2001 Inc v Mighty River Power Ltd [2013] NZERA 117, op. cit.
29 Ibid.
30 Ibid.

42 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


NOUVELLE-ZÉLANDE

E - Politique d’entreprise sur les drogues et l’alcool :


Maritime Union of New Zealand Inc v. TLNZ Ltd
Cette affaire visait à déterminer dans quelle mesure une entreprise peut appliquer une
politique interne sur les drogues et l’alcool, si ses salariés et leurs représentants syndicaux
n’ont pas accepté sa mise en œuvre31. En l’espèce, l’entreprise TLNZ Ltd avait élaboré une
politique en matière de drogue et d’alcool, en concertation avec ses salariés et leur syndicat.
Cependant, cette politique interne contenait des dispositions permettant à l’entreprise
de contrôler l’haleine et l’urine des salariés afin de détecter une éventuelle consommation
d’alcool ou de drogues. En désaccord avec ces dispositions, le syndicat a soutenu que
TLNZ ne pouvait pas appliquer ce règlement sans son consentement32.
Le tribunal du travail a jugé que les employeurs des secteurs « sensibles sur le plan de
la sécurité » pouvaient imposer leurs propres politiques en matière de drogue et d’alcool à
leurs salariés, ceci donc sans leur consentement. Il n’appartenait pas aux tribunaux de juger
du caractère raisonnable de ces politiques, ou des méthodes de dépistage susceptibles
d’être employées, à moins qu’une action n’ait été spécifiquement introduite à cet effet
devant un tribunal33.
Point important s’agissant de la réforme de la réglementation sur le dépistage des
drogues : la Cour a également déclaré que l’employeur était libre de choisir le test d’urine,
au lieu du test de salive. A cet égard, il a jugé légitime l’objectif de l’employeur qui utilise
le test d’urine pour identifier les salariés susceptibles d’être sous l’influence de la drogue
ou de l’alcool au travail. Par ailleurs, TLNZ n’avait pas besoin de prouver que les facultés du
salarié étaient altérées au moment du test34.
Ce raisonnement de la Cour érode considérablement le droit des travailleurs quant
au respect de leur vie privée. En effet, ces moyens de dépistage ne semblent pas utilisés
pour déterminer si les capacités du travailleur sont altérées au moment du test, mais visent
plutôt à déterminer si un travailleur est un consommateur de drogues durant ses loisirs.
Bien qu’un employeur puisse justifier ces méthodes de dépistage en invoquant l’argument
de l’amélioration de la santé et de la sécurité, il s’agit néanmoins indéniablement d’une
ingérence importante de l’employeur dans les activités du salarié en dehors du travail35.

F - Consommation de drogues en dehors du travail et tests de salive :


Hayllar v. The Goodtime Food Company Ltd

Cette affaire met en évidence une question centrale  : celle du droit du salarié à
l’autonomie dans ses choix de vie personnels (y compris la consommation ou non de
drogues récréatives) et la responsabilité de l’employeur de maintenir la santé et la sécurité

31 Maritime Union of New Zealand Inc v TLNZ Ltd (2007) 5 NZELR 87.
32 Ibid.
33 Ibid.
34 Ibid.
35 Maritime Union of New Zealand Inc v TLNZ Ltd (2007) 5 NZELR 87, op. cit.

RDCTSS - 2020/2 43
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

au travail36. Cette question jurisprudentielle est intimement liée aux caractéristiques


techniques des tests d’urine par rapport aux tests de salive37.
Deux travailleurs, Hayllar et Matene, s’étaient querellés avec leur supérieur hiérarchique.
L’entreprise qui les employait, Goodtime Food Company, avait mis en place une politique
de dépistage des drogues en cas de motif raisonnable. En l’espèce, l’entreprise a estimé
que cette dispute constituait un motif raisonnable de faire subir un test de dépistage
aux deux hommes. Or les tests subis par les deux salariés ont révélé la présence d’acide
THC dans leur urine. Il leur fut donc proposé de continuer à travailler pour l’entreprise, à
condition de suivre un programme de désintoxication. Hayllar et Matene ont accepté et ont
poursuivi leurs activités au sein de Goodtime38.
Au cours des semaines suivantes, Hayllar fut victime d’un léger accident du travail et
Goodtime lui ordonna de passer un deuxième test de dépistage. En outre, un cadre de
l’entreprise avait remarqué, lors d’une sortie entre collaborateurs, que Matene dégageait
une odeur de cannabis et ainsi, il lui a également été demandé de passer un deuxième test
de dépistage. Les second tests subis par Hayllar et Matene ont indiqué la présence d’acide
THC dans leurs urines39.
L’affaire a été portée devant le tribunal du travail. Soutenant que les tests d’urine pour
le dépistage du cannabis n’étaient pas destinés à mesurer l’altération des facultés au
moment du contrôle, mais seulement le fait que le sujet testé avait consommé du cannabis
au cours des derniers jours, l’avocat de Hayllar a considéré qu’il était injuste de les utiliser
comme base pour des mesures disciplinaires. Le dépistage des drogues par l’urine dictait
effectivement ce que Hayllar pouvait faire en dehors du lieu de travail, sans indiquer si ces
capacités étaient altérées dans son travail. Par conséquent, il conviendrait de réaliser un test
de salive pour dépister la consommation de cannabis, ce qui montrerait avec beaucoup
plus de précision si les facultés du sujet testé étaient amoindries au moment du contrôle40.
Il existe une norme commune pour les tests de dépistage de drogue dans l’urine en
Australie et en Nouvelle-Zélande. En conséquence, le tribunal du travail a estimé qu’une
décision australienne - dans l’affaire Endeavour Energy v. Communications, Electrical,
Electronic, Energy, Information, Postal, Plumbing and Allied Services Union of Australia -
«  s’appliquait également  » en Nouvelle-Zélande : «  L’employeur a le droit légitime (et
même l’obligation) d’essayer d’éliminer le risque que les salariés viennent au travail sous
l’emprise des drogues ou de l’alcool, au point de constituer un risque pour la santé ou
la sécurité. Par-delà, l’employeur n’a pas le droit d’indiquer à son salarié quels sont les
drogues ou les alcools qu’il peut consommer sur son temps libre. Ce serait en effet injuste
et déraisonnable»41.

36 Hayllar v The Goodtime Food Company Ltd (2012) 10 NZELR 455.


37 Ibid.
38 Ibid.
39 Ibid.
40 Ibid.
41 Endeavour Energy v. Communications, Electrical, Electronic, Energy, Information, Postal, Plumbing
and Allied Services Union of Australia (2016) 244 FCR 178.

44 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


NOUVELLE-ZÉLANDE

Finalement, le tribunal du travail a donc jugé que l’entreprise Goodtime s’était


comportée de manière inacceptable en n’informant pas précisément Hayllar et Matene
que leur échec au premier test de dépistage de drogues était grave, et que leur simple
participation au programme de réadaptation n’avait pas totalement clos le problème. Il a
également jugé qu’ils n’auraient pas dû subir le deuxième test de dépistage de drogues42.
Malheureusement, le tribunal du travail n’a pas apporté beaucoup d’explications sur
la question des tests d’urine par rapport aux tests de salive. Une décision claire de la
Cour en faveur de l’analyse d’urine aurait ainsi permis d’indiquer que les obligations des
employeurs en matière de santé et de sécurité l’emportaient sur la vie personnelle des
travailleurs. A l’inverse, la préconisation des tests de salive aurait démontré le contraire43.

II - LES RÉFORMES POSSIBLES


Il existe un certain nombre de réformes simples à mettre en œuvre qui pourraient
réduire considérablement le caractère invasif du dépistage des drogues au travail pour la
vie privée d’un salarié, tout en maintenant des normes élevées de santé et de sécurité au
travail.

A - La désignation des postes, industries et lieux « sensibles sur


le plan de la sécurité »
Il serait pertinent que la législation revienne sur la décision adoptée dans l’affaire
Electrical Union 2001 Inc v. Mighty River Power Ltd. En effet, en permettant aux employeurs
de déterminer les professions et les sites «  sensibles sur le plan de la sécurité  », cette
décision les incite à attribuer trop aisément cette qualification, leur permettant ainsi de
réaliser des tests aléatoires sur un plus grand nombre de salariés. Une liste officielle des
professions, des industries et des emplacements «  sensibles » devrait être officiellement
créée et tenue à jour par un organisme tiers, qui pourrait aussi bien être une organisation
gouvernementale ou une entreprise privée44.

B - L’introduction d’un nouveau critère : l’altération des facultés


au moment du test 
Force est de constater que, dans l’affaire Maritime Union of New Zealand Inc v. TLNZ Ltd,
la décision rendue est injuste45 et devrait également être neutralisée par un texte législatif.
Ce jugement autorise explicitement les employeurs à effectuer des tests de dépistage sur
le lieu de travail, afin de déterminer quels salariés consomment des drogues, et non pas
quels salariés ont des capacités altérées par les drogues, dans leur travail.

42 Hayllar v. The Goodtime Food Company Ltd, op. cit.


43 Ibid.
44 Electrical Union 2001 Inc v. Mighty River Power Ltd [2013] NZERA 117, op. cit.
45 Maritime Union of New Zealand Inc v. TLNZ Ltd (2007) 5 NZELR 87, op. cit.

RDCTSS - 2020/2 45
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

Bien que la justification invoquée est que cette décision permettait aux employeurs
d’identifier ceux des salariés qui représentaient un risque en matière de santé et de
sécurité, ce raisonnement paraît insatisfaisant pour plusieurs raisons. Premièrement, même
si un salarié consomme des drogues à usage récréatif en dehors du travail, cela ne signifie
pas que ses facultés au travail en seront affectées. Plus important encore, ce raisonnement
constitue une discrimination intrinsèque vis-à-vis de certains salariés, en raison de leurs
choix personnels en dehors du travail.
L’affaire NZ Amalgamated Engineering Printing & Manufacturing Union Inc v. Air New
Zealand Ltd soutient ce raisonnement46. En l’espèce, le tribunal a convenu qu’un test de
dépistage positif ne signifiait pas que les facultés du sujet étaient altérées au moment du
test.
En outre, il a déclaré que le principal objectif du dépistage des drogues sur le lieu
de travail était d’informer les salariés sur la toxicomanie. Cette démonstration est très
différente de l’objectif qui consiste à identifier les salariés présentant un risque en matière
de santé et de sécurité, invoqué par les employeurs dans l’affaire Maritime Union of New
Zealand Inc v TLNZ Ltd.
De même, dans l’affaire Hayllar v. The Goodtime Food Company Ltd, le tribunal a
soutenu l’allégation selon laquelle un employeur n’avait pas le droit de décider quelles
drogues un salarié pouvait consommer en dehors du travail47. Cette décision s’oppose
totalement à celle qui a été adoptée dans l’affaire Maritime Union of New Zealand Inc v.
TLNZ Ltd. En l’espèce, la déclaration du tribunal dans l’affaire Hayllar peut logiquement
être considérée comme favorable à la seule mesure de l’altération des facultés au moment
du test48. En effet, si l’employeur n’a pas le droit de décider quelles sont les drogues qu’un
salarié peut consommer en dehors du travail, il ne devrait pas être en mesure de rechercher
celles qu’un salarié aurait pu consommer hors des heures de travail, mais uniquement
celles qui altèrent ses facultés au travail.
D’un point de vue technique, cela signifie que l’utilisation des tests d’urine pour le
dépistage sur le lieu de travail devrait être purement et simplement supprimée. Or
actuellement, l’utilisation des tests de salive comme méthode de dépistage n’est pas
approuvée49. Il serait bon qu’elle le soit, comme c’est le cas en Australie50. En revanche, les
tests sanguins sont disponibles en Nouvelle-Zélande et donnent un ensemble de résultats
beaucoup plus complexe que les tests d’urine51. Cela permet de déterminer plus facilement
si les facultés d’un salarié sont effectivement altérées au moment du test et s’il présente par
conséquent un risque en matière de santé et de sécurité.

46 NZ Amalgamated Engineering Printing & Manufacturing Union Inc v. Air New Zealand Ltd [2004]
1 ERNZ 614, op. cit.
47 Hayllar v. The Goodtime Food Company Ltd (2012) 10 NZELR 455, op. cit.
48 Ibid.
49 « Drug testing isn’t always the answer », New Zealand Drug Foundation, op. cit.
50 Ibid.
51 Ibid.

46 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


NOUVELLE-ZÉLANDE

Dès lors, le dépistage des drogues sur le lieu de travail ne devrait être utilisé que pour
déterminer si un salarié est atteint d’une déficience au moment du contrôle. Il ne doit pas
être destiné à découvrir si un salarié consomme des drogues à usage récréatif en dehors
du travail.
En conclusion, il est important de respecter le droit des travailleurs de consommer des
drogues à usage récréatif en dehors du travail, sans que l’employeur en soit informé. Ceci
fait partie intégrante du droit fondamental à la vie privée.
La jurisprudence démontre qu’en Nouvelle-Zélande, la réglementation sur le dépistage
des drogues sur le lieu de travail est beaucoup trop intrusive et devrait donc être réformée.

RDCTSS - 2020/2 47
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE


DES TRAVAILLEURS, UN DÉFI POUR
LA LÉGISLATION MEXICAINE

Gabriella Mendizábal Bermúdez


Professeur-chercheur, Faculté de droit et de sciences sociales de l’Université
Autonome de l’État du Morelos, Mexique

RÉSUMÉ
Ce chapitre traite des droits généraux des travailleurs et analyse les normes juridiques
destinées à protéger la vie personnelle des salariés. Pour ce faire, il étudie les critères
d’embauche, la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, et l’impact du
travail sur le temps libre du salarié. Enfin, des conclusions sont formulées sur la base
des sources d’informations utilisées.

Mots-clés  : Travailleur, conciliation de la vie familiale et professionnelle, vie


privée

ABSTRACT
This chapter deals with the general rights that workers have in labor matters, as well
as analyzing the legal norms that protect the personal life of the worker, seeing it in
three aspects: criteria for their employment; reconciliation of work-family life; and
the impact of work on the worker’s free time. Finally, the respective conclusions and
research sources are established.

Key words: Worker, Reconciliation of Family and Work Life, Private Life

48 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


MEXIQUE

L
e Mexique figure comme l’un des pays pionniers en matière de droit du travail
et de protection sociale des salariés. Dès 1917, l’article 123 de la Constitution
prévoyait une protection spécifique des droits des travailleurs : durée de
la journée de travail, repos dominical, prime d’ancienneté, vacances, etc.
Cependant, les limites de cette législation sont apparues au fil du temps face
aux nouveaux défis auxquels les travailleurs ont été confrontés, notamment s’agissant de la
place du travail dans la vie personnelle des salariés, et de l’impact de la vie professionnelle
sur la vie privée - largement accentué, bien sûr, par l’usage des technologies.

Le cadre normatif mexicain en matière de réglementation du travail personnel et


subordonné s’articule, pour l’essentiel, autour de deux normes juridiques : la Constitution
politique des États-Unis du Mexique, à travers son célèbre article 123 qui garantit la
jouissance des principaux droits et obligations des travailleurs dans les secteurs privé et
public, et la Loi fédérale du travail, qui aborde en détails toutes les questions objectives et
subjectives liées au travail.
Parmi elles, figurent notamment :
- la durée maximale de la journée de travail fixée à huit heures ;
- le salaire minimum ;
- l’égalité des salaires ;
- le droit à la participation aux bénéfices ;
- les heures supplémentaires ;
- le droit à la création de syndicats, le droit de grève ;
- le droit à la sécurité sociale ;
- le droit à un jour de repos tous les six jours ouvrables1.
Cependant, il existe actuellement un vide juridique qui pose la question de
l’influence de la sphère professionnelle sur la vie personnelle du salarié dont les activités
personnelles seraient incompatibles avec le travail. Cet écueil est principalement dû à
l’évolution du contexte social, ainsi qu’aux technologies en tant que telles, et en particulier
à la numérisation. Il est ainsi nécessaire d’analyser le cadre juridique mexicain en ce qui
concerne la protection de la vie personnelle du travailleur dans l’exercice de ses fonctions
professionnelles, afin d’évaluer la compatibilité de ces deux aspects essentiels de la vie de
la personne.
Cette analyse repose sur trois axes fondamentaux qui visent à démontrer l’influence
et l’existence possible d’une incompatibilité juridique entre vie professionnelle et vie
personnelle, faute de législation appropriée. Néanmoins, il convient de mentionner que la
plus haute instance du pouvoir judiciaire fédéral au Mexique, la Cour suprême de justice
de la Nation, s’est prononcée dans certains cas, par le biais de sa jurisprudence et de
plusieurs décisions, en faveur de la protection d’aspects importants de la vie personnelle
du travailleur.

1 Constitution politique des États-Unis du Mexique, article 123.

RDCTSS - 2020/2 49
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

Cet article propose une analyse des normes juridiques qui protègent la vie personnelle
des salariés, en particulier les critères d’embauche (I), la conciliation entre vie professionnelle
et vie familiale (II), et l’impact du travail sur le temps libre du travailleur (III).

I - CRITÈRES DE SÉLECTION DES TRAVAILLEURS


L’article premier de la Constitution mexicaine interdit toute discrimination fondée,
entre autres, sur le sexe, l’âge, le handicap et la religion. De même, la loi fédérale du travail
dispose que le travail décent est un travail effectué sans aucune forme de discrimination,
conformément aux dispositions de la Constitution elle-même. Ainsi, pour pouvoir être
embauché, conserver son emploi ou bénéficier d’une promotion, les employeurs doivent
respecter les normes susmentionnées. Nonobstant ce qui précède, il existe certaines
exceptions au titre desquelles la vie personnelle du travailleur souhaitant être embauché -
ou conserver son emploi - peut influencer la décision de l’employeur à son égard. Parmi ces
exceptions, on peut citer les tatouages (A), la grossesse (B) ou encore le VIH (C).

A - Les tatouages offensants, incompatibles avec le travail


Les travailleurs portant des tatouages ne peuvent faire l’objet d’une discrimination
au travail. La Cour considère en effet, qu’en principe, le port de tatouages est un droit
correspondant à l’exercice du libre développement de la personnalité et de la liberté
d’expression. Les travailleurs tatoués souhaitant être embauchés - ou conserver leur
emploi - ne sauraient donc faire l’objet d’une discrimination. Il en va de même concernant
les procédures de licenciement2. Ainsi, le cadre légal garantit la protection du libre
développement de la personnalité d’un travailleur tatoué.
Cependant, des exceptions existent. La Cour suprême de justice de la Nation, par
le biais du recours d’amparo direct 465/2018, a considéré que le port et l’exhibition de
tatouages dans l’enceinte de l’entreprise devraient être autorisés par la loi, et ne pas
constituer un motif de discrimination au travail. En revanche, si le tatouage est une croix
gammée, synonyme de haine raciste (antisémite), et affiché dans l’enceinte de l’entreprise,
devant des salariés ou des dirigeants de confession juive, la protection constitutionnelle
ne saurait être invoquée, car il est porté atteinte à la dignité, à l’égalité, à la sécurité et
à la liberté d’expression des victimes, qui n’ont aucune obligation légale de tolérer cette
situation3. Par conséquent, le fait de porter durant les heures de travail un tatouage incitant
à la haine, sans le dissimuler de manière à ne pas porter atteinte aux droits d’autrui tels que
la dignité humaine, la liberté et la sécurité, constitue un motif de licenciement valable et
non discriminatoire.

B - Discrimination au travail en raison de la grossesse


Au Mexique, la discrimination dans l’entreprise en raison de la grossesse est récurrente
à l’égard des femmes qui souhaitent entrer dans la vie active, conserver leur emploi ou
bénéficier d’une promotion. Si l’article 1 de la Constitution mexicaine interdit toute

2 Thèse 1a. CXX/2019 (10a.), Séminaire Judiciaire de la Fédération et sa Gazette, Dixième époque,
Livre 73, décembre 2019, p. 331.
3 Amparo Directo en Revisión 4865/2018, Ponente Norma Lucía Piña Hernández, Session 30
d’octobre 2019.

50 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


MEXIQUE

discrimination fondée sur le sexe, il existe encore des cas de licenciement sans motif
valable de femmes se trouvant dans cette période de vulnérabilité.
La Cour suprême de justice de la Nation a formulé des critères jurisprudentiels afin de
protéger les travailleuses enceintes. L’un d’entre eux est issu d’une décision de janvier 2020,
qui énonce que lorsqu’une travailleuse de confiance, enceinte, est licenciée sans motif
valable au vu de la réglementation en vigueur, il doit être présumé que le licenciement
avait pour motif son état de grossesse, sauf preuve contraire4. Dans le même esprit, la Cour
suprême du Mexique estime qu’une travailleuse enceinte doit bénéficier d’un jugement
qui intègre la perspective du genre, si pour son licenciement l’employeur invoque
trois absences non justifiées sur une période de trente jours. Les juges doivent alors se
prononcer en intégrant la perspective du genre. Autrement dit, la cause des absences
doit faire l’objet d’une analyse approfondie, étant entendu que les absences dues à une
grossesse n’ont pas à être justifiées par un certificat médical. Seuls l’état de santé et les
circonstances de la grossesse sont pris en compte dans le cadre d’une étude spécifique
«  à caractère raisonnable  », afin d’analyser la situation en veillant au respect des droits
fondamentaux de la mère et du fœtus5. Ainsi, ces critères jurisprudentiels ont pour objectif
de protéger les femmes dans le domaine du travail et d’améliorer l’équilibre entre leur vie
professionnelle et familiale, puisque pour des raisons naturelles, les femmes ont tendance
à être plus vulnérables au travail que leurs homologues masculins.

C - Discrimination liée au VIH


Selon la jurisprudence de la Cour suprême de justice de la Nation, l’article 226, alinéa
45, de la loi de l’Institut de Sécurité Sociale des Forces Armées Mexicaines (ISSFAM) qui
autorise la réforme des militaires pour inaptitude en raison de leur séropositivité, constitue
une violation de l’article premier de la Constitution fédérale mexicaine.
En effet, d’après la jurisprudence établie, le législateur, en cherchant à protéger le
rôle des Forces Armées, de ses membres et des tiers, a implicitement été discriminatoire
vis-à-vis des individus licenciés en raison de cette maladie. Ce cadre légal est donc tout à
fait inconstitutionnel, car discriminatoire dans la mesure où le fait d’être atteint du VIH est
une raison suffisante pour permettre le licenciement des militaires6.
L’article 226 de la loi ISSFAM a fait l’objet de plusieurs réformes. Cependant, et malgré
le fait que la Cour suprême de justice de la Nation se soit prononcée sur la question, les
dispositions de l’alinéa visé n’ont jamais été modifiées.

II - CONCILIATION VIE PROFESSIONNELLE ET VIE FAMILIALE


La conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale constitue l’une des questions
les plus mal encadrées par la législation mexicaine, car il n’existe aucune réglementation

4 Thèse I.16o.T.52 L (10a.), Séminaire Judiciaire de la Fédération et sa Gazette, Dixième époque,


janvier 2020.
5 Thèse : XVII.1o.C.T.74 L (10a.), Séminaire Judiciaire de la Fédération et sa Gazette, Livre 70,
septembre 2019, p.1909.
6 Thèse : P./J.131/2007 (9a.), Séminaire Judiciaire de la Fédération et sa Gazette, Tome XXVI,
décembre 2007, septembre 2019, p.12.

RDCTSS - 2020/2 51
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

sur le sujet. L’absence d’une législation veillant à une répartition des tâches domestiques et
intégrant la perspective du genre, constitue de ce fait une violation des droits des femmes
comme des hommes.
La Constitution énonce pourtant, que « les femmes et les hommes sont égaux devant
la loi. La loi protège l’organisation et le développement de la famille ». Autrement dit, il
existe un principe que la législation doit respecter, celui de l’intérêt supérieur de la famille.
Cependant, l’absence d’harmonie législative entre les droits et obligations familiales et
professionnelles, affaiblit la suprématie de ce principe. Il est donc nécessaire d’analyser
certaines décisions visant à permettre la conciliation entre vie professionnelle et vie
familiale par exemple eu égard au des parents d’avoir un service de garde pour les enfants
(A) ou d’avoir droit à un congé parental (B).

A - Droit des parents de bénéficier de services de garderie pour enfants


La fourniture de service de garde d’enfants est née du besoin des femmes de s’intégrer
sur le marché du travail, que ce soit pour évoluer professionnellement, par nécessité ou
pour les deux. Toutefois, ce besoin s’exprime désormais de la part de tous les parents qui
travaillent, les pères étant concernés au même titre que les mères. Il existe dans le domaine
professionnel une ségrégation des hommes, qui ne bénéficient ni du même traitement,
ni des mêmes avantages que les mères actives  ; leurs enfants font également l’objet de
davantage de discriminations par rapport à ceux des mères qui travaillent (comme vu
ci-après).
L’article 201 de la loi sur la sécurité sociale (LSS) dispose : « Afin de pallier le risque
de ne pas pouvoir s’occuper des enfants en bas âge pendant la journée de travail, les
services de garderie accordent les prestations énoncées au présent chapitre aux enfants
des femmes actives et à ceux des travailleurs veufs ou divorcés, ou à qui la garde des
enfants a été légalement confiée »7. Cette loi est donc discriminatoire, puisqu’elle accorde
le droit de bénéficier des services de garderie aux enfants des femmes qui travaillent sans
autre condition que celle d’être mères actives alors que, pour en bénéficier, les hommes
doivent être veufs ou disposer de la garde légale de l’enfant.
Cela signifie que, même s’ils sont affiliés à l’Institut mexicain de sécurité sociale (IMSS),
les pères sont contraints d’inscrire leurs enfants dans des établissements privés, ce qui
constitue une violation du droit de l’enfant de bénéficier des services de garderie contribuant
à son développement et à son épanouissement, tel qu’énoncé dans la Convention relative
aux droits de l’enfant8.
À ce titre, il convient de noter que la Cour suprême de justice de la Nation s’est
prononcée sur la question des garderies de l’IMSS : « En imposant des exigences différentes
aux femmes et aux hommes affiliés à ce service, le droit à l’égalité est violé  »9. Cette
résolution dénonce clairement le fait que la législation ne permet pas aux hommes qui
travaillent de bénéficier des services de garderies, et constitue une violation du principe

7 Loi de la sécurité sociale, article 201.


8 Convention relative aux droits de l’enfant, art. 18, § 3.
9 Thèse 2a. CXXXIII/2016(10ª.), Séminaire Judiciaire de la Fédération et sa Gazette, Dixième Époque,
Deuxième Salle, Livre 37, décembre 2016, Tome I, p. 909.

52 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


MEXIQUE

de non-discrimination, du droit à l’égalité entre les hommes et les femmes, du droit à la


sécurité sociale et de l’intérêt supérieur de l’enfant ».

B - Congé parental
Au cours du deuxième trimestre 2019, un décret a été publié au Journal officiel de
la Fédération afin de permettre aux pères et aux mères qui travaillent de bénéficier d’un
congé pour s’occuper de leurs enfants de moins de seize ans atteints d’un cancer, quel
qu’il soit, notamment lorsque ceux-ci ont besoin de repos ou sont hospitalisés durant les
périodes critiques du traitement10.
Ainsi, les parents concernés bénéficient d’un congé pour pouvoir prendre soin de leur
enfant en cas d’hospitalisation durant le traitement médical ; la durée maximale du congé
est de 28 jours et celui-ci peut être accordé autant de fois que nécessaire, sans dépasser
364 jours sur une période maximale de trois ans11. Il garantit au parent qui travaille de
pouvoir s’occuper de son enfant mineur atteint de cette maladie, sans que cela ait des
conséquences sur son emploi. Malheureusement, pour l’instant, ces congés concernent
uniquement les enfants atteints de cancer. Il faut espérer qu’à l’avenir, d’autres types de
maladies nécessitant tout autant la présence des parents aux côtés de leur enfant, comme
la sclérose en plaques, seront prises en compte.

III - TEMPS LIBRE - ENTREPRISE ET INTIMITÉ AU TRAVAIL


La Constitution politique des États-Unis du Mexique n’énonce pas explicitement le droit
à l’intimité de la vie privée, mais elle reconnaît certains droits qui lui sont associés et qui
le garantissent partiellement. Parmi eux, l’article 16 protège trois aspects de la vie privée :
il prévoit que nul ne saurait être dérangé par toute autorité compétente sans un avis écrit
préalable, et protège l’inviolabilité des communications comme celle des correspondances.
Il s’agit de garantir le principe de légalité qui pose une limite aux autorités en les obligeant
à respecter la vie privée des personnes.
Cependant, les outils technologiques qui nécessitent l’usage d’Internet, comme
la vidéosurveillance (A), le courrier électronique (B), les applications de messagerie
de type WhatsApp ou les appels vidéo, ne sont pas pris en compte, ni leur impact sur
l’environnement de travail.

A - La vidéosurveillance au travail
La surveillance des travailleurs au Mexique est une pratique récurrente des entreprises
ou des employeurs. En 2013, l’ancien Institut fédéral d’accès à l’information publique
(aujourd’hui « Institut national pour la transparence, l’accès à l’information et la protection
des données personnelles ») a publié un document énonçant diverses recommandations
visant à ce que les entreprises ayant recours à la vidéosurveillance - ou à tout autre système

10 Journal Officiel de la Fédération, Décret ajoutant diverses dispositions à la loi sur la


sécurité sociale, à la loi de l’Institut de la sécurité sociale et des services aux travailleurs
de l’État, et à la loi fédérale du travail, Mexique, 2019 : https://dof.gob.mx/nota_detalle.
php?codigo=5561817&fecha=04/06/2019
11 Loi de la sécurité sociale, art. 140.

RDCTSS - 2020/2 53
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

du même genre - garantissent la protection des données personnelles de leurs salariés, en


précisant l’existence de ces mécanismes et en publiant un bref avis de confidentialité pour
la vidéosurveillance12.
Il s’agit de protéger les travailleurs, car ce type de pratiques constitue une violation
et une atteinte à leur vie privée dès lors qu’ils permettent de connaître le comportement
et la conduite des salariés sur leur lieu de travail. En ce sens, il est évident que ces
recommandations protègent l’intégrité des salariés et leur droit à la vie privée. Néanmoins,
en l’absence de cadre légal, cela ne suffit pas. La question de la protection du droit à la vie
privée des travailleurs sur le lieu de travail reste donc ouverte.

B - Atteinte à la vie privée des travailleurs par le biais


du courrier électronique
L’article 135, section IX de la loi fédérale du travail interdit aux salariés d’utiliser les
outils et les équipements fournis par l’employeur à des fins autres que celles auxquelles ils
sont destinés.
Les employeurs fournissent à leurs salariés, à des fins opérationnelles, des outils tels
que des ordinateurs et des comptes de messagerie électronique pour leur permettre de
mener à bien leurs activités au sein de l’entreprise. Cependant, les courriers électroniques
ne se limitent pas aux activités professionnelles et sont couramment utilisés dans le cadre
de correspondances privées par le travailleur lui-même.
Dans ce contexte, il convient de noter que le droit à la vie privée constitue l’un
des droits de l’homme reconnus dans la Constitution politique mexicaine13 et dans la
Déclaration universelle des droits de l’homme14, qui le considèrent toutes deux comme un
droit inviolable. De même, la Cour suprême de justice de la Nation a énoncé que personne
n’était légitime à intercepter le courrier électronique d’un tiers, y compris en utilisant pour
ce faire un ordinateur qui ne lui appartient pas15. Par conséquent, le fait que l’employeur ait
accès aux comptes de messagerie électronique de ses salariés (en particulier les comptes
professionnels) lui donne le droit de les consulter. La réglementation mexicaine sur cette
question est floue et source de confusion ; il est donc nécessaire de mettre en place une
législation simple et appropriée à ce type de situation, afin de garantir la protection du
droit à la vie privée du travailleur.

En conclusion, le défi que représente pour la législation mexicaine la mise en place


de politiques et d’avantages visant la protection intégrale du travailleur en tant qu’être
humain, se heurte à un problème de nature économique et se traduit donc par l’absence
d’accords visant à créer de nouvelles réglementations ou à réformer plus globalement les
réglementations existantes.

12 Voir « La surveillance des employés, une atteinte à la vie privée ? », Forbes México, Mexique, 2013 :
https://www.forbes.com.mx/el-monitoreo-de-empleados-una-invasion-a-la-privacidad/
13 Constitution politique des États-Unis du Mexique, article 16.
14 Déclaration universelle des droits de l’homme, article 12.
15 Thèse 1a. CLX/2011(9ª), Séminaire Judiciaire de la Fédération et sa Gazette, Neuvième époque,
Première salle, Livre 37, Août 2011, Tome XXXIV, p. 217.

54 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


MEXIQUE

Face à cette réalité, la Cour a contribué à établir différents critères pour protéger la vie
privée des salariés au travail. Toutefois, cette protection ne vaut que pour les cas d’espèce
soumis ; c’est pourquoi, les réformes juridiques sont indispensables.
L’un des plus grands défis pour le Mexique sera d’intégrer dans sa législation les deux
principes suivants :
- Le principe d’une stabilité renforcée de l’emploi : ce droit garantit de pouvoir accéder à
un emploi - ou de le conserver - aux personnes fragilisées d’une manière ou d’une autre en
raison de difficultés personnelles, par exemple la maladie d’une personne économiquement
dépendante ou à charge, ou la naissance d’un enfant. Si cet événement ne devrait pas
être considéré comme une situation de vulnérabilité en soi, il expose malheureusement au
risque de licenciement. Le principe d’une stabilité renforcée de l’emploi consiste à garantir
que tout travailleur puisse conserver son travail et bénéficier des avantages salariaux et
sociaux correspondants, même contre la volonté de l’employeur, en l’absence de motif
pertinent justifiant le licenciement16.
- Le principe de l’intérêt supérieur de la famille : considérée comme une institution, la famille
joue un rôle important à différents niveaux de la société; par exemple, dans les domaines
économique, social, culturel, juridique, politique et civil. Pour préserver son équilibre, il est
donc nécessaire de la protéger. En tant que pièce maîtresse de l’organisation de l’État, c’est
aussi la famille qui répond aux besoins fondamentaux de ses membres en préparant leur
participation à la vie sociale. Une législation permettant de concilier de façon adéquate la
vie professionnelle et la vie familiale est urgente si l’on veut atteindre cet objectif.
C’est pourquoi, il est essentiel de protéger la vie personnelle et intime du salarié au
travail, via une protection garantie par le cadre juridique national, et non par des critères
jurisprudentiels ou des décisions telles que celles analysées ci-dessus.

16 « Stabilité renforcée de l’emploi », Gerencie, Mexique, 2019 : https://www.gerencie.com/estabilidad-


laboral-reforzada.html

RDCTSS - 2020/2 55
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

VIE PERSONNELLE ET RELATION DE TRAVAIL


DANS LA JURISPRUDENCE EN TURQUIE

Melda Sur
Professeur à la Faculté de Droit, Université Dokuz-Eylül, Izmir

RÉSUMÉ
En Turquie, le droit au respect de la vie privée et la protection des données
personnelles sont garantis par la Constitution et la législation. Le juge s’efforce de
concilier et de maintenir un équilibre entre, d’une part les nécessités liées à la bonne
marche de l’entreprise, et, d’autre part, les droits fondamentaux des travailleurs, et
plus particulièrement la liberté de choix de vie des salariés. Une jurisprudence s’est
façonnée à partir de certains aspects de la vie personnelle, comme les saisies répétées
ou l’usage de boissons alcoolisées, causes de rupture dans la mesure où ils ont un
impact sur le travail. Les relations « inappropriées » entre salariés peuvent être un motif
de licenciement si elles ont des incidences négatives sur le milieu de travail. L’usage
abusif de l’internet dans l’entreprise peut être dépisté et les messages captés admis
comme moyen de preuve. Toutefois, la jurisprudence semble évoluer vers une certaine
protection contre la surveillance de l’internet et le captage des messages, en exigeant
désormais que les salariés en soient préalablement informés.

Mots-clés  : Vie privée, usage de l’internet, données personnelles, rupture du


contrat de travail, droits fondamentaux au travail

ABSTRACT
In Turkey the rights to the protection of private life and personal data have been
guaranteed by the Constitution and the law. Courts tend to conciliate and maintain
a just balance between the needs and requirements of the enterprise and the
fundamental rights of the workers, especially on issues regarding their choice of life. A
case law has emerged on some aspects of personal life, such as recurrent debts and the
use of alcoholic drinks, considered as causes of termination when they have adverse
effects on labor. Non appropriate relations among colleagues may cause termination
if they had negative effects at the workplace. On computers and internet provided
by the management, the use for personal purposes and emails may be monitored
and records kept by the management, and Courts traditionally accept such records as
means of proof. However, the case law on this issue seems to evolve towards a more
restrictive approach, and in recent decisions the higher Courts tend to require that
the management previously inform their employees of such intrusion and monitoring.

Key words: Private Life, Use of the Internet, Personal Data Protection, Termination
of Employment, Fundamental Rights of the Worker

56 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


TURQUIE

D
ans quelle mesure la vie personnelle du salarié peut-elle influer sur sa vie
au travail ? Notre étude jurisprudentielle portera sur la prise en compte de
la « vie privée » du salarié et sa protection dans les relations de travail, sans
toutefois entrer dans le vaste domaine de la conciliation du travail avec
les contraintes familiales qui, faisant l’objet d’une législation complexe,
mériterait un examen à part.

