Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Correspondance PATARAT
Correspondance PATARAT
Nous avons appris que la mairie voulait nous expulser. Nous Au centre nous étions proches de tout : magasins, crèches et
avons reçu l’avis quelques jours avant. On nous donnait écoles, hôpital…
jusqu’au 16 décembre avant 12h pour partir. La mairie pré-
textait que la maison était une zone insalubre mais ça n’a ja- Il n’y a pas de transports publics. Il y a un bus scolaire pour les
mais été le cas ! enfants qui passe à 7h55 en bas de la colline, il ne vient même
pas jusqu’ici !
Nous avons rétorqué en disant que nous étions dans la légalité
mais nous avons appris que notre contrat de location s’était ar- Certains doivent se lever à 4h du matin pour aller travailler.
rêté en 2009 ! Lorsque l’on a besoin d’une ambulance, elle met trois heures à
arriver, personne ne veut venir ici.
Nous avons mal dormi la nuit du 15 au 16.
L’air est suffocant, les enfants tombent souvent malades, ils
La mairie nous a mis dehors par la force. Ils ont fait venir des ont des problèmes de bronches à cause des conditions de vie.
cars de police et ils ont détruit la maison le jour même. Nous Les murs et les plafonds sont humides, on sent les émanations
n’avons pas pu rassembler nos affaires. Ils ont mis le reste de- des produits chimiques et de la décharge, il y a des moisissures
hors sans nous aider à les transporter, c’est nous qui avons dû et des champignons qui poussent dans les salles de bain.
organiser le transport.
Nous voulons que nos enfants aillent à l’école et qu’ils travail-
La mairie a menti devant la presse en disant qu’ils n’avaient lent. Nous voulons qu’ils aient les mêmes possibilités que les
pas utilisé la force pour nous faire partir. autres.
La mairie nous a donné des papiers en nous disant de nous Il y a beaucoup de différents types de communautés Roms
rendre ici ou là mais nous n’avons jamais été reçus. On nous mais nous sommes mis dans le même groupe. Les gens ne font
expliquait que nous serions relogés dans de meilleures condi- pas ou ne veulent pas faire la différence. Il y a des discrimina-
tions, mais nous n’avons jamais su où avant d’y être. Ils ne ré- tions dans le travail, moi je peux trouver du travail parce que
pondent pas à nos questions. Ils nous ont fermé leurs portes. je suis blanche de peau.
Ils m’ont obligée à changer ma carte d’identité qui était valable Les Roumains ne nous aiment pas même si nous essayons de
jusqu’en 2015. Maintenant j’ai une carte d’identité sans nous intégrer ! On est nés ici mais ici personne ne nous consi-
adresse et qui est valable jusqu’à la fin 2011. dère ! C’est du racisme. Nous sommes des personnes et non
des animaux. Nous pourrions nous mettre à détester les Rou-
A Pata Rat, ils nous ont dit que nous serions dans des loge- mains à notre tour.
ments modernes avec le confort. Sur la feuille de mon loyer on
peut voir la liste des équipements : lavabo, douche, etc. Ils Rien n’est sûr, ils peuvent venir ici avec leur bulldozer et tout
nous ont dit que nous aurions 2 chambres et une cuisine par détruire à nouveau.
famille. Mais nous n’avons qu’une seule chambre avec la cui-
sine à l’intérieur ! Nous dormons à une dizaine de personnes Nous ne pouvons pas être fiers de notre pays. Si cette situa-
par pièce. Nous dormons sur le sol et les enfants sur les lits. tion ne se résou pas, je veux demander l’asile politique.
Nous devons nous partager deux toilettes et deux salles de
Une exigence de civilité. Cette exigence s'est posée à nous de façon impérieuse lorsque nous avons rencontré
Rita et sa famille, après qu'elles aient été illégalement expulsées, avec d'autres familles roms, de leur logement
à Cluj et exilées à Pata Rat en périphérie de la ville dans des conditions d'habitat absolument indignes. La
construction européenne appelle une forte et authentique politique de la civilité – une politique qui associe
à la fois une attention à l'autre (civilitas) et la nécessité d'un vivre ensemble (civis). Il ne s'agit pas d'instiller
un peu de bienveillance dans des réalités sociales qui resteront fondamentalement injustes, ni de cautionner
les discours compassionnels qui servent de cache misère à nombre de politiques publiques. La question est
autrement plus ambitieuse. Réinscrire la civilité au centre de nos pratiques sociales et politiques nous oblige
à imaginer et à promouvoir de nouvelles formes de vie et d'échange, plus respectueuses des personnes et
moins violentes à leur endroit. Cet enjeu nous est commun ; il constitue notre commun démocratique et eu-
ropéen. Comme le suggère Étienne Balibar, une politique de la civilité est certainement la meilleure ressource
démocratique dont nous disposons pour contrecarrer la violence qui est faite aux sans-papiers, aux migrants,
aux pauvres, à la multitude des sans-droit – pour contrecarrer la violence qui est faite aujourd'hui à Rita, à
sa famille et à sa communauté.