Vous êtes sur la page 1sur 5

À quoi servent donc nos petites

manies ?
https://www.caminteresse.fr/sante/a-quoi-servent-donc-nos-petites-manies-148359/

Nous reproduisons chaque jour d’innombrables petits gestes, sans


même savoir pourquoi ! Ils sont pourtant moins anodins qu’il y paraît…

C’est une image, diffusée au printemps dernier, qui a fait le tour du


monde. On y voit une responsable de la santé américaine expliquant
doctement qu’il faut perdre l’habitude de se toucher le visage afin de
limiter la propagation du coronavirus. Et, tout en disant cela, elle passe
son doigt sur sa langue avant de tourner la page de son discours…

On se touche le visage 23 fois par heure

Fichues manies ! Elles surgissent souvent au pire moment. Et on a beau se


raisonner, on ne sait pas comment s’en débarrasser. Comme Jacques
Chirac, qui ne pouvait s’empêcher de donner des coups de pied sous la
table. Ou Kate Middleton qui, toute altesse royale qu’elle soit, se ronge
les ongles à tout bout de champ, même devant les photographes. Nous
aussi, nous passons notre temps à nous mordre les lèvres, à nous gratter
la joue ou à entortiller sans fin une mèche de cheveux entre nos doigts.
Nul n’y échappe : une étude de 2015 menée au moyen d’une caméra
filmant des étudiants américains a montré qu’ils se touchaient
inconsciemment le visage 23 fois par heure !

Se ronger les ongles, l’une des manies les


plus répandues
Selon un sondage réalisé en 2008, près d’un tiers de la population se livre,
à des degrés divers, à ce coupable penchant. Stéphane Rusinek,
professeur de psychologie clinique à l’université Lille-Nord-de-France, y
voit une cause très ancienne : « Contrairement à nos lointains ancêtres,
nous n’usons plus nos ongles dans la nature. Donc, lorsqu’ils repoussent,
ils nous gênent et provoquent une tension. Nous les rongeons pour nous
en débarrasser, et comme ce geste procure un soulagement, nous avons
tendance à le répéter dès qu’une nouvelle situation de tension se
présente. »

C’est là l’une des clés de nos manies. Si nous avons tant de mal à y mettre
un terme, c’est qu’elles nous font du bien. Pourquoi se gratter le crâne
quand rien ne nous démange ? Parce que, sans que nous en ayons
conscience, ce geste nous aide à réfléchir. « Cela active les terminaisons
nerveuses crâniennes et stimule la réflexion, c’est une façon de se masser
le cerveau », analyse Didier Bottineau, chargé de recherche en sciences du
langage au CNRS, à Lyon (Rhône).

Et pourquoi griffonnons-nous sur un bout de papier quand nous sommes


au téléphone ? « Peut-être parce que nous ne voyons pas notre
interlocuteur », avance le psychologue Léonard Vannetzel dans une
interview au quotidien Ouest-France. Comme nous avons du mal à fixer
notre attention, la figure, l’arbre ou la maison que nous dessinons sert à
pallier ce manque de repère visuel.

Sucer son pouce, une manie qui procure un


soulagement intense

Contrairement à ce que l’on croit, ce geste franchit souvent les portes de


l’enfance : il existe sur Facebook des groupes d’adultes revendiquant
fièrement cette pratique. L’animatrice de télévision Daphné Bürki
racontait ainsi récemment qu’elle ne pouvait s’en empêcher. « Ce réflexe
de succion est un réflexe de survie, naturel, que l’on voit parfois dès
l’échographie et qui perdure après la naissance, précise le psychanalyste
Rodolphe Oppenheimer. L’enfant découvre que sucer son pouce l’aide à
patienter quand il a faim. Cela le rassure, et ce geste s’accompagne d’une
sécrétion de bêta-endorphines qui permet de gérer la douleur et de se
sentir bien. » Sucer son pouce semble par ailleurs lié au contexte culturel :
la frustration d’attendre un repas ou un autre moment agréable, dans une
société très réglée, provoquerait cette attitude.

Parer à l’ennui et au stress

Les manies servent souvent à déjouer ou à canaliser les émotions :


l’impatience, l’ennui, le stress… Quand on est déstabilisé, face à un
événement inattendu, à une question gênante, on se touche le visage
pour se rassurer, s’assurer de son intégrité physique. Autre manière
d’évacuer ses angoisses : se gratter. Ce qui pourrait permettre d’extirper,
littéralement, « une pensée inconsciente, insupportable », suggère
Rodolphe Oppenheimer.

Certaines de nos petites habitudes sont un héritage de notre enfance. Il


peut s’agir d’une façon de se masser la tempe que l’on tient de son père,
de celle de pianoter sur la table comme le fait un grand frère… Nous
empruntons même des attitudes, au fil de la vie, à des personnages de
cinéma ou à des artistes que l’on admire. Une génération de spectateurs a
ainsi imité la manière qu’avait Humphrey Bogart de se passer le pouce sur
la lèvre. Des fumeurs se sont mis à tenir leur cigarette entre le pouce et
l’index, comme Yves Montand ; d’autres au bout des doigts, à la
Gainsbourg. Et, une fois adoptée, cette attitude ne les quitte plus.