Le droit au respect de la vie privée est protégé dans divers textes internationaux auxquels
la Turquie a été partie, notamment par la Convention Européenne des Droits de l’Homme1
dont le système de protection juridictionnelle a une forte influence sur la jurisprudence
turque et en particulier sur celle de la Cour Constitutionnelle. L’article 20 de la Constitution
turque, intitulé « secret de la vie privée », énonce que toute personne a droit au respect de
sa vie privée et familiale, et que le secret de la vie privée doit être protégé (alinéa 1er). Cette
disposition, sujette à des exceptions d’ordre public, est suivie par un troisième alinéa plus
récemment ajouté portant sur la protection des données personnelles.
Or, la notion de vie privée n’est pas toujours aisée à définir. Le Code Civil turc protège
les « droits de la personne » à l’article 24 de manière assez large, comprenant l’intégrité
physique et des valeurs telles que la vie privée, l’honneur, le nom, l’image, les libertés, les
secrets et croyances, qui entrent dans son domaine d’application.
Dans ce contexte juridique, qu’en est-il du monde du travail où le salarié est soumis à
un lien de subordination envers l’employeur, se trouve parfois confronté à des traitements
discriminatoires ou perd son emploi pour des raisons touchant à sa vie privée ? Le sujet a
fait l’objet de thèses et d’études si bien qu’une jurisprudence s’est formée.
Il convient donc d’examiner les arrêts qui se sont façonnés à l’occasion de licenciements,
en commençant par la vie privée du salarié en dehors du lieu de travail (I), puis sur le
lieu de travail, en mettant l’accent sur les problèmes actuels liés à l’usage des moyens
informatiques par le salarié et à leur dépistage par la direction (II).

I – LA VIE PERSONNELLE EN DEHORS DE L’ENTREPRISE


À priori, en dehors de l’entreprise, chaque personne devrait pouvoir mener sa vie
comme elle l’entend. Or on voit que dans certains cas, des antécédents ou des évènements
ayant eu lieu avant l’embauche peuvent avoir une incidence sur la relation de travail et sa
rupture (A).
De même, après que le travailleur se voie embauché, il arrive que des agissements
en dehors de la sphère du travail soient considérés comme ayant des effets négatifs sur la
relation de travail (B).

1 Art. 8.

RDCTSS - 2020/2 57
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

A – La vie privée lors de l’embauche et la sauvegarde d’informations


acquises
On admet dans la doctrine qu’il existe une obligation de protection dès la conclusion
du contrat de travail, obligation dont le non-respect lors des entretiens d’embauche
constituerait une faute culpa in contrahendo qui donnerait droit à des dommages et intérêts.
L’obligation de respecter la vie privée du futur salarié commence donc préalablement à
l’embauche2.
Ainsi, lors des entretiens, le futur salarié peut ne pas répondre à certaines questions
sans rapport ou incidence sur l’exécution du travail. En revanche, il est tenu de révéler des
faits qui auraient un impact sur l’exécution du travail. Les exemples jurisprudentiels les
plus pertinents concernent la non révélation d’antécédents de condamnations pénales de
personnes recrutées dans des services de sécurité. Dans certains cas examinés, la case
relative à « l’existence de condamnations antérieures » figurant au formulaire d’embauche
n’avait pas été cochée, et par la suite la rupture du contrat fut considérée comme justifiée3.
Cette jurisprudence est bien établie, mais certains arrêts ne semblent toutefois pas faire de
distinction entre le type de condamnation et la nature du poste à occuper4.
Quant à la sauvegarde et à l’usage des informations recueillies par la direction, le
Code turc des Obligations souligne que l’employeur est tenu de protéger et respecter la
personnalité du travailleur5 et qu’il « fera usage des données personnelles de son salarié
seulement si celles-ci sont relatives à son aptitude au travail ou dans la mesure où elles
seraient nécessaires à l’exécution du contrat de travail. Les dispositions des lois spéciales
sont réservées »6.
Enfin, le même article prévoit que « l’usage des données et renseignements acquis par
l’employeur sur son salarié doit s’exercer de manière conforme au principe de bonne foi
et de manière légale, et les renseignements que le salarié a un intérêt légitime à garder
secrets ne devraient pas être divulgués »7.

2 Ş. Ertürk, İş İlişkisinde Temel Haklar, Ankara 2002, p. 63; A. Sevimli, İşçinin Özel Yaşamına
Müdahalenin Sınırları, İstanbul 2006, p. 145 ; B. Erkanlı, Tarafların İş Sözleşmesi Yapılması Sırasındaki
Hak ve Yükümlülükleri, Ankara 2015, p. 62 ; E.S. Gürkan, « Türk İş Hukukunda İşverenin İşe Alım
Görüşmelerinde Aday İşçiye Soru Sorma Hakkının Sınırları », İstanbul Maltepe Üniversitesi Hukuk
Fakültesi, 2017, n°1-2, p. 111.
3 9e Chambre civile de la Cour de Cassation, 22.1.1998, 19393/432, Tekstil İşveren, Mai-Juin 1998,
p. 15. Dans le même sens : 9e Chambre civile de la Cour de Cassation, 11.11.1981, 19728/13806,
Günay, İş Kanunu Şerhi, Ankara 2015, p. 1029.
4 9e Chambre civile de la Cour de Cassation, 6.6.2000, 4727/7993, Çimento İşveren, n°4, vol.14,
Juillet 2000, p. 44.
5 Art. 417.
6 Art. 419.
7 Sur le sujet de la protection des données personnelles, voir notamment İ. Gürsel, İşçinin Kişisel
Verilerinin Korunması Hakkı, Ankara, 2016; I Gürsel, Kişisel Verilerin Korunması Hakkının İşçi ve
İşveren İlişkisine Etkisi, Legal IHSGHD, n°50, 2016, p. 763.

58 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


TURQUIE

B - L’incidence de la vie privée sur la relation de travail

1 - Approche générale
L’article 18 du Code du Travail (İş Kanunu) régit les causes valables de licenciement, et
son exposé des motifs précise « qu’un agissement socialement répréhensible du travailleur,
un comportement qui n’est point approuvé du point de vue social et éthique, mais qui n’a
aucun effet négatif sur la production et la relation de travail, ne saurait constituer un motif
valable de licenciement ».
Ainsi est-il nécessaire pour qu’un licenciement soit considéré comme valable, que le
comportement du salarié ait affecté la prestation de service et la relation de travail, de
manière à véritablement justifier une rupture.
Le Code du Travail distingue deux sortes de licenciement : ceux essentiellement dus à
une faute grave du salarié8 où ni préavis ni indemnités ne sont dus, et les ruptures « pour
causes valables »9 de moindre gravité, aux conséquences moins défavorables, qui donnent
lieu à préavis et indemnités. Il appartient au juge de décider s’il y a disproportion ou non
entre l’agissement reproché et la rupture ou type de rupture, considérée comme une mesure
admissible en dernier ressort (ultima ratio). Par conséquent, seuls des comportements et
une vie privée entrainant véritablement des incidences sur le travail peuvent justifier un
licenciement.
La jurisprudence s’est développée sur plusieurs axes  : l’usage de l’alcool, les
endettements et saisies, l’expression d’opinions, la vie sentimentale du salarié et les
relations entre collègues.

2 - Le mode de vie du salarié


Il ne saurait être question d’exiger que le mode de vie des salariés en dehors de
l’établissement soit conforme aux valeurs préconisées par l’employeur. Toutefois, des
exceptions peuvent être admises liées aux intérêts et à l’image de l’entreprise. Ainsi, un
haut responsable qui représente l’établissement devrait prendre un certain soin de sa vie
privée, dans le cadre du devoir de fidélité dû à l’employeur10.
Par ailleurs, le Code du Travail prévoit parmi les causes justifiées de licenciement, un
« arrêt de travail excédant trois jours de travail consécutifs, ou cinq jours de travail en un
mois, dû à une maladie ou invalidité sciemment causée ou résultant d’une vie désordonnée
ou de l’abus d’alcool  ». Cette juste cause de licenciement donne néanmoins droit à
l’indemnité de rupture11. Les activités professionnelles en dehors des heures de travail sont
tolérées, à condition que le salarié n’entre pas en concurrence avec l’employeur. De même,
ces activités ne devraient pas nuire au rendement du travail.

8 Art. 25.
9 Art. 18.
10 Sevimli, p. 243.
11 Art. 25/I a du Code du Travail n°4857 et art. 14 du Code du Travail n°1475.

RDCTSS - 2020/2 59
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

Le législateur en Turquie montre traditionnellement une certaine méfiance à l’égard


de l’usage de boissons alcoolisées. Actuellement c’est l’article 28/1 de la Loi n°6331 sur
la Santé et la sécurité du travail12 qui prohibe, comme l’avait fait auparavant le Code du
Travail, l’usage de boissons alcoolisées et de drogues dans l’établissement ; par ailleurs est-
il interdit au salarié de se présenter à l’établissement en état d’ébriété ou ayant consommé
une drogue. Le non-respect de ces dispositions constitue une faute grave cause de
licenciement13.
La traditionnelle interdiction concernant les boissons alcoolisées fait néanmoins l’objet
d’une jurisprudence assez mesurée. Selon la Cour de Cassation, si le salarié n’est pas ivre, le
seul fait d’avoir bu avant de se présenter au travail ne peut être une juste cause de rupture14.
Comme la Cour le souligne pertinemment, « si la quantité d’alcool ingérée (hors du lieu de
travail) n’a pas eu d’effets sur la volonté et les comportements ou le travail, le seul fait d’avoir
fait usage de boissons alcoolisées en dehors du lieu de travail ne peut constituer un motif
suffisant de rupture »15.
Quant à l’endettement du salarié, les tribunaux admettent dans des cas extrêmes qu’un
salarié puisse se voir licencié pour cause d’endettement et saisies répétées portées sur son
salaire, lorsque ces poursuites nuisent à la bonne marche de l’entreprise.
Dans certains cas, la Cour de Cassation a relevé que les services comptables de
l’entreprise auraient été accaparés par ces saisies successives, au point de subir une
surcharge de travail16. Encore est-il nécessaire de prévenir le salarié17. En revanche, dans
le cas où le travailleur a contracté ses dettes quand il a été licencié et s’est trouvé sans
emploi, la 22e Chambre de la Cour de Cassation a considéré la rupture pour dettes comme
injustifiée18.

12 İş Sağlığı ve Güvenliği Kanunu, Journal Officiel du 30.6.2012, n°28339.


13 Art. 25/II d.
14 9e Chambre civile de la Cour de Cassation, 8.5.2003, 25918/7770, Kazancı. Dans le même sens,
voir 9e Chambre civile de la Cour de Cassation, 9.10.2002, 4239/18575 ; 9e Chambre civile de la
Cour de Cassation, 27.6.1978, 6424/9324, Tekstil İşveren, n°34, Janvier 1979, p. 9.
15 9e Chambre civile de la Cour de Cassation, 27.6.1978, 6424/9324, Tekstil İşveren, n°34, Janvier
1979, p. 9.
16 9e Chambre civile, 2.2.2009, 9773/914, Kar, İş Güvencesi, p. 526 ; 9e Chambre civile, 24.3.2008,
10363/6019. Dans ses arrêts, la Cour de Cassation fait souvent mention d’une « tendance habituelle
du salarié à l’endettement et au non payement de ses dettes  »: 9e Chambre civile, 9.2.2009,
13284/1753, Çil, İş Hukuku Yargıtay İlke Kararları, p. 294 ; 9e Chambre civile, 2.2.2009, 9800/1012,
Legal 2009, n°22, p. 789.
17 9e Chambre civile, 24.3.2008, 10363/6019, Legal 2008, n°18, p. 674.
18 22e Chambre civile, 25.6.2013, 16668/15441, Commentaire de M. Alp dans «  İş İlişkisinin Sona
Ermesi ve Kıdem Tazminatı  », Yargıtay’ın İş Hukuku ve Sosyal Güvenlik Hukuku Kararlarının
Değerlendirilmesi, 2013, İstanbul, 2015, p. 201.

60 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


TURQUIE

II – LA VIE PRIVÉE DANS L’ENTREPRISE


C’est plus particulièrement au sein de l’entreprise où les devoirs d’obéissance et de
discipline sont de rigueur, que le travailleur se voit confronté aux conséquences de certains
de ses comportements (A).
Dans ce cadre, le contrôle de l’usage des moyens de communication par lesquels
s’expriment les idées et opinions du salarié, présente un problème d’actualité que les
tribunaux ont eu à résoudre (B).

A – Les relations entre collègues au travail


On admet que la notion de « vie privée » ne s’arrête pas lorsque le travailleur pénètre
dans l’établissement  ; la liberté et l’inviolabilité de cette vie devraient continuer d’être
protégées même sur les lieux de travail.
Toutefois, il existe naturellement des limites  : l’exposé des motifs de l’article 18
mentionne ainsi parmi les causes valables de licenciement le fait de « se mettre en relation
avec d’autres personnes de manière à entraver le déroulement des services et à nuire au
milieu du travail ».
Les exemples en ce domaine sont multiples et variés, allant des longs entretiens
téléphoniques dont la fréquence et la longueur peuvent entraver le travail, jusqu’à des
relations sentimentales entre collègues. Certes, sur ce dernier point, l’employeur ne devrait
pas pouvoir apporter une interdiction, mais de telles interdictions existent bien dans la
pratique dans certains règlements d’entreprise. La Cour de Cassation a dès lors précisé avec
raison, suite à une rupture du contrat motivée par l’existence d’une relation sentimentale
entre deux salariés, que « tant que la relation en question n’a eu d’incidence négative ni sur
l’exercice du travail, ni sur l’ordre et la discipline de l’établissement, elle ne constitue point
une juste cause de rupture »19.
Ainsi, la vie privée du salarié ne peut en principe valablement justifier un licenciement, et
une relation en dehors des heures de travail ne saurait constituer une cause de rupture.
Cependant, elle peut parfois avoir des incidences négatives sur le milieu de
travail lorsque « le comportement du salarié qui a révélé à ses collègues sa relation avec
une autre salariée, a mis cette personne dans une situation délicate. Dans un tel cas on ne
peut normalement exiger que l’employeur maintienne en son établissement le salarié en
question »20.
La Cour de Cassation montre une certaine sévérité à l’encontre de relations
extra-maritales dans le contexte du travail, et plus particulièrement entre supérieur et
subordonné(e)21. Ainsi la Cour a-t-elle considéré - mais pas à l’unanimité - comme une

19 9e Chambre civile, 25.2.1998, 365/2700, Kazanci.


20 9e Chambre civile, 8.11.2010, 35462/32188, Çil, p. 303.
21 22e Chambre civile, 11.5.2015, 12601/16942, Legal, n°49, p. 444; 7e Chambre civile, 9.2.2016,
32417/2265, Legal, n°51, p. 1557; 22e Chambre civile, 7.3.2018, 768/5989, Legal n°59, p. 1137.

RDCTSS - 2020/2 61
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

juste cause de licenciement (donc assimilée à une faute grave de l’article 25/II d) l’existence
d’une relation sentimentale pourtant discrète entre un salarié marié et une collègue. La
relation avait été révélée après que l’épouse se soit adressée à la direction, puis fut étayée
par l’examen des courriels incriminés22. Il faut souligner en l’espèce que la problématique
de ce type de preuve (captage de messages) n’avait été ni abordée, ni discutée dans ces
décisions préalables.
Par ailleurs, les préférences sexuelles en tant que telles demeurent dans le domaine
privé et ne peuvent constituer une cause de rupture23. Néanmoins, si une telle relation
entre travailleurs d’un même établissement a provoqué des remous et polémiques sur
le lieu de travail, le licenciement serait valide24. La doctrine souligne qu’il convient, à cet
égard, de tenir compte du milieu de travail, du niveau d’instruction et des croyances des
autres salariés25. Mais ici, ce qui importe n’est pas l’existence en soi de la relation ou de
la préférence sexuelle, mais les effets concrets qui auraient entravé la bonne marche de
l’établissement.

B - L’usage de l’Internet et le captage des messages


L’usage à des fins personnelles du matériel, et surtout des moyens informatiques
de l’entreprise, est un sujet d’actualité. Nombre d’arrêts se trouvent ainsi fondés sur des
preuves qui apparaissent dans des correspondances via l’internet.
Alors se pose la question de savoir jusqu’où peut s’exercer le contrôle de la
correspondance et la surveillance des agissements du salarié, ce dernier passant la plupart
de son temps de vie dans l’entreprise26.

1 – Le captage des messages


Les ordinateurs, lignes internet et adresses de courriers électroniques fournis par
l’entreprise, sont destinés à l’exécution du travail et ne peuvent en principe être utilisés à
des fins personnelles. Certes, le salarié peut en faire usage dans des cas justifiables comme
la nécessité ou l’urgence27. La Cour de Cassation admet aussi qu’une tolérance de fait,
pendant une certaine durée (plus de six mois dans le cas examiné), pouvait être considérée
comme un consentement tacite de l’employeur28.

22 9e Chambre Civile, 26.1.2001, 1999/18248, Günay, Şerh, p. 877.


23 9e Chambre civile, 19.3.2009, 36977/7401 ; 9e Chambre civile, 15.2.2016, 29678/2553, Keser, Sicil
2017, n°37, p. 28 ; 9e Chambre civile, 29.6.2016, 306/15491.
24 9e Chambre civile, 19.9.2005, 654/30275, Keser, Sicil 2017, n°37, p. 28.
25 H. Keser, « İşçi Davranışları Kapsamında İş Sözleşmesinin Özel Hayat, Aile Hayatı ve Cinsel Yönelimler
Sebebi ile İşverence Feshedilmesi », Sicil İş Hukuku Dergisi, 2017, n°37, p. 9.
26 En Turquie la durée hebdomadaire du travail demeure de 45 heures, et le recours aux heures
supplémentaires, bien que limité à 270 heures en une année, est très fréquent.
27 À ce sujet, voir notamment Z. Okur, İş Hukuku’nda Elektronik Gözetleme, İstanbul, 2011, p.148.
28 9e Chambre civile de la Cour de Cassation, 17.3.2008, 27583/5294, Kazanci.

62 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


TURQUIE

Quant au contrôle effectué, la jurisprudence a longtemps admis en Turquie que


l’employeur pouvait exercer un contrôle sur les messages électroniques et autres moyens
informatiques qu’il a lui-même fournis, contrairement à la doctrine qui met en avant
la nécessité d’informer le personnel des limitations concernant leur usage, condition
préalable pour justifier une rupture29.
De manière générale, la Cour de Cassation considère comme cause valable de rupture
un usage abusif de l’ordinateur et de l’internet à des fins personnelles30. Un cas extrême
s’était présenté lorsque l’ordinateur et l’adresse e-mail fournis par l’employeur, en vue de
servir à la prestation de travail, avaient été utilisés à des fins non professionnelles, contenant
de surcroît des propos injurieux à l’encontre du supérieur hiérarchique et dévoilant des
secrets de l’entreprise.
Selon la Cour de Cassation, l’employeur a le droit de contrôler le contenu de la
correspondance si l’ordinateur et l’adresse e-mail ont été fournis par ses soins, et l’usage à
des fins personnelles, comme la teneur préjudiciable des messages, justifient une rupture
pour faute grave selon l’article 25/II b qui dispense du délai de préavis et du paiement
d’indemnités de rupture31.
Or, pour que puisse s’exercer une intrusion dans ce courriel, la doctrine dominante
pose comme condition la prise de connaissance et  le consentement  préalable exprès
ou tacite du salarié. Les limitations concernant l’usage à des fins personnelles pourraient
figurer dans le contrat de travail, la convention collective ou le règlement de l’entreprise32,
et tout au moins un avertissement devrait être donné par la direction prévenant les salariés
des restrictions portant sur l’usage personnel, ainsi que de l’éventualité d’un contrôle. Telle
semble d’ailleurs avoir été la vue de la Cour Constitutionnelle en Turquie qui, en faisant
largement référence à l’arrêt Barbulescu c. Roumanie de la Cour Européenne des Droits
de l’Homme33, a motivé son arrêt en justifiant la rupture par l’existence de dispositifs d’un
règlement d’entreprise qui restreignaient l’usage de l’internet et avertissaient les salariés
de l’éventualité d’un contrôle34.

29 Sevimli, p. 203 ; H. Keser, İşçi Davranışları Kapsamında İşçinin Talimatlara Aykırı Bilgisayar, İnternet
ve Cep Telefonu Kullanımı Sebebi İle İş Sözleşmesinin İşverence Feshedilmesi, Legal IHSGHD, n°62,
2019, p. 467. Voir également S. Öktem Songu, İşçilerin İşyerinde Özel Amaçlı İnternet ve E-Posta
Kullanımına İşverenin Müdahalesi Üzerine Bir Değerlendirme, Prof. Dr. Sarper Süzek’e Armağan,
p. 1057. Pour comparer voir Z. Okur, İş Hukuku’nda Elektronik Gözetleme, İstanbul, 2011, p. 173:
Selon l’auteur, le contrôle pourrait s’effectuer (seulement) dans les cas où l’usage personnel avait
été interdit ou limité par la direction, et ceci dans la mesure des limitations imposées.
30 9e Chambre civile, 9.5.2009, 36305/12393, et analyse par G. B. Yıldız, Sicil, Décembre 2009.
31 9e Chambre civile, 13.12.2010, 447/37516, Arrêt commenté et approuvé en l’espèce par
F. Şahlanan, İşyerinde İşverence Sağlanan Bilgisayarı İşle İlgisi Olmayacak Şekilde Kullanımı – Haklı
Fesih, Tekstil İşveren, Mars 2012, Karar İncelemeleri II, p. 103.
32 Şahlanan, p. 101.
33 Arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme, Grande Chambre, 5 Septembre 2017,
Requête n°61496/08.
34 Arrêt de la Cour Constitutionnelle, 2e Section du 24.3.2016, Recours Ömür Kara et Onursal Özbek,
n°2013/4825, Journal Officiel du 19.5.2016, n°29708.

RDCTSS - 2020/2 63
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

Ainsi, la doctrine désapprouve et exclut une surveillance secrète exercée à l’insu du


travailleur35. En l’absence de consentement, et excepté les cas où un intérêt supérieur
(comme la sécurité ou salubrité de l’établissement) le justifierait, les preuves obtenues au
moyen de courriers électroniques envoyés et reçus ne devraient pas être prises en compte ;
l’inverse serait contraire au principe de respect de la vie privée.
Par ailleurs, l’article 189/2 du Code de Procédure civile dispose que « ne seront pas pris
en compte des faits dont la preuve a été obtenue par des moyens illégaux ».
Telle a finalement été la décision de la Cour de Cassation, dans son arrêt récent du
7  août 201936: bien que le salarié ait en l’espèce effectivement fait un usage abusif et
nuisible de l’internet, l’employeur ne peut pas se servir comme moyens de preuve des
messages captés à son insu, sans distinction entre ce qui est privé et professionnel. La
base légale de l’arrêt repose sur l’article 417 du Code des Obligations relatif au « devoir de
protection et de respect de la personnalité du salarié, et de garantie d’un milieu de travail
conforme au principe de bonne foi ».
La Cour souligne que la direction pouvait suivre et contrôler l’usage et le contenu des
moyens informatiques mis à la disposition des salariés, mais qu’il était nécessaire d’en
informer préalablement les intéressés.

2 - L’expression d’opinions et teneur des messages


Le salarié peut-il librement exprimer ses idées et opinions concernant la direction de
son entreprise  ? Une distinction est admise selon le poste occupé par la personne et la
nature de l’entreprise37. Ainsi, une personne représentant l’entreprise et occupant une
situation de confiance est tenue d’une certaine réserve.
Dans l’une des affaires examinées, un salarié en marketing avait adressé un courriel à un
responsable de la direction, dans lequel il formulait des critiques assez irrévérencieuses sur
sa manière de traiter certains clients. Dans la mesure où la teneur du message outrepassait
les limites d’une simple critique, la Cour a considéré que cet agissement était de nature à
créer des effets négatifs sur la bonne marche de l’entreprise, le qualifiant dès lors de cause
valable de rupture38.
Un dernier cas bien différent, survenu dans un hôpital universitaire, fut celui d’un
commentaire diffusé sur Facebook sous la photo d’une infirmière. L’auteur de la note – un
gardien de sécurité de l’hôpital - avait exprimé un bref compliment, assez innocent. Ceci
constitua néanmoins une cause valable de rupture, en raison des «  effets négatifs sur le
milieu du travail »39.

35 Voir à ce sujet notamment : Öktem Songu, article précité, p.1057-1098  ; Keser, article précité,
p. 445.
36 22e Chambre civile, 7.5.2019, 21857/9884, Çalışma ve Toplum 2020/1, n°64, p. 656.
37 Ertürk, p.124 ; E. Birben, İşçinin Özel Yaşamı Nedeniyle İş Sözleşmesinin Feshi, İş Hukukunda Genç
Yaklaşımlar II, Ed. T. Centel, İstanbul, 2016, p. 148.
38 9e Chambre civile de la Cour de Cassation, 23.10.2017, 2017/437-16298, Mess, 2018, n°2, p. 6.
39 7e Chambre civile de la Cour de Cassation, 10.3.2016, 2015/4359-2016/6048, Kazanci.

64 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


TURQUIE

Ce cas est un bel exemple de la prudence qu’il convient de montrer dans l’usage de
ces moyens informatiques, dont la portée dépasse souvent les intentions de l’auteur et où
un retour en arrière est quasiment impossible.

Conclusion
Le juge en Turquie prend bien en compte les droits de la personne au respect de la
vie privée, tant dans l’appréciation des droits et obligations des parties que des causes
de rupture du contrat de travail. La relative sévérité de la Cour de Cassation à l’égard de
«  relations inappropriées » se trouve confirmée par une jurisprudence constante, étayée
par certains règlements d’entreprise déconseillant des relations non professionnelles entre
salariés.
Or, en réalité, ce dont les entreprises se soucient n’est pas la morale, mais bien
l’influence délétère que pourraient avoir sur le milieu du travail certains liens allant au-delà
du strict niveau professionnel.
Dans le prolongement de la place majeure qu’a pris l’usage de l’internet, une évolution
peut être observée d’une protection accrue du personnel contre le captage des courriels.
Alors que, pendant longtemps, l’usage comme moyen de preuve de courriels obtenus par
la direction était admis sans discuter de la légalité ou de la légitimité de leur usage devant
les tribunaux, la Cour de Cassation semble désormais exiger que les personnes intéressées
aient été préalablement prévenues que leur correspondance ainsi que l’usage des moyens
informatiques, peuvent bien être suivis et contrôlés, puis utilisés contre eux.

RDCTSS - 2020/2 65
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

LICENCIEMENT DU SALARIÉ POUR UNE ACTIVITÉ


PERSONNELLE À L’ORIGINE D’UN PRÉJUDICE
OU D’UNE GÊNE POUR L’ENTREPRISE

Marie-Cécile Escande-Varniol
Maître de conférences HDR à l’IETL, Université Lumière Lyon II, Membre de
GEFACT*

Gerhard Binkert
Président honoraire de la Cour d’appel du travail de Berlin-Brandenbourg,
Membre de GEFACT

RÉSUMÉ
Une étude comparative de la jurisprudence allemande et française relative au risque
de licenciement pour un fait de la vie privée du salarié est d’autant plus pertinente
que, dans ces deux pays, le principe de niveau constitutionnel est la protection de la
vie privée, le pouvoir de l’employeur ne devant pas excéder le domaine contractuel
de la subordination de la relation de travail. C’est par une analyse concrète des faits
que les juges les relient à une obligation contractuelle de loyauté, ou jugent des
conséquences du trouble causé à la bonne marche de l’entreprise par certains faits
relevant de la vie privée du salarié pour qualifier le licenciement fondé sur de tels
faits. Si les solutions allemandes et françaises se rejoignent sur l’obligation de bonne
foi, elles s’écartent davantage sur les conséquences qu’entraînent des faits étrangers à
l’engagement contractuel mais considérés comme préjudiciables pour l’entreprise. Les
deux domaines semblent plus poreux en droit allemand que français.

Mots-clés : Licenciement, vie privée, bonne foi, obligation de loyauté, trouble


caractérisé

ABSTRACT
A comparative study of German and French case law on the risk of dismissal for a fact
of the employee’s private life is all the more relevant as in both countries the principle
of constitutional level is the protection of privacy and the employer’s power must not
exceed the contractual field of the subordination of the employment relationship. It
is through a concrete analysis of the facts that the judges link them to a contractual
obligation of loyalty, or judge the consequences of the disorders caused to the
functioning of the company by some facts relating to the employee’s private life to
qualify dismissal based on such facts. Although the German and French solutions agree
on the obligation of good faith, they differ more on the consequences of facts that are
not connected to the contractual commitment but are considered as prejudicial to the
company. Both fields seem more porous in German law than in French law.

Key words: Dismissal, Private Life, Good Faith, Loyalty

* La présente étude fait suite à une rencontre du groupe d’étude franco-allemand sur le contentieux du travail
(GEFACT), soutenu par le Ciera et la DGT, qui s’est tenue à l’Université de Toulouse Capitole les 18-19 octobre 2019.

66 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


ALLEMAGNE

T
ant en droit allemand qu’en droit français, le principe d’une séparation entre
vie privée et vie professionnelle est constamment réaffirmé1. En droit allemand,
la protection de la vie privée du salarié2 trouve sa source dans les droits de la
personnalité garantis par la Constitution. Le salarié a droit au respect de sa vie
privée et l’employeur ne peut exercer aucune influence sur l’organisation du
temps libre de celui-ci. Le comportement d’un salarié dans le cadre de sa vie privée se situe
a priori hors de la sphère d’influence de l’employeur3.

En France, la difficulté à séparer ces deux sphères se manifeste même dans le


vocabulaire  : vie privée, vie extraprofessionnelle, vie personnelle, etc. Les qualificatifs se
sont succédés ou coexistent dans la jurisprudence, pour tenter de délimiter les zones de
liberté du salarié en dehors de sa « vie professionnelle ». On connait la difficulté - voire la
quasi impossibilité - à différencier parfois les actes de la vie personnelle de ceux de la vie
professionnelle tant il est vrai que la personne humaine est une, indivisible, et que les deux
sphères - vie privée, vie professionnelle - se chevauchent en permanence.
C’est dire que dans les deux droits, le licenciement pour motif lié à la vie personnelle
du salarié ne peut être qu’exceptionnel et dûment justifié.
La limite est posée par le champ des obligations contractuelles. Le contrat de travail
comporte des obligations principales : prestation de travail, rémunération et subordination.
Dans le domaine de la subordination, la question est de savoir si le salarié reste tenu par
des obligations accessoires, au-delà de la seule exécution de la prestation de travail. La
réponse s’avère rapidement positive dans certains cas.
Ainsi, on conçoit aisément que le salarié ne puisse exploiter, même en dehors de son
temps de travail, une entreprise concurrente à celle de son employeur4. De même, un
sportif de haut niveau, membre d’une association sportive, ne peut boire en public jusqu’à
l’ivresse, même en dehors de ses heures de travail.
Cependant, admettre que ces comportements soient passibles de licenciement, c’est
prendre le contrepied du droit au respect de la vie privée et des libertés individuelles du
salarié. Il faut donc trouver le fondement juridique qui justifie une telle atteinte.

1 Voir Vossen, Kündigungsrecht, § 1 KSchG (Loi relative à la protection contre les licenciements),
point 327a.
2 Dans le texte qui suit, les termes «  salariés  » et «  employeur  » figurant au masculin incluent
également la forme féminine.
3 BAG (Cour Fédérale du travail) du 23/10/2008 - 2 AZR 483/07.
4 BAG du 23/10/2014 - 2 AZR 644/13 (jurisprudence constante).

RDCTSS - 2020/2 67
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

Deux fondements peuvent être avancés. L’un tient à l’obligation de bonne foi inhérente
à l’exécution de tout contrat. Elle se présente ici comme l’obligation de loyauté, qui interdit
de causer préjudice à son co-contractant pendant l’exécution du contrat (I).
Le second fondement se trouve dans les exigences d’adéquation, de justification et
de proportionnalité, qui fixent le mode d’interprétation des atteintes portées aux droits
fondamentaux5 (II).
C’est à l’aune de ces deux approches que sont jugés les faits de vie privée (ou vie
personnelle) du salarié confronté aux reproches de l’employeur, bien que la différence de
fondement soit plus marquée en droit français qu’en droit allemand, sans doute en raison
des conséquences qu’elles entraînent (III).

I - L’OBLIGATION DE LOYAUTÉ (RÜCKSICHTNAHMEPFLICHTEN)6


Le point de départ de cette analyse réside dans le constat qu’une relation de travail
ne se limite pas à un simple échange entre la prestation de travail et la rémunération. Elle
comporte également une obligation réciproque de loyauté, accessoire des obligations
principales, comme c’est généralement le cas de toute relation contractuelle.
En droit allemand, cette obligation réciproque de loyauté est énoncée dans le § 241,
alinéa 2 du Code civil allemand (ci-après BGB) qui prévoit que le rapport d’obligation peut,
par son contenu, obliger chaque partie à respecter les droits, les biens et les intérêts de
l’autre partie. Cette disposition, également présente dans le droit français7, engage donc
l’employeur et les salariés, ces derniers étant ainsi tenus de prendre en considération les
intérêts (légitimes) de l’employeur qui découlent du contrat de travail et de la relation de
travail. Ces intérêts n’ont pas un caractère général et ne se réfèrent pas au comportement
global du salarié.
Il est ici plutôt question des intérêts opérationnels et commerciaux de l’employeur, en
l’occurrence du bon fonctionnement de l’entreprise, de l’interaction des salariés au sein de
l’entreprise, de la relation de confiance avec les salariés, de la préservation de la réputation
de l’entreprise8. Ainsi, le salarié doit s’abstenir d’exercer toute activité extra-professionnelle
ayant une incidence (négative) sur lesdits intérêts de l’employeur.

5 On reconnaît ici les éléments énoncés par l’article L. 1121-1 du Code du travail français. Mais bien
au-delà du droit français, ces éléments servent de grille d’interprétation en cas de conflit de loi
entre droits fondamentaux. Sont ici en cause le droit d’entreprendre de l’employeur, et le droit à la
vie privée et familliale du salarié, c’est-à-dire des droits constitutionnellement et internationalement
reconnus.
6 § 241, alinéa 2, BGB (Code civil allemand).
7 Article L. 1222-1, Code du travail français.
8 Voir Von Steinau-Steinrück/Burmann, NJW-Spezial 2018, p. 626 ; B. Bossu, «  Loyauté et contrat
de travail », in F. Petit (dir.), Droit et loyauté, coll. Thèmes et commentaires, Dalloz, 2015; Ph. Le
Tourneau et M. Poumarède, Bonne foi, Répertoire de droit civil, Dalloz, 2017.

68 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


ALLEMAGNE

Par conséquent, une violation de cette obligation n’entrera en ligne de compte que si
elle est rattachée à la relation de travail et entraîne des incidences sur celle-ci au regard de
l’obligation de loyauté (Rücksichtnahmeobliegenheiten) précédemment décrite. L’analyse
judiciaire s’opère in concreto en fonction des faits.
Le contentieux peut résulter de différentes hypothèses, parmi lesquelles le licenciement
lié à un comportement extra-professionnel (A), l’utilisation d’équipements professionnels
ou de connaissances acquises dans l’entreprise (B), ou la perte des capacités d’exercice (C).

A - Licenciement lié à un comportement extra-professionnel


Ainsi en est-il d’un salarié, employé au sein de la Bundesagentur für Arbeit (Agence
fédérale pour l’emploi), où il était chargé du calcul et du versement des allocations chômage
aux sans-emploi. Il fut condamné à une peine d’emprisonnement de 18 mois pour s’être
livré au trafic de drogue en dehors de son temps de travail. La Cour fédérale du travail a
notamment estimé que le fait que le salarié ait vendu de la drogue dans le quartier où était
également située l’Agence pour l’emploi constituait une atteinte concrète à la relation de
travail9. Il existait un risque que les deux « clientèles » (acheteurs de drogue / bénéficiaires
d’allocations chômage) se recoupent.
Cette affaire allemande peut être comparée à une décision française, qui a donné
lieu à un arrêt du 29 septembre 2014 dans lequel une salariée, médecin de la Caisse
Nationale d’Assurance Maladie, était soupçonnée d’avoir dissimulé à son employeur une
mise en examen pour escroquerie en bande organisée, commise en dehors de son activité
professionnelle, notamment pour des faits intéressant le paiement de prestations de
sécurité sociale10.
On retrouve des faits quasiment identiques dans un arrêt du 16 janvier 201911,
dans lequel deux salariés d’une entreprise spécialisée dans le domaine de la santé,
respectivement embauchés comme conseiller et superviseur, ont été licenciés pour faute
grave à la suite de la découverte d’agissements frauduleux accomplis dans le cadre de
leur vie privée, mais grâce aux connaissances et compétences acquises dans leur exercice
professionnel. De plus, les fraudes étaient commises au détriment d’un client de leur
employeur.
Dans cette affaire, la Cour de cassation a approuvé la décision de la Cour d’appel
qui considérait que les agissements des salariés «  se rattachaient à la vie de l’entreprise
et constituaient, compte tenu des fonctions assumées par les salariés, un manquement
manifeste à l’obligation de loyauté et pouvaient justifier un licenciement disciplinaire ».

