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Catherine Gandar-Gervais
Dans Idées économiques et sociales 2008/3 (N° 153), pages 57 à 62
Éditions Réseau Canopé
ISSN 2257-5111
DOI 10.3917/idee.153.0057
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La responsabilité
environnementale
des cimenteries1
L’environnement prend une place fondamentale dans les préoccupations occidentales.
Pour le protéger, de grandes puissances se sont engagées à réduire leurs émissions
de CO2 dans le cadre du protocole de Kyoto. Un marché de quotas d’allocation a ainsi
été créé. Mais comment fonctionne-t-il ? Pourquoi le secteur des cimenteries est-il
concerné par ce marché ? Comment ressent-il cette nouvelle réglementation et quelles
stratégies a-t-il adopté pour y faire face ?
en moyenne sur la période 2008-2012 par rapport dans un organisme officiel. En France, c’est la Caisse
au niveau atteint en 1990. Parmi ces pays, il y a le des dépôts et consignations qui détient ces comptes
Japon, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l’ex-bloc appelés Seringas. Sur ces comptes, les entreprises
soviétique et enfin l’Europe, qui, elle, s’est engagée vont gérer leurs quotas (en acheter ou en revendre)
à les réduire de 8 %. En cas de non-respect du quota alloué (donc de
L’UE a alors adopté, en 2003, une directive pour dépassement de l’émission de CO2), l’entreprise a 1. Je tiens à remercier
sincèrement l’entreprise
appliquer ce protocole. Cependant, les objectifs deux solutions : Italcementi, installée à
Guervilles, qui m’a fait
de réduction des émissions de CO2 ne sont pas – soit elle trouve des quotas disponibles à acheter découvrir la problématique du
identiques selon les pays.Ainsi, alors que l’Allemagne sur le marché (mais leur prix fluctue beaucoup : il a marché des droits à polluer
et de ses conséquences pour
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En fin de compte, l’entreprise ne paye que les émissions mondiales de CO2. Les cimentiers
émissions excédentaires par rapport aux quotas n’apprécient guère d’être forcés de faire des efforts
initialement fournis gratuitement. alors que d’autres ne subissent aucune contrainte.
Ils assimilent cette différence à une distorsion des
Les cimenteries concernées règles de concurrence.
par le marché des quotas Ce sentiment d’injustice, basé sur ce chiffre
Le ciment est obtenu à partir de la cuisson, dans international, se renforce davantage quand on ne
un four, de deux matières premières naturelles s’intéresse qu’au cas français (voir annexe 2) :
extraites en carrière : le calcaire et l’argile. Ces deux l’industrie n’est responsable que de 21 % des émis-
matériaux sont broyés puis introduits dans un tube sions totales de CO2 dans notre pays et, au sein de
rotatif incliné, de 50 à 90 mètres de long. La combi- ces 21 %, les cimenteries n’émettent que 12 %
naison du calcaire et de l’argile ne peut s’effectuer environ de ce CO2 (soit 2,6 % du total des émissions
qu’à 1 450 °C. Elle aboutit à la production du clinker, de CO2 en France). Si les cimentiers et les autres
composant principal du ciment (car ayant des fortes industries acceptent la nécessité de raisonner en
propriétés liantes). termes de développement durable, ils ne compren-
Cette fabrication de clinker est responsable d’une nent pas pourquoi seule une partie de l’industrie
importante émission de CO2 pour deux raisons : est concernée par les efforts à mettre en place. Ainsi,
– le combustible nécessaire pour atteindre la seuls 1 100 établissements industriels en France
température du four : un tiers de l’énergie nécessaire sont obligés de rendre des comptes sur leurs
provient de la combustion de déchets ultimes (émet- émissions de CO2, et certaines branches, pour-
teurs de CO2), les deux tiers restants sont fournis par tant fortement émettrices, ont été épargnées (par
la dégradation d’énergies fossiles non renouvelables, exemple : incinérateurs, agriculture), sans que
fortement émettrices de CO2. Ainsi, pour obtenir les cimentiers n’y voient une justification.
une tonne de clinker, la combustion des carburants De même, ils font remarquer que les particuliers
du four émet 300 kg de CO2 en moyenne ; ne sont absolument pas concernés par cette réduc-
– le process permettant d’obtenir du clinker par tion drastique d’émissions de CO2, que ce soit pour
chauffage provoque la décarbonatation du calcaire, leur moyen de transport ou pour leur chauffage. Ils
c’est-à-dire la transformation du calcaire (CaCO3) en ne sont nullement responsabilisés par leurs émissions.
gaz carbonique (CO2) + chaux (CaO) ce qui permet Les industriels et les cimentiers ont le sentiment que
son alliance avec l’argile.Aucun autre procédé ne peut le gouvernement leur demande de surcompenser la
parvenir à fabriquer du clinker. En moyenne, on consi- pollution croissante de CO2 due aux particuliers.