Les tics de langage sont un moyen de


conforter son assurance

À l’adolescence, singulièrement, ces petits gestes copiés aident l’individu


à se construire et à exprimer sa personnalité. Exactement comme des
vêtements que l’on a plaisir à porter car ils donnent l’impression de se
mettre en valeur. Plus encore que dans les gestes, c’est dans la parole que
ce mécanisme se met en place : c’est ce que l’on appelle habituellement
des « tics de langage » – même si ce ne sont pas vraiment des tics. D’où
tous ces « j’avoue », « carrément », « ma foi », qui ponctuent les
conversations, ou ces adjectifs comme « formidable », « super », « génial »,
que nous utilisons pour saluer les événements les plus divers. Souvent,
exactement comme avec nos gestes répétitifs, ces tics de langage sont
inconscients. Or, chacun a ses mots béquilles, ces petits termes qui
viennent aux lèvres de manière automatique quand il cherche à conforter
son assurance. Le président de la République, Emmanuel Macron, sait-il
par exemple qu’il dit sans cesse « au fond » ? Maria Candea, docteure en
linguistique et enseignante à l’université Sorbonne-Nouvelle, à Paris, a
noté récemment qu’il avait répété 62 fois cette expression dans un
discours d’une heure et quarante-sept minutes ! Une étude de l’université
britannique d’Oxford – rappelée par une autre linguiste, Julie Neveux –
montre que nous utilisons tous en moyenne cinq tics de langage par
minute.

Comme les gestes, ces expressions nous viennent souvent par imitation.
On va se mettre à employer « trop pas » ou « genre » parce qu’on a
entendu ses amis le dire. Et cela deviendra même un signe de
reconnaissance. Les manies de langage « permettent de montrer sa
connivence avec les gens de son âge », explique Maria Candea. Que ce soit
« vachement », « trop », ou « extra », « chaque génération a ses mots
hyperboliques, et ils changent environ tous les cinq ans », note la
chercheuse. Comme l’analyse le journaliste Frédéric Pommier dans son
livre Mots en toc et formules en tic (éd. du Seuil), des expressions toutes
faites proviennent aussi de nos milieux professionnels, d’autres se
propagent par la télé, comme « décalé », « juste » ou « j’adore ». Tels des
caméléons, nous les répétons à l’infini. Frédéric Pommier raconte s’être
aperçu qu’il abusait de la locution « du coup ». Il l’a remplacée, au moins à
l’écrit, par « dès lors »…

Peut-on se débarrasser d’une habitude verbale ou physique ? Oui, des


thérapies existent pour combattre les plus pénibles, par exemple celle de
se ronger les ongles. Le patient peut tenter de troquer une manie
pénalisante contre une plus douce, explique la psychanalyste Virginie
Dillais. Il peut également chercher, en parlant avec son thérapeute, à
comprendre d’où vient ce symptôme – ce qui l’aidera alors à s’en délivrer.
En revanche, quand les petites manies sont anodines, pourquoi s’en
défaire ?

Les petites manies des génies


Comme le montre l’auteur américain Mason Currey dans Tics et tocs des
grands génies (éd. Autrement), écrivains, philosophes et peintres ont eu au
fil des siècles les habitudes les plus singulières.

Erik Satie, compositeur français du début du XXe siècle, aimait être


habillé toujours à l’identique. Il avait donc une douzaine de vestes, de
pantalons et de chapeaux melon du même modèle.

Le philosophe allemand Emmanuel Kant décide, vers la quarantaine, de


mener une vie de plus en plus réglée. Ainsi, il voit tous les soirs son
meilleur ami jusqu’à 19 heures, et le week-end jusqu’à 21 heures !

Gertrude Stein, poétesse et collectionneuse d’art américaine du XXe


siècle, aimait tellement son caniche Basket qu’elle avait pris l’habitude de
lui brosser les dents tous les jours.

Ludwig van Beethoven avait la manie de se verser de l’eau sur les mains à
longueur de journée pour les rafraîchir – au point de générer des
infiltrations par le parquet dans l’appartement du dessous !

L’écrivain Georges Simenon, auteur entre autres de la série des Maigret,


tenait à porter les mêmes vêtements pendant toute l’écriture d’un roman.
Il n’en changeait qu’après l’avoir achevé.

POUR ALLER PLUS LOIN

Parler comme jamais, le podcast de Maria Candea, Julie Neveux et Laélia


Véron, pour mieux comprendre les mécanismes de notre langue :
binge.audio/parler-comme-jamais/

Adélaïde Robault

Vous aimerez peut-être aussi