9 BAG du 10/4/2014 - 2 AZR 684/13.


10 Cass. Soc., 29 sept. 2014, n°13-13661, obs J. Mouly, Dr. Soc. 2014, p. 957, et N. Moizard, RDT, 2014,
p. 762.
11 Cass. Soc., 16 janvier 2019, n°17-15002 et n°17-15003, Rejet.

RDCTSS - 2020/2 69
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

B - Utilisation d’équipements professionnels ou de connaissances


acquises dans l’entreprise
Dans l’affaire allemande ici retenue, le salarié occupait un poste au sein de la direction
d’un organisme social. Une perquisition à son domicile avait conduit à la confiscation
d’un ordinateur portable, mis à sa disposition par son employeur, sur lequel des
fichiers à caractère pédopornographique étaient stockés. La Cour d’appel du travail de
Mecklembourg-Poméranie Occidentale12 considéra qu’un licenciement pouvait être justifié
dans un tel cas. L’utilisation d’appareils appartement à l’employeur, en vue de commettre
des infractions, était en soi de nature à justifier un licenciement pour motif grave. Tel est
également le cas lorsque les infractions ont été commises en dehors du lieu et du temps
de travail.
La jurisprudence française contient également un certain nombre de décisions relatives
à l’usage d’ordinateurs ou autres matériels mis à la disposition des salariés13.
A titre d’exemple, il faut citer une décision relative à des faits plus atypiques relevant
également d’agissements délictueux. Dans cette affaire, un gardien de château avait profité
de sa situation professionnelle (accès à toutes les caves et dépendances du château) et
de l’absence du propriétaire qui vivait en Grèce, pour fabriquer de l’alcool et du vin de
manière illicite. Mis à jour par le service des douanes, ce trafic d’alcool avait parallèlement
donné lieu à une condamnation pénale14.
En l’espèce, la Cour de cassation a jugé que « la Cour d’appel, qui a constaté que le
salarié avait profité de ses fonctions de gardien et de la confiance de l’employeur, pour
stocker et fabriquer de façon illicite de l’alcool dans les dépendances du château, dans des
conditions telles qu’elles impliquaient un véritable trafic, a pu décider que cette utilisation
abusive des moyens mis à sa disposition dans des conditions susceptibles de mettre en
cause l’employeur, se rattachait à la vie de l’entreprise, était de nature à y rendre impossible
le maintien de l’intéressé et constituait une faute grave ».

C - Perte des capacités d’exercice


Dans certains cas, des comportements personnels peuvent avoir des conséquences
directes sur la vie professionnelle et mettre en cause les capacités de travail du salarié, par
exemple lorsqu’un chauffeur professionnel perd son permis de conduire15. Dans ce type de
situation, le juge allemand, comme le juge français, vérifiera que le licenciement constituait
un ultime recours et qu’il n’y avait pas de possibilité de maintenir le salarié dans son emploi,
même sur un autre poste16.

12 LAG Mecklenburg/Vorpommern (Cour d’appel du travail de Mecklembourg-Poméranie


Occidentale) du 10/12/2013 - 5 Sa 113/13.
13 Cass. Crim., 19 mai 2004, n°03-83953, D. 2004, Somm. 2748, obs. B. de Lamy.
14 Cass. Soc., 17 novembre 2011, n°10-17950.
15 Cour Fédérale du travail, BAG du 30/5/1978 - 2 AZR 630/76. Voir aussi LAG Hessen (Cour d’appel
du travail de Hesse) du 1/7/2011 - 10 Sa 245/11 ; Cass. Soc., 28 fév. 2018, n°17-11334.
16 Voir notamment LAG Mecklenburg/Vorpommern du 4/7/2007 - 2 TaBV 5/07.

70 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


ALLEMAGNE

Dans le même ordre d’idée, la Cour de cassation a récemment décidé que commet
une faute grave le sportif de haut niveau, refusant de suivre les traitements prescrits par
le médecin de son équipe sportive, alors qu’il est en arrêt maladie suite à un accident du
travail17.
Dans tous ces cas, les licenciements sont « justifiés » en droit allemand et qualifiés de
« fautifs » en droit français. Dans d’autres situations, le licenciement peut être « justifié » du
point de vue allemand, mais pas forcément « fautif » - ni même justifié par une cause réelle
et sérieuse - en droit français. On quitte alors une obligation contractuelle pour la notion de
« trouble caractérisé au sein de l’entreprise ».

II - LE TROUBLE CARACTÉRISÉ ET LA PERTE DE CONFIANCE

A - Trouble caractérisé au sein de l’entreprise


Il n’est plus question ici d’infraction pénale, mais de faits relevant de la vie privée
qui peuvent avoir un impact sur la vie professionnelle. Un cas d’espèce, pris dans la
jurisprudence allemande, mérite d’être cité bien que la comparaison avec le droit français
soit plus difficile.
Dans cette affaire, un imprimeur employé dans les finances publiques avait, durant
son temps libre, rédigé et fait circuler sur Internet des lettres d’information périodiques
contenant de la propagande pour le NPD, parti d’extrême-droite non interdit. Les services
de sécurité avaient attiré l’attention du directeur de l’administration sur les activités dudit
salarié dans les milieux d’extrême-droite et l’administration des finances prononça son
licenciement. La Cour Fédérale du travail18 valida le licenciement pour motif personnel,
considérant que le salarié faisait preuve d’un manque de fidélité à la Constitution, requise
pour tout emploi dans la fonction publique. Certes, le degré de loyauté exigé à cet égard
différait selon la position occupée au sein de la hiérarchie de l’administration. Néanmoins,
les salariés occupant des postes de moindre responsabilité devaient également faire
preuve d’un minimum de fidélité à la Constitution. Tel n’était pas le cas de l’imprimeur.
Cette décision s’éloigne du droit français dans la mesure où, d’une part la fonction
publique ne relève pas du droit du travail, et d’autre part, le phénomène dit des « entreprises
de tendance » n’y est également pas développé.
Cependant, on peut citer l’arrêt dit du « sacristain hommosexuel » d’une église catholique
intégriste19. Précisément, dans cette affaire, la Cour de cassation avait posé la règle selon
laquelle «  il peut être procédé à un licenciement dont la cause objective est fondée sur
le comportement du salarié qui, compte tenu de ses fonctions et de la finalité propre de
l’entreprise, a créé un trouble caractérisé au sein de cette dernière ». En l’occurrence, le
trouble n’avait pas été caractérisé et le licenciement a été jugé sans cause réelle et sérieuse.

17 Cass. Soc., 20 février 2019, n°17-18912, Rejet ; obs. J. Mouly, Dr. Soc., 2019, p. 363.
18 BAG du 6/9/2012 - 2 AZR 372/11.
19 Cass. Soc., 17 avril 1991, Bull., n°201.

RDCTSS - 2020/2 71
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

B - Perte de confiance
En France, pendant longtemps, la simple perte de confiance invoquée par l’employeur
suffisait à justifier le licenciement. Les juges se montraient peu exigeants sur les motifs de
cette perte de confiance. Un arrêt du 29 novembre 1990 est venu mettre un coup d’arrêt
à cette jurisprudence, considérant que la perte de confiance ne peut constituer en soi un
motif de licenciement et qu’elle doit nécessairement reposer sur des éléments objectifs20.
Le juge allemand semble également rechercher cette cause objective, mais il le fait toujours
sur le fondement de l’obligation de loyauté.
Prenons ici comme exemple une affaire jugée par la Cour d’appel du travail de Berlin-
Brandebourg21 concernant une salariée cadre dirigeante dans une banque. Dans le
cadre d’une transaction immobilière, elle avait effectué plusieurs versements en espèces,
à hauteur de plusieurs milliers d’euros, auprès de divers guichets bancaires. Or, en tant
qu’établissements de crédit, les banques sont tenues, en application de la loi relative au
blanchiment d’argent, de prendre des mesures de sécurité internes, notamment pour ne
pas être utilisées à des fins de blanchiment d’argent. Ces mesures de sécurité comprennent
entre autres des techniques permettant de contrôler la fiabilité des salariés. Informée
des versements anormaux en espèces effectués par sa salariée, la banque en question
prononça son licenciement pour soupçon de blanchiment d’argent.
La Cour d’appel a validé le licenciement, au motif que la banque était légalement
tenue de prêter une attention particulière au blanchiment d’argent, et a considéré qu’il
en découlait, pour les salariés, une obligation contractuelle accessoire leur interdisant de
prendre part à des transactions ou opérations mettant en cause leur fiabilité au sens défini
par la loi, que ce soit dans le cadre du travail ou en dehors de celui-ci.
En France, les juges auraient probablement conclu en l’espèce à un manquement
à une obligation contractuelle. En effet, il semble que l’on soit plutôt sur le terrain de la
perte de confiance. Les faits ici évoqués rappellent d’autres affaires, en particulier celles
concernant un cadre qui avait fait des chèques sans provision22, ou un autre qui avait
souscrit des emprunts dans plusieurs établissements bancaires au point d’être insolvable23.
Dans ces affaires, les licenciements avaient été prononcés pour perte de confiance, les
juges considérant toutefois que ces comportements n’avaient pas provoqué de trouble
caractérisé au sein de l’entreprise.
Bien que ces exemples soient anciens, on peut penser que la décision des juges serait
identique aujourd’hui mais se fonderait plus probablement sur l’article L. 1121-1 du Code
du travail24. Si les faits n’ont pas de rattachement direct avec les fonctions exercées, le juge
français considère en effet ne plus se trouver sur le terrain des obligations contractuelles
excluant de ce fait le licenciement pour faute.

20 Cass. Soc., 29 nov. 1990, 1991, 190, note J. Pélissier.


21 LAG Berlin-Brandenburg (Cour d’appel du travail de Berlin-Brandebourg) du 23/10/2014 - 21 Sa
800/14 ; Cour fédérale du travail, BAG du 25/4/2018 - 2 AZR 611/17.
22 Cass. Soc., 30 juin 1992, 1992, p. 209.
23 Cass. Soc., 16 déc. 1998, n°96-43540, 1999, p. 19.
24 «  Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de
restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature des tâches à accomplir, ni proportionnées au
but recherché ».

72 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


ALLEMAGNE

Cependant, un licenciement peut avoir une cause réelle et sérieuse, si elle est
« justifiée » par des éléments objectifs. Ces derniers exemples laissent à penser que si le
fait d’effectuer des chèques sans provision ne justifie pas un licenciement, en revanche le
soupçon de blanchiment d’argent, fondé sur des règles bancaires particulières, pourrait
être analysé comme une cause réelle et sérieuse de licenciement par le juge français.
Il semble donc que sur des fondements différents les juges français et allemands
parviennent à des solutions peu éloignées.

III - ANALYSE DE LA JURISPRUDENCE COMPARÉE


En droit allemand, comme en droit français, il convient de différencier globalement
deux situations différentes, selon que le salarié a commis ou non une faute rattachable à
son contrat de travail. La faute commise dans le cadre de la vie privée est prise en compte
dès lors qu’elle viole une obligation accessoire, reconnue dans les deux systèmes juridiques
comme obligation de loyauté (Rücksichtnahmepflichten), assimilable à la bonne foi
contractuelle. Il faut donc que le comportement extra-professionnel du salarié se rattache à
la relation de travail, autrement dit que ce comportement ait des incidences négatives sur
le travail ou l’entreprise, ce qu’il appartient au juge de vérifier.
À cet égard, les infractions commises en dehors du temps et du lieu de travail, et sans
aucun lien avec la relation de travail, restent sans pertinence.
Comme vu ci-dessus, ce lien avec la relation de travail peut être de différente nature. Il
peut notamment résulter du fait que l’infraction commise a un lien avec l’entreprise (trafic
de drogue, fabrication illicite d’alcool, fraude aux droits de l’entreprise, etc.)25. De même, le
lien avec la relation de travail est évident lorsque le matériel de l’entreprise est utilisé pour
commettre des infractions. Mais ce lien peut également découler du fait que les victimes
d’un délit sexuel sont précisément les enfants d’un collègue26.
Parmi d’autres exemples, citons le fait qu’un enseignant doit adopter un comportement
correct à l’égard de ses élèves également en dehors de l’école et pendant son temps libre27;
un steewart ne peut pas consommer de la drogue au cours d’une escale alors que les effets
se ressentiront après sa reprise de travail28; un salarié peut être licencié pour avoir laissé
son chien dans sa voiture sur le parking de l’entreprise alors qu’une salariée a été mordue
sur ce parking29.
En l’absence de faute rattachable au contrat de travail, il semble que les analyses
opérées par les juges des deux côtés du Rhin divergent, du moins sur leur fondement
légal.

25 BAG du 6/11/2003 - 2 AZR 631/02.


26 BAG du 27/1/2011 - 2 AZR 826/09.
27 LAG Berlin du 15/12/1989 - 2 Sa 29/89.
28 Cass. Soc., 27 mars 2012, n°10-19915.
29 Cass. Soc., 4 oct. 2011, n°10-18862.

RDCTSS - 2020/2 73
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

En Allemagne, dans les licenciements prononcés pour motif lié à la personne du salarié,
le juge recherche toujours le lien avec une forme de loyauté qui impose une certaine fidélité
du salarié à l’entreprise, même dans sa vie privée. Ainsi, lorsqu’un salarié de la fonction
publique diffuse des écrits racistes dans le cadre de sa vie privée, il porte atteinte aux
valeurs défendues par son employeur30. Ces cas recouvrent également des situations telles
que celles relatives au blanchiment d’argent, où la probité et la correction d’un salarié du
secteur privé sont mises en cause par des activités extra-professionnelles. Ces agissements
peuvent en effet entraîner une perte de confiance de l’employeur, susceptible de détruire
les bases nécessaires au maintien de la relation de travail.
Ainsi, pour apprécier si des actes commis par des salariés sont de nature à justifier
un licenciement, il importe peu que ceux-ci aient eu lieu pendant ou en dehors de
l’exécution du travail. Il convient plutôt d’examiner si leurs conséquences ont eu un impact
sur la relation de travail. Dès lors, ce n’est pas le « lieu » de la source perturbatrice qui est
déterminant, mais son incidence sur la relation de travail. Toutefois, cette dernière doit être
interprétée au sens large, en tenant compte des intérêts de l’employeur/entrepreneur liés
à l’entreprise (c’est-à-dire l’intégrité, la réputation, la paix dans l’entreprise, mais aussi la
relation de confiance) en application du § 241, alinéa 2 BGB.
La détermination de la portée, comme des limites, des intérêts de l’employeur revêt
ici un rôle essentiel dans la mesure où ces intérêts se heurtent aux espaces de liberté du
salarié, qui découlent du droit de la personnalité. Il conviendra par conséquent d’évaluer
les différents intérêts en prenant en considération le fait que, par la conclusion du contrat
de travail, le salarié s’est lui-même lié à son contenu - là aussi au sens large du terme.
Parallèlement, l’employeur ne pourra pas bénéficier d’un champ de protection tel
que ses intérêts pertinents seraient considérés comme absolus. A titre d’exemple, la « paix
dans l’entreprise » ne signifie pas que toute situation conflictuelle sera éliminée au sein
de l’entreprise. Dans tous les cas, les positions de protection de l’employeur devront être
déterminées en fonction de la situation individuelle, selon le type d’entreprise, les fonctions
exercées par le salarié concerné ; autrement dit les circonstances de la cause.
Depuis 1992, le juge français dispose d’un texte spécial, l’article L. 1121-1, qui
écarte la qualification de faute et oblige à rechercher l’adéquation, la justification et la
proportionnalité. Le juge doit donc faire, comme en Allemagne, une analyse in concreto
des faits et du contexte de l’affaire qui a donné lieu au licenciement.
La plus grande différence réside probablement dans les conséquences de la
qualification du licenciement. Les deux systèmes diffèrent de manière radicale sur ce point.
En droit allemand, si le licenciement est « justifié », le salarié ne sera pas indemnisé ; mais s’il
ne l’est pas, le salarié devra être réintégré. Le droit français a une vision plus indemnitaire du
licenciement, la réintégration étant rarement de droit. Le juge peut la proposer mais si l’une
des parties refuse (l’employeur), la réintégration ne sera pas prononcée. En revanche, les
indemnités varient selon que le licenciement a, ou pas, une cause réelle et sérieuse et que
le salarié a, ou non, commis une faute. La qualification de la faute a donc des conséquences
très importantes en droit français, avec des gradations selon son importance.

30 BAG du 14/2/1996- 2 AZR 274/95.

74 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


ALLEMAGNE

En conclusion, il faut reconnaître que, ni dans le droit allemand, ni dans le droit français,
il n’existe de barrière étanche entre la vie professionnelle et la vie personnelle.
Au contraire, des obligations contractuelles, notamment l’obligation de loyauté,
limitent le comportement du salarié également en dehors du travail. La portée et les limites
de ces obligations sont des éléments déterminants pour l’appréciation d’actes commis en
dehors du travail et pour les conséquences qu’elles entraînent.
Cependant, on peut constater que le juge allemand a une vision plus concrète des
faits, ce n’est pas le lieu où a été commis un acte dommageable qui importe, mais celui de
son effet. Le juge français reste plus attaché à la notion objective de vie privée et donc au
moment où se produit le fait dommageable pour l’entreprise.

RDCTSS - 2020/2 75
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

LES DROITS DE L’EMPLOYEUR SUR LA VIE PRIVÉE


DU SALARIÉ : ÉTUDE DU DROIT RUSSE

Elena Serebryakova
Maître de conférences, Université nationale de recherche « École supérieure
d’économie », Moscou

Elena Sychenko
Maître de conférences, Université d’Etat de Saint-Petersbourg

RÉSUMÉ
Le Code du travail de la Fédération de Russie établit une distinction entre le temps
de travail et le temps de repos. Cependant, le droit du salarié d’utiliser son temps de
repos est souvent limité. Les restrictions sont établies par la loi et peuvent affecter le
droit de l’employé de choisir une activité et sa forme. Dans les deux premières parties
de cet article, nous examinons ces restrictions et leur application dans la jurisprudence
russe. La troisième partie traite du contrôle du salarié pendant le travail.

Mots-clés  : Fédération de Russie, temps de repos, emploi combiné, perte de


confiance de l’employeur, acte immoral, la vidéosurveillance au travail

ABSTRACT
The Labour Code of the Russian Federation distinguishes between working time and
rest time. However, the employee’s right to use his rest time is often limited. The relevant
restrictions are established by law and may affect the right of the employee to choose
an activity and its form. In the first two parts of this article we examine these restrictions
and their application in Russian case-law. The third part deals with the control over the
employee during work.

Key words: Russian Federation, Rest Time, Combining Job, Loss of Confidence
of the Employer, Immoral Deed, Video Surveillance at Work

76 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


FÉDÉRATION DE RUSSIE

L
e Code du travail de la Fédération de Russie distingue les notions de temps de
travail et de temps libre. Aux termes de l’article 106 du Code du travail, le temps
libre correspond au « temps pendant lequel le salarié est libre de l’exercice de
ses fonctions et qu’il peut utiliser à sa discrétion ». Toutefois, le droit du travailleur
à utiliser son temps libre est souvent limité. Les restrictions en la matière sont
établies par la loi et peuvent affecter le droit du salarié de choisir une activité et sa forme.

Ces restrictions portent sur l’exercice d’une autre activité professionnelle pendant le
temps libre (I) ou sur l’exercice de tout autre activité personnelle en dehors du lieu et du
temps de travail (II). Elles peuvent aussi être exercées sur le lieu de travail (III).

I - LES RESTRICTIONS À L’EXERCICE D’ACTIVITÉS


PROFESSIONNELLES SUR LE TEMPS LIBRE
La législation du travail russe permet à un salarié de conclure différents contrats de
travail avec d’autres employeurs pendant son temps libre, en dehors de son travail principal
(Article 282 du Code du travail de la Fédération de Russie). La restriction de ce droit reste
néanmoins possible pour les raisons suivantes :
1- Protection de la santé des salariés. Cette raison est à la base de l’interdiction du travail
secondaire1 pour les personnes âgées de moins de 18 ans, et de l’interdiction de ce travail
dans des conditions dangereuses ou nocives, si le travail principal s’exerce déjà dans ces
mêmes conditions ;
2 - Protection des intérêts publics, qui justifie l’interdiction faite aux travailleurs employés
dans les transports (conducteurs de bus, train, métro, etc.) d’exercer des activités similaires
en tant que travail secondaire (article 329 du Code du travail) ;
3 - Protection des intérêts des entreprises. Dans ce cadre, le Code du travail définit le travail
secondaire pour le sportif (article 348.7 du Code) et pour le chef d’entreprise (article 276
du Code). En effet, ceux-ci ne peuvent exercer un travail principal et un travail secondaire
pour des entreprises concurrentes sans autorisation de l’employeur principal ;
4 - Protection des intérêts de l’Etat. À cette fin, des restrictions au travail secondaire sont
imposées aux fonctionnaires d’Etat et territoriaux ainsi qu’aux procureurs2. Pour autant, les
personnes appartenant à ces catégories ont le droit de s’engager, durant leur temps libre,
dans des activités telles que la recherche scientifique et l’enseignement.

1 Le travail secondaire est un travail effectué durant le temps libre laissé par le travail principal du
salarié.
2 Article 17 de la Loi fédérale du 27/07/2004 n°79-FZ « Sur le service civique de la Fédération de
Russie » (Federalniy zakon «  O gosudarstvennoy grazhdanskoy sluzhbe Rossiyskoy Federatsii »)  ;
Article 14 de la Loi fédérale du 2/03/2007 n°25-FZ « Sur le service municipal dans la Fédération de
Russie » (Federalniy zakon « O munitsypalnoy sluzhbe v Rossiskoy Federatsii ») ; Article 4 de la Loi
fédérale du 17/01/1992 n°2201-1 « Sur le parquet de la Fédération de Russie » (Federalniy zakon «
O prokurature Rossiyskoy Federatsii »).

RDCTSS - 2020/2 77
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

Le Code du travail ne prévoit pas la possibilité de restreindre les droits à l’emploi d’un
ancien collaborateur après la résiliation de son contrat de travail. Il ne reconnait pas non
plus l’accord de non-concurrence. Selon le Ministère du travail de la Fédération de Russie,
un tel accord limitant la liberté de travail d’un salarié viole l’article 37 de la Constitution de
la Fédération de Russie, ainsi que la législation du travail3.
Selon l’article 55 de la Constitution de la Fédération de Russie, la restriction des droits
et libertés des citoyens (en l’occurrence le droit au travail) n’est possible que dans le cadre
de la protection des droits et intérêts des autres personnes, définie par la législation en
vigueur. Jusqu’à présent, en dépit des affirmations de certains experts4 sur la nécessité
d’autoriser les accords de non-concurrence, de telles règles n’ont pas été adoptées et la
conclusion de ce type d’accords avec les professionnels reste illégale.
Dans la pratique, cette approche justifie les rejets de demandes d’indemnités
compensatrices émanant d’ex-salariés signataires d’un accord de non-concurrence. En
particulier, la Cour a considéré illégal un tel accord, car l’article 9 alinéa 2 du Code du travail
prévoit que les contrats de travail ne peuvent contenir des conditions et des restrictions
aux droits, ou la réduction du niveau de garanties pour les salariés, par rapport à celles
établies par la législation du travail. La Cour a ainsi refusé le paiement des indemnités
compensatrices au salarié5.
Toutefois, dans certains cas, les anciens fonctionnaires sont soumis à autorisation pour
l’exercice d’un autre emploi. Cette règle est prévue par l’article 17 de la Loi « sur le service
civique de la Fédération de Russie  ». Dans les deux années qui suivent son départ6, un
fonctionnaire n’a pas le droit de travailler, sans le consentement de la Commission spéciale,
dans des organisations à caractère commercial ou à but non lucratif s’il était en relation avec
elles durant ses attributions professionnelles antérieures. La violation de cette interdiction
entraîne le licenciement de l’ex-fonctionnaire de son nouveau poste. Dans ce cadre, le
Procureur peut être l’initiateur de la résiliation du contrat de travail7.

II - LES RESTRICTION D’ACTIVITÉS NON PROFESSIONNELLES DURANT


LE TEMPS LIBRE
La législation russe prévoit le licenciement d’un salarié au regard de ses activités dans
le cadre du temps libre de sa vie personnelle lorsque ces activités entrainent une perte de
confiance de l’employeur (A) ou si le salarié a commis une faute immorale (B).

3 Lettre d’information du Ministère du travail et de la protection sociale de la Fédération de Russie


du 19 octobre 2017 n°14-2/B-942.
4 Voir S. Vasilyeva, « Travail sur deux fronts : quand un top manager se rend chez un concurrent »
[Rabota na dva fronta  : kogda top ukhodit k konkurentu], Trudovoe pravo, 2018, n°1, p.  75  ;
A. V. Zavgorodniy, « Accord de non-concurrence : expérience des pays étrangers » [Soglachenie o
nekonkurentsii s rabotnikami (zarubezhniy opyt)], Peterburgskiy yurist, 2016, n°3, p. 73.
5 Jugement en appel de la Cour de Moscou du 2 juin 2017, n°33-20918/2017.
6 La liste des postes est établie par le décret du Président de la Fédération de Russie du 21/07/2010
n°925 « Sur les mesures visant à mettre en œuvre certaines dispositions de la loi fédérale “Sur la
lutte contre la corruption“ ».
7 Voir par exemple la décision du tribunal de l’arrondissement Meschansky de Moscou du 4 mai
2017 n°2-7290/2017.

78 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


FÉDÉRATION DE RUSSIE

A - Les activités entraînant une perte de confiance de l’employeur


La perte de confiance est un motif de rupture du contrat de travail du salarié, d’un
fonctionnaire d’Etat ou d’un fonctionnaire territorial. Pour licencier un salarié en invoquant
ce motif, l’employeur doit prouver qu’il a commis une infraction. Le salarié peut être licencié
même si ladite infraction n’est pas liée à son travail et est commise en dehors de l’entreprise8.
Ce motif de licenciement est applicable uniquement aux salariés qui sont responsables de
valeurs monétaire ou marchandes, par exemple cassiers, agents transitaires, vendeurs…
La perte de confiance à l’égard d’un fonctionnaire peut être engendrée par le
non-respect des interdictions et restrictions définies dans le droit de la fonction publique.
Les restrictions et interdictions non compatibles avec les règles de la fonction publique sont
nombreuses. Il s’agit notamment de l’interdiction de déclarations publiques, de jugements
et d’évaluations des activités d’autorités de la fonction publique et de leurs dirigeants, y
compris les décisions d’une autorité publique supérieure, ou d’une autorité publique dans
laquelle le fonctionnaire assure un remplacement si cela ne relève pas directement de ses
fonctions statutaires9.
Cette interdiction, appelée interdiction de critiquer les décisions de la hiérarchie et
critiquée par de nombreux spécialistes10, est reconnue comme conforme à la Constitution
de la Fédération de Russie. La conclusion en a été tirée par la Cour constitutionnelle en
2011, suite à des plaintes formulées par des fonctionnaires de la police et de l’administration
fiscale licenciés pour avoir critiqué les modalités de calcul de leurs salaires.
Tout en reconnaissant cette interdiction comme étant conforme à la Constitution, la
Cour constitutionnelle a indiqué qu’elle ne pouvait être considérée comme interdisant
aux fonctionnaires d’exprimer leur opinion, jugement et appréciation sur les activités des
autorités publiques. Pour apprécier la légalité de l’action d’un fonctionnaire, un certain
nombre de circonstances doivent être prises en compte  : le contenu des déclarations
publiques, leur intérêt, le rapport entre les dommages causés à l’intérêt public et les
dommages évités, la possibilité d’un fonctionnaire de défendre ses droits ou l’intérêt public
par d’autres moyens que la déclaration.
Toutefois, l’analyse de la jurisprudence relative à l’application des dispositions
législatives en cause montre que certaines Cours indiquent encore dans leurs décisions
que « le simple fait qu’un policier ait fait publiquement une déclaration dans les médias
pour critiquer les activités du chef des services de l’Intérieur est une raison suffisante pour
lui infliger des sanctions disciplinaires »11.

8 Alinéa 45 de la Résolution de l’Assemblée plénière de la Cour Suprême de la Fédération de Russie


du 17/03/2004 n°2.
9 Article 17 alinéa 1 paragraphe 17 de la Loi fédérale « Sur le service civique de la Fédération de
Russie ».
10 Voir M. V. Presnyakov et S. E. Tchanov, «  Liberté d’expression dans la fonction publique  : le
démantèlement achevé » [Svoboda slova na gosudarstvennoy grazhdanskoy sluzhbe : demontazh
zaverchen], Administrativnoe pravo y protsess, 2017, n°11, p. 18.
11 Voir la décision du tribunal de la ville de Noyabrsk du 20 février 2017 n°2-405/2017.

RDCTSS - 2020/2 79
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

Une telle approche élimine pratiquement toute obligation de transparence de la part


des pouvoirs publics et se trouve manifestement en contradiction avec la Recommandation
du Conseil de l’Europe relative à la protection des lanceurs d’alerte.
En effet, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré, à plusieurs reprises,
que dans un système démocratique, les actions ou omissions du Gouvernement doivent se
trouver placées sous le contrôle attentif non seulement des pouvoirs législatif et judiciaire,
mais aussi des médias et de l’opinion publique12.

B - La faute immorale du salarié


Une faute immorale commise pendant son temps libre peut être à l’origine du
licenciement d’un salarié qui exerce des fonctions éducatives, comme par exemple un
enseignant, un professeur, un maître de formation professionnelle. Le Code du travail ne
prévoit pas de définition du caractère immoral d’une faute. Dans chaque affaire, la question
de l’immoralité des actions de l’enseignant est tranchée au cas par cas.
Le Ministère de l’éducation a élaboré des normes éthiques professionnelles pour les
enseignants13, qui sont notamment encouragés à :
- éviter les situations susceptibles de porter atteinte à l’honneur, la dignité et la réputation
d’un enseignant ou d’un établissement d’éducation ;
- s’abstenir de diffuser sur Internet et dans des lieux accessibles aux enfants, des informations
préjudiciables à leur santé ou à leur développement.
La nature des informations préjudiciables à la santé ou au développement des enfants
est définie par la loi14.
Il s’agit notamment des informations :
- susceptibles d’inciter les enfants à consommer des stupéfiants, du tabac, de l’alcool, à se
prostituer, à vagabonder ou à mendier ;
- justifiant un comportement illégal ou la licéité de la violence, ou incitant à la violence à
l’égard des êtres humains ou des animaux ;
- encourageant des relations sexuelles ;
- contenant des mots grossiers ou vulgaires.
La diffusion de ces informations par l’enseignant est considérée, par son employeur,
comme une action incompatible avec la poursuite d’activités éducatives  ; il en est de
même, si l’enseignant, pendant son temps libre, a publié sur sa page privée d’un réseau
social des photos sur lesquelles, par exemple, il fume ou consomme de l’alcool. L’analyse
de la jurisprudence montre que dans ces situations, les tribunaux valident la décision de
l’employeur et refusent la réintégration des enseignants concernés.

12 CEDH, affaire Guja c. Moldova (n° 14277/04) du 12 février 2008, alinéa 74.
13 Lettre du Ministère de l’éducation et du syndicat des salariés de l’enseignement public et des
sciences de la Fédération de Russie du 20/08/2019 «  Modèle de règlement sur l’éthique
professionnelle des enseignants ».
14 Article 5 de la Loi fédérale du 29/12/2010 n°436-FZ «  Sur la protection des enfants contre les
informations préjudiciables à leur santé et à leur développement » [Federalniy zakon « O zaschite
detey ot informatsii, pritchinyayuschey vred ikh zdorovyu i razvitiyu »].

80 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


FÉDÉRATION DE RUSSIE

Les prescriptions relatives à l’apparence de l’enseignant ne sont pas vraiment régies par
les règles éthiques professionnelles de l’enseignement. Cependant, les enseignants sont
encouragés à « adhérer à une apparence conforme aux objectifs du programme éducatif
en cours  ». De plus, les employeurs exigent que les salariés dans la sphère éducative
suivent cette règle, tant au travail que dans leur vie privée. La publication de photos au
contenu « frivole » sur les réseaux sociaux peut être la cause de licenciement, l’évaluation
de la « frivolité » de l’image restant à la discrétion de l’employeur.
Au cours des dernières années, de nombreuses enseignantes ont ainsi failli perdre leur
emploi en raison de la publication sur les réseaux sociaux de photos en maillot de bain,
y compris lors de compétitions de natation. L’épisode particulièrement notable fut le cas
d’une enseignante qui, durant son temps libre, a suivi une formation dans une agence de
mannequinat, durant laquelle elle a participé à une séance photo en maillot de bain de
style rétro. L’agence ayant publié ces photos sur Internet, la direction de l’école où travaillait
l’enseignante a estimé que son comportement portait attente à l’image de l’établissement.
Dans ce cas et dans bien d’autres, les salariés n’ont pas cherché à se défendre devant
les tribunaux, mais c’est le soutien des parents et de l’opinion publique qui a contribué à
leur retour au travail dans les écoles.

III - LE CONTRÔLE DE LA VIE PRIVÉE SUR LE LIEU DE TRAVAIL


Contrairement à la législation de plusieurs pays européens15, la législation russe ne
contient pas de règles spéciales relatives à la procédure de surveillance du travailleur ou
relatives aux garanties de sa vie privée sur le lieu de travail. Néanmoins, le droit au respect
de la vie privée, au secret de la correspondance, des conversations téléphoniques et des
mails, sont garantis par l’article 23 de la Constitution de la Fédération de Russie.
Il est ici utile d’analyser la jurisprudence en matière de recours exercés par des salariés
contre la vidéo-surveillance utilisée pour vérifier les processus de travail. Il semble que les
tribunaux aient tendance à ignorer les règles sur le droit au respect de la vie privée, dans la
mesure où ils concluent par exemple que « la vidéosurveillance a été réalisée sur le lieu de
travail, de sorte que les salariés de l’entreprise et le demandeur n’ont pas été lésés dans la
vie privée »16, ou encore que « l’utilisation de la vidéo-surveillance par l’employeur ne viole
pas les droits constitutionnels du salarié au respect de la vie privée (...) si elle est effectuée
à des fins liées à la protection du bâtiment et non pour établir les circonstances de sa vie
privée »17.

15 Par exemple, en Italie, l’article 4 de la loi n°300/1970 sur les travailleurs traite de la procédure
d’utilisation des moyens techniques pour le contrôle du travailleur ; en Espagne, l’article 18 de la
loi sur les travailleurs traite notamment de la vie privée du travailleur (voir le décret législatif Royal
n°2/2015 du 23 octobre 2015).
16 Décision du tribunal de district Volzhsky de la ville de Saratov du 20 juillet 2012 n°2-3212.
17 L’affaire concerne la surveillance vidéo des salariés, et le licenciement sur la base des données des
caméras vidéo installées dans le bâtiment : Décision du tribunal de District de Moscou de Riazan
du 29 avril 2019 n°2-2607/2018. Pour une approche similaire en ce qui concerne les caméras
installées pour assurer la sécurité dans une entreprise, voir notamment : le jugement en appel de
la Cour de la région de Krasnoïarsk du 14 novembre 2012 n°33-989920 ; la décision de tribunal de
la ville de Michurinsk de la région de Tambov du 15 juillet 2016 n°2-947/2016.

RDCTSS - 2020/2 81
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

Il est intéressant de noter que les vidéos enregistrées par les caméras installées pour
la « sécurité » ont pourtant été utilisées par certains employeurs pour prouver l’absence
d’un salarié sur le lieu de travail. Dans d’autres affaires, les tribunaux laissent sans réponse
l’argument du salarié selon lequel la vidéo viole son droit au respect de la vie privée18.
En raison de l’absence de règles spécifiques concernant la procédure de contrôle des
travailleurs, la réglementation des enregistrements vidéo et audio, ainsi que la collecte
d’informations par des moyens techniques, doivent être effectuées conformément à la
Loi «  Sur les données personnelles  ». Ce sont les dispositions de cette loi qui donnent
souvent lieu à un recours du salarié contre la surveillance vidéo établie par l’employeur, ou
à une contestation de la sanction imposée pour une faute établie à la suite de la collecte
d’informations par l’employeur par des moyens techniques.
S’agissant de la procédure de traitement des données personnelles, établie par la
loi susmentionnée, une personne peut décider de fournir, dans son intérêt propre, ses
données personnelles (article 9 de la loi). Le consentement pour leur utilisation doit être
libre et spécifique, sans pression d’aucune sorte, et la personne concernée doit en être
préalablement informée.
Une réglementation spéciale est prévue pour le traitement des données biométriques,
c’est-à-dire des informations qui définissent les caractéristiques physiques et biologiques
d’une personne, sur la base desquelles il est possible d’établir son identité. Étant donné
que l’enregistrement vidéo, la photographie et l’enregistrement audio, permettent d’établir
l’identité du travailleur, ces contrôles de collecte de données personnelles biométriques
nécessitent un consentement écrit (article 11 de la loi). Dans ce consentement, il est
important d’indiquer, en particulier, le but du traitement des données personnelles, leur
énumération et la liste des actions pour lesquelles le consentement est donné, ainsi que la
méthode de retrait du consentement (article 9 de la loi).
L’analyse de la jurisprudence démontre que, dans la plupart des cas, les tribunaux,
ne sont pas enclins à considérer la vidéo comme une méthode permettant d’obtenir les
données biométriques du salarié. Ils négligent souvent l’argument du salarié relatif à
l’absence d’un consentement écrit autorisant le traitement des données19. Ces mêmes
tribunaux considèrent comme consentement écrit la signature du salarié apposée sur un
document indiquant qu’il a pris connaissance du règlement relatif à l’utilisation de ses
données personnelles par l’entreprise20.
Selon une autre tendance évidente, les tribunaux russes estiment que « l’enregistrement
vidéo n’est pas une divulgation des données personnelles d’un salarié et ne viole pas les
exigences de la loi »21. En règle générale, les juges ne donnent pas d’arguments juridiques
en faveur de cette interprétation de la loi.