dère qu’une tonne de clinker provoque l’émission de De plus, l’industrie dénonce le fait que l’UE n’axe
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Les quotas initiaux n’ont pu être respectés, car il fallait faible pouvoir calorifique rendant la conduite du four
satisfaire la demande croissante. En 2006, les cimen- difficile, et, surtout, les quantités de farines animales
tiers ont ainsi dû acheter 1 à 2 millions de tonnes de disponibles s’effondrent car elles sont réinjectées dans
CO2 supplémentaires pour couvrir l’augmentation de le circuit de l’alimentation croisée des animaux ;
la demande du secteur (+ 6 % sur l’année). Or, alors – une autre solution a été envisagée : produire
que la France a globalement dépassé l’objectif fixé des ciments moins riches en clinker (80 % de clinker,
pour la période 2005-2007 (au lieu de stabiliser les le reste étant composé d’ajouts type cendre volante
émissions, elle en a émis 0,8 % de moins), l’UE vient en provenance des centrales thermiques, du laitier
de lui fixer un quota global d’émissions encore plus (sous-produit de la fonte) donc moins émetteur de
faible, ce qui se répercutera sur toutes les industries CO2. Là encore, cette solution n’est pas optimale,
concernées et en conséquence sur les cimenteries. car elle modifie légèrement les caractéristiques
Celles-ci se verront contraintes soit à ne pas répondre du ciment (prise plus lente…), ce qui gêne les clients.
aux commandes donc à limiter leurs activités, soit Du coup, les cimentiers français perdent des marchés
à acheter de nouveau des quotas supplémentaires au profit de la concurrence internationale non soumise
vu l’effet ciseau s’installant entre production permise au protocole de Kyoto.
par le marché des quotas et production requise pour Restent deux possibilités aux cimentiers français
satisfaire la demande de ciment. pour survivre :
Cependant, le rachat de quotas supplémentaires – de plus en plus de cimentiers investissent
se heurte à deux difficultés : d’une part il diminue la dans des cimenteries localisées dans des pays non
compétitivité des produits français, car son coût se signataires des accords de Kyoto afin d’y produire
répercute in fine sur le ciment, et d’autre part l’UE le clinker puis de l’importer (exemple : Chine,
vient de modifier une disposition parlementaire en Égypte…). Le coût du transport par bateau est encore
interdisant, pour la période 2008-2012, le banking faible pour le clinker et est plus rentable que le rachat
c’est-à-dire le report des quotas non utilisés entre des quotas d’émissions ou le paiement d’amendes.
2005 et 2007. Les cimentiers dénoncent ce chan- À terme, cela provoquera la fermeture des sites de
gement rétroactif de législation, car ils craignent production en Europe au profit d’entreprises de
une pénurie de quotas si les autres industries n’ont broyage et d’ensachage dans les ports français. Une
plus la possibilité de revendre leur surplus. Il y a une difficulté de taille apparaît néanmoins : le CO2
conciliation difficile entre les intérêts industriels et continuera à être émis au niveau planétaire et ceci
les intérêts écologiques. de façon croissante, car le transport par bateau
ajoutera des émissions ;
Les stratégies d’adaptation des cimentiers – d’autres cimentiers pensent que leur survie
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plus seule à supporter les efforts de la réduction (exemple : en apprenant qu’il est impératif que les
des gaz à effet de serre qui seraient ainsi partagés émissions de CO2 par personne n’excèdent pas 500
par la collectivité tout entière. Sur certains sites kg par an pour que le réchauffement climatique soit
Internet d’ONG, on peut d’ores et déjà estimer sa évité… Or, un particulier conduisant 15 000 km
propre responsabilité environnementale et peut- par an dans une voiture émet 412 kg de CO2, soit
être, ultérieurement, modifier son comportement 80 % de sa capacité à en émettre…).
ANNEXE 1.
République
97,6 82,5 101,9 86,8 n.d.
tchèque
ANNEXE 2.
Émissions de CO2 en France
650
600
550
500
450
400
350
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150 Agriculture/sylviculture
− 100 Puits
− 150
− 200
(e) estimation préliminaire
1960
1965
1970
1973
1975
1980
1985
1990
1995
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006 (e)
Citepa/coralie/format
SECTEN.
Mise à jour février 2007.
2% 1%
13 %
Émissions de CO2 brutes en 2004
26 %
Transformation énergie
20 % Industrie manufacturière
Résidentiel/tertiaire
Agriculture/sylviculture
Transport routier
14 %
Autres transports
24 % Autres
Note : il s’agit des émissions brutes, c’est-à-dire que les puits ne sont pas pris en compte (cela signifie essentiel-
lement que les bénéfices liés à l’exploitation forestière, qui conduit à la séquestration de carbone dans les arbres
transformés en produits durables, ne sont pas imputés à l’activité agricole, qui comprend aussi la sylviculture).
On remarque que la première source en France est représentée par les transports, avec 27 %, qui est, en outre,
la source qui croît le plus actuellement.
De plus, si l’on imputait aux transports les émissions des raffineries pour produire l’essence (dans le poste
« transformation énergie »), celles de l’industrie pour la construction des voitures et des routes, et plus généra-
lement toutes les émissions produites par des activités concourant aux déplacements (assurances, garages, etc.),
le total serait probablement plus proche de 40 %. La nomenclature a son importance !
Le transport aérien international n’est pas pris en compte, car, aux termes du protocole de Kyoto, les émissions
découlant du transport international aérien ou maritime ne sont pas affectées aux totaux nationaux.
Source : Citepa [en ligne], Citepa, 02.07.2007 [11.04.2008] http://www.citepa.org
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