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2 Points de vigilance

Choc inflationniste récent et pouvoir d’achat


a. Les évolutions récentes

L’année 2021 a connu une accélération quasi-continue du taux d’inflation, particulièrement à partir
du mois d’avril. Cette tendance haussière s’est poursuivie durant le premier semestre de 2022
impactant significativement le pouvoir d’achat des citoyens.
Si le taux d’inflation n’a pas dépassé 1,4% en moyenne annuelle sur l’ensemble de l’année 2021.
Néanmoins, les taux observés au cours des derniers mois de la même année indiquent une
accélération. En témoigne l’inflation moyenne durant le dernier trimestre 2021 qui s'est établie à
2,5%, avant d’atteindre 3,1%, 3,6% et 5,3% respectivement en janvier, février et mars 2022.
Les perspectives de l’inflation pour 2022 laissent entrevoir une hausse plus accentuée, soit 4,7% en
moyenne selon BAM, avant de revenir à 1,9% en 2023.
Graphique 12 : Evolution de l’inflation au Maroc (en %)
6,0

5,3
5,0

4,0
3,2 3,6
3,0 3,1
2,6
2,22,4 2,2
2,0 2,0 1,9
1,7 1,6 1,6 1,4 1,7
1,4
1,21,11,1 1,4 1,3 1,4 1,5 1,2
1,0 1,1 0,9
0,7 0,9 0,8
0,2 0,3 0,3 0,1 0,4 0,2
0,0 -0,1 -0,2 -0,1 0,0 0,1
-0,5 -0,3
-0,7
-1,0
2 0 / 01
2 0 / 03
2 0 / 05
2 0 / 07
2 0 / 09
2 0 / 11
2 0 / 01
2 0 / 03
2 0 / 05
2 0 / 07
2 0 / 09
2 0 / 11
2 0 / 01
2 0 / 03
2 0 / 05
2 0 / 07
2 0 / 09
2 0 / 11
2 0 / 01
2 0 / 03
2 0 / 05
2 0 / 07
2 0 / 09
2 0 / 11
2 0 / 01

3
/0
18
18
18
18
18
18
19
19
19
19
19
19
20
20
20
20
20
20
21
21
21
21
21
21
22
22
20

Source : HCP

S’agissant de la perception de l’intensité de l’inflation par le citoyen, il ressort que la part des
personnes qui estiment que le coût de la vie a connu une forte augmentation est passée de 55%
en 2021 à 97% pendant les premiers mois de 202255.

55 - Enquête de terrain auprès de 1007 personnes - Conseil Economique, social et environnemental, 2022.

Conseil Economique, Social et Environnemental


Graphique 13 : Perception de l’intensité de l’inflation au Maroc en 2021 et durant les premiers mois de 2022

Année 2021 Premiers mois de 2022

Hausse importante des prix 55%

Hausse importante des prix 97%

Hausse modérée des prix 36%

stabilité des prix 8%

Hausse modérée des prix 3%

Non réponse 1%

Il convient de souligner toutefois que le Maroc n’est évidemment pas un cas isolé. L’inflation
récente est un phénomène mondial qui est apparu en 2021 suite aux répercussions des mesures
de lutte contre les effets de la pandémie, aussi bien sur l’offre (restriction des déplacements et des
échanges internationaux, règles sanitaires de distanciation et couvre-feu, etc.) que sur la demande
(mesures de soutien de la demande). La reprise de la demande au moment où les restrictions
sur l’offre et le commerce international ont été maintenues, a créé, en effet, un déséquilibre sur
les marchés des biens et services qui s’est soldé par une hausse des prix, en particulier ceux des
matières premières énergétiques et des biens de première nécessité. Ce renchérissement au
niveau international a été amplifié davantage par les effets de la guerre en Ukraine au cours de la
première moitié de l’année 2022, particulièrement sur les prix des produits énergétiques et du blé,
sans omettre le risque de propagation des répercussions d’une spirale prix-salaires au niveau des
grandes économies, en particulier aux Etats-Unis. Dans ces conditions, l’inflation mondiale s’est
élevée à 4,3% en moyenne en 2021 (3,1% dans les pays avancés et 5,7% pour les pays en voie de
développement)56.
b. Les principales causes de la hausse des prix au Maroc depuis 2021 : une inflation essentiellement
importée