18 Voir le cas de l’installation sur un ordinateur professionnel du programme « Cliché instantané » qui
garde la trace de tous les fichiers : décision du tribunal de district Leninsky de la ville de Yaroslavl
du 27 mars 2019 n°2-1688/2018.
19 Décision du tribunal de district Partizansky (Primorsky Krai) du 15 juin 2018 n°2-466/2018 ; décision
du tribunal de la ville de Chouya du 30 mai 2016 n°2-1834/2016.
20 Décision du tribunal d’arrondissement Presnensky de Moscou du 2 juin 2015 n°2-19/2015.
21 Décision du tribunal de district Moskovsky de la ville de Ryazan du 29 avril 2019 n°2-2607/2018 ;
jugement en appel de la Cour de la région d’Orenbourg du 3 décembre 2014 n°33-7039/2014.

82 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


FÉDÉRATION DE RUSSIE

Dans la pratique, seules deux affaires ont conduit le tribunal à interpréter littéralement
la loi et à appliquer strictement ses dispositions, concluant ainsi que l’enregistrement
vidéo était illégal. Dans la première affaire, la décision était motivée par l’absence de
consentement écrit du salarié22, alors que dans la seconde, l’utilisation des vidéos reçues a
été déclarée non-conforme aux objectifs définis dans le consentement signé par le salarié23.
L’analyse de la pratique jurisprudentielle sur la surveillance vidéo du salarié montre
que l’enregistrement vidéo, comme les autres contrôles portant sur les obligations
professionnelles du salarié effectués à l’aide de moyens techniques -tels que la copie de
clichés instantanés de tous les fichiers sur l’ordinateur du salarié24-, sont interprétés par les
tribunaux comme la réalisation du droit de l’employeur à la gestion du travail (article 22 du
Code du travail).
En règle générale, l’existence d’un consentement général pour le traitement des
données personnelles ou la fixation dans le règlement interne de l’entreprise de la
possibilité d’enregistrement vidéo du processus de travail est considérée comme suffisante
pour la reconnaissance légale d’un tel contrôle25.
Enfin, une caractéristique importante de la jurisprudence russe est le fait que,
dans la plupart des cas, les plaignants licenciés pour manquement à des obligations
professionnelles, prouvé par enregistrement vidéo, ne contestent pas l’illégalité de cette
preuve et la violation de leur droit au respect de la vie privée26. Dans aucune de ces affaires,
les tribunaux n’ont enquêté sur la légalité de l’enregistrement vidéo, en dépit de l’article 55
du Code de procédure civile énonçant que les preuves, reçues en violation de la loi, n’ont
pas de force juridique et ne peuvent servir de base à la décision du tribunal.
L’analyse des décisions des tribunaux russes sur l’ingérence de l’employeur dans la
vie privée du salarié et sur le traitement des données personnelles, permet de mettre en
lumière les approches systémiques suivantes:
- une approche large pour déterminer la portée du pouvoir discrétionnaire de l’employeur
et déterminer les méthodes de contrôle des travailleurs sur le lieu de travail;
- l’examen des affaires par le juge à la lumière de la protection des données personnelles,
sans prise en considération de la protection du droit au respect de la vie privée;
- l’interprétation du consentement général du salarié à l’utilisation de ses données
personnelles donné dans le cadre du contrat de travail, comme le consentement à tout
type de contrôle de l’employé via l’utilisation de diverses techniques de surveillance et
technologies de l’information;
- la non-application des normes sur la nécessité du consentement écrit du salarié dans le
traitement des données personnelles biométriques.

22 Décision de la Cour suprême de la République du Daghestan du 24 mai 2018.


23 Décision du tribunal de district Centralny de la ville de Sotchi du 21 février 2013 n°2-780/2013.
24 Décision du tribunal de District de Leninski de la ville de Yaroslavl du 27 mars 2019 n°2-1688/2018.
25 Décision du tribunal de district Privokzalny de la ville de Toula du 26 juin 2017 n°2-502/2017  ;
Décision du tribunal de district de Leninsky de la ville de Voronej du 19 mai 2017 n°2-1609/2017 ;
Jugement en appel de la Cour de la région de l’Altaï du 15 octobre 2013 n°33-8403/2013.
26 Décision du tribunal de district Frunzensky de la ville de Yaroslavl du 4 juillet 2019 n°2-999/2019 ;
décision du tribunal de district Uchalinsky (République de Bachkirie) du 21 juin 2019 n°2-873/2019 ;
décision du tribunal de district de Leninsky de la ville de Novossibirsk du 19 juin 2019 n°2-1571/2019.

RDCTSS - 2020/2 83
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

Force est de constater que dans la plupart des cas d’utilisation de la vidéo lors du
processus de travail, les tribunaux appliquent incorrectement - ou n’appliquent pas - la loi
fédérale « Sur les données personnelles ».
En outre, les tribunaux se montrent sceptiques quant à l’existence d’une « vie privée »
sur le lieu de travail, ignorant de fait les arguments des salariés portant sur la violation par
l’employeur de ce droit constitutionnel. Cette position est une manifestation de l’hérédité
soviétique. La période de l’URSS se caractérisait notamment par le flou des frontières entre
la vie privée et publique, en dehors du temps de travail et par le déni sans équivoque
de la vie privée sur le lieu de travail. L’évolution de la situation économique et politique
n’entraîne pas automatiquement le renforcement de nouvelles valeurs dans la société,
malgré leur incorporation dans la législation nationale.
Les exemples positifs d’autres pays et l’influence du droit international peuvent
être importants dans ce processus. Selon l’alinéa 4 de l’article 15 de la Constitution de
la Fédération de Russie, le droit international fait partie du système juridique russe et a
priorité sur les normes nationales.
À cet égard, la position de la Cour européenne des droits de l’homme concernant les
limites de la protection de la vie privée du travailleur, les facteurs à prendre en compte par
les tribunaux dans les affaires de vidéo surveillance du travailleur ou d’ouverture de son
courrier, revêt une importance particulière27. En outre, la connaissance par les avocats des
positions juridiques de la CEDH sur la question de la protection de la vie privée sur le lieu de
travail, et la référence dans de telles déclarations à l’article 8 de la Convention Européenne
des Droit de l’Homme et aux décisions susmentionnées de la CEDH, pourraient entraîner
un changement significatif de la pratique judiciaire en Russie.
Il convient de souligner qu’en général, la législation de la Fédération de Russie est
conforme aux normes de la Convention28. Dans le même temps, la pratique établie de
son utilisation est contraire non seulement aux exigences générales pour le traitement
des données personnelles des salariés, établies par l’article 86 du Code du travail, mais
également aux principes de base de la protection de la vie privée découlant de l’article 8
de ladite Convention.

Conclusion
Les droits de certaines catégories de travailleurs visant à choisir l’utilisation de leur
temps libre sont restreints. Les restrictions apportées à l’exercice d’un travail à titre
secondaire reposent sur la nécessité de protéger les intérêts du travailleur lui-même, de la
société ou de l’employeur.

27 CEDH, affaire Bărbulescu c. Romanie (61496/08) 5 septembre 2017, alinéa 121; affaire Köpke c.
Allemagne (420/07)  du 5 octobre 2010; affaire Copland c. Royaume-Uni (62617/00)  du 3 avril
2007; affaire Peev c. Bulgarie (64209/01) du 26 juillet 2007.
28 Voir notamment la Loi fédérale du 27/07/2006 n° 152-FZ «  Sur les données personnelles  »
(Federalniy zakon «O personalnykh dannykh»).

84 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


FÉDÉRATION DE RUSSIE

Les restrictions morales imposées au comportement des enseignants en dehors du lieu


de travail offrent à l’employeur un large degré d’interprétation des activités de l’enseignant
durant son temps libre.
Quant aux problèmes qui surviennent lors de l’examen, par les tribunaux, d’affaires
relatives aux contrôles du travailleur sur le lieu et durant le temps de travail, ils pourraient être
corrigés par le recours, dans la jurisprudence russe, aux décisions de la Cour européenne
des droits de l’homme.

RDCTSS - 2020/2 85
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

LE DROIT À UN ÉQUILIBRE ENTRE VIE


PROFESSIONNELLE ET VIE PRIVÉE EN ESPAGNE1

Mercedes López Balaguer


Professeure des universités titulaire en droit du travail et de la sécurité sociale,
Université de València

Emma Rodríguez Rodríguez


Professeur des universités et docteure en droit du travail et de la sécurité sociale,
Université de Vigo

RÉSUMÉ
Cet article vise à étudier les nouvelles fonctionnalités incorporées à l’art. 34,8ET après la
réforme opérée par RDL 6/2019. Ce RDL a considérablement modifié la portée du droit
des travailleurs à adapter les horaires de travail pour compatibiliser travail et famille.
C’est un droit dont l’exercice génère une importante controverse dans les entreprises
comme en témoigne le nombre de jugements en la matière. Par conséquent, l’analyse
sera menée dans une perspective très pratique pour évaluer la portée de la réforme de
2019 à travers l’interprétation que les tribunaux font du droit d’adaptation.

Mots-clés  : Égalité, coresponsabilité, adaptation de la journée de travail,


conciliation

ABSTRACT
This article aims to study the new features incorporated into art. 34.8 ET after the reform
operated by RDL 6/2019. This RDL has significantly modified the scope of the right of
workers to adapt working hours to compatibilize work and family. It is a right whose
exercise is generating an important controversy in companies as prove the number of
judgment on the matter. Therefore, the analysis will be conducted from a very practical
perspective to assess the scope of the 2019 reform through the interpretation that the
Courts make of the right of adaptation.

Key words: Equality, Co-responsibility, Adaptation of Working Day, Conciliation

1 Ce travail s’inscrit dans le cadre des projets de recherche DER2017-83488-C4-3-R «  Les droits
fondamentaux du travail salarié à l’ère du numérique  », et DER2017-83488-C4-2-R «  Les droits
fondamentaux face à l’évolution du travail indépendant à l’ère du numérique  » (ministère des
sciences, de l’innovation et de l’enseignement supérieur).

86 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


ESPAGNE

L
a question de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée a occupé le
devant de la scène dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne,
devenant le fer de lance du droit à l’égalité des sexes2. Traditionnellement, les
congés figurent parmi les principaux mécanismes permettant de concilier travail
et vie personnelle.

La flexibilité des horaires a, elle aussi, été de plus en plus invoquée pour ajuster les
conditions de travail à la vie personnelle et aux obligations familiales des travailleurs,
sans avoir à sacrifier les unes au profit des autres. En outre, les autorités publiques ont été
appelées à proposer des services adaptés à la prise en charge des adultes et des mineurs
dépendants3.
Les congés ont joué un rôle majeur mais se sont avérés inefficaces, tandis que la
flexibilité des horaires, et plus généralement les mécanismes permettant d’adapter le
temps de travail au temps de « non-travail »4, répondent mieux à l’objectif d’une véritable
conciliation. C’est pourquoi, ces situations doivent être appréhendées à travers le prisme
du genre5.
En 2012, le législateur espagnol a importé l’idée de la « flexisécurité » portée par les
institutions de l’Union Européenne, et a promulgué la loi 3/2012 du 6 juillet 2012 relative
aux mesures urgentes de réforme du marché du travail6. Celle-ci, comme la loi qui la
précédait7, a fait de la flexibilité du travail son objectif principal. Son chapitre III s’intitule
« mesures visant à accroître la flexibilité interne des entreprises pour pallier la destruction
d’emplois  », sachant que le recours à la flexibilité interne, comme outil fondamental de
l’employabilité, figure dans l’ensemble des dispositions8.
Cette tendance à la « flexibilité » des conditions de travail n’est pas nouvelle dans la
législation espagnole.

2 M. Bittman et N. Folbre, Family time. The social organization of care, éd. Routledge, London-New
York, 2004, p. 1.
3 E. Rodríguez Rodríguez, Institutions permettant de concilier le travail avec la nécessité de s’occuper
des proches, Étude de droit comparé, Bomarzo, 2010.
4 M. E. Casas Baamonde, «  Organisation du temps de travail sensible à la dimension du genre:
conciliation vie personnelle, vie professionnelle », Documentación Laboral, nº117, 2019, p. 19.
5 En Espagne, 89 % des aidants familiaux sont des femmes, principalement des épouses et des filles,
âgées de 45 à 65 ans, selon les chiffres du Conseil supérieur de la recherche scientifique (CSIC).
En Espagne, 85 % des femmes continuent d’effectuer des travaux domestiques et 95 % s’occupent
des enfants (Eurostat).
6 Bulletin Officiel de l’État (ci-après BOE), 7 juillet 2012.
7 Décret royal 3/2012 du 10 février, BOE du 11 février 2012.
8 Par exemple, le travail à temps partiel est qualifié de « mécanisme pertinent dans l’organisation
flexible du travail  », de même que les heures supplémentaires sont désormais autorisées, ou
encore la négociation collective et la priorité accordée à l’accord d’entreprise, justifiée «  pour
permettre la gestion flexible des conditions de travail ».

RDCTSS - 2020/2 87
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

En effet, le chapitre II de la loi 35/2010 du 17 septembre portant mesures urgentes


pour la réforme du marché du travail9 prévoyait déjà des «  mesures pour favoriser la
flexibilité interne négociée dans les entreprises et promouvoir la réduction du temps de
travail comme instrument d’ajustement temporaire de l’emploi ». En 2010, les instruments
favorisant la flexibilité interne avaient été négociés, alors qu’en 2012 les prérogatives de
l’employeur ont été considérablement étendues10.
Ce renforcement du pouvoir de décision de l’employeur sur les questions de flexibilité
interne a accru la vulnérabilité des travailleurs ayant des responsabilités familiales, qui
peinent davantage que les autres salariés à s’adapter à des conditions de travail nouvelles
et variables. C’est notamment le cas s’agissant des changements de réglementation ayant
trait aux conditions de travail - également dénommées « vicissitudes » du contrat de travail
- et au système juridique des négociations collectives11.
Comme pour compenser cette situation, l’article 40 alinéa 5 du Statut des Travailleurs
énonce que «  la stabilité professionnelle peut être accordée en priorité aux travailleurs
d’autres catégories, tels que les travailleurs soumis à des obligations familiales (...)
par le biais d’une convention collective ou d’un accord conclu durant la période de
consultation  ». Comme l’a relevé par la doctrine12, le terme «  obligations  » utilisé pour
désigner les responsabilités familiales en dit long sur la position du législateur. Par
ailleurs, cette possibilité étant offerte dans le cadre d’un « accord conclu durant la période
de consultation  », seuls les changements de nature collective sont concernés puisqu’en
cas de changements individuels, il n’existe pas de période de consultation. En effet, les
représentants des travailleurs et la partie intéressée sont seulement « avertis » de la décision
de l’entreprise.
Cette disposition pose également d’importants problèmes de fond. Le législateur
semble méconnaître le droit fondamental de conciliation, il serait donc vain de l’invoquer
dans le cadre d’une convention collective. La jurisprudence du Tribunal constitutionnel
est favorable à la reconnaissance du caractère fondamental du droit de concilier vie
professionnelle, vie personnelle et vie familiale13. Cependant, le renforcement de la
flexibilité interne a conduit de nombreux travailleurs ne pouvant faire face aux changements
dans l’entreprise, à quitter leur emploi. Autrement dit, la négation du droit fondamental de
concilier vie professionnelle et vie familiale a entraîné la mise au banc des travailleurs ayant
des responsabilités familiales.
Le législateur espagnol est intervenu à plusieurs reprises sur le droit d’adapter la
journée de travail dans la perspective d’une conciliation vie familiale et vie professionnelle
à l’origine de décisions judiciaires aussi bien sur les conditions de fond de ce droit (I) que
sur les garanties procédurales (II).

9 BOE du 18 septembre 2010. Ce règlement est dans la lignée de la loi RD 10/2010 du 16 juin
(BOE du 17 juin 2010).
10 F. Valdés Dal-Ré, « La flexibilité interne dans la loi 3/2012 », RL, n°15-18, août 2012: http://revistas.
laley.es/Content/Documento
11 Id.
12 M. A. Ballester Pastor, « Comment la réforme opérée par la loi RD 3/2012 a entaché le caractère
fondamental du droit de conciliation des responsabilités », RDS, nº57, p. 105.
13 STC 3/2007 du 15 janvier 2007.

88 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


ESPAGNE

I - LE DROIT À L’ADAPTATION DE LA JOURNÉE DE TRAVAIL


POUR CONCILIER VIE FAMILIALE ET VIE PROFESSIONNELLE
Dans le système juridique espagnol, la modification de l’article  2(8) du Décret-loi
royal 6/2019 du 1er mars 201914 a supposé l’ajustement du droit d’adaptation de la journée
de travail prévu par l’article 34.8 du Statut des travailleurs, ce qui répond dans une large
mesure aux dispositions de la nouvelle Directive 2019/1158.
Intégré au texte de l’article 34 du Statut des travailleurs par la loi organique 3/2007 du
22 mars 2007 relative à l’égalité effective entre femmes et hommes, cet alinéa 8 s’inscrit dans
la lignée d’une série de mesures visant à favoriser l’équilibre entre vie professionnelle et vie
familiale. À son tour, la loi 3/2012 du 6 juillet 2012 relative aux mesures urgentes de réforme
du marché du travail a révisé le texte de l’article 34.8 du Statut des travailleurs, en y ajoutant
un second paragraphe. Or depuis son approbation, la portée du droit à l’adaptation de
la journée de travail, jusqu’alors régi par l’article 34.8 du Statut des travailleurs, est remise
en question par la jurisprudence15. Avec la réglementation antérieure, et compte tenu de
l’absence de mesures normalisées applicables en la matière, l’adaptation de la journée de
travail pouvait n’aboutir à rien, même si certaines juridictions considéraient que l’entreprise
devait apporter des explications objectives pour justifier sa réponse négative, en raison de
la nature constitutionnelle du droit et des intérêts en jeu16.
Depuis la réforme apportée par le Décret-loi royal 6/2019, l’article 34.8 du Statut des
travailleurs régit expressément le droit des salariés à « demander l’adaptation de la durée
et de la répartition de leur journée de travail, en matière d’aménagement du temps de
travail et de forme de la prestation, y compris le travail à distance, pour rendre effectif leur
droit à un équilibre entre vie familiale et vie professionnelle ». La référence antérieure à
l’équilibre entre vie professionnelle et vie « privée » disparaît donc, même si sa répercussion
était imperceptible dans la pratique17.
Avec la réforme de 2019, la demande d’adaptation de la journée de travail se limite au
besoin des salariés de concilier vie professionnelle et vie de famille. Les limites de la portée
subjective de cette adaptation doivent donc être rattachées aux sujets qui se trouvent à
l’origine de ce droit. À cet égard, la règle édictée comprend aujourd’hui une référence
qui n’existait pas auparavant, à savoir la limite d’âge, lorsque la personne à l’origine de
laquelle s’exerce ce droit est un enfant. Cette limite d’âge est fixée à 12 ans. Concrètement,

14 Décret-loi royal  6/2019, du 1er  mars  2019 sur les mesures urgentes garantissant l’égalité de
traitement et l’égalité des chances entre les hommes et femmes en matière d’emploi et de travail,
BOE du 7 mars 2019.
15 Voir par exemple les décisions du Tribunal suprême des 13 et 18 juin 2008, Rec. 897/07 et 1625/07.
16 Décision du Tribunal Superior de Justicia de Asturias du 18  décembre  2009, Rec.  2738/09  ;
Décision du Tribunal Superior de Justicia de Galicia du 20 mai 2010, Rec. 4392/09 ; Décision du
Tribunal Superior de Justicia de Andalucía du 5  avril  2017, Rec.  2736/16  ; Décision du Tribunal
Superior de Justicia de Madrid du 28 novembre 2018, Rec. 971/2018.
17 G. Rodríguez Pastor, « Tiempo de trabajo tras la reforma operada por la LOI », in AAVV, Los aspectos
laborales de la Ley de Igualdad, Tirant lo Blanch, 2007, p. 80 ; C. Alfonso Mellado, « El tiempo de
trabajo en la Ley Orgánica para la igualdad efectiva de mujeres y hombres », in AAVV, Comentarios
a la Ley Orgánica 3/2007, de 22 de marzo, para la igualdad efectiva de mujeres y hombres, Madrid,
La Ley, 2008, p. 412.

RDCTSS - 2020/2 89
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

le texte dispose que « lorsqu’il/elle a des enfants, le salarié / la salariée peut introduire une
demande jusqu’à ce que lesdits enfants atteignent l’âge de 12 ans ».
Ainsi, le législateur assortit au droit d’adaptation de la journée de travail la même limite
d’âge des enfants que celle assortie aux hypothèses de réduction du temps de travail pour
garde d’enfants (article  37.6 du Statut des travailleurs). Dès lors, le droit de demander
l’adaptation de la journée de travail pour une conciliation liée aux enfants ne pourra être
exercé que durant ce laps de temps, et non après18. Bien entendu, cette limite renvoie
aux hypothèses supposant une attention ou des soins intrinsèquement liés à la minorité
de l’enfant, pouvant nécessiter une attention particulière justifiée par des circonstances
objectives.
Outre les enfants - et comme dans la réglementation antérieure - le droit à demander
l’adaptation de la journée de travail est également applicable aux cas de prise en charge
de membres de la famille. Avec l’absence de toute limite introduite par la loi modifiée
concernant les membres de la famille, il conviendra d’opter pour une interprétation au
sens large, selon laquelle la demande d’équilibre entre vie familiale/professionnelle ne se
limitera pas aux conditions fixées par l’article  37.6 du Statut des travailleurs sur les liens
familiaux - personnes jusqu’au deuxième degré de parenté ou d’affinité qui, en raison
de leur âge, d’un accident ou de maladie, ne peuvent être autonomes et n’exercent pas
d’activité rémunérée -, mais pourra s’étendre au-delà.
Concernant le champ d’application objectif, le droit régi par l’article  34.8 après la
réforme de 2019 permet au salarié de présenter à son entreprise une demande portant
sur l’adaptation, d’une part de la durée et de la répartition de la journée de travail, d’autre
part de l’aménagement du temps de travail, et enfin de la forme de la prestation, y compris
le travail à distance. Pour ce qui est de l’adaptation de la durée et de la répartition du
temps de travail, la portée de cette disposition ne modifie pas la lettre de la loi, puisqu’elle
était déjà reconnue en ces termes. En revanche, les mentions relatives à l’aménagement
du temps de travail, à la forme de la prestation du service, ainsi qu’au travail à distance,
constituent pour leur part des nouveautés.
De fait, la jurisprudence refusait aux salariés le droit de modifier - sans la réduire -
leur journée de travail en vertu de l’article  37.6 du Statut des travailleurs, arguant que
cette hypothèse n’était pas prévue par le texte de loi et qu’une demande d’adaptation
sans réduction de la journée de travail se trouvait dès lors « dépourvue de fondement
juridique »19. Même avant l’introduction de l’article  34.8 dans le Statut des travailleurs,
les juridictions exhortaient le législateur à reconnaître le droit d’adaptation de la journée
de travail, étant entendu qu’il « serait recommandé et souhaitable d’introduire une plus
grande souplesse sur le lieu de travail englobant, pour la salariée, la possibilité de choisir
ses horaires de travail en fonction de sa nouvelle situation personnelle, sans réduire sa
journée de travail, afin d’assurer un maximum de compatibilité et d’adaptation entre sa vie

18 Par opposition à cette interprétation, le Juzgado de lo Social n°1 de Valladolid a estimé, dans sa
décision 146/2019 du 22 novembre 2019, que la limite d’âge de 12 ans ne devait pas entraver
l’exercice du droit concerné une fois cet âge dépassé par les enfants.
19 Décision du Tribunal Superior de Justicia de Andalucía du 23  décembre  2008, Rec.  2059/08  ;
Décision du Tribunal Superior de Justicia de Cataluña du 7 février 2008, Rec. 7922/06 ; Décision du
Tribunal Superior de Justicia de Madrid du 19 novembre 2007, Rec. 3653/08 ; Décision du Tribunal
Superior de Justicia de Cataluña du 7 mars 2017, Rec. 7164/2016.

90 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


ESPAGNE

professionnelle et sa vie personnelle caractérisée par la garde d’un mineur de six ans, en


combinant les deux aspects et en éliminant les obstacles existants »20.
L’inclusion, dans l’article 34.8 du Statut des travailleurs, de la possibilité de demander
la modification de la forme de la prestation du service comme formule d’équilibre entre vie
professionnelle et vie familiale est novatrice.
En premier lieu, ce qui attire l’attention c’est précisément le fait que cette référence
soit incluse dans l’article de la Section 5 du chapitre II du Statut des travailleurs, qui régit
exclusivement la journée de travail, puisque le changement de forme de la prestation peut
bien entendu supposer une modification du temps de travail comme condition essentielle
de la prestation de travail, mais implique de façon évidente la modification du mode
d’exercice de cette prestation et va bien au-delà du seul temps de travail.
Dans tous les cas, la possibilité explicite de demander la réalisation du travail à distance
est très intéressante du point de vue de l’équilibre entre vie professionnelle et familiale.
Cette possibilité est ainsi prévue à l’article 3.1.f) de la Directive 2019/1158 susmentionnée,
qui définit les formules de travail flexible comme « une possibilité pour les travailleurs
d’aménager leurs régimes de travail, y compris par le recours au travail à distance, à des
horaires de travail souples ou à une réduction du temps de travail ». De fait, la formule du
travail à distance comme moyen pour assurer l’équilibre est déjà mise en œuvre dans la
pratique dans le cadre de conventions collectives ou bien, s’agissant de l’emploi public, de
la réglementation interne21.

II - LES GARANTIES RELATIVES À L’EXERCICE DES DROITS


À L’ÉQUILIBRE
La réglementation post-réforme de 2019 semble beaucoup plus claire quand il s’agit
de cerner la procédure applicable aux demandes d’adaptation du temps de travail. La
reconnaissance d’un véritable droit des salariés à l’adaptation de la journée de travail, en
vue de parvenir à l’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale, apparaît elle-même
beaucoup plus claire.
En effet, les règles de procédure à suivre pour que la demande d’adaptation de
la journée de travail ou de la forme de prestation du travail du salarié puisse aboutir
permettent d’affirmer que ladite demande, comme la réponse de l’entreprise, devront être
ajustées à la nécessaire preuve des causes objectives concurrentes. Ces dernières sont
liées à la recherche d’un équilibre pour le salarié, et aux besoins organisationnels et de
production pour l’employeur.
Dans la pratique, cette procédure correspond à celle applicable aux cas de réduction
de la journée de travail, qui consiste à demander et à répondre aux besoins d’adaptation.
En effet, selon l’interprétation des juridictions, le droit du salarié à l’organisation de
son emploi du temps, et à la détermination de la période de jouissance prévue à
l’article 37.7 du Statut des travailleurs, suppose forcément l’obligation pour ce dernier de

20 Décision du Tribunal Superior de Justicia de la Comunidad Valenciana du 10  mai  2005,


Rec. 3226/04.
21 L. Mella Méndez, (dir.), El teletrabajo en España: aspectos teórico-prácticos de interés, La Ley,
Madrid, 2016, p. 30.

RDCTSS - 2020/2 91
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

prouver que cette nouvelle journée est celle qui s’ajuste le mieux à ses besoins en termes
d’équilibre.
En outre, la nouvelle procédure prévue par l’article  34.8 du Statut des travailleurs
répond également, d’une part à la procédure de l’article 139 de la loi sur les juridictions
sociales - qui impose que les propositions et solutions alternatives émises par les parties
soient présentées au juge - et, d’autre part, aux dispositions de l’article 9 de la Directive
2019/1158.
À cet égard, cette dernière réforme de 2019 représente une occasion manquée d’unifier,
grâce à la loi, la procédure à suivre pour toute demande de changement du temps de travail
visant à exercer le droit à l’équilibre entre vie professionnelle et familiale. Le législateur
aurait peut-être dû mener une réforme plus ambitieuse - donc plus efficace - en matière de
droits à l’équilibre du point de vue de son application pratique, en fixant systématiquement
une procédure unique ad hoc en l’absence de réglementation conventionnelle22.
Si la casuistique est évidemment importante dans ce domaine, le fait est qu’en général,
les demandes présentant des incompatibilités en matière de soins familiaux - qu’elles
soient liées à l’emploi du temps de l’autre parent, de l’école maternelle, de l’établissement
scolaire, du centre de jour, etc. - sont réputées conformes au droit23. En effet, il est
considéré que le droit à l’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale prévaut lorsque
l’entreprise ne justifie pas son refus en attestant de l’existence de motifs concurrents de
nature organisationnelle ou productive24.
De plus, la jurisprudence estime que ne suffisent pas à justifier la demande d’adaptation :
- la simple allusion à un besoin général de soins familiaux25 ;
- la volonté des deux parents d’organiser leur journée pour travailler ensemble, en marge
de leur droit à l’équilibre entre vie professionnelle et familiale26 ;
- et, concernant l’exercice pratique du droit à l’équilibre en matière de coresponsabilité,
la demande présentée «  sans que soient attestées les circonstances concrètes de la
scolarisation, les besoins du mineur et l’incidence des conditions de travail concrètes
des deux parents qu’il convient, du point de vue de la coresponsabilité, en l’espèce en
matière de tâches familiales, (conformément aux Directives du Conseil  92/85/CEE du
19  octobre  1992, et 96/34/CE, du 3  juin  1996, modifiée par la Directive  97/75/CE) de
considérer comme étant raisonnables  »27.

22 Sur ce processus, voir C. Fernández Prats, E. García Testal, et M. López Balaguer, Los derechos de
conciliación en la empresa. Actualizado al RDLey 6/2019, de 1 de marzo, de medidas urgentes para
garantía de la igualdad de trato y de oportunidades entre mujeres y hombres en el empleo y en la
ocupación, Tirant lo Blanch, Valence, 2019, p. 117.
23 La décision du Tribunal Superior de Justicia de Asturias du 22 janvier 2019, Rec. 2815/2018 est
très explicite à ce sujet, puisqu’elle donne une importance particulière aux motifs exposés par
la salariée. Voir également la décision du Juzgado de lo Social d’Oviedo du 28  février  2018,
Proc. 109/2018.
24 Décision du Tribunal Superior de Justicia de Madrid du 28  septembre  2018, Rec. 345/2018  ;
Décision du Tribunal Superior de Justicia de Guadalajara du 7 mars 2018, Proc. 102/2018.
25 Décision du Tribunal Superior de Justicia del País Vasco du 18 décembre 2018, Rec. 2392/2018.
26 Décision du Tribunal Superior de Justicia de Madrid du 20 mars 2018, Rec. 728/2017.
27 Décision du Tribunal Superior de Justicia de Valladolid du 14 mars 2018, Proc. 1057/2017.

92 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


ESPAGNE

Avec cette nouvelle disposition, le Décret-loi royal  6/2019 susmentionné introduit


dans le texte législatif une condition considérée comme essentielle, tant par la doctrine
scientifique que par certaines juridictions, du point de vue de la dimension constitutionnelle
du droit à l’équilibre tel que reconnu par le Tribunal constitutionnel dans sa décision 3/2007
du 15  mars  2007. Désormais pondérée par l’entreprise qui l’évalue et la négocie, sur la
base de critères objectifs, la demande d’adaptation de la journée de travail de tout salarié
est ainsi devenue une obligation reconnue par l’article 34.8 du Statut des travailleurs, qui
prévoit une procédure s’articulant de préférence au niveau collectif, et à défaut individuel.
En conclusion, la procédure actuelle de demande d’adaptation de la journée de travail,
en vue de la recherche d’un équilibre entre vie professionnelle et vie familiale, offre aux
salariés une solution plus pratique pour ajuster leurs conditions de travail à leurs besoins
en matière d’équilibre. Il est probable qu’à l’avenir, le nombre de demandes de réduction
de la journée de travail diminue, et que celui des demandes d’adaptation sans réduction
de la journée de travail augmente. Bien que cela dépende évidemment des situations,
l’adaptation de la journée de travail pourrait en effet s’avérer dans la pratique la solution la
plus adaptée aux salariés en général, pour parvenir à l’équilibre recherché.
En ce qui concerne le droit d’adaptation de la journée de travail, la réforme de 2019 est
toutefois critiquable du point de vue de la coresponsabilité, pourtant bien prise en compte
par le législateur dans le Décret-loi royal 6/2019 modifiant les droits liés aux congés pour
naissance. Par ailleurs, il était nécessaire de prévoir des dispositions législatives régissant
l’utilisation alternative du droit d’adaptation des salarié(e)s par rapport aux personnes à
l’origine dudit droit - qu’il s’agisse de descendants ou d’autres membres de la famille -
afin de dépasser le rôle traditionnel d’aidantes endossé par les femmes qui, en définitive,
perpétue et accroît les disparités entre les sexes sur le marché du travail.
Nonobstant ces insuffisances, le système d’adaptation actuellement régi par
l’article 34.8 du Statut des travailleurs améliore considérablement le précédent et confère
une plus grande sécurité juridique, tant aux salariés qu’aux entreprises, en ce qui concerne
l’exercice du droit. Les raisons objectives formulées de part et d’autre constitueront l’élément
essentiel à prendre en compte au moment de la prise de décision quant à la prévalence
de la demande du salarié, ou quant à la nécessité d’ajuster cette demande aux exigences
organisationnelles de l’entreprise.
En ce sens, la négociation collective devra constituer le cadre naturel de régulation
de ce droit, en supposant que l’autonomie collective serve à concrétiser et à délimiter les
conditions de son exercice dans les secteurs ou les entreprises.

RDCTSS - 2020/2 93
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

LE RESPECT DE LA VIE PERSONNELLE SUR LE TEMPS


ET LIEU DE TRAVAIL : L’INSPECTION DES DOSSIERS
INFORMATIQUES DU SALARIÉ1

Sébastien Ranc
Enseignant-chercheur, Comptrasec, UMR CNRS 5114, Université de Bordeaux

RÉSUMÉ
Le droit français du travail consacre un droit à une vie personnelle au temps et lieu
de travail. En matière d’inspection des dossiers du salarié, le droit français repose
sur la distinction relative à la nature du dossier. L’employeur dispose d’un pouvoir de
contrôle uniquement à l’égard des dossiers professionnels. Il ne peut pas, en principe,
accéder aux dossiers identifiés comme personnels. Là est la consécration d’une vie
personnelle au temps et lieu de travail. Mais, au fur et à mesure que la frontière devient
de plus en plus floue entre vies personnelle et professionnelle - notamment avec le
développement des technologies d’information et de communication - il semble que
le pouvoir de contrôle de l’employeur empiète de plus en plus sur la vie personnelle
du salarié. Cette assertion transparaît en matière de contrôle des documents ou des
fichiers informatiques : plus le champ d’application du caractère de professionnalité
s’élargit, plus celui du caractère personnel se réduit.
Mots-clés : Vie personnelle, Vie professionnelle, dossier informatique, pouvoir
de contrôle de l’employeur

ABSTRACT
French labour law devoted to a right to a personal life at the time and at the workplace.
In terms of inspecting employee files, French law is based on the distinction relating
to the nature of the file. The employer has control only over professional records. In
principle, he cannot access the files identified as personal. There is the consecration of
a personal life at the time and at the workplace. But, as the line between personal and
professional lives becomes increasingly blurred - especially with the development of
information and communication technologies - it seems that the employer’s power of
control is encroaching on more in addition to the personal life of the employee. This
transparent assertion regarding the control of documents or computer files: the more
the field of application of the character of professionalism widens, the more that of the
personal character.
Key words: Personal Life, Professional Life, IT File, Power of Control of the
Employer

1 Cet article est issu d’une intervention lors d’une rencontre du Groupe d’Etude Franco-Allemand sur
le Contentieux du Travail (GEFACT), tenue le 19 octobre 2019 à Toulouse.

94 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


FRANCE

S
i la vie personnelle s’exerce en principe en dehors du travail, le droit français
reconnaît l’existence d’un droit à une vie personnelle au temps et lieu de
travail. En effet, la vie personnelle ne se réduit pas à la vie extraprofessionnelle.
Cette vie personnelle, qui regroupe toutes les libertés du citoyen (notamment
le droit à la vie privée) et les droits fondamentaux, subsiste et persiste pendant
la vie professionnelle.

