Vous êtes sur la page 1sur 1

Chargement de l'audio en cours Découvrir l'expérience Premium Manuels numériques Offres & Commandes Connexion S'inscrire

A A
Favoris Partager Affichage Présentation Plus

D’où vient l’autorité du devoir ?


P.310-313

Ré#exion 2

D’où vient l’autorité du devoir ?

Texte 4 Texte 5

Texte 6 Texte 7

Texte 4 La raison contraint la sensibilité ◉ ◉ ◉ XIXe siècle

Selon Durkheim, le fait que la morale soit ressentie par l’individu comme une obligation s’explique par la double
nature de l’homme, être à la fois rationnel et sensible.

 La moralité consiste à réaliser des fins impersonnelles, générales, indépendantes de l’individu et de ses intérêts
particuliers. Or, la raison, par sa constitution native, va d’elle-même au général, à l’impersonnel ; car elle est la
même chez tous les hommes et même chez tous les êtres raisonnables. Il n’y a qu’une raisona. Par conséquent, en
tant que nous ne sommes mus que par la raison, nous agissons moralement, et, en même temps, nous agissons
avec une pleine autonomie, parce que nous ne faisons que suivre la loi de notre nature raisonnable. Mais, alors,
d’où vient le sentiment d’obligation ? C’est que, en fait, nous ne sommes pas des êtres purement rationnels, nous
sommes aussi des êtres sensibles. Or, la sensibilité, c’est la faculté par laquelle les individus se distinguent les uns Durkheim
des autres. Mon plaisir ne peut appartenir qu’à moi et ne reflète que mon tempérament personnel. La sensibilité
nous incline donc vers des fins individuelles, égoïstes, irrationnelles, immorales. Il y a donc, entre la loi de raison Retrouvez ici sa biographie.
et notre faculté sensible, un véritable antagonisme, et, par suite, la première ne peut s’imposer à la seconde que
par une véritable contrainte. C’est le sentiment de cette contrainte qui donne naissance au sentiment de
l’obligation.

Émile Durkheim, L’éducation morale, 1925.

Aide à la lecture ▶ Repères


a. La raison n’est au service d’aucun plaisir individuel car elle est générale, ce qui la rend impersonnelle et
collective. Intuitif / Discursif p. 43

Question

Le devoir prend-il la forme d’une tension en nous ?

Texte 5 Certains devoirs s’imposent indépendamment de toute XXe siècle

institution sociale ◉ ◉ ◉
Dans sa Théorie de la justice, consacrée à la détermination des conditions d’une société juste, Rawls reconnaît
l’existence de devoirs naturels. Ils sont indépendants des institutions qui régissent telle ou telle société
particulière, mais doivent être reconnus par les États.

 Voici des exemples de devoirs naturels : aider quelqu’un d’autre qui est dans le besoin ou en danger, à la
condition que ce soit possible sans risques ni dommages excessifs pour soi-même ; ne pas nuire ni faire de tort à
autrui ; ne pas infliger de souffrances inutiles. […]

 À la différence des obligations, les devoirs naturels s’appliquent à nous, sans tenir compte de nos actes Rawls
volontaires. De plus, ils n’ont pas de relation nécessaire avec des institutions ou des pratiques sociales ; leur
Retrouvez ici sa biographie.
contenu, en général, n’est pas défini par les règles de ces organisations. Ainsi, nous avons le devoir naturel de ne
pas être cruels, le devoir d’aider autrui, que nous nous soyons ou non engagés à agir ainsi. […] Un autre
caractère propre aux devoirs naturels est qu’ils s’imposent entre les personnes, sans tenir compte de leur relations
institutionnelles ; ils s’imposent à tous en tant que personnes morales égales. En ce sens, les devoirs naturels
s’exercent non seulement à l’égard d’individus précis, par exemple ceux qui travaillent ensemble dans le cadre
d’une organisation particulière, mais, d’une manière générale, à l’égard des personnes. C’est surtout cet aspect
qui peut justifier l’adjectif « naturel ». Un des buts du droit international public est d’assurer la reconnaissance
de ces devoirs dans le comportement des États.

John Rawls, Théorie de la justice, 1971, trad. C. Audard, © Éditions du Seuil, 1997.

Question

En quoi les devoirs placés au-dessus des institutions sont-il naturels ?

Texte 6 L’autorité du devoir moral s’appuie sur la croyance religieuse XXe siècle

◉◉◉
La religion peut contribuer à faire obéir les hommes aux devoirs que leur impose la société. Cependant, Bergson
indique que ce recours à la religion n’est pas Kdèle à ce qu’elle est essentiellement. Elle n’a pas pour unique
vocation d’imposer des interdits par la crainte.