Si les tensions inflationnistes sont généralement d’origines multiples, force est de constater que
pour le cas du Maroc les hausses importantes de prix observées récemment sont majoritairement
d’origine externe (inflation importée).
Les facteurs domestiques de pression de la demande sur les prix au Maroc semblent être
moins pesants que les facteurs externes, comme en témoigne la persistance d’un taux de
chômage à des niveaux plus élevés que ceux de la période pré-crise et le taux d’utilisation des
capacités productives dans l’industrie qui s’est établi à un niveau moyen (72,3%), légèrement
inférieur à celui de 2019.
Néanmoins, cette situation n’empêche pas de relever des effets amplificateurs au niveau
interne. Ainsi, parmi les facteurs domestiques qui peuvent avoir impacté les prix à la hausse,
particulièrement leur composante alimentaire, il y a lieu de citer la problématique du manque
d’organisation des marchés de ces produits et la multiplicité des intermédiaires entre l’agriculteur
et le consommateur final. En effet, la prégnance de ce phénomène, en l’absence d’une organisation

56 - WEO database, FMI.

Rapport Annuel 2021


et d’un encadrement adéquats (vide juridique)57, accentue de manière significative la spéculation
et les comportements rentiers au niveau de l’aval de la filière agricole dont les conséquences sont
palpables aussi bien sur le producteur que le consommateur.
Dans le même sens, et concernant les prix des hydrocarbures, le gouvernement a certes pris des
mesures de court terme afin de préserver le pouvoir d’achat des consommateurs et la compétitivité
des entreprises marocaines, mais la situation actuelle requiert d’engager des mesures à plus fort
impact. De même, l’accélération des travaux d’investigation qui demeurent conditionnés par l’accès
à l’information pertinente, est de mise, afin de juger de l’existence ou non de comportements
anticoncurrentiels au niveau de ce secteur.
Au total, un rôle prépondérant peut être attribué aux facteurs externes dans la hausse récente des
prix au Maroc. Ces facteurs externes sont multiples et se présentent comme suit :
ƒ Tout d’abord, l’impact important du renchérissement des prix des matières premières
énergétiques sur le marché international, en particulier le pétrole et le gaz naturel, a été
rapidement répercuté sur les prix domestiques des carburants, reflétant entre autres la capacité
de stockage insuffisante dont dispose le pays qui l’empêche de lisser la transmission des chocs
énergétiques externes sur les prix au niveau national. L’OPEP+, pour sa part, n’a pas procédé
à une augmentation significative de sa production qui ne suffit pas à satisfaire la demande
additionnelle mondiale, faisant ainsi persister la hausse des cours sur le marché international.
ƒ Le renchérissement du prix du carburant a été répercuté sur le coût de transport domestique
des marchandises, ainsi que sur les prix des différents produits dont le processus de production
est intensif en intrants énergétiques.
ƒ Le renchérissement des cours internationaux des matières premières hors énergie, notamment,
les céréales et les huiles a entrainé une hausse significative des prix internes de ces produits,
sans omettre les effets des mauvaises campagnes agricoles dans plusieurs pays producteurs,
ainsi que la guerre en Ukraine et l’évolution rapide de la demande chinoise.
ƒ La transmission de l’inflation dans la zone euro vers le Maroc en raison du poids prépondérant
de l’Europe dans le total des importations du pays.
ƒ La hausse persistante du coût du fret maritime à cause de la crise des conteneurs a eu également
de fortes répercussions sur les prix à l’import et par conséquent sur les prix domestiques.
ƒ Outre la problématique de disponibilité des conteneurs, l’augmentation des marges de profit
des sociétés de transport depuis le début de l’année 2021 et de celles des grandes sociétés
de négoce international ont contribué, à leur tour, au renchérissement des prix des produits
importés.
ƒ Depuis le déclenchement de la crise Covid-19, mais également avec la survenue de la guerre en
Ukraine, des mesures restrictives à caractère souverainiste ont été adoptées par plusieurs pays
pour réduire les exportations de certains produits de base comme les céréales et les huiles, ce
qui a alimenté la hausse des prix de ces catégories de produits.