Par exemple, une utilisation à des fins personnelles des outils mis à la disposition par
l’employeur est en principe tolérée, si elle reste raisonnable et ne dégénère pas en abus.
Ainsi, ont été considérées comme abusives des connexions internet à des fins privées
durant 4 heures2, ou à plus de 10 000 reprises en un mois3.
La vie personnelle du salarié au temps et lieu de travail est protégée par l’article
L. 1121-1 du Code du travail, selon lequel « nul ne peut apporter aux droits des personnes
et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la
nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
Autrement dit, la vie personnelle du salarié au temps et lieu de travail peut certes être
réduite, mais en aucun elle ne peut être supprimée. La restriction devra être justifiée par la
nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.
La vie personnelle du salarié au temps et lieu de travail peut donc faire l’objet d’un
contrôle par l’employeur4 et l’inspection des dossiers du salarié en est une illustration.
La jurisprudence s’est construite progressivement à partir de la question du contrôle par
l’employeur des fichiers informatiques, des mails ou encore de l’historique informatique,
figurant pour chacun d’eux sur l’ordinateur professionnel. Un tel contrôle est évidemment
impossible à l’encontre du matériel dont la propriété relève de celle du salarié.
À l’origine, la jurisprudence a pu être très protectrice de la vie personnelle du salarié
au temps et au lieu de travail. Elle avait posé un principe d’interdiction de consultation par
l’employeur des fichiers informatiques personnels du salarié.
Dans le célèbre arrêt dit Nikon5, après avoir visé l’article 8 de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 9 du
Code civil, l’article 9 du Code de procédure civile et l’ancien article L. 120-2 du Code du
travail - devenu l’article L. 1121-1 - la Chambre sociale de la Cour de cassation a décidé

2 Soc., 18 mars 2009, n°07-44.247.


3 Soc., 26 février 2013, n°11-27.372.
4 L’introduction dans la messagerie professionnelle peut parfois provenir d’un collègue de travail.
Voir not. CE, 10 juillet 2019, n°408644 : SSL 2019, n° 1872, p. 5, concl. F. Dieu.
5 Soc., 2 octobre 2001, n°99-42.942.

RDCTSS - 2020/2 95
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

que « le salarié a droit, même au temps et lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie
privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondance ; que l’employeur
ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des
messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis
à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une
utilisation non professionnelle de l’ordinateur ».
Ce principe d’interdiction de consultation par l’employeur des messages informatiques
personnels du salarié a été tempéré en matière de dossiers informatiques.
L’intensité du pouvoir de contrôle de l’employeur varie alors selon la nature des dossiers
du salarié. Si les dossiers sont professionnels, l’employeur dispose d’un vaste pouvoir de
contrôle (I). En revanche, si les dossiers sont personnels, le pouvoir contrôle de l’employeur
est limité par la vie personnelle du salarié (II).

I - UN POUVOIR DE CONTRÔLE ILLIMITÉ À L’ÉGARD DES


DOSSIERS PROFESSIONNELS
Les dossiers et fichiers créés par le salarié grâce à l’outil informatique professionnel
mis à sa disposition par l’employeur sont présumés être professionnels (A). L’employeur
dispose à leur égard d’un pouvoir quasiment illimité de contrôle (C). Seuls sont a priori
protégées les documents identifiés comme personnels par le salarié (B).

A - Le champ extrêmement large de la présomption simple


de professionnalité
Selon la Chambre sociale de la Cour de cassation, « les dossiers et fichiers créés par un
salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution
de son contrat de travail sont présumés, sauf si le salarié les identifiait comme personnels,
avoir un caractère professionnel, de sorte que l’employeur pouvait y avoir accès hors de sa
présence »6. Autrement dit, les outils mis à la disposition du salarié pour l’exécution de son
travail ont à priori une destination professionnelle.
Le champ d’application de cette présomption de professionnalité est très -voire trop
- large. La jurisprudence applique évidemment cette présomption simple aux documents
sous forme de papier7. Sont aussi concernés les connexions internet effectuées pendant le
temps de travail à partir de l’ordinateur professionnel8, les mails adressés9 ou reçus10 par le
salarié avec l’ordinateur professionnel.

6 Soc., 18 octobre 2006, n°04-48.025.


7 Soc., 18 octobre 2006, n°04-47.400 ; 4 juillet 2012, n°11-12.330.
8 Soc., 9 juillet 2008, n°06-45.800 ; 9 février 2010, n°08-45.253.
9 Soc., 30 mai 2007, n°05-43.102 ; 15 décembre 2010, n°08-42.486.
10 Soc., 18 octobre 2011, n°10-26.782.

96 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


FRANCE

Il existe même une sorte de «  présomption de professionnalité par destination  ».


À partir du moment où un objet personnel est relié à un objet mis à la disposition par
l’employeur pour l’exécution du travail, l’objet personnel - ou plutôt son contenu - devient
professionnel.
Par exemple, «  une clé USB, dès lors qu’elle est connectée à un outil informatique
mis à la disposition du salarié par l’employeur pour l’exécution du contrat de travail, est
présumée utilisée à des fins professionnelles. En conséquence, les dossiers et les fichiers
non identifiés comme personnels qu’elle contient, sont présumés avoir un caractère
professionnel de sorte que l’employeur peut y avoir accès hors la présence du salarié »11.
Par un même raisonnement, les SMS envoyés ou reçus au moyen d’un téléphone
professionnel12, ou les mails émanant de la messagerie personnelle du salarié, mais intégrés
dans le disque dur de l’ordinateur professionnel13, sont présumés être professionnels.
Cette dernière «  présomption de professionnalité par destination  » peut sembler
critiquable dans la mesure où la messagerie personnelle distincte de la messagerie
professionnelle devrait être en principe protégée par le « donjon de la vie personnelle »14,
à l’intérieur duquel se trouvent la vie privée et, par conséquent, le secret des
correspondances15.
C’est ainsi que, au nom d’un tel secret, un arrêt récent de la Cour de cassation protège
des messages électroniques issus d’une messagerie instantanée (MSN Messenger) installée
sur un ordinateur professionnel, mais distincte de la messagerie professionnelle16.
Autrement dit, s’agissant de l’utilisation de la messagerie électronique, la jurisprudence
est quelque peu différente de celle relative aux dossiers informatiques, du fait de
l’application du secret des correspondances qui conduit à accorder une protection plus
importante aux salariés.

B - L’identification du caractère personnel


Seuls les documents informatiques identifiés comme personnels sont protégés. On est
ici dans une démarche « proactive » du salarié, ce dernier devant lui-même protéger ses
fichiers ou documents en les identifiant comme « personnels ».

11 Soc., 12 février 2013, n°11-28.649.


12 Com., 10 février 2015, n°13-14.779.
13 Soc., 19 juin 2013, n°12-12.138.
14 « De même que le donjon était la partie la mieux protégée du château fort, la vie privée apparaît
comme le cœur de la vie personnelle, l’élément le mieux protégé, le plus résistant de la vie
personnelle  : l’intimité de la vie privée  »  : Ph. Waquet, Y. Struillou et L. Pécaut-Rivolier, Pouvoir
du chef d’entreprise et libertés du salarié. Du salarié-citoyen au citoyen-salarié, éd. Liaisons, 2014,
numéro spéc., p. 178.
15 Soc., 26 janvier 2016, n°14-15.360. En outre, l’atteinte au secret des correspondances est
pénalement répréhensible (C. pén., art. 226-15).
16 Soc., 23 octobre 2019, n°17-28.448.

RDCTSS - 2020/2 97
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

À cet égard, la Cour de cassation se montre très - voire une fois de plus trop - rigoureuse.
Si la dénomination « mes documents » ne permet pas d’identifier un fichier comme étant
personnel17, ou que la dénomination «  données personnelles  » choisie pour le disque
dur ne confère pas un caractère personnel à l’intégralité des données qu’il contient18, on
reste perplexe sur le fait que les initiales « JM »19, ou le prénom du salarié, ne suffise pas à
caractériser le caractère personnel du fichier informatique20.

C - Un pouvoir de contrôle illimité des documents professionnels


À partir du moment où les dossiers sont de nature professionnelle, l’employeur dispose
d’un accès illimité à ces dossiers et n’a pas à en informer le salarié ni, a fortiori, à lui en
demander l’autorisation.
Toutefois, le «  contrôle surprise  » est permis. Ce contrôle peut même s’effectuer en
l’absence du salarié. Ce dernier ne dispose d’aucune garantie procédurale.
En revanche, s’il s’avère que le contenu des documents de nature professionnelle relève
de la vie privée du salarié, l’employeur ne pourra pas se servir de ce contenu personnel
comme moyen probatoire devant le juge21, pas plus qu’il ne pourra l’utiliser pour prendre
une mesure disciplinaire22.
Cette dernière solution n’est que la conséquence du fait qu’un fait de la vie personnelle
du salarié ne peut justifier le prononcé d’une sanction disciplinaire à son encontre. Seul
un contenu en «  rapport avec l’activité professionnelle »23  peut conduire à une sanction
disciplinaire.
Il faut donc distinguer l’accès au dossier professionnel de leur utilisation par l’employeur.
Le contrôle de l’accès au dossier par l’employeur est en quelques sorte « léger », puisque le
juge se contente de vérifier la dénomination du dossier.
Tandis que le contrôle de l’utilisation du dossier par l’employeur à des fins probatoires
ou sanctionnatrices est plus « lourd », dans la mesure où le juge va contrôler que le contenu
du dossier est en « rapport avec l’activité professionnelle » et qu’il n’a pas été porté atteinte
à la vie privée du salarié.

17 Soc., 10 mai 2012, n°11-13.884. Précisons que la dénomination « mes documents » se trouve par
défaut sur tous les ordinateurs. Il n’y a donc aucune démarche « proactive » de la part du salarié
d’identifier un tel fichier comme personnel.
18 Soc., 4 juillet 2012, n°11-12.502.
19 Soc., 21 octobre 2009, n°07-43.877.
20 Soc., 8 décembre 2009, n°08-44.840.
21 Soc., 18 octobre 2011, n°10-25.706.
22 Soc., 5 juillet 2011, n°10-17.284.
23 Soc., 28 septembre 2011, n°10-16.995 ; 2 février 2011, n°09-72.313.

98 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


FRANCE

Si le contrôle par l’employeur des documents présumés professionnels se révèle être


sans limite, en revanche celui des documents personnels du salarié semble a priori délimité.
En réalité, cette protection de la vie personnelle au temps et lieu de travail à travers les
dossiers informatiques ne résiste pas à l’analyse.

II - UN POUVOIR DE CONTRÔLE LIMITÉ À L’ÉGARD DES DOSSIERS


PERSONNELS
Dans une affaire où un salarié avait été licencié à la suite de la découverte de photos
érotiques dans un tiroir de son bureau, puis dans un fichier informatique intitulé « perso »,
la Cour de cassation avait décidé, au visa des articles 8 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du Code civil, 9 du
Code de procédure civile et L. 120-2 [actuel L. 1121-1] du Code du travail, que « sauf risque
ou évènement particulier, l’employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié
comme personnels contenus sur le disque dur de l’ordinateur mis à sa disposition qu’en
présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé » 24.

A - Le respect du principe du contradictoire


Pour que l’employeur puisse accéder aux dossiers personnels du salarié, il doit le faire
en présence du salarié ou, au minimum, l’avoir informé d’un tel contrôle. Le «  contrôle
surprise » est en principe interdit.
Néanmoins, l’employeur n’a pas à recueillir l’accord du salarié. Si le salarié a été prévenu,
mais qu’il refuse d’y participer, l’employeur peut tout de même procéder à l’ouverture des
fichiers en question en veillant à la présence d’un huissier et/ou des représentants du
personnel. Il s’agit là d’une reprise des garanties procédurales issues d’une jurisprudence
en matière de contrôle des casiers individuels des salariés25.

B - La possibilité d’un « contrôle surprise » des données personnelles


du salarié
En cas de «  risque ou évènement particulier  », l’employeur n’a plus à respecter le
principe du contradictoire. Il s’agit encore une fois d’une modalité du contrôle empruntée
à la jurisprudence en matière de contrôle des casiers individuels des salariés26. On retombe
ici dans un pouvoir de contrôle illimité des documents personnels du salarié à l’instar du
contrôle des documents professionnels.

24 Soc., 17 mai 2005, n° 03-40.017.


25 Soc., 11 décembre 2001, n° 99-43.030.
26 Soc., 11 décembre 2001, ibid.

RDCTSS - 2020/2 99
LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

Toute la difficulté réside dans la définition du « risque ou de l’évènement particulier ».


En l’espèce, la découverte de photos érotiques dans un tiroir ne constitue pas une telle
circonstance27. On dispose d’un exemple jurisprudentiel en matière de contrôle visuel des
sacs personnels à l’entrée de l’entreprise : une série d’attentats et des alertes à la bombe
ont pu constituer des « circonstances exceptionnelles et des exigences de sécurité »28.
En outre, un virus, une attaque informatique, la crainte de voir se développer des
réseaux pénalement répréhensibles, une concurrence déloyale grave29, ou encore un
dénigrement de la société par voie informatique,  pourraient constituer un «  risque ou
un évènement particulier  » qui permettent à l’employeur de contrôler par surprise les
documents personnels du salarié.

C - Sur l’assimilation du monde virtuel au monde physique


Le dossier informatique du 21e siècle correspond à ce que le casier individuel du
salarié était au 20e siècle, en l’occurrence un espace de la vie personnelle au temps et lieu
de travail30. La jurisprudence a ainsi assimilé le régime du dossier informatique à celui du
casier personnel.
Pour rappel, le régime juridique applicable au contrôle du casier du salarié est
déterminé par la réunion de trois conditions à respecter :
1. la nécessité d’une clause expresse du règlement intérieur prévoyant le principe et
l’encadrement des fouilles31 ;
2. le contrôle doit être justifié par les nécessités de la santé ou de la sécurité dans
l’entreprise32 ;
3. l’information préalable des salariés33.

27 Soc., 17 mai 2005, op. cit.


28 Soc., 3 avril 2001, n°98-45.818. En l’espèce, il s’agissait d’un contrôle visuel des sacs, et non d’une
fouille. La fouille d’un sac personnel dans l’entreprise nécessite de recueillir l’accord du salarié,
après l’avoir informé de la possibilité de s’opposer à une telle fouille et d’exiger la présence d’un
témoin. Soc., 11 février 2009, n°07-42.068. Cette protection renforcée se comprend au regard de
la nature du sac qui est un bien dont la propriété est celle du salarié.
29 Soc., 10 juin 2008, n°06-19.229 : ouverture de fichiers non personnels au motif que l’employeur
avait des «  raisons légitimes et sérieuses de craindre que l’ordinateur mis à la disposition de la
salariée a été utilisé pour favoriser des actes de concurrence déloyale ».
30 F. Favennec-Héry, «  Conditions d’ouverture par l’employeur des fichiers identifiés comme
personnels du salarié », JCP S 2005, p. 1031.
31 Soc., 11 décembre 2001, n°99-43.030.
32 CE, 8 juillet 1988 : D. 1990, p. 134, note D. Chelle et X. Prétot. Adde CE 12 novembre 1990, n°94778.
En l’espèce, le contrôle avait été admis pour une entreprise utilisant des matériaux dangereux et
des substances explosives et pour laquelle des vols seraient susceptibles d’engendrer des risques
d’une particulière gravité.
33 Soc., 15 avril 2008, n°06-45.902. Auparavant, la jurisprudence imposait la présence du salarié pour
l’ouverture de son casier individuel : Soc., 11 décembre 2001, n°99-43.030.

100 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


FRANCE

Le casier individuel apparait ainsi mieux protégé que les fichiers informatiques
explicitement affichés comme personnels. La distinction dans la protection accordée au
casier individuel et les fichiers personnels pourrait s’expliquer par l’utilisation du bien en
question par le salarié.
Si le casier individuel et l’ordinateur professionnel au sein duquel se trouve les fichiers
personnels relèvent de la propriété de l’employeur, le casier est pour sa part uniquement
destiné à un usage personnel (dépôt d’affaires personnelles), tandis que sur l’ordinateur
professionnel se côtoient des utilisations personnelle et professionnelle.
En conclusion, l’assimilation de la protection accordée à la vie personnelle du monde
virtuel à celle du monde physique reste incomplète. Cette remarque vaut autant pour
l’assimilation du dossier informatique, que pour celle du mail à la correspondance papier.
Ces solutions semblent peu compatibles avec l’existence d’une vie personnelle au
temps et lieu de travail.

RDCTSS - 2020/2 101


LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

LE CONTRÔLE DE LA VIE PRIVÉE PAR


LES EMPLOYEURS: LA TOPOGRAPHIE KARSTIQUE
DU DROIT AMÉRICAIN1

Matthew W. Finkin
Professeur, Faculté de droit, Université de l’Illinois

RÉSUMÉ
Aux États-Unis, la mise hors du contrôle de l’employeur par le droit de la vie privée et
familiale du salarié réside dans de petites poches de protection, parfois excessivement
techniques, sur un terrain où le pouvoir de l’employeur serait autrement entier. Cet
article en examinant ce terrain juridique, tente de donner une explication historique de
la situation actuelle et des raisons pour lesquelles les États-Unis diffèrent si fortement
de l’Europe.

Mots-clés  : Relations intimes entre salariés, non-fraternisation, « maître et


serviteur »

ABSTRACT
In the United States the legal insulation of an employee’s private and family life from
employer control lies in small pockets of protection, sometimes exceedingly technical,
on a terrain of otherwise plenary employer power. This article tours that legal terrain. It
attempts an historical explanation for how this has come about, on why the U.S. differs
so strongly from Europe.

Key words: Intimate Association, Non-Fraternization, « Master and Servant »

1 « Une surface terrestre qui se compose de nombreux puits, irrégulièrement divisés entre eux, est
appelée une topographie karstique », F. Lahee, Field Geology, 6e édition, 1961, p. 364.

102 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


ÉTATS-UNIS

E
n Europe, la capacité de l’employeur à s’immiscer dans la vie privée d’un
salarié est régie par des principes juridiques très clairs : le salarié ayant droit
au respect de sa vie privée et familiale2, toute ingérence de l’employeur doit
être nécessaire et proportionnée au but recherché3.

Les Etats-Unis ont longtemps appliqué une règle opposée, tout aussi simple
et plus catégorique : l’employeur possédait un pouvoir absolu de contrôle et il n’était donc
pas question de rechercher un quelconque équilibre. Pourtant, au cours des dernières
décennies, la topographie juridique américaine a évolué. Des brèches sont apparues, ainsi
que des poches dispersées et fortuites de protection de la vie privée.
Avant d’illustrer cette évolution, la question fondamentale est de savoir pourquoi les
Etats-Unis n’ont pas offert une protection plus cohérente de la vie familiale et privée, alors
que les valeurs sociales en jeu sembleraient être les mêmes des deux côtés de l’Atlantique.
Cette question doit être abordée avant même que l’on s’aventure sur le terrain juridique.
Le droit américain est le produit d’une combinaison de facteurs historiques,
sociologiques et idéologiques. La source historique du droit du travail réside dans
la transposition américaine de la loi britannique sur les «  maîtres et serviteurs », une loi
régissant les relations domestiques et qui a été étendue à l’emploi industriel. Dans les
années 1880, le directeur d’un chemin de fer de Chattanooga, dans le Tennessee, avait
interdit à ses ouvriers de faire leurs achats dans un magasin qui n’avait pas recueilli sa
faveur.
La majorité des juges de la Cour suprême du Tennessee ont abordé la question ainsi :
Ne puis-je pas refuser de faire des affaires avec quiconque ? Ne puis-je pas interdire à ma
famille de faire des affaires avec quiconque ?
- Puis-je pas congédier mon domestique pour avoir fait des affaires, ou même pour s’être
rendu là où je le lui avais interdit ?
- Si c’est vrai pour mon domestique, pourquoi pas pour mon ouvrier agricole, mon
mécanicien ou mon cocher ? Et si c’est vrai pour l’un d’entre eux, pourquoi pas pour tous
les quatre ?
- Si c’est vrai pour tous les quatre, pourquoi pas pour cent ou mille d’entre eux4 ?

2 Convention européenne des droits de l’homme, article 8.


3 Mis en œuvre par exemple en droit français par l’article L.1121-1 du Code du travail ou en droit
allemand par le vaste corpus de Persönlichkeitsrecht créé par les tribunaux allemands.
4 Payne v. Western & Atl. Rr., 81 Tenn, 1884, p. 507. Les juges dissidents, dans une opinion résolument
moderne, ont plaidé contre l’existence d’un lien entre un domestique et un travailleur industriel.

RDCTSS - 2020/2 103


LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

Cette façon de penser n’est pas si surprenante. Le service domestique, une nécessité
pour les ménages de la classe moyenne de l’époque5, impliquait souvent que les femmes
de chambre habitent sur place. Exerçant un pouvoir total, leur employeur pouvait contrôler
l’usage fait de leur temps libre, leurs fréquentations en dehors du travail et - est-il besoin
de le préciser ? - leur vie sexuelle6. Pour certains membres de l’élite juridique, il en allait de
même pour tout travailleur salarié7.
En outre, si le droit classique des contrats repose sur l’hypothèse d’une libre négociation
et d’un consentement mutuel, le contrat de travail intégrait implicitement le pouvoir de
domination qui existait précédemment, même si les obligations réciproques que la loi
imposait jusque-là au maître avaient disparues : [L]a nouvelle doctrine juridique manifestait
peu d’intérêt pour la bienveillance managériale. Elle présumait que chaque partie au
contrat prendrait soin de ses propres intérêts et y pourvoirait, dans le cadre d’un accord
librement négocié. L’engagement moral limité de l’employeur justifiait tout arrangement
qu’il pouvait imposer. Les termes de l’accord, et non la loi du contrat de travail, devaient
être invoqués pour garantir une justice opérationnelle dans l’usine8.
De plus, le droit américain a tracé une frontière nette entre les institutions
gouvernementales et privées. A partir de la fin des années 1960, les protections
constitutionnelles ont été étendues à la vie privée des salariés du secteur public - liberté
d’association et d’expression, liberté d’activité en dehors du travail - parce que les
employeurs étant soumis à la Constitution étaient tenus de garantir ces libertés9. Rien de
tout cela n’était applicable aux salariés du secteur privé.
En effet, pour adapter ces restrictions constitutionnelles aux prérogatives des
employeurs, les tribunaux devaient catégoriquement distinguer l’employeur public de
l’employeur privé. Ainsi, la faculté d’agir devant le juge pour transposer les valeurs de la
Constitution fédérale dans l’emploi privé, technique appliquée avec vigueur en Allemagne,
se heurtait à un obstacle quasi insurmontable aux Etats-Unis.
Le principe américain de l’emploi de gré à gré, qui permet à un employeur de
licencier un salarié pour n’importe quelle raison - voire même sans motif - au nom de ses
prérogatives sans entrave10, a connu une érosion à partir des années 1980. Les tribunaux

5 En 1880, sur une main-d’œuvre totale de plus de dix-sept millions de personnes, 3 290 000 étaient
employées dans la fabrication et 1 130 000 dans le service domestique : Historical Statistics of the
United States, Colonial Times to 1970, D11-25, p. 127, D167-81, 1975, p. 139. Environ un ménage
américain sur huit employait des domestiques. Voir D. Sutherland, Americans and their Servants,
Domestic Service in the United States from 1800 to 1920, 1981, p. 10.
6 D. Sutherland, id.; D. Katzman, Seven Days a Week: Women and Domestic Service in Industrializing
America, 1978.
7 Sur le plan idéologique, la conception de la citoyenneté à l’époque reposait sur la propriété
indépendante : R. Corrarino, The Labor Question in America: Economic Democracy in the Gilded
Age, 2011. Le travail salarié n’était pas si éloigné de la servilité ; c’était au mieux une étape avant
de devenir artisan qualifié puis propriétaire de sa propre boutique.
8 P. Selznik, Law, Society, and Industrial Justice, 1969, p. 136.
9 Pour saisir les débuts de la portée de la Constitution, voir R. O’Neil, The Private Lives of Public
Employees, 51 Ore. L. Rev. 70, 1971.
10 C. Summers, Employment At Will in the United States: The Divine Right of Employers, 3 U. Pa. J. Lab.
& Emp. L., 2000, p. 65.

104 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


ÉTATS-UNIS

d’Etat ont commencé à refuser aux employeurs le pouvoir de licencier un salarié pour une
raison contraire au bien commun, à « l’ordre public » dans un premier temps.
Par exemple, le licenciement pour refus d’obéir à l’ordre d’un employeur de commettre
un acte illégal n’était pas admis. Cependant, l’exception « d’ordre public» ne s’étendait pas
à la sphère privée. Or, aucune question ne pouvait être plus privée que la vie familiale et
personnelle d’un salarié sur laquelle les employeurs ont pu pendant longtemps exercer
leur contrôle.
Il faut rappeler à titre d’exemple le règlement que Carson, Pirie et Scott, propriétaires
d’un grand magasin de Chicago, ont publié à l’intention de leurs salariés en 1927 :
5. Tout salarié ayant pour habitude de fumer des cigares espagnols, de se faire raser chez
le barbier, de se rendre à des soirées dansantes ou dans d’autres lieux de divertissement
et de sortir tard le soir, donnera assurément à son employeur des motifs de douter de son
intégrité et de son honnêteté.
7. Chaque salarié doit verser au moins 5,00$ par an à l’Eglise et doit fréquenter l’école du
dimanche régulièrement.
8. Les salariés de sexe masculin ont droit à un soir de congé hebdomadaire pour voir leur
fiancée, et deux s’ils assistent à des réunions de prière.
9. Après les 14 heures passées dans le magasin, les heures de loisirs doivent être
principalement consacrées à la lecture11.
En 1915, la Ford Motor Company soumettait ses employées de bureau à l’examen de
son « Département de sociologie » qui surveillait leur « mode de vie en matière d’épargne
ou de consommation, dans le cadre de [leur] vie privée » 12. Selon la vision Fordiste de la
société, les femmes mariées devaient démissionner. Les salariées faisaient l’objet d’une
enquête si elles étaient soupçonnées de se soustraire à la règle : « Les femmes qui refusaient
de se soumettre à une enquête de routine étaient automatiquement considérées comme
suspectes et immédiatement licenciées » 13.
Face à un paternalisme aussi intrusif, le seul recours des salariées de l’époque n’était
pas la loi mais la protestation, et effectivement elles protestaient14, au risque de se faire
licencier, ce qui était bel et bien le cas chez Ford.

11 Cité dans D. Miller & W. Form, Industrial Sociology, 1951, p. 561.


12 O. Zunz, Making America Corporate [1870-1920], 1990, p. 141.
13 Id., p. 144.
14 Dans les années 1920, des ouvriers du textile du Sud, ayant reçu l’ordre de fréquenter les
églises soutenues par l’entreprise, ont protesté en fréquentant des églises différentes ou de
« dénominations désapprouvées ». Voir J. Dowd Hall et al., Like a Family: The Making of a Southern
Cotton Mill World, 1987, p. 178. La « secrétaire des services » d’une entreprise du Maine, accusée
du soulèvement moral de la main-d’œuvre féminine, a rappelé qu’à l’occasion «  trente filles en
colère sont descendues dans son bureau et ont déclaré qu’elles étaient tout aussi propres qu’elle,
et qu’elles ne se soumettraient pas aux examens physiques, et n’enlèveraient leurs chaussures et
leurs bas devant quiconque ». Voir également S. D. Brandes, American Welfare Capitalism 1880-
1940, 1976, p. 139.

RDCTSS - 2020/2 105


LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

L’adoption de la loi fédérale sur les droits civils de 1964, qui interdisait les discriminations
dans l’emploi fondées sur la race, le sexe, la religion et l’origine nationale, a opéré un
changement radical dans le paysage juridique. L’interdiction de la discrimination religieuse
a eu un effet direct : Carson, Pirie et tout autre employeur, ne pouvaient plus imposer à
leurs salariés la fréquentation de l’église ou la conformité religieuse, bien que les salariés
aient cherché des manières moins brutales d’utiliser la religion pour servir leurs objectifs15.
L’impact de la loi sur la vie privée d’une manière plus générale était secondaire.
Par exemple, les compagnies aériennes avaient interdit aux agents de bord - alors
appelés « hôtesses de l’air », invariablement des femmes - de se marier. Cela est devenu
illégal, non pas parce que le droit de se marier a été donné aux hôtesses de l’air, mais parce
que la même interdiction ne s’appliquait pas aux hommes16. Les femmes blanches qui
avaient des relations amoureuses avec des hommes noirs ne pouvaient plus se voir refuser
un emploi, ou être renvoyées pour cela, non pas parce qu’elles avaient droit au respect de
leur droit de choisir leurs fréquentations, mais parce que les relations interraciales étaient
les seules à être interdites17.
Néanmoins, le terrain était préparé pour d’autres évolutions et les progrès se sont
poursuivis. Un rapide aperçu permettra de mettre en relief la topographie juridique
américaine. Ce domaine est celui des relations intimes à savoir le mariage (I), la famille (II)
et la vie amoureuse (III).

I - L’ÉTAT MATRIMONIAL
Si la loi fédérale ne fait pas de l’état matrimonial un motif d’action inadmissible, la
moitié environ des Etats l’a pourtant fait18. Par conséquent, la question de savoir si un salarié
peut être licencié parce qu’il s’est marié est déterminée par le juge compétent de l’Etat
d’emploi. Cela étant, dans les Etats qui protègent le mariage du contrôle de l’employeur,
il existe une divergence d’opinion sur le point de savoir si l’interdiction ne concerne que
le fait de se marier ou couvre également l’identité du conjoint. Le problème s’est posé
lorsqu’un employeur a pris des mesures à l’encontre d’un salarié en raison des actions de
son épouse.
Cette question avait été présentée, longtemps auparavant, en s’appuyant sur la loi
nationale sur les relations de travail qui régit la syndicalisation et la négociation collective.
« Les représailles exercées contre un homme en s’attaquant à un membre de sa famille sont
une forme ancienne de vengeance, qui n’est pas inconnue du domaine des relations de
travail », a déclaré le juge Posner19.

15 L. Lambert, Spirituality, Inc.: Religion in the American Workplace, 2009.


16 Sprogis v. United Air Lines, Inc., 444 F.2d 1194, 7th Cir.,1971.
17 Parr v. Woodsmen of the World Life Ins. Co., 791 F.2d 888,11th Cir., 1986; Deffenbaugh-Williams v.
Wal-Mart Stores, Inc., 156 F.3d 581,5th Cir., 1998.
18 Bloomberg Law publie un résumé Etat par Etat de la lutte contre les discriminations dans les lois
sur l’emploi.
19 NLRB v. Advertisers Mfg. Co., 823 F.2d 1086, 1088, 7th Cir., 1987.

106 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


ÉTATS-UNIS

En vertu de la loi sur le travail, le licenciement d’un conjoint en raison de l’activité


syndicale de l’autre conjoint est illégal20. Cette notion a été étendue, en vertu de la loi sur
les droits civils, au licenciement d’une jeune femme motivé par le fait que son fiancé avait
déposé plainte pour discrimination en matière d’emploi contre leur employeur commun21.
Lorsque le couple n’a pas le même employeur, les tribunaux appliquent la « théorie de la
perception », c’est-à-dire que le conjoint victime de représailles peut intenter une action en
justice lorsqu’il a été perçu par l’employeur comme contribuant à une action protégée par
la loi22.
Certains tribunaux d’Etat ont interprété dans ce sens l’interdiction de la discrimination
conjugale dans leur juridiction.
Par exemple, la Cour suprême du Montana a jugé qu’un employeur pour lequel
travaillait un couple marié, n’avait pas le droit de licencier le mari sous prétexte qu’il était
mécontent du travail de son épouse23. Cette approche a également été adoptée à Hawaï,
au Minnesota et dans l’Etat de Washington24.
Pourtant, d’autres tribunaux ont donné une interprétation plus étroite de cette
interdiction. A New York par exemple, il a été jugé qu’une femme, renvoyée parce que
son mari avait été licencié par le même employeur, ne pouvait pas porter plainte pour
discrimination fondée sur l’état matrimonial25. Les tribunaux de Floride, de l’Illinois et du
Michigan ont adopté une position similaire26. Au Nebraska, la loi a été interprétée comme
n’accordant aucune protection à un salarié licencié en raison de son « divorce »27.
Cela laisse ouvert le recours au droit commun ; mais le concept de licenciement abusif
a été jugé inopérant dans des scénarios identiques relatifs à des questions de politique
générale28. Lorsqu’une salariée qui plaisait à son supérieur hiérarchique, a été informée
par lui-même qu’elle serait renvoyée si elle épousait quelqu’un d’autre, son licenciement

20 Tasty Baking Co. v. NLRB, 254 F.3d 114, D.C. Cir., 2011 ; NLRB v. J.G. Boswell Co., 136 F.2d 585,
594-96, 9th Cir., 1943. Il s’agissait d’une mère licenciée parce que sa fille soutenait un mouvement
d’organisation dans une entreprise différente.
21 Thompson v. North American Stainless, L.P., 562 U.S. 170, 2011.
22 E.g. Murphy v. Dist. Of Columbia, 390 F.Supp.3d 59, D. D.C., 2019 (instance de réexamen).
23 Mercer v. McGee, 197 P.3d 961, Mont., 2008.
24 Margula v. Benton Franklin Title Co., 930 P.3d 307, Wash., 1997; Ross v. Stouffer Hotel Co. (Haw.)
Ltd., 816 P.2d 302, Haw., 1991  ; on remand, 879 P.2d 1037, Haw., 1997  ; Kraft, Inc. v. State, 284
N.W.2d 380, Minn., 1979, Taylor v. LSI Corp., 796 N.W.2d 153, Minn., 2011.
25 Cramer v. Newburgh Molded Prods., 645 N.Y.S.2d 46, App. Div., 1996 (instance de réexamen de
New York).
26 Donato v. American Tel. & Tel. Co., 767 So.2d 1146, Fla., 2000; Industrial Affiliates, Ltd. V. Fish,
25 So.3d 629, Fla. Dist. Ct. App., 2009; Whirlpool Corp. v. Civil Rights Comm’n, 390 N.W.2d 625,
Mich,1986 ; Thomson v. Sanborn’s Motor Express, Inc., 283 A.2d 53 (N.J. Super Ct. App. Div., 1977;
Boaden v. Department of Law Enf’t, 664 N.E.2d 61, Ill., 1996.
27 Adams v. Tenneco Auto. Operating Co., 359 F.Supp.2d 834, D. Neb., 2005.
28 Berry v. Liberty Nat’l Life Ins. Co., 879 F.Supp. 44, S.D. Miss., 1995; Paris v. Cherry Payment Sys., 638
N.E.2d 351, (Ill. App. Ct. 1994) ; Bammert v. Don’s Super Value, Inc., 646 N.W.2d 365 (Wis. 2002) ;
Chambers v. Advanced Processing Sys., 853 So.2d 984 (Ala. Civ. App. 2002) ; Per contra Fortunato
v. Office of Stephen M. Silston, D.D.S., 856 A.2d 530 (Conn. Super. Ct. 2004).

RDCTSS - 2020/2 107


LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

lorsqu’elle a épousé un autre homme n’a pas été jugé comme un motif recevable pour
ouvrir une action en justice29.

II - LA FAMILLE
En l’absence de dispositions statutaires, le licenciement d’un parent en raison des actes
de l’enfant, ou même en raison de l’existence d’un enfant, n’est pas illégal. Cependant, la
loi sur le travail et la loi sur les droits civils protègent les parents contre les représailles pour
des activités statutairement protégées de leurs enfants.
En outre, la loi américaine en faveur des personnes handicapées (ADA)30, comme les
lois de certains Etats à l’exemple de la Californie31, interdisent toute action entreprise à
l’encontre d’un salarié « connu pour avoir une relation ou être associé » avec une personne
ayant un handicap avéré. Sont ainsi protégées les personnes qui s’occupent d’un enfant
(ou conjoint) handicapé ou qui se portent volontaires pour travailler avec des personnes
atteintes du SIDA32.
New York protège le «  statut familial  » ainsi que l’état matrimonial y compris le fait
d’avoir un enfant ou d’être domicilié avec un enfant33, et interdit aux employeurs toute
discrimination contre les salariés en raison d’une «  décision de santé de la personne à
charge », ce qui comprendrait l’utilisation de contraceptifs par les enfants des salariés, ou
leur décision de se faire avorter34.