 On se plaît à dire que la religion est l’auxiliaire de la morale, en ce qu’elle fait craindre ou espérer des peines
ou des récompenses. On a peut-être raison, mais on devrait ajouter que, de ce côté, la religion ne fait guère autre
chose que promettre une extension et un redressement de la justice humaine par la justice divine : aux sanctions
établies par la société, et dont le jeu est si imparfait, elle en superpose d’autres, infiniment plus hautes, qui
doivent nous être appliquées dans la cité de Dieu quand nous aurons quitté celle des hommes ; toutefois, c’est sur Bergson
le plan de la cité humaine qu’on se maintient ainsi ; on fait intervenir la religion, sans doute, mais non pas dans
ce qu’elle a de plus spécifiquement religieux ; si haut qu’on s’élève, on envisage encore l’éducation morale Retrouvez ici sa biographie.
comme un dressage et la moralité comme une discipline.

Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, 1932.

Question ▶ Repères

Que serait une éducation morale qui ne s’apparenterait pas à un dressage ? Transcendant / Immanent
p. 365

L’anneau de Gygès, XVIe, huile sur panneau, 89 × 89 cm.

Activité

Au début du livre II de La République, Glaucon relate à Socrate une anecdote sur l’ancêtre d’un Lydien, nommé Gygès.
Ce berger menait une vie parfaitement tranquille, jusqu’au jour où il découvre un anneau d’or qui lui permet de devenir invisible. Il l’utilise alors pour
séduire la reine, tuer le roi et s’emparer du pouvoir.

Proposez un plan de dissertation, en utilisant le texte 4 (⇧), le texte 5 (⇧) et le texte 6 (⇧) et l’exemple de Gygès, pour répondre au sujet : le devoir vient-
il de la peur de la sanction ou d’un véritable choix moral ?

Texte 7 Le sentiment du devoir naît de rapports de force et d’intérêts TEXTE FONDATEUR

◉◉◉
Nietzsche, entreprend une généalogie de la morale, c’est-à-dire une enquête sur l’origine des concepts moraux,
XIXe siècle
dont celui de devoir. La morale est souvent présentée comme un ensemble de règles universelles et éternelles
mais, en réalité, elle a une histoire que Nietzsche entend dévoiler. Les notions « nobles » de justice, de
réparation, d’obligation proviennent de valeurs en vérité beaucoup moins nobles : la pulsion de vengeance, la
volonté d’être remboursé d’une dette, le calcul et la comparaison entre les individus. C’est avec une véritable
cruauté que le devoir s’impose aux hommes, le châtiment inGigé pour l’obligation non respectée constituant la
souffrance par laquelle l’individu doit se racheter.

 Mais comment est venue au monde cette autre « affaire lugubre », le sentiment de culpabilité, toute la
« mauvaise conscience » ? Nous voici donc revenus à nos généalogistes de la moralea. Je le répète – ou ne l’ai-je
pas encore dit ? – ils ne valent rien. Une expérience personnelle qui ne va pas plus loin que le bout de leur nez,
une expérience purement « moderne » ; nulle connaissance du passé, nulle volonté de le connaître ; pas
davantage d’instinct historique, de cette « seconde vue » qui est ici vraiment indispensable, – et l’on se mêle Nietzsche
néanmoins d’histoire de la morale : forcément les résultats ne s’accorderont que d’assez loin avec la vérité. Ces
généalogistes de la morale ont-ils jamais entrevu jusqu’ici, ne serait-ce que vaguement, que le concept de Schuld Retrouvez ici sa biographie.
[faute] par exemple, concept fondamental de la morale, remonte au concept très matériel de Schulden [dettes]b ?
Ou que le châtiment en tant que représailles s’est développé complètement à l’écart de toute hypothèse quant à la
liberté ou à la non-liberté de la volonté ? – et cela au point qu’il faut au contraire que l’animal « homme » ait
déjà atteint un haut degré d’humanisation pour commencer à faire des distinctions bien plus primitives, telles
que « avec préméditation », « par imprudence », « accidentellement », « responsable » et les notions contraires,
et en tenir compte dans la fixation de la peine. « Le criminel mérite punition, parce qu’il aurait pu agir
autrement », cette idée aujourd’hui si commune, si naturelle en apparence, si inévitable, et que l’on met sans Que l’auteur
cesse en avant pour expliquer comment est né le sentiment de justice, est en fait une forme tout à fait tardive et déclare-t-il ?
même raffinée du jugement et du raisonnement humainc : qui la place dans les commencements se méprend
grossièrement sur la psychologie de l’humanité primitive. Pendant la plus longue période de l’histoire humaine, a. La punition vise à
on n’a nullement puni parce qu’on tenait le malfaiteur pour responsable de son action, donc pas du tout en rendre le coupable meilleur
supposant que seul le coupable doit être puni : – non, comme le font encore aujourd’hui les parents avec leurs
enfants, on punissait par colère, du fait qu’on avait subi un dommage, et l’on passait sa colère sur l’auteur du b. La punition est
dommage – mais cette colère se trouvait limitée et modifiée par l’idée que tout dommage trouve son équivalent l’expression d’une passion
d’une façon ou d’une autre et peut être réellement compensé, serait-ce par une douleur infligée à son auteur. violente
D’où a-t-elle tiré son pouvoir, cette immémoriale idée, profondément enracinée, aujourd’hui peut-être
inextirpable, d’une équivalence entre dommage et douleur ? Je l’ai déjà dit : du rapport contractuel entre c. Tout tort doit être
créancier et débiteur, rapport aussi ancien que l’existence des « personnes juridiques », et qui ramène à son tour compensé par un tort
aux formes fondamentales de l’achat, de la vente, de l’échange, du trafic. […] d’intensité égale

