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En vulgarisant le complexe d'Œdipe, la psychanalyse a contribué à justifier la violence éducative exercée sur l'enfant et à le priver notamment d'une relation nourrissante avec sa mère. Il appartient à chaque parent de renverser ce processus en accueillant son histoire au lieu de la projeter sur sa progéniture.
En vulgarisant le complexe d'Œdipe, la psychanalyse a contribué à justifier la violence éducative exercée sur l'enfant et à le priver notamment d'une relation nourrissante avec sa mère. Il appartient à chaque parent de renverser ce processus en accueillant son histoire au lieu de la projeter sur sa progéniture.
En vulgarisant le complexe d'Œdipe, la psychanalyse a contribué à justifier la violence éducative exercée sur l'enfant et à le priver notamment d'une relation nourrissante avec sa mère. Il appartient à chaque parent de renverser ce processus en accueillant son histoire au lieu de la projeter sur sa progéniture.
Ce texte a fait l'objet d'une intervention au 27e colloque de la Fdration franaise de psychothrapie et psychanalyse Attachement, empathie et violence ducative (20 octobre 2011) Rsum : En vulgarisant le complexe d'dipe, la psychanalyse a contribu justifier la violence ducative exerce sur l'enfant et le priver notamment d'une relation nourrissante avec sa mre. Il appartient chaque parent de renverser ce processus en accueillant son histoire au lieu de la projeter sur sa progniture. La thorie des pulsions, imagine par Freud la fin du XIXe sicle, attribue au jeune enfant un dsir sexuel inconscient pour le parent du sexe oppos et une hostilit pour le parent du mme sexe : le fameux complexe d'dipe. Plusieurs auteurs ont dmontr que cette thorie avait t labore dans le but inavou de dissimuler les abus sexuels perptrs au sein mme de la famille de Freud - en particulier par son pre Jakob - et dans son milieu social (1). L'un des piliers de l'difice psychanalytique est alors apparu comme une construction dfensive, visant protger la figure du Pre et justifier la rpression que celui-ci exerce sur la conscience de ses enfants. Pre infanticide Malgr ce laborieux processus de mise jour, le complexe d'dipe n'a pas cess de s'imposer comme un concept gomtrie variable permettant de rduire le vcu de l'enfant quelques schmas de comportement qui ne remettent pas en cause ses ducateurs. Qu'une fillette soit en colre face sa mre ? Elle traverse sans doute une nouvelle phase dipienne et tout se rglera simplement avec papa. Qu'un pre soit en conflit avec son garon ? Ce dernier doit certainement faire son dipe, il vaut mieux ne rien concder. En ralit, le mythe original d'dipe ne se rsume pas l'histoire d'un fils qui tue son pre pour pouser sa mre, comme le laisse penser l'interprtation de Freud qui imagina galement une version symtrique pour la fille. Il commence par le crime perptr par Laos, pre biologique d'dipe et roi de Thbes, sur la personne du jeune Chrysippe qu'il a viol, puis enlev et qui se suicida. L'oracle d'Apollon prdit alors qu'une maldiction lui vaudrait d'tre lui-mme tu par son premier fils. C'est pour
tenter d'chapper ce destin que Laos ordonna le meurtre de
son nourrisson premier n, qu'il fit clouer par les pieds, sur le Mont Cithron, pour y tre dvor par les btes sauvages. L'pope du hros, sauv par un berger et adopt par le roi de Corinthe et son pouse qui le nommrent dipe - c'est--dire pieds enfls -, traduit sa dtermination dcouvrir la vrit sur ses origines. Parvenu au sommet de sa gloire, ayant fait advenir malgr lui le sort tragique qui lui tait destin, dipe dvoile enfin le secret de l'infanticide intent contre lui par Laos. Mais devant l'assistance royale et sous la pression de la foule de Thbes, le hros ne retient que son rle dans la mort de ce dernier. Accabl par le poids des prdictions successives, il arrache ses propres yeux et se condamne l'errance. Il incarne dsormais la figure du fils qui mutile sa conscience pour taire les crimes de son pre (2). Fermer les yeux L'interprtation freudienne du mythe d'dipe va exactement dans ce sens : protger le Pre de toute remise en cause. Ici, l'histoire personnelle du fondateur de la psychanalyse rejoint singulirement celle de son hros mythique et laisse penser que Freud a projet sur ce dernier un conflit intrieur dont il ne pouvait se librer. travers sa pratique analytique, Freud avait en effet clairement associ les symptmes hystriques aux abus sexuels subis dans l'enfance. Il avait t contraint d'admettre que les perversions sexuelles de son propre pre, Jakob, taient l'origine de l'hystrie de son frre et de certaines de ses surs cadettes (3). Mais la mort de celui-ci, survenue en 1896, Freud visualisa dans un rve l'injonction de fermer les yeux sur les fautes de son pre (4). Moins d'un an plus tard, cdant l'hostilit du corps mdical, il revenait sur ses premires conclusions et prsentait sa thorie des pulsions pour viter - confia-t-il explicitement - de devoir accuser le pre de perversion, le mien non exclu () (5). Pour Freud, comme pour dipe, la ccit qu'il s'infligeait tait donc une rponse radicale l'interdit pos sur le dvoilement de la brutalit paternelle. L'accueil trs favorable rserv la thorie des pulsions depuis plus d'un sicle s'explique certainement par le fait qu'elle permet aux parents de reproduire sur leurs enfants une certaine violence ducative, voire sexuelle, tout en grant leur sentiment de culpabilit. Plutt que d'accueillir les souffrances qu'ils ont vcues face l'inconscience de leurs propres parents, les adultes vont attribuer l'enfant la cause de leur malaise et rprimer la vitalit de celui-ci, avec l'espoir illusoire de matriser leur vcu refoul. Dans cette perspective, l'dipe freudien apparat comme un concept fabriqu sur mesure.