29 Cunningham v. Dabbs, 703 So.2d 979 (Ala. Civ. App. 1997). Il n’était pas possible non plus de
contester le renvoi d’un salarié amoureux de la personne convoitée par un supérieur ; Barrett v.
Kirkland Cnty. Coll., 628 N.W.2d 63 (Mich. Ct. App. 2001).
30 42 U.S.C. § 12112(b)(4).
31 Cal. Gov’t Code § 12926(m).
32 Voir par exemple Graziadio v. Culinary Inst. of Am., 817 F.3d 415,2d Cir., 2016, (sur les exceptions
à cette interdiction : lorsque l’association coûte de l’argent à l’employeur, si cela engendre une
inquiétude sur la transmission d’une maladie dans l’entreprise ou si cela distrait le salarié de son
travail). La loi sur la sécurité des pensions de retraite interdit le congédiement d’un salarié qui
participe à un régime médical parrainé par l’employeur visant à empêcher « la réalisation » d’un
droit auquel le salarié «  pourrait avoir droit ». 29 U.S.C. §1140. Par conséquent, le renvoi d’un
parent en raison de la perspective des frais médicaux qu’un employeur pourrait supporter pour
l’enfant enfreindrait cette loi. Dans un tel cas, la question de l’intention devient cruciale. Voir par
exemple Arnett v. Tuthill Corp., Fill-Rite Div., 849 F.Supp. 654 (N.D. Ind. 1994)  : une épouse n’a
pas réussi à prouver que le motif de son licenciement était qu’elle avait fait bénéficier son mari
séropositif de sa couverture maladie financée par l’entreprise. Lorsque l’enfant satisfait au critère
d’invalidité en vertu de l’ADA, une disposition de cette loi rend illégal le licenciement du parent
motivé par ce lien de parenté.
33 N.Y. Exec. L. §292(25).
34 N.Y. Lab. L. § 203-E(2) (eff. Nov. 8, 2019). Il a été jugé que le renvoi d’une employée en raison de sa
décision de se faire avorter violait la loi fédérale sur les droits civils. Roe v. C.A.R.S. Prot. Plus. Inc.,
527 F.3d 358 (3d Cir. 2008); following Turic v. Holland Hosp., Inc., 85 F.3d 1211 (6ème th Cir. 1991).

108 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


ÉTATS-UNIS

III - LES RELATIONS AMOUREUSES


Trois Etats protègent, contre les représailles de l’employeur, toute conduite licite en
dehors des heures de travail et n’ayant aucun impact négatif sur le lieu de travail. Cela
concerne vraisemblablement aussi les relations amoureuses d’un salarié35. Cependant, en
l’absence de législation, rien ne limite les employeurs dans la façon dont ils réglementent
les relations entre salariés, dans la mesure où ils n’enfreignent pas la législation interdisant
les discriminations.
Les employeurs réglementent généralement les fréquentations au sein de l’entreprise,
qui impliquent le plus souvent des relations entre supérieurs et subordonnés. Certains ont
même adopté des politiques interdisant totalement les relations avec des collaborateurs,
pour éviter les plaintes éventuelles pour harcèlement sexuel, si les relations devaient se
détériorer36.
Le contrôle même de cette mesure n’est pas juridiquement attaquable37. Légalement,
aucune faute n’est commise par un responsable masculin qui licencie une subordonnée en
raison des soupçons (ou de la jalousie) de son épouse38. Le licenciement motivé par des
relations sexuelles en dehors de l’entreprise n’est pas attaquable non plus, tant qu’il n’y a
aucune infraction à la loi anti-discrimination.
Le droit du travail américain présente une topographie karstique très inégale : une
salariée ne peut être renvoyée parce qu’elle est enceinte, parce que son enfant est métis,
ou parce qu’elle prend soin d’un enfant handicapé39. En revanche, si elle n’est pas employée
à New York ou dans un Etat interdisant de façon similaire le licenciement lié directement à
la « situation de famille », elle peut être licenciée simplement parce qu’elle a des enfants.

35 Cal. Lab. Code § 98.6, Colo. Rev. Stat., § 24-34-402.5; N.D. Cent. Code § 14-02.4-18 : New York
interdit le licenciement pour «  activités récréatives légales en dehors des heures de travail  ».
N.Y. Lab. L. § 201-d(2)(c)  : Mais les relations amoureuses n’ont pas été considérées comme des
activités récréatives. McCavitt v. Swiss Reinsurance Am. Corp., 237 F.3d 166 (2d Cir. 2001). Certains
membres du patronat continuent de défendre le droit de renvoyer impunément un salarié pour
son comportement hors de l’entreprise. R. Howie et L. Shapero, Lifestyle Discrimination Statutes:
A Dangerous Erosion of At-Will Employment, a Passing Fad, or Both ?, 31 Emp. Rel. L.J. 21 (2005).
Cela a suscité une critique basée principalement sur le droit français et allemand. Voir M. Finkin,
Life Away From Work, 66 La. L. Rev. 945, 2006.
36 M. Finkin, Privacy in Employment Law, 6-78-6-79, 5th ed., 2018.
37 Id. Voir par exemple Ellis v. United Parcel Servs., Inc., 523 F.3d 823 (7th Cir. 2008).
38 Nelson v. James H. Knight DDS, P.C. 834 N.W.2d 64 (Iowa 2013)  : licenciement d’une assistante
dentaire ayant dix ans d’ancienneté  ; Mittle v. N.Y.S. Div. Hum. Rts., 741 N.Y.S.2d 19 (App. Div.
2002) : la subordonnée était enceinte mais le licenciement n’a pas été jugé attaquable au titre de
la discrimination sur ce motif.
39 Ou pour avoir un enfant qui engage des frais supplémentaires dans le cadre du régime médical
couvert par l’ERISA de l’employeur même si l’enfant n’est pas légalement « handicapé ». Note 31,
supra.

RDCTSS - 2020/2 109


LA VIE PERSONNELLE DU SALARIÉ

Pourtant, si les pratiques il y a un siècle en matière d’emploi étaient rigoureuses et sans


aucun égard pour la vie privée, les employeurs sont aujourd’hui plus prudents et leurs
politiques moins intrusives. Le licenciement uniquement pour cause de grossesse serait
désastreux pour les relations publiques d’une entreprise et aurait de graves conséquences
sur le marché du travail, comme sur celui des produits.
Il n’est pas anodin que la majorité des cas étudiés ci-dessus aient été déclenchés par
des décisions managériales ad hoc, en réaction à des situations individuelles, et non dans
le cadre d’une politique générale de l’entreprise. La plupart, mais pas tous, sont le fait
de politiques d’entreprise de non-fraternisation40. Qu’il y ait ou non une telle politique, la
décision de l’employeur est prise dans des contextes juridiques étatiques où la protection
du salarié est inégale. Cependant, l’absence de recours juridique ne signifie pas qu’aucun
recours ne puisse être exercé.
Le 5 octobre 1885, les bottiers de l’usine de Joseph Banigan, dans le Rhode Island, ont
mis fin à une grève. Quand ils ont repris le travail, on leur a remis un ensemble de nouvelles
règles d’entreprise, dont l’une exigeait une présence régulière dans un lieu de culte, une
règle courante à l’époque dans les établissements yankees. Mais Banigan n’était pas un
établissement yankee. Le chef d’entreprise était un fervent catholique romain, tout comme
ses ouvriers, qui étaient fiers de ne manquer la messe que très rarement. Ce règlement
semblait sous-entendre le contraire. En signe de protestation, les travailleurs, furieux et
offensés, se sont remis en grève41.
Aujourd’hui, les travailleurs syndiqués sont libres d’exiger collectivement des garanties
contractuelles pour la protection de leur vie privée. Mais à l’heure actuelle, seulement
6,6 % des travailleurs américains sont syndiqués. Malgré cela, la loi sur le travail protège
le droit de tous les salariés à «  une activité concertée d’entraide et de protection  ».

40 L’élite juridique américaine, l’American Law Institute (ALI), s’est engagée à reformuler et à moderniser
le droit commun du travail. L’Institut a proposé, présentant cela comme un progrès, que la loi
protège l’autonomie des salariés en dehors du travail. Il propose de le faire de deux manières :
sur le plan de la procédure, cela impliquerait une clause contractuelle à cet effet. Sur le fond, cela
accorderait aux salariés une zone de liberté, sauf en cas d’atteinte aux intérêts commerciaux de leur
employeur, à déterminer par un critère subjectif - si l’employeur a « la conviction raisonnable et de
bonne foi que l’exercice par le salarié de son autonomie porte atteinte à » ses intérêts économiques.
American Law Institute, Restatement of Employment Law § 7.08 (2015). Il a spécifiquement identifié
les règles de non-fraternisation comme étant admissibles. L’auteur a souligné deux aspects risqués
de cette « réforme » apparente. Tout d’abord, en centrant la loi autour du contrat et non du délit,
l’ALI permettrait aux employeurs de la contourner de manière contractuelle, simplement grâce
à une clause de non-responsabilité dans un contrat d’adhésion  ; en second lieu, en faisant de
l’employeur le seul juge, dans la pratique, du moment où ses intérêts l’emportent sur ceux du
salarié.
Dans la mesure où les employeurs restreindraient rarement la liberté d’un salarié lorsqu’ils n’y
voient aucun intérêt économique raisonnable pour eux-mêmes, la protection promise par le
Restatement est annulée dans les situations où il est le plus probable que l’autonomie soit violée…
En somme, « le traitement de l’autonomie des salariés par l’ALI “pousse trop loin la plaisanterie“ ».
Voir M. Finkin, Chapitre 7: Privacy and Autonomy, 21 Employee Rts. & Emp. Pol’y J., 2017, p. 589.
41 S. Malloy et I. Titan, Irish Toilers: Joseph Banigan and Nineteenth Century New England Labor, 2008,
p. 134.

110 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


ÉTATS-UNIS

Une protestation publique, ou même une grève de travailleurs non syndiqués contre un
règlement d’entreprise inacceptable, ou contre le licenciement d’un collègue qu’ils jugent
abusif, constituerait une action protégée par la loi sur le travail, quelle que soit la légalité du
règlement et même si le licenciement est inattaquable juridiquement42.
Aujourd’hui, comme il y a un siècle, malgré la création sporadique de poches de
protection juridique, la protestation collective est le seul moyen disponible pour sortir la
vie familiale et privée du contrôle des employeurs. Mais, contrairement à leurs homologues
du siècle dernier, les travailleurs ont désormais un droit légal à l’auto-assistance, à la
protestation et à l’action collective- s’ils souhaitent l’exercer.

42 R. Gorman et M. Finkin, Labor Law, Analysis and Advocacy, 2013, § 16.2 et 16.3.

RDCTSS - 2020/2 111


JURISPRUDENCE
SOCIALE INTERNATIONALE

Commentaire
Actualités

RDCTSS - 2020/2 113


Andrea Allamprese
Professeur en droit du travail, Université de Modène et Reggio Emilia

Raphael Dalmasso
Maître de conférence en droit du travail, Université de Lorraine

Comité Européen des Droits Sociaux - La décision du


Comité de Strasbourg sur la Réclamation n°158/2017
CGIL c/ Italie : la terre tremble !
COMMENTAIRE

RÉSUMÉ
Le Comité européen des droits sociaux demande au gouvernement italien de respecter l’art. 24 de la
Charte sociale européenne révisée, une disposition qui établit le droit de tout travailleur injustement
licencié à recevoir une protection effective et réellement dissuasive contre tout comportement arbitraire
de la part de l’employeur. La censure du Comité provient du fait que la législation italienne sur le
licenciement introduite en 2015 (décret législatif n° 23/2015) exclut a priori la possibilité d’être réintégré
dans la plupart des cas de licenciement et fixe un montant maximum de l’indemnité à verser au travailleur.
La concomitance de deux affaires pendantes sur l’art. 24 de la Charte (la réclamation collective présente
et une question de constitutionnalité italienne) a constitué une occasion pour activer un dialogue,
attendu de longue date, entre la Cour constitutionnelle italienne et le Comité de Strasbourg pour garantir
l’effectivité de la Charte dans l’ordre juridique interne.

Mots-clés : Licenciement illégitime, indemnité de licenciement, plafonnement des indemnités


de licenciement.

ABSTRACT
The European Committee of Social Rights calls on the Italian government to respect art. 24 of the revised
European Social Charter, a provision which establishes the right of every worker unjustly dismissed
to receive effective and really dissuasive protection against any arbitrary behavior on the part of the
employer. The Committee’s censorship stems from the fact that the Italian legislation on dismissal
introduced in 2015 (legislative decree n ° 23/2015) precludes a priori the possibility of being reinstated
in most cases of dismissal and fixes a maximum amount of the compensation to be paid to the worker.
The concomitance of two pending art cases. 24 of the Charter (the present collective complaint and
a question of Italian constitutionality) constituted an opportunity to activate a long-awaited dialogue
between the Italian Constitutional Court and the Strasbourg Committee to guarantee the effectiveness of
the Charter in the ‘internal legal order.

Keywords: Illegitimate Dismissal, Dismissal Indemnity, Compensation Cap.

114 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


Comité Européen des Droits Sociaux

D
ans le film néoréaliste italien « La terre tremble 1», Toni, jeune pêcheur intré-
pide, décide de prendre tous les risques pour s’élever socialement et prend
ainsi son bateau même en cas de gros temps. Un jour de tempête, il perd
son bateau et entraîne sa famille dans la ruine et le désespoir. Les légis-
lateurs français et italien sont-ils les lointains descendants de ce pêcheur
imprudent? En effet, pour réformer les droits du licenciement, il apparaît de plus en plus
clairement, quelle que soit la position doctrinale que l’on puisse avoir, que tous les risques
juridiques ont été pris par ces législateurs, et que la tempête, avec la décision du Comité
européen des droits sociaux (ci-après Ceds) du 11 septembre 2019 (mais rendue publique
seulement le 11 février 2020) sur la Réclamation collective n°158/2017 (CGIL c. Italie), est
bel et bien arrivée.

Le Comité de Strasbourg – avec 11 voix contre 3 - estime que le régime de sanction


du licenciement illégitime prévu par le Décret législatif n°23/2015, même après les
modifications apportées par la double intervention du législateur (loi n°96/2018) et de la
Cour constitutionnelle italienne (décision n°194/2018), est contraire à l’art. 24 de la Charte
sociale européenne révisée (ci-après Cser) qui prévoit que tous le travailleurs ont « droit à
la protection en cas de licenciement »2. En particulier, le Comité a estimé que ni les voies
de recours alternatives offrant aux victimes de licenciements illégaux la possibilité d’une
indemnisation au-delà des limites de la loi contestée, ni le mécanisme de conciliation ne
permettent une indemnisation adéquate proportionnelle au préjudice subi et susceptible
de décourager les employeurs de procéder à des licenciements illégaux. Avant d’analyser
les argumentations des parties (II et III), la réponse du Comité (IV) et son incidence sur le
droit français (V), il convient de tenter de présenter de manière intelligible le complexe
droit italien ici remis en cause (I).

I - LE NOUVEAU DROIT - CONTESTÉ - DU LICENCIEMENT ITALIEN


La décision du Ceds ne peut, pour un lecteur français, se comprendre sans revenir
préalablement sur la législation en cause et sur le contentieux constitutionnel qu’elle
a d’ores et déjà provoqué. Le droit du licenciement a été profondément remanié par le
Décret législatif n°23/20153, appelé communément en Italie Jobs Act. Sans revenir sur tous
ses aspects4, il convient de mentionner quelques éléments essentiels de ce décret, entré
en vigueur le 7 mars 2015.
Tout d’abord, en cas de licenciement illégitime, c’est-à-dire lorsque le motif (objectif
ou subjectif) du licenciement fait défaut, le décret législatif a décidé, dans son art. 3,
d’encadrer le droit à la réparation du préjudice subi par le salarié. Dans sa version originelle,
le texte indiquait que le montant de l’indemnisation était prédéfini et correspondait

1 « La Terra Trema » de L. Visconti, réalisé en 1948 et sorti en France en 1952.


2 L’article mentionne notamment « le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une
indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée » (partie II.b).
3 Dispositions en matière de contrat de travail à durée indéterminée à protection croissante, en
application de la loi de délégation n°183/2014.
4 Voir pour plus de détails A. Allamprese et R. Dalmasso, « Les sanctions des licenciements illégitimes
en France et en Italie: des droits sécurisés ou incitatifs aux licenciements ? », Revue de droit comparé
du travail et de la sécurité sociale, 2019/1, p. 136.

RDCTSS - 2020/2 115


Jurisprudence sociale internationale

« à 2 mensualités de la dernière rémunération de référence aux fins du calcul du montant


TFR5, par année de service, qui ne soit globalement pas inférieure à 4 mensualités ou
supérieure à 24 mensualités »6. Il était prévu, toujours dans la version originelle du texte,
que l’indemnisation soit diminuée de moitié pour les salariés des petites entreprises
(filiales ou établissements ayant moins de 16 salariés, ou entreprises employant jusqu’à 60
travailleurs) et ne pouvait, en aucun cas, « dépasser la limite de six mensualités ». Ce texte
a subi deux modifications :
- En premier lieu, l’art. 3 du Décret-loi n°87 du 12 juillet 2018 (loi n°96/2018) a relevé
les montants d’indemnisation: pour les salariés dans des grandes entreprises, ils sont
dorénavant fixés entre 6 et 36 mensualités, tandis que pour les salariés des petites
entreprises, le montant minimal est porté à 3 mensualités et le montant maximal reste fixé
à 6 mensualités.
- Une autre modification découle de l’arrêt n°194 du 8 novembre 2018 de la Cour
constitutionnelle italienne7. Dans cette décision, les juges italiens ont déclaré
COMMENTAIRE

inconstitutionnel - pour violation du principe de ragionevolezza prévu à l’art. 3 de la


Constitution - le calcul du montant du licenciement illégitime prévu par l’art. 3, al. 1 du
Décret n°23/2015, qui prévoyait «  un montant égal à 2 mensualités de la dernière
rémunération de référence aux fins du calcul du montant TFR, par année de service ». La
Cour a ici indiqué que, dans la limite des minima et maxima de l’indemnité revenant au
salarié en cas de licenciement illégal, le juge doit tenir compte non seulement de
l’ancienneté de service, mais aussi d’autres éléments comme le nombre de salariés,
la dimension de l’entreprise, le comportement et les conditions des parties. Pour le
dire autrement, la Cour rejette l’idée d’un barème simple et fixe uniquement fondé sur
l’ancienneté, pour préférer l’instauration d’une « fourchette » d’indemnisation, dont le
montant sera déterminé par le juge.
Dans cette décision importante, comme dans une précédente décision du 13 juin 20188,
la Cour constitutionnelle mentionne expressément la Cser9. Cette dernière est qualifiée, à
nouveau, de « source interposée » entre la loi ordinaire interne et la Constitution au sens

5 Traitement de fin de rapport de travail.


6 Art. 3, alinéa 1, Décret législatif n°23/2015.
7 Voir A. Allamprese et R. Dalmasso, « Les sanctions des licenciements illégitimes en France et en
Italie », op. cit., p. 149.
8 Cour constitutionnelle, 13 juin 2018, n°120, Rivista giuridica del lavoro, II, p. 611, note Forlivesi. Dans
cette décision, la Cour a reconnu pour les membres des forces armées une liberté d’association
syndicale. Dans les motifs de sa décision, la Cour a mentionné le rôle de la Cser comme source
« interposée » (interposta) au sens de l’art. 117, alinéa 1, de la Constitution italienne, et affirmé
que les décisions du Comité font autorité (sono autorevoli). La Cour a ici cependant précisé que
les décisions du Ceds ne proviennent pas d’un organisme juridictionnel et ne lient pas l’ordre
juridique interne, surtout si elles ont une incidence sur les normes constitutionnelles.
9 Les juges italiens ont étés saisis par le Tribunal de Rome pour statuer aussi sur la compatibilité de
l’art. 3, al. 1, du Décret n°23/2015 avec l’art. 24 de la Cser. Il s’agissait d’apprécier cette compatibilité
au regard de l’art. 76 de la Constitution italienne (pour violation des critères fixés par la loi de
délégation de 2014, en raison de la référence qui y est faite aux obligations de droit international),
et au regard de l’art. 117, §. 1 (en raison du caractère éventuel de « source interposée » de l’art.
24 Cser). L’art. 117, al. 1, de la Constitution italienne précise que « Le pouvoir législatif est exercé
par l’Etat (…), dans le respect de la Constitution, ainsi que des liens dérivant du droit de l’Union
européenne et des obligations internationales ».

116 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


Comité Européen des Droits Sociaux

de l’art. 117 de la Constitution italienne10. La Cour a donc souhaité donner un poids certain
à la Charte, mais aussi aux décisions du Comité, bien que celles-ci n’aient pas le même
effet juridique que la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Dans leur attendu de principe, les juges italiens ont ainsi indiqué que « dans la décision
rendue suite à la Réclamation collective n°106/2014, présentée par la Finnish Society of
Social Rights c. la Finlande, le Ceds a précisé que l’indemnisation est appropriée dans
la mesure où elle assure une réparation adéquate pour le préjudice réel subi par le
travailleur licencié sans raison valable et où elle dissuade l’employeur de licencier
injustement. Le Comité apprécie le caractère dissuasif du système de compensation et,
en même temps, approprié par rapport au dommage subi. Cette Cour a déjà affirmé
l’aptitude de la Charte à intégrer le paramètre de l’art. 117, al. 1, de la Constitution, et
elle a également reconnu l’autorité des décisions du Comité, bien qu’elles ne soient pas
contraignantes pour les juges nationaux (arrêt n°120/2018)  ». Selon la Cour italienne,
l’art. 24, s’inspirant de la Convention n°158 de l’OIT, précise, au plan international et
concernant le licenciement injustifié, l’obligation de garantir le caractère adéquat de la
réparation, en cohérence avec ce que la Cour a décidé sur la base du paramètre interne de
l’art. précité 3 de la Constitution. De cette façon, il existe une intégration entre les sources
et - ce qui est plus important - entre les protections garanties par celles-ci. Par le biais de
l’art. 24 Cser, l’art. 76 - pour la référence faite par la loi de délégation de 2014 au respect
des conventions internationales - et l’art. 117, al. 1, de la Constitution sont violés.
Un autre aspect du droit italien du licenciement, issu du Jobs Act, va également être
discuté, et doit donc être succinctement présenté. Il s’agit de l’art. 6 du Décret n°23/2015
(modifié par la loi n°96/2018) qui prévoit que, pour éviter le contentieux judiciaire, l’employeur
peut proposer au travailleur licencié un montant d’indemnisation correspondant à une
mensualité de la dernière rémunération de référence par année d’ancienneté, comprise
entre 3 mois minimum et 27 mois maximum de salaire (six pour les petites entreprises). Ces
sommes bénéficient d’un régime fiscal et social avantageux. Si le salarié accepte ce mode
alternatif de règlement du litige, il ne pourra plus contester son licenciement en justice.

II - LES ARGUMENTATIONS DE LA CGIL


La CGIL a saisi le Comité de Strasbourg sur la même question juridique que celle
décidée par la Cour constitutionnelle dans l’arrêt précité n°194/2018. En particulier la
CGIL demande au Comité de dire que les dispositions contenues dans les art. 3, 4, 9 et
10 du Décret législatif n°23/2015 sont contraires à l’art. 24 Cser en ce qu’elles prévoient,
pour les travailleurs recrutés après le 7 mars 2015 avec un contrat à durée indéterminée
dans le secteur privé, une indemnisation globale en cas de licenciement illégal, qui
est plafonnée sans que le juge ne puisse apprécier le préjudice réellement subi par le
travailleur. Se référant l’art. 3, al. 1, du Décret n°23/2015, la CGIL précise que la « mensualité
de référence » aux fins du calcul du montant de l’indemnité versée en cas de licenciement
illégal « ne correspond pas à la rémunération globale revenant concrètement au
travailleur. Il s’agit en effet d’un paramètre formel - la dernière rémunération de référence
aux fins du calcul du “traitement de fin de rapport de travail” - qui ne tient souvent pas
compte de certains éléments fixes de la rémunération » (point 50 de la décision). Or, la loi ne
permet pas au juge de tenir compte des éléments de la rémunération exclus du calcul. Par

10 La conséquence est donc qu’en cas de violation par la norme nationale de la Charte, le juge
ordinaire est tenu de soulever la question de la légitimité constitutionnelle de la norme interne.

RDCTSS - 2020/2 117


Jurisprudence sociale internationale

ailleurs, le montant de l’indemnisation ainsi déterminé peut être ultérieurement réduit de


moitié pour les salariés des petites entreprises (art. 9 du Décret n°23/2015) et en présence
de certains vices de forme (si le motif du licenciement n’est pas indiqué) ou de procédure
(le travailleur n’a pas pu se défendre dans le cadre d’une procédure disciplinaire : art. 4
du décret précité). Or, selon le syndicat italien, il s’agit de violations graves du droit par
l’employeur et non, pour reprendre l’argumentation du gouvernement italien, de situations
de « moindre gravité ».
La CGIL allègue également que les montants effectivement perçus par les victimes de
licenciements illégaux sont réduits du fait que la loi encourage le recours à des mécanismes
de conciliation (art. 6 du Décret n°23). Certes, ces derniers offrent aux victimes de
licenciements illégaux la possibilité d’obtenir une indemnité sans supporter les frais et les
délais d’une procédure judiciaire, mais ils profitent surtout, de manière disproportionnée,
à l’employeur. Ainsi, au lieu de dissuader les employeurs de recourir aux licenciements
illégaux, ceux-ci sont facilités (point 53). De plus, la CGIL explique que dans le régime actuel
COMMENTAIRE

des sanctions, il n’existe aucune autre protection alternative ou complémentaire relevant


du droit civil. Le gouvernement italien prétend le contraire, en mentionnant les réparations
possibles au civil en cas de « licenciement vexatoire ». La CGIL précise cependant que le
dédommagement en question concerne le préjudice porté à la dignité de la personne
en raison des modalités vexatoires du licenciement, qu’il s’agisse d’un licenciement illégal
ou injustifié. Le dédommagement supplémentaire n’est donc pas - selon la CGIL - lié au
caractère illégal du licenciement (faisant l’objet de la protection de l’article 24 Cser), mais
aux modalités du licenciement et à son impact sur l’intégrité psychique ou physique de
la victime, sur sa vie privée ou sa réputation (points 56, 68 et 98). A cela s’ajoute le fait
que la réintégration n’est possible que dans des hypothèses exceptionnelles strictement
prévues par la loi11. C’est en outre, à chaque fois, au travailleur de prouver ces hypothèses
exceptionnelles (point 58). La CGIL note, enfin, que les mesures contestées n’ont pas été
adoptées dans un contexte de crise économique et financière grave, bien qu’elles soient
supposées favoriser la croissance de l’emploi : « au vu des statistiques sur l’emploi depuis
l’entrée en vigueur des mesures contestées, rien ne prouve qu’une réglementation sur le
licenciement moins protectrice entraîne une croissance de l’emploi ; une telle restriction
d’un droit fondamental des travailleurs n’est pas proportionnelle au but poursuivi et ne se
justifie donc pas sous l’angle de l’art. G de la Cser » (point 64).

III - LES ARGUMENTS DES GOUVERNEMENTS ITALIENS ET FRANÇAIS


Les arguments du gouvernement italien, mais aussi du gouvernement français qui a
choisi d’intervenir, sont multiples. Pour ces deux gouvernements, l’art. 24 Cser reconnaît au
législateur national un pouvoir discrétionnaire quant aux mesures à adopter et ne l’oblige
pas à prévoir la réintégration comme seule forme de réparation possible du préjudice
subi par le salarié licencié sans motif valable. Ce point n’est d’ailleurs pas contesté.
Concernant le montant de l’indemnisation allouée, et le problème de son plafonnement,
les gouvernements français et italien demandent au Comité de bien considérer que

11 Il s’agit des cas de licenciement « inefficace » parce que non notifié par écrit, de licenciement nul
parce que discriminatoire ou correspondant aux autres cas de nullité prévus expressément par la
loi (art. 2, al. 1, du Décret n°23/2015) ou encore de licenciement pour motif justifié subjectif dans
lequel le juge constate l’inexistence du fait matériel allégué à l’encontre du salarié, en dehors de
toute évaluation relative à la proportionnalité du licenciement (art. 3, al. 2).

118 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


Comité Européen des Droits Sociaux

les sommes à prendre en considération ne sont pas uniquement celles attribuées au


salarié le dédommageant de son licenciement illégitime. En particulier, le gouvernement
italien indique que le caractère adéquat de l’indemnité en cas de licenciement illégal
« doit être évalué dans le contexte global de la législation pertinente, et en prenant
en considération, notamment, les mesures de soutien du revenu en cas de chômage
involontaire » (point 76).
En outre, les gouvernements soutiennent que des dédommagements complémentaires
sont possibles au civil (point 82). En d’autres termes, ils souhaitent démontrer que
l’indemnisation prévue par le Décret législatif n°23 n’est pas de nature globale et n’empêche
pas le travailleur d’obtenir une indemnisation complète du préjudice subi. Le gouvernement
français précise que, dans les cas qui concernent les manquements les plus graves de
l’employeur (licenciement discriminatoire notamment), les montants sont déplafonnés (point
23). S’agissant de la réduction du montant de l’indemnité en présence de vices de forme
ou de procédure, le gouvernement italien souligne qu’il s’agit de situations de « moindre
gravité » et que le juge peut, à la demande du travailleur, constater que d’autres critères de
protection s’appliquent (par exemple en cas de licenciement discriminatoire)12. Cependant,
le principal argument des deux gouvernements est celui-ci : en instaurant des planchers et
des plafonds, les législateurs ont voulu rendre plus prévisible les conséquences financières
d’un licenciement pour l’employeur et le salarié. Cette prévisibilité n’est pas antagoniste
avec le caractère dissuasif du droit du licenciement. Selon le gouvernement français, la
prévisibilité du montant octroyé n’enlève rien au caractère dissuasif du mécanisme lié au
montant lui-même et à la perspective d’une condamnation (point 22).

IV - LA DÉCISION SUR LE BIEN-FONDÉ


Le Comité rappelle, tout d’abord, qu’il statue selon la situation juridique en vigueur à la
date de l’adoption de sa décision, soit septembre 2019. Par ailleurs, il relève que plusieurs
aspects du mécanisme d’indemnisation introduit en Italie au 2015 restent mis en cause
par la CGIL, même après les modifications apportées au Décret législatif n°23/2015 par
la double intervention du législateur (Décret-loi n°87 du 12 juillet 2018) et de la Cour
constitutionnelle (décision n°194/2018 précitée). Il s’agit du plafonnement du montant
de l’indemnisation, combiné aux restrictions applicables en matière de réintégration du
salarié, à l’absence de protection alternative ou complémentaire contre les licenciements
illégaux, à l’absence d’instruments adéquats de protection sociale en faveur des salariés
licenciés ainsi qu’au mécanisme de conciliation (point 86).
Le Comité note également que, s’agissant des types de licenciement sans motif valable
autres que discriminatoires, entachés de nullité ou communiqués oralement (visés par les
art. 2 et 3, al. 2, du Décret n°23), les dispositions mises en cause prévoient une indemnisation
qui ne couvre pas les pertes financières effectivement subies par le travailleur licencié,
puisque son montant est plafonné à 6 (salaries des petites entreprises), 12 (vices de forme

12 Le gouvernement fait ici référence à la dernière phrase de l’art. 4 du Décret n°23/2015, dans
lequel on prévoit que le salarié peut aussi demander au juge d’apprécier un défaut de motif
justifié (subjectif et objectif) du licenciement. Dans ce cas, sont appliquées les sanctions prévues
en cas d’illégitimité du licenciement disciplinaire, ou pour motif économique (ou éventuellement
discriminatoire).

RDCTSS - 2020/2 119


Jurisprudence sociale internationale

et de procédure), 24 ou 3613 mensualités de référence (points 92 et s.). Le Comité rappelle


que, selon sa « jurisprudence » consolidée, tout plafonnement qui aurait pour effet « que
les indemnités octroyées ne sont pas en rapport avec le préjudice subi et ne sont pas
suffisamment dissuasives est, en principe, contraire à la Charte ». En cas de plafonnement
des indemnités « accordées en compensation du préjudice matériel, la victime doit pouvoir
demander réparation pour le préjudice moral subi par d’autres voies juridiques (par
exemple, la législation antidiscriminatoire) et les juridictions compétentes pour accorder
une indemnisation pour le préjudice matériel et moral subi doivent se prononcer dans un
délai raisonnable » (point 96)14. Les observations du gouvernement italien concernant la
prétendue existence de la possibilité pour le travailleur d’obtenir une réintégration et une
indemnisation complète des dommages sur la base des principes généraux du droit civil
ne sont pas suffisantes pour contredire les arguments portés par la CGIL. En particulier,
le gouvernement a mentionné certains jugements de fond récents sur la nullité du
licenciement en vertu de l’art. 1418 du Code civil italien et sur les dommages-intérêts pour
COMMENTAIRE

licenciement « vexatoire ». Mais pour le Ceds ces arrêts ne prouvent pas l’existence d’une
« jurisprudence stable et consolidée » et ne démontrent pas que les limites d’indemnisation
établies par le Décret n°23/2015 peuvent être dépassées (point 99).
Un autre élément important dans l’évaluation négative de la législation italienne est le
rôle du mécanisme de conciliation introduit par l’art. 6 du Décret n°23. Cette règle permet à
l’employeur d’éviter une décision de justice en offrant au travailleur une somme égale à un
mois de salaire par année d’ancienneté (plafonnée à 27 mensualités), exonérée d’impôts
et de cotisations de sécurité sociale. En pratique le salarié accepte le plus souvent cette
somme, équivalente à ce qu’il pourrait obtenir du juge. De l’avis du Comité, même si l’objectif
de désengorger les juridictions n’est pas forcément contraire à la Charte, cela réduit l’effet
dissuasif du système de sanctions de l’employeur et compromet l’indemnisation adéquate
du travailleur (point 101). Au vu de ces éléments, le Ceds considère que ni les voies de droit
alternatives offrant au salarié victime de licenciement illégal une possibilité de réparation
au-delà du plafonnement prévu par la loi en vigueur (même après les modifications
apportées par la double intervention du législateur (loi n°96/2018) et de la Cour
constitutionnelle italienne), « ni le mécanisme de conciliation ne permettent, dans tous les
cas de licenciement sans motif valable, d’obtenir une réparation adéquate, proportionnelle
au préjudice subi et de nature à dissuader le recours aux licenciements illégaux » (point
104).

13 Pour rappel, le décret-loi n°87/2018 a modifié le régime de sanction de l’art. 3, al. 1, Décret
n°23/2015, augmentant le montant de l’indemnité dans les moyennes et grandes entreprises  :
après le 12 juillet 2018, le niveau minimum est de 6 mensualités (au lieu de 4) et le niveau maximum
de 36 mensualités (au lieu de 24).
14 Voir Ceds, Conclusions 2016 sur l’Italie, adoptées le 9 décembre 2016 (période de référence
1er janvier 2011–31 décembre 2014): le Ceds demande à l’Italie « si, en cas de plafonnement, il
est possible de demander réparation par d’autres voies juridiques. Dans l’attente, il réserve sa
position  ». Voir aussi la décision du 8 septembre 2016 sur la Récl. n°106/2014, Finnish Society
of Social Rights v. Finlande  : «  Le Comité considère que le plafonnement de l’indemnisation
prévu par la loi relative au contrat de travail peut laisser subsister des situations dans lesquelles
l’indemnisation accordée ne couvre pas le préjudice subi. En outre, il ne peut conclure que des
voies de droit alternatives sont prévues pour constituer un recours dans de telles situations. En
conséquence, le Comité dit qu’il y a violation de l’art. 24 ».

120 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


Comité Européen des Droits Sociaux

En matière d’indemnisation du licenciement, le Ceds pose ainsi une règle, qui doit
dorénavant être la grille de lecture des droits nationaux : tout plafonnement qui aurait pour
effet que les indemnités octroyées ne sont pas en rapport avec le préjudice subi et ne sont
pas suffisamment dissuasives est, en principe, contraire à l’art. 24 Cser. Ce principe n’est pas
forcément évident à comprendre et interpréter. Il semble que le Comité n’interdit pas, le
plafonnement des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ou illégitime.
Il subordonne cependant la validité de ce plafonnement à deux conditions : les indemnités
doivent conserver un rapport avec le préjudice subi et rester dissuasives. Concernant
la première condition, si le Ceds ne mentionne pas de droit à la réparation intégrale du
préjudice subi, celui-ci doit cependant être réparé de manière satisfaisante pour le salarié.
L’existence d’un plafond est cependant un indice fort de contradiction avec l’art. 24 de
la Cser. La deuxième condition semble la plus importante, et décisive pour évaluer les
législations nationales. Les indemnités doivent être suffisamment dissuasives pour
l’employeur. Le Ceds donne ici la signification réelle des législations sur les licenciements :
elles doivent viser à dissuader l’employeur de rompre le contrat, et faire que le licenciement
ne doit être qu’une solution motivée, et en dernier ressort. Le licenciement d’un salarié,
quel que soit son motif personnel ou économique, doit donc être un choix de gestion
extrema ratio.
En conséquence, une absence ou une insuffisance de motif de licenciement témoigne
d’une légèreté inacceptable de la part de l’employeur, et doit être lourdement sanctionnée.
Instaurer des plafonds d’indemnisation, comme l’ont fait les droits français et italiens, c’est
donc prendre le risque que ceux-ci ne soient pas considérés comme suffisamment dissuasifs,
surtout s’ils ne garantissent pas en pratique, dans la majeure partie des cas, la réparation
intégrale du préjudice subi. Ce qui est donc invalidé par le Comité, c’est la philosophie
qui a gouverné les législations françaises et italiennes; celles-ci visaient à rendre le droit
du licenciement plus sûr et plus prévisible pour les parties, et surtout pour l’employeur,
afin que celui-ci puisse provisionner, en cas de licenciement, le montant maximum qu’il
pourrait être amené à verser au salarié en cas de contentieux. D’une certaine manière, le
Ceds indique que le droit du licenciement, pour rester dissuasif, doit comporter, d’un point
de vue indemnitaire, une forme d’imprévisibilité, qui doit faire peur à l’employeur.