57 - Avis du CESE sur la commercialisation des produits agricoles.

Conseil Economique, Social et Environnemental


Graphique 14 : Inflation au Maroc et Graphique 15 : Inflation au Maroc et
en Union européenne (en %) variation de l’indice des prix des matières
6,0
premières énergétiques mondial (en %)
5,6
200,0 6,0
5,0

5,0
4 ,0 150,0
3,1 4,0
3,0
100,0
3,0
2,0

50,0 2,0
1,0

1,0
0,0 0,0
0,0
-1,0
-50,0
-1,0
-2,0
Jan 2006

Dec 2008

Jan 2013

Dec 2015

Jan 2020
Mar 2014
Aug 2006
Mar 2007
Oct 2007
May 2008

Jul 2009
Feb 2010
Sep 2010
Apr 2011
Nov 2011
Jun 2012

Aug 2013

May 2015

Jul 2016
Feb 2017
Sep 2017
Apr 2018
Nov 2018
Jun 2019

Aug 2020
Mar 2021
Oct 2021
Oct 2014

-100,0 -2,0

Jan 2006
Sep 2006
May 2007
Jan 2008
Sep 2008
May 2009
Jan 2010
Sep 2010
May 2011
Jan 2012
Sep 2012
May 2013
Jan 2014
Sep 2014
May 2015
Jan 2016
Sep 2016
May 2017
Jan 2018
Sep 2018
May 2019
Jan 2020
Sep 2020
May 2021
Jan 2022
Inflation au Maroc Inflation dans les pays de l'UE Indice des prix des matière premières énergétiques au niveau mondial
Inflation au Maroc
Source : Eurostat
Source : Banque mondiale

Graphique 16 : Inflation au Maroc et Graphique 17 : Inflation au Maroc et variation


en Union européenne (en %) de l’indice des prix des produits de base
alimentaires à l’international (en %)
80,0 6,0

5,0
60,0
49,4
4,0
3,1
40,0
3,0

20,0 2,0
16,1
1,0
0,0

0,0

- 20,0
- 1,0

- 40,0 - 2,0
Jan 2006

Dec 2008

Jan 2013

Dec 2015

Jan 2020
Aug 2006
Mar 2007
Oct 2007
May 2008

Aug 2013

Aug 2020
Jul 2009
Feb 2010
Sep 2010
Apr 2011
Nov 2011
Jun 2012

Mar 2014
Oct 2014
May 2015

Jul 2016
Feb 2017
Sep 2017
Apr 2018
Nov 2018
Jun 2019

Mar 2021
Oct 2021
Indice des prix des produits de base alimentaires au niveau mondial
Inflation au Maroc
Source : HCP
Source : Banque mondiale