 C’est dans cette sphère, celle du droit des obligations, que se trouve le foyer d’origine du monde des concepts d. Il est nécessaire de
moraux « faute », « conscience », « devoir », « caractère sacré du devoir » – il a été à son début longuement et protéger la société contre les
abondamment arrosé de sang comme l’ont été à leur début toutes les grandes choses sur terre. Et n’est-il pas criminels
permis d’ajouter qu’au fond ce monde a toujours gardé une certaine odeur de sang et de torture ! (même chez le
vieux Kant : l’impératif catégorique sent la cruauté)d. C’est là qu’on a tramé pour la première fois ce sinistre
mariage d’idées, devenu peut-être indissoluble « faute et souffrance ». Répétons notre question : comment la
souffrance peut-elle être une compensation pour des « dettes » ? Parce que faire souffrir donnait un très grand
plaisir et que celui qui avait subi le dommage et ses désagréments obtenait en échange une extraordinaire contre-
▶ Repères
jouissance : faire souffrir, – véritable fête, et, de nouveau, d’un prix d’autant plus élevé qu’elle était davantage en
contradiction avec le rang et la situation sociale du créancier. […]
Origine / Fondement p. 321
 Le sentiment de la faute, de l’obligation personnelle, – pour reprendre le fil de notre recherche – tire son En fait / En droit p. 321
origine, comme nous l’avons vu, du rapport le plus ancien et le plus primitif qui soit entre personnes, du rapport
entre acheteur et vendeur, créancier et débiteur : c’est là que, pour la première fois, la personne affronte la
personne, c’est là que pour la première fois la personne se mesure avec la personnee. À notre connaissance, il
n’est pas jusqu’au niveau de civilisation le plus bas, qui ne révèle quelque chose de ce rapport. Établir des prix,
mesurer des valeurs, inventer des équivalences, échanger – tout cela a préoccupé à tel point la toute première
pensée de l’homme que ce fut en un sens la pensée tout court : c’est là qu’apprend à s’exercer la plus ancienne
espèce de perspicacité, là que pourrait se situer la naissance de la fierté humaine, du sentiment de la préséance de
l’homme sur les autres animaux. Peut-être le mot allemand « Mensch » (manas) exprimet-il précisément quelque
chose de cet amour-propre : l’homme se désigne comme l’être qui mesure des valeurs, qui évalue et qui mesure,
l’« animal estimateur par excellence »f. Achat et vente, y compris leurs accessoires psychologiques, sont plus
anciens que n’importe quelle forme d’organisation sociale ou d’association que ce soit : c’est bien plutôt de la
forme la plus rudimentaire du droit personnel que les collectivités les plus grossières et les plus primitives (dans
leurs relations avec des collectivités semblables) reçoivent le sens de l’échange, du contrat, de la dette, du droit,
de l’obligation et de la compensation en même temps qu’elles en reçoivent l’habitude de comparer puissance à
puissance, de calculer, de mesurer. […] On en vint bientôt à cette généralisation : « Toute chose a son prix, tout
peut être payé », au plus ancien et plus naïf canon de la justice, au début de toute « bonté », de toute « équité »,
de toute « bonne volonté », de toute « objectivité » sur terre.

Friedrich Nietzsche, La Généalogie de la morale, 1887, trad. I. Hildenbrand, J. Gratien, © Éditions


Gallimard, 1971.

Aide à la lecture

a. Pour comprendre ce qu’est la morale, on ne peut se contenter d’analyser le présent. Une méthode
historique, que Nietzsche nomme « généalogie », est nécessaire pour démasquer l’origine véritable des
notions morales.
b. Ce que Nietzsche constate pour l’allemand est transposable à la langue française : on « s’acquitte » d’un
devoir comme on s’acquitte d’une dette. Devoir s’emploie aussi pour « devoir de l’argent ».
c. La notion de responsabilité, fondée sur le libre arbitre de l’individu, est une invention récente dans l’histoire
de l’humanité.
d. On retrouve une trace de l’origine réelle des valeurs morales dans le caractère cruel que comporte encore
aujourd’hui le devoir, à la fois dans l’obéissance qu’on lui doit et dans la souffrance que nous imposent les
punitions, si on ne le respecte pas.
e. La morale n’est qu’une forme parmi d’autres d’une tendance plus fondamentale en l’homme : celle qui
attribue une valeur aux choses et aux êtres qui permet de les comparer et de les hiérarchiser.
f. La méthode généalogique donne lieu ici à une démystiKcation des valeurs : l’intention de Nietzsche est de
mettre ^n à une illusion – celle d’une pureté de la morale, qui serait universelle et rationnelle, comme le veut
Kant – et de démasquer les moyens par lesquels cette illusion s’impose et trompe les hommes.

Question

Quelle relation ancienne relie « dommage » et « douleur » ?

Vous aimerez peut-être aussi