V - INCIDENCES POSSIBLES SUR LE DROIT FRANÇAIS


La décision du Ceds aura, bien entendu, également des conséquences en France.
En effet, les ordonnances dites Macron15 se sont visiblement inspirées du Jobs Act en
prévoyant, dans l’art. L.1235-3 du Code du travail, une « fourchette » d’indemnisation du
licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec, en fonction de l’ancienneté du salarié et
de la taille de l’entreprise, des indemnités minimales et maximales de licenciement sans
cause réelle et sérieuse. A la différence du droit italien, qui prévoyait initialement un strict
barème calculé uniquement en fonction de l’ancienneté, le législateur français a dès

15 Voir Ordonnance 2017-1397 du 22 septembre 2017 ratifiée par la loi n°2018-217 du 29 mars 2018.

RDCTSS - 2020/2 121


Jurisprudence sociale internationale

2017, certainement par peur d’une censure constitutionnelle16, laissé au juge un pouvoir de
fixation des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec cependant fixation
d’indemnités minimales et maximales17. Comme en Italie, ce barème a très tôt fait l’objet
de contestations devant des Conseils de prud’hommes, donnant lieu à des appréciations
souvent divergentes des juges du fond. Cependant, un nombre assez important de
jugements a reconnu à l’article 24 de la Charte et à l’art. 10 de la Convention n°158 de l’OIT
un effet direct en droit français, et jugé que celui-ci était en contradiction avec ces normes
internationales18.
Deux avis de la Cour de cassation19 - largement commentés et souvent critiqués20 - ont
cependant conforté la position du législateur, avec une position laconique, mais acérée.
La Cour a constaté l’absence d’effet direct de l’art. 24 Cser, et n’a donc pas procédé au
contrôle de son respect. Concernant l’art. 10 de la Convention n°158, la Cour a admis son
application directe. Cependant, les avis ont conclu à la conformité de la législation à cette
disposition. Ces avis de la Cour de cassation sont en contradiction avec la décision rendue
COMMENTAIRE

par le Ceds le 11 septembre 2019 (Récl. CGIL c. Italie), mais aussi avec la position de la
Cour constitutionnelle italienne. En effet, les avis de la Cour indiquent que l’article 24 Cser
ne produit pas d’effet direct horizontal, eu égard à l’importance de la marge d’appréciation
laissée aux parties contractantes par les termes de la Charte. Pour déterminer si la Charte
a un effet direct, la Haute juridiction française procède donc, selon l’expression de
C. Nivard21, à une technique de «  dépeçage  » du Traité. Le critère de détermination de
l’effet direct réside - selon les avis précités - dans l’importance de la « marge d’appréciation»
laissée aux parties contractantes. Il semblerait donc que les juges considèrent que l’art. 24
en question n’est pas assez précis pour être directement applicable. Si la Cour avait eu
connaissance de l’arrêt précité de la Cour constitutionnelle italienne du 8 novembre 2018,
elle constaterait qu’en Italie cette argumentation a été balayée par les juges, qui confèrent
à l’art.  24 (et à toute la Charte) un effet juridique certain - même indirect - dans l’ordre
juridique interne. En effet, c’est parce que la Charte est apte à intégrer le paramètre de

16 Voir la décision du Conseil constitutionnel censurant la première tentative d’instaurer un barème


uniquement calculé sur l’ancienneté du salarié dans la loi du 6 août 2015: Cons. const., 5 août
2015, n°2015-715 QPC, Constitutions 2015, p. 555, chron. J.-F. Giacuzzo. Le Conseil avait conclu à
la non-conformité, en considérant que, « si le législateur pouvait, à ces fins, plafonner l’indemnité
due au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, il devait retenir des critères présentant un lien
avec le préjudice subi par le salarié; que, si le critère de l’ancienneté dans l’entreprise est ainsi en
adéquation avec l’objet de la loi, tel n’est pas le cas du critère des effectifs de l’entreprise; que, par
suite, la différence de traitement instituée par les dispositions contestées méconnaît le principe
d’égalité devant la loi ».
17 L’indemnité maximale française, fixée à 20 mois, est cependant inférieure à celle fixée en Italie
à 36 mois.
18 Voir notamment CPH Longjumeau, 14 juin 2019, n°18/00391  ; CPH Lyon, 7 janvier 2019  ;
CPH Amiens, 19 décembre 2018, n°18/00040 ; CPH Troyes, 13 décembre 2018, n°18/00418.
19 Cass., avis 17 juillet 2019, n°15012 et 15013.
20 Voir notamment J. Icard, « Avis relatifs au barème Macron: la stratégie du flou », Semaine Sociale
Lamy, 26 août 2019, p. 5 ; G. Bargain, « Le contrôle de conventionalité du barème d’indemnité: des
choix contestables », Revue droit du travail, 2019 p. 569 ; J. Mouly, « Qui a peur du Comité européen
des droits sociaux ? », Droit social, 2019, p. 814 ; S. Robin-Olivier, « Le refus de l’assemblée plénière
de la Cour de cassation de prendre part au développement du droit du travail international », Droit
social, 2019, p. 799 ; C. Nivard, « L’obscure clarté du rejet de l’effet direct de l’article 24 de la Charte
sociale européenne révisée », Droit social, 2019, p. 792.
21 C. Nivard, « L’obscure clarté du rejet de l’effet direct… », op. cit.

122 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


Comité Européen des Droits Sociaux

l’art.  117, al. 1, de la Constitution italienne (qui fait référence au respect des contraintes
découlant des obligations internationales), que la question de constitutionnalité soulevée
par le Tribunal de Rome à propos de l’art. 24 Cser a été déclaré recevable. En indiquant que
le droit français est conforme à l’art. 10 de la Convention n°158, c’est plus directement avec
le Comité de Strasbourg que la Cour de cassation française entre en conflit. En effet, l’art. 10
et l’art. 24 de la Charte sont rédigés dans les même termes, mentionnant le droit, pour les
salariés dont le licenciement est injustifié, « à une indemnité adéquate ou toute autre forme
de réparation (…) appropriée ». Pour affirmer que le droit français est conforme à cette
norme de l’OIT, la Cour de cassation indique que les Etats ont une marge d’appréciation
importante, voire discrétionnaire de la signification de ce terme « adéquat », et qu’ils sont
donc libres de déterminer sa signification pratique. Or, la décision du Ceds dit exactement
le contraire, en imposant la double condition que l’indemnisation doit avoir un rapport
avec le préjudice subi et qu’elle doit être dissuasive.

Conclusion
Le dialogue des juges apparait relativement harmonieux en Italie (entre la Cour
constitutionnelle et le Ceds) et cacophonique en France (entre la Cour de cassation et le
Ceds). Il semble difficile, pour la Cour de cassation française, de maintenir en l’état cet
isolement. Plus globalement, la décision du Ceds du 11 septembre 2019 est un coup de
tonnerre qui n’a pas fini de produire ses effets sur les deux législations. On voit en effet
assez mal comment les législateurs italiens puis français pourraient faire, après cette
décision, comme s’il ne s’était rien passé. Si le Jobs Act est d’ores et déjà directement remis
en cause, le barème français plafonnant la réparation du préjudice des salariés licenciés de
manière injustifiée est certainement, déjà, lui aussi, en sursis. Des réclamations collectives
ont été déposées par des syndicats français devant le Ceds22 afin que celui-ci se prononce
sur l’incompatibilité avec l’art. 24 Cser du barème instauré par l’ordonnance n°2017-1387.
Les décisions sont attendues dans les prochains mois.

22 Voir notamment Récl. n°160/2018, FO c. France; Récl. n°171/2018, CGT c. France; Récl. n°174/2019,
CGT YTO France c. France; Récl. n°175/2019, CFDT de la métallurgie de la Meuse c. France.

RDCTSS - 2020/2 123


Alexandre Charbonneau
Maître de conférences, Comptrasec, UMR CNRS 5114, Université de Bordeaux

L’avenir du travail en suspens

Difficile d’ouvrir ces actualités sur un sujet autre que celui de la crise du Coronavirus.
Au titre des mesures mises en œuvre pour prévenir la propagation du virus, la 338e session
du Conseil d’administration de l’OIT1, prévue du 12 au 26 mars 2020 à Genève, a été
annulée. Plus significative encore, une première évaluation de l’impact du COVID-19 sur le
monde du travail mondial évoque à l’échelle mondiale deux scenarii : le premier, optimiste,
envisage la perte de 5,3 millions d’emplois; le second, pessimiste, la perte de 24,7 millions
d’emplois. Publiée le 18 mars 2020, cette étude préliminaire2 rappelle également que,
ACTUALITÉS

comparativement, la crise financière de 2008 avait occasionné la perte de 22 millions


d’emplois.
Il est certain que les espoirs suscités par la célébration du Centenaire de l’OIT durant
l’année 2019 doivent à présent être regardés dans le contexte de cette crise et que les
priorités de l’Organisation à moyen terme devront être revues, afin d’y apporter des
réponses.
Pour autant, l’année 2019 a été riche. En France, plusieurs publications3, issues le plus
souvent de rencontres et colloques, ont permis de vérifier que la doctrine travailliste continue
à s’intéresser au droit international du travail et à l’impact des normes internationales de
l’OIT sur les législations nationales. La saga du barème d’indemnisation « Macron », dont les
avis rendus par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 17 juillet 20194 constituent
une étape abondamment commentée5, offrait une actualité particulière expliquant sans
doute cet intérêt.

1 https://www.ilo.org/gb/GBSessions/GB338/lang--fr/index.htm
2 ILO, Covid-19 and world of work : impacts and responses, Genève, 18/03/2020 : https://www.ilo.
org/wcmsp5/ groups/public/---dgreports/---dcomm/documents/briefingnote/wcms738753.pdf
3 Voir notamment le dossier de la Semaine Juridique - Social sur « L’impact des normes et de l’activité
de l’OIT sur le droit social français », 30 juillet 2019 ; le numéro spécial de la revue Droit social,
coordonné par S. Robin-Olivier et consacré au « Centenaire de l’OIT », Janvier 2020 ; la controverse
« L’OIT peut-elle relever le défi des multinationales », Revue de droit du travail, février 2020, p. 84.
L’Institut des sciences sociales et du travail de l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne a contribué
à cette célébration à travers son colloque «  L’organisation internationale du travail en actions
depuis 100 ans », coordonné par L. Driguez et N. Maggi-Germain, dont les actes devraient être
prochainement publiés.
4 Cass. Ass. Plén., 17 juillet 2019, avis n°15012 et 15013.
5 Voir en particulier les analyses publiées dans le numéro d’octobre 2019 de la revue Droit social et
dans le numéro de novembre 2019 de la Revue de droit du travail.

124 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


OIT - L’avenir du travail en suspens

Parmi les publications recensées, deux méritent d’être signalées :


- Il s’agit tout d’abord des actes d’un colloque international, Le droit en faveur de la justice
sociale, organisé par le Bureau du Conseiller Juridique du Bureau International du Travail
(BIT) à Genève, du 15 au 17 avril 20196. Accessibles gratuitement depuis le site de l’OIT,
ils réunissent les contributions de nombreux juristes qui développent des recherches en
lien avec les activités normatives de l’Organisation. Ils donnent un accès documenté à
leurs travaux. Il est intéressant de noter que ces contributions se traduisent parfois par des
prises de position très négatives, et il est à mettre au crédit de l’OIT d’avoir permis cette
mise en discussion critique de son action. Un des éléments qui ressort de cette lecture est
que la doctrine internationale consacrée à l’OIT est dominée par des auteurs européens
et nord-américains, ce qui montre la nécessité d’encourager le développement d’une
pensée à la fois géographiquement et linguistiquement plus diversifiée et représentative
des sociétés, des populations et des formes de travail que les normes internationales du
travail ont vocation à saisir.
- Le second ouvrage est celui dirigé par le Professeur Alain Supiot7, au terme d’un colloque
organisé au Collège de France8. Les contributions réunies dans ce livre émanent notamment
de différents titulaires de la chaire France-BIT, ouverte à l’Institut d’études avancées de
Nantes depuis 20119. Elles proposent de remonter à une question située en amont de
l’étude de l’activité normative de l’OIT : le travail et les transformations contemporaines qui
découlent de la révolution numérique, de la crise environnementale et de la globalisation/
financiarisation de l’économie. Ces transformations mettent en cause les « catégories de
pensée que la révolution industrielle a projetées sur l’agir humain »10, et il est nécessaire de
les renouveler afin de se doter d’un droit du travail cohérent.
Le 21 juin 2019, la 108e session de la Conférence internationale du travail a adopté la
Déclaration du Centenaire de l’OIT pour l’avenir du travail de 201911. Destinée à donner
corps aux propositions du rapport de la Commission mondiale sur l’avenir du travail12,
publié le 22 janvier 2019, et à définir les axes du mandat de l’Organisation pour le siècle
à venir, cette Déclaration a souffert, lors de sa négociation, d’un manque de consensus
tripartite sur un certain nombre de points clés. Le plus symbolique concerne l’article IIC)
du projet de Déclaration, qui énonçait que « La sécurité et la santé au travail constituent
un principe et un droit fondamentaux au travail qui s’ajoutent à ceux énoncés dans

6 G. P. Politakis, T. Kohiyama et T. Lieby (ed.), Law for social justice, BIT, Genève, 2019 : https://www.
ilo.org/ wcmsp5/groups/public/---dgreports/---jur/documents/publication/wcms_732217.pdf
7 A. Supiot (dir.), Le travail au XXIe siècle, Ivry-sur-Seine, Les Editions de l’Atelier/Les Editions
Ouvrières, 2019.
8 « Le travail au XXIe siècle : Droit, techniques, écoumène », Collège de France, 26-27 février 2019 :
https://www.college-de-france.fr/site/alain-supiot/symposium-2019-02-26-09h15.htm
9 https://www.iea-nantes.fr/fr/
10 A. Supiot, « Introduction. Homo faber : continuité et ruptures », op. cit., p. 15.
11 I. Daugareilh, « La déclaration du centenaire de l’OIT : tout un programme ! », Droit social, 2020,
p. 5 ; https://www.ilo.org/global/about-the-ilo/mission-and-objectives/centenary-declaration/lang--fr/
index.htm
12 https://www.ilo.org/global/topics/future-of-work/brighter-future/lang--fr/index.htm

RDCTSS - 2020/2 125


Jurisprudence sociale internationale

la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail, 1998 ». Cette
affirmation n’a pas été reprise dans le texte finalement adopté en juin 2019, ce dernier
prévoyant seulement que « des conditions de travail sûres et salubres sont fondamentales
au travail décent » (Article II D)). L’idée de promouvoir la santé et la sécurité au travail au
rang de principe fondamental n’a cependant pas été définitivement écartée et de futures
discussions devraient revenir sur ce point13.
L’article IV de la Déclaration rappelle la dimension normative du mandat donné
à l’OIT. Ainsi, «  L’élaboration, la promotion, la ratification des normes internationales du
travail et le contrôle de leur application revêtent une importance fondamentale pour l’OIT.
L’Organisation doit, de ce fait, posséder et promouvoir un corpus clairement défini, solide
et à jour de normes internationales du travail et améliorer la transparence. Les normes
internationales du travail doivent également refléter les évolutions du monde du travail,
protéger les travailleurs et tenir compte des besoins des entreprises durables, et être
soumises à un contrôle efficace et faisant autorité. L’OIT doit aider ses Etats Membres à
ratifier et à appliquer ces normes de façon effective » (Article IV A)).
ACTUALITÉS

L’exigence d’un corpus de normes à jour se concrétise notamment à travers le


Mécanisme d’examen des normes (MEN), destiné à réévaluer la pertinence des instruments
adoptés au fil des années, dont certains apparaissent très anciens et déconnectés des
besoins actuels. La cinquième réunion du groupe de travail du MEN s’est tenue à Genève
en septembre 201914. Les discussions ont porté sur sept instruments relatifs à la politique
de l’emploi. La question du suivi des décisions prises dans le cadre de ce groupe de travail
et confirmées par le Conseil d’administration de l’OIT s’avère en pratique délicate. En
effet, sur certains sujets, il existe de très nombreux instruments à dimension technique qui
mériteraient sans doute de faire l’objet d’une « intégration thématique » afin d’en faciliter la
ratification et la révision régulière. C’est le domaine de la santé et de la sécurité au travail
qui est plus spécifiquement visé. Le modèle de la Convention du travail maritime de 2006
fait partie des directions qui sont envisagées.
Par ailleurs, la Déclaration de 2019 précise que l’action normative de l’OIT doit s’inscrire
de manière positive dans le multilatéralisme onusien. Ainsi, « sur la base de son mandat
constitutionnel, l’OIT doit jouer un rôle important au sein du système multilatéral, en
renforçant sa coopération avec d’autres organisations et en mettant en place avec elles
des dispositifs institutionnels en vue de promouvoir la cohérence des politiques en faveur
de son approche de l’avenir du travail centrée sur l’humain, en tenant compte des liens
solides, complexes et déterminants qui existent entre les politiques sociales, commerciales,
financières, économiques et environnementales » (Article IV F)).
Les organisations internationales et régionales ont de plus en plus vocation à
agir de concert dans la mise en œuvre de l’aide au développement et des objectifs de
développement durable des Nations Unies. Cela conduit l’OIT à devoir coopérer avec des
organisations qui ne partagent pas la même représentation du travail, de l’emploi, de la

13 Celles-ci avaient été mises à l’ordre du jour de la 338e session du Conseil d’administration
(annulée) : https://www.ilo.org/gb/GBSessions/GB338/ins/WCMS_736702/lang--fr/index.htm
14 https://www.ilo.org/global/standards/international-labour-standards-policy/WCMS_715363/lang-
-fr/index.htm

126 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


OIT - L’avenir du travail en suspens

protection sociale (Banque mondiale, OMC, etc.). L’enjeu premier est donc de valoriser
l’expérience et l’acquis normatif de l’OIT, en lui permettant de mieux défendre les valeurs
portées par son mandat. Il s’agit de faire en sorte que, sur le terrain, les instruments de
l’OIT ne soient pas «  oubliés » lorsque des projets d’aide ou d’assistance sont déployés
par d’autres agences. Le second enjeu est de prendre en considération, dans l’élaboration
même des futures normes internationales du travail, le fait que celles-ci devront pouvoir
être promues par d’autres organisations, et donc être compatibles avec leurs mandats
respectifs. Il s’agit donc de mettre en place les conditions d’une coopération durable qui
existe aujourd’hui mais qui est vécue dans la méfiance d’y laisser un peu de son âme…
La 108e session de la Conférence internationale du travail a également permis
l’adoption de la Convention (n°190) et de la Recommandation (n°206) sur la violence et le
harcèlement de 2019. Il s’agit de la première Convention adoptée depuis 2011. Plusieurs
pays ont exprimé leur intérêt pour ratifier la Convention n°190 et la Journée mondiale de
la santé et de la sécurité au travail 2020, prévue le 28 avril 2020, portera sur ce thème avec
la publication attendue d’un rapport mondial produit par l’OIT15.
De nombreux Etats ont déjà adopté des législations couvrant les questions de violence
et de harcèlement au travail. La convention apporte une définition qui entend préserver cet
acquis national, à la condition qu’il garantisse une protection au moins équivalente.
Ainsi, les concepts de «  harcèlement  » et de «  violence  » peuvent être définis
conformément à l’article 1, paragraphe 1 a), de la Convention, qui les distingue autour du
critère des actes répétés ou uniques : « l’expression “violence et harcèlement” dans le monde
du travail s’entend d’un ensemble de comportements et de pratiques inacceptables, ou de
menaces de tels comportements et pratiques, qu’ils se produisent à une seule occasion ou
de manière répétée, qui ont pour but de causer, causent ou sont susceptibles de causer
un dommage d’ordre physique, psychologique, sexuel ou économique, et comprend la
violence et le harcèlement fondés sur le genre ».
L’article 1, paragraphe 2 précise que  : «  les définitions figurant dans la législation
nationale peuvent énoncer un concept unique ou des concepts distincts  ». La «  marge
d’appréciation nationale  » devra cependant prendre en compte l’approche très large
retenue par la Convention, ce qui ne manquera pas de susciter des interrogations quant
à la conformité des qualifications juridiques retenues au niveau national, promesses d’un
important travail pour la Commission d’experts pour l’application des Conventions et
Recommandations (CEACR).
La référence au genre avait suscité des réserves dans le cadre des travaux
préparatoires. Cependant, celle-ci a été maintenue et le paragraphe 11 du préambule de
la Convention reconnaît que : « la violence et le harcèlement fondés sur le genre touchent
de manière disproportionnée les femmes et les filles, et (…) également qu’une approche
inclusive, intégrée et tenant compte des considérations de genre, qui s’attaque aux

15 https://www.ilo.org/global/topics/safety-and-health-at-work/events-training/events-meetings/
world-day-safety-health-at-work/WCMS_733543/lang--fr/index.htm

RDCTSS - 2020/2 127


Jurisprudence sociale internationale

causes sous-jacentes et aux facteurs de risque, y compris aux stéréotypes de genre,


aux formes multiples et intersectionnelles de discrimination et aux rapports de pouvoir
inégaux fondés sur le genre, est essentielle pour mettre fin à la violence et au harcèlement
dans le monde du travail ». Certains mandants voulaient aller plus loin, en insérant dans
ce paragraphe du préambule une référence explicite aux personnes lesbiennes, gays,
bisexuelles, transgenres et intersexuées, ainsi qu’aux personnes qui ne se conforment pas
à leur assignation de genre. Cela n’a pas été retenu. « L’expression “violence et harcèlement
fondés sur le genre” s’entend de la violence et du harcèlement visant une personne en
raison de son sexe ou de son genre ou ayant un effet disproportionné sur les personnes
d’un sexe ou d’un genre donné, et comprend le harcèlement sexuel », précise l’article 1,
paragraphe 1 b).
Un autre point de tension est que la Convention aborde non seulement la prévention
des situations de violence et de harcèlements, mais également la réparation des victimes.
L’article 10 b) impose aux Etats membres de prendre les mesures appropriées pour « garantir
un accès aisé à des moyens de recours et de réparation appropriés et efficaces ainsi qu’à
des mécanismes et procédures de signalement et de règlement des différends en matière
ACTUALITÉS

de violence et de harcèlement dans le monde du travail, qui soient sûrs, équitables et


efficaces, tels que: i) des procédures de plainte et d’enquête et, s’il y a lieu, des mécanismes
de règlement des différends au niveau du lieu de travail; ii) des mécanismes de règlement
des différends extérieurs au lieu de travail; iii) des tribunaux et autres juridictions; iv) des
mesures de protection des plaignants, des victimes, des témoins et des lanceurs d’alerte
contre la victimisation et les représailles; v) des mesures d’assistance juridique, sociale,
médicale ou administrative pour les plaignants et les victimes (…)  ». Se profile alors la
question de l’étendue de la responsabilité des employeurs, qui pourrait être portée devant
la CEACR.
Signalons enfin que le Rapport 2020 de la Commission d’experts pour l’application
des Conventions et Recommandations a été publié16. Réunie en novembre 2019 sous
la présidence nouvelle de la juge Graciela Josefina Dixon Caton, la CEACR a adopté
une étude d’ensemble consacrée à la mise en œuvre des instruments de l’OIT relatifs à
l’emploi17. Cette étude s’attache notamment à la discrimination et à l’exclusion dont font
l’objet certaines catégories de travailleurs, comme les travailleurs en situation de handicap
ou les travailleurs à domicile18.

16 https://www.ilo.org/global/standards/applying-and-promoting-international-labour-standards/
committee-of-ex perts-on-the-application-of-conventions-and-recommendations/WCMS735946/
lang--fr/index.htm.
17 Convention (n°122) sur la politique de l’emploi de 1964 ; Convention (n°159) sur la réadaptation
professionnelle et l’emploi des personnes handicapées de 1983 ; Convention (n°177) sur le travail
à domicile de 1996 ; Recommandation (n°168) sur la réadaptation professionnelle et l’emploi des
personnes handicapées de 1983  ; Recommandation (n°184) sur le travail à domicile de 1996  ;
Recommandation (n°198) sur la relation de travail de 2006  ; et Recommandation (n°204) sur la
transition de l’économie informelle vers l’économie formelle de 2015.
18 https://www.ilo.org/ilc/ILCSessions/109/reports/reports-to-the-conference/WCMS_738280/lang--
fr/index.htm

128 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


OIT - L’avenir du travail en suspens

Dans le cadre du Centenaire et à la demande des membres de la CEACR, un ouvrage a été


publié afin de montrer, concrètement, comment cette Commission contribue effectivement
à une meilleure application des Conventions et Recommandations internationales du
travail, à travers des présentations de situations nationales particulières19.
L’ouvrage revient sur quelques cas documentés (la liberté syndicale au Myanmar, le
travail forcé au Qatar) et, pour la France, la protection pénale en matière de harcèlement
sexuel en Polynésie française, à l’aune de la Convention (n°111) concernant la discrimination
(emploi et profession) de 1958. Il montre que les commentaires adoptés par le CEACR
s’inscrivent dans une stratégie de dialogue avec le Gouvernement qui, sur le long terme,
enregistre de réels progrès.

19 Assurer le respect des normes internationales du travail. Le rôle essentiel de la Commission


d’experts pour l’application des conventions et des recommandations de l’OIT, OIT, Genève, 2019 :
https://www.ilo.org/global/ standards/WCMS_730867/lang--fr/index.htm

RDCTSS - 2020/2 129


Elena Sychenko
Professeur associé, Université d’État de Saint-Pétersbourg - Russie

Les activités des organes des Nations Unies


chargés des droits de l’homme en 2019

Traditionnellement, cette rubrique était consacrée aux activités des Comités des
Nations Unies créés en vertu des Pactes des droits de l’homme à savoir le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques et son homologue le Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels. La présente étude s’éloigne de cette tradition
et s’intéressera d’abord au cadre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes
ACTUALITÉS

de discrimination à l’égard des femmes (I), puis aux activités pertinentes des organes des
Nations Unies en matière de droit du travail dans le cadre des pactes susmentionnés (II).

I - LE COMITÉ SUR L’ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES


DE DISCRIMINATION À L’ÉGARD DES FEMMES
Une affaire très importante a été examinée en 20191. La requérante faisait valoir que
la Moldavie avait violé ses droits au titre des articles 3 et 11 (2) (c) de la Convention, en ne
prenant pas en compte, pour le calcul de sa pension d’assurance sociale, la période de
13 ans durant laquelle elle avait assuré des soins permanents à sa fille handicapée2. Elle
soulignait le rôle traditionnellement attribué aux femmes dans la société moldave comme
principales dispensatrices de soins à leurs enfants handicapés, et affirmait que l’État aurait
dû garantir aux femmes la possibilité de combiner leurs obligations en matière de soins aux
enfants avec leurs responsabilités professionnelles.
Le Comité a constaté la violation de ses droits et a déclaré que l’exclusion de la période
de soins constituait une discrimination indirecte à l’égard des femmes, qui étaient les
principales personnes s’occupant de leurs enfants handicapés qui ne bénéficiaient d’aucun
service social d’appui leur permettant de combiner les soins aux enfants et le travail. Ces
femmes se trouvaient donc privées de la possibilité de cotiser à la caisse d’assurance
sociale. Dans ses conclusions, le Comité a demandé à la Moldavie de recalculer la pension
d’assurance sociale de la requérante, en tenant compte des 13 années de soins, et de
lui accorder une indemnisation au titre des violations subies durant la période où elle
a été privée de son droit à la pension d’assurance sociale. Par ailleurs, il a instamment
demandé à l’État d’assurer un recours aux autres femmes qui se sont occupées de leurs
enfants gravement handicapés pendant la période comprise entre le 1er janvier 1999 et le
31 décembre 2016 lorsque, en vertu de la législation en vigueur, ces périodes n’étaient pas
calculées.

1 CEDAW, Natalia Ciobanu v. Republic of Moldova, CEDAW/C/74/D/104/2016, 4 novembre 2019.


2 Prévu par les dispositions de la loi sur les pensions publiques d’assurance sociale, adoptée le
1er janvier 1999.

130 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


ONU - Les droits de l’homme en 2019

Il s’agit d’une décision remarquable dans la mesure où elle offre une possibilité de
recours à des milliers de femmes dont le droit à une pension décente a été violé par la
législation du pays en cause en matière de sécurité sociale. Cette affaire peut également
être considérée comme un exemple de discrimination par association, peut-être le premier
cas de ce type lié à la sécurité sociale.

II - LE COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS


(CDESC)
En 2019, le CDESC a tenu 2 sessions et a examiné les rapports de 11 États3 et les
communications individuelles de 3 pays différents4. Aucune des communications
individuelles relatives au droit du travail n’a été jugée recevable. En ce qui concerne les
questions examinées dans les observations finales des rapports des pays, deux points
d’intérêt méritent une attention particulière.

A - Entreprises et droits de l’homme


L’examen des observations finales montre que le CDESC pousse les États développés
à mettre en œuvre, dans leur législation et leur pratique nationales, les Principes directeurs
de l’ONU sur les entreprises et les droits de l’homme (2011) ainsi que les objectifs de
développement durable portés par l’ONU. Il s’agit d’une étape remarquable dans la
promotion de ces initiatives purement volontaires, permettant de convaincre les États de
prendre au sérieux les violations des droits de l’homme commises par les multinationales à
l’étranger. La question de la diligence raisonnable est devenue, assez récemment, un sujet
de droit national5 et l’inclusion de la recommandation visant à développer ces systèmes
dans les observations finales du CDESC permettraient de faire de ces lois une règle, plutôt
qu’une exception.
Ainsi, en ce qui concerne le Danemark, le Comité s’est inquiété du fait qu’une
obligation de diligence raisonnable en matière de droits de l’homme ne soit pas imposée
aux entreprises domiciliées dans sa juridiction, et il a donc recommandé à l’État d’adopter
un cadre qui :
- oblige les entreprises à faire preuve de la diligence requise en matière de droits de
l’homme, dans leurs opérations et dans leurs relations commerciales, dans leur pays et à
l’étranger ;
- tienne les entreprises responsables des violations des droits économiques, sociaux et
culturels ;
- permette aux victimes d’exercer des recours par le biais de mécanismes judiciaires et non
judiciaires dans l’État partie.

3 Session 66: Danemark, Équateur, Israël, Sénégal, Slovaquie; session 65 : Suisse, Bulgarie, Cameroun,
Estonie, Kazakhstan, Maurice. Voir : https://tbinternet.ohchr.org/layouts/15/TreatyBodyExternal/
SessionsList.aspx?Treaty= CESCR
4 Espagne, Italie, Luxembourg.
5 Voir : la loi britannique sur l’esclavage moderne adoptée en 2015; la lettre d’intention française
n°2017-399 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses
d’ordre adoptée en 2017; la loi néerlandaise sur la diligence raisonnable en matière de travail des
enfants adoptée en 2019; la directive européenne sur l’information non financière 2014/95/UE.

RDCTSS - 2020/2 131


Jurisprudence sociale internationale

La Suisse a été également critiquée pour n’avoir introduit la diligence raisonnable que
sur une base volontaire. Aussi, lui a-t-il été recommandé de prendre des mesures quasiment
identiques à celles du Danemark (évoquées ci-dessus).
Parallèlement, s’agissant des pays en développement, le CDESC s’est inquiété du
manque de données complètes permettant de garantir que les entreprises appliquent la
diligence raisonnable en matière de droits de l’homme (notamment au Kazakhstan). Par
exemple, il a été recommandé au Cameroun d’évaluer l’impact sur les droits de l’homme
des projets de développement économique, y compris ceux mis en œuvre par des acteurs
privés. Fondamentalement, cette approche vise à garantir la participation des États hôtes
et bénéficiaires des investissements de la multinationale aux processus de diligence
raisonnable et de conformité de leurs activités avec les normes internationales en matière
de droits de l’homme. Ces normes, grâce au travail de promotion des différents organismes
de défense des droits de l’homme (références croisées des instruments internationaux
et des conclusions des organismes concernés, par exemple), constituent désormais une
sorte de bloc de normes unifié, même si elles sont portées par différents instruments
internationaux.
ACTUALITÉS

Cette unité est clairement visible dans les observations finales du CDESC, qui ont
tendance à se référer à d’autres conventions des Nations Unies, aux conventions de l’OIT. Il
convient également de noter que le Pacte ne contient aucune disposition sur la diligence
raisonnable, par conséquent, tous les commentaires du CDESC relatifs à ce sujet sont une
sorte d’interprétation « évolutive » conforme au développement des initiatives en matière
de droits de l’homme au sein des Nations Unies.

B - Les droits des syndicats


Les droits des syndicats, la sécurité des syndicalistes, ainsi que la réalisation du droit de
grève constituaient un autre point commun des observations finales de 2019.
Au Sénégal, par exemple, le CDESC a souligné que le droit du ministère de l’Intérieur
de délivrer un reçu reconnaissant l’existence d’un syndicat, après s’être assuré que ses
membres sont de bonne moralité et ne sont pas en conflit avec la loi, n’est pas conforme à
la Convention n°87 de l’OIT. Au Cameroun, la loi antiterroriste interdit les actes susceptibles
de perturber le fonctionnement normal des services publics ou des services essentiels (la
peine de mort en est la sanction) et, par conséquent, le Comité estime qu’elle impose
une restriction importante aux activités syndicales. Le CDESC a exhorté ces deux pays à
modifier la législation conformément à la Convention n°87 de l’OIT.
Les pays développés ont été critiqués pour ne pas avoir autorisé les fonctionnaires
à exercer leur droit de grève ou à prendre part à d’autres actions collectives (Estonie)6.
Concernant la Slovaquie, le CDESC a noté avec inquiétude que les travailleurs licenciés
pour leur participation à des activités syndicales n’avaient pas droit à la réintégration. Il est
intéressant de noter que cette question n’a jamais été portée à l’attention du Comité de la
liberté syndicale de l’OIT.

6 Le Comité de l’OIT sur la liberté d’association a examiné la revendication d’une telle interdiction,
et a recommandé à l’Estonie de veiller à ce que les fonctionnaires, qui n’exercent pas l’autorité au
nom de l’État, jouissent du droit de grève, en 2007. Il semble que rien n’ait changé depuis lors.
Voir OIT CFA, Rapport définitif - Rapport n°350, juin 2008, Affaire n° 2543 (Estonie) - Date de la
plainte : 31-Jan-07.

132 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


ONU - Les droits de l’homme en 2019

L’examen des observations finales montre que le CDESC a révélé des pratiques et
des normes antisyndicales dans la majorité des pays en développement dont il a examiné
les rapports en 2019. Il semblerait que ces restrictions persistent dans la mesure où elles
constituent un avantage concurrentiel de certains Etats permettant d’attirer des capitaux
étrangers.

C - Le Comité des droits de l’homme


En 2019, le Comité des droits de l’homme (CDH) a tenu 3 sessions (125-127) examinant
au total 13 rapports des Etats et un certain nombre de communications individuelles.
Aucune de ces communications n’avait de rapport avec le droit du travail.
Cependant, dans les observations finales, il existe traditionnellement un bloc très
directement lié avec le droit du travail : les mesures prises par les États pour lutter contre
la traite des êtres humains. En passant en revue les activités du CDH depuis un certain
nombre d’années, on peut en conclure que cette question a toujours constitué un problème
pour tous les États, en particulier pour les pays en développement. En 2019, le CDH a
de nouveau exhorté un certain nombre d’États à intensifier leurs efforts pour prévenir,
combattre et punir la traite des personnes. Il a constaté qu’au Mexique, les migrants sont
particulièrement vulnérables et ne bénéficient pas d’une protection et d’une assistance
efficaces de la part de l’État. Le Sénégal a pour sa part été invité à donner aux organisations
de la société civile la possibilité d’engager des actions civiles devant les tribunaux, et à
garantir qu’une assistance juridique soit fournie à toutes les victimes de la traite. En ce qui
concerne l’Angola7 , le CDH a souligné la nécessité de prendre des mesures pour éliminer
le travail forcé et le travail des enfants - en particulier dans le secteur minier - notamment en
augmentant la capacité des inspecteurs du travail et en allouant des ressources appropriées
à l’administration du travail. Le Vietnam8, qui a été rétrogradé au niveau 2 de la liste de
surveillance dans le rapport américain sur la traite des êtres humains en 2019, a été critiqué
pour l’accès limité des victimes aux services sociaux.
Le Paraguay a été invité à combattre la pratique du « criadazgo » - une forme d’esclavage
moderne où les enfants sont exploités pour le travail domestique. Il s’agit d’un «  travail
invisible  », comme l’a noté un jour l’UNICEF9. Le HRC a recommandé à l’État d’adopter
des instruments réglementaires et des politiques visant à l’éliminer, notamment le soutien
à la famille d’origine, l’élaboration de campagnes de sensibilisation et de programmes
d’éducation et de formation professionnelle pour les enfants et les adolescents issus de
familles vulnérables dans tout le pays.
Pour conclure, il faut signaler qu’au cours de toutes les sessions, un certain nombre
de pays n’ont pas fourni les rapports aux Comités concernés en dépit de leurs obligations
internationales. De toute évidence, la communauté internationale devrait trouver le moyen
de renforcer le respect des États vis-à-vis de leurs obligations en matière de rapports,
peut-être en utilisant la pression du FMI ou de la Banque Mondiale.