Lgitimer la violence ducative
Selon Freud, en effet, l'enfant rechercherait inconsciemment la punition car celle-ci devrait lui permettre de soulager la culpabilit dipienne qu'il prouverait tre amoureux de sa mre. Les chtiments corporels - et particulirement la fesse - seraient un moyen autopunitif permettant l'enfant de dpasser la rivalit qu'il tablirait avec son pre pour la possession de l'objet maternel (6). Ainsi, non seulement l'adulte ne serait pas responsable des coups qu'il porte l'enfant, mais ce dernier devrait encore lui tre redevable de faire obstacle aux dsirs qui lui sont imputs. Freud ira plus loin en attribuant au pre la fonction de permettre son fils la sortie de l'dipe par la menace, directe ou indirecte, de castration (7). La violence paternelle est alors clairement lgitime, en particulier les coups ports sur la zone sexuellement sensible des fesses. Pourquoi ? Lorsqu'un enfant subi le chtiment de la fesse, il garde dans son corps la mmoire de la brutale stimulation rogne qui dcoule de cette intrusion. De nombreuses victimes ont tmoign de la manire dont cette violence avait durablement affect leur dveloppement psychologique et sexuel (8). Quand l'adulte reproduit son tour la violence subie, il le fait donc avec la connaissance inconsciente des consquences de son acte. Il sait que les coups ports cet endroit affaibliront la force vitale de l'enfant - notamment sa capacit faire entendre ses besoins - et que la souffrance enchanera ce dernier la problmatique parentale. La menace freudienne de castration qui renvoie son auteur la circoncision rituelle qui lui fut inflige huit jours - rvle ici sa dimension sacrificielle. L'enfant tabou Lorsque l'adulte ne reconnat pas l'origine de sa souffrance, il projette les causes de ses douloureux sentiments sur l'enfant et attribue ce dernier des intentions qui appartiennent son propre vcu refoul. Ainsi en va-t-il de Freud et de chacun d'entre nous. L'enfant, lui, plie sous le joug des projections parentales. Assimil aux perversions qu'on lui attribue, il devient tabou, un terme dont la racine polynsienne dsigne l'origine ce qui ne doit pas tre touch. Outre l'interdit et le dgot pos sur son contact physique qui parfois confinent la phobie, il subit alors la distance que lui imposent ses parents. L'ide que l'enfant dsire inconsciemment possder l'objet maternel pourrait justifier par exemple qu'il ne soit pas allait sa demande ou qu'il dorme seul dans une chambre en dpit de ses pleurs. L'un des nombreux avatars de la thorie des pulsions consiste en effet penser que l'enfant fait un caprice chaque fois qu'il exprime la souffrance que ses parents ne rpondent pas simplement ses besoins. Ces derniers admettront
difficilement que leur propre sentiment d'abandon puisse tre
l'origine de leur compulsion perturber le lien que l'enfant tablit spontanment avec sa mre d'abord, puis avec son pre. Inconsciemment, ils se persuaderont que leur rejeton est une crature insatiable qui - dans leur fantasme - pourrait bien les engloutir entirement s'ils ne mettaient un frein sa voracit. Encore une fois, l'origine de cette terreur parentale se situe dans leur propre enfance, puisqu'ils furent confronts l'indisponibilit de leurs gniteurs et qu'ils durent eux aussi refouler leurs souffrances. Par un implacable mcanisme projectif, ils assimilent les besoins de leur enfant aux exigences monstrueuses de leurs propres parents et ducateurs. Ils se vivent comme victimes de leur progniture sans pouvoir l'admettre ouvertement. Attachs leur dtresse, ils justifient alors leur passage l'acte sur l'enfant. Au nom d'dipe. Marc-Andr Cotton