Graphique 18 : Nombre de mesures restrictives


sur les exportations au niveau international

350

292
300

250

200

150 126
115 113
100 75 78
62 65 67 62
54
50 35 28

0
2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021

Source: Globaltradealert

Rapport Annuel 2021


c. Les recommandations

A court terme : soutenir le pouvoir d’achat des catégories les plus vulnérables
Le soutien au pouvoir d’achat en cas de persistance de la hausse des prix, nécessiterait des mesures
urgentes, notamment, sous forme d’aides ciblées distribuées aux catégories les plus vulnérables
qui ont subi les effets du renchérissement du coût de la vie.
En plus, les pouvoirs publics peuvent continuer à maintenir les droits de douane sur les prix de
certains produits de base importés à des niveaux bas et diminuer momentanément les exportations
des biens essentiels qui ont connu récemment des hausses importantes.
Sur le plan du fonctionnement du marché, il est impératif à l’heure actuelle d’élargir l’étendue et
de renforcer la fréquence du contrôle du respect de la concurrence dans les différents secteurs,
en particulier ceux relatifs aux biens de première nécessité et produits de base, afin de combattre
toute pratique d’entente ou d’abus de position dominante pouvant détériorer davantage le
pouvoir d’achat des citoyens.
A moyen terme : renforcer la résilience du pouvoir d’achat face aux chocs inflationnistes futurs.
Pour ce faire, il est recommandé de :
ƒ Accélérer la mise en place du registre social unique (RSU) pour un meilleur ciblage des dépenses
de soutien au pouvoir d’achat à l’avenir. La mise en place de cet outil questionne la pertinence
des critères de ciblage retenus et surtout le sort de la classe moyenne au cas où celle-ci serait
exclue du ciblage, alors qu’elle subit de plein fouet le renchérissement des produits énergétiques
et de base.
ƒ Etudier la possibilité de création d’un fonds permanent de stabilisation face aux chocs majeurs
et les modalités de financement de ce fonds. Il servira, entre autres, à garantir le pouvoir d’achat
des catégories vulnérables lors des périodes de renchérissement excessif des produits de
première nécessité. Le déblocage des ressources devra toutefois obéir à des critères stricts et
mesurables et à des règles transparentes.
ƒ Créer une instance de régulation du secteur des hydrocarbures afin de contrôler les
comportements de marge excessifs nuisibles au pouvoir d’achat.
ƒ Accélérer le processus de transition énergétique pour minimiser la vulnérabilité aux fluctuations
des prix du pétrole et du gaz.
ƒ Assurer une gestion plus préventive des stocks énergétiques, qui requiert d’investir davantage
dans les capacités de stockage internes et d’envisager les modalités possibles d’une mobilisation
des capacités de stockage de la SAMIR.
ƒ Organiser les espaces et circuits de commercialisation des produits agricoles pour limiter la
spéculation des intermédiaires. Pour ce faire, il est recommandé de :
- Procéder à la réforme et à l’organisation des espaces de commercialisation (souks de quartiers,
souks hebdomadaires, circuits courts, vendeurs ambulants, etc.) en considérant l’approche
territoriale et les liens de ces espaces avec les marchés de gros ;
- Favoriser l’organisation des petits agriculteurs en coopératives pour faciliter leur accès au
marché.

Conseil Economique, Social et Environnemental


- Accélérer la réforme des marchés de gros : adopter un dispositif ouvert à la concurrence et
conditionné par le respect d’un cahier de charges. Cette réforme doit être réalisée dans le
cadre d’une approche globale suscitant le concours des différentes parties prenantes (Etat,
interprofession, régions, communes, secteur privé, etc.),
- Mettre en place un cadre réglementaire précis et opposable pour réguler et repenser le rôle
et les missions du métier de l’intermédiaire et expliciter ses droits et devoirs au niveau de la
chaine de commercialisation.
ƒ Mettre en place un « observatoire des prix et des marges », qui pourrait être abrité par le conseil
de la concurrence, pour aider à la détection de tout comportement d’accumulation non justifiée
des marges de profit au détriment du citoyen : cet observatoire ferait le suivi non seulement des
prix des produits alimentaires, mais pourrait inclure aussi les prix de produits non-alimentaires
spécifiques. Les critères de sélection des produits peuvent être notamment :
- le poids élevé ou ascendant du produit dans le panier de consommation des ménages ;
- le degré de concentration du marché concernant ce produit ou l’existence de position
dominante ;
- les marchés où un nombre très limité d’entreprises contrôlent l’ensemble de la chaine de
valeur par rapport aux concurrents, en intégrant verticalement l’importation d’intrants et
l’approvisionnement, le stockage, la production et la distribution ;
- le caractère systémique du produit dans la mesure où les variations de son prix peuvent avoir
des effets induis importants sur les prix d’une large liste de biens et services ;
- les produits essentiels que les ménages sont contraints d’ acheter même lorsque leurs prix
augmentent par manque de substituts, occasionnant ainsi une dégradation du pouvoir
d’achat.
ƒ En matière de logistique et transport international, il est recommandé d’étudier la faisabilité de
mise en place d’une flotte maritime de fret gérée par une compagnie nationale. L’objectif est de
réduire la dépendance de notre pays aux compagnies étrangères ainsi que le risque de rupture
d’approvisionnement, tout en atténuant l’impact de la flambée des tarifs de transport imposés
par les compagnies étrangères en période de crise.

Rapport Annuel 2021

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