7 Tier 2 Watch List, 2019, Trafficking in Persons Report  : https://www.state.gov/wp-content/


uploads/2019/06/2019-Trafficking-in-Persons-Report.pdf
8 Ibid.
9 Niñez y adolescencia trabajadora en Paraguay, UNICEF, 2004 : https://www.unicef.org/paraguay/
media/2046/ file/ninez-trabajadora.pdf

RDCTSS - 2020/2 133


Hélène Payancé
Docteur en droit, Comptrasec, UMR CNRS 5114, Université de Bordeaux

Complément de pension contributive espagnol et discrimination


directe au détriment des pères - CJUE, 12 décembre 2019 -
aff. n°c-450/18, wa c./instituto nacional de la seguridad social

En l’espèce, l’INSS a octroyé, en janvier 2017, à WA une pension pour incapacité de


travail permanente absolue, à hauteur de 100 % de la base de calcul. L’intéressé a introduit
une réclamation contre cette décision en soutenant que, étant le père de deux filles, il
ACTUALITÉS

aurait dû, sur le fondement de la loi espagnole, percevoir un complément de pension


représentant 5 % du montant initial de celle-ci. Ce complément est accordé aux femmes
qui sont mères d’au moins deux enfants et qui bénéficient de pensions contributives,
notamment d’incapacité permanente au titre d’un régime du système de sécurité sociale
espagnol. En juin 2017, l’INSS a rejeté la réclamation formulée par WA en indiquant
notamment que ce complément de pension est octroyé exclusivement à ces femmes « eu
égard à leur contribution démographique à la sécurité sociale ». Entre-temps, en mai 2017,
WA a introduit un recours, contre la décision de rejet de l’INSS de janvier 2017, devant le
tribunal du travail n° 3 de Gérone (Juzgado de lo Social n°3 de Gerona), lequel relève que
la loi nationale octroie ce droit aux femmes qui ont eu au moins deux enfants biologiques
ou adoptés, alors que les hommes placés dans une situation identique en sont exclus.
Doutant de la conformité de cette loi au droit de l’Union, le tribunal a soumis une
question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union Européenne : « Une règle de droit
national (à savoir l’article 60, paragraphe 1, de la loi générale sur la sécurité sociale [LGSS])
qui, eu égard à leur contribution démographique à la sécurité sociale, reconnaît un droit
à un complément de pension aux femmes qui ont eu des enfants biologiques ou adoptés
et qui bénéficient d’un régime du système de sécurité sociale des pensions contributives
de retraite, de survie ou d’incapacité permanente et qui, en revanche, ne reconnaît pas
un tel droit aux hommes se trouvant dans une situation identique porte-t-elle atteinte au
principe d’égalité de traitement qui interdit toute discrimination fondée sur le sexe, qui est
reconnu à l’article 157 [TFUE] et par la directive [76/207], telle que modifiée par la directive
[2002/73] et refondue par la directive [2006/54] ? ».
Après avoir substitué à ce dernier texte la directive 79/7/CEE du Conseil, relative à la
mise en œuvre progressive du principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes
en matière de sécurité sociale, la Cour, dans son arrêt en date du 12 décembre 2019,
déclare que ladite directive s’oppose à la loi espagnole, car les hommes placés dans une
situation identique à celle des femmes bénéficiant du droit au complément de pension en
cause ne disposent pas de ce droit. Le traitement moins favorable aux hommes ayant eu
au moins deux enfants biologiques ou adoptés est constitutif d’une discrimination directe
fondée sur le sexe, interdite par la directive.
Il apparaît ainsi que le complément de pension est, d’une part, discriminatoire pour les
pères en raison de leur exclusion systématique (I) et, d’autre part, détaché d’une action de
lutte contre les discriminations indirectes envers les femmes (II).

134 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


CJUE 12 décembre 2019 - Aff. C-450/18

I - UN COMPLÉMENT CONSTITUTIF D’UNE DISCRIMINATION DIRECTE


AU DÉTRIMENT DE L’ENSEMBLE DES PÈRES
L’article 60, paragraphe 1, de la LGSS faisait valoir, très maladroitement, que l’avantage
réservé aux seules femmes se justifie par leur « contribution démographique à la sécurité
sociale ».
Après avoir rappelé qu’une «  discrimination consiste [notamment] dans l’application
de règles différentes à des situations comparables »1 et que les situations n’ont pas à être
strictement identiques mais qu’une similarité suffit2, la Cour relève ici que les hommes et les
femmes sont dans une situation identique3.
La solution n’est pas surprenante, la naissance d’un enfant suppose l’intervention de
chaque sexe. La contribution des hommes à la démographie est tout aussi nécessaire que
celle des femmes. Dès lors, le seul motif de la contribution démographique à la sécurité
sociale ne saurait justifier que les hommes et les femmes ne soient pas dans une situation
comparable au regard de l’octroi du complément de pension litigieux.
Les autorités espagnoles faisaient également valoir un argument plus sérieux relatif aux
différences dans les constructions de carrière en raison de la parentalité4. Le complément
aurait été conçu comme une mesure visant à réduire l’écart entre les montants des pensions
des hommes et ceux des femmes dont les parcours professionnels ont été interrompus ou
écourtés en raison du fait que ces dernières ont eu au moins deux enfants. L’argument
est fondé sur l’existence d’une discrimination indirecte connue et reconnue5. Les femmes,
parce qu’elles s’occupent et s’investissent plus souvent dans la sphère familiale, subissent
des difficultés dans la construction de leur carrière professionnelle qui se répercutent,
statistiquement, au moment du calcul du montant de la pension.
La Cour considère que, la loi espagnole visant, au moins en partie, la protection des
femmes en leur qualité de parent6, il s’agit d’une qualité que peuvent avoir à la fois les
hommes et les femmes7. Elle ajoute que les situations d’un père et d’une mère peuvent

1 Point n°42 de l’arrêt. Voir également les arrêts suivants : CJCE, 13 février 1996, Aff. n°C-342/93,
Gillespie et autres c./ Northern Health and Social Boards et CJUE, 8 mai 2019 ; Aff. n° C-486/18, RE
c./ Praxair.
2 Point n°44 de l’arrêt. Voir également: CJUE, 26 juin 2018, Aff. n°C-451/16, MB c./ Secretary of State
for Work and Pensions. Le caractère comparable des situations doit être apprécié non pas de
manière globale et abstraite, mais de manière spécifique et concrète au regard de l’ensemble des
éléments qui les caractérisent, à la lumière notamment de l’objet et du but de la réglementation
nationale qui institue la distinction en cause ainsi que, le cas échéant, des principes et des objets
du domaine dont relève cette réglementation nationale.
3 Points n°46 et 47 de l’arrêt.
4 Points n°48 et 49.
5 Voir notamment M. Mercats-Bruns, «  Les différentes figures de la discrimination au travail  :
quelle cohérence ? », Rev. trav. 2020, p. 25 ; D. Tharaud, Contribution à une théorie générale des
discriminations positives, PUAM, 2013 ; M. Sweeney, L’égalité en droit social au prisme de la diversité
et du dialogue des juges, thèse Université Paris Ouest Nanterre, 2010 ; M. Peyronnet, La diversité :
étude en droit du travail, thèse Université Bordeaux, 2018. Pour une approche économiste, voir
S. Carcillo et M.-A. Vailfort, Les discriminations au travail : femmes, ethnicité, religion, âge, apparence,
LGBT, Sciences Po Les Presses, 2018, p. 73. Pour une approche sociologique, voir F.   Dubet,
Ce qui nous unit, discrimination, égalité et reconnaissance, Seuil, 2016.
6 Point n°50.
7 Point n°51.

RDCTSS - 2020/2 135


Jurisprudence sociale internationale

être comparables en ce qui concerne l’éducation des enfants8. La CUJE avait déjà identifié
cette comparabilité dans l’arrêt «  Griesmar » où elle avait sanctionné le système français
de bonification des pensions de retraite des femmes fonctionnaires en raison du nombre
d’enfants9. «  La circonstance que les femmes sont plus touchées par les désavantages
professionnels résultant de l’éducation des enfants parce que ce sont elles en général qui
assument cette éducation n’est pas de nature à exclure la comparabilité de leur situation
avec celle d’un homme qui a assumé l’éducation de ses enfants et a été, de ce fait, exposé
aux mêmes désavantages de carrière »10.
L’inégalité liée à une répartition des rôles entre les hommes et les femmes n’empêche
pas un père de faire face aux mêmes difficultés à l’âge de la retraite à partir du moment où
il s’est également investi dans son rôle parental.
Dans cet arrêt, la CJUE rappelle qu’une dérogation à l’interdiction, énoncée à l’article 4,
paragraphe 1, de la Directive 79/7/CEE, de toute discrimination directe fondée sur le sexe
n’est possible que dans les cas énumérés exhaustivement par les dispositions de ladite
Directive11. Toutefois, en l’espèce, eu égard aux caractéristiques du complément, celui-ci
ACTUALITÉS

ne relève pas des cas de dérogation prévus par la Directive. Plus précisément, concernant
la dérogation liée à la protection de la femme en raison de la maternité12, il faut observer
que la loi espagnole ne contient aucun élément établissant un lien entre l’octroi de ce
complément et la prise d’un congé de maternité ou les désavantages que subirait une
femme dans sa carrière en raison de son éloignement du service pendant la période qui
suit l’accouchement. En effet, ledit complément est accordé aux femmes ayant adopté des
enfants. Par ailleurs, il n’est pas exigé que les femmes aient effectivement arrêté de travailler
au moment où elles ont eu leurs enfants. Tel est notamment le cas lorsqu’une femme a
accouché avant d’entrer sur le marché du travail.
La dérogation liée à l’éducation des enfants13 n’a pas davantage vocation à s’appliquer
car la loi espagnole subordonne l’octroi du complément de pension en cause non pas
à l’éducation des enfants ou à l’existence de périodes d’interruption d’emploi dues à

8 Ibid.
9 CJCE, 29 novembre 2001, Aff. n°C-366/99, Griesmar c./ Ministre de l’économie, des finances et de
l’industrie, Ministre de la fonction publique, de la réforme de l’État et de la décentralisation. Voir
également CJCE, 26 mars 2009, Aff. n°C-559/07, Commission c./ Grèce.
10 Point n°52. Comme l’observe l’avocat général, au point n°66 de ses conclusions, l’existence de
données statistiques faisant état de différences structurelles entre les montants de pension des
femmes et ceux des hommes n’est pas suffisante pour conclure que, au regard du complément en
cause, les femmes et les hommes ne sont pas placés dans une situation comparable en tant que
parent.
11 Point n°54 de l’arrêt. Voir également les arrêts suivants : CJUE, 3 septembre 2014, Aff. n°C-318/13,
X. et CJUE, 26 juin 2018, Aff. n°C-451/16, MB c./ Secretary of State for Work and Pensions.
12 L’article 4, paragraphe 2, de la Directive 79/7/CEE reconnaît la légitimité, au regard du principe de
l’égalité de traitement entre les sexes, d’une part, de la protection de la condition biologique de la
femme au cours de sa grossesse et à la suite de celle-ci et, d’autre part, de la protection des rapports
particuliers entre la femme et son enfant au cours de la période qui fait suite à l’accouchement. Voir
notamment CJUE, 19 septembre 2013, Aff. n°C-5/12, Montull c./ Instituto Nacional de la Seguridad
Social.
13 L’article 7, paragraphe 1, sous b), de la Directive 79/7/CEE dispose que celle-ci ne fait pas obstacle
à la faculté qu’ont les États membres d’exclure de son champ d’application les avantages accordés
en matière d’assurance vieillesse aux personnes qui ont élevé des enfants et l’acquisition de droits
aux prestations à la suite de périodes d’interruption d’emploi dues à l’éducation des enfants.

136 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


CJUE 12 décembre 2019 - Aff. C-450/18

l’éducation des enfants, mais seulement au fait d’avoir eu au moins deux enfants biologiques
ou adoptés et de percevoir une pension contributive notamment d’incapacité permanente.

II - UN COMPLÉMENT NON CONSTITUTIF D’UNE LUTTE CONTRE


DES DISCRIMINATIONS INDIRECTES ENVERS LES FEMMES
La CJUE rappelle, dans cet arrêt, qu’en vertu de l’article 157, paragraphe 4, du TFUE,
pour assurer concrètement une pleine égalité entre les hommes et les femmes dans la
vie professionnelle, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un État membre
de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à
faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir
ou à compenser des désavantages dans la carrière professionnelle.
Or, la Cour relève que cet article ne saurait s’appliquer à la disposition relative au
complément de pension en cause car ce dernier se borne à accorder aux femmes un
surplus au moment de l’octroi d’une pension, sans porter remède aux problèmes qu’elles
peuvent rencontrer durant leur carrière professionnelle. Elle ajoute que ce complément
n’apparaît pas comme étant de nature à compenser les désavantages auxquels seraient
exposés les femmes en aidant celles-ci dans cette carrière et, ainsi, à assurer concrètement
une pleine égalité entre les hommes et les femmes dans la vie professionnelle.
Il ne peut être nié que les femmes connaissent des difficultés spécifiques dans leur
carrière professionnelle14. Cependant, le complément mis en place par la législation
espagnole ne permet pas de lutter contre les discriminations indirectes envers les femmes.
Les pères ne sont pas incités à mettre leur carrière entre parenthèses pour s’occuper des
enfants puisqu’aucune compensation finale n’est applicable s’ils le font. Ainsi, ce dispositif
tend à renforcer les stéréotypes au lieu de lutter efficacement contre ceux-ci.
Une mesure véritablement correctrice doit être l’écho de la réalité qui correspond aux
retards ou aux ruptures de carrière subis par les travailleurs parents investis. Ainsi, si l’action
est dirigée au bénéfice des femmes, il faut conserver la possibilité d’octroyer l’avantage aux
hommes dont la situation particulière est comparable à celle des femmes15. Or, comme cela
a déjà pu être observé, « ce système de clause d’ouverture serait plus adapté à des mesures
liées à la sous-représentation des sexes, pour lutter contre la discrimination au moment où
elle se produit, qu’à celles arrivant de manière décalée dans le temps »16. Afin d’éviter cette
critique, il est préférable d’élaborer une discrimination positive de manière indirecte sans
référence à l’appartenance à un sexe. L’octroi du complément se ferait au bénéfice des
parents, et non aux femmes, ayant connu des arrêts de carrière en raison d’enfants.

14 Voir notamment CJUE, 8 mai 2019, Aff. n°C-161/18, Violeta Villar Laiz c./Instituto National de la
Seguridad Social, Tesoreria General de la Seguridad Social. Dans cette affaire, il apparaît que
le système de retraite espagnol de calcul de la pension de départ discrimine indirectement les
femmes par une différence faite entre travailleurs à temps plein et à temps partiel alors que ces
derniers sont à 75 % des femmes.
15 Voir notamment CJCE, 11 novembre 1997, Aff. n°C-409/95, Marschall c./Land Nordrhein-Westfalen.
16 D. Tharaud, Lexbase, Hebdo édition sociale n°809, 16 janvier 2020.

RDCTSS - 2020/2 137


Iolanda Lupu
Docteur en droit et ATER en droit privé,
Centre Droits et Perspectives du Droit de l’Université de Lille

Discrimination en raison du sexe et réduction rétroactive


des droits acquis à la pension professionnelle
Arrêt de la CJUE du 7 octobre 2019, aff. n°c-171/18

Avec l’arrêt rendu le 7 octobre 2019, la Cour de Justice de l’Union européenne vient
préciser la portée de la solution Barber en ce qui concerne la réduction rétroactive des
droits à pension opérée par le relèvement de l’âge normal de départ à la retraite au niveau
ACTUALITÉS

de la catégorie défavorisée pour la période comprise entre l’annonce de la prise de la


mesure et l’adoption effective de la mesure par un acte de trust.
Figure juridique du droit anglo-saxon, le  trust peut être défini comme la « relation
juridique triangulaire dans laquelle intervient un donateur ou fondateur, le “settlor”, qui
charge une ou plusieurs personnes, le ou les “trustees”, de gérer ses biens en faveur d’une
troisième personne, le bénéficiaire ou “beneficiary” »1. Le  trust a ceci de particulier  : les
« trustees » détiennent juridiquement la propriété des biens dont ils assurent la gestion.
Le trust est également la structure juridique la plus utilisée au Royaume-Uni pour la mise
en place et la gestion d’un régime professionnel de retraite. En effet, la loi elle-même exige
que la plupart des régimes professionnels de retraite au Royaume-Uni soient constitués
sous forme de trust. L’employeur apparaît ainsi comme le « settlor », les affiliés sont les
bénéficiaires du trust et les « trustees » sont les entités qui gèrent le régime professionnel
de pension. La structure du « trust » garantit la séparation des actifs du régime de retraite
de ceux de l’employeur, l’objectif étant de préserver les actifs du régime en cas de faillite et
d’insolvabilité de l’employeur.
Un « trustee » est une personne physique ou morale, constituée et agissant séparément
de l’employeur, qui détient en propriété les actifs du régime pour le compte des affiliés
et des bénéficiaires. Les «  trustees  » sont responsables de la bonne gestion du régime
professionnel de retraite et répondent juridiquement en cas de mauvaise gestion des
fonds.
Au-delà des exigences fixées en matière de gouvernance (la gestion devant se
faire dans l’intérêt des affiliés et des bénéficiaires), l’exercice du droit de propriété par
les «  trustees  » sur les fonds du régime professionnel de pension se trouve également
encadré par les dispositions du droit de l’Union applicable en matière d’égalité salariale
entre les hommes et les femmes. L’encadrement découle de la qualification des pensions
professionnelles comme étant une forme de rémunération différée2. L’article 157 TFUE
peut ainsi être invoqué à l’encontre de l’employeur, ainsi que de toute personne physique

1 J. Verlhac, «  Droit des associations et fondations  », Section  2,  Associations en droit anglais,
P.-H. Dutheil (dir.), Œuvre collective, 2016.
2 Pour l’assimilation des pensions versées par un régime professionnel conventionnellement exclu,
voir CJUE, 17 mai 1990, Barber, aff. C-262/88, Rec. 1990 I-01889.

138 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


CJUE 7 octobre 2019 - Aff. C-171/18

ou morale qui assure la gestion du régime concerné et qui sert des prestations dans le
cadre de celui-ci. Autrement dit, les « trustees » d’un régime professionnel de retraite sont
tenus de respecter le principe prévu à l’article 157 TFUE3.
C’est ce que la CJUE a rappelé dans un arrêt en date du 7 octobre 2019. Le litige porté
devant une juridiction britannique a opposé un employeur au représentant des affiliés et
aux administrateurs du régime constitué sous forme de trust (les trustees). La clause de
modification prévue dans l’acte constitutif de ce régime prévoyait la possibilité de modifier
rétroactivement, à compter de la date d’une annonce écrite aux affiliés, les droits acquis au
titre de ce régime, par l’adoption ultérieure d’un acte de trust.
Afin de se conformer à la solution Barber, l’employeur et les administrateurs du régime
ont informé les affiliés, par des annonces effectuées les 1er septembre et 1er décembre
1991, que le régime allait être modifié à compter du 1er décembre 1991. La modification
consistait en l’introduction d’un âge normal de départ à la retraite uniforme de 65 ans
pour tous les affiliés (travailleurs masculins et féminins). Le 2 mai 1996, un acte de trust
portant modification du régime dans le sens des annonces de 1991 a été adopté. Cet acte
prévoyait l’introduction, avec effet rétroactif au 1er décembre 1991, d’un âge uniforme de
65 ans pour tous les affiliés sans considération de sexe.
La procédure a été engagée par l’employeur au cours de l’année 2009 dans le but de
faire constater la validité de l’uniformisation rétroactive de l’âge normal de départ à la retraite
au niveau de la catégorie des personnes antérieurement défavorisées (en l’occurrence, les
travailleurs masculins) pour la période comprise entre l’annonce (intervenue le 1er décembre
1991) et l’adoption de l’acte de trust (en date du 2 mai 1996). Les juges de première
instance ont débouté le requérant en considérant que la modification à effet rétroactif était
contraire au principe de l’égalité salariale hommes-femmes prévu à l’article 119 du traité CE
(actuel article 157 TFUE) et que, par voie de conséquence, les droits acquis correspondant
à la période comprise entre le 1er décembre 1991 et le 2 mai 1996 devaient être calculés
sur la base d’un âge normal de départ à la retraite uniforme de 60 ans (alignement sur la
catégorie antérieurement favorisée, en l’occurrence, les travailleurs féminins). L’employeur
avait interjeté appel contre le jugement de première instance et la juridiction de renvoi
avait par la suite considéré que l’acte de trust adopté le 2 mai 1996 avait valablement
relevé l’âge normal de départ à la retraite pour la catégorie antérieurement favorisée (en
l’occurrence, les travailleurs féminins). Cependant, ayant des doutes sur la compatibilité de
la réduction rétroactive des droits acquis au titre d’un régime professionnel de retraite avec
le principe de l’égalité salariale hommes-femmes prévu à l’article 119 TCE, la juridiction de
renvoi a adressé à la CJUE une question préjudicielle tendant à savoir si une telle solution
était conforme à cette disposition du droit de l’Union.
Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherchait donc à savoir si la
réduction rétroactive des droits acquis à pension qui découle de l’uniformisation de
l’âge normal de départ à la retraite et qui prend la forme d’un alignement sur celui de
la catégorie antérieurement défavorisée, pour la période comprise entre l’annonce
et l’adoption de cette mesure, bien qu’adoptée afin de se conformer aux exigences de
l’article 119 CE, constituait une mesure contraire à cette dernière disposition. En substance,
la question préjudicielle interrogeait sur le point à savoir si les droits à pension des affiliés
du régime de pension acquis pendant la période comprise entre le 1er décembre 1991 et

3 Voir en ce sens également CJUE, 28 septembre 1994, Coloroll Pension Trustees Ltd., aff. C-200/91,
Rec. 1994 I-04389.

RDCTSS - 2020/2 139


Jurisprudence sociale internationale

le 2 mai 1996 devaient se voir appliquer un âge normal de départ à la retraite uniforme de
60 ou 65 ans.
Le raisonnement de la Cour s’opère en deux temps. Dans un premier temps, la CJUE
vérifie si les conditions matérielles d’application de l’article 119 TCE sont remplies en
l’espèce. Autrement dit, la Cour applique le régime juridique du principe de l’égalité de
traitement prévu à l’article 119 TCE à la clause de modification et aux annonces de 1991.
Dans un deuxième temps, la Cour analyse la possible justification de la réduction rétroactive
des droits acquis par un motif d’intérêt général. En se référant à la jurisprudence Barber, la
Cour rappelle d’abord la portée différente du principe prévu à l’article 119 CE qui résulte
de l’application du critère de la période d’emploi (points 14 à 20 de l’arrêt). En se référant
à sa jurisprudence en la matière, elle distingue donc trois périodes : les périodes d’emploi
antérieures à la date du prononcé de l’arrêt Barber (qui sont exemptées de l’application du
principe prévu à l’article 119 CE), les périodes comprises entre le 17 mai 1990 et la date
d’adoption des mesures rétablissant l’égalité de traitement (pour lesquelles il faut accorder
aux personnes relevant de la catégorie défavorisée les mêmes avantages que pour les
personnes appartenant à la catégorie privilégiée) et les périodes d’emploi accomplies
ACTUALITÉS

après l’adoption par le régime de pension concerné des mesures rétablissant l’égalité de
traitement (pour lesquelles le principe prévu à l’article 119 CE ne s’oppose pas à ce qu’on
réduise au niveau de la catégorie défavorisée les avantages de la catégorie privilégiée).
Comme la CJUE considère que l’adoption des mesures rétablissant l’égalité n’a pas pu
se faire avant l’adoption de l’acte de trust intervenue le 2 mai 1996 (point 20 de l’arrêt)4,
elle estime que la situation de l’espèce relève du deuxième cas de figure qui concerne les
périodes comprises entre la date de l’arrêt Barber et la date d’adoption par le régime de
pension des mesures visant le rétablissement de l’égalité (soit le 2 mai 1996). Autrement
dit, la situation relève de la catégorie de périodes d’emploi où il est impératif d’accorder
aux personnes relevant de la catégorie défavorisée les mêmes avantages que pour les
personnes appartenant à la catégorie privilégiée), sauf si la réduction rétroactive peut se
justifier par un motif d’intérêt général.
L’enjeu de la distinction est donc important car elle conditionne l’application du
principe de l’article 119 CE et ses modalités d’application, ces dernières pouvant consister
soit en l’octroi des avantages de la catégorie favorisée à celle précédemment défavorisée
ou bien en la réduction des avantages de la catégorie favorisée au niveau de la catégorie
défavorisée.
Ensuite, la Cour analyse si les mesures rétablissant l’égalité de traitement assorties d’un
effet rétroactif (allant jusqu’au 1er décembre 1991) qui ont été prises par l’acte de trust en
date du 2 mai 1996 remplissent les critères exigés par l’article 119 TCE.
Ces critères concernent la suppression immédiate et complète de la discrimination
(exigence qui découle de l’effet direct de l’article 119 TCE)5 et la nécessité d’assurer le
respect du principe de sécurité juridique6. La CJUE applique ensuite les deux critères
aux mesures qui ont été considérées par la juridiction de renvoi comme rétablissant
l’égalité de traitement, à savoir la clause de modification prévue dans l’acte constitutif du

4 En revanche, l’employeur et la Commission avaient considéré que les annonces de 1991 et la


gestion du régime de pension ayant appliqué un âge normal de départ à la retraite uniforme de
65 ans à compter du 1er décembre 1991, doivent être considérés comme étant des mesures ayant
rétabli l’égalité de traitement à compter de la même date (point 21 de l’arrêt).
5 Point 24 de l’arrêt.
6 Point 25 de l’arrêt.

140 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


CJUE 7 octobre 2019 - Aff. C-171/18

trust et les annonces de 1991. La CJUE analyse les effets de la clause de modification et
des annonces de 1991. Elle leur refuse tout effet juridique contraignant et n’y voit qu’un
moyen de réserver aux administrateurs du régime le pouvoir discrétionnaire d’uniformiser,
de manière rétroactive, l’âge normal de départ à la retraite par l’alignement au niveau
de celui des hommes à travers «  l’adoption d’un acte de trust à n’importe quel moment
ultérieur » (point 29 de l’arrêt). Or, la CJUE considère que l’institution d’une telle faculté
ne remplit ni le critère de la suppression immédiate et complète de la discrimination ni
le critère de la sécurité juridique (points 30 et 31 de l’arrêt). La CJUE poursuit l’analyse de
la portée différente du principe de l’article 119 TCE qui résulte de l’application du critère
de la période d’emploi dans le cas particulier des droits à pension à caractère révocable
(points 33 à 35 de l’arrêt). Bien que la question n’ait pas encore été tranchée par la Cour,
une telle mesure qui consiste à uniformiser l’âge normal de départ à la retraite sur celui de
la catégorie défavorisée, dans le cas où des mesures rétablissant l’égalité n’ont pas encore
été prises, ne trouvent aucun appui dans la jurisprudence (point 36 de l’arrêt). Le deuxième
temps de l’analyse porte sur la possible justification objective de la réduction rétroactive
des droits au titre des mesures d’intérêt général (point 43 de l’arrêt). Une mesure de tel
type pourrait consister en la nécessité d’éviter une atteinte grave à l’équilibre financier du
régime de pension (point 44 de l’arrêt). En l’espèce, cette condition ne semble pas remplie,
ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer.
La solution de cet arrêt s’inscrit ainsi dans le droit fil de la jurisprudence Barber qu’elle
prolonge et qu’elle complète, en offrant une nouvelle illustration du caractère impératif
du principe de l’égalité de traitement prévu à l’article 119 TCE qui s’impose même dans le
champ des droits à la pension professionnelle ayant une nature révocable.

RDCTSS - 2020/2 141


Chronique bibliographique

CHRONIQUE
BIBLIOGRAPHIQUE
Chronique bibliographique

SYLVAINE LAULOM
Avocate Générale, Chambre sociale, Cour de cassation

Tamás Gyulavári, Emanuele Menegatti (eds),


The Sources of Labour Law
Wolters Kluwer, 2020 , 404 p., Alphen aan den Rijn
CHRONIQUE BIBLIOGRAPHIQUE

Les ouvrages de droit du travail comparé restent, aujourd’hui encore, trop rares et c’est
l’un des grands mérites de cet ouvrage que de proposer un voyage sur les 5 continents pour
ausculter l’état des sources du droit du travail. L’ampleur de l’ouvrage doit être souligné
tant par l’objet analysé que par le champ géographique couvert. Ce ne sont pas moins de
15 pays qui sont analysés (Australie, Brésil, Chine, Danemark, France, Allemagne, Hongrie,
Italie, Pologne, Russie, Espagne, Suède, Afrique du Sud, Royaume-Uni et Etats Unis). Si les
pays européens restent majoritaires, l’ouvrage permet une plongée dans des systèmes
juridiques d’une très grande variété et il offre un matériel inégalé permettant d’établir des
comparaisons.
La structure de l’ouvrage est classique  mais reste indépassable des approches
comparatives: une première partie est consacrée à des approches «  horizontales  » ou
transversales et internationales, la deuxième partie regroupe les articles dédiés aux
situations nationales, articles qui suivent une structure commune permettant d’identifier
des parallèles et des objets de comparaisons.
L’ouvrage est fondé sur une prémisse : le droit du travail, édifice unique des sociétés
modernes, est aujourd’hui en péril, sa légitimité est questionnée. Les politiques de
flexibilisation et de « modernisation » menées depuis des années à l’échelle européenne et
nationales ont attaqué le contenu des règles de droit du travail, mais plus fondamentalement
sa structure. C’est précisément cette structure, cette architecture en évolution des sources
du droit du travail qui fait l’objet de cette recherche, en constitue l’apport essentiel et son
originalité.
Cinq chapitres constituent la première partie « horizontale » de l’ouvrage et proposent
une approche originale des sources du droit du travail. On aurait pu s’attendre à une
analyse des différentes sources, par exemple les sources constitutionnelles, les sources
conventionnelles, la question de la hiérarchie ou de l’articulation des différentes sources
entre elles. Les éditeurs de l’ouvrage ont, à juste titre, privilégié une autre approche en
choisissant de demander à cinq spécialistes reconnus de traiter de thèmes transnationaux
et/ou comparistes. Après un chapitre introductif par les éditeurs de l’ouvrage, dressant
une première comparaison des évolutions nationales (Chap. 1  : «  Introduction  : recent
trends in the Hierarchy of Labour Law Sources »), Alan Neal, dans un deuxième chapitre
(« Recalling some of the historical roots for twenty-first century approaches to regulation of
the world of work), propose une reconstruction historique des racines du droit du travail
et la centralité première du contrat de travail. L’un des intérêts majeurs de l’analyse d’Alan
Neal est sans contexte d’introduire le droit chinois dans l’analyse. Deux chapitres de cette
partie (chapitre 4 rédigé par Joellen Riley Munton, «  Judge-Made Law in the Common
Law World  : a Conservative Influence on the Transformation of Labour Law by Statute »,

144 REVUE DE DROIT COMPARÉ DU TRAVAIL ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE - 2020/2


Chronique bibliographique

et chapitre 5, rédigé par Martin Risak, « Filling the (Increasing) Gaps : the Role of Judges
as Substitute Legislators in Labour Law in the Civil Law Countries ») analysent ensuite le
rôle du juge en droit du travail, dans les systèmes de Common law et dans les systèmes
de droit civil où l’on voit, qu’en dépit d’une conception fondamentalement différente du
juge et de la jurisprudence, leur rôle dans le développement du droit du travail apparaît
remarquablement similaire. Ils démontrent ainsi à quel point l’opposition classique en
droit comparé entre les pays de Common law et les pays de droit civil doit être relativisé
en droit du travail, les pays pouvant mieux être analysés au regard notamment du rôle
dévolu à l’autonomie collective. Les chapitres 3 et 6 - respectivement rédigés par Edoardo
Ales, « The regulatory function of collective agreements in the light of its relationship with
statutory instruments and individual rights : a multilevel approach » et Emanuele Menegatti,
« The impact of the European Union economic governance on the hierarchy of national
labour law sources  » - partagent une approche internationale et européenne. Edoardo
Ales analyse la fonction normative des accords collectifs en droit international et européen
(entendu ici largement et intégrant tant le droit de l’Union européenne que le droit du
Conseil de l’Europe). Du côté de l’OIT, la fonction normative des conventions collectives,
c’est-à-dire la reconnaissance qu’il existe d’autres sources que la loi pour réglementer les
conditions de travail et que ces sources conventionnelles peuvent produire les mêmes effets
que la loi et prévaloir sur le contrat de travail,  a été reconnue et soutenue dès l’instauration
de l’organisation internationale. Comme le montre Edoardo Ales, l’Union européenne
a également reconnu et soutenu cette fonction normative et nombreux sont les textes
européens, qu’il s’agisse du droit dérivé ou des Traités et des chartes, qui reconnaissent
et organisent cette fonction normative, y compris dans sa capacité dérogatoire. C’est
d’ailleurs tout le paradoxe car la gouvernance économique européenne, comme le montre
Emanuele Menegatti, a fortement milité pour que les Etats membres œuvrent à une
restructuration de leurs sources du droit du travail, conduisant à une remise en cause, d’une
part, du rôle de la législation et, d’autre part et surtout, des systèmes centralisés de relations
collectives et de conventions collectives. A travers l’exemple de trois pays (France, Italie et
Portugal), Emanuele Menegatti montre que les Etats ont repris à leur compte les injonctions
européennes et ont, pour certains, profondément modifié leur législation en privilégiant
une négociation collective dérogatoire d’entreprise. Cette décentralisation désorganisée,
soutenue par (ou exigée de) l’Union européenne peut conduire à une individualisation de
la réglementation du travail, susceptible à terme de conduire à un déclin irréversible du
droit du travail, remplacé par un régime général de liberté contractuelle. La conclusion de
ce chapitre nuance néanmoins cette perspective en mettant l’accent sur les capacités de
résistance des systèmes nationaux.
C’est d’ailleurs tout l’intérêt de la deuxième partie que de proposer une perspective
mondiale des évolutions des sources du droit du travail, où est en jeu l’avenir même du
droit du travail. Le champ géographique couvert par l’ouvrage permet de proposer une
cartographie des transformations récentes des sources du droit et de leur articulation
hiérarchique. La flexibilisation du droit du travail à l’œuvre depuis plusieurs années n’induit
pas qu’une transformation du contenu des normes mais elle affecte plus fondamentalement
encore les sources de droit du travail. Traditionnellement, le principe de faveur a permis
une articulation des sources de droit du travail protectrice des droits des salariés. Cette
architecture traditionnelle du droit du travail se fissure à tel point que l’édifice est aujourd’hui
en péril. La lecture des 15 chapitre nationaux offre néanmoins une vision beaucoup plus
nuancée et surtout diversifiée de ces évolutions. Dans cette perspective, l’un des apports
majeurs des rapports nationaux est de montrer l’originalité de chaque système et surtout
les forces de résistance à l’œuvre.

RDCTSS - 2020/2 145


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Études de Droit Comparé


du Travail
La « re-régulation » de la protection contre le licenciement au Pérou par
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Sécurité Sociale
F. VILLANUEVA
La protection du droit syndical en Turquie - Le droit et les réalités
et de la
M. SUR
La loi québécoise sur l’équité salariale mesurée à l’aulne des théories
féministes
Revue de Droit Comparé du
C. SÉNÉCHAL Travail et de la Sécurité Sociale
Situation actuelle et perspectives des systèmes d’autorégulation des
entreprises en Amérique latine 4 numéros par an
D. M. LEDESMA ITURBIDE ~3 éditions papier (en français)
Le « reddito di cittadinanza » italien en recherche d’identité : un regard ~1 édition électronique (en anglais)
comparé par : approche européenne et comparative
E. A. GRASSO 2020/1
Les formes d’action collective des travailleurs au Burkina Faso  : Etudes
éléments de réflexion à partir de l’avis n°05-2017/2018 du Conseil d’Etat Actualités Juridiques Internationales
du 11 avril 2018
H. TRAORÉ
2020/2
La procédure de contrôle URSSAF : un système à parfaire
F. TAQUET Jurisprudence Sociale Comparée
Jurisprudence Sociale Internationale
Le cadre conceptuel de la législation sur les retraites durant la première
Chronique bibliographique
moitié du XXe siècle
A. ALEKSANDROVA
La protection des données personnelles dans le domaine des relations 2020/3
de travail en Espagne Dossier thématique
J. CRUZ VILLALÓN Actualités Juridiques Internationales
Le régime des retraites en Italie : la réforme permanente
S. G. NADALET 2020/4
Studies
Actualités juridiques internationales Thematic Chapter
Comparative Labour Case